les mineurs isolÉs face au soupÇon

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LES MINEURS ISOLÉS FACE AU SOUPÇON Julien Bricaud GISTI | « Plein droit » 2006/3 n° 70 | pages 23 à 27 ISSN 0987-3260 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-plein-droit-2006-3-page-23.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Julien Bricaud, « Les mineurs isolés face au soupçon », Plein droit 2006/3 (n° 70), p. 23-27. DOI 10.3917/pld.070.0023 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour GISTI. © GISTI. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.83.253.190 - 22/09/2015 16h20. © GISTI Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.83.253.190 - 22/09/2015 16h20. © GISTI

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LES MINEURS ISOLÉS FACE AU SOUPÇONJulien Bricaud

GISTI | « Plein droit »

2006/3 n° 70 | pages 23 à 27 ISSN 0987-3260

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-plein-droit-2006-3-page-23.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Julien Bricaud, « Les mineurs isolés face au soupçon », Plein droit 2006/3 (n° 70), p. 23-27.DOI 10.3917/pld.070.0023--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Plein droit n° 70, octobre 2006 Page 23Le travail social auprès des étrangers

Parce qu’il est nouveau – danssa forme actuelle, le phénomènen’a guère plus de dix ans – lepublic des mineurs étrangersisolés ne fait pas encore l’objetd’enseignements spécifiques dansles centres de formation de tra-vailleurs sociaux. La question peutêtre abordée d’un point de vuejuridique (principalement en cequi concerne l’entrée et le séjoursur le territoire). Elle peut aussil’être sous l’angle « interculturel ».Toutefois, pour comprendrecomment l’arrivée de ces jeunesinflue sur les pratiques habituellesdes travailleurs sociaux, il fautrésister, je crois, à une lecturefondée sur les différences qu’ilsprésentent (leur langue, leur

Les mineurs isolésface au soupçon

Julien BricaudEducateur spécialisé(1)

Avec les mineurs isolés, les professionnels de la protection de l’enfancehabitués à travailler auprès des mineurs en danger dans leur milieufamilial sont face à un public nouveau : les mineurs étrangers en dangerhors de leur milieu familial. La méconnaissance de ce public est génératriced’un soupçon permanent de fraude, de manipulation, qui mine de l’intérieurla relation de confiance entre professionnels et jeunes étrangers.

culture…), et préférer s’intéresseraux conditions dans lesquellesnous les accueillons.

Le constat des professionnelsest à peu près unanime : un soup-çon persistant entoure l’accueil etla protection des mineurs isolés.Le soupçon se focalise notammentsur les mensonges constatés ousupposés tenus par les jeunesétrangers isolés aux travailleurssociaux.

De quels mensonges s’agit-il ?Ces mineurs mentiraient sur leurâge. Nombreux sont les jeunesqu’on soupçonne d’avoir un âgedifférent de celui qu’ils annon-cent. Documents d’état civilabsents ou insatisfaisants, signesextérieurs de maturité… nourris-sent les soupçons des travailleurssociaux sur l’âge réel de certainsmineurs dont ils ont la charge. Cesmineurs mentiraient sur leurisolement. De nombreux jeunes seprésentent comme « orphelins » et

expliquent que leurs parents sontmorts. Et puis, régulièrement, oncomprend qu’il n’en est rien.D’autres mensonges s’insinuentégalement entre les jeunes et lesservices sociaux : fausses nationa-lités, faux noms, faux récits devie, etc. Voilà qui finit par donnerdes histoires qui se ressemblentparfois les unes les autres : « Jesuis fils unique, j’ai quinze ans, jeviens d’un pays en guerre, je n’aipas de famille, mes parents sontdécédés brutalement. »

Parallèlement au discours surle mensonge, le discours de la« manipulation » est aussi trèsprésent chez les professionnels.Ces derniers soupçonnent souventles mineurs isolés d’être manipuléset parfois manipulateurs. Mais ladéfiance se développe aussi dansl’autre sens, des jeunes vers lesprofessionnels. Les mineurss’interrogent sur le rôle des tra-vailleurs sociaux. Ils ne compren-

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nent pas toujours la fonction de« protection de l’enfance » : dequoi s’agit-il au juste si ce n’estpas de fournir un hébergement etdes papiers ? En somme, lesjeunes étrangers isolés mentiraientet cacheraient des informationssur leur situation pour avoir droità une aide.

