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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLM

Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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Table des matières1. Les Fables de La Fontaine................................................................................................................22. La raison d’État................................................................................................................................43. « Je m'en vais, mais l’État demeurera toujours ».............................................................................64. Vauban..............................................................................................................................................85. La ville de Richelieu.......................................................................................................................116. La manutention des esprits.............................................................................................................127. Les Maximes du cardinal de Richelieu...........................................................................................148. Une vision pragmatique-machiavélique.........................................................................................159. Richelieu réalise la «double vérité»................................................................................................1710. Le positionnement pragmatique-machiavélique...........................................................................1911. La typologie typique de la France du XVIIe siècle......................................................................2012. Richelieu sur le caractère national français..................................................................................2313. «La souveraineté n'est non plus divisible que le point en géométrie».........................................2514. Le Prince de Machiavel................................................................................................................2615. La Fontaine et les Fables indiennes..............................................................................................2816. l'Arthashastra................................................................................................................................30

1. Les Fables de La Fontaine

Jean de La Fontaine (1621-1695) estconsidéré dans notre pays comme un illustre «fabuliste », terme qu'il a par ailleurs lui-mêmefaçonné. Mais la richesse de son œuvre pose untrouble à toute personne le lisant, car on a dumal à percevoir qui vise vraiment La Fontaine.

On fait ainsi apprendre certaines fables dès lamaternelle, en pensant que finalement ce sontles enfants qui sont visés, les animaux étantuniquement plaisant. Cependant, la complexitédes fables semble une évidence, et Jean-JacquesRousseau est connu pour sa critique sur cepoint.

Comme il le formule dans son Émile :

« On fait apprendre les fables de LaFontaine à tous les enfants, et il n'y en apas un seul qui les entende. Quand ils lesentendraient, ce serait encore pis ; car lamorale en est tellement mêlée et sidisproportionnée à leur âge, qu'elle lesporterait plus au vice qu'à la vertu. »

Jean-Jacques Rousseau fait une longueexplication des difficultés énormes qu'il y a pourun enfant à comprendre les Fables, sans compterqu'il est connu que la « morale » qui en ressortn'est pas nécessairement évidente !

Jean-Jacques Rousseau conclut alors sur uncompromis, affirmant que seul un adulte moralpeut saisir la teneur des Fables :

« Composons, monsieur de la Fontaine.Je promets, quant à moi, de vous lire avecchoix, de vous aimer, de m'instruire dansvos fables ; car j'espère ne pas me trompersur leur objet ; mais, pour mon élève,permettez que je ne lui en laisse pasétudier une seule jusqu'à ce que vousm'ayez prouvé qu'il est bon pour luid'apprendre des choses dont il necomprendra pas le quart ; que, dans cellesqu'il pourra comprendre, il ne prendrajamais le change, et qu'au lieu de secorriger sur la dupe, il ne se formera passur le fripon. »

L'ensemble des commentateurs bourgeoisnavigue dans cette contradiction au sujet des

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Fables, et au final on se contente de proposerl'image d'un La Fontaine brillant et littéraire,de mentalité individualiste, volontairement «épicurien », etc., bref on se contente dedésamorcer le problème de fond.

Or, naturellement, le matérialisme historiquerépond à cette question. Il est très facile decomprendre qui visait La Fontaine, si l'on a unaperçu historique de la France d'alors.

La Fontaine visait, en fait, les mêmespersonnes que visaient les grands écrits indiensque sont l'Arthashastra, le Paṃchataṃtra, leHitopadesha.

Ces deux derniers écrits sont d'ailleurs desfables, dans lesquelles justement La Fontaine alargement puisé.

Les commentateurs bourgeois ont imaginé unLa Fontaine plaisant puisant dans l'antiquitégréco-romaine – parce qu'ils se sont auto-intoxiqués sur la portée de la prétendue «Renaissance ». Ils vont parfois même jusqu'àexpliquer que La Fontaine aurait, de manièremasquée, critiqué la monarchie absolue !

C'est une totale aberration. En réalité, LaFontaine a une démarche qui est celle del'averroïsme politique. La Fontaine s'est en faitinspiré du Paṃchataṃtra, connu en France sousle titre de « Livre des lumières ou la Conduitedes Rois ».

Les Fables de La Fontaine, tout comme lesfables et contes du Paṃchataṃtra et duHitopadesha, sont des leçons de réalisme etvisent les personnes qui vont être au cœur del'appareil d’État.

Dans le Hitopadesha, recueil indien de conteslui-même ayant sa source dans le Paṃchataṃtra,on lit ainsi au début :

« Même possédée par un quelconqueindividualiste la science rapproche du princeinaccessible un homme, d'où son avenir fortuné ! Comme une rivière, même coulant en

basse région, rejoint l'océan inaccessible, d'où son heureuse destinée !

La science procure l'éducation, de l'éducation se tire le talent, du talent s'obtient la richesse et, de la richesse, le dharma [la loi etl'ordre] : c'est alors le bonheur !

Science des armes et des shâstra[traités], ces deux sciences mènent à la gloire ! Dans la vieillesse, risible est lapremière, toujours objet de respect la seconde.

Comme une empreinte gravée sur un base neuf ne peut être modifiée, ainsi la politique sera ici racontée aux jeunes gens sous la fiction duconte. »

La première fable du premier recueil desFables de La Fontaine, édité en 1668, s'adresseau fils de Louis XIV, qui avait six ans, etexplique pareillement :

« Je chante les héros dont Ésope est lepère, Troupe de qui l'histoire, encor quemensongère, Contient des vérités qui servent deleçons. Tout parle en mon ouvrage, et mêmeles poissons: Ce qu'ils disent s'adresse à tous tantque nous sommes; Je me sers d'animaux pour instruire leshommes. Illustre rejeton d'un prince aimé descieux, Sur qui le monde entier a maintenantles yeux, Et qui faisant fléchir les plus superbestêtes, Comptera désormais ses jours par sesconquêtes, Quelque autre te dira d'une plus fortevoix Les faits de tes aïeux et les vertus des

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rois. Je vais t'entretenir de moindresaventures, Te tracer en ces vers de légèrespeintures; Et si de t'agréer je n'emporte le prix, J'aurai du moins l'honneur de l'avoirentrepris. »

Mais de manière bien plus claire, il y a cequ'on lit dans la préface qui précède cette fable.En apparence, on ne verra qu'une opération de« lèche-bottes », un exercice convenu ; enréalité, on y retrouve les qualités qui justementsont celles exigées par la raison d’État.

Voici ce que dit La Fontaine dans sa préface :

« Il fait en sorte que vous appreniezsans peine, ou, pour mieux parler, avecplaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'unprince sache. Nous espérons beaucoup decette conduite. Mais, à dire vrai, il y a deschoses dont nous espérons infinimentdavantage: ce sont, Monseigneur, lesqualités que notre invincible monarquevous a données avec la naissance; c'estl'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de sigrands desseins; quand vous le considérezqui regarde sans s'étonner l’agitation del'Europe et les machines qu'elle remuepour le détourner de son entreprise, quandil pénètre dès sa première démarchejusque dans le coeur d'une province oùl'on juge à chaque pas des barrièresinsurmontables, et qu'il en subjugue uneautre en huit jours, pendant la saison laplus ennemie de la guerre, lorsque le reposet les plaisirs règnent dans les cours desautres princes; quand, non content dedompter les hommes, il veut triompheraussi des éléments; et quand, au retour decette expédition où il a vaincu comme unAlexandre, vous le voyez gouverner sespeuples comme un Auguste: avouez levrai, Monseigneur, vous soupirez pour lagloire aussi bien que pour lui, malgrél'impuissance de vos années; vous attendezavec impatience le temps où vous pourrezvous déclarer son rival dans l'amour decette divine maîtresse.

Vous ne l'attendez pas, Monseigneur,vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que cesnobles inquiétudes, cette vivacité, cetteardeur, ces marques d'esprit, de courageet de grandeur d'âme, que vous faitesparaitre à tous les moments. Certainementc'est une joie bien sensible à notremonarque; mais c'est un spectacle bienagréable pour l'univers; que de voir ainsicroître une jeune plante qui couvrira unjour de son ombre tant de peuples et denations. »

Le Paṃchataṃtra, le Hitopadesha et lesFables de La Fontaine visent à former leresponsable de l’État, celui que Machiavelappelle « le Prince » dans un ouvrage qui a lamême fonction.

Le Prince doit disposer de qualités précisespour incarner l’État, pour porter l'appareild’État. Et tout comme dans l'Arthashastra, onne trouve dans ce que dit La Fontaine aucuneréférence à la religion...

On est ici, au siècle de Mazarin, de Richelieu,de Louis XIV, à l'époque de la naissance del’État moderne.

Telle est la clef de l'entreprise de LaFontaine, une entreprise qui rentre dans uncadre décisif de l'histoire de France, à unmoment où la monarchie absolue triomphe de laféodalité traditionnelle, avec Louis XIVréussissant ce qu'Ashoka en Inde ne put pasréaliser.

2. La raison d’État

Jean de La Fontaine a écrit ses Fables dansl'esprit de l'averroïsme politique. Comprenonscela.

Au moyen-âge, face à la religion et au clergé,les matérialistes se trouvaient isolés, car lanouvelle classe révolutionnaire, la bourgeoisie,était encore faible, voire inexistante. Pour cette

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raison, le matérialisme européen, nommé «averroïsme », s'est transformé en averroïsmepolitique.

En fait Averroès lui-même avait fait la mêmetentative, en formulant le compromis de la «double vérité » : la religion et la science disaientla « même » chose mais de façon différente, lascience n'étant pas rendue publique, et le roiservant en quelque sorte de médiateur.

Par le biais de John Wycliffe en Angleterre etde Jan Hus en Bohème, le matérialisme a aidédirectement la monarchie dans son affrontementavec la religion et le clergé. Le matérialisme estdevenu un outil dans les mains de la monarchie,qui pouvait ainsi justifier sa politique par lapratique, et non pas par la morale ou la religion.

C'était la naissance des sciences politiques enEurope, dont le représentant le plus célèbre estNicolas Machiavel (1469-1527), l'auteur duPrince.

Néanmoins, on voit que dans l'histoire, lemême phénomène a lieu partout où la situationest similaire.

On trouve donc en Inde le célèbreArthashastra, traité politique écrit par unmystérieux « Kautilya », qui était en faitChāṇakya (environ 350–283 avant notre ère), legrand ministre et tacticien de ChandraguptaMaurya, le fondateur de l'empire Maurya etgrand-père d'Ashoka.

On trouve aussi, beaucoup plus tard maistoujours en Inde, Ziauddin Barani (1285–1357)et sa Fatwa-i-Jahandari, ou « Administrationd'un gouvernement temporel ». Barani était déjàtombé en disgrâce quand il a rédigé cet ouvrage,qui n'a eu par conséquent aucun impact dansl'histoire de l'Inde. Mais c'est un bon exempled'averroïsme politique, et de son échec dans lespays islamiques, à cause de la puissance duclergé.

Et dans notre pays, à l'époque de laconstruction de la monarchie absolue, noustrouvons des ministres en chef qui étaient aussides cardinaux : l'italien Giulio Mazzarino, connu

sous le nom de Jules Mazarin, et Armand Jeandu Plessis de Richelieu.

Richelieu était, comme Chāṇakya, l'âmedamné de l’État, et il a laissé un ouvraged'importance dans le même domaine, sonTestament Politique.

Kautilya, Barani, Machiavel, Mazarin etRichelieu n'avaient qu'un seul but : comprendreet expliquer ce qu'est un État, et comment lefaire exister en tant que tel.

Quand ils évoquent le « Prince », le « roi »,etc., ils parlent en fait de l’État, de l’Étatbourgeois ; c'est Lénine qui, au XXe siècle, vaavec l’État et la révolution expliquerprécisément ce qu'est un État socialiste.

L’État socialiste se fonde sur l'idéologie, caril disparaît en même temps que les classes, enmême temps que la construction du socialismeen direction du communisme. Au contraire,l’État bourgeois, qui se fonde dans un premiertemps sur la monarchie et ensuite sur labourgeoisie, est une administration dont lafonction est de maintenir les choses tellesqu'elles sont, au moyen de politiques et del'armée – c'est à dire de façon nationale.

Selon les mots de Chāṇakya:

« une structure impériale nécessitedeux choses essentielles : uneadministration bien organisée et la loyautépolitique de ses sujets. »

Rejetant l'idéalisme, le moralisme etl'interférence du religieux, Kautilya (aliasChāṇakya), Barani, Machiavel, Mazarin etRichelieu ont théorisé l’État en tantqu'administration avec comme principe moteurl'efficacité.

Cela implique, vu de l'extérieur, du cynismeet de la cruauté, et cela peut en effet être le cas,comme en témoigne le siège de La Rochelleorganisé par Richelieu.

