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Jean Bacon

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  • 0 LES PRESSES D'AUJOURD'HUI, 1981.

    Diffusion C.D.E., 30, rue de l'Universit, 75007 Paris. Tl. 261.50.52

    Extrait de la publication

  • CE LIVRE EST DDI

    AUX CENTAINES DE MILLIONS DE MORTS

    DES GUERRES PASSES, PRSENTES ET VENIR.

  • Extrait de la publication

  • Saigneur celui qui saigne un animal ou une personne.

    Saigner tirer du sang, tuer, gorger, affaiblir, puiser, ranonner.

    (Les dictionnaires.)

    Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • Prologue

    On entend dire tout instant Comment voulez-vous que la

    guerre n'existe pas chez l'homme? Elle est partout dans la nature. Et c'est vrai. Cela crve les yeux. Prenez un silex. Les particules

    qui le composent ne sont-elles pas en tat de perptuelle agitation?N'est-ce pas la preuve qu'elles se livrent une guerre sans merci?

    Les corps, nous dit Newton, ne se tiennent en quilibre que grceau jeu de deux forces opposes, l'attraction et la rpulsion encorela guerre. Un philosophe crit .sans rire que cette lutte sourde

    et constante. est une des formes les plus significatives, les plus

    importantes de la guerre, et. mme, au sens mtaphysique, laguerre par excellencel . On dit communment que la rouilleattaque le mtal, que le plus s'oppose au moins, le recto au verso,

    le concave au convexe, et le pote dclare que le jour sort de la

    nuit comme d'une victoire2 . Toujours la guerre.

    Voyez les vgtaux. Sans doute un carr de salades, un semisde haricots verts, un plan de cerfeuil n'ont pas, au premier abord,un caractre minemment belliqueux. Mais les inpuisables possi-

    1. Compte tenu de leur abondance, les notes (regroupes par chapitres) ont t repous-ses en fin de volume. Celles qui ne sont signales que par un chiffre renvoient une

    simple rfrence. Les autres, signales par un chiffre doubl d'un astrisque, introduisent un dveloppement complmentaire.

    Extrait de la publication

  • Les Saigneurs de la guerre

    bilits de la langue viennent notre aide. La pquerette et le plan-

    tain, qui talent prs du sol une collerette protectrice, veulent se

    prserver de leurs voisins au moyen de fortifications adquates.Les conifres sont des imprialistes qui ne tolrent dans leur voisi-

    nage que d'inoffensifs champignons-satellites. Le lierre est un agentde la cinquime colonne qui touffe celui qui l'a, sans mfiance,

    accueilli. Les plantes carnivores se lancent dans tous les aspectsde la guerre offensive captures d'insectes effectues par les ten-

    tacules de la drosre des marais, effets de surprise obtenus par lesmchoires foudroyantes de la dione, utilisation d'agents neuro-

    toxiques par le npenths ou la sarracnie. Et l'on peut, en toute

    bonne foi, parler des dagues de l'acacia, des flches empoisonnesde l'ortie, des piques du cactus, des poignards du rosier, des baon-

    nettes de l'alos et des glaives des feuilles d'agave 3.

    Si nous abordons prsent le rgne animal, nous sommes combls.

    La guerre y fait rage. Dans les forts, sous les herbes, au profonddes eaux, dans les airs, ce ne sont que poursuites, assauts, mises mort.

    Il y a pourtant deux petits faits que nous nous devons de noter.

    Tout d'abord, les animaux ne se tuent qu'entre espces diffrentes,

    et principalement dans le but de se nourrir. C'est ce qu'on appelle

    la chane alimentaire. Nous ne sommes d'ailleurs pas absents deces agapes universelles, tmoin le monceau de cochons, veaux,

    moutons, lapins, poulets, pintades et autres bestioles vocation

    culinaire dont nous passons le plus clair de notre temps nous

    repatre, quitte tre mangs notre tour par ces plus-petits-que-soidont on a souvent besoin pour les basses besognes.

    La guerre l'intrieur de l'espce n'existe que chez quelquesinsectes sociaux fourmis, abeilles, termites c'est--dire chez

    des tres qui, comme l'homme, connaissent le travail, l'pargne etla proprit.

    En dehors de ces catgories bien limites, la guerre animale prend

    essentiellement la forme de combats individuels pour la recherchedes femelles ou la dfense du territoire. Encore ces duels sont-ils

    plus spectaculaires que sanglants. A part quelques oreilles mor-dues ou quelques bouts de peau dchirs, il y a surtout beaucoup

  • Prologue

    de cris, de rugissements, de torses bombs, de regards de dfi, avant

    tout destins aux spectatrices attentives qui savent trs bien quecette pice est joue pour elles.