Du doute à la suspicionde culpabilité

Bien souvent, donc, le soup-çon domine la rencontre entretravailleurs sociaux et jeunesétrangers isolés. Mais que faut-ilentendre par soupçon ? Le soup-çon est un spectre d’attitudesdiverses : au sens le plus faible, ilest une simple incertitude quant àla vérité, il a alors le sens de douteraisonnable comme dans la démar-che scientifique par exemple. Maisla notion de soupçon peut aussialler jusqu’à une suspicion deculpabilité sans preuves tangibles :« S’il nous cache quelque chose,c’est qu’il est coupable d’actesmalhonnêtes. » La difficulté detravailler avec le soupçon résidedans le caractère potentiellementglissant du doute légitime à lasuspicion de culpabilité.

Le soupçon a des conséquen-ces multiples dans l’accompagne-ment des jeunes. Au niveau éduca-tif d’abord, le soupçon commeprésomption de culpabilité peutentraver le processus éducatif enfavorisant la projection de repré-sentations négatives sur le jeuneaccompagné. Obstacle à la mise enconfiance, le soupçon semblebarrer la possibilité d’un accom-pagnement à long terme. Entermes d’application de la loi, il aaussi des conséquences plusgraves encore. Certains profes-sionnels d’établissements d’ur-gence refusent d’accueillir unjeune qu’on soupçonne de mentir.D’autres fois, ce sont des disposi-

tifs juridiques entiers qui ne sontpas appliqués pour ce mêmemotif. Certains services de l’Aidesociale à l’enfance (ASE) expli-quent que l’article 223-2 du codede l’action sociale et des famillesqui organise le recueil provisoired’un mineur sans représentantlégal n’est pas appliqué de peurque tous les jeunes concernésracontent la « même histoire ».

Soupçons et mensongesminent de l’intérieur une relationde confiance. Ils sont une épreuvepour les professionnels travaillantavec les mineurs isolés. Pour sedéfaire du soupçon, il est insenséde prétendre lever tous les malen-tendus (il en restera toujours),tout comme il est vain de chercherà tout savoir des mineurs qu’onaccompagne. Il est sans doute plusintéressant pour les professionnelsde soupçonner le soupçon lui-même.

Les discours sur les menson-ges des usagers et la crainte de lamanipulation ne sont pas spécifi-ques aux mineurs isolés. Onsoupçonne ainsi fréquemment lesmères célibataires de cacherl’existence d’un conjoint pourbénéficier de l’allocation parentisolé. De même, les gens duvoyage ou les personnes toxicoma-nes sont traditionnellement consi-dérés comme des menteurs horspair face aux services sociaux.L’enjeu sous-jacent de tellesqualifications est de contrôler lesdéclarations des usagers pourrépondre aux situations de fraudespossibles.

Que les professionnels aientdes représentations négatives desmineurs isolés peut paraîtreétonnant au premier abord. Leurpremière impression est souventtrès positive : c’est un plaisir detravailler avec ces jeunes globale-ment faciles à mobiliser pour unprojet d’insertion et forts denombreuses ressources. Alors

pourquoi le soupçon est-il aussitenace dans leur cas ? S’occuperde mineurs isolés est vécu parcertains comme une « surcharge »de travail. Une telle missioninquiète et entraîne parfois la peurd’abandonner la mission tradition-nelle de protection des enfants endanger du secteur local. Lesdébats qui traversent l’institutionjudiciaire sur la nature et la réalitédu « danger » encouru par lesmineurs étrangers isolés n’épar-gnent pas les travailleurs sociaux.Des professionnels font ainsivaloir que leur « métier » est laprotection de l’enfance « tradi-tionnelle » – mineurs maltraités,en rupture familiale et/ou délin-quants. Cet argument exclut lesmineurs étrangers isolés de lacatégorie d’enfants « en danger ».Ces résistances témoignent de lacrainte de certains professionnelsde s’installer durablement dans laprise en charge des mineursétrangers isolés.

