les cahiers de l’adapt · 2014. 9. 18. · les cahiers de ladapt 1 p7 deux ans. nous espérons...

52
Les cahiers de L’ADAPT #Hors-série n°2 Actes de la conférence de clôture de la 17 e Semaine pour l’emploi des personnes handicapées Vendredi 22 novembre 2013 - Parlement Européen de Strasbourg Conférence européenne PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE [ HORS-SÉRIE N°2 ] En partenariat avec L’ADAPT - Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées

Upload: others

Post on 21-Sep-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

Les cahiers de L’ADAPT#Hors-série n°2

Actes de la conférence de clôture de la 17e Semaine pour l’emploi

des personnes handicapéesVendredi 22 novembre 2013 - Parlement Européen de Strasbourg

Conférence européennePARTAGER ET

INNOVER POUR L’INSERTION

PROFESSIONNELLE

[ HORS-SÉRIE N°2 ]

En partenariat avec

L’ADAPT - Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées

Page 2: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

Les cahiers de L’ADAPTHors-série n°2

L'ADAPT SiègeTour Essor - 14 rue Scandicci93508 Pantin Cedex

Directeur de la publication : Emmanuel ConstansRédacteur en chef : Éric BlanchetCoordination éditoriale : Cyrielle ClaverieComité éditorial : Henri-Pierre Lagarrigue, Valérie PaparelleRédaction : Parlement Européen de StrasbourgConception, réalisation : Impression : Chauveau imprimerie

Commission paritaire : n°52-562Parution trimestrielle : ISSN 0182-5437Dépôt légal : 2nd semestre 2014Crédits photos : L’ADAPT

Page 3: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P3

{ SOMMAIRE

OUVERTURE• Anne Thévenet, Directrice adjointe, Euro Institut, France• Luis Martinez-Guillen, Directeur du bureau du Parlement Européen de Strasbourg, France• Eric Blanchet, Directeur général, L’ADAPT, France• Alejandro Cercas, Député Européen, Espagne• Evelyne Gebhardt, Députée Européenne, Allemagne

SÉQUENCE 1• Alain Faure, Membre du Forum Européen sur le handicap (EDF), Belgique• Serge Ebersold, Professeur, INS HEA, France• Anna Ludwinek, Directrice de recherche, Eurofound, Irlandeil

SÉQUENCE 2• Anna Lawson, Professeur, Université de Leeds, Grande-Bretagne Table ronde : Des politiques nationales "handicap" au développement local inclusif, animée par Dominique Velche, avec la participation de :• Edwin Luitzen De Vos, Chercheur (research & consultancy on employment and social security), Pays-Bas• Katrin Fliegenschnee, Chargée de recherche, programme Clearing et Jugendcoaching, Autriche• Eric Plantier-Royon, Chargé de mission Ville & Handicap, Villeurbanne, France• Rolf Quick, Croix-Rouge, Allemagne

SÉQUENCE 3Table ronde 1 : L’autonomisation des jeunes et actions de l’environnement, animée par Cyril Coulet, avec la participation de : • Michel Mercier, Docteur en psychosocial, Belgique• Audrey Parron, Sociologue, France• Marie-Jeanne Braunstein, Présidente, Collectif pour l’inclusion scolaire individualisée, France• Thierry Awner, Chef kinésithérapeute, L’ADAPT, France• Paul Gallard, Secrétaire adjoint, Unapei, France Table ronde 2 : Des bonnes pratiques en matière de formation et accompagnement des jeunes en situation de handicap vers l’emploi, animée par Emmanuel Ronot, avec la participation de : • Christian Grapin, Directeur, Tremplin, France• Patricia Scherer, Chargée des relations européennes et internationales, FEGAPEI, France• Pierre Hoerter, Président, la Main Verte, France• Norbert Briant, Chargé de mission de coordination, CREAI-SARAH, France• Karemba Darame, Jeune en situation de handicap

Table ronde 3 : L’intégration en entreprise, animée par Valérie Paparelle, avec la participation de : • Manuèle Masset, Directrice adjointe, L’ADAPT/Essonne, France• Stéphanie Le Dorner, Responsable diversité et égalité des chances, Malakoff Médéric, France• Stéphane Forgeron, Club des jeunes cadres handicapés, L’ADAPT, France• Fernando Bellver Silvan, Association Européenne de l’emploi accompagné (EUSE), Espagne

P5

P11

P19

P31

P39

P45

Page 4: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P4

NOUS REMERCIONS L’ENSEMBLE DE NOS INTERVENANTS…

Par ordre d'intervention :

Anne ThévenetDirectrice adjointe, Euro Institut, France

Luis Martinez-GuillenDirecteur du bureau du Parlement Européen de Strasbourg, France

Éric BlanchetDirecteur général, L’ADAPT, France

Evelyne GebhardtDéputée Européenne, Allemagne

Alain FaureMembre du Forum Européen sur le handicap (EDF), Belgique

Serge EbersoldProfesseur, INS HEA, France

Anna LudwinekDirectrice de recherche, Eurofound, Irlande

Anna LawsonProfesseur, Université de Leeds, Grande-Bretagne

Dominique VelcheChercheur, EHESP-MSSH, France

Edwin Luitzen De VosChercheur (research & consultancy on employment and social security), Pays-Bas

Katrin FliegenschneeChargée de recherche, programme Clearing et Jugendcoaching, Autriche

Éric Plantier-RoyonChargé de mission Ville & Handicap, Villeurbanne, France

Rolf QuickCroix-Rouge, Allemagne

Cyril CouletChargé de mission développement des territoires, L’ADAPT, France

Michel MercierDocteur en psychosocial, Belgique

Audrey ParronSociologue, France

Marie-Jeanne BraunsteinPrésidente, Collectif pour l’inclusion scolaire individualisée, France

Thierry AwnerChef kinésithérapeute, L’ADAPT, France

Paul GallardSecrétaire adjoint, Unapei, France

Emmanuel RonotDirecteur territorial Grand Est, L’ADAPT, France

Karemba DarameJeune en situation de handicap

Pierre HoerterPrésident, la Main Verte, France

Norbert BriantChargé de mission de coordination, CREAI-SARAH, France

Christian GrapinDirecteur, Tremplin, France

Patricia SchererChargée des relations européennes et internationales, FEGAPEI, France

Valérie PaparelleDirectrice générale adjointe, L’ADAPT, France

Jacques PerrierGroupe La Poste, France

Stéphanie Le DornerResponsable diversité et égalité des chances, Malakoff Médéric, France

Manuèle MassetDirectrice adjointe, L’ADAPT/Essonne, France

Fernando Bellver SilvanAssociation Européenne de l’emploi accompagné (EUSE), Espagne)

Stéphane ForgeronClub des jeunes cadres handicapés, L’ADAPT, France

Page 5: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P5

Anne ThévenetDirectrice adjointe, Euro Institut, France

Luis Martinez-Guillen Directeur du bureau du Parlement Européen de Strasbourg, France

Éric BlanchetDirecteur général, L’ADAPT, France

Alejandro CercasDéputé Européen, Espagne

Evelyne GebhardtDéputée Européenne, Allemagne

OUVERTURE

Page 6: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P6

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Anne Thévenet.- Nous allons commencer. Je vous prie de prendre place. Je laisse la parole à Luis Martinez-Guillen, chef du bureau du Parlement européen à Strasbourg.

Luis Martinez-Guillen.- Au nom du président du Par-lement européen, j’aimerais vous souhaiter la bienvenue dans notre institution, dans votre institution, le Parlement européen.

2013 est l’année des citoyens. Un citoyen est quelqu’un qui a des droits ; le droit à la protection diplomatique, le droit à la protection consulaire, le droit de participer aux élections municipales, le droit de participer aux élections européennes, et surtout, le droit à la mobilité à l’intérieur de l'Union. Il peut s’établir dans le pays de son choix et peut y devenir étudiant ou travailleur. Par ailleurs, il y a quelque chose qui est clair, c’est l’égalité entre les citoyens de l'Union européenne.

Cette égalité doit se traduire dans tous les domaines d’activité. Cette semaine, le Parlement européen a voté une résolution dans laquelle il est demandé aux entreprises cotées en bourse que 40 % de leurs postes-clés soient occupés par des femmes, car il faut promouvoir l’égalité hommes-femmes. Cette égalité doit s’étendre à tous les domaines d’activité des citoyens. Par exemple, un citoyen qui a un handicap, est un citoyen qui a besoin d’une aide spéciale. Il a besoin de compenser ce handicap, et c’est la société, ce sont les institutions européennes, qui doivent se charger de cette compensation. Dans une année comme celle-ci, celle des citoyens européens, il est très important de le rappeler.

Être citoyen européen signifie que l’on a une série de qualités et d’avantages, mais le plus important d’entre eux est peut-être cette égalité. Tous les citoyens doivent être égaux et considérés de la même façon. C’est pourquoi l’année prochaine sera encore l’année des citoyens appelés à aller voter.

Je ne vais pas faire une description de la campagne du Parlement européen, mais j’aimerais quand même attirer votre attention sur un point. Dans la campagne que nous allons mener, nous allons organiser des débats autour de cinq sujets, dans toutes les villes de l'Union européenne. Un des grands thèmes sera celui de la qualité de vie, dont nous avons la charge. Dans le cadre de ces débats, nous allons rappeler quelles sont les avancées réalisées par le Parlement européen pour améliorer cette qualité de vie. La personne handicapée doit bénéficier de ces initiatives, qui tendent à rendre les citoyens européens égaux dans l'Union européenne.

Aussi, à l’occasion de ces débats auxquels vous serez

sûrement appelés à participer, je vous prierais d’exprimer ce point de vue, c’est-à-dire de demander à l’Union européenne d’aller plus loin. Et la meilleure façon de faire, sera de veiller à ce que ces exigences soient entendues par les différents candidats. J’espère que le message sera clair. Je voulais juste vous rappeler qu’il faut avoir cette exigence politique au moment de choisir nos représentants. Je vous souhaite un bon travail et une bonne fin de semaine à Strasbourg.

Anne Thévenet.- Merci de nous accueillir pour nos travaux d’aujourd’hui. Je passe la parole à Eric Blanchet, directeur général de L’ADAPT.

Eric Blanchet.- Merci. "Préparer l’avenir des jeunes avec les jeunes" est l’un des axes du projet associatif de L’ADAPT. Il s’agit d’un axe important, car c’est l’avenir qui se joue, celui de l’évolution du regard sur le handicap, c’est-à-dire la façon dont la société traitera demain les personnes en situation de handicap.

L’ADAPT a élargi ce sujet au niveau de l'Europe. Au moment où la radicalisation, le racisme et l’intolérance sont en train de gagner un espace malheureux dans certains pays, et alors que les élections européennes approchent, il semble important de réaffirmer le vivre ensemble ; tous ensemble, personnes valides et personnes handicapées.

C’est quelque chose qui est évident mais qui n’est pas toujours simple à réaliser lors d’une crise économique. Aujourd’hui, l'Europe est en état d’urgence par rapport à l’emploi, en particulier l’emploi des jeunes et, bien évidemment, des jeunes en situation de handicap. Quelques chiffres : 80 millions de personnes sont concernées par le handicap en Europe, 5,6 millions de jeunes sont au chômage, 14 millions si l’on intègre les jeunes en déscolarisation ou en décrochage, c’est-à-dire éloignés de l’emploi et par conséquent d’un avenir. Parmi eux, les jeunes en situation de handicap sont deux fois plus touchés. Mais il est impossible de construire l’Europe sans tenir compte de l’avenir de ces jeunes.

Il y a 17 ans, L’ADAPT a créé la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées. Et quand on met en perspective cette semaine-là, notre projet associatif et le projet de l'Union européenne, on constate qu’il existe une dynamique identique : celle qui consiste à préparer un avenir pour les futures générations. C’est pour cela que la Semaine pour l’emploi a débuté à Bruxelles, et qu’aujourd’hui, nous avons la chance d’être accueillis ici, à Strasbourg. Je pense que c’est un symbole fort et qu’il est important de pouvoir évoquer ces sujets au niveau de l’ensemble des pays de l'Union européenne. Probablement allons-nous vers la construction de Semaines pour l’emploi européennes d’ici

OUVERTURE

Page 7: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P7

deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche.

La jeunesse, c’est le symbole de demain, de l’avenir. C’est aussi un facteur de paix pour l'Union européenne. Aujourd’hui, la mobilité est également une question essentielle pour se rencontrer et se connaître, pour avoir un regard bienveillant par rapport à la différence et par rapport à l’autre. Cela dépasse largement la question de l’emploi. Il s’agit d’une communauté de vision et d’acceptation. Et il est essentiel que, dans une période compliquée politiquement dans certains pays, nous affichions cette capacité à monter des projets sur des sujets de solidarité.

En France, 9 millions de personnes sont concernées par le handicap. 2 millions d’entre elles ont la possibilité d’aller vers l’emploi, mais 400 000 sont actuellement au chômage. La crise économique en France ne favorise pas, à ce moment précis, l’emploi des personnes handicapées. Cela est évident au moment où la France connaît de nombreux licenciements dans quasiment tous les secteurs d’activités.Cette journée autour de l'Europe et des jeunes en situation de handicap est faite pour réfléchir ensemble, mais aussi pour trouver des pistes de travail et voir comment nous allons porter et penser l’avenir sur différents sujets.

La France fait beaucoup de lois, de textes. Parmi eux, il y a tout de même une loi qui a marqué un espace très important : la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances et la citoyenneté des personnes handicapées. Elle a notamment permis une prise de conscience quant à la nécessité de considérer enfin chaque personne, quelle que soit sa situation, comme un citoyen à part entière. Bien évidemment, quand on fait le point sur la mise en œuvre de cette loi, on s’aperçoit qu’il existe une marge de progrès importante. L’accès à l’école n’est pas évident, l’accès aux bâtiments des services publics n’est toujours pas complètement réglé. L’accès aux transports, même s’il commence à s’améliorer, est encore théorique dans beaucoup d’endroits. Tout comme les normes d’accessibilité universelles : par exemple, un certain nombre de personnes en situation de handicap ne peuvent toujours pas disposer d’Internet, être dans les réseaux sociaux ou tout simplement avoir accès à l’information ou aux sites commerciaux…

Autre point important : la vie démocratique. Est-ce que les personnes handicapées peuvent tout simplement aller voter en France ? Par exemple, à l’occasion des élections municipales, est-ce que toute personne en situation de handicap, quel que soit son handicap, aura un accès au bureau de vote et un bulletin de vote qui lui permettront

d’émettre son avis ? Tant que ces questions-là ne seront pas réglées au niveau national, il sera difficile de passer à d’autres étapes. L’ADAPT milite pour que cela reste un véritable objectif, non négociable. Il est inacceptable que des personnes handicapées soient toujours considérées comme des citoyens de seconde zone.Le thème de l’emploi et de l’insertion professionnelle qui nous réunit aujourd’hui est en relation étroite avec tous ces sujets-là. En amont, s’il n’y a pas de scolarisation, il n’y a pas d’accès à l’emploi. Sans transport ou sans accessibilité du bâti, il n’y a pas non plus d’accès à l’emploi. Or, on voit qu’il existe un décalage entre une volonté politique française et le temps nécessaire pour que les avancées soient effectives pour les citoyens. À travers son regard sur la citoyenneté et son action sur ce levier, L’ADAPT veut sensibiliser le grand public et avoir une démarche active, car nous ne pouvons rester dans cette zone d’ambiguïté. Il faut aller jusqu’au bout de la loi et l’appliquer. Cela ne sert à rien de sortir de nouveaux textes qui, parfois, brouillent les objectifs à atteindre.

Au sujet de la formation des personnes handicapées par exemple, on entend souvent que les personnes handicapées sont moins formées que les valides. Pourquoi ? Pour les jeunes, l’explication réside dans l’accès à l’école et le parcours scolaire. Qu’ils soient nés en situation de handicap ou que le handicap soit survenu durant leur jeunesse, leur projet de vie et leur accès aux diplômes s’en trouvent bouleversés. En ce qui concerne les adultes, on oublie souvent que ceux que l’on accueille par exemple dans nos centres de rééducation et de formation professionnelle, se sont retrouvés en situation de handicap suite à un accident ou à une maladie, autour de 40-45 ans, après avoir vécu une vie de valide.

Donc, parler d’un défaut de formation des personnes handicapées, c’est parler d’un manque d’accès à la formation pour les personnes valides. Quand une personne se retrouve en situation de rupture en lien avec le handicap, elle sera beaucoup plus armée pour pouvoir rebondir si elle est formée. Or, les gens que l’on accueille aujourd’hui sont de plus en plus perdus car ils n’ont jamais été dans cette dynamique. Cette fragilité s’ajoute malheureusement à la montée de la précarité et des problèmes sociaux.

Depuis la loi de 2005, il y a une véritable prise de conscience au sein des entreprises, même si on est encore aujourd’hui en dessous de 3% de taux d’emploi des travailleurs handicapés. En 17 ans de Semaine pour l’emploi, on constate que ça n’avance pas vite. Car en effet, il y a une chose que l’on avait sous-estimée, c’est l’état d’esprit dans lequel la France se trouvait par rapport aux personnes handicapées. La population avait une totale

Page 8: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P8

méconnaissance de la situation de ces personnes. Il y a encore aujourd’hui des gens qui disent qu’une personne handicapée est une personne en fauteuil roulant. Nous avions donc très mal évalué le temps nécessaire pour changer le regard et notamment, le regard de l’entreprise sur le handicap. Car qui compose l’entreprise ? Les citoyens français. Or, le levier du grand public n’a pas été suffisamment utilisé pour modifier ce regard.Néanmoins, l’entreprise a évolué. D’une contribution de 6% à payer, on est passé, chez certaines d’entre elles, à un véritable projet d’entreprise. Un projet qui utilise le levier de l’insertion professionnelle des personnes handicapées pour améliorer les relations sociales et tirer vers le haut, en fin de compte, la façon dont les équipes travaillent ensemble.

Les témoignages des entreprises sont souvent à peu près les mêmes, par rapport à ce que produit l’arrivée d’une personne en situation de handicap. D’abord, il est à noter qu’on ne recrute pas une personne en situation de handicap parce qu’elle est handicapée, mais parce qu’elle a une compétence. Ensuite, au-delà de sa compétence dans le projet, son recrutement génère un regard différent et de nouvelles solidarités. Et souvent, les chefs d’équipe, après avoir passé la première étape du regard un peu affolé face à la situation de handicap, comprennent que c’est un apport à long terme par rapport au projet d’entreprise et à leurs propres équipes.

Donc oui, au bout de 17 ans, on pourrait dire : ça suffit. On peut laisser tomber. Eh bien c’est au moment où les choses prennent, où l’entreprise bouge, au moment où la citoyenneté des personnes handicapées en France prend corps, que L’ADAPT y participe. En effet, on commence à faire des opérations de rencontre, de sensibilisation, et on sent que les gens interprètent le mot "handicap" à leur propre façon. Quand Mme X parle du handicap, elle parle de son propre handicap. C’est un changement de posture et un changement de société. C’est un changement qui va permettre de passer à quelque chose de différent de ce qu’on a fait il y a 17 ans. Il faut qu’on se dise : qu’est-ce qu’on va faire dans dix ans ? Quelle sera la relation entre le handicap, l’entreprise et le travail ? Pour ça, il faut se projeter. À L’ADAPT, on a décidé de s’allier autour de ce sujet-là. Pour se dire : demain, quelles pistes apporter pour soutenir d’une part les personnes en situation de handicap, et d’autre part l’entreprise avec ses contraintes et l’ensemble de l’environnement ? Nous espérons qu’en 2014, lors de la 18e édition de la Semaine pour l’emploi, nous serons en mesure de vous présenter un peu ces conclusions.

Pour terminer, L’ADAPT n’aurait pas pu monter la Semaine pour l’emploi depuis 17 ans si elle n’avait

pas de partenaire. Nous avons la chance d’avoir des partenaires nationaux comme Airbus, Athos, le groupe Caisse d’Epargne, Generali, Malakoff, la Société Générale, etc., mais aussi d’autres partenaires associatifs comme l’association Tremplin, qui travaille également avec les jeunes et qui leur permet de pouvoir évoluer. La Chambre de commerce et d’industrie de France fait aussi partie de nos partenaires : cette année, elle a ouvert ses portes pour sensibiliser les PME et les petites entreprises. Les Cap emploi, les Missions locales, les Pôle emploi sont également indispensables, tout comme L’AGEFIPH et le FIPHFP. Citons enfin un certain nombre d’experts qui sont là aujourd’hui, et que l’on remercie.

