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BALTHAZARE CHAZARD

LES CHOCOLATS DE MOLENBEEK Roman © Sté des Gens de Lettres

L'homme qui rêve

2 J'vous ai apporté des bonbons Parce que les fleurs, c'est périssable Et les bonbons, c'est tellement bon Bien qu'les fleurs soient plus présentables... Jacques Brel Ne croyez pas que je sois venu Pour abolir la Loi et les prophètes Je ne suis pas venu pour abolir la Loi Mais pour l'accomplir ! Jésus (Mathieu 5-17)

3 PROLOGUE Je passai près de toi et je te vis. Et voici que ton temps était celui des témoignages d'amour. Alors tu me fis un signe de la main. On pourrait qualifier cette rencontre de providentielle ou de fortuite, pourtant, je reste persuadé qu'elle ne le fut en rien. Il vient en effet un temps dans notre vie où, par un lâcher-prise inconscient, on consent un espace au sein de notre ego qui permet alors d'accueillir "l'autre". Il y aurait beaucoup à dire sur les rencontres. Mais à quoi bon. Elles sont toujours empreintes d'une certaine magie, d'une aura intemporelle et décisive, où deux êtres cheminant aveuglément l'un vers l'autre effectuent enfin cette jonction voulue par leur désir profond. C'est une loi, une loi de l'Univers. Et il n'est d'autre Loi que celle de l'Univers. On pourrait gloser tout aussi interminablement sur les prophètes qui, avec leurs petits moyens et leur grand désir, ont perçu des bribes du discours immanent. Notez que je n'évoque nullement ici un discours divin ! Pour

4 moi, pas de divin. Juste la merveilleuse cohérence de l'Énergie et de la Matière, de la mémoire qu'elles recèlent en leur sein, depuis la formation des Mondes. Combien en effet d'univers respirent-ils dans leur bulle, s'exhalant et se rétractant, créant leur espace depuis un vide jamais vide, depuis ce que l'on peut certainement nommer une éternité. Mais cette éternité n'a en fait aucun sens puisque, dans le tissu profond, n'existe ni temps ni espace mais un présent continu. Présent dont nous bénéficions, au prix cependant d'une détérioration due à notre thermie, qui seule crée le temps et par la même... le second principe de la thermodynamique : l'entropie. Comme énoncé plus haut : les lois de l'Univers sont incontournables. Elles n'appellent aucun commandement. Et un, pas plus que dix ! Elles n'ont pas non plus la nécessité d'être gravées dans la pierre -nous semblant immuables- ni sur aucune table, juste elles SONT. Elles nous moulent, elles nous sculptent. Elles nous dirigent et nous enseignent. Elles ne nous veulent aucun mal. Mais dire qu'elles sont amour est peut-être inadéquat, quoique... En dehors de l'amour, que reste-t-il à l'Homme ? RIEN ! S'il avait un peu de bon sens, il s'en rendrait compte. Alors, mieux vaut estimer que l'Univers n'est qu'amour, sinon... il ne serait rien. Néanmoins, je t'ai rencontrée. Et ma vie a changé du tout au tout. L'amour que nous avons fait ensemble avait du sens, autant qu'il éveilla nos sens. Nous avons éprouvé et prouvé la vie. Je puis dire à présent que l'essentiel n'est pas dans la durée

5 des sentiments, mais bien dans le fait de les ressentir. Ces moments s'impriment en nous comme une étoile scintillante au fond d'un puits, mouvante et à jamais vibrante. Un sceau. Une empreinte. Un tatouage indélébile. À présent que tu n'es plus là, j'en reste éclairé, voire illuminé.

6 CHAPITRE PREMIER Comme il faisait doux ce soir-là, nous sommes allés nous promener. Nous avons flâné dans les rues, puis nous nous sommes assis à une terrasse. S'asseoir à une terrasse en novembre est assez rare. Une terrasse non chauffée s'entend où, tout autour de nous, des gens jeunes et moins jeunes discutaient devant un verre. Je me souviens d'avoir commandé comme toi un Côte du Rhône. Il était bon et d'une jolie robe grenat ; il réchauffait le corps comme un élixir de plaisir. Et puis je me suis absenté un moment pour me rendre aux toilettes. D'en bas, dans le sous-sol, j'ai entendu une salve de pétards. Cela m'a étonné sans plus. Mais j'ai bientôt perçu des cris d'horreur et des appels à l'aide. J'ai refermé ma braguette à la hâte, glacé par un étrange sentiment d'inéluctable et d'accompli. Je suis remonté en courant et j'ai vu le carnage. Tous ces corps gisant dans leur sang, par terre, sur la terrasse. Une balle avait atteint et pulvérisé ton verre de vin, pas le mien. Le vin coulait sur toi, avec ton sang. Pourquoi est-ce la première chose que j'ai remarquée ? Avant de te voir toi. Affaissée, tombée de ta chaise. Recroquevillée. Inerte. Morte.

7 Ce qui s'est passé par la suite, ce soir du vendredi 13 novembre 2015 à Paris, je ne saurais le dire précisément. J'étais si choqué, qu'assis par terre, je serrais toujours ton corps dans mes bras lorsque les secours sont arrivés. Les premières ambulances. Je t'avais fermé les yeux. Ton visage exprimait une infinie surprise. Des gens m'ont fait asseoir. Ils ont couvert ton corps et ils l'ont emporté. Mon téléphone a sonné alors. C'était Pierre, qui nous sachant dans le quartier, prenait de nos nouvelles. Il est venu me chercher. Ensuite, je ne sais plus vraiment. J'ai dû prendre un cachet. J'ai dû dormir. Et puis il y a eu les témoignages, et moi d'expliquer alors qu'une envie de pisser m'avait sauvé la vie. Je n'ai rien vu. C'est ridicule. Mais je suis vivant. Et la famille et l'enterrement. Et les médias et les journaux. Et les bouquets et les bougies. Et les gens stupéfiés. Comme le monde entier, qui n'arrivait pas à réaliser que c'était arrivé à Paris, par un beau soir de novembre. Au début du mois de janvier de la même année, on avait déjà eu peine à croire que des humoristes soient morts d'une rafale de kalachnikov, juste parce qu'ils avaient dessiné un prophète, disparu il y a quelques mille-quatre-cents ans ! Que d'autres soient morts parce qu'ils étaient policiers ou bien juifs, on en avait déjà vécu l'horreur et l'injustice. Mais de l'absurde, on passait à présent au non-sens absolu et à l'arbitraire : des jeunes gens aux terrasses de café, d'autres lors d'un concert.

8 Une guerre était déclarée et nous n'en savions rien. Une guerre à la jeunesse, à l'art de vivre ensemble, à la liberté, à la fraternité. Je ne parlerai pas là d'égalité, en effet, les hommes ne sont jamais vraiment égaux que dans la mort. Chacun est unique en soi-même et, quoi qu'on fasse, les lois en vigueur n'évitent jamais les discriminations. Les démocraties sont imparfaites, certes, mais elles sont ce que nous avons de meilleur. Quant à nous deux, nous n'étions pas vraiment dans la prime jeunesse. Notre vie était faite, mais elle avait encore tant affaire avec l'à venir ! Je me suis attaché à mes cours et à mes conférences. Ils furent pour moi, passé la prostration, l'unique bouée susceptible de me tenir à flot dans cette vie. Mais toi, tu es privée de voix à tout jamais. Ce qui, pour une chanteuse est affreusement triste. Moi, je suis physicien et j'ai de la ressource. J'ai l'Univers. Et l'Univers et moi devons tenter, à présent de comprendre. Il nous est impossible de laisser les choses en l'état. Tout d'abord il me faut affirmer à nouveau que je ne suis pas religieux, ni affilié. En aucune façon. Toutes les religions m'insupportent, me révulsent. Elles sont toutes anciennes et sclérosées, ne sont que "reliques" du passé et servent de prétexte à une humanité paresseuse. Par leurs rites répétés, elles effacent toute parole authentique, toute compréhension de l'immanence. Elles ne sont plus que des sépulcres blanchis, garnis de momies. Et dans ma peine immense, j'avoue n'avoir

9 trouvé de réconfort qu'auprès d'un homme, un seul : l'homme Jésus. Un Juif. L'homme Jésus et d'abord sa parole. Du moins ce qu'il en reste, après que les dogmes l'aient tant déformée qu'elle devient de nos jours presque inaudible. Illisible. Imperceptible au milieu de ce fatras de bondieuseries et de mensonges. D'embellissements et d'enluminures inutiles. Sa parole à cet homme, qui n'était que tolérance et amour. Liberté. Choix. Désir. Et le premier à dire que nous étions tous nés d'un même père ! Tous égaux de ce côté-là, tout du moins. Nous voilà, à présent, face à deux égalités : celle de la mort bien sûr, qui nous rattrape tous, mais également celle de la naissance. Naissance d'avant notre naissance. "Issus de" que nous sommes. Issus de la Force et de la Matière. Issus de la poussière des étoiles lointaines, qui ont cuit et forgé en leur sein presque tous les atomes dont nous sommes constitués. Cette Force, dans leur ignorance et leur grande intuition, les hommes de tout temps l'ont nommée Dieu. Elle s'est souvent éparpillée en plusieurs. Mais peu à peu, prenant de la hauteur, elle est apparue à certains comme unique. C'est vrai qu'elle est unique cette Force, qui même scindée en quatre régit notre Univers. Cette Force est unique et elle EST. Elle danse. Elle chante. Elle vibre. Et d'elle... nous savons peu de choses, parce qu' elle n'a pas d'origine. Notre Univers vient d'elle. Et lui a une histoire. Et il a une mémoire. Mais appeler Dieu la Force autant que l'Univers me semble maintenant

10 bien impropre. Et "tout puissant" encore bien davantage. En revanche, oui, l'Univers est notre père à tous ! Et s'il n'a de barbe que la queue des comètes, il est néanmoins beau et lumineux. À défaut d'être bon. Quoiqu'il ait la bonté de permettre la Vie ! C'est une de ses lois. Les lois de l'Univers qui toujours équilibrent les forces. La Force, qui ne sait se scinder qu'en symétries. Lorsqu'elle ne miroite pas en infinies fractales, s'égrenant après la virgule du π 3,14... nous laissant croire qu'elle est certainement ronde. Il faudrait qu'avec le temps... qui chacun sait... va, tout s'en va... nous cessions de voir du divin dans tout cela. Les seuls miracles ne sont jamais que ceux que nous accomplissons nous-mêmes, lorsque nous croyons !... en nous. Et lorsque nous nous prions, très intimement, de réaliser nos vœux et nos souhaits les plus chers ! Qui d'autre ? Cependant nos miracles sont très relatifs... ils ne peuvent violer les lois de l'Univers, voilà le hic ! Et toute notre technicité n'a rien de magique. Elle est le fruit de notre compréhension, justement, de certaines de ces lois. Et qui peut s'arroger le titre de prophète ? Quelque mystique en crise ? Dont soudain les délires, comme ceux de "Jacques-a-dit", sont écrits dans les livres ? Alors que le discours de la science est tout autre. Ce qu'elle dit n'est pas prophétie mais recherches. Comparaisons. Et vérifications. Nous ne vivons, dans notre monde moderne, que par les lois d'Einstein et de Max Planck. Mais faute d'être correctement enseignées dès la petite enfance, on

11 envoie toujours les enfants d'abord au catéchisme, à la Schule et dans les écoles coraniques ! Cela véritablement n'a pas de sens. Il devrait être interdit d'enseigner quelques principes religieux à des enfants, dont l'esprit n'est pas encore fait et qui n'ont pas acquis la faculté de juger par eux-mêmes. En revanche, il est de toute nécessité d'apprendre très tôt à ces enfants que le feu brûle et que l'on peut se noyer, même dans très peu d'eau ! Que la Terre tourne autour du Soleil ! Et que nous habitons au sein d'une belle galaxie : la Voie Lactée, qui compte elle-même quelques deux-cent-trente-quatre milliards d'étoiles comme le Soleil, aux dernières nouvelles ! Et que dans le seul Univers visible, on dénombre plus de cent-trente milliards de galaxies ! Cela, oui, on peut le leur dire et le leur inculquer ! Rien de plus fascinant, merveilleux et... vrai ! On peut leur raconter aussi, dès leur plus jeune âge, que la Vie est une. Qu'elle court avec la même vigueur dans le corps des animaux et des plantes. On peut leur affirmer sans mentir que tout dans l'Univers n'est constitué que des mêmes briques invisibles et dansantes, des rochers aux étoiles et toutes autres planètes... jusqu'à eux, petits hommes ! Constitués des mêmes petits Lego impalpables, improbables ! Ils comprennent cela très bien, les enfants ! Et leur regard s'allume. Ils lèvent alors vers le ciel un visage assoiffé de connaissance. Et ils n'ont nulle envie de tomber à genoux ! Au contraire, ils se lèvent pour mieux voir. Ils se lèvent dans cette position qu'a voulu la

12 nature, lorsqu'elle a poussé nos ancêtres dans la savane, alors qu'ils vivaient encore dans les arbres et marchaient à quatre pattes. En vérité je vous le dis : l'homme est fait pour vivre debout ! Et non pas à genoux ! Il ne tombe à genoux que lorsqu'il a trébuché sur un obstacle ! Ou bien qu'il n'est encore qu'un tout petit enfant qui ne sait pas marcher ! Mais vraiment, se prosterner devant la force et la matière, devant le soleil et devant les étoiles, cela n'a aucun sens ! Prier l'Univers n'en a pas plus. Contempler sa beauté, les yeux bien ouverts, en revanche, ne peut que rendre heureux. Admiratif devant tant d'équilibre. Il est facile alors d'y voir de l'amour ! Il n'est que l'amour, en effet, pour épanouir un monde ! Et il n'est que l'amour pour générer la vie. La vie qui croît malgré ce principe destructeur d'entropie, qui finit par tout mélanger en une soupe infâme. Et par nous faire vieillir et puis mourir. Mais toujours, comme un témoin, le flambeau est passé, de générations en générations. C'est la Loi. La vie est néguentropique... Allons-nous la violer d'une rafale de kalachnikov ? Cela n'a aucun sens. Comment des êtres aussi incultes peuvent-ils semer la mort ? Comment l'avons-nous permis ? Chez nous ? Il n'y a qu'une seule réponse à cela : nous avons été bien négligents. Nous n'avons pas éduqué ces enfants. Nous les avons laissés croupir dans l'ignorance et les superstitions d'un autre âge. Pensez ! Soixante-douze vierges ! Mais c'est un bouquet de verges qui les attendent ! Comment un

13 esprit humain adulte peut-il être aussi crédule et malléable ? Voilà bien la question. Ou si désespéré, nié, humilié, sans espoir en la vie ? Pour tomber ainsi dans la barbarie la plus abjecte, il faut une raison. Et quand la raison n'a plus raison, il faut en trouver une ! Qu'elle passe par Reich, par Freud ou par Carl Gustav Jung, il faut la mettre à jour ! Je n'aurai de cesse de la chercher : et je la trouverai ! En vérité, moi je vous le dis !

14 DEUXIÈME CHAPITRE Je prie. Je me prie. Je prie mon désir sans fin de la vie. Je me prie de trouver une issue au bout de ce tunnel. Je prie l'Univers de me prêter sa force et sa matière pour tracer un chemin. Je prie l'amour que j'ai pour toi de m'aider à me tenir debout. Me soumettre ? Jamais ! C'est moi qui ai des bras pour faire, un cerveau pour penser, une conscience pour percevoir, comme un radar balayant la nuit profonde et insondable, l'espace d'années-lumière. Les fossiles sont enterrés profond parfois, d'autres affleurent encore. Le passé est tout à fait passé. Et tous nos instants sont neufs. Nous ne pouvons être qu'émerveillés. Ce que je fais, personne ne peut le faire à ma place. Ce que je suis, personne ne l'est. Et la liberté m'habite. Tout est à réinventer. Le présent c'est moi. Ici. Maintenant. Et les bienheureux animaux vivent dans le présent immédiat. Comme tout ce qui est vivant. Pourquoi nous les humains dévions-nous de cette perception naturelle ? Pourquoi cette procrastination malsaine nous habite-t-elle sans cesse ? Ou bien cette fuite

15 craintive, ce replis dans un passé passé et dépassé ? La mémoire ? Mais les animaux aussi ont de la mémoire ! La mémoire ne les empêche pas de vivre, alors que nous, la mémoire nous submerge ! Il n'est qu'une chose à faire : s'entre-vivre ! Et la vie dépend toujours du ventre des femmes, des matrices des femelles, des cellules mères. Elles seules la nourrissent. Comment des crétins prétentieux et arrogants ont-ils pu prétendre que la femme venait de la côte d'un l'homme ? Quel non-sens absolu. Quel blasphème suprême. Quel mensonge ! Quel mépris ! Comme tu me manques ! Je suis pauvre sans toi. Je suis laid. Stérile. Seul. Tu me manques. Mais tu ne reviendras jamais par ma côte... Et je me noie dans le Côte du Rhône. Tu étais juste à mes côtés et j'étais heureux. Il n'est qu'une loi, celle de l'amour. Ne juge pas ! Voilà une parole qu'a prononcée l'homme Jésus. Ne juge pas, parce que tu ne sais pas quel est le cheminement intime de ton semblable. Dans quelles affres il se débat. Dans quel labyrinthe est perdue sa raison. Il n'y a qu'en l'aimant que tu peux le rejoindre. Mais pour l'aimer, il faut déjà t'aimer toi-même ! Te considérer comme une personne par qui ça sonne ! Et quoi sonne à travers toi, si ce n'est l'Univers ne cessant de faire vibrer ses cordes ? Il te parle. Ce n'est pas un dieu. Ce n'est pas fantastique. Juste de la physique quantique. En retour tu vibres de tout ton corps par tes sens sensibles et tes ondes lui répondent. C'est un continuel dialogue. Non pas avec l'ange ou le dieu, mais avec ce grand être. Et

16 ces ondes, ces particules, cette lumière te traversent, tout en le traversant. C'est cet échange qui crée la réalité. Ta réalité. Le seul tiers : l'interface où se fait cet échange, c'est le moment présent. Et c'est toi qui le sculpte. Il faut être cependant bien conscient que tu ne peux sculpter que ta réalité. Mais que la somme de celle des "autres" t'entraîne bien souvent dans un tourbillon, un cyclone, une vague de fond, un tsunami contre lequel tes propres forces ne peuvent pas grand-chose. Petite molécule d'eau dans une vague. Si j'avais été à bord d'un avion sur le point d'être frappé par un missile, il aurait été vain pour moi de m'échapper par les toilettes... Yann Arthus Bertrand avait aimablement cédé sa place à Daniel Balavoine dans l'hélicoptère, à la demande de Thierry Sabine. Il a sauvé sa vie. Un méchant vent de sable a abattu l'hélicoptère, faisant cinq morts. La rafale de kalachnikov qui t'a emportée était un sale coup de vent sur une mer devenue brusquement déchaînée. Et je m'étais réfugié dans la cale du navire. Sans le savoir. Par quelque obscure intuition impossible à définir. Un sixième sens que je me refuserai toujours à nommer le hasard. Que savons-nous du chemin profond que nous suivons à l'aveuglette ? Pas grand-chose. Et pourquoi est-ce ta vie dans ce monde qui s'est interrompue et pas la mienne ? C'est la douloureuse question que se pose tout survivant. Faire son deuil est le processus qui tend à ne plus s'interroger et à accepter. Ce qui revient encore à se soumettre.

17 Alors, je ne ferai pas mon deuil. Du moins pas maintenant. Et je l'ai déjà dit : je ne me soumettrai pas ! Je veux savoir. Je veux comprendre. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, paraît-il. Eh bien tant pis ! Je persiste. Et je signerai... Toi, ta vie c'était de chanter. De faire vibrer tes cordes vocales. Tu chantais du plus profond de ton être et j'aimais ta voix. J'aimais ta vie. Ton regard sur les choses. Un regard vert, acerbe. À présent tu ne vois plus qu'en toi-même, un ciel muet où s'en vont mourir tes chansons et tes poèmes. Mais toi, tu n'es pas morte ! Juste, tu es ailleurs ! Et tu me manques. Tu me manques. Je suis perdu sans toi. Il faut que je m'oriente. Je dérive seul au fond de l'espace. Et je respire profondément, happant une grande goulée de présent. Les oiseaux sont sur la fenêtre. Les gouttes de pluie sèchent au carreau. Le soleil pousse un rayon. Je suis vivant. Et je me dois de vivre encore. Je suis vivant. Et cette part de mémoire qui me hante et me torture, je dois y mettre la sourdine. M'appliquer à mettre un pied devant l'autre, à avancer, à marcher. À me tenir debout. À contempler le ciel, encore et encore. Mais rien n'y est écrit. Je sais que les réponses sont tout au fond de moi. Dans le secret de mon cœur. De mon âme. De mon questionnement. Je te cherche des yeux. Mais je suis seul. Tu étais ma compagne. Je dormais dans ton corps. Je suis seul. Je suis autre. Je n'ai plus de voix. Plus de mots. Ne me reste qu'aimer. Aimer. Aimer. Aimer tout. Et le vent dans les arbres. Aimer rien, que ces feuilles qui

18 s'envolent. Cette eau qui coule de mes yeux comme elle coule du ciel et qui noie mon visage. On peut se noyer dans très peu d'eau. Mais la Terre tourne autour du Soleil. Et la Voie Lactée comporte deux-cent-trente-quatre milliards d'étoiles. Elle s'enroule en spirale dans toute sa splendeur. Je n'ai plus de mémoire. Juste un grand trou noir. Au centre de la galaxie de la Voie Lactée se trouve un grand trou noir. Tu dois t'y tenir, à n'en pas douter. Tous les morts passent par ce trou noir et débouchent sur un autre monde. Un univers parallèle auquel nous n'avons pas accès. C'est ainsi. Plus de mémoire. La seule solution pour survivre. Et pour vivre encore. Vivre encore. Là. À présent. Maintenant. Je suis. Et moi qui suis, je m'interroge sur ce qui peut bien hanter la tête de ces abrutis, armés de kalachnikovs. Que ne vivent-ils leur vie plutôt qu'ôter celle des autres ! Leur vie, ils en font peu de cas. Comme disait l'homme Jésus : il faut leur pardonner, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font. Pardonner est un bien grand mot. Un mot de neuf lettres. Un peu trop grand pour moi. Ce neuf qui remet tout à zéro dans les tables. Qui annonce la fin d'un cycle. Comprendre : mot de dix lettres. Dix lettres qui font tourner la roue de Fortune. Un pivot. Une terre où poser le pied. Dans le neuf on s'enfonce, on s'enlise, on passe soudain le pied au travers du plus rien, et hop là ! On efface tout. Pas question ! Comprendre. J'aime ce mot. Dix lettres. Des lettres de noblesse. Oblige. Sans aucun doute. Le doute cependant m'habite... comprendre.

19 Comprendre, est-ce à notre portée ? Pourquoi non ? Cro-Magnon ne comprenait pas tout mais il savait la Force. Et la chasse. Et les hordes sauvages. Lorsque nous, les singes, nous sommes retrouvés dans la savane, nous avons commencé à nous redresser, pour voir par-dessus les herbes hautes. Nous avons essayé de comprendre ce qui se passait là. Nous n'avons pas pensé à pardonner. Nous avons voulu repérer le gibier. Pour manger. Pour survivre. Pour vivre. Qu'il est long le chemin pour comprendre le monde ! Alors pourquoi se servir de données qui n'ont plus cours ? De cartes obsolètes et jamais mises à jour, qui ne représentent plus aucun territoire existant ? Pourquoi des êtres humains se réfèrent-ils à des paroles écrites dans un tout autre temps, qu'ils n'ont pas vérifiées et qui visiblement les mènent dans le mur ? Cela m'échappe. Ce qu'à dit l'homme Jésus, néanmoins, ce fut peu. Je veux dire, ce qu'il a vraiment dit et qui transparait encore en filigrane, si on est attentif et qu'on se donne la peine de lire entre les lignes. Cela tient en bien peu de phrases : La liberté d'être et de penser. La valeur égale de chaque être vivant. Le dialogue avec la Force, propre à chaque homme, au-delà des Églises. Simplement en soi-même et avec vérité. Et aime ! aime ton prochain comme toi-même. Aime ! En vérité, il l'a dit. Pas étonnant qu'on l'ait fait taire ! et que cette Église -frauduleusement

20 fondée en son nom, sur son nom- se soit employée par tous les moyens à nous faire oublier ses paroles. Jusqu'à brûler nos corps sur les bûchers de l'Inquisition, jusqu'à nous faire vivre l'enfer sur cette terre, en promesse d'un paradis illusoire, hors de portée. Jusqu'à mettre la science sous le boisseau. Voilà qui est bien une usurpation ! Quelle honte, tout de même ! Et ce mépris ! Mépris de tous ceux qui pensent autrement, qui croient en autre chose. Mépris des femmes. Mais vénération des pauvres et des malades, des indigents, à croire qu'ils en fabriquent pour se mettre en valeur dans leur commisération, leur pitié. Et même ce si joli mot d'agape, ils ne l'ont pas traduit par amour, mais par charité ! Quelle erreur ! Quelle horreur ! Confondre l'amour et la charité ! Quel contresens absolu ! Dans la charité tu donnes une obole, tu donnes du bout des doigts, mais tu ne t'engages pas. Tu fais l'économie du don de toi-même. Tu n'échanges pas. Seul l'amour vibre à l'unisson. J'ai parlé là d'une Église, mais en fait... j'ai parlé de toutes ! Elles sont toutes semblables dans leur intolérance. Dans leur prétention d'être un intermédiaire, là où il n'en est nul besoin. Dans leurs dogmes rassis et incohérents. L'Univers se moque bien de l'encens ! des sacrifices ! Un regard, juste un regard d'amour fait son bonheur, comme tout être vivant. Et mêmes les choses vibrent sous la caresse !