L’État est ce qui compte, la chose la plus

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importante est la « raison d’État », « l'intérêtnational ».

Ainsi, Richelieu a écrit :

« Le secret est l'âme des affaires[d’État] », « Pour tromper un rivall'artifice est permis; on peut toutemployer contres ses ennemis. »

Dans l'Arthashastra indien, on trouve uneinfinité de consignes pour gouverner l’État,organiser l'administration, satisfaire les massesafin d'éviter les troubles, le recours au meurtreet à des espions étant jugé légitime.

Chāṇakya explique en grands détailsl'importance de l'espionnage, et même dumeurtre. Il écrit :

« L'administrateur devrait poster danstout le pays des agents secrets ayantl'apparence d'ascètes religieux, de moineserrants, de charretiers, de saltimbanques,de jongleurs, de clochards, de diseurs debonne fortune, de devins, d'astrologues,d'apothicaires, d'aliénés, de sourds, demuets, et de marchands de boissons, depain, de viande ou de riz. »

Barani nous explique de façon tout aussi «technique » :

« La détermination (azm) ou larésolution (qasd) peuvent servir le bien oule mal, peuvent être bienveillantes ouconflictuelles, concerner la religion ou desaffaires séculaires, et le résultat peut êtrebénéfique ou destructeur. De plus, la résolution peut s'atteler àdes tâches possibles ou impossibles, à desentreprises difficiles ou à des problèmesfaciles, elle peut apporter la prospérité oula ruine, une bonne ou une mauvaiseréputation, elle peut être bonne oumauvaise. En d'autres termes, la volonté dans saforme abstraite n'a pas de valeur morale,mais quand elle opère, elle peut être

bonne ou mauvaise. »

Et bien sûr, Le Prince de Nicolas Machiavela eu de grandes répercussions. Publié en 1532,l'ouvrage a été interdit par le Vatican en 1559,alors qu'il avait déjà été réimprimé 15 fois. Si sacirculation a ainsi été interrompue dans les payscatholiques, cela n'a pas été le cas en France, oùla politique est devenue un nouveau sujetd'études sous François Ier, précurseur de LouisXIV.

3. « Je m'en vais, mais l’État demeureratoujours »

La monarchie absolue a joué un rôleprogressiste en unifiant le pays, en permettantl'existence d'un marché important et del'administration de l’État. Le capitalismen'aurait pas pu se développer dans un pays oùrégnait le chaos, et où un marché organisé nedisposait pas de ressources suffisantes.

Ainsi, les monarchies absolues ont dûproduire leur idéologies unificatrice. C'est cequ'on fait Akhénaton, Ashoka, Akbar le Grandet Jules César, en construisant un nouveluniversalisme, une façon de vivre plus moderneet progressiste.

L’État apportait un saut civilisationnel, entant que grand intégrateur. Dans cet esprit, ontrouve dans notre pays Philippe de Beaumanoir(1250-1296), qui a recueilli en 1283 les lois dedroit coutumier dans ses Coutumes deBeauvaisis, et qui était considéré parMontesquieu, un des plus grands penseurs desLumières, comme « la lumière de son temps ».

N'oublions pas non plus la description queJoachim Du Bellay (1522-1560), un de nos plusgrand poètes, fait de la France dans un versdevenu célèbre : « France, mère des arts, desarmes et des lois ».

En Inde, Chāṇakya (vers 370–283 avant notre

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ère) a eu un rôle de premier plan, en tant queministre et stratège de Chandragupta Maurya.Il considérait qu'il y avait quatre branches delois (chattushpadah) : le dharma (préceptesreposant sur la vérité), le vyavahara (accords etusages), le charitra (l'histoire, les coutumes), etle rajashasan (les édits royaux).

Ashoka, le petit fils de ChandraguptaMaurya, a élaboré un concept de dharma adaptéau nouvel empire, au delà des castes et dubrahmanisme. L'empirisme en est la méthodeprincipale.

Chāṇakya considérait déjà en son temps queles édits royaux étaient supérieurs au dharma,c'est-à-dire, à l'époque, la religion. Comme ill'écrit dans Arthashastra, « l’État c'est le roi(raj-rajyam) ».

Et l’État, c'est la prospérité de la société. Lahiérarchie y est stricte. Bien sûr, cela signifieune administration très développée, quel'Arthashastra décrit avec précision. Il n'y a pasd’État sans administration :

« Le pouvoir ne peut être exercéefficacement qu'avec l'assistance de tiers.Une roue ne tourne pas seule. C'estpourquoi [le monarque] doit nommer desministres et prendre en compte leursopinions. »

Barani affirme de la même façon quel'administration doit être entièrement contrôléepar le roi, et donne une liste complète deministres, d'un cabinet pour les décisionsimportantes. De plus, les lois suivent enapparence la Sharia religieuse, mais obéissent enfait au « Zawabit », c'est-à-dire les lois et lesdécrets de l'État, au nom de l'Istihasan (le bienpublic).

Nous trouvons ici la description de ce qu'estune nation dans son affirmation primitive : unpouvoir militaire utilisant une administration,qui explique sa domination sur un territoire, surun peuple, de façon organique.

Nous trouvons aussi dans la loi romaine desconcepts exprimant cela : la « summa potestas »(le pouvoir souverain) et le « plenitudopotestatis » ( la plénitude des pouvoirs ). EnFrance, c'est le concept de « souveraineté » quia été employé.

Et cette souveraineté dépasse le roi lui-même: parmi les dernières paroles de Louis XIV, il y acette phrase centrale : « Je m'en vais, maisl’État demeurera toujours ».

Le roi est un instrument – il est vrai,l'instrument principal – de l’État. Le roi doitaccepter la réalité (et pas la religion), mais nepas y plonger comme un tyran. S'il est toutpuissant, c'est parce que l’État est toutpuissant.

De ce fait, un roi doit se forger comme uninstrument destiné à assurer la prospérité. Onlit dans l'Arthashastra :

« Les freins à la prospérité sont : lapassion, la colère, la nervosité, la pitié, latimidité, la bassesse, l'arrogance, unenature compatissante, de la considérationpour l'autre monde, la bigoterie. »

« Car, si l'un des trois [buts de la vie],le bien spirituel, le bien-être matériel et leplaisir sensuel, est recherché à l'excès, il setrouve compromis, et par là mêmecompromet les trois autres. »

Cela est vrai aussi pour les ministres. Dansson Testament Politique, le ministre Richelieuécrit à ce propos :

« La probité d'un ministre public nesupporte pas une conscience craintive etscrupuleuse, au contraire il n'y a rien deplus dangereux au gouvernement del’État, vu qu'ainsi que du manquement deconscience il peut arriver beaucoupd'injustices et de cruautés ; le scrupulepeut produire beaucoup d'émotions etd'indulgences préjudiciables au public, etqu'il est très certain que ceux quitremblent aux choses les plus assurées, par

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la crainte de se perdre, perdent souventles États lorsqu'ils pourraient se sauveravec eux. »

Ici la politique naît avec l’État dans sa formela plus structurée, qui décide et détient lasouveraineté. Il agit de manière « scientifique »,avec comme but la prospérité, sans parti prisquant à ce qui est bien ou mal.

L’État moderne se fonde sur l'organisation detoute la société, qui doit obéir au souverain, la «figure » de l’État, qui doit lui-même sesubordonner à l' « art » de la politique.

Le siège de la Rochelle, orchestré directementpar le ministre Richelieu de septembre 1627 àoctobre 1628, est un exemple particulièrementcruel. Cette ville était l'une des plus peuplées deFrance, avec ses 30 000 habitants.

Le principal bastion protestant a ainsi étéencerclé, isolé par 12 kilomètres de fortifications,11 forts et 18 redoutes. Même l'accès à la merétait défendu par un mur maritime de 1400mètres, construit sur des épaves lestées par unremblai.

A la fin du siège, les vieillards, les femmes etles enfants furent expulsés de la ville etmoururent dans les tranchées, puis les 5000combattants finirent par se rendre après 14 moisde siège.

Tel était le prix de l'intérêt national : lacruauté est une composante du devoir de l’État.Dans ses mémoires, Richelieu explique en cestermes le sens de ce siège :

« Il étoit vrai que si le Roi ne prenoitLa Rochelle cette fois-ci, il ne la prendroitjamais, et les Rochelois et les huguenotsseroient plus insolens que jamais, et quetous les ans on auroit la guerre par leshuguenots et les grands factieux, laplupart desquels, et tous les petits quivouloient faire fortune dans la confusion,appréhendoient qu’elle fût prise, autantque l’Angleterre, l’Espagne et tous lesprinces voisins ; mais que si le Roi laprenoit, il auroit la paix pour jamais ; que

sa réputation passeroit celle de sesprédécesseurs ; qu’il seroit le plus puissantroi de l’Europe, et arbitre des affaires dela chrétienté ; que, sans doute, un teldessein seroit beaucoup traversé, qu’il ytrouveroit beancoup de difficultés, maisqu’il étoit certain que, s’il persévéroit, ill’emporteroit ... Alors on entreprit, à bon escient, lesiège de La Rochelle. »

Nous sommes ici au cœur de la « raisond’État ».

4. Vauban

La raison d’État doit s'exprimer coûte quecoûte ; elle prime sur toutes les autresconsidérations. Elle est par conséquent portéepar des gens d'une abnégation complète.

L'une des figures marquantes sur ce plan enFrance est ici Sébastien Le Prestre, marquis deVauban (1633 - 1707). Il est notamment àl'origine de fortifications qui jouèrent un rôlecapital dans la stratégie de Louis XIV, et qu'onappellera la « ceinture de fer ».

Sont concernées des villes comme Lille,Belfort, Neuf-Brisach, Saint-Malo, Longwy,Saint-Martin-de-Ré ; ces fortifications serontd'une efficacité quasi complète jusqu'àl'avènement de l'artillerie.

Vauban fut, en effet, une grande figure del'intelligence militaire, ayant tenu 40 sièges,ayant construit ou réparé au final plus d'unecentaine de places fortes, tout en étant à côtépenseur politique, urbaniste, statisticien,économiste, agronome, cartographe,hydrographe, topographe, fantassin, artilleur,maçon, ingénieur des poudres et salpêtres maisaussi des mines et des ponts et chaussées,réformateur de l’armée (substitution du fusil aumousquet, remplacement de la pique par labaïonnette à douille), etc.

Vauban a théorisé les casernes, les tranchées

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pour renforcer les fortifications, il va utiliser desmaquettes, etc. Il va jusqu'à assumer unecertaine tension avec le Roi, en publiant demanière clandestine un projet de réforme del'impôt, appelant à un impôt de 10 % de toutesles classes sociales, et intitulé :

« Projet d'une dixme royale qui,supprimant la taille, les aydes, les doüanesd'une province à l'autre, les décimes duClergé, les affaires extraordinaires et tousautres impôts onéreux et non volontaireset diminuant le prix du sel de moitié etplus, produiroit au Roy un revenu certainet suffisant, sans frais, et sans être àcharge à l'un de ses sujets plus qu'àl'autre, qui s'augmenteroitconsidérablement par la meilleure culturedes terres. »

Vauban a assumé l’État moderne jusqu'aubout, y compris jusqu'à subordonner le roi entant que composante de la noblesse. En 1696, ilécrit ainsi, pour donner un exemple, undocument intitulé :

« Description géographique del'élection de Vézelay, contenant sesrevenus, sa qualité, les mœurs de seshabitants, leur pauvreté et richesse, lafertilité du pays et ce que l'on pourrait yfaire pour en corriger la stérilité etprocurer l'augmentation des peuples etl'accroissement des bestiaux. »

Vauban y fait une analyse précise, concrèteet détaillée du mode de production dans larégion de Vézelay, et propose de le moderniser.Voici comment il présente son analyse:

« Voilà une véritable et sincèredescription de ce petit et mauvais pays,faite après une très-exacte recherche,fondée non sur des simples estimations,presque toujours fautives, mais sur un bondénombrement en forme et bien rectifié. »

Vauban fait un réquisitoire contre le mode deproduction féodal, dans l'esprit de la monarchieabsolue logique avec elle-même et allant endirection de l’État moderne. Il le fait, bienentendu et c'est une limite allant avec sasituation, dans une démarche de type formelle –mathématique, « rationnelle », « pragmatique »,etc.

Mais il le fait dans une démarche scientifique,progressiste pour son époque. Vauban suit ainsiune méthode, décrivant et se désolant d'unerégion pauvre où prédomine des méthodes deproduction agricole archaïques, toujours dansune perspective se voulant pratique,pragmatique, etc.

« Il y vient très-peu de chevaux, etceux qu'on y trouve sont de mauvaisequalité et propres à peu de chose, parcequ'on ne se donne pas la peine ni aucuneapplication pour en avoir de bons, lespaysans étant trop pauvres pour pouvoirattendre un cheval quatre ou cinq ans ; àdeux ils s'en défont, et à trois on les faittravailler, même couvrir : ce qui est causeque très-rarement il s'y en trouve de bons.»