Bien évidemment, nous sommes une association. Une association, en France, c’est quelque chose d’important, car sans association, il n’y aurait pas eu de progrès dans le monde du handicap. Les hommes et les femmes politiques se nourrissent du projet d’un certain nombre d’associations, des professionnels, des familles, des personnes qui les composent, de cette force de conviction qui fait que nous portons et faisons évoluer un certain nombre de sujets comme l’insertion des personnes handicapées. Comme l’a dit Monsieur Martinez-Guillen, 2013 est l’année des citoyens européens. En France, nous n’en avons pas beaucoup entendu parler, excepté à L’ADAPT, qui a sensibilisé sur le sujet. La citoyenneté est essentielle pour demain : c’est ce qui fédérera les peuples. Et dans des moments compliqués, c’est la citoyenneté qui préservera certainement la paix dans nos pays et dans l'Union européenne. Nous sommes une association à but non lucratif. Et nous avons besoin de soutien, c’est-à-dire de relais qui parlent de notre action. C’est essentiel. C’est ensemble que nous gagnerons la bataille de l’emploi des personnes handicapées, en France et en Europe. Ensemble que nous renverrons aux personnes concernées un message de confiance et d’avenir. Merci.

Anne Thévenet.- Merci, Monsieur Blanchet. Aujourd’hui, nous avons l’honneur d’être dans les locaux du Parlement européen, et l’honneur d’être soutenus notamment par deux députés : d’abord Madame Gerhardt et Monsieur Cercas, qui n’a pas pu être présent, mais qui nous a envoyé une petite vidéo que je vous propose de regarder.

Alejandro Cercas.- Bonjour, mes amis du forum européen des personnes handicapées. Merci beaucoup pour votre invitation. Malheureusement, parce que j’ai d’autres meetings loin de Strasbourg, je ne peux être avec vous. Mais sachez qu’avec moi, beaucoup de députés travaillent pour faire face à un problème de justice et de rationalité. Un problème de justice qui demande que 80 millions de citoyens européens qui souffrent de handicap ne soient pas écartés de la vie citoyenne et du travail…

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

OUVERTURE

Page 9: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P9

Il y a beaucoup de difficultés pour lever toutes les barrières qui, aujourd’hui, empêchent la pleine intégration de tous les citoyens européens. L'Europe ne doit écarter personne. Elle a besoin de tout le monde. Elle a besoin aussi de justice en termes d’efficacité. Continuons notre combat. Nous ne sommes pas seuls. Nous continuerons à vos côtés. Et je suis sûr que nous remporterons notre bataille.

Anne Thévenet.- Je passe maintenant la parole à Evelyne Gebhardt.

Evelyne Gebhardt.- Merci beaucoup. Avec votre engage-ment, vous contribuez à ce que les personnes en situation de handicap soient considérées comme des Hommes.

Je veux vous présenter une expérience personnelle que j’ai faite il y a quelques mois lorsque, dans ma circonscription, j’ai visité une maison dans laquelle étaient regroupées des personnes en situation de handicap pour vivre ensemble. Il y avait un jeune homme qui m’a fait la visite guidée. Il a dit une phrase qui m’est restée en mémoire : "Madame Gebhardt, nous sommes ici, et ici nous sommes les gens normaux. Mais vous, vous ne l’êtes pas, ici, dans cette enceinte.". Cette phrase m’a fait réfléchir.D’abord, je me suis réjouie du fait que ce jeune homme s’assume avec son handicap et qu’il essaie de faire au mieux avec ce handicap. D’un autre côté, je me suis dit que c’était quand même dommage : un Homme est un Homme. Il y a juste des Hommes avec leurs diverses facettes. Cela m’amène à évoquer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui dit en préambule que la dignité de l’Homme est intouchable. Cette charte a été transposée dans le traité de Lisbonne et constitue la base de notre travail au sein de la communauté européenne. Ce principe nous lie dans notre engagement, parce que nous représentons les citoyens européens. Le Parlement européen, en ce sens, a déjà écrit un bout d’histoire.

Ainsi, nous avons contribué à ce qu’il y ait déjà un socle de droit dans le domaine de la lutte contre la discrimination. C’était ça aussi la base de la loi de 2005, Monsieur Blanchet vient de l’évoquer : une bonne base, mais insuffisante. Il ne suffit pas seulement d’établir des lois bien intentionnées. Il faut ensuite agir pour les réaliser, les mettre en pratique. Aujourd’hui, en temps de crise économique et financière, beaucoup de personnes se retrouvent dans des situations difficiles, et cela est causé en partie par la politique à l’échelle européenne, une politique qui a fait que le chômage des jeunes est en croissance. Et cela concerne particulièrement les jeunes personnes handicapées. Je n’arrête pas de le répéter : les jeunes n’ont déjà pas la vie facile. Si en plus ils ont un handicap, c’est d’autant plus difficile pour eux. Et si en plus

ce sont des femmes, c’est un triple handicap. Cela n’est plus possible. Cela n’est plus acceptable pour nous. C’est pourquoi nous devons agir pour changer les choses, pour que cette phrase que nous avons couchée sur papier - la dignité de l’Homme est intouchable - soit une réalité pour tout le monde. Peu importe que ces personnes soient bien portantes ou qu’elles aient un handicap. C’est ça notre mission.

Vous avez évoqué d’autres choses qui m’interpellent. J’ai par exemple feuilleté cette brochure, Tremplin vers l’emploi, elle contient beaucoup de pistes, beaucoup de phrases intéressantes. Pour moi une chose est claire, l’éducation est fondamentale. Sans l’accès à une bonne éducation, il n’y a pas de perspective pour les jeunes, d’autant plus pour les jeunes en situation de handicap. Je pense que c’est le point central pour nous, le cœur de notre travail, qui est loin d’être terminé. L’éducation, la formation : c’est ça l’avenir. Je pense aussi que nous devrons fournir plus de résultats pour proposer à tout jeune une perspective sans perdre personne en cours de route.

Je voudrais également dire une chose qui me guide dans ma vie personnelle. Il faut regarder à chaque fois jusqu’où nous pouvons aller, non seulement pour reconnaître nos limites personnelles, mais aussi pour voir quelles possibilités, quel potentiel nous avons. Cela est également lié à la question de l’éducation. Et c’est là aussi qu’il faut progresser. Donc le travail de L’ADAPT, de Tremplin et des autres associations qui se sont consacrées à cette tâche primordiale m’a incitée à venir aujourd’hui vous dire merci pour votre travail. Sans ce travail, il y aurait beaucoup de choses qui ne seraient pas possibles. Il reste beaucoup à faire, tout le monde le sait. Il faut faire changer les mentalités dans la société, dans le domaine politique, chez les décideurs, dans l’économie, dans les entreprises. Il faut faire comprendre à tout le monde que nous sommes tous des Hommes, et que tout le monde mérite d’avoir une chance de s’épanouir et d’avoir une perspective dans sa vie. Voilà. Encore merci à vous.

Anne Thévenet.- Merci à vous, malgré votre emploi du temps très chargé, qui ne vous permettra pas d’assister au débat. Mais un grand merci pour vos messages, merci aussi à Monsieur Luis Martinez Guillen, au niveau du Parlement européen de Strasbourg. De mon côté, je vous souhaite évidemment la bienvenue.

Et je vais me permettre de dérouler un petit peu le programme pour que vous puissiez voir ce qui va nous occuper aujourd’hui. On va avoir une journée assez dense, assez chargée, mais qui se veut aussi être le lancement de cette dynamique, de cette ouverture européenne de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées.

Page 10: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P10

Notre volonté est de vous faire voir différentes pratiques, différentes approches, différentes façons de faire ces projets. Les différentes interventions vont vous donner des éléments, du dynamisme : c’est en tout cas ce qu’on espère aujourd’hui. On va commencer par une première session avec des interventions qui poseront les bases à travers des études scientifiques. Puis Anna Lawson interviendra sur les enjeux de la CIDPH pour l’insertion professionnelle. Nous enchaînerons avec une table ronde sur le parcours des politiques nationales "handicap" au développement local inclusif, puis trois tables : sur l’autonomisation des jeunes et les actions de l’environnement, sur les bonnes pratiques en matière de formation et d’accompagnement des jeunes en situation de handicap vers l’emploi et la troisième et dernière, sur l’intégration dans les entreprises.

Ces nombreuses interventions laisseront peut-être peu de place pour la discussion dans la salle. Mais les différentes pauses vous permettront d’avoir cet échange. Nous souhaitons aujourd’hui créer ce réseau, cette dynamique. C’est pour cela que vous trouverez dans vos pochettes des documents, mais aussi la liste des inscrits à la journée d’aujourd’hui avec leurs coordonnées pour que justement vous puissiez vous dire, même en rentrant chez vous ce soir : ah, j’ai parlé avec cette personne, je vais la recontacter, ça peut être intéressant pour développer de nouveaux projets… Vous avez aussi dans cette pochette plusieurs documents et l’intégralité des débats que nous aurons aujourd’hui seront sur le site de L’ADAPT à l’issue de la manifestation. Donc vous pourrez, le cas échéant, revenir sur tout cela.

Maintenant, je vous propose de rentrer dans le vif du sujet, je remercie encore une fois les intervenants pour cette ouverture, pour leur présence et leur soutien qui vont nous donner le dynamisme nécessaire pour poursuivre nos travaux d’aujourd’hui. Merci à tous.

OUVERTURE

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

Page 11: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P11

Anna LudwinekDirectrice de recherche, Eurofound, Irlande

Alain FaureMembre du Forum Européen sur le handicap (EDF), Belgique

Serge EbersoldProfesseur, INS HEA, France

SÉQUENCE 1

Page 12: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P12

SÉQUENCE 1

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

J’invite tout de suite les intervenants de la première session à venir me rejoindre. Je demanderai à Monsieur Faure, à Monsieur Ebersold, ainsi qu’à Madame Ludwinek de venir me rejoindre. Je vous propose de commencer cette journée avec une intervention de Monsieur Alain Faure, du Forum européen des personnes handicapées. Je lui cède la parole.

Alain Faure.- Merci, Madame. Mesdames, Messieurs, bonjour. J’interviens devant vous au nom du Forum européen des personnes handicapées, organisation comprenant les 28 Conseils nationaux des personnes handicapées, et les associations de personnes handicapées qui défendent les droits de ces personnes. Mon sujet concerne l’impact de l’austérité sur les personnes handicapées en Europe.

Le droit au travail est un droit fondamental. La Déclaration universelle des droits de l’Homme reconnaît que chaque personne a droit au travail, dans des conditions équitables, et à la protection contre le chômage. Le droit au travail fait naturellement partie intégrante de la dignité humaine. Le travail constitue généralement le moyen de subsistance d’une personne et de sa famille. Qu’il soit choisi ou accepté, il contribue à sa reconnaissance au sein de la communauté.Ce droit au travail a été codifié dans de nombreux instruments juridiques et internationaux, en particulier dans l’article 27 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Au niveau de l'Europe, la politique de l’emploi n’est pas directement une compétence de l'Union. Néanmoins, en vertu de l’article 13 du traité d’Amsterdam, une directive européenne emploi a été transcrite dans la législation des États membres, la loi française de 2005 ayant participé à cette transcription.Si chaque État membre définit sa propre politique de l’emploi, il doit le faire en conformité avec les orientations européennes. Celles-ci ont été formalisées dans deux documents : la stratégie 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive, et s’agissant des personnes handicapées, la stratégie 2020 en faveur des personnes handicapées, qui fournit un cadre favorisant des actions concertées entre l'Union européenne et les États membres afin d’améliorer la situation des personnes handicapées. Les actions concertées doivent se faire dans huit domaines : l’accessibilité, la participation, l’égalité, l’emploi, l’éducation, la protection sociale et l’inclusion, la santé et les actions externes. Pour cela, l'Union européenne s’appuie sur deux instruments financiers : les fonds structurels et le programme européen Progress.

Au niveau européen, la législation est bien en place, et depuis 2010, les personnes handicapées devraient bénéficier d’actions pour améliorer leur situation en particulier dans le domaine de l’emploi, sauf que la crise est passée par là. Et la situation de 80 millions de personnes handicapées en Europe - un Européen sur quatre compte

une personne handicapée au sein de sa famille - s’en est trouvée terriblement aggravée.

Je ne pourrais pas vous donner de statistiques fiables sur l’impact de ces politiques. Compte tenu de la rareté des statistiques sur l’emploi des personnes handicapées, il est difficile de prendre des mesures pour remédier à leur faible représentation sur le marché du travail. Dans de nombreux pays, l’immense majorité des personnes handicapées ne sont enregistrées ni comme travailleurs, ni comme chômeurs, ce qui les rend invisibles dans les initiatives prises sur le marché du travail. Dans d’autres pays, les informations sur le handicap sont considérées comme des données personnelles sensibles ; leur collecte est par conséquent interdite. Nous avons quand même quelques statistiques mais elles sont d’autant plus difficiles à analyser que nous n’avons pas une définition unique du handicap. Nous avons dans l'Union européenne des pays qui revendiquent 25% de personnes handicapées, quand d’autres en revendiquent 4%. Où est le curseur ?

Toutefois, en 2011, le Forum européen des personnes handicapées a créé un observatoire de l’impact de la crise économique sur les droits des personnes handicapées. L’objectif était de recueillir des exemples nationaux pertinents et de contrôler les mesures d’austérité prises par les États membres de l'Union européenne, les institutions de l'Union européenne et les organismes financiers internationaux. En 2012, un questionnaire a permis de recueillir de nouvelles données.

L’impact de la crise économique sur les personnes handicapées varie à travers l'Europe. Cet impact est d’autant plus important que plusieurs facteurs peuvent se cumuler et rejeter les personnes handicapées hors du marché du travail. Si une personne n’a plus les aides nécessaires, comment peut-elle faire pour se lever, se préparer, aller sur son lieu de travail, arriver à l’heure, etc. ?

Il résulte de nos observations que l’impact de la crise économique sur les personnes handicapées se situe au moins dans deux domaines : la participation économique et la participation politique et sociale, avec quelques tendances fortes qui se développent en Europe. S’agissant de la participation économique, les taux de chômage ont augmenté dans toute l'Europe, touchant la population générale. Néanmoins, les conditions de travail sont souvent radicalement différentes pour les personnes handicapées : le chômage les touche davantage car elles font face à beaucoup plus d’obstacles. Au niveau de la main-d’œuvre, le taux moyen de participation des personnes qui ont besoin d’un soutien important représente moins de la moitié de celui des travailleurs non handicapés. L’emploi joue un rôle primordial en garantissant que les personnes handicapées ne soient pas frappées par la pauvreté et l’exclusion sociale.

Page 13: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P13

Le fait d’avoir un emploi n’est pas qu’une question de sécurité financière. Au Royaume-Uni, en raison de la crise, plus de 400 000 personnes handicapées perdront toute assistance en dehors du travail à cause de la limitation de l’allocation d’emploi et de soutien.

En introduisant des réformes d’austérité dans les nouveaux systèmes de pension, les gouvernements doivent être conscients que la majorité des personnes handicapées vivent déjà sous le seuil de pauvreté et que leurs revenus ne peuvent être réduits sans provoquer l’augmentation du nombre de personnes en situation de pauvreté. En Belgique, plus de 5 500 personnes demandeuses d’un budget d’assistance personnelle sont inscrites sur une liste d’attente en vue du soutien nécessaire. Les personnes handicapées seront deux fois plus susceptibles de vivre sous le seuil de pauvreté. Les taux de pauvreté augmentent d’au moins 15% si on inclut les personnes handicapées à la population. Il s’agit d’un fait très sensible et important à prendre en considération, en particulier face aux objectifs de réduction de la pauvreté, fixés par la stratégie UE 2020. On doit diminuer de 20 millions les pauvres en Europe. On peut toujours penser faire mieux.

En 2011, le gouvernement des Pays-Bas avait proposé de réduire le plan de budget personnel de 90%. Heureusement, les nouvelles autorités politiques ont voulu réexaminer le plan d’austérité de l’époque. Cependant, les décideurs néerlandais débattent des moyens de faire face à la crise qui, entre temps, s’aggrave dans leur pays. Ils réfléchissent aux moyens de réduire les indemnités et/ou le nombre de personnes qui y ont droit.

Cela est à l’origine de tensions au sein des associations de personnes handicapées, qui craignent que de nombreuses personnes ne soient confrontées à une réduction de leurs droits de participer pleinement à la communauté. Trop souvent, les services publics et sociaux ne sont pas accessibles aux personnes handicapées, et dans certaines régions, pas du tout disponibles. La disponibilité et l’accessibilité des services sont très importants pour permettre aux personnes handicapées de vivre de façon autonome au sein de la communauté et d’avoir une participation active dans leur société.

Dans plusieurs pays, la Grèce et la Pologne par exemple, la crise économique a inversé les tendances positives comme des processus de désinstitutionalisation. Le développement de service de soutien a été réduit en raison de manque de ressources financières, et la transition d’un mode de soins institutionnels à un mode communautaire a été interrompue.

D’autres exemples, en Espagne, en France, en Italie, au Royaume-Uni, montrent que la crise économique

a eu des effets négatifs sur l’état de santé mentale des personnes handicapées, au niveau psychologique. La crise n’augmente pas nécessairement l’incidence des maladies mentales, mais elle provoque des troubles de l’anxiété et du stress. La crise peut donc affecter les services de santé qui sont importants pour les personnes handicapées. Il est prouvé que les personnes en situation de pauvreté, de chômage et d’exclusion sociale courent plus de risques de développer des troubles de santé mentale. Il devient fondamental d’améliorer l’enseignement et de développer les services de soutien spécialisés pour les adolescents en crise. Il faut développer les programmes d’emplois, les services de soutien aux familles, les mesures pour réduire la consommation d’alcool, notamment.

S’agissant de mobilité et de relation sociale, la liberté de mouvement des personnes handicapées est aussi mise en péril par la crise et les restrictions budgétaires. Au Royaume-Uni, 80 000 résidents handicapés en maison de soins ont perdu leur soutien à la mobilité, rendant difficile la visite aux familles et amis, et la participation à d’autres activités communautaires. La réduction des réseaux empêche les personnes handicapées de participer de façon autonome à leur société, et cela constitue une perte pour l’économie du pays dans lequel elles vivent. En ayant accès au marché du travail, elles peuvent payer les taxes grâce à leur salaire et les autorités locales versent moins de pensions d’invalidité pour remédier au chômage.

Face à ces problèmes, on relève aussi un certain nombre de tendances, notamment la réévaluation des personnes handicapées qui sont peut-être, pour certains gouvernements, trop nombreuses. On assiste à une dangereuse distorsion de la réalité dans certains pays, avec certains médias, pour récupérer des millions d’euros ; comme si dans certains pays, il y avait trop de personnes handicapées. Cette affirmation porte d’autre part l’accusation selon laquelle des personnes fraudent le système, pour avoir le droit à une allocation… Ce phénomène insidieux se retrouve dans quasiment tous les pays européens avec plus ou moins d’importance. Même dans des pays qui ont toujours été désignés comme étant très favorables au soutien aux personnes handicapées. Je veux citer certains pays de l'Europe du Nord, dont la Suède, qui connaît des changements dans l’évaluation des besoins des personnes handicapées. Dans ce pays, le maintien à domicile des personnes handicapées, par un choix qu’elles ont elles-mêmes effectué, permettait à beaucoup de vivre chez elles. Or, le fait de diminuer les allocations ne leur garantit plus d’avoir une aide 24h/24. Pour des personnes trachéotomisées, cela peut être très difficile et pose d’énormes problèmes.

Page 14: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P14

SÉQUENCE 1

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

En Italie, la loi 102-09 établit que toutes les enquêtes doivent être menées en présence d’un médecin. Est-ce que l’on ne revient pas vers un accompagnement plutôt sanitaire que social du handicap ? Dans le programme économique croate de 2013, une révision de l’évaluation du statut d’invalidité est prévue. Au moment où l’on va réduire le nombre, on va essayer de réduire aussi les allocations et les prestations d’invalidité. Les restrictions constituent une tendance commune à de nombreux pays : il y a de nouvelles réductions.

