les littératures nordiques

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Solaire, Les littératures nordiques Un inédit de Strindberg M 02049 - 506 - F: 6,00 E

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Le Salon du livre met à l’honneur le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède.

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Solaire,

Les littératures nordiques

Un inédit de Strindberg

M 02049 - 506 - F: 6,00

E

3 Éditorial

Mars 2011 | | Le Magazine Littéraire

Édité par Sophia Publications74, avenue du Maine, 75014 Paris.Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94Courriel : [email protected] : www.magazine-litteraire.com

Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10Tél. - France : 01 55 56 71 25Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25Courriel : [email protected] France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €.Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter.

Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom.

RédactionDirecteur de la rédactionJoseph Macé-Scaron (13 85)[email protected]édacteur en chef Laurent Nunez (10 70) [email protected]édacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) [email protected] éditorial Alexis LacroixChef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93)Conception couverture A noirConception maquette Blandine PerroisDirectrice artistique Blandine Perrois (13 89) [email protected] photo Michel Bénichou (13 90) [email protected]/éditrice web Enrica Sartori (13 95) [email protected] Valérie Cabridens (13 88)[email protected] Christophe Perrusson (13 78)Directrice administrative et financièreDounia Ammor (13 73)Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49)

Marketing directGestion : Isabelle Parez (13 60) [email protected] : Anne Alloueteau (54 50)

Vente et promotionDirectrice : Évelyne Miont (13 80) [email protected] messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74)Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31

PublicitéDirectrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96)Publicité littéraire Marie Amiel - responsable de clientèle (12 11) [email protected]é culturelle Françoise Hullot - responsable de clientèle (12 13) [email protected]

Service comptabilité Marie-Françoise Chotard (13 73) [email protected]

Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie.

Commission paritairen° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807

Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.Copyright © Magazine LittéraireLe Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros.

Président-directeur général et directeur de la publicationPhilippe ClergetDépôt légal : à parution

Par Joseph Macé-Scaron

U ne charge héroïque : c’est la pre-mière idée qui vient en lisant l’essai de Robert Darnton, Apologie du livre . Le directeur de la biblio-thèque universitaire de Harvard

mérite pourtant que l’on dépasse cette impression. Avec une érudition élégante, il nous montre com-bien la connaissance de l’histoire du livre éclaire le devenir de l’imprimé. Il souligne aussi combien Google – en dépit des prétentions les plus utopiques de ses adeptes – est incapable de mettre en ligne tous les livres existants. « Qu’im-porte ! nous diront les optimistes (au sens bernanosien du terme), il faut bien faire un tri ! » Mais sur quoi reposerait alors le choix effectué ?

D arnton déplore la difficulté dans laquelle nous nous trouvons de nous procurer les romans du

marquis de Pelleport . Ses violentes satires des mœurs mériteraient pourtant une place importante dans la littérature du XVIIIe siècle – une place qu’Internet lui refuse. En revanche, il est plus aisé de commander sur le Net Science et style de l’abbé Théophile Moreux. Ce sympathique ecclésias-tique qui s’est fait une pelote de petite gloire pour ses travaux de vulgarisation scientifique (une tren-taine d’ouvrages) a aussi produit ce traité « contenant des précieux conseils à un jeune écrivain ». L’écrivain Philippe Barthelet note dans son Baraliptons que le prêtre cloue au pilori Saint-Simon pour son portrait de Nicolas Potier de Novion, personnage louche et grotesque de la Cour : « Lorsqu’on a commis une phrase à la Saint-Simon, conseille notre abbé, le mieux est de la refaire en la coupant. »Nombreux sont les critiques qui ont établi des filia-tions entre Saint-Simon et Proust – qui, lui aussi, devait désespérer l’abbé Moreux. Mais personne ne l’a fait comme Joseph Czapski. Il faut lire Proust contre la déchéance , un livre constitué de confé-rences improvisées entre 1941 et 1942 par cet artiste polonais devant ses camarades prisonniers du camp soviétique de Griazowietz. Là, dans un baraquement où régnait un froid qui descendait jusqu’à - 45 °C, Czapski parlait de Proust et de sa chambre sur-chauffée aux murs de liège. Là, des hommes réduits au plus grand dénuement écoutaient avec passion le

récit de la mort de Bergotte, sans se poser la question de la mort du livre. Czapski voyait juste. Il était moins bouleversé par l’épisode de la madeleine que par cet instant où le narrateur pose les pieds sur des dalles iné-gales à l’entrée de l’hôtel de Guermantes. Il y voyait le propre basculement de Proust, le moment où ce dernier décidait que sa vraie vie était dans son œuvre.La fascination pour l’édition numérique, qui a masqué parfois les belles avancées du livre audio , a connu une phase d’enthousiasme, puis une période de désil-

lusion, avant de tomber dans un pragmatisme pous-sif. Et nous sommes parfois aussi craintifs de révéler notre amour pour l’objet livre que l’était Mme de Cambremer d’avouer son goût pour Poussin.

