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Les problèmes au centre, au centre des problèmes Benoît Jadin avec la participation de tous les membres du GEM. 11 novembre 2017, le GEM fête ses 40 ans. 40 ans après « Le point de départ de l’activité mathéma- tique n’est pas la définition mais le problème. Si certains élèves, malgré tout, apprennent des mathématiques dans la stratégie pédagogique actuelle, c’est avant tout dans les moments où ils font des problèmes et doivent, pour les ré- soudre, se construire un savoir mathématique en s’aidant des bribes de cours qu’ils ont assi- milées. » 1 Ce propos qui a 30 ans, sous-entend que la pédagogie "actuelle", celle de l’époque, laisse peu de place aux problèmes, ce qui n’empêche pas certains élèves d’apprendre. . . Qu’en est- il aujourd’hui ? S’agit-il d’une très vieille his- toire qui n’a plus cours parce que tous les enseignants ont compris depuis belle lurette qu’il faut déférer tout apprentissage mathéma- tique à la résolution de problèmes, qu’il n’y a pas de moyen plus idoine de faire, voire qu’il s’agit d’une posture incontournable ? Ou, à re- bours, la résolution de problèmes est-elle de- venue complètement obsolète, abandonnée par tous les courants didactiques et à la dérive ? Au GEM, depuis 40 ans, nous sommes des défenseurs ardents et convaincus du rôle ir- remplaçable des problèmes dans l’apprentis- sage mathématique ainsi que des pratiquants assidus. Et il reste vraisemblablement encore et toujours à convaincre de nombreux ensei- gnants de mathématiques que les problèmes 1. Bernard Charlot Qu’est-ce que c’est faire des maths ? Plot n 105 ancienne série, revue de l’APMEP, 1987. sont le sel des mathématiques y compris, et peut-être surtout, pour ceux qu’on considère comme des élèves faibles et qu’on renvoie par- fois trop vite à des tâches mécanistes. Pour quelques problèmes qui n’ont pas de sta- tut particulier et que nous présentons dans le désordre, mais que nous avons plutôt choisis pour leur complémentarité, nous recherchons l’essence de ces activités en classe, tout par- ticulièrement d’un point de vue méthodolo- gique. 1 Voir dans sa tête «La figure 1 pourrait représenter une vue aé- rienne d’un complexe d’habitations lorsque le soleil est en haut sur la gauche. » 2 Roméo se trouvant au sommet d’une tour, en P , peut-il voir Juliette en P 0 ? Figure 1 – Quartier Shakespearien 2. Alain Desmarets, Benoît Jadin, Nico- las Rouche, Pierre Sartiaux. Oh, moi les maths. . .. Talus d’approche, 1997. 1

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Les problèmes au centre, au centre des problèmes

Benoît Jadinavec la participation de tous les membres du GEM.

11 novembre 2017, le GEM fête ses 40 ans.

40 ans après

« Le point de départ de l’activité mathéma-tique n’est pas la définition mais le problème.Si certains élèves, malgré tout, apprennent desmathématiques dans la stratégie pédagogiqueactuelle, c’est avant tout dans les moments oùils font des problèmes et doivent, pour les ré-soudre, se construire un savoir mathématiqueen s’aidant des bribes de cours qu’ils ont assi-milées. » 1

Ce propos qui a 30 ans, sous-entend que lapédagogie "actuelle", celle de l’époque, laissepeu de place aux problèmes, ce qui n’empêchepas certains élèves d’apprendre. . . Qu’en est-il aujourd’hui ? S’agit-il d’une très vieille his-toire qui n’a plus cours parce que tous lesenseignants ont compris depuis belle lurettequ’il faut déférer tout apprentissage mathéma-tique à la résolution de problèmes, qu’il n’y apas de moyen plus idoine de faire, voire qu’ils’agit d’une posture incontournable ? Ou, à re-bours, la résolution de problèmes est-elle de-venue complètement obsolète, abandonnée partous les courants didactiques et à la dérive ?Au GEM, depuis 40 ans, nous sommes desdéfenseurs ardents et convaincus du rôle ir-remplaçable des problèmes dans l’apprentis-sage mathématique ainsi que des pratiquantsassidus. Et il reste vraisemblablement encoreet toujours à convaincre de nombreux ensei-gnants de mathématiques que les problèmes

1. Bernard Charlot Qu’est-ce que c’est faire desmaths ? Plot n◦105 ancienne série, revue de l’APMEP,1987.

sont le sel des mathématiques y compris, etpeut-être surtout, pour ceux qu’on considèrecomme des élèves faibles et qu’on renvoie par-fois trop vite à des tâches mécanistes.Pour quelques problèmes qui n’ont pas de sta-tut particulier et que nous présentons dans ledésordre, mais que nous avons plutôt choisispour leur complémentarité, nous recherchonsl’essence de ces activités en classe, tout par-ticulièrement d’un point de vue méthodolo-gique.

1 Voir dans sa tête

« La figure 1 pourrait représenter une vue aé-rienne d’un complexe d’habitations lorsque lesoleil est en haut sur la gauche. » 2 Roméo setrouvant au sommet d’une tour, en P , peut-ilvoir Juliette en P ′ ?

Figure 1 – Quartier Shakespearien

2. Alain Desmarets, Benoît Jadin, Nico-las Rouche, Pierre Sartiaux. Oh, moi les maths. . ..Talus d’approche, 1997.

1

2 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

La même question peut se poser à propos despoints Q et Q′.