« Il ne faut donc pas s'étonner si despeuples si mal nourris ont si peu deforce.»

« Beaucoup d'autres vexations de cespauvres gens demeurent au bout de maplume, pour n'offenser personne. »

Il utilise alors toute sa capacité descriptivepour décrire l'ensemble de la situation:

« Le pays en général est mauvais, bienqu'il y ait de toutes choses un peu. L'air yest bon et sain, les eaux partout bonnes àboire, mais meilleures et plus abondantesen Morvan qu'au bon pays. Les hommes y viennent grands et assezbien faits, et assez bons hommes deguerre, quand ils sont une fois dépaysés ;mais les terres y sont très-mal cultivées,

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les habitants lâches et paresseux jusqu'àne se pas donner la peine d'ôter une pierrede leurs héritages, dans lesquels la plupartlaissent gagner les ronces et méchantsarbustes. Ils sont d'ailleurs sans industrie, arts,ni manufacture aucune, qui puissentremplir les vides de leur vie, et gagnerquelque chose pour les aider à subsister :ce qui provient apparemment de lamauvaise nourriture qu'ils prennent, cartout ce qui s'appelle bas peuple ne vit quede pain d'orge et d'avoine mêlées, dont ilsn'ôtent pas même le son, ce qui fait qu'il ya tel pain qu'on peut lever par les paillesd'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissentencore de mauvais fruit, la plupartsauvages, et de quelque peu d'herbespotagères de leurs jardins, cuites à l'eau,avec un peu d'huile de noix ou de navette,le plus souvent sans ou avec très-peu desel. Il n'y a que les plus aisés qui mangentdu pain de seigle mêlé d'orge et defroment. »

Vauban pose alors des solutions qui sontutiles à l’État tout entier, quitte à ce que lanoblesse lâche du lest. C'est l'intérêt de l’État,de la nation qui prime.

« L'extrême pauvreté où ils sontréduits (car ils ne possèdent pas un poucede terre) retombe par contre-coup sur lesbourgeois des villes et de la campagne quisont un peu aisés, et sur la noblesse et leclergé, parce que, prenant leurs terres àbail de métairie, il faut que le maître quiveut avoir un nouveau métayer commencepar le dégager et payer ses dettes, garnirsa métairie de bestiaux, et le nourrir, luiet sa famille, une année d'avance à sesdépens ; et, comme ce métayer n'a pourl'ordinaire pas de bien qui puisse répondrede sa conduite, il fait ce qu'il lui plaît etse met souvent peu en peine qui payerases dettes : ce qui est très-incommodepour tous ceux qui ont des fonds de terre,qui ne reçoivent jamais la juste valeur deleur revenu, et essuient souvent de grandespertes par les fréquentes banqueroutes deces gens-là. »

« Au surplus, ce pays serait très-capable d'une grande amélioration, si, aulieu de toutes les différentes levées dedeniers qui se font pour le compte du roipar des voies arbitraires, qui ont donnélieu à toutes les vexations et voleries quis'y font depuis si longtemps, on faisait :

I. Une recherche exacte du revenu desfonds de terre et de bestiaux en nature, etde l'industrie, des arts et métiers qui s'yprofessent ; qu'on réglât ensuite lesimpositions sur le vingtième des revenus,sans autre égard que celui d'imposerlégalement sur tous les biens apparentsd'un chacun, exempts de frais et deviolence.

II. Si on trouvait moyen d'abréger lesprocès pour imposer quelque rudechâtiment, tant à ceux qui jugent mal, parcorruption ou négligence, qu'à ceux quiplaident de mauvaise foi et parobstination.

III. Si le roi, bien persuadé que lagrandeur de ses pareils se mesure par lenombre des sujets, commettait d'habilesintendants, gens de bien, pour avoir soind'économiser les pays et les mettre envaleur, tant par l'amélioration de laculture des terres et augmentation desbestiaux, que pour y introduire des arts etmanufactures propres au pays.

IV. Si on tenait de plus près la main àl'observation des ordonnances touchant lacoupe des bois.

V. Si on rendait les rivières d'Yonne etde Cure navigables aussi loin qu'ellespourraient être nécessaires au pays.

VI. Si on y faisait faire quantitéd'arrosements qui pourraient augmenter lafertilité des terres et l'abondance desfourrages presque de moitié, et à mêmetemps le nombre des bestiaux àproportion, ce qui produirait trois profitsconsidérables : 1° par de plus grandesventes de bestiaux ; 2° par le laitage, quicontribue beaucoup à la nourriture despeuples, spécialement des enfants ; 3° parles fumiers,- qui augmenteraient de

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beaucoup la fertilité des terres.

VII. Et, pour ne pas demeurer en sibeau chemin, ne pourrait-on pas ajouter :si on réduisait toutes les mesures del'élection, et même celles de tout leroyaume, à une seule de chaque différenteespèce, avec les subdivisions nécessaires,sans égard aux mauvaises objections qu'onpourrait faire en faveur du commerce, quisont toutes fausses et ne favorisent que lesfripons.

VIII. Si on réduisait toutes lesdifférentes coutumes en une, qui fûtuniverselle et la seule dont il fût permis dese servir.

IX. Si, Dieu donnant la paix à ceroyaume, Sa Majesté faisait sa principaleapplication d'acquitter les dettes de l'Étatet de l'affranchir de toutes les chargesextraordinaires dont il est accablé àl'occasion de la guerre présente et passée,sans autre distraction que du payementdes gens de guerre entretenus et descharges et dépenses absolumentnécessaires.

X. Si le roi établissait une chambre decommerce et de manufacture, composée dequatre ou cinq vieux conseillers d'État etd'autant de maîtres des requêtes, quieussent leurs correspondances bienétablies par toutes les villes commerçablesde ce royaume, et dont la seule applicationfût de diriger ledit commerce, l'accroître,le protéger et maintenir, recevant sur celales avis des plus forts négociants, etentretenant de bonnes correspondancesavec ceux des pays étrangers. »

Vauban est un parfait exemple de cadre de lamonarchie absolue, posant l'intérêt national, quine sera assumé en tant que tel que par labourgeoisie.

5. La ville de Richelieu

Si Vauban a façonné des fortifications, c'estqu'en France, la monarchie absolue a pu sedévelopper jusqu'à intégrer l'architecture dansson programme.

Cette architecture est, dans le cadre de l’Étatsous la forme de la monarchie absolue, totale :sa forme et son fond doivent être parfaitementinter-reliés, se répondre sur tous les plans. Lechâteau de Versailles exige une étudeapprofondie, tout comme les châteaux deFrançois Ier (ainsi que son projet deFranciscopolis, qui deviendra Le Havre), maisl'on peut déjà comprendre ce phénomène avec laville de Richelieu et les constructions deVauban.

Le cardinal de Richelieu a, en effet, ni plus nimoins que repris le domaine de ses ancêtres,pour permettre à l'architecte Jacques Lemercier– qui a réalisé la Sorbonne et ce qui deviendrale Palais-Royal à Paris – de réaliser un châteauet une nouvelle ville.

Celle-ci, que Jean de La Fontaine qualifierade « plus beau village de l'univers », estconforme à l'esprit de l'époque, occupant unesurface rectangulaire de 700 mètres de long sur500 mètres, avec une symétrie gérée par deuxplaces (appelées Royale et du Cardinal).

La symétrie était tellement d'importance,comme on s'en doute, qu'une quatrième portemonumentale... factice fut construite, afind'équilibrer le tout.

La ville devait devenir le témoignage de laforce du ministère lié au Roi : les futurspropriétaires de maisons étaient exemptésd'impôts mais devaient bien entendu passer parun constructeur lié au ministre, et le Roi donnal'autorisation de murailles, de fossés (c'est-à-direde douves), d'une halle, de quatre foiresannuelles et de deux marchés par semaine.

La ville s'effondrera avec le régime, et en1805 le domaine est revendu pierre par pierre.

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Jean de La Fontaine dit à l'époque de la ville:

« Étant arrivés à Richelieu, nouscommençâmes par le château, dont je nevous enverrai pourtant la descriptionqu'au premier jour. Ce que je vous puisdire en gros de la ville, c'est qu'elle aurabientôt la gloire d'être le plus beau villagede l'univers. Elle est désertée petit à petit, à causede l'infertilité du terroir, ou pour être àquatre lieues de toute rivière et de toutpassage. En cela son fondateur, quiprétendoit en faire une ville de renom, amal pris ses mesures, chose qui ne luiarrivoit pas fort souvent. Je m'étonne, comme on dit qu'ilpouvoit tout, qu'il n'ait pas faittransporter la Loire au pied de cettenouvelle ville, ou qu'il n'y ait fait passerle grand chemin de Bordeaux. Au défaut ,il devoit choisir un autre endroit, et il eneut aussi la pensée; mais l'envie deconsacrer les marques de sa naissancel'obligea de faire bâtir autour de lachambre où il étoit né (…). Peut-être aussique l'ancien parc de Richelieu, et les boisde ses avenues, qui étoient beaux ,semblèrent à leur maître dignes d'unchâteau plus somptueux que celui de sonpatrimoine ; et ce château attira la ville,comme le principal fait l'accessoire.

Enfin elle est à mon avis Mal située et bien bâtie : On en a fait tous les logis D'une pareille symétrie.

Ce sont des bâtiments fort hauts, Leur aspect vous plairait sans faute : Les dedans ont quelques défauts; Le plus grand, c'est qu'ils manquentd'hôte.

La plupart sont inhabités ; Je ne vis personne en la rue:' Il m'en déplut; j'aime aux cités Un peu de bruit et de cohue.

J'ai dit la rue, et j'ai bien dit, Car elle est seule, et des plus droites : Que Dieu lui donne le crédit

De se voir un jour des cadettes.

Vous vous souviendrez bien et beau Qu'à chaque bout est une place Grande, carrée, et de niveau ; Ce qui sans doute a bonne grâce.

C'est aussi tout, mais c'est assez. De savoir si la ville est forte, Je m'en remets à ses fossés, Murs, parapets, remparts, et porte.

(…)

J'oubliois à vous marquer que ce sontdes gens de finance et du conseil,secrétaires d'état, et autres personnesattachées à ce cardinal, qui ont fait fairela plupart de ces bâtiments, parcomplaisance et pour lui faire leur cour. »

La ville de Richelieu témoigne de la force del'administration, qui dirige le pays et le façonneà son image.

6. La manutention des esprits

Tant les fortifications de Vauban que la villecréée par Richelieu, et bien sûr Versailles,témoignent de la façon dont les comportementssont façonnés par des exigences culturelles.

On est ici dans la « manutention des esprits», dans le développement d'une opinion publiquecivilisée, mais encadrée. Le philosophe post-moderne Michel Foucault a développé ici touteune argumentation idéaliste comme quoi lasociété aurait réprimé les individus et leurslibertés.

En réalité, il s'agit ici d'une affirmation decivilisation, ce qui ne va pas sans contrôle afinde rationaliser les faits et les actes, pourdépasser les arriérations. C'est en ce sens quesont organisés à Lyon un Hôpital de la Charitéet à Paris un Hôpital général, sorte depénitenciers pour personnes mendiantes, visantà les réintégrer socialement.

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Selon la même stratégie de socialisation, ettoujours à Lyon et à Paris, à la fin du XVIesiècle, l’État généralisa les aumônes généralesqui dépendaient des autorités municipales,concurrençant par conséquent l’Église dontl'impact auprès des masses passait notammentpar la « charité ».

Et dès 1607, Henri IV ouvrit un Hôpitaldénommé Saint-Louis, face à l'épidémie depeste, qui servira par la suite pour les victimesde maladies contagieuses.

Cependant, rien ne serait plus faux que d'yvoir une politique de restriction et de répression: ce serait un contre-sens formidable. En réalité,il s'agit d'un développement général de lasociété.

Au XVIIe siècle, il y avait ainsi un lieu trèsimportant à Paris, un véritable centrenévralgique pour la monarchie absolue : l'île dela Cité. Cette petite île sur la Seine avait été lelieu de résidence des rois de France du Xe auXIVe siècle, par la suite c'est le Palais de justicequi s'y installa.

Or, ce Palais de Justice abritait une galeriemarchande. Les membres les plus éminents durégime, nobles comme fonctionnaires del'appareil d’État, pouvaient se procurer desbiens auprès de gantiers, de merciers, delibraires, de chapeliers, d'orfèvres, etc.

Corneille, dans sa pièce La Galerie du palais,place quelques scènes justement dans le cadre decette galerie, incontournable pour l'époque. Il vade soi que cela joue nécessairement positivementsur l'accumulation du capital afin de généraliserle capitalisme.