R elevons juste que le portail de Google n’est pas l’entrée de l’hôtel de Guermantes. Oh, il est sûr qu’aucun pavé ne dépasse. Pelle-

port et Moreux s’y trouvent (presque) à même niveau. On ne trébuchera pas en franchissant le seuil. Aucun basculement ne s’opérera en nous dans ce monde lisse, sans aspérité ni perspective. Et il ne viendra à l’idée de personne de considérer que sa vraie vie est dans son œuvre. Vraiment, les livres mé-ritent encore toute notre attention. Comme le disait Mme de Cambremer dans Sodome et Go morrhe, en parlant des tableaux de Poussin : « Il faudra que je les revoie »… [email protected]

Apologie du livre. Demain, aujourd’hui, hier, Robert Darnton, traduit de l’anglais (États-Unis) par J.-F. Sené, éd. Gallimard, « NRF Essais », 218 p., 19 .

Saluons la réédition au Mercure de France, dans la collection « Le Temps retrouvé », des Bohémiens, le chef-d’œuvre du marquis de Pelleport, préfacé par… Robert Darnton.

Proust contre la déchéance. Conférences au camp de Griazowietz, Joseph Czapski, éd. Noir sur Blanc, 94 p., 16 .

Voir notre enquête p. 8-11.

À l’entrée de l’hôtel de Guermantes

Nous sommes parfois aussi craintifs de révéler notre amour pour l’objet livre que l’était Mme de Cambremer d’avouer son goût pour Poussin.

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Mars 2011 | | Le Magazine Littéraire

Le cercle critique

André Gide

André Gide ou la Tentation nomade

Enquête

Jeu-concours

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n° 506 mars 2011Sommaire

145240 Cahier critique : Aimé Césaire lu par Papa Samba Diop. Dossier : Les littératures nordiques. La vie des lettres : Calmann revit.

En couverture : Signe et Henriette (les sœurs de l’artiste) lisant un livre, par Carl Christian

Constantin Hansen, 1826. Nordiska Museet, Stockholm/The Bridgeman Art Library. © ADAGP-Paris 2010 pour les œuvres de ses membres reproduites à l'intérieur de ce numéro.

Abonnez-vous page 95

Ce numéro comporte 3 encarts : 1 encart abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique, 1 encart Robert Fourt et 1 enveloppe Studio Ciné Live sur une sélection d’abonnés.

Ian McEwan publie Solaire, farce noire inspirée par les paradoxes du réchauffement climatique.

Critique p. 24 et grand entretien p. 100.

L’actualitéL’éditorial de Joseph Macé-ScaronContributeursEnquête Livres audio : le grain de la voixLa vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois

Le cahier critiqueFiction

Ian McEwan, SolaireJérôme Garcin, OlivierBruno Smolarz, Hokusaï aux doigts d’encreFrédéric Berthet, Daimler s’en vaYannick Haenel, Le Sens du calmeNikolaj Frobenius, Je vous apprendrai la peurPeter Ackroyd, Les Carnets de Victor FrankensteinSerge Doubrovsky, Un homme de passageGlenn Taylor, La Ballade de Gueule-Tranchée

PoésieKenneth White, Les Archives du littoral

Non-FictionPapa Samba Diop, La Poésie d’Aimé CésaireMireille Huchon, RabelaisMichel-Ange, Carteggio. CorrespondanceFrançois Jullien, Philosophie du vivreJacob Rogozinski, Guérir la vie. La Passion d’Antonin ArtaudStanley Cavell, Philosophie des salles obscures

Cornelius Castoriadis, Thucydide, la force et le droit

Le dossier Les étoiles du Nord

dossier coordonné par Augustin Trapenard Fendre la glace des clichés, par Régis Boyer Chronologie Nul maître en Arctique, par Jørn Riel Ces femmes invisibles,

par Steinunn Sigurðardóttir Qu’est-ce qu’un écrivain multiculturel ?

par Jonas Hassen Khemiri Cartes de l’identité, par Monika Fagerholm Les langues nordiques, par Jean Renaud Cours particuliers, par six traducteurs Des États-providences pour les auteurs,

par Éric Eydoux Polar : les enfants de Sjöwall et Wahlöö,

par Philippe Bouquet Un genre lucide ou nostalgique ?

par Marc de Gouvenain Enquêtes chamanes, par Torfi H. Tulinius Retour à l’envoyeur, par Nils C. Ahl Pôles magnétiques, par Antoine Jacob Cinq grandes figures nationales Un chœur féminin, par Elena Balzamo La littérature jeunesse,

par Annelie Jarl Ireman L’humour à froid, par Gérard Meudal Écrivains voyageurs, par Annie Bourguignon Entretien avec Per Olov Enquist Nouveautés, par Bruno Sagna

Le magazine des écrivains Inédit Salles gothiques, d’August Strindberg Archétype L’enfant dehors,

par Maylis de Kerangal Admiration Bergson, par Frédéric Worms Grand entretien avec Ian McEwan Le dernier mot, par Alain Rey