1.1 Pas à pas

Les rayons visuels sont assimilables à desdroites, on relie donc P à P ′. Le segmentpasse peut-être entre deux bâtiments ? Ou au-dessus ? La question semble bien difficile, au-cune démarche n’est proposée dans l’énoncé.Il faut en imaginer une, d’où l’intérêt du pro-blème. On 3 peut essayer de construire les im-meubles, de se les représenter. . . Supposonsqu’à l’instar de certaines constructions mo-dernes, ils soient composés de grandes vitrescarrées. On cherche à en faire apparaître unnombre entier sur chacune des façades. 4 Ceque nous montre la figure 2. La solution ne

Figure 2 – Des bureaux d’affaires

paraît pas encore à portée de pensée.Pour mieux percevoir la position relative desimmeubles, on peut quadriller le sol avec descarrés de même taille que ceux utilisés pourles façades (figure 3). Mais comment vérifierque le rayon visuel passe entre les bâtimentsqui se trouvent entre les deux immeubles sur

3. Sachant que ce problème a été testé dans denombreux groupes, qu’il ne s’agit pas du récit d’uneseule expérience mais d’une forme de reconstitutionmêlant les apports des uns et des autres, nous utili-sons le pronom personnel indéfini "on".

4. Rompus au travail sur papier pointé triangu-laire, certains étudiants essayent de reconstituer untrame de ce type sur la perspective.

Figure 3 – Sur un sol pavé

lesquels se trouvent P et P ′. Ou si ce n’estpas le cas, vérifier que le rayon visuel passeau dessus de ces bâtiments. On peut raison-ner sur la pente de ce rayon et évoquer Tha-lès. Encore faut-il avoir ce bagage. . . On peutchanger de point de vue, transformer la vueaérienne en vue "d’en haut" et construire unnouvel outil de représentation appelé vue enplan. La figure 4 nous montre le résultat. C’est

Figure 4 – Vue du haut

évident, le rayon visuel PP ′ ne passe pas entreles bâtiments. Tout n’est pas encore perdu, s’ilpasse au-dessus. . . Changeons encore de pointde vue et regardons "d’en face", ce que nousmontre la figure 5. De P , on peut donc voirP ′.

1.2 À tous les niveaux

Le problème de Roméo et Juliette n’a pasune existence solitaire dans les classes. En pri-maire, dans le secondaire et dans le supérieur,on fait dessiner des modules composés de pe-

Journée de formation à l’occasion des 40 ans du GEM, le 11 novembre 2017 3

Figure 5 – Vue de face

tits cubes (figure 6). Ce sont d’abord des pe-

Figure 6 – Un assemblage de cubes

tits modules de quatre ou cinq cubes puis desmodules de plus en plus sophistiqués qui sontconsidérés. Les élèves dessinent les modules li-brement, améliorent leurs épures en groupe,déterminent avec toute la classe des règles im-plicites de représentation. Ils opèrent :

— sur papier blanc ;— sur papier pointé triangulaire (en pers-

pective isométrique) ;— sur papier quadrillé (en perspective ca-

valière, par exemple) ;— . . .

Les activités sont multiples et diverses 5 :— dessin d’une ou plusieurs vues d’une

même construction ;— échange des feuilles et reconstruction

5. Sur le site du GEM (http://www.gem-math.be/), on pourra consulter tout particulièrement Mar-tine De Terwangne, Stéphane Lambert, Sophie Lo-riaux. Les représentations planes d’objets à l’écolefondamentale.

par d’autres de ce qu’on fait les uns ;— dictée de modules cachés ;— description d’un module qu’on ne voit

pas et qu’on ne peut manipuler qu’avecles mains dans le dos ;

— traduction de la construction ou dudessin perspectif en projection cotée(comme sur les cartes géographiquesavec courbes de niveau) ;

— . . .

1.3 Le sel du problème

Relevons quelques particularités du problème,intéressons-nous à ses vertus et aux méthodesde résolution en soulignant quelques attitudes,stratégies et postures particulières :

— Un changement de point de vue, vécuici au premier sens du terme en qua-drillant les façades et le sol puis en pas-sant d’une vue "oblique" à une vue "deface" et une vue "de haut".

— Le concept de projection orthogonaleet de vue en plan se développe tan-dis qu’il œuvre dans la résolution duproblème montrant par là une valeurinstrumentale tout différente de "celaservira plus tard" ou "ce sera utile enphysique, en économie. . ."

— Le problème de Roméo et Juliette ettous ceux qui sont apparentés consti-tuent un ensemble qui illustre l’utilitéde diversifier les approches : manipu-lation, dictée, construction, dessin sui-vant des codes variés. . .

— Quelle que soit la perception qu’on ade la situation de départ et la croyancequ’on voit ou qu’on ne voit pas unpoint de l’autre, il faut justifier pourconvaincre. La résolution du problèmepasse par le besoin d’argumenter enpassant par la référence à un outil qu’ilfaut éventuellement construire s’il n’estpas encore acquis.

— Les questions sont ouvertes, voire trèsouvertes. On parle de cadrage large

4 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

pour exprimer que les élèves ne sontpas enfermés ni dans l’exécution d’unesuite de mini tâches, ni dans la répéti-tion de consignes matérielles ("fais ceci,fais cela") à satisfaire. Le cadrage estégalement fort, grâce à un long travailde manipulations et de dessins, accom-pagné de l’explicitation des liens entreles activités menées ainsi que des liensentre le travail matériel et le savoirvisé par les problèmes. Tout cela, pouréviter l’écueil de consignes impliciteset d’attentes posturales qui n’auraientpas été travaillées en classe mais se-raient des prédispositions acquises horsde l’école. 6

— Plusieurs démarches sont possibles, au-cune d’entre elles ne s’impose ni n’estdictée par l’énoncé : faire la construc-tion à l’aide de cubes ; à partir de laperspective isométrique, abaisser PP ′

au sol, comparer des triangles, utiliserle théorème de Thalès ; passer à desvues en plan. Quelle liberté, quel plaisirpour les élèves et pour leur enseignant !

Il n’y a pas de construction de géométriespatiale sans représentation plane et pas deconstruction des représentations planes sansgéométrie spatiale. Les différents types de pro-blèmes évoqués, liés aux perspectives et auxprojections, sont riches et peuvent être adap-tés à des élèves de la maternelle jusqu’à lafin du secondaire avec des niveaux d’expertisetrès variés.

