les passagers de la comète n°14 de châlons en champagne · 2011. 11. 9. · il se forme ainsi à...

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Les Diablogues – 18 & 19 janvier 07 R. DUBILLARD – J. GAMBLIN – F. MOREL Les Passagers de La Comète N°14 Les Fiches Pédagogiques du Service Éducatif de la Scène Nationale de Châlons en Champagne >Jouer la comédie pour quelqu'un, c'est essayer de lui faire comprendre qu'il n'est pas là. Roland Dubillard, les Diablogues. angoissant et attirant du gouffre que le plein rassu- rant sur lequel on se tient, le spectateur se sent aspiré par cette frontière abyssale qu’est le pla- teau, par cet appel auquel on ne peut que céder : la représentation du texte. On passe ainsi sans le savoir d’un diablogue à un autre, d’étape en étape d’une quête du sens ou plutôt des confins du non- sens, cheminant, avec un sourire ininterrompu, tout droit vers, non pas l’angoisse, non, mais vers ce vertige discret, vers cette ivresse légère qui, dans nos esprits situent Dubillard quelque part entre Prévert et Michaux, avec des pointes du côté de Supervielle, sans qu’il doive jamais rien aux uns et encore moins aux autres. Si les élèves peuvent approcher ce raisonné dérèglement de tous les sens par le théâtre, venir voir et entendre les Dia- blogues aura doublement touché au but : le texte et sa représentation. On s’étonnera donc assez peu que le rire puisse rejoindre en nous la réminiscence d’une sorte de perfection nostalgique et illusoire du langage… La parole, parler, écrire, écouter, lire, c’est sans doute l’acte premier du vivre un tant soit peu oublié. C’est dans la parole théâtrale que le corps et l’esprit se mettent à créer, poétiquement parlant ! Notre vie tient à ce fil de paroles qui se (fau)file entre nous- mêmes et autrui ou entre nous-même et nous- même, dans des silences, des solitudes. Dubillard met sans cesse le spectateur en de- meure d’entendre chez les acteurs le souffle sourd de la vie et finalement de respirer à l’unisson. Mo- rel et Gamblin ont donc à cœur de réussir à as- sembler leurs échanges de paroles ou leurs soli- loques pour nous emmener dans cette posture tout à fait inhabituelle. Ainsi chaque spectateur sera placé face à la force inconsciente des mots profé- rés… Dubillard, Gamblin, Morel et Anne Bourgeois sondent un grand mystère avec une vraie modes- tie. À nous de le faire ressentir à nos élèves. P.V. J’y emmène mes élèves ! Celui-là parle d’une sensation de premier baiser pour par- ler de ce qu’il ressent lorsqu’il monte sur scène et s’apprête à jouer la comédie… Merci ! Je croyais être tout seul à ressentir cela, camarade, c’était pareil pour moi… Le théâtre c’est fort, comme une liqueur de ferme, cela vous brûle quelque chose de vous, en amour c’est pareil… « Je n’étais plus seul », dit un autre encore, et si le théâtre n’avait déjà que cette seule vertu de ne plus se sentir seul ce serait déjà énorme, mais il en a bien d’autres… Philippe Torreton Pour commencer, on pourrait évoquer aussi Gilles Deleuze : « On n’enseigne bien que ce que l’on cherche, non ce que l’on sait » qui n’est pas si loin du célèbre comédien cité en exergue et de ce que l’on disait de la anse il y a peu en ouverture du Par- cours de la Comète N°9. Cette (très) célèbre phrase synthétise en effet bien la démarche de l’enseignant qui se frotte aux Diablogues dans le cadre que les programmes ont déterminé de ma- nière claire depuis des années : on ne saurait envi- sager le texte dramatique sans sa représentation. Alors, dès lors !, la rencontre avec Dubillard, ou Io- nesco, ou encore Tardieu, ces poètes, ces cher- cheurs, étymologiquement ces créateurs, qui ont été - chacun à sa manière, prolixe ou frugale - parmi les inventeurs du théâtre moderne, n’est ni anodine ni ordinaire. Pourquoi ? En jouant – en orfèvre – des mots, de leur pouvoir poétique à s’autodétruire dans leur fonction ordinaire, en déstabilisant leur sens usuel, en sublimant le vernaculaire au profit du poé- tique, par le pouvoir corrosif de leur humour, ils ont bousculé, davantage encore, ils ont fait éclater les apparences du quotidien polies par les mots pour découvrir, derrière… disons au-delà, la part inouïe, inaudible dans la langue non théâtralisée, de mys- tère inintelligible que présente notre existence et le monde qui nous entoure. Trente ans après l’adaptation des Diablogues, vingt années après les Nouveaux Diablogues, ce théâtre de Dubillard, autant acteur qu’auteur d’ailleurs, nous apparaît toujours aussi moderne, aussi vivant, plein de rouerie, mais tout aussi profond : de la profon- deur mais avec légèreté. Et la réussite de François Morel et Jacques Gamblin qui, réglés par une mise en scène pleine d’invention comme le texte lui- même, développent un jeu propre à en laisser per- cevoir certes le comique, mais aussi le tragique. Le spectacle, malgré la forme éclatée du texte, constitue une odyssée cohérente de bout en bout, sans faille ni pose… un chemin initiatique qui nous pousse à rire face au vertige tragique d’un univers tout langagier. Morel et Gamblin jouent donc avec une constante drôlerie et le sourcil relevé, complice, cette quête inexorable du non-sens. Ils sortent alors le spectateur de son cadre langagier rassurant et vernaculaire, ils aménagent l’espace selon une réali- té imaginaire, la seule qui vaille !, pareille à un garde-fou aux drolatiques délires de Dubillard. Mais comme un garde-fou installe autant le vide