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Dossier : Milan Kundera

8 Enquête

Le Magazine Littéraire | | Mars 2011

I l se peut que la littérature soit l’affaire des solitaires et des taciturnes. « In angulo cum libro » (« dans un coin avec un livre »), lit-on chez Umberto Eco (dans Le Nom de la rose) comme chez Pascal Quignard (dans Les Ombres

er rantes). Mais cette ancienne devise n’est plus très vraie, à l’heure d’Internet et du livre audio. L’ère mo-derne des lettres n’est plus celle du silence. Tentons un panorama des multiples façons d’écouter la litté-rature, qui in duisent autant de perceptions différentes des textes. « Déesse, chante-nous la colère d’Achille » : les premiers mots de la littérature occidentale ont été dits et entendus bien avant d’être écrits et lus. En évo-quant d’emblée le chant, ils rappellent que la littéra-ture fut d’abord sonore. De gestes en cantilènes, elle le demeura, alors même que, dans le sillage de l’écri-ture, apparaissait cette pratique qui émerveilla saint Augustin quand il vit Ambroise de Milan s’y adonner : celle de la lecture muette, qui se généraliserait quand l’alphabétisation aurait multiplié les lecteurs, l’impri-merie les livres, que le roman serait devenu le genre roi… Ensuite ? La modernité aurait-elle fait entrer la littérature – poésie et théâtre exceptés – dans une ère de silence absolu ? Vu de loin, cela paraît vrai ; de plus près, il n’en est rien : un peu partout, des signes té-moignent que la littérature s’entend toujours, et que le livre n’est plus le seul moyen de l’aborder.

Sites, ondes et MP3 La voici sur scène : portées par le succès des spec tacles de Fabrice Luchini, les lectures publiques sont deve-nues les figures imposées de toute manifestation lit-téraire, et certaines, comme Le Marathon des mots, s’y dédient presque entièrement. La voici sur Internet, où fleu rissent des sites comme Litterature audio.com, qui propose gratuitement des lectures faites par ce qu’on appelle des « donneurs de voix ». Sur le site du Collège de France, on peut retrouver des conférences en téléchargement libre et écouter sur son lecteur MP3 – dans le bus, dans le métro ! – les analyses passion-nantes de Michel Zink, par exemple, sur « les récits médiévaux de l’abaissement ». Ajoutons que la littéra-ture résonne toujours sur les ondes : les fictions radio-phoniques, ces pièces de théâtre sonores qui vissaient les Français des années 1950 à leurs postes, se sont largement modernisées. Elles occupent toujours sept heures d’antenne hebdomadaires sur France Culture, comme le rappelle Blandine Masson, responsable de

Le grain de la voixLivres audio, fictions radiophoniques, cours et conférences téléchargeables… De plus en plus répandus, ces divers supports proposent d’expérimenter autrement la littérature.Par Alexis Brocas, illustration Hélène Perdereau pour Le Magazine Littéraire

ce département, par ailleurs premier employeur de comédiens en France. Signe des temps, Olivier Poivre d’Arvor, nou-veau directeur de la station, en annonce encore davantage : cet été, plus de trente romanciers seront conviés à lire des extraits de leurs prochains ouvrages – qui paraîtront à la rentrée littéraire. Ces lectures radio phoniques ne sont pas l’apéritif avant le repas : elles sont un autre repas, qu’on savoure différemment.Il en va de même pour le livre audio – lecture enre-gistrée d’un roman par un comédien ou, plus rare-ment, par l’auteur –, qui connaît un développement illustrant à lui seul le regain de la littérature sonore. Selon Aurélie Kieffer, jeune fondatrice du prix Lire dans le noir, il semble libéré du préjugé qui le desti-nait d’abord aux malvoyants. Même s’il ne représente encore que 1 % du marché de l’édition, « il permet de faire vivre une vingtaine d’éditeurs », comme l’indique Patrick Frémeaux, directeur de Frémeaux & Associés. Du reste, les éditions sonores ont appris à se faire connaître des traditionnelles maisons d’édition – quand elles n’ont pas été créées par celles-ci –, et l’offre de livres audio suit de plus en plus près l’actua-lité des parutions papier. Jusqu’à s’y confondre : le prochain roman du Suédois Johan Theorin (Le Sang des pierres) paraît simultanément en livre et en CD. Autre symptôme de cette évolution, les auteurs, tels Régis Jauffret (Microfictions), Alain Mabanckou (Demain j’aurai vingt ans) ou Jean Echenoz (Courir), se font de plus en plus souvent leurs propres interprètes. En outre, la lecture, autre-fois perçue par les comé-diens comme un exer-cice aride et austère, désormais les séduit : aux précurseurs – Denis Podalydès, Charles Berling, André Dussollier, Jacques Bonnaffé – s’ajoutent de nouveaux noms souvent prestigieux – Sara Girau-deau, narratrice de Bonjour tristesse, ou encore l’ac-trice culte Christine Boisson, qui vient d’enregistrer Le Cœur régulier d’Olivier Adam. Ce regain de la littérature sonore doit être loué pour une raison évidente : en sollicitant l’ouïe plutôt que la vue, celle-ci déplace notre appréhension du texte et ainsi nous apprend toujours autre chose, même

La fameuse écriture blanche deCamus ? Écoutez la lecture qu’il fait de L’Étranger, écoutez le souffle et les ors de cette poésie en prose !

