1917 et l'union soviétique la révolution...

42
« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM 1917 et l'Union soviétique La révolution russe Mai 2014 (1 re édition) Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

Upload: others

Post on 23-Mar-2020

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLM

1917 et l'Union soviétique

La révolution russe

Mai 2014 (1re édition)

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

Page 2: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

Table des matières1. La Russie tsariste et le développement capitaliste..................................................................................22. fondation du Parti bolchévik..................................................................................................................73. La bataille pour le positionnement du parti Bolchevik.........................................................................124. L'apport de Plékhanov et ses limites....................................................................................................155. À la veille de la révolution....................................................................................................................186. La révolution démocratique de février 1917 et les thèses d'avril..........................................................217. L'Etat et la révolution..........................................................................................................................238. Octobre 1917.........................................................................................................................................259. La guerre civile (1918-1920)..................................................................................................................2810. Lénine face à la petite production.......................................................................................................3011. La maladie infantile du communisme (le "gauchisme").......................................................................3212. L'importance historique des notes philosophiques..............................................................................35Annexe :Thèses d'Avril, Lénine (avril 1917)...........................................................................................................38

1. La Russie tsariste et ledéveloppement capitaliste

La Russie n'a pas toujours été un vasteterritoire. Elle naît comme dans un processus deconquête, à partir de Moscou, contre les Tataro-mongols et leur royaume appelé la « Horded'or ». Entre 1300 et 1796 se forme la Russiepar la conquête féodale, avec l'appui de l’Égliseorthodoxe. On assiste, ainsi, à la formation trèstardive d'un royaume, formation permettant unélan féodal.

Cela explique que, alors qu'en Europeoccidentale il est procédé à des débuts deréforme agraire, en Russie le phénomène inversese déroule : en 1649, le servage est instauré,liant le paysan et ses descendants à une terre etson propriétaire féodal. L'aristocratie va alorsêtre particulièrement moderne, tournée versl'Europe occidentale et les Lumières, encontraste absolu avec la situation en Russiemême. Cela sera d'autant plus flagrant alorsqu'avec l'échec napoléonien, la Russie commenceà jouer un grand rôle en Europe, de par sapuissance.

Cette puissance était néanmoins très fragile,de par la base féodale, l'aristocratie régnante a,

le plus souvent, cherché à moderniser par lehaut le pays, à l'instar de l'Autriche-Hongrie,mais en rencontrant le même phénomène deblocage : les propriétaires terriens et l'arméen'avaient aucun intérêt à la moindre évolution.L'un des grands événements de cettecontradiction sera l'insurrection échouée des« décabristes », consistant en une tentative decoup d’État militaire de jeunes officiers issus del'aristocratie, cherchant à établir une monarchieconstitutionnelle. La monarchie continue, eneffet, son élan par des conquêtes, tant laPologne qu'en Asie, où elle se confronte à laGrande-Bretagne dans ce qui sera appelé « legrand jeu ».

Ce n'est que pour cette raison qu'elle décidede procéder à sa modernisation : la Russie a étédéfaite par la France, la Grande-Bretagne etl'Empire Ottoman lors de la guerre de Crimée,au milieu du XIXe siècle (de 1853 à 1856), et leTsar décide d'accélérer la transformation de sonempire de 12,5 millions de kilomètres carrés quicomptait alors 60 millions de personnes.

Le processus de révolution industrielles'enclenche : entre 1865 et 1890 le nombred’ouvriers en Russie occidentale, dans les

2

Page 3: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

grandes entreprises, les mines et le réseauferroviaire double (passant de 706.000 à1.433.000), chiffre qui ne cessera d’augmenter(2.792.000 à la fin des années 1890). De 1890 à1900, plus de 21.000 kilomètres de lignes dechemin de fer sont construits.

Si les paysans restent en ces années lapopulation majoritaire (les 5/6e), le poidspolitique de la classe ouvrière prend ainsi deplus en plus d’importance, de par les exigencesdémocratiques qu'elle affirme.

Ce n'était cependant pas évident à l'époque.La tendance idéologique dominante dans lecamp d'opposition au Tsar voyait commenégative l'industrialisation par en haut et avaitcomme point de référence le « mir », lacommune agricole. Le mouvement était portépar des groupes intellectuels, qui prirent pourcette raison le nom de « Narodniki », narodsignifiant le peuple.

Ce mouvement « populiste » échouanéanmoins dans sa tentative de s'établir dans lescampagnes, et ses membres passèrent dans lecamp du terrorisme individuel, avec le groupemilitaire, la « Narodnaja Volia » (la volontépopulaire).

Cette organisation fut à l'origine del’exécution du tsar Alexandre II en 1881,remplacé par Alexandre III sous lequel unerépression féroce sera menée ; le frère même deLénine sera exécuté pour participation à unattentat contre le nouveau tsar.

Lénine fut, lui, à l'origine de la critique dupopulisme, ce qui permit l'établissement dumouvement bolchevik.

Avant Lénine, le marxisme ne venait qued'arriver en Russie, sous l'impulsion du groupe« Libération du travail », fondé en 1883 parGeorgi Plekhanov.

Ce dernier était un populiste acquis aumarxisme lors de son exil hors de Russie, c'estalors que furent traduits et diffusésclandestinement de nombreux ouvrages de KarlMarx et Friedrich Engels (« Le manifeste du

parti communiste », « Travail salarié etcapital », « Socialisme utopique et socialismescientifique »).

Parmi les ouvrages de Georgi Plékhanov, leplus important est « A propos de la question dudéveloppement de la vision moniste del’histoire », écrit en 1895, livre « qui a éduquétoute une génération de marxistes russes »(Lénine).

C'est cependant Lénine qui a fait dumarxisme une théorie vivante, dans le cadre desconditions russes. Né en 1870, il est d'abord unétudiant révolutionnaire confronté à larépression, parvenant ensuite à rassembler lesmarxistes de Saint-Pétersbourg en 1895 dansune « union de lutte pour la libération de laclasse ouvrière ».

Puis, il publie deux œuvres synthétisantl'analyse marxiste de la Russie, à contre-pied dupopulisme. La première œuvre est « Pourcaractériser le romantisme économique », écriten 1897, la seconde est « Le développement ducapitalisme en Russie », publié en 1899. Cesdeux œuvres essentielles sont le directprolongement d'un article de 1894, « Ce quesont les « amis du peuple » et comment ilsluttent contre les social-démocrates »

Dans cet article, Lénine expose sa défense dumatérialisme dialectique contre les théories despopulistes, qui tronquent le marxisme, ledéforment.

« Pour éclairer ces questions, citonsd'abord un autre passage de la préface auCapital, quelques lignes plus bas : « Maconception, dit Marx, est que je vois dansle développement de la formationéconomique de la société un processusd'histoire naturelle. » (…)Aujourd'hui – depuis la parution duCapital – la conception matérialiste del'histoire n'est plus une hypothèse, maisune doctrine scientifiquement démontrée.Et tant que nous n'enregistrerons pas uneautre tentative d'expliquerscientifiquement le fonctionnement etl'évolution d'une formation sociale – d'uneformation sociale précisément et non descoutumes et habitudes d'un pays ou d'unpeuple, ou même d'une classe, etc. –tentative qui, tout comme le matérialisme,

3

Page 4: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

serait capable de mettre de l’ordre dansles « faits correspondants », de tracer untableau vivant d'une formation, et d'endonner une explication strictementscientifique, – la conception matérialistede l'histoire sera synonyme de sciencesociale. Le matérialisme n'est pas « uneconception scientifique de l'histoire parexcellence », comme le croit M.Mikhaïlovski, mais la seule conceptionscientifique de l'histoire. (…)Si l'on pouvait parler de clans dansl'ancienne Russie, il ne fait pas de douteque déjà au moyen âge, à l'époque dutsarat de Moscovie, ces relations de clansn'existaient plus, c'est-à-dire que l'État sebasait sur des associations locales, et nonclanales : propriétaires terriens etmonastères acceptaient les paysans venusdes différentes localités, et lescommunautés ainsi formées étaient desassociations purement territoriales.Cependant, on pouvait à peine parler deliens nationaux au sens propre du mot àcette époque : l'État était divisé en« territoires » distincts, souvent même enprincipautés qui conservaient des tracesvivantes d'ancienne autonomie, desparticularités d'administration, parfoisleurs propres troupes (les boyards locauxpartaient en guerre à la tête de leurspropres régiments), des frontièresdouanières à elles, etc.Seule la période moderne de l'histoirerusse (depuis le XVIl° siècle à peu près)est marquée par la fusion effective detoutes ces régions, territoires etprincipautés, en un tout.Cette fusion n'est pas due, très honorableM. Mikhaïlovski, à des relations de clansni même à leur continuation etgénéralisation ; elle est due à l'échangeaccru entre régions, au développementgraduel des échanges de marchandises et àla concentration des petits marchés locauxen un seul marché de toute la Russie.Comme les dirigeants et les maîtres de ceprocessus étaient les gros marchandscapitalistes, la création de ces liensnationaux n'était rien d'autre que lacréation de liens bourgeois. (…)Nulle part aucun marxiste n'a jamaisargumenté en ce sens qu'en Russie « ildoit y avoir » le capitalisme, « parceque » il a existé en Occident, etc.Aucun marxiste n'a jamais vu dans lathéorie de Marx un schéma de laphilosophie de l'histoire, obligatoire pourtous, quelque chose de plus quel'explication d'une certaine formation del'économie sociale.Seul un philosophe subjectif, M.Mikhaïlovski, a trouvé moyen de fairepreuve d'une incompréhension de Marx au

point de déceler chez lui une théoriephilosophique générale, ce qui lui valutcette réponse explicite de Marx, qu'ils'était trompé d'adresse.Jamais aucun marxiste n’a fondé sesconceptions social démocrates sur autrechose que leur conformité avec la réalité etl'histoire des rapports économiques etsociaux existants, c'est-à-dire russes ; aureste, il ne pouvait les fonder autrement,parce que cette exigence de la théorie aété formulée d'une façon absolument netteet précise, et placée comme clef de voûtede toute la doctrine par le fondateurmême du « marxisme », Marx. »

Lénine, Ce que sont les « amis dupeuple » et comment ils luttent contre les

social-démocrates

Sur cette base, Lénine va critiquer lespopulistes ; dans « Pour caractériser leromantisme économique », il montre comment la« nostalgie » d'une période pré-capitaliste (ousoi-disant telle quelle) représente une visionerronée, appuyant la petite productioncapitaliste :

« L’idéalisation de la petite productionnous révèle un autre trait spécifique de lacritique romantique et populiste : soncaractère petit-bourgeois. Nous avons vuque le romantique français comme leromantique russe font de la petite-production une « organisation sociale »,une « forme de production », qu’ilsopposent au capitalisme.Nous avons vu aussi que cette oppositionn’implique qu’une compréhension trèssuperficielle, qu’elle isole artificiellementet à tort une forme de l’économiemarchande (le grand capital industriel) etla condamne, tout en idéalisantutopiquement une autre forme de cettemême économie marchande (la petiteproduction).Le malheur des romantiques européens dudébut du XIXe siècle, comme desromantiques russes de la fin du siècle,c'est qu'ils imaginent dans l'abstrait unepetite exploitation en dehors des rapportssociaux de la production, et oublient unpetit détail : à savoir que la petiteexploitation, celle du continent européende la période 1820-1830 comme celle dupaysan russe de la période 1890-1900, estplacée en réalité dans les conditions de laproduction marchande.Le petit producteur, porté aux nues parles romantiques et les populistes, n'estdonc en réalité qu'un petit-bourgeois placédans les mêmes rapports contradictoiresque tout autre membre de la sociétécapitaliste, et menant comme lui, pour

4

Page 5: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

assurer son existence, une lutte qui, d'unepart, produit constamment une minoritéde gros bourgeois, et, d'autre part, rejettela majorité dans les rangs du prolétariat.En réalité, comme chacun le voit et lesait, il n'y a pas de petits producteurs quine soient placés entre ces deux classesopposées ; et cette position intermédiairedétermine nécessairement le caractèrespécifique de la petite bourgeoisie, sadualité, sa duplicité, sa sympathie pour laminorité qui sort victorieuse de la lutte,son hostilité à l'égard des« malchanceux », c'est-à-dire la majorité.Plus l'économie marchande se développe,plus ils devient clair que l'idéalisation dela petite production ne traduit qu'unpoint de vue réactionnaire, petit-bourgeois. »

Lénine, Pour caractériser le romantismeéconomique

Lénine expose alors la nature sociale de laRussie, dans « Le développement du capitalismeen Russie » ; il présente tous les différentsdomaines sociaux et regarde le rapport aucapitalisme. Dans sa conclusion, il explique :

« Pour conclure, il ne nous reste plus qu'àfaire le bilan de ce que dans notrelittérature économique on appelle la« mission » du capitalisme, c'est-à-dire durôle historique de ce régime dans ledéveloppement économique de la Russie.Ainsi que nous avons essayé de le montreren détail tout au long de notre exposé, iln'y a absolument rien d'incompatibleentre le fait d'admettre le caractèreprogressiste de ce rôle et la dénonciationde tous les côtés sombres et négatifs ducapitalisme, de toutes les contradictionsprofondes et généralisées qui lui sontinhérentes et qui en révèlent le caractèrehistorique transitoire.Ce sont précisément les populistes quis'efforcent par tous les moyens de fairecroire que reconnaître le caractèrehistorique progressiste de ce régimeéquivaut à en faire l'apologie, ce sontprécisément eux qui commettent l'erreurde sous-estimer (et parfois même de passersous silence) les profondes contradictionsdu capitalisme russe en essayant dedissimuler la décomposition de lapaysannerie, le caractère capitaliste del'évolution de notre agriculture, laformation d'une classe d'ouvriersindustriels et agricoles salariés pourvusd'un lot de terre, en dissimulant le faitque les formes les plus inférieures et lesplus mauvaises du capitalisme dominentabsolument dans la fameuse industrie« artisanale ».Le rôle historique progressiste du

capitalisme peut être résumé en deuxmots : développement des forcesproductives du travail social etcollectivisation de ce travail. Mais selonles domaines de l'économie nationaleauxquels on a affaire, ces deuxphénomènes prennent des formesextrêmement variées.Ce n'est qu'à l'époque de la grandeindustrie mécanique que le développementdes forces productives du travail social semanifeste dans toute son ampleur. Jusqu'àce stade supérieur du capitalisme, en effet,la production est basée sur le travail à lamain et sur une technique primitive dontles progrès sont extrêmement lents etpurement spontanés.A cet égard, l'époque postérieure àl'abolition du servage se différencieradicalement des autres périodes del'histoire russe. La Russie de l'araire et dufléau, du moulin à eau et du métier à brasa commencé à se transformer à un rythmerapide en un pays de charrues et debatteuses, de moulins à vapeur et demétiers mécaniques.Et cette transformation complète de latechnique a pu être observée dans toutesles branches de l'économie nationale, sansexception, soumises à la productioncapitaliste.De par la nature même du capitalisme, ceprocessus de transformation comporteinévitablement toute une série d'inégalitéset de disproportions : les périodes deprospérité sont suivies par des périodes decrise, le développement d'une brancheindustrielle aboutit à la décadence d'uneautre, les progrès de l'agriculture touchentdes aspects de l'économie rurale quivarient selon les régions, le développementdu commerce et l'industrie devance celuide l'agriculture, etc.Bon nombre des erreurs commises par lesécrivains populistes viennent de ce que cesauteurs tentent de prouver que cedéveloppement disproportionné, aléatoire,par bonds, n'est pas un développement.Une autre particularité du développementcapitaliste des forces productives sociales,c'est que, comme nous l'avons indiqué àplusieurs reprises, aussi bien pourl'agriculture que pour l'industrie,l'accroissement des moyens de production(de la consommation productive) est biensupérieur à celui de a consommationpersonnelle. Cette particularité est dueaux lois générales qui régissent laréalisation du produit en sociétécapitaliste et correspond en tous points àla nature antagonique de cette société.Quant à la socialisation du travailprovoquée par le capitalisme, elle semanifeste dans les processus suivants :Premièrement, le développement de la

5

Page 6: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

production marchande met fin aumorcellement propre à l'économienaturelle des petites unités économiques etrassemble les petits marchés locaux en ungrand marché national (puis mondial).La production pour soi se transforme enproduction pour toute la société, et plus lecapitalisme est développé, plus lacontradiction entre le caractère collectif dela production et le caractère individuel del'appropriation se renforce.Deuxièmement, le capitalisme remplacel'ancien morcellement de la productionpar une concentration sans précédent et ceaussi bien dans l'agriculture que dansl'industrie. C'est là la manifestation laplus spectaculaire et la plus évidente decette particularité du capitalisme, mais cen'est nullement la seule.Troisièmement, le capitalisme élimine lesformes de dépendance personnelleinhérentes aux anciens systèmeséconomiques. A cet égard, son caractèreprogressiste ressort tout particulièrementen Russie où la dépendance personnelle duproducteur existait non seulement dansl'agriculture (où elle continue à subsisterpartiellement), mais également dansl'industrie de transformation (les« fabriques » basées sur le travail servile),dans l'industrie minière, dans lespêcheries, etc.Par rapport au travail du paysandépendant ou asservi, il va de soi que pourtoutes les branches de l'économienationale le travail du salarié libreconstitue un phénomène progressiste.Quatrièmement, le capitalisme entraîneinévitablement une mobilité de lapopulation dont les régimes économiquesantérieurs n'avaient pas besoin et qui,sous ces régimes, ne pouvait pas existersur une échelle un tant soit peuimportante.Cinquièmement, le capitalisme provoqueune diminution constante de la part de lapopulation qui travaille dans l'agriculture(où ce sont toujours les formes les plusretardataires de rapports économiques etsociaux qui prédominent) et unaccroissement du nombre des grandscentres industriels.Sixièmement, la société capitaliste accroîtle besoin d'unions et d'associations de lapopulation et donne à ces associations uncaractère particulier qui les différencie decelles de l'ancien temps. Tout endétruisant les étroites unions corporativeslocales de la société moyenâgeuse, et encréant une concurrence acharnée, lecapitalisme scinde l'ensemble de la sociétéen vastes groupes de personnes qui sedifférencient par la position qu'ellesoccupent dans la production, et donne unevigoureuse impulsion à la constitution

d'associations au sein de chacun de cesgroupes.Septièmement, toutes les transformationsde l'ancien régime économique provoquéespar le capitalisme que nous venons designaler entraînent inévitablement unetransformation morale de la population.Le caractère saccadé du développementéconomique, la transformation rapide desmodes de production, l'énormeconcentration de celle-ci, la disparition detoutes les formes de dépendancepersonnelle et des rapports patriarcaux, lamobilité de la population, l'influence desgrands centres industriels, etc., tout celane peut que modifier de façon profonde lecaractère même des producteurs et nousavons déjà eu l'occasion de signaler lesobservations des enquêteurs russes dans cesens.Pour en revenir aux économistespopulistes avec lesquels nous n'avons cesséde polémiquer, nous pouvons résumer lescauses de nos désaccords de la façonsuivante.Nous sommes tout d'abord dansl'obligation de constater que la conceptionmême que les populistes ont dudéveloppement capitaliste en Russie et durégime économique qui a précédé lecapitalisme dans ce pays est, à notre pointde vue, radicalement erronée.De plus, leur ignorance des contradictionscapitalistes existant aussi bien dans lerégime de l'économie paysanne (qu'ellesoit agricole ou industrielle) nous paraîtparticulièrement grave.Enfin, pour ce qui concerne le problème dela lenteur ou de la rapidité dudéveloppement du capitalisme en Russie,tout dépend de ce que l'on prend commepoint de comparaison. Si l'on comparel'époque précapitaliste de la Russie à sonépoque capitaliste (et c'est précisémentcette comparaison qu'il faut faire si onveut résoudre le problème qui nousoccupe), force nous est de reconnaîtrequ'en régime capitaliste, notre économienationale se développe d'une façonextrêmement rapide.Mais si on compare ce rythme dedéveloppement à celui qui serait possibleétant donné le niveau actuel, de latechnique et de la culture, on doitreconnaître qu'effectivement ledéveloppement du capitalisme en Russieest lent.Et il ne peut en être autrement car aucunpays capitaliste n'a conservé une telleabondance d'institutions surannées,incompatibles avec le capitalisme dontelles freinent les progrès et qui aggraventconsidérablement la situation desproducteurs « souffrant à la fois du

6

Page 7: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

capitalisme et de son développementinsuffisant » (Karl Marx, Le Capital).Enfin, la cause essentielle des divergencesqui nous opposent aux populistes est peut-être la différence qui sépare nosconceptions fondamentales des processuséconomiques et sociaux.Quand il étudie ces processus, le populisteen arrive généralement à des conclusionsmoralisatrices ; il ne considère pas lesdivers groupes participant à la productioncomme les créateurs de telle ou telle formede vie ; il ne se propose pas de présenterl'ensemble des rapports économiques etsociaux comme le résultat des rapportsexistant entre ces groupes qui ont desintérêts et un rôle historique différents... »

Lénine, Le développement du capitalismeen Russie

2. fondation du Parti bolchévik

La conséquence directe de l'interprétationléniniste de la Russie tsariste est lareconnaissance idéologique et politique de laclasse ouvrière. Dès sa fondation, l'union àlaquelle appartient Lénine mène une grandegrève de 30.000 ouvriers du textile, des groupesessaimant en prenant l'union comme modèle.