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Page 1: Les Passagers de La Comète N°14 de Châlons en Champagne · 2011. 11. 9. · Il se forme ainsi à l’école du théâtre à partir du début des années 80 et jouera Molière,

Les Diablogues – 18 & 19 janvier 07

R. DUBILLARD – J. GAMBLIN – F. MOREL

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>Jouer la comédie pour quelqu'un, c'est essayer de lui faire comprendre qu'il n'est pas là.

Roland Dubillard, les Diablogues.

angoissant et attirant du gouffre que le plein rassu-rant sur lequel on se tient, le spectateur se sent aspiré par cette frontière abyssale qu’est le pla-teau, par cet appel auquel on ne peut que céder : la représentation du texte. On passe ainsi sans le savoir d’un diablogue à un autre, d’étape en étape d’une quête du sens ou plutôt des confins du non-sens, cheminant, avec un sourire ininterrompu, tout droit vers, non pas l’angoisse, non, mais vers ce vertige discret, vers cette ivresse légère qui, dans nos esprits situent Dubillard quelque part entre Prévert et Michaux, avec des pointes du côté de Supervielle, sans qu’il doive jamais rien aux uns et encore moins aux autres. Si les élèves peuvent approcher ce raisonné dérèglement de tous les sens par le théâtre, venir voir et entendre les Dia-blogues aura doublement touché au but : le texte et sa représentation. On s’étonnera donc assez peu que le rire puisse rejoindre en nous la réminiscence d’une sorte de perfection nostalgique et illusoire du langage… La parole, parler, écrire, écouter, lire, c’est sans doute l’acte premier du vivre un tant soit peu oublié. C’est dans la parole théâtrale que le corps et l’esprit se mettent à créer, poétiquement parlant ! Notre vie tient à ce fil de paroles qui se (fau)file entre nous-mêmes et autrui ou entre nous-même et nous-même, dans des silences, des solitudes. Dubillard met sans cesse le spectateur en de-meure d’entendre chez les acteurs le souffle sourd de la vie et finalement de respirer à l’unisson. Mo-rel et Gamblin ont donc à cœur de réussir à as-sembler leurs échanges de paroles ou leurs soli-loques pour nous emmener dans cette posture tout à fait inhabituelle. Ainsi chaque spectateur sera placé face à la force inconsciente des mots profé-rés… Dubillard, Gamblin, Morel et Anne Bourgeois sondent un grand mystère avec une vraie modes-tie. À nous de le faire ressentir à nos élèves.