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révélateur. Si la lecture est réussie, un petit miracle se produit : celui de faire surgir des éléments du texte que seul votre inconscient avait jusqu’alors perçus.Jeudi 9 décembre 2010. Une foule se presse entre les rayons boisés de la librairie germanopratine L’Écume des pages pour écouter Bernadette Lafont et Michael Lonsdale. La lecture est essentiellement consacrée à Proust, et un peu à Barbey d’Aurevilly ; pourtant le public s’esclaffe comme devant Molière, s’amusant

s’agissant d’une œuvre que nous pensions connaître parfaitement. Vous voyez encore le style du Camus de L’Étranger comme un exemple d’écriture blanche ? Écoutez la lecture qu’en fait son auteur (aux éditions Frémeaux & Associés), et la blancheur que vous prê-tiez au style se teindra des ors de la poésie en prose. « Par ses inflexions, Camus nous indique comment comprendre son œuvre », explique Patrick Frémeaux. Certes, mais la voix de l’auteur n’est pas le seul

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Le Magazine Littéraire | | Mars 2011

qui ne devait être qu’un « travail d’appoint » aux éditions du Sagittaire. Les débuts d’Olivier Cohen dans l’édition : « J’ouvrais la porte aux visiteurs, je répondais au téléphone, je corri-geais les épreuves d’auteurs excentriques comme Bukowski… Et il fallait se rendre à l’évidence, cela me plaisait ! » Puis Claude Du-rand lui propose la direction de la collection « Mazarine » chez Fayard. Une initiation à l’édition dans les règles de l’art. Qui lui per-met une rencontre décisive, à New York. L’anecdote est connue – elle pourrait ap-partenir aux « Belles Histoires de l’édition contemporaine » –, on ne se lasse pas de l’en-tendre : « C’était un jour de violente tempête. J’étais entré dans une librairie de Manhattan pour m’abriter. Une heure plus tard, je relevai la tête et me rendis compte que le soleil était réapparu et que j’avais dévoré un recueil de nouvelles jusqu’à la dernière ligne. À Paris, j’ai dû annoncer, fébrile, à mon directeur que j’avais acheté les droits de tous les livres d’un inconnu. » Un certain Raymond Carver… À

D irecteur des célèbres éditions qui portent son prénom, Oli-vier Cohen a une expression pour définir son métier et la passion qui s’y confond :

« polyglotte littéraire ». D’ailleurs, ses bureaux, au cœur du Quartier latin – et à bonne dis-tance du Seuil, la maison mère –, semblent bien une sorte de loft new-yorkais, situé à la croisée imaginaire du boulevard Montpar-nasse et de la Cinquième Avenue de Manhat-tan. Le dépaysement gagne aussi celui qui écoutera cet éditeur historique évoquer ses périples littéraires. Olivier Cohen, homme aux origines multiples – des grands-parents venus de Czernowitz, en Roumanie, une mère viennoise, un père algérien, des oncles et tantes anglais –, n’a eu pour guide qu’un seul amour : celui, éperdu, de la lecture.En 1969, Olivier Cohen, jeune normalien anarchiste, féru de rock et de contre-culture américaine, refuse d’exercer le moindre mé-tier qui l’éloignerait des livres : « Je pensais donc que le mieux serait de ne pas travailler. » Très vite pourtant, deux éditeurs, Gérard Guégan et Raphaël Sorin, lui pro posent ce

éditionVingt ans et toutes ses feuillesÀ l’occasion de l’anniversaire des éditions de L’Olivier, Olivier Cohen revient sur ses débuts et sur ses auteurs fétiches.

Olivier Cohen, « polyglotte littéraire » et directeur des éditions de L’Olivier.

la même période, un agent lui fait parvenir le premier roman de Jay McInerney. « Dès les cent premières pages, ce fut le coup de foudre. » De même pour Richard Ford, pré-senté par Carver, ou, quelques années plus tard, pour Jonathan Franzen et Jonathan Safran Foer. « J’ai toujours placé mes goûts littéraires aux commandes de toute décision. Car c’est tout ce que j’ai. »

Effrayante propositionEn 1990, après un passage à la direction de Payot, Olivier Cohen reçoit une proposition « saugrenue et effrayante » de Claude Cherki, directeur du Seuil : fonder les éditions de L’Olivier. « Mes premières réticences furent vite balayées. J’étais passionné par des auteurs américains qu’il me semblait urgent de faire connaître. » Hélas ! à l’époque, le monde avait d’autres urgences : la guerre du Golfe. À l’heure où les Français désertaient restaurants et magasins, était-il judicieux d’annoncer la naissance d’une nouvelle maison d’édition publiant des œuvres améri caines élitistes, parmi lesquelles un roman de Richard Ford et un essai de Cynthia Ozick ? « Malgré de beaux succès comme Trente ans et des pous-sières de McInerney, en 1993, et de nombreux prix littéraires, les premières années furent désastreuses. » En 2004, Olivier Cohen prit la direction éditoriale du Seuil, absorbé par La Martinière. « Et il fallut at tendre 2005, pour-suit-il, et ma démission de ce poste, pour que L’Olivier, auquel je me consacrais désormais à temps plein, retrouve son autonomie et commence à se stabi liser. » Depuis, l’éditeur

et son équipe ne cessent d’explorer de nouvelles terres, traduisant notam-ment les œuvres de grands écrivains israé-liens longtemps mécon-

nus en France tels Aharon Appelfeld et Sayed Kashua, ou des Russes tels Vladimir Sorokine et Alexandre Ikonnikov. En outre, il a su rejoindre le premier cercle des éditeurs de littérature française, en publiant de nom-breux auteurs tels Olivier Adam et Florence Aubenas, mais aussi Marie Desplechin, Agnès Desarthe et Véronique Ovaldé. « De fortes personnalités littéraires qui ont un point commun : n’appartenir à aucune chapelle. »Avec de telles troupes, Olivier Cohen ne craint pas la révolution numérique. Et ne souscrit nullement aux discours pessimistes annonçant la fin de la littérature : pour lui, à l’instar de l’arbre qui orne ses couvertures, elle continuera de déployer ses branches avec sérénité et élégance, tout en conser-vant, espère-t-il, « ce pouvoir mystérieux d’in-venter un lieu imaginaire où l’on se sente partout chez soi ». Lauren Malka