Cependant, on y trouve une dimensiondirectement politique, relevant parfaitement del'averroïsme politique, puisque la religion n'étaitpas présente. La galerie marchande hébergeait,en effet, également des libraires.

Cela signifie qu'il existait un lieu oùl'appareil d’État trouvait à sa dispositionCicéron, Plutarque, Sénèque, Boccace, Vésale,Rabelais ou bien sûr Machiavel. C'est un

élément clef dans l'affirmation de l'idéologieétatique allant dans un sens non religieux.

Une version « populaire » de cette galerieexistait ailleurs au même moment : le Pont-Neuf, non loin, abritait également desmarchands, mais dans une dynamique populairevoire plébéienne et, par conséquent, et c'est cequi compte ici, avec principalement unedimension urbaine.

Il faut cependant relativiser cette dimensionurbaine : elle n'avait pas la force idéologique etla vigueur insurrectionnelle de ce qu'on trouvaitdans la Prague du début du XVe siècle, ellen'avait pas non plus de prolongement dans lescampagnes, et elle faisait face à uneadministration étatique solide.

C'est-à-dire qu'en France, l'urbanisation aété intégrée dans le projet de la monarchieabsolue, d'où justement la reconnaissance duthéâtre comique de Molière, aux côtés de laTragédie comme genre aristocratique etsupérieur.

Un élément clef de ce processus historique,que seul met en lumière le matérialismehistorique, est la constitution de la Gazette,fondée en 1631 par le protestant ThéophrasteRenaudot (1586-1653), qui intégra par la suiteles Nouvel les ordinaires de divers endroits,fondées par le calviniste Jean Epstein.

Cet organe de presse fut, ni plus ni moins, lavoix du régime, la voix de Richelieu, puis deMazarin.

Toutes les personnes liées à l’État trouvaientà leur disposition les informations sur lerégime ; la Gazette tirait à 8000 exemplaires etdisposait de 35 éditions, plus ou moins pirates,en province.

C'est avec cela en arrière-plan que l'on peutcomprendre la fondation par Richelieu de «l'Académie française », en 1635, qui a commetâche de normaliser la langue française. L’État abesoin d'une solide administration, s'appuyantsur un langage précis, avec des termestechniques à maîtriser.

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De la même manière fut fondée par LouisXIV, en 1667, l'Académie royale des sciences quisiégeait au Louvre.

Un tableau connu représente Colbert quiprésente à Louis XIV les membres de l'AcadémieRoyale des Sciences. Ce tableau est de HenriTestelin (1616-1695), lui-même un desfondateurs de l’Académie royale de peinture etde sculpture en 1648.

Il faut également mentionner Allégorie àLouis XIV, protecteur des Arts et des Sciences,de Jean Garnier (1632-1705).

La société est portée en avant par lasuperstructure organisée en monarchie absolue,dépassant le féodalisme, au grand dam de lanoblesse.

7. Les Maximes du cardinal de Richelieu

Le cardinal de Richelieu, figure marquante dela monarchie absolue, a synthétisé sonexpérience dans des « Maximes ». Il s'agit parconséquent d'un ouvrage capital, et il estsurprenant que cette œuvre ne se retrouve nullepart, même pas sur internet.

Le commentaire des Maximes du cardinal deRichelieu devrait faire obligatoirement partie del'éducation scolaire, afin de comprendre lestenants et aboutissants du régime historique dela monarchie absolue.

Sans cela, on en revient à une lecture de cerégime comme étant une tyrannie, la dominationd'un individu. Or, en réalité, la monarchieabsolue relève de la contradiction au sein de lamonarchie, et marque le triomphe des forcesprogressistes sur les forces réactionnaires, ausein même de la féodalité.

Richelieu expose ainsi, dans ses Maximes, lavaleur de l'expérience pratique, la nécessitéd'appréhender les phénomènes en les évaluant ;tout cela relève de l'averroisme politique.

Richelieu exprime d'ailleurs la position du

ministre principal ; il fait donc la même choseque le ministre ayant écrit l'Arthashastra enInde antique. Et il souligne forcément lanécessité qu'a le monarque de déléguer destâches à un personnel efficace ; de fait, avec lamonarchie absolue, apparaît l'administrationmoderne.

On comprend dans quelle mesure cetteexigence du raisonnable se heurte directementavec la féodalité qui revendique l'héréditécomme seul critère.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre lesappels incessants de Richelieu en faveur d'unevie réglée. Lorsque Louis XIV mène une vieréglée comme une horloge à Versailles dont lerythme est également réglé de la même manière,cela est censé permettre une affirmation decivilisation, d'ordre.

Il y a donc deux valeurs : la raison et l'ordre.Les Maximes du cardinal de Richelieu commenceainsi de la manière suivante :

« Si vivre en oisiveté n'est pas vivre, etbeaucoup plus, si vivre dans le vice estmourir, qui se peut vanter de vivrel'espace d'une année entière en ce monde,consommant, comme nous le faisons, cettepartie du temps à ne rien faire, et presquetout à faire autre chose que ce que nousdevons ? Nul ne peut quasi prétendre cet espacede vie. »

Et Richelieu affirme également :

« Le dérèglement de la conscience estla vraie source de toutes les imperfectionsde l'homme. »

« La lumière naturelle fait connaître àun chacun que l'homme ayant été faitraisonnable, il ne doit rien faire que parraison, puisque autrement il ferait contresa nature, et par conséquent contre celuimême qui en est l'auteur. »

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Ce n'est pas tout. Richelieu fait égalementtriompher la raison au sein de tout le régime ; ilne se contente pas de l'administration, ilconsidère que toute la division du travail au seindu régime peut directement se fonder sur uneattitude raisonnable et une compréhension de lavaleur de celle-ci.

Par conséquent, le véritable roi est celui quijoue sur la raison ; Richelieu explique ainsi :

« L'autorité contraint à l'obéissance,mais la raison y persuade, et il est bienplus à propos de conduire les hommes pardes moyens qui gagnent insensiblementleur volonté, que par ceux qui, le plussouvent, ne les font agir qu'en tant qu'ilsforcent. »

Cela rentre en contradiction ouverte avec laféodalité qui est fondée sur la violence de lanoblesse et de ses chevaliers sur la paysannerie.Richelieu en était bien sûr conscient, et il le ditmême :

« C'est un défaut assez ordinaire àceux nés dans la noblesse d'user deviolence contre le peuple à qui Dieusemble plutôt avoir donné des bras pourgagner sa vie que pour la défendre. »

Ainsi, la monarchie absolue n'a nullement étéun régime simplement « despotique », une sorted'excroissance ultra-autoritaire de la féodalité.La monarchie absolue est née dans la féodalité,mais déjà contre elle, parce qu'elle portait enelle l'exigence de passer à un niveau supérieur.

La manière de gouverner du roi dans lamonarchie absolue n'est pas « personnelle »,mais étatique, et déjà nationale parce que leséléments présents dans l'économie que dans lasuperstructure idéologique, par l'averroïsmepolitique, par l'exigence de la rationalité.

Ce que Richelieu pose avec ses Maximes,c'est le triomphe de la raison dans lagouvernance ; par là même, c'est une

déclaration de guerre aux manières féodales etleur irrationalité. C'est ainsi Louis XIII, dont leministre fut Richelieu, qui décida de mettre unterme à l'autorisation des duels.

Par la suite, ce sont onze édits qui furentrendus sous Louis XIV contre les duellistes(1643, 1644, 1646, 1651, 1653, 1668, deux en1679, 1704, 1711).

La fin officielle du duel mettait un terme à laprimauté de la dignité individuellearistocratique, et annonçait la soumission àl'efficacité étatique.

Un contre-exemple à cela dans le passé futpar exemple le duel, à la veille même de labataille de Poitiers en 1356 face aux Anglais,entre le maréchal de Clermont et Jean Chandos,avec comme cause le fait que chacun avait dansleurs armes respectives la même « Dame d'azurau soleil rayonnant ».

8. Une vision pragmatique-machiavélique

Le régime de la monarchie absolue était doncautoritaire, en rupture avec la noblesse et laféodalité, et cela non pas dans le sens d'aller endirection d'une sorte de « dictature individuelle» historiquement impossible, mais bien endirection de l'intérêt général.

Un épisode connu est ici l'arrestation,réalisée par d'Artagnan, de Nicolas Fouquet,marquis de Belle-Île, vicomte de Melun et Vaux(1615-1680), à la suite d'une grande fête donnéeau château de Vaux-le-Vicomte.

Nicolas Fouquet était le surintendant desfinances, et la magnificence de sa fête et de sonchâteau témoignait de sa fonction de parasite del’État ; Nicolas Fouquet se servait de manièredisproportionnée par rapport à sa fonction. Samise à l'écart, violente, était inévitable.

Le cardinal de Richelieu était bien entendutout à fait conscient des apparences, mais il

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justifie précisément la répression au nom del'histoire. Dans ses Maximes, on lit ainsi :

« Le succès qui a suivi les bonnesintentions qu'il a plu à Dieu me donner,pour le règlement de l’État, justifiera auxsiècles à venir la fermeté avec la quelle j'aiconstamment poursuivi mon dessein. »

Comme on le voit, sa position estmatérialiste ; elle ne repose ni sur la morale nisur la religion. Il s'agit de renforcer l’État et sicela a fonctionné, alors c'était juste. L’État estle critère de vérité, et cela à travers le processushistorique.

On a ainsi, pour la première fois, unetentative d'élaborer une vision à long terme del'histoire. L'origine de cette réflexion estjustement l'efficacité. Dans les Maximes, onpeut ainsi lire :

« En toute affaire, avant d'y entrer, ilfaut considérer comment on en pourrasortir. Aux choses de gouvernement, ladifficulté ne gît pas à connaître le mal,mais à y trouver un remède moinsdangereux que la maladie. »

Comme cependant le sens de l'histoire n'étaitpas compris, la lutte des classes n'est pas vue,on a une vision pragmatique-machiavélique. Ilfaut savoir être souple, s'adapter à toutes lessituations, ne jamais considérer que l'histoire serépète, etc.

C'est une vision typique de la monarchieabsolue, que l'on retrouvera par la suite affirméepar de nombreux théoriciens courants politiques,y compris prétendument marxiste. La visionpragmatique – machiavélique d'un Clausewitzn'est pas éloignée de la conception de guerrepopulaire par en haut du général vietnamienGiap, ou encore des traditions marxistes-léninistes indienne et philippine.

Voici comment le cardinal de Richelieu

formule cette vision pragmatique-machiavélique :

« La capacité des conseillers nerequiert pas une suffisance pédantesque ;il n'y a rien de plus dangereux, pourl’État, que ceux qui veulent gouverner lesroyaumes par les maximes qu'ils tirent deleurs livres ; ils les ruinent souvent tout àfait par ce moyen, parce que le passé ne serapporte pas au présent, et que laconstitution des temps, des lieux, et despersonnes est différente. Elle requiert seulement bonté etfermeté d'esprit, solidité de jugement,vraie source de la prudence, teintureraisonnable des lettres, connaissancegénérale de l'histoire et de la constitutionprésente de tous les États du monde etparticulièrement de celui auquel on est. »

La monarchie absolue porte donc la sciencevers l'avant, en rejetant l'idéalisme de l'ancienneforme de domination et en assumant le critèrede l'efficacité, dont la figure du roi dominant «personnellement » n'est qu'un masque.

Ce que représente le roi c'est, et cela pour lapremière fois historiquement, un intérêt général« lointain », non immédiat, calculé. Gouvernerce n'est pas gérer, mais établir unecompréhension s'étalant sur des années, avecune évaluation systématique des phénomènes encours.

Richelieu explique ainsi :

« Les plus petits manquementsproduisent de grands inconvénients ; ilfaut, en matière d’État, exécuter ce quiest commandé avec une exacte diligence,et les maux, pour légers qu'ils soient enleur commencement, ne doivent pas êtreméprisés. Les plus grands fleuves ne sontpas plus considérables en leur source queles moindres ruisseaux. »

Prévoir et agir conformément à cela est ledevoir de « celui qui tient le timon de l’État »,

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et par là il ne faut pas comprendre simplementle roi : il y a aussi le ministre suprême.Richelieu l'exprime de la manière suivante :

« Quand les affaires de l’État setrouvent en une fâcheuse extrémité, il atoujours été jugé absolument nécessaireque le prince, qui n'agit pasimmédiatement par lui-même, se remetteentièrement de toutes choses à un seul, seconfiant en lui totalement. »

L'unité de la direction, voilà ce queprésuppose la monarchie absolue, ce qui est unprogrès historique par rapport à une sociétédivisée en forces centrifuges, empêchantl'utilisation générale des forces sociales.

Il est facile de voir que dans les années 1930,face à la brillante Union Soviétique de Staline,les régime fascistes ont justement utilisé lesapparences de la monarchie absolue pourprétendre « guider » la société, alors que la basedu régime étaient les forces monopolistes ducapital. Le concept de « führer » et de « duce »était une caricature complète de ce qu'a été leroi dans la monarchie absolue.