21 CHAPITRE TROISIÈME "La Lune c'est loin peut-être, moi j'y suis depuis toi. Pour une nuit, peut-être, je suis bien près de toi." Je ne dis pas c'est pour toujours ! Toujours, je n'en ai que faire ! Mais notre amour dura trente ans. J'ai bien fait de ne pas prétendre à toujours. Toujours, quelle importance ! Et qu'a-t-on besoin de toujours ! Nous avons besoin de moments. De jours lumineux. De jours qui s'étirent. De jours de pluie. Et de nuits. De nuits chaudes. De nuits fraîches. De nuits blanches. De nuits d'amour. De paroles échangées. De caresses échangées. De corps enlacés. De libre échange. De solitude. De retrouvailles. Lorsque je pense à toi, je vois tes yeux. Ton sourire. Si j'y pense un peu plus, j'entends ta voix. Mais je suis dans une phase de solitude. Nous sommes encore loin des retrouvailles. Du moins je le crois, je le crois fermement, parce que j'ai un travail à terminer. Je ne partirai pas, même par accident, avant de l'avoir accompli. Tu avais écrit. Beaucoup écrit. Des chansons, des poèmes. Et tu avais beaucoup chanté.

22 En vieillissant, tu me disais que tu aimais toujours autant écrire. Mais chanter te demandait un effort de tout ton corps, qui te paraissait presque vain, à présent. Tu chantais moins. Maintenant, tu ne chantes plus. Tu t'es tue. On t'a tuée. Et les mots que tu disais s'égrènent, comme un chapelet de tristesse. Des mots dans ma mémoire. Des mots que je jette parfois sur la page blanche et qui échouent alors sur cette plage de page. Un ressac les roule dans les sables du temps. Ils chantent encore un peu, malgré toi qui n'es plus, malgré moi qui ne sais pas les dire. Tes mots comme un refrain me font peine. Souvent je pleure. Je pleure de les voir, de les entendre encore. Je pleure de les répéter. Alors qu'ils sont la dernière relique de ce qui fut toi. Il faudrait enterrer leurs mots avec les auteurs. Comme on enterrait les rois avec leurs armes. Mais les choses se font en silence, quand nos paupières sont baissées. Elles s'ordonnent d'elles mêmes. Les rêves les formatent autrement. Les mots ne sont plus alors que des coquilles désertées jetées à la fosse commune. La fosse commune du temps. Et faut-il s'attarder sur un poème ? Même s'il rejoint notre humanité, par-delà les siècles et les ans, les jours et les heures, il a perdu la fraîcheur de l'instant. L'instant où il fut écrit, d'un mouvement de l'âme, sur le papier ou le clavier. L'instant où il fut éprouvé. Alors il faut en écrire d'autres... toujours nouveaux, comme un printemps à chaque fleur. Eh bien il en est de même des "prophéties" : les écrits de tous les prophètes !

23 Il n'est de paroles qui demeurent, elles sont faites pour s'envoler. L'écrit est une gaucherie de la raison. Vouloir fixer, retenir, ce qui ne devrait être qu'éphémère : une vision, un instant, même s'il fut pour nous un éblouissement. Tout est à redécouvrir sans cesse. Et tout est à refaire. Chaque chose s'inscrit dans un moment. Et la mouvance défait les vagues. Le vent se calme et la mer est étale. La page blanche. Jamais une vague n'est semblable, alors pourquoi les mots ? Leur contenu fluctue. Les paroles de l'homme Jésus ont été retenues par d'autres. Les Lumières les ont reprises. Elles sont à présent écrites dans les Droits de l'Homme et du citoyen. Ce ne sont pas des lois, ce sont des droits et ce sont des devoirs. Si j'étais écrivain, je rechercherais parmi les écrits de Voltaire, l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert, les pièces de Beaumarchais, les traces de ce que j'avance. J'établirais, pour étayer mes dires, une riche bibliographie ! Mais je n'en ai cure. Je ne suis qu'un modeste physicien et j'énonce ce que je sais. Il vous faudra me croire sur parole ou vous plonger vous-mêmes dans les livres ! Cette parole est MA parole. Pas celle des autres. Ma pensée est la mienne, même si j'ai beaucoup emprunté à tout ce que j'ai lu : je n'ai plus de souvenirs, je n'ai plus de mémoire. Tout est engrangé, mâché -comme le voulait Nietzsche- digéré et cela m'a nourri. Cela fait à présent partie de moi. C'est moi. Et ce que je peux distiller sur ces pages est entièrement décomposé-recomposé.

24 Il n'en est pas de même des djihadistes, qui n'ont aucune pensée personnelle. Ils ne sont que des robots manipulés par des monstres froids, qui ânonnent des dieu est grand ! sans savoir ce qu'ils disent. Sans savoir même de quoi ils parlent. Il n'est qu'une chose de grande en ce monde, véritablement, c'est l'Univers. Et le mot est faible. Le mot est impropre. C'est un mot fait pour les petits-bras. Grand, énorme... sont des adjectifs bien pauvres vis-à-vis de la splendeur, de la beauté, de la lumière de ce qui EST. Ce sont des mots d'obscurantistes. Des mots de rien. Des mots d'incultes. Des mots primaires, issus de gens dénués de vocabulaire. Des primates. Les astrophysiciens, les cosmologistes... les cosmonautes, les artistes, savent bien que la réalité de la beauté de l'Univers n'a rien à voir avec ces qualificatifs désuets, tirés de siècles tombés en poussière, alors que la poussière d'étoile dont nous sommes tous faits -et non pas les argiles tendres- viennent d'années-lumière. Et la Force qui régit tout cela n'est ni grande ni petite, elle EST. Alors, débouler sur un trottoir avec des kalachnikovs en criant n'importe quoi pour se donner du courage, pour se blanchir de son iniquité et de sa bêtise crasse ne peut absolument rien justifier. La Force est à la Force. Et tenter de lui donner un nom arabe, juif ou chrétien ou toute autre invention humaine est un non-sens total. Là, il faut cesser tout vocabulaire, tout épithète, tout adjectif. Impropre. Pour ne pas dire sale. On ne tue qu'au nom de la saleté !

25 On ne peut pas tuer au nom de la beauté, de l'amour et de la lumière. Et on tue toujours à partir de ce qui est mort en soi. Donc, tout sentiment de "bien", de "beau" et de "lumière" est mort chez ces djihadistes. Ils ne sont que l'objet de leurs démons. Et de notre propre incurie. Tolérer que l'autre soit différent et qu'il pense autrement. Soit ! Mais tolérer la bêtise est une autre affaire. Tolérer le crime sans rien dire, également. Tolérer qu'on maltraite les femmes comme ils est fait au nom d'une religion est indigne. Et pourquoi ? Juste pour continuer à commercer !!! Alors, cessons de commercer ! L'homme Jésus avait chassé les marchands du Temple. Et notre seul temple ici bas est la planète Terre, dans la galaxie de la Voie Lactée. La troisième planète du système solaire, qui est habitée par les Hommes. Le seul interface pour communiquer avec la Force, c'est le cosmos et ses instants. Des quanta. Et la Force, scindée en quatre, est la seule qui nous gouverne. -la force électromagnétique -la force forte -la force faible -la gravité Comment tuer au nom de la gravité ? De la force qui régit la radioactivité ? De la force qui unit les noyaux d'atomes ? De la force qui génère l'électricité et le magnétisme ? Ne faut-il pas dépoussiérer l'avenir ? Maïakovski suggérait déjà de le désembourber...

26 Et nous, que faisons-nous ? Rien de constructif. Nous faisons la guerre. Avec des avions et des bombes. Mais c'est avec les idées, les mots, qu'il faut se battre ! Rien ne tue mieux que le ridicule ! Il faut rendre ridicules ces gens-là ! Car chez ces gens-là, on ne pense pas, on ânonne ! Et dans toutes les religions on ne fait qu'ânonner ! Alors qu'il faut tout repenser. Tout éprouver. Tout chercher. Tout découvrir. Par soi-même... Dormez en paix, bonnes gens, je pense pour vous, dit la religion ! J'intercède pour vous ! Non. Toute religion n'est là que pour prendre le pouvoir. Comme tout homme politique. Et c'est à nous de penser, à nous de nous gouverner. À quoi servirait, sinon, d'être des hommes ? Autant être des moutons qui bêlent la même chose et qui suivent celui de tête, qui fonce vers le précipice. Nous avons un cerveau qui nous permet la réflexion, mais nous ne nous en servons nullement. Ou juste alors pour gagner un peu plus d'argent. Nuire un peu au voisin. Tromper sa femme. Se débarrasser de ses enfants. J'exagère ? Que nenni ! Je suis réaliste. Je suis un physicien. Je suis aux prises avec la réalité tous les jours, pas avec les rêves de grandeur. Juste avec la matière. Et la matière, mes amis, est spirituelle ! Il n'y a pas l'esprit d'un côté et le corps de l'autre. L'un est l'autre et ne font qu'un ! Et sans esprit, point de matière. Même les pierres pensent. Les atomes sont en mouvement perpétuel. Sans la danse incessante des électrons autour des noyaux

27 d'atomes, nos pieds passeraient au travers de la matière, comme à travers le 0 d'un zéro. Une force incessante les anime. Nous, lorsque le souffle nous quitte, notre corps se défait, mais restent ses atomes. Cette poussière d'étoile qui subsiste envers et contre tout. Lorsque s'est écoulé tout le sang reste toujours l'amour et c'est l'aube d'un nouveau jour. Les idées sont indestructibles. Le Monde n'est qu'une idée. On ne peut la réduire avec une kalachnikov ! Bougres d'idiots dégénérés ! Tu me manques. Tes yeux me manquent, tes bras me manquent et ta chaleur. Le vin est bu. Et rien n'y fait. Je gesticule et j'invective. Je comprends que tu n'es plus là. Mais cela ne me suffit pas. Je pourfendrai ces malotrus jusque dans leurs derniers retranchements. Jusqu'à les rendre dérisoires, risibles et ridicules, singes ricanant des insanités insalubres. Je les éradiquerai de mes mots. Je les barrai d'un trait de plume. Je les caricaturerai jusqu'à plus soif. Je vais les désintégrer, les dézinguer, en faire de la poussière d'étoile, dans une égalité égalitaire. Rien n'est plus sacré que la vie. Même pas ce que vous appelez dieu. Surtout pas cette force qui n'a besoin de personne pour ÊTRE. Tandis que la vie est fragile. Elle a besoin d'amour et de lumière. La Force n'a besoin de rien. Elle ne veut rien. Elle danse. Elle se multiplie et se démultiplie à volonté et... nous ne sommes que le plus précieux de ses avatars. Le plus abouti connu. Un de ses

28 reflets. Sa fractale superbe. Et c'est vous qui êtes maudits, bougres d'ânes, d'y attenter avec vos engins barbares : des kalachnikovs ! Des kalachnikovs contre la vie ! C'est bien ce que je disais : c'est une monnaie de singe ! Des kalachnikovs contre des crayons sont tout également dérisoires. Faut-il être nul, tout de même, pour penser effacer un dessin, une idée, d'une rafale de ce "truc" immonde : ce bâton de feu semant la mort et la terreur. Vous en serez maudits jusqu'au dernier et réincarnés en femmes, en Inde ! Voilà ce que je souhaite qu'il advienne à vos poussières ! Je suis en colère, c'est évident. Je ne décolère pas. Et ça ne mène à rien. Ce n'est pas ainsi que je vais comprendre ce qui se passe dans la tête de ces demeurés... en arrière. Ces gens qui vivent dans un autre siècle, suivant une parole éteinte. Incertaine comme le sont tous les écrits anciens. Les écrits que les scribes copient, recopient, en y ajoutant parfois leur grain de sel. Ou en déplaçant des virgules et des accents. Aussi incertains que ces évangiles, écrits par des gens -des années plus tard- qui n'ont jamais vu ni connu la personne dont ils relatent les paroles... Et lorsque l'on voit, de nos jours, comment sont dévoyés, déformés, les moindres propos des moindres gens, on se devrait d'être un peu plus circonspects. On fait dire aux oracles ce que l'on veut. C'est comme à pile ou face, on gagne une fois sur deux ! La mécanique quantique est basée sur les probabilités. Et on ne l'a jamais prise en défaut. Il

29 est un autre point qu'il nous faut aborder, toutefois : l'histoire de la fin des temps ! Ce qui est intéressant, c'est que de tout temps, des allumés ont annoncé la fin du monde. Pour remplir de terreur, sans doute, les âmes des pauvres gens. Ignorants, illettrés, incultes. Troupeaux bêlant souvent de faim et de misère. Dans quel but ? Les accabler un peu plus. Les terroriser. Les faire rentrer dans le rang, des fois que l'un d'eux, par le plus grand des hasards, viendrait à regimber, à se rebeller devant les puissants. Les hommes de toutes les Églises, marchant main dans la main avec les rois et les riches : le pouvoir. Et ces minables petits djihadistes voudraient nous terroriser, nous ? Mais c'est nous qui allons les terroriser avec notre culture, avec notre science et... avec notre amour. Ah ! ne croyez pas que j'ai l'intention de tendre l'autre joue ! Loin de moi cette idée. Cela ne mène à rien. Et je n'ai nulle intention de finir enchristé, à mourir pour une idée ! Tout sacrifice est inutile. La non-violence devant la barbarie ne mène qu'à la boucherie. Il faut se battre. Mais bien choisir ses armes. Je les traînerai dans la boue, ces bandits. Ces mécréants. Ces impies. Je les traînerai dans l'arène des pages blanches, pour les faire dévorer par mes fauves : mes mots. Mes mots armés, mes mots impitoyables, mes mots déchiqueteurs, mes mots scanneurs de bêtise. Mes mots lumière d'obscurantisme. Mes mots qui ne te ramènent pas... juste qui réussissent à t'évoquer. Qui t'invoquent. Qui te convoquent sur le théâtre de ma peine et de ma douleur, pour voir le spectacle.

30 CHAPITRE QUATRIÈME Que ne comptons-nous le temps aux repères des supernovae, plutôt qu'en années et en siècles, en millénaires dérisoires. Les milliards d'années de l'Univers sont au moins signifiants : chemin parcouru par la lumière. Comment, malgré toute l'estime que j'ai pour lui, pouvons-nous situer notre civilisation éphémère depuis la naissance d'un seul homme, fut-il Jésus ? En relisant les "Mémoires d'Hadrien", de Marguerite Yourcenar, je songeais à cet empereur, né précisément au premier siècle, qui faisait preuve d'une certaine recherche intellectuelle, éduqué aux valeurs des anciens Grecs. Autant qu'un peu plus tard un Marc Aurèle. Ni l'un ni l'autre n'ont été cependant atteints par les "dires" de Jésus... qu'ils jugeaient bien naïf. Quelques deux mille ans plus tard, la partie est loin d'être gagnée... Les hadits de Jacques et des autres sont très certainement tout aussi déformés. Mais il est évident que prôner la soumission est le meilleur moyen de diriger les peuples ! La répression alors vient de la main "divine" ! Tour de passe-passe facile et tout aussi naïf, destiné à des populations

31 entières inéduquées, tenues sous le boisseau de l'obscurantisme ! On en revient ainsi aux rois, élus de "droit divin". Et ce, jusqu'à la Révolution française. Leur autorité, soutenue par l'Église, ne pouvait alors être contestée ! Obéir ! Ils n'ont tous que ce mot à la bouche ! Alors qu'il faut transgresser et désobéir, pour simplement vivre... et survivre. Se soumettre à la Force ? mais nous le sommes déjà : les lois de la gravité ne tolèrent aucune transgression. Et ce ne sont que des lois très "physiques", qui permettent aux avions de voler ! aux fusées de s'arracher à l'attraction terrestre et d'aller sur la Lune ! Des lois très "physiques" qui commandent à l'électricité, inconnue des prophètes de toute obédience. Des lois très "physiques" qui, ordonnant la désintégration de l'atome, font éclater une bombe atomique, ainsi que des lois très "physiques" elles aussi commandent, à l'occasion, sa mortelle radioactivité. Que rajouter de plus à cette soumission ? Nous sommes tous, et très également, assujettis à la mort. Et nul humain n'est jamais né autrement que du sourire vertical du sexe d'une femme ! Un peu de respect pour elles, triples buses, sans qui vous ne seriez RIEN ! Elles pourraient finir par faire des "élevages d'hommes", juste pour prélever leur sperme -que l'on peut aisément congeler- et vous réduire un jour en esclavage ! Elles vous gaveraient, djihadistes, comme des oies, dont on retire le foie, une fois gras... C'est ce qui arrivera quand vous rôtirez en enfers, que soixante-douze

32 vierges attiseront ! Et qu'elles vous écraseront, alors, comme les poussins mâles ! Je te sens frémir dans ton absence. Tu aimais tant les animaux. Les animaux sont tous innocents. Ils vivent dans leurs lois et ne sont jamais sales. Ils n'utilisent pas de kalachnikovs en invoquant le nom d'un dieu. Un dieu absent. Un dieu mort. Un dieu qui n'a jamais existé, lui. Pas plus que n'existent ces djihadistes embrigadés, pervertis, endoctrinés par des fourbes et des faquins, juste des gens avides de pouvoir qui se cachent derrière leurs marionnettes. Des marionnettes, patiemment éduquées sous nos yeux. Des yeux que nous avons fermés, par complaisance et par faiblesse. Nous avons laissé faire, faisant taire même, tous ceux qui protestaient. Laissé faire au nom de la liberté... La liberté d'enseigner la bêtise ? Cela ne peut être une liberté. La liberté de convertir les délinquants en prison et de les éduquer dans le crime ? La liberté de trouver le mode d'emploi des bombes et des explosifs sur Internet ? Inconséquents que nous sommes ! La liberté s'arrête où elle nuit à autrui. Nous n'avons pas éduqué ces enfants. Nous les avons laissés mijoter dans des ghettos. En proie à toutes les dérives. Nous n'avons pas même exigé que leurs parents apprennent à lire, à écrire et parlent correctement le français. Nous n'avons pas exigé qu'ils respectent le drapeau et la Marseillaise, jusqu'à ce que, sifflée dans les stades, cela finisse par irriter quelques gens encore attachés aux principes élémentaires de

33 la République. À droite, à gauche ? Cela n'existe pas. Le corps calleux du peuple est toujours au milieu. Il ne fait que souffrir. Entre le marteau et l'enclume, il ne peut qu'être écrasé, brisé, nié, désespéré. Nous y voilà ! Car pour atteindre un tel nihilisme, il ne faut plus avoir aucun repère et aucune religion. Je le dis bien, je le répète : AUCUNE RELIGION ! Les djihadistes n'ont aucune religion. Aucune éducation. Rien. Ils sont nés dans des communautés obscures, déracinées, incultes. Ils ont été décimés par l'obscurantisme. Seuls quelques survivants ont fait des études et se sont insérés dans la société avec bonheur. Envers et contre tous. Envers et contre tout ! Signe que c'est possible. Signe que nous n'avons pas, nous, à désespérer d'eux. Et que, s'ils avaient été suivis et aidés, ils ne seraient pas "enfermés dehors" par la haine. La haine ne mène à rien. Jamais. Ni la vengeance. Il a fallu du temps aux hommes, pour abolir la loi du Talion. Improductive. Du moins, sévit-elle toujours, la vengeance inutile. Mais c'est avant d'en arriver à la vengeance, qu'il faut rembobiner le film, pour inspecter la pellicule, voir où "ça" a coincé. Où "ça" a dévié et déraillé. Et il faut nous en prendre... à NOUS. Il n'est rien qui arrive par hasard, qui n'ait été déjà suggéré, annoncé. Préparé, en quelque sorte. Notre vigilance est trop molle. Nous vivons enfermés dans notre boîte crânienne, sans regarder -bien trop souvent- où nous mettons les pieds. Nous poursuivons un but préétabli. Un plan de journée :

34 un objectif vers lequel nous fonçons tête baissée, sans regarder à la ronde si... le feu est au vert. Alors nous ne voyons pas les signes avant-coureurs. Une hirondelle ne fait pas le printemps, certes, mais lorsque l'aube point, cela se voit. Et quand la première feuille tombe, l'automne n'est jamais loin. Dans nos cités baignées de lumières artificielles, nous ne voyons plus le soleil ni les saisons. Ni même les étoiles. Nous en oublions les lois de la vie. Nous pensons que "tout est possible". Nous ne cessons de transgresser les seules lois qui vaillent et nous nous étonnons du résultat désastreux que cela produit. Toutes les lois -religieuses ou civiles- sont vaines, face aux lois de la vie, aux lois de l'Univers. C'est ainsi. Il faudrait écrire cette maxime dans nos chambres et nos cuisines, dans nos salles de bain et jusque dans nos WC, pour l'avoir sous les yeux chaque jour et la relire indéfiniment comme un mantra. Et toute politique qui ne l'observe pas est vouée à l'échec. Nous ne pouvons imposer d'autres règles. C'est inutile. Tôt ou tard elles seront caduques, obsolètes, dépassées. Transgressées. Aucun barrage, aucune interdiction, aucun principe, aucune terreur ne peut empêcher les lois de la vie et de l'Univers de s'exercer. Si nous avions tant soit peu de bon sens, nous les observerions sans rechigner. En effet, pour elles nul gardien, nul juge, nulle corruption, nulle affliction ne sont nécessaires. Et toute prière est vaine et non avenue. Il n'y a que l'amour qui puisse réaliser des miracles, en s'alliant au désir profond de chacun.

35 Mais il faut deux parties. Rien ne peut être accompli jamais unilatéralement et surtout pas d'en-haut. Mais seulement depuis la racine, le fondement, l'âme. La nature profonde. L'essence. Toutes ces civilisations passées, écroulées, oubliées dont il ne reste même plus quelques pierres sur le sol, juste une trace vue d'avion, devraient nous enseigner combien est éphémère tout pouvoir temporel. Alors oui, soumission : aux lois de l'Univers, qui n'ont que faire d'un dieu : elles SONT, les Quatre Fantastiques ! Quant aux lois de la vie, elles sont tout aussi simples : amour, partage, respect de l'autre. Et c'est le jardinage qu'il nous faut enseigner aux enfants, à présent, pour restaurer le paradis sur Terre. Le jardinage du terrain, comme celui des hommes. Et puis l'astronomie. La physique. La chimie. Et l'Histoire, en reléguant les guerres au second plan. En désignant les territoires comme provisoires. La Terre est une. Les hommes sont multiples et divers. Et les cultures saisonnières... Les enfants alors écriront de nouveaux livres et de nouveaux poèmes. Ils peindront à leur guise. Ils seront tous musiciens et danseurs. Ils apprendront le Big-bang... et avant. Ils bâtiront des villes ouvertes, ouvertes sur la vie. Il construiront des vaisseaux pour aller explorer les exoplanètes. Ils seront les dignes fils de l'Univers. Petits djihadistes crétins, vous pourriez faire partie du voyage ! Il ne tient qu'à vous de cesser de détruire ce que vous convoitez en secret. Devenez intègres et impeccables comme des chamans.