Un grand pas est alors fait avec la formationdu Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie(P.O.S.D.R.), regroupant les « Unions » deSaint-Pétersbourg, Moscou, Kiev, Iekaterinoslav,ainsi que le « Bund », structure regroupant dessocialistes d’origine juive. Lénine est alors exiléet ne participe pas à cette fondation, mais sondocument de 1898 - « Les tâches des sociaux-démocrates russes » – montre son importancethéorique et pratique.

Car le POSDR n'a ni programme, ni statuts ;il n'est pas une organisation de combat. Laraison pour cela tient à une tendance erronéeimportante dans la social-démocratie, àl'époque. Si les populistes ne comprenaient pasle développement du capitalisme en Russie, ilexistait pour autant chez certains sociaux-démocrates une conception mécanique commequoi puisque capitalisme y avait, alors le rôledirigeant dans la lutte contre le tsarismerevenait naturellement à la bourgeoisie libérale.

Le prolétariat ne devait lutter que pour

améliorer ses conditions de vie, et il ne pourraitmener une activité révolutionnaire sur le planpolitique qu'une fois le capitalisme vraimentinstallé ; ce point de vue était mis en avant parles journaux « Rabotschaia Mysl » (la penséeouvrière) en Russie même et du « RabotcheioDiélo » (la cause ouvrière) en exil.

Lénine combat alors cet « économisme » quia, de plus, comme conséquence de nier l'unitépolitique des révolutionnaires en une seuleorganisation, et il fonde le journal clandestinl'Iskra (l'Etincelle), avec comme sous-titre :« De l’étincelle viendra la flamme »). Ilsynthétise également sa conception del'organisation politique dans un ouvrage publiéen 1902 ayant un impact historique : « Quefaire ? »

Lénine ne fait pas que rejeter la conceptionanti-organisation des économistes ; il ydéveloppe en pratique la démarche à suivre pourque l'organisation vive. Pour cela, il met enavant deux thèses principales.

La première est que l'organisation doit êtrecomposée de révolutionnaires professionnels ; laseconde est que l'organisation a un rôle d'avant-garde, c'est elle qui apporte la théorierévolutionnaire sans qui il n'y a pas derévolution possible.

Selon Lénine, l'organisation doit s'appuyersur des cadres aguerris, assumant le plus hautniveau d'activité. Dans « Que faire ? », ilexplique ainsi :

« Or, j'affirme :qu’il ne saurait y avoir de mouvementrévolutionnaire solide sans uneorganisation de dirigeants stable et quiassure la continuité du travail;que plus nombreuse est la masse entraînéespontanément dans la lutte, formant labase du mouvement et y participant etplus impérieuse est la nécessité d’avoirune telle organisation, plus cetteorganisation doit être solide (sinon, il seraplus facile aux démagogues d'entraîner lescouches arriérées de la masse);qu’ une telle organisation doit se composerprincipalement d’hommes ayant pourprofession l’activité révolutionnaire;que, dans un pays autocratique, plus nous

7

Page 8: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

restreindrons l’effectif de cetteorganisation au point de n’y accepter quedes révolutionnaires professionnels ayantfait l’apprentissage de la lutte contre lapolice politique, plus il sera difficile de “sesaisir” d’une telle organisation; d’autant plus nombreux seront les ouvrierset les éléments des autres classes socialesqui pourront participer au mouvement ety militer de façon active. »

Lénine considère également que cetteorganisation militante ne doit pas être passive etsimplement constater les luttes et les soutenir ;elle doit avoir une position d'avant-garde,fondée sur le marxisme en tant que science.

Dans « Que faire ? », il fait cette affirmationtrès connue :

« Sans théorie révolutionnaire, disaitLénine, pas de mouvementrévolutionnaire... Seul un parti guidé parune théorie d'avant-garde peut remplir lerôle de combattant d'avant-garde. »

L'organisation militante a, par conséquent,une position dirigeante dans les luttes de classe.C'est elle qui doit conduire le mouvement, toutle reste étant soumission à l'état social existant.

Aux yeux de Lénine:

« Tout culte de la spontanéité dumouvement ouvrier, toute diminution durôle de « l'élément conscient », du rôle dela social-démocratie signifie par là même— qu'on le veuille ou non, cela n'y faitabsolument rien — un renforcement del'influence de l'idéologie bourgeoise sur lesouvriers. »

C'est la grande thèse léniniste sur la questionde l'idéologie révolutionnaire. Celle-ci ne seproduit pas spontanément, elle est produite parl'avant-garde, qui l'apporte aux massesnécessairement réceptive puisque l'avant-gardeest son propre fruit.

L'idéologie révolutionnaire correspond doncaux exigences d'une société dans une époquedonnée ; toute la société est concernée par laportée de la question révolutionnaire.

C'est ce que Lénine explique :

« La conscience politique de classe nepeut être apportée à l’ouvrier que del’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de lasphère économique, de l’extérieur de lasphère des rapports entre ouvriers et

patrons.Le seul domaine où l’on pourrait puisercette connaissance est celui du rapport detoutes les classes et catégories de lapopulation avec l’État et le gouvernement,le domaine des rapports de toutes lesclasses entre elles. C’est pourquoi, à la question : que fairepour apporter aux ouvriers lesconnaissances politiques ?- on ne sauraitdonner simplement la réponse dont secontentent, la plupart du temps, lespraticiens, sans parler de ceux d’entre euxqui penchent vers l’économisme, à savoir :« aller aux ouvriers ».Pour apporter aux ouvriers lesconnaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes lesclasses de la population, ils doiventenvoyer dans toutes les directions desdétachements de leur armée. »

La ligne de l'Iskra, celle de Lénine, vatriompher dans le P.O.S.D.R., qui scissionne àson second congrès, en juillet 1903. La majorité(« bolchinstvo » en russe) suit Lénine, et sespartisans prennent le surnom de« majoritaires », de « bolcheviks » en russe.

Les « minoritaires » sont les « mencheviks »(de « menchinstvo », minorité en russe), quiétaient pour une organisation d'adhérents etnon pas de cadres éprouvés. Ils n'acceptèrentpas leur défaite et, notamment avec à leur têteJulius Martov et Trotsky, menèrent une grandecampagne contre les Bolcheviks.

Lénine a critiqué les positions Menchéviksdans un ouvrage également célèbre, Un pas enavant, deux pas en arrière, paru en mai 1904. Ily souligne la question de la nature d'avant-gardedes révolutionnaires :

« Nous sommes le Parti de la classe,écrivait Lénine, et c’est pourquoi presquetoute la classe (et en temps de guerre, àl’époque de la guerre civile, absolumenttoute la classe) doit agir sous la directionde notre Parti, doit se serrer le pluspossible autour de lui.Mais ce serait du manilovisme [Placidité,inertie, fantaisie oiseuse ; l'expressionvient de Manilov, personnage des Amesmortes de Gogol] et du « suivisme » quede penser que sous le capitalisme presquetoute la classe ou la classe entière sera unjour en état de s’élever au point d’acquérirle degré de conscience et d’activité de sondétachement d’avant-garde, de son parti

8

Page 9: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

social-démocrate. »

Ce n'est nullement une simple questiond'efficacité, cela réside dans la nature même dela classe ouvrière, qui doit ouvrir une nouvelleépoque, porter une nouvelle société sur sesépaules. La classe se transcende justement parsa rationalité exprimée en termes d'organisation.

Lénine explique que :

« Le prolétariat n’a pas d’autre arme danssa lutte pour le pouvoir que l’organisation.Divisé par la concurrence anarchique quirègne dans le monde bourgeois, accablésous un labeur servile pour le capital,rejeté constamment « dans les bas-fonds »de la misère noire, d’une sauvage incultureet de la dégénérescence, le prolétariat peutdevenir – et deviendra inévitablement –une force invincible pour cette seule raisonque son union idéologique sur les principesdu marxisme est cimentée par l’unitématérielle de l’organisation qui groupe lesmillions de travailleurs en une armée de laclasse ouvrière. A cette armée ne pourront résister ni lepouvoir décrépit de l’autocratie russe, nile pouvoir en décrépitude du capitalinternational. Cette armée resserrera sesrangs de plus en plus, en dépit de tous leszigzags et pas en arrière, malgré laphraséologie opportuniste des girondins del’actuelle social-démocratie, en dépit deslouanges, pleines de suffisance, prodiguéesà l’esprit de cercle arriéré, en dépit duclinquant et du battage de l’anarchismed’intellectuel. »

Lénine est, ainsi, impitoyable avec le refus del'organisation, qui a nécessairement une base declasse. Il dit :

« Cet anarchisme de grand seigneur estparticulièrement propre au nihiliste russe.L’organisation du Parti lui semble unemonstrueuse « fabrique » ; la soumissionde la minorité à la majorité lui apparaîtcomme un « asservissement »… la divisiondu travail sous la direction d’un centre luifait pousser des clameurs tragi-comiquescontre la transformation des hommes en« rouages et ressorts » (et il voit uneforme particulièrement intolérable de cettetransformation dans la transformation desrédacteurs en collaborateurs), le seulrappel des statuts d’organisation du Partiprovoque chez lui une grimace de mépriset la remarque dédaigneuse (à l’adressedes « formalistes ») que l’on pourrait sepasser entièrement de statuts. »

Ce succès du bolchevisme permet de lancer lemouvement en Russie, arrachant par exemple en

décembre 1904, au bout d'une grande grève àBakou, la première convention collective enRussie, entre les ouvriers et les industriels dupétrole.

L'élan continua avec une grève éclatant enjanvier 1905 dans la grande usine Poutilov deSaint-Pétersbourg. La manifestation de 140 000personnes qui suivit fut réprimée dans le sang,avec un millier de morts et 2000 blessés. Letsarisme réagissait d'autant plus violemmentqu'il venait de voir sa marine écrasée par celledu Japon, dans le cadre de leur concurrenceinter-impérialiste en Extrême-Orient.

Il s'ensuivit une grève de 440 000 travailleurs,puis une série de grèves politiques, voireinsurrectionnelles, avec des affrontements armés.Un épisode très connu fut la mutinerie à borddu cuirassé Potemkine.

La révolution de 1905 n'avait, cependant, pasde direction assez solide pour aller au bout deson mouvement. Le Tsar lâche du lest enautorisant un parlement consultatif, que lesBolchéviks rejetèrent, à l’opposé desMenchéviks ; la scission était de toute manièreconsacrée en avril, lorsque les Bolchéviks tinrentleur congrès à Londres, les Menchéviks àGenève.

Lénine écrivit alors en juin-juillet 1905 unebrochure intitulée « Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique ». Ily explique que la classe ouvrière doit prendre lecommandement du renversement du tsarisme, etdonc de la révolution démocratique.

La bourgeoisie libérale a trop besoin dutsarisme pour opprimer les ouvriers, aussi lesouvriers, et leurs alliés naturels en l'occurrenceles paysans, doivent pousser la révolutiondémocratique.

Lénine explique cela ainsi :

« Il est avantageux pour la bourgeoisie des'appuyer sur certains vestiges du passécontre le prolétariat, par exemple sur lamonarchie, l'armée permanente, etc.Il est avantageux pour la bourgeoisie quela révolution bourgeoise ne balaye pastrop résolument tous les vestiges du passé,

9

Page 10: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

qu'elle en laisse subsister quelques-uns,autrement dit que la révolution ne soit pastout à fait conséquente et complète, nirésolue et implacable. (...)Pour la bourgeoisie, il est plus avantageuxque les transformations nécessaires dans lesens de la démocratie bourgeoises'accomplissent plus lentement, plusgraduellement, plus prudemment, moinsrésolument, par des réformes et non parune révolution... ; que ces transformationscontribuent aussi peu que possible àdévelopper l'initiative révolutionnaire etl'énergie de la plèbe, c'est-à-dire de lapaysannerie et surtout des ouvriers.Car autrement il serait d'autant plusfacile aux ouvriers de « changer leur fusild'épaule », comme disent les Français,c'est-à-dire de retourner contre labourgeoisie elle-même les armes que larévolution bourgeoise leur aura fournies,les libertés qu'elle aura introduites, lesinstitutions démocratiques qui aurontsurgi sur le terrain déblayé du servage.Pour la classe ouvrière, au contraire, il estplus avantageux que les transformationsnécessaires dans le sens de la démocratiebourgeoise soient acquises précisément parla voie révolutionnaire et non par celle desréformes, car la voie des réformes est celledes atermoiements, des tergiversations etde la mort lente et douloureuse des partiesgangrenées de l'organisme national.Les prolétaires et les paysans sont ceuxqui souffrent les premiers et le plus decette gangrène. La voie révolutionnaire estcelle de l'opération chirurgicale la plusprompte et la moins douloureuse pour leprolétariat, celle qui consiste à amputerrésolument les parties gangrenées, celle duminimum de concessions et de précautionsà l'égard de la monarchie et de sesinstitutions infâmes et abjectes, où lagangrène s'est mise et dont la puanteurempoisonne l'atmosphère. »

C'est le paradoxe incompréhensible pour ceuxqui rejettent le matérialisme dialectique. Laclasse ouvrière est le pendant de la bourgeoisie ;si celle-ci se renforce et joue son rôle historique,la classe ouvrière se renforce aussi.

Lénine rappelle cette thèse :

« Le marxisme nous enseigne qu’unesociété fondée sur la productionmarchande et pratiquant des échangesavec les nations capitalistes civilisées, doitinévitablement s’engager elle-même, à uncertain stade de son développement, dansla voie du capitalisme.Le marxisme a rompu sans retour avec lesélucubrations des populistes et desanarchistes qui pensaient, par exemple,

que la Russie pourrait éviter ledéveloppement capitaliste, sortir ducapitalisme ou l’enjamber de quelquefaçon, autrement que par la lutte declasse, sur le terrain et dans les limites dece même capitalisme.Toutes ces thèses du marxisme ont étédémontrées et ressassées dans leursmoindres détails, d’une façon générale etplus particulièrement en ce qui concerne laRussie. Ces thèses montrent que l’idée dechercher le salut de la classe ouvrièreailleurs que dans le développement ducapitalisme est réactionnaire.Dans des pays tels que la Russie, la classeouvrière souffre moins du capitalisme quede l’insuffisance du développement ducapitalisme.La classe ouvrière est donc absolumentintéressée au développement le plus large,le plus libre et le plus rapide ducapitalisme.Il lui est absolument avantageuxd’éliminer tous les vestiges du passé quis’opposent au développement large, libreet rapide du capitalisme (...).Aussi la révolution bourgeoise présente-t-elle pour le prolétariat les plus grandsavantages. La révolution bourgeoise estabsolument indispensable dans l’intérêt duprolétariat.Plus elle sera complète et décisive, pluselle sera conséquente, et plus assuréesseront les possibilités de lutte duprolétariat pour le socialisme, contre labourgeoisie. »

La classe ouvrière a intérêt à la révolutiondémocratique, le capitalisme la renforce en tantque classe, aussi doit-elle soutenir lemouvement, et même le diriger puisque labourgeoisie est trop faible.

Ce qui signifie que :

« Les marxistes sont absolumentconvaincus du caractère bourgeois de larévolution russe.Qu’est-ce à dire ? C’est que lestransformations démocratiques du régimepolitique, et puis les transformationssociales et économiques dont la Russieéprouve la nécessité, loin d’impliquer parelles-mêmes l’ébranlement du capitalisme,l’ébranlement de la domination de labourgeoisie, au contraire déblaierontvéritablement, pour la première fois, lavoie d’un développement large et rapide,européen et non asiatique, du capitalismeen Russie ; pour la première fois ellesrendront possibles dans ce pays ladomination de la bourgeoisie commeclasse.

10

Page 11: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

Les socialistes-révolutionnaires ne peuventpas comprendre cette idée, par ce qu’ilsignorent l’abc des lois du développementde la production marchande et capitaliste,et ne voient pas que même le triomphecomplet de l’insurrection paysanne, mêmeune nouvelle répartition de toutes lesterres conformément aux intérêts et selonles désirs de la paysannerie (le « partagenoir » ou quelque chose d’analogue), loinde supprimer le capitalisme, donnerait aucontraire une nouvelle impulsion à sondéveloppement et hâterait ladifférenciation de classes au sein de lapaysannerie.L’incompréhension de cette vérité fait dessocialistes-révolutionnaires les idéologuesinconscients de la petite bourgeoisie (...).Mais il n’en découle nullement que larévolution démocratique (bourgeoise parson contenu économique et social) ne soitpas d’un immense intérêt pour leprolétariat. Il n’en découle nullement quela révolution démocratique ne puisserevêtir aussi bien des formes avantageusessurtout pour le gros capitaliste, lemanitou de la finance, le propriétairefoncier « éclairé », que des formesavantageuses pour le paysan et pourl’ouvrier ».

Lénine explique donc que :

« l’issue de la révolution dépend de ceci :la classe ouvrière jouera-t-elle le rôle d’unauxiliaire de la bourgeoisie, puissant parl’assaut qu’il livre à l’autocratie, maisimpuissant politiquement, ou jouera-t-ellele rôle de dirigeant de la révolutionpopulaire ? (...)Les mots d’ordre tactiques justes de lasocial-démocratie ont maintenant, pour ladirection des masses, une importanceparticulière. Rien n’est plus dangereux quede vouloir amoindrir en temps derévolution la portée des mots d’ordretactiques conformes aux principes. »

Par des mots d'ordre tactique corrects, laclasse ouvrière pourra briser le type tsariste dedomination du capitalisme arriéré, qui l'affaiblitet l'empêche de s'affirmer comme classe. C'est legrand paradoxe.

Et dans cette lutte, il peut compter sur lapaysannerie, pour des raisons historiques :

« Seul le prolétariat, écrivait Lénine, peutcombattre avec esprit de suite pour ladémocratie. Mais il ne peut vaincre dansce combat que si la masse paysanne serallie à la lutte révolutionnaire duprolétariat. (...)La paysannerie renferme une masse

d'éléments semi-prolétariens à côté de seséléments petits-bourgeois. Ceci la rendinstable, elle aussi, et oblige le prolétariatà se grouper en un parti de classestrictement défini.Mais l'instabilité de la paysannerie diffèreradicalement de l'instabilité de labourgeoisie, car, à l'heure actuelle, lapaysannerie est moins intéressée à laconservation absolue de la propriété privéequ'à la confiscation des terresseigneuriales, une des formes principalesde cette propriété.Sans devenir pour cela socialiste, sanscesser d'être petite-bourgeoise, lapaysannerie est capable de devenir unpartisan décidé, et des plus radicaux, de larévolution démocratique.Elle le deviendra inévitablement siseulement le cours des événementsrévolutionnaires qui font son éducation,n'est pas interrompu trop tôt par latrahison de la bourgeoisie et la défaite duprolétariat.A cette condition, la paysanneriedeviendra inévitablement le rempart de larévolution et de la République, car seuleune révolution entièrement victorieusepourra tout lui donner dans le domainedes réformes agraires, tout ce que lapaysannerie désire, ce à quoi elle rêve, cequi lui est vraiment nécessaire. »

Aux yeux de Lénine, les mots d'ordre sontainsi de pratiquer « des grèves politiques demasse, qui peuvent avoir une grande importanceau début et au cours même de l'insurrection »,de procéder à « l'application immédiate par lavoie révolutionnaire de la journée de 8 heures etdes autres revendications pressantes de la classeouvrière », procéder à « l'organisationimmédiate de comités paysans révolutionnairespour l'application » par la voie révolutionnaire« de toutes les transformations démocratiques »,jusque et y compris la confiscation des terresseigneuriales et d'armer les ouvriers.

Dans les mois qui suivirent, on put voir lecaractère correct de cette analyse. Une grèvedans l'imprimerie début octobre culmina engrève politique, désamorcée par un « manifestedu Tsar » promettant des droits bourgeois, puisun parlement législatif (mais non représentatif,puisque les femmes n'avaient pas le droit devote, ni deux millions d'ouvriers).

Cela n'empêcha par conséquent pas la

11

Page 12: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

formation de Soviets ouvriers, avec une directioninsurrectionnelle mise en avantsystématiquement par les bolcheviks. Dans toutle pays, l'agitation était extrême, pourtant larévolution de décembre 1905 échoua en raisonde l'organisation insuffisante et du rôle contre-révolutionnaire des socialistes-révolutionnaireset des menchéviks, notamment sur le planmilitaire.