    Si nanmoins la prolifration de ces combats risquait de mettre

    en danger l'existence de l'espce, il existe c'est le second point

    que nous voulions mettre en relief des mcanismes inhibiteurs,sortes de dispositifs d'enrayage empchant que le congnre nesubisse des dommages. Le combattant qui se rend compte qu'il

    n'a plus aucune chance de l'emporter prend une posture de soumis-sion ou d'apaisement il prsente son vainqueur les endroits les

    plus vulnrables de son corps, et fait disparatre tout ce qui pourrait

    tre pris pour de la provocation. Le loup qui admet sa dfaite offre son rival l'endroit gonfl, extrmement fragile, de son cou, ou

    encore il se couche sur le dos en urinant un peu. Ce dernier geste,

    qui passerait chez nous pour une rare insolence, calme aussittl'ennemi qui arrte les hostilits. Le poisson qui demande grce,

    au lieu de faire talage de sa robe de gala qui suscite les jalousies,

    la cache, se fait discret. Le coq drobe aux regards le drapeau rouge

    de sa crte, et la mouette rieuse, dtournant la tte, escamote le

    grenat de son bec et le noir-brun de son masque, pour ne laisser que

    la neige de son plumage.

    L'homme, lui, n'est pas si timide. Dans ses affrontements sexuels

    ou ses dmls de territoire, il ignore superbement les mcanismes

    inhibiteurs, et va carrment jusqu'au meurtre. Il semble mme se

    vautrer avec dlices dans le sang de ses semblables, tel point

    que la guerre est devenue chez lui une seconde nature, et qu'il

    en a fait une de ses plus solides institutions. Il n'est pour s'en

    convaincre que de jeter un rapide coup d'oeil sur les 4 680 ans deson histoire.

    Tout a commenc trs vite. Alors que la terre, si l'on en croit

    les critures, ne contenait en tout et pour tout que quatre per-sonnes et qu'on ne pouvait donc invoquer ni pression dmographique

    ni rivalits territoriales, la guerre clate entre deux d'entre elles

    Extrait de la publication

  • Les Saigneurs de la guerre

    Can tranche le fil des jours de son excellent et unique frre Abel.

    L'lan tait donn. Le mouvement ne s'arrtera plus.Ds les temps prhistoriques, les hommes, ou ce qui en tenait

    lieu, se massacrent. Ils auraient d pourtant, assaillis qu'ils taientpar les btes sauvages et la merci des lments, se tenir les coudes;

    il n'en fut rien. Les ossements dcouverts sont loquents mutils,

    casss, rtis, ils rvlent que les inventeurs des premiers outils de

    pierre s'en servirent, sans perdre une minute, pour ventrer leurs

    pareils, et que le feu nouvellement asservi ne fut pas uniquement

    utilis pour faire griller les tranches de bison.

    Lorsque nous abordons la priode historique, les documents ont

    remplac les ossements. Ils nous chantent la mme musique, etc'est une musique militaire. Drames, popes, chroniques, mmoires,ne racontent en fait qu'une seule et mme histoire celle des guerres

    de l'homme contre l'homme. Elles sont vritablement nos uniquespoints de repre, les bornes qui marquent les grands tournantsdes vnements5 , les charnires autour desquelles s'articulent les

    phases de la vie des peuples. En dehors d'elles, il n'y a rien, oupresque. Un historien a calcul que, de 1496 avant Jsus-Christ

    1861 de l're chrtienne, soit en 3358 ans, il y a eu 3130 annesde guerre et 277 annes de paix, ce qui donne une proportion de

    treize annes de guerre pour une anne de paix 6 L'tude des cent

    vingt dernires annes ne change pas fondamentalement ces chiffres.

    Voil qui est encourageant, et nous laisse bien augurer de l'avenir.

    La guerre, ne avec l'homme, a toutes les chances de ne mourir

    qu'avec lui. Laissons le mot de la fin Joseph Prudhomme Mon-

    sieur, je vous confondrai d'un mot. On s'est toujours battu, donc

    on se battra toujours. Ce raisonnement est un chef-d'uvre. Il

    a t invoqu par tous ceux qui s'accommodaient fort bien des

    injustices et des malheurs, surtout lorsqu'ils touchaient les autres,

    par tous les rsigns, les fatalistes, les dfaitistes, qui trouvaient

    naturel que la peste ravage priodiquement les populations, que les

    deux tiers des enfants meurent en bas ge, ou que des milliersd'tres humains soient vendus comme du btail. Monsieur Prud-

    homme est leur porte-parole. Il reprsente la France profonde,

    celle des bien-pensants et des majorits silencieuses. Il a certaine-

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  • Prologue

    ment raison. Le bon sens est de son ct. La guerre est ternelleVoil pourquoi il convient de mieux connatre les causes d'un

    phnomne aussi fondamental, d'en tudier soigneusement les lois,

    d'en dcouvrir et d'en apprcier les multiples consquences ceque nous allons tenter de faire dans les pages qui suivent.

