les récits intéractifs et littératures numériques - anna-lou bouvet

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La littérature numérique est aujourd’hui un sujet trop peu traité par l’industrie du multimédia,et trop peu accessible au grand public. On confond souvent, à tort, la littérature numériqueavec les ebooks. La littérature numérique est un genre littéraire en soi, dans le sens qu’elle associe des lienshypertextuels ou sémantiques, à du contenu littéraire spécialement écrit pour interagir avec ledispositif. Il faut penser l’oeuvre littéraire numérique dans sa globalité. Elle associe, interrogeet fait se confronter le récit, le dispositif interactif, le multimédia et la littérature.Ce mémoire, réalisé dans le cadre du Master 1 Hypermédia et Communication à l’IMUS – IAESavoie Mont Blanc, se veut être un travail synthétique de recherche. Il témoigne également dema réflexion autour de l’objet hypermédia que j’ai conçu cette année.

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SOMMAIREI/ Méthode de recherche 

1.1 Pourquoi parler de la littérature numérique ?

1.2 Objet Hypermédia1.3 Problématiques1.4 Méthodologie

II/ Typologie de la littérature numérique 

2.1 Définition et dimension du récit

2.2 Le statut du texte numérique2.3 Quels dispositifs ?2.4 Importance du codage numérique

2.4.1 La littérature générative2.4.2 Codework

III/ Une nouvelle forme de récit littéraire 

3.1 Diégèse / structure du récit3.2 Quelle narration ?3.3 Une remise en cause du genre littéraire traditionnel ?

IV/ Une nouvelle relation lecteur / auteur 

4.1 Rôle et figure de l’auteur4.2 Rôle du lecteur4.3 Importance du dispositif narratif dans cette relation auteur / lecteur

V/ Quelle interactivité au sein du récit ? 

5.1 Typologies de l’interactivité5.2 Importance des images5.3 Association au son5.4 Association à la vidéo

VI/ Ouverture 

6.1 Le champ d’expérimentation poétique6.2 Les serious games6.3 L’avenir

CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIRE

TABLE DES ILLUSTRATIONSANNEXES

44

566

77

101011

1114

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20

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51555859

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Ce mémoire, réalisé dans le cadre du Master 1 Hypermédia et Communication à l’IMUS – IAE

Savoie Mont Blanc, se veut être un travail synthétique de recherche. Il témoigne également de

ma réflexion autour de l’objet hypermédia que j’ai conçu cette année.

Ce premier mémoire de recherche est pour moi l’occasion de remercier Marc Veyrat, directeur

de la filière Hypermédia et Communication, qui a su me guider dans ma démarche lors de la

conception de mon objet hypermédia. Je remercie aussi mon suiveur de mémoire, Monsieur

Daniel Bouillot, qui m’a aidé à trouver une ligne directrice à ce travail de recherche.

Je tiens également à remercier Monsieur Philippe Bootz et Monsieur Serge Bouchardon pour

le temps qu’ils m’ont accordé dans mes recherches documentaires et leur précieux éclairage

concernant la question de la littérature numérique. Xavier Delaporte a été également un

soutien important qui m’a donné une vision plus large de la question de la littérature, du web

et du support électronique. L’émission « Place de la toile » diffusée sur France Culture a été

une source d’inspiration très intéressante, puisqu’elle a beaucoup traité de ces questions de

littérature numérique.

NOTE concernant le projet Hypermédia :Ce projet étant un projet in-situ c’est-à-dire qui se vit et s’expérimente dans le lieu, le projet

n’a pas de site dédié. Cela modifierait complètement le rapport du lecteur au récit. Les pages

web avec les fragments de récit sont accessibles depuis le QR code que l’on aura trouvé en

ville (un autocollant). Il n’y a pas d’interface dédiée permettant de consulter tous les

fragments. Ceci est un choix délibéré. Il y a, en dessous de chaque visuel du récit, un lien

hypertexte renvoyant à une page où j’explique mon projet. Les fragments de récit sont en

Annexe et dans le CD-Rom. Merci de ne pas les divulguer pour ne pas altérer l’expérience du

récit.

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I/ Méthode de recherche

1.1 

Pourquoi parler de la littérature numérique ?

La littérature numérique est aujourd’hui un sujet trop peu traité par l’industrie du multimédia,

et trop peu accessible au grand public. On confond souvent, à tort, la littérature numérique

avec les ebooks. Il convient de faire ici une distinction : l’ebook est un support sur lequel on

propose à la lecture des ouvrages qu’on peut trouver sous la forme papier. L’ebook est un

support au même titre que les feuilles de papier du livre sont un support au texte rédigé par

l’auteur.

La littérature numérique est un genre littéraire en soi, dans le sens qu’elle associe des liens

hypertextuels ou sémantiques, à du contenu littéraire spécialement écrit pour interagir avec le

dispositif. Il faut penser l’œuvre littéraire numérique dans sa globalité. Elle associe, interroge

et fait se confronter le récit, le dispositif interactif, le multimédia et la littérature.

Le récit, au tout début issu de la tradition orale, fût ensuite transcrit sur papier, puis au

cinéma, à la télé… N’est-ce donc pas logique de le voir se transposer sur support numérique  ?Nous verrons dans cette étude que les interactions qui se créent entre la matière textuelle et le

numérique sont très intéressantes à exploiter et créent souvent un degré de signification

supplémentaire. Les récits interactifs cherchent aujourd’hui à trouver leur propre mode

d’écriture, leurs propres styles, codes et genres. Ainsi, au sein de la littérature numérique, on

retrouve plusieurs genres : les œuvres hypertexte, les œuvres génératives…etc.

Ce choix d’objet de recherche est également lié au fait que j’ai suivi un baccalauréat Littéraire

et que j’ai toujours eu un goût prononcé pour la littérature et le numérique.

Cette démarche de recherche est également liée au projet Hypermédia que je développe dans

le cadre du Master 1 Hypermédia & Communication et que je vais développer dans la partie

suivante. Ce projet, à la fois littéraire, artistique et numérique, est une expérimentation des

concepts, thèses, que j’avance dans ce mémoire.

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1.2  Objet Hypermédia

En parallèle à ce mémoire je réalise un travail personnel multimédia, sur incitation de l’équipe

enseignante de la filière Hypermédia et Communication de l’IMUS – IAE Savoie Mont Blanc.Cette incitation est la suivante « Community, Creativity, Connectivity >>> Be ». Il s’agit de

réaliser un objet hypermédia prenant en compte les notions de communauté, de créativité et

de connectivité, afin de créer un objet qui nous ressemble et qui nous inspire. Les deux

principales références de ce sujet sont le Lapin Nabaztag et la Pierre de Rosette de Joseph

Kosuth. Les modes de création sont libres, tant qu’ils correspondent et répondent au sujet.

Pour répondre au sujet j’ai eu envie de travailler avec les QR codes, ces codes 2D qui peuvent

être flashés, reconnus par les smartphones et qui renvoient à des messages, des liens

hypertextes, des sites web, à des actions du téléphone (envoie d’un SMS, appel)…etc.

Tout au long de mes études et de ma vie j’ai réalisé des travaux très fortement imprégnés de la

notion de durée, de quotidien, d’expérience avec un attrait tout particulier pour l’écriture en

alliant signe et mot. J’aime également la poésie et la littérature, ainsi que l’écriture et tout le

processus de création que cela engendre [BE].

Mon projet est de laisser ma trace dans des lieux d’une ville (pour ce projet Annecy) et de

créer du lien avec les gens qui rencontreront ces « traces ». Concrètement, ma démarche est la

suivante :

Dans tous les lieux qui ont une émotion particulière, je colle un autocollant avec un QR code

que j’ai personnalisé. Chaque QR code est unique et renvoie à une page web spécifique

[connectivity] qui est en fait un fragment d’une histoire que j’ai écrite. Le contenu de la page

web est multimédia : il peut y avoir du texte, des images, de la vidéo…etc. Ou alors le code

peut renvoyer à une action : envoyer un email, appeler un numéro… L’histoire est celle d’une

femme qui disparaît sans laisser de trace. Son compagnon, jeune homme extrêmement

mélancolique, témoigne, sur les lieux de ses souvenirs. En faisant appel aux mots qui l’inspire

et aux images ; des images qui laissent la fièvre de désirer et des mots qui trompent.

Ainsi, ces codes à l’esthétique facilement reconnaissable [creativity] envahissent

l’environnement urbain dans lequel le personnage principal évolue de manière virtuelle, en

proposant aux personnes qui les flashent de connaître un fragment de l’histoire. Chaque

personne qui a flashé un code sera amenée à en flasher un second pour finalement tenter de

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reconstituer l’histoire et d’être en lien avec ce personnage et les différents lecteurs, puisque

personne n’aura la même vision de l’histoire [community].

Il y a volontairement une notion de répétition, avec, en même temps un aspect éphémère et

unique du QR code, car l’autocollant peut être arraché ou abimé ce qui altère sa lisibilité et

donc modifie la trame narrative du récit.

1.3 Problématiques 

La problématique centrale qui articule ce mémoire est la suivante : En quoi le développement du numérique et des réseaux conduit à un renouvellement

des formes d’écritures ?

De cette problématique en découlent d’autres :Quelles formes d’e-criture Hypermédia / interactive existe-t-il aujourd’hui ? Et demain ?L’e-narration est-elle un paradigme de l'Hypermédia ?

1.4  Méthodologie

Ma méthodologie dans ce mémoire est de me baser sur un corpus de textes d’auteurs de

référence, afin d’avoir un aperçu global de la recherche dans le domaine de la littérature

numérique. Tout au long de ce mémoire, je tenterai de confronter les théories avancés par les

auteurs, théoriciens du numériques, à mon objet Hypermédia. Ce dernier évoluera

certainement en fonction des conclusions que je pourrai en tirer.

Ce sujet m’étant complètement inconnu au départ il m’a fallut trouver les auteurs clés dans ce

domaine et parfois leur demander directement des ressources documentaires, celles-ci n’étant

pas disponibles à la bibliothèque universitaire. Les auteurs clés que j’ai pu identifier et qui sont

cités tout au long de ce mémoire sont : Philippe Bootz, Jean-Pierre Balpe, Serge Bouchardon,

Jean Clément, Umberto Eco, Sylvie Leleu-Merle et bien d’autres.

Ce travail est également un travail de réflexion autour du numérique, du multimédia et de la

littérature. Je ne prétends pas couvrir tout le sujet, d’autres l’ont bien mieux fait que moi (cf.

les ouvrages et travaux de recherche de Serge Bouchardon), mais je souhaite mettre en

lumière ce champ de recherche, au travers de mon objet hypermédia. Ce dernier se nourrit de

la réflexion menée tout au long de ce mémoire et est amené à évoluer dans le temps.

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II/ Typologie de la littérature numérique

La littérature numérique étant un objet d’étude encore récent et relativement peu mis en avant

dans le milieu littéraire et numérique, il convient de tenter d’établir une typologie de la

littérature numérique. Cela passe par la définition de récit, car le récit est le fil conducteur des

œuvres et récits interactifs. Dans cette seconde partie nous verrons également que l’analyse et

la critique de la littérature numérique doit passer par l’analyse de ses dispositifs et de sa

relation à l’informatique.