2 Trouvez un nombre

Trouvez une fraction comprise entre 611 et 7

10 .Combien y en a-t-il ?

6. Un cadrage large et fort en opposition au ca-drage étroit et faible dénoncé par Stéphane Bon-néry.Comprendre l’échec scolaire. Élèves en difficultéset dispositifs pédagogiques. La Dispute, Paris, 2007.

2.1 Pas à pas

Dans une classe de vingt élèves 7, douzed’entre eux recherchent les fractions équiva-lentes et aboutissent à 16 nouveaux nombrescompris entre 60 et 77. Ils affirment donc qu’ily a exactement 16 nombres entre 6

11 et 710 :

61110 ,

62110 , . . . , 76

110 .

Et pas un de plus !Quatre parmi ces 12 élèves, estiment ensuitequ’en multipliant par 10, on multiplie par 10 lenombre de fractions comprises entre les deuxfractions initiales : 6

11 = 60110 = 600

1100 et les frac-tions 601

1100 ,6021100 , . . . ,

7691100 sont comprises entre

6001100 et 770

1100 .Ce n’est pas vraiment 160 mais 169 nombresqu’on trouve de la sorte. . . Mais qu’à celane tienne, en multipliant encore par 10, puispar 10, et ainsi de suite, on peut trouver unnombre infini de nombres entre les deux frac-tions.Quatre autres élèves partent des nombres dé-cimaux en considérant que

611 = 0, 545454 . . . et 7

10 = 0, 7

Ils estiment alors qu’on peut obtenir une in-finité de nombres décimaux entre les deuxnombres donnés.

2.2 À tous les niveaux

Outre le fait de réduire les fractions au dé-nominateur plus petit commun multiple desdeux dénominateurs de départ, et de prendreensuite un multiple, il est possible :

— de réduire au même numérateur carpour comparer deux fractions, on peututiliser l’une des règles "si même déno-minateur, alors. . .", "si même numéra-teur, alors. . ." ;

— de prendre la fraction moyenne arith-métique des deux fractions de départ,

7. Dans une classe de Jordan Detaille, en deuxièmeannée secondaire à Notre-Dame des Champs d’Uccle.

Journée de formation à l’occasion des 40 ans du GEM, le 11 novembre 2017 5

puis de considérer la moyenne arithmé-tique de celle-ci et d’une fraction de dé-part puis de réitérer le processus, d’oùune infinité de nombres ;

— de transformer en écriture décimaleavec une machine ou non : 0,545454. . .et 0,7. Entre les deux, en ne considé-rant que le premier chiffre après la vir-gule, on trouve 0,6. En prenant deuxdécimales, on trouve 0,55, 0,56, 0,57,058, 0,69, soit 15 nombres ! Et ainsi desuite, en prenant trois décimales, puisquatre. . .

Des étudiants de niveau "bac" ont pronosti-qué qu’il y a 17 nombres après avoir réduit lesdeux fractions au même dénominateur. Cer-tains sont conscients que c’est plutôt 16 maisque ce n’est pas vraiment là qu’est le problèmeet s’abstiennent de tout commentaire. En évo-quant ensuite des dénominateurs de 220 ou330, ils pronostiquent 34 puis 51 nombres, desmultiples de 17. . . On peut donc avoir une infi-nité de fractions entre les deux fractions ? Maisl’infini est-il un multiple de 17 ?L’infini ? Il s’agit de faire formuler le plus clai-rement possible par et pour l’ensemble desélèves, ce que cela sous-entend. Par exemple,y a-t-il une différence entre "autant que l’onveut" et "une infinité" ? Au fil du cursus sco-laire, une idée d’infini vient bousculer uneautre, les concepts de nombres se développent,les rationnels se découvrent, des irrationnelsapparaissent. . .

2.3 Le sel du problème

Soulignons quelques particularités du pro-blème.

— Il met en lumière la diversité des ap-proches (fractions, décimaux).

— Il permet de révéler les représentationsdes nombres, bonnes ou non, qu’ont lesélèves. Par ailleurs, dans les deux ap-proches rencontrées, une idée d’infinis’est exprimée.

— Du travail de recherche naît un "dé-

bat scientifique". 8 Certaines affirma-tions sont contestées. . . D’aucuns, parexemple, pensent d’abord qu’il y a16 fractions intermédiaires (en fait, ilsen comptent 15, 16 ou 17 suivant lesgroupes). Les réactions fusent et le pro-fesseur se retire, tandis que la discus-sion produit naturellement des argu-ments qui permettent de trancher.

— L’enseignant n’est pas le maître qui dé-tient toute la vérité, qui tranche et quivalide. Les élèves exercent seul ou ungroupe un contrôle de leurs pensées etde leurs productions. Ils font l’expé-rience d’un rapprochement des mathé-matiques qui deviennent autre chosequ’une matière purement formelle ré-duite à un mauvais cap à passer dans lascolarité. Une pensée autonome se dé-veloppe. Ne s’agit-il pas de former descitoyens responsables capables d’argu-menter, de critiquer, de se faire une opi-nion personnelle ?

« Une des compétences importantes, c’est lescepticisme. En Grande-Bretagne, les genssont très sceptiques à l’égard des politiciens.Mais si vous leur donnez un problème demaths ou de statistiques, ils n’ont plus aucunscepticisme ! Ils ne comprennent pas, n’ont au-cune idée de la façon de l’analyser, aucun ou-til pour le traiter. C’est pourtant indispensabledans une foule de décisions quotidiennes. » 9

3 Les piles

On a testé 10 piles Duracell et 10 piles Won-der. Les figures 7 à 9 montrent les résultats.

