les services publics africains À l’heure du … · te n’est pas une utopie, si elle est...

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RÉALITÉS MÉCONNUES 39 GÉRER ET COMPRENDRE LES SERVICES PUBLICS AFRICAINS À L’HEURE DU DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT Changement conservateur ou progressiste ? PAR PATRICK PLANE CERDI - CNRS - Université d’Auvergne Dans tous les pays où l’État, affaibli, est incapable de résister au libéralisme des grands organismes financiers internationaux, la privatisation des infrastructures est souvent subie comme une braderie intolérable des intérêts nationaux. Face à l’hostilité que soulèvent ces processus et au risque, toujours possible, d’une expropriation « prématurée » d’investissements à rentabilité lointaine, le secteur privé rechigne, de son côté, à y investir. Pour être comprise et efficace, la privatisation doit alors être sous-tendue par une large concertation entre les repreneurs privés de l’activité publique, l’État et les salariés. Dans ce cadre, les contrats de concession - dont la France a fait, de longue date, un des vecteurs de son développement - ont l’avantage de préserver les intérêts légitimes des États tout en favorisant l’efficacité économique. © Mohiss

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RÉALITÉS MÉCONNUES

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GÉRER ET COMPRENDRE

LES SERVICES PUBLICSAFRICAINS À L’HEURE DU

DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTATChangement conservateur

ou progressiste ?PAR PATRICK PLANE

CERDI - CNRS - Université d’Auvergne

Dans tous les pays où l’État, affaibli, est incapable de résister au libéralismedes grands organismes financiers internationaux, la privatisation des

infrastructures est souvent subie comme une braderie intolérable des intérêtsnationaux. Face à l’hostilité que soulèvent ces processus et au risque, toujours

possible, d’une expropriation « prématurée » d’investissements à rentabilitélointaine, le secteur privé rechigne, de son côté, à y investir.

Pour être comprise et efficace, la privatisation doit alors être sous-tenduepar une large concertation entre les repreneurs privés

de l’activité publique, l’État et les salariés. Dans ce cadre, les contratsde concession - dont la France a fait, de longue date, un des vecteurs

de son développement - ont l’avantage de préserver les intérêts légitimesdes États tout en favorisant l’efficacité économique.

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CHANGEMENT CONSERVATEUROU PROGRESSISTE ?

En 1992, le Commissaire sénégalais à laréforme du secteur parapublic ne doutait pas uninstant que toutes les entreprises publiques natio-nales fussent privatisables à l’exception des « intou-chables”, les « 4S » comme on se plaît à les dési-gner, Place de l’Indépendance à Dakar. Ni la gestion,ni, a fortiori, la propriété des quatre grands servicespublics ne semblaient alors devoir échapper à lamainmise de l’État.

Les faits en auront pourtant décidéautrement. Pour le transport urbain, la part demarché de la SOTRAC régresse constamment aubénéfice des artisans du secteur privé dont le modede fonctionnement est plus flexible et les presta-tions moins onéreuses. Privatisation informelle,diront certains, ou privatisation « bonsaï » pourreprendre l’expression de Mallon [1994], mais pri-vatisation quand même, d’une activité où l’entre-prise publique est encore censée détenir un mono-pole institutionnel en centre ville ! Le traitement etla distribution de l’eau viennent parallèlementd’être concédés au secteur privé via un contratd’affermage. Un arrangement institutionnel demême nature est envisagé pour la société de pro-duction et de distribution de l’électricité (SENE-LEC), tandis que le désengagement de l’État de lasociété nationale de télécommunications est encours de finalisation : 33 % du capital de la SONA-TEL devraient être alloués à un consortium pilotépar le suédois Telia Overseas.

Inscrites dans un cadre national, ces pré-dictions ministérielles contrariées n’auraient qu’unevaleur toute anecdotique si elles n’étaient le refletplus général d’un scénario que l’on a vu se répéterbien au-delà de l’Afrique. La représentation clas-sique de l’entreprise publique est évanescente, ycompris pour les services publics que les rationali-sations sectorielles du milieu des années quatre-vingt prévoyaient de maintenir dans le portefeuillede l’État, en raison de leur caractère stratégique.Les politiques font désormais volte-face et adop-

tent l’idée que la privatisationdoit s’étendre à des activitésaussi stratégiques que les ser-vices publics qui condition-nent le développement à longterme. Ce ralliement est-il lefruit de nouvelles convictionséconomiques ou le révélateurde l’opportunisme de classesdirigeantes condamnées àréformer pour durer ?

Les privatisationsnous apparaissent plutôtcomme le résultat des

contraintes conjuguées de l’environnement interneet externe. Ce faisant, le désengagement de l’Étatserait davantage dicté par des sentiments de rési-gnation que par une adhésion de cœur. Le déroule-ment des expériences montrera cependant que,dans ces conséquences concrètes, le vécu de la pri-vatisation diffère d’un pays à l’autre. Comme par-tout, la probabilité de l’échec existe, mais la réussi-te n’est pas une utopie, si elle est fondée sur desengagements crédibles, sur l’émergence d’unecoopération intelligente entre l’État et l’entreprise,entre le management privé et les salariés. Nousvoulons voir dans cette conclusion positive un signedu renouveau économique possible dans un conti-nent dont la désolation n’a été que trop décrite.