D’autres effets de la crise concernent la réduction générale des dépenses publiques. Il y a moins d’argent pour les services spécialisés, et des restrictions au niveau des services sociaux. Pour certains pays où la prise en charge se fait au niveau des autorités locales, on observe la réduction de leurs budgets. En 2011, nous avons assisté à d’importantes réductions dans le financement des autorités locales, limitant la quantité et la qualité des services éducatifs, l’attribution gratuite d’aide pour le transport et les subventions aux étudiants handicapés. Par ailleurs, les fonds publics se trouvent réduits ou ne sont tout simplement plus accordés. Les offres annuelles destinées à financer les projets ont été reportées ou clôturées. En Espagne, la réduction de l’emploi assisté en faveur des personnes ayant un handicap mental pourrait se traduire par une réduction de l’emploi de 10 000 à 12 000 personnes.

Face à ces quelques problèmes, le Forum propose un certain nombre de recommandations, je vais juste les citer. Le Forum appelle à l’application effective du cadre législatif existant et au développement d’une nouvelle législation dans la lutte contre les discriminations. Les organisations de personnes handicapées militent beaucoup pour la directive sur l’accessibilité. Ce n’est pas encore gagné, mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Les États membres ont pour responsabilité de fournir des services et devraient maintenir des services de soins de santé adéquats. Il faut recueillir des données cohérentes à propos des personnes handicapées et de leur participation à la formation, à l’emploi, dans les différents axes de la vie. Nous devons évaluer les bonnes pratiques en matière de développement des compétences pour en faire profiter les uns et les autres.

En conclusion, je voulais vous donner une note qui se veut un peu plus optimiste. Les mesures d’austérité commencent à être remises en cause par ceux-là même qui les ont mises en place : le FMI, l’OCDE, et même hier un éminent économiste de la Commission européenne. Mais il reste encore à convaincre la dame de Berlin. Je vous remercie.

Anne Thévenet.- Merci pour cette intervention qui a su nous montrer la diversité des situations en Europe, et la difficulté qui existe parfois à parvenir à des définitions

communes ou à obtenir des éléments de comparaison. C’est toujours très difficile, car les situations sont différentes, les législations et les impacts également.Je passe maintenant à un autre sujet : la sociologie des jeunes handicapés en Europe. Et je me tourne vers Serge Ebersold, qui est professeur et chercheur, à l’Institut national supérieur de formation et de recherche, pour l’éducation des jeunes handicapés, et des enseignements adaptés.

Serge Ebersold.- Merci beaucoup de m’avoir invité à échanger avec vous sur la question du passage à l’âge adulte des personnes dites handicapées. Pourquoi ? Parce que c’est une question qui se pose en des termes relativement différents lorsqu’il s’agit de personnes qui présentent une déficience, et ce pour plusieurs raisons.

Si le passage à l’âge adulte renvoie à certaines dimensions communes à tout un chacun, c’est un peu plus compliqué en ce qui concerne l’insertion professionnelle ou l’accès à l’enseignement supérieur, dans la mesure où les définitions du handicap ne sont pas les mêmes lorsqu’on parle de scolarité que lorsqu’on parle d’emploi. Ce qui revient à dire que le passage à l’âge adulte peut exposer certains jeunes à un ensemble de difficultés parce que leur particularité n’est plus reconnue, ou l’est différemment, ou alors parce que ce changement de critères d’éligibilité fait que la transition vers l’emploi ou vers l’enseignement supérieur peut prendre un peu plus de temps.

Pour l’enseignement supérieur, s’inscrire en juin peut être compliqué si la MDPH intervient en décembre. Autre facteur important : les responsabilités légales imposées aux organisations ne sont pas les mêmes. Dans la plupart des pays de l’OCDE, les établissements scolaires ont une injonction d’accessibilité durant la scolarité. Et dans certains pays comme les États-Unis par exemple, cette injonction d’accessibilité inclut la question des résultats. Donc les établissements scolaires sont tenus de mettre les élèves à égalité des chances en termes de résultats. Quand il s’agit de l’emploi ou de l’accès à l’enseignement supérieur, ce n’est pas le cas, car les établissements sont tenus d’effectuer des aménagements raisonnables. Pour l’enseignement supérieur, cela revient à dire que l’injonction d’accessibilité dépend de l’aptitude du jeune à signifier son besoin éducatif, ce qui peut être problématique lorsque les jeunes ne se considèrent pas comme handicapés. C’est notamment le cas de ceux qui présentent un trouble de l’apprentissage ou de ceux qui présentent un trouble psychique. Mais d’une manière générale, c’est également le cas des jeunes adultes qui, notamment lorsqu’ils ont un bac, se considèrent comme des survivants, et pas comme des handicapés.

Il est paradoxal de leur demander de faire valoir quelque chose qui concerne le handicap alors qu’ils ont passé leur

Page 15: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P15

jeunesse à démontrer qu’ils n’étaient pas handicapés. Les barrières fonctionnent comme des marqueurs sociaux au travers desquels se révèle quelque chose qui est de l’ordre du handicap. Le temps que l’on met à accéder à l’emploi ou à l’enseignement supérieur et à s’inscrire socialement n’est pas uniquement déstructurant d’un point de vue social, comme c’est le cas des chômeurs en général, c’est aussi ce à travers quoi les jeunes se voient révéler ce que signifie le fait d’être handicapé.

Je crois que ce qui est de l’ordre du handicap passe notamment par les obstacles et les barrières qui fonctionnent comme des révélateurs du handicap. Ils fonctionnent d’autant plus comme cela que, un peu comme une râpe, ils interrogent les jeunes dans leur rapport à eux-mêmes, dans leur épaisseur sociale. Aussi, ces jeunes qui se trouvent interrogés dans leur identité sociale et personnelle par toutes ces barrières, d’une certaine manière, jugent que la formulation d’un projet n’a pas de sens. On est déjà content de ne pas avoir d’ennuis aujourd’hui. Alors formuler un projet apparaît risqué, surtout quand on sait que ses chances de réussite peuvent être minces.

Les données de l’OCDE montrent que dans la plupart des pays, l’écart entre personnes handicapées et non handicapées en termes d’emploi a augmenté, et ceci bien avant la crise. C’est parce qu’on s’est rendu compte que l’écart en termes d’éducation entre les personnes handicapées et les personnes non handicapées, loin de s’être restreint, s’est accru dans un certain nombre de pays, notamment la France. Si l’on regarde le différentiel en termes de bas niveau de qualification entre la population totale et les personnes handicapées, on voit qu’il est plus important pour les jeunes que pour les personnes plus âgées. C’est vrai que quand les personnes sont confrontées à une déficience suite à un accident, elles sont généralement plus qualifiées que les jeunes. Mais si on prend le cas de la France qui se situe à peu près au milieu, on voit que l’écart est quand même relativement substantiel : cela signifie que les politiques inclusives développées ces 20 dernières années ne sont pas arrivées à pallier le différentiel en termes de qualification.C’est pour ça que je me suis intéressé à une recherche sur le devenir des lycéens qui étaient en Terminale en 2007. Notre enquête montre que les jeunes reconnus handicapés dans l'Union européenne sont surexposés à la pauvreté et à l’exclusion. Et l’on sait que la surexposition à la pauvreté remet singulièrement en cause les chances d’accès ou de retour à l’emploi.La recherche que j’ai menée sur le devenir des lycéens - à laquelle participaient le Danemark, la France, les Pays-Bas, la République Tchèque - montre que d’une manière générale, les jeunes accèdent le plus souvent à l’enseignement supérieur comme tout un chacun, à l’issue

de la Terminale. Néanmoins, ce devenir varie singulièrement selon le type de cursus suivi. On voit que les jeunes qui ont suivi une formation professionnelle sont plus nombreux à accéder à l’emploi à l’issue de la Terminale que ceux qui ont suivi un enseignement général. Accès à l’emploi, mais aussi inactivité.

Ce qui est intéressant dans les analyses secondaires que j’ai menées, c’est de constater qu’en France, la probabilité d’accéder à l’emploi en suivant une formation professionnelle est moindre qu’au Danemark. C’est-à-dire qu’un même type de cursus, que l’on juge a priori plus propice à l’emploi, à savoir la formation professionnelle, peut avoir des effets totalement différents selon la manière dont on pense le lien formation/emploi d’une part, mais aussi selon la manière dont on pense la démarche de l’accompagnement.

L’enquête montre que lorsqu’on est inactif à l’issue de la Terminale, on se trouve en difficulté. Ceux qui sont inactifs estiment avoir un moindre contrôle sur leur vie que ceux qui exercent un emploi ou suivent une formation. Ils sont également moins nombreux que la moyenne à se juger d’égale valeur aux autres, ce qu’il faut avoir à l’esprit compte tenu des nouvelles stratégies de recrutement des entreprises. Ils sont également moins nombreux que la moyenne à se juger aussi capables que les autres. C’est en cela que l’inactivité peut avoir un effet invalidant, car les personnes, dans leur représentation d’elles-mêmes, se trouvent en difficulté face aux stratégies de recrutement qui demandent de se positionner en termes d’apport au niveau de l’entreprise.

L’enquête montre que, d’une manière générale, le devenir varie selon le type de déficience, puisqu’on se rend compte que les jeunes présentant un trouble cognitif sont proportionnellement plus nombreux à être inactifs, que ceux qui présentent un trouble de l’apprentissage. On se rend compte également que ceux qui présentent un trouble locomoteur sont proportionnellement plus nombreux à être inactifs, ce qui pose clairement la question de l’articulation entre compensation et accessibilité. Cela revient à dire qu’aujourd’hui, dans la plupart des pays, on ne raisonne pas en termes de transition, c’est-à-dire en termes de cheminement de l’éducation vers l’emploi. Aussi, on a du mal à penser ce qui est de l’ordre de l’accessibilité, qui dans la plupart des pays relève de la compensation. Le résultat de cela est que si on ne prend pas en considération la compensation et l’accessibilité, on risque de fragiliser tous ceux pour qui l’accessibilité universelle ne joue pas.

Si la déficience est importante, on se rend compte que les propriétés sociales et scolaires jouent aussi. Ce qui est intéressant à observer si l’on prend les personnes en emploi, c’est qu’en France, l’accès à l’emploi se fait par

Page 16: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P16

SÉQUENCE 1

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

défaut, à la différence du Danemark. L’emploi est par ailleurs moins synonyme d’indépendance en France et aux Pays-Bas qu’au Danemark. Ceci notamment parce que dans les deux premiers pays, on est peut-être moins dans une logique de transition que dans le troisième, où dès la Seconde, on demande aux jeunes de formuler un projet, vis-à-vis duquel ils sont accompagnés.

Ce qui est intéressant, c’est que la transition vers l’âge adulte n’est pas synonyme d’indépendance ou d’autonomie. On se rend compte que les jeunes qui ont participé à l’enquête vivent beaucoup plus souvent que la moyenne chez leurs parents. Par exemple, au Danemark, 5% des jeunes au-delà de 18 ans vivent chez leurs parents. Selon notre l’enquête, cette proportion est de 67% pour les jeunes adultes handicapés. Ce qui revient à dire que la décohabitation familiale, que l’on observe chez les jeunes en général, ne s’opère pas vraiment. En France, on voit que les jeunes ont une indépendance financière bien moindre que l’ensemble de la population et se jugent également moins autonomes. L’accès à l’emploi n’est pas forcément source de reconnaissance. L’enquête nous apprend que les jeunes adultes handicapés ayant un accès à l’emploi sont plus nombreux que la moyenne à juger que les obstacles les empêchent de progresser dans la vie, et que les projets n’aboutissent pas, ce qui revient à dire que l’accès à l’emploi n’est pas synonyme d’indépendance. C’est d’autant plus vrai que les jeunes handicapés sont plus nombreux que la moyenne à être exposés aux discriminations. Par exemple, l’enquête HSM en France montre que les jeunes de 15-19 ans s’estimant confrontés à la discrimination du fait d’une moquerie sont 29% lorsqu’ils présentent une déficience, et 3% quand ce n’est pas le cas. Ils se jugent mis à l’écart pour 15% d’entre eux quand ils ont une déficience et 1% quand ce n’est pas le cas. D’une certaine manière, on peut alors considérer que dans maints cas de figure, le passage à l’âge adulte a un caractère invalidant. Plutôt que de rapprocher les jeunes de la citoyenneté, on a tendance à les maintenir à l’écart, et peut-être à les en éloigner comme le suggèrent les chiffres.

Il y a peut-être là un triple enjeu. Le premier, c’est d’accorder plus d’importance au devenir des jeunes lorsqu’ils sont en formation ou en scolarisation, ce qui permet de penser quelque chose qui est de l’ordre du cheminement et de la mise en compétences. L’autre dimension importante à souligner, c’est qu’on est peut-être encore trop souvent dans une logique d’aide et d’assistance, notamment dans les pays qui ont une vision du handicap limitée au diagnostic, et pas suffisamment dans une logique de mise en compétences. Résultat, on délègue aux familles.J’aimerais insister sur les données statistiques. On se rend compte que peu de pays ont des données relatives

aux jeunes incluses dans les données générales, de telle manière qu’ils sont invisibilisés. Le risque étant qu’on ne possède aucun élément permettant de cerner l’effet des législations non-discriminatoires, et de penser la qualité des soutiens et des aménagements. Je vous remercie.

Anne Thévenet.- Merci pour vos travaux. Je me tourne vers Anna Ludwinek, qui représente la Fondation européenne sur l’amélioration des conditions de vie et de travail, qui va nous parler de l’inclusion des jeunes ayant une déficience ou un trouble de la santé.

Anna Ludwinek.- Merci beaucoup. Peut-être quelques mots sur Eurofound pour commencer. Nous sommes une agence de l'Union européenne, notre principale mission consiste à réunir des éléments factuels que nous soumettons aux décideurs européens. Mais l’une des caractéristiques qui nous distinguent d’autres agences, c’est que nous avons des représentants des partenaires sociaux, employeurs et syndicats au sein de notre conseil. Ceux-ci sont représentés sur un pied d’égalité et ont un rôle important pour définir l’agenda. Ce rôle est particulièrement important lorsque nous abordons par exemple des questions comme l’inclusion sur le marché du travail des personnes handicapées.

Avant de passer à l’essentiel de mon intervention, c’est-à-dire l’inclusion active des jeunes, je voudrais dire rapidement quelques mots en écho à ce qu’ont dit les deux intervenants précédents sur les défis que représentent la situation des jeunes et le problème des statistiques. Nous savons quelle est la situation très difficile des jeunes sur le marché du travail. Mais comme l’a dit Serge, nous n’avons pas une idée complète de la véritable situation du chômage des jeunes. Evidemment, beaucoup de jeunes ne sont pas sur le marché du travail, mais ils n’apparaissent pas du tout dans les statistiques, ils sont invisibles.

Nous avons vu dans le débat politique une attention accrue portée à ces catégories de personnes qui ne sont ni dans la formation, ni dans l’emploi, ni dans l’éducation. Et je crois que l’on a aujourd’hui une idée plus juste de toute cette population de jeunes, qui est totalement en dehors du marché du travail. Si l’on observe les données de 2012, dans les différents États membres, on s’aperçoit qu’il y a plus de 14 millions de jeunes de moins de 30 ans qui ne sont ni dans l’éducation, ni dans la formation, ni au travail. Nous avons essayé d’examiner les tendances, les caractéristiques du phénomène : le risque d’être confronté à ces difficultés particulières d’insertion augmente évidemment si l’on présente un handicap. Mais il y a d’autres facteurs de risque, le fait d’être migrant par exemple. Donc évidemment, on a des difficultés particulières qui vont également demander des réponses politiques différentes.

Page 17: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P17

Pour en revenir à notre étude, ce que nous avons cherché à savoir, c’est de quelle manière la stratégie d’inclusion active a été mise en œuvre au niveau des États membres pour les jeunes souffrant de handicap. La tranche d’âge que nous avons retenue est celle des moins de 30 ans ; des jeunes avec des problèmes de santé particuliers, qui n’étaient pas dans l’emploi au moment de l’étude et qui reçoivent un certain nombre de prestations, des allocations chômage, des pensions d’invalidité… Nous avons travaillé sur 11 pays.

Ce que nous avons constaté d’abord, c’est qu’il y a deux groupes bien distincts. D’abord, les jeunes qui ont quitté l’école, qui ont déjà souffert d’un handicap et qui n’ont jamais été employés, et d’autre part, des personnes un peu plus âgées, qui ont déjà occupé un emploi, qui ont développé une maladie ou subi une blessure pendant cette période d’emploi et qui ne sont plus sur le marché de l’emploi suite à ce handicap ou cette invalidité. C’est quelque chose que l’on constate aussi dans d’autres pays, pas seulement en Europe. Il y a évidemment des handicaps physiques, mais aussi des troubles de santé mentale, et on s’aperçoit que c’est un facteur de risque énorme dans l’exclusion sociale.

Je voudrais évoquer ici cette tendance assez inquiétante que l’on constate : les jeunes sont de plus en plus nombreux à prétendre à différents systèmes d’aide dans certains pays comme les Pays-Bas. Une augmentation attribuable à différents problèmes d’ordre de santé mentale. Cette partie des entrants représentait 40% en 98, elle est passée à plus de 60% en 2005. Les Pays-Bas se sont dit que si cette tendance devait se poursuivre au même rythme, sur le plan financier, ce serait une situation intenable. Cette situation n’existe pas uniquement aux Pays-Bas : il y a un certain nombre de pays où l’entrée dans les systèmes de bénéfice ou d’allocation pour invalidité ou pour handicap est en augmentation, particulièrement chez les jeunes. C’est assez frappant au Danemark, mais aussi en Suède, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Norvège et en Australie. On constate que cet afflux concerne particulièrement la catégorie des jeunes âgés de 18 à 34 ans.

Lorsque nous avons réalisé cette étude, nous nous sommes posé une question : quelles sont les raisons qui expliquent cette augmentation ? Il n’y a pas de réponse toute faite, mais il y a des facteurs systémiques qui contribuent à cette augmentation. De plus en plus de personnes souffrent de troubles mentaux dans certains pays. Est-ce qu’un diagnostic plus fin est à l’origine de cette situation ? Est-ce que les diagnostics médicaux se font mieux ? Est-ce dû à des différences dans les conditions d’attribution de certaines allocations et prestations ? Il faut prendre en compte l’impact de la crise économique : les jeunes sont particulièrement défavorisés sur le marché du travail.

Et les gens qui souffrent de problèmes mentaux et qui sont jeunes souffrent d’un double handicap par rapport à l’intégration. On constate beaucoup de réticence de la part des employeurs, qui ne souhaitent pas donner leur chance à des jeunes sans expérience, qui souffrent peut-être d’un handicap. Cette situation a été exacerbée par la crise.

Connaissez-vous la stratégie de l’inclusion active, que la Commission européenne a adoptée en 2008, en coopération avec les États membres ? Elle a été considérée comme étant la plus adaptée pour les gens les plus éloignés du marché du travail, y compris les personnes souffrant de handicap. Cette stratégie repose sur différents piliers qui doivent être coordonnés, appliqués ensemble. On parle de marché du travail inclusif, mais cela ne peut pas fonctionner sans accès à des services de qualité qui vont soutenir cette inclusion. Un autre pilier est le soutien en termes de revenus pour les gens qui ne peuvent pas travailler, mais aussi pour les personnes en transition. Il y a cependant un élément qui nous semble manquer à cette stratégie - et nous l’avons fait valoir auprès de la commission - il s’agit de l’éducation. L’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie sont essentiels pour soutenir un marché du travail inclusif.

Nous avons commencé par étudier la façon dont la stratégie était mise en œuvre, ou souvent non mise en œuvre dans les États membres, et notre rapport contient une analyse pour chaque pays. Nous avons constaté qu’un certain nombre d’observations pouvaient être faites. Il faut étudier l’interface entre l’emploi et d’autres services, l’importance de l’éducation, les services sociaux, mais aussi les services de transport par exemple, qui doivent contribuer à l’inclusion sur le marché du travail. Nous avons aussi examiné la durabilité des différentes politiques dans les différents pays. Il existe un financement disponible pendant une période de temps X pour un programme donné, mais est-ce que ce financement va continuer au-delà ? Que se passe-t-il à la fin du programme ? Est-ce que tout s’arrête ? Il faut aussi des relations fonctionnelles entre les différents services. C’est essentiel pour l’inclusion des jeunes.

La deuxième partie du rapport, à laquelle nous avons consacré beaucoup de temps, a consisté à analyser quatre exemples de bonnes pratiques dans chaque pays. Nous avons essayé de mettre en lumière l’inclusion active dans chacun des cas. Par exemple aux Pays-Bas, il faut souligner l’importance du rôle des coachs pour l’emploi. Cela semble être un système coûteux, mais néanmoins très efficace, car il ne s’arrête pas aux portes de l’emploi. Le jeune est accompagné, y compris une fois qu’il a commencé à travailler.