Le Tsar avait par la suite les coudéesfranches, le parlement législatif étant lui-mêmeabandonné quelques mois plus tard. Mais 1905formait une première grande répétition.

3. La bataille pour le positionnement duparti Bolchevik

Après une période où le tsarisme fit semblantde prôner le compromis, il réinstalla son pouvoirautocratique en 1907 en supprimant touteimportance du parlement. C'est le coup d'Etatdu 3 juin 1907, qui installe un parlement dont ledécoupage électoral et les critères de votesservaient purement et simplement la réaction.

Sur 442 députés, il y avait 171 ultra-réactionnaires (les Cent-Noirs), 113 octobristesreprésentant les grand industriels et les grandspropriétaires fonciers, 101 constitutionnels-démocrates (les « cadets ») représentant enquelque sorte la bourgeoisie, 13 représentants dela petite-bourgeoisie.

Cependant, l'un des aspects importants avaitdéjà eu lieu en 1906, lorsque le chef dugouvernement et de la réaction, Piotr Stolypine,pousse à mettre un terme à la propriétécommunale et généralisant la petite propriétéagraire, facilitant en fait l'appropriation desterres par les grands propriétaires, les koulaks.En quelques années, plus d'un million de petitspaysans se trouvèrent sans terre.

La conception réactionnaire était de formerune couche réactionnaire de soutien général à laréaction. Le gouvernement Stolypinereprésentait évidemment la répression toutazimut, suite à la révolution de 1905 ; police,gendarmerie, milices réactionnaires (les « cent

noirs ») frappaient de manière ininterrompue.De manière populaire, les potences étaientsurnommées les « cravates de Stolypine ».

Cela signifiait que le tsarisme s'enfonçaitdans le passé. Lénine constatait alors :

« Dans le demi-siècle écoulé depuisl'affranchissement des paysans, laconsommation du fer en Russie s'estmultipliée par cinq, et néanmoins laRussie reste un pays incroyablement,invraisemblablement arriéré, miséreux et àdemi sauvage, quatre fois plus mal outilléen instruments de production modernesque l'Angleterre, cinq fois plus mal quel'Allemagne, dix fois plus mal que lesEtats-Unis. »

Cette vague réactionnaire se reflétaégalement dans le courant révolutionnaire, avecl'apparition de théories modifiant le marxisme,le révisant. C'était un relativisme issu d'unesprit de capitulation.

Le caractère principal des erreursrévisionnistes consistait donc à nier lapossibilité d’une compréhension générale dumonde, à l’affirmation que l’essence véritable dechaque chose restera toujours « caché » etincompréhensible.

Le Précis d'histoire du Parti Communisted'Union Soviétique (bolchévik), publié en URSSen 1938, explique cela de cette manière :

« Cette critique se distinguait de lacritique ordinaire en ce qu'elle n'était pasfaite ouvertement et honnêtement, maisd'une façon voilée et hypocrite, souscouleur de « défendre » les positionsfondamentales du marxisme.Pour l'essentiel, disaient-ils, nous sommesmarxistes, mais nous voudrions« améliorer » le marxisme, le dégager decertains principes fondamentaux. Enréalité, ils étaient hostiles au marxisme,dont ils cherchaient à saper les principesthéoriques ; en paroles, avec hypocrisie, ilsniaient leur hostilité au marxisme etcontinuaient de s'intituler perfidementmarxistes.Le danger de cette critique hypocrite étaitqu'elle visait à tromper les militants debase du Parti et qu'elle pouvait les induireen erreur. Plus hypocrite se faisait cettecritique, qui cherchait à miner lesfondements théoriques du marxisme, plusdangereuse elle devenait pour le Parti ;car elle s'alliait d'autant plus étroitementà la croisade déclenchée par toute la

12

Page 13: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

réaction contre le Parti, contre larévolution.Des intellectuels qui avaient abandonné lemarxisme, en étaient arrivés à prêcher lanécessité de créer une nouvelle religion(on les appelait « chercheurs de Dieu » et« constructeurs de Dieu »). »

Lénine publie alors un documentextrêmement ardu, de 400 pages, qui vatoutefois façonner les cadres du bolchevisme :« Matérialisme et empirio-criticisme ». Lénine ydéfend le matérialisme dialectique, lesenseignements d'Engels, contre le relativismequi nie le possibilité pour le matérialisme decomprendre le monde, tout en en faisant partie.

L'empirio-criticisme est un courant de penséequi réduit la compréhension au niveauindividuel, à des perceptions individuellesprétendument « hors » de la réalité matérielle.Lénine affirme ainsi :

« La différence entre le matérialisme et la« doctrine de Mach » se réduit, parconséquent, en ce qui concerne cettequestion, à ce qui suit : le matérialisme,en plein accord avec les sciences de lanature, considère la matière comme ladonnée première, et la conscience, lapensée, la sensation comme la donnéeseconde, car la sensation n’est liée, danssa forme la plus nette, qu’à des formessupérieures de la matière (la matièreorganique), et l’on ne peut supposer« dans les fondements de l’édifice mêmede la matière » l’existence d’une propriétéanalogue à la sensation(...).La doctrine de Mach se place à un pointde vue opposé, idéaliste, et conduitd’emblée à une absurdité, car,premièrement, la sensation y estconsidérée comme donnée première, bienqu’elle ne soit liée qu’à des processusdéterminés s’effectuant au sein d’unematière organisée de façon déterminée ; ensecond lieu, son principe fondamentalselon lequel les choses sont des complexesde sensations se trouve infirmé parl’hypothèse de l’existence d’autres êtresvivants et, en général, de « complexes »autres que le grand Moi donné. »

Lénine défend ainsi Engels, il ne réduit pas lemarxisme à un matérialisme historique (commele feront plus tard les trotskystes) ; il soutientque le matérialisme dialectique est unecompréhension de l'univers lui-même. Pour cetteraison, il fait référence aux études scientifiques

de sa propre époque et montre leurs liaisonessentielles avec le matérialisme dialectique,dans la mesure où elles sont correctes.

Il rejette donc tout relativisme ouscepticisme :

« Tous les phénomènes naturels sont desmouvements, et la différence entre eux nevient que de ce que nous, les hommes,nous les percevons différemment... Il enest exactement ainsi que l’avait dit Engels.De même que l’histoire, la nature obéit àla loi dialectique du mouvement. »

Lénine reproche donc aux révisionnistes derésumer, de limiter, de réduire le matérialismedialectique aux enseignements sur l'histoire,alors que sans la compréhension du matérialismedialectique, on ne peut pas comprendre lematérialisme historique qui en découle.

Lénine expose ainsi la nature de l'idéalismerévisionniste :

« Partis de Feuerbach et mûris dans lalutte contre les rapetasseurs, il est naturelque Marx et Engels se soient attachéssurtout à parachever la philosophiematérialiste, c’est-à-dire la conceptionmatérialiste de l’histoire, et non lagnoséologie matérialiste.Par suite, dans leurs œuvres traitant dumatérialisme dialectique, ils insistèrentbien plus sur le côté dialectique que sur lecôté matérialiste ; traitant dumatérialisme historique, ils insistèrentbien plus sur le côté historique que sur lecôté matérialiste.Nos disciples de Mach se réclamant dumarxisme ont abordé le marxisme dansune période de l’histoire tout à faitdifférente, alors que la philosophiebourgeoise s’est surtout spécialisée dans lagnoséologie et, s’étant assimilé sous uneforme unilatérale et altérée certainesparties constituantes de la dialectique (lerelativisme, par exemple), portait le plusd’attention à la défense ou à lareconstitution de l’idéalisme par en bas, etnon de l’idéalisme en haut.Le positivisme en général et la doctrine deMach en particulier se sont surtoutpréoccupés de falsifier subtilement lagnoséologie, en simulant le matérialisme,en voilant leur idéalisme sous uneterminologie prétendument matérialiste, etils n’ont consacré que fort peu d’attentionà la philosophie de l’histoire.Nos disciples de Mach n’ont pas comprisle marxisme, pour l’avoir abordé enquelque sorte à revers. Ils ont assimilé

13

Page 14: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

-parfois moins assimilé qu’appris parcœur- la théorie économique et historiquede Marx, sans en avoir compris lesfondements, c’est-à-dire le matérialismephilosophique (...).Une falsification de plus en plus subtile dumarxisme, des contrefaçons de plus enplus subtiles du marxisme par desdoctrines antimatérialistes, voilà ce quicaractérise le révisionnisme contemporainen économie politique comme dans lesproblèmes de tactique et en philosophie engénéral, tant en gnoséologie qu’ensociologie ».

Lénine conclut ainsi ce grand classique :

« Le marxiste doit aborder l’appréciationde l’empirio-criticisme en partant dequatre points de vue.Il est, en premier lieu et par-dessus tout,nécessaire de comparer les fondementsthéoriques de cette philosophie et dumatérialisme dialectique.Cette comparaison, à laquelle nous avonsconsacré nos trois premiers chapitres,montre dans toute la série des problèmesde gnoséologie, le caractère foncièrementréactionnaire de l’empirio-criticisme quidissimule, sous des artifices, termes etsubterfuges nouveaux, les vieilles erreursde l’idéalisme et de l’agnosticisme. Uneignorance absolue du matérialismephilosophique en général et de la méthodedialectique de Marx et Engels permetseule de parler de « fusion » de l’empirio-criticisme et du marxisme.Il est, en second lieu, nécessaire de situerl’empirio-criticisme, école toute minusculede philosophes spécialistes, parmi lesautres écoles philosophiquescontemporaines.Partis de Kant, Mach et Avenarius sontallés non au matérialisme, mais en sensinverse, à Hume et Berkeley. Croyant« épurer l’expérience » en général,Avénarius n’a en fait en réalité qu’épurerl’agnosticisme en le débarrassant dukantisme. Toute l’école de Mach etd’Avenarius, étroitement unie à l’une desécoles idéalistes les plus réactionnaires,école dite des immanentistes, va de plusen plus nettement à l’idéalisme.Il faut, en troisième lieu, tenir compte dela liaison certaine de la doctrine de Machavec une école dans une branche dessciences modernes.L’immense majorité des savants en généralet des spécialistes de la physique enparticulier se rallient sans réserve aumatérialisme. La minorité des nouveauxphysiciens, influencés par les gravescontrecoups des grandes découvertes deces dernières années sur les vieillesthéories,- influencés de même par la crise

de la physique moderne qui a révélénettement la relativité de nosconnaissances,- ont glissé, faute deconnaître la dialectique, par le relativismeà l’idéalisme.L’idéalisme physique en vogue se réduit àun engouement tout aussi réactionnaire ettout aussi éphémère que l’idéalisme desphysiologistes naguère encore à la mode.Il est impossible, en quatrième lieu, de nepas discerner derrière la scolastiquegnoséologique de l’empirio-criticisme, lalutte des partis en philosophie, lutte quitraduit en dernière analyse les tendanceset l’idéologie des classes ennemies de lasociété contemporaine.La philosophie moderne est tout aussiimprégnée de l’esprit de parti que celle d’ily a deux mille ans. Quelles que soient lesnouvelles étiquettes dont usent les pédantset les charlatans ou la médiocreimpartialité dont on se sert pourdissimuler le fond de la question, lematérialisme et l’idéalisme sont bien despartis aux prises.L’idéalisme n’est qu’une forme subtile etraffinée du fidéisme qui, demeuré dans satoute-puissance, dispose de très vastesorganisations et, tirant profit des moindresflottements de la pensée philosophique,continue incessamment son action sur lesmasses.Le rôle objectif, le rôle de classe del’empirio-criticisme se réduit entièrementà servir les fidéistes dans leur lutte contrele matérialisme en général et contre lematérialisme historique en particulier. »

C'est grâce à cette compréhension correctedu matérialisme dialectique que Lénine a pudiriger le Parti Social-démocrate de Russie dansla période d'inflexion suite à l'échec de larévolution de 1905. Lénine a compris qu'il yavait une période de reflux et qu'elle n'était quetemporaire, aussi a-t-il généralisé la combinaisondu travail légal et illégal.

La ligne de Lénine rentrait évidemment enconflit avec la tendance menchevik (avecTrotsky), qui prônait le légalisme, mais aussiavec les « otzowistes » (« ceux quirappellent »), qui prônaient l'illégalité totale, le« rappel » hors de toute sphère légale.

Cette période, qui va durer jusqu'en 1912, vaêtre composée d'âpres luttes dans le POSDR.Pour donner un exemple des mouvements de va-et-vient auxquels a dû se confronter Lénine et

14

Page 15: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

ses partisans, voici comment Lénine raconte leparcours chaotique de Trotsky :

« Les vieux militants marxistes russesconnaissent bien Trotsky et il est inutilede leur en parler.Mais la jeune génération ouvrière ne leconnaît pas et il faut lui en parler, carc’est là une figure typique pour les cinqgroupes étrangers qui flottent entre lesliquidateurs et le Parti.Au temps de la vieille Iskra (1901-1903),ces éléments hésitants qui allaientcontinuellement des économistes auxiskristes et vice-versa, avaient étésurnommé les « voltigeurs ».Nous entendons par « liquidationnisme »un courant idéologique qui a la mêmesource que le menchévisme etl’économisme, qui s’est développé au coursdes dernières années et dont l’histoire estintimement liée à la politique et àl’idéologie de la bourgeoisie libérale.Les « voltigeurs » se proclament au-dessusdes fractions, pour la simple raison qu’ilsempruntent leurs idées, tantôt à unefraction, tantôt à une autre. De 1901 à1903, Trotsky fut un iskriste fougueux et,au congrès de 1903, il fut, selon Riazanov,la « trique de Lénine ».Vers la fin de 1903, il devient menchévikenragé, c’est-à-dire abandonne les iskristespour les économistes et déclare qu’il y aun abîme entre l’ancienne [encorebolchévique] et la nouvelle [devenuemenchévique] Iskra.En 1904-1905, il s’éloigne des menchéviks,sans pouvoir toutefois se fixer, tantôtcollaborant avec Martynov (économiste),tantôt proclamant la doctrine ultra-gauchede la « révolution permanente ». En 1906-1907, il se rapproche des bolchéviks et sedéclare solidaire de la position de RosaLuxembourg.A l’époque de la dislocation, après delongues années de tergiversations, il évoluede nouveau vers la droite, et en août 1912,fait bloc avec les liquidateurs. Maintenant,il abandonne de nouveau ces derniers, touten répétant au fond leurs idées.De tels types sont caractéristiques, en tantque débris des groupements et formationshistoriques de la dernière période, alorsque la masse ouvrière russe était encore enléthargie et que chaque groupe pouvaits’offrir le luxe de se présenter comme uncourant, une fraction, « une puissance »négociant son union avec une autre.Il faut que la jeune génération sache avecqui elle a affaire, lorsque certainespersonnes élèvent des prétentionsincroyables et ne veulent tenir compte nides décisions par lesquelles le Parti a

déterminé, en 1908, son attitude à l’égarddu « liquidationnisme », ni de l’expériencedu mouvement ouvrier russecontemporain, qui a, en fait, réalisé l’unitéde la majorité sur la base de lareconnaissance intégrale de ces décisions ».

Finalement, le POSDR parvint à expulserdéfinitivement les tendances ennemies en 1912 ;dans une lettre écrite au grand écrivain MaximeGorki, Lénine dit ainsi au sujet des résultats dela conférence de Prague du POSDR :

« Nous avons réussi enfin, en dépit de lacanaille liquidatrice, à reconstituer leParti et son Comité central. »

4. L'apport de Plékhanov et ses limites

A l'aube de la révolution russe, Lénine adonc réussi à construire une organisationrévolutionnaire d'un nouveau type. Il estnécessaire de voir comment Lénine a compris lemarxisme, à la fois grâce à Gueorgui Plekhanov,et contre lui.

Initialement, Gueorgui Plekhanov était unpopuliste, mais il s'est remis en cause enprenant connaissance des thèses de Marx etEngels. Il a poussé à l'agitation dans les rangsde la classe ouvrière naissante, même s'ilconsidérait comme central les « rébellionspaysannes ».

A vingt ans, il devint ainsi l'un desprotagonistes principaux de la genèse de lapremière manifestation politique en Russie, le 6décembre 1876 à Saint-Pétersbourg. Il y aégalement tenu un grand discours, les masses leprotégeant de toute arrestation ; par la suite, ildut se réfugier à Berlin, Paris et Genève, avantde revenir en Russie et de passer dans laclandestinité.

Ce parcours politique rentrant dans l'histoire,alors que la classe ouvrière était en train degrandir, fit basculer Plekhanov dans lemarxisme. Le populisme, quant à lui, prouvaitson échec et basculait dans l'action individuellearmée, afin de « remplacer » l'action de lapaysannerie qui ne se soulevait pas. Ce fut lanaissance de l'organisation populiste de la« Volonté populaire » (Narodnaia volia).

15

Page 16: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

Ce saut dans la lutte armée a toujours étéconsidéré par les bolcheviks comme pleind'abnégation et de sens du sacrifice, apportantune affirmation politique d'en finir avec lerégime. Cependant, le projet était, selon Lénine,en fin de compte vain, car séparé de la classeouvrière et non fondé sur une théorieauthentiquement révolutionnaire.

Une période d'actions individuelles armées,avec plusieurs attentats manqués contre le TsarAlexandre II en 1878 et en 1879, les coups defeu contre Alexandre Trepov, maire de Saint-Pétersbourg, et l'exécution de Mesensev, chef dela gendarmerie, en 1878. Le Tsar Alexandre IIfut finalement exécuté en 1881.

Plekhanov constatait cependant que cesactions étaient coupées d'un travail dans lesmasses, et que la répression était massive suite àces actions. Lui-même dut quitter la Russie en1880, passant 37 années en exil.

C'est alors que Plekhanov passa dans le campdu marxisme, voyant en celui-ci le fil d'Arianelui permettant de sortir du labyrinthe de sespropres contradictions. Il put constater la forcede la classe ouvrière et de la social-démocratie,trouvant une puissance sociale adéquate pour lesexigences de la révolution.

S'il était encore prisonnier d'erreursimportantes (tel que l'appréciation des oeuvreséconomiques du réactionnaire Karl Rodbertus),Plekhanov se fit un propagateur du marxisme.C'est lui qui traduisit en 1882 le Manifeste duParti Communiste.

Le marxisme commençait à l'emporter, aupoint que même le groupe estudiantin voulantassassiner le Tsar Alexandre III entendaitcombiner populisme et marxisme (parmi les cinqpersonnes condamnées à mort pour ce projet, ily aura le grand frère de Lénine).

Plekhanov devint alors le premier marxisterusse en tant que tel ; il représenta la social-démocratie russe au congrès parisien del'Internationale ouvrière en 1889, puis eut lapossibilité de rencontrer Friedrich Engels à

Londres.

Par la suite, il sera en contact avec les plusgrandes figures de la social-démocratie del'époque: August Bebel, Franz Mehring,Wilhelm Liebknecht, Paul Lafargue, JulesGuesde, Jean Jaurès, Alexandre Millerand,Louise Michel, Karl Kautsky, Eduard Bernstein,Emile Vandervelde, Filipo Turati...

Son groupe, nommé « Libération duTravail », publia les oeuvres de Karl Marx et lesdiffusa.

Cela donna l'impulsion pour les premierscercles marxistes, ainsi que des tentativesd'établir un programme de la social-démocratieen Russie. Plekhanov publia toute une séried'articles critiquant le populisme et présentantles thèses du matérialisme dialectique ethistorique. Lénine disait de son article« Socialisme et lutte politique » qu'il s'agissaitde « la première profession de foi du socialismerusse ».

De l'oeuvre de Plekhanov, intitulée Nosdivergences d'opinion et écrite en critique desréactions populistes à « Socialisme et luttepolitique », Lénine affirmait qu'il s'agissait de lapremière oeuvre social-démocrate du marxismerusse.

Plekhanov avait compris que le capitalismes'était déjà installé dans la communauté agrairerusse, où les familles n'étaient déjà plus auto-suffisantes, où le partage des terres censées êtreégalitaires voyait déjà triompher les familles lesplus avancées dans la voie du capitalisme. Lespopulistes pensaient qu'en définitive, l'économierusse ne faisait que se reproduire sans évolueren aucune manière dans un sens capitaliste;Plekhanov rejeta cette affirmation idéaliste.

Plekhanov avait compris qu'il n'était paspossible de rejeter le prolétariat comme simpleproduit de la « civilisation bourgeoise », maisqu'au contraire, cette classe était le point dedépart de la révolution nécessaire, le Prométhéede l'époque.

Plekhanov se fit donc le grand diffuseur des

16

Page 17: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

conceptions du socialisme scientifique et del'appel à la formation du parti ouvrier,combattant les influences de Proudhon, deBakounine, du spontanéisme « rebelle ». Ilattaqua également la thèse selon laquelle ce sontles « héros » qui font l'histoire, une thèse aucoeur du subjectivisme des populistes.