P.V.

J’y emmène mes élèves ! Celui-là parle d’une sensation de premier baiser pour par-

ler de ce qu’il ressent lorsqu’il monte sur scène et s’apprête à jouer la comédie… Merci ! Je croyais être tout seul à

ressentir cela, camarade, c’était pareil pour moi… Le théâtre c’est fort, comme une liqueur de ferme, cela vous

brûle quelque chose de vous, en amour c’est pareil… « Je n’étais plus seul », dit un autre encore, et si le théâtre

n’avait déjà que cette seule vertu de ne plus se sentir seul ce serait déjà énorme, mais il en a bien d’autres…

Philippe Torreton Pour commencer, on pourrait évoquer aussi Gilles Deleuze : « On n’enseigne bien que ce que l’on cherche, non ce que l’on sait » qui n’est pas si loin du célèbre comédien cité en exergue et de ce que l’on disait de la anse il y a peu en ouverture du Par-cours de la Comète N°9. Cette (très) célèbre phrase synthétise en effet bien la démarche de l’enseignant qui se frotte aux Diablogues dans le cadre que les programmes ont déterminé de ma-nière claire depuis des années : on ne saurait envi-sager le texte dramatique sans sa représentation. Alors, dès lors !, la rencontre avec Dubillard, ou Io-nesco, ou encore Tardieu, ces poètes, ces cher-cheurs, étymologiquement ces créateurs, qui ont été - chacun à sa manière, prolixe ou frugale - parmi les inventeurs du théâtre moderne, n’est ni anodine ni ordinaire. Pourquoi ? En jouant – en orfèvre – des mots, de leur pouvoir poétique à s’autodétruire dans leur fonction ordinaire, en déstabilisant leur sens usuel, en sublimant le vernaculaire au profit du poé-tique, par le pouvoir corrosif de leur humour, ils ont bousculé, davantage encore, ils ont fait éclater les apparences du quotidien polies par les mots pour découvrir, derrière… disons au-delà, la part inouïe, inaudible dans la langue non théâtralisée, de mys-tère inintelligible que présente notre existence et le monde qui nous entoure. Trente ans après l’adaptation des Diablogues, vingt années après les Nouveaux Diablogues, ce théâtre de Dubillard, autant acteur qu’auteur d’ailleurs, nous apparaît toujours aussi moderne, aussi vivant, plein de rouerie, mais tout aussi profond : de la profon-deur mais avec légèreté. Et la réussite de François Morel et Jacques Gamblin qui, réglés par une mise en scène pleine d’invention comme le texte lui-même, développent un jeu propre à en laisser per-cevoir certes le comique, mais aussi le tragique. Le spectacle, malgré la forme éclatée du texte, constitue une odyssée cohérente de bout en bout, sans faille ni pose… un chemin initiatique qui nous pousse à rire face au vertige tragique d’un univers tout langagier. Morel et Gamblin jouent donc avec une constante drôlerie et le sourcil relevé, complice, cette quête inexorable du non-sens. Ils sortent alors le spectateur de son cadre langagier rassurant et vernaculaire, ils aménagent l’espace selon une réali-té imaginaire, la seule qui vaille !, pareille à un garde-fou aux drolatiques délires de Dubillard. Mais comme un garde-fou installe autant le vide