LA PRIVATISATIONCOMME RÉSULTAT DE CONTRAINTES

Les privatisations africaines ont étéinfluencées par trois facteurs lourds d’évolution :l’étroitesse structurelle des financements publicsdisponibles, les innovations technologiques et orga-nisationnelles, l’exigence, enfin, d’une meilleurequalité des prestations dans la perspective d’unecertaine accélération de la croissance économique.

Le resserrementdes contraintes budgétaires

Le constat n’est pas original. L’étau seresserre partout sur les capacités financières dusecteur public. En Afrique, le durcissement de lacontrainte budgétaire est plus sévèrement ressentiqu’ailleurs. Confrontés à des niveaux de déficitimportants, souvent supérieurs à 5 % du PIB, lesgouvernements révèlent leur incapacité à accompa-gner le redressement financier et, a fortiori, àdévelopper ces activités de base. Facteur d’aisance,la marge que conférait l’endettement extérieur estdésormais consommée. Le stock de dettes de cer-tains pays a déjà franchi la côte d’alerte : 450 %pour le Mozambique et le Congo, 349 % pour laCôte d’Ivoire et la Guinée-Bissau. Les flux conces-sionnels au titre de l’aide publique au développe-ment se contractent d’une manière hélas structu-relle ; et rien ne laisse espérer qu’une redistribu-tion géographique des flux pourrait être favorableà l’Afrique.

Dans cette épreuve de mobilisation desressources, les dirigeants politiques sont donc dansl’obligation de composer avec le secteur privé localet, surtout, international. Pour la seule électricité,les experts de la Banque mondiale considèrent que,

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d’ici à 2005, ilfaudra investir pas moins de

17 milliards de dollars US. Les États africains nepourront participer qu’à hauteur de 5 milliards etles bailleurs de fonds ne contribueront que pour2 milliards supplémentaires. Seul un partenariatrenforcé avec le secteur privé peut permettre decombler le gap de 10 milliards. Cela implique unemutation juridique des sociétés publiques, parfoismême, une refonte de la législation et des régle-mentations locales.

LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUESET ORGANISATIONNELLES

Des innovations technologiques et orga-nisationnelles ont pris naissance, dans les annéesquatre-vingt, dont la diffusion a pour conséquencede restreindre le nombre des cas de figure où l’ob-jectif de minimisation des coûts peut légitimer l’ar-gument du monopole naturel public. L’exemple leplus évocateur est sans doute celui des télécommu-nications. Une large gamme de nouveaux servicespeut désormais se greffer sur les infrastructureset, le cas échéant, remettre en cause l’organisationdu réseau existant. Les circuits à faisceau hertzienpermettent de s’affranchir en partie de l’utilisationdu réseau de base constitué par les câbles phy-siques. Les ressortissants de la nouvelle républiquedémocratique du Congo le savent, qui s’affranchis-sent d’un monopole public défaillant (un appel surcinq parvient à son destinataire), par le recours à latéléphonie cellulaire.

Au surplus, à la représentation d’unmonopole en un seul bloc qui internalise toutes lestransactions le long d’un processus d’intégrationverticale, on préfère aujourd’hui une représenta-tion néo-institutionnelle éclatée de l’entreprise.Une distinction s’impose alors, qui amène à oppo-ser l’infrastructure centrale, c’est-à-dire le réseausupport dont la duplication expose à une perted’efficacité économique, de l’infostructure, encoredénommée réseau de services à valeur ajoutée, quise prête à une configuration de marché libéralisé etconcurrentiel [cf. Curien et Gensollen, 1992]. Laréforme institutionnelle impliquera d’identifier les« maillons de la chaîne » où la fonction de coût estsous-additive et où le marché n’est pas contestable[cf. Bouttes et Haag, 1993] (1). Pour l’électricitécomme pour l’eau, le système de distribution par-ticipe évidemment de ces « maillons ». Pour le che-

min de fer, il s’agira des rails. Autour de ces élé-ments de monopole naturel, la concurrence peuts’organiser.

Jusqu’ici, l’Afrique subsaharienne aboudé ces innovations organisationnelles, en partiepour des raisons subjectives qui sont analyséesdans le paragraphe suivant de cette section, maisaussi pour des raisons objectives qui reflètent lesdifficultés techniques de coordination d’unensemble d’activités juridiquement séparées. Dansun contexte d’instabilité de la production comme dela demande, l’incomplétude du contrat crée despotentialités de litige [cf. Cremer, 1995]. En l’ab-sence d’un système judiciaire alliant efficacité etneutralité, ces litiges ne seront pas forcément réso-lus dans l’équité. Les pays africains, peu familiersdes « règles du jeu réglementaire », sont danscette situation en même temps que leur appareiljudiciaire demeure embryonnaire. C’est donc logi-quement qu’ils ont préféré l’intégration verticale.On se souvient avec Chandler [1977] que, dans unautre contexte historique, au XIXème siècle, lescompagnies américaines ont également opté pourl’intégration verticale [cf. Williamson, 1985]. Aufur et à mesure de la démocratisation politique etdu renforcement de l’État de droit, les perspectivesde la privatisation africaine s’affirmeront davanta-ge.