2.1 Définition et dimension du récit

On peut définir la littérature comme l’ « Usage esthétique du langage écrit »1  c’est-à-dire

l’utilisation, la mise en forme, la sublimation d’un texte brut, en un texte compréhensible par

tous. On conviendra que cela peut être la mise en forme de phrases, de paragraphes, au sein

d’un schéma narratif aboutissant à un tout qui produit du sens, mais également à un travail sur

le texte et sa typographie, son travail visuel et/ou sonore. Le texte peut être animé et

retravaillé dans sa forme.

Le récit littéraire est un objet construit qui comporte :-  La présence d’une succession d’évènements (les péripéties, le dénouement…etc.).

-  Un mode de représentation (la narration).

-  Un récit interactif (La programmation entre comme l’outil de mise en forme de

l’interactivité du récit).

Tzvetan Todorov dans « Les catégories du récit littéraire2  » précise la définition d’œuvre

littéraire :« Au niveau le plus général, l’œuvre littéraire a deux aspects : elle est en même temps une 

histoire et un discours. Elle est histoire, dans ce sens qu’elle évoque une certaine réalité, des 

événements qui se seraient passés, des personnages qui, de ce point de vue, se confondent 

avec ceux de la vie réelle. Cette même histoire aurait pu nous être rapportée par d’autres 

1 Trésors de la langue Française2 Todorov Tzvetan, « Les catégories du récit littéraire », dans Communications n°8, Seuil, 1981, page 132 

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moyens ; par un film par exemple ; on aurait pu l’apprendre par le récit oral d’un témoin, sans 

qu’elle soit incarnée dans un livre. Mais l’œuvre est en même temps discours : il existe un 

narrateur qui relate l’histoire, et il y a en face de lui un lecteur qui la perçoit. A ce niveau ce 

ne sont pas les événements rapportés qui comptent mais la façon dont le narrateur nous les a 

fait connaître » 

Ainsi, on comprend qu’une même histoire peut bien évidemment être racontée par le biais de

plusieurs narrations différentes, par différents discours.

Concernant plus spécifiquement la littérature numérique et les récits interactifs, Serge

Bouchardon distingue plusieurs types et propose une classification de ces récits :

-  Les récits hypertextuels :o  Lecture non linéaire (fragments)

o  Reliés par des liens statiques / dynamiques

o  Parcours uniques

Ces récits proposent des parcours sous forme de liens. Le récit est décomposé en fragments

que l’on met bout-à-bout en cliquant sur des liens. Chaque parcours est unique dans le sens

où, si l’on clique sur un autre lien, alors l’ordre des fragments change, et on a un récit

complètement différent.

-  Les récits cinétiques :o  Dimension temporelle

o  Dimension multimédia

o  Mouvement

o  Matérialité

Ces récits mélangent une dimension temporelle (chronologie, date) à une dimension

multimédia (image, son, vidéo). Il y a un travail sur le mouvement, l’apparition et l’animation

et un questionnement sur la matérialité du texte et des objets.

-  Les récits algorithmiques :o  Œuvres combinatoires

o  Textes différents

o  Gérés en temps réel

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Ces récits trouvent tout leur intérêt dans la mise en œuvre de leur processus. On trouve parmi

ces récits différents catégories : récits combinatoires, littérature générative…etc. En général, le

dispositif numérique génère des éléments du récit qui, mis bout-a-bout forment un tout

aléatoire, qui sera différent à chaque fois.

-  Les récits collectifs :o  Dispositif participatif 

o  Ecriture à plusieurs mains

o  Dispositif de lecture / écriture

Ces récits qu’on appelle parfois « récits à plusieurs mains » sont des récits à vocation

participative. Soit les lecteurs deviennent eux-mêmes auteurs et produisent du contenu, soit les

auteurs s’associent pour créer un récit collaboratif, mêlant parfois plusieurs genres et styles

d’écriture.

L’objet Hypermédia que je développe s’inscrit dans cette catégorie là mais peut également être

rangé dans la catégorie suivante : c’est un récit à la fois hypertextuel et collectif. Hypertextuel

dans le sens où le récit est fragmenté et où le mode de lecture (flasher des QR codes) se fait

de manière aléatoire, proposant à chaque lecteur un parcours unique qui lui est propre. C’est

également un récit collectif, car le lecteur peut parfois intervenir dans le récit  : envoyer un

mail ou un sms à l’auteur, proposer un nouvel élément dans le récit…

On voit ainsi que, même si la littérature numérique n’est pas encore considérée comme un

genre à part entière, les théoriciens des NTICS se sont d’ores et déjà attachés à classifier les

différents types de récits. Cette classification va nous permettre de mieux appréhender les

différents aspects de la littérature du numérique.

Ainsi, nous allons nous demander quel est le statut du texte numérique dans le paysage

littéraire et multimédia actuel.

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2.2 Le statut du texte numérique

Selon Philippe Bootz, on peut classer les œuvres littéraires numériques en deux grands

ensembles : le premier ensemble met en avant la lecture à l’écran, conférant au texte plusd’importance. Le deuxième ensemble insiste d’avantage sur le rôle de l’ensemble du dispositif 

de communication. Cela comprend notamment les œuvres interactives, les happenings3,

installations ou encore les œuvres où l’on se sert beaucoup de la programmation, montrant

parfois les mécanismes du programme au détriment du texte.

Le texte numérique est à ne pas confondre avec le texte numérisé, qui est le texte que l’on

peut lire sur les livres électroniques (ebook). La littérature numérique n’a pas encore vraimentde statut dans le paysage numérique français. Je m’avancerais même à dire que la poésie

numérique, a elle une place et un statut reconnu. En effet la poésie numérique, au travers de

mouvements comme l’OULIPO ou l’ALAMO (cf. partie 6.1) a su s’affirmer comme

mouvement poétique, contrairement à la littérature numérique.

2.3 Quels dispositifs ?La littérature numérique a, comme son nom l’indique, pour support le numérique. Or, le

numérique est une notion large qui recouvre plusieurs types de supports, d’outils et de

dispositifs.

Je ne parlerai pas des liseuses, appelées aussi ebooks, qui ne sont en fait que des supports où

les livres papier sont transposés sur support numérique. Il n’y a pas de forme de récit originale

et créative.

Les dispositifs des récits littéraires interactifs sont donc essentiellement le web. La plupart des

récits interactifs possèdent leur propre URL, et peuvent être exécutés grâce au plugin Flash, ou

Shockwave (exemple : Afternoon a story)4. On trouve également des récits interactifs sur les

smartphone, principalement sur les iPhones (exemple : Fréquences)5. Ces applications

3 Happening : performance (représentation), événement ou situation qui peut être considéré comme un art.4 Michael Joyce, « Afternoon a story », 1990 http://www.eastgate.com/catalog/Afternoon.html5 Célia Houdart, “Fréquences”, http://itunes.apple.com/fr/app/id415841582# 

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présentent l’avantage d’être lisibles de manière mobile : dans le métro, au travail, en

promenade…etc.

2.4 Importance du codage numérique

Le codage numérique est un point crucial dans le développement historique de la poésie

numérique. Il permet, d’une manière plus ou moins aisée, de manipuler divers médias afin de

leur donner du sens.

2.4.1 La littérature générative

Les œuvres littéraires génératives sont une partie importante de la littérature numérique. On

peut même parler de genre littéraire à part entière, dans le sens où le mode de production du

sens de ces œuvres est unique et original.

Il existe deux courants au sein de la littérature générative 6 : la lecture générative combinatoire

et la lecture générative automatique.

Philippe Bootz6, explique la lecture générative automatique de la manière suivante : «  Un 

 générateur automatique de texte crée des textes à partir d’un dictionnaire de mots et d’une 

description informatique des règles d’assemblage de ces mots. Dans un générateur 

automatique, le dictionnaire est constitué d’un ensemble de racines de mots décrits à l’aide de 

 propriétés qui prennent toutes des valeurs numériques. La grammaire est alors constituée d’un 

ensemble formel de règles de calcul sur les propriétés. Cet ensemble forme ce qu’on nomme 

un « moteur d’inférence ». La construction du texte est totalement algorithmique. Lorsqu’à un 

moment donné du calcul plusieurs possibilités sont possibles, le programme en choisit une de 

façon aléatoire. » 

On comprend ainsi que la littérature générative automatique confère au programme une toute-

puissance lui permettant ainsi, non seulement de générer du texte compréhensible, dont les

structures existent ailleurs, mais également de gérer l’aspect sémantique du texte. Par exemple,

6 Philippe Bootz, « La littérature numérique », Les basiques, Olats, 2006

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un générateur automatique peut générer du texte ayant le style d’un auteur. On peut ainsi

produire des romans infinis.

Dans son œuvre « ROMANS (roman) » Jean-Pierre Balpe s’est attaché à mettre en œuvre un

générateur littéraire automatique.

Cette œuvre est composée de quatre générateurs de romans différents : ("Un roman

inachevé", "La mort en tête", "Prières de meurtres", "An unfinished debate"). Chaque roman

a la capacité, par le biais du programme qui rend l’œuvre interactive, de créer une œuvre

illimitée. Seule contrainte, l'affichage impose que chaque page créée doit pouvoir s'afficher

dans l'espace d'une seule page-écran. La programmation joue ici le rôle de générateur

d’aléatoire, mais un aléatoire tout à fait vraisemblable, puisque, selon les romans, on retrouve

les mêmes personnages qui traversent métaphoriquement les couches virtuelles pour se

transposer dans un nouveau récit, rendu infini par le générateur.

Image 1 – « ROMANS » Jean-Pierre Balpe 

Le générateur combinatoire, a beaucoup de similitudes avec le générateur automatique. Il y a

cependant quelques différences fonctionnelles.

Le générateur combinatoire peut être défini de la manière suivante [BOOTZ] : «  Un générateur 

combinatoire est un générateur de texte qui combine selon des règles algorithmiques 

spécifiques des fragments de textes préconstruits. » 

Dans le générateur combinatoire, les parties de textes combinées sont préconstruites. Il y a un

nombre de combinaisons fini. On note notamment des expressions qui se répètent lors de lagénération (par exemple une structure, ou une phrase qui se reproduit fréquemment). Un des

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procédés de génération combinatoire est de prendre des phrases ou propositions complètes

d’autres textes, en les agençant de manière aléatoire. C’est le principe des textes à trous,

procédé inventé par l’OULIPO7. Il s’agit de prendre une phrase de référence, puis d’y insérer

des mots pour lesquels on a, au préalable, précisé la nature grammaticale (adjectif, nom, nom

féminin pluriel, verbe...etc). On obtient ainsi une concordance syntaxique parfaite.

On trouve sur internet beaucoup de générateurs combinatoires de textes, qui n’ont pas une

volonté artistique, mais qui cherchent avant tout à divertir. On propose à l’internaute de

remplir des champs textes, en suivant les consignes grammaticales données. Puis lorsqu’il

clique sur le bouton « générer » on voit s’afficher un texte plutôt amusant, où les éléments

textuels que l’on a choisis sont intégrés dans un texte compréhensible, et souvent surprenant,

puisqu’on ne savait pas les phrases avant.

Image 2 - "Hisfou" 

Le codage numérique a été l’élément qui a amené les auteurs à penser un nouveau mode de

production du texte. Si la littérature générative laisse une place au récit et à la trame narrative,

7 OULIPO : groupe d'écrivains qui fut fondé en France, en 1960. Son nom est l'acronyme d'Ouvroir delittérature potentielle. Leur activité est détaillée dans la partie 6.1 de ce mémoire.