Il est de ce fait aberrant que l'interprétationde la monarchie absolue ait basculé, de manièreerronée et décadente, dans l'interprétation d'unedictature « personnelle » du roi.

9. Richelieu réalise la «double vérité»

Si donc Richelieu était un cardinal, sonactivité politique reposait sur une baseabsolument non religieuse. Le travail en tantqu'homme politique est séparé totalement dutravail en tant qu'homme religieux.

Richelieu a donc réalisé le principe de la «double vérité » exigé sans succès par Averroès,et consistant à dire que les scientifiques et lesreligieux doivent travailler de manièreautonome, les deux disant la même chose mais

de manière « différente ».

Dans les pays musulmans, une telleproposition a été écrasée par les forces cléricalesnullement dupes du matérialisme qui se profilait; dans les pays marqués par le protestantisme, leprocessus de « double vérité » a pu se lancer enbrisant l'unité de l’Église, le fait qu'il y ait unpape dont les décisions sont impératives.

En France, ce n'est donc pas la bourgeoisiequi a ainsi lancé ce processus, mais la monarchieabsolue. On a le même processus qu'en Indeavec l'Arthashastra et Ashoka, des centaines etdes centaines d'années plus tôt.

Richelieu théorise de ce fait une philosophiede la politique, placée en dehors de la religion.Voici comment Richelieu exprime la question dela nécessaire « méditation » pour en quelquesorte digérer son travail politique.

« Les États sont bien heureux qui sontgouvernés par des gens sages, maisd'autant plus tels gouverneurs sont sages,d'autant moins sont-ils heureux, le faixd'un État étant si grand que plus unhomme est sage, plus en appréhende-t-il lapesanteur, et plus est-il en perpétuelleméditation pour l’empêcher qu'il nel'accable. »

Cette réflexion sur la méditation faitimmanquablement penser à ce qu'a affirméAristote ; la réflexion sur la « pesanteur », àune époque marquée par le développement de lascience, est importante aussi et il y aurait ungrand travail de recherches à faire en ce sens.

Dans le prolongement de cette logique, onpeut déjà noter comment Richelieu parle de laquestion de ce qui met en branle un phénomène,dépassant ainsi la pesanteur, et Richelieu étaitquelqu'un de trop cultivé pour ne pas savoirqu'avec la phrase suivante, il faisait une allusiondirecte à Aristote :

« Ainsi que le mouvement du ciel n'abesoin que de l'intelligence qui le meut,

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ainsi la force d'esprit est seule suffisantepour conduire un État, et celle des bras etdes jambes n'est pas nécessaire pourremuer tout le monde. Ainsi que celui qui gouverne auvaisseau n'a autre action que de l’œil pourvoir la boussole, ensuite de quoi il ordonnequ'on tourne le timon comme il estime àpropos, ainsi en la conduite de l’État, rienn'est requis que l'opération de l'esprit quivoit et ordonne tout ensemble ce qu'il jugedevoir être fait. »

Chez Aristote en effet, les astres ont unmouvement circulaire, qui leur est commandépar une « intelligence », et plusieurs «intelligences » existent de manière hiérarchiséedepuis le « moteur » central qui, chez Aristote,équivaut au concept de « Dieu ».

Richelieu a donc une conception technique -logique de la politique, une vision pratiquementmécanique, mais dans l'esprit d'une mécaniquede précision, demandant beaucoup de tact et desensibilité individuelle pour saisir les nuances.

De là viennent les exigences concernant lesqualités du roi. Celui-ci ne peut pas céder à sespropres « tendances », quelles qu'elles soient ; ildoit rester méthodique. Richelieu dit ainsi :

« Il est arrivé tant de maux auxprinces et à leurs États, lorsqu'ils ontplutôt suivi leurs sentiments que la raison,et qu'au lieu de se conduire par laconsidération des intérêts publics, leurspassions ont été leurs guides, qu'il m'estimpossible de ne supplier pas V.M. [VotreMajesté] d'y faire souvent réflexion, pourse confirmer de plus en plus ce qu'elle atoujours pratiqué au contraire. »

« L'opiniâtreté, la fermeté à faire cequ'elle veut, l'impatience de voir savolonté combattue et retardée sontordinaires à la grandeur. Les rois qui agissent plus par leursmouvements et impétuosités naturellesque par la raison sont sujets à faire degrandes fautes qui, souvent, ne peuventêtre réparées ni par le temps, ni par

prudence, ni par aucun art. »

C'est d'ailleurs le grand critère del'efficacité :

« Une conduite non uniforme et sanssuite assurée est un grand manquement, etle pire qui soit en politique, où l'unitéd'un même esprit et la suite des mêmesdesseins et moyens conservent laréputation, assurent ceux qui travaillentdans les affaires, donnent terreur àl'ennemi et atteignent bien pluscertainement et promptement à la fin quenon pas quand la conduite générale n'estpas correspondante à toutes ses parties,mais comme d'une personne qui erre etqui, prenant tantôt un chemin, tantôt unautre, travaille beaucoup sans s'avancer aulieu où elle tend. »

Richelieu est matérialiste, dans la mesure oùil pense que l'étude d'un phénomène et lesactions adéquates permettent d'aboutir à lasituation la moins mauvaise, qui peut même êtrebonne.

Cependant, son matérialisme a des limites declasse ; sa conception de la politique estgestionnaire, son matérialisme empirique.

C'est l'averroïsme politique, le matérialismeassumé par la monarchie absolue, et porté pardes intellectuels bourgeois confiant lematérialisme à la couche administrativedominante, en raison de la faiblesse de labourgeoisie dans sa lutte face à l'aristocratie.

De par ce processus historique, la bourgeoisiefrançaise va être durablement influencéidéologiquement par ce processus dont, au bout,elle sort renforcée, la révolution françaiseassumant directement les grandesadministrations de l’État devenu moderne avecla monarchie absolue.

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10. Le positionnement pragmatique-machiavélique

Ce qui est caractéristique d'une visionpragmatique-machiavélique, c'est qu'il y atoujours « quelque chose à dire », toujours un «positionnement » à avoir.

Contrairement en effet au matérialismedialectique qui considère que la contradictionest interne et où il existe une certaine « attente», la vision pragmatique-machiavélique estperpétuellement « active » et tente de «composer » avec la réalité.

Cela sous-tend la présence de conseillers,dont l'importance est capitale.

Pour cette raison, le choix des conseillers estdécisif : il faut que ceux-ci aient uniquement laraison d’État comme méthode et l'intérêtgénéral – celui de l’État – en ligne de mire.

Richelieu dit ainsi :

« En matière d’État, il est souvent dela prudence d'approuver les choses quel'on ne peut empêcher. Le pire conseil quipuisse être est de ne s'arrêter à aucun. Les intérêts publics doivent êtrel'unique fin du prince et de ses conseillers,ou du moins les uns et les autres sontobligés de les avoir en si singulièrerecommandation, qu'ils les préfèrent àtous les particuliers. Il est impossible de concevoir le bienqu'un prince, et ceux dont il se sert en sesaffaires, peuvent faire s'ils suiventrégulièrement ce principe, et on ne sauraits’imaginer le mal qui arrive à un Étatquand on préfère les intérêts particuliersaux [intérêts] publics, et que ces dernierssont réglés par les autres. La vraie philosophie, la loi chrétienneet la politique enseignent si clairementcette vérité, que les conseillers d'un princene sauraient lui mettre trop souventdevant les yeux un principe si nécessaire,ni le prince châtier assez sévèrement ceuxde son conseil qui sont assez misérablespour ne le pratiquer pas. »

Richelieu en fait sa grande thèse, historiqueet capitale pour l'histoire de notre pays. De fait,un régime comme celui de la Ve République,avec son rapport ambigu entre président etpremier ministre, est issu de cette conception deRichelieu.

Voici ainsi comment, dans ses Maximes, ilprésente ce dont dépend la félicité des États :

« Le plus mauvais gouvernement estcelui qui n'a d'autre ressort que la têted'un prince qui, étant incapable, est siprésomptueux qu'il ne fait état d'aucunconseil ; le meilleur de tous est celui dontle principal mouvement est en l'espritsouverain qui, bien que capable d'agir parsoi-même, a tant de modestie et dejugement, qu'il ne fait rien sans bon avis,fondé sur ce principe qu'un œil ne voit passi clair que plusieurs (…). Un prince capable est un grand trésoren un État ; un conseil habile et tel qu'ildoit être n'en est pas un moindre, mais leconcert de tous les deux ensemble estinestimable, puisque c'est de là quedépend la félicité des États. »

C'est cette conception du « ministère » qui ale plus frappé les esprits, et tant de nombreuxtémoins de l'époque que les intellectuelsbourgeois ont par la suite réduit Richelieu àcette figure du ministre surveillant tout,manipulant tout, oppressant le peuple, etc.

C'est également l'impression du peuple à samort, et Corneille se permettra alors égalementce « bon mot » :

« Qu'on parle mal ou bien du fameuxcardinal, Ma prose ni mes vers n'en dirontjamais rien : Il m'a fait trop de bien pour en dire dumal ; Il m'a fait trop de mal pour en dire dubien. »

Corneille ira encore plus loin à la mort de

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Louis XIII, peu après celle de Richelieu qui futson premier ministre:

« Sous ce marbre repose un monarquesans vice, Dont la seule bonté déplut aux bonsFrançois, Et qui pour tout péché ne fit qu’unmauvais choix Dont il fut trop longtempsinnocemment complice.

L’ambition, l’orgueil, l’audace,l’avarice, Saisis de son pouvoir, nous donnèrentdes lois ; Et bien qu’il fût en soi le plus juste desrois, Son règne fut pourtant celui del’injustice.

Vainqueur de toutes parts, esclave danssa cour, Son tyran et le nôtre à peine perd lejour, Que jusque dans la tombe il le force àle suivre.

Jamais de tels malheurs furent-ilsentendus ? Après trente-trois ans sur le trôneperdus, Commençant à régner, il a cessé devivre. »

De fait, ce qui a été retenu ce n'est pas tantla conception pragmatique-machiavélique commeaspect principal, mais le système « organique »d’État extrêmement bien organisé et délimité.

Voici précisément comment Richelieu formulecette conception :

« La réputation de l’État est préférableà toutes choses ; sans elle, tous leshommes et tout l'or du monde ne nousserviraient de rien, et nos vies et nos biensseraient exposés en proie à l'étranger. La première et la plus grandeobligation de l'homme est le salut de sonâme, qui doit laisser la vengeance à Dieu

et ne la pas prendre. La plus grande obligation des rois estle repos de leurs sujets, la conservation del’État en son entier et la réputation deleur gouvernement ; à quoi est nécessairede repousser si bien les injures faites àl’État que la sévérité de la vengeance ôtela pensée d'y attenter une autre fois. »

La monarchie absolue a été une affirmationhistoriquement progressiste, et Richelieu en aété un moteur essentiel.

Mais comme le régime n'a été qu'une périodede transition entre la féodalité développée (parrapport au moyen-âge) et l'effondrement decelle-ci, on l'a assimilé de manière simpliste à cerégime.

Ce sera précisément ce que feront Maurras etles « anti-dreyfusards », au nom de la primautéde l’État et de l'armée ; leur conceptionorganique de l’État a été un fétichismeadministratif, une caricature historique de cequ'a mis en avant la monarchie absolue.

11. La typologie typique de la France duXVIIe siècle

A partir du moment où l’État est la choseprincipale qui compte, alors le raisonnementpeut s'appliquer de manière unilatérale.

D'un côté, c'est un aspect progressiste, carl'intérêt de tous prime sur l'intérêt de quelquesuns. De l'autre, de par la réalité de la monarchieabsolue, on est dans une démarche calculatrice,utilitariste, déconnecté du processus historiquegénéral.

C'est cela qui amène à des « excès », à unegénéralisation de l'arbitraire. Exactementcomme dans le classique indien qu'estl'Arthashastra, on a dans les Maximes deRichelieu des appels au « secret » commenécessité pour l'efficacité :

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« Les plus grandes affaires n'ontsouvent qu'un instant qui ne revient pluslorsqu'il est passé. Le secret et la discipline sontnécessaires au bon succès des affaires, vuque ce qui surprend étonne d'ordinaire detelle sorte qu'il ôte souvent les moyens des'y opposer, et que, poursuivre lentementl'exécution d'un dessein et le divulguer,est le même que parler d'une chose pourne pas la faire. Le maître du vaisseau ne rend point deraison de la façon avec laquelle il leconduit. Il y a des affaires dont le succèsne dépend que du secret, et beaucoup demoyens propres à une fin ne le sont pluslorsqu'ils sont divulgués. »

Toute remise en cause de l'ordre revientpareillement à une attaque contre l'intérêtgénéral. On a ici le facteur civilisateur de lamonarchie absolue, qui écrase les tendancescentrifuges de l'aristocratie.