Page 18: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P18

SÉQUENCE 1

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Au Danemark, il existe un cas devenu relativement célèbre en matière d’inclusion des jeunes : le père d’un enfant porteur du syndrome d’Asperger était très frustré car son fils ne trouvait pas d’emploi. En tenant compte des caractéristiques particulières de son fils, il a lancé une société informatique qui s’est avérée extrêmement profitable. Puis, une fondation a été créée pour soutenir d’autres sociétés informatiques et une coopération importante s’est mise en place avec Microsoft afin de promouvoir l’insertion des jeunes souffrant de handicap dans les sociétés d’informatique.On peut citer un autre exemple très réussi en Finlande. Une initiative régionale qui a été prise à l’origine par le ministère des Affaires sociales et de l’emploi. Il s’agit d’une sorte d’agence de recrutement pour différentes sociétés qui cherchent des travailleurs temporaires. Des jeunes porteurs de handicap y sont employés et formés. Ils sont ensuite à même d’occuper un emploi à durée déterminée. Puis, ils se tournent vers des banques pour l’emploi, où ils peuvent bénéficier d’une autre formation.Il existe également quelques exemples au Portugal : notamment la reconnaissance des qualifications informelles ou non formelles, ce qui est très important dans le cadre de l’apprentissage tout au long de la vie.Notons enfin une initiative prise par les employeurs en Pologne, pays dans lequel il existe beaucoup d’emplois assistés pour les jeunes. Néanmoins, nous pensons qu’il est important de pouvoir s’éloigner de ces emplois assistés pour que les jeunes aient accès au marché du travail traditionnel.

Encore quelques exemples : nous avons mené une étude sur le niveau et la qualité de vie des personnes souffrant de handicap. Pour cela, nous avons comparé les conditions de vie des personnes en situation de handicap et les personnes qui ne sont pas dans ce cas. Les personnes ayant un problème de santé ou un handicap sont plus nombreuses - plus de 60% - à souffrir de privations matérielles, en comparaison des personnes qui ne présentent aucun handicap ou problème de santé. Nous avons aussi effectué des comparaisons intéressantes entre l’état de santé plus ou moins bon et le niveau de revenu. On a voulu dire que la crise n’avait pas eu d’impact sur l’état général de santé de la population. Mais ce n’est pas tout à fait le cas si on approfondit l’étude. La situation est beaucoup moins rose si on prend les gens qui ont les revenus les plus faibles entre 2007 et 2011. Les gens qui ont un mauvais état de santé se déclarent beaucoup plus nombreux entre 2008 et 2011, et ce sont aussi ceux qui ont les revenus les plus faibles.

En guise de conclusion, je voudrais vous donner quelques autres résultats de nos recherches et de nos études. Une approche intégrée est essentielle pour une réelle inclusion. L’emploi doit être accessible le plus vite possible après la formation, pour que les apprentissages restent

pertinents. On a beaucoup dit que les jeunes devaient être responsabilisés à leur propre vie. Nous sommes d’accord, mais nous voudrions faire valoir aussi qu’il faut pouvoir les autonomiser pour qu’ils puissent prendre les rênes de leur propre vie. Par ailleurs, les employeurs ont eux aussi besoin de soutien, on a tendance parfois à l’oublier. Ce n’est pas simplement une affaire de recrutement ou de formation. Il faut former évidemment des jeunes en situation de handicap, mais aussi former leurs collègues, c’est très important, particulièrement si on parle de handicap mental. La sensibilisation des collègues est extrêmement importante.

Voici mon dernier point : nous avons différents partenaires, qui doivent être associés et intervenir. Evidemment, il y a les pouvoirs locaux, centraux, qui vont appliquer les différentes stratégies, mais n’oublions pas que ce sont aussi des employeurs. Il faut, je crois, les considérer comme tels, c’est-à-dire qu’ils peuvent employer aussi des jeunes handicapés. Quant aux partenaires sociaux, malheureusement, ils ne jouent qu’un rôle assez modéré et pourraient jouer un rôle plus important, particulièrement les syndicats. Les services d’aides à l’emploi enfin, qui ont un rôle parfaitement essentiel. Néanmoins, on peut se demander dans quelle mesure le personnel de ces agences publiques pour l’emploi est préparé et formé à accueillir une population très diverse. Citons enfin les ONG, dont le financement est crucial, évidemment. Je vous remercie.

Anne Thévenet.- Je vous remercie pour cette présentation. La deuxième partie de cette matinée sera divisée en deux sous-parties : une première avec Anna Lawson, qui nous parlera de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et ses enjeux dans le champ de l’insertion pro-fessionnelle. Et une deuxième avec la première table ronde : des politiques nationales "handicap" au développement local inclusif.

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

Page 19: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P19

SÉQUENCE 2

Anna LawsonProfesseur, Université de Leeds, Grande-Bretagne

Rolf QuickCroix-Rouge, Allemagne

Eric Plantier-RoyonChargé de mission Ville & Handicap, Villeurbanne,

France

Dominique VelcheChercheur, EHESP-MSSH, France

Katrin FliegenschneeChargée de recherche, programme Clearing et

Jugendcoaching, Autriche

Edwin Luitzen De VosChercheur (research & consultancy

on employment and social security), Pays-Bas

Page 20: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P20

SÉQUENCE 2

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Anna Lawson.- Merci beaucoup. C’est un grand honneur d’être aujourd’hui parmi vous, et d’entendre parler de toutes ces choses extrêmement intéressantes qui se font ici. Je crois que l’idée d’une Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées est vraiment une idée fantastique. Mon intervention portera sur l’autonomisation et l’insertion professionnelles des jeunes personnes handicapées en Europe, et la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Est-ce que cette Convention peut aider ?Je veux répartir mon intervention en plusieurs chapitres : d’abord je parlerai brièvement de la Convention elle-même. Je dirai ensuite quelques mots de ses objectifs, puis du contenu qui est pertinent pour nous, avant d’envisager la façon dont cette convention pourrait être mieux utilisée.

Depuis le Traité des Nations unies sur les droits de l’Homme, adopté par l’assemblée générale des Nations unies en 2006, ce texte a été en grande partie signé et/ou ratifié, et ce par un grand nombre de pays, y compris quasiment tous les États membres de l'Union européenne, l'Union européenne elle-même étant signataire. C’est donc un traité qui a été rédigé avec la participation pour la toute première fois de la société civile. Les Nations unies ont abandonné leurs pratiques habituelles, qui consistaient à ne dialoguer qu’avec certains organes bien désignés de la société. Pour la première fois, le processus a été élargi avec la prise en compte des organisations des personnes handicapées et d’autres éléments de la société civile qui avaient un intérêt pour la question. 70% de la Convention a été rédigée par des organisations de personnes handicapées. Il y a eu un accord des représentants des États, et les associations de personnes handicapées et les personnes handicapées elles-mêmes ont joué un rôle de premier plan pour ce qui est du contenu de ce traité. C’est donc un nouveau traité des droits de l’Homme qui est parfaitement innovant. Mais aussi un texte d’actualité sur les droits de l’Homme, qui repousse les frontières traditionnelles à bien des égards.

Les frustrations qu’on a pu éprouver vis-à-vis des textes précédents des Nations unies ne sont probablement plus de mise avec ce nouveau texte. Il est plus facile à lire que beaucoup de traités des Nations unies, en partie en raison de la participation des organisations de personnes handicapées qui ont contribué à sa rédaction. Si vous ne l’avez pas encore examiné, je vous invite à le faire sur Internet. Lisez le texte. Je suis sûre qu’il vous parlera. Ce n’est pas un traité qui a été rédigé pour des juristes seuls.

Outre la Convention elle-même, il existe un protocole additionnel, un protocole facultatif que beaucoup d’États, y compris la France, ont ratifié. Ce protocole permet d’autres méthodes d’application, y compris la possibilité d’introduire des requêtes individuelles ou collectives une fois épuisés

les mécanismes internes, les mécanismes judiciaires nationaux. On peut ainsi présenter une requête individuelle ou collective au comité des Nations unies. Il est également envisageable de demander une enquête générale sur un problème particulier qui se présente dans un pays et qui semble correspondre à un non-respect du traité.

Comme je l’ai dit, la France a ratifié à la fois la Convention et le protocole optionnel. L'Union européenne a ratifié la Convention, mais pas encore le protocole. Et c’est une première pour l'Union européenne. C’est le premier traité des droits de l’Homme qui a été ratifié par l'Union européenne, ce qui est vraiment enthousiasmant à beaucoup d’égards. Cela crée aussi de nouvelles possibilités au plan national, comme je l’expliquerai tout à l’heure.

Les efforts que chaque État déploie pour mettre en œuvre ces obligations au titre de ce traité font l’objet d’une vérification, d’un contrôle, et ceci de façon double. D’abord au niveau du comité des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. Des rapports sont ainsi soumis à ce comité par les gouvernements nationaux, puis un dialogue s’engage entre le comité, les représentants des gouvernements et les représentants de la société civile. Sur la base de ce processus de rapport, le comité tire des observations et des conclusions qui sont toutes disponibles sur le site Internet du comité et qu’on peut trouver facilement avec un moteur de recherche. Je vous recommande de prendre connaissance de ces observations et conclusions, qui ne prennent que quelques pages et qui donnent une idée claire de ce que pense le comité et de la façon dont il interprète les différentes dispositions de la Convention. Le deuxième mécanisme de contrôle se situe au plan national, puisqu’au terme du traité lui-même, chaque pays signataire doit mettre en place un mécanisme de contrôle qui doit comprendre au moins un organe indépendant. Il s’agit donc d’évaluer ce que fait le gouvernement, les progrès qu’il accomplit pour s’acquitter de ses obligations au titre de la Convention, et pour identifier d’éventuelles lacunes ou déficiences.

Quels sont les objectifs de la Convention ? L’article 1 définit un objectif qui est de promouvoir, protéger et assurer le respect plein et égal de tous les droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour les personnes souffrant de handicap. Il s’agit donc de veiller à ce que les droits existants, qui sont censés être universels, soient réellement accessibles aux personnes handicapées, sur un pied d’égalité avec les personnes valides.

L’article 3 prévoit les principes généraux de la Convention ; des principes qu’il est important de citer pour bien comprendre toutes les autres dispositions. Sans entrer dans les détails, voici quelques idées-clés que j’aimerais

Page 21: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P21

souligner : la dignité, l’autonomie, l’indépendance, la non-discrimination, la participation et l’inclusion, le respect de la différence, l’égalité des chances, l'accessibilité.

Je tiens aussi à souligner la présence du (g) et du (h) dans cet article 3. Le (g) évoque les femmes qui peuvent être handicapées, le (h), évoque les enfants. Cela a pour but d’assurer que, dans nos tentatives d’application de la Convention, on ne considère pas les personnes handicapées comme une sorte d’entité invariable. Différents types de personnes peuvent être en situation de handicap. Et donc leurs expériences aussi doivent être prises en compte pour appliquer la Convention.

Donc, d’après ce principe, il faut tenir compte par exemple de la capacité des enfants à évoluer et du droit pour ces enfants de voir leur identité individuelle préservée. Si vous vous intéressez aux observations des conclusions du comité, vous verrez que l’on met particulièrement l’accent sur ce principe, dans un certain nombre de pays, y compris je crois en Espagne.

Une recommandation du comité vise à dire que l’Espagne doit faire plus d’efforts pour tenir compte du point de vue des enfants en situation de handicap pour élaborer et appliquer les différentes politiques. La dimension hommes/femmes est également souvent prise en compte en relation avec l’emploi.

Que signifient donc ces dispositions ? Elles signifient qu’il doit y avoir un choix. Dans le cadre de l’emploi, cela veut dire que chaque personne en situation de handicap doit avoir la liberté de choisir ce qu’elle fait de sa vie au même titre que tout un chacun. Une personne porteuse de handicap pourra peut-être vouloir accéder à la présidence des États-Unis, par exemple, comme Roosevelt, qui était lui-même handicapé.On peut décider de devenir responsable politique de premier plan, comme le ministre de l’Intérieur David Blunkett, au Royaume-Uni, qui est aveugle. Ou l’une des grandes personnalités de la télévision britannique, comme Stephen Fry, qui a reconnu souffrir de troubles mentaux. Ou encore ambitionner de travailler dans une banque, de devenir professeur de karaté, de devenir masseur… Tout cela correspond à des choix individuels. Nous sommes tous des individus et choisissons de faire certaines choses de notre vie. Mais il faut s’éloigner de l’idée selon laquelle, parce qu’on souffre d’un type de handicap, il n’y a qu’un ou deux types d’emploi auxquels on peut prétendre.En juillet, je suis allée en Chine. Dans ce pays, les aveugles sont très préoccupés par le fait que toutes les structures d’emploi visent à en faire des masseurs. Or, beaucoup d’aveugles, en Chine, ne le veulent pas. A l’école, on partait aussi du principe que si on était aveugle, on allait devenir

avocat. C’est ce que j’ai fait, je dois dire, mais ça a été un bon choix pour moi. Ou alors kinésithérapeute. Et cela, c’était après avoir longtemps pensé que les aveugles devaient tisser des paniers, par exemple, ou être standardistes. Et moi, j’ai passé beaucoup de temps à fabriquer des paniers quand j’étais à l’école. Donc ces objectifs correspondent à cette idée de choix et de possibilités. Sans possibilité, évidemment, il n’y a pas de choix. Et l'Etat est dans l’obligation de créer ces différentes possibilités.

L’objectif est également d’atteindre une participation à égalité avec les autres, ainsi qu’une inclusion dans la société. Je ne passerai pas en revue l’ensemble de la Convention, mais pour évoquer plus spécifiquement la question de l’emploi, je vais m’attarder sur l’article 27. Cet article prévoit le droit pour les personnes en situation de handicap de travailler sur un pied d’égalité avec les autres dans un "marché du travail et un environnement professionnel qui soit ouvert, inclusif et accessible aux personnes en situation de handicap". Il s’agit donc d’interdire la discrimination dans les secteurs public et privé, et donc de légiférer dans ce sens. Cela signifie aussi veiller à assurer des logements appropriés, l’absence de logement approprié étant considérée comme de la discrimination.

L’article 27 traite de l’emploi, mais aussi des droits professionnels, notamment du droit syndical. Il prévoit que les États doivent promouvoir les opportunités d’emploi et de promotion. C’est-à-dire assurer les différentes possibilités dans ce domaine aux personnes en situation de handicap. Cet article ajoute que les États doivent promouvoir les possibilités d’emploi libéral, de création d’entreprise et de développement de coopérative. Ces notions sont également de plus en plus reconnues au niveau de l'Union européenne. Il s’agit de faire preuve d’imagination et de créativité dans la façon dont on peut améliorer les possibilités d’emploi des personnes handicapées. L’article 27 ajoute que les États doivent non pas seulement promouvoir, mais employer eux-mêmes des personnes en situation de handicap dans le secteur public. Tout en soutenant les possibilités dans le secteur privé, par le biais de politiques et de mesures appropriées, y compris des programmes d’"affirmative action" ("discrimination positive") et des mesures d’encouragement.

En ce qui concerne les systèmes de soutien à l’accès à l’emploi, déjà évoqués ce matin, il existe d’autres mesures individualisées. C’est le cas des subventions versées par le gouvernement pour prendre en charge le coût des ajustements nécessaires dans une entreprise afin d’accueillir un travailleur handicapé. Il s’agit-là d’une sorte de solution sur-mesure proposée par un gouvernement pour réduire le coût de l’adaptation nécessaire pour l’employeur. Au Royaume-Uni, on utilise beaucoup ce système

INTRODUCTION

Page 22: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P22

SÉQUENCE 2

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

individualisé d’accès au travail. Pour chaque livre investie par le gouvernement britannique, les études montrent que le taux de retour est en fait d’1,5 livre. C’est donc en réalité une situation où l'Etat est gagnant.

Dans ses conclusions sur l’Autriche, le comité a évoqué le système de quota qui a été mis en place. Il a cependant exprimé des regrets du fait que ce système ne semble pas fonctionner de façon très efficace. En effet, la majorité des employeurs préfèrent payer une amende plutôt que d’employer des personnes handicapées. Le taux de conformité de l’Autriche n’est que de 22% d’après les conclusions du comité des Nations unies. Le rapport fait également référence au travail protégé. Mais le comité regrette qu’en Autriche, là encore, autant de personnes handicapées occupent ces emplois protégés pour une rémunération extrêmement faible.

L’article 27 prévoit également que les États doivent promouvoir l’acquisition d’expériences professionnelles sur un marché du travail ouvert, mais aussi des programmes de réinsertion professionnelle. Enfin, cet article affirme que les personnes en situation de handicap ne doivent pas être dans des situations d’esclavagisme ou de servitude, et doivent être protégées du travail forcé. Puisque l’on parle d’exploitation, je voudrais vous donner l’exemple américain de l’exploitation ou de l’élevage de dindes, qui a été cité dans un rapport publié en 2011 et qui est également disponible sur Internet. Le rapport s’intitule : Ségrégation et exploitation. Des personnes handicapées se sont retrouvées exploitées, c’est-à-dire payées quasiment rien, dans certains cas pas payées du tout, et leur travail a été exploité au bénéfice d’autrui. On a beaucoup critiqué ce type de système, y compris les mesures de soutien à l’emploi qui auraient dû aider des personnes handicapées à accéder à un emploi digne de ce nom. Car en effet, ces systèmes de soutien peuvent, parfois, contribuer à piéger, à enfermer les personnes handicapées dans ce type d’emploi. Ce risque d’exploitation existe donc ; et cela n’est évidemment pas ce que recherche l’article 27 de la Convention.

Je voudrais revenir sur l’idée que la question de l’emploi doit être abordée à partir d’une perspective plus large. On ne doit pas se concentrer sur l’emploi uniquement, il faut aussi s’intéresser à la non-discrimination, qui est consacrée par l’article 5 de la Convention. Il faut aussi s’intéresser aux obligations d’accessibilité, pas seulement celles du lieu de travail, mais de l’environnement en général dans lequel nous vivons ; l’accès à l’information, l’accès aux transports. Car sans tout cela, nos possibilités de travailler tous les jours sont vraiment très limitées.

L’éducation est traitée à l’article 24. Par ailleurs, dans les observations faites en conclusion, le problème persistant

de la ségrégation dans l’éducation est évoqué. Citons aussi l’article 19, qui traite de l’autonomie dans la vie de tous les jours. Il affirme notamment qu’il est important d’avoir un logement pour avoir un emploi, l’inverse étant vrai également. Il faut gagner sa vie pour être intégré correctement dans la communauté. C’est ce qu’a souligné le rapport de l’agence fondamentale des droits de l’Homme de l'Union européenne.L’article 4-3 prévoit que dans leurs tentatives d’élaboration de politique pour mettre en œuvre la Convention, les États-parties doivent consulter et associer les personnes handicapées elles-mêmes, y compris les enfants en situation de handicap, par le biais des organisations qui les représentent. Le comité a été très vigilant sur ce point, en particulier pour la Hongrie. Par exemple, le comité a exhorté la Hongrie à investir davantage dans ce type de consultation. Par ailleurs, il a souligné que l’Espagne ne faisait pas assez d’efforts pour faire participer les enfants en situation de handicap à cette élaboration politique.

Au sujet de l’utilisation de la Convention, notons que la stratégie 2010-2020 de l'Union européenne précise qu’elle est orientée par la Convention des Nations unies. La Convention est donc utile pour orienter les choix et les arbitrages politiques. Elle est également importante en ce qui concerne la façon dont nous décidons des politiques que nous voulons appliquer. L’article 4-3, donc, exige la participation des organisations de personnes handicapées, y compris la participation des enfants. Mais la Convention est également importante en ce qui concerne l’application de ces politiques, qui doit aussi se faire en consultation avec les personnes handicapées.

Alors comment faire campagne ? Comment obtenir des réformes ? Ces efforts peuvent se faire au niveau local. En effet, dans le cadre d’une campagne locale, il peut être utile de se référer à la Convention dans l’argumentaire que l’on va préparer. On peut également s’intéresser aux différents processus que prévoit la Convention. Par exemple : la création d’un mécanisme indépendant de contrôle et d’évaluation dans chaque pays, mais aussi la préparation d’études indépendantes.