36 Parfaits. Il vous suffit d'ouvrir les livres... et de les lire. Il est certes bien des révolutions à faire, pour cela nous manquons de cerveaux et de bras pour les mener à bien. Tant de ponts sont à construire ! Tant de murs à abattre ! Tant de remparts à pulvériser pour vivre ! Vivre libre. Ah ! la liberté vous fait peur ! Je m'en doutais un peu. Vous préférez la mort et l'annihilation, cela demande moins d'effort. S'attaquer aux femmes, aux faibles, aux désarmés est certes plus facile. Discuter d'une rafale de vos kalachnikovs est plus direct ! Cela ne demande aucune réflexion. Mais ce n'est pas digne d'un homme. Juste de terminators décervelés. De machines. De robots. Pas même d'un animal, qui n'accomplirait jamais de tels actes. Juste de sous-hommes manipulés, idiots. Assez stupides pour mourir pour RIEN. Sans aucun bénéfice pour qui que ce soit. Et pour aucune cause. Aucun dieu incertain. RIEN. Je trouve que l'addition est salée pour un djihadiste. Pas même la gloire, mais l'oubli. L'émiettement, la dissolution totale. Vous n'aurez pas vos noms gravés sur des plaques, ni sur les trottoirs d'Hollywood ! RIEN. Ensevelis -s'il est possible de retrouver vos morceaux- dans la honte et l'anonymat, comme des honnis, des bannis. Dans la fosse commune du temps et de l'horreur. Car nos lendemains seront radieux. Sans vous. Et vos soixante-douze vierges seront des femmes libres, sans voile ni foulard, qui mettront au monde des enfants heureux, échappés de votre obscurantisme. Vous, vous serez effacés du temps. Parenthèse macabre et inutile.

37 Vous n'êtes que la signature absurde d'un diable qui n'existe pas plus qu'un dieu. C'est dire ! Mais toi, mon amour, tu es morte. Tu es partie. Tu n'es plus là. Tu ne chantes plus. Inutilement morte. Avant l'heure. Mais y a-t-il une heure ? Il y a des choses à faire. Une fois ces choses accomplies, un signal en nous signifie que nous sommes arrivés au bout du chemin. Mais tous ces jeunes fauchés à la fleur de l'âge ? Ne le sont-ils, innocentes victimes, que pour nous faire réfléchir ? Il a fallu bien des accidents et des morts sur les routes, pour que les codes soient durcis. Bien des incendies pour imposer des issues de secours. Bien des contaminations pour chercher des vaccins. Bien de la souffrance pour quelques progrès. Mais ce n'est pas inéluctable. Nous devrions être capables de progresser sans être sans arrêt fouettés, comme des enfants méchants, de mauvais élèves. Sinon, à quoi nous servirait notre "gros cerveau" ? Celui que nous nous targuons d'avoir plus gros que "les autres" ? Alors que le néocortex des baleines, proportionnellement, est plus important... et elles ne se battent pour survivre qu'avec leurs chants et leur souffle. Elles n'ont pas inventé la kalachnikov. Elles se battent comme tu te battais, toi, avec ton chant et ton souffle. Avec tes mots. Et moi, avec mes équations, je me sens un peu pauvre. Je n'ai pas vocation à être écrivain, mais il faut bien que quelqu'un reprenne le flambeau ! Je te sens derrière moi, parfois : certains soirs, après t'avoir

38 vainement cherchée dans la côte du Rhône, je vois les touches de mon clavier qui s'enfoncent toutes seules. Et ma page se remplit de signes, que je relis au matin tout surpris. Ta main immanente m'encourage. Tu ne m'as pas tout à fait lâché. Est-ce un signe ? Quel signe ? Qui se signe ? En quelle langue ? Petit djihadiste, tu n'as pas de signe. Tu es un singe et tu ne signes rien. Tu saignes et tu égorges. Comme un boucher. Bouché à l'émeri. Tu n'es pas même un soldat. Tu n'es RIEN. Un valet. Un esclave. Un automate. RIEN. Et l'anagramme de rien est nier ! Je te nie, je te dénie, je te renie. Je te punis à ma façon : comme une boule puante ! Je ne connais pas grand-chose à la géopolitique et la politique m'exaspère par son incurie. Je ne suis pas un sociologue ni un psychanalyste. Je ne suis pas un littéraire, je l'ai déjà dit. Cependant, la mécanique quantique m'a enseigné que tout est corrélé. Que lorsqu'on touche à une particule, un TOUT se recompose. Ce qui signifie, qu'au niveau le plus profond de la matière, on ne peut pas agir "seul dans son coin" sans que la configuration générale n'en soit altérée. Changée. On peut calculer, prévoir des interactions, grâce aux diagrammes de Feynman. Et ce sont de mêmes diagrammes qu'il faudrait énoncer en psychanalyse. Mais on préfère continuer à enseigner aux enfants, dès leur plus jeune âge, toutes les fables

39 religieuses vieilles de plusieurs siècles, plutôt que, simplement, comment fonctionne réellement notre Univers ! Les nouvelles lois physiques découvertes au XXe siècle, comme la relativité et les quanta, ne sont pas rentrées dans les esprits demeurés, demeurés au temps de Newton. Autant qu'à Karl Marx et à son matérialisme dialectique ! Nous sommes des arriérés, nous aussi. À l'arrière du présent. À l'arrière du Front où tout se passe. Là où l'on se bat avec la science et avec les idées. Nous ne sommes que des "planqués". Et on s'étonne ! On s'étonne de cette régression généralisée de la culture ! On s'étonne que quelques "littéraires", une poignée de faux philosophes, nous rabâchent les mêmes vieilles idées avec les mêmes remèdes, qui sont toujours autant de cautères sur les mêmes jambes de bois. Et les journalistes... les médias... s'échinent à dénombrer les morts, plutôt que les vivants qui sont encore debout, prêts à combattre. Voilà que meurent quelques vedettes, parmi tous les gens anonymes qui meurent chaque jour et on crie à la "série" funeste ! Mais la serial killer ne fait grâce à personne. Et vous, misérables petits rien-du-tout, vous voudriez prendre la place de la grande faucheuse ? Mais elle va finir par se fâcher et à vous exterminer tous comme de la vermine, comme des nazislamistes minables que vous êtes ! Révisez la grande Histoire ! - si vous savez lire- pas les histoires à dormir debout de vos livres saints : Hitler était un misérable fou névrosé et il a fini par se suicider, abandonné de tous. Nous

40 l'avions laissé prospérer, lui aussi. Et tant qu'il était "loin", les bons Américains n'avaient pas jugé opportun d'entrer dans la guerre, jusqu'à Perl Harbour... Barak Obama n'a pas fait mieux avec Daech. C'est vrai que je n'y connais pas grand-chose, mais cela je le sais. Les dangers s'annoncent, mais on reste dans le déni. Dans le délit d'initiés qui se gargarisent de phrases creuses, comme nos politiques, nos grands "débatteurs" sur les écrans de télévision du monde entier, aveugles et sourds. Et on ne fait rien. On n'a rien fait, ou si peu. Tu es morte. Ce n'est pas parce que tant d'autres sont morts également que cela m'est plus tolérable. Le scandale de la mort reste intact. Et je pense soudain au traitement infligé aux voyous d'Orange Mécanique, de Stanley Kubrick. Il faudrait essayer. Il faudrait essayer sur les "radicalisés" que nous détenons dans nos prisons : les obliger à regarder les tortures et les égorgements, jusqu'à plus soif. Ils peuvent bien, au moins servir de cobayes, comme les volontaires des laboratoires ! Cela ne peut pas les rendre plus sauvages. Plus perdus. Plus irrécupérables. Tenter sur eux une overdose de mal, pour voir le résultat ! Une nouvelle molécule : un nouveau mot non éculé... Et je suis toujours là, à noircir ma page blanche de signes abscons qui dansent sous mes doigts, alors que je voudrais faire entendre ma voix solitaire à travers le monde. Hurler ma colère, ma douleur. On est bien peu de chose. Je t'aime. Je t'aimais. Je t'ai aimée.

41 CHAPITRE CINQUIÈME Il neige. Voilà qu'il neige. C'est un beau manteau blanc que m'envoie le ciel, par ce jour d'hiver. L'Univers solidaire recouvre la laideur, pour un moment, et m'arrache à l'horreur. Comme le bon Saint-Martin, qui partagea sa cape avec un mendiant... L'autre moitié fut conservée à Tours et donna son nom, Capet, à la dynastie des rois de France. Eh bien moi j'inaugure une dynastie de physiciens des neiges... et j'irai me faire sacrer à Carcassonne, j'aime bien ses remparts. Me protégeront-ils du malheur qui m'accable ? J'ai quitté Paris. Paris sans toi n'est plus Paris. Et tous les lieux que nous avons hantés ensemble me sont autant de coups de poignard dans le cœur. Comme tous ces vêtements dans les tiroirs, dans les armoires. À présent inutiles et vides de toi. Je m'exile. Je m'exile de toi, je m'exile de moi. Je vais vers un ailleurs. Un ailleurs où tu n'es nulle part. Où tu n'es jamais venue et moi non plus. Il me faut couper avec les souvenirs, si je veux vivre.

42 Auparavant, j'ai cependant rembobiné le film, je l'ai vu à l'envers. Je le préconisais. Il fallait bien que j'applique à moi-même cette introspection, sinon, je ne serais pas digne de foi. Quoique la foi soit à bon prix, par les temps qui courent. Chacun ressort ses signes d'appartenance. Se distingue. On dirait que la laïcité leur est insuffisante. Moi, j'en suis fier. J'ai dit que je voulais comprendre. Alors, à tout prendre... il faut déjà que je comprenne ma propre histoire. Je suis un scientifique, n'est-il pas ? autant qu'un être humain. Humain juste humain et cela aussi me suffit. J'ai oublié les djihadistes. Je n'ai gardé que mon deuil. Mais je ne m'y suis pas soumis. Je ne me tolère aucune complaisance. J'ai fait comme si tu m'avais quitté. Et j'ai bien dû admettre que tu m'avais quitté. Tu es partie ailleurs. Dans un cercueil que j'ai choisi moi-même. À présent tu es dans d'autres bras. Ceux de la mort, la vilaine, l'effrayante. Et je n'aime guère tes nouvelles fréquentations. Mais tu m'avais quitté précédemment, si je scrute bien les images. Où est-ce toi que tu avais quittée, déjà ? Tu ne chantais plus comme avant. Tu avais perdu cette joie intrinsèque qui te tenait debout et passionnée. Tu t'éloignais. Un voile de tristesse jetait dans ton regard comme une ombre ; un nuage diaphane qui subsistait et que nul soleil ne venait dissiper. Quelque chose en toi, peut-être, savait déjà. Tu parlais de partir en vacances, mais je sentais bien que tu n'y tenais pas. Tu cherchais une sortie, dont tu n'étais pas certaine qu'elle existât.

43 J'étais très pris depuis l'automne. En plus de mes cours et de mes conférences, j'avais sorti un nouvel ouvrage, un essai sur le temps qui se vendait bien. Et j'étais souvent en déplacement pour la promotion : des signatures dans diverses librairies de province. Tu refusais de m'accompagner, arguant que tu me gênerais plus qu'autre chose. On aurait dit que tu me préparais à la séparation. J'avoue cependant que... je ne m'en suis pas aperçu. Je profitais de mes voyages en train pour rattraper des heures de lectures que j'avais préféré passer avec toi, à discuter, à sortir. Je n'avais pas d'interrogations sur notre couple. J'étais heureux. Tu faisais tout, aussi, pour me faciliter la vie. Discrètement, silencieusement, tu effectuais les mille petits gestes que seule une femme est capable de prévoir, pour simplifier la vie d'un homme et pour la rendre agréable. Tu n'étais pas de ces garces tapageuses à l'égo dominant, se croyant obligées constamment de paraître à moitié nues, maquillées à outrance, où parées d'oripeaux à la dernière mode, tentant de se donner une personnalité qu'elles n'auront jamais. Comme le chantait si joliment Léo Ferré "tu te sapes au couturier de ton crû : ça t'va !" Mais tu n'étais pas non plus ce que l'on appelle une femme au foyer ! Le ménage ne t'obsédait pas et tu ne repassais plus mes chemises, d'ailleurs les pressings parisiens font cela très bien. Tu n'acceptais pas cependant que quelqu'un mette le nez dans tes poussières. Et si je trouvais parfois quelques toiles d'araignées sur mes livres, je m'en accommodais. En revanche tu adorais sortir, flâner,

44 visiter les expos, tu aimais tant Paris. Aussi le cinéma, le théâtre, les concerts. Tu écrivais toujours quelques chansons, que tu orchestrais à présent toi-même. Mais, comme tu le faisais remarquer avec justesse, sans public à qui les chanter, le désir s'effrite vite. Alors, tu écrivais des nouvelles, que je trouvais inventives, bien écrites et intéressantes. J'en étais en fait presque le seul lecteur. En effet, objectais-tu, la perspective de devoir faire à ton tour ce qui m'était imposé par mon éditeur -pour la promotion du moindre de mes ouvrages- te dissuadait de vouloir un jour publier. En outre, disais-tu, les gens penseraient que tu étais éditée, uniquement parce que tu étais ma femme... privilège qu'il est facile d'obtenir, lorsque son époux est tant soit peu connu ! Même si on n'a aucun talent. Cependant, je savais que la véritable raison en était que cela porterait une atteinte irréversible à ta liberté. Empièterait sur ton temps de vie avec moi. Ton plaisir d'être simplement au milieu des choses. En pleine nature, lorsque nous partions en weekend. Ou que tu prenais ta voiture pour de longues balades seule avec le chien, lorsque j'étais absent. Mais ces vacances que tu projetais de prendre sans moi, trop retenu par le calendrier de mes obligations, tu n'as jamais fait qu'en parler. Ces vacances au soleil, programmées début novembre, avant les fêtes de fin d'années, pour casser ces longs mois d'hiver, où la nuit tombe si tôt et si vite, t'auraient sauvée, cependant. Et puis un méchante grippe m'a fait annuler une série de conférences à Marseille. Et tu n'es pas partie

45 J'avais omis de me faire vacciner, cette année... contre la grippe. Et c'est la mort que j'ai attrapée ! On est bien peu de choses. Je médite encore sur cette négligence. Je me réveille la nuit et elle me tarabuste. Il est indéniable que c'est ma faute si tu étais avec moi à Paris, ce vendredi 13 novembre 2015. Nous nous étions rencontrés par hasard. Dans la rue. Après s'être connus, déjà, en terminale au lycée Louis Legrand. C'est toi qui m'as reconnu et tu m'as fait un signe de la main. Naturellement. Spontanément. Nous ne nous sommes plus quittés. Tu m'a donné de beaux enfants. Ils sont grands à présent, installés dans leur vie, nous sommes même grands-parents depuis peu. Toi, tu t'étais toujours arrangée pour continuer à chanter, le soir. Tu t'absentais alors que je travaillais tard dans mon bureau. Que les enfants dormaient. À cette époque, les lieux où chanter étaient divers et très fréquentés par un public curieux, qui ne se déplaçait pas pour voir des vedettes, cent fois entendues à la radio, mais pour découvrir des talents. Cela te suffisait. Te comblait. Tu enregistrais et tu vendais tes K7 ; plus tard tes CD. Tu a toujours négligé les promotions... Mais, je m'interroge toujours : aurais-tu trouvé la mort aux Antilles ? en avion, en mer, ou d'une toute autre façon ?... Cette programmation de la mort m'interpelle. J'y ai participé. Et tu y as mis du tien également. Comment est-ce possible ?

46 Ce soir-là, nous avions regardé un peu la télévision en dînant. Je comptais me retirer dans mon bureau pour travailler, mais... tu as proposé de sortir. Tu trouvais que cette exceptionnelle douceur de la saison incitait à profiter de Paris, la nuit. Moi, j'aurais souhaité relire et peaufiner un discours sur les Lumières, que je devais présenter quelques jours plus tard. Un discours que je n'ai jamais fait. Un discours, à présent, qui se fera sur une lumière éteinte. Après avoir voulu assumer un temps mes obligations, pour ne pas sombrer dans le désespoir, garder mes repères et quelques balises, j'ai pris finalement une année sabbatique. En effet, très vite, il m'a fallu écrire. Écrire pour continuer de vivre. Pour dire. Pour exprimer ce surcroît de fureur qui me possédait nuit et jour. L'écriture m'apaise. Je m'essaye à parler de toi mais je suis maladroit, je m'en rends compte. À croire que je te connaissais à peine. Et c'est un fait, malgré nos longues conversations, notre intimité, je savais bien peu de ton univers intérieur. Je l'ai découvert avec surprise dans tes romans. Un espace profond, peuplé de galaxies lointaines, où je ne m'étais pas aventuré moi-même... et dont tu ne parlais jamais, d'ailleurs, avec personne. C'était ton espace de liberté, tes terres vierges. Et tu les parcourais à ta guise. On peut dire que tu y galopais au fil des pages, avec désinvolture. J'avais lu complaisamment de toi quelques nouvelles que tu m'avais soumises. Cependant... lorsque faisant le tri dans tes affaires, j'ai ouvert ton

47 ordinateur -auquel je ne touchais jamais- je me suis vu demander un mot de passe. Et j'avoue que cela m'a surpris. Déconcerté. Je suis resté quelques jours à chercher ce que tu avais bien pu imaginer comme barrière contre les regards indiscrets. Et de qui te préservais-tu ... si ce n'est de moi ? Alors, en toute logique, j'ai trouvé : carcassonne. Carcassonne et ses doubles remparts ! J'ai adoré ta cohérence. Et j'ai découvert tes romans. Je n'en avais lu aucun et il y en avait sept. Je n'en revenais pas. Pourquoi ne m'en avais-tu jamais parlé ? Il est vrai que j'avais énormément de documentation à lire pour mon travail, pour me tenir à jour, sans compter les publications des collègues, et tout cela s'entassait dans mon bureau en piles improbables, dont je ne venais jamais à bout. Il est rare que je lise des romans. Autant par manque de temps que par manque d'intérêt. Tous ces déballages d'états d'âme improbables ne me passionnaient pas. Et, d'évidence, tu n'avais pas voulu m'importuner avec ta prose. Tu n'avais pas non plus vraiment voulu me la soustraire. Tu m'en avais donné quelque aperçu, un peu pour justifier cette activité solitaire, que tu exerçais généralement en mon absence. Je ne te savais pas si prolifique. Mais surtout, je ne comprenais pas pourquoi tu n'avais pas tenté de publier. Cependant, j'ai commencé à douter de mes certitudes et à m'adresser quelques reproches. J'étais confortablement installé dans ma vie de scientifique reconnu, respecté et il allait de soi que les projecteurs étaient braqués sur moi. Que ma

48 femme soit soudain mise en lumière, critiquée, jaugée, jugée m'aurait certes bousculé un peu. Peut-être même déplu, voire gêné. Un roman, quoi qu'on en dise, dévoile toujours en filigrane un peu de la vie de l'auteur. Ses sentiments, ses penchants. Sa relation à l'amour et au monde. Et ce que je découvrais au fil de tes romans tenait carrément de l'univers parallèle. De la double vie. Tu y entretenais des passions ravageuses, doublées d'une sexualité débridée. Et ta façon d'appréhender le monde s'appuyait bien sur des théories scientifiques, mais les extrapolait avec une audace qui me stupéfia. Il est vrai que je t'avais souvent fait part de mes recherches, de mes propres interrogations sur certaines données spécifiques. Lorsque je t'exposais une hypothèse, d'ailleurs, ou même une spéculation, je trouvais naturel que tu saisisses rapidement de quoi il retournait. Je pensais juste que... j'expliquais bien ! Je ne me suis jamais questionné à savoir que... tu comprenais bien mieux que mes étudiants à qui je dispensais mes cours à longueur d'année. Dans tes romans, tu synthétisais. Tu appliquais. Tu envisageais les conséquences des avancées. En une sorte de philosophie hors école, qui n'avait, c'est certain, rien d'orthodoxe. Il était clair que tu te souciais comme d'une guigne des philosophies passées et établies. Tu innovais sans complexes. Tes incursions dans la science fiction étaient toujours comiques, d'ailleurs. Tu n'avais pas le sens de la tragédie. Tu me le rappelais souvent : tu détestais la

49 tragédie, qui n'était pour toi qu'une posture. Une incapacité à s'adapter à des réalités dérangeantes. Si la parole de l'homme Jésus m'a évité de sombrer dans la haine stérile, après cette agression barbare, je peux affirmer que la lecture de tes romans m'a consolé de mon désespoir. C'est alors que j'ai décidé de prendre l'air et de quitter Paris. De poser cette année sabbatique pour reprendre ma respiration. Pour faire le point. Le point sur ma propre vie. La mécanique quantique nous dit que tout observateur agit sur ce qui est regardé. Alors la virtualité des possibles s'effondre en une seule réalité. J'ai lu tous tes romans. Tu ne cesses d'y affirmer que nous sculptons nous-mêmes notre propre réalité. Jamais je ne saurais prétendre une chose pareille. J'y perdrais d'ailleurs tout ma crédibilité. C'est vrai que je suis un scientifique, pas un spéculateur. Nous travaillons sur les atomes, sur les particules, élaborant des théories, à l'aide des mathématiques. Nous effectuons des expériences qui valident -ou non- nos supputations et nos calculs. Cela concerne le domaine de l'infiniment petit. L'énergie, la matière. En tentant de les appliquer aux structures macroscopiques -qui sont composées des mêmes atomes et des mêmes molécules- c'est loin d'être évident. L'acausalité et l'incertitude qui règnent chez les particules quantiques ne sauraient être appliquées à notre univers rationnel et matérialiste. Sinon, tout serait à revoir !

50 D'ailleurs, la théorie de la relativité générale d'Einstein, qui traite de la structure de l'Univers, s'applique à décrire l'évolution des étoiles et des planètes, dans un espace/temps façonné par la gravité. Il est vrai que la mécanique quantique n'y trouve pas sa place. Une sorte d'incompatibilité semble les séparer. Cependant... les lois de l'Univers s'appliquent à tout et à tous. Je n'ai cessé de le répéter. Il va nous falloir trouver comment concilier ces deux théories et peut-être découvrirons-nous des choses renversantes. Beaucoup de physiciens y travaillent. Ils avancent lentement dans l'élaboration d'une théorie de gravité quantique, pulvérisant en pixels et l'espace et le temps, reliés en un réseau de boucles interconnectées. La théorie des cordes, elle, demeure en panne de réalité. Qu'importe, tout cela vibre dans les tréfonds ! Et nous avec. Et moi, seul sur ma corde raide, je me cherche un effet tunnel pour passer le mur de l'accablement, un trou de vers qui me fera déboucher dans un puits de lumière. La neige est la bienvenue. Elle scintille de tous ses cristaux. Et le froid ralentit la corruption du Monde.

51 CHAPITRE SIXIÈME La nuit est là, glacée. Des fois je pense à toi, gisant dans ton cercueil. Et je me demande quel est celui qui a, de fait, abandonné l'autre. Je m'efforce cependant, la plupart du temps, de penser à toi vivante. Mais je ne peux escamoter cette réalité de ton corps. Tu ne désirais pas être incinérée. Nous en avions parlé. Moi, si. Je préfère m'imaginer un avenir de cendre et de poussière, plutôt qu'en décomposition parmi la vermine grouillante. Je tente de chasser les images. Elles sont morbides, elles me font mal. J'ai toujours détesté les films d'horreur. Peut-être suis-je trop émotif. Je n'aurais pas pu être chirurgien, ni même médecin. Ni croquemort... La misère des corps me terrifie. Et le film repasse sans cesse. Je remonte l'escalier des toilettes, quatre à quatre, je découvre le carnage sur le trottoir. Et toi baignant dans ton sang. Et ce vin gouttant sur toi depuis la table. Ajoutant son rouge à ton rouge. Et les cris. Les hurlements. La pagaille. La stupeur. Alors je me lève et je mets de la musique, j'attrape un livre, pour casser le cauchemar.

52 Je finis souvent par m'endormir sur mon livre. Le CD s'est tu depuis longtemps quand je m'éveille. La lumière de chevet brûle encore. Mais il fait jour. J'ai traversé la nuit. Ses ombres, ses fantômes, ses fantasmes, ses regrets, ses tortures inutiles. Par la fenêtre, en écartant le rideau, je vois le manteau blanc qui m'éblouit. Il y a un après. Et les misérables djihadistes sont presque tous en pièces détachées, à l'heure actuelle. Cependant, il en est qui courent toujours. Et qui pourraient revenir nous rappeler à leur bon souvenir. Avec des fleurs au bout de leurs kalachnikovs. Des bonbons... ou même des chocolats, venant de Molenbeek. Des ceintures d'explosifs pour un nouveau feu d'artifice. Histoire de faire sauter un peu cette Tour Eiffel de paix que Paris et le Monde entier ont voulu arborer contre la violence et la peur. Cette Tour Eiffel tricolore, alors que nous sommes en guerre. Et que s'il est léger au cœur, romantique et bien utopique de nier la guerre, c'est un bouclier bien fragile. Les tours de Carcassonne, toutefois, ne feraient pas mieux l'affaire. Ses doubles remparts ne seraient pas suffisants. Et nous n'allons pas vivre demain dans un blockhaus. Alors autant arborer les couleurs de la paix et de l'espoir, sur le dessin ajouré et élégant de la Tour Eiffel. Le symbole est beau et fort. Moi, dans ma montagne, je respire. Je peux craindre les avalanches, mais c'est à peu près tout. Et je n'ai pas l'impression d'avoir déserté. Je pense.