L’exigence d’une plus grande efficacité de fonctionnement

Il n’est pas besoin de longs discours pourdécrire l’inefficacité technique des services publicsafricains. Les coupures de téléphone, les pertes deréseau entre la production et la distribution, del’électricité comme de l’eau, sont révélatrices de cesdysfonctionnements notables [cf. Lesueur et Plane,1994a, 1994b]. Les institutions internationalesdans la mouvance du système des Nations unies ontd’ailleurs fait état de ces insuffisances, souvent àtravers un réexamen critique plus général de lagestion publique.

Au Nigeria, où la désorganisation du sec-teur de l’électricité est plus particulièrementconnue, une étude la Banque mondiale de Kerf etSmith (1996) fait état d’une perte sèche de plus de800 millions de dollars par an, soit approximative-ment 2,5 % du Produit national brut. Une évalua-

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(1) Une fonction de coût est sous-additive lorsqu’il revientmoins cher de faire produire par une seule firme laproduction totale de l’industrie que par plusieurs. Un marchéest contestable lorsque l’entrée peut s’y effectuer de manièreparfaitement libre et que la sortie n’implique pas de coûtsirrécupérables. Dans ces conditions, le monopoleur esttoujours sous la menace d’un concurrent potentiel et doit secomporter comme si ce concurrent existait effectivement surle marché.

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tion analogue, mais relative cette fois-ci auPakistan, mentionnait un manque à gagner del’ordre de 1,8 % du PNB pour la seule année1985. En d’autres termes, le dysfonctionnementd’un service public essentiel comme l’électricitépourrait coûter davantage à la collectivité que laperte d’efficacité allocative occasionnée par desmonopoles privés non réglementés. D’aucuns yverront un argument pour ne plus refuser la priva-tisation, d’autant que, dans bien des cas, les ser-vices publics africains n’ont que partiellement réa-lisé leurs objectifs de redistribution sociale. La pra-tique de bas tarifs pour des niveaux de consomma-tion élevés et le rééquilibrage de l’exploitation desentreprises par le budget général ont concouru àfaire endosser à tous les contribuables le surcoûtde la consommation en eau, en électricité ou entransport des ménages figurant dans les tranchesde revenus souvent supérieurs à la moyenne natio-nale.

A quels facteurs convient-il d’imputer cesombre diagnostic ? La situation de crise financièrevécue par ces pays à faible revenu a sans doute unepart de responsabilité prééminente. Les servicespublics africains ont souffert du report de la crisefinancière de l’agent État, souvent leur uniqueactionnaire et leur principal client débiteur. Le face-à-face a été redoutable de conséquences, avec desaccumulations d’arriérés de paiement à l’endroitdes entreprises, des obligations de subventionscroisées pour des missions sociales mal définies,des captations de trésoreries ou de bénéfices nonaffectés sans lesquelles les tensions financières surles administrations auraient été ingérables.

On a évoqué ailleurs, le cas de cettesociété de télécommunication dont la trésorerieétait accessoirement mobilisée, hélas sans retour,afin de respecter l’échéancier d’apurement desarriérés de paiement de l’État [cf. Plane, 1993].Par myopie, peut-être aussi par complaisance, leFMI ne voulait voir que l’amélioration du budgetgénéral et prenait le risque de faire l’impasse sur la

consolidation financière du secteur public.Aussi sévère que la crise

eût été, elle

n’explique pas à elle seule l’inefficacité des servicespublics africains. Aller plus loin dans l’analysenécessiterait de construire une théorie positive ducomportement étatique. On montrerait alors qu’àtravers ces organisations, les machines politiquesont parfois cherché à satisfaire les clientèles denature à conforter le pouvoir par l’élargissementde l’infrastructure économique. Surinvestissementset sureffectifs ont été les maux communs à la plu-part des pays africains. Ces gaspillages de res-sources ont été en eux-mêmes l’expression d’uneinefficacité productive qui apparaît aujourd’huicomme un argument supplémentaire légitimant laprivatisation.

UNE REVUE CRITIQUEDES EXPÉRIENCES DE PRIVATISATION

Si l’on considère les programmes de pri-vatisation dans leur globalité, on peut dire que letransfert des droits de propriété au secteur privé aété handicapé par le sous-développement des mar-chés financiers. Au début des années quatre-vingt-dix, on ne dénombrait que quatre places boursièresau sud du Sahara, dont une seule en Afrique fran-cophone. L’ensemble représentait alors moins de1 % du total de la capitalisation des marchés émer-gents.