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R.Dubillard Un univers en apesanteur... Comédien, metteur en scène et auteur dramatique, Roland Dubillard est né à Paris en 1923. Il dessine, a écrit des romans et des scénarii. Il livre en 1998 un ouvrage très important : ses Carnets en marge, un des très grands livres de la fin du siècle dernier qui illustre son formidable talent d’écrivain diariste. Ro-land Dubillard est aussi poète. Il a publié deux recueils dont la rédaction s’étend sur de longues années : Je dirai que je suis tombé (en 1966) et La boîte à outils (en 1985) repris en un vo-lume chez Gallimard, en 2003. En réalité, l’importance de Du-billard « poète » dépasse de loin ces seuls textes revendiqués comme poétiques. L’œuvre, le rapport à l’écriture est d’abord de la poésie qu’elle soit pour reprendre la nomenclature de Cocteau, poésie de théâtre, poésie de radio ou poésie de ro-man. Ses biographes ont noté de ce grand pudique qu’il est né d’un père négociant en sardines, trop tôt disparu. Après la guerre à laquelle il avait participé en Résistance et pendant laquelle il obtint une licence de philosophie, Roland Dubillard débute au Club d’Essai de la radiodiffusion française, un creuset de nou-veaux talents autour de Pierre Schaeffer et Jean Tardieu où des jeunes gens sortis enfin de la guerre inventent la radio mo-derne. Dès 1947, il rédige les premiers Diablogues qu’il crée avec Claude Piéplu et qu’il enregistre sous le titre de Grégoire et Amédée. Aujourd’hui, ces textes sont devenus des clas-siques du répertoire comique français. À tort ou à raison, Roland Dubillard aura été, air du temps oblige, rapproché des fondateurs du théâtre de l’absurde (Io-nesco, Beckett). C’est dans les années 60 et 70 que ses pièces aujourd’hui les plus célèbres sont créées, avec un immense succès.

Dubillard - Bourgeois - Morel - Gamblin

C’est à Granville, dans la Manche, que nait Jacques Gamblin, le 16 novembre 1957. Il ne manifeste aucune précoce vocation d’acteur et c’est alors qu’il travaille comme technicien pour une compagnie de théâtre, qu’il se prend de passion pour la comédie, au fil des tournées effectuées à travers la France, le virus des planches. Il étudie alors au Centre dramatique de Caen. Il se forme ainsi à l’école du théâtre à partir du début des années 80 et jouera Molière, Corneille, Marivaux, Schnitzler (La Ronde, sur une mise en scène d’Alfredo Arias), Peter Hand, Paul Claudel, etc. Au cinéma, c’est Claude Lelouch qui le révèle vrai-ment. S’il ne tient qu’un second rôle dans Il y a des jours et des lunes, il interprète l’un des trois “pieds nickelés” de Tout ça pour ça !, aux côtés de Vincent Lindon et Gérard Darmon. Le personnage est désor-mais planté : un brave garçon malchanceux et tou-chant, lunaire et maladroit qui, pour le coup, multiplie les tentatives de suicide en guise de chantage face à l’abandon de sa compagne… Identifié comme un être sensible, Gamblin intègre la famille Guédiguian pour à la vie à la mort ; le comé-dien y incarne le mari d’Ariane Ascaride qui, une fois convaincu de sa stérilité, préfère en finir en se jetant dans la Méditerranée. La scène de ce suicide est traitée avec beaucoup de pudeur et, Gamblin se dés-habillant complètement, témoigne d’un des traits es-sentiels du comédien : sa façon de s’exprimer aussi corporellement, en n’évacuant pas sa fragilité. Il excelle à jouer les exclus, les faibles, les tourmen-tés, du SDF de Tenue correcte exigée au peintre boiteux, soupçonné de meurtre dans Au cœur du mensonge, en passant par le timide employé se transformant en « folle » déchaînée, véritable reine de la nuit dans Pédale douce ou même le commis-saire amoureux et magnanime des Braqueuses. Un nouveau genre d’homme très contemporain s’incarne en lui et il aborde tous ces rôles avec la même sincé-rité et le même amour du jeu – presque artisanal dans l’approche. Gamblin le Normand apparaît même dans un film japonais, signé Shôhei Imamura : Kanzo Shinsei, dans lequel il incarne un soldat néerlandais de la seconde guerre mondiale, prisonnier en Indonésie. Une rencontre importante, avec un grand maître, mais aussi un autre pays et une autre culture… parce que tout l'inspire, il écrit aussi, d'une plume fine et sensible, des textes qui disent les choses de la vie, avec la poésie si particulière des hommes qui sont attentifs au monde. Entre deux tournées ou tour-nages, il a rédigé Quincailleries. C'est aussi parce qu'il affectionne, le « silence vrai » de la scène, qu'il se fait toujours l'interprète des autres avec exigence et pudeur, toujours discret et sincère sur les planches de ses envies, heureux de faire vivre les mots qui l'animent, et qui cachent, entre les lettres, des petits bouts de lui.