53 Je réfléchis. Et j'attends les suggestions de l'Univers pour l'ouvrage qui veut s'écrire sous mes doigts. Je rêve la forme que prennent mes chapitres, entre mes larmes. Je n'ai pas déserté, je suis en replis stratégique. Je prépare la contre-offensive. En effet, je l'ai dit, je ne laisserai pas ce carnage impuni. Je ne me soumettrai pas à la terreur. Ni à l'horreur. Ni même au chagrin. Je suis debout. Je lutte et j'avance mes pions un à un. Je place mes mots en embuscade. Je prépare des phrases pièges, des filets dérivants où viendront se prendre ces nihilistes crétins. Ces poissons de vase. Visqueux. Gluants. Encore dégoulinants du sang de leurs victimes. Ces monstres qui sont des humains. Et ils ouvriront la gueule sous la lumière, se débattront dans l'air culturel qui va les asphyxier. Je les regarderai crever sans état d'âme. À la chute de l'Empire romain, les barbares avaient peu à peu pris possession du royaume, qui se délitait. Mais les évêques avaient réussi le tour de force de les assimiler et de les baptiser. C'est l'Église qui avait tout géré. Ce qu'elle a réussi à cette époque, nous l'avons manqué avec l'Europe. Nous n'avons rien assimilé, rien intégré. Nous avons laissé s'installer des communautés dans leur pratiques surannées. Nous avons laissé les fossés se creuser et la laïcité perdre la bataille. Elle est bafouée tous les jours avec ces femmes voilées, hantant les rues comme des fantômes noirs. Nous n'avons pas posé nos conditions à ce mariage forcé. La condition absolue de la laïcité dans la rue. Dans

54 l'espace culturel. Dans la vie en commun et non pas communautaire. Et la liberté de la femme fait partie intégrante des Droits de l'homme et du citoyen. Nous ne l'avons pas mis en avant. Nous ne l'avons pas fait respecter. Nous nous sommes fait prendre à une apparence de signe extérieur de religiosité alors que c'est en fait un signe civilisationnel. Tu faisais maintes fois allusion à la condition féminine, dans tes romans, arguant que c'était le terreau le plus sensible, pour faire respecter les droits et les devoirs. La base de toute civilisation libre : le ventre des femmes, la situation des femmes. Et tu avais raison. Il est élémentaire que les étrangers quels qu'ils soient, qu'ils demandent asile ou viennent simplement travailler dans notre pays respectent nos lois. Mais surtout... que nous les fassions respecter. Que nous fassions respecter notre civilisation. Que nous n'acceptions ni la polygamie ni l'excision, ni le mariage forcé. Que nous n'acceptions pas davantage que le visage des femmes soit dissimulé, ou enlaidi par un foulard. Dans notre pays, les femmes sont libres. Mais nul n'est tenu de venir vivre dans notre pays. Nul n'est tenu de venir partager nos valeurs. Mais il est inouï que l'on tente de nous imposer des coutumes et des us complètement rétrogrades. Sous couvert d'une liberté de religion. Ceci n'a rien à voir avec la religion. La religion se pratique en privé, si elle se pratique. Pourquoi pas une religion qui passerait un anneau dans le nez des femmes pour les promener en laisse ? Avec nos principes,

55 ce serait accepté ! Respecté ! Eh bien non ! Il ne faut pas tout confondre. S'ouvrir aux autres cultures est bénéfique, cela agrandit l'horizon. Mais accepter des mœurs barbares dans notre pays, cela en est une autre, autant qu'accepter les inepties. Et à présent on parle d'heures de piscine réservées pour les femmes ! on croit rêver ! Quand allons-nous rouvrir les harems à défaut des maisons closes ? À quelle heure vivons-nous ? Sous quel soleil ? Sous quelles étoiles ? Qui va dicter nos lois ? Allons-nous nous convertir à l'obscurantisme ? En effet, il faut être clair : tout cela n'a rien à voir avec une religion, quelle qu'elle soit. Ce sont des préceptes de civilisation. Qui ne respecte déjà pas la femme et n'en fait pas son égale, comment respecterait-il les autres hommes ? On ne peut pas vivre enfermé, au milieu de gens libres qui vivent dans un pays libre. C'est cela qui gêne tant les djihadistes ! Ils voudraient nous enfermer tous avec eux dans leur prison toute noire, sans musique, sans danse, sans plaisir, prostrés à rabâcher des incantations dont eux-mêmes ne comprennent pas le sens. Mais... ils rêvent !!! Nous allons les enfermer dans les bibliothèques. Il faudrait songer à leur donner des peines de lecture. Pour qu'ils découvrent enfin ce qui se passe dans l'esprit d'un humain, lorsqu'il est libre. Il faut les renvoyer à l'école. Nous-mêmes avons déjà abandonné le confessionnal ! et la notion de péché peut se résumer tout entière dans le mot convoitise. Il apparaît alors, de toute évidence, que les intégristes

56 qui télécommandent les djihadistes sont en vérité de grands pécheurs ! Ils ne font que convoiter ! Ils convoitent ce qu'ils dénigrent. Ils en rêvent secrètement, mais se veulent purs dans le nihilisme. Molière aurait dit que ce sont de fieffés hypocrites, et les aurait traités de tartuffes ! Cependant... ils sont bien seuls, tous ces intégristes, dans l'ignorance de leur cerveau atrophié, nullement visité par le soleil ni par aucun amour. La convoitise contient les sept péchés capitaux, dont ils ont à rendre compte : 1-La luxure : convoiter les femmes tout en les méprisant, s'interdisant de les séduire et de les aimer comme égales. 2-La gourmandise : convoiter la nourriture et les boissons interdites, les fêtes et la joie, tout en se bourrant de sucreries pour compenser. 3-L'avarice : convoiter les richesses et dénier le partage. Ne rien donner que la mort et la punition. 4-L'orgueil : convoiter d'être le plus fort et le plus beau, comme un enfant naïf et vain. 5-L'envie : convoiter les menus plaisirs d'autrui comme le bonheur simple d'être et de vivre libre. 6-La paresse : convoiter de réduire femmes et comparses en esclavage, afin de ne rien faire par soi-même. Paresse intellectuelle à ne lire qu'un seul livre... 7-La colère : convoiter que le monde se soumette à ses idées stupides et malsaines et pigner de dépit ! Ils sont tous bien là dans ce mot convoitise, les sept péchés des djihadistes nazis !

57 Bouddha avait déjà résolu la question du bonheur en ne convoitant rien et en renonçant à tout... Eux, c'est tout le contraire ! Ils convoitent tout et ne renoncent à aucune ignominie pour arriver à leurs fins. Ils sont, ces djihadiste, des enfants mal élevés. Mal éduqués. Des enfants livrés à eux-mêmes. Sans autres directives que des paroles vides de sens. Des paroles qui ne peuvent faire sens, si elles en ont jamais eues, que devant des foules apeurées et incultes. Comment avons-nous pu laisser faire ça ? Toutes les classes politiques sont coupables. Tous les intellectuels sont coupables. Tous les scientifiques sont coupables. Tous les peuples sont coupables. Pourquoi ? me direz-vous. Eh bien parce qu'ils n'ont pas eu le courage, ni les uns ni les autres, d'entrer dans la sphère religieuse et de dire NON ! Ils se sont complus à faire les autruches. Ils ont omis de s'indigner. Ils ont omis d'agir. Et vous, tous religieux de toutes religions, qui adorez- vous ? En quoi croyez-vous donc ? Dites un peu quelque chose ! N'êtes-vous que des moutons bêlants ? Vous devriez tous être dans la rue au nom de votre dieu, quel qu'il soit ! ... même s'il n'existe pas, au moins faites semblant ! Ayez un peu de dignité, ou alors, bas les masques ! C'est bien ce que vous faites tous : vous baissez le masque et vous êtes en dessous hors humanité. Lobotomisés.

58 Et moi qui suis là dans la neige, je continue à exprimer ma colère. Ma colère noire. Ma colère inextinguible. Ma colère inextirpable. Ma colère sainte. La colère de DIEU. Je vais vous le façonner, moi, ce dieu, je vais le ressusciter des morts, pour qu'il vienne un peu vous dire deux mots ! Et je me servirai pour cela de toute la poussière d'étoile de l'Univers, pour que vous ne manquiez pas de le voir, bandes d'impies ! mécréants ! paresseux ! vaniteux ! misérables ! Ah ! vous ne savez pas de quoi vous parlez et à qui vous parler, mais LUI, Il va vous causer un peu. Vous souffler dans les bronches ! Bandes de nazes. Il va vous le faire rentrer dans la tronche à coup de côtes, QUI IL EST ! Bon. Je crois que je suis en bonne santé. C'est certain. J'ai une énergie à déplacer des djihadistes. Une énergie à les balayer de l'horizon d'un trait de plume. Une énergie à les dégonfler comme des baudruches qu'ils sont. Je vais m'établir prophète ! Je m'institue, je me oins. Je me déclare au fisc d'en haut : état : prophète. J'entends des voix ! Elles me dictent mes mots ! Je suis entouré de la virginité de la neige, tombée du ciel. Et mon ami Gabriel vient de m'envoyer un mail. J'ai confié à mon ami Pierre, les clés de mon appartement. Mon ami Raphaël est déjà entré en écriture. Mon courrier arrive en Poste restante.

59 Moi j'écris ce que "mes voix" me dictent : "Sculpte un dieu de Lumière. Mouille-le à la poussière d'étoile. "Tous les humains devront se tenir debout devant lui. "Ils devront lui sourire en gardant les yeux bien ouverts. "Ils devront chanter, danser, boire du vin, rompre le pain et faire la fête, pour le célébrer. "Ils devront aimer tout ce qui vit comme eux-mêmes. "Ils devront aimer la Terre comme leur mère. "Ils ne devront plus se référer aux écrits du passé dépassé. "Ils devront écrire de nouveaux livres. "Ils ne devront suivre que les lois de leur cœur et celles données par la Science. "Ce dieu révérez-le ! Aimez-le comme vous-mêmes ! Il est votre Père à tous, il est vous : il est l'UNIVERS !

60 CHAPITRE SEPTIÈME J'ai un peu la gueule de bois. Je suis sorti dans la neige. J'ai chaussé mes skis. Je suis monté le plus haut possible, à l'Aiguille Rouge. La descente est fabuleuse. J'ai retrouvé toutes mes sensations. Je me suis arrêté dans un chalet de montagne pour boire un verre de vin chaud. J'étais bien. J'étais bien sans toi, pour la première fois. Ce fut un instant de réalité. J'ai cherché ma colère. Je n'ai trouvé que la paix. Le soleil faisait scintiller la neige. Ce n'est pas un décor pour djihadistes. Il n'y avait de noir que mes lunettes. Les sapins s'habillaient de bleu au sommet de leurs aiguilles. Et les skieurs, sur les pistes, sont libres de leur corps. Libres de leur âme. Libres. S'ils quittent la piste, ils font leur trace sur une autre page blanche, blanc sur blanc. Rien n'est plus beau que cette liberté. Sur les pistes, j'ai croisé des hommes, des femmes, des enfants. Ils avaient tous l'air heureux. Ils traçaient là une autre histoire : de vie, de joie.

61 Il faut que je m'habitue à ton absence. Oui, je sais : que je m'y résigne. Mais c'est bien là ma seule résignation. Tout ce blanc ne me trouble pas l'esprit. Je ne suis pas dans les nuages. Je suis sur Terre. Dans un paradis blanc, certes, mais un paradis que je voudrais de civilisation. Qui aurait l'idée de venir saigner en plein soleil, en plein jour, sur la neige blanche ? À part ceux qui saignent du nez pour un oui, pour un non, comme moi, à l'Aiguille Rouge. Le paradis est éphémère. La neige fond avec le redoux. Les lois mêmes sont-elles rigides ? Nous ne savons rien -ou pas grand chose- de celles qui gouvernaient l'Univers à ses débuts. Mais lorsque le vide -qui est plein- s'est lézardé d'un éclair, un peu de Force a pris corps. Lorsque la Force s'est mise en quatre pour former cet Univers-là, pas un autre, a-t-elle apporté quelques lois avec elle, dans ses bagages, alors qu'un grain de beauté extravagant s'est soudain mis à enfler pour trouver sa place ? À cette époque la Force poussait juste pour respirer, qui éclata aussitôt en chaleur et lumière. Une soupe. La Force s'est adaptée à la soupe. Elle s'est ajustée gravement. Rien d'autre. Tout est dans l'Univers. À force de faire des gorges chaudes, la soupe s'est un peu refroidie. Il serait logique que l'Univers évolue, comme la vie, par le hasard et la nécessité. Quoique le hasard ne soit là que très peu hasardeux, vu qu'il n'y avait encore pas grand choix... à part d'être "cheveux sur la soupe" et de faire quelques grumeaux. Mais cet effet est suffisant, pour qu'entrent en lice d'autres

62 partenaires, avec d'autres visées. Les petits quarks en ont profité, eux, pour s'agglutiner ! Se noyauter en triplés inséparables, formant les premiers protons. Ah ! gravité en a fait des ondes ! Qui vient manger dans ma soupe ? Et d'essayer de les pousser hors du potage. Mais elle n'a réussi qu'à les renforcer. Elle a dû faire avec. Chacune des forces en puissance a établi son territoire. Elles se sont partagé la soupe. Elles se sont équilibrées, régulées. Elles ont fini par échanger des particules. Dans la soupe, aucune particule n'est élémentaire, toutes contribuent au potage. Elles ont établi des lois de coexistence, d'échange, d'entraide même. Et elles sont devenues. Le temps a passé. Il faut du temps pour devenir. Il faut cheminer l'intégrale des chemins. Tout essayer. Se tromper. Tout perdre. Rebâtir. Mais jamais, jamais elles ne se sont arrêtées pour écrire un livre. Écrire quoi ? Puisque les données changent tout le temps ! Voilà bien le cœur de l'histoire : les données changent le temps et le temps change les données. Pas la Force. Si gravité n'avait pas poussé la première, nous n'en serions pas là ! Nous serions toujours en équilibre dans le grain de beauté, entre être et avoir. Entre lumière et obscurité. Dans un état DIEU. Un moment. Rien qu'un moment. Sans temps et sans espace. Juste à osciller entre le tout et le rien. Le virtuel et le réel. En extase bienheureuse et toute puissante. Un instant d'éternité. Une éternité qui ne dure pas !...

63 Big-bang ! Et je te dégomme l'éternité ! Un djihadiste passait là ! Il est certain que si je racontais cela à mes étudiants en cours, je ne ferais pas long feu avant qu'on ne m'enferme avec une camisole. Mais tu m'as donné des idées. Des idées que je n'aurais sans doute pas osé avoir. Du moins... si je les avais eues, je les aurais gardées pour moi. Tandis que toi, sans complexes, tu les a exposées dans tes romans, avec une insolence inouïe. Imaginez : Zaza Bachelard en action, avec ses dentelles et ses porte-jarretelles ! Heureusement que tu n'as pas publié. Tu m'aurais ridiculisé. Pensez-donc : ma femme ! C'eût été, pour ma carrière de physicien, comme si j'avais épousé une vedette du porno. Mais cela a dû te coûter. Peut-être est-ce cela qui t'a coûté la vie ? Je ne le saurai jamais. Il est trop tard, anyway. Et la résurrection ne va pas dans le sens du temps. Le temps est frappé d'une brisure de symétrie irréversible. C'est une monnaie qui ne s'échange pas. Après, il faut faire autre chose. Sans permutation : on ne peut pas faire la même chose. Et jamais le verre brisé ne se recolle. Jamais le café chaud ne revient dans la tasse, une fois renversé. De plus, il refroidit. Les choses sont frappées de refroidissement. Jusqu'à ce qu'elles atteignent le zéro absolu. L'immobilisation totale des molécules, qui les gèle dans une éclaboussure sur le fond d'écran de l'Univers. Mais nous n'avons pas atteint ce degré. Il nous reste quelques graduations. C'est ce que nous indique le fond diffus cosmologique. Nous en avons dressé la carte. Les éclaboussures

64 du Big-bang ! La soupe répandue aux confins du tréfonds ! Vlan ! Passe-moi l'éponge ! Je m'égare un peu. Mais d'un autre côté, je retrouve une liberté de ton que je n'ai jamais eue. Que je ne me suis jamais permise, même en rêve. Je me calque sur toi. Et toi, tu es morte. Donc, il faut tabler sur la grande liberté des morts, comme Léon Morin tablait sur la grande liberté des enfants de Dieu ! Béatrice Beck ! l'auteure de ce petit livre génial, qui a donné naissance à un film magnifique1avec un Jean-Paul Belmondo inspiré. Mais les choses ne sont pas transcendantes, elles sont immanentes ou elles ne sont pas. Elles sont là dans l'instant du réel. Et puis, elles sont autres. Toi tu es morte. Tu m'as laissé sept romans en héritage. Ils devront vivre pour toi. Et c'est à moi, maintenant, de les faire vivre. Et ce qui me dérange le plus, c'est bien ça ! Comment vais-je pouvoir continuer à être un physicien respectable ? Il va me falloir sauter le pas. Bien sûr, ma carrière est derrière moi. Et ma réputation... est celle d'un homme intègre. Dans mon domaine. Mais quel est mon domaine ? Le domaine physique ? Le domaine philosophique ? Que recouvre la philosophie des sciences ? Certes pas la science-fiction ! Là je sors de mes gonds, je déjante... je quitte la route. Je quitte même le domaine du possible avec mes objectifs : l'éradication, le déchiquetage philosophique, la mise en ridicule absolu des djihadistes ! Sans compter mon

1 Léon Morin prêtre, film de Jean-Pierre Melville 1961-

65 habilitation en prophète et... ton habilitation en romancière. Qui me suivra jamais dans ce délire ? Et quel éditeur ? Quel casse-tête ! Si j'en parle à l'édition du Pommier, qui ne s'occupe que de science et de scientifiques, je vais repartir avec mon panier de romans sous le bras. Et je vais finir par donner la langue d'Einstein en pâture aux ânes. Mais j'ai le temps... chaque chose en sont temps. Les pommes ne sont pas encore en fleurs au pommier. Je dois construire auparavant toute ma déconstruction. L'Univers est si vaste. Et les djihadistes si stupides. Ils ne sont que des événements dans le tissu des relations négatives du monde. Il faut retourner le tissu. Découper l'endroit lésé. Tisser d'autres liens, d'autres mots. Un petit coup de correcteur blanc pour effacer ce noir importun. Un tour de passe-passe. Une magie. Une illusion. Traiter l'illusion par l'illusion. En effet, tout ce qu'ils ont dans la tête n'est qu'illusion, illusoire. Tout chez eux n'est que rature. Imposture. Mixture infâme contre-nature. Pâture à la misère, à l'illettrisme, à la bêtise. Du non-sens, de l'absurde. L'Univers n'est jamais absurde. Les djihadistes et tous les intégristes, si ! Ils sont l'absurdité même. Et la charia doit être dénoncée comme crime contre l'humanité. Par les plus hautes instances mondiales. Contraire aux Droits de l'Homme et du citoyen. En vertu de la civilisation qui règne sur Terre, qui doit partir en guerre contre la barbarie. Résolument. En ordre de marche. Mais pas avec des armes. Il faut baisser les armes. Cesser de vendre des armes. Il faut se servir des idées !

66 Napoléon avait exigé des Juifs qu'ils mettent de l'eau dans leur vin. Qu'ils adaptent leur religion sclérosée à la civilisation du XIXe siècle. Qu'ils effacent de leurs livres, de leurs rites, les traces de dérives sectaires et bellicistes. Nous devons exiger la même chose, nous la civilisation occidentale, de la religion musulmane. Qu'elle reste une religion si ça lui chante, mais qu'elle abandonne toute prérogative politique. Et toute référence à la charia. Il est de toute urgence nécessaire, pour l'avenir de l'humanité, d'éradiquer la charia et ce qu'elle transporte comme idées mortifères et inhumaines. Comme, en son temps, a été éradiquée la loi du Talion. Nous sommes au XXIe siècle ! Secouez vos tapis de prière plein de poussière ! Nous n'avons pas à respecter la barbarie. Nous n'avons pas à respecter la bêtise. Mais nous voulons commercer ! Alors nous acceptons toutes les reculades ! Et tant que nous vendrons des armes, nous n'obtiendrons rien. C'est pourtant simple. Honte à nous ! Honte ! Que les victimes cessent de pleurnicher, qu'elles exigent la justice. Parce que... elle ne leur sera pas donnée... Aide-toi, le ciel t'aidera ! dit le proverbe ... avec bon sens. Bon. J'appelle à la guerre sainte : celle de la vie. C'est clair ! Et celle des idées. Et notre Univers qui est si beau, garde-nous sous ton manteau ! Déploie toute ta mécanique quantique dans les bras des galaxies, pour nous venir en aide !

67 Il faut que j'arrête le Côte du Rhône. Il n'est pas étonnant que j'aie la gueule de bois. Longtemps, je me suis couché de bonheur. À présent, je ne me couche plus. Je dors debout. Ma fille m'a téléphoné. Elle s'inquiète pour moi. Elle me demande ce que je fais, tout seul dans la neige. Comment lui dire que je suis apprenti prophète ? Comment lui dire que sa mère mérite un prix Goncourt posthume ? Tout cela n'est pas dans ses préoccupations. Elle s'occupe de son bébé et il se charge de la maintenir dans un présent continu. À lui, tous les instants. Cependant, c'est pour l'avenir de ce bébé que j'œuvre. Je désembourbe. Je dépoussière. Je brise la glace. J'attaque la langue de bois à la hache. J'aime de tout mon cœur. Je réfléchis de tous mes neurones, j'active mes synapses et toutes mes perceptions. Je capte de toutes mes antennes. J'ouvre un sentier peu à peu. Pas bien large. Une marque dans le rien. Une marque dans le silence. Un pont jeté. Un cri. Mais si puissant que, comme à Jéricho, il va effondrer les murailles de la bêtise. De l'aveuglement. De la cécité mentale dont sont atteints, apparemment, mes contemporains. Je ne suis pas un saint. Je ne suis pas un visionnaire. Juste un physicien en colère, dont des connards ont abattu la femme d'une rafale de kalachnikov. Et je ne suis même pas un écrivain, ni un philosophe. Je ne suis qu'un pékin lambda qui a le même cerveau que les autres pékins lambdas, avec, peut-être d'autres connections. Un cerveau dans

68 lequel passent des formules mathématiques. Des équations. Et beaucoup de douleur. Une douleur qui me met les nerfs à vif. La sensibilité à vif. L'intelligence à vif. La vie à vif. Comment expliquer cela à ma fille ? Alors, je n'explique rien. Je lui dis que je fais du ski. Que je respire. Et que je bois du Côte du Rhône. Mais cela, elle le sait. Ce n'est pas nouveau. J'ai toujours adoré le bon vin. Évidemment, comme je suis un peu épuisé, la moindre gorgée me met le feu aux poudres. Et je chavire. Je chavire dans une agitation débridée, dont je n'ai compte à rendre à personne, juste au clavier de mon ordinateur. Et je garde toujours la lucidité nécessaire pour distinguer les lettres. Bien reconnaître les mots dont j'ai besoin. Traduire au plus près mon état d'âme. Ma volonté farouche. Mon arme fatale. Kill Bill ! Je sors mon sabre et je pourfends, je fais tournoyer ma lame de fond, je coupe les têtes stupides qui crient que dieu est grand, alors qu'ils ne savent pas qui est dieu. Puisqu'ils ne connaissent rien à rien. Et qu'ils ne distinguent pas une boîte de cartouche d'une boîte de chocolat de Molenbeek. Une kalachnikov d'un crayon pour écrire. Pour écrire, il faut apprendre à former des lettres et... il faut avoir une pensée. Et l'énoncer. Pour appuyer sur une gâchette, il faut juste un automatisme stupide. Un réflex pavlovien. Un mouvement sporadique et nerveux. Aucune pensée et aucun savoir faire. Dieu est le grand malentendu. Ces crétins n'ont jamais entendu dieu. Pour la bonne raison que

69 dieu ne dit jamais rien. Et pour cause... Ces demeurés sont de grand malentendants. Celui qui prétend avoir entendu quelque chose n'entend jamais que lui-même : ses fantasmes, son ambition, son propre désir fou. Et l'inconscient collectif. Dieu a peut-être tous les attributs du monde, mais il n'a pas la parole. La parole est humaine. Elle s'exprime dans plusieurs langues différentes. Qui avec des mots différents désigne la même chose. Y compris ce qui n'existe pas. L'Univers est merveilleusement beau. La Force danse. Le temps passe. Dieu est une idée. Une idée de toute puissance. Juste un fantasme humain. L'Univers se moque bien d'être puissant. Il EST. Il se déploie en spirales dorées dans l'espace qu'il dessine du bout de son crayon du temps. Il sème ses particules, qui se débrouillent toutes seules à vouloir s'unir ou se désunir. Il conserve toujours son énergie, c'est une loi... ainsi, bon an mal an, la vie a-t-elle fleuri et s'est diversifiée sur la planète Terre. Une petite planète à la périphérie d'un bras de galaxie, parmi tant d'autres. Une planète qui abrite la vie. La vie ! Peut-être n'y a-t-il qu'une planète par galaxie, qui abrite la vie, nous ne le savons pas. Sur toute une portée de planètes stériles, aussi rare qu'un trèfle à quatre feuilles, presque une anomalie, fleurit la vie sur la planète Terre. Et de fil en aiguille, d'évolution en pressions et en nécessités, au bout d'une chaîne complexe, s'est tramé l'Homme. Et un abruti cagoulé, viendrait jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes en

70 beuglant un mot qui veut dire "dieu" et qui ne correspond à rien de connu ? C'est d'une absurdité sans nom.