Pour les services publics, cette quasiinexistence du mécanisme boursier n’a toutefois pasconstitué un obstacle rédhibitoire à la privatisation,dans la mesure où le vrai frein à une démarche dedésengagement a été d’ordre politique. Dans lesprochaines années, le problème pourrait se poser end’autres termes. C’est la raison pour laquelle lacommunauté internationale soutient la création oule renforcement de bourses à vocation régionale.Nairobi remplit déjà cette fonction en Afrique del’est. Abidjan s’apprête à faire de même en Afriquede l’ouest où la bourse a déjà été sollicitée dans lecadre d’une privatisation de la gestion de l’électrici-té sous la forme d’un contrat de concession. Unepartie du capital de la Compagnie ivoirienne d’élec-tricité (CIE) y fut introduit, en 1992, à hauteur de20 %.

Bien qu’ailleurs la bourse n’ait joué aucunrôle dans le désengagement des activités de servicepublic, le schéma institutionnel ivoirien mérite l’at-tention dans la mesure où il a inspiré d’autres expé-riences. Le principe consiste à structurer l’activitéautour de deux pôles : le premier est formé par unesociété de patrimoine défendant les intérêts del’État propriétaire. Le second est constitué d’unesociété d’exploitation dont le capital est majoritaire-ment détenu par un repreneur privé. Il s’agit le plussouvent d’un petit nombre d’opérateurs internatio-naux jouissant d’une réputation reconnue. HormisHydro Québec (HQI), ces groupes sont pour la plupart

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français (SAUR, Compagnie générale des eaux,Lyonnaise des eaux, EDF). Ils entretiennent entreeux des relations ambiguës, dominées, selon le cas,par la concurrence ou la coopération. Ces relationspourraient préfigurer des collusions dans un parta-ge négocié du marché africain. Et dans ce cas, onvoit peu de différence entre des marchés passés degré à gré ou par appels d’offres. On observeracependant, qu’en économie industrielle, la coopéra-tion horizontale ou coopération “entre rivaux” estchose fréquente. La gestion du risque est souvent lemoteur d’un partenariat de circonstance entre desgroupes aux cultures d’entreprise très différentes etentre lesquels les relations de concurrence finissentpar prévaloir à long terme.

Dans la présentation de cette section, onprocédera à un rapide survol des options institu-tionnelles de privatisation. On s’arrêtera ensuite surl’évocation de deux cas particuliers. Le premier estun contrat d’affermage classique relatif à une socié-té d’eau de Guinée. A ce jour, selon que l’on voudravoir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine, lesrésultats feront apparaître cette contractualisationcomme un demi-échec ou un demi-succès. Lesecond est un contrat plus proche de la concessionet concerne la société d’électricité ivoirienne. D’oreset déjà l’expérience fait figure de réussite par sesconséquences tant économiques que sociales.

LES OPTIONS

Les contrats de gestion

Par ces contrats, les pouvoirs publicstransfèrent la totalité des actes de gestion au sec-teur privé, mais conservent la propriété des actifs.En contrepartie de ses prestations, le gestionnairereçoit des honoraires forfaitaires ou variables enfonction de paramètres de résultat. Dans larecherche de l’efficacité, il va de soi que le contratsera d’autant plus incitatif que la base de rémuné-ration de l’opérateur privé sera davantage assisesur le niveau de sa performance. Avec ce type decontractualisation, l’État continue à assumer lesrisques commerciaux de l’activité. L’agent privéapparaît ainsi comme le détenteur d’un know-howauquel il est fait appel pour une durée déterminée,généralement de deux à cinq ans. Sa responsabilitédans la conservation des actifs physiques est limi-tée à l’entretien des matériels. Les charges demaintenance et de renouvellement ou d’extensiondes investissements incombent à l’État.

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Les privatisations africaines ont étéinfluencées par troisfacteurs lourds d’évolution : l’étroitessestructurelle desfinancements publics disponibles,les innovations technologiques etorganisationnelles,l’exigence, enfin, d’unemeilleure qualité desprestations dans laperspective d’unecertaine accélérationde la croissanceéconomique.

Le déséquilibre dans le partage du risquefavorise des immixtions politiques dans une gestionque l’on voudrait exclusivement privée. La rémuné-ration n’étant que partiellement conditionnée parles résultats, le mandataire n’oppose pas forcémentde réelles résistances à ces ingérences. Le manqued’incitations en présence d’une répartition inégali-taire de l’information sur les coûts débouche sur lamanifestation de coûts de fonctionnement qui peu-vent prendre la forme d’un gonflement des fraisgénéraux. Autre écueil, qui nous ramène aux diffi-cultés financières de l’État et à l’échec, tout aumoins partiel, du mécanisme des contrats de plan,le propriétaire tend à s’exonérer des travaux d’en-tretien et de renouvellement des matériels. Cettedéfaillance a parfois conduit l’opérateur privé àdénoncer un contrat dont on peut dire qu’en géné-ral, l’efficacité n’a pas été à la hauteur descontraintes d’ajustement structurel auxquelles sontconfrontés les services publics.