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  • Extrait de la publication

  • CHAPITRE 1

    Du muscle la loi

    L'homme primitif, ayant dcouvert que ses biceps sont plusvolumineux que ceux de sa compagne, en profite pour la terroriser,ainsi que ses enfants. Ds qu'il peroit une rsistance sa volont,

    il frappe les bases du droit familial sont jetes. A partir de l vont

    se fonder les autres droits qui rgiront, d'abord la tribu, puis lanation. Ils ne seront que les ramifications de ce droit fondamental,celui du muscle 8

    Il en est de mme du droit international. Lorsqu'un conflit clateentre deux tats, il faut la force pour le trancher. Les discussions,les ngociations, les compromis ne mnent rien. Seule la guerrepermet de tester, la flamme de la bataille, la valeur des nations.

    Elle est le seul jugement loyal qui ne tient compte d'aucune ant-riorit, d'aucune lgitimit, d'aucun privilge. Ce tribunal inexo-

    rable est la forme la plus haute de la justice, puisqu'il n'admetaucune possibilit de pots-de-vin, de marchandages ou de pressions. C'est une juridiction incorruptible, sans magistrats, sans tmoins,sans jury, sans auditoire, dont les arrts sont sans appel 9.

    La guerre, jugement de la force, a rendu son verdict en dsignantle vainqueur, elle a dit o se trouvait le droit. Il n'y a plus de contes-tation possible. Une rponse claire a t fournie. Les rebelles d'hier,

    qui taient devenus, au cours des hostilits, le gouvernement enexil, puis le gouvernement provisoire, sont aujourd'hui le gouverne-

  • Les Saigneurs de la guerre

    ment lgitime. S'ils avaient perdu, on les aurait fusills. Mais ils ontgagn c'est parce qu'ils taient dans le bon camp, celui des plus

    forts, qui est en mme temps celui des meilleurs. Car le jugement dela guerre a ceci d'admirable qu'il donne la victoire aux pays qui en

    sont le plus dignes. Celui qui triomphe, c'est celui qui devait triom-pher. De mme que l'tre le plus parfait l'emporte dans les luttes

    individuelles, la nation la plus parfaite l'emporte dans les luttes

    internationales 10 On dira qu'il est utile que ce modle de vertu

    soit galement pourvu d'armes efficaces; c'est vrai. Mais admironsle raisonnement des philosophes ces armes ont t conues par les

    ingnieurs de la nation, ralises par ses techniciens et ses ouvriers,elles sont donc le fruit de son gnie n Et mme s'il a fallu les ache-

    ter l'tranger, les devises avec lesquelles elles furent payesrsultent des richesses nationales, donc encore du gnie de ceux

    qui possdent du ptrole, de l'uranium ou de l'tain.A l'inverse, le vaincu est toujours celui qui a mrit de l'tre,

    mme dans le cas d'une attaque par tratrise, ou s'il succombe sous

    la coalition de plusieurs tats ambitieux et sans scrupules. Ladfaite est le stigmate de la corruption, de la paresse et de l'immo-

    ralit. L'Allemagne fait la guerre au petit Danemark et naturelle-

    ment l'crase ce qui signifie que les Danois sont infrieurs aux

    Allemands en intelligence, en courage, en loyaut, en savoir.

    Faut-il alors admettre que le hasard ne joue aucun rle la

    guerre? Ce serait contraire aux enseignements du grand Clausewitz,

    qui lui attribue une place importante dans le droulement des

    combats. Mais qu'est-ce que le Hasard, sinon la Providence, la

    Fortune? Et l'on sait que la Fortune sourit aux audacieux, c'est--dire aux forts.

    Si l'humanit a t contrainte de recourir ce moyen radical

    qu'est la guerre pour rgler ses conflits, ce n'est pas avant d'avoir

    essay de nombreuses solutions de rechange.Quelques-uns ont imagin de substituer la guerre une compti-

    tion sportive, o les belligrants se feraient reprsenter par des

    Extrait de la publication

  • Du muscle la loi

    champions. Le procd n'est pas nouveau; il a t utilis plusieursreprises dans le pass12*. L'exemple le plus fameux est celui desHoraces et des Curiaces.