71 CHAPITRE HUITIÈME C'est bientôt mon anniversaire. Mes amis, mes enfants, me pressent de rentrer à Paris. Pour y faire quoi ? Souffler des bougies ? M'y confronter aux souvenirs ? Me réinsérer dans une vie qui n'est plus la mienne ? Pour qu'encore on me fasse prendre des vessies pour des lanternes ? Non. Je vais attendre la fonte des neiges. Et puis j'irai rechercher les edelweiss et le génépi. J'arpenterai les chemins à pied ou en VTT. Je respirerai l'air de la montagne. Le chien sera content. Je n'ai pas parlé du chien. Sauf pour dire qu'il t'accompagnait en balades. Et nous l'avions emmené avec nous, ce soir-là. Il était couché sous la table. Et puis, lorsque je me suis levé pour aller aux toilettes, il m'a suivi, jusqu'en haut de l'escalier. Un serveur l'a vu et lui a donné une gamelle d'eau. Il lui a sauvé la vie. Sinon, il serait retourné vers toi, sur la terrasse. La bonne action du serveur lui a octroyé la vie sauve à lui aussi. Sinon, il serait également retourné sur la terrasse, débarrasser les tables. On est bien peu de choses.

72 Le chien aime bien la neige. Mais ce n'est pas un chien de traineau... plutôt un chien d'appartement, qui reprend ses marques dans la nature. Comme moi. Nous nous tenons compagnie. Lui aussi était resté près de toi, la tête sur tes pieds. Et moi, qui te serrais contre moi, assis sur le trottoir. Nous devions faire un joli trio. Touchant. Je regrette à présent que personne n'ait eu l'idée de nous prendre en photo. Certes c'est indécent de photographier le malheur. La mort. Cependant, c'était un bel instant. Nous étions encore ensemble. La mort n'avait pas pris ses droits. Ni la séparation. Tu me manques toujours autant. Je maudis cette garce qui te tient à présent dans ses bras. Je maudis ce gars, qui tenait une kalachnikov dans ses mains. Nous sommes un désir de l'Univers. Son lent cheminement à travers les particules. Parti de rien, ou de si peu : le vide, qui n'est pas vide. Mais qui, de l'autre côté du mur de Planck, grouille ses particules virtuelles, sans qu'aucun temps ne le perturbe. Un envers du décor. Une présence silencieuse. Et le désir chemine. Il veut naître au réel. Il finit par exulter. Alors, big-bang ! le vide enfante un Univers. Bientôt roule les boules. Et l'Univers engendre étoiles et planètes. Et puis toutes ces îles, ces villes, ces châteaux grandioses : les galaxies. Enfin l'huître, autour d'un grain de sable, finit par faire sa perle : la vie. Quel patience dans l'azur ! Que travail acharné ! Et ce magnifique royaume accouche d'un chef-d'œuvre de technicité, de sensibilité et

73 d'intelligence : le couple humain. Le couple humain qui n'est rien l'un sans l'autre. Un couple fécond l'un par l'autre. Et ces arriérés mentaux voilent la merveille qu'est la femme. Asservissent dans le même lot leurs mères, leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles ! Honte à eux ! Ils la font marcher quatre pas en arrière, alors qu'elle devrait les précéder ! Elle qui a l'insigne privilège de porter la vie dans son ventre ! Une reine à la cheville de laquelle ils n'arriveront jamais. Et ils osent parler d'un dieu ? Ils osent imaginer ce qui pourrait lui plaire ? Quels sacrifices crétins ? Quelles prosternations, quelles prières dérisoires ? Quelles insanités malsaines : envoyer des enfants mourir à la vie en osant invoquer le nom d'un dieu ! Ânes bâtés ! L'univers commerce avec ses particules. Il n'exige rien de nous. Il ne fait pas d'alliance. Ne réclame pas que l'on se coupe un bout de chair... ou que l'on s'en cache un autre ! Il est tellement ridicule de faire endosser à une quelconque volonté divine une simple mesure d'hygiène ; autant qu'une attitude de prudence, du temps où les hommes - assimilant les femmes aux cheptels - tuaient pour un oui pour un non pour les dérober, si elles étaient plaisantes. Il y a deux mille ans. Dans un autre monde. Dans un autre temps. Une autre galaxie... Dans ma montagne, il n'y a que des sapins, de la neige et du ciel. Et pas de femmes voilées. Les djihadistes ne font pas de ski. Tenir une kalachnikov ou des bâtons, il faut choisir. Et le ski est l'école de la liberté. Cela doit-être impur, voire

74 impie ! La liberté du corps et de l'esprit, pensez donc ! Glisser librement au milieu de la nature, sur le flanc d'une montagne ! C'est érotique en diable ! Il doit bien exister une fatwa sur le ski, comme il en existe une sur le jeu d'échec. La bêtise n'a pas de limite. Trois petits trous et puis s'en vont. Il y avait trois balles dans ton corps, au niveau du cœur. Trois trous noirs. Trois trous de balle sur ma dame. Ma dame de cœur. Il neige à nouveau. La neige est reposante. Je suis passé à la librairie-journaux de la station. J'y ai acheté un roman, publié chez Gallimard. Il n'y avait pas beaucoup de livres dans ce commerce et j'ai pensé : Gallimard ne publie pas n'importe quoi, je leur fais confiance. Mais j'avoue que le livre m'est tombé des mains d'ennui, tant ce qu'il raconte date. Décalé. Dépassé. Hors du monde. À qui s'adresse-t-il ? aux retardataires ? Je suis déçu. J'aurai la charité de ne pas citer le titre ni l'auteur. La charité, pas l'amour. Toute cette littérature, tout de même, qui continue de tartiner de la margarine sur le pain blanc des éditeurs ! On dirait qu'ils se sont tous arrêtés de penser. Ils sont là à grignoter toujours le même morceau de fromage, comme des rats. Où sont les idées ? Où sont les nouveautés ? Qui les écrit ? Qui les édite ? Ne serions-nous plus que dans un monde de vieux qui radotent leurs mêmes histoires ?

75 Et la même philosophie surannée, que l'on nous ressort sans cesse en exemple, pour montrer qu'on a "des lettres" ! Hello ! le temps a passé ! Je me pose la question : est-ce les auteurs qui n'osent plus écrire ? Ou sont-ce les éditeurs qui n'osent publier que du bien conventionnel, bien rassis, qui ne risque de déranger personne ? Je ne parle pas de la pléthore de publications des hommes politiques. Je me demande sincèrement qui les achète ? À mon avis, ils payent pour être édités. Et tout va droit au pilon. Qui pourrait s'intéresser à ce que disent tous ces messieurs qui déjà n'intéressent plus personne ? Qui n'ont rien à dire de nouveau, à part leur contrition dont on se fout éperdument. Ils ont raté le coche. Le moment. C'est de l'à venir que nous voulons. De la nouveauté. D'autres solutions. D'autres façons d'être. Maintenant que je suis là dans la neige, mon jugement se fait plus incisif. Je prends de la hauteur. Je ne baigne plus dans le parisianisme. Je n'ai plus d'égards pour les médias, qui, je n'en doute pas, n'en auront pas pour moi. Mais que m'importe. Je ne retournerai pas en arrière. Je ne marcherai plus jamais dans mes pas. Toi non plus. Et c'est sur toi que je prends exemple. Tu es ailleurs. Moi aussi. Même si ce n'est pas le même ailleurs. Et moi, ici, je fais ma mue. Je suis toujours un physicien, qu'on le veuille ou non. Je l'ai été, je le demeure. Je ne peux rien désapprendre. Je ne vais rien renier. Mais mon regard est différent. Et

76 dans toute expérience, rien ne compte plus que le regard. La conscience. Il est curieux qu'on parle si peu de la conscience, en science... La conscience. Con, dérivé de cum = avec. Avec la science... Pourquoi la conscience intervient-elle si peu dans le langage scientifique ? Ferait-elle peur ? Ne serions-nous pas sûrs de notre conscience ? Ou bien craignons-nous d'être coupables de conscience ? Ah ! nous voulons bien faire des mesures sur les particules, les classer, les nommer, mais comme si elles étaient étrangères. Autres. Alors qu'elles nous constituent... Comme si elles s'agitaient dans un monde indépendant de nous. Tu le faisais remarquer dans un de tes romans. La conscience c'est ce qui lie. C'est ce qui donne sens. Et nous autres scientifiques, nous voulons bien mesurer, observer, mais nous pensons que ce n'est pas notre rôle de donner sens. C'est le rôle de qui, alors ? Le rôle des philosophes qui ne connaissent rien à la science ? Le rôle des religieux qui ne connaissent ni la philosophie ni la science ? Le rôle des passants qui passent ? Nous voulons bien, nous scientifiques, faire l'aumône de quelques explications intelligibles au passant qui passe. De la charité en quelque sorte. Mais pas de l'amour... Quoi, ce que nous découvrons ne serait-il pas intelligible par tout un chacun ? Le langage mathématique n'est jamais qu'un langage. Il est formel. Formaté. Le langage est mouvant et fluide. Il se réinvente sans cesse. Et

77 nous, humains, nous comprenons quand on nous explique. Et pas besoin pour cela d'avoir, comme Gaston, une barbe longue comme un jour sans pain et d'écrire des formules philosophiques illisibles. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, disait Boileau. Il n'est d'idée qui pour se faire comprendre demande des phrases à rallonge. Les plus pertinentes, les plus profondes, tiennent en un précepte. Un psaume. Une image. Et les choses sont là. Sous nos yeux. Notre vibration les change. Les heurte. Les perturbe. Les caresse. Ou les aime. Les particules ne sont pas des objets morts. Statiques. Elles dansent comme la Force. L'Univers n'est pas un objet mort, statique, un fond d'écran d'ordinateur. L'espace n'est pas un objet mort, statique, sur lequel, dans lequel se déroulent les événements. Il participe. Il participe de tous ses atomes, de tous ses champs. De tous ses chants... De toutes ses perceptions. De toute son intelligence. De toute sa conscience. L'Univers dans sa totalité ressemble à ces myxomycètes, ces moisissures intelligentes, qui tracent des chemins vers la nourriture et sèment des balises. Pauvre gros cerveau, dont l'humain ne fait rien ! Planqué dans ses certitudes obsolètes. Dans ses livres d'images. Dans ses contes enfantins infantiles. Dans ses lamentations stériles. Ses prières inutiles. Rampant comme une chenille, alors qu'il devrait déjà être au stade du papillon. Évoluer. Se métamorphoser. Muer. Et nous, les scientifiques, que faisons-nous pour l'y aider ?

78 Nous distillons, de ci de là quelques bonnes paroles, quelques éclaircissement circonstanciés. Nous nous gargarisons de formules consacrées. Entre nous. Dans le délit d'initiés. Il faut changer tout cela. La poésie était déjà descendue dans la rue... avec la chanson. À présent c'est la science qui doit descendre dans la rue. Pour que les gens la fredonnent à chaque coin de rue. Pour qu'il y en reprennent les tubes qui passeront sur les radios. Et, comme les paroles qui s'envolent, la foule les apprendront par cœur, sans même s'en apercevoir. Nous allons instaurer des prières laïques. Nous allons réquisitionner les synagogues, les églises et les mosquées, pour y donner des cours du soir. Et nous allons y enseigner l'ABC de la science. La science pour les nuls. Il faut prendre le taureau par les cornes. C'est une urgence. Et nous sommes en état d'urgence. C'est un devoir. Un devoir de citoyen. Pour influer sur quoi que ce soit, il faut se mettre au diapason. Prendre le ton. S'ouvrir. Aimer. L'amour, pas la charité. Et mes djihadistes ? Traqués de toute part, il ne pourront que se convertir... à l'intelligence ! Un couple n'est rien l'un sans l'autre. Ta présence, ton amour, je m'en rends compte aujourd'hui, m'ont permis de travailler sereinement. De réfléchir efficacement, sans

79 problème d'intendance. Ma présence à tes côtés t'a fait rempart. Double rempart de Carcassonne. Tu as pu devenir sereinement une femme épanouie. Tu as pu réfléchir lors de mes heures d'absence... et écrire tes romans sans soucis de résultat... Tu ne seras pas pressée par les nécessités de la promotion. Par l'image de toi à donner au public. À présent que te voilà Anonymus dans ton cercueil, l'image est figée à jamais. Tu n'auras pas à répondre aux questions bateaux et stupides des journalistes. Tu n'auras pas à t'allonger sur le divan de Fogiel. Ni à te faire dépecer chez Ruquier. Quel pied de nez ! Il n'y a plus d'abonnée au numéro que vous avez demandé ! Tu m'en laisses toute la charge. Et moi, qui n'ai jamais écrit que des livres scientifiques. Je n'ai rien à répondre. Bien sûr, il y a celui-là. Ce roman qui prend corps sous mes doigts. Une œuvre à quatre mains, je n'en peux plus douter. Tu tiens ma main sur les touches de mon clavier, comme tu la tenais souvent en dormant. Et tu dors. Tu continues de dormir. Ton sommeil me navre. Il m'oblige. Tu es plus active morte que tu ne l'étais de ton vivant. Et je vois bien à présent ma condition : je ne suis qu'un physicien sous la neige. Un homme seul. Un homme qui pleure. Un homme qui boit du Côte du Rhône. Un veuf. Mais un homme debout. La soumission ? JAMAIS.

80 Alors, puisque je suis debout, je vais aller faire un tour dans la station. Je vais déguster une fondue ou une raclette, par ce temps. Le vais me mêler un peu à mes semblables. Humer l'humain. Ma peine fera une pause. Mon roman également. Et tout ce blanc ! Et cette neige, qui n'en finit pas de tomber ! Dust. Poudre d'ange. Cristaux féériques, dont pas un n'est semblable. Je vais me fondre dans le blanc. Oublier les djihadistes noirs. Les trous noirs. Les idées noires. Je vais me payer une nuit blanche. Le chien sera content d'une promenade.

81 NEUVIÈME CHAPITRE Elle glissa de la côte enneigée et, dans la poudreuse, atterrit presque à mes pieds. Le chien la gratifia d'un coup de langue. Je lui tendis la main pour l'aider à se relever. Elle me sourit. Je restai dans l'instant, fasciné. Son bonnet rouge cachait ses cheveux. Ses yeux noirs étaient superbes. Elle s'épousseta de la neige, collée à sa veste matelassée. Je la regardai. Je ne pouvais rien faire d'autre. Je ne fis rien. Elle se tourna vers moi et dit juste : "merci"! Je n'ai pas été très original. Je lui ai simplement demandé où elle allait comme ça. Et elle m'a répondu qu'elle avait l'intention d'aller dîner, mais que le chemin était très glissant. Je lui ai proposé mon bras, presque par réflex. J'ai ajouté que j'avais faim moi aussi. Voilà. Tout était dit. Je n'aurais jamais pensé qu'une femme me viendrait de la côte neigeuse. Nous avons bu de l'Apremont avec la fondue. Elle s'appelle Zohra. Elle est d'origine marocaine. Et musulmane. Elle est venue skier. Et elle est éditrice. Je n'en reviens pas. Il n'y a pas à revenir, d'ailleurs. Nous avons passé la nuit ensemble.

82 Ces pages sont l'interface avec ton souvenir. Là où je te parle encore. Et ce n'est que lorsque j'écris que je sens ta présence. Je n'ai jamais l'illusion que tu me regardes ou que tu me juges. Alors comme je n'ai pas de ce genre de croyance, je suis libre. Je n'ai débord échangé avec Zohra que des banalités. Moi aussi je venais de Paris. Moi aussi je faisais du ski. Je n'ai pas voulu entacher sa soirée de mon deuil et... je n'ai rien dit à ton sujet. Elle avait lu quelques uns de mes livres. Je ne connaissais pas son label, quelque peu confidentiel : les éditions du Bois Noir. Elle travaille essentiellement avec de jeunes auteurs, à la recherche d'un souffle moderne dans la nouvelle génération, qu'elle favorise en ne réclamant pas de version imprimée ; elle lit tous les manuscrits sur écran. À la montagne, elle peut ainsi joindre l'utile à l'agréable. Nous n'avons pas parlé des attentats, qui vu d'ici semblent bien lointains. Grâce à l'extrême discrétion de mes amis et de toute ma famille, les médias nous ont, en effet, laissés en paix. Ils n'ont pas exploité le lien entre moi et ta disparition. Aucune rumeur n'a encore filtré dans les journaux people, avides de scoops. Il n'est pas certain que cela perdure. Je ne suis pas une vedette, mais les charognards n'hésitent pas à s'infiltrer partout, pour becqueter un lambeau de malheur. Ou de bonheur. Donc, je n'ai pas menti. J'ai omis. Je suis un habitué des départs. Il m'est arrivé souvent de partir en voyage d'étude, ou de visiter

83 des collègues à l'étranger. J'ai prétexté là, la rédaction d'un nouvel ouvrage. Et moi seul sais que je suis venu ici pour fuir la mémoire. Pour explorer l'instant. Pour survivre. Je ne prétendrai pas ne t'avoir jamais trompée. Du moins, trompée, n'est pas le mot. Tu étais douée d'antennes qui détectaient indirectement sur moi les reflets de mes actes. De mes contrariétés comme de mes passions. Et si j'ai cédé occasionnellement à quelques courbes affriolantes, à quelque frais minois, ou à l'enjouement joyeux d'un esprit vif, je n'ai jamais développé d'intrigues, ni de double vie. Mes fréquents déplacements m'ont toujours donné l'espace vital nécessaire, dont beaucoup d'hommes rêvent. Mais j'aimais vivre avec toi. Ta présence me manque, ton corps... et je sais où il git. Pour moi, nuls fantasmes. Néanmoins la vie reprend toujours ses droits. Je suis un homme normal. Extrêmement normal. Après ces longs mois de douleur, j'ai pris plaisir à la compagnie de Zohra. Elle a un beau visage. Sa féminité jaillit de chacun de ses gestes. À sa façon de renverser la tête quand elle rit. De consulter gravement son I phone, tout en s'excusant de l'aparté. Moi, j'ai coupé le mien. Mais nous ne faisons pas le même métier. Et si nos lignes d'Univers nous ont réunis, notre parcours est loin d'être comparable. Ni même peut-être compatible. Néanmoins, je suis vivant. Et j'ai aimé son corps. Après avoir quelque peu apprécié son esprit, il est vrai. Je n'ai pas à me forcer, je ne suis pas macho. J'ai toujours aimé la compagnie des femmes. Elles sont bien plus

84 étonnantes que les hommes, bien plus libres. Elles savent allier la fantaisie avec la vie. On ne s'imagine pas combien la fantaisie est nécessaire au scientifique. Pour le pousser en dérision. En déraison. Pour l'aiguiller un peu hors des rails et des sentiers battus. Abandonnant toute logique. Échappant de fait à ... la gravité. La gravité qui nous pose tant de problèmes ! Qui n'est pas une force, mais un artisan sculpteur ! Qui courbe l'espace autour des masses ! Qui tient chacun dans ses filets vertigineusement penchés, offrant des pentes toujours descendantes et paraboliques. La gravité a mené Zohra à mes pieds. Avec l'aide de la neige, poudreusement fardée. J'avais libéré certainement un peu de place en moi. Dans un espace que tu as laissé libre, mais que je me refusais à aéré. Comme pour garder de toi encore quelques fragrances. Mais tu es partie en claquant la porte, emboîtant le pas à trois balles de kalachnikov. C'est sec. C'est net. Il n'y a plus rien à respirer. Et ta mémoire n'a que faire de mes frasques au lit. Du plaisir. Le plaisir que se refusent ces damnés, ces fieffés idiots de djihadistes. Le désir. L'amour. La beauté d'un corps. Que des choses qui les guériraient de leur bêtise crasse. Des choses qui les terrifient. En fait. Des choses qu'ils s'interdisent pour se mutiler un peu plus. Pour se soustraire au vivant. Pour en appeler au néant. La science a établi que le néant n'existait pas. Que le vide n'est pas vide. Et qu'avant l'Univers, il est probable qu'il y en existait d'autres. Ainsi de rebonds en rebonds, la Force et la matière

85 deviennent. Forgent des lois, les marient, les manient, les transgressent. Évoluent. Deviennent. Tout est une question de temps. Et les Univers ont tous leurs instants. Tous leurs instants pour devenir de plus en plus précis, de plus en plus performants et complexes, pour créer des mondes de plus en plus beaux et sophistiqués. Intelligents. Sensibles. Vivants. Extravagants. Imaginatifs. On peut toujours leur appliquer les plus savantes mathématiques ! Jamais elles ne seront que des modèles partiels qui tenteront de rendre compte de l'extraordinaire créativité de notre Univers. Et des autres... tous ceux nés d'un trou noir... tous ces grains de beauté contractés en des moments parfaits. En équilibre précaire. Des moments d'éternité et de respiration. Et là nul besoin de créateur ! Quelle insulte ! Les Univers se créent et se recréent. Rien n'est jamais séparé ni extérieur. La Force danse. Elle danse comme l'amour, le désir, la joie et le plaisir. Le plaisir qui explose en big-bang, pour nous faire toucher du doigt les soleils, qui irradie nos corps et nos âmes, qui déchire tous les voiles, qui nous permet d'effleurer la béatitude et le ciel immense. Le plaisir, qui nous laisse engranger chaque fois le tiers des étoiles. Pauvres petits djihadistes pulvérisés ! Vous n'avez pas idée de ce que vous avez perdu ! Vous n'avez aucune représentation de ce que vous avez nié, tout en hurlant vos insanités ! Des insanités qui ne sont pas religieuses mais qui voudraient en prendre le masque. Alors que la seule religion qui soit au monde est celle de la vie. La célébration de

86 la vie. La beauté de la vie. Le désir. Le plaisir. Qui donnent la vie. Pauvres petites raclures de parchemins obsolètes. Pauvres taches. Pauvres ratures de scribes. Privés d'intelligence, vous n'êtes que de mauvais élèves. Des cancres que l'on met au coin avec un bonnet d'âne ! Le plaisir ! Je suis vivant. Et j'ai pris du plaisir. J'ai aimé un corps vivant qui me désirait également. Une femme belle à qui j'ai donné du plaisir. Jamais, pauvres niais, vous ne pourrez en priver les humains ! Jamais. Mais pour vous à jamais, plus rien. Rien. Vous ne pouvez poursuivre. Cul de sac. Vous n'avez nulle part où aller. Que vers la damnation éternelle. Vous avez péché contre l'Univers. Contre la beauté et contre l'amour. Vous avez péché contre la vie. Et la mort est trop douce pour vous. La convoitise vous a perdus, voués à des tourments sans fin : l'enfer... votre enfer. Celui que vous avez imaginé tout seuls ! L'Univers poursuit ses instants ! Et ce n'est pas demain la fin du monde. Il n'y a d'autre royaume que celui-ci. Ici et maintenant. L'instant. Que ne vous en êtes-vous rassasiés ! Que n'avez-vous laissé s'en rassasier les autres ! Votre démarche est vaine et vouée à l'échec. Je dirai mieux : échec et mat ! Zohra est magnifique. Si j'étais cynique... je dirais : quel cadeau ! Cadeau que je n'attendais pas ! Cadeau que je n'espérais pas. Cadeau que je ne désirais pas.