Les contrats d’affermage

Dans l’éventail des arrangementscontractuels, l’affermage a une portée économiqueplus prometteuse. Le locataire prend en charge lagestion et l’entretien des équipements, mais il sup-porte la totalité du risque attaché à son exploita-

tion. De surcroît, il financele capital circulant et procè-de au remplacement dupetit matériel qui se prêteà un amortissement rapi-de, compatible avec ladurée du contrat (de 5 à10 ans). A l’échéance,l’opérateur retourne lesactifs loués à la puissan-ce concédante.L’affermage peut êtreattribué au traversd’une procédure d’ap-pel d’offres ou négo-cié de gré à gré avecl’État. L’adjudicationse fera dans le pre-mier cas sur la basedu mieux disant,sous réserve quecelui-ci offre laréputation et lat e c h n i c i t érequises. Uneformule de révi-sion des tarifspublics sera leplus souventi n t r o d u i t e

dans le contrat en fonction d’une évolution descoûts de production et de distribution qui pourraêtre diminuée d’un paramètre de gain de producti-vité.

Les contrats de concession

Ils vont au-delà des affermages. En effet,sous cette forme d’arrangement juridique, leconcessionnaire réalise et finance des investisse-ments. Cela justifie que l’échéance contractuellesoit généralement portée à plus de dix ans avecpossibilité de renouvellement de la convention.Compte tenu de la situation financière des Étatsafricains, l’engagement privé sur des investisse-ments confère un intérêt tout particulier à cettemodalité de privatisation. En contrepartie, lebesoin de réglementation s’y révèle plus sensiblepuisque le champ d’activité de l’opérateur privé estplus étendu. Par ailleurs, les salariés doivent êtreplus étroitement associés à la négociation de l’ar-rangement juridique. La concession induit, en effet,un changement de nature du contrat de travail. Lepersonnel abandonne un statut souvent proche decelui de la fonction publique pour un statut de droitque régit le code du travail. De ce fait, il est davan-tage exposé au risque de licenciement et de remiseen cause du système de rémunération antérieur.

A côté de la concession classique de l’en-semble d’un service public, des acceptions plus res-trictives se sont développées ces dernières années.Elles portent sur un investissement particulier.Avec les BOO (Build, Own, Operate) ou les BOT(Build, Operate, Transfer), le secteur privé prendl’initiative du financement, de la réalisation et del’exploitation d’un projet avec, éventuellement, untransfert à l’État en pleine propriété au termed’une période durant laquelle les installationsauront été amorties. Ce type de concession estbeaucoup plus proche de la culture anglo-saxonneque la précédente modalité contractuelle, large-ment imprégnée par le droit français.

L’objet de la concession n’est plus l’entre-prise, mais un projet d’investissement à réaliser surlequel un mécanisme de concurrence pour le mar-ché s’établira par appel d’offres. Les avantages deces projets de production indépendante sontconnus. BOO et BOT sont en adéquation avec lesraisons sous-jacentes au besoin de privatisationd’infrastructures (cf. supra I). Les candidats sou-missionnaires dans le cadre d’appels d’offres inter-nationaux sont à la fois plus nombreux et plusvariés que pour la concession globale d’un servicepublic impliquant le transfert d’activités d’uneentreprise. Il s’ensuit un renforcement du jeuconcurrentiel qui atténue la probabilité que sur-viennent des phénomènes de collusion. Les risquessupportés par le secteur privé sont par ailleurs

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moindres, bien qu’encore non négligeables. Leconcessionnaire n’a pas à réformer l’ensembled’une organisation dotée d’un personnel installédans des habitudes. La « culture d’entreprise »peut se constituer plus facilement à la faveur durecrutement, des actions de formation et du systè-me de rémunération en regard desquels l’opéra-teur privé a d’emblée une entière liberté. L’Afriques’est laissée gagner tardivement à cette forme deprivatisation, de sorte que les projets y sont enco-re peu nombreux. Mais la déréglementation destélécommunications et l’essor récent de la télépho-nie cellulaire, la construction ou l’extension et l’ex-ploitation de centrales thermiques, à Jorf Lasfar(Maroc) ou à Abidjan (CIPREL) font déjà pressentirune accélération du processus.

ÉVALUATION RÉTROSPECTIVEDE DEUX EXPÉRIENCES

En matière de changement institutionnel,il n’existe pas de formule contractuelle magique.En témoignent les deux cas suivants dans lesquelsle désengagement de l’État a revêtu des formesassez comparables avec des conséquences écono-miques et financières pourtant différentes.