Il y a donc le rapport, que les gouvernements doivent soumettre au comité des Nations unies, mais la société civile est également vivement encouragée à préparer son propre rapport. Là, elle peut dire : voilà ce que fait valoir le gouvernement, ce qu’il prétend, mais dans la réalité, les choses sont moins favorables. On peut ensuite engager un dialogue avec le comité des Nations unies et élucider un certain nombre de questions, qui sont importantes pour le comité dans son étude des différents rapports nationaux. Le rapport autrichien vient d’être examiné, et les représentants de la société civile autrichienne m’ont expliqué leur rôle

Page 23: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P23

dans ce processus : ils m’ont dit qu’il avait été très utile pour eux. Car les conclusions du comité des Nations unies sont vraiment utiles pour leur propre campagne au niveau national, pour obtenir un changement de la part de leur gouvernement.

On peut aussi se prévaloir des possibilités qu’offre l'Union européenne. Elle a ratifié la Convention, sa stratégie pour le handicap est donc fondée sur la Convention. On peut utiliser ses possibilités pour renforcer le travail qui est fait dans chaque pays, y compris en utilisant les fonds structurels, c’est-à-dire en présentant des projets qui peuvent y prétendre. On peut aussi travailler avec le forum européen pour faire avancer les projets de changement, y compris par le biais du Parlement européen.On évoquait également ce matin l’utilité des liens internationaux qui permettent de consolider ce que l’on fait, de mieux faire entendre notre voix et de faciliter les apprentissages réciproques. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, à partir des exemples de bonnes pratiques bien sûr, mais aussi de mauvaises pratiques, de choses qui n’ont pas bien fonctionné. La Convention nous donne des thèmes communs pour notre travail et facilite aussi la coopération internationale.

Donc en conclusion, est-ce que la convention peut nous aider ? C’est la question que je posais au départ. Je crois que la réponse est clairement : oui. La Convention peut nous aider, mais à condition de l’utiliser, de l’étudier, de la travailler. C’est un instrument que nous devons utiliser si on veut faire la différence. Je vous remercie.

Anne Thévenet.- Merci beaucoup pour cette intervention, tout à fait complémentaire à celles entendues ce matin. Je vous propose sans tarder de commencer la prochaine table ronde.

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

INTRODUCTION

Page 24: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P24

Dominique Velche.- Bonjour. Le cadre a été bien défini sur le plan européen. Nous allons maintenant passer au niveau national, puis au niveau local. Tout d’abord, je vais demander à Edwin Luitzen De Vos de nous dire ce qui se passe aux Pays-Bas en ce qui concerne les politiques suivies pour améliorer l’accès à l’emploi des jeunes handicapés.

Edwin Luitzen De Vos.- Bonjour, Mesdames, Messieurs. C’est un honneur pour moi d’avoir été invité à intervenir aujourd’hui, lors de cette conférence tout à fait particulière. Sur l’écran derrière moi, vous pouvez voir une photo qui a été prise près de chez moi. Sur la partie gauche de cette photo, vous voyez la ville où j’habite. Cette municipalité se trouve à quatre mètres en-dessous du niveau de la mer. Beaucoup de villes aux Pays-Bas sont dans ce cas. À la fin de la conférence, je vous dirai deux mots sur ma ville, où nous avons entrepris de créer une ville inclusive pour les personnes en situation de handicap, ainsi que celles qui n’ont pas de handicap (Cf. page 30).

Je m’appelle Edwin Luitzen De Vos, je suis originaire des Pays-Bas et je suis chercheur en matière d’éducation, de travail, de sécurité, de santé et de handicap. Je fais aussi des recherches en matière de stratégie de retour à l’emploi et des politiques d’emploi. Je fais partie de différents groupes de travail d’experts qui se penchent sur la question du handicap. Je coopère aussi avec la Fondation européenne (Eurofound) dans le cadre de l’étude à laquelle Anna Ludwinek a fait allusion : l’étude portant sur l’inclusion des jeunes en situation de handicap dans les États-membres. Dominique aussi a travaillé sur ce projet et s’est occupé du chapitre consacré à la France.

Je vais vous parler aujourd’hui de quelques stratégies actives d’inclusion des jeunes en situation de handicap, et en particulier, de nouvelles politiques et perspectives en matière d’emploi. Dans la plupart des pays européens, nous avons constaté ces derniers temps une augmentation du nombre de jeunes en situation de handicap. Il en va de même aux Pays-Bas. Comme nous l’a dit Anna, nous avons constaté une augmentation annuelle de quelques 6%. Cette année, le nombre total de jeunes en situation de handicap qui reçoivent cette allocation s’élève à 220 000, ce qui représente plus d’une personne sur dix. Certains de ces jeunes sont en situation d’emploi. 9% de ces jeunes disposent d’un travail normal, 17% d’un emploi protégé.

Et, selon nos estimations, 66% de la population totale est considérée comme apte au travail.Mais il est assez difficile de faire en sorte que ces jeunes en situation de handicap puissent retourner au travail. Comme nous l’avons entendu à plusieurs reprises ce matin, le chômage des jeunes est en pleine augmentation partout en Europe. Et la situation est bien pire qu’en 2010. Bien souvent, les jeunes en situation de handicap âgés de 25 à 35 ans ne peuvent pas disposer d’un emploi, d’une formation ou d’une éducation. Il en va de même aux Pays-Bas. Nous constatons aussi, aux Pays-Bas, que l’augmentation du nombre de personnes en situation de handicap concerne surtout des personnes qui ont des problèmes de comportement, tels que l’hyperactivité, le trouble du déficit de l’attention, l’autisme ou différents types de syndromes psychiatriques.

Aux Pays-Bas, et je pense aussi dans d’autres pays, 42% des jeunes en situation de handicap souffrent de problèmes multiples, qui requièrent donc un diagnostic multiple. Entre 2008 et 2010, nous avons constaté une augmentation du nombre des problèmes de comportement qui ouvraient les droits pour ces jeunes à une allocation handicap. Cette augmentation des jeunes en situation de handicap bénéficiaires d’une allocation, s’explique par les changements sur le marché du travail. Le travail devient de plus en plus intensif avec des horaires de plus en plus longs, ce qui n’est pas approprié pour les personnes en situation de handicap. Très souvent aux Pays-Bas, les jeunes en situation de handicap transitent directement d’un emploi vers des systèmes d’invalidité. La crise n’est pas l’unique explication de cette situation. Nous avons constaté aussi des changements importants dans le système de soins. Les diagnostics deviennent plus performants. On fait appel de plus en plus à l’hospitalisation. On offre de nouveaux régimes de soins aux jeunes. Et les autorités ont créé des incitations financières dans le cadre du système d’allocation, qui font que les jeunes et leurs parents considèrent bien souvent qu’il est plus intéressant sur le plan financier de ne pas travailler.

Mais certains changements sont intervenus ces dix der-nières années, par exemple le slogan : travailler, c’est bon pour la santé. Avec notamment l’objectif de faire passer ce message auprès des jeunes en situation de handicap. Il faut donc mettre en avant le potentiel des jeunes personnes en

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

TABLE RONDE : DES POLITIQUES NATIONALES "HANDICAP" AU DÉVELOPPEMENT LOCAL INCLUSIF

SÉQUENCE 2

Page 25: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P25

TABLE RONDE : DES POLITIQUES NATIONALES "HANDICAP" AU DÉVELOPPEMENT LOCAL INCLUSIF

situation de handicap, leurs capacités à fonctionner comme des adultes au sein de la société, et à devenir des acteurs productifs sur le marché du travail. Il ne s’agit pas seule-ment de tenir compte de ce qu’ils ne peuvent pas faire, mais surtout de savoir ce qu’ils peuvent apporter sur le marché du travail et donner à la société.

Depuis 2010, nous avons vu quelques modifications importantes sur le plan politique aux Pays-Bas. Le régime d’allocation a connu des bouleversements profonds. Nous avons mis en avant une meilleure transition entre l’école et l’emploi. Les employeurs qui ont embauché des jeunes en situation de handicap se sont vu accorder des avantages. Et un programme visant à entraîner un changement culturel a été mis en place, ciblant les employeurs, les parents et les enseignants.Un projet assez novateur sur le plan politique concernait les modifications apportées au régime d’allocation 2011. Le revenu minimum d’insertion se limitait à ceux qui étaient vraiment incapables de travailler. Pour les autres, c’est-à-dire plus de la moitié du total, ils devaient accepter toute offre d’emploi ou d’inclusion dans l’éducation. Le gouvernement a inclus aussi de nouvelles incitations financières afin de les encourager à rechercher un emploi. Néanmoins, ces changements ont débouché sur très peu de résultats. Par conséquent, l’année dernière et cette année, le gouvernement a décidé une fois de plus de chambouler la politique, et les nouvelles mesures prendront effet à partir de janvier 2015.

Cette fois, il s’agit de modifier de façon profonde le système d’allocation. Toutes les personnes bénéficiaires d’allocation feront l’objet d’une évaluation selon Wajong. Le nombre d’emplois protégés sera réduit de 70%. En échange, les employeurs ont proposé de créer 150 000 nouveaux postes, c’est-à-dire que d’ici 2020, les entreprises du secteur privé s’engagent à créer 100 000 nouveaux emplois, et le secteur public, 50 000 nouveaux emplois.

L’un des principaux changements concerne le fait que, dorénavant, les municipalités auront une compétence en la matière. Nous allons donc connaître une certaine décentralisation quant à l’octroi d’allocations d’emploi et de formation pour les jeunes en situation de handicap. Comme je l’ai dit, les municipalités auront dorénavant une compétence en la matière, ce qui représente un grand changement. Elles auront une compétence en matière d’allocation handicap, d’emploi et de formation, mais aussi de soins de santé à destination des jeunes en situation de handicap. Elles auront également une compétence en matière d’infrastructures, comme les transports, le soutien pour la vie indépendante ou les programmes de changements culturels. L’idée qui sous-tend toutes ces modifications est que la municipalité est bien mieux

placée lorsqu’il s’agit d’harmoniser les différents piliers des aides accordées aux personnes en situation de handicap : l’éducation, l’emploi, les services et les allocations de revenu. Ils sont beaucoup plus près, en quelque sorte, des personnes nécessiteuses.

Dominique Velche.- Maintenant, Katrin Fliegenschnee va nous présenter un programme qu’il nous a semblé important d’étudier aujourd’hui : un programme de transition de l’école vers l’emploi pour des jeunes handicapés.

Katrin Fliegenschnee.- Bonjour. J’ai l’honneur de vous présenter un programme qui s’appelle Youth Coaching : Coaching d’emploi pour les jeunes handicapés.Je vais vous présenter la situation en Autriche, en ce qui concerne les jeunes qui quittent l’école prématurément, avec en poche un simple diplôme de niveau secondaire ou inférieur. La situation n’est pas si mauvaise en Autriche, ils sont entre 7 et 8%. Pour les migrants, la situation est plus délicate. Il y a 14% de jeunes migrants qui n’ont qu’un diplôme de niveau secondaire obligatoire. Pourtant, la formation est décisive pour l’évolution des jeunes, car les jeunes qui quittent l’école prématurément ont effectivement plus de risques que les autres de se retrouver au chômage.

Le chômage des jeunes est très élevé dans toute l'Europe. En Autriche, il a doublé. Le système éducatif en Autriche est très sélectif, d’autant que les jeunes doivent décider très tôt du chemin qu’ils veulent prendre. Après quatre ans passés à l’école, autour de l’âge de 10 ans, ils doivent choisir une formation supplémentaire. Et dix ans plus tard, ils doivent vraiment déterminer la direction de leur vie professionnelle. En Autriche, la scolarité obligatoire dure 9 ans, puis les jeunes décident de la manière dont ils souhaitent poursuivre. C’est là que le Youth Coaching commence, avec la préoccupation suivante : comment guider ces jeunes sur le bon chemin ? Car une fois qu’ils se sont décidés, il est préférable que la direction soit la bonne.

Le Youth Coaching est basé sur le programme Clearing, qui fait partie des bonnes pratiques en Union européenne. À l’origine, Clearing était exclusivement prévu pour les jeunes handicapés. Mais on a constaté au cours de ce programme, qu’un autre groupe assez important avait besoin d’aide : les personnes qui rencontrent des problèmes sociaux. Depuis, ce programme ne s’adresse donc plus seulement aux personnes handicapées. L’objectif principal était de réduire le nombre de ceux qui décrochent, qui abandonnent, qui quittent l’école.

On a commencé en 2012 avec le Youth Coaching dans deux États fédéraux en Autriche, et depuis 2013, il est mis en œuvre dans toute l’Autriche grâce à l’implication de l’Agence fédérale des affaires sociales. Dans chaque

Page 26: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P26

SÉQUENCE 2

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

État, dans chaque land, se trouve une agence qui implante ce programme. Par ailleurs, il existe aussi des agences de coordination spécifiques à chaque État fédéral, qui ne s’occupent pas seulement du Youth Coaching. Ces agences de coordination ont été d’une grande importance pour l’implantation et la mise en œuvre du programme. Elles ont joué un rôle d’intermédiaire, de plateforme pour tous les acteurs concernés. Le Youth Coaching est important pour les écoles, mais aussi pour les autres partenaires et institutions sociales. Ces agences de coordination se sont occupées de la mise en réseau dans les différents landers, ainsi qu’au niveau national.

Alors que fait le Youth Coaching ? Il vise à réduire le taux des décrocheurs et des jeunes qui ne possèdent qu’une basse qualification. L’objectif est de garder ces jeunes dans les cursus de formation et de formation professionnelle, si possible jusqu’à l’âge de 19 ans au moins. Puis de leur proposer une perspective individualisée, sur-mesure, et réaliste pour leur vie. L’idée est de s’interroger sur ce que veulent vraiment ces jeunes, car il est inutile de les placer sur le marché du travail sans se poser de questions, dans un métier qui ne sera peut-être pas le bon. D’autres questions sont également traitées, comme par exemple les problèmes de drogue ou le manque de logement. Une autre préoccupation importante concerne les jeunes Needs : c’est-à-dire ces personnes qui ne sont ni en formation ni dans l’emploi. Le Youth Coaching a l’avantage de pointer des manques ou des besoins dans le système éducatif : il les rend visibles.Le Youth Coaching commence à la 9e année de scolarisation obligatoire, et peut être sollicité jusqu’à la 19e année de vie d’un jeune.

Nous travaillons en relation étroite avec les écoles. C’est de cette manière que nous arrivons à identifier ces jeunes, durant leur scolarité. Car une fois qu’ils sont sortis du système scolaire, il devient très difficile d’établir le contact. Le Youth Coaching collabore aussi avec d’autres institutions qui peuvent établir le contact. Bien sûr, les jeunes peuvent aussi venir vers nous d’eux-mêmes. Un principe important est de ne pas seulement travailler avec les jeunes, mais aussi avec leurs parents et le réseau qui les entoure : les écoles évidemment, mais aussi les partenaires du monde économique. Je pense notamment à l’importance des stages dans les entreprises pour créer un lien entre le jeune et le monde du travail.

C’est basé sur le concept du coaching. Il y a trois niveaux différents. Tous les jeunes entrent dans le niveau 1, où les coachs et les jeunes font connaissance, entrent en contact. À ce moment-là, le coach, c’est-à-dire l’encadrant, va décider si le jeune a toutes les informations dont il a besoin. Ensuite, on passe au niveau 2, où l’on reprécise ce dont

le jeune a besoin. On fixe des stages dans les entreprises. Vient ensuite le niveau 3, qui correspond à un encadrement très intense. Là, on retrouve beaucoup de jeunes avec des handicaps, pour profiter d’un soutien supplémentaire.

Le but est vraiment d’orienter les jeunes le mieux possible, vers les institutions, vers des écoles pour une formation, vers des entreprises pour des stages ou des apprentissages. On a donc commencé en 2012. Depuis, nous enregistrons 35 000 participants, dont 26 000 environ qui ont terminé leur programme. En ce moment, près de 8 000 personnes suivent le coaching.Nous faisons évidemment aussi un monitoring. Pour que vous ayez une idée générale, nous avons environ 46% de participantes féminines et 54% de participants masculins. 57% des participants ont suivi le niveau 1 que j’ai mentionné tout à l’heure, 23% ont suivi le niveau 2 et 20%, le niveau 3. Le contact avec les écoles est extrêmement important. 84% des jeunes viennent via les écoles. Il existe un échange très vif avec les professeurs, qui nous disent : voilà un jeune qui a besoin de soutien. Pour l’instant, les jeunes hors du système scolaire ne représentent que 16% des effectifs. Mais je pense que ce taux va augmenter dans les années à venir, notamment via le contact avec les jeunes Needs. Un tiers des personnes dans le Youth Coaching sont porteuses de handicap. Et nous avons malheureusement 4% de jeunes qui ne terminent pas le programme. En ce qui concerne la répartition par âge, les 15-16 ans sont les plus nombreux.

À ce jour, 38 organisations proposent le Youth Coaching. Et nous comptons plus de 300 coachs en Autriche. Pour conclure, on peut dire encore une fois qu’il s’agit d’un programme national, mais qu’il y a des échanges très vifs au niveau local. L’effet positif est que les jeunes profitent d’une orientation dans ce système de formation autrichien très complexe et que l’on répond à leurs besoins et à leurs souhaits. Il y a un effet très positif aussi sur la manière dont les jeunes se perçoivent eux-mêmes. Ils se posent la question : mais que sais-je faire ? Quelles sont mes capacités ? On essaye aussi évidemment d’inclure les personnes qui sont déjà sorties du système et les personnes porteuses de handicap. Mais nous ne devons pas oublier qu’il y a aussi d’autres personnes qui rencontrent des difficultés, et que nous voulons leur faire bénéficier de ce programme. Merci beaucoup.

Dominique Velche.- Merci, Katerine. Qu’est-ce qui se passe du côté de Villeurbanne ?

Eric Plantier-Royon.- Je veux d’abord repréciser quels sont les principes-clés de la démarche de développement local inclusif. Le premier point est l’intégration quasi systématique de la thématique du handicap dans tous les projets locaux, municipaux, aux stades de la conception, de la mise en œuvre ou de l’évaluation. À Villeurbanne

Page 27: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P27

TABLE RONDE : DES POLITIQUES NATIONALES "HANDICAP" AU DÉVELOPPEMENT LOCAL INCLUSIF

par exemple, nous travaillons sur la réforme des rythmes scolaires et sur la révision du PLUH (Plan local d’urbanisme et d’habitat). Ce sont des projets locaux où le handicap a sa place. Il est important d’intégrer cette dimension dans tous les projets puisque c’est une dimension sociétale.

Deuxième chose : cela doit être une approche multisectorielle. Comme on l’a vu ce matin avec la présentation de la Convention internationale, tous les domaines sont touchés par le handicap, que ce soit l’éducation, l’emploi, l’accès à la culture, etc. Il faut donc bien mettre en place une approche transversale au niveau local. Et la Convention est un outil, dont la mise en œuvre nécessite un cadre législatif au niveau national, et ensuite une démarche locale, une mobilisation des élus et acteurs locaux. Notamment par rapport à des compétences décentralisées au niveau des collectivités locales : il peut s’agir de l'accessibilité, la participation à la vie politique ou publique locale, etc.Enfin, je pense que la démarche de développement local inclusif permet de responsabiliser les pouvoirs publics locaux, et de travailler sur un triptyque d’acteurs : les élus locaux, les associations locales de personnes handicapées - voire la société civile au sens large - et enfin, les services pour tous ; services spécialisés ou services de support, comme les interprètes en langue des signes par exemple.Voilà à mon sens les trois principes-clés de cette démarche de développement local inclusif.

Qu’est-ce qui se passe à Villeurbanne ? Pendant longtemps, on a eu une approche très spécialisée. On a eu des institu-tions sur le handicap, on a une école régionale d’éducation adaptée à la déficience visuelle, avec presque 300 élèves.On a un centre historique - le centre Gallieni - qui est à la fois un foyer et un lieu de travail pour beaucoup de personnes ayant une déficience visuelle. Bref, on a eu, comme dans beaucoup d’endroits en France, une politique d’institution. On s’est ouvert à la démarche inclusive finalement de manière assez récente grâce à la loi de 2005, évoquée ce matin, grâce aussi à la volonté du président de la République de l’époque qui a souhaité cette loi. Et donc, le maire en place en 2008 - Jean-Paul Bret - a inscrit pour la première fois un programme inédit de handicap dans le cadre de son mandat. En effet, depuis 2008, il met en œuvre ce programme "Ville et Handicap" en lien avec une nouvelle adjointe en charge de l'accessibilité et du handicap.