Avec Plekhanov, le marxisme russe se fondedans la reconnaissance des lois sociales,historiques, et le rejet du subjectivismeproduisant une série sans fins de conceptionsutopistes, de formes extrêmement variées. Il fautvoir les choses de manière objective et organiserle peuple, qui veut la révolution.

Plekhanov rappelle ainsi:

« Qui a détruit la Bastille? Qui acombattu sur les barricades en juillet 1830et en février 1848? Par les armes de quil'absolutisme a-t-il été frappé à Berlin?Qui a renversé Metternich à Vienne? Lepeuple, le peuple, et encore le peuple,c'est-à-dire la classe travailleuse la pluspauvre, c'est-à-dire avant tout lesouvriers... Par aucun sophisme on ne peuteffacer de l'histoire le fait que le rôledécisif dans la lutte des pays d'Europeoccidentale pour leur libération politique aété joué par le peuple et seulement lepeuple. »

Ce faisant, par cette conception matérialistehistorique, Plekhanov mit un terme au nihilismedans la compréhension de l'histoire nationale dela Russie. Il comprit que le marxisme russe étaitle prolongement historique du mouvementrévolutionnaire de son propre pays, dans leprolongement ainsi de Vissarion Belinsky,Alexandre Herzen, Nikolaï Tchernichevsky,révolutionnaires démocrates de la périodeprécédente croyant au progrès.

Lénine a souligné de la manière la plus clairel'importance de ce travail de Plekhanov quant àla défense de ce patrimoine et de cette tradition.Il a également salué le positionnementhistoriquement correct de Plekhanov contreEuard Bernstein, la grande figure durévisionnisme au sein de la social-démocratie àla fin du XIXe siècle.

Eduard Bernstein révisait le marxisme,

rejetant la dialectique, niant l'effondrementinéluctable du capitalisme et allant ainsi dans lesens de la conciliation des classes sociales. Cettethéorie était de fait très proche des thèses« possibilistes » d'Alexandre Millerand enFrance. Plekhanov combattit ces variantesrévisionnistes, également dans leurs versionsrusses bien entendu (celles des « marxisteslégaux »: Piotr Struve, Mikhail Tugan-Baranovsky, Berdjaiev notamment).

Cependant, Plekhanov ne pouvait pas quedéfendre le marxisme, il lui fallait aussi le faireavancer, au moins en certains domaines. C'est làque ses limites se sont exprimées. Plekhanovconsidérait en effet que le marxisme était poséet ainsi limité.

Il ne pensait pas qu'on pourrait un jourcomprendre comment la matière est parvenue,avec les êtres vivants, à percevoir des sensations.Il pensait également que ces dernières formaientdes « hiéroglyphes », c'est-à-dire qu'ellesn'étaient pas conformes à la réalité extérieureperçue, elles étaient des formes particulières enleur genre, plus ou moins déchiffrables.

Lénine remarquait ainsi :

« La dialectique est justement la théoriede la connaissance (de Hegel et) dumarxisme: c'est justement cet « aspect »de la chose (ce n'est pas un « aspect »,mais l'essence de la chose) que Plekhanova laissé complètement de côté. »

Plekhanov considérait ainsi que le marxismeexpliquait le développement historique deshumains par l'influence « extérieure » auxhumains ; il n'a pas vu le rapport dialectiqueentre les humains, matière vivante, et l'ensemblede la matière, car il faisait des humains unecatégorie « à part » subissant les influences dumonde extérieur.

Cette position en retrait dans l'affirmationdu marxisme se retrouva lors de l'oppositionentre bolcheviks et mencheviks, entre lesmajoritaires et les minoritaires au sein du Partifondé par Lénine. Plekhanov voulait éviter àtout prix la scission, et en pratique il terminadans le camp menchevik.

17

Page 18: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

Plekhanov se retrouva être un attentiste ; ilne voyait pas la possibilité d'une alliance de laclasse ouvrière avec la paysannerie, il necomprenait pas les positions de Lénineconcernant la nécessité de gagner lapaysannerie. Pour Plekhanov, il fallait attendreque l'histoire avance en Russie, que labourgeoisie triomphe, et profiter de ce tempspour former un grand parti social-démocrate dumême type qu'en Allemagne ou en France.

Dans cette perspective économiste,Plekhanov finit également par abandonner lathèse léniniste qu'il reconnaissait auparavant:que la science du prolétariat est née à coté duprolétariat, dans l'avant-garde, et non pasdirectement comme son produit. Il devint ainsiun partisan de l'économisme.

Plekhanov en arriva au point où il se mit à laremorque de la bourgeoisie, prônant la rencontrede la classe ouvrière et de celle-ci. Selon lui, labourgeoisie devait prendre le pouvoir, pour unepériode relativement longue, où alors la classeouvrière s'organiserait dans le cadre de larépublique parlementaire.

Sa conception économiste aboutit à unelogique spontanéiste : la maturation del'économie capitaliste produirait spontanémentune social-démocratie capable de prendre lepouvoir.

La thèse de Plekhanov est ainsi formuléedans l'esprit de la social-démocratied'Allemagne, d'Autriche, de France. Et elle aété systématiquement reprise, sous différentesvariantes, par les tendances anti-communistes seprétendant révolutionnaires.

Afin de nier la construction du socialisme enURSS à l'époque de Staline, les pseudosrévolutionnaires mais vrais contre-révolutionnaires affirment que la Russie étaitarriérée d'une manière très particulière, queconstruire le socialisme n'était pas possible,qu'inévitablement il y aurait des déformations,etc.

C'est la thèse de Plekhanov, reprise par la

social-démocratie refusant alors le communisme,et donc également celle du trotskysme et du« communisme de gauche », variantes« radicales » de la social-démocratie.

Souvent est utilisé la thèse marxiste du« despotisme asiatique » pour qualifier la Russied'avant 1917, voire d'après. La Russie auraitencore été « tatarisé », l'influence del'envahisseur mongol serait massive, le tsarismeaurait été un despotisme asiatique et lestalinisme en serait seulement une forme plus« moderne » ayant la fonction d'installer uncapitalisme moderne.

Cette thèse a eu un grand succès et a étépuissamment élaboré tant en Allemagne (RudiDutschke) qu'en France (Charles Bettelheim) ;le trotskysme ne dit pas autre chose, puisqu'ilaffirme que l'arriération du pays a amené aupouvoir la bureaucratie parasitaire et« modernisatrice ».

Cette thèse de Plekhanov sur l'impossibilitéhistorique, matérielle, de mener la révolutionsocialiste en Russie et d'y construire lesocialisme, est précisément ce que Lénine vaécraser en 1917, pavant la voie à Octobre 1917et la formation de l'URSS.

5. À la veille de la révolution

L'épuration dans le POSDR a corresponduavec la remontée des mouvements de grève ;entre 725.000 et un million de prolétaires seronten grève en 1912, ce qui revient aux chiffresd’un million d’ouvriers en grève en 1906 et de740.000 en 1907. En 1913 les chiffres serontcompris entre 861.000 et 1.272.000, et lors dessix premiers mois de 1914 les grévistes aurontété 1,5 million.

La réaction réagit, encore et toujours, par laviolence ; ainsi, alors qu'en avril 1912 letsarisme ouvre le feu sur une grève de mineursde Sibérie en faisant 500 morts, et des grèvespolitiques s'ensuivent, portées par 300 000personnes.

C'est le moment où les bolcheviks lancent

18

Page 19: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

leur journal quotidien, publié à 40 000exemplaires, la Pravda (la « Vérité »), qui enraison d'interdictions prendra par la suite desnoms proches (« Sa Pravdu » - Pour la vérité,« Putj Pravdy » - La voie de la vérité,« Trudowaja Pravda » - La vérité ouvrière).

Le journal comme vecteur organisationnelpermettait d'affronter la répression, par exemplepour payer les amendes par des collectes. Ildiffusait des milliers correspondances ouvrières,témoins des luttes.

Sur un total de 7.000 groupes ouvriers quieffectuèrent en 1914 le collectage de fonds pourles journaux ouvriers, 5.600 groupes ramassèrentdes fonds pour la presse bolchevique et 1.400groupes seulement pour la presse menchévique,preuve également de la vivacité activistebolchevique. Staline dira que

« La Pravda de 1912, ça a été la pose desfondations de la victoire du bolchévismeen 1917. »

A côté de cela, une revue plus avancéeidéologiquement fut également publiée : Zvezda(l'Etoile). C'est le Parti qui se construisait dansle feu de la lutte des classes, qui incendiait lepays avec une grande intensité ; il s’appliquait àconquérir les syndicats, les maisons du peuple,les universités du soir, les clubs, lesétablissements d’assurances.

Le 1er mai 1912, la grève fut ainsi portée parprès de 400 000 ouvriers. Mais ce n'est pastout : le capitalisme se développait, et sous laforme de grands centres industriels(principalement Pétersbourg, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, Kostroma, Iékatérinoslav,Kharkov). Plus de la moitié de la classe ouvrièretravaillait dans les grandes et très grandesentreprises, et elle se reconnaissait dans lesbolcheviks : lors des élections parlementaires,sur les 9 députés de la « curie ouvrière », 6étaient des bolcheviks.

Les grèves se généralisaient, dans la premièrepartie de 1914, il y avait 1,5 million degrévistes. A l’usine Oboukhov de Pétersbourg, lagrève dura plus de deux mois ; celle de l’usine

Lessner, près de trois mois. La répression étaitproportionnelle ; rien qu'en mars 1914, à Saint-Pétersbourg, 70 000 ouvriers furent renvoyés enun seul jour.

En juillet 1914, la situation se transforma encrise de grande ampleur, comme un écho de1905. Toutes les usines étaient en ébullition ;meetings et manifestations se déroulaientpartout. On en vint même à dresser desbarricades, comme à Bakou et à Lodz. Enplusieurs endroits, la police tira sur les ouvrierset pour écraser le mouvement, le gouvernementdécréta des mesures d’ « exception » ; lacapitale avait été transformée en campretranché. La Pravda fut interdite.

C'est alors que la guerre impérialiste futdéclarée, le régime en profitant pour écraser lesrévoltes pour lancer une campagne denationalisme. La Russie n'avait pas d'autreschoix, de toutes manières, que de participer à laguerre impérialiste du côté anglo-français.

Les usines métallurgiques les plusimportantes de Russie se trouvaient entre lesmains de capitalistes français ; près de la moitiédes puits de pétrole étaient aux mains ducapital anglo-français.

La métallurgie dépendait à 72% du capitalétranger, situation équivalente dans l’industriehouillère dans le bassin du Donetz. Les banquesanglo-françaises étaient massivement présentesdans le capitalisme russe, et le tsarisme avaitlui-même emprunté des sommes énormes.

La situation avait également un autre aspect.Les social-démocraties allemande et françaiseavaient décidé de soutenir la guerre impérialiste.Cela signifiait une crise en profondeur dans lemouvement ouvrier.

Seul le bolchevisme rejettait le soutien à laguerre impérialiste ; sous l’impulsion de Léninefut mis en avant le principe de la« transformation de la guerre impérialiste enguerre civile », à l’opposé du social-chauvinismedes Menchéviks, des socialistes occidentaux etdes anarchistes, qui d’opposants à la guerre

19

Page 20: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

avant que celle-ci n’éclate se transformèrent enchauvins professionnels une fois celle-ci déclarée.

Les cellules du Parti organisèrent, parconséquent, clandestinement leurs activités afinde pouvoir mener l’agitation et la propagandesans succomber face à la répression.

Sur le plan international, les bolcheviksparticipèrent aux deux conférencesinternationalistes en Suisse à de Zimmerwald(1915) et Kienthal (1916), où ils prônèrent latransformation de la guerre impérialiste enguerre civile, la défaite des gouvernementsimpérialistes respectifs dans la guerre et laconstitution d’une IIIe internationale.

Au cœur de la guerre mondiale, Lénine publiealors une œuvre d'importance historique :« L'impérialisme, stade suprême ducapitalisme ». Il y expliquait le cheminement ducapitalisme jusqu'à l'impérialisme, et les tâchesdevant être assumées par les communistes.

Voici comment est présenté ce momenthistorique dans le Précis d'histoire du PCUS(b),en 1938 :

« Les bolcheviks soutenaient la guerre dupremier genre. En ce qui concerne l'autreguerre, les bolcheviks estimaient qu'ondevait diriger contre elle une lutte résolue,allant jusqu'à la révolution et aurenversement de son gouvernementimpérialiste.Les ouvrages théoriques composés parLénine du temps de la guerre eurent uneénorme importance pour la classe ouvrièredu monde entier. C'est au printemps de1916 qu'il écrivit son Impérialisme, stadesuprême du capitalisme. Lénine montradans ce livre que l'impérialisme est lestade suprême du capitalisme, le stade oùcelui-ci, de capitalisme « progressif » qu'ilétait, s'est déjà transformé en capitalismeparasitaire, en capitalisme pourrissant ;que l'impérialisme est un capitalismeagonisant.Cela ne voulait point dire, bien entendu,que le capitalisme disparaîtrait de lui-même, sans une révolution du prolétariat ;que de lui-même, il achèverait de pourrirsur pied. Lénine a toujours enseigné que sans unerévolution accomplie par la classeouvrière, il est impossible de renverser lecapitalisme. C'est pourquoi, après avoirdéfini l'impérialisme comme un

capitalisme agonisant, Lénine montrait enmême temps dans son ouvrage que« l'impérialisme est la veille de larévolution sociale du prolétariat ».Lénine montrait que l'oppressioncapitaliste, à l'époque de l'impérialisme,allait se renforçant ; que dans lesconditions de l'impérialisme, l'indignationdu prolétariat augmentait sans cessecontre les bases du capitalisme ; que leséléments d'une explosion révolutionnairese multipliaient au sein des payscapitalistes.Lénine montrait qu'à l'époque del'impérialisme la crise révolutionnaires'aggrave dans les pays coloniaux etdépendants ; que l'indignation s'accroîtcontre l'impérialisme ; que les facteursd'une guerre libératrice contrel'impérialisme s'accumulent.Lénine montrait que dans les conditionsde l'impérialisme, l'inégalité dudéveloppement et les contradictions ducapitalisme s'aggravent particulièrement ;que la lutte pour les marchésd'exportation des marchandises et descapitaux, la lutte pour les colonies, pourles sources de matières premières, rendinévitables les guerres impérialistespériodiques en vue d'un nouveau partagedu monde.Lénine montrait que justement par suitede ce développement inégal ducapitalisme, des guerres impérialisteséclatent qui débilitent les forces del'impérialisme et rendent possible larupture du front de l'impérialisme là où ilse révèle le plus faible.Partant de ce point de vue, Lénine enarrivait à conclure que la rupture du frontimpérialiste par le prolétariat étaitparfaitement possible en un ou plusieurspoints ; que la victoire du socialisme étaitpossible d'abord dans un petit nombre depays ou même dans un seul pays pris àpart ; que la victoire simultanée dusocialisme dans tous les pays, en raison dudéveloppement inégal du capitalisme, étaitimpossible ; que le socialisme vaincraitd'abord dans un seul ou dans plusieurspays tandis que les autres paysresteraient, pendant un certain temps, despays bourgeois.Voici la formule de cette conclusiongéniale, telle que Lénine la donna dansdeux articles du temps de la guerreimpérialiste :1° « L'inégalité du développementéconomique et politique est une loiabsolue du capitalisme. I1 s'ensuit que lavictoire du socialisme est possible audébut dans un petit nombre de payscapitalistes ou même dans un seul payscapitaliste pris à part.

20

Page 21: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

Le prolétariat victorieux de ce pays, aprèsavoir exproprié les capitalistes et organiséchez lui la production socialiste, sedresserait contre le reste du monde,capitaliste, en attirant à lui les classesopprimées des autres pays. .. » (Extrait del'article « Du mot d'ordre des Etats-Unisd'Europe », août 1915. Lénine, Œuvreschoisies, t. I, p. 755.)2° « Le développement du capitalisme sefait d'une façon extrêmement inégale dansles différents pays. Au reste il ne sauraiten être autrement sous le régime de laproduction marchande. D'où cetteconclusion qui s'impose : le socialisme nepeut vaincre simultanément dans tous lespays. Il vaincra d'abord dans un seul oudans plusieurs pays, tandis que les autresresteront pendant un certain temps despays bourgeois ou pré-bourgeois.Cette situation donnera lieu nonseulement à des frottements, mais à unetendance directe de la bourgeoisie desautres pays à écraser le prolétariatvictorieux de l'Etat socialiste. Dans cescas-là, la guerre de notre part seraitlégitime et juste. Ce serait une guerrepour le socialisme, pour l'affranchissementdes autres peuples du joug de labourgeoisie. » (Extrait de l'article : « Leprogramme militaire de la révolutionprolétarienne », automne 1916. Lénine,Œuvres choisies, t. I, p. 888.)Il y avait là une théorie nouvelle, unethéorie achevée sur la révolution socialiste,sur la possibilité de la victoire dusocialisme dans un pays pris à part, surles conditions de sa victoire, sur lesperspectives de sa victoire, — théorie dontles fondements avaient été définis parLénine, dès 1905, dans sa brochure Deuxtactiques de la social-démocratie dans larévolution démocratique.Elle différait foncièrement de laconception répandue dans la période ducapitalisme pré-impérialiste parmi lesmarxistes, au temps où ceux-ci estimaientque la victoire du socialisme étaitimpossible dans un seul pays, que lesocialisme triompherait simultanémentdans tous les pays civilisés.C'est en partant des données relatives aucapitalisme impérialiste, exposées dansson remarquable ouvrage L'impérialisme,stade suprême du capitalisme, que Léninerenversait cette conception commepérimée ; il formulait une nouvelleconception théorique d'après laquelle lavictoire simultanée du socialisme danstous les pays était jugée impossible, tandisque la victoire du socialisme dans un seulpays capitaliste pris à part était reconnuepossible. »

6. La révolution démocratique de février

1917 et les thèses d'avril

Lors de la 1re Guerre Mondiale, la Russie nefut pas en mesure de mener la guerrecorrectement. Son état-major était corrompu,parfois de mèche avec les impérialistesallemands ; seule l'Autriche-Hongrie connaissaitune situation du même type, avec tout sonsystème de défense de déjà connu parl'espionnage russe.

L'organisation du front était médiocre, voiresabotée qui plus est ; le ravitaillement devinttoujours plus catastrophique, y compris pour lesvilles. De plus en plus, il était clair que laRussie tsariste allait proposer une paix séparée,et c'est pourquoi les impérialistes anglais etfrançais aidèrent la bourgeoisie russe àl'organisation d'une révolution de palais, afin dedéposer le tsar Nicolas II et de mettre à sa placeun tsar lié à la bourgeoisie, Michael Romanov.

Cela révèle la nature fragile du régimetsariste et les bolcheviks menèrent la bataillerévolutionnaire, dans le prolongement de leuropposition à la guerre impérialiste. La vague degrève au début de l'année 1917 se transforma engrève politique et en révoltes ouvertes, avecl'armée passant ouvertement dans le camp desrévoltés, faisant de ceux-ci des insurgés àl'assaut du tsarisme.

Le Parti bolchevik était au cœur même de ceprocessus, menant une action ininterrompuedepuis 1914, et sa thèse s'avéra correcte : c'est àune réédition de 1905 qu'on a assisté. Lénine lerappellera :

« Si le prolétariat russe n'avait pas,pendant trois ans, de 1905 à 1907, livré lesplus grandes batailles de classe et déployéson énergie révolutionnaire, la deuxièmerévolution n'eût pas été aussi rapide, en cesens que son étape initiale n'eût pas étéachevée en quelques jours. »

De fait, la révolution possédait un grand élanet a donné naissance aux « soviets », les« conseils » d'ouvriers et de soldats (surtout despaysans mobilisés), base d'un nouveau pouvoir,existant parallèlement au nouveauGouvernement provisoire, que la bourgeoisie

21

Page 22: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

s'était appropriée de son côté, également grâceaux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires.

Ainsi, les députés libéraux de la Douma, leparlement russe, s'étaient concertés dans lescoulisses avec les dirigeants socialistes-révolutionnaires et menchéviks, constituant unComité Provisoire de la Douma avec à sa têteun grand propriétaire foncier et monarchiste,qui pava la voie à un gouvernement provisoire.

Le P.O.S.D.R. [bolchévik], quant à lui, quicomptait plus de 40.000 membres rompus àl’illégalité, se réorganisa alors dans le cadre dela légalité nouvelle. L'ensemble des organes duParti fut alors élu par la base, ce qui n’alla passans problèmes concernant l’unité du parti ;diverses fractions apparurent, notamment cellefavorable au gouvernement provisoire.