L’eau en Guinée : rémanencedes problèmes institutionnels

En Guinée, la privatisation de l’eau estdevenue effective en 1990 au travers d’un contratd’affermage. Les résultats observés à ce jour sontmitigés. Non seulement l’équilibre d’exploitationreste fragile mais, de surcroît, après avoir forte-ment augmenté au cours des premiers exercices degestion privée, la productivité apparente du travailtelle que mesurée par le nombre de m3 ou d’abon-nés par agent est en recul. La non-prise en compteau numérateur des activités de travaux et d’entre-tien n’explique qu’en partie le repli de l’efficacitéproductive. Les vraies raisons sont ailleurs, quitiennent notamment à l’augmentation du prix réelde l’eau et à l’effort de recouvrement des facturesdéployé par l’opérateur privé. Cette doubledémarche a eu pour conséquence d’inscrire davan-tage l’eau dans la sphère des biens marchands dontle prix est destiné à couvrir le coût économique dutraitement et de la distribution. Il en est résultéune moindre progression des abonnements et unecontraction de certaines demandes de consomma-tion.

La gestion des effectifs, c’est-à-dire ledénominateur des ratios de productivité précités,

s’est elle-même améliorée, dans un premier temps,pour connaître ensuite des relâchements qui ontrévélé, en partie, l’existence de problèmes institu-tionnels rémanents, illustrés par la relation entre lasociété d’exploitation (SEEG) et la société de patri-moine (SONEG). Avec le transfert de la gestion ausecteur privé, la diminution initiale de l’effectif aété d’autant plus prononcée que la précédentestructure publique s’était refusée à ajuster l’emploiau niveau requis compte tenu de l’activité. L’idée,largement répandue dans la littérature, qu’à courtterme la privatisation est une source de destructiond’emplois et de tensions au seinde l’organisation, s’est doncvérifiée [cf. Van Der Hœven etSziraczki, 1995].

Entre 1993 et1996, le nombre d’agents ade nouveau augmenté jusqu’àretrouver son niveau de1989. Le coût social de tran-sition aurait-il pu être évitéen maintenant l’effectif dedépart tout en compensantfinancièrement l’opérateurprivé à concurrence ducoût financier d’un suref-fectif temporaire (1993 -1995) ? Cette

démarche aurait eul’avantage de réduire lescrispations internes etde susciter uneambiance plus coopé-rative entre les parte-naires sociaux.L’adhésion du per-sonnel révèle l’im-portance descontraintes de participation,autrement dit, l’acceptation des investisse-ments humains dans des routines de productionefficaces. Une plus grande confiance des agentsconcourt à un niveau supérieur de qualificationsspécifiques à l’entreprise [cf. Milgrom et Robert,1992]. En contrepartie de cet avantage qui n’estpas mince, l’absence de « délestages » des person-nels excédentaires aurait impliqué de renoncer àune baisse du taux d’encadrement qui semblaitnécessaire en raison des promotions clientélistespassées. En outre, l’entreprise aurait perdu sacapacité à recruter des collaborateurs mieux sélec-tionnés et plus en rapport avec la promotion d’unnouveau schéma organisationnel.

Sur cette toile de fond faite de considé-rations théoriques, force est d’ajouter que l’aug-mentation de l’effectif observé entre 1993 et 1996n’a pas été entièrement souhaitée par l’entrepriseprivée (SEEG). Pour bien comprendre le déroule-ment du scénario, il convient de revenir un instantsur le partage concret des responsabilités entre laSEEG et la SONEG. La première a certes vocation à

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assumer la totalité du risque commercial, mais avecune présence à double tranchant de l’État dans soncapital d’exploitation à hauteur d’une participationminoritaire de 49 %. Cette participation ne man-quera pas d’apparaître comme un facteur d’atté-nuation du risque privé. Par la même occasion, elle

est également un facteurde restriction potentiellede l’autonomie de ges-tion. Le fait est quel’État guinéen est, auconseil d’administra-tion de la SEEG et viales responsables de laSONEG, le concédantofficiel et le signatai-re du contrat d’af-fermage. Parailleurs, l’État ai m p l i c i t e m e n tobtenu de l’opéra-teur privé que lagestion des res-s o u r c e shumaines soitconfiée à unhaut fonction-naire. Enjouant « astu-cieusement »sur les subti-lités juri-diques d’unmarché dutravail trèsréglemen-té, l’aban-

don de cettefonction a favorisé une cer-

taine dérive des recrutements sous laforme d’une transformation, non désirée par leconcessionnaire, de contrats à durée déterminée encontrats à durée indéterminée.