Cette inquiétude pourrait biend’abord résulter d’un environne-ment de travail nouveau. Lesprofessionnels de la protection del’enfance sont amenés à travailleravec des institutions qu’ils nefréquentent pas habituellement :préfecture, OFPRA (Office fran-çais de protection des réfugiés etapatrides), Direction du travail,juge des tutelles, ambassades,consulats, associations d’aide auxétrangers, avocats, interprètes…

Obstacles administratifset incertitudes juridiques

L’apprentissage de la coopéra-tion avec ces partenaires se faitprogressivement : il faut se for-mer, supporter les files d’attentepropres aux institutions chargéesdes étrangers, se convaincre queles tâches administratives ne sontpas une perte de temps… Pourcertaines décisions, les partenaires

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sont moins nombreux que pour lesautres jeunes accueillis : familleabsente, aucun référent à l’ASE encas de placement direct. Lesprofessionnels sont confrontés àune solitude parfois dangereuse :alors que la réponse à une agres-sion grave est habituellementl’exclusion de l’établissement, quefaire quand il s’agit d’un mineurétranger isolé pour lequel on saitque le juge ou l’ASE ne proposeraaucun placement alternatif ?

De plus, les obstacles adminis-tratifs sont multiples : proximitéde la majorité, état civil inconnu,mise en place d’une couverturesociale, difficulté voire impossibi-lité de scolarisation, régularisationaléatoire... Les incertitudes juridi-ques pèsent sur l’organisationd’un parcours d’intégration desmineurs et fragilisent les tra-vailleurs sociaux qui s’insurgentcontre le « bricolage » permanentauquel ils sont contraints. Lesservices sont également démunisface aux dangers objectifs quipèsent sur certains jeunes mena-cés par leur passeur ou des ré-seaux divers.

Ce contexte concourt à placerles travailleurs sociaux chargés defaire appliquer la loi dans uneinsécurité juridique propice à despratiques disparates. Confrontés àla pénurie des places disponiblesdans les établissements, à desobstacles administratifs et juridi-ques multiples, aux incertitudessur l’avenir des jeunes à leurmajorité, les travailleurs sociauxfont l’expérience d’une certaineimpuissance auprès des jeunesétrangers. Définition fluctuante,conditions de travail nouvelles, lesprofessionnels peinent parfois àne pas attribuer les difficultés auxmineurs eux-mêmes : « Ces jeunesont-ils bien leur place dans unfoyer ? S’il n’y a pas de place pourles accueillir, c’est peut-être qu’ilsn’en ont pas vraiment besoin ? »

Bien entendu, tous les mineursisolés ne font pas l’objet d’un telquestionnement. On acceptefacilement la présence de certainsalors que les interrogations se fontplus nombreuses pour d’autres.Dans le discours des profession-nels, on distingue parfois lesbonnes et les mauvaises raisons devenir en France et d’être pris encharge par les services sociaux.Certaines catégories sont plustouchées que d’autres : la protec-tion des garçons peut être plusdifficile à garantir que celle desfilles, traditionnellement perçues

plus il en arrivera » est loin d’êtrefondée : elle ignore que notreterritoire n’est pas toujours ladestination prévue initialement,que l’objectif de bon nombre dejeunes en arrivant n’est pas de« bénéficier » de nos institutionséducatives mais surtout de tra-vailler pour rembourser la dettecontractée afin de financer leurpassage en France, bref que laFrance et les avantages supposésde sa protection sociale ne sontpas les motifs du départ.