87 Cadeau que je n'imaginais pas. Cadeau des manigances du destin. Je n'ai pas honte. Je suis en vie. Et si je suis en vie, je dois vivre. Personne ne te ramènera. Et le flanc de la montagne m'a donné une femme. Une autre femme. Une nouvelle femme. Qu'en dire ? Rien. Il n'y a rien à dire. La vie garde tous ses droits. Zohra est encore jeune. Assez jeune pour porter des enfants. Et je lui ferai des enfants. Des enfants qui n'iront pas au catéchisme, ni à l'école coranique, ni à le synagogue. Je le jure. Ils iront à l'école laïque et républicaine. J'espère qu'elle acceptera de me revoir... Sur l'appui de son ventre, j'ai déjà rebâti le monde, levé tous les obstacles ! Il fait grand jour. La neige s'est arrêté de tomber. Un beau soleil fait scintiller le manteau blanc. Zohra m'a laissé son numéro de mobile. Elle avait ce matin une visioconférence avec ses collaborateurs. Je vais sortir le chien. J'ai envie de marcher dans la neige. Ne crois pas que j'ai abandonné le combat. Oh que non ! Peut-être Zohra m'aidera-t-elle à y voir plus clair. Tu vois, je compte déjà sur son aide. Son aide de chair et de sang. Plus que l'aide immanente... Je compte bien lui en parler. Lui parler de tout. Lui parler de toi. Lui parler des balles des djihadistes, proférant le nom de son dieu. Mais a-t-elle un dieu ? Je n'ai pas posé la question. Cela m'importait peu. Nous étions dans l'instant.

88 Et l'instant des rencontres est toujours étonnant. Révélateur. Magnifique. Tout s'y joue très vite. Tout y est dit inconsciemment. Tout s'y noue. Et si je t'ai mis alors entre parenthèses, c'est pour mieux t'éclairer un peu plus tard. Tu es la partie immergée de mon iceberg. Sa profondeur. Sa densité. Son équilibre. Et je l'avoue, Zohra et moi avons renoncé chacun à évoquer nos "attaches" présentes ou passées. Nous sommes restés en surface émergée... Nous avons choisi de laisser la neige vierge recouvrir tout passé, comme tout avenir. Sans doute par un commun instinct. Nous avons joué "l'effet tunnel", pour dissiper les murs, les obstacles, les remords. Nous nous sommes creusé une caverne dans l'instant. Un igloo. Un cadeau, comme je le disais. Un cadeau de nos lignes d'Univers, qui ont bien voulu faire jonction et arrêt dans la station. Nous laisser fondre dans la fondue, sans perdre nos petits croutons dans le maelstrom. Nous laisser tisser un premier nœud, une première accroche. Juste avec quelques mots. Quelques regards. Quelques sourires. Une connivence. Un privilège accordé. Une halte. Une oasis. Peut-être ce moment-dieu hors du temps et de l'espace, qu'a vécu le grain de beauté de l'Univers, lorsqu'il était en équilibre bienheureux, avant le bang ! Du vivant avec du vivant. De l'intelligence avec de l'intelligence. Un corps avec un corps. Faits pour s'emboîter et se donner du plaisir. Un instant qui n'efface rien, mais qui ne doit rien à personne, sinon à cette synchronicité merveilleuse qui nous a permis de croiser nos

89 chemins. De mélanger nos vies. Je suis heureux. Fugitivement heureux peut-être. Honteusement heureux pour d'autres, sans aucun doute. Momentanément heureux, c'est tout à fait certain. Mais je pense à toi et je suis en paix. Tu es descendue en marche du train de la vie. Tu as sauté vers un ailleurs. J'ai tourné un instant le dos et pfut... tu n'étais plus là. Partie avec trois balles. Partie dans le sillage de ces fumeurs de joie. Des braconniers infâmes. Les mêmes qui tuent les rhinocéros pour leur corne, les éléphants pour leurs défenses, les humains pour leur bonheur. Mais le bonheur n'est pas à vendre. Il ne se négocie pas. Vous n'en tirerez rien, sales petits vauriens. J'en suis la preuve vivante. Vous m'avez arraché une partie de ma vie, mon amour, mon bonheur et voilà qu'illico je touche un autre lot à la loterie du hasard-qui-n'en-est-pas-un. Je vous l'ai déjà dit, ignares : le néant n'existe pas. Là où se crée un trou, la matière se referme, la vie se renoue et se régénère. Mais pas vous ! Vous, vous pourrissez en morceaux infâmes, sans nom, sans forme, sans but. Sans raison d'être. Les cornes porteront malheur à tous ceux qui y toucheront et les défenses seront brûlées. Un coup pour rien. Des mutilations pour rien. Des morts pour rien. RIEN. Ce n'est pas le prophète en moi qui dit cela : c'est la vie qui le prouve. C'est la marche du monde. Les charognes nourrissent les asticots et les mouches. Elles finissent d'être décomposées par les moisissures. Le feu vient à bout de l'apparence. Ne

90 reste que cendres et poussières. Toujours les mêmes poussières d'étoiles. Vous serez recyclés, anonymes, comme toute chose. Vous nourrirez les pissenlits. Le désherbant aura raison de vous ! Et je m'instituerai le Monsanto des djihadistes ! Voilà que malgré cette nuit de répit, je redécouvre ma colère intacte. Nul bonheur ne l'apaise. Et rien ne me détournera de la tâche que je me suis fixée : comprendre. Éliminer. Éradiquer. À la base, à la racine cette vermine. Et tant pis si la peau vient avec... Je ne me soumettrai pas.

91 DIXIÈME CHAPITRE L'ouverture. L'ouverture je la vois. Je la touche du doigt. Elle m'apparait là, lumineuse, comme une aube qui point. Je me battrai à grands coups de bonheurs dans le malheur pour l'atteindre. Zohra m'a téléphoné et nous avons été skier ensemble. Nous avons encore pris du plaisir. En bas des pistes, nous avons déchaussé, pour nous installer dans un bar douillet et discret, qui fait happy hour. Je te raconterai tout, n'aie crainte ! Je partagerai tout avec toi. Je ne suis pas un égoïste, je ne t'exclurai pas sous prétexte que tu es morte. Je ne passerai rien sous silence. Je te ferai partager ma nouvelle vie sans toi, au fil des pages. J'ai longuement regardé les yeux de Zohra et je les ai vus rire. Alors, je lui ai demandé l'insigne faveur d'éteindre son téléphone. Elle n'a pas protesté. Elle a souri. Nous avons alors dégusté nos vins chauds en silence. Puis j'ai parlé des attentats de novembre à Paris. Histoire de tâter le terrain, d'aborder le sujet.

92 Elle a hoché la tête. Puis tout de go, elle a dit que l'un de ses frères était parti en Syrie rejoindre Daech. Que sa famille n'avait plus de nouvelles. Elle-même était dévastée. Honteuse. Je ne m'attendais certes pas à cela. Voilà, nous avions chacun notre part d'iceberg immergé. Quelle ironie ! Elle m'a longuement parlé de ce frère. D'abord charmant. Puis, à l'adolescence, délinquant et rebelle. Il l'avait souvent agressée, apostrophée verbalement. Il avait même levé la main sur elle, lorsqu'elle faisait ses études. Il lui reprochait sa liberté d'être. Sa façon de s'habiller, ses amis. Mais leur père était intervenu fermement. Son père était maçon. Il était venu en France avec sa mère, juste après leur mariage. Il n'avait pensé qu'à s'intégrer. À bien parler français. À travailler et à élever dignement ses enfants. Ils étaient quatre dans la famille. Ses deux autres frères, les aînés, avaient fait de bonnes études. Sans problèmes. Lui, Mehdi, était le plus jeune. L'ambiance dans les lycées avait changé peu à peu. Dans les cités également. Le chômage, le communautarisme, l'indifférence générale avait pourri tout avenir. Zohra avait alors demandé, à son père d'être placée en internat. Elle avait poursuivi ses études en prenant distance avec le milieu familial. Mais lors d'une visite à ses parents, elle avait appris que son jeune frère dealait. Qu'il n'allait plus en cours. Et puis, il avait fait de la prison. Quelques mois qui avaient suffi à le transformer. À le radicaliser. Il avait commencé à tenir des discours de reproche

93 aux parents. Et le père l'avait mis à la porte. Il n'avait pas supporté qu'il conteste ainsi sa vie et son autorité. Ensuite, la famille n'avait plus eu de nouvelles que par les enfants des voisins. D'autres jeunes du quartier qui vivaient dans un squat. Jusqu'à ce qu'ils apprennent le départ de Mehdi pour la Syrie, avec ses potes. Ils étaient quatre. Voilà. Depuis, plus de nouvelles. Et lors des attentats, elle avait tremblé de voir apparaître son nom parmi les djihadistes assassins. Alors, je lui ai parlé de toi. Je savais que je risquais de clore là notre histoire. Mais je n'avais pas l'intention de lui mentir. Je n'aurais jamais pu jouer au divorcé, libre depuis peu. Simplement pour la garder heureuse dans mes bras. Je suis veuf. Il fallait que nous affrontions la réalité de "l'autre" et le passé en face, si nous voulions écrire un avenir. À présent, tu te dresses comme un fantôme entre nous. Un fantôme avec une densité de présence qui m'est apparue vite insoutenable. Alors, j'ai évoqué ta mémoire, en parlant de tes romans. Ainsi, je faisais entrer Zohra de plain-pied dans ton histoire. Elle n'appartenait plus seulement à moi. Tu n'étais plus ma femme assassinée, étrangère, inconnue, comme un écran opaque entre nous. Tu étais une auteure, qu'elle allait pouvoir lire et découvrir. Peut-être une future amie. Je pris alors conscience que tout ce que je pourrais révéler sur toi, de notre vie commune, pèserait peu de poids par rapport à ton intériorité. À ce que tu dévoilais, déployais dans tes romans. Ce n'étais pas

94 de la même facture. Tes romans, c'était ton identité propre. Qui n'avait rien à voir avec ta vie vécue avec moi, ni avec tes enfants. Cela se situait à un autre niveau de profondeur. Dans un univers libre, sur tes terres sauvages, que seule toi pouvait décrire et célébrer. Ta vision du monde t'était propre. Elle avait peu à voir avec notre intimité. Et les notions scientifiques que je t'avais immanquablement apportées, tu aurais pu les atteindre aussi bien par mes conférences, mes ouvrages. Sans être mon épouse. Je l'ai dit à Zohra. Je lui ai expliqué combien il était important qu'elle te dissocie de moi, dans son approche. Il fallait qu'elle t'aborde comme une jeune auteure. Et si quelquefois, au détour d'une phrase, elle m'apercevait, ou tout du moins mon ombre, qu'elle n'en tienne pas compte. N'importe quel autre compagnon n'aurait pas modifié ta façon d'écrire ni de ressentir le monde. C'était justement là ta grande liberté. Et voilà que me revenait cette phrase "la grande liberté des enfants de Dieu". Moi, je la traduis par la grande liberté des enfants de l'Univers. Dieu est un mot trop entaché par l'esprit des hommes. Trop galvaudé et mis à toutes les sauces. C'est une création trop humaine. Alors que l'esprit de l'Univers, l'esprit des particules et de toutes les poussières d'étoiles, c'est bien autre chose. C'est là, communiquant, vibrant à chaque pas. Dans le vin chaud, dans la neige. Dans Zohra et dans moi.

95 Toi, à présent, tu ne vibres plus. Tu ne chantes plus. Tu n'écris plus. Tu ne vis plus. Tu es morte. Morte par la faute d'un allumé qui a confondu dieu avec ses propres démons, dieu avec un assassin. Un dictateur. Juste un pauvre type avec une arme à la main. Qui croyait décréter la vérité au monde. Qui ne se rendait pas compte de sa misère. De sa stupidité. De son insigne arrogance. De son incommensurable erreur de jugement. J'ai demandé à Zohra ce qu'elle comprenait là-dedans. Elle ne comprenait pas. Elle avait vu de ses yeux la transformation d'un enfant, son frère, en étranger hostile. Changé par un discours occulte. Par des fréquentations malsaines. Par des prêches délétères de quelque imam de quartier. Qui se complaisait à dresser ces jeunes contre la France. Contre la liberté et la culture. Contre les femmes -qu'il fallait voiler et garder à la maison- au bénéfice d'une religion mal interprétée. J'ai rétorqué qu'on pouvait toujours mal interpréter un texte. Ou des paroles. On pouvait même les retourner avec de l'éloquence. Et je lui ai donné l'exemple de Jésus. Le coran parle de Jésus. Il y est désigné comme prophète. Et il n'y est pas dit qu'il est mort sur une croix. Et encore moins ressuscité. Il n'est pas un dieu pour les musulmans. Il n'y a de dieu que dieu ! Et là j'ai approuvé. Il est certain que Jésus n'est pas un dieu. Juste un homme qui avait des choses à dire. Qui avait capté un peu de l'immanence. Mais... était-ce sa nature humble qui lui avait permis de dépasser les dogmes ? Les rites rigidifiés. Les coutumes figées. Avait-il

96 voyagé ? Par qui avait-il été enseigné ? Nous ne savons rien de lui. Mais ses paroles étaient si révolutionnaires qu'il est difficile de penser qu'elles ne venaient que d'un inconscient collectif. Il avait dû faire d'autres expériences. Des expériences de solitude, de jeûne. De méditation. Comme Bouddha. Il avait dû s'immerger dans la nature. Dans le désert. Dans la forêt. Hors des normes des hommes et de son temps, pour découvrir ainsi une autre vérité. Une vérité où il avait entendu gémir les pierres. Où il n'avait plus fait qu'un avec l'Univers. Et dont il avait alors ressenti l'harmonie profonde. Une harmonie au fond de soi. Une communion avec les choses et les êtres vivants. La mer, le ciel, la terre, les plantes, les animaux. Il s'était senti UN. À n'en pas douter. C'est une expérience que nous pouvons tous faire. Juste nous faut-il du silence. De la tranquillité. De l'amour. Je l'ai longuement exposé à Zohra. L'expérience de cet homme est une expérience humaine, que tout le monde peut faire. Ce que l'on a brodé sur lui, par la suite, n'est qu'un discours de pouvoir. Peut-être était-ce une transition nécessaire avant que la science ne prenne le relai de la connaissance et ne mette des noms sur les ondes et sur la vibration du monde. Un discours maturé par les philosophes. Ruminé par les penseurs. Récupéré bientôt par le peuple à la Révolution. Inscrit à présent dans les Droits de l'Homme et du citoyen. En en omettant peut-être le mot amour. Agape est encore exclu. Il faudrait le réintégrer. Ce n'est pas

97 un mot honteux. L'amour. L'échange. Le don de soi à l'autre. Le don de l'instant. J'ai parlé à Zohra de mon rapport avec toi. Combien j'aimais ta fantaisie, ton regard incisif et personnel sur les choses. Notre complicité. Et ta grande perspicacité par rapport à mes frasques. Mes désirs fugitifs. Mes instants sans toi. En effet, je ne me suis jamais institué une morale de fidélité. Il ne faut pas tuer le désir en soi. Ni le plaisir des rencontres. Il faut les vivre pleinement sans entraves, comme des instants. S'engager dans les instants ne signifie pas s'engager pour la vie ! Approcher une femme, tomber en amitié avec un homme ne veut pas dire commencer une histoire conjugale ! Mais une histoire humaine. Aucun lien antérieur ne doit entraver cette liberté d'être. Il faut conserver à l'esprit le principe d'exclusion de Pauli... Oui, je peux te l'avouer, j'ai fait un petit cours à Zohra sur les électrons qui ne peuvent prendre la place, entre eux, d'aucun autre. Aucun être vivant ne peut prendre la place d'un autre. On peut toujours remplacer une passoire par une passoire. Une fourchette par ses doigts. Un verre par ses paumes réunies. Mais... il y a un mais. Certains objets sont uniques pour nous, par les liens que nous tissons avec eux. On ne peut pas les remplacer. On ne peut remplacer la montre en argent de ma grand-mère, incrustée d'un petit rubis, qu'un cambrioleur a dérobée un jour à notre appartement. Et à part un chéquier, c'est d'ailleurs tout ce qu'il a emporté. Sans doute a-t-il été

98 dérangé... peut-être n'avait-il pas calculé le chien... mais cette montre est irremplaçable. Tous les êtres vivants sont irremplaçables. Ils sont tous différents. À leur place dans le temps. Dans certains instants. Et puis le temps passe. Les temps changent. La vie continue, toujours nouvelle. Toujours réinventée. D'autres espaces s'ouvrent. Il ne faut pas avoir peur de la mort. C'est une transformation. Un passage vers un ailleurs. Zohra m'a écouté. Patiemment. Elle m'a laissé dire. Elle m'a laissé vider ce trop plein d'émotion qui me submergeait. Je lui en sais gré. Elle n'a pas détourné la tête, ni la conversation. Mais... elle a fini par me dire qu'elle avait faim. Alors nous avons ri. Voilà, je peux te le dire. Après t'avoir évoquée, t'avoir esquissée, t'avoir remémorée, t'avoir honorée, nous avions faim et nous avons ri. Et puis nous avons encore fait l'amour. Et puis une nuit a passé. Et un nouveau jour. J'ai enregistré tes romans sur une clé USB que je lui ai donnée. Elle va les lire. Elle va rentrer dans ton intimité. Comme tout lecteur le fait. À elle de voir ce qu'elle partagera, rejettera, aimera, détestera. Peu importe. C'est toi. Et ce sera toujours toi. Vivante. J'ai encore visité le marchand de journaux de la station. J'y ai trouvé en Folio un vieux Duras. Les petits chevaux de Tarquinia. Je l'ai acheté. 1953. Je n'étais pas né. J'aime Duras. J'aime son écriture, sa manière de voir les choses par un biais divergent.

99 Son regard est autre. C'est un regard de femme. De femme intelligente. Un regard unique. Mais j'avoue que l'atmosphère de ce livre est singulière et désuète. Les rapports entre les gens tellement différents de ceux en usage à présent. En un peu plus de soixante ans le monde a tant changé. Les enjeux. Le langage. Les mœurs. Le rapport au monde. J'ai eu l'impression en lisant ce livre encore d'être hors du temps. Figé dans une époque lointaine. Sauf pour l'amour avec cette phrase magnifique : "Il n'y a pas de vacances à l'amour. Il faut le vivre complètement avec son ennui et tout"... Et j'ai repensé aux écrits de tous les prophètes, figés, dépassés, sauf lorsqu'ils parlent de l'amour... agape. Ah, toutes ces Écritures, ce Livre qu'on dit sacré et sur lequel jurent les Américains ! Les Américains ! Eux aussi sont restés figés au temps des cow-boys et des Indiens. Et toutes les communautés religieuses ne sont que des reliques d'un autre âge. Sans compter les créationnistes, qui eux, sont aussi ridicules que les djihadistes. À peine moins dangereux. Ah ! ce qu'ils font de vous, les enfants ! Quelle misère ! Non, il n'existe pas de jardinier pour les hommes. Que des dogmes. Des interdictions. Des injonctions et du bourrage de crâne. Pas d'amour. Il est évident que bien peu ont la main verte avec les enfants ! Ils ne sont arrosés que de pesticides. Cela va sans doute avec l'époque. Mais quelle pollution ! Là, au milieu de ce blanc, dans cette neige, je m'interroge. Quel événement pourra remettre à

100 jour la planète ? L'actualiser ? Supprimer tous les fichiers inutiles. Débusquer les virus incrustés ? Défragmenter un peu les données éparses et ranger ce fatras ? Un tremblement de terre ? Un raz-de- marée ? Une guerre ? ... Une visite extraterrestre ? Il faut de toute urgence entrer une "nouvelle version" ! Plus performante, plus rapide, plus moderne. Avec une multitude de fonctionnalités nouvelles et différentes. Un autre graphisme. Une autre mise en page ! Peut-être une nouvelle police ! Et un très bon correcteur orthographique... il est de notre devoir de bien écrire l'Univers ! Ses règles de grammaire sont intransigeantes. Faire des fautes d'Univers est le lot des djihadistes incultes. Je me répète : ils doivent retourner à l'école ! À l'école de la vie. À l'école de l'amour. À l'école de la lumière. Leur charabia est insupportable à nos oreilles ! Ils écorchent la langue ! Il décapitent les verbes de leur sens. Ils égorgent les mots sans vergogne. C'est tout à fait intolérable ! J'en appelle à Bernard Pivot ! À toutes les académies ! Au jury mondial ! On ne peut pas laisser faire ça ! Il faut faire cesser ce carnage de civilisation et il faut faire respecter les règles élémentaires de l'Univers. Il faut cesser de siffler le drapeau de la Vie dans les tribunes ! Il faut que tout le monde chante en chœur l'hymne du Monde ! C'est étrange comme je retrouve toujours ma colère, au bout du compte. Mon indignation devant le scandale de ta mort. C'est vrai qu'on ne peut pas prendre de vacances avec l'amour. On ne peut pas. Ou alors, on n'aime plus.

101 Avec le temps... mais même avec le temps ! si on laisse filer l'amour de notre cœur, il ne nous reste plus rien. Rien. Et on n'est pas soudain "pénard dans un lit de hasard"... non ! On aime dans le lit de hasard. Et on ne remplace pas un amour par un autre. Ils sont grands les bras de l'amour, ils peuvent tout enserrer. On doit additionner les amours d'une vie et jamais les soustraire, les biffer, les barrer. Jamais les oublier. On se doit de revendiquer toutes nos amours. C'est ce qui nous a maintenus en vie toute la vie... Il n'y a pas de vie au-delà de l'amour. Il n'y a rien.