8. Liouba Leroux et Thomas Lecorre. Le débatscientifique en classe. Plot n◦19, revue de l’APMEP,2007.

9. Interview du mathématicien anglais ConradWolfram (chef de la direction de Wolfram ResearchEurope, qui vend le logiciel Mathematica) par IsabelleGrégoire. Libérez-nous du calcul ! Dans L’actualitédu 5 mai 2015 à l’adresse http://lactualite.com/societe/2015/05/05/liberez-nous-du-calcul/.Consulté le 1er novembre 2017.

6 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

Les durées sont exprimées en heures. Danschaque cas, au vu des résultats, quelle est lameilleure marque ?

Figure 7 – Durée de vie, en heures, de 20piles

Figure 8 – Un autre graphique de durée

3.1 Pas à pas

En quatrième primaire 10, avant d’aborder ceproblème, on a familiarisé les élèves à ce typede graphique.À Alleur, à partir du premier graphique (figure7), quatre groupes sur cinq se prononcent pour

10. En 2009, dans une classe de Catherine Simonà Vottem et dans une classe de Stéphanie Dethier àAlleur.

Figure 9 – Encore un graphique de durée

Wonder même si dans un de ces groupes il n’ya eu ni accord, ni arguments et que certainspensent que c’est Duracell, mais l’avis est in-fluencé par la position prise par un groupe quis’est prononcé avant eux.

— « On a coupé le graphique à 100 et on aregardé celui qui dépassait le plus sou-vent 100 h et c’est Wonder.

— Quand on regarde les petites barres, ily en a plus qui sont plus grandes dansles Wonder.

— C’est Duracell la meilleure ! A un mo-ment, les Wonder sont plus mauvaisescomme W8, W2.

— J’ai additionné, c’est Duracell. Mais jene sais plus. [L’élève ne peut pas don-ner les totaux ni vraiment expliquer cequ’il a fait.]. . .

— Il y a plus de piles Wonder qui durentplus longtemps que Duracell, c’est 7contre 3. » [Ces élèves ont fait descouples en associant chaque fois unepile Wonder avec une pile Duracell.]

Le deuxième graphique (figure 8) est donné.Involontairement, l’institutrice a induit qu’ils’agissait de la même situation. Les élèves sontamenés à suivre le même processus que pourle premier graphique. Les avis ne changentdans aucun des groupes. Mais le débat gagneen intensité. Les arguments ne changent pasnon plus. Le seul groupe partisan de Duracell

Journée de formation à l’occasion des 40 ans du GEM, le 11 novembre 2017 7

ajoute qu’il y a deux piles très faibles chezWonder.Le troisième graphique est donné (figure 9).Statut quo des avis et des arguments. Si cen’est un élève du "groupe Duracell" qui ajouteencore que si on mettait toutes les barres surune ligne droite, c’est Duracell qui gagnerait.Puis il nuance, s’il y a une grosse différence, onle verra tout de suite, mais s’il y a une petitedifférence ?L’après-midi se termine. Les élèves veulentsavoir qui a raison, l’institutrice invite lemembre du GEM qui a rédigé le problème etqui observe dans le fond de la classe, à donnermon avis. Celui-ci précise que cela dépend ducritère. Par exemple, si on regarde le nombrede piles qui arrivent à 110 h, il y en a 6 chezWonder et 2 chez Duracell. Par contre, si onfait la somme comme un élève l’a prôné,on ar-rive à un total de 1001 pour Wonder et 1026pour Duracell. « Oui mais finalement, c’estqui qui gagne ? », demandent avec insistancedes élèves en sortant de la classe. C’eut étél’occasion de relancer le débat. . . Il n’est ja-mais trop tôt pour débarrasser petit à petitles élèves de l’idée que c’est le prof qui a rai-son et que suivant les critères utilisés, on peutdéboucher sur des choix différents.À Vottem, les élèves ont reçu les trois gra-phiques en même temps. Ils ne savent pas qu’ils’agit de la même situation.

— À partir du graphique 2 (figure 8), unélève compare les maxima et juge quec’est supérieur chez Duracell.

— À partir du graphique 3 (figure 9), cer-tains jugent qu’il y a plus de Wonder enbas du graphique (donc de durée pluslongue)

— Pour certains la question semble être :quelle est la pile qui dure le plus long-temps ?

— Un élève demande si on peut faire descalculs.

— Un élève semble essayer par compen-sation entre piles d’une même marque.Il aboutit à des conclusions différentes

suivant le graphique.— « C’est Duracell qui gagne parce que là

(Wonder) il y a des petits et là (Dura-cell) c’est des grands plus grands (queceux de wonder).

— À plus de 110 heures, il y a plus deWonder.

— Oui mais, les barres pour Duracell sontplus grandes.

— Si on votait ? » Trois quarts des élèvesvotent pour Duracell.

3.2 À tous les niveaux

Le graphique en barres 11 est un "mini ou-til" 12 exploitable directement sans grandpréalable si ce n’est faire lire, compléter et réa-liser l’un ou l’autre graphique avec quelquesdonnées au départ. Comme vous l’avez remar-qué si vous avez fait l’exercice, il favorise plusou moins bien la comparaison de petits échan-tillons et permet d’aborder des notions de va-leurs centrales (moyenne et médiane) et cellede dispersion de façon assez intuitive.Le graphique en barres mue assez facilementen un autre mini outil qu’est le graphique àpoints. Il suffit de ne considérer que les pointsextrémités des barres (figure 10) et de les "lais-ser retomber et s’empiler" sur l’axe de la va-riable (figure 11). La figure 12, nous invite parexemple, à la comparaison de deux distribu-tions de poids. On perçoit comment le gra-phique à points préfigure les courbes en clocheou courbes de Gauss utilisées par tant de dis-ciplines.

Figure 10 – Du graphique en barres. . .