La peur d’être manipulé

Comment comprendre lesuccès de cette théorie auprès destravailleurs sociaux ? D’une part,par-delà un contenu approximatif,elle réveille des peurs profondes.À commencer par la peur d’êtreinstrumentalisé par les mineurseux-mêmes ou par les réseaux quiles aident à passer en France. À lapeur d’être manipulé, on peut sansdoute ajouter la colère qui naît dusentiment de trahison ressenti parcertains professionnels lorsqu’ilsapprennent que des jeunes qu’ilsaccompagnent ne sont pas isoléssur le territoire français ou bienqu’ils sont bien plus âgés que cequ’ils ont d’abord indiqué.

Autre sentiment en jeu : il nefaut surtout pas perdre la facedevant les usagers. En étantrigoriste dans l’application de laloi et en accordant peu de créditaux informations qu’on ne peutpas vérifier, on s’assure par avancede ne surtout pas « se faireavoir ». Au fond, c’est la peurd’être dupe qui domine. Maisdupe de quoi ? Est-ce que celaremet en question la réalité dudanger que rencontrent ces jeu-nes ?

Un tel constat implique plu-sieurs réponses. Une réponsethéorique pour commencer : il esturgent de s’interroger sur la

» Les incertitudesjuridiques pèsentsur l’organisationd’un parcours d’in-tégration des mi-neurs et fragilisentles travailleurs so-ciaux qui s’insur-gent contre le « bri-colage » perma-nent auquel ils sontcontraints.

comme plus vulnérables et plusdignes de protection. La présencedes réfugiés politiques apparaîtégalement plus légitime que celledes migrants économiques confor-mément à une hiérarchie persis-tante des représentations dumigrant.

Au-delà des conditions detravail, d’autres discours viennentfonder le soupçon à l’égard desmineurs isolés. Héritière d’unvieux débat public, la théorie del’« appel d’air » sert de caution àceux qui rechignent à accueillir lesmineurs isolés. Or, l’idée selonlaquelle « plus on en accueille,

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nature des mensonges des mineursisolés. Ils ne doivent pas êtreconfondus avec une quelconquemythomanie ou avec toute autrepathologie semblable. Dans uncontexte incertain, ces mensongesconstituent pour les jeunes lesseules solutions disponibles pours’assurer une prise en chargesociale. Réponse pragmatiqueensuite ; l’apparition de discourssur les mensonges des jeunes doitfonctionner comme un signald’alerte dans les institutions pourveiller à ne pas glisser d’un douteraisonnable quant à la vérité à unesuspicion de culpabilité.

Le soupçon perturbe la rela-tion éducative et demande auxprofessionnels d’adapter leurspratiques de manière spécifique.Cela demande de mettre en ques-tion une pédagogie fondée surl’aveu. Bien que tout le mondes’en défende, cette pédagogiereste très présente. Qu’on pensepar exemple aux entretiens menésdans le but de faire avouer àl’autre qu’il a tort. Cette manièrede faire implique que tous lesproblèmes sont du côté des jeuneset toutes les solutions du côté desprofessionnels. Or, en matière demensonges, les mineurs isolés sontparfois contraints de mentir enraison de la manière dont fonc-tionne leur prise en charge.

Instaurer un espacede sécurité et de confiance

Il n’est jamais facile de sedéfaire de l’obsession de l’aveu.En travail social, la fournitured’un service implique que ledestinataire se confie un peu, oumême beaucoup. En contrepartiede l’aide accordée, une attente sedéveloppe à l’égard de l’usager àqui on demande de « collaborer »à sa prise en charge. Cette contre-partie sous forme de discourspartagés avec les professionnels

est très sensible quand on dit auxjeunes « ici ce n’est pas un hô-tel », ce qui sous-entend « tu esaussi là pour parler avec nous,pour collaborer avec nous ». A lapersonne qui paraît nous cacherquelque chose, il faut pouvoirassurer que l’offre d’aide n’est pasliée à la vérité des discours qu’ellepeut tenir. On n’accompagne pasles personnes parce qu’elles nousdisent la vérité mais parce qu’ellesy ont droit.