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« J’ai acheté les droits de tous les livres d’un inconnu. Un certain Raymond Carver… »

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nouvelles collectionsLaboratoire DelaumeUn narrateur féru d’anglicismes et sa « miss Hélium » « atterrabrissent » au sommet d’un séquoia géant planté de champignons hallucinogènes. Non, vous n’êtes pas chez Carroll relu par Maurice G. Dantec, mais dans Séquoiadrome, d’Émilie Notéris, livre rhizomique publié par la collection « Extraction », créée par Chloé Delaume aux éditions Joca Seria. Le projet : produire des formes et des dispositifs singuliers. Prochain ouvrage prévu : un « opéra parlé ».

Livre des joursLes éditions Cécile Defaut lancent « Le Livre, la Vie » à partir d’un défi formulé dans Roland Barthes par Roland Barthes : « prendre un livre classique et tout y rapporter de la vie pendant un an ». Philippe Forest a donc noté, trois cent soixante-cinq jours durant, ses remarques sur l’Ulysse de Joyce, de même Philippe Vilain avec L’Été 80, de Duras. Prévus pour mai prochain, ces textes devraient être suivis d’un alléchant « Éric Pessan sur H. G. Wells » et d’un intrigant « Catherine Robbe-Grillet sur Robbe-Grillet ».

Poste restanteLa ligne de la collection « Les Affranchis », aux éditions NiL, tient en une injonction : « Écrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite ». Nicolas d’Estienne d’Orves s’adresse donc à un ami disparu, Annie Ernaux à sa sœur morte avant sa naissance, et Bruno Tessarech interpelle la faculté de Vincennes. À venir, les lettres de Linda Lê et de Lydie Salvayre.

éditionLe fonds Barthes transféré à la BnFDemi-frère et ayant droit de Roland Barthes, Michel Salzedo a retiré les archives de l’écrivain de l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), où il les avait déposées en 1996, pour en faire don à la BnF. Ce fonds rassemble de nombreux manuscrits de travail, esquisses, documents imprimés, correspondances, articles, textes relatifs aux cours et aux séminaires donnés par Barthes et devrait bientôt se compléter d’une série de dessins dont dispose encore la famille.

L’amie de Saint-John PerseFigure des lettres américaines, la critique Katherine Biddle (1890-1977) fut aussi l’ange gardien de Saint-John Perse, auquel elle prodigua argent, conseils et relations. Les éditions Gallimard publient, dans « Les Cahiers de La NRF », ses écrits intimes, témoignage de trente ans d’amitié. Rappelons que deux textes inédits du poète avaient été découverts, en 2007, dans les archives de Katherine Biddle.

« La littérature n’est plus ancrée dans un lieu »A nnoncer la disparition de l’idée de littérature, ce n’est sur-

tout pas annoncer la fin du livre et de la lecture. Je suis fondamentalement optimiste. » Professeur à l’université

Paris-X, William Marx, dont les thèses ont été associées à tort aux sombres prophéties de Richard Millet, poursuit sa réflexion sur l’évolution de l’idée de littérature. Dans L’Adieu à la littérature (éd. de Minuit, 2005), il montrait que cette idée, telle que nous la concevons aujourd’hui, était née récemment, et pouvait donc mourir. Dans Vie du lettré (éd. de Minuit, 2009), il réaffirmait l’im-

portance des hommes de lettres, dont l’éthique et l’expé-rience apparaissent indispen-sables. À présent, il travaille sur un nouvel essai, qu’il devrait achever cet été.« J’ai voulu élargir mon champ d’approche, et trouver un point de comparaison permettant de mieux comprendre la litté rature d’aujourd’hui et l’idée que nous en avons. J’ai pris l’exemple le plus lointain : la tragédie grecque, et je m’en sers pour créer un contraste. Ainsi, il me semble que les tragédies grecques ont un rapport étroit

au contexte – en simplifiant à l’extrême, on peut dire qu’elles sont créées en l’honneur du héros d’un lieu. Cette dimension locale ne nous apparaît pas parce que ces lieux ont disparu. Or consi dérer ces pièces sans prendre conscience des contextes dans lesquels elles s’enracinent revient à regarder la Victoire de Samothrace sans s’apercevoir qu’elle n’a plus de bras.« À l’inverse, aujourd’hui, nous estimons qu’un énoncé est litté-raire quand nous pouvons l’extraire de son contexte. L’idée de littérature se définit donc par la délocalisation. Cette conception rejoint celle de Hegel, qui, dans ses Leçons sur l’esthétique, voit dans la littérature l’art le plus proche de l’âme. Aussi, la littérature moderne s’est restreinte sur un territoire, celui de l’esprit. Je suis donc attentivement la façon dont certains écrivains, comme Michel Houellebecq ou Jean Echenoz, tentent de reconnecter lit-térature et réel. « Les différences concernent aussi le rôle assigné à la littérature. Dans l’Antiquité, elle était censée avoir une influence physio-logique, par la catharsis. Ce rôle, sur lequel, bien sûr, je reviendrai davantage dans mon essai, a presque disparu de la littérature actuelle, hors des œuvres de rares auteurs (Artaud, Valéry, Guyo-tat). En revanche, on le retrouve dans la psychanalyse. »

Alexis Brocas

travaux en cours

William Marx.