    Il comporte toutefois des difficults srieuses. A la guerre, en

    effet, les quelques rglementations en vigueur peuvent tre violessans faon, puisqu'il n'y a ni juge ni sanction. Imagine-t-on, parcontre, un match o les joueurs resteraient sourds aux coups desifflet de l'arbitre et n'en feraient qu' leur tte, ignorant systma-tiquement les pnalties, les coups francs, les touches et les hors-jeu ? Par ailleurs, il pourrait sembler insolite qu'une quipecomporte trois ou quatre fois plus de joueurs que l'autre, et soncapitaine, s'il tait vainqueur, risquerait de se faire huer par la foule.Dans un conflit militaire, rien de tel. Le gnral qui se dbrouille pouravoir plus de chars, plus d'avions, plus de bombes que son adver-saire, qui se bat trois contre un et, comme il se doit, remporte lavictoire, est port en triomphe. Personne ne crie l'infamie. A la

    guerre, le dshonneur n'existe pas, sauf pour le vaincu.Une autre alternative la guerre a t cherche dans l'laboration

    de plans de paix. Il n'est pas question de les passer en revue, ils sontinnombrables. Leur lecture laisse d'ailleurs une pnible impressionil semble que tous les exalts, les songe-creux, les btisseurs dechteaux en Espagne aient ici donn libre cours leurs phantasmesdans un ahurissant mlange d'infantilisme et d'absurdit. Le plusbeau fleuron de cette couronne est certainement le Pacte Kellogg.Halte la guerre! La guerre hors la loi! Un peu comme si l'on disaitHalte aux cyclones! Les tremblements de terre hors la loi!

    La formule, d'ailleurs, a fait recette. Les propositions de mettrela guerre hors la loi ne se comptent plus, y compris celles qui ontt formules au milieu mme du dernier conflit mondial. La guerre,en effet, fut solennellement abolie le 16 aot 1941 dans la Charte

    Atlantique, le 21 septembre 1943 la Chambre des Reprsentantsdes tats-Unis, le mois suivant la Confrence de Moscou. Il luiarriva mme d'tre abolie par des militaires, ce qui est un comble.C'est ainsi que le gnral MacArthur, ancien commandant en chef

    des armes amricaines en Core, affirma dans une dclaration du

    26 janvier 1955 que le moment tait venu d'abolir la guerre et de la

    Extrait de la publication

  • Les Saigneurs de la guerre

    proclamer hors la loi . A quoi James Cameron, clbre journa-

    liste anglais, repartit que la mise hors la loi de la guerre avait autant

    de valeur pratique que l'introduction d'une clause de non-rougeoledans l'acte de naissance d'un nouveau-n u.

    Ne manquons pas de faire rfrence aux tentatives homopa-

    thiques pour tablir la paix universelle, par l'utilisation du mal

    pour gurir le mal. On va faire la guerre une bonne dernire fois

    pour ne plus avoir la faire. Ce fut l'alibi bien-aim des Romains,

    de Charlemagne, de Napolon, des Anglais, d'Hitler et des conqu-

    rants de toutes tailles. C'est encore le doux rve que caressent les

    Grandes Puissances, soucieuses de nous donner la Pax Americana,

    ou la Pax Sovietica, prlude la Pax Humana 14.Par malheur, a n'a jamais march. La paix romaine ne fut rien

    de plus qu'une fable. Aussitt la puissance macdonienne dtruite,

    les gnraux victorieux, fidles au principe selon lequel on n'est

    jamais si bien servi que par soi-mme, lvent des armes pour leur

    propre compte et se livrent d'effroyables guerres intestines. A peine

    Charlemagne a-t-il pouss son dernier imprial soupir que ses suc-

    cesseurs se disputent frocement son hritage. La Pax Britannica

    est un bon exemple de l'humour anglais c'est la priode o se mul-tiplient les expditions coloniales en Birmanie, en gypte, enAfghanistan, en Chine, au Mexique, contre les Cafres, les Zoulous,

    les Boers. Enfin, pour ce qui est d'Hitler et de Napolon, ils ont

    srement essay de nous donner leur version d'une paix mondiale,

    et s'ils ont si piteusement chou, c'est qu'il est probablement plus

    difficile qu'il n'y parat d'imposer un ordre moral, un idal d'entente,

    de confiance et de fraternit, par la violence et par la destruction.

    Il est un autre point que les ralistes ne manquent pas de mettre

    en vidence. Les solutions envisages, disent-ils, outre les difficults

    pratiques de leur application, reclent une faiblesse rdhibitoire.

    Elles supposent qu' partir d'un jour J, date de la signature de

    quelque charte plantaire, le monde ne bougera plus, les relations

    rciproques des tats seront geles, les frontires seront immuables.

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