Né à Saint-Georges-de-Groseillers le 10 juin 1959, François

Morel se lance sur les planches après de brillantes études de lettres et un passage par l'école de la rue Blanche (l'ENSATT, l'École supérieure des arts et techniques du théâtre). Il entre alors dans la troupe des Deschiens, dirigée par Jérôme Des-champs et Macha Makeieff. C'est d'ailleurs grâce à l'émission télévisée des « Deschiens » sur Canal + qu'il acquiert une im-mense popularité. Sa renommée va de pair avec sa participa-tion à quelques longs métrages dont Le Bonheur est dans le

pré ou encore Ça reste entre nous. Parallèlement, François Morel signe ses premiers livres, Meuh en 1996, Les Habits du

dimanche en 1999 et A pas d'oiseau en 2000. Homme de théâtre, amoureux des mots, il sait au cinéma varier les genres, incarnant de grands rôles comme de plus petits. En 2006, François Morel revient sur scène pour raconter des histoires en chantant devant un public conquis par son talent dont celui émerveillé et hilare de La Comète. Passionné de music-hall, il est l’auteur de quelques textes de chansons pour Curieux de nature, il a également été producteur-animateur d’émissions de radio sur France-Inter, mais aussi auteur et coréalisateur avec Marc Henri Dufresne de publicités et de deux courts. Il incarne le pasteur, frère de Vatanen dans Le Lièvre de Vatanen de Marc Rivière. Sa collaboration avec le réalisateur s’est poursui-vie cette année sur Hautot, père et fils, un téléfilm avec Jean Rochefort que diffusera France 2 en 2007.

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Les Passagers de la Comète – Les Diablogues

Anne Bourgeois (metteur en scène) Anne Bourgeois suit l’enseignement de l’ENSATT - École de la Rue Blanche entre 1987 et 1989. Elle s’intéresse plus particulièrement au travail du clown ainsi qu’au théâtre col-lectif qu’elle pratique en montant des spectacles de troupe itinérants, en alternance avec des créations parisiennes contemporaines. Elle est assistante à la mise en scène sur des spectacles de Patrice Kerbtat (Art et Trois versions de la vie de Yasmina Réza, Passions secrètes de Jean-Pierre Amette, Quand elle dansait de Martin Sherman, En attendant Godot de Samuel Beckett), Karel Reisz (Moonlight d’Harold Pinter au Théâtre du Rond-point), Ingmar Bergman (Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman), Jean Danet (CDN Les Tréteaux de France, tous les spectacles entre 1989 et 1998). Elle a notamment mis en scène Sur la route de Madison de Robert James Waller, Sur le Fil de Sophie Forte, Cher Menteur de Jérôme Kilty et Jean Cocteau, La Peau d’un fruit de Victor Haïm (au Théâtre du Rond-Point), La Mouette d’Anton Tchekhov, Les Montagnes russes d'Éric Assous, Splendeur et mort de Joaquin Murieta de Pablo Neruda – dont elle a également fait l’adaptation –, La Boite à outils de Roland Dubillard (dans le cadre du Festival Dubillard au Théâtre du Rond-point en 2004), La Nuit des Rois de William Shakespeare – dont elle a également fait la traduction et l’adaptation –, Accords Parfaits de Louis Michel Colla, Café Chinois d’Ira Lewis, co-mis en scène avec Richard Berry, Des Souris et des hommes de John Steinbeck, 55 Dialogues au carré de et avec Jean-Paul Farré, Histoire d’un Merle Blanc d’Alfred de Musset. Elle coécrit Le Petit Monde de Georges Brassens (en tournée en 1998, puis à Bobino et au Théâtre des Bouffes Parisiens entre 2001 et 2002), puis écrit Querelles pour petits pèlerins, Les petites Étiquettes et Recherche Clown désespérément, pour des travaux d’élèves en 1996.