Cinq axes principaux articulent ce programme : la mise en accessibilité, d’abord. C’est une étape indispensable. C’est un travail sur toute la chaîne de l'accessibilité ; les transports, la voirie, l’habitat, les ERP. La Ville a mis beaucoup d’argent sur cette question-là et cela nous occupe beaucoup. Un travail de diagnostic est notamment mené avec les associations. Depuis 2010, on est en phase de travaux.

L’axe 2 concerne l’emploi. La collectivité locale est un employeur, comme cela a été dit ce matin. La Ville compte plus de 2 000 agents. Et elle souhaite donner l’exemple en termes de handicap.L’axe 3 vise à rendre tous les services de la Ville handi-accueillants ou en tout cas, à améliorer l’accueil des enfants et adultes en situation de handicap, que ce soit au niveau des sports, de la culture, de l’éducation, de la petite enfance. Il s’agit là d’une compétence-clé des collectivités locales en France.L’axe 4 est un axe particulier : la sensibilisation du grand public. Nous le savons tous, les stéréotypes sont l’un des obstacles majeurs à l’inclusion des personnes handicapées. Il faut donc travailler sur le changement de regard. L’axe 5 est transversal, il est imposé par la loi du 11 février 2005 : il s’agit du travail en concertation avec les associations locales de personnes handicapées.

Voici deux ou trois exemples de ce qui a été fait : en matière de petite enfance, on s’est organisé pour que tous les enfants de 0 à 3 ans, quel que soit le handicap, soient accueillis dans les structures petite enfance de la Ville. Cela a supposé des ressources humaines supplémentaires et s’est appuyé sur un travail partenarial avec les CAMSP. Nous avons d’ailleurs un pédiatre et une psychologue dédiés à ce sujet. Cela a également supposé un travail de capitalisation. On a fait un petit film avec une halte garderie qui s’était organisée de manière intéressante pour accueillir des enfants avec différents handicaps. C’est un outil avec lequel la Ville travaille beaucoup.

Nous travaillons aussi beaucoup sur l’éducation. Villeurbanne est l’une des dix villes de France où il existe un service de santé scolaire, habituellement géré par l'Éducation nationale. Nous avons des médecins qui travaillent en lien avec la personne référente sur les PPS. Nous œuvrons aussi en direction des ados, de 12 à 17 ans. Par exemple, en 2010, des adolescents en situation de handicap ont été accueillis dans les activités de loisirs proposées par la Ville.

En termes d’emploi, nous avons conventionné en 2009 un projet en lien avec un nouvel acteur apparu en 2005, le FIPHFP, à savoir le Fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique. C’est un projet qui nous a beaucoup occupés en interne. Pour des raisons de temps, je ne pourrai pas le présenter complètement. Mais je vais évoquer deux ou trois leçons apprises de notre expérience menée de 2009 à 2012. La première de ces leçons est qu’il faut savoir utiliser tous les dispositifs nationaux existants, notamment le contrat aidé. Sont apparus en 2012 les emplois d’avenir. Cela nous a paru être un bon outil pour travailler sur le recrutement de jeunes travailleurs handicapés. Monsieur le Maire s’est engagé à accueillir 150 emplois d’avenir. Dans la convention qui lie

Page 28: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P28

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

la Ville à l’État, on a déterminé un pourcentage de jeunes en situation de handicap. Actuellement, 60 jeunes sont accueillis dans le cadre des emplois d’avenir, dont quatre en situation de handicap, chacun bénéficiant d’un travail particulier puisque l’objectif est qu’ils sortent au bout de trois ans avec une qualification. Cela nécessite de former le tuteur au handicap particulier du jeune qu’il suit, mais également de mener un travail avec l’équipe dans laquelle le jeune est inséré, car on sait pertinemment qu’il faut aussi sensibiliser l’équipe pour qu’elle connaisse mieux la situation de handicap.

Une deuxième leçon apprise est qu’il y a encore beaucoup de stéréotypes, à Villeurbanne comme partout ailleurs. Ce qui nécessite de continuer à lutter, à sensibiliser. Nous avons organisé une formation obligatoire pour les 250 cadres managers de la Ville, obligatoire puisque le volontariat ne suffisait pas. Certains sont venus à reculons, et sont repartis en disant que ce n’était pas si mal que ça. Ce n’était ni plus ni moins qu’une formation sur le management. Car manager une personne handicapée, c’est quelque part manager une personne différente, ce qui implique parfois d’adapter et compenser le cadre. Finalement, cela signifie apprendre à manager tout simplement.Bien entendu, nous travaillons sur le registre de la lutte contre les discriminations. Nous avons d’ailleurs édité un guide - Recruter sans discriminer - qui est disponible sur le site Internet de la Ville.Enfin, nous travaillons sur le lien entre ce qu’on appelle le milieu ordinaire et le milieu protégé, notamment grâce à notre partenariat avec L’ADAPT locale, dans le Rhône, et aux ESAT Hors-les-murs. Nous avons aujourd’hui en poste deux personnes qui sont suivies par L’ADAPT : une jeune femme qui travaille dans une médiathèque, et une autre qui travaille dans la cuisine d’une résidence pour personnes âgées. Elles sont là toutes les deux depuis plusieurs mois et sont la preuve que la frontière entre le milieu ordinaire et le milieu protégé est parfois très ténue.Enfin, notons que nous avons un taux direct d’emploi de travailleurs handicapés de 7,34% très exactement. C’est le taux que nous avons déclaré au FIPHFP fin 2012.

Il me reste une minute, je vais en profiter pour évoquer deux ou trois freins, car bien évidemment tout n’est pas tout rose à Villeurbanne. Il y a plusieurs freins qui nous empêchent de faire en sorte que ce programme soit complètement efficace : citons d’abord le millefeuille institutionnel, car c’est la compétence de la commune, de l’intercommunalité, du département, de la région, ce qui ne facilite pas les choses… En matière d’emploi, il y a aussi un manque de coordination locale. On a des acteurs spécialisés, comme le Cap emploi ou la MDPH, on a des acteurs ordinaires ouverts à la question du handicap, comme la Mission locale. Mais il n’y a pas de

lieu de concertation et de discussion : les acteurs ne se rencontrent pas. J’étais avec le directeur de la Mission locale la semaine dernière, qui me disait : "je ne comprends pas, on a des jeunes avec des handicaps assez lourds qui viennent. Pourquoi ne sont-ils pas fléchés vers Cap emploi ? Et pourquoi Cap emploi a-t-il des financements AGEFIPH et pas moi ? ". C’est tout simplement la conséquence d’un manque d’échanges entre les différents acteurs. Il manque également un guichet unique dans le Rhône. La loi avait prévu une MDPH par département, mais celle du Rhône a délégué ses compétences sur des structures qui sont plus à entrée sociale. Et le personnel de la Maison du Rhône a été submergé par les dossiers. Il s’est donc concentré presque uniquement sur le traitement des dossiers, et a pratiquement zappé la dimension information, orientation, accompagnement. C’est un frein énorme dans tous les domaines.Il existe aussi un frein financier. En ce qui concerne la collectivité locale, les travaux pour rendre accessibles 150 équipements recevant du public, dont la construction date du 19e siècle, représentent un coût de 25 à 30 millions d’euros. Nous sommes actuellement à mi-parcours. Nous avons fait un premier agenda programmé d’accessibilité, et nous allons en décliner un deuxième pour rendre tout accessible à l’horizon 2018-2019. Quant au Département, il a du mal aussi financièrement à abonder tous les dossiers, notamment ceux de prestation de compensation du handicap. Il y a une montée en puissance de ces dossiers sur l’accès aux loisirs. C’est quelque chose de nouveau qui arrive dans notre ville depuis deux ans. Même s’il y a beaucoup à redire, les enfants ont accès maintenant à l’école et souhaitent avoir accès aux centres sociaux. Ils demandent un accompagnement personnalisé qu’ils ont à l’école et qu’ils souhaiteraient avoir pour accéder aux loisirs, ce qui passe par une prestation de compensation. Or, les budgets des départements sont parfois limités pour répondre à toutes ces demandes.

Dominique Velche.- Merci beaucoup. Nous allons mainte-nant évoquer l’importance de la formation professionnelle.

Rolph Quick.- Mesdames, Messieurs, je voudrais d’abord vous faire un grand compliment. Chez nous, en Allemagne, après les dix ou onze présentations qui viennent d’avoir lieu, des troubles comportementaux auraient été observés dans la salle, ce qui n’est pas votre cas, vous êtes disciplinés, chapeau ! Je suis directeur d’un centre de formation professionnelle pour des jeunes porteurs de graves déficiences psychiques ou de troubles d’apprentissage. Nous avons en Allemagne 50 institutions de ce genre et je suis aussi membre du directoire de ces institutions. Que faisons-nous ? Nous permettons à des jeunes d’accéder à une qualification professionnelle certifiée par l'État fédéral allemand.

SÉQUENCE 2

Page 29: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P29

TABLE RONDE : DES POLITIQUES NATIONALES "HANDICAP" AU DÉVELOPPEMENT LOCAL INCLUSIF

Mais quid de l’accessibilité de ces jeunes gens à la formation et au monde du travail ? Je vais me concentrer un peu sur ce qui est différent en Allemagne par rapport aux autres pays européens.

D’abord, nous avons évidemment la formation en alternance, qui est souvent mise en avant partout dans le monde, mais qui n’est appliquée qu’en Allemagne. Il faut se demander si elle est aussi efficace que cela. Qu’est-ce que la formation en alternance ? Il s’agit tout simplement d’une formation qui associe une partie pratique et une partie théorique dans l’enseignement. La formation théorique se fait toujours dans une école professionnelle et la formation pratique se fait dans une entreprise ou un atelier. L’accès des jeunes handicapés se fait uniquement via les agences pour l’emploi, et nous avons des équipes dans ces agences - que nous appelons des équipes de réadaptation - qui s’occupent spécifiquement des personnes avec un handicap. Qui est responsable de ces formations ? La responsabilité est déléguée à des institutions comme Caritas - la Croix rouge allemande - et d’autres structures.

Monsieur Blanchet a évoqué le fait qu’en France, les associations sont très importantes. Un parallèle peut être fait avec l’Allemagne. La qualification professionnelle se fait par la formation professionnelle, mais aussi par un travail sur la personnalité des jeunes. Comment l’accès au marché du travail se fait-il ? Ce sont les jeunes eux-mêmes qui trouvent leur emploi, mais ils sont soutenus : on les prépare via des entraînements à la candidature pour un poste. Et nous les accompagnons pendant une année après la fin de leur formation dans leurs démarches pour trouver une place sur le marché du travail et y rester.Quel est le taux de succès de l’intégration de ces jeunes gens handicapés qui proviennent de nos centres de formation ? L’Institut de l’économie allemande à Cologne, qui est proche des entrepreneurs et des employeurs, a procédé à une étude sur 13 ans. Le résultat est le suivant : 65 à 72 jeunes qui ont quitté avec succès un centre de formation ont pu s’intégrer de façon durable et pérenne sur le marché du travail. Ce qui est intéressant à observer, c’est que plus le moment où la personne a quitté l’école est ancien, plus le pourcentage d’intégration est élevé, ce qui montre la durabilité de ce dispositif. Madame Ludwinek a évoqué les objectifs de durabilité que nous nous étions fixés, on peut dire que nous les avons atteints.

Je voudrais maintenant évoquer quelques évolutions et perspectives dont je crois qu’elles sont, dans les années à venir, d’une importance capitale pour l’Allemagne, mais aussi pour toute l'Europe. D’abord, l’évolution démographique. En Allemagne, le nombre d’écoliers va baisser de manière significative d’ici 2025. En cela, nous différons de la situation

de la France. Cela ne signifie pas forcément que les besoins des jeunes handicapés vont aller en décroissant, Madame Ludwinek l’a mentionné également ce matin. Le taux des jeunes porteurs d’un handicap psychique augmente. Ce taux a augmenté dans le passé et la même évolution est à prévoir pour les années à venir.Deuxièmement, nous avons affaire à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Allemagne. Dans certaines branches de l’industrie et du marché du travail, on le sent déjà très fortement. Cela mène certains hommes politiques à développer des idées qui ne correspondent pas à la réalité, par exemple que les entreprises vont se battre pour employer des jeunes avec handicap. Mais cela, je vais y revenir dans un instant.Le troisième point que je voudrais évoquer est l’inclusion, et notamment les conséquences de la convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. En Allemagne, on a mené une discussion très idéologique, très extrême donc, dont le point culminant a été la revendication d’une scolarisation commune pour tout le monde, la fin des écoles spécialisées - même celles qui fonctionnent très bien - et l’inclusion des jeunes handicapés dans le système général. Entre temps, on a constaté que le système allemand n’était peut-être pas si mal au regard de la situation mondiale. Donc le débat s’est un peu calmé. Aujourd’hui, on s’oriente de nouveau davantage vers les besoins individuels des jeunes.Pour conclure, je pense qu’on ne doit pas oublier, quand on évoque la crise économique en Europe, que l’Allemagne a amassé une montagne de dettes. Le taux absolu de la dette allemande est plus élevé que celui de l'État d’Espagne. Ce sont des chiffres dont il faut prendre conscience. En Allemagne aussi, on doit se serrer la ceinture et faire des économies. Et je m’adresse en particulier à vous, Monsieur Faure : la dame de Berlin que vous avez évoquée tout à l’heure est responsable de bien des choses, mais pas de tout. Par exemple, elle n’est pas responsable du fait qu’en Allemagne et ailleurs, on amasse des dettes depuis quarante ans et qu’on a vécu au-dessus de nos moyens pendant des décennies. Ce n’est pas non plus Madame Merkel, mais le parlement allemand, qui a décidé de plafonner la dette il y a quelques années.

Donc il ne sert à rien de se plaindre, il faut s’adapter à la situation. Je pense que la situation en Allemagne et en Europe se caractérise par deux éléments : d’abord on mobilise de moins en moins de moyens pour l’emploi des personnes handicapées. Ensuite, les exigences de qualité vis-à-vis des jeunes sont revues à la hausse. Et l’addition de ces deux éléments - d’un côté les coupes dans les ressources et d’un autre l’obligation de performance - sera le plus grand défi de demain dans l’accompagnement des personnes handicapées, en Allemagne mais aussi dans le reste de l’Europe. Merci beaucoup.

Page 30: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P30

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Dominique Velche.- Merci. Edwin, quelques mots sur ce qui se passe en dessous du niveau de la mer ?

Edwin Luitzen De Vos.- Merci, Dominique. Voici à nouveau la photo de la ville où j’habite, dans laquelle nous avons lancé un projet de "ville inclusive" il y a deux ans.Qu’est-ce qu’une ville inclusive ? Dans une ville inclusive, les personnes avec ou sans handicap bénéficient des mêmes opportunités en matière de revenus, d’éducation, d’emploi, de transport, de santé, de sport, d’activités artistiques et de loisirs. Dans le cadre de ce projet, nous tâchons de mettre en lien et de renforcer les initiatives communautaires et les bonnes pratiques en nous appuyant sur la recherche, l’éducation, et les prérogatives des autorités locales. Nous travaillons en coopération avec l’université d’Amsterdam, et la ville d’Almere. Par ailleurs, ce qui rend ce projet particulier, c’est que nous essayons de construire cette ville inclusive en partant de la base. Nous travaillons avec les autorités publiques locales, mais aussi les personnes handicapées de notre ville. On ne fait rien sans ces personnes, il n’en est pas question. Aussi, si on organisait une conférence de ce type dans ma ville, on aurait par exemple 10 à 20 personnes souffrant de trisomie 21 et/ou de personnes porteuses d’un léger handicap mental. Et je peux vous dire que ce genre de composition donne une atmosphère très agréable dans les réunions. Ce sont souvent des personnes qui aiment rire.

On essaie aussi d’introduire des dimensions culturelles, avec de la musique, de la danse, pour que les gens aient envie de participer. La vie est courte, surtout pour ces personnes-là. Donc il faut qu’elles puissent s’amuser. Je pourrais en dire davantage, mais l’heure tourne. En tout cas, je crois vous avoir montré l’importance du fait que ce projet de l'Union européenne ne se concentre pas uniquement sur l’emploi ou l’éducation. Si vous voulez que la vie soit plus belle pour les personnes en situation de handicap, vous devez intervenir sur tous les piliers en même temps. Et au niveau d’une collectivité locale, d’une municipalité, il peut être plus facile de faire ce qu’il faut pour ces gens-là. Merci beaucoup.

Dominique Velche.- Merci beaucoup.

(Pause déjeuner)

SÉQUENCE 2

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

Page 31: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P31

Thierry AwnerChef kinésithérapeute, L’ADAPT, France

Paul GallardSecrétaire adjoint, Unapei, France

Cyril CouletChargé de mission développement des territoires,

L’ADAPT, France

Audrey ParronSociologue, France

Michel MercierDocteur en psychosocial, Belgique

Marie-Jeanne BraunsteinPrésidente, Collectif pour l’inclusion scolaire

individualisée, France

SÉQUENCE 3 TABLE RONDE 1

Page 32: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P32

Anne Thévenet.- Nous allons reprendre, je vous demanderai de prendre vos places. Puisque la question a été posée par plusieurs d’entre vous durant la pause, sachez que non seulement le film des débats sera disponible sur le site de L’ADAPT, mais aussi les présentations PowerPoint des interventions si les intervenants sont d’accord bien sûr.Je vous propose de reprendre les travaux, avec, après cette matinée très riche et très dense, à nouveau une après-midi un peu marathon. On va poursuivre avec une première table ronde pour cet après-midi, sur l’autonomisation des jeunes et actions de l’environnement, animée par Cyril Coulet, chargé de développement des territoires à L’ADAPT, je lui cède la parole.

Cyril Coulet.- Merci. J’ai l’honneur d’animer cette table ronde. Je vais vous présenter nos différents intervenants : Michel Mercier, de l’université de Namur, Audrey Parron de l’université de Toulouse, Paul Gallard, trésorier adjoint de l’UNAPEI, ancien président de l’ADAPEI des Deux-Sèvres, Thierry Awner, kinésithérapeute au sein de L’ADAPT et Marie-Jeanne Braunstein, présidente du collectif pour l’inclusion scolaire individualisée.Ils auront la possibilité de nous présenter les différentes facettes de l’autonomisation des jeunes et des actions de l’environnement. La parole est à Monsieur Mercier, qui va nous présenter le retentissement du passage à l’âge adulte pour les personnes en situation de handicap.

Michel Mercier.- Merci à L’ADAPT. On m’a demandé de reprendre des éléments de recherches que j’ai réalisé dans le domaine de l’accès à l’autonomie des personnes en situation de handicap. Le passage à l’âge adulte est conditionné par le développement psychologique global. Ce que je vais essayer de vous dire en 10 minutes aujourd’hui, je le donne en 3h de cours d’habitude, donc accrochez-vous !

Lors de l’annonce du handicap, toute la problématique est d’accepter l’inacceptable. Les parents ont toujours une réaction de déni. Ca fonctionne de la même manière lorsqu’il y a un handicap acquis, comme je l’ai eu moi-même. Au point de départ, on nie le handicap, on fait comme s’il n’existait pas. Mais déjà, à ce moment-là, on ne respecte pas l’identité propre de l’enfant.Ensuite, il y a un deuxième type de réaction : le handicap envahit finalement la relation parent-enfant, et on ne voit plus que le handicap. C’est une forme de réaction dépressiogène au handicap.Il existe aussi des réactions de clivages, c’est-à-dire que le parent voit d’un côté son enfant et d’un autre le handicap. Il y a une bipolarisation de la réaction au handicap. Une mère me disait : "c’est mon enfant, ça reste mon enfant, et vous me dites qu’il n’apprendra pas à lire ni à calculer, c’est autre chose". Ce type de réaction pose finalement des

problèmes pour l’identité de l’enfant qui va se constituer.Enfin, il y a un comportement de sacrifice où les parents culpabilisent face au handicap qui a été généré par leur vie sexuelle et leur reproduction. Ce sacrifice se projette souvent de la manière suivante : on consacre toute la vie de la famille à la personne handicapée en se disant que les frères et les sœurs pourront se débrouiller.