Le Précis d'histoire du PCUS(b) explique trèsclairement le pourquoi de cette situationmomentanément défavorable aux bolchéviks. Ony lit :

« Comment expliquer que les menchévikset les socialistes-révolutionnaires se soienttrouvés au début en majorité dans lesSoviets ?Comment expliquer que les ouvriers et lespaysans victorieux aient remisvolontairement le pouvoir auxreprésentants de la bourgeoisie ?Lénine l'expliquait par ce fait que desmillions d'hommes non initiés à lapolitique s'étaient éveillés à la politique,s'y sentaient attirés. C'étaient pour laplupart de petits exploitants, des paysans,des ouvriers récemment venus de lacampagne, des hommes qui tenaient lemilieu entre la bourgeoisie et leprolétariat. La Russie était alors le payspetit-bourgeois par excellence entre lesgrands pays d'Europe.Et dans ce pays, « une formidable vaguepetite-bourgeoise avait tout submergé,avait écrasé non seulement par sonnombre, mais aussi par son idéologie, leprolétariat conscient, c'est-à-dire qu'el leavait contaminé de très larges milieuxouvriers, en leur communiquant sesconceptions petites-bourgeoises enpolitique ». (Lénine)C'est cette vague de l'élément petit-bourgeois qui avait fait remonter à lasurface les partis petits-bourgeois :menchévik et socialiste-révolutionnaire.

Lénine indiqua encore une autre raison, àsavoir le changement intervenu dans lacomposition du prolétariat pendant laguerre, et le degré insuffisant deconscience et d'organisation du prolétariatau début de la révolution.Pendant la guerre, des changementsnotables s'étaient opérés dans lacomposition du prolétariat lui-même. Prèsde 40% des hommes de condition ouvrièreavaient été incorporés à l'armée. Un grandnombre de petits propriétaires, d'artisans,de boutiquiers, étrangers à la mentalitéprolétarienne, s'étaient infiltrés dans lesentreprises pour échapper à lamobilisation. Ce sont ces éléments petits-bourgeois du monde ouvrier qui formaientjustement le terrain où s'alimentèrent lespoliticiens petits-bourgeois, menchéviks etsocialistes-révolutionnaires.Voilà pourquoi les grandes massespopulaires non initiées à la politique,débordées par la vague de l'élément petit-bourgeois et grisées par les premierssuccès de la révolution, se trouvèrent,dans les premiers mois de la révolution,sous l'emprise des partis conciliateurs ;voilà pourquoi elles consentirent à céder àla bourgeoisie le pouvoir d’État, croyantdans leur candeur que le pouvoirbourgeois ne gênerait pas l'activité desSoviets.Une tâche s'imposait au Parti bolchevik :par un patient travail d'explication auprèsdes masses, dévoiler le caractèreimpérialiste du Gouvernement provisoire,dénoncer la trahison des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, etmontrer qu'il était impossible d'obtenir lapaix à moins de remplacer leGouvernement provisoire par legouvernement des Soviets. »

Lénine put alors rentrer de son exil en Suisse,en avril 1917, et il formula les fameuses« Thèses d'avril ». Lénine expliqua que lapremière étape de la révolution était terminée,que de la révolution démocratique il fallaitpasser à la révolution socialiste.

Les mots d'ordre devaient être lanationalisation des terres et la fusion desbanques en une banque sous contrôle du Sovietdes députés ouvriers, dans le cadre d'uneRépublique des Soviets qui contrôlerait etrépartirait la production. Les bolcheviksdevaient critiquer le gouvernement provisoireafin de le démasquer aux yeux des masses,notamment au sujet de sa poursuite de la guerreimpérialiste.

22

Page 23: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

Les bolcheviks appelèrent à une protestationde masse et plus de 100 000 personnesmanifestèrent pour exiger la publication destraités secrets, l'arrêt de la guerre, serassemblait autour du mot d'ordre « Tout lepouvoir aux Soviets ! »

C'est dans ce cadre que se tint la premièreconférence du Parti qui n'eut pas lieu dansl'illégalité ; 133 délégués avec voix délibérativeet 18 avec voix consultative représentaient 80000 membres. Lénine dut mettre tout son poidsdans la balance pour que sa ligne l'emporte.

C'était un moment décisif, alors qu'en juin1917 se réunissait le premier congrès des Sovietsde Russie, où les bolcheviks ne comptaientqu'un peu plus de 100 délégués contre les 700 à800 menchéviks, socialistes-révolutionnaires etautres.

Lors d'une manifestation contre le régime,400 000 personnes défilèrent sous les motsd'ordre bolchéviks. Le Parti bolchévik possédaitalors 41 organes de presse : 29 en russe et 12dans les autres langues.

La situation devint explosive avec la défaitemilitaire sur le front ; les masses se révoltèrentcontre le gouvernement provisoire dans la villede Saint-Pétersbourg et le régime décida menerune grande vague de répression contre lesbolchéviks, interdisant sa presse, désarmant lesgardes rouges.

C'est donc de nouveau dans l'illégalité que leParti tint son VIème congrès, auquel Lénine neput prendre part, traqué qu'il était par lapolice. Le congrès rassembla 157 délégués avecvoix délibérative et 128 avec voix consultative,représentant 240 000 adhérents.

La situation avait changé depuis la révolutiondémocratique et le tournant ouvertementréactionnaire du gouvernement provisoire ;Staline pouvait déclarer que :

« La période pacifique de la révolution apris fin ; la période non pacifique estvenue, la période des engagements et desexplosions... »

Dans la foulée du congrès, les bolcheviks

organisèrent une grève générale à Saint-Pétersbourg lors de l'ouverture de la Conférenced'Etat du gouvernement provisoire, et la villefut en état d'insurrection armée lorsque legénéral Kornilov tenta de monter une opérationmilitaire pour écraser les masses organisées.

Les réformistes tentèrent de sauver ce qu'ilétait possible de sauver par la tenue le 12septembre 1917 d'une Conférence démocratiquede Russie, rassemblant socialistes et Sovietsconciliateurs, des syndicats, des cerclesindustriels et commerçants et de l'armée. C'étaitla tentative d'aller vers la Républiquebourgeoise.

A cela, les bolcheviks allaient opposerOctobre 1917.

(pour compléter ce chapitre, voir l'annexe 1 :Lénine, Thèses d'Avril, avril 1917)

7. L'Etat et la révolution

Après Février 1917, Lénine se voit obliger desuivre en urgence le principe de « Sans théorierévolutionnaire, pas de mouvementrévolutionnaire » et de publier une étude surl’État. Si auparavant la question du pouvoirpolitique ne semblait pas se poser, la situationpolitique exige une action révolutionnaireconséquente, ce qui demande une base théoriquesolide.

Or, Lénine fait face à deux soucis. Toutd'abord se pose la question de ce qu'est l’Étatsocialiste ; pour cela, il va puiser dans les étudesde la Commune de Paris effectuées par KarlMarx.

Ensuite, il y la question ce que l’État n'estpas. En l'occurrence, la social-démocratiedevenue révisionniste diffusait une vision del’État correspondant à une sorte debureaucratie, amenant une très large critiqueanarchiste. Lénine rétablit alors l'interprétationcorrecte.

Tel est le sens de l'ouvrage L’État et larévolution, qui eut un écho retentissant.

23

Page 24: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

La thèse essentielle est que l’État est leproduit de l'antagonisme entre les classes ; parconséquent, il s'éteint au fur et à mesure que,dans le socialisme, les classes disparaissent :dans le communisme, il n'existe pas d’État.

Par conséquent, et c'est le premier point deLénine, la question de l’État est celle du pouvoirpolitique, et les réactionnaires ont tout intérêt àempêcher une compréhension correcte de cela.

Lénine note ainsi dès le début :

« Il arrive aujourd'hui à la doctrine deMarx ce qui est arrivé plus d'une fois dansl'histoire aux doctrines des penseursrévolutionnaires et des chefs des classesopprimées en lutte pour leuraffranchissement.Du vivant des grands révolutionnaires, lesclasses d'oppresseurs les récompensent pard'incessantes persécutions; elles accueillentleur doctrine par la fureur la plus sauvage,par la haine la plus farouche, par lescampagnes les plus forcenées demensonges et de calomnies.Après leur mort, on essaie d'en faire desicônes inoffensives, de les canoniser pourainsi dire, d'entourer leur nom d'unecertaine auréole afin de "consoler" lesclasses opprimées et de les mystifier; cefaisant, on vide leur doctrinerévolutionnaire de son contenu , on l'avilitet on en émousse le tranchantrévolutionnaire.C'est sur cette façon d'"accommoder" lemarxisme que se rejoignent aujourd'hui labourgeoisie et les opportunistes dumouvement ouvrier. On oublie, on refoule,on altère le coté révolutionnaire de ladoctrine, son âme révolutionnaire. On metau premier plan, on exalte ce qui est ouparaît être acceptable pour labourgeoisie. »

La fin de l’œuvre est très parlante aussi.Après avoir longuement exposé les points de vuede Marx et Engels, et rétablir leur véritableposition, Lénine devait écrire un chapitreintitulé « L'expérience des révolutions russes de1905 et 1917 ». Il n'en a, cependant, pas letemps, et voici comment il le raconte :

« La présente brochure a été rédigée enaoût et en septembre 1917. J'avais déjàarrêté le plan du chapitre suivant, leVIIe : "L'expérience des révolutions russesde 1905 et 1917".Mais, en dehors du titre, je n'ai pas eu letemps d'écrire une seule ligne de ca

chapitre, "empêché" que je fus par la crisepolitique qui a marqué la veille de laRévolution d'Octobre 1917.On ne peut que se réjouir d'un tel"empêchement". Mais le second fasciculede cette brochure (consacrée àL'expérience des révolutions russes de1905 et 1917 ) devra sans doute êtreremise à beaucoup plus tard; il est plusagréable et plus utile de faire l'"expérienced'une révolution" que d'écrire à sonsujet. »

Voici enfin comment Lénine présente lesocialisme, ce qui va avoir une importancecapitale après octobre 1917 :

« La différence scientifique entresocialisme et communisme est claire. Cequ'on appelle communément socialisme,Marx l'a appelé la "première" phase ouphase inférieure de la société communiste.Dans la mesure où les moyens deproduction deviennent propriété commune, le mot "communiste" peut s'appliquerégalement ici, à condition de ne pasoublier que ce n'est pas le communismeintégral.Le grand mérite des explications de Marxest d'appliquer, là encore, de façonconséquente, la dialectique matérialiste, lathéorie de l'évolution, et de considérer lecommunisme comme quelque chose qui sedéveloppe à partir du capitalisme.Au lieu de s'en tenir à des définitions"imaginées", scolastiques et artificielles, àde stériles querelles de mots (qu'est-ce quele socialisme ? qu'est-ce que lecommunisme ?), Marx analyse ce qu'onpourrait appeler les degrés de la maturitééconomique du communisme.Dans sa première phase, à son premierdegré, le communisme ne peut pas encore,au point de vue économique, êtrecomplètement mûr, complètementaffranchi des traditions ou des vestiges ducapitalisme. De là, ce phénomèneintéressant qu'est le maintien de l'"horizonborné du droit bourgeois ", en régimecommuniste, dans la première phase decelui-ci.Certes, le droit bourgeois, en ce quiconcerne la répartition des objets deconsommation, suppose nécessairement unEtat bourgeois, car le droit n'est rien sansun appareil capable de contraindre àl'observation de ses normes.Il s'ensuit qu'en régime communistesubsistent pendant un certain temps nonseulement le droit bourgeois, mais aussil'Etat bourgeois - sans bourgeoisie !Cela peut sembler un paradoxe ousimplement un jeu dialectique de l'esprit,ce que reprochent souvent au marxisme

24

Page 25: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

ceux qui n'ont jamais pris la peine d'enétudier, si peu que ce soit, la substanceéminemment profonde.En réalité, la vie nous montre à chaquepas, dans la nature et dans la société, desvestiges du passé subsistant dans leprésent. Et ce n'est point d'une façonarbitraire que Marx a inséré dans lecommunisme une parcelle du droit"bourgeois"; il n'a fait que constater cequi, économiquement et politiquement, estinévitable dans une société issue des flancsdu capitalisme.La démocratie a une importance énormedans la lutte que la classe ouvrière mènecontre les capitalistes pour sonaffranchissement. Mais la démocratie n'estnullement une limite que l'on ne sauraitfranchir; elle n'est qu'une étape sur laroute de la féodalité au capitalisme et ducapitalisme au communisme (…).Il s'ensuit donc qu'à un certain degré deson développement, la démocratie, toutd'abord, unit le prolétariat, la classerévolutionnaire anticapitaliste, et luipermet de briser, de réduire en miettes, defaire disparaître de la surface de la terrela machine d’État bourgeoise, fût-ellebourgeoise républicaine, l'arméepermanente, la police, la bureaucratie, etde les remplacer par une machine d'Etatplus démocratique, mais qui n'en reste pasmoins une machine d’État, sous la formedes masses ouvrières armées, puis,progressivement, du peuple entierparticipant à la milice.Ici, "la quantité se change en qualité" :parvenu à ce degré, le démocratisme sortdu cadre de la société bourgeoise etcommence à évoluer vers le socialisme.Si tous participent réellement à la gestionde l’État, le capitalisme ne peut plus semaintenir. Et le développement ducapitalisme crée, à son tour, les prémissesnécessaires pour que "tous" puissentréellement participer à la gestion del’État.Ces prémisses sont, entre autres,l'instruction générale déjà réalisée parplusieurs des pays capitalistes les plusavancés, puis "l'éducation et la formationà la discipline" de millions d'ouvriers parl'appareil socialisé, énorme et complexe,de la poste, des chemins de fer, desgrandes usines, du gros commerce, desbanques, etc., etc.Avec de telles prémisses économiques, onpeut fort bien, après avoir renversé lescapitalistes et les fonctionnaires, lesremplacer aussitôt, du jour au lendemain,pour le contrôle de la production et de larépartition, pour l'enregistrement dutravail et des produits, par les ouvriersarmés, par le peuple armé tout entier. (Ilne faut pas confondre la question du

contrôle et de l'enregistrement avec celledu personnel possédant une formationscientifique, qui comprend les ingénieurs,les agronomes, etc. : ces messieurs, quitravaillent aujourd'hui sous les ordres descapitalistes, travailleront mieux encoredemain sous les ordres des ouvriersarmés.)Enregistrement et contrôle, tel estl'essentiel, et pour la "mise en route" etpour le fonctionnement régulier de lasociété communiste dans sa premièrephase. Ici, tous les citoyens setransforment en employés salariés del’État constitué par les ouvriers armés.Tous les citoyens deviennent les employéset les ouvriers d'un seul "cartel" du peupleentier, de l’État (…).Dès l'instant où tous les membres de lasociété, ou du moins leur immensemajorité, ont appris à gérer eux-mêmesl’État, ont pris eux-mêmes l'affaire enmain, "organisé" le contrôle sur l'infimeminorité de capitalistes, sur les petitsmessieurs désireux de conserver leurspratiques capitalistes et sur les ouvriersprofondément corrompus par lecapitalisme - dès cet instant, la nécessitéde toute administration en généralcommence à disparaître. Plus ladémocratie est complète, et plus procheest le moment où elle deviendra superflue.Plus démocratique est l'"État" constituépar les ouvriers armés et qui "n'est plusun État au sens propre", et plus vitecommence à s'éteindre tout État.En effet, quand tous auront appris àadministrer et administreronteffectivement eux-mêmes la productionsociale, quand tous procéderont eux-mêmes à l'enregistrement et au contrôledes parasites, des fils à papa, des filous etautres "gardiens des traditions ducapitalisme", - se soustraire à cetenregistrement et à ce contrôle exercé parle peuple entier sera à coup sûr d'unedifficulté si incroyable et d'une siexceptionnelle rareté, cela entraîneravraisemblablement un châtiment si promptet si rude (les ouvriers armés ont un senspratique de la vie; ils ne sont pas de petitsintellectuels sentimentaux et nepermettront sûrement pas qu'on plaisanteavec eux) que la nécessité d'observer lesrègles, simples mais essentielles, de toutesociété humaine deviendra très vite unehabitude.Alors s'ouvrira toute grande la porte quipermettra de passer de la première phasede la société communiste à sa phasesupérieure et, par suite, à l'extinctioncomplète de l’État. »

8. Octobre 1917

25

Page 26: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

La tentative bourgeoise de construire sapropre République et de supprimer les forcesbolchéviks avait échoué. Sous la direction deLénine, les bolchéviks avaient démasqué lerégime et possédaient la majorité dans lesSoviets des députés ouvriers et soldats deMoscou et Saint-Pétersbourg.

Lénine rentra d'exil en Finlande pourparticiper à la réunion du Comité Central, quiprit une résolution historique :

« Le Comité central reconnaît que lasituation internationale de la révolutionrusse (insurrection dans la flotteallemande comme manifestation extrêmede la croissance, dans toute l’Europe, dela révolution socialiste mondiale ; menacedu monde impérialiste d’étrangler larévolution russe), ainsi que la situationmilitaire (décision indéniable de labourgeoisie russe et de Kérenski etconsorts, de livrer Pétrograd auxAllemands), de même que la conquête dela majorité dans les Soviets par le Partidu prolétariat, - tout cela joint ausoulèvement paysan et au revirement deconfiance populaire en faveur de notreParti (élections de Moscou) ; enfin, lapréparation manifeste d’une deuxièmeaventure Kornilov (retrait des troupes dePétrograd, transport de cosaques sur cetteville, encerclement de Minsk par lescosaques, etc.), - tous ces faits mettent àl’ordre du jour l’insurrection armée.Reconnaissant ainsi que l’insurrectionarmée est inévitable et arrivée à pleinematurité, le Comité central invite toutesles organisations du Parti à s’inspirer dece fait et à examiner et résoudre de cepoint de vue toutes les questions pratiques(congrès des Soviets de la région du Nord,retrait des troupes de Pétrograd, actionsde Moscou et de Minsk, etc.). »

Cette décision eut des opposants : Kaménevet Zinoviev étaient contre, Trotsky qui venait derejoindre le Parti entendait repousserl'insurrection. Mais le plan se déroula àmerveille : la Garde rouge et les troupesrévolutionnaires occupèrent les gares, la poste,le télégraphe, les ministères, la banque d’Etat,alors qu'était pris le Palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg, siège du gouvernement provisoire.

Dans la foulée, le IIe congrès des Soviets quis'ouvrait adopta le décret sur la paix, appelantà l'armistice pour la signature d'un traité depaix (qui sera réalisé en mars 1918 avec le traité

de Brest-Litovsk) et d'un décret sur la terre, envertu duquel le « droit de propriété des grandspropriétaires fonciers sur la terre était aboliimmédiatement, sans aucune indemnité ».

Un peu plus d'un an après, pratiquement97% des terres sont cultivés par des petitspaysans, le reste l'étant dans des coopérativesou des fermes d'État.

La paix d'un côté, et de l'autre la remise desterres des grands propriétaires fonciers, desapanages et des couvents aux paysans : lesbolchéviks donnaient ses premières assises aunouveau régime celui des Soviets, avec ungouvernement organisé par le IIe congrès desSoviets de Russie comme « Conseil descommissaires du peuple », avec Lénine commeprésident du Conseil.

C'est donc ce sovnarkom – le Conseil desCommissaires du Peuple – qui dirige le pays,comme gouvernement, avec uniquement desbolchéviks. Il dépend du Comité Centralexécutif panrusse des Soviets, qui est alors éludans un deuxième congrès des Soviets ouvrierset militaires ; sont nommés 62 bolcheviks, 29Socialistes-révolutionnaires de gauche (ceux dedroite boycottant l'élection en protestationcontre l'insurrection) et 10 socialistes. Par lasuite, le comité intègre des délégués paysans, desdélégués de l'armée et de la flotte, ainsi que desdélégués syndicaux.

Ce nouveau cadre donne naissance, en juillet1918, à la République Socialiste Fédérale desSoviets de Russie.

Cette victoire avait été facile et lesbolchéviks en avaient conscience. Voici commentle Précis d'histoire du PCUS(b) caractérise cettesituation ayant permis le triomphe très rapidede la révolution socialiste en Russie :

« Parmi les raisons qui ont déterminécette victoire relativement facile de laRévolution socialiste en Russie, voici lesprincipales :1° La Révolution d’Octobre avait en faced’elle cet ennemi relativement faible, malorganisé, peu expérimenté en politiquequ’était la bourgeoisie russe.