Richelieu a ici parfaitement constaté que cestendances sont « naturelles » et qu'il estnécessaire de les écraser, qu'on ne peut pas faireautrement :

« En matière de crime d’État, il fautfermer la porte à la pitié, et mépriser lesplaintes des personnes intéressées, et lesdiscours d'une populace ignorante, quiblâme quelquefois ce qui lui est plus utileet souvent tout à fait nécessaire. En plusieurs monopoles, factions etséditions qui se sont faites de mon tempsdans ce royaume, je n'ai jamais vu quel'impunité ait porté aucun espritnaturellement à se corriger de sa mauvaiseinclination, mais au contraire tous se sontretournés à leur premier vomissement, etsouvent avec plus d'effet la seconde foisque la première. »

Richelieu, comme mentionné, a ainsi unevision historique ; il affirme la nécessité de « semettre au service », de servir une cause plusgrande que soi. On a là un grand dépassementhistorique de la position individualiste de la

noblesse.

Richelieu affirme donc simplement, dans sesMaximes, montrant qu'il est conscient de satriste « réputation » :

« Je ne prends pas garde à tout ce quise dit et fait contre moi, je me contente decontribuer ce que je puis afin que lesaffaires de mon maître aillent bien, etn'estime pas que ce soit trop acheter lagloire de servir un grand prince, qued'être calomnié de ceux qui sont ennemisenvieux des prospérités du roi. »

Ce faisant, Richelieu a ouvert une nouvellevoie : celle de l'interprétation des individus parrapport à leur positionnement.

C'est là une démarche essentielle à ladynamique pragmatique-machiavélique, quiraisonne en terme binaire d'utile et d'inutile, defonctionnel et de non-fonctionnel, etc., c'est-à-dire de fait de manière mécanique.

On a là un moment clef de l'histoire deFrance. On ne peut ainsi pas comprendre latypologie faite par Molière dans ses pièces(L'avare, Le bourgeois gentilhomme, le fauxdévot Tartuffe, le libertin Dom Juan, La maladeimaginaire, etc. etc.), Les caractères de LaBruyère ou bien sûr les Fables de La Fontainesans voir qu'il y a en arrière-plan le même typed'évaluation, produit par la situation historiqueen France.

Il va de soi que lorsqu'il est de plus questionde l’État, la question des « caractères » estd'autant plus importante, ce que souligneRichelieu de la manière suivante :

« Les fautes des hommes particulierssont singulières et ne tirent point de suiteaprès elles, mais celles de ceux qui sontdans les charges publiques, et dans lesprincipales, tirent après elles desconséquences si grandes en nombre, et siimportantes, qu'on ne peut le juger quepar les effets qui suivent longtemps après.»

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Et voici comment il formule la base de sonraisonnement calculateur :

« Les imprudents sont capablesd'entreprendre beaucoup d'action avecviolence, mais leur retour est toujourslâche. Il ne faut jamais, en affaired'importance, prendre assurance en foid'autrui, mais en sa propre puissance. Il faut juger les sentiments despersonnes, non par leurs paroles, mais parleurs véritables intérêts. Il est à remarquer qu'ainsi les raisonsfortes et solides sont excellentes pour lesgrands et puissants génies, les faibles sontmeilleures pour les médiocres parcequ'elles sont plus de leur portée. »

Voici en fin des exemples parlants des typesdéfinis par Richelieu. Au moyen du matérialismehistorique, on comprend rapidement qu'il évaluecela en fonction de l'utilité ou de la non-utilité,etc.

Il y a ainsi déjà les opportunistes qui nepensent qu'à grimper l'échelle sociale del'administration :

« Il n'y a point de peste si capable deruiner un État que les flatteurs médisantset certains esprits qui n'ont autre desseinque de former des cabales et des intriguesdans les cours. »

Il y a les grand esprits qui doivent avoir de lasuite dans les idées, sans quoi ils sont contre-productifs au régime administratif de lamonarchie absolue, gigantesque appareilassumant ni plus ni moins que la direction de lasociété elle-même :

« Les plus grands esprits sont plusdangereux qu'utiles au maniement desaffaires ; s'ils n'ont beaucoup plus deplomb que de vif argent, ils ne valent rienpour l’État.

Il y en a qui sont fertiles en inventionset abondants en pensées, mais si variablesen leurs desseins, que ceux du soir et dumatin sont toujours différents, et qui ontsi peu de suite et de choix en leursrésolutions qu'ils changent les bonnesaussi bien que les mauvaises, et nedemeurent constants en aucune. »

Il y a l'attitude nécessaire du prince – c'est-à-dire du roi, « prince » étant ainsi entenducomme chez Machiavel, pour désigner ledirigeant central du régime – qui doit éviter dese faire manipuler, tromper, manœuvrer par lesopportunistes :

« Pour ferme et constant que soit unprince, il ne peut, sans grandeimprudence, et sans s'exposer à sa perte,conserver auprès de lui de mauvais espritsqui peuvent le surprendre à l'imprévu,ainsi que, pendant la contagion, unevapeur maligne saisit en un instant lecœur et le cerveau des hommes les plusforts et les plus robustes, lorsqu'ilspensent être les plus sains. Il faut chasser ces pestes publiques etne les approcher jamais, s'ils n'ontentièrement déposé leur venin, ce quiarrive si peu souvent que le soin qu'ondoit avoir du repos oblige plutôt à lacontinuation de leur éloignement que lacharité ne convie à leur rappel. Je mets hardiment cette proposition enavant, parce que je n'ai jamais vu aucunsesprits amateurs de factions et nourris auxintrigues de la cour perdre leurs mauvaiseshabitudes et changer de nature que parimpuissance, qui même, à parlerproprement, ne les change pas, puisque lavolonté de mal faire leur demeurelorsqu'ils n'en ont plus de pouvoir. Il n'y a point de peste si capable deruiner un État que les flatteurs, médisantset certains esprits qui n'ont autre desseinque de former des cabales et des intriguesdans les cours. »

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12. Richelieu sur le caractère nationalfrançais

Le cardinal de Richelieu disposait d'unmatérialisme de type empirique ; il devait agiravec ce qu'il avait sous la main, et de par sesfonctions tenter d'élaborer des plans conformesaux besoins de l’État. C'est cela qui façonne sonidentité ; comme il le dit :

« Pour bien réussir, il ne faut pasprendre des mesures trop justes ; on doittoujours penser à faire plus qu'on neprojette. Si vous n'avez pas une vue troplongue en apparence, elle se trouvera tropcourte en effet. »

Or, il y a ici quelque chose d'extrêmementimportant.

En effet, la bourgeoisie française est dans saphase ascendante avec l'émergence de lamonarchie absolue qui réussit à affaiblir laféodalité. Les caractères nationaux se posentainsi, et Richelieu affirme sa positionexactement à ce moment là.

Cela signifie que ce qu'il a à dire sur lecaractère national français est d'une importancecapitale.

Même s'il y a des limites de par laperspective pragmatique-machiavélique, cela nepeut qu'être très parlant, car de toutesmanières, les apports nationaux sur le plan descaractères sont amenés à fusionner au fur et àmesure de l'unification de l'humanité.

Que nous dit Richelieu ? Que les Français ontbon caractère, qu'ils sont « légers » et prêts àaider de ce fait à n'importe quel moment, maisque cette légèreté les « plombe » dès qu'il s'agitde fournir un effet prolongé.

Voici comment Richelieu présente cela :

« Les Français ont beaucoup de bonnesqualités. Ils sont vaillants, pleins decourtoisie et d'humanité, leur cœur est

éloigné de toute cruauté, et tellementdépouillé de rancune qu'ils se réconcilientaisément. Mais bien que ces qualités soient, oul'ornement de la vie civile, ou essentiellesà la chrétienté, si est-il vrai qu'étantdestituées de flegme, de patience et dediscipline, ce sont des viandes exquisesservies sans sauce qui les fait manger avecgoût. »

On ne peut qu'être frappé par l'acuité del'explication de Richelieu. En soulignant lalégèreté des Français, Richelieu montre que d'uncôté ils sont prompts à l'action, qu'ils ne sontjamais « encroûtés », mais de l'autre il y a unetendance « naturelle » à l'inconstance.

Ainsi, si l'on suit Richelieu, alors d'un côté,on peut constater que :

« Si la nation française est légère etimpatiente, sa vaillance et son impétuositélui font souvent faire d'un premier effortce que les autres ne font qu'en beaucoupde temps. »

Mais, de l'autre côté on doit remarquer que :

« En faisant voir qu'on a plus de cœurpour faire des conquêtes que de tête pourles conserver, on fait paraître qu'on estvrai Français. »

Il y a ici une explication formidable. Oncomprend tout à fait pourquoi la monarchieabsolue a interdit les duels, et pourquoi lesocialisme devra interdire en France le principedu « panache », cet avatar justement du duel,du courage velléitaire, purement gratuit etfaussement courageux.

Richelieu a raison de constater que lesFrançais, dans leur démarche, ont du mal àdemeurer ferme et stable ; toute l'histoire de lafaiblesse historique de la social-démocratie et dela vigueur anarcho-syndicaliste est un exemple

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terrible de cela.

La faiblesse initiale de la Résistance enFrance face à l'Occupation allemande, puis lepassage subitement à une Résistance massive,ont également un rapport avec ce traittypiquement français.

Les Français se lancent facilement, mais ilsn'ont pas l'habitude des perspectives sur le longterme. On voit facilement ce que Richelieu veutdire quand il dit que les Français se lancent vite,mais qu'ils ne tiennent pas la route sur lalongueur :

« Au commencement d'une entreprise,l'ardeur des Français n'est point ordinaire,et en effet, ils sont plus qu'hommes en cetinstant ; mais, peu de temps après, ils seralentissent ; en sorte qu'ils deviennentégaux à ceux qui n'ont qu'une vertucommune et, à la longue, ils se dégoûtentet s'amollissent jusqu'à tel point qu'ilssont moins qu'hommes. Il leur reste bien toujours du cœurpour se battre, pourvu qu'on veuille lesmettre aux mains à l'heure même, mais ilne leur en demeure point pour attendrel'occasion bien que leur honneur, laréputation de leur nation et le service deleur maître les y obligent. »

On comprend très bien ce que Richelieu veutdire quand il parle de la présomptiontypiquement française, cette auto-intoxicationdont un exemple pathétique est l'histoire del'équipe de France de football :

« L'impatience naturelle, que lesFrançais tirent du climat qui leur a donnéd'être, les rend impuissants à se vaincresoi-même. La présomption ordinaire à la nationfrançaise semble, à toutes les autres, tenirquelque chose de la folie quand elle vajusques à l'excès. »

Les maximes suivantes sont égalementintéressantes, car on peut les utiliser même

aujourd'hui. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est quesouvent on attribue ces « caractéristiques » àdes effets de la révolution française.

Or, la révolution française a finalisé leprocessus de naissance de la nation, mais ne luia pas donné naissance.

Voici ce que dit Richelieu sur lesaccommodements, le refus des hiérarchies et laquestion des « bienfaits » :

« En France, l'on ne donne ordre à rienpar précaution, et même quand les mauxsont arrivés, on n'y remédie pasabsolument, mais par accommodement, cequi ne se fait jamais sans beaucoup depréjudice pour l’État, étant certain quel'on considère les intérêts particuliers plusque les généraux qui devraient être ensingulière recommandation. »

« Un des maux de la France est quejamais personne n'est dans sa charge. Lesoldat parle de ce que devrait faite soncapitaine. Le capitaine des défauts qu'ils'imagine que fait son maître de camp, etni les uns ni les autres ne sont à faire leurdevoir. »

« Perdre bientôt la mémoire d'unbienfait est le vice des Français. »

On remarque facilement que ces reprochespourraient, d'une certaine manière, être fait àn'importe quel peuple grosso modo ; celatémoigne précisément du caractère relatif destraits nationaux.

Chaque peuple passe par des étapessimilaires, mais de par les conditions concrètescertains aspects sont distendus, et des qualitésse développent plus particulièrement, les défautsn'étant jamais que relatifs et disparaissanthistoriquement.

Par conséquent, la rencontre des qualitésnationales, leur fusion – la légèreté française, leflegme britannique, la rigueur allemande, letempérament drôle – excité et solide autrichien,

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etc. - aboutit à former l'humanité nouvelle

C'est en connaissance de cela qu'on peutavancer, avec pour le moment la prise en comptefondamentale des conditions concrètes et del'esprit national français ; Richelieu nousannonce d'ailleurs ici que :

« Les Français sont capables de tout,pourvu que ceux qui les commandentsoient capables de bien enseigner ce qu'ilspratiquent. »

13. «La souveraineté n'est non plusdivisible que le point en géométrie»

En plus de ses Maximes, Richelieu a laissé unTestament politique, mais également unecorrespondance de 7000 pages.