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Bernanos enquêteSaviez-vous que Georges Bernanos avait écrit deux romans policiers ? Le premier, Un crime, introuvable, sera republié le 3 mars aux éditions Phébus. Dans le petit village de Mégère, le nouveau curé entend des coups de feu : c’est une octogénaire qu’on assassine. Le deuxième, Un mauvais rêve, n’est plus disponible qu’en occasion. Une future proie pour Phébus ?

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Le Magazine Littéraire | | Mars 2011

24 Critique |Fiction

Solaire, Ian McEwan, traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, éd. Gallimard, « Du monde entier », 392 p., 21,50 €.

P résenter Solaire comme un roman sur le réchauffement climatique et les énergies propres n’est sûrement pas la meilleure façon de le mettre en valeur, tant ces sujets semblent peu à même de donner

lieu à une intrigue intéressante. Du reste, ce ne serait pas exact : il est certes question de fonte des glaces, de fin du pétrole et d’énergies vertes, mais tout cela sert avant tout de décor pour les tribulations de Michael Beard, le personnage principal. Certains critiques bri-tanniques ont également rangé Solaire dans la lit lab (« littérature de laboratoire »), un dérivé du campus novel à base de héros en blouse blanche, de décou-vertes et de vocabulaire scientifique plus ou moins digéré – comme Intuition d’Allegra Goodman ou Alice est montée sur la table de Jonathan Lethem. De fait, il y a dans Solaire nombre d’incursions dans la physique, avec une débauche de jargon (il est question de théo-rie quantique des champs, d’équation de Dirac, de condensation de Bose-Einstein) et des développe-ments très professionnels aux yeux du profane. On sait que Ian McEwan ne lésine jamais sur la documentation, qu’il s’agisse des maladies du système nerveux dans Samedi ou du syndrome de Clérambault dans Délire d’amour ; une douzaine de climatologues et de phy-siciens quantiques consultés sont d’ailleurs remerciés à la fin. Reste que Solaire n’est pas un roman « scien-tifique » proprement dit, mais plutôt un roman co mique sur fond scientifique : d’abord, parce que son vrai sujet n’est pas la science ni le monde qui nous entoure mais la vie dissolue du héros, dont les dérèglements intimes font écho à ceux de la planète ; ensuite, parce que le prestigieux Michael Beard ne mérite plus vraiment son titre de savant, lui qui depuis des années s’est endormi sur les lauriers de son prix Nobel et qui passe sa vie à répéter les mêmes conférences aux quatre coins du monde en rentabilisant sa gloire passée.Beard est sans doute un héros typiquement mac-ewanien, cousin de Joe Rose (Délire d’amour) et de Henry Perowne (Samedi), à la fois antipathique et at tachant, bourré de défauts et curieusement sédui-sant. Dieu sait pourtant qu’il n’a plus grand-chose pour lui : depuis l’invention de la « colligation Beard-Einstein », la théorie qui lui a valu son prix, Beard s’est transformé en quinquagénaire chauve et bedonnant, misanthrope, égoïste, coureur de jupons et affligé de petites maladies (boutons de fièvre, couperose, blé-pharite) à cause d’un mariage en déliquescence – il s’est marié cinq fois, a trompé toutes ses femmes et voit la dernière, Patrice, le tromper en retour avec un maçon brutal. Au début du roman, Beard est nommé directeur d’un nouveau centre de recherches financé par le gouvernement Blair pour damer le pion au

Laboratoire des énergies renouvelables du Colorado. À vrai dire, Beard n’éprouve aucune passion pour le développement durable : vaguement climato- sceptique, il ne parvient guère à s’intéresser à l’avenir de la planète et fait le service minimum en laissant tout le travail à son adjoint. Parmi les six chercheurs qui travaillent au centre, l’un parvient quand même à cap-ter son attention : Tom Aldous, un jeune Écossais per-suadé que l’énergie éolienne est un non-sens et que la vraie solution est dans le photovoltaïque, en repro-duisant le mécanisme de la photosynthèse. Génial et dévoué, Tom rédige un mémoire complet que Beard n’hésitera pas à s’approprier quand, revenant d’une expédition au pôle Nord, il le trouve à moitié nu dans son salon, avouant avec gêne qu’il a passé la nuit avec sa femme, et le tue accidentellement. Accident que Beard maquille en crime pour faire porter le chapeau au maçon, éliminant d’un coup ses deux rivaux…Ici commence la deuxième partie, après une ellipse de cinq ans. Michael Beard s’est hypocritement converti au catastrophisme climatique, a monté une société et tente de se positionner sur le marché des énergies vertes en utilisant les calculs de Tom pour construire des panneaux solaires imitant la photosynthèse. Pour lui, le réchauffement de la planète est désormais une bénédiction, une chance unique de gagner de l’ar-gent en brevetant les technologies adéquates. De ce cynisme écolo-gique sans scrupule, Ian McEwan fait le ressort d’un roman qui est sans doute l’un de ses plus drôles. L’humour n’a jamais été absent de son univers, mais il y a dans Solaire des moments de comédie pure qui en font un vrai roman humoristi-que : Beard persuadé que son pénis a gelé après qu’il a uriné dans la neige par - 30 °C ; Beard échappant à un ours blanc sur la banquise ; Beard et le vestiaire anarchique du bateau polaire ; ou Beard victime d’une cabale fémi-niste – épisode tiré de l’affaire Summers (un économiste de Har-vard contraint à quitter la prési-dence de l’université en 2006 après des propos contro-versés sur les femmes), que l’auteur transforme en satire jubilatoire du politiquement correct, des embal-lements médiatiques et des délires du postmoder-nisme universitaire. Une autre scène comique, la para-bole du paquet de chips, permet à Ian McEwan de régler ses comptes avec les accusations de plagiat dont il a fait l’objet. Lors d’une lecture publique de cet