26

Page 27: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

Parce qu’elle manquait encore de forceéconomique et qu’elle dépendaitentièrement des commandes dugouvernement, la bourgeoisie russe n’avaitni l’indépendance politique, ni l’initiativesuffisante pour trouver une issue à lasituation. Elle n’avait pas l’expérience descombinaisons et des mystificationspolitiques d’envergure que possède, parexemple, la bourgeoisie française ; ellen’avait pas non plus été à l’école descompromissions malhonnêtes de grandstyle, qui est celle, par exemple, de labourgeoisie anglaise.En quête, hier encore, d’une entente avecle tsar renversé par la révolution deFévrier, elle n’avait rien su trouver demieux, une fois au pouvoir, que decontinuer dans ses grandes lignes lapolitique du tsar exécré. Tout comme letsar, elle était pour « la guerre jusqu’aubout », bien que la guerre fut devenue unecharge insupportable pour le pays et eûttotalement épuisé le peuple et l’armée.Tout comme le tsar, elle était pour lemaintien, dans les grandes lignes, de lapropriété seigneuriale de la terre, malgréla disette de terre et le joug despropriétaires fonciers dont se mourait lapaysannerie. En ce qui concerne lapolitique à l’égard de la classe ouvrière, labourgeoisie russe, dans sa haine desouvriers, surpassait le tsar, puisqu’elles’appliquait, non seulement à maintenir età renforcer l’oppression des usiniers et desfabricants, mais encore à la rendreintolérable par l’application de lock-outsmassifs.Rien d’étonnant que le peuple n’ait pointvu de distinction substantielle entre lapolitique du tsar et celle de la bourgeoisieet qu’il ait reporté sa haine du tsar sur leGouvernement provisoire de labourgeoisie.Tant que les partis de conciliation,socialiste-révolutionnaire et menchévik,exercèrent quelque influence sur le peuple,la bourgeoisie put se retrancher derrièreeux et conserver le pouvoir. Mais du jouroù les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires se furent démasquéscomme agents de la bourgeoisieimpérialiste, perdant du même coup leurinfluence sur le peuple, la bourgeoisie etson Gouvernement provisoire restèrentsans appui.2° A la tête de la Révolution d’Octobre setrouvait cette classe révolutionnaire qu’estla classe ouvrière de Russie, classetrempée dans les combats, qui avaittraversé en un court laps de temps deuxrévolutions, et qui, à la veille de latroisième, avait acquis l’autorité de chefdu peuple dans la lutte pour la paix, laterre, la liberté, le socialisme.

Sans ce chef de la révolution, jouissant dela confiance du peuple, qu’était la classeouvrière de Russie, il n’y aurait pas eud’alliance des ouvriers et des paysans : etsans cette alliance, la Révolutiond’octobre n’aurait pas pu vaincre.3° La classe ouvrière de Russie avait, dansla révolution, ce sérieux allié qu’était lapaysannerie pauvre formant l’immensemajorité de la population paysanne.L’expérience des huit mois de révolution,que l’on peut sans hésiter assimiler àl’expérience de plusieurs dizaines d’annéesde développement « normal », n’avait pasété perdue pour les masses laborieuses dela paysannerie.Durant ce temps, elles avaient pu juger àl’œuvre tous les partis de Russie et serendre compte que ni les cadets, ni lessocialistes-révolutionnaires et lesmenchéviks n’entendaient se brouillersérieusement avec les grands propriétairesfonciers et verser leur sang pour lespaysans ; qu’il n’y avait qu’un seul partien Russie qui ne fut point lié aux grandspropriétaires fonciers, et qui fut prêt à lesécraser pour satisfaire aux besoins despaysans : le Parti bolchévik.Et ce fut là la base réelle de l’alliance duprolétariat et de la paysannerie pauvre.Cette alliance de la classe ouvrière et de lapaysannerie pauvre déterminera aussi laconduite des paysans moyens quihésiteront longtemps et qui, à la veilleseulement de l’insurrection d’Octobre, setourneront franchement vers la révolution,en s’unissant à la paysannerie pauvre.Inutile de démontrer que sans cettealliance, la Révolution d’Octobre n’auraitpas pu vaincre.4° À la tête de la classe ouvrière setrouvait ce parti rompu à la luttepolitique qu’est le Parti bolchévik. Seul unparti comme le Parti bolchévik,suffisamment hardi pour mener le peuple àl’assaut décisif et suffisamment circonspectpour éviter les écueils de tout genre sur lechemin du succès, seul un tel partipouvait fondre de façon aussi judicieuse,en un seul flot révolutionnaire, desmouvements révolutionnaires aussi diversqu’étaient le mouvement démocratiquegénéral pour la paix, le mouvementdémocratique paysan pour la mainmisesur les terres seigneuriales, le mouvementde libération nationale des peuplesopprimés en lutte pour l’égalité nationaleet le mouvement socialiste du prolétariatpour le renversement de la bourgeoisie,pour l’instauration de la dictature duprolétariat.Il est évident que c’est la fusion de cesdivers courants révolutionnaires en un flotrévolutionnaire unique et puissant qui adécidé du sort du capitalisme en Russie.

27

Page 28: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

5° La Révolution d’Octobre a commencé àun moment où la guerre impérialistebattait encore son plein ; où lesprincipaux Etats bourgeois étaient divisésen deux camps ennemis, où, occupés à sefaire la guerre et à s’affaiblir les uns lesautres, ils ne pouvaient sérieusements’ingérer dans les « affaires russes » et sedresser activement contre la Révolutiond’Octobre.Il est évident que cette circonstance agrandement facilité la victoire de laRévolution socialiste d’Octobre. »

Par la suite, les bolchéviks tinrent leur VIIecongrès, faisant en sorte que leur parti s'intituledésormais Parti Communiste (bolchévik) deRussie. Avec 270 000 personnes dans ses rangs,il était prêt à diriger le pays.

9. La guerre civile (1918-1920)

La révolution socialiste s'était imposée, maisdeux forces entendaient ne pas faire durer lenouveau régime : d'un côté, les impérialistes del'Entente, qui avaient perdu leur allié russe,craignaient la paix et la diffusion du socialisme,et de l'autre les forces réactionnaires en Russiemême.

Ces deux forces n'avaient pas d'autres choixque de converger. Seule l'Entente disposait desmoyens matériels, et seules forces réactionnairesdisposaient de cadres, issus de l'armée, et depersonnes capables de rejoindre une éventuellearmée contre-révolutionnaire, à partir desréseaux des paysans riches – les koulaks – et descosaques, population rassemblée de manièresemi-militaire et dont les membres devinrent desgendarmes tsaristes.

C'est ainsi que se combina l'intervention dedifférents pays impérialistes - Angleterre, deFrance, du Japon, des Etats-Unis - avec laréaction russe, alliant formation de l'arméeblanche et envoi de troupes.

Le Parti bolchévik comptait lui 313 766membres alors qu'il tenait son VIIIe congrès enmars 1919, puis 611 978 membres au IXeCongrès, en mars 1920.

Il put organiser la résistance aux premièresattaques des armées blanches, mais s'attela

surtout à construire une vaste armée rouge.

Il dut également organiser le « communismede guerre » dans une situation de pénuriegénéralisée ; en 1922, sur 136 millions depersonnes, il y a 4,6 millions d'ouvriersemployés, contre 11 millions en 1913.L'économie industrielle devait être réorganiséetout en développant une alliance avec lapaysannerie moyenne, dont le soutien étaitdécisif pour le maintien du régime.

Au VIIIe congrès du Parti bolchevik, du 18au 23 mars 1919, Lénine explique :

« Des socialistes, les meilleursreprésentants du socialisme d'autrefois,lorsqu'ils croyaient encore à la révolutionet la servaient sur le plan théorique etidéologique, parlaient de neutraliser lespaysans, c'est-à-dire de faire de lapaysannerie moyenne une couche socialequi, si elle n'apporte pas une aide active àla révolution prolétarienne, du moins nel'entrave pas, reste neutre et ne se rangepas aux cotés de nos ennemis.Ce coté abstrait, théorique de la question,est pour nous parfaitement clair. Mais ilest insuffisant. Nous sommes entrés dansune phase de la construction socialiste oùil s'agit d'élaborer de façon concrète, endétail, en nous inspirant de l'expériencedu travail à la campagne, les règles et lesdirectives fondamentales que nous devonssuivre pour conclure avec le paysan moyenune alliance solide. »

Et grâce à un solide pouvoir d’État porté parles masses, par une organisation rigoureuse(avec le GOELRO qui était le Plan d’État pourl’électrification de la Russie, le GOSPLAN quiétait la Commission du plan d’État, etc.), lesbolchéviks purent organiser une armée rouge quien 1920 avait écrasé ses ennemis.

Voici comment le Précis d'histoire duPCUS(b) explique les raisons de cela, ensoulignant l'importance des commissairespolitiques :

« Comment expliquer en ce cas quel'Armée rouge, qui avait tant de défautsgraves, ait vaincu l'armée des envahisseurset des gardes blancs, exempte de tous cesdéfauts ?1° L'Armée rouge a vaincu parce que lapolitique du pouvoir des Soviets pourlaquelle elle se battait était une politiquejuste, conforme aux intérêts du peuple ;

28

Page 29: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

parce que le peuple sentait et concevaitcette politique comme une politique juste,comme sa politique à lui, et la soutenaitjusqu'au bout.Les bolcheviks savaient qu'une armée quilutte au nom d'une politique injuste, nonsoutenue par le peuple, ne peut pasvaincre. Telle était précisément l'arméedes envahisseurs et des gardes blancs.Cette armée avait tout : de vieux chefsexpérimentés, un matériel de premierordre, des munitions, des équipements, desvivres. Il ne lui manquait qu'une chose : lesoutien et la sympathie des peuples deRussie, qui ne voulaient ni ne pouvaientsoutenir la politique antipopulaire desenvahisseurs et des « régents » gardesblancs. Et l'armée des envahisseurs et desgardes blancs fut battue.2° L'Armée rouge a vaincu parce qu'elleétait fidèle et dévouée jusqu'au bout à sonpeuple, ce qui lui valait l'amour de cepeuple, qui la soutenait comme son arméeà lui. L'Armée rouge est issue du peuple.Et si elle est fidèle à son peuple comme unfils est fidèle à sa mère, elle aura lesoutien du peuple, elle vaincra. Tandisqu'une armée qui va contre son peuplesubira nécessairement la défaite.3° L'Armée rouge a vaincu parce que lepouvoir des Soviets avait réussi à alertertout l'arrière, tout le pays, pour servir lefront. Une armée sans un arrière fort poursoutenir le front par tous les moyens, estvouée à la défaite. Les bolcheviks savaientcela, et c'est pour cette raison qu'ilsavaient transformé le pays en un campretranché qui approvisionnait le front enmatériel de guerre, en munitions, enéquipements, en vivres, en contingents derenfort.4° L'Armée rouge a vaincu parce que : a)les soldats rouges comprenaient le but etles objectifs de la guerre, et se rendaientcompte qu'ils étaient justes ; b) laconscience que le but et les tâches de laguerre étaient justes, fortifiait leur espritde discipline et leur valeur combative ; c)ceci étant, la masse des soldats rouges afait preuve, à tout instant, dans sa luttecontre l'ennemi, d'une abnégation sansexemple et d'un héroïsme sans précédent.5° L'Armée rouge a vaincu parce que sonnoyau dirigeant, à l'arrière et au front,était le Parti bolchevik, soudé par sacohésion et sa discipline, puissant par sonesprit révolutionnaire et sa volonté deconsentir tous les sacrifices pour fairetriompher la cause commune, insurpassépar sa capacité à organiser les multitudeset à les diriger de façon judicieuse, dansune situation complexe.Lénine a dit :« C'est uniquement parce que le Parti

était sur ses gardes, parce que le Partiétait rigoureusement discipliné et que sonautorité unissait toutes les institutions ettoutes les administrations, parce que desdizaines, des centaines, des milliers et, enfin de compte, des millions d'hommessuivaient comme un seul le mot d'ordre duComité central, c'est uniquement parceque des sacrifices inouïs furent consentis,que le miracle qui s'est produit a pu seproduire. C'est uniquement pour celaqu'en dépit des campagnes redoublées,triplées, quadruplées des impérialistes del'Entente et des impérialistes du mondeentier, nous nous sommes trouvés enmesure de vaincre. » (Lénine)6° L'Armée rouge a vaincu parce que : a) elle a su former dans son sein desdirigeants militaires d'un type nouveaucomme Frounze, Vorochilov, Boudionny etautres ; b) dans ses rangs combattaient des héros-nés comme Kotovski, Tchapaev, Lazo,Chtchors, Parkhomenko et bien d'autres ;c) l'éducation politique de l'Armée rougeétait faite par des hommes tels queLénine, Staline, Molotov, Kalinine,Sverdlov, Kaganovitch, Ordjonikidze,Kirov, Kouibychev, Mikoïan, Jdanov,Andréev, Pétrovski, Iaroslavski,Dzerjinski, Chtchadenko, Mekhliss,Khrouchtchev, Chvernik, Chkiriatov,d'autres encore ; d) l'Armée rouge comptait dans son seinces organisateurs et agitateurs peucommuns qu'étaient les commissairesmilitaires, dont l'activité cimentait lesrangs des soldats et qui implantaientparmi eux l'esprit de discipline etl'intrépidité au combat, réprimaient avecénergie, — rapidement et sans merci, —les actes de trahison de certains chefs et,au contraire, soutenaient avec courage etrésolution l'autorité et la gloire descommandants, membres et non-membresdu Parti, qui avaient prouvé leurdévouement au pouvoir des Soviets ets'étaient montrés capables de diriger d'unemain ferme les unités de l'Armée rouge.« Sans commissaires militaires, nousn'aurions pas eu d'Armée rouge », disaitLénine.7° L'Armée rouge a vaincu parce qu'àl'arrière des armées blanches, à l'arrière deKoltchak, de Dénikine, de Krasnov, deWrangel, travaillaient dans l'illégalité desbolcheviks admirables, membres et non-membres du Parti, qui soulevaient lesouvriers et les paysans contre lesenvahisseurs, contre les gardes blancs ; quiminaient l'arrière des ennemis du pouvoirdes Soviets et, par là même, facilitaientl'avance de l'Armée rouge. Nul n'ignoreque les partisans d'Ukraine, de Sibérie,d'Extrême-Orient, de l'Oural, de

29

Page 30: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

Biélorussie, du bassin de la Volga, quidisloquaient l'arrière des gardes blancs etdes envahisseurs, ont rendu un serviceinappréciable à l'Armée rouge.8° L'Armée rouge a vaincu parce que lepays des Soviets n'était pas seul dans salutte avec la contre-révolution des gardesblancs et l'intervention étrangère ; parceque la lutte du pouvoir des Soviets et sessuccès avaient suscité la sympathie etl'aide des prolétaires du monde entier. Siles impérialistes voulaient étouffer laRépublique soviétique par l'interventionarmée et le blocus, les ouvriers de ces paysimpérialistes sympathisaient avec lesSoviets et les aidaient.Leur lutte contre les capitalistes des paysennemis de la République soviétique a faitque les impérialistes ont dû renoncer àl'intervention. Les ouvriers d'Angleterre,de France et des autres pays qui avaientparticipé à l'intervention, organisaient desgrèves, refusaient de charger le matériel deguerre destiné aux envahisseurs et auxgénéraux blancs ; ils formaient des« comités d'action » sous le mot d'ordre« Bas les mains devant la Russie ! »« Aussitôt que la bourgeoisieinternationale, disait Lénine, lève la maincontre nous, ses propres ouvriers lasaisissent au poignet. » »

10. Lénine face à la petite production« L'histoire du mouvement ouvrier montreaujourd'hui que dans tous les pays, lecommunisme naissant, grandissant,marchant à la victoire, est appelé àtraverser une période de lutte (qui a déjàcommencé), d'abord et surtout, contre le"menchevisme" propre (de chaque pays),c'est-à-dire l'opportunisme et le social-chauvinisme; puis, à titre de complément,pour ainsi dire, contre le communisme "degauche". »

Tel est le point de Lénine, qui s'impose dansla victoire sur le gauchisme en 1921 qui a profitéd'un grand travail théorique de Lénine.

C'est en effet dans le contexte d'uneémergence du gauchisme sous de multiplesformes que Lénine avait écrit son ouvragedevenu très célèbre : La maladie infantile ducommunisme (le "gauchisme"), publié en avril1920.

Dans ce document, Lénine soulignel'importance de la centralisation, formenécessaire pour écraser les ennemis de larévolution socialiste.

Il affirme ainsi :

« La dictature du prolétariat, c'est laguerre la plus héroïque et la plusimplacable de la nouvelle classe contre unennemi plus puissant, contre labourgeoisie dont la résistance est décupléedu fait de son renversement (ne fût-ce quedans un seul pays) et dont la puissance neréside pas seulement dans la force ducapital international, dans la force et lasolidité des liaisons internationales de labourgeoisie, mais encore dans la force del'habitude, dans la force de la petiteproduction.Car, malheureusement, il reste encore aumonde une très, très grande quantité depetite production: or, la petite productionengendre le capitalisme et la bourgeoisieconstamment, chaque jour, à chaqueheure, d'une manière spontanée et dans devastes proportions.Pour toutes ces raisons, la dictature duprolétariat est indispensable, et il estimpossible de vaincre la bourgeoisie sansune guerre prolongée, opiniâtre, acharnée,sans une guerre à mort qui exige lamaîtrise de soi, la discipline, la fermeté,une volonté une et inflexible.Je répète, l'expérience de la dictatureprolétarienne victorieuse en Russie amontré clairement à ceux qui ne saventpas réfléchir ou qui n'ont pas eu l'occasionde méditer ce problème, qu'unecentralisation absolue et la plus rigoureusediscipline du prolétariat sont une desconditions essentielles pour vaincre labourgeoisie. »

Néanmoins, Lénine considère que la disciplinene peut pas être imposée ; elle se génère avec laconscience de classe, dans un mouvementvéritablement révolutionnaire, s'appuyant sur lathéorie révolutionnaire.

Voici comment il formule la chose :

« Et tout d'abord la question se pose:qu'est-ce qui cimente la discipline du partirévolutionnaire du prolétariat? qu'est-cequi la contrôle? Qu'est-ce qui l'étaye?C'est, d'abord, la conscience de l'avant-garde prolétarienne et son dévouement àla révolution, sa fermeté, son esprit desacrifice, son héroïsme.C'est, ensuite, son aptitude à se lier, à serapprocher et, si vous voulez, à se fondrejusqu'à un certain point avec la masse laplus large des travailleurs, au premier chefavec la masse prolétarienne, mais aussi lamasse des travailleurs non prolétarienne.Troisièmement, c'est la justesse de ladirection politique réalisée par cetteavant-garde, la justesse de sa stratégie et

30

Page 31: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

de sa tactique politiques, à condition queles plus grandes masses se convainquent decette justesse par leur propre expérience.A défaut de ces conditions, dans un partirévolutionnaire réellement capable d'êtrele parti de la classe d'avant-garde appeléeà renverser la bourgeoisie et à transformerla société, la discipline est irréalisable. Cesconditions faisant défaut, toute tentativede créer cette discipline se réduitinéluctablement à des phrases creuses, àdes mots, à des simagrées.Mais, d'autre part, ces conditions nepeuvent pas surgir d'emblée. Elles nes'élaborent qu'au prix d'un long travail,d'une dure expérience; leur élaboration estfacilitée par une théorie révolutionnairejuste qui n'est pas un dogme, et qui ne seforme définitivement qu'en liaison étroiteavec la pratique d'un mouvementréellement massif et réellementrévolutionnaire. »

Par conséquent, l'esprit petit-bourgeois estl'ennemi du mouvement révolutionnaire, car ilnie la discipline propre à la classe ouvrière, à larévolution socialiste.

Voici ce qu'explique Lénine, montrant quel'anarchisme est une réponse « radicale » àl'opportunisme, les deux étant les deux faces dela même médaille :

« On ne sait pas encore suffisamment àl'étranger que le bolchevisme a grandi,s'est constitué et s'est aguerri au coursd'une lutte de longues années contrel'esprit révolutionnaire petit-bourgeois quifrise l'anarchisme ou lui fait quelqueemprunt et qui, pour tout ce qui estessentiel, déroge aux conditions et auxnécessités d'une lutte de classeprolétarienne conséquente.Il est un fait théoriquement bien établipour les marxistes, et entièrementconfirmé par l'expérience de toutes lesrévolutions et de tous les mouvementsrévolutionnaires d'Europe, - c'est que lepetit propriétaire, le petit patron (typesocial très largement représenté, formantune masse importante dans bien des paysd'Europe) qui, en régime capitaliste, subitune oppression continuelle et, trèssouvent, une aggravation terriblementforte et rapide de ses conditionsd'existence et la ruine, passe facilement àun révolutionnarisme extrême, mais estincapable de faire preuve de fermeté,d'esprit d'organisation, de discipline et deconstance.Le petit bourgeois, "pris de rage" devantles horreurs du capitalisme, est unphénomène social propre, commel'anarchisme, à tous les pays capitalistes.