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on peut voir que ce n’est pas le cas de tous les genres. C’est ce que nous allons voir dans la

partie suivante, avec le codework.

2.4.2 Codework

Ce travail sur le texte a été mis en exergue par un mouvement appelé « Codework ». Ce

terme, inventé en 2001 par Alan Sondheim8 réfère à un ensemble de pratiques variées en

poésie numérique. Le Codework s’attache donner « une dimension textuelle aux langages de

programmation »9 [BOOTZ].

Ainsi on voit se mélanger le code, des symboles issus du langage informatique et le langage

textuel. Certains créateurs revendiquent ce nouvel ordre textuel comme un langage à part

entière. C’est le cas de Mary-Anne Breeze qui invente le Mezangelle, sorte de langue hybride

à mi-chemin entre la langue anglaise et le code informatique.

Exemple de codework10 : //Feeling.

if(ashamed++ == losing self-esteem.S_____ wasn't on diet) [re]solution =would stop eating lunch next time;

 //Result.after all = S_____ couldn't resist to eat when see[sniff]ing food("ate();", felt defeated & self-disgusted x 1000);

}

On peut se demander si le Codework est à proprement parler de la littérature numérique étant

donné qu’il ne se prête pas aux schémas narratifs classiques. En effet, on est plus ici à un

stade expérimental d’une démarche artistique qui vise à associer la matière textuelle au

processus informatique de génération d’information.Le Codework a ses limites dans le sens où il est dur et contraignant à comprendre. Il est alors

difficile de se plonger dans un récit. On peut ajouter à ceci, le fait que ce dispositif ne soit pas

vraiment interactif. L’intérêt réside donc dans l’utilisation détournée de plusieurs langages et

dans les questions que ce nouveau genre d’écriture soulève : quelle pluralité des langages ?

8 Sondheim Alan, « Introduction : Codework », ABR vol. 22 n°6, octobre 2001

9 Bootz Philippe, « De quelques conceptions en littérature  numérique », Article pour le LaboratoireParagraphe, Université Paris 810 http://en.wikipedia.org/wiki/Codework 

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Quelles sont les limites de nos modes d’écriture ? Quels rapports existent-ils entre

informatique et littérature ?

____

Le récit littéraire a trouvé une nouvelle dimension grâce à l’informatique. On remarque que

dans tous les récits, on s’attache à conserver des valeurs propres au récit littéraire et plus

particulièrement au livre. Bien entendu, avec le Codework on tend à perdre la notion de récit,

au profit d’une esthétique de la matérialité : celle du langage de programmation informatique.

Cependant, l’informatique et plus largement les différents dispositifs du récit littéraire

interactif, amènent à repenser, à interroger la littérature et l’écriture. C’est ce que nous allons

détailler dans la partie suivante.

III/ Une nouvelle forme de récit littéraire

Evidemment, le récit littéraire interactif, est très imprégné par l’informatique, qui tend à

vouloir montrer le dispositif comme l’exosquelette du récit, mais il est aussi et avant tout un

objet littéraire. C’est ainsi que les œuvres hypertextes ou les œuvres littéraires interactifs

reprennent les notions de diégèse, de narration et amènent de nouvelles questions  en rapport

avec la littérature : est-ce-que le récit littéraire numérique tue le livre ? Est-il une remise en

cause des genres littéraires traditionnels ?

3.1 Diégèse / structure du récit

Lorsqu’on parle de littérature numérique il convient de s’intéresser à la narration comme

processus complexe de création et d’écriture. Genette dit que l’on peut définir le récit de

manière positive comme « la représentation d’un évènement ou d’une suite d’évènements,

réels ou fictifs, par le moyen du langage […] écrit ». Il ne faut cependant pas penser que le

récit « va de soi », car l’acte narratif est un acte profondément artificiel, issu de l’imaginaire

d’un ou plusieurs hommes.

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16

Diègèsis

Selon Aristote, le récit (diègèsis) est un des deux modes de l’imitation poétique (mimèsis),

l’autre étant l’action réelle de personnes ou d’acteurs parlant et agissant devant un public. Il y

a donc deux modes de représentation littéraires : celui de l’acte écrit, et celui de l’acte joué,

avec une connotation dramatique certaine.

Concernant la distinction entre narration et description, Genette dit à ce propos  : «  le langage

narratif se distinguerait ainsi par une sorte de coïncidence temporelle avec son objet, dont le

langage descriptif serait au contraire irrémédiablement privé ». Cependant il note que dans la

littérature écrite (et c’est ce qui nous intéresse ici), «  rien n’empêche le lecteur de revenir en

arrière et de considérer le texte, dans sa simultanéité spatiale ». Il semblerait que la littérature

numérique reprenne ce concept en imposant au lecteur des modes de lectures, modifiant ainsi

l’ordre du récit et sa narration.

On voit ainsi que la narration pose souvent la question du discours et de la description. Si l’on

souhaite s’en tenir à une description exclusivement factuelle alors il faut repenser les modalités

de notre discours (qui parle, à qui, comment…). De la même manière qu’un peintre voudrait

peindre la réalité et la rendre plus vraie que nature, l’auteur peut souhaiter décrire le réel, c’est

la quête de la mimesis.

3.2 Quelle narration ?Dans le récit littéraire interactif les schémas classiques de narrations sont complètements

bouleversés. Grâce au support informatique (page web, application exécutable, application

mobile…) l’auteur a les capacités d’imaginer de nouveaux types de narration.

Sur support papier on a déjà vu quelques expérimentations de désorientation de la lecture.

Marc Saporta, écrit en 1962 l’ouvrage « Composition n°1 » et propose un mode de lecture

d’un ouvrage papier totalement nouveau. Le livre se présente sous la forme d’une pochette

dans laquelle sont rangés des feuillets. Le lecteur est invité à battre ces cinquante feuillets

comme un jeu de carte afin de créer un ordre complètement aléatoire dans la narration et la

succession des chapitres.

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Image 3 - "Composition N°1" Marc Saporta 

Comme nous l’avons vu précédemment, la littérature numérique générative et combinatoire a

repris ce concept de lecture définie par le hasard et/ou la manipulation du lecteur

3.3 Une remise en cause du genre littéraire traditionnel ?Si l’on s’accorde à penser que le récit littéraire interactif a une très force capacité

d’interrogation, tant bien de la littérature que de l’informatique ou du multimédia, on peut y

voir une remise en cause du récit et de la littérature. Dans certaines œuvres on perd la notion

de récit, de déroulement d’une histoire, d’une intrigue… Ces éléments sont assez perturbants

pour le lecteur qui peut y voir une sorte de trahison de la part de l’auteur. Le lecteur peut avoir

l’impression d’être dans un entre-deux, un espace situé entre le récit, la littérature, l’expérience

et le dispositif.

On peut résumer le dispositif du récit littéraire interactif de la manière suivante :

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Le récit littéraire interactif est un produit de plusieurs composantes : il s'agit d'une expérience

interactive suivant le fil d'un récit et mis en œuvre sur un dispositif spécifique. Le récit

littéraire classique lui ne comporte pas la partie « Expérience » dans le sens de l’interactivité,

car au travers du livre il est difficile d’instaurer de l’interactivité (hormis dans les livres à choix,

où l’on nous propose plusieurs solutions qui nous amènent à telle ou telle page). Le récit

littéraire classique a pour dispositif l’ebook ou le livre papier, dont la seule interactivité est de

tourner les pages.

On a bien vu quelques ouvrages mettant en place une lecture «  augmentée »11, agrémentée de

QR codes qu’il fallait flasher, mais on ne peut pas à proprement parler de remise en cause dugenre littéraire.

11 Jacques Attali, « Le sens des choses », Editions Robert Laffont, 2009.

SENS

Dispositif 

(contraintesdu support)

Expérience

(intéractivité)

Récit

(narrativité)

 

Image 4 - Dispositif du récit littéraire interactif  

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Image 5 "Le sens des choses" Jacques Attali 

Au XXème puis au XXIème siècle il y a eu une remise en cause des normes d’écriture, de

codification des genres, mais aussi du statut d’auteur. Le texte n’est plus forcé d’être

compréhensible, voir lisible… Le récit littéraire interactif permet de modifier complètement la

structure habituelle d’un récit et de proposer une nouvelle lecture. Certes, les auteurs

hypermédia tendent à ébranler la notion de récit dans son cadre spatiotemporel, mais je ne

pense pas qu’il y ait une réelle rébellion contre la littérature. En effet, les récits littéraires

interactifs fuient une certaine forme de linéarité qui pouvait peser dans le récit littéraire

classique et cherchent à questionner la matérialité du texte, du caractère et du mot. Les

auteurs numériques comme on pourrait les appeler, ne souhaitent pas anéantir le livre  : ils

reprennent toujours les composantes de la littérature à savoir l’utilisation esthétique du

langage, la créativité et la production de sens, mais en expérimentant de nouvelles formes

d’expression.

On a pu voir que la littérature numérique ne se revendiquait pas l’ennemi juré du récit

littéraire classique, sous sa forme habituelle : le livre. Les récits littéraires interactifs sont très

imprégnés de la notion de récit et de diégèse. La littérature numérique questionne à la fois le

dispositif, le multimédia, la littérature, mais aussi un point qui est très intéressant : elle

interroge et repense aussi la relation auteur/lecteur.

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IV/ Une nouvelle relation lecteur / auteur

En effet, les récits littéraires interactifs, grâce aux outils et dispositifs dont ils jouissent, ont dès

les premières expérimentations cherchés à repenser la relation entre lecteur et auteur. Du point

de vue du lecteur, on peut parfois être frustré à l’idée de ne pouvoir communiquer ou interagir

avec l’auteur d’un livre qui nous a plu. De plus, qui n’a jamais imaginé pouvoir intervenir dans

le récit en inventant une nouvelle fin ? Les contraintes imposées par le support papier (le livre)

en matière d’interactivité n’ont plus lieu d’être dans le numérique. Nous verrons ainsi ce que

ça change en matière de relation auteur / lecteur, et quelles influences cela peut avoir sur le

récit.

4.1 Rôle et figure de l’auteur

L’auteur, dans les récits littéraires interactifs a une place bien particulière. Si l’on retrouve

souvent sa place d’auteur démiurge dans les récits, la place de l’auteur atteint un degré de

présence supérieur dans les récits interactifs. Serge Bouchardon explique cela en disant que le

récit interactif, et notamment les hyperfictions, sont caractérisés par le processus de

fictionnalisation de l’auteur.

Gérard Genette, dans Métalepse, théorise le concept de « métalepse de l’auteur » de la

manière suivante : « La rhétorique classique définissait la métalepse comme la désignation

figurée (métonymique) d'un effet par sa cause, ou vice versa, et plus spécifiquement la

métalepse "de l'auteur" comme une figure par laquelle on attribue au poète le pouvoir d'entrer

en personne dans l'univers d'une fiction […] ». Ainsi, dans le récit, on peut accéder plus ou

moins facilement à des récits enchâssés dans le récit principal, ou auteur et lecteur se

rencontrent et interviennent dans le récit. On qualifie d’ailleurs parfois l’auteur de « meta-

auteur »12.