Et Richelieu n'est bien sûr pas le seul à avoirformulé son avis ; toute l'époque est marquéed'ouvrages sur la politique, comme par exempleDe l'intérêt des Princes et États de laChrétienté (1634) écrit par le protestant Henride Rohan, ou inversement les Considérationspolitiques sur les coups d’État (1639) de GabrielNaudé, apologie de la Saint-Barthélémy au nomde la raison d’État.

On peut également mentionner celui qui futhistoriquement le seul « orateur du roi pour lesdiscours d'État », François de Colomby, quiécrivit en 1631 De l'Autorité des rois, où l'onpeut lire que :

« Les armes soutiennent la cause desPrinces, mais les livres de la bonne trempeen font connaître l'équité et tournent lesaffections publiques, du côté même qu'ilsfont paraître la justice. »

« Il ne suffit pas que les Princes soientautorisés du Ciel ; il faut que leurs sujetsle croient. »

Nous sommes ici au cœur de la dynamiqueintellectuelle pragmatique-machiavélique, etLouis XIV a lui-même laissé des écrits : desMémoires, un Journal, des Instructionspolitiques et morales, des Réflexions sur lemétier de roi.

Dans cette dernière œuvre, Louis XIV donneson point de vue sur la tâche qui a été lasienne :

« Rien n’est si dangereux que lafaiblesse, de quelque nature qu’elle soit.Pour commander aux autres, il fauts’élever au-dessus d’eux ; et après avoirentendu ce qui vient de tous les endroits,on se doit déterminer par le jugementqu’on doit faire sans préoccupation etpensant toujours à ne rien ordonner niexécuter qui soit indigne de soi,ducaractère qu’on porte, ni de la grandeurde l’État. Les princes qui ont de bonnesintentions et quelque connaissance de leursaffaires, soit par expérience, soit parétude, et une grande application à serendre capables, trouvent tant dedifférentes choses par lesquelles ils sepeuvent faire connaître, qu’ils doiventavoir un soin particulier et une applicationuniverselle à tout. Il faut se garder contre soi-même,prendre garde à son inclination et êtretoujours en garde contre son naturel. Lemétier de roi est grand, noble et délicieux,quand on se sent digne de bien s’acquitterde toutes choses auxquelles il engage ;mais il n’est pas exempt de peines, defatigues, d’inquiétudes. L’incertitude désespère quelquefois ; etquand on a passé un temps raisonnable àexaminer une affaire, il faut se déterminerà prendre le parti qu’on croit le meilleur. Quand on a l’État en vue, on travaillepour soi. Le bien de l’un fait la gloire del’autre. Quand le premier est heureux,élevé et puissant, celui qui en est cause enest glorieux, et par conséquent doit plusgoûter que ses sujets, par rapport à lui età eux, tout ce qu’il y a de plus agréabledans la vie. Quand on s’est mépris, il faut réparerla faute le plus tôt qu’il est possible, et

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que nulle considération en empêche, pasmême la bonté. »

La position de Louis XIV a été obtenue dehaute lutte, notamment face à la « Fronde » dela noblesse ; il faut ici mentionner le théoricienClaude Joly (1607-1700), qui tenta de s'opposerà l'idéologie dominante avec ses Maximesvéritables et importantes pour l'institution duRoi.

Cependant, de par les succès de la royauté,l'histoire retient Cardin Le Bret (1558-1655) quijoua un rôle central juridiquement, devenantpratiquement le juriste de Richelieu, voire sonporte-parole.

Sa présence historique est notable, ayantvécu sous six rois (d'Henri II à Louis XIV),servant quatre d'entre eux ; son œuvre majeureest un ouvrage de 1632 sur la souverainetéroyale : Œuvres qui contient un sçavant Traitéde la Souveraineté du Roy Ses Harangues sesPlaidoyers à la Cour des Aydes & au Parlementde Paris reduits en forme de Decifions.

Cardin Le Bret va très loin dans sesexigences juridiques nouvelles : les charges desofficiers ne doivent plus dépendre de l'hérédité,le pouvoir de police doit revenir au pouvoircentral, le roi doit pouvoir lever librement destailles et des subsides sans demander l'accorddes États généraux du Parlement, les droitsdomaniaux doivent être étendus aux fleuvesnavigables, les grands chemins, les forêts, lesmines, selon lui « la condition ecclésiastique estpresqu'égale à celle des autres sujets », etc.

Il conçoit même une sorte de concept d'étatd'urgence, affirmant :

« Pour subvenir à une nécessitépressante pour le bien public, il semblealors que toutes choses soient permises. »

Il résume dans une formule, bien sûr demanière pragmatique-machiavélique, « logique »,comment il pose la question :

« La souveraineté n'est non plus divisibleque le point en géométrie. »

On a là le point culminant d'une évolution dela tradition dit du « Miroir des princes », del'averroïsme politique où les conseillers prônentle matérialisme. Bien sûr, l’ouvre la plus célèbrede cette tradition est Il Principe, c'est-à-dire LePrince, de Machiavel.

14. Le Prince de Machiavel

Pour comprendre la démarche de NicolasMachiavel (1469-1529), il faut raisonner enterme de « positions ».

Pour cela, on peut reprendre l'exemple deVauban, le grand stratège militaire ayantorganisé des citadelles pour protéger desinvasions le régime de Louis XIV.

Voici comment il formule le principe du « précarré », dans une lettre à François Michel LeTellier de Louvois en janvier 1673, ce dernierétant l'organisateur des fameuses « dragonnades», ces opérations militaires extrêmementbrutales pour convertir de force les protestants.

Vauban explique :

« Sérieusement, Monseigneur, le roidevrait un peu songer à faire son précarré. Cette confusion de places amies etennemies ne me plaît point. Vous êtes obligé d'en entretenir troispour une. Vos peuples en sont tourmentés,vos dépenses de beaucoup augmentées etvos forces de beaucoup diminuées, etj'ajoute qu'il est presque impossible quevous les puissiez toutes mettre en état etles munir. Je dis de plus que si, dans les démêlésque nous avons si souvent avec nos voisins,nous venions à jouer un peu de malheur,ou (ce que Dieu ne veuille) à tomber dansune minorité, la plupart s'en irait commeelles sont venues. C'est pourquoi, soit par traité ou par

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une bonne guerre, Monseigneur, prêcheztoujours la quadrature, non pas du cercle,mais du pré. C'est une belle et bonnechose que de pouvoir tenir son fait desdeux mains. »

Cette organisation tactique dans l'espace,Nicolas Machiavel en affirme la nécessité dans lasociété elle-même. Son œuvre, Le Prince, est unmanuel complet d'averroïsme politique : c'estune œuvre équivalent directement l'Arthashastraindien.

Les contextes indien et italien étaientcependant très différents. Lorsque l'Arthashastraa été écrit, la monarchie absolue était déjà entrain de se tracer un chemin à travers le terriblechaos des forces féodales, particulièrementbrutales et sanglantes.

Lorsque Le Prince a été écrit, on a la mêmesituation, mais sans aucun espoir de voir lamonarchie absolue s'imposer, en raison duVatican qui, comme l'explique NicolasMachiavel, était trop faible pour unifier l'Italiemais suffisamment fort pour parvenir àempêcher que quelqu'un d'autre réussisse.

Les autres forces principales étaient desvilles-états, comme Venise, Milan et Florence,ou encore Gênes, Ferrare et Bologne.

Ainsi, dans son œuvre, Nicolas Machiaveltraite de la question du pouvoir – commentl'obtenir et le garder – mais il conclut par unappel à unifier l'Italie. C'est un appel à un «Prince » idéal, réalisant pour l'Italie ce qui a étéfait en France et en Angleterre.

Les dernières lignes de l’œuvre consistent endes vers de Pétrarque :

« La vaillance prendra les armes Contre la fureur et tôt la vaincra Car la valeur ancienne n'est pas morte Dans les cœurs italiens »

D'autres œuvres témoignent de ce grandtravail de fond en faveur de l'avancée politique

de l'Italie ; il y a ainsi notamment Les Discourssur la première décade de Tite-Live écrits de1512 à 1519, ainsi que le Discours sur laréforme de l’État de Florence, écrit en 1521.

Le Prince est donc un ouvrage qui doit enquelque sorte contribuer à faire émerger la forcepolitique unifiant l'Italie, c'est un manuel quiaffirme la nécessité d'être matérialiste et de nepas reposer sur un quelconque idéalisme,notamment religieux.

Le Prince, en tant que représentant del'intérêt général, doit être auto-centré,indifférent aux autres aspects et, s'il le faut,pratiquer l'habileté, la simulation et ladissimulation pour triompher.

C'est une démarche relevant de l'averroïsmepolitique, servant les intérêts de la monarchieabsolue contre l’Église et ouvrant la porte aumatérialisme bourgeois en arrière-plan.

Nicolas Machiavel ayant formulé brutalementses sentences – l'ouvrage ayant eu une diffusiontrès large grâce à l'imprimerie, à l'opposé del'Arthshastra –, Le Prince fut un scandale,l’Église comprenant immédiatement le danger etinterdisant de son côté l'ouvrage jusqu'au débutdu XXe siècle.

Voici une sentence « typique » de ce qu'ontrouve dans Le Prince :

« Un prince bien avisé ne doit pointaccomplir sa promesse lorsque cetaccomplissement lui serait nuisible, et queles raisons qui l’ont déterminé à promettren’existent plus : tel est le précepte àdonner. »

Le raisonnement pragmatique-machiavéliqueest entièrement fondé sur le positionnement :

« On doit bien comprendre qu’il n’estpas possible à un prince, et surtout à unprince nouveau, d’observer dans saconduite tout ce qui fait que les hommessont réputés gens de bien, et qu’il estsouvent obligé, pour maintenir l’État,

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d’agir contre l’humanité, contre la charité,contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assezflexible pour se tourner à toutes choses,selon que le vent et les accidents de lafortune le commandent ; il faut, comme jel’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écartepas de la voie du bien, mais qu’au besoinil sache entrer dans celle du mal. »

Nicolas Machiavel développe dans Le Princetous les thèmes traditionnels de l'averroïsmepolitique : la nécessité que le peuple ait unebonne opinion du Prince, l'utilité des conseillers,le besoin d'une souplesse tactique, l'attitude derejet à avoir vis-à-vis des flatteurs, etc.

Le Prince eut ainsi un énormeretentissement, son ouvrage sur le petit nombremanœuvrant la « multitude » passive étantpublié à une époque où justement la diffusion dela connaissance aux masses commence.

L’œuvre déborde donc de la simple utilitépour la monarchie absolue et passe déjà dans lecamp du peuple en tant que connaissance desmanœuvres des puissants pour les dominer.C'est précisément cette dimension qui a rendul’œuvre si vivante et si ancrée dans son époque.

15. La Fontaine et les Fables indiennes

Le XVIIe siècle est ainsi, en Franceprofondément marqué par l'averroïsme politique.Une œuvre comme Dom Juan de Molière estabsolument incompréhensible si l'on ne voit pasqu'il s'agit d'une mise en avant de cette formede matérialisme.

Jean de La Fontaine participe de cet élanavec ses Fables ; il s'est inspiré duPaṃchataṃtra, ces Fables indiennes écritesplusieurs siècles avant notre ère, non passimplement pour la forme, mais également pourle contenu.

Il y a ici une réalisation de l'averroïsmepolitique, l'expression d'une morale

pragmatique, « réaliste », non religieuse.

Voici deux exemples résumant l'esprit duPaṃchataṃtra, avec des extraits duHitopadesha, « L'instruction utile », uneimitation du Paṃchataṃtra :

« Alors, découragé, Citravarna dit àson ministre Dûradarshin : - Mon cher, pourquoi donc nous as-tunégligés ? N'aurais-je pas su meconduire ?

Et ainsi est-il dit : On ne doit pas agir inconsidérément parce qu'on a obtenu la royauté. Ne pas savoir se conduire tue en effetla prospérité contre la vieillesse détruit la plusremarquable beauté. Il obtient la prospérité celui qui est habile, la santé celui qui se nourrit sainement, le bonheur celui qui se porte bien, la limite du savoir celui qui a du zèle et le dharma, la richesse et la gloire celui qui se discipline.

- Écoutez, seigneur, répondit le vautour: Un roi, même ignorant, acquiert une prospérité extrême s'il prend à son service des hommesavancés en connaissances, comme, au bord des eaux, se développeun arbre.