La pièce vue par son metteur en scène - Entretien avec Anne Bourgeois Comment définiriez-vous l’univers de Roland Dubillard dans Les Diablogues ? Anne Bourgeois : Pour commencer, je dirais que c’est comme un monde parallèle où il n’y a pas de référent psychologique : et pourtant la machine logique de l’écriture est tribu-taire de l’humain, de la personnalité vulnérable et poétique des personnages, de leur propension à se noyer dans le raisonnement philosophique sans jamais rien affirmer, en gardant l’étonnement, et souvent même, l’émotion. C’est un univers qu’il faut comprendre de l’intérieur. L’expression « théâtre de l’absurde » est née dans les années cinquante, lorsqu’on a vu des écrivains mélanger quotidienneté et arrière-plan existentiel. Ce n’est donc pas surprenant que l’on ait envie de voir dans Les Diablogues des traces de Beckett ou d’Ionesco. Chez Dubillard, on a d’abord deux être humains posés sur le plateau qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive : ils n’ont ni destin, ni histoire, ils ne sont pas des héros, ça pourrait être Monsieur Toutlemonde, vous ou moi. Comment aborde-t-on ce genre de dialogue à la fois très serrés et toujours surpre-nants dans leur façon de rebondir là où on ne s’y attend pas et leur acharnement à suivre une logique déviante ? A. B. : Le plus important est de travailler sur l’écoute. Chacun écoute l’autre avec une attention si grande que le problème n’est pas d’avoir raison mais de se sauver de l’abîme du raisonnement. Les personnages se vouvoient ce qui leur donne une certaine élégance mais aussi une certaine rondeur, une ampleur. Et puis, d’un coup, on passe à un phrasé de bistrot. Ça parle comme dans la vie avec des « oui », des « bon », des « hein » ou même des borborygmes. Mais justement l’avantage de travailler ça avec des acteurs comme Jacques Gamblin et François Morel, c’est que pour jouer Dubillard il est indispen-sable d’avoir des comédiens qui possèdent déjà un univers personnel fort, qui savent utiliser cette angoisse adorable qui consiste à parler sans certitudes. Car on a deux per-sonnages qui sont dans la même obsession : celle de comprendre. La difficulté, c’est qu’ils n’ont pas le même système de compréhension du monde : alors leurs échanges peuvent ressembler à des conflits. Pas des conflits de personnes, bien sûr, des conflits métaphysiques ! Où sont-ils, d’où viennent-il ces deux ratiocineurs ? A. B. : Il ne faut surtout pas essayer de les situer, ni géographiquement ni dans le temps. Il faut abandonner toute idée de contexte. À mon avis, plus les deux acteurs sont perdus dans un espace où il n’y a qu’eux et le langage, plus on se rapproche de Dubillard. Car ce qui est extraordinaire, c’est la capacité de l’auteur à faire ressortir de cette étrange mécanique de l’inattendu, de la fragilité, quelque chose de touchant, émouvant et bien sûr tellement drôle.

La pièce et le théâtre vus par l’auteur en 1997 L'absurde, ce n'est pas mon af-faire. Il y a un excès de logique, parfois, dans la vie. Si Camille me voyait... est plus dans le rêve que dans la réalité. Il y a une instabilité de la pièce. C'est un voyage, une odyssée. L'apparence trompe tout le temps. C'est un peu comme ça qu'il faudrait le jouer, mécanique-ment. Si Camille me voyait... à un rapport avec Lewis Carroll. Tar-dieu n'écrivait pas à ce moment-là, c'est plutôt Queneau qui me plai-sait. Il était comme moi, Raymond Queneau, il ne se prenait pas au sérieux, mais son œuvre tient quand même toute seule avec un sens. Je n'ai pas eu de plan pour l'écrire, j'ai commencé au début et ça s'est fait, c'est tout. J'écris pour être joué. Et, même, les pièces que j'ai jouées, pour le plaisir de les jouer. Parfois, c'est tout le con-traire, c'est l'écriture qui m'inté-resse. Dans Olga ma vache, la dernière phrase résume ma façon de voir, elle dit : Les problèmes qui sont des faux problèmes, il faut les résoudre quand même. (La der-nière phrase d'Olga ma vache, texte de 1948, est exactement: J'avais appris à croire que je sa-vais résoudre les faux problèmes, ndlr.) C'est un peu le sens de mon écriture. Il y a un machin qui ne marche pas. Il faut essayer de résoudre la difficulté. Mais elle demeure. On se jette à l'eau, c'est tout, en espérant qu'on pourra na-ger.