11. Il s’agit d’une appellation que nous utilisonspour faire la distinction avec les graphiques en bâton-nets.12. En référence aux minitools chers au Freudenthal

Institute auquel nous avons emprunté l’idée, on peutles retrouver sous forme d’applet java à l’adresse http://www.fi.uu.nl/wisweb/en/

8 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

Figure 11 – Au graphique à points

Figure 12 – Deux distributions de poids enkg

3.3 Le sel du problème

Le problème des piles, avec une question ou-verte au départ (ce qui n’empêche pas qu’onpuisse la refermer), favorise une variété des ap-proches. Tandis que d’aucuns en restent à desconsidérations graphiques, d’autres se mettentau calcul et construisent une objet mental an-nonciateur de la moyenne. On constate encoreque la disposition des barres change le regardet induit, éventuellement, des conclusions dif-férentes.Une fonction des problèmes, mise en lumièreici, est la nécessité de poser des questions. Onne peut pas comparer sans avoir précisé unpoint de vue, un critère. On peut même af-firmer que le questionnement prime, dans cecas, sur la résolution. « Et quoi qu’on dise,dans la vie scientifique, les problèmes ne seposent pas d’eux-mêmes. C’est précisément cesens du problème qui donne la marque du véri-table esprit scientifique. Pour un esprit scien-tifique, toute connaissance est une réponse àune question. S’il n’y a pas eu de question, ilne peut y avoir connaissance scientifique. » [8]Par ailleurs, la solution passe par la construc-tion d’outils conceptuels. Dans le cas présent,il peut s’agir de l’étendue, de la moyenne, dela part des valeurs plus petites ou plus grandesqu’une valeur donnée. . .Beaucoup d’élèves pensent, qu’en mathéma-tique, il n’y a qu’une solution à un problèmeet qu’un propos est soit vrai ou pas. Dans le

cas de cette comparaison de piles, suivant leconcept utilisé, on peut arriver à des conclu-sions opposées. Cela correspond mieux à cequi se passe dans le vie réelle : deux personnespeuvent avoir des avis différents et avoir toutesdeux raisons, c’est l’argumentation qui prime.Un plus pour le débat, le poivre du pro-blème. . .

4 Les doubles

Comment placer le miroir derrière des jetonscirculaire pour en voir 5 en tout ?

Figure 13 – La multiplication des euros

4.1 Pas à pas

Ce problème est posé en première primaire. 13

Le contexte est chaque fois la découverte desdoubles par le miroir (des miroirs carrés de13 sur 13 cm). L’expérience a été menée avecdes petits cubes et non des jetons. Il s’agit des’amuser d’abord avec ce que provoque la vi-sion dans le miroir quand on a des cubes à dis-position, pêle-mêle, rangés, en tours, à plat. . .Et voir comment en plaçant le miroir derrièredes cubes agencés comme sur le domino, ledouble se voit du premier coup d’œil. . .

— « Si tu mets des cubes sur le miroir, tules vois pareils en dessous.

— Est-ce qu’il y en a autant en dessousque dessus ?

— Oui, le miroir, ça copie.

13. Par Martine de Terwangne, dans une classe duCollège Notre-Dame de Basse-Wavre.

Journée de formation à l’occasion des 40 ans du GEM, le 11 novembre 2017 9

— Comment ça se fait qu’on a deux foisla même chose avec le miroir ?

— Parce que c’est le reflet, c’est la co-pie, c’est pile la même chose. Ça faitle double en tout.

— Et si tu as 5 cubes devant le miroir,tu auras toujours 10, c’est comme çapuisque ça a copié tout juste ! »

Puis, plusieurs essais sont menés avec 3, 6, 8,9. . . On liste les simples et leur double, on enfera la trace plus tard. Quasi tous les élèves sesont rendu compte de l’efficacité d’une organi-sation des cubes en schèmes comme les facesd’un dé, plutôt qu’en ligne devant le miroir.En ligne, on perd du temps à recompter tan-dis "qu’en dé", la quantité saute aux yeux.

— « Mais comment faire maintenant pouravoir 5 cubes grâce au miroir ? Doncvoir 5 cubes en tout.

— Avec 2, ça va pas, avec 3, non. . . Ça vapas, ça cloche ! J’comprends rien !

— C’est bizarre parce que normalement, lemiroir, ça marche qu’avec des paires,ça donne que des paires, les doubles !Et 5, c’est impair ?

— Faut être vraiment malin ! ? Ou alors,il faut un demi quelque part !

— Ça y est, tu dois couper le dernier en2 avant que ça fasse trop : avec 2 çafait 4, avec 3, ça fait 6 et donc c’est letroisième qui est de trop ! Celui-là, tule coupes en 2 !

— Et comme c’est impossible à couper, tule décales à moitié pour que le miroir"le voie" seulement à moitié.

— Moi je mets le miroir dessus sur la moi-tié, ça va aussi.

— Ok, vous avez trouvé comment avoir 5avec le miroir. Et donc, que peut-ondire : le miroir donne le double de com-bien s’il fait voir 5 ?

— De 2 et un demi.— 5 c’est le double de 2 et un demi. »— « Est-ce qu’on pourrait avoir 11 comme

double grâce au miroir, grâce au reflet ?— Oui, il faut chercher entre le juste trop

peu et le juste trop.

Figure 14 – Le compte est bon

— Moi, je cherche simplement le nombrepair avant et après : 10 et 12. Et jecherche combien de cubes mettre devantle miroir pour trouver ça. Donc, c’estentre 5 et 6 !

— Et moi je mets des cubes un à un jus-qu’à ce que j’arrive tout près de 11 avecle miroir.

— Finalement, 11 est le double de com-bien ?