Dans mon projet hypermédia je souhaite mettre en œuvre cette notion de métalepse de

l’auteur, en donnant la possibilité à une personne qui flashe un des QR codes, de pouvoir

envoyer un mail à l’auteur, en l’occurrence moi. Je me place ainsi comme un élément

12 Terme avancé par Jean-Pierre Balpe

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constitutif du récit. Ainsi le lecteur se demande si la personne à qui il envoie un mail est un

personnage, une personne réelle, l’auteur lui-même ou alors une personne choisie au hasard…

L’auteur, maître des sens ?Sylvie Leleu-Merviel, dans l’ouvrage collectif « Hypertextes hypermédias » dirigé par Jean-

Pierre Balpe, pose le concept du « Maître du sens ». Elle le définit comme « un individu

capable, par la maitrise absolue des processus d’émergence, de faire surgir des sens novateurs

aptes à emporter l’adhésion de ses contemporains ». Sylvie Leleu-Merviel associe ce concept

de Maître du sens à la figure de l’auteur, en expliquant que l’auteur est une personne qui

amène un regard neuf sur la réalité des choses et qui nous fait voir des évènements d’une

manière différente.

Alors que dans le livre papier, l’auteur ne peut exprimer sa présence qu’au travers de ses mots,

le récit interactif lui, permet à l’auteur de s’incorporer physiquement dans le récit. Il peut

intégrer une photo de lui, de la vidéo, permettre par des procédés de fictionnalisation d’entrer

en contact avec le lecteur… Il crée donc un niveau supérieur de sens dans son récit.

Dans l’œuvre « Submarine13 » de Jean-Paul Trichet, dont l’utilisation repose sur des liens

hypertextes cliquables, on peut télécharger une vidéo de quelques secondes montrant l’auteur

(qui joue ici le rôle d’un capitaine de sous-marin) se filmer lui-même. Cette vidéo est de

qualité très amateur. On voit tout d’abord le visage de Jean-Paul Trichet, puis il tourne la

caméra, pour finalement filmer ses pieds et couper la caméra. Un peu à la manière du

microblogging, ou des podcast, l’auteur fait preuve de sa présence physique dans le récit en

produisant une vidéo témoin.

13 http://jeanpaul.trichet.free.fr/index_submarine.html, 2007 

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Image 6 - "Dark Submarine" Jean-Paul Trichet 

Cette vidéo est également liée à la partie ‘Biographie’ de son œuvre, qui est une page HTML

intitulée « LE SEUIL INFRANCHISSABLE ». Cette page comporte des images fixes JPEG,

animées GIF, du texte et des liens hypertextes à la fin de la page. A première vue, on peut

penser que la micro-biographie qui est dressée là est celle de l’auteur. Puis, lorsqu’on vient à

prêter plus grande attention aux images qui mangent l’écran et écrasent parfois le texte, on se

rend compte que celles-ci proviennent certainement pour la plupart de moteurs de recherche.

Ces photos assez communes, sont mélangées à des photos qui paraissent plus vraisemblables,

plus authentiques…

Image 7 "Le seuil infranchissable" Jean-Paul Trichet 

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Ainsi on a le sentiment que l’auteur nous raconte sa vie, depuis sa naissance, mais en

l’arrangeant à sa façon. L’exagération de couleur, renforce ce sentiment de pastiche d’histoire

de vie. L’auteur, en s’inscrivant dans le dispositif narratif interactif ne perd pas sa place

d’auteur démiurge, bien au contraire. En donnant au lecteur le sentiment de connaitre sa vie,

de pénétrer dans son intimité en voyant un bout de vidéo, des images personnelles, l’auteur

consolide sa place et continue de tirer les ficelles du récit. Evidemment, face à cela le rôle du

lecteur est primordial ; c’est ce que nous allons aborder dans la partie suivante.

4.2 Rôle du lecteur

Le lecteur, au sein de n’importe quel récit occupe une place importante dans le sens que, s’il

n’y a pas de lecteur, il n’y a pas de récit. La place du lecteur dans le récit interactif est d’autant

plus importante qu’on ne lui demande pas seulement d’être passif, et de lire les petits

caractères assemblés en mots et phrases. Lorsqu’il lit une œuvre de littérature numérique, le

lecteur, qu’on nomme parfois lect-acteur, doit agir. On lui demande de cliquer, d’agir, de

 jouer, afin de faire se poursuivre le récit.

Proust disait déjà « Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage 

de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument optique qu'il offre au lecteur afin de lui 

  permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n'eût peut-être pas vu en soi-même. » 14  Le

lecteur n’est donc pas un élément passif dans le récit, puisqu’on lui parle de lui-même, ou du

moins de son environnement.

L’auteur manipule le lecteur, en lui imposant tantôt des modes de lecture, tantôt en le

désorientant. Victime du syndrome d’Elpénor (ne pas savoir où l’on se trouve dans

l’architecture), le lecteur est souvent bien malmené face à la surcharge cognitive des œuvres

hypertextuelles et des hyperfictions. Le lecteur se trouve d’autant plus surpris quand, au détour

d’une métalepse de l’auteur15, il peut entrer en contact de manière presque instantanée, avec

l’auteur (par le biais d’envoi de mail notamment).

14 Marcel Proust, « Le Temps retrouvé », éd. Pléiade, tome III 15 Métalepse de l’auteur : figure par laquelle on attribue au poète le pouvoir d’entrer en personne dans l’univers d’unefiction. 

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Par exemple, si l’on expérimente l’œuvre de Lucie Boutigny intitulée « Non-Roman »16 et que

l’on clique sur un roman, on se retrouve sur une page HTML qui ressemble à une page web

classique avec des bannières publicitaires, et plus on clique sur les liens, plus on s’éloigne, et

on a plus conscience de l’arborescence ou de la structure du travail. Il est quasiment

impossible de revenir à une page qui nous a plu, sauf si l’on clique sur le bouton ‘retour’ de

son navigateur. Cette navigation un peu hasardeuse perd le lecteur.

On assiste aussi, au sein de la littérature numérique, à un phénomène intéressant du point de

vue du lecteur. En effet, ce dernier peut s’intégrer physiquement dans le récit par le biais de sa

web cam. C’est le cas notamment dans l’œuvre de Serge Bouchardon, « Deprise »17 où, dans

la scène numéro 5, le lecteur voit son image à l’écran, par le biais de sa web cam. Le narrateur

dit «Ma propre image semble me fuir » et lorsque l’on passe la souris sur notre propre image,

l’image se floute, se tord, pour finalement n’être plus reconnaissable. Si l’on arrête d’agiter sa

souris alors l’image redevient nette.

Image 8 - "Déprise" Serge Bouchardon 

Cependant, pour en arriver à cette action là, le lecteur doit avoir au préalable accepté

l’invitation de son navigateur à autoriser l’utilisation de sa web cam. Cette demande peut être

vécue comme intrusive par le lecteur, qui peut refuser cette requête et dans ce cas il ne pourra

16 http://www.synesthesie.com/boutiny/#, 2001 17 http://deprise.fr/ , 2001

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pas comprendre le sens de la scène cinq, puisqu’il ne verra pas son reflet. Il lui manquera donc

le cinquième sens.

Ainsi on peut voir que, dans ce travail le procédé d’immersion du lecteur est très important et

surprenant. Non seulement, le lecteur ne s’attend pas à voir son image apparaitre à l’écran,

mais en plus c’est lui qui dématérialise, qui altère sa propre image. Le troisième élément qui

vient perturber le lecteur est la présence du narrateur qui nous fait part de son sentiment d’être

en perte de contrôle, en totale déprise… L’auteur nous renvoie à nos propres démons, dans un

face à face agressif, où notre image est malmenée. On se retrouve confronté, à travers le

prisme de l’œuvre interactive, à une créature difforme, qui est au final notre propre reflet.

Créature métaphorique de nos angoisses et névroses.

4.3 Importance du dispositif narratif dans cette relation auteur / lecteur

L’outil numérique conforte la théorie selon laquelle l’auteur ne serait pas «  dieu » au sein du

récit interactif. Tout le dispositif numérique qui entoure le travail amène à faire réagir le

lecteur d’une manière que l’auteur ne peut pas maitriser. Dans le cadre d’un récit contraint,

c’est-à-dire où l’on est contraint de faire quelque chose (possibilité unique de cliquer à un

endroit par exemple) l’auteur peut souhaiter ne laisser aucun choix à son lecteur, hormis celui

de fermer son navigateur. Mais lorsque l’on est dans cette configuration je ne considère pas

que l’on parle toujours de récit littéraire interactif. L’interactif existe uniquement si le dispositif 

prévoit des éléments amenant à un échange entre lecteur / auteur / personnage / communauté.

Il peut y avoir un lien entre les quatre éléments : l’auteur parle à un personnage, fait intervenir

la communauté au sein du récit, ou bien le lecteur… Les possibilités d’interaction offertes par

le numérique sont très nombreuses.

Les différents éléments pouvant interagir sur le récit sont les suivants :

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Sortie possible du récit 

(influencée par le libre arbitre) 

 

Image 9 - Interactions possibles sur le récit 

Dans ce schéma on voit que l’auteur occupe toujours une place très importante, un peu

comme s’il était l’âme bienveillante qui surveille le récit, placé au centre.

Néanmoins, on note également que le lecteur occupe une place importante dans le dispositif 

interactif. Il est souvent placé dans une position de libre arbitre : lui seul décide de son

parcours ainsi que du début et de la fin de son expérience numérique. Le lecteur décide

également de l’ordre séquentiel de la lecture et peut bifurquer au gré des liens hypertextes. A

ce propos, dans son écrit « La littérature au risque du numérique »18, Jean Clément dit que

« Sur le web en particulier, aucun mécanisme satisfaisant ne permet de donner un sens à priori

aux parcours d’un lecteur susceptible de passer sans transition d’un auteur à un autre au beau

milieu d’un texte… Apparenté au zapping télévisuel, il faut craindre à certains les dangers

d’une hypolecture ».

18 Jean CLEMENT, « La littérature au risque du numérique », Revue numérique, Numéro spécial « Nouvellesécritures », Vol.5-n°1-2/2001, Paris, Editions Hermès, 2001, P-120

Récit

Auteur

Lecteur

Personnage

Communauté

Librearbitre

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Par rapport au récit écrit sur papier, la relation lecteur / auteur change dans le sens où celui-ci

n’est pas tenu à une sorte de contrat moral dés le préambule du récit. Jean-Jacques Rousseau

dans les « Confessions » établit dés l’incipit un contrat moral avec le lecteur : « Je forme une

entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux

montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera

moi. »

Le récit interactif est différent dans le sens où contrôler le sens est quasi impossible. Les

innombrables passerelles, construites par l’auteur au sein même du récit, contribuent à donner

au lecteur la possibilité d’attraper un certain nombre de signes, qui en cristallisant donneront

un sens propre à chacun. L’auteur, dans ce dispositif joue le rôle d’un chef d’orchestre, tantôt

organisateur du récit, tantôt désorganisateur, avec une profonde ambition sociologique : celle

de voir quelles seront les réactions de son lecteur, et jusqu’où celui-ci mènera le récit.