Le vert et le noirPar Bernard Quiriny

E x t r a i t

Le Gulf Stream allait s’arrêter, les Européens mourraient de froid dans leur lit, l’Amazonie devien-drait un désert, certains conti-nents seraient la proie des flam-mes, d’autres noyés sous les eaux, et dès 2085 la banquise disparaî-trait l’été et les ours blancs avec elle. Beard avait déjà entendu ces prédictions et n’en croyait pas un mot. Même dans le cas contraire, il ne se serait pas inquiété. Un homme de son âge, sans enfant, et sur le point de divorcer pour la cinquième fois pouvait se per-mettre une pointe de nihilisme.

Solaire, Ian McEwan

Ian McEwan.

Mars 2011 | | Le Magazine Littéraire

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Les Hommes sirènes, Fabienne Juhel, éd. du Rouergue, 304 p., 19 €.

D éfense de déposer des ordures » : c’est ce simple pan-neau qui pousse à la fuite « l’homme » du quatrième roman de Fabienne Juhel. Ce simple panneau, et la

lettre de l’hôpital qui lui apprend qu’un « caillou » s’est logé dans son cœur. Dès lors, Les Hommes sirènes pourraient être l’his-toire banale d’un type malade qui décide du jour au lendemain de plaquer femme et enfant et de marcher sans se retourner vers les lieux de son enfance. Mais, chez la romancière, dont l’œuvre, commencée en 2005 avec La Verticale de la lune, est placée sous le signe d’un onirisme inquiétant, la fuite en avant prend la forme du retraitement des déchets d’une vie.Quand « l’homme » n’était que « l’enfant », dans les chapitres rétrospectifs du roman, le lecteur se laisse transporter dans un monde rythmé de comptines et d’inventions poétiques. D’ori-gine indienne, l’enfant fut adopté par Ève et Eli Eckert, un couple étrange et gémellaire, rescapé des camps de la mort, que les prénoms bibliques semblent tirer vers le Ciel ; jusqu’à ce que ces « ogres alpha échappés d’un pays de neige » deviennent aussi menaçants que les deux dogues qui gardent leur propriété. Ce qui pourrait être enchanteur se souille, au fil du récit, d’une noirceur empreinte d’âpres échos primitifs. Le voyage que le héros entame, bien des années plus tard, guidé par une pierre aventurine jetée comme un dé, est alors moins initiation qu’exorcisme. Recyclage, au sens littéral, des « bêtes qui four-ragent dans sa mémoire ».L’écriture de Fabienne Juhel semble adopter une démarche ondulante, à mi-chemin entre l’association d’idées et le cadavre exquis. Est-ce pour cela que certains mots donnent l’impression de se tenir là telles des enluminures éloignant la phrase de son degré zéro ? L’auteur fait assurément partie de ces jeunes romanciers qui choisissent une langue et construisent un univers – à la limite de l’excès de zèle parfois. Mais le lecteur comprend vite la distance avec laquelle l’écri-vaine regarde son propre texte. Nulle prétention à choisir, comme elle le dit, « l’emplacement » de chaque mot ; nul hasard si chaque partie com-mence par le rappel de la définition et de l’étymologie de son propre titre – « Le départ », « Sur la route » et « Le terme » –, et encore moins si « L’Étranger » du Spleen de Paris se fait épigraphe. Tout s’ex-plique au bout du compte : comme le poème de Baudelaire, Les Hommes sirènes sont affaire de démystification, de mise à mal du lyrisme, car, au-delà de la facilité poétique, Fabienne Juhel badigeonne la magie de ses livres d’une belle couche de fange. Histoire de rappeler à l’homme qui voudrait être sirène sa condi-tion plus modeste de bois flotté ou de « tête de clou parmi la bigarrure des immondices ».