— 5 et demi. »Grâce au miroir, je vois 26 cubes, 26 est ledouble d’une quantité de cubes ? Combien yen a-t-il devant le miroir ? Certains enfantsplace 26 cubes devant le miroir avant de serendre compte de leur erreur. D’autres ont uneorganisation de 26 dans leur tête et placent desuite 13 cubes de façon à retrouver ce qu’ilsavaient imaginé. Et d’autres placent 5 cubes àla fois : « avec 5, j’ai déjà 10 ; encore 5 et j’ai20 ; encore 5 et là j’ai trop. » Et il retire 1 cubeà la fois jusqu’au nombre voulu. À la prochaineleçon, on fera comme si on avait les miroirs.On verra la trace comme dans le sable. Et ons’entraînera pour que cela devienne automa-tique pour n’importe quel nombre.

4.2 Le sel du problème

Quand les élèves comptabilisent des jetons oudes cubes et leurs reflets dans le miroir, ils as-sistent à un effet du miroir qui consiste à dou-bler le nombre d’objets initialement présents.Alors que la solution passe par la démarche

10 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

inverse qui consiste à couper un ensemble decubes en deux sous-ensembles identiques. Il ya donc un va-et-vient entre les deux opéra-tions.En y regardant de près, l’expérimentation estvraiment particulière : regarder des nombresdans un miroir, imaginer celui-ci comme unemachine à dédoubler puis à couper ! L’expé-rience a un caractère mental sans que cela poseproblème à quelqu’élève que ce soit. Les élèveset l’enseignant s’embarrassent peu de savoir,quand on regarde un demi cube dans le miroirsi le cube entier est parfaitement reformé. Ilss’embarrassent peu du miroir tandis qu’ils sesont construit une bonne représentation men-tale de la situation. Ce n’est pas l’expériencemais la réflexion qui les fait aboutir au demi.La manipulation d’un ou de deux miroirs(dans des positions différentes) est par ailleurstrès porteuse et large. . . Le petit fait particu-lier que la moitié de 5, c’est 2 et 1/2, n’estqu’une tout petite partie de ce que peuventrévéler ces expériences.

5 La droite mère

« Prenez un carré de papier et faites un pli rec-tiligne, quelconque. Marquez bien ce pli puisdépliez votre carré. Ce premier pli est ap-pelé la droite mère. Marquez-le en couleurpour le distinguer des plis suivants (figure 15).Pour construire les plis enfants de la droite

droite mère

Figure 15 – La droite mère

mère, considérez d’abord un côté du carré noncoupé par la droite mère et faites un pli quiamène ce côté le long de la droite mère (figure16). Marquez-le bien puis dépliez. Vous avez

construit un pli enfant. Prenez à présent uncôté du carré coupé par la droite mère et pliezet dépliez successivement chacune des partiesde ce côté le long de la droite mère pour ob-tenir deux nouveaux plis enfants. Faites en-suite de même pour tous les autres côtés ouparties de côtés du carré, en dépliant à chaquefois. » 14 Observez bien votre pliage. Attardez-

pli enfant

droite mère

Figure 16 – Un pli enfant

vous sur les plis et leurs points d’intersection,sur les positions des uns et des autres, surdes angles et des figures particulières. Quellesconjectures pouvez-vous faire ? Considérez desdroites mères dans des positions différentes ettestez la viabilité de vos observations.

5.1 Pas à pas

En observant les plis sur la feuille, on peutfaire un certain nombre de conjectures :

— Il y a 6 plis sauf quand la droite mèreest diagonale du carré, il n’y en a plusque 4.

— Les plis se coupent en des points quisont sur une médiane ou une diagonaledu carré initial.

— Il y a des paires de plis parallèles, 2 ou3 suivant que la droite mère coupe descôtés adjacents ou opposés du carré.

— Là où la droite mère coupe un côté,deux plis sont perpendiculaires et unrectangle se forme par le prolongementdes plis quand la droite mère coupedeux côtés opposés.

— Certains plis (ou leurs prolongements)

14. Laure Ninove. Rencontre avec la droite mère,Un élégant problème d’origami de Kazuo Haga. Lo-sanges n◦12, revue de la SBPM, 2011.

Journée de formation à l’occasion des 40 ans du GEM, le 11 novembre 2017 11

forment des triangles rectangles iso-cèles.

— . . .Il reste à vérifier le bien fondé de chacune desconjectures et, le cas échéant, à en donner lapreuve. Intéressons-nous à la première. Quandla droite mère coupe un côté du carré en deuxsegments, il y a deux rabattements pour cha-cun des segments déterminés et deux plis en-fants. Quand la droite mère ne coupe pas uncôté, il n’y a qu’un rabattement de celui-ci surla droite mère et un seul pli enfant. De façongénérale, comme la droite mère coupe deuxcôtés du carré, on a 2×2+2 ou 6 plis. Quandla droite mère est diagonale du carré, on n’aplus que quatre plis et cela fait penser qu’onpeut aussi trouver un cas avec 5 plis, oubliédans la conjecture, si la droite mère est issued’un sommet du carré et coupe un côté nonadjacent à ce sommet.Considérons ensuite la deuxième conjecture, àsavoir que les points d’intersection de certainsplis sont sur une diagonale ou une médianedu carré. On considère une droite mère m quicoupe, en E et F, deux côtés adjacents en C,du carré ABCD (figure 17). On considère en-suite deux plis p et q qui se coupent en X.Quand on plie pour ramener [EC ] sur la droite

Figure 17 – Point d’intersection de deux plis

mère m, le pli p est une bissectrice qui coupel’angle en deux. C’est le cas aussi pour le pliq. Mais dans le triangle ECF, les bissectricesse coupent en un point et la bissectrice issuede C passe donc par X. Comme il s’agit d’un

angle droit, c’est aussi la diagonale du carré.Pour d’autres points, c’est moins évident. Ilfaut penser à côté de la figure, déposer le carrésur une feuille plus grande que lui et prolon-ger la droite mère, les plis enfants ainsi que lescôtés du carré (figure 18). Pour le point Y à