Et encore : La boisson, les femmes, la chasse, lejeudi et le gaspillage d'argent, la dureté des paroles et des châtiments, sont pour les rois des vices. »

Voici le second extrait :

« Ayant ri, Dûradarshin déclara : On ne doit pas produire pour rien un grondement de tonnerre commecelui d'un nuage d'automne. Un grand homme ne révèle pas àl'ennemi

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ses bonnes ou mauvaises intentions. En outre : Un roi ne doit pas faire la guerre à la fois de nombreux adversaires. De nombreux insectes assurément peuvent tuer même l'orgueilleuxserpent. »

Voici comment l'avant-propos de latraduction française moderne du Paṃchataṃtrapar Edouard Lancereau présente le rapport deJean de La Fontaine à cette œuvre :

« Parmi les fabulistes chez lesquels ontrouve des imitations de nos apologues [duPaṃchataṃtra], La Fontaine tient lapremière place. Les six derniers livres de son recueil,publiés en 1678-1679 et en 1693-1694,renferment toutes ses fables d'origineorientale.

« J'en dois, dit-il dans l'Avertissementplacé en tête du septième livre, la plusgrande partie à Pilpay, sage indien. Sonlivre a été traduit en toutes les langues. »

La mention du nom de Pilpay indiquesuffisamment que notre fabulise s'est servide la traduction française de l'Anwâr-iSouhailî intitulée Livre des Lumières. Mais plusieurs des fables qu'il aempruntées au philosophe indienmanquent dans le Livre des Lumières. Cetouvrage, comme on l'a vu plus haut, necontient que les quatre premiers chapitresdu texte persan. La Fontaine a eu par conséquent entresles mains une des autres versions du Livrede Kalila et Dimna connues de son temps. La Fontaine entretenait, on le sait, uncommerce littéraire et un échangecontinuel de livres avec le savant Huet,sous-précepteur du Dauphin et plus tardévêque d'Avranches. Ce dernier s'occupaitd'un travail sur la version grecque [duPaṃchataṃtra] de Siméon Seth. »

Jean de La Fontaine connaissait égalementFrançois Bernier (1620-1688), philosopheépicurien ayant existé en Inde ; le jésuite Pierre

Poussines avait de son côté également traduit lePaṃchataṃtra depuis sa version grecque.

Pour replonger dans le contexte de l'époque,voici comment Antoine Houdar de La Motte(1672-1731), dans son Discours sur la fable,présente l'auteur du Paṃchataṃtra, etl'averroïsme politique est clairement souligné :

« Pilpai doit trouver ici sa place, si cen'est par le mérite de ses fables, du moinspar leur célébrité ; et comme il estinventeur, il ne faut pas, pour lui accorderquelque estime, y regarder de si près qu'àceux qui sont guidés par des modèles : lemérite de l'invention compensera toujoursbien des défauts. Il gouverna longtemps l'Hindoustansous un puissant empereur ; il n'en étaitpas moins esclave ; car les premiersministres de ces souverains le sont encoreplus que leurs moindres sujets ; et voilàtoujours l'esclavage confirmé dansl'honneur d'avoir enfanté la fable. Pilpai renferma toute sa politique dansles siennes ; c'était le livre d’État, et ladiscipline de l'Hindoustan. Un roi de Perse prévenu de la beautéde ses maximes envoya recueillir ce trésorsur les lieux, et fit traduire Pilpai par sonmédecin. Les Arabes lui ont aussi décernél'honneur de la traduction [avec commetitre Le Livre de Kalîla et Dimna] ; et ilest demeuré en possession de tous lessuffrages du Levant. »

Antoine Houdar de La Motte reproche à «Pilpai » que les Fables soient imbriquées lesunes dans les autres, qu'elles ne constituent pasdes petites leçons séparées ; dans lePaṃchataṃtra, comme dans le Hitopadesha,tout s'emmêle, tout s'entrecroise en effet.

Antoine Houdar de La Motte apprécie doncJean de La Fontaine, car il a construit des petitsmorceaux de vie, autonomes et n'étant pas secs,permettant l'instruction.

On retrouve donc toute la question del'instruction, de la « manutention des esprits ».

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C'est un moment très important, d'affirmationnationale.

Charles Maurras, le théoricien du «nationalisme intégral », ne s'y est pas trompé,et ne chercha pas à remettre en cause cela. Ilformula ainsi une sorte de double conception :

« Il y avait autrefois, en France, deuxlivres de classe, très inégalementrespectables, d'une antiquité inégale,d'une popularité inégale aussi en faitcomme en droit, mais qui représentaientensemble la somme de l'esprit national. C'étaient le Catéchisme diocésain et(l'adjonction est de Nisard) les Fables deLa Fontaine. » (L'École laïque contre la France , 1928)

L’État d'un côté, la religion de l'autre : lenationalisme intégral de Charles Maurras a étéune tentative de formuler une monarchie absoluemodernisée. La Fontaine fut donc compris pource qu'il est, et Charles Maurras écrira même lapréface du La Fontaine politique, ouvrage dufasciste Pierre Boutang (1916-1998), qui serasouvent présenté comme le successeur deCharles Maurras.

On est là dans l'idéalisme, dansl'incompréhension du phénomène historique qu'aété la monarchie absolue. Une compréhension de« l'ancêtre » du Paṃchataṃtra, le fameuxArthshastra, permet de bien saisir cela.

16. l'Arthashastra

Nous avons présenté l'Arthashastra, écrit parle ministre indien Kautilya - Chāṇakya (environ350-283 avant notre ère) ; voyons quelles en sontles thèses.

D'un coté il y a un État et uneadministration, de l'autre il y a la sciencepolitique. Ce qui donne cela :

« Celui qui connaît bien la sciencepolitique (…) peut jouer à sa guise avec lesrois qu'il enchaîne à son intellect. »

« La source de l'existence des hommesest la richesse, en d'autres mots, la terreque les hommes habitent. La science quidonne les moyens d'obtenir et de protégercette terre est la science politique. »

Le roi est seulement le support de la sciencepolitique. Mais qu'est ce que l’État proprementdit ? L'Arthashastra donne sept élémentsconstitutifs de l’État : « le roi, le ministre, lepays, la ville fortifiée, le trésor, l'armée et l'allié».

Et voici ce qu'il nous dit sur sa conception dela défense de l’État ;

« S'il est faible, un roi doit s'attacher àgarantir le bien-être de ses sujet. Lescampagnes sont à la source de tout cequ'il faut entreprendre ; c'est de là quenaît la puissance. »

« Quant à choisir entre un territoireprotégé par un fort, et un territoire qui ale soutien des hommes, c'est ce dernier quiest préférable. Car le propre d'un royaumeest d'être peuplé d'hommes. »

« Les choses qui dépendent de la villefortifiée sont le trésor, l'armée, la guerresilencieuse, la retenue de son propre camp,l'utilisation des forces armées, la réceptionde troupes alliées, et la défense contre lestroupes ennemies et les peuplades desforets. S'il n'y a pas de fort, le trésortombera aux mains des ennemis. Car, ilapparaît que ceux qui sont dotés de fortsne sont pas exterminés. »

L'allemand Carl von Clausewitz (1730-1831)a produit des conceptions similaires. Les massessont conçues comme un « instrument » duroyaume, tout comme le roi par ailleurs.

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L'Arthashastra préconise de tout surveiller :la formation du prince destiné à être roi, lesministres, les masses. Tout doit être contrôlé.

Au sujet du prince, on peut lire:

« Si par hasard, dans l'exubérance desa jeunesse , il nourrissait de l'envie pourles femmes des autres, on devrait faire ensorte qu'il en conçoive une aversionprofonde, grâce à l'entremise de femmesimpures se faisant passer pour de noblesdames, la nuit dans des maisons isolées.S'il appréciait la boisson, on devraitl'effrayer avec un alcool empoisonné. »

Même les ministres de haut rang devaientêtre surveillés discrètement :

« Après avoir nommé ses ministres (…)le roi devrait secrètement en vérifierl'intégrité. »

On peut lire dans l'Arthashastra que nonseulement le roi devrait engager des espionspour surveiller les villageois et les citadins, maisqu'il devrait aussi construire des tavernes à desfins d'espionnage. Tout divertissement devraitêtre supervisé par l’État, et l'opinion publiquedevrait être maintenue totalement souscontrôle .

Et comme l'Arthashastra est en touts pointsun manuel pratique, il donne une liste dedéguisements d'espions :

« L'administrateur devrait poster danstout le pays des agents secrets ayantl'apparence d'ascètes religieux, de moineserrants, de charretiers, de saltimbanques,de jongleurs, de clochards, de diseurs debonne fortune, de devins, d'astrologues,d'apothicaires, d'aliénés, de sourds, demuets, et de marchands de boissons, depain, de viande ou de riz. »

Le roi doit intervenir directement, quand cela

est nécessaire, pour éviter les problèmesultérieurs :

« La désaffection peut être vaincue sion en supprime les meneurs. »

« Les sujets qui s'affrontentmutuellement avantagent le roi par leurrivalité. »

« Une flèche, décochée par un archer,peut tuer ou ne pas tuer ; maisl'intelligence, maniée par un un hommesage, tuerait même un enfant dans leventre de sa mère. »

« Car le roi sévère avec son fouetdevient une source de terreur. Le roiclément avec son fouet est méprisé. Le roiqui est juste avec son fouet est un roihonoré. »

En cas de nécessité, la torture et le meurtrepeuvent s'avérer utiles. Toutefois, le fouet sertavant tout à maintenir l'unité :

« Le fort avale le faible, en l'absence decelui qui manie le fouet. »

C'est pourquoi la colère et la luxure sont lesennemis des rois, et :

« C'est principalement les roisgouvernés par leur colère qui ont été tuéspar des soulèvements de leurs sujets. »

On revient ici au principe selon lequel le roiest un instrument de l’État. C'est l’État qui abesoin d'un roi et de ministres solides, efficaces.La croissance de la prospérité générale est le butde l'administration.

En France, Louis XIV ne disposait pasd'assez de richesses pour satisfaire les masses, enparticulier à cause des guerres dans lesquelles il

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s'engageait, et à cause de cela le royaume n'apas pu complètement s'affirmer. Cela a créé unespace pour la conception d'un « nationalismeintégral », plus tard développé par CharlesMaurras (1868-1952).

Avec l'échec du système féodal etl'écroulement de tout ce mode de production,tout un romantisme a été produit, basé sur leroyalisme et la conception d'un « état organique».

La situation était différente en Inde ; Ashokaa pu maintenir une certaine paix pendant uncertain temps ; il a organisé des dispensairespour le peuple et pour les animaux, et il a puappeler à l'universalisme. La monarchie absoluea ouvertement commencé à élaborer l'idéologiede l’État-providence .

C'est le noyau idéologique (et idéaliste) de lamonarchie absolue. On peut encore lire dansl'Arthashastra :

« C'est la richesse matérielle qui est lebut principal, car la morale (Dharma) etles plaisirs des sens (Kama) reposent surla richesse matérielle (Arthamulau). »

Le paradoxe, c'est que cette perspective a pustructurer, dans la situation de l'Inde, ledespotisme asiatique, en raison de la défaite desforces progressives et du retour des forcesféodales.

Si l'on examine la situation au temps del'Arthashastra, on voit que l’État possédait lesvastes territoires de la couronne, toutes lesressources naturelles, toutes les terres en friche,tous les droits sur la pèche, le transport, lecommerce, etc.

Les cultivateurs étaient sous le contrôle del’État ; les terres cultivables pouvaient être

confisquées par l’État et confiées à d'autrescultivateurs ou à la communauté villageoise.

Toutes les initiatives des commerçants étaientvérifiées, le taux de profit déterminé par l’État,tout comme la vente et la distribution, etc. etmême les heures de travail et les salaires ; il yavait un intendant aux routes commerciales etaux marchés.

L’État organisait les réservoirs, les canauxd'irrigation ; il avait le monopole sur laproduction d'alcool, de sel, la construction desbateaux. Les entrepôts et les métiers à tisserdépendaient des intendants de l’État.

Les échanges étaient aussi régulés en termesclairs :

« Les substances nuisibles, commel'alcool ou le poison, ne sont d'aucuneutilité au pays, et devraient êtreprohibées. Les biens d'une très grandevaleur, tels que les graines ou lesmédicaments difficiles à trouver, devraientcirculer sans droits de douane. »

Tout cela va de pair avec la formation d'unmarché centralisé et l'unification du pays –l'aspect progressif de la monarchie – mais celasignifie qu'en cas d'échec, cette centralisationprofite à un État parasitaire s'appuyant sur lespropriétaires féodaux.

C'est ce qui s'est passé en Inde, oùl'Arthashastra a été un ouvrage très importantjusqu'au XIIème siècle, où il fut perdu ; mais enFrance, la bourgeoisie s'est directement emparéede l’État pour en faire le noyau de la nation, quinaît et disparaît avec le capitalisme.

Là réside l'importance de XVIIe sièclecomme étant celui de Richelieu, Vauban,Mazarin, Louis XIV, La Fontaine...

Publié en janvier 2014Il lustration de la première page : Richelieu d'après Philippe de Champagne

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