102 CHAPITRE ONZIÈME J'ai conseillé à Zohra de lire tes romans dans l'ordre de leur écriture. J'ai trouvé en effet intéressant de découvrir au fil des pages, le déroulement de ta pensée singulière. Le développement de tes idées au fil des situations. Tous tes dédoublements de personnalité à travers tes différents personnages. Tu as commencé... par être une femme. Une femme jeune. Amoureuse. Qui prenait l'homme comme pivot pour soulever le monde. Et puis, sans doute as-tu ressenti la restriction de tes comportements et de tes états d'âme, tu as soudain opté pour la personnalité d'un jeune homme de notre époque. Cela m'a beaucoup amusé, ce transgenre ! Ta nouvelle personnalité m'a étonné. Quelle audace ! Tu as tenté ensuite tes souvenirs d'enfance. Et ta vie avant moi. Ta vie avec moi. Et ta vie après moi... tu savais bien anticiper ! Et puis voilà que tu as suivi ta mère dans un AVC et une expérience proche de la mort ! Et c'était loin d'être triste. J'ai bien ri de ton interprétation de la naissance de l'Univers. Et du film d'aventure des particules ! De tes rencontres

103 dans l'au-delà avec des entités célèbres et symboliques. De tes différents "souvenirs" de réincarnations précédentes ! J'avoue qu'à ce moment, j'ai failli même adopter un chat ! On ne sait jamais. Un jeune chaton dans lequel tu aurais eu l'esprit de te réincarner. Mais notre chien n'aime guère les chats. Et je n'allais pas installer une guerre de tranchées dans l'appartement. Surtout que tu étais rapidement redescendue sur Terre avec un roman du terroir. Tu as utilisé là tes souvenirs liés à ta maison familiale. La campagne du Vexin français et tes diverses explorations du territoire. Les us et coutumes de petites gens, figés eux aussi dans une époque. Pour rendre la sauce plus digeste, tu en as fait un roman policier. Que d'aventures ! Et puis brusquement, tu es passée pour la première fois carrément à la science fiction ! Je n'en revenais pas. Apparemment, tu n'en étais pas revenue toi-même, avec ton dernier roman qui fantasmait la naissance de petits-enfants que tu n'avais pas encore. Qui commuait en une seule peine, les tribulations de ta mère et les tiennes à travers un nouveau personnage masculin que tu as peut-être rêvé d'être : un écrivain ! Tu t'en es donnée à cœur joie dans ce rôle d'homme ! Tu y as épuisé tous tes fantasmes ! Quelle vigueur ! Quelle dommage... qu'il n'y ait pas de suite. Il n'y aura pas de suite. Il faudra se contenter de ces sept romans. Sept boules de cristal, comme dans Tintin. Uniques et toutes différentes. Je ne sais comment Zohra va ressentir tout cela. J'ai bien tenté de lui conseiller de considérer

104 notre couple, juste comme séparé et de te voir vivante, en instance d'éditeur. Mais elle m'a lancé un regard signifiant. Elle n'est pas romancière. Elle est éditrice. Elle n'extrapole pas. Elle lit. Elle critique. Elle jauge. Elle situe. Il n'est pas là question d'approcher une vivante ou une morte, mais d'évaluer sa prose. De suivre son discours. Et d'aborder son style. C'est vrai que lorsque je lis Marguerite Duras, maintenant, il m'importe peu qu'elle soit morte ou vivante. Je la lis dans toute son intensité d'écriture. Dans sa dynamique de femme. Tout le reflet d'une époque. Et toi aussi, tu es le reflet d'une époque. Une époque qui va disparaître. Je le sens. Je le sais. Et plus jamais on ne pourra écrire comme avant. Il sera désormais même impossible de penser comme avant. D'agir comme avant. Nous allons muer. Nous allons muter. Et toi tu étais déjà sur ce chemin là. Cela me paraît évident. À présent, mon amour, sur quel chemin es-tu ? As-tu revisité toutes tes anciennes vies ? T'es-tu entretenue avec des amis disparus ? Tes anciennes amours, tes animaux défunts ? Es-tu déjà enfant sur une exoplanète ? Ou bien as-tu investi le corps de quelque post-humain, au sein d'une galaxie lointaine ? Je ne peux me résoudre à penser que tu demeures dans ce cercueil dérisoire. Je te préfère en voyage. Ce cercueil ne contient plus que des poussières d'étoile, qui serviront encore à quelque vie. Ou à quelque agrégat. Mais toi, ton huile essentielle, tes 21 grammes d'âme, ils n'ont pas succombé ! Ils se sont envolés vers un retour

105 aux sources. Tu surfes maintenant pieds nus dans les étoiles, comme dans la rosée du matin. Une autre vie te refera plus belle ! Tu croyais à cela, mais tu n'en parlais pas. Tu n'en parlais jamais. Je pense que tu évitais d'aborder la question avec moi, me sachant trop cartésien. Et puis, à quoi bon en discuter. Il est difficile de converser sur ce sujet. Par pudeur. Par respect pour soi et pour l'autre. Mais j'aime l'humour avec lequel tu as exposé ta pensée dans tes écrits. Les écrits n'ont pas à discourir avec un contradicteur, qui cherche à vous détruire le rêve... C'est la raison pour laquelle on doit se garder de parler de l'amour que l'on porte aux gens et aux choses. Pour que personne ne vienne y mettre des mots grossiers et galvaudés. Maladroits. Inadéquats. Ni y superposer une pensée étroite. Je suis bien certain que Zohra aura cette délicatesse. Du moins je le présume. Elle a de la finesse. Et puis ce qui m'importe est essentiellement de savoir si elle estime que tes écrits méritent d'être publiés. Qu'ils pourraient remporter quelque succès. Trouver un public. C'est son métier. Moi, je t'aime, ce n'est pas la même chose. Je te connais de l'intérieur. Peut-être suis-je trop indulgent. Des fois je pense que je n'essaie que de te faire vivre encore. Te faire revivre. Te faire survivre. Il faudrait peut-être que je laisse tous tes écrits au fond de ton ordinateur. Puisque tu les y avais laissés toi-même. Cependant, à cette idée, quelque chose se révolte en moi. Comme si je t'enterrais vivante. Comme si je te tuais une

106 seconde fois, d'une manière plus cruelle que le djihadiste. On peut tuer un corps mais on ne peut pas tuer la pensée. Enterrer les idées ne mène à rien. Ce rien qui fait sonner l'absence d'amour. Les idées cheminent dans les cerveaux, même les plus obtus. Et il faut vivre pour une idée, jamais mourir pour elle. Mais toi, qu'as-tu fait ? Qu'as-tu fais à te rendre à ce rendez-vous macabre ? Tu n'as pas pu le contourner. Tu n'es pas parvenue à y échapper. Et moi... je ne t'ai pas aidée ! Je me dis souvent que si j'avais refusé de sortir ce soir-là, prétextant mon exposé à relire, tu serais toujours là auprès de moi. Mais j'ai cédé. J'ai voulu te faire plaisir. Et je t'ai accompagnée sur le lieu de ton immolation. Je ressasse toujours cette culpabilité d'avoir survécu. Faut-il le choc de toutes ces morts barbares, et cruelles pour faire surgir une vérité nue ? Pour ouvrir la parole ? Pour amorcer un nouveau discours ? Pour dénoncer l'ignoble ? Une vérité tue, étouffée, bâillonnée par une cécité mentale inquiétante. Une indifférence coupable. Une erreur d'appréciation monstrueuse. Zohra ne peut qu'être mon alliée. Nous défendons la même cause. Dans cet obscurantisme intégriste, dans ce refus d'éclairage politique, intellectuel et religieux, elle a perdu un frère et j'ai perdu ma femme. Nous sommes des survivants et notre devoir, alors, est d'agir. De témoigner. De dénoncer. Je n'ai pas évoqué cependant devant elle mon ouvrage en cours... je ne lui ai parlé que des tiens, qui sont pensés, écrits, bouclés. Mais qui, dans mon esprit, anticipent déjà ce récit. Sans eux,

107 je ne m'y serais jamais engagé. Jamais lancé. C'est toi qui m'en amorces le chemin par ta liberté d'être. Et c'est par la lecture de tes romans que j'ai échappé au désespoir noir qui m'étreignait. Il me restait quelque chose de vivant de toi. Tes mots. Bien peu de choses... mais dans un roman vit un monde. Lorsqu'on repose un livre, après l'avoir lu et refermé, on a élargi son espace et son imaginaire de terres lointaines et d'idées foisonnantes. Et tes écrits sont traversés par un invincible optimisme. Les instants y prennent leur juste place. Et il en ressort du signifiant, jamais de l'absurde. Jamais de la soumission au destin, ni à rien. Rien que des choix parfois obscurs et inconscients, qui tissent pas à pas un chemin. Le chemin. Un chemin propre à chacun et qui vient de très loin... du commencement du monde. Un chemin qui ne s'arrête là que pour se poursuivre autre part. Alors, je vais finir pas me réjouir de ton départ ! Seule tu sais où tu vas. Et si rien n'est absurde, le signifiant de ton assassinat, comme celui de toutes les victimes de ces rigolos abjects, est de nous réveiller dans notre somnolence. Nous nous devons de combattre les djihadistes jusque dans leurs derniers retranchements. Leurs ignobles idées. Leurs croyances méprisables et infâmes. Servir un dieu ? que nenni : le nier ! L'image que les hommes pourraient forger d'un dieu -pour soulager leur conscience de leur responsabilité totale et entière- n'est pas celle d'un dieu qui veut quoi que ce soit, qui réclame, qui condamne, mais celle d'un dieu qui EST. Alors qu'il n'est là qu'un miroir d'eux-

108 mêmes ! Ils en usent comme d'un bouclier, un oriflamme, un prétexte à tous les déshonneurs et à tous les mensonges ! Celui qui EST ne demande rien. Il rayonne. Il est amour. Il est en harmonie avec toutes choses. Il continue sa course en entraînant les nébuleuses, en faisant tournoyer dans ses bras les galaxies. Il exhale la musique des sphères. Il est l'Univers. Et nous en faisons partie. Quelle chance de participer à cette odyssée magnifique ! Et vous, petits étrons déféqués par la bêtise, vous voudriez nous apprendre à vivre ? Nous apprendre la civilisation ? Nous apprendre l'amour et la lumière et ce qu'est un dieu ? Alors que vous cheminez dans des caves et des souterrains, illettrés et analphabètes ! Que vous tournez en rond en vous racontant des fables ineptes ! Il faut apprendre aux hommes à se lever et à se tenir droit. À cesser de gémir et de se plaindre. Ils sont les artisans de leurs propres malheurs ! Ils faut qu'ils se prient eux-mêmes, en leur âme et conscience, d'avoir le courage d'ouvrir les yeux ! Impeccable est le chaman qui respecte les lois invisibles. Il n'est d'autre pureté que l'amour. Il n'est d'autre chemin que l'harmonie. Où vais-je aller, mon cœur le sait-il ? Toujours le cœur le sait. La vie n'a pas besoin de soldats, elle a besoin de défricheurs, de bâtisseurs, de chercheurs, d'explorateurs, de découvreurs de beautés. La carte des mondes est immense. Nous ne l'avons encore qu'ébauchée. Et le voyage est plus important que la

109 destination. L'instant vaut toutes les éternités. Le temps se déploie devant nous pour nous permettre d'être. Avatars merveilleux de l'Univers, au milieu de tant d'autres, qui nous sont encore inconnus. Et lorsque nous rencontrerons un jour des frères de l'espace... sortirons-nous nos kalachnikovs, en criant que dieu est grand, petits cerveaux étriqués ? Polichinelles burlesques que vous êtes ! Et leur parlerons-nous de prophètes défunts depuis des millénaires ? Brandirons-nous nos "Livres" saints avec leur charabia ? Les menacerons-nous des damnations de l'enfer et leur annoncerons-nous l'imminence de la fin du monde ? Leur parlerons-nous de la terre promise, du sacrifice d'Abraham, de la virginité de Marie ? ... en ajoutant qu'elle est mère d'un dieu ? Ils vont se tordre de rire et nous prendre pour des débiles mentaux. Des attardés. Des enfants en bas âge. Ils nous mettrons alors dans leurs zoos ! À moins qu'ils croient eux-mêmes en un totem en bois... sur lequel ils ont chevauché à travers les étoiles, pour nous rejoindre enfin ! Voilà que je m'initie, moi aussi, à la science fiction... Mais ce jour-là, peut-être, petits djihadistes, ferez-vous comme les Indiens des îles d'Amérique, qui ont pris les marins de Christophe Colomb pour des dieux et tomberez-vous à genoux devant eux ! La crédulité est sans borne pour qui n'a pas de connaissances. Pour qui ne sait pas qui il est. Pour qui n'a aucune conscience de lui-même et, ne pouvant investir son identité, emprunte celle des masques et se vêt d'oripeaux. Lorsqu'on habite son

110 corps, on est toujours chez soi et l'on n'est jamais nu, ni à la rue. On vibre. On ne profère rien. On est. Djihadistes, vous méprisez les corps ! le vôtre et celui des autres. Vous les bousillez avec désinvolture. Alors que ce sont des instruments de musique remarquables, qui aiment la caresse. Vous, vous n'en faites qu'une cacophonie ! un enfer du musicien. Vous êtes des sagouins ! L'Univers entier frémit de ce blasphème. De ce sacrilège. L'Univers s'est donné la peine d'assembler le grand puzzle des particules depuis presque 14 milliards d'années pour arriver à sculpter ce bijou du vivant : un corps humain. Un corps humain qui peut le regarder comme un miroir. Et vous, petits minables, vous faussez le miroir et vous le déformez. Vous n'en faites qu'une insanité. Vous en brouillez l'image magnifique. Mais sa surface merveilleuse va reprendre tantôt son vrai visage. Vous n'étiez qu'un galet qui a fait à sa surface quelques ricochets, avant de sombrer dans l'abîme. Et les ondes gravitationnelles vont vous submerger.

111 CHAPITRE DOUZIÈME J'ai encore passé la nuit avec Zohra. Nos corps se confondent. Le plaisir nous inonde. Et je ne pense pas à toi. Je suis tout à l'instant. Au matin, souvent, je me souviens de toi, je te cherche à mes côtés. J'étends la main. Mais lorsque je touche le corps de Zohra, je sais immédiatement que ce n'est pas toi. Ce n'est pas ta peau, ce n'est pas ton odeur. Les yeux fermés, je le sais. Et j'ai mal. J'ai mal de ton absence. J'ai mal de ton devenir. Je ne devrais pas. Je l'ai dit, ce qui demeure dans ce cercueil, enfoui six pieds sous terre, n'a plus rien à voir avec toi. Pas plus que tes vêtements dans l'armoire, que j'ai donnés à Emmaüs. Et ton souvenir me fuit. Déjà. Tu es ailleurs, sans doute, mais moi aussi. J'ai pris du champ, j'ai pris du temps et de l'espace. Nos lignes d'univers ont divergé. Maintenant, sous mes doigts, je caresse la peau de Zohra, au grain plus serré et plus ferme. Plus jeune. C'est ainsi. Il n'y a nulle jalousie à avoir, je l'ai dit : aucun être ne se tient jamais à la même place qu'un autre. Un être est comme l'électron, il subit la même loi d'exclusion.

112 La loi qu'à décrite le génial Wolfgang Pauli. Qui détraquait le matériel de laboratoire des physiciens, d'une manière inexplicable, dès qu'il était dans les parages... Un effet de psychokinèse qui est contesté par beaucoup, bien qu'il fut tout à fait réel. Nier ce que l'on ne comprend pas est un artifice humain pour contourner un problème. Je l'ai employé à propos des djihadistes. Que je n'ai fait, au long de ces pages, que biffer et nier. Comme des fautes d'orthographes incongrues que j'aurais voulu faire disparaître. Et me voilà au niveau où je dois rendre compte de mon observation. Ce n'est pas un effet magique. La gravité sculpte l'espace, alors les corps en suivent la courbe pour tomber dans la parabole. La parabole du djihadiste a fait long feu. Il est temps de dire que ce sont des hommes et des femmes, dont la compréhension du monde, à travers la plasticité légendaire de leur cerveau humain -que nous avons tous identique- a été déviée, vrillée. Désaxée. Certains relais de transmission essentiels leur ont manqué. Les relais de la connaissance. En bref : on les a trompés. Oui nous courbons l'espace par notre gravité propre. Chaque grain de matière le fait. Pourquoi pas nous ? Oui nous émettons des ondes, positives ou négatives, dont la densité parfois peut se toucher du doigt. Geler une assemblée. Enthousiasmer des foules. Les mathématiques ne vibrent pas. Nous si. Alors les choses arrivent. On pourrait dire qu'elles adviennent, comme un événement ponctuel, se fait

113 et se défait. Mais on ne peut jamais lui faire rebrousser chemin. Tu es morte. Les chemins qu'ont sculptés la négativité des djihadistes les ont menés sur cette terrasse où tu étais attablée et que je venais de quitter. Là dedans quelques ondes hertziennes. Mais chacun a suivi l'architecture d'espace-temps qui lui était propre. Celle qu'il a fait vibrer. Quand les choses vibrent ensemble, il se produit des points d'événement qui produisent la synchronicité. Ce que tout ignorant appelle le hasard. Mais dont le chemin est dicté par un désir profond, quoique indéterminé, qui soudain se cristallise dans un instant spatial et temporel. Qui choisit soudain d'être... ou ne pas être. C'est sans doute ainsi qu'est né notre Univers, après une phase indéterminée de suspension en équilibre, dans un état d'amour sublime et intriqué : juste un grain de beauté. Une éternité d'un instant... sans temps et sans espace. Chacun est victime du chemin emprunté. Chacun est la victime de son propre désir. De son propre délire. Mais chacun a la liberté ultime de dévier la course. De sauter en marche. C'est souvent inconscient. Que dire de tous ces gens qui ont raté des avions qui sont tombés ? Que dire de ceux qui les ont pris ? Les premiers s'en s'ont désolé sur le moment... les autres n'en ont pas eu le temps. N'en ont pas eu l'espace. Il sont sortis des lignes d'Univers. Ils ont divergé. Ils ont pris un autre aiguillage. Ils ne sont plus ici. Ils sont ailleurs... Mais pour moi, ils sont. Nous sommes immortels !

114 Oh ! il ne faut pas se méprendre sur cette affirmation ! La parodie de résurrection édictée par l'Église chrétienne est dérisoire. Voire grotesque. Imaginer que l'on puisse revenir avec un même corps, un même esprit inadapté, dans une ultime époque de jugement dernier est de la plus haute fantaisie, qui tient du conte drolatique ! Saugrenu. Inutile. En effet, si nous avons été irremplaçables, dans des instants donnés, à une époque donnée, avec des gens donnés, il n'en est plus de même, dès que nous avons quitté la scène ! La scène est le lieu où se déroule l'éphémère. L'arène. Le spectacle. Mais le fond de l'histoire, la pièce par elle-même, par son principe n'a pas d'âge. Tout est question de mise en scène, de décors, de comédiens. De costumes. Même d'effets spéciaux. De traduction en diverses langues du monde. D'adaptation. Que s'y jouet-t-il en somme ? L'intelligence et la sensibilité. L'ingéniosité. L'échange de la matière, puis du vivant, avec son entourage. Son milieu. Sa société. Toujours recommencé, toujours renouvelé. Toujours neuf. Les cartes sont rebattues pour une nouvelle donne. À chaque fois, on apprend un peu plus. On comprend un peu plus. On éprouve un peu plus. On va un peu plus loin... Nous sommes les voyageurs de l'Univers. Cosmonautes du corps vivant. À travers le filet du temps. Il faut cesser de s'affliger. Il faut bannir la tragédie. Il faut vivre ! La vie est uniquement belle. Et n'en déplaise aux djihadistes, on se demande ce qu'ils pourraient bien faire de leurs 72 vierges, alors qu'ils sont incapables déjà d'aimer 1 seule femme !

115 Cette histoire de vierges est d'autant plus incongrue, que la religion condamne la pornographie ! Qu'elle fait disparaître le corps des femmes sous des sacs, qu'elle voile leur visage et on leur fournirait 72 vierges dans l'au-delà ? Pour en faire quoi ? Un lupanar ? Un harem ? Un marché aux bestiaux ? Ils confondent les vierges et les chameaux dans un même troupeau ! Comme c'est dommage ! On va leur donner du lait d'ânesse pour la peine ! Et leur acheter des lunettes. Ils n'ont qu'à essayer d'engendrer des fils avec des chameaux ! Ce n'est pas beau de cracher ainsi dans la soupe qui vous a faite ! Ingrats ! Inconséquents ! Votre punition sera à la mesure : terrible. Tous les djihadistes ne formeront plus que des troupeaux de brebis. Galleuses, évidemment... Bien sûr, je me demande si ma colère va cesser un jour. Si elle va s'épuiser. Mais je la sens qui enfle. Elle enfle comme une tempête. Ses vents commencent à souffler à 300 km heure, bientôt ils atteindront la vitesse de la lumière ! Ma colère va tout emporter. Tout dévaster. Annihiler le territoire des djihadistes. Le raser. Le rayer de la carte du monde. Il n'en restera pas une pierre debout. Et ses fondations souterraines seront pulvérisées. Hachées menues. Rendues à la poussière. Moi prophète je le dis, en vérité. Si je l'écris ici, tu l'a écrit déjà. Nous détruirons par la parole l'antéchrist monstrueux, qui va à l'encontre de l'amour, de la lumière et de la vie. Le ciel va tonner. Il va graver son principe dans des tables de lois irréductibles.

116 Des lois incontournables, inaliénables par les hommes : les lois de l'Univers. L'Univers est avec moi. L'Univers est en moi. Je suis l'Univers. Et tu l'étais aussi. Nous le sommes tous ! Nous sommes ses représentants conscients et peut-être uniques. Nous sommes sa parole. Et toi, tu l'écris tous les jours, à travers moi, avec le sang de la côte du Rhône : de la Croix Rousse, dont tu étais issue, petite-fille de canut. Et je saigne tes mots sur la page blanche, en sacrifice. Je n'en finirai jamais de filer les étoiles à ton rouet magique. Moi, le physicien cartésien, je sublime la matière. Je deviens alchimiste. C'est bien là la moindre des choses, sinon, à quoi bon ? Et nos enfants seront une multitude. Un peuple. Le peuple de demain. Et devant lui ne se dressera nul jaloux, nul lésé, nul bâtard. Les enfants de l'Univers sont tous ses enfants. Ils sont uniques et merveilleux. Leur peau multicolore fera le nouvel arc-en-ciel. Et leur alliance est permanente. Son Église est partout. Son Évangile c'est la vie. Zohra est belle. Je peux te le dire à toi, je lui demandé de me faire un enfant. Elle a ri. Elle n'a pas dit non. Et puis je lui ai parlé de mon propre enfant, celui qui est encore en gestation, que je porte en mon sein et que je délivre phrase à phrase à la page blanche. Il n'a pas terminé sa croissance. Je suis encore enceint. Je suis enceint de toi et de ta mort. Ce roman me délivrera. C'est notre histoire commune. Lorsqu'il va naître, je serai libre, ainsi que Zohra. Mais toi également. J'aurai accompli mon devoir de

117 mémoire. Et je pourrai reprendre le cours de ma vie. La vie qui bruit en moi, qui me pousse, qui me mène, qui m'oblige. La vie, ultime désir. Et toi, tu pourras enfin mourir en paix. J'ai encore pleuré ce matin. Et je me suis souvenu soudain, de ce que tu relates dans l'un de tes romans, où, alors que tu m'attendais dans un café, lors d'une conférence, un ivrogne t'a pris la main. Il était jeune et assez doux, il ne faisait rien d'autre que de tenir ta main, comme si par ce contact, il te voyait le cœur, écris-tu. Et tu l'as laissé faire. Et puis il s'est tourné vers toi pour te dire sa sentence : "vous êtes complètement désespérée"... et tu as ri. Bien sûr, certainement ! mais tu n'avais pas conscience d'être désespérée. Comme ces djihadistes. Un désespoir profond. Un désespoir aveugle de n'être pas reconnus. À présent je le comprends. En effet, ce n'est pas une identité qu'ils revendiquent, ils tendent à une reconnaissance. Ils ont un manque. Ils sont dépossédés d'eux-mêmes par une religion qui les relègue dans un troupeau de moutons bêlants et soumis. L'homme soumis à dieu, la femme à homme... en représailles. Un engrenage sans fin, qui ne même nulle part. Et toi, à chacune de tes chansons, à chacun de tes livres, tu te voyais en train de changer le monde et tu pensais être entendue avec ta nouvelle vision des choses, si vivante, si vibrante. À chacun de leurs meurtres barbares et sanguinaires les djihadistes croient la même chose.

118 Et puis rien. Les gens ne vibrent pas. Ils sont aveugles et sourds. Toute violence est une colère qui se heurte à un mur. On y use ses forces. Tu disais que tu te sentais plus proche des animaux que de tes enfants. Plus proche des arbres que des hommes. D'ailleurs, tu pleurais de voir les grumes alignés dans les forêts, comme des cadavres. Comme tu t'indignais de la violence faite aux bêtes. Tu constatais alors tristement que tu n'avais pas la même commisération pour les humains. Il y avait bien les bébés. Avant qu'ils parlent. Leur regard, leur sourire confiant. Et puis après... fini ! on ne sait pas pourquoi. Du moins, écrivais-tu que toi, tu l'ignorais. Cette sensibilité, cette ouverture au monde, peu à peu se changeait en une attention exclusive pour la découverte personnelle. Empirique. Pragmatique. L'enfant expérimente, il fait le physicien, avant les mots et avant les discours. Avant les dogmes qui séparent. Et tu citais notre unique petite-fille qui sautait à pieds joints sur son jouet -un premier ordinateur- alors qu'elle était encore dans son parc. Le plastoc gémissait sous l'impact en laissant échapper des sons désenchantés, désaccordés, déconfis. L'enfant très jeune sait vaincre les machines et les attaquer à coups de marteau, si nécessaire. Il fait table rase d'un geste de tout ce qui l'ennuie. Après il n'ose plus. On le culpabilise. Hercule dans son berceau étouffait les serpents... quel talent, quel génie ! Plus tard les liens au monde se distendent. On tend à modeler des enfants, égoïstes et contents.