__

Ainsi on a pu voir au cours de cette partie que les relations entre lecteur et auteur, ainsi que

leur statut même au sein du récit, induit de nouvelles pratiques en matière de lecture et

d’interaction avec le récit. L’auteur démiurge tend à perdre son statut en plaçant le lecteur au

cœur du dispositif, c’est pourquoi l’auteur s’intègre souvent lui-même au cœur du récit : on

peut ainsi voir son image, entendre sa voix, communiquer avec lui… Mais la figure qu’il est

intéressant de questionner dans ces nouvelles formes d’écriture est celle du lecteur  : l’intégrer

au récit (fictionnalisation), lui permettre de modifier le récit ou le programme, intégrer sa

propre image… Les jeux autour du statut du lecteur donnent un sens supplémentaire au récit

et c’est ce qui fait tout l’intérêt de l’interactivité. Dans la partie qui suit nous verrons dans

quelle mesure on peut qualifier un récit d’interactif, comment on peut caractériser

l’interactivité dans un univers multimédia et enfin en quoi les images, le son et la vidéo

apportent un supplément de sens au récit.

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V/ Quelle interactivité au sein du récit ? 

Si on définit la littérature comme « l’usage esthétique du langage écrit

 »

19

alors il sembleévident que tout récit littéraire doit comporter des éléments textuels. Doit-on exclure de fait

les œuvres composées uniquement de son, image ou vidéo ? Ces dernières sont pourtant

constitutives du champ de la littérature numérique. Ainsi il convient de définir les différentes

typologies de l’interactivité.

5.1Typologies de l’interactivité

Le numérique et l’informatique permettent de faire cohabiter des médiums qui, au départ,

fonctionnaient sur des supports distincts. Aujourd’hui nous pouvons écrire, filmer,

photographier avec le même outil (le smartphone). Les genres se mélangent et doivent

cohabiter ensemble afin de produire un contenu riche.

L’expérience de lecture est complètement modifiée pour le lecteur. Dans le cadre de mon

projet hypermédia, le lecteur poursuit la lecture de l’histoire en flashant un nouveau QR code

qui l’amène à un nouveau fragment de l’histoire. Ce fragment peut être une vidéo ou un

extrait sonore. Le lecteur est donc amené à passer d’un medium à l’autre, en restant pourtant

sur un même support : son téléphone. Chaque fragment, sous sa forme multimédia,

conditionne l’interprétation des autres fragments, et ainsi de la globalité du récit.

De mes recherches et de mes analyses de récits interactifs j’ai pu distinguer plusieurs formes

d’interactivité au sein du récit. Je ne prétends pas que cela soit exhaustif car je me place du

point de vue de l’utilisateur et non du théoricien.

Voici les différentes typologies de l’interactivité que l’on peut distinguer :-  Interactivité contrainte : l’interactivité du récit réside dans le fait qu’il existe, au sein

du récit, un enchaînement d’étapes prédéfini qui, pour se faire, demandent l’accord ou

le refus du lecteur. S’il clique alors il y a interactivité, puisqu’on accède à une nouvelle

19 Trésors de la langue Française

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page, un nouvel élément… S’il ne clique pas il n’y a pas vraiment de récit, l’expérience

s’arrête.

-  Interactivité limitée : on laisse penser au lecteur qu’il peut interagir avec le récit, mais

en réalité ses actions n’aboutissent à rien.

Exemple : Détournement, Serge Bouchardon, 2007

-  Interactivité avec la structure du récit : le lecteur peut interagir avec une base de

données, avec la structure du récit ou avec le code source.

-  Interactivité lecteur / auteur : le lecteur peut entrer en contact avec l’auteur et vice-

et-versa. L’interactivité peut se faire de différentes manières : envoi de mail, sms…etc.

-  Interactivité d’introduction de données : le lecteur peut introduire des données au

sein du récit. C’est le principe des textes à trous.

Exemple : Hisfou20 

-  Interactivité d’immersion : le lecteur se retrouve physiquement immergé dans le récit

par le biais de l’image de son corps. On utilise, dans ces cas là, une photo ou l’image

de la web cam de l’utilisateur.

Exemple : Déprise, Serge Bouchardon, 2010

-  Interactivité de simulation : le lecteur est plongé dans un univers virtuel 3D plutôt

réaliste. Ce type d’interactivité s’apparente au jeu vidéo.

Il n’existe pas, à proprement parler, de classification de l’interactivité en littérature numérique.

Cependant, lorsque l’on expérimente les différents dispositifs proposés on prend conscience

qu’il existe différentes techniques mises en œuvre par l’auteur pour rendre son récit interactif.

On passe ainsi d’une lecture plus ou moins passive à une réelle expérience de lecture et

d’appropriation du récit. Le corps du lecteur peut être physiquement immergé au cœur de la

narration par le biais de la web cam notamment.

Le dispositif multimédia (utilisation d’images, sons, vidéos) au sein du récit littéraire est

essentiel dans la mise en œuvre de l’interactivité. Nous allons détailler comment dans les

parties suivantes.

20 http://www.lemondedida.com/hisfou-texte-a-trou-completement-fou-1.php

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30

5.2 Importance des images

Les images sont beaucoup utilisées dans les récits littéraires interactifs et notamment dans les

hyperfictions. L’exemple de « Serial Letters »21

 est plutôt parlant : cette hyperfiction créée parXavier Malbreil est toujours en constante évolution. Le principe est de trouver des liens

hypertextes cachés dans les images, afin d’accéder à une autre page. Les images, ou chapitres

ne comportent pas toujours du texte, et pourtant le fonctionnement de cette œuvre est

proprement littéraire. L’intrigue, une sorte de comédie mafieuse avec des personnages

archétypaux renvoie au genre du polar, la structure du récit se fait par chapitre, et pourtant la

navigation, elle se fait par le biais des images.

Image 10 - "Serial Letters" Xavier Malbreil 

Alors que dans le livre papier les images sont utilisées comme illustrations d’un propos ou

d’un passage, l’utilisation d’images dans la littérature numérique est tout à fait différente. Dans

les récits numériques (ou interactifs) les images ne sont pas données à voir pour elles-mêmes.

21 Malbreil Xavier, Serial Letters , depuis 2002, travail en cours http://www.0m1.com/Serial_Letters

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31

A ce propos, Xavier Malbreil dit que « le lisible et le visible s’interpénètrent »22. Il s’agit de

comprendre ou du moins de sentir les images dans leur rapport au texte, et vice-et-versa.

Le travail de l’auteur change également, puisqu’il ne se retrouve plus seulement manipulateur

du texte mais également d’images. Les images peuvent êtres animées, ce qui instaure une

dimension temporelle supplémentaire. L’écriture peut se faire donc en plusieurs dimensions.

Dans mon travail, j’ai choisi d’utiliser des images. Je me suis retrouvée confrontée à des

contraintes techniques imposées par le medium du smartphone. Le but de mon travail étant

d’être lu par les smartphones les plus massivement utilisés (iPhone, Nokia, HTC…) j’ai du

composer avec tous ses outils lors de la création. Les images doivent donc avoir un format,

puisque la résolution d’écran de chaque smartphone est différente. Il semblait judicieux de se

résoudre à correspondre au mieux au support de l’iPhone, puisque c’est le plus utilisé.

Dés lors, l’image de chaque fragment d’histoire occupera tout l’écran d’un iPhone, mais

dépassera sur l’écran d’un HTC… Cela demandera à l’utilisateur du HTC de naviguer avec son

doigt et de frôler la surface de l’image. L’appréhension du sens de l’image est donc

complètement différente selon le smartphone que l’on possède. On peut soit être immergé

dans une image, en étant très proche des détails, soit la survoler en tant que surface, lorsque

celle-ci occupe tout l’écran. Ces contraintes imposées par les supports ne donnent pas les

mêmes éléments de compréhension selon les utilisateurs. L’image est donc à sens multiples.

22 Malbreil Xavier, Éloge des virus informatiques dans un processus d'écriture interactive, essai, Le Manuscrit, 2004, pages 34-36  

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32

Image 11 - Visuel de mon projet Hypermedia

Concernant l’esthétique j’ai choisi pour les fragments d’histoires statiques, de mettre en fond

une image en noir et blanc de l’endroit où a été posé l’autocollant avec le QR code. Cette

image de fond est travaillée dans sa matérialité : la luminosité, le contraste, la balance des

tons, et les contours sont retravaillés afin de laisser à penser que l’on peut se trouver dans unrêve, ou du moins au sein d’un univers onirique. Comme si l’on était dans un long tunnel dont

l’issue nous aveugle. On peut distinguer les contours, mais une sorte d’aura nous éblouit pour

nous faire distinguer uniquement les formes.

L’image remplace donc la description textuelle de l’univers onirique dans lequel le personnage

se trouve.

Dans une autre œuvre de Xavier Malbreil intitulée « 10 poèmes en 4 dimensions », lesimages, qui sont des dessins, prennent le dessus sur le texte en le masquant et en altérant sa

lisibilité. Dans cet exemple-ci, les images sont un frein à la lecture, et quand on peut lire un

mot ou un bout de phrase, notre lecture est contrariée. Il faut donc composer avec les images

qui clignotent et qui mangent le texte, afin d’accéder au sens global du poème.

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33

Image 12 - "10 poèmes en 4 dimensions" Xavier Malbreil 

L’image peut alors trouver son sens comme l’élément perturbateur de la lecture, ou alors un

élément qui vient apporter un sens supplémentaire à l’œuvre. L’image peut également prendre

la forme d’un lien hypertexte, renvoyant à une autre page sur laquelle on peut trouver d’autres

images…etc. L’image peut entrainer la boucle.

5.3 Association au son

Toujours dans cette idée de montrer que la littérature numérique et les œuvres littéraires

interactives font appel à plusieurs médias / médiums, il est intéressant de noter que le son

occupe une place assez particulière dans ce champ de création.

Quand le traitement des images peut se faire de manière assez aisée grâce aux logiciels

basiques de nos ordinateurs (Paint, The Gimp…) le traitement du son demande des

compétences certaines en la matière. Il faut tout d’abord disposer d’outils de capture, puis de

mixage, et enfin savoir manipuler ces outils. Peu d’auteurs exploitent en profondeur les

possibilités qu’offre le son dans la narration. Peut être par peur d’être trop dans l’illustration

ou d’ajouter un élément qui n’a pas de sens, la plupart des œuvres interactives sont muettes.

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34

L’expert du sujet « Hypermédia et son » est Hervé Zenouda, musicien, auteur et maître de

conférence à l’Université de Toulon – Var. Au sujet des récits interactifs utilisant le son il

dit23 :«  Les hypermédias, qui sont à la fois des systèmes de représentation et de production d'images 

et de sons, instaurent de nouvelles situations de communication comme l'interactivité, la 

 générativité ou la simulation  ».

Il discerne ainsi trois modes de communication qui peuvent agir sur le récit ou l’objet

hypermédia :Avec l'interactivité, le contrôle est donné à l'utilisateur, le système réagissant à ses

manipulations dans un cadre défini par le concepteur.

Avec la générativité, le système va créer des objets multimédias autonomes

indépendamment des actions de l'utilisateur.

Avec la simulation, il s'agira de créer un monde ou un "être" artificiel en amont de

toute représentation médiatique.

Ces trois modes d’influence s’appliquent au son dans la mesure où l’on peut trouver du son

généré, du son interactif ou du son simulé.

Le son dans le web en général pose quelques problèmes. Bon nombre de sites web

comportent une bande sonore qui s’active dès lors que l’on arrive sur le site. Ce son n’a en

général aucune fonction sémantique, il est juste là pour créer une sorte d’ambiance lors de la

navigation. Cet effet est souvent déceptif car on a les enceintes allumées qui tout d’un coup se

mettent à hurler une musique de piètre qualité. La réaction qui suit ce phénomène est en

général de fermer la fenêtre (surtout si l’on est au bureau) ou de couper le son.