D’entrée de jeu, il y a un type de relation qui induit une constitution identitaire problématique pour la personne en situation de handicap. Et à l’âge adulte, cette constitution identitaire, qui remonte à la petite enfance, au développement psychologique primaire, devra être dépassée dans les relations aux autres adultes. Ce phénomène psychologique doit être assumé par la personne handicapée.Au premier stade de développement - de 0 à 6 ans - il y a constitution de la personnalité de l’enfant, suivant trois stades : oral, anal et phallique. C’est constitutif de la personnalité de l’enfant. Dans Le Miroir Brisé, Simone Sausse affirme qu’il y a la réaction de déni dont j’ai parlé, mais aussi un refus d’admettre que la personne handicapée pourra se reproduire, c’est-à-dire pourra devenir elle-même parent, parce que la parentalité est mise en échec dans le fait même de la naissance de l’enfant handicapé. Par ailleurs, il semblerait que dans cette relation de parentalité spécifique au stade oral, il y ait une difficulté à passer à la relation anaclitique, c’est-à-dire la fusion à certains moments et la prise de distance des parents par rapport à leur enfant à d’autres moments. La réaction de sacrifice expiatoire engendre une forme de relation fusionnelle qui se perpétue entre l’enfant et la mère, entre l’enfant et les parents.

Au deuxième stade, le stade d’acquisition de la marche, de la propreté, et du langage, les parents doivent souvent faire un nouveau deuil. Car dans de nombreux handicaps, l’une de ces trois composantes est altérée, dans le handicap moteur notamment. Il y a vraiment un nouveau deuil à faire : par exemple, l’enfant ne marchera pas. Dans certaines circonstances, l’enfant ne sera pas propre, car il y a des enfants qui sont sondés tout petits. J’aimerais d’ailleurs m’entretenir avec nos collègues de Villeurbanne car nous rencontrons cette problématique des parents devant refaire le deuil lorsque leur enfant est en crèche, car ils observent des comportements chez d’autres enfants, qui ne se produisent pas chez leur propre enfant. Même chose pour l’acquisition du langage.

Au stade phallique - le stade de l’Œdipe que tout le monde connaît - l’enfant s’identifie au parent du même sexe. Or , le processus d’identification pose problème quand l’enfant est handicapé. Pourquoi ? Parce qu’il prend conscience qu’il ne sera jamais comme son parent adulte… Un jour, un enfant a dit : "je serai aussi en chaise roulante quand

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Page 33: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P33

je serai grand alors ?". Donc le processus d’identité se joue dans la relation aux parents, et devra être assumé par l’adulte.

Il reste deux minutes. Je passe rapidement à l’adolescence. Le premier stade de l’adolescence est le processus d’affirmation de soi. Or, quand l’adolescent handicapé dépend des parents pour ses loisirs, ses déplacements, etc., l’affirmation de soi pose problème au moment de la pré-puberté. Le deuxième stade est celui de la constitution identitaire, dont j’ai montré brièvement qu’il était problématique. Le troisième stade est le stade juvénile, celui des premières relations sexuelles, de la découverte du flirt, de la relation qui va finalement se constituer dans une nouvelle parentalité.

Même à l’entrée dans l’âge adulte et dans la vie professionnelle, il y a de nouveau des spécificités à assumer. À l’âge adulte, le processus d’assertivité - d’assertivness comme disent les anglophones - désigne le moment où je dois affirmer mon identité et mon désir et avoir une écoute active de l’autre. Cela pose des difficultés. Car en effet, comment affirmer mon identité alors que je dois ré-accepter l’inacceptable et assumer mon identité de manière particulière ? De la même manière, comment développer une écoute active alors que la première bataille que j’ai à assumer, c’est celle de mes propres difficultés, de mes propres inacceptations ? Ce matin, Anna nous parlait des stéréotypes à l’égard de la personne handicapée, et on a dit à mes parents : "avec ce qu’il a, il ira faire des paniers dans les ateliers protégés".

Il est évident que dans la vie d’adulte, cette acceptation du handicap reste présente. Et nous le savons - nous en avons eu beaucoup d’exemples ce matin - le contexte social ne favorise pas ce processus d’assertivité puisqu’il existe des représentations sociales négatives, des stigmatisations. Il faut non seulement assumer la relation sociale à la parentalité et à la famille, mais également vis-à-vis de l’environnement social. Or la société risque d’amplifier ce processus difficile de constitution de la personnalité.

Je crois alors que L’ADAPT et le monde associatif ont un rôle à jouer, pour mettre en place un tutorat adapté afin que la personne handicapée puisse finalement développer ses capacités d’adaptation qui sont au-delà de la moyenne. Ce tutorat est le moyen d’aider à la constitution du processus de résilience dont parle Boris Cyrulnik.

Cyril Coulet.- Merci beaucoup. Je vais tout de suite redonner la parole à Madame Parron qui a travaillé sur les enjeux de la définition de l’autonomie et les processus qui se jouent entre les personnes elles-mêmes, les professionnels et leurs familles.

Audrey Parron.- Nous allons parler de l’âge adulte et des représentations de l’autonomie, au moment du projet d’autonomisation. Ce projet se constitue autour de plusieurs moments, au gré du parcours de vie de la personne au début de l’âge adulte. Ce sont par exemple des réorientations institutionnelles, des orientations scolaires ou professionnelles.

Mon propos s’appuie sur un travail doctoral réalisé dans la ville de Toulouse. J’ai mené une enquête durant trois ans auprès de jeunes adultes en situation de handicap psychique. J’ai réalisé des entretiens auprès de ces personnes, de leurs parents et d’au moins une personne ayant participé à leur accompagnement dans des institutions médico-sociales ou psychiatriques. J’aimerais insister sur deux choses. Le premier point, c’est que les personnes ne parlent pas de la même chose quand elles parlent d’autonomie : il y a des représentations différenciées dans la définition du projet d’autonomisation du jeune. Le second point, c’est qu’autour de ces représentations se joue un travail de négociation dans la définition du projet d’autonomisation.

Dans des situations d’accompagnement où sont présents des jeunes adultes, des parents et des professionnels de la santé ou de l’accompagnement social, toutes les personnes ne vont pas avoir la même définition du projet d’autonomisation. Il y a d’abord la prise d’autonomie du jeune qui se fait sans maintien d’accompagnement, que ce soit des professionnels ou des parents. Cette autonomie est qualifiée de mauvaise, car perçue comme comportant le risque d’un délitement social. Puis à l’inverse, il existe une définition de la bonne autonomie, celle qui engage le jeune adulte dans des relations d’accompagnement ou de dépendance parentale. On va retrouver assez fréquemment le terme d’autonomie accompagnée : elle est fréquente dans les discours des parents et des professionnels. Contrairement à ces représentations de la bonne et de la mauvaise autonomie, chez les jeunes adultes que j’ai pu rencontrer, l’autonomie contient une forte dimension identitaire. On est autonome ou on se considère comme tel. Lorsqu’ils sont engagés dans des relations d’accompagnement, les jeunes vont néanmoins relativiser leur autonomie. Souvent, j’ai pu entendre : "ma mère m’aide pour les démarches administratives, je suis à moitié autonome". Face à ces conceptions de la notion d’autonomie, les personnes négocient des espaces d’accompagnement.

Je vais terminer sur ce point en citant un exemple de négociation entre une mère et son fils de 17 ans. La mère dit à son fils : "quand tu auras 18 ans, on mettra en place une mise sous tutelle pour t’aider à gérer ton argent". Le fils répond : "non, je ne veux pas, je peux gérer mon argent". Sa mère rétorque : "ce sont des pulsions, tu ne peux pas savoir

TABLE RONDE : L’AUTOMATISATION DES JEUNES ET ACTIONS DE L’ENVIRONNEMENT

Page 34: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P34

si tu vas y arriver ou pas". Il répond : "je vais pouvoir prouver que je suis capable de le faire". On voit que les négociations portent sur la capacité du jeune dans un domaine très précis de la vie quotidienne, à savoir, la gestion financière.

Au moment de la définition du projet d’autonomisation, les espaces d’autonomie et les besoins d’accompagnement se définissent et se négocient selon une vision capacitaire des personnes. Ces négociations se font autour d’une bonne autonomie, qui admet la situation de dépendance.

Cyril Coulet.- Je vous remercie beaucoup. Je donne la parole à Marie-Jeanne Braunstein, qui va nous apporter son témoignage de parent par rapport au parcours d’insertion professionnelle de sa fille.

Marie-Jeanne Braunstein.- Je suis parent, et parce que je suis parent, je me suis retrouvée à présider un collectif de 20 associations, en Alsace, regroupées autour de l’inclusion scolaire en milieu ordinaire. Ce collectif s’est créé il y a une quinzaine d’années, avant la loi de 2005. Il s’est réuni autour du thème de l’accompagnement, thème qui est beaucoup ressorti aujourd’hui au fil des débats. Il est évident qu’il est fondamental. C’est ce qui permet de faire le lien entre le milieu spécialisé et le milieu ordinaire. Sans accompagnement, on ne peut pas parler d’une inclusion en milieu ordinaire : on "débarque" la personne en milieu ordinaire. Je représente également la FNASEPH, qui se bat pour la professionnalisation de cet accompagnement, c’est-à-dire l’idée que cela devienne un vrai métier. Cet été, le gouvernement a accepté de titulariser les AVS, mais on ne peut pas encore parler d’un vrai métier. Le travail continue dans ce sens-là.

Une question fondamentale demeure : que fait-on quand on arrive au bout du cursus ? Pour ceux qui le peuvent, ce sera une formation, des études supérieures. Pour ceux qui ne le peuvent pas, comme les personnes porteuses d’un handicap intellectuel, ce sera une formation professionnelle courte. Là, se pose une double problématique : la transition du milieu scolaire vers autre chose et le passage de l’enfance à l’âge adulte. Comment gérer tout ça ? On se rend compte que, pour l’instant, les acteurs actifs de l’inclusion scolaire se retrouvent un peu pris de court. Nous-mêmes, au niveau local, nous avons fait un groupe de travail autour de l’orientation, de la professionnalisation et de l’insertion professionnelle des jeunes qui sortent d’ULIS collège, du milieu ordinaire, voire d’ULIS en lycée professionnel.

La seule continuité qui existe entre le milieu scolaire et l’orientation professionnelle, c’est le passage vers un lycée professionnel : l’élève bénéficie toujours de l’accompagnement de l’enseignant, d’une AVS s’il le faut, d’un projet personnalisé, etc.

Si c’est par la voie des CFA, c’est plus compliqué. Il existe d’autres dispositifs - comme le réseau Sarah (Service d’accompagnement régional des apprentis handicapés) - mais ces dispositifs ne remplacent pas l’accompagnement possiblement mis en place par le milieu scolaire ordinaire. Quand les jeunes accèdent aux études supérieures, le problème se pose à nouveau : l’accompagnement, la prise de notes, le passage aux toilettes, etc. Il existe certes des services d’accompagnement, mais qui ne sont pas toujours adaptés. C’est donc à la personne handicapée elle-même de gérer tout ça. Il y a des choses à revoir.

Au départ, rien ne me prédestinait à m’occuper du handicap. Je me suis plongée dedans car j’ai une fille handicapée. Elle a un handicap rare, qui provoque un peu d’autisme, des problèmes au niveau de la gestion des émotions. Elle a 19 ans, elle se trouve à un moment crucial de transition, de choix. Elle a eu un parcours relativement classique d’un enfant porteur d’un handicap intellectuel. Elle était en CLIS : avant la réforme, il s’agissait de classes où l’on mettait les enfants dont personne ne voulait ailleurs. Elle était donc la seule à avoir un dossier handicap, les autres étaient là pour d’autres raisons. Après la CLIS, le parcours de ma fille s’est fait à l’époque où les AVS étaient encore associatives et où les ULIS collège se mettaient en place : elle n’en a pas bénéficié et elle a raté de peu l’ULIS lycée. Autrement dit, c’était la débrouille.

Il n’était pas question de faire un parcours adapté à ses souhaits, c’était un parcours de survie. L’objectif était de savoir où on allait la mettre pour qu’elle puisse continuer à avoir des acquisitions scolaires, et éventuellement un diplôme et un métier. Mais l’horizon paraissait très lointain, on s’interdisait presque d’y penser. Elle a suivi une filière locale de l’enseignement privé dans un collège, puis elle a eu 16 ans. C’était la fin de la scolarité obligatoire. La question était donc de savoir ce qu’on allait faire, plus personne ne se sentant responsable de rien. Un lycée privé a accepté de la prendre, non pas au vu de son cursus - car elle avait arrêté en 4e - mais parce qu’elle avait 16 ans. C’était peut-être un peu par surprise ou par pitié, mais peu importe, le directeur a accepté ma demande. Néanmoins, quand j’ai dit qu’elle était accompagnée par une AVS, il m’a dit : "elle attendra dans le couloir et lui fera répéter ses leçons quand elle sortira de cours". On a dit : "ce n’est pas comme ça que ça fonctionne". Le directeur a finalement accepté que l’auxiliaire commence à l’aider, en voyant de quelle manière ma fille la gérait dans l’établissement.

Ma fille voulait s’occuper d’enfants. Elle a fait de la restauration, parce que c’est un secteur qui embauche et parce que ça fait partie des filières accessibles. Elle avait fait deux stages en crèche auparavant, mais avec un handicap intellectuel, il aurait été impossible de lui confier des

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Page 35: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P35

responsabilités en termes de garde d’enfants. En théorie, un lycée professionnel n’est pas l’endroit idéal pour un enfant handicapé. Le public est très difficile : il s’agit d’un public fragile, mais qui n’a pas les mêmes fragilités qu’une personne handicapée. Ma fille était persécutée, on lui disait qu’elle était folle, qu’elle ne devait pas être là, on lui souillait son assiette à la cantine, etc. Heureusement que l’AVS était présente la moitié du temps, sinon, elle n’aurait pas pu terminer. Elle en garde un mauvais souvenir, bien entendu. Mais cela lui a permis de faire de nouvelles acquisitions, parce que le handicap intellectuel n’est pas monolithique. Certains ont du mal à gérer le temps, l’espace, voire les deux. Certains ont un problème de lenteur, c’est le cas de ma fille. Mais ils continuent à faire des acquisitions. On me disait : "à l’adolescence, les apprentissages s’arrêtent, ce n’est pas la peine de continuer". C’est faux.

Après un CAP "restauration option service", il était hors de question de faire travailler ma fille dans un restaurant en ville. Il y a trop de bruit. De plus, elle a du mal à comprendre les consignes séquentielles, ce n’était donc pas possible à gérer. Par contre, on s’est rendu compte qu’elle aurait été bien dans un service de restauration collective, par exemple à l’intérieur d’un centre socioculturel, d’une cantine ou d’une maison de retraite. Nous avons décidé de l’orienter vers un CAP en alternance, pour mettre un pied dans le monde du travail. Trouver un apprentissage a été une nouvelle épreuve. On a obtenu un premier contrat qui s’est mal terminé : elle a été licenciée juste à la fin de la période d’essai. C’était au sein d’une maison de retraite qui avait pourtant demandé un apprenti handicapé. Les motifs du licenciement ont été : "ne va pas assez vite", "ne comprend pas les consignes assez vite", et "il n’y a personne pour s’en occuper". On aurait pu s’y attendre.

Une autre difficulté m’a été signalée par les établissements spécialisés avec lesquels je suis en relation. Lorsqu’ils occupent des emplois peu qualifiés - par exemple de niveau V - nos jeunes se retrouvent avec du personnel qui est lui-même peu qualifié, et quelquefois dans une situation sociale instable. Il s’agit donc de personnes qui sont en difficulté et auxquelles on demande de prendre en charge un jeune handicapé, sans qualification. On court au désastre. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour ma fille : elle a tout de suite été prise en grippe…

Maintenant, elle suit un nouvel apprentissage, dans une entreprise de restauration collective - l’Alsacienne de restauration - qui mène une politique volontariste d’emploi des personnes handicapées. Elle rencontre beaucoup de bienveillance au sein de l’équipe. Résultat, les choses se passent bien. Néanmoins, il est important de préciser que si la gentillesse constitue un atout, elle ne suffit pas dans la mesure où l’on veut faire de l’inclusion professionnelle une

démarche systématique : il faut un minimum de technicité. Aussi, il est important de sensibiliser les équipes, d’expliquer les difficultés du jeune qui peuvent être liées à son handicap et à sa personnalité, et de leur donner des outils pour faire face. Il ne s’agit pas de cacher la réalité en se disant : ils se débrouilleront. Non, il faut être franc, mettre en place un accompagnement, aussi bien en interne, via des personnes qui accueillent le jeune, qu’en externe.

Ce sont les enseignements que je tire de mon expérience personnelle. Pour l’instant, ma fille est en période d’essai. J’espère qu’elle la confirmera et terminera son apprentissage. Sachez aussi que mon témoignage a été enrichi par le témoignage d’autres parents qui se sont trouvés dans des situations sinon semblables, du moins analogues.

Cyril Coulet.- Merci. Nous formulons tous le souhait que la période d’essai de votre fille se solde par un succès. Je donne tout de suite la parole à Monsieur Thierry Awner qui va nous donner le point de vue des professionnels de l’accompagnement au moment de ces transitions dans le parcours des personnes.

Thierry Awner.- Il faut comprendre qu’un aménagement doit toujours être pensé comme un facilitateur d’action. Ces aides techniques sont acceptées si elles correspondent aux codes de la culture jeune, c’est-à-dire aux codes auxquels l’enfant s’identifie, comme le code vestimentaire. On voit souvent des enfants qui acceptaient des appareillages quand le code vestimentaire était celui des vêtements de sport, puis qui soudainement préfèrent boiter quand le code vestimentaire évolue vers le pantalon slim ou d’autres vêtements plus féminins chez les jeunes filles. Il faut également comprendre que ces codes vestimentaires participent de l’autonomie de décision, et ce n’est pas forcément en rapport avec l’indépendance fonctionnelle. On peut avoir un enfant qui se débrouille tout seul, et qui va choisir une chemise qu’il est incapable de boutonner le matin.

À l’inverse des très jeunes enfants pour lesquels l’appareillage doit être coloré, les ados se tournent vers le noir - la couleur des toiles de fauteuil - qui permet de coordonner toutes les couleurs de vêtements. Même les adaptations doivent devenir noires. Par ailleurs, l’empreinte de l’appareillage doit être invisible, les corsets sièges doivent vraiment s’ajuster, il faut vraiment que tout cela s’adapte au corps. En d’autres termes, l’appareillage ne doit plus marquer la différence. Pourtant, on est souvent surpris de voir à quel point les jeunes savent aussi sortir de ces codes, notamment si l’enjeu est important. Je pense par exemple à un jeune qui fait un stage de vente dans une concession automobile, et qui accepte de bouleverser complètement ses codes en portant le costume-cravate.

TABLE RONDE : L’AUTOMATISATION DES JEUNES ET ACTIONS DE L’ENVIRONNEMENT

Page 36: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P36

La question des déplacements comporte aussi des enjeux au moment de l’adolescence, une période où la séduction accompagne l’entrée dans la vie amoureuse. Là encore, on peut voir des jeunes qui, auparavant, se déplaçaient debout, et tout à coup, réclament un fauteuil, parce qu’ils ont envie de dissimuler leur boiterie, pour s’inclure parmi les autres. À l’inverse, il y a des enfants pour lesquels on avait programmé un mode de déplacement, anticipé un degré de dépendance et qui expriment un besoin différent. Je pense à un jeune qui se déplaçait en fauteuil électrique, et qui est repassé au fauteuil manuel au moment du collège. Aujourd’hui, en faculté, il est toujours en fauteuil manuel.

Lorsqu’on parle d’ergonomie, on pense toujours poste de travail, déplacement, dextérité, et on oublie parfois que la hauteur d’une assise, c’est aussi ce qui valorise l’enfant. Je me souviens d’une jeune fille qui nous a fait comprendre que la taille était importante et qu’il ne fallait plus lui régler son assise aussi basse, car elle avait besoin de se sentir proche des jeunes qui étaient debout.

Il existe aussi un paradoxe dans la maîtrise des dépla-cements. Parfois, plus l’enfant est jeune, moins on pré-pare son autonomie. Pourquoi ? Parce qu’on le sécurise énormément. Je pense à ces enfants en fauteuil, qui ont des roulettes anti-bascule, où l’on règle l’axe des roues pour éviter les chutes en arrière. Ce sont des enfants qui sont accompagnés au quotidien par des professionnels et qu’on ne voit pas grandir. Et parfois, on rate cette étape où l’enfant n’est plus si jeune et où il souhaite passer à autre chose.