L'instabilité de ce révolutionnarisme, sastérilité, la propriété qu'il a de se changerrapidement en soumission, en apathie, envaine fantaisie, et même en engouement"enragé" pour telle ou telle tendancebourgeoise "à la mode", tout cela est denotoriété publique.Mais la reconnaissance théorique,abstraite de ces vérités ne préserveaucunement les partis révolutionnaires desvieilles erreurs qui reparaissent toujours àl'improviste sous une forme un peunouvelle, sous un aspect ou dans un décorqu'on ne leur connaissait pas encore, dansune ambiance singulière, plus ou moinsoriginale.L'anarchisme a été souvent une sorte dechâtiment pour les déviationsopportunistes du mouvement ouvrier. Cesdeux aberrations se complétaientmutuellement.Et si en Russie, bien que la populationpetite-bourgeoise y soit plus nombreuseque dans les pays d'Occident, l'anarchismen'a exercé qu'une influence relativementinsignifiante au cours des deux révolutions(1905 et 1917) et pendant leurpréparation, le mérite doit en être sansnul doute attribué en partie aubolchevisme, qui avait toujours soutenu lalutte la plus implacable et la plusintransigeante contre l'opportunisme.Je dis: "en partie", car ce qui a contribuéencore davantage à affaiblir l'anarchismeen Russie, c'est qu'il avait eu dans le passé(1870-1880) la possibilité de s'épanouirpleinement et de révéler jusqu'au boutcombien cette théorie était fausse etinapte à guider la classe révolutionnaire. »

Voilà pourquoi le gauchisme, qui nie le rôledes dirigeants, voire du Parti lui-même, onttort : ils convergent avec la petite-bourgeoisie,ils participent à leur idéologie.

Lénine souligne ce qui doit être le cœur de ladictature du prolétariat, le cœur de larévolution socialiste :

« Nier la nécessité du parti et de ladiscipline du parti, voilà où en est arrivéel'opposition. Or, cela équivaut à désarmerentièrement le prolétariat au profit de labourgeoisie.Cela équivaut, précisément, à faire siensces défauts de la petite bourgeoisie quesont la dispersion, l'instabilité,l'inaptitude à la fermeté, à l'union, àl'action conjuguée, défauts qui causerontinévitablement la perte de toutmouvement révolutionnaire du prolétariat,pour peu qu'on les encourage.Nier du point de vue du communisme la

31

Page 32: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

nécessité du parti, c'est sauter de la veillede la faillite du capitalisme (enAllemagne), non pas dans la phaseinférieure ou moyenne du communisme,mais bien dans sa phase supérieure.En Russie nous en sommes encore (plus dedeux ans après le renversement de labourgeoisie) à faire nos premiers pas dansla voie de la transition du capitalisme ausocialisme, ou stade inférieur ducommunisme. Les classes subsistent, etelles subsisteront partout, pendant desannées après la conquête du pouvoir par leprolétariat.Peut-être ce délai sera-t-il moindre enAngleterre où il n'y a pas de paysans(mais où il y a cependant des petitspatrons!). Supprimer les classes, ce n'estpas seulement chasser les grandspropriétaires fonciers et les capitalistes, -ce qui nous a été relativement facile, -c'est aussi supprimer les petitsproducteurs de marchandises; or, ceux-cion ne peut pas les chasser, on ne peut pasles écraser, il faut faire bon ménage aveceux. On peut (et on doit) les transformer,les rééduquer, - mais seulement par untravail d'organisation très long, très lentet très prudent. Ils entourent de tous côtésle prolétariat d'une ambiance petite-bourgeoise, ils l'en pénètrent, ils l'encorrompent, ils suscitent constamment ausein du prolétariat des récidives de défautspropres à la petite bourgeoisie: manque decaractère, dispersion, individualisme,passage de l'enthousiasme à l'abattement.Pour y résister, pour permettre auprolétariat d'exercer comme il se doit,avec succès et victorieusement, son rôled'organisateur (qui est son rôle principal),le parti politique du prolétariat doit fairerégner dans son sein une centralisation etune discipline rigoureuses. La dictature duprolétariat est une lutte opiniâtre,sanglante et non sanglante, violente etpacifique, militaire et économique,pédagogique et administrative, contre lesforces et les traditions de la vieille société.La force de l'habitude chez les millions etles dizaines de millions d'hommes est laforce la plus terrible.Sans un parti de fer, trempé dans la lutte,sans un parti jouissant de la confiance detout ce qu'il y a d'honnête dans la classeen question, sans un parti sachantobserver l'état d'esprit de la masse etinfluer sur lui, il est impossible de soutenircette lutte avec succès.Il est mille fois plus facile de vaincre lagrande bourgeoisie centralisée que de"vaincre" les millions et les millions depetits patrons; or ceux-ci, par leur activitéquotidienne, coutumière, invisible,insaisissable, dissolvante, réalisent lesmêmes résultats qui sont nécessaires à la

bourgeoisie, qui restaurent la bourgeoisie.Celui qui affaiblit tant soit peu ladiscipline de fer dans le parti duprolétariat (surtout pendant sa dictature),aide en réalité la bourgeoisie contre leprolétariat. »

11. La maladie infantile du communisme(le "gauchisme")

En affrontant la petite production commeréalité, Lénine récuse le gauchisme commemaladie infantile du communisme, qui est leproduit de cette réalité, qui nie la centralisationnécessaire pour la réorganisation de l'économiedu point de vue socialiste. Lénine conçoit ainsivéritablement le socialisme comme phasetransitoire et il critique les gauchistes quiconçoivent la révolution socialiste sans intégrerles caractéristiques de cette phase transitoire.

Voici ce qu'il explique dans La maladieinfantile du communisme (le "gauchisme") :

« Le capitalisme laisse nécessairement enhéritage au socialisme, d'une part, lesvieilles distinctions professionnelles etcorporatives, qui se sont établies durantdes siècles entre les ouvriers, et, d'autrepart, des syndicats qui ne peuvent sedévelopper et ne se développeront que trèslentement, pendant des années et desannées, en des syndicats d'industrie pluslarges, moins corporatifs (s'étendant à desindustries entières, et non pas simplementà des corporations, des corps de métiers etdes professions).Par l'intermédiaire de ces syndicatsd'industrie, on supprimera plus tard ladivision du travail entre les hommes; onpassera à l'éducation, à l'instruction et àla formation d'hommes universellementdéveloppés, universellement préparés, etsachant tout faire.C'est là que va, doit aller et arrivera lecommunisme, mais seulement au bout delongues années. Tenter aujourd'huid'anticiper pratiquement sur ce résultatfutur du communisme pleinementdéveloppé, solidement constitué, àl'apogée de sa maturité, c'est vouloirenseigner les hautes mathématiques à unenfant de quatre ans.Nous pouvons (et devons) commencer àconstruire le socialisme, non pas avec dumatériel humain imaginaire ou que nousaurions spécialement formé à cet effet,mais avec ce que nous a légué lecapitalisme. Cela est très "difficile", certes,mais toute autre façon d'aborder leproblème est si peu sérieuse qu'elle ne

32

Page 33: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

vaut même pas qu'on en parle.Les syndicats ont marqué un progrèsgigantesque de la classe ouvrière au débutdu développement du capitalisme; ils ontmarqué le passage de l'état de dispersionet d'impuissance où se trouvaient lesouvriers, aux premières ébauches dugroupement de classe.Lorsque commença à se développer laforme suprême de l'union de classe desprolétaires, le parti révolutionnaire duprolétariat (qui ne méritera pas ce nomaussi longtemps qu'il ne saura pas lier leschefs, la classe et les masses en un touthomogène, indissoluble), les syndicatsrévélèrent inévitablement certains traitsréactionnaires, une certaine étroitessecorporative, une certaine tendance àl'apolitisme, un certain esprit de routine,etc. Mais nulle part au monde ledéveloppement du prolétariat ne s'est faitet ne pouvait se faire autrement que parles syndicats, par l'action réciproque dessyndicats et du parti de la classe ouvrière.La conquête du pouvoir politique par leprolétariat est, pour le prolétariatconsidéré comme classe, un immense pasen avant.Aussi le parti doit-il, plus encore que dansle passé, à la manière nouvelle et passeulement à l'ancienne, éduquer lessyndicats, les diriger, sans oubliertoutefois qu'ils restent et resterontlongtemps l'indispensable "école ducommunisme" et l'école préparatoire desprolétaires pour l'application de leurdictature, le groupement nécessaire desouvriers afin que la gestion de toutel'économie du pays passe graduellementd'abord aux mains de la classe ouvrière(et non à telles ou telles professions), etpuis à l'ensemble des travailleurs.Un certain "esprit réactionnaire" dessyndicats, en ce sens, est inévitable sous ladictature du prolétariat. Ne pas lecomprendre, c'est faire preuve d'une totaleincompréhension des conditionsessentielles de la transition du capitalismeau socialisme.Redouter cet "esprit réactionnaire",essayer de l'éluder, de passer outre, c'estcommettre une grave erreur, car c'estcraindre d'assumer ce rôle de l'avant-gardedu prolétariat qui consiste à instruire,éclairer, éduquer, appeler à une vienouvelle les couches et les masses les plusretardataires de la classe ouvrière et de lapaysannerie.D'autre part, remettre la mise en œuvrede la dictature du prolétariat jusqu'aumoment ou il ne resterait plus un seulouvrier atteint d'étroitesse professionnelle,plus un ouvrier imbu des préjugéscorporatifs et trade-unionistes, serait uneerreur encore plus grave. L'art du

politique (et la juste compréhension de sesdevoirs par un communiste) estd'apprécier correctement les conditions etle moment où l'avant-garde du prolétariatsera à même de s'emparer du pouvoir; debénéficier, pendant et après, d'un appuisuffisant de couches suffisamment largesde la classe ouvrière et des masseslaborieuses non prolétariennes; où ellesaura dès lors soutenir, renforcer, élargirsa domination, en éduquant, eninstruisant, en attirant à elle des massestoujours plus grandes de travailleurs. »

Par conséquent, les communistes doiventaccepter la réalité sociale; la révolution n'est paspure mais conforme à la réalité, et il fautchercher les masses là où elles sont :

« Mais nous luttons contre "l'aristocratieouvrière" au nom de la masse ouvrière etpour la gagner à nous; nous combattonsles leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classeouvrière. Il serait absurde de méconnaîtrecette vérité élémentaire et évidente entretoutes.Or, c'est précisément la faute quecommettent les communistes allemands"de gauche" qui, de l'esprit réactionnaireet contre-révolutionnaire des milieuxdirigeants syndicaux, concluent à . . . lasortie des communistes des syndicats ! Aurefus d'y travailler! et voudraient créer denouvelles formes d'organisation ouvrièrequ'ils inventent ! Bêtise impardonnablequi équivaut à un immense service rendupar les communistes à la bourgeoisie (…).La "théorie" saugrenue de la non-participation des communistes dans lessyndicats réactionnaires montre, de touteévidence, avec quelle légèreté cescommunistes "de gauche" envisagent laquestion de l'influence sur les "masses", etquel abus ils font dans leurs clameurs dumot "masse". Pour savoir aider la "masse"et gagner sa sympathie, son adhésion etson appui, il ne faut pas craindre lesdifficultés, les chicanes, les pièges, lesoutrages, les persécutions de la part des"chefs" (qui, opportunistes et social-chauvins, sont dans la plupart des cas liés- directement ou indirectement - à labourgeoisie et à la police) et travaillerabsolument là où est la masse. Il fautsavoir consentir tous les sacrifices,surmonter les plus grands obstacles, afinde faire un travail de propagande etd'agitation méthodique, persévérant,opiniâtre et patient justement dans lesinstitutions, sociétés, organisations -même tout ce qu'il y a de plusréactionnaires - partout où il y a desmasses prolétariennes ou semi-prolétariennes. »

33

Page 34: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

De la même manière, le parlement ne doitpas être compris abstraitement, mais dans soncontexte historique. Voici ce que dit Lénine :

« Les formes parlementaires"historiquement ont fait leur temps". C'estvrai au sens de la propagande. Maischacun sait que de là à leur disparitiondans la pratique, il y a encore très loin.Depuis des dizaines d'années on pouvaitdire à bon droit que le capitalisme"historiquement avait fait son temps";mais' cela ne nous dispense nullement dela nécessité de soutenir une lutte trèslongue et très opiniâtre sur le terrain ducapitalisme. Le parlementarisme a"historiquement fait son temps" au pointde vue de l'histoire universelle, autrementdit l'époque du parlementarisme bourgeoisest terminée, l'époque de la dictature duprolétariat acommencé.C'est indéniable. Mais à l'échelle del'histoire universelle, c'est par dizainesd'années que l'on compte.Dix ou vingt ans plus tôt ou plus tard necomptent pas du point de vue de l'histoireuniverselle; c'est au point de vue del'histoire universelle une quantiténégligeable qu'il est impossible de mettreen ligne de compte, même parapproximation. Mais c'est justementpourquoi, en invoquant, dans une questionde politique pratique, l'échelle de l'histoiremondiale, on commet la plus flagranteerreur théorique. »Lénine précise d'ailleurs bien ce qu'est leparlement, qui ne saurait être le centre dupouvoir bourgeois de toutes manières:« De ce que le parlement devient l'organeet le "centre" (en fait, il n'a jamais été etne peut jamais être le "centre", soit dit enpassant) de la contre-révolution, tandisque les ouvriers créent les instruments deLeur pouvoir sous la forme des Soviets, ils'ensuit que les ouvriers doivent sepréparer - idéologiquement, politiquement,techniquement - à la lutte des Sovietscontre le parlement, à la dissolution duparlement par les Soviets. Mais il nes'ensuit nullement que cette dissolutionsoit entravée ou ne soit pas facilitée par laprésence d'une opposition soviétique ausein du parlement contre-révolutionnaire. »

Lénine est également parfaitement conscientdes spécificités ayant facilité la révolutionsocialiste en Russie :

« Créer dans les parlements d'Europe unefraction parlementaire authentiquementrévolutionnaire est infiniment plus malaiséqu'en Russie. Evidemment. Mais ce n'estlà qu'un aspect particulier de cette vérité

générale, qu'étant donné la situationhistorique concrète, extrêmementoriginale, de 1917, il a été facile à laRussie de commencer la révolutionsocialiste, tandis qu'il lui sera plus difficilequ'aux pays d'Europe de la continuer etde la mener à son terme. J'ai déjà eul'occasion, au début de 1918, d'indiquer cefait, et une expérience de deux ans aentièrement confirmé ma façon de voir.Des conditions spécifiques telles que :1. la possibilité d'associer la révolutionsoviétique à la cessation - grâce à cetterévolution - de la guerre impérialiste quiinfligeait aux ouvriers et aux paysansd'incroyables tortures;2. la possibilité de mettre à profit,pendant un certain temps, la lutte à mortdes deux groupes de rapaces impérialistesles plus puissants du monde qui n'avaientpu se coaliser contre l'ennemi soviétique;3. la possibilité de soutenir une guerrecivile relativement longue, en partie grâceaux vastes étendues du pays et à sesmauvais moyens de communications;4. l'existence dans la paysannerie d'unmouvement révolutionnaire démocratiquebourgeois si profond que le parti duprolétariat a pu prendre les revendicationsrévolutionnaires du parti des paysans(parti socialiste-révolutionnaire, nettementhostile, dans sa majorité, au bolchevisme)et les réaliser aussitôt grâce à la conquêtedu pouvoir politique par le prolétariat, -pareilles conditions spécifiques n'existentpas actuellement en Europe occidentale, etle renouvellement de conditions identiquesou analogues n'est guère facile.Voilà pourquoi, en plus d'une séried'autres raisons, il est notamment plusdifficile à l'Europe occidentale qu'à nousde commencer la révolution socialiste. »

De là la position de Lénine, qui soutient leréalisme contre le gauchisme :

« Le capitalisme ne serait pas lecapitalisme si le prolétariat "pur" n'étaitentouré d'une foule extrêmement bigarréede types sociaux marquant la transitiondu prolétaire au semi-prolétaire (à celuiqui ne tire qu'à moitié ses moyensd'existence de la vente de sa force detravail), du semi-prolétaire au petitpaysan (et au petit artisan dans la ville ouà la campagne, au petit exploitant engénéral); du petit paysan au paysanmoyen, etc.; si le prolétariat lui-même necomportait pas de divisions en catégoriesplus ou moins développées, groupesd'originaires, professionnels, parfoisreligieux, etc.D'où la nécessité, la nécessité absoluepour l'avant-garde du prolétariat, pour sapartie consciente, pour le Parti

34

Page 35: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

communiste, de louvoyer, de réaliser desententes, des compromis avec les diversgroupes de prolétaires, les divers partisd'ouvriers et de petits exploitants. Le toutest de savoir appliquer cette tactique demanière à élever, et non à abaisser leniveau de conscience général duprolétariat, son esprit révolutionnaire, sacapacité de lutter et de vaincre. »

Lénine souligne bien que la vie l'emportetoujours, et que le processus révolutionnaire esttoujours bien plus riche que ce à quoi on peuts'attendre. Cette reconnaissance du caractèrevivant du mouvement de la matière décidé de lanature politique de l'intervention communiste :

« L'histoire en général, et plusparticulièrement l'histoire des révolutions,est toujours plus riche de contenu, plusvariée, plus multiforme, plus vivante, "plusingénieuse" que ne le pensent les meilleurspartis, les avant-gardes les plusconscientes des classes les plus avancées.Et cela se conçoit, puisque les meilleuresavant-gardes expriment la conscience, lavolonté, la passion, l'imagination dedizaines de mille hommes, tandis que larévolution est, - en des momentsd'exaltation et de tension particulières detoutes les facultés humaines, - l'œuvre dela conscience, de la volonté, de la passion,de l'imagination de dizaines de millionsd'hommes aiguillonnés par la plus âprelutte des classes.De là deux conclusions pratiques d'unegrande importance: la première, c'est quela classe révolutionnaire, pour remplir satâche, doit savoir prendre possession detoutes les formes et de tous les côtés, sansla moindre exception, de l'activité sociale(quitte à compléter, après la conquête dupouvoir politique et parfois au prix d'ungrand risque et d'un danger énorme, cequ'elle n'aura pas terminé avant cetteconquête); la seconde, c'est que la classerévolutionnaire doit se tenir prête àremplacer vite et brusquement une formepar une autre. »

Lénine, enfin, comprend bien que la social-démocratie a été exemplaire - il ne la rejette pas- mais qu'elle n'a pas compris justement lemouvement de la vie :

« Ce qui est advenu à des marxistes d'uneaussi haute érudition, à des chefs de la II°Internationale aussi dévoués au socialismeque Kautsky, Otto Bauer et autres,pourrait (et devrait) être une utile leçon.Ils comprenaient parfaitement la nécessitéd'une tactique souple; ils avaient appriseux-mêmes et ils enseignaient aux autresla dialectique marxiste (et beaucoup de ce

qui a été fait par eux dans ce domainerestera à jamais parmi les acquisitionsprécieuses de la littérature socialiste);mais au moment d'appliquer cettedialectique, ils commirent une erreur sigrande, ou se révélèrent pratiquement detels non-dialecticiens, des hommestellement incapable d'escompter lesprompts changements de forme et larapide entrée d'un contenu nouveau dansles formes anciennes, que leur sort n'estguère plus enviable que celui de Hyndman,de Guesde et Plékhanov.La cause essentielle de leur faillite, c'estqu'ils se sont laissé "hypnotiser" par uneseule des formes de croissance dumouvement ouvrier et du socialisme,forme dont ils ont oublié le caractèrelimité; ils ont eu peur de voir lebouleversement rendu inévitable par lesconditions objectives, et ils ont continué àrépéter des vérités élémentaires, apprisespar cœur, aussi indiscutables à premièrevue que: trois c'est plus que deux.Or, la politique ressemble plus à l'algèbrequ'à l'arithmétique, et encore plus auxmathématiques supérieures qu'auxmathématiques élémentaires. En réalité,toutes les formes anciennes du mouvementsocialiste se sont remplies d'une substancenouvelle; de ce fait un nouveau signe, lesigne "moins", est apparu devant leschiffres, tandis que nos sages ont continuéopiniâtrement (et continuent encore) à sepersuader et à persuader les autres que"moins trois", c'est plus que "moinsdeux". »

Par son analyse, La maladie infantile ducommunisme (le "gauchisme"), Lénine faitpasser le niveau de conscience du mouvementouvrier au stade de la construction socialiste.

12. L'importance historique des notesphilosophiques

Lénine a été victime en 1918 d'un attentatorganisé par les populistes « socialistesrévolutionnaires », et les séquelles serontterribles, Lénine souffrant terriblement, depuis,de migraines et d'insomnies jusqu'aux alertescardiaques en passant par un AVC, la paralysie,etc. Il mourra en 1924, après deux années finalesd'une vie terriblement douloureuse.