On retrouve ce problème d’adhésion ou de distanciation du lecteur face au son dans l’œuvre.

Si le son ne lui plait pas, le réflexe sera immédiat  : il le coupera. Alors que si une image ne lui

plait pas, son regard étant habitué à voir des choses pas toujours à son goût, il aura plutôt

tendance à cliquer ailleurs, à zapper, et à regarder une autre image.

23 Hervé Zénouda, Images et sons dans les hypermédias, De la correspondance à la fusion, H2PTM05,‘Créer, jouer, échanger : expériences de réseaux’, 2005

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Néanmoins, on trouve des récits interactifs où le son joue un rôle primordial. Bien souvent ces

œuvres là ont une bande son spécialement composée par un designer sonore. On peut citer

pour exemple l’application pour iPhone : Fréquences. Née de la rencontre de Célia Houdart

(auteur), Sébastien Roux (compositeur), André Baldinger (concepteur visuel et typographe),

Martin Blum (concepteur multimédia) et Graziella Antonini (photographe), ce livre

électronique associe création radiophonique et design graphique.

Image 13 "Fréquences" Célia Houdart 

Destiné à une écoute au casque, cette application utilise la technique binaurale 24 qui permet

un rendu sonore plus englobant et spatialisé. Chaque personnage a son propre environnement

où se superposent jingles, sons concrets, bruits… Dans cette application le son a réellement

pour but de créer un univers autour de l’histoire.

Le son peut être ainsi vu comme un moyen de submerger le lecteur, de lui faire ressentir les

choses d’une certaine manière en faisant appel à d’autres de sens que celui de la vue. Le son

peut aussi être utilisé pour narrer l’histoire, comme si l’on nous lisait une histoire. De mon

point de vue, ce procédé infantilise le lecteur d’une manière positive, en l’amenant à lâcher

prise et à se laisser porter par le récit. C’est le cas notamment dans l’œuvre «  Ne me touchez

pas / Don’t touch me » d’Annie Abrahams.

24 L'écoute binaurale est une situation expérimentale dans laquelle on stimule les deux oreilles, généralementpar le biais d'écouteurs, pour étudier la perception des sons, en particulier leur spatialisation.

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Image 14 "Ne me touchez pas / Don't touch me" Annie Abrahams 

Dans cette œuvre lorsque l’on clique sur « Ne me touchez pas » un son se déclenche, avec la

voix d’une femme qui narre une histoire. La narratrice parle à la première personne et raconte

son histoire. Elle est avec sa mère, près d’un champ, et rencontre un cheval qui lui dit «   je te

veux ». Cette phrase revient comme un leitmotiv et sonne comme un bruitage. Si pendant ce

récit on passe la souris sur la femme allongée, alors celle-ci change de position en signe de

refus, et le son recommence au début. Lorsque le récit vocal est lancé on ne peut l’arrêter,

sauf si l’on coupe ses haut-parleurs ou qu’on ferme le navigateur, ce qui entraine la fin du

récit. Lorsque l’on écoute cette narration on a réellement le sentiment d’être un enfant qui

écoute, à qui on raconte une histoire. Le narrateur parle d’une voix douce et poser, sans effet

sonore de reverb 25 ou de 3D.

La seule interactivité que l’on peut avoir avec ce son, est de le faire repartir à zéro en passant

la souris sur la femme. Cependant, au premier regard on ne comprend pas forcément que

cette femme est une zone cliquable déclenchant une action sonore. Or, dans ce travail, le son

prend tout son sens lorsque l’on interagit avec lui.

Il y a une vraie relation entre le son et l’image dans le sens où le son nous fait percevoir

l’image d’une manière différente, et l’image nous fait entendre ou comprendre le son

différemment. Il y a une complémentarité entre les deux qui produit du sens.

25 Reverb : effet sonore visant à reproduire l'ambiance d'un lieu plus ou moins vaste, de la chambre à lacathédrale et à donner une certaine présence à un son.

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37

Dans l’œuvre « Perte de temps »26 (adaptation du récit l’ « Horloge » de Charles Baudelaire,

illustré par Julie Potvin), le son préfigure la relation du lecteur et de l’auteur au temps.

Image 15 - "Perte de temps" Julie Polvin 

Le son se compose de plusieurs éléments : une boucle (loop ) avec une dizaine de notes

toujours jouées dans le même ordre, des sortes de grésillements et le bruit répétitif d’une

horloge, marquant chaque seconde. Il y a deux univers sonores : celui de la boucle, marquant

un cadre spatiotemporel ou le temps semble d’être arrêté, le corps en suspend, ne reprenant

vie qu’à l’initiative du lecteur, s’il clique ou non. Il y a également l’univers de l’horloge,

matérialisant le temps qui passe d’une manière très figurative puisque c’est un bruit universel.

Puis, tout au long du récit viennent s’ajouter des bruits, assez urbains, donnant au récit une

dimension obscure qui correspond tout à fait à l’univers graphique (rouages, mécanismes qui

tournent, horloges…).

On remarque qu’il existe assez peu d’œuvres interactives où le son est interactif. Le son est

généralement plutôt pertinent dans le sens de l’œuvre, mais on ne peut quasiment jamais

interagir avec celui-ci. Pourtant la technologie s’y prête : les smartphones et leur dispositif 

tactile peuvent faire de l’interaction avec le son une vraie expérience littéraire : mixage du son

au doigt, brouillage du texte, interférence avec d’autres utilisateurs… les possibilités sont

26 http://www.perte-de-temps.com/  

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multiples mais ne sont, pour le moment, qu’au stade expérimental. La priorité est toujours

donnée à l’image. Notre regard est-il plus éduqué que notre ouïe ?

5.4 Association à la vidéo

Le récit littéraire interactif se voulant multimédia, il est donc intéressant de s’intéresser à son

rapport à la vidéo.

Je n’ai pas pu personnellement expérimenter beaucoup de ces récits qui utilisent la vidéo.

Peut -être car ce medium est encore peu utilisé dans les récits littéraires interactifs. Il est clair

que les auteurs préfèrent les images et le texte, peut-être par défaut de connaissance en

production vidéo. Néanmoins, j’ai trouvé quelques récits (Récits Voisins27, Flight path28,

Revenance29, Inanimate Alice30, Livres des morts31…) utilisant des séquences vidéo.

La vidéo a plusieurs fonctions dans ses récits :-  Une fonction d’immersion : la vidéo, lorsqu’elle est utilisée en plein écran, donne au

lecteur la sensation d’être incorporé au sein même du récit. C’est un procédé

traditionnellement utilisé au cinéma, qui est ici transposé au sein du récit littéraire.

Exemple : Flight path. Ci-dessous on voit que la vidéo (celle d’une rue avec des

voitures) est décomposée en fragments et occupe tout l’écran. On plonge dans

l’univers de cette rue.

27 Collectif OVOSITE, http://hypermedia.univ-paris8.fr/ovosite/recits/navi.htm,28 Pullinger Kate, Joseph Chris, http://www.flightpaths.net/ , 200829 Chatonsky Grégory, Drouhin Reynald, http://www.incident.net/works/revenances/ , 200830 Pullinger Kate and Babel http://www.inanimatealice.com/ , 200531 Xavier Malbreil, http://www.livresdesmorts.com, 2004 

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Image 16 "Livre des morts" Xavier Malbreil 

-  Une fonction narrative : on voit un personnage qui parle, qui contribue au récit. Cela

peut également permettre de rendre le récit plus vraisemblable. Cette fonction de

témoignage rapproche le récit du réel.

-  Une fonction interrogative : lorsque l’image de la vidéo est manipulée d’une certainefaçon qui la rend presque incompréhensible, on peut supposer que l’objectif de l’auteur

est de nous amener à nous interroger sur la nature de cette image en mouvement que

l’on voit : Qu’est-ce-que c’est ? Pourquoi est-ce à cet endroit du récit ? Est-ce

cliquable ?Exemple : Livres des morts. Dans cette hyperfiction on voit un personnage se déplacer

extrêmement lentement. On pourrait croire qu’il s’agit d’une image animée. Or, il s’agit

d’une vidéo ralentie à l’extrême, dont on peine à discerner les détails.

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Image 17 "Livre des morts" Xavier Malbreil 

On peut voir que la vidéo est n’est pas toujours utilisée comme témoin du réel. Dans le cas de

l’œuvre de Xavier Malbreil « Les livres des morts », on voit que la vidéo nous plonge dans un

univers très particulier et assez éloigné du réel. Cette vidéo nous amène à douter sur l’identité

du personnage assez fantomatique et son implication dans le récit. La vidéo, dans le récit

interactif, soulève beaucoup de question.

La vidéo dans le récit interactif a une temporalité très précise :-  La vidéo peut être lue en boucle : on assiste à un phénomène de répétition, qui est

habituellement utilisé pour le texte (on répète indéfiniment le même mot ou la même

lettre). Ce procédé peut amener le spectateur à un certain mal-être, surtout si la vidéo

est en plein écran. On peut avoir le sentiment d’être enfermé dans le récit.

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-  La vidéo peut être définie dans le temps (pas de boucle) et le lecteur peut la rejouer  :cette temporalité de la vidéo est assez confortable pour le lecteur, qui peut s’attacher,

lors d’une deuxième lecture, à observer les détails de la vidéo. C’est le format classique

de lecture de vidéo sur les plateformes de lecteurs vidéo (Dailymotion, YouTube…etc).

Cela peut être intéressant dans une histoire où il faut mener une enquête : on a la

possibilité de regarder plus attentivement la vidéo à la recherche d’indice.

-  La vidéo peut être définie dans le temps (pas de boucle) et le lecteur ne peut pas la

rejouer : cette configuration demande au lecteur une certaine concentration. S’il

manque un passage de la vidéo alors il peut manquer un élément crucial du récit. Cela

peut être un choix de la part de l’auteur.

Je n’ai pas réellement trouvé de récit en ligne où l’on a la possibilité d’interagir avec la vidéo.

Les techniques d’interaction avec la vidéo sont encore difficiles à mettre en place ou alors elles

sont assez restreintes. Par exemple on peut avoir une vidéo avec un lien cliquable à l’intérieur.

Ce procédé est utilisé dans bon nombre de pubs virales sur internet.

Exemple : la pub Tipp-Ex qui propose d’interagir avec la vidéo et de modifier le cours de

l’histoire.

Image 18 Publicité Tipp-Ex 2010 

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Le choix est souvent binaire. A la question « Souhaitez vous tuer l’ours ? » deux solutions

s’offrent à nous : « Tuer l’ours » ou « Ne pas tuer l’ours ». Ensuite, on peut de nouveau

interagir avec la vidéo en écrivant un mot dans l’espace texte en blanc, dans le titre, et

modifier le cours du récit.

Ce genre de procédé donne au lecteur la possibilité de se comporter comme s’il était l’auteur

de la vidéo. Si cela est utilisé de plus en plus fréquemment en publicité, il serait intéressant

d’utiliser cela dans les récits littéraires interactifs. Cela demande un savoir-faire technique que

les auteurs n’ont pas forcément.

J’ai choisi d’utiliser de la vidéo dans mon projet hypermedia afin de donner une dimension

supplémentaire au récit. En effet, les vidéos sont sur une page web que l’on peut consulter

depuis son mobile en flashant un QR code. Il y a deux vidéos  qui montrent un homme qui

parle. Ces vidéos sont extrêmement travaillées dans leurs couleurs et dans leur texture.