Entretien avec M. Lindon paru dans le journal Libération du 23

Oct. 1997

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Pour joindre le service éducatif :

La Comète, Scène Nationale de Châlons en Champagne Direction Philippe Bachman

Service éducatif Pascal Vey, Professeur détaché 5 rue des Fripiers – 51000 Châlons en Champagne

Pascal Vey est présent le mercredi après-midi à La Comète. [[email protected]]

Jean-Michel Talva et Nadia Hmouche vous répondent tous les jours au 03 26 69 50 80

Les Passagers de la Comète – Les Diablogues

CONCEPTION ET RÉALISATION : PASCAL VEY

Un et Deux, décortiquent les phrases, dissèquent les mots et font mouche. L'analyse d'une simple expression déclenche des catas-trophes de malentendus, des cascades de quiproquos, des tonnes de calembours, souvent vertigineux. Ainsi, Les Diablogues sont autant un périlleux exercice de style qu'un profond duo de clowns, gais et tristes, dépassés par le monde qui les entoure, obligés de se raccrocher à une logique qu'ils ne comprennent pas et finalement bien peu compréhensible par quiconque : celle qui confine à l’absurde. Il y faut donc des comédiens aptes à trans-mettre un univers où le corps compte autant que la voix, où la technicité est égale à la sensibilité, où la candeur du regard n'empêche pas les petites colères existentielles. Gamblin et Mo-rel ont en commun le goût du verbe, de la comédie et de l'hu-main. Le théâtre de Roland Dubillard est avant tout un théâtre d’acteurs, avec ce que cela suppose de liberté, d’inventions et d’audaces. Il appartient à ce vécu immémorial des acteurs, qui fait que, de Molière et son Illustre théâtre à Dubillard et ses Dia-blogues, il faut faire place à ce jeu désespéré des plus nobles saltimbanques. Chez Dubillard, les masques de la Commedia dell’arte sont devenus des mots mais ils ont gardé le caractère des masques grecs ou italiens : un voile, un archétype fausse-ment simpliste, juste essentiel et trompeur. Ce théâtre-là ne se réduit donc pas à un discours théorique mais au contraire à une pratique virtuose qui a à voir avec le mime paradoxal : les mots sont donc un geste vide, une coquille vide que nous remplissons sans même y penser. Sans cesse, ils ren-voient à une forme préétablie devenue inapparente par habitude : le langage devient alors absurde tout autant qu’il apparaît bur-lesque. On prétend le langage apte à la métaphysique, propre au concept, et le voilà qui se grime en instrument de la farce bouf-fonne et grimaçante parfois. Et dans cette dualité de la langue de tous les jours soudain travestie et rendue à sa vacuité, le théâtre de Dubillard est regard singulier sur le monde, les êtres et les choses. Ce théâtre, incarné en un être dual et rigolard – incarné par Gamblin et Morel - pense et respire son propre souffle, court après ses propres limites. Ce métalangage si subtil nous fait rire. Le propre de l’homme, c’est de rire croit-on savoir pour ne pas y penser davantage… Rire, soit mais rire de quoi ? De la mécani-sation du vivant comme l’affirme Bergson ? De situations qui nous permettent de nous sentir supérieurs ? Pagnol n’a pas tort, « le désarroi d’autrui prête souvent à rire », son cinéma l’illustre si bien avec Raimu… le pathétique n’est pas loin mais il est bien vite dépassé pour toucher au tragique, ou la dualité du langage le détruit de l’intérieur. Pour mieux entendre cela, pour mieux le goûter, Dubillard nous place face à de très anciennes structures comiques, pérennes et pourtant infiniment variables dans leurs diverses matérialisations. Le comique naît en effet de là, d’un déséquilibre même provi-soire, dans une situation réaliste. Le comique naît, on le sait bien,