On touche ici au problème de la confu-sion des rôles qui existait sous l’ancienne structurepublique unifiée (DEG), mais à laquelle la privatisa-tion était censée apporter une solution définitive.La SONEG contrôle et réglemente l’activité privée,tout en s’impliquant dans le fonctionnement de laSEEG. A priori, ce mélange des responsabilités,cette situation de juge et partie de la société depatrimoine ne prédisposait pas à l’efficacité de l’ar-ticulation institutionnelle. D’où l’idée, préconiséepar certains économistes de la Banque mondiale,de remplacer la société de patrimoine par unestructure de réglementation légère placée auprèsdu Ministère de tutelle technique et assistée pardes cabinets d’audit internationaux garants desintérêts de l’ensemble de la collectivité [cf. BrookCowen, 1996]. La probabilité, toujours possible,de collusion avec la société privée d’exploitation,serait atténuée par la sensibilité de ces cabinets aux

effets de réputation qui concourent à la maximisa-tion de leurs profits. Si un tel schéma n’a pas eujusqu’ici les faveurs de l’État, c’est en grande par-tie parce que la privatisation a été vécue comme undiktat de la communauté des bailleurs de fonds.Face à des dispositions comminatoires, les gouver-nements africains se sont exécutés, mais avec desarrière-pensées qui ont parfois dénaturé le projet.

Personnage central du roman deGiuseppe Tomasi, Tancrède a été entendu : « Toutchanger pour que tout reste pareil ». Le guépardis-me aura effectivement été l’ambition première decertains dirigeants africains qui nous ramènent àune théorie positive du comportement étatique.Les « machines politiques », pour reprendre l’ex-pression de Richard Sandbrook [1987], ne sontpas enclines à une réduction du secteur parapublicqui concourt à leur confisquer l’usage de res-sources matérielles. Pour faire bref, disons que cesorganisations remplissent moins une fonction éco-nomique qu’elles ne permettent des redistributionspolitiquement utiles [cf. Lafay, 1993].Indépendamment de cette importante questionéthique, qui écorne passablement le mythe d’unÉtat bienveillant envers la collectivité, l’efficacité dudispositif contractuel guinéen a également souffertdu caractère multiproduit de la nouvelle société pri-vée d’exploitation.

La critique étant de portée générale, ellepeut être formulée en des termes applicables à laplupart des contrats d’affermage ou de concession.A côté des activités principales de production ou dedistribution du service public, ces sociétés privéesd’exploitation réalisent des produits accessoirestirés notamment des activités de réhabilitation oud’extension des réseaux pour le compte du concé-dant. Négociés de gré à gré, ces travaux laissentaugurer d’éventuelles collusions au détriment desconsommateurs, et surtout, des mécanismes desubstitution d’activités qui renvoient aux phéno-mènes du hasard moral et de l’anti-sélection [cf.Perrot, 1992] (2).

En règle générale, le concessionnaireprivé dispose de plus d’informations que le concé-dant sur le coût économique des tâches à effectuer.Que le risque commercial vienne à s’élever (arriérésde paiement) ou que le régulateur repousse unedemande de réajustement de tarifs, et le conces-sionnaire favorisera une restructuration de sonchiffre d’affaires. Un glissement vers les activitéssecondaires de travaux sera en l’occurrence obser-vée là où le taux de marge est plus confortable etles possibilités de surfacturation plus évidentes.Cette évolution n’en sera que facilitée si le payeuren dernier ressort est une agence publique d’aideau développement peu encline à contester la sincé-rité des coûts rapportés par le maître d’œuvre. Autotal, l’expérience de privatisation de l’eau enGuinée n’est qu’en partie concluante. On est loindes discours enthousiastes qui caractérisent l’éva-luation rétrospective de l’exploitation privatisée del’électricité en Côte d’Ivoire.

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RÉALITÉS MÉCONNUES

D.R.

L’ÉLECTRICITÉ EN CÔTE D’IVOIRE :LA PRIVATISATION EXEMPLAIRE ?

Le schéma institutionnel est assez com-parable au précédent. Depuis 1990, les droits dupropriétaire sont séparés de ceux du gestionnaire.L’État, propriétaire des actifs de production, s’estreplié sur une société de patrimoine (EECI) tandisque l’exploitation a été affermée à une société pri-vée (CIE) dont la majorité du capital est revenue àdeux opérateurs internationaux : SAUR, filiale dugroupe Bouygues, et EDF.

En comparaison du cas guinéen, le prin-cipe contractuel s’apparente toutefois à celui d’uneconcession, dans la mesure où il n’est pas exclu quel’opérateur privé participe à l’effort de renouvelle-ment et d’extension des équipements productifs. Lerisque encouru est donc potentiellement plusimportant, qui concerne l’exploitation, mais peuts’étendre à une partie du capital.

La privatisation de l’électricité ivoirienneest considérée comme une réussite à maintségards. La revue rétrospective à laquelle se livrentDeniau et Henry [1995] apporte des éléments depreuve convaincants. Dans une réévaluation plusrécente, on partage ce point de vue positif en pro-cédant à une exploration des principaux effets éco-nomiques et sociaux ayant accompagné le désenga-gement de l’État [cf. Plane, 1997]. De manièreelliptique, disons que la Compagnie ivoirienned’électricité (CIE) enregistre une exploitation béné-ficiaire que ne connaissait plus la précédente struc-ture publique. Cette amélioration a été le fruitd’une mobilisation interne contre toutes les formesde gaspillages de ressources.