Toutefois, il a laissé deux choses qui vontaprès sa mort façonner la Russie et avec elletoute l'Union soviétique.

La première, c'est tout son corpus

35

Page 36: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

idéologique, qui va être résumé principalementde deux manières : d'un côté sous le terme de« marxisme-léninisme » par Staline, qui va êtresuivi par l'ensemble des bolchéviks, et de l'autrepar Trotsky qui considérera que Lénine a rejointses propres positions sur la « révolutionpermanente ».

La seconde, ce sont les notes philosophiquesde Lénine, qui viennent s'ajouter à Matérialismeet empirio-criticisme et forment la base pourl'étude du matérialisme dialectique. Ces notessont publiées en 1929-1930 en URSS, puisrepubliées dans un seul ouvrage, par ailleursdirectement traduit et publié en allemand en1932.

C'est dire l'importance de l'ouvrage s'il vadirectement être transmis au Parti Communisted'Allemagne, alors le plus puissant Parti aprèsle PC d'Union Soviétique (bolchévik). On noterad'ailleurs que c'est précisément l'ouvrage queMao Zedong va citer dans son grand classiqueDe la contradiction.

C'est dire l'importance historique de cetteœuvre pour le matérialisme dialectique.

Les notes de Lénine consistent en deuxchoses : soit en des remarques sur des ouvrages,soit en des extraits d'ouvrages qui sontcommentés dans la marge.

On retrouve, parmi les œuvres étudiées, desœuvres de Hegel : La Science de la logique, sesconférences sur l'histoire de la philosophie, unouvrage sur Hegel (La logique de Hegel, del'idéaliste Georges Noël).

A côté de cela, on trouve des remarques surla Métaphysique d'Aristote, sur les conférencesde Feuerbach sur l'essence de la religion, surl'étude de Leibniz faite par Feuerbach encore,sur l'étude de Héraclite faite par Lassalle.

On trouve également un petit texte intitulé« Sur la question de la dialectique ».

Voici ce que Mao Zedong cite des notes deLénine, dans son propre ouvrage De lacontradiction.

Mao Zedong commence directement sonouvrage en posant la loi de la contradiction eten citant Lénine :

« La loi de la contradiction inhérente auxchoses, aux phénomènes, ou loi de l'unitédes contraires, est la loi fondamentale dela dialectique matérialiste. Lénine dit:« Au sens propre, la dialectique est l'étudede la contradiction dans l'essence mêmedes choses... » Cette loi, Lénine ditsouvent qu'elle est le fond de ladialectique, il dit aussi qu'elle est le noyaude la dialectique. »

Voici d'autres passages où Mao se réfèredirectement aux notes de Lénine :

« La définition, donnée par Lénine, de laloi de l'unité des contraires, dit qu'elle« reconnaît (découvre) des tendancescontradictoires, opposées et s'excluantmutuellement dans tous les phénomènes etprocessus de la nature (et de l'esprit et dela société dans ce nombre) ». »« Lénine illustrait à son tour l'universalitéde la contradiction par les exemplessuivants: « En mathématiques, le + et le-. Différentielle et intégrale. Enmécanique, action et réaction. Enphysique, électricité positive et négative.En chimie, union et dissociation desatomes. Dans la science sociale, lutte declasse ». »« Lénine dit : « La dialectique est lathéorie qui montre comment les contrairespeuvent être et sont habituellement (etdeviennent) identiques - dans quellesconditions ils sont identiques en seconvertissant l'un en l'autre -, pourquoil'entendement humain ne doit pas prendreces contraires pour morts, pétrifiés, maispour vivants, conditionnés, mobiles, seconvertissant l'un en l'autre ». »« Lénine dit : « L'unité (coïncidence,identité, équipollence) des contraires estconditionnée, temporaire, passagère,relative. La lutte des contraires quis'excluent mutuellement est absolue, demême que l'évolution, de même que lemouvement ». »« Nous autres, Chinois, nous disonssouvent: « Les choses s'opposent l'une àl'autre et se complètent l'une l'autre. »Cela signifie qu'il y a identité entre leschoses qui s'opposent. Ces parolescontiennent la dialectique; ellescontredisent la métaphysique.« Les choses s'opposent l'une à l'autre »,cela signifie que les deux aspectscontradictoires s'excluent l'un l'autre ouqu'ils luttent l'un contre l'autre ; elles « secomplètent l'une l'autre », cela signifie quedans des conditions déterminées les deux

36

Page 37: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

aspects contradictoires s'unissent etréalisent l'identité. Et il y a lutte dansl'identité; sans lutte, il n'y a pasd'identité. Dans l'identité, il y a la lutte,dans le spécifique, l'universel, et dans leparticulier, le général. Pour reprendre laparole de Lénine, « il y a de l'absolu dansle relatif ». »

Voici d'autres citations des notes de Léninefaites par Mao Zedong dans De lacontradiction :

« Les deux concepts fondamentaux (ou lesdeux possibles? ou les deux conceptsdonnés par l'histoire?) du développement(de l'évolution) sont: le développement entant que diminution et augmentation, entant que répétition, et le développementen tant qu'unité des contraires(dédoublement de ce qui est un, encontraires qui s'excluent mutuellement, etrapports entre eux). »« Le dédoublement de ce qui est un et laconnaissance de ses parties contradictoires(voir, dans l'Héraclite de Lassalle, lacitation de Philon sur Héraclite au débutde la IIIe partie, De la Connaissance)constituent le fond (une des 'essences',une des particularités ou traits principaux,sinon le principal) de la dialectique. »« Et également les notes sur « La Sciencede la logique de Hegel », livre trois,troisième section : « L'idée » dans« Résumé de La Science de la logique deHegel » (septembre- décembre 1914), oùLénine dit : « On peut brièvement définirla dialectique comme la théorie de l'unitédes contraires. Par là on saisira le noyaude la dialectique, mais cela exige desexplications et un développement.» »

On sait également que les communistes deChine populaire ont souvent mentionné la« spirale » pour décrire le processus deconnaissance. Or, voici ce qu'on lit égalementdans les notes de Lénine :

« La connaissance humaine n'est pas (oune décrit pas) une ligne droite, mais uneligne courbe qui se rapproche indéfinimentd'une série de cercles, d'une spirale. Toutsegment, tronçon, morceau de cette courbepeut être changé (changé unilatéralement)en une ligne droite indépendante, entière,

qui (si on ne voit pas la forêt derrière lesarbres) conduit alors dans le marais, à labondieuserie (où elle est fixée par l'intérêtde classe des classes dominantes).Démarche rectiligne et unilatéralité,raideur de bois et ossification,subjectivisme et cécité subjective, voilà lesracines gnoséologiques de l'idéalisme.Et la bondieuserie (=idéalismephilosophique) a, naturellement, desracines gnoséologiques, elle n'est pasdépourvue de fondement ; c'est une fleurstérile, c'est incontestable, mais une fleurstérile qui pousse sur l'arbre vivant de lavivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissancehumaine. »

Ce dernier passage est une allusion directe àFeuerbach, qui a réussi à déchiffrer les religionscomme étant non pas une aberration, mais unetentative insuffisante de retranscrire le monde.

Et le monde est éternel, se développantéternellement de manière dialectique ; voici ceque dit encore Lénine dans ses notes :

« Élasticité tous azimuts, universelle, desconcepts, élasticité qui va jusqu'àl'identité des contraires – c'est là queréside l'essentiel.Cette flexibilité, utilisée subjectivement =éclectique et sophistique.Si cette élasticité est utiliséeobjectivement, c'est-à-dire si elle reflète lecaractère tous azimuts du processusmatériel et de son unité, alors elle estdialectique, elle est le reflet correct dudéveloppement éternel du monde. »

Les notes de Lénine ont été directementutilisées pour le développement du matérialismedialectique ; Staline a préservé ce patrimoine,permettant aux communistes d'y avoir accès, etc'est sur ce terreau que Mao Zedong pourra lui-même développer le marxisme-léninisme.

Dans le contexte de la révolution russe, celasignifie qu'alors que Lénine meurt en 1924, sesapports théoriques et idéologiques sont sauvés etservent directement le nouveau régime.

Annexes du dossier La révolution russe

37

Page 38: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

Thèses d'Avril, Lénine(avril 1917)

Les tâches du prolétariat dans laprésente révolution

Thèses d’avril

N’étant arrivé à Petrograd que dans la nuitdu 3 au 4 avril, je ne pouvais naturellement, àla réunion du 4, présenter un rapport sur lestâches du prolétariat révolutionnaire qu'en monnom propre et en faisant les réserves motivéespar mon manque de préparation.

La seule chose que j'aie pu faire pour facilitermon travail, et celui des contradicteurs de bonnefoi, a été de préparer des thèses écrites. J'en aidonné lecture et transmis te au camaradeTsérétélli. Je les ai lues très lentement et à deuxreprises : d'abord à la réunion des bolcheviks,ensuite à celle des bolcheviks et des mencheviks.

Je présente ici ces thèses qui me sontpersonnelles, accompagnées simplement de trèsbrèves remarques explicatives ; elles ont étédéveloppées avec beaucoup plus de détails dansmon rapport.

Thèses

1. Aucune concession, si minime soit-elle, au« jusqu'auboutisme révolutionnaire » ne sauraitêtre tolérée dans notre attitude envers la guerrequi, du côté de la Russie, même sous le nouveaugouvernement de Lvov et Cie, est demeuréeincontestablement une guerre impérialiste debrigandage en raison du caractère capitaliste dece gouvernement.

Le prolétariat conscient ne peut donner sonconsentement à une guerre révolutionnaire, quijustifierait réellement le jusqu'auboutismerévolutionnaire, que si les conditions suivantessont remplies : a) passage du pouvoir auprolétariat et aux éléments pauvres de lapaysannerie, proches du prolétariat ; b)renonciation effective, et non verbale, à toute

annexion; c) rupture totale en fait avec lesintérêts du Capital.

Etant donné l'indéniable bonne foi des largescouches de la masse des partisans dujusqu'auboutisme révolutionnaire quin'admettent la guerre que par nécessité et nonen vue de conquêtes, et étant donné qu'ellessont trompées par la bourgeoisie, il importe deles éclairer sur leur erreur avec unepersévérance, une patience et un soin toutparticuliers, de leur expliquer qu'il existe un lienindissoluble entre le Capital et la guerreimpérialiste, de leur démontrer qu'il estimpossible de terminer la guerre par une paixvraiment démocratique et non imposée par laviolence, sans renverser le Capital.

Organisation de la propagande la plus largede cette façon de voir dans l'armée combattante.

Fraternisation.

2. Ce qu'il y a d'original dans la situationactuelle en Russie, c'est la transition de lapremière étape de la révolution, qui a donné lepouvoir à la bourgeoisie par suite du degréinsuffisant de conscience et d'organisation duprolétariat, à sa deuxième étape, qui doitdonner le pouvoir au prolétariat et aux couchespauvres de la paysannerie.

Cette transition est caractérisée, d'une part,par un maximum de possibilités légales (laRussie est aujourd'hui, de tous les paysbelligérants, le plus libre du monde); de l'autre,par l'absence de contrainte exercée sur lesmasses, et enfin, par la confiance irraisonnée desmasses à l'égard du gouvernement descapitalistes, ces pires ennemis de la paix et dusocialisme.

Cette situation originale exige que noussachions nous adapter aux conditions spécialesdu travail du Parti au soin de la masseprolétarienne innombrable qui vient de s'éveiller

38

Page 39: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

à la vie politique.

3. Aucun soutien au Gouvernementprovisoire; démontrer le caractère entièrementmensonger de toutes ses promesses, notammentde celles qui concernent la renonciation auxannexions. Le démasquer, au lieu d'« exiger » -ce qui est inadmissible, car c'est semer desillusions - que ce gouvernement, gouvernementde capitalistes, cesse d'être impérialiste.

4. Reconnaître que notre Parti est enminorité et ne constitue pour le moment qu'unefaible minorité, dans la plupart des Soviets desdéputés ouvriers, en face du bloc de tous leséléments opportunistes petits-bourgeois tombéssous l'influence de la bourgeoisie et qui étendentcette influence sur le prolétariat. Ces élémentsvont des socialistes-populistes et dessocialistes-révolutionnaires au Comitéd'Organisation1 (Tchkhéidzé, Tsérétélli, etc.), àStéklov, etc., etc.

Expliquer aux masses que les Soviets desdéputés ouvriers sont la seule forme possible degouvernement révolutionnaire, et que, parconséquent, notre tâche, tant que cegouvernement se laisse influencer par labourgeoisie, ne peut être que d'expliquerpatiemment, systématiquement, opiniâtrementaux masses les erreurs de leur tactique, enpartant essentiellement de leurs besoinspratiques.

Tant que nous sommes en minorité, nousnous appliquons à critiquer et à expliquer leserreurs commises, tout en affirmant la nécessitédu passage de tout le pouvoir aux Soviets desdéputés ouvriers, afin que les massess'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience.

5. Non pas une république parlementaire, – yretourner après les Soviets des députés ouvriersserait un pas en arrière, – mais une républiquedes Soviets de députés ouvriers, salariésagricoles et paysans dans le pays tout entier, de

1 Le Comité d’Organisation était le regroupement formé en1912 par les liquidateurs, chauvin durant la guerremondiale. Il fonctionnera jusqu’à l’élection, en août 1917,du Comité Central menchévique.

la base au sommet.

Suppression de la police, de l'armée2 et ducorps des fonctionnaires.

Le traitement des fonctionnaires, élus etrévocables à tout moment, ne doit pas excéderle salaire moyen d'un bon ouvrier.

6. Dans le programme agraire, reporter lecentre de gravité sur les Soviets de députés dessalariés agricoles.

Confiscation de toutes les terres des grandspropriétaire fonciers.

Nationalisation de toutes les terres dans lapays et leur à la disposition des Soviets locauxde députés des salariés agricoles et des paysans.Formation de Soviets de députés des paysanspauvres. Transformation de tout grand domaine(de 100 à 300 hectares environ., en tenantcompte des conditions locales et autres et sur ladécision des organismes locaux) en uneexploitation modèle placée sous le contrôle desdéputés des salariés agricoles et fonctionnantpour le compte de la collectivité.

7. Fusion immédiate de toutes les banques dupays en une banque nationale unique placéesous le contrôle des Soviets des députés ouvriers.

8. Notre tâche immédiate est non pasd'« introduire » le socialisme, mais uniquementde passer tout de suite au contrôle de laproduction sociale et de la répartition desproduits par les Soviets des députés ouvriers.

9. Tâches du Parti :

a. convoquer sans délai le congrès duParti;

b. modifier le programme du Parti,principalement :

1. sur l’impérialisme et la guerreimpérialiste,

2. sur l'attitude envers l'État et notrerevendication d'un « Etat-Commune3 »,

2 C'est-à-dire remplacement de l'armée permanente parl'armement du peuple tout entier. (Note de l’auteur)

3 C'est-à-dire d'un Etat dont la Commune de Paris a été la

39

Page 40: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

3. amender le programme minimum,qui a vieilli;

c. changer la dénomination du Parti4.

10. Rénover l'Internationale.

Prendre l'initiative de la création d'uneInternationale révolutionnaire, d'uneInternationale contre les social-chauvins etcontre le « centre5 ».

Afin que le lecteur comprenne pourquoi j'aidû envisager spécialement, comme tout à faitexceptionnel, le « cas éventuel » decontradicteurs de bonne foi, je l'invite àcomparer à ces thèses l'objection suivante demonsieur Goldenberg : Lénine « a plantél'étendard de la guerre civile au sein de ladémocratie révolutionnaire » (cité dans le n°5de l'Edinstvo6 ! de M. Plékhanov).

N'est-ce pas une perle, en vérité ?

J'écris, je déclare, je ressasse : « Etant donnél'indéniable bonne foi des larges couches de lamasse des partisans du jusqu'auboutismerévolutionnaire.... et étant donné qu'elles sonttrompées par la bourgeoisie, il importe de leséclairer sur leur erreur avec une persévérance,une patience et un soin tout particuliers... »

Or, voici comment ces messieurs de labourgeoisie, qui se disent social-démocrates, quine font partie ni des larges couches ni de lamasse des partisans du jusqu'auboutisme,exposent avec un front serein ma position :« L'étendard (!) de la guerre civile (dont il n'estpas dit un mot dans la thèses, dont il n'a pas

préfiguration. (Note de l’auteur)4 A l'appellation de « social-démocratie », il faut substituer

celle de Parti communiste, les chefs officiels de lasocial-démocratie (« jusqu'auboutistes » et « kautskistes »hésitants) ayant trahi le socialisme dans le monde entier etpassé à la bourgeoisie. (Note de l’auteur)

5 On appelle « centre », dans la social-démocratieinternationale la tendance qui hésite entre les chauvins(=« jusqu'auboutistes ») et les internationalistes, à savoir.Kautsky et Cie en Allemagne, Longuet et Cie en France,Tchkhéidzé et Cie en Russie, Turati et Cie en Italie,MacDonald et Cie en Angleterre, etc. (Note de l’auteur)

6 Edinstvo (l’Unité). Quotidien dont Plékhanov était lerédacteur en chef. Parût de mars à novembre 1917, puis endécembre 1917-janvier 1918.

été dit un mot dans le rapport !) est planté (!) »« au sein (!!) de la démocratierévolutionnaire... »

Qu'est-ce à dire ? En quoi cela diffère-t-il dela propagande des ultras? de la RousskaïaVolia7 ?

J'écris, je déclare, je ressasse : « Les Sovietsdes députés ouvriers sont la seule forme possiblede gouvernement révolutionnaire et, parconséquent, notre tâche ne peut être qued'expliquer patiemment, systématiquement,opiniâtrement aux masses les erreurs de leurtactique, en partant essentiellement de leursbesoins pratiques... »

Or des contradicteurs d'une certaine espèceprésentent mes idées comme un appel à la« guerre civile au sein de la démocratierévolutionnaire » !!

J'ai attaqué le Gouvernement provisoireparce qu'il n'a pas fixé un terme rapproché, niaucun terme en général, à la convocation del'Assemblée constituante, et s'est borné à despromesses. Je me suis appliqué à démontrer quesans les Soviets des députés ouvriers et soldats,la convocation de l'Assemblée constituante n'estpas assurée et son succès est impossible.

Et l'on me prétend adversaire d'uneconvocation aussi prompte que possible del'Assemblée constituante !!!

Je qualifierais ces expressions de« délirantes » si des dizaines d'années de luttepolitique ne m'avaient appris à considérer labonne foi des contradicteurs comme une chosetout à fait exceptionnelle.

M. Plékhanov a, dans son journal, qualifiémon discours de « délirant ». Fort bien,monsieur Plékhanov ! Mais voyez comme vousêtes gauche, maladroit et peu perspicace dansvotre polémique. Si, pendant deux heures, j’aiprononcé un discours délirant, comment des

7 Rousskaïa Volia (la Volonté Russe) : quotidiensubventionné par les grandes banques qui parût dedécembre 1916 à octobre 1917. Lénine le tenait pour l’undes plus infâmes journaux bourgeois.

40

Page 41: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

La révolution russe

centaines d’auditeurs ont-ils pu supporter mondélire ? Cela ne tient pas debout, mais pas dutout.

Certes, il est beaucoup plus facile des’exclamer, d’injurier, de pousser les hauts cris,que d’essayer de raconter, d’expliquer, derappeler la façon dont Marx et Engels ontanalysé en 1871, 1872, 1875 l’expérience de laCommune de Paris et ce qu’ils ont dit de lanature de l’Etat qui est nécessaire auprolétariat.

M. Plékhanov, ex-marxiste, ne veutprobablement pas se souvenir du marxisme.

J’ai cité Rosa Luxemburg, qui, le 4 août19148 qualifiait la social-démocratie allemandede « cadavre puant ». Or MM. Les Plékhanov,les Goldenberg et Cie s’en « formalisent »…pour qui ? – pour les chauvins allemandsqualifiés de chauvins !

Les voilà bien empêtrés, les pauvres social-chauvins russes, socialistes en paroles, chauvinsen fait.

Paru le 7 avril 1917 dans le n°26 de la« Pravda »

8 Le 4 août 1914, la social-démocratie allemande votait lescrédits de guerre et passait par là-même du coté de l’ordrebourgeois. La gauche social-démocrate s’opposa à ce voteau sein de la fraction parlementaire mais respecta ladiscipline de vote, se soumettant ainsi provisoirement àl’appareil social-démocrate.

41

Page 42: 1917 et l'Union soviétique La révolution russelesmaterialistes.com/fichiers/pdf/dossiers/pcmlm-revolution-russe.pdf · La révolution russe grandes entreprises, les mines et le

Les dossiers du PCMLM

Première publication : mai 2014Illustration de première page : Ilya Repine, Manifestation du 17 octobre 1905 (1907-11)

42