119 On les investit de nos projets défunts. On les assigne à choisir leur camp. On les dresse. Contre le monde. Contre les autres. Contre leur mère. Contre leur père, c'est selon. On tue l'amour, on tue les liens. On méprise les attachements. Et voilà que nous avons des moutons savants ! Wolfgang Pauli, par un certain prodige, vivait entre ses rêves et son génie. Il avait quelques fulgurances. Des accointances avec les forces, à la manière d'un chaman. Cela l'inquiétait quelque peu et l'amena à consulter Carl Gustav Jung. Celui-ci avait rompu avec Freud, le jugeant trop limité au refoulé du sexe. Il avait pour sa part ouvert le champ de la psyché à un inconscient collectif. Mais il était encore très loin du compte. Alors que Wilhelm Reich -que le corpus psychanalytique s'empressa d'écarter comme hérétique- avait déjà pressenti l'orgasme comme une analogie avec les cordes cosmiques vibrantes. Il avait défini la cuirasse caractérielle et la peste émotionnelle -dont les symptômes sont flagrants dans nos sociétés modernes, lire : "Écoute, petit homme1 !" Il décrit là parfaitement les fascistes, les racistes, les extrémistes, les intégristes de tout poil, les djihadistes ! Un ouvrage à mettre de toute urgence aux programmes scolaires ! Toutefois, comme pour les lois de l'astronomie, où furent dépassés Ptolémée, Galilée et même l'étonnant Newton, il nous faudra aller un jour encore plus loin, plus haut, plus profond, plus

1 "Écoute, petit homme" : Wilhelm Reich, éditions Payot

120 incroyable et plus étrange. L'esprit-matière, sera alors remodelé et couplé, comme Einstein l'a fait avec l'espace-temps, en un binôme dynamique. Nous devrons abandonner la notion de fond d'écran où se déroule le jeu, comme au théâtre. Nous comprendrons enfin que nous sommes partie prenante avec tous les éléments de la pièce qui se joue dans l'arène. Nous créons nos costumes, nos décors, notre intrigue et notre mise en scène en un tout, en constant devenir. Nous créons aussi la pièce ! Et toute cette jeunesse musulmane, chrétienne, juive ou autre, figée dans des écrits scellés et obsolètes étouffe. Elle est piégée dans un temps qui n'est plus le sien, sans espace pour respirer le présent. Elle va finir par faire un grand Bang ! L'Univers lui est défendu, interdit par un dieu de châtiment et d'exigence ! Un ange exterminateur maléfique, qui gérerait le monde à sa place, déciderait de tout et dans les mains duquel l'homme n'est qu'un pantin, une pauvre marionnettes tenue par des ficelles. En un mot comme en mille, ou même en cent milliards : le contraire de la réalité. Le contraire de ce qui EST. En vérité, je vous le dis encore !

121 CHAPITRE TREIZIÈME Univers chiffonné par la gravité, dont notre cerveau est l'image, en sommes-nous le corps calleux ? L'interface... Le corps calleux -qui se situe entre les deux hémisphères du cerveau- est plus grand chez les musiciens, les gauchers et les ambidextres... il est vrai que toute pratique d'un instrument de musique requiert d'être ambidextre, autant qu'une dactylo à son clavier... Léonard de Vinci écrivait aussi bien de la main gauche que de la main droite et même à l'envers ! Nous, il nous faut apprendre à présent à faire des palimpsestes : écrire de nouveaux livres sur les vieux parchemins, autant que de manier les anagrammes révélatrices et renversantes. Peut-être faudrait-il tenter de guérir la radicalisation des aspirants djihadistes par une pratique intense de la main gauche, qui développerait leur imaginaire lésé. Et, abandonnant la répression de déchéance de nationalité, autant que la saturation d'images de violence, faudrait-il les faire vivre au milieu des étoiles ? Les envoyer

122 en villégiature sur la Lune, sur Mars ? Là où ils ne pourraient plus situer La Mecque... En apesanteur ! J'épuise mes possibles. J'épuise ma colère. Après la tempête, le ciel est dégagé, limpide. Tu es morte. Enterrée. Pas encore oubliée. Zohra a aimé ton premier roman. Elle m'a dit que tu parlais bien de l'amour. De la passion. Et du désir. Que tu parlais bien de la mer. Elle a trouvé ta pensée singulière. J'attends à présent qu'elle te jauge en habits d'homme... peut-être y sera-t-elle moins sensible. Rien n'est dit. Je l'ai informée cependant de ton parcours atypique. Tu as fait peu d'études. En l'occurrence tu n'as pas été formatée par des programmes pensés par d'autres. En revanche, tu n'as jamais cessé de t'instruire et de lire. Les gens craignaient un peu ton regard transperçant. Tu savais lire en eux, comme tu savais interpréter les signes. Tous les signes. Tout pour toi faisait sens. Tu recueillais partout des informations, plus ou moins indirectement. Elles advenaient toujours avec toi en synchronicités déconcertantes. Néanmoins, tu faisais souvent semblant de mal y voir. D'être un peu myope. Alors que tu voyais dans le noir. Nous avons skié. Nous avons dévalé les pistes avec bonheur. Ma nouvelle vie sans toi est une longue vacance. Je la comble de neige, de plaisirs et de mots. Mais tu es encore en moi comme une pierre, que je trimbalerais sans fin dans

123 mes bagages. J'essaie un peu de te dissoudre, de te transmuter en plume. La douleur est sournoise. Elle me prend dans certains gestes, au détour d'une chanson ou d'un paysage. Tu reflues en moi, alors, comme une lame aiguisée, un hameçon que l'on tenterait d'arracher, rouvrant les plaies que je croyais déjà un peu cicatrisées. Et je deviens pour un instant ce "Cri" de Munch. Je me tords sous le fouet de la mémoire. Je me brûle à ton sourire, à ta voix, parfois, que je crois entendre, parmi la file d'attente de quelque téléski. Tu me vitrioles en plein cœur. Je me dis alors que moi, je suis vivant. J'ai survécu. J'aurais pu mourir à tes côtés et personne n'aurait été là pour écrire ce livre. On se serait lamenté un moment sur nous deux. Et puis rien. Si quelqu'un en eut été bouleversé de colère, il n'en aurait rien dit. Rien écrit. Il n'aurait pas osé. Il aurait souffert en silence, comme savent si bien le faire les humbles gens. Se révolter contre la mort, chacun sait que c'est bien inutile. Se révolter contre un tirage au sort l'est tout autant. C'est ce qu'ils pensent. Tous. Cependant... tout ce carnage sur les trottoirs, dans la salle du Bataclan et celui du mois de janvier ! Tous ces corps enchevêtrés dans la même horreur. Dans le même souvenir. Alors que l'on se pense dans un pays civilisé, qui a aboli même la peine de mort, pensant ainsi un jour réinsérer les criminels ! Le pays des droits de l'homme et du citoyen ! Le pays des arts et des lettres ! Cloisonnés que nous sommes dans un monde épargné, alors qu'à nos portes la guerre fait rage. Pensions-nous n'en être pas dérangés ? Alors

124 que des zones de non-droit s'instaurent partout dans les cités, que les trafics de drogues font flores, que tous les jours on dénombre des morts par règlements de comptes, comme au joli temps de la prohibition en Amérique, espérions-nous en sortir sains et saufs ? Alors que le monde entier fait sa mue, que les armes se vendent mieux que les fruits et légumes, que des gens sans abris jonchent encore les trottoirs de nos villes, comme des détritus que l'on a négligé de ramasser, rêvions-nous à un univers de Bisounours ? Une société équitable touchée soudain par la grâce, sans qu'il ne nous en coûte rien ? Sans que nous n'ayons rien changé, rien touché à nos sacro-saintes valeurs humanistes, à nos petites habitudes ? Quelle candeur ! Quelle naïveté ! Quelle bêtise ! Le dormeur doit se réveiller ! Il doit rêver sa vie les yeux ouverts ! Il doit mettre en état de marche ses utopies. Il doit réaliser ses désirs, plutôt que d'en parler et de s'en faire des films. D'en écrire des romans débiles et malheureux. Des romans verbeux, vides d'idées. Cette année sabbatique que je voulais prendre, aujourd'hui je sais qu'elle se transformera, tout au plus, en quelques mois d'écriture. Je vais réintégrer le monde. J'ai un discours à faire passer. J'ai une parole à faire entendre. Je ne me soumets pas ! Je me lève ! Je ferai le prophète aussi bien que quiconque ! Et toi, eh bien... tu seras ma pythie ! Je pourrai exhaler ta parole, phrase à phrase. Henri IV disait que Paris valait bien une messe, moi je dis que la Terre vaut bien l'effort d'un engagement. Et nos enfants tous nos soins d'attention. Il nous faut

125 ébaucher un futur lumineux. Il faut sortir une jeunesse de ses caves et de ses tunnels noirs. Des entrailles sans soupirail de ses cités-dortoirs. Il faut que les djihadistes cessent d'égorger. Les casseurs de casser. Il faut engendrer et construire. Réparer et soigner. Et panser sans remédier est une gesticulation inutile. Énoncer n'est pas faire. Il y a tant à faire. Il y a tant à dire. Il y a tant à être qu'on nous empêche d'être ! On veut nous empêcher de parler librement et discourir, échanger. On jette sur le chemin de la parole des racismes, des fascismes, des islamismes, des nazismes, ainsi que tous leurs contraires. On sape la pensée. On obscurcit la connaissance. On restreint l'intelligence. Il n'est plus d'excellence, mais règne le médiocre, le tiède, le gris : l'entropie galopante. En fait, on veut nous bâillonner pour nous imposer des barbarismes. Mais la langue française le tolère mal, elle regimbe, elle rechigne. La langue est notre nationalité indélébile. La langue est ce qui nous constitue, elle est notre identité la plus profonde. En dehors des frontières, elle est notre drapeau. Notre hymne national. Elle n'abandonnera pas facilement le chapeau de la cime qui tombe dans l'abîme ! Ni le phantasme d'un fantasme pour un nénuphar atrophié, appauvri, bradé, vendu au plus offrant ! Non ! L'évolution nous a poussés à nous redresser, ce n'est pas pour nous rabaisser à présent ! Nous avons fait tout ce chemin ensemble, il faut poursuivre ! Le vin coupé d'eau n'est plus du vin !

126 C'est vrai que, comme moi, tu ne mettais jamais de vin dans ton eau. Mais plutôt dans ta soupe... pour faire chabrot. Ton eau coulait de source. La source des étoiles. La source-femme. Tu ne mettais pas plus de l'eau dans ton vin... ça le gâte ! Je ne mettrai pas d'eau dans ton sang. Ni de tolérance. Et tout ce sang versé doit cesser de couler. C'est vrai qu'on ne peut pas être et avoir été. Mais laissons donc ce qui a été, pour ce qui est ! Céline et Sartre nous avaient peint avec leurs mots une société triviale et absurde, une œuvre au noir. Avec Camus, déjà, sourdait la lumière d'une humanité survivante. Nous sommes en chemin. Et le temps n'attend pas. Il ne rebrousse pas, il avance sans cesse ! Il passera comme un rouleau compresseur sur ceux qui ne s'en rendent pas compte ! Ceux qui ne se réveilleront pas ! Et le temps quand il passe, n'a pas de voiture-balai comme le Tour de France. Si on ne monte pas dans son train, il est inutile d'attendre le suivant. Il n'a pas de station et il n'a pas de gare. Il poursuit son espace, le temps, sur la courbure de sa gravité. Il espace son temps en quanta non commutatifs. Il n'a pas de destination non plus. Juste il va. Il carbure à la Force. Et la Force est inextinguible. Elle est inexpugnable du Vide. Elle est son envers du décor. Alors, si vous voulez adorer le Vide ! Adorer la Force ! Adorer le temps et l'espace ! Adorez, adorez ! Tout ce qui brille n'est pas d'or et tout ce qui est blanc n'est pas immaculé. Il serait sot de se fier aux apparences. Le noir n'est que l'absence de lumière... Et la lumière, une absence

127 d'ombre. La matière noire, en quelque sorte, force notre cohérence ! Nous oblige à mieux nous définir. Par notre densité et par notre volume, nous avons tous une ombre. Seuls les vampires n'en ont pas... pas plus que d'image dans la glace ! Alors, petits djihadistes vampires, vous ne nous ferez pas de l'ombre et vous n'imprimerez pas votre image sur la face de l'Histoire. Nous vous transpercerons le cœur d'un pieu, pour que vous restiez à jamais dans vos cercueils. Si par bonheur vous en avez trouvé un qui ait rassemblé quelques uns de vos morceaux ! Un pieu dans le cœur pour des impies. Voilà qui est le comble de la justice. Avis à tous les apprentis djihadistes : changez de métier ! Oui, changez de métier car vous confondez tout. L'homme a bien un devoir : il doit se mettre en quête de lui-même et faire son djihad intérieur. Que pensez-vous qu'il soit ? Le chemin vers soi-même, rien d'autre : IOS. Et il lui faut passer derrière les lettres pour l'atteindre. Pour le voir. Au fond de soi-même se trouve la divinité. Le puits où scintille l'étoile. Le lien suprême. La racine floue qui nous relie au Vide. La diva divine quo vadis ! Il n'est d'autre chemin. Il n'est d'autre voyage. Il n'est d'autre soleil. Tout est ici et maintenant. Il n'est d'autre royaume. Nul besoin de semer des cailloux pour revenir : on n'en revient pas, on y est. Il est inutile de tourner en rond autour d'une pierre, toute noire fut-elle. De se balancer contre un mur qui n'en peut plus. De se prosterner devant des autels vides. Nul besoin de faire des

128 pèlerinages, à Lourdes, à Compostelle, à Jérusalem, à La Mecque ou même au Tibet. Il n'est qu'un chemin pour un homme, il est en soi. Il est toujours là, présent. Il est toujours éclairé, éclairant. Il est ici le pays blanc et nulle part ailleurs. Rien d'autre. Le royaume est en nous, comme une terre de diamant. Une planète oubliée. Il est de vivre, il est d'aimer. Alors, petits djihadistes, je vous renvoie en express et en mains sales, vos chocolats de Molenbeek ou d'ailleurs. En effet, il est évident que vous ne viendrez pas les rechercher... vous n'avez pas l'esprit d'un Jacques Brel avec ses bonbons ! Je vous renvoie vos chocolats, vos bastos venimeuses, et vous allez vous étouffer avec. En faire une crise de foie. Une indigestion. Une suffocation, même. Un arrêt cardiaque, c'est certain. Mais j'ai déjà préparé la fosse. Elle est commune. Elle est ouverte. C'est celle du temps. Elle vous tiendra tous dans son espace ! Elle ne vous loupera pas ! Il faut vous considérer, dès aujourd'hui, comme une espèce en voie de disparition ! Que voulez-vous, c'est la sélection naturelle, l'évolution ! Les lois de la nature et de l'Univers sont impitoyables. C'est le plus apte qui survit. Vous, vous ne pouvez pas survivre : vous vous suicidez déjà bêtement. Les espèces les mieux adaptées à leur environnement sont celles qui ont le plus de chances de perdurer. Il est évident, lorsque l'on vous regarde, que vous d'avez à cela aucune aptitude. D'autre part la Nature, dans sa grande sagesse, n'a pas cherché à adorer qui se soit pour investir toutes les niches possibles, dans les mers et

129 les océans, sur la terre ferme et dans les airs. Partout la vie foisonne. Partout elle est célébrée. Elle n'a pas attendu pour croître et se multiplier que ce soit écrit dans la Bible, ni que quelqu'un lui dise qu'un dieu est grand. Elle a su d'instinct que l'Univers est beau et bon et que la planète bleue, la Terre, est accueillante. Elle n'a pas eu besoin de vos discours débiles. Et les hommes et les femmes sur la Terre, n'ont pas attendu pour penser et développer toute leur ingéniosité, depuis plus d'un million d'années, que naisse au fond d'un désert un prophète qui énonce tout à coup, sa propre réinterprétation du monde, il y a de cela, quelques 1400 ans ! Il fut avant lui d'autres religions. Il fut d'autres prophètes. Mais aujourd'hui, c'est moi le prophète. Mais je ne viens pas fonder une nouvelle religion. Juste, je m'en réfère à la loi et je viens l'accomplir ! Il fut des savants avant moi. Il fut des philosophes. Et il fut des poètes. Des musiciens. Des danseurs. Et il fut l'amour. Et le monde survivra aussi à ma disparition ! Mais la loi sera toujours la loi. Une chose n'est pas juste parce qu'elle est la loi. Mais elle doit être loi, parce qu'elle est juste. Les lois de l'Univers sont vérifiables. Ce sont d'ailleurs les seules... qui sont en vigueur à des années-lumière à la ronde. Il faut, pour qu'une loi soit bonne et appliquée, qu'une société s'y reconnaisse. Et chacun peut se reconnaître dans l'Univers, puisque nous en sommes tous ses enfants. Sans discrimination aucune. Sans aucune notion d'ethnie ou de sexe.

130 Sans aucune différenciation de forme ou de couleur. Et tout ce qui est vivant... à part nous, misérables humains, s'y reconnait sans peine. Aucunes affres métaphysiques ne tourmentent les plantes et les animaux. Aucune guerre de religion ne les décime. Que nous.

131 CHAPITRE QUATORZIÈME Zohra a terminé la lecture de tes romans. Elle a décidé de te consacrer une collection particulière, au sein de son Édition du Bois Noir. Nous en cherchons ensemble l'appellation. Et je lui ai confié la lecture de mes treize chapitres achevés de cet ouvrage. Elle a été saisie. -La douleur te rend lyrique ! m'a-t-elle dit. Lyrique je ne sais, colérique certainement. Elle m'a conseillé de réserver la publication de ce roman à un grand éditeur. Mais je suis dubitatif. Aucun d'eux n'osera. Je le lui ai dit. Ils se désisteront tous de la patate chaude. Le courage et l'innovation ne sont pas des qualités éditoriales. L'opportunisme, le clientélisme est leur seul crédo. Aucun d'eux n'éditerait plus Louis-Ferdinand Céline. Et aucun de tenterait à nouveau l'aventure des Versets sataniques de Salman Rushdie1. Déjà plus personne n'ose la caricature, depuis que les dessinateurs de Charlie ont été décimés.

1 Les Versets sataniques -Christian Bourgeois éditeur-

132 Zohra prétend que cela n'a rien à voir. Je n'attaque en effet aucun écrit religieux par lui-même, mais le principe même de toute religion... je déménage le propos sur le domaine scientifique. Cependant... je lui ai avoué avoir eu recours à la Bible pour commencer la rédaction de ce récit. J'avais déjà le titre -fourni d'ailleurs par un ami1- et les exergues, qui me sont immédiatement venues à l'esprit. Je savais bien sûr ce que je voulais y mettre, l'objet de ma colère, le scandale de ta mort, mais... je ne savais comment en engager l'écriture. J'ai ouvert la Bible au hasard -qui fait toujours si bien les choses- et je suis tombé dans les écrits d'Ézéchiel... Un prophète ! Un de mes préférés, dont j'ai toujours gardé la petite icône, rapportée d'une visite à Londres avec toi, au Albert and Victoria' Museum. En effet, le musée avait à cette époque édité une petite brochure, illustrée d'un minuscule vitrail en sa possession, représentant le prophète Ézéchiel ; vestige très ancien, rescapé d'une église détruite. Vestige bien plus ancien que notre visite à Londres en 1986... au début de notre mariage. Je ne pouvais y voir là qu'un bon augure. Ézéchiel vivait au VI siècle avant Jésus... presque symétriquement à Mahomet, après Jésus. J'ai toujours conservé cette ancienne Bible qui me vient de ma mère, sur une étagère de mon bureau. Il m'est arrivé de la consulter pour relire la Genèse et sa version de la création de l'Univers, ou pour vérifier la longévité de ses premiers héros...

1 Etienne Léopold, agent immobilier, lors d'une conversation.

133 Mais là, je suis tombé sur le Livre 16-8 d'Ézéchiel. J'en fus très troublé car il correspondait tout à fait aux circonstances de notre rencontre. Alors, je me suis laissé guider par le prophète, qui m'intronisait ainsi si magnifiquement. Lors de la rédaction de mes exergues, j'ai également recherché dans les Évangiles, celui qui correspondait au souvenir que j'en avais sur la Loi, qu'avait citée Jésus. Cette phrase avait dû m'interpeler pour que je la mémorise ainsi, alors que, je l'avoue, si j'ai lu dans ma jeunesse les Évangiles pour me documenter, je ne les consulte jamais. Mais, quotidiennement, étant confronté aux lois de l'Univers, il m'importe personnellement de les accomplir ! J'ai lu dans Wikipedia que le nom d'Ézéchiel signifiait : que le Seigneur le fortifie ! Je l'ignorait... mais il est un fait que l'Univers me fortifie ! L'Univers me porte. L'Univers me nourrit. C'est la moindre des choses, puisqu'il m'a enfanté, comme chacun de nous. Et je ne peux que songer à la manne promise, en cas de nécessité. Elle est tombée sur moi. Jamais je n'ai ouvert un livre -à par la Bible... celui qui m'est tombé des mains et le roman de Marguerite Duras- ni médité un tant soit peu sur ce que j'allais dire. J'ai écrit sous la dictée et l'égide du Côte du Rhône. Cela peut paraître certes prétentieux, je m'en moque : c'est la vérité. Aussi, je voudrais recommander à mes lecteurs, s'il y en a jamais, de goûter à mes chocolats. C'est un présent du présent. En ce mois de février, qui est celui de mon anniversaire : le mois des

134 commencements. Des changements. Des utopies. Des innovations. Le temps du rêve éveillé... Le temps des hommes au corps arc-en-ciel. Le rêve des l'hommes d'un nouveau monde à venir, que lui promet l'ère du Verseau. On peut être physicien, astronome et astrologue. Newton l'était bien ! Ce n'est pas déshonorant. D'ailleurs dans l'ancienne Mésopotamie, tout astronome était également astrologue. Et qui mieux qu'un prophète peut faire l'astrologue ? Cependant, ce nouveau monde, aurons-nous assez d'amour pour le bâtir un jour ? Aurons-nous assez de foi pour en être les rois ? Aurons-nous assez de feu, pour en être les dieux ? Aurons-nous assez de temps pour le vivre au présent ?... Je conclus par ces quelques phrases, qui font partie d'une chanson que tu avais écrite... je les retranscris en souvenir de toi. C'est vrai qu'elles ouvrent une ère nouvelle, qu'il nous faut travailler à instaurer et qu'il ne faudrait pas trop tarder à atteindre, si nous voulons voir perdurer l'Homme, ainsi qu'un peu de civilisation. Prenons garde en effet à ce qu'un jour les djihadistes, tout imbus de leur déviance forcenée et hérétique, se moquant déjà comme d'une guigne des dommages collatéraux qu'ils infligent, n'épargnent pas non plus notre belle planète bleue dans leur nihilisme.

135

-Ézéchiel- Peinture sur verre façon vitrail, réalisée par Annie Nobel, d'après un authentique petit vitrail, exposé au Victoria and Albert' Museum de Londres. Ézéchiel, le prophète, a prédit, en autre : "Je ferai marcher mon peuple dans la paix..." Par l'obligeance de Jacques Perry-Salkow, maître du genre, l'anagramme du titre de ce roman : Les chocolats de Molenbeek : L'écho des tanks comble Éole...

136 TABLE DES MATIÈRES PROLOGUE............................................. p 3 CHAPITRE PREMIER............................ p 6 CHAPITRE DEUXIÈME........................ p 14 CHAPITRE TROISIÈME....................... p 21 CHAPITRE QUATRIÈME..................... p 30 CHAPITRE CINQUIÈME...................... p 41 CHAPITRE SIXIÈME............................. p 51 CHAPITRE SEPTIÈME........................... p 60 CHAPITRE HUITIÈME.......................... p 71 CHAPITRE NEUVIÈME........................ p 81 DIXIÈME CHAPITRE............................ p 91 CHAPITRE ONZIÈME........................... p 102 CHAPITRE DOUZIÈME........................ p 111 CHAPITRE TREIZIÈME........................ p 121 CHAPITRE QUATORZIÈME................ p 131

137 DE LA MÊME AUTEURE : -LE PETIT CHEMIN DE SABLE : Roman d'une vacance, où tout se reconstruit : un univers se crée en sept jours... avec une poignée d'humains, au bord d'une petite plage secrète. -LE QUATORZIÈME STADE : Où l'Histoire, à travers 14 stations initiatiques, et la petite histoire, lors de l'édification du Stade de France, finissent par se rejoindre à Saint-Denis. -AUTOPSY : Roman autobiographique à fichiers partagés avec une petite voisine suicidée. Autopsie et psychologie. -PETIT MANUEL DE SURVIE... POUR ÂMES VOYAGEUSES : Essai sur une N.D.E : "expérience proche de la mort". Récit fantastique, où les personnages ne se différencient que par la calligraphie du texte : nos différents états de conscience. -LA LOUP BLANC : Roman policier, ethnographique et historique, se déroulant à 40km de Paris, dans le Vexin français. Histoire fantasmée, fantastique et fantasque. -NUIT BLEUE : Roman de science fiction, se voulant une "suite" à "La Nuit des Temps", de René Barjavel, appliquant la mécanique quantique au pied de la lettre.

138 -L'UNIVERS ET MOI : Récit mouvementé relatant l'écriture d'un roman destiné au grand éditeur parisien "Panamard", avec lequel son auteur brigue le Prix Goncourt... -LES CHOCOLATS DE MOLENBEEK : Au cours des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, un physicien perd sa femme. Se lève alors en lui une colère divine...

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