extrait au Festival de Hay, en 2008, on lui avait en effet reproché d’avoir emprunté une anecdote à Douglas Adams ; en réponse, il insère dans Solaire un personnage de chargé de cours, prétentieux et ridicule, qui accuse Beard d’avoir volé une histoire réellement vécue par lui quelques heures plus tôt…Si on retrouve dans Solaire nombre de thèmes récurrents de l’œuvre macewanienne (l’opposition entre vision scientifique et vision litté-raire, l’égoïsme individuel face à l’intérêt général, la variété des options morales possibles dans notre monde désenchanté), on est surtout frappé par la virtuosité dont fait preuve le romancier, jusqu’au climax des dernières pages. Chaque épisode humoristique pourrait presque être isolé du reste comme une nouvelle, mais tous sont imbriqués dans une progression savamment agencée, sans jamais donner l’impression de gratuité. Vie intime et vie publique de Michael Beard se combinent à la perfection dans une toile dont les fils se rejoignent irrésistiblement dans les dernières pages, comme un piège refermé sur le héros, victime de ses turpitudes, rattrapé par son destin. L’art impeccable, virtuose et précis, de Ian McEwan éclate alors en plein – on n’ose pas dire comme un soleil – et laisse au lecteur la même impression de perfection qu’a dû ressentir Beard en écoutant cette étude de Fernando Sor jouée à la guitare par l’un de ses compagnons du pôle Nord, avant qu’il rentre à Londres pour y tuer Tom malgré lui et déclencher sans le savoir le cycle tragico-mique de ses ennuis. (Lire aussi notre grand entretien avec Ian McEwan, p. 100-104.)

Fantasmagorie du rebutPar Noémie Sudre

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Le Magazine Littéraire | | Mars 2011

Dossier 52

Nous vivons actuellement un âge d’or, plus intéressant que tout ce qu’on a pu voir au cours de ces cinquante dernières années. » Tel est le constat du maître suédois Per Olov Enquist, dans l’entretien qu’il a accordé au Magazine Littéraire (p. 88-89) sur l’excep-tionnelle vitalité des lettres nordiques. En célébrant cette année non pas un pays mais cet espace septentrional comprenant le Dane-mark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède, le Salon du livre de Paris nous invite en effet à mettre en perspective ce qui n’est rien de moins qu’un miracle littéraire. À voir ce que ces pays représentent dans le champ littéraire et dans l’imaginaire du lecteur d’aujourd’hui, leur présence et leur influence dans les genres ô combien populaires que sont la littérature de jeunesse et le roman poli-cier, ou encore le succès sans précédent d’une Sofi Oksanen (Purge), d’un Jostein Gaarder (Le Monde de Sophie) ou d’un Stieg Larsson (Millénium), comment ne pas s’interroger sur l’existence, sinon d’une identité, du moins de familles d’écritures et d’idées dans les cinq pays de l’actuel Conseil nordique ?Régis Boyer le remarque à juste titre : s’il est un invariant sous la diversité des lettres nor-diques – outre les langues apparentées et un millénaire d’histoire partagée –, c’est bien l’art de raconter. Une pratique sans doute héritée des sagas islandaises – plus proches du roman réaliste moderne que de la chronique médiévale – dont on perçoit l’in-fluence jusque dans les « racontars » de Jørn Riel ou les polars de Henning Mankell. Mais, si les pays nordiques se plaisent à souligner non sans émotion ce patrimoine commun, ils

NNous vivons actuns intéressant que tt qcours de ces cinqcours de cesTel est le constat Tel est le conEnquist, dans l’enEnquist, danMagazine LittéraMagazine Litionnelle vitalité ionnelle vitcélébrant cette anébrant cetcet espace septentpace semark, la Finlandea FinlSuède le Salon dSal

n’en constituent pas moins un espace litté-raire aussi diversifié que mouvant, imprégné de multiples cultures et toujours ouvert sur l’ailleurs. Il suffit pour s’en convaincre de par-courir les textes qu’ont écrits pour nous la Finlandaise Monika Fagerholm, le Suédois Jonas Hassen Khemiri ou l’Islandaise Steinunn Sigurðardóttur.Loin de viser à l’exhaustivité, notre panorama interroge d’abord les frontières historiques, géographiques et linguistiques des littératures du Septentrion. Il fallait cet effort de contex-tualisation pour mettre en lumière leur richesse, leur modernité, et leur incompa rable destinée dans la culture contemporaine – au point que le « polar nordique » est devenu un modèle, voire un archétype pour les roman-ciers du monde entier. Il fallait aussi cette mise en perspective pour échapper aux éternels poncifs que sont les brumes du Nord, le climat glacial ou la noirceur bergmanienne – que faire dans ces cas-là du burlesque d’un Arto Paasilinna ou, plus récemment, d’un Erling Jepsen ? Il fallait surtout retracer ces lignes de force pour comprendre la persistance de fan-tômes ou de figures tutélaires tels que Karen Blixen, Halldór Laxness ou Henrik Ibsen, mais aussi Maj Sjöwall et Per Wahlöö pour le roman policier, ou encore August Strindberg – dont se réclame volontiers Per Olov Enquist et dont nous publions un texte inédit (p. 92-94). De cette exploration au cœur des lettres nor-diques, on aimerait retenir ce mélange d’insa-tiable curiosité et de pieuse fidélité qui anime tant l’écrivain que son lecteur, et qui pourrait servir de programme à tous les visiteurs du Salon du livre de Paris.

Un bloc de glace centenaire prélevé en Islande, au bord du lac Jökulsárlón, au sud-est de l’île.

Les étoiles du Nord

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Dossier cordonné par Augustin Trapenard

En partenariat avec le CNL

Le Centre national du livre et Le Magazine Littéraire publient un livret de vingt-quatre pages présentant les quarante auteurs nordiques invités et l’agenda des rencontres. Ce livret sera distribué gratuitement à l’entrée du Salon du livre, du 18 au 21 mars, porte de Versailles, Paris 15e.

Le Salon du livre met à l’honneur le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède.

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Mars 2011 | | Le Magazine Littéraire

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