Vis-à-vis des mineurs isolés,l’obsession des papiers occultebien souvent tout autre objectiféducatif. Pourtant, il est essentielde résister à la pression adminis-trative et de s’autoriser à faireautre chose que de les interrogersur leur âge et sur leur isolement.Davantage qu’un espace de vérité,il s’agit d’instaurer un espace desécurité et de confiance entrejeunes et éducateurs.

Pour nouer une telle relation,les éducateurs disposent de nom-breuses possibilités. Ils peuvents’appuyer sur les outils que leurfournissent différentes traditionséducatives : travailler avec lesgroupes pour apaiser la violenceparfois sous-jacente à une relationduelle, développer le jeu pourredonner du mouvement à despostures figées, sortir, aménagerdes circonstances nouvelles poursusciter des comportementsinédits, développer les médiationsartistiques, travailler en directiondes parents y compris quand ilssont absents, reconnaître les liensd’appartenance dans lesquels lesjeunes ont grandi, chercher àsoulager les conflits de loyauté…

Que reste-t-il alors de lavérité ? L’a-t-on perdue en route ?« On ne peut pas travailler si onne connaît pas leur histoire »,entend-on souvent à propos desmineurs étrangers. Accéder à lamémoire est sans doute primor-dial, mais il ne faut pas compren-

dre ce besoin au sens littéral etplutôt parler d’accès à une his-toire des affects et des sentimentsressentis.

Face au soupçon et au men-songe, il nous appartient de con-cevoir des interventions à distance,respectueuses du secret auquel lesmineurs isolés sont tenus. Lemensonge n’est jamais que lasolution provisoire qu’une per-sonne trouve pour répondre à unesituation donnée. Faire évoluercette solution vers des pratiqueset des normes socialement mieuxacceptées, voilà peut-être la tâchedes éducateurs.

*Julien Bricaud est l’auteur de Mineursétrangers isolés, l’épreuve du soupçon(Vuibert, collection Perspectives sociales,2006).

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Guerre aux migrantsLe livre noir de Ceuta et MelillaMigreurop

Il y a un an, plus de quinze personnes ont été tuéespour avoir voulu franchir la seule frontière terrestrequi sépare l’Afrique de l’Europe. Les semaines sui-vantes ont été marquées par une répression violente– rafles, déportations dans le désert, expulsions col-lectives – à l’encontre d’exilés, demandeurs d’asile etréfugiés, qu’ils soient en transit ou installés au Maroc.C’est l’histoire et la parole de ces victimes anonymesque souhaite restituer le Livre noir de Ceuta et Me-lilla. Ces exilés, dont beaucoup luttent aujourd’huipour la reconnaissance de leurs droits sont en effetretombés dans l’oubli. Les promesses de « plan Mars-hall pour l’Afrique » n’ont eu aucune retombée surles politiques dites d’aide et de développement. Laseule conséquence concrète des nouvelles coopéra-tions euro-africaines consiste en un renforcement desmurs et moyens militaires destinés à barricader uneEurope qui veut choisir et trier ses immigrés quitte ànier les droits et besoins des candidats au départ.Les migrants sont aujourd’hui contraints à des voya-ges toujours plus longs et dangereux et, ces derniersmois, les centaines de boat-people qui meurent enchemin vers les îles Canaries se sont ajoutés à ceuxqui n’ont jamais pu franchir les déserts.Le livre noir de Ceuta et Melilla veut contribuer àdémontrer que, en refusant de prendre en comptedes interdépendances et de respecter les valeursqu’elle s’est elle-même données, l’UE applique, enmatière d’asile et d’immigration, une politique mor-telle pour les migrants et mortifère pour les démo-craties européennes.

Téléchargeable (104 p. – 1,4 Mo) à l’adresse suivante :www.migreurop.org/IMG/pdf/livrenoir-ceuta.pdf

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