En d’autres termes, l’organisation a étéefficace dans la poursuite de son objectif de gainsde productivité. Et si la réalisation de ce surplus acontribué à une rentabilité positive du servicepublic, son mode de distribution a également per-mis la baisse du prix réel de l’électricité et l’amélio-ration de la qualité des prestations que l’on peutappréhender à travers la baisse du temps de cou-pure.

Par la négociation, l’allégement deseffectifs a été compatible avec l’absence de recoursà des licenciements en dehors des cas de sanctionpour faute grave. Si le personnel a supporté descoûts sociaux de restructuration, sans doute inévi-tables — avec ou sans redistribution des droits depropriété — par leur surface financière et leur pos-sibilité de conduire graduellement l’opérationd’ajustement, les partenaires privés en ont assuré-ment limité l’ampleur.

Confortés par un projet d’assainissementcrédible, les bailleurs de fonds internationaux ontpar ailleurs été plus disponibles pour appuyer l’ac-tion de réforme. Leur démarche a été d’autantmoins hésitante qu’à l’inverse de ce qui s’est passé

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GÉRER ET COMPRENDRE

La privatisation de l’électricité ivoirienne est considérée commeune réussite à maintségards. La Compagnieivoirienne d’électricitéenregistre une exploitation bénéficiaire, fruit d’unemobilisation internecontre toutes lesformes de gaspillagesde ressources.

RÉALITÉS MÉCONNUES

(2) Le hasard moral a trait à des situations où un côtédu marché, l’acheteur ou le vendeur, ne peut pas observerle comportement de l’autre côté. On parle alors decomportement caché. C’est, par exemple, le gestionnaire qui n’aura pas un comportement zélé parce que son contratde travail le protège contre de mauvais résultats.L’anti-sélection a trait à des situations où un côté du marchéne peut pas observer le type ou la qualité des biens situésde l’autre côté du marché. Lors d’un recrutement,par exemple, l’employeur a moins d’informations surles aptitudes réelles d’un candidat que n’en détient ce dernier.Dans les deux cas de figure, hasard moral ou sélectioncontraire, le marché ne donne pas la même informationaux échangistes. Sur ces questions, on se reportera à l’articlede Perrot dans le n° 26 de Gérer et Comprendre, 1992.

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en Guinée, les dirigeants politiques ont internaliséle processus de privatisation. Le PrésidentHouphouët Boigny s’est personnellement investidans l’opération en menant une large concertationavec les syndicats et les représentants du personnelde l’entreprise publique, de manière à dissiper lescraintes légitimes et à susciter la confiance dans leseffets à long terme de ce changement institution-nel. L’élaboration du cahier des charges entre lerepreneur privé et l’État a donc clarifié, ex ante, laplupart des points de nature à contrarier l’expé-rience de gestion privée.

CONCLUSION

La privatisation est désormais au cœurde l’ajustement structurel africain. Sous la pressiondes bailleurs de fonds, mais également des exi-gences économiques et financières, cette réforme àla fois institutionnelle et organisationnelle touchedésormais l’ensemble des services publics. Comptetenu de l’importance des risques économiques etpolitiques qui s’attachent au rachat d’infrastruc-tures, on comprend aisément que le mouvement aitplutôt concerné, jusqu’ici, le transfert partiel desdroits de propriété. Dans la forme institutionnellecourante, la privatisation a impliqué le passage ausecteur privé de l’ensemble des actes de gestion :avec ou sans responsabilité sur les résultats d’ex-ploitation ; avec ou sans obligation de réaliser destravaux et investissements nécessaires au dévelop-pement du service.

En comparaison des autres modalités, lescontrats d’affermage, mais plus encore de conces-sion, ont l’avantage de s’attaquer simultanémentaux trois problèmes qui donnent de l’actualité auxpolitiques de privatisation et sur lesquels la pre-mière partie de cet article s’est arrêtée longue-ment. En même temps, ces contrats contribuent àdésamorcer l’hostilité intérieure de ceux qui nevoudraient voir dans la privatisation par vente d’ac-tifs qu’une « braderie » des intérêts nationaux.Rappelons que, dans certains pays, ce qui relèvedes infrastructures procède constitutionnellementdu domaine réservé de l’État.

Obstacle de taille par les contrats évo-qués ci-dessus, le secteur privé doit en venir àaccepter les risques qu’il ne veut pas forcémentassumer dans le contexte actuel des économiesafricaines. C’est par exemple le risque, toujourspossible, d’une expropriation « prématurée » d’in-vestissements à rentabilité lointaine. Pour êtrecomprise et efficace, la privatisation doit être sous-tendue par une démarche d’internalisation quicommande la plus large concertation entre lesrepreneurs privés de l’activité publique et l’État,mais également les représentants des salariés. Laconcertation permettra de dissiper les doutes et les

inquiétudes. Elle favorisera l’émergence desvaleurs de coopération au sein du collectif de tra-vail et, par suite, l’efficacité de cette coalition delong terme que constitue la firme. •

BIBLIOGRAPHIE

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