Figure 18 – Voir à côté

l’intersection des plis l et s, le prolongementdes droites fait mieux apparaître que les plissont aussi des bissectrices considérées dans cecas comme un ensemble des points à égalesdistances de deux droites données. Dès lorscomme l est un ensemble de points à égalesdistances de m et de AD et que s est un en-semble de points à égales distances de m etde AB, le point d’intersection Y est à égalesdistances des droites AB et AD, il est doncsur la bissectrice des demi-droites [AB et [ADissue de A qui est aussi une diagonale du carréinitial.Pour le point Z intersection des plis r et s, onpeut raisonner de la même manière et en dé-duire que Z est à égales distances des droitesAB et CD. Comme ces dernières sont paral-lèles, Z est sur une parallèle à ces deux droiteset à mi distance, c’est-à-dire sur une médianedu carré.En comptant les plis, certains ont comptéaussi les points d’intersections. Ils les prennenttous en compte y compris ceux qui sont exté-rieurs au carré. Mais le comptage qu’ils fontsur la figure ne correspond pas au dénombre-ment systématique effectué en comptabilisanttoutes les possibilités d’intersection que l’on a

12 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

en prenant les plis deux à deux et en retirantles cas où on a affaire à des plis parallèles.Pour un pli mère qui coupe deux côtés adja-cents, par exemple, il y a 6 plis et (6×5)/2 ou15 possibilités de rencontre. Mais il faut sup-primer les deux cas de plis parallèles, il reste13 points d’intersection.

5.2 À tous les niveaux

Le problème de la droite mère accouche denombreuses conjectures, variables d’une classeà l’autre et d’un groupe à l’autre dans unemême classe. Il s’agit d’un problème relative-ment ouvert qui peut être refermé si la classeest en difficulté et cela, sans tomber dans destâches mécanistes. 15 Pour les preuves, on peutconfier un énoncé à chaque groupe. Cela peuts’avérer laborieux au départ, certains n’ayanttoujours rien trouvé après un quart d’heure.Pour des raisons qui peuvent être diversescomme, par exemple, une mobilisation lentede savoirs existants : qu’est-ce qu’un pli parrapport aux deux droites qu’on superpose ?Le professeur animateur débloque alors la si-tuation par un geste, une question ou un motclé comme celui de bissectrice. Le problèmefait intervenir de nombreux contenus géomé-triques relatifs d’une part aux angles, à lasomme des amplitudes dans un triangle, auxalternes internes ; et d’autre part, aux bissec-trices et à leurs propriétés. On peut cibler cer-tains contenus. Ils peuvent être l’objet d’unpremier contact pour certains élèves ou ap-profondissement pour d’autres si d’autres ac-tivités les ont mis en place.

5.3 Le sel du problème

Que les élèves travaillent à deux ou quatre,le pliage, phase d’exploration, est un momentd’excitation, de créativité, voire d’émerveille-ment ; la seule contrainte étant relative autemps. Collective, la phase de formulation des

15. Pour plus de détails, le lecteur se reportera àl’article de Laure Ninove [5].

conjectures donne à chaque groupe l’occasiond’énoncer un ou plusieurs constats. La phased’argumentation et de démonstration livre dejolies surprises dont quelques-unes sont rele-vées ci-après.

— Chaque groupe a réalisé de nombreuxcarrés avec des droites mères diffé-rentes. Un va-et-vient permanent sefait entre ces épreuves et la preuve.

— Le travail de démonstration déboucheparfois sur une correction de l’énoncé,comme dans le cas où des élèves avaientconjecturé 4 ou 6 plis alors qu’il pou-vait aussi y en avoir 5. Il débouche aussiparfois sur un nouvel énoncé commecela a été le cas pour des élèves quise sont intéressés au nombre de pointsd’intersection entre les plis.

— Il y a des preuves générales quiconviennent à presque tous les cas,comme l’existence d’un rectangle. Dansun cas limite, quand la droite mère estmédiane du carré, le rectangle devientcarré ; mais dans un autre cas limite,quand la droite mère est diagonale ducarré, il n’y a plus de rectangle mais unlosange.

— Que se passe-t-il si on déplace la droitemère parallèlement à elle-même ? Com-ment se déplacent les plis enfants ? Etdans les cas limites, comme lorsqu’unedroite mère médiane vient sur un côté ?

— Pour une conjecture donnée, il n’y apas qu’une démonstration possible.

— Quand la bissectrice devient unpli sur une feuille, elle prend uneforme concrète et variable. Ce sontdes dizaines de bissectrices qui sontconstruites par les élèves. L’abstraitest le multi concret. 16 Par ailleurs, lamanipulation alimente l’observation etl’observation relance la manipulation :une propriété vue sur une situation

16. Dans notre souvenir, cette expression est d’An-dré Lichnérowicz, mais nous n’avons pas pu en retrou-ver la source.

Journée de formation à l’occasion des 40 ans du GEM, le 11 novembre 2017 13

donnée, est-elle partagée par d’autresou par toutes ? L’argumentation prendalors le relais de l’observation pourapporter des preuves aux conjecturesémises.

6 Problèmes de sel

Au travers des quelques situations regardées,nous avons vu que les problèmes induisent oufavorisent ou nécessitent des postures et desréactions méthodologiques diverses :

— expérimenter, explorer diverses situa-tions liées à une même question ;

— changer de point de vue, penser à côté ;— varier les approches ;— imaginer, inventer ;— effectuer des va-et-vient entre diverses

opérations,— aller du particulier au général ou du gé-

néral au particulier ;— argumenter, justifier, démontrer ;— douter, être critique ;— formuler un questionnement ;— forcer la construction d’objets men-

taux. 17

Du point de vue didactique, on a pu montrerque les problèmes

— doivent partir, mais pas camper, sur leterrain de l’élève ;

— révèlent les représentations que lesélèves se font des concepts étudiés ;

— sont plus efficaces s’ils s’enchaînent etmême parfois, s’ils mènent loin ;

— peuvent donner une valeur instrumen-tale aux outils conceptuels développés ;

— s’expriment en questions plus ou moinsouvertes qu’on peut refermer si néces-saire ;

— peuvent créer une motivation et donner

17. « Les objets mentaux sont des notions de typemathématique et qui soit appartiennent à la penséecommune, soit sont intermédiaires entre celle-ci etles mathématiques constituées. » Par opposition auxconcepts qui « sont des objets techniquement définisdans une théorie axiomatisée. » [6]

du sens ;— s’appuient quelquefois autant sur des

expériences mentales que concrètes ;— suscitent le débat ;— induisent une pensée autonome.