Image 19 Aperçu de mon projet Hypermedia "Hic et Nunc" (image d'une vidéo) 

On voit beaucoup les pixels et la coloration est rose. Cette coloration est également reprise

dans les visuels des fragments d’histoire non-animés. Elle donne une connotation onirique et

romantique à l’image. Selon le narrateur le monde se voir en gris ou rose. L’aspect pixellisé de

l’image révèle la matérialité de l’image numérique et rappelle le questionnement qui articule

tout ce mémoire : le rapport entre le numérique et la littérature.

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La vidéo commence à être de plus en plus utilisée dans les récits littéraires interactifs car ce

format présente l’avantage de capter le regard et d’être ludique, du moins plus que l’image

fixe. Qu’elle ait une fonction d’immersion, une fonction narrative ou interrogative, la vidéo

surprend le lecteur, car il n’est pas habitué à voir de la vidéo au sein de récits littéraires. Il

serait intéressant de développer les vidéos interactives dans les récits littéraires, car celles-ci

ont un vrai pouvoir narratif  : celui d’augmenter la réalité du récit, en ajoutant du son et des

images en mouvement. On peut intégrer un degré de réalisme supplémentaire grâce à la

vidéo… La vidéo peut être protéiforme au sein du récit.

J’aurais aimé mettre en place cela sur smartphone, mais la technologie mobile ne supporte pas

encore ce genre de manipulation (problèmes de lecture vidéo sur iPhone, technologie Flash

non supportée…etc). La technologie évolue cependant dans ce sens !

VI/ Ouverture

6.1 Le champ d’expérimentation poétique

On considère que c’est à partir du XXème siècle que la poésie est devenue un art sémiotique.

Le texte se focalise sur le signe, sa matérialité et son « stimulus »32.

Le medium informatique a fait son apparition en poésie dans les années 80, avec en 1990 une

généralisation du processus de génération informatique. De nombreux logiciels de

développement permettent de coder aisément (Director, Flash, pure data…) laissant aux

auteurs la possibilité d’explorer d’autres pistes de création poétique. Ces logiciels permettent

de générer du texte, c’est-à-dire d’obtenir un texte à partir d’un matériau constitué d’une

grammaire et de quelques mots de vocabulaire.

Dans un tel contexte, un petit groupe de français se regroupent sous le nom d’OULIPO 33 

(Ouvroir de Littérature Potentielle). Ce groupe est créé en 1961 par le poète Raymond

Queneau et le mathématicien Jean-François le Lyonnais. Une des œuvres clés de ce

32 Klinkenberg Jean Marie, Précis de sémiotique générale, Paris, Seuil, Points essais, 200033 http://www.oulipo.net

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mouvement est celle de Queneau, « Les cents milles milliards de poèmes » qui sera

programmé en 1975 à l’occasion de l’exposition Europalia à Bruxelles.

Le mouvement OULIPO verra naître l’ALAMO (Atelier de Littérature Assistée par la

Mathématique et les Ordinateurs), créé en 1981 par Paul Braffort et Jacques Roubaud, deux

oulipiens. Le projet du collectif ALAMO est d’ouvrir la voie au développement d’outils et de

méthodes informatiques, à mettre au service des écrivains. L’informatique est vue comme un

outil de création de textes. Brafoort et Roubeaud, dans leur texte fondateur de l’ALAMO

explique cette relation entre informatique et création de la manière suivante :

« Pour l’ALAMO, l’informatique est un outil qui facilite le travail combinatoire. Il ne s’agit 

donc pas de création spécifique par ordinateur ; les textes sont écrit par des auteurs, la 

machine a pour fonction de les disposer, les arranger, les réactiver ».

Ces deux mouvements imbriqués les uns dans les autres traceront les grandes lignes de ce que

sont aujourd’hui la littérature et la poésie numérique. En associant également des images puis

du son, ces expérimentations poétiques donneront lieu à un genre à part entière, encore

méconnu du grand public.

En 1988, le collectif L.A.I.R.E (Lecture, Art, Innovation, Recherche, Ecriture) voit le jour grâce

à Philippe Bootz et Tibor Papp, tous deux auteurs et programmeurs en poésie numérique. Le

groupe comprend également d’autres auteurs comme Frédéric Develay, Claude Maillard et

Jean-Marie Dutey, qui développera en 1989 une œuvre majeure : le mange texte34.

34 Dutey Jean-Marie, " Mange-texte ", alire 1 , commentée dans " Un modèle fonctionnel des textes

procéduraux ", Les cahiers du Circav num. 8, p. 212, Gerico-université de Lille-3, Villeneuve d'Ascq,1996.http://infolipo.org/rencontres/rc2002/artnum1/histoire/dutey/dutey1.htm ethttp://www.youtube.com/watch?v=B_gjY55bpt4

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Image 20 "Le mange-texte" Jean Marie Dutey 

Philippe Bootz explique le travail de la manière suivante « Il s’agit d’un cycle de 3 strophes 

typographiées dans une police graphique qui demande une attention particulière de la part du 

lecteur car chaque lettre est dessinée sur un carré découpé en quatre carrés élémentaires,

chacun portant une forme géométrique spécifique (Fig.1). Un petit nombre de formes suffit à 

fabriquer toutes les lettres du texte. L’œuvre évolue grâce au procédé graphique suivant : le 

 programme crée aléatoirement un trou au centre de chaque lettre en rognant les bords des 

carrés élémentaires, ce qui a pour conséquence de rendre la lettre illisible. Puis il remplace les 

éléments graphiques par ceux de la nouvelle lettre à afficher à cet endroit, dans une autre 

couleur. » 

Cette œuvre sera publiée dans la revue alire n°1  du collectif L.A.I.R.E, qui affirmera

l’existence d’une littérature numérique spécifique.

Les mouvements de l’OULIPO, de l’ALAMO ou encore le collectif L.A.I.R.E n’ont eu de cesse

de démontrer que l’informatique en tant qu’outil et medium pouvait être une source

intarissable de création et d’expérimentations. On ne voit pas l’informatique comme quelque

chose qui tuera le texte, bien au contraire, la machine permet de nouvelles formes d’écritures.

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6.2 Les serious games

Afin d’élargir le sujet de la littérature numérique, nous allons nous intéresser aux serious

games et plus précisément à leur narration. Ces «   jeux sérieux » ne sont pas complètementéloignés des récits interactifs, dans le sens où ils font appel à certains schémas narratifs

communs.

Les serious games peuvent être définis de la manière suivante35 :Un jeu sérieux (traduction littérale du vocable anglais serious games : de l’anglais serious, «

sérieux » et gamme, « jeu ») est, d'après la définition proposée en 2006 par Julian Alvarez et

Olivier Rampnoux, un logiciel qui combine une intention sérieuse, de type pédagogique,

informative, communicationnelle, marketing, idéologique ou d’entraînement avec des ressorts

ludiques. La vocation d’un Serious Game est donc de rendre attrayante la dimension sérieuse

par une forme, une interaction, des règles et éventuellement des objectifs ludiques. De

manière synthétique, un Serious Game englobe tous les jeux vidéo qui s'écartent du seul

divertissement.

Pour mieux comprendre le rapport du serious game à la narration, on peut faire appel aux

travaux de Propp36 sur les contes traditionnels, qui ont permis à Greimas 37 d’aboutir à

l’élaboration du schéma actanciel, rassemblant les rôles et relations constitutifs de la plupart

des structures narratives.

35 http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_s%C3%A9rieux#Histoire_du_Serious_Game36 Vladimir Propp, Morphologie du conte , Seuil (Points / Essais), 197037 Algirdas Julien Greimas, Sémantique structurale : recherche et méthode, Larousse, 1966 

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Image 21 - Schéma Actanciel d’ Algirdas Julien Greimas 

Légende :Le héros, le sujet (celui qui apprend), doit remplir une quête, conquérir l’objet désiré.

L’objet est « ce qui » ou « celui/celle qui » est convoité ; il y a donc du désir. Pour

atteindre l’objet et accomplir la quête principale, le héros doit franchir des étapes ou

péripéties (micro-quêtes ou quêtes intermédiaires). Il est confronté à des mises en

situation où il applique ses connaissances.

Le destinateur formule la quête, il la crée. Il est un peu l’élément manipulateur de

l’histoire.

Le destinataire, bénéficie des résultats de la quête.

Enfin, le héros rencontre sur son chemin des opposants, personnages ou objets qui

font obstacle à la résolution de la quête.

Les adjuvants, eux, sont là pour aider le héros dans sa mission.

Le principe des serious games, ou de l’apprentissage par le jeu est donc de faire suivre au

héros-apprenant une trame scénaristique dans un univers dédié. Le jeu se base donc sur ce

schéma narratif, utilisé à l’origine dans les contes de fées.

On comprend bien que les serious games ne sont pas complètement éloignés du sujet de la

littérature numérique. Si cette dernière à pour vocation de raconter des histoires, et pas

OBJET 

QUÊTE 

DESTINATEUR

ADJUVANTS  OPPOSANTS

DESTINATAIRE

Héro

Sujet

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forcément de faire apprendre quelque chose, on remarque souvent que dans les récits

interactifs la notion de quête est très présente. Par exemple, dans mon projet hypermédia, le

narrateur est à la recherche d’une femme qui l’a quitté et qui est partie sans donner de

nouvelles. Sa quête est donc de chercher où cette femme peut bien être passée.

Aujourd’hui l’engouement pour les serious games est très important. Effectivement, cette

forme de pédagogie est intéressante car l’apprenant part à la rencontre du savoir en est mis au

centre d’une histoire et d’un univers. Cet univers rend sa quête plus didactique et ludique.

Cependant, pour être efficace pédagogiquement parlant, le serious game doit, je pense,

appliquer les principes propres au récit littéraire.

On peut citer « Ma cyber auto-entreprise », serious games ayant reçu le prix du meilleur

serious games de l’année de 2010, et qui propose une sorte de cyber-aventure qui doit

permettre à quiconque de tester ses compétences d'auto-entrepreneur. Ce jeu permet au

  joueur d’avoir toutes les clés en main pour se lancer en tant auto-entrepreneur dans la vie

réelle, par le biais de la simulation.

Image 22 Visuel issu du jeu "Ma cyber Auto-entreprise" 

Ce jeu utilise un schéma narratif clair, annoncé sur la page d’accueil du site :

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Image 23 Visuel issu du jeu "Ma cyber Auto-entreprise" 

Je pense réellement que les serious games doivent s’inspirer de ce qui se fait en matière de

littérature numérique. En effet, les différentes narrations utilisées dans les récits interactifs

permettent de proposer des récits très différents : quête, enquête, divagations, biographie… Ces

derniers peuvent être adaptés au serious games et je pense que cela renouvellerait un peu le genre.

Le serious games propose souvent des choix binaires (vrai/faux, oui/non, réponse 1/réponse 2) qui,au final, limite la portée narrative des récits. Apprend-t-on réellement quelques chose ? Ne serait-il

pas plus intéressant de créer un univers complètement onirique et imaginaire comme dans un récit

littéraire ? Le mimétisme du réel grâce à la 3D facilite-t-il l’apprentissage ?

Le succès du storytelling 38  nous montre que nos sociétés actuelles ont besoin qu’on leur raconte

des histoires. Les serious games et récits littéraires interactifs en sont l’exemple même. Je pense

que ces deux genres doivent travailler en semble et s’enrichir mutuellement, c’est pourquoi j’ai

évoqué les serious games dans ce mémoire.