Sources : Tous droits réservés

- Libération - Théâtre du Rond Point - Evene.fr - Koikadit.net - Weblettres.net - Guy-Pierre Couleau - Cournot, Dumur - Académie française

souvent d’un décalage, d’une rup-ture d’harmonie dans une situation banale et ce en particulier dans le comique de langage. C’est l’identification, le contournement et le détournement, et finalement la révélation des règles élémentaires d’une conversation ordinaire qui sont le fondement de la structure co-mique du théâtre de Dubillard. Plaçons nos deux personnages face à face. Regardons-les et écoutons-les communiquer. Chez Dubillard, pour que la conversation ait une chance de réussir et de durer, nos

deux cobayes – nommons-les par rigueur pseudo-scientifique 1 & 2 - devront tenter de coopérer et marquer l’un pour l’autre un minimum de respect, disons une qualité d’écoute dont on devine dans le titre qu’ils seront vains. C’est, croit-on, en-seigne-t-on même par une écoute réciproque que le dialogue peut s’instaurer et se construire ; du moins dans ce que l’on croit être la norme. Certes, mais nous sommes-nous assurés que le langage, ce vecteur incontournable, était compris dans les mêmes termes par les deux parties ? Partout ailleurs, la conversation prendrait tournure et se développerait merveil-leusement, sans prêter à rire. Chaque fois que les règles fon-damentales seront transgressées ou, au contraire, appliquées avec zèle, chaque fois donc que l’on s’éloignera de l’intervalle étroit de la normalité, le discours deviendra inadapté et co-mique. Dubillard s’est illustré par cette technique dans la co-médie du langage quand il a pris le parti de substituer des mots à d’autres, tout en gardant la structure de la conversation pour la rendre à première écoute un tant soit peu intelligible. Tout dans le théâtre de Dubillard est ou du moins semble lo-gique : l’histoire qui découle de conflits ou d’oppositions, le discours qui obéit à l’exposition alternée d’arguments, les per-sonnages qui obéissent à certains traits de caractères. Les explications se heurtent pourtant bien vite lorsqu’elles échouent dans leur propre logique qui les épuise, et c’est dans ces moments que le public peut rire sans retenue, sur les er-reurs du raisonnement, pourtant si juste et si pertinent dans sa forme, les digressions interminables, apparemment fondées, les syllogismes - ceux de Rhinocéros ou de Lewis Carroll (La logique sans peine) ne sont pas bien loin - ou les métaphores poussées trop avant, les corrélations abusives, les statistiques non fondées, les associations de causalités inexistantes, le renversement du lien de causalité, l’affirmation erronée posé en axiome, les transitivités non arithmétiques, l’affirmation des

réciproques, la généralisation d’un fait particu-lier... Bref, la famille est grande autour du logi-cien de Rhinocéros, des échanges mondains de la Cantatrice chauve, des échanges vains chez Beckett, de 1 et 2 chez Dubillard… et même du N°6 du Prisonnier incarné par Pa-trick Mac Goohan. Finalement, les Diablogues participent au questionnement très contemporain, renouvelé scientifiquement par Saussure, sur l’arbitraire du signe et le risque de la futilité voire de la vacuité de la communication.

Pascal Vey

Pour une approche de la dualité de la langue dans les Diablogues

Dans Les Diablogues, Roland Dubillard réin-vente à sa façon le dialogue de sourds nous dit la plaquette de La Comète. Obéissant à une logique folle, le langage a largué les amarres. Nous voilà donc face à deux solitaires ferme-ment décidés à ne pas s’entendre, emportés par des mots qui les égarent bien au-delà du raisonnable conventionnel. Bouvard et Pécu-chet des temps modernes, ses deux « héros »,