S’il n’y a pas de mathématiques sans pro-blèmes, il n’y a pas non plus de problèmes sansrecherche. L’attitude à adopter par le profes-seur dans la gestion de ces activités n’est pasforcément simple. Régulateur institutionnel,empathique au niveau relationnel, il se retiredu point du vue intellectuel, évite de validerdes réponses ou de donner des pistes et des re-lances trop rapides. Il fait confiance aux élèveset surtout, leur donne du temps. On ne résoutpas des problèmes en cinq ou dix minutes, onn’a parfois presque rien trouvé après une demiheure. . .La difficulté de bien gérer la classe avec l’al-ternance de réflexions solitaires, de travaux engroupes et de synthèses collégiales est proba-blement un frein pour un certain nombre d’en-seignants. D’autant que de nombreux piègesguettent l’animateur comme celui de vendrela mèche trop rapidement ou celui d’opé-rer des cadrages trop faibles et trop étroitsqui, pour Stéphane Bonnéry, sont interdépen-dants, et procèdent d’un double souci. « Ce-lui, d’une part, de faire construire le savoirpar des élèves actifs et autonomes, en évitantde réguler le lien entre la tâche et le savoird’une façon trop institutionnalisée, collective,formalisée. Celui, d’autre part, de s’adapterpar des consignes reformulées, des validationspartielles morcelées et des régulations indivi-duelles aux difficultés des élèves, ce qui per-met à ces derniers de se contenter d’attitudesde conformité. » [3]Par ailleurs, il n’y a pas d’élèves chercheurssans profs chercheurs. La recherche de ces der-niers précède celle des élèves et elle est plusmotivante et plus riche quand elle se fait àplusieurs. C’est la raison d’exister du GEMdepuis 40 ans, c’est notre source commune deplaisir et d’intérêt intellectuel : la recherchepartagée, la résolution de problèmes de ma-

14 B. Jadin, Les problèmes au centre, au centre des problèmes

thématiques, la création de nouveaux pro-blèmes ou l’adaptation de problèmes décou-verts ailleurs, leur enrichissement, leur pro-longement en séquences d’apprentissage plusvastes, leur analyse épistémologique. 18

« S’il n’y avait plus de problèmes, avec quoisalerait-on ? » 19 En parlant d’enseignementsans problèmes, Gaston Bachelard va plus loinet écrit : « Mieux vaudrait une ignorance com-plète qu’une connaissance privée de son prin-cipe fondamental. » [8]

Références

[1] Bernard Charlot Qu’est-ce que c’estfaire des maths ? Plot n◦105, revue del’APMEP, 1987

[2] Alain Desmarets, Benoît Jadin, Nico-las Rouche, Pierre Sartiaux. Oh, moiles maths. . . Talus d’approche, 1997.

[3] Stéphane Bonnéry. Comprendre l’échecscolaire. Elèves en difficultés et dispositifspédagogiques. La Dispute, Paris, 2007.

[4] Kazuo Haga. Origamics : Mathematicalexplorations through paper folding. Editéet traduit par J.C. Fonacier et M. Isoda,World Scientific, Singapore, 2008.

[5] Laure Ninove. Rencontre avec la droitemère, Un élégant problème d’origami deKazuo Haga. Revue Losanges n◦12, revuede la SBPM, 2011.

[6] Bernard Honclaire, Nicolas Rouche,Françoise Van Dieren, Marie-Françoise Van Troeye, Marisa Kry-sinska. Les mathématiques de lamaternelle jusqu’à 18 ans. CREM, 1995.

18. Pour plus de détails sur cette notion, on pourralire la Lettre du GEM au GFEN dans la revue Dia-logue n◦54 bis, en mai 1985, du Groupe Françaisd’Éducation Nouvelle.19. Benoît Jadin. S’il n’y avait plus de problèmes,

avec quoi salerait-on ? Dans la revue Échec à l’échecn◦59 de décembre 1989 de CGé (Changements pourl’égalité).

[7] GEM. Lettre du GEM au GFEN. Dia-logue n◦54 bis, revue du Groupe Françaisd’Éducation Nouvelle, 1985.

[8] Gaston Bachelard. La formation del’esprit scientifique. J. Vrin, Paris, 1985.

Table des matières

1 Voir dans sa tête 11.1 Pas à pas . . . . . . . . . . . . 21.2 À tous les niveaux . . . . . . . 21.3 Le sel du problème . . . . . . . 3

2 Trouvez un nombre 42.1 Pas à pas . . . . . . . . . . . . 42.2 À tous les niveaux . . . . . . . 42.3 Le sel du problème . . . . . . . 5

3 Les piles 53.1 Pas à pas . . . . . . . . . . . . 63.2 À tous les niveaux . . . . . . . 73.3 Le sel du problème . . . . . . . 8

4 Les doubles 84.1 Pas à pas . . . . . . . . . . . . 84.2 Le sel du problème . . . . . . . 9

5 La droite mère 105.1 Pas à pas . . . . . . . . . . . . 105.2 À tous les niveaux . . . . . . . 125.3 Le sel du problème . . . . . . . 12

6 Problèmes de sel 13

Bibliographie 14

Groupe d’Enseignement MathématiqueChemin du Cyclotron 2B-1348 Louvain-la-Neuvehttp://www.gem-math.be/

[email protected]@gem.lln