6.3 L’avenir

Si aujourd’hui on voit les récits interactifs comme des OVNI dans le paysage littéraire, alors il

faut s’attendre, dans les prochaines années, à des chamboulements encore plus importants. Les

nouveaux auteurs multimédia ont su remettre en question les normes littéraires, en malmenant

à la fois les schémas narratifs classiques, mais également en essayant de nouveaux supports

par le biais de l’informatique. On parle ainsi souvent de digitalisation de la littérature…

Comme le disait Victor Hugo « Ceci tuera cela », dans son contexte39 : le livre tuera l’édifice,

on peut craindre qu’une technologie / invention en cannibalise une autre. Une partie de

l’opinion pense que le numérique va tuer le livre papier. Or un autre pan, pense qu’au

38 Storytelling : art de raconter des histoires39 Victor Hugo, Notre Dame de Paris (Livre Cinq, chapitre 2) 

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contraire les nouvelles technologies vont amener à un retour au livre. Cependant le livre va

changer.

Sous l’impulsion des Editions Volumiques, une partie des recherches dans ce domaine conduit

à de nouvelles inventions en matière de dispositif de lecture. Il sera possible demain de lire un

texte et d’en ressentir les émotions décrites. Pour prendre un exemple simple, si on lit un

passage où la pluie tombe, on pourra tout d’abord entendre la pluie tomber, mais aussi sentir

l’eau ruisseler sur les pages du livre. Cette dernière sensation sera produite par des micro

stimulations électriques conduites par des filaments dans les pages du livre.

Ces nouvelles expériences de lecture ne se limitent pas seulement aux sensations. Tous les

acquis qui ont pu être mis en avant dans les recherches et expérimentations en littérature

numérique sont également mis en œuvre dans les travaux des Editions Volumiques. Pour

reprendre le concept de lecture contrainte, on peut imaginer un livre dont l’encre pourrait

disparaitre au bout d’un certain temps de lecture. On pourrait également voir le livre se

refermer à un chapitre donné. Ou un livre qui tourne ses pages tout seul…

Pour cela on peut utiliser du papier thermique et des encres conductibles, ou des livres en

volume imprimé sur papier transparent... Il s’agit de développer à chaque fois une technologie

différente. Il faut également que le récit s’adapte à ce nouveau type de support. Ci-dessous un

livre qui une fois ouvert, voit ses pages chauffer et s’obscurcir progressivement.

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Image 24 Le livre qui disparait, Bertrand Duplat, Etienne Mineur, 2010 

Pour ma part, je partage complètement le point de vue des Editions Volumiques. Il me semble

un peu apocalyptique de penser que la technologie puisse tuer le livre. L’ebook est un support

de lecture qui reprend exactement les propriétés du livre (pages que l’on tourne, encres

numériques, écran non retro-éclairé…) mais n’entre pas dans un renouvellement inouï de

l’expérience de lecture. L’avenir est donc d’investir dans de nouveaux supports permettant aux

réflexions sur la littérature de trouver un joyeux terrain d’expression et d’expérimentation. Les

innovations que proposent les Editions Volumiques doivent rentrer en réflexion avec les

travaux des auteurs.

Pour ma part, je pense que la littérature doit plus s’inscrire dans l’espace physique. C’est ceque j’ai voulu faire en développant mon projet hypermédia. Le lecteur, s’il se place dans un

lieu doit pouvoir expérimenter un récit, en rapport avec ce lieu. Par le biais de la réalité

augmentée, le lecteur peut vivre une nouvelle expérience. Cette expérience peut être

informative : par exemple s’il se trouve devant une église le visiteur peut, grâce à son

smartphone et un dispositif de réalité augmentée, accéder à des informations sur le lieu où il

se trouve.

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D’un point de vue plus créatif et narratif, on peut imaginer cette même expérience, et c’est ce

que j’ai voulu mettre en œuvre dans mon projet hypermédia : une personne se trouve dans un

lieu apparemment anodin, un signe l’attire (un peu comme une gravure préhistorique) et ce

signe, s’il arrive à le décoder, lui permet d’accéder à un récit, ou un fragment de récit. Le

rapport au lieu est donc modifié. On n’est plus seulement de passage mais on interagit avec le

lieu. Il est également nécessaire d’associer les auteurs et programmeurs dans la quête de

nouvelles formes de récit.

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CONCLUSION GENERALE

La difficulté de cette étude était d’associer ma propre réflexion, la création de mon objet

hypermédia et le travail de recherche concernant la littérature numérique et les récits

interactifs. J’ai voulu montrer, au travers de ce dossier, que la littérature numérique soulève

des questions diverses : aussi bien du point de vue de l’écriture, que du multimédia et de

l’informatique.

Si aujourd’hui on réduit la littérature numérique aux ebooks, la littérature numérique est un

champ bien plus vaste de création. Le récit littéraire interactif s’inscrit dans ce champ de la

littérature numérique, mais il reste un genre très peu connu du grand-public. Or, ce genre de

récit est extrêmement intéressant car il a pour ambition de renouveler un genre, de bousculer

le lecteur dans ce qu’il a l’habitude de lire, d’amener à lire différemment, d’expérimenter

physiquement le récit… Comme on a pu le voir, la relation entre lecteur et auteur change

beaucoup : les procédés de fictionnalisation du lecteur ou de l’auteur amènent à penser le récit

différemment. Le lecteur peut agir sur la trame de l’histoire et ne plus être passif. L’auteur a

lui de multiples possibilités de pénétrer dans le récit : il peut être un personnage, apparaitre en

image, converser avec le lecteur, etc.

La littérature numérique et les récits interactifs s’intéressent à la littérature comme l’usage

esthétique de la matérialité du texte, de l’interface et du dispositif. On associe un récit textuel

à un récit multimédia. Les deux récits produisent un sens commun, celui de l’histoire qui nousest racontée.

Evidemment, ce type de littérature soulève une question centrale : le récit littéraire interactif 

est-il dénué d’histoire, d’intrigue, de récit ? Dans certains cas je dirais que oui. Par exemple,

les récits s’inscrivant dans la mouvance « codework » s’attachent tellement à dépouiller le

texte pour en faire ressortir la matérialité, que l’on perd complètement la notion d’histoire qui

est peut être l’élément le plus intéressant pour un lecteur. Je me place du côté de ceux quipensent que pour que la littérature numérique parle au plus grand nombre il faut qu’elle

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s’attache à conserver une trame narrative, un semblant d’intrigue et d’histoire. Le multimédia

et l’informatique sont là pour augmenter le récit et non le dépouiller.

Alors on peut se demander si l’on ne doit pas forcément être initié pour apprécier ces récits ?Il est possible que oui. Certains récits hypertextuels et/ou interactifs sont extrêmement

difficiles à comprendre car le texte n’est pas toujours lisible, ou bien le mode de lecture est

très abstrait… Cela peut perdre un lecteur lambda, habitué à lire des livres… Mais il faut

parfois penser à placer son regard comme celui d’un esthète : chercher la beauté du mot, de la

mise en page, et parfois oublier un peu le sens. L’œil et l’esprit humains ne sont pas encore

habitués à ces types de lecture.

Il est intéressant de jouer avec les frontières du dispositif narratif. On remarque que souvent

l’auteur se confond avec l’artiste ou le créateur multimédia. L’auteur revêt plusieurs

casquettes : celle de créateur du sens, mais aussi celle de manipulateur du récit (en imposant

au lecteur certaines actions par exemple) et celle de manipulateur manipulé (le lecteur peut

imposer sa vision du récit, en modifier le contenu ou en décider la fin). On sort complètement

des cadres imposés par les récits littéraires classiques.

On peut ainsi dire que la narration est un paradigme de l’hypermédia. Toutes les nouvelles

formes de création sont imprégnées de cette notion de récit, d’histoire, de narration… Certes

les évolutions technologiques nous amènent à repenser le récit  : le support conditionne-t-il la

narrativité ? Comment clôturer le récit ? Toutes ces questions sont plus que jamais au cœur

des problématiques de la littérature numérique.

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http://hypermedia.univ-paris8.fr/ 

Site du laboratoire de recherche du département Hypermédia de l’université 

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http://nt2.uqam.ca

Laboratoire de recherche sur les œuvres hypermédiatiques au Canada 

http://www.olats.org

Publications numériques 

http://www.utc.fr/~bouchard/recit/consultation/ 

Base de données de récits interactifs 

http://www.tierslivre.net

Site d’actualités et réflexions littéraires 

http://lafeuille.blog.lemonde.fr/ 

Blog d’actualités littéraires 

http://www.volumique.com/fr/ 

Site des Editions Volumiques 

http://blog.tcrouzet.com

Blog d’actualités littéraires 

http://www.wikipedia.fr

Encyclopédie en Ligne 

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Table des illustrations

Image 1 – « ROMANS » Jean-Pierre Balpe ............................................................................... 12

Image 2 - "Hisfou" ................................................................................................................... 13

Image 3 - "Composition N°1" Marc Saporta ............................................................................ 17

Image 5 "Le sens des choses" Jacques Attali ........................................................................... 19

Image 4 - Dispositif du récit littéraire interactif ........................................................................ 18

Image 6 - "Dark Submarine" Jean-Paul Trichet ........................................................................ 22

Image 7 "Le seuil infranchissable" Jean-Paul Trichet ............................................................... 22

Image 8 - "Déprise" Serge Bouchardon .................................................................................... 24

Image 9 - Interactions possibles sur le récit .............................................................................. 26

Image 10 - "Serial Letters" Xavier Malbreil.............................................................................. 30

Image 11 - Visuel de mon projet Hypermedia .......................................................................... 32

Image 12 - "10 poèmes en 4 dimensions" Xavier Malbreil ...................................................... 33

Image 13 "Fréquences" Célia Houdart ..................................................................................... 35

Image 14 "Ne me touchez pas / Don't touch me" Annie Abrahams ........................................ 36

Image 15 - "Perte de temps" Julie Polvin ................................................................................. 37

Image 16 "Livre des morts" Xavier Malbreil ............................................................................ 39

Image 17 "Livre des morts" Xavier Malbreil ............................................................................ 40

Image 18 Publicité Tipp-Ex 2010 .............................................................................................. 41

Image 19 Aperçu de mon projet Hypermedia "Hic et Nunc" (image d'une vidéo) .................. 42

Image 20 "Le mange-texte" Jean Marie Dutey ......................................................................... 45

Image 21 - Schéma Actanciel d’ Algirdas Julien Greimas ........................................................ 47

Image 22 Visuel issu du jeu "Ma cyber Auto-entreprise" ........................................................ 48

Image 23 Visuel issu du jeu "Ma cyber Auto-entreprise" ........................................................ 49

Image 24 Le livre qui disparait, Bertrand Duplat, Etienne Mineur, 2010 ................................. 51

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ANNEXES

Exemple d’autocollant QR code collé dans un lieu à Annecy (celui-ci renvoi à une page où le

projet est expliqué).

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60

Visuels des fragments vidéo du récit de mon projet Hypermédia

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61

← Visuels des

fragments vidéo

du récit de mon

projet Hypermédia

↑ Visuels des fragments du récit de mon projet Hypermédia

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64

Visuel de la page « Qu’est-ce-que c’est ? »

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Terminé en Juin 2011 - © Anna-Lou BOUVET