Parmi les acteurs qui vont être importants dans cet accompagnement, il faut souligner l’importance de l’ergothérapeute. L’un de ses rôles, l’une de ses missions est d’éviter tout ce qui est insécurité et appréhension. Si on accompagne l’autonomie, c’est aussi en agissant sur cette insécurité, cette appréhension d’aller vers quelque chose de nouveau. Et pour cela, il faut imaginer les situations les plus difficiles. Toutes les villes ne ressemblent pas à ce qu’on peut voir ici : ce sont des trottoirs défoncés, des bordures de trottoirs, etc. Il faut aussi penser qu’il n’y a pas que le côté physique du déplacement, il existe aussi des dangers cognitifs. Il faut retracer les chemins qui mènent à l’école, les chemins qui mènent au stage. Et au fur et à mesure que l’on accompagne les enfants, ils se sentent sécurisés et cela leur permet de passer à l’étape supérieure. Ensuite, les envies évoluent : on a des jeunes qui, en grandissant, se posent la question de la conduite automobile. Nous avons la chance d’avoir un simulateur de conduite, ce qui permet de réaliser des tests : on travaille les réflexes, on se sécurise et quand on arrive à l’étape de la conduite automobile, on a levé cette appréhension.

J’aimerais aussi évoquer l’environnement au quotidien, car tous les jeunes ne bénéficient pas de structures adaptées. Et même quand elles existent dans une ville, elles ne correspondent pas toujours au choix de formation du jeune. Elles représentent des contraintes énormes sur le plan du bâti, qui exigent des adaptations. Il faut parfois penser à la restauration par exemple : comment un jeune va-t-il pouvoir déjeuner s’il est en fauteuil et que le mobilier n’est pas adapté, etc. Il ne faut pas arriver en disant : "je vous apporte la bonne réponse". Il faut, à un moment donné, développer une action pédagogique. Lorsqu’on est invité dans les structures, il faut pouvoir expliquer pourquoi on veut mettre cet aménagement en place, pourquoi celui-là, quel est son sens, pourquoi on élimine les autres.

Il existe une autre particularité lorsqu’on travaille avec ces jeunes, c’est que l’on a du mal à faire de l’ergonomie à titre préventif, car ils ne sont pas encore dans le vieillissement, c’est-à-dire dans les pathologies liées au squelette. Ils sont dans l’immédiateté. Il faut parfois attendre qu’ils soient confrontés aux douleurs du quotidien pour qu’ils soient demandeurs d’autre chose, et parfois, il est nécessaire d’attendre que cette demande soit formulée.

Le sport, aussi, est important. On constate d’ailleurs que de plus en plus de sports se sont adaptés au grand handicap physique. On voit des enfants qui font du foot en fauteuil électrique par exemple. L’ergonomie pénètre partout dans l’accompagnement, ce qui permet à des enfants d’être valorisés, d’avoir l’impression de pouvoir se dépasser parfois dans le sport de compétition également.

Je voudrais aussi vous parler de quelque chose qui m’a frappé. Je suis kiné, et compte tenu de mon approche très orthopédique, je suis confronté à des maladies chroniques. Je pense à une jeune fille qui présentait une scoliose et qui avait besoin d’une adaptation de siège. La première chose qu’elle nous a dite, c’est : "ça ne va pas, je ne peux pas utiliser mon téléphone". Aujourd’hui, le téléphone portable est devenu indispensable pour tous les jeunes. Autrement dit, on avait tout faux, il a fallu repenser le projet. Chez ces jeunes, l’univers numérique est vraiment important, pas simplement pour permettre le travail scolaire. L’utilisation du portable permet aussi l’accès aux jeux. Que l’on considère l’enfant alité ou l’enfant accompagné dans l’univers médico-social, on ne peut plus se passer de l’aménagement autour des nouvelles technologies. Parfois, ce sont même des aménagements très complexes. Quand les enfants n’ont pas de problèmes cognitifs, ils sont multitâches : c’est le portable, auquel s’ajoutent la télé, la manette de jeu, etc.

Je conclurai en disant que l’essentiel est de développer une approche qui respecte tout ce qui constitue le quotidien

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Page 37: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P37

d’un enfant, en termes de bien-être, par rapport à ses loisirs, sa culture et de penser ces aménagements dans un ensemble. En d’autres termes, il faut accorder plus d’attention à la personne que l’on a en face de soi qu’à la pathologie présente.

Cyril Coulet.- Merci. On a beaucoup parlé des négocia-tions entre les professionnels et les familles, dans les phases de transition. Vous-même, en tant que profes-sionnel, vous êtes-vous retrouvé dans cette situation-là, c’est-à-dire à devoir négocier avec les personnes et leur environnement familial par rapport aux aménagements que vous proposiez ?

Thierry Awner.- Mes propos se sont concentrés au-jourd’hui sur la période adolescente. Or, le paradoxe, c’est que la négociation se situe plutôt dans la période de l’en-fance. En ce qui concerne par exemple le déni du handicap qui a été évoqué, j’ai le souvenir de parents qui acceptaient le fauteuil roulant de leur enfant dans un institut, mais pas chez eux. Quand leur enfant est entré dans le milieu ordi-naire, la problématique résidait dans l’acceptation du fau-teuil. Il fallait réussir à accepter que l’enfant allait partir de la maison avec son fauteuil pour aller à l’école. La négociation se situe donc à différents niveaux.

Cyril Coulet.- Nous allons redonner la parole aux familles, en la personne de Monsieur Gallard, qui est à la fois parent d’un homme en situation de handicap, et ancien président d’une association de familles et d’une association gestionnaire. Il va pouvoir nous apporter la richesse de toutes ces expériences-là.

Paul Gallard.- Je remercie L’ADAPT de nous permettre de participer à cette table ronde. Je suis parent - parent avant tout - de Philippe, un garçon âgé de 46 ans, qui était malvoyant de naissance, atteint de cataracte congénitale, et non-voyant depuis l’âge de 20 ans. Il est également reconnu handicapé mental profond. Bien que l’annonce nous ait été faite à sa naissance - en nous décrivant notre enfant comme inéducable - il a acquis une certaine autonomie. Il sait se déshabiller seul, mais il ne sait pas s’habiller. Il sait manger seul, connaît parfaitement les goûts des aliments, et sait demander ce qui lui fait envie, mais il ne sait pas préparer son assiette. Pour la toilette, il a besoin d’aide. Il se déplace seul dans un environnement qu’il connaît. Le travail pour lui ne représente rien, par contre, il joue de l’orgue depuis ses 3 ans. Il a usé déjà plusieurs orgues. Il joue avec ses deux mains, sans jamais faire de faux accords. C’est peut-être ce que je lui ai légué de bien, car j’aime la musique et le chant. Il va sans dire que c’est son occupation préférée. Il est depuis 24 ans accueilli en semaine dans un FAM de l’ADAPEI des Deux-Sèvres : il revient à la maison tous les week-ends.

Durant une époque, j’ai présidé l’ADAPEI. C’est la raison pour laquelle j’ai fait cette présentation de ma situation, car je pense que quand on est engagé dans le monde associatif, on doit oublier sa situation personnelle, sans quoi on ne peut pas conduire la responsabilité qui nous incombe. Je vais essayer de vous raconter ce que j’ai observé durant ces 12 années, avec mon regard de parent, mais surtout de président. D’abord, la personne handicapée mentale est une personne vulnérable (je m’exprimerai surtout sur les personnes handicapées mentales puisque c’est le champ d’action de l’UNAPEI). Cette personne requiert de l’attention et de la surveillance pour la sécuriser et la protéger. Chaque personne accède à l’autonomie selon un rythme qui lui est propre. C’est d’autant plus vrai pour les personnes handicapées mentales.

Pour un parent comme pour un professionnel, miser sur les compétences d’une personne handicapée mentale, lui faire confiance tout en acceptant une prise de risque, est une démarche parfois difficile. Le protectionnisme naturel est amplifié par le handicap et par sa nature. Pourtant, vivre prudemment, sans prendre de risque, c’est risquer de ne pas vivre. Un risque pris menant au succès augmente la confiance en soi. Les éducateurs contribuent à ce que la personne possède le maximum de chances pour réussir les évolutions et puisse tirer profit de ses réussites. Il n’est pas question de faire "à la place", mais de faire avec la personne concernée. Pour la famille, un long parcours de reconstruction a déjà été effectué pour reprendre confiance, redéfinir un projet de vie, oublier les attentes, les projets de départ. Mais également s’autoriser à laisser grandir son enfant, l’accompagner au mieux en fonction de ses possibilités. Un enjeu que la famille partage avec la famille élargie et le voisinage, les institutions et les services, ces derniers pouvant l’aider à reprendre confiance en elle-même et en l’adulte. Comment ? En l’encourageant à changer le regard qu’elle porte sur lui - et sur elle - pour oser à nouveau se projeter dans l’avenir.

Les changements, les progrès, génèrent une prise de conscience pour l’intéressé et son environnement. Il en découle des acquisitions de compétences, auxquelles l’entourage doit s’adapter pour ne pas freiner les progrès. Nous sommes là au carrefour de la demande paradoxale : aider au changement sans rien changer qui puisse déranger. Pour éviter cela, il me semble que la triangulation famille-usagers-services est une réponse. Cela peut favoriser les échanges à propos de l’environnement de la personne. Mais cela peut également aider les parents à formuler ce qu’ils n’auraient pas réussi à faire, ce qui leur donne parfois le sentiment d’être disqualifiés par rapport à l’offre et à la réussite institutionnelle. Car il faut souligner que chacun prend sa part de risque. La famille, celui de faire confiance à l’institution et de respecter ses engagements :

TABLE RONDE : L’AUTOMATISATION DES JEUNES ET ACTIONS DE L’ENVIRONNEMENT

Page 38: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P38

présence, horaires, tenue, projet. L’institution, celui de faire confiance à la famille et à l’intéressé, pour le faire progresser harmonieusement. Enfin, l’intéressé, qui accepte des propositions et une démarche de progrès pour, un jour, prendre son autonomie si cela devient possible.

Durant ces années de présidence, j’ai beaucoup visité les ateliers de travail d’ESAT. Et j’ai observé des personnes ne sachant ni lire ni écrire, ayant de grandes difficultés d’élocution, qui étaient cependant capables de gérer des machines à commande numérique à longueur de journée sans se tromper. Elles ont cette capacité à nous surprendre, à enregistrer, et à ne pas se disperser. Il faut juste avoir la volonté et l’audace de prendre le risque de leur faire confiance. Lorsque je visitais un établissement, les personnes qui travaillaient dans les ateliers venaient me voir, voulaient échanger avec moi. Elles voulaient me dire ce qu’elles faisaient. Certaines de ces personnes avaient la capacité de le faire, d’autres s’exprimaient par des signes que je ne comprenais pas forcément, mais le moniteur arrivait et m’aidait. Ces personnes voulaient montrer ce qu’elles étaient capables de faire. Et leur rayonnement a été pour moi édifiant.

Durant des années, de nombreux parents ont demandé à me rencontrer. Je n’ai retenu qu’un seul rendez-vous négatif : une seule famille m’a exprimé son désaccord sur l’autonomie que l’établissement laissait à son fils de 30 ans, et tout particulièrement à propos de sa vie affective et sexuelle. Autre débat. Ce jour-là, j’ai apprécié d’avoir proposé à l’association de travailler sur un référentiel "Vie affective et sexuelle", ce qui m’a permis de pouvoir malgré tout maîtriser la situation vis-à-vis de ces parents, puisque les professionnels n’avaient fait que s’en tenir à ce référentiel.

Depuis plus d’un demi-siècle, l’UNAPEI a toujours eu en son sein l’esprit d’innovation, de création. Simple exemple de taille : le concept du CAT a été imaginé au sein de l’ADAPEI par un parent et un professionnel, à Carcassonne. Et l’on sait aujourd’hui combien, grâce à ces structures, l’accès au travail a été générateur d’autonomie. Le bonheur pour une personne différente, c’est de se rendre compte qu’elle est considérée.

L’UNAPEI est gênée d’entendre dire que les parents sont un frein à l’autonomie de l’enfant quel que soit son âge. Ils sont en demande de toujours plus d’initiatives pour développer au maximum le potentiel de leurs jeunes. D’ailleurs, l’association "Nous aussi", créée par l’UNAPEI, animée, gérée et présidée par des personnes handicapées, témoigne de leur capacité à transmettre leurs souhaits, leur ressenti, en faisant remarquer qu’elles sont conscientes de leurs limites. Elles sont le symbole de l’éducation spécialisée

et s’expriment par la voie de leur président : on fait trop souvent sans nous, pour nous.

En conclusion, n’ayons pas peur, forçons le destin, cultivons le goût du risque, comme les grands sportifs. Ayons toujours le souci d’associer les personnes concernées, et en retour, elles continueront à nous surprendre.

Cyril Coulet.- Merci beaucoup.

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

Page 39: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P39

SÉQUENCE 3 TABLE RONDE 2

Patricia SchererChargée des relations

européennes et internationales, FEGAPEI, France

Christian GrapinDirecteur, Tremplin, France

Norbert BriantChargé de mission de

coordination, CREAI-SARAH, France

Pierre HoerterPrésident, la Main Verte, France

Karemba DarameJeune en situation de handicap

Emmanuel RonotDirecteur territorial Grand Est,

L’ADAPT, France

Page 40: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P40

Anne Thévenet.- Sans plus tarder, je vais demander à Monsieur Emmanuel Ronot, directeur territorial de L’ADAPT/Grand Est de rejoindre la tribune. Après avoir évoqué les questions d’autonomisation, notre deuxième table ronde va porter sur les questions de formation et d’accompagnement. Nous découvrirons pour cela différentes approches, ainsi que des témoignages.

Emmanuel Ronot.- Bonjour à tous. Nous allons accueillir Pierre Hoerter, qui a créé un modèle économique original à Strasbourg et en Alsace. Il va nous expliquer les besoins en termes de formation des personnes en situation de handicap qu’il a accompagnées. Nous allons aussi accueillir Monsieur Briant, qui est à l’origine de la création du réseau Sarah, Monsieur Grapin de Tremplin France, puis nous terminerons avec l’intervention de Patricia Scherer. Nous allons commencer avec Karemba Darame. Bonjour, Karemba : on vous connaît car vous étiez dans les petits films de L’ADAPT sur les jeunes l’année dernière. Quel âge avez-vous ?

Karemba Darame.- J’ai 21 ans.

Emmanuel Ronot.- On a souhaité vous associer à cette table ronde pour que vous nous expliquiez où vous en êtes actuellement. Quelle formation avez-vous suivie ?

Karemba Darame.- Un baccalauréat professionnel sys-tèmes électroniques numériques, dans un lycée public. Cette formation dure trois ans. Depuis que j’ai obtenu mon bacca-lauréat, je suis à la recherche d’une entreprise pour suivre une formation en alternance. Il s’agit d’une formation qui n’est pas reconnue par l'Éducation nationale ; un diplôme équivalent à un BTS. Son intitulé est "technicien supérieur en maintenance informatique et réseaux".

Emmanuel Ronot.- Pourquoi avoir choisi une formation en alternance ? Pourquoi est-ce important pour vous qu’elle soit en alternance ?

Karemba Darame.- Parce qu’il y a une partie de l’appren-tissage - la théorie - qui se passe à l’école. Et l’autre par-tie, qui correspond à la pratique, se passe en entreprise, en atelier : on apprend un peu plus le métier. Cela nous permet aussi de nous familiariser avec l’entreprise et de rentrer plus facilement dans le monde du travail à la sortie des études.

Emmanuel Ronot.- Qu’est-ce que vous voulez faire plus tard comme métier ?

Karemba Darame.- Travailler dans la maintenance infor-matique et les réseaux, tout ce qui est parc informatique.

Emmanuel Ronot.- S’il y a des employeurs ici, n’hésitez

pas à vous manifester directement auprès de Karemba. Merci, Karemba.

Karemba Darame.- Merci à vous.

Emmanuel Ronot.- Pierre, quand je vous ai rencontré la première fois, vous m’avez parlé d’une logique économique inversée. Est-ce que vous pouvez en dire un peu plus ?

Pierre Hoerter.- Je ne sais pas trop si c’est une logique économique inversée, c’est en tout cas une réflexion en matière de formation qui, elle, est inversée. La Main Verte, que je préside et qui va fêter dans quelques jours ses vingt ans d’existence, est une association composée d’agriculteurs et d’associations ou de personnes qui ont pour vocation de soutenir les personnes en situation de handicap.

Cette association est née il y a vingt ans en s’inscrivant dans la logique d’un besoin économique sur un territoire. Cette logique économique était la suivante : il existait de gros besoins de main-d’œuvre entre autres dans la viticulture, l’agriculture et le maraîchage. Or, ces besoins de main-d’œuvre ne trouvaient pas de solution pérenne. Les quelques agriculteurs que nous étions ont essayé de trouver des salariés notamment par le biais de groupements d’employeurs. Mais les travaux saisonniers qui se succédaient, même transformés en CDI, n’attiraient pas nécessairement les foules. Et malgré un travail extraordinaire effectué par l’agence pour l’emploi, nous n’avons pas trouvé de salariés prêts à rentrer dans nos domaines d’activité. Il faut préciser que les demandeurs d’emploi trouvaient très facilement du travail, à l’époque, sur notre territoire, dans les secteurs de l’industrie et du tertiaire.

À force de chercher, nous avons fait une rencontre absolument fantastique avec une association de parents d’enfants handicapés : l’ADAPEI du Bas-Rhin, qui avait le projet titanesque de sortir une cinquantaine de personnes de leur CAT d’alors pour aller vers le milieu ordinaire. Nous avons croisé ce projet avec des associations spécialisées dans l’ingénierie de projets socioprofessionnels. Nous avons mis en perspective cette double demande : d’un côté des besoins de main-d’œuvre et de l’autre, des besoins et une envie d’aller vers le milieu ordinaire pour les travailleurs handicapés, de partager la vie de tout le monde. Nous avons aussi cherché des lycées agricoles, prêts à s’inscrire dans notre démarche. Or, à l’époque, l’inclusion n’était pas du tout une évidence. Il y a vingt ans, le directeur qui a accepté ce schéma-là n’était pas nécessairement considéré par ses confrères comme étant tout à fait sain d’esprit. Je tiens à le dire. Mais le pari a réussi, nous avons créé un conseil d'administration pour faire aboutir le projet. Et ce conseil d'administration est toujours constitué des

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Page 41: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P41

mêmes composantes : celle de la formation, celle du besoin économique et celle du soutien aux personnes en situation de handicap.

J’entendais tout à l’heure Monsieur Gallard nous parler du triangle. On est aussi dans une situation de triangulation : un triangle tout à fait équilatéral avec au centre la personne en situation de handicap, ce qui nous paraît essentiel pour son équilibre. Au début, peut-être a-t-on essayé de répondre à un besoin sur le territoire, mais on s’est rendu compte que les personnes qu’on avait embauchées commençaient à s’ennuyer au bout de 2 ou 3 ans. Il n’y avait pas de raison que l’ennui les concerne moins que d’autres travailleurs de l’agriculture. Résultat, on a été forcé, dans la gouvernance, de proposer des formations complémentaires tout au long de l’année agricole. Au début, ces formations complémentaires étaient tout à fait professionnalisantes. Mais quelques années plus tard, nous avons eu une prise de conscience, on s’est dit : "effectivement, la reconnaissance professionnelle de l’individu est importante, mais avec tous les progrès que nos bénéficiaires et salariés ont pu faire, peut-être faudrait-il tenter le pari de la reconnaissance sociale". C’est-à-dire les inscrire dans une nouvelle dynamique : alors qu’ils étaient illettrés pour la plupart et qu’ils avaient de gros problèmes d’apprentissage, peut-être le moment était-il venu de tenter les premiers niveaux de diplômes existants, à savoir le CAP et le CQP.

À partir de là, on s’est rendu compte que certains d’entre eux avaient les compétences et les capacités qui permettent de rentrer dans ces diplômes, de les passer, de les valider. D’autres avaient les capacités de les valider, mais la forme de l’examen n’était pas adaptée. Nous avons alors réfléchi avec le ministère de l’Agriculture à une autre forme de validation de capacités. L’idée était de viser le droit commun, c’est-à-dire que le CAP et le CQP ne soient pas à un niveau d’exigences moindre parce que ce sont des personnes qui sont au départ en situation d’illettrisme. C’était notre idée, on l’a présenté à la direction générale de l’enseignement et de la recherche. Et aujourd’hui, même si cela reste quelque peu expérimental, il y a la possibilité de passer un CAP qu’on appelle CAPA Entreprise, pour lequel l’entreprise joue un rôle important, notamment dans la formation et dans l’acquisition des compétences.

Cela repose sur une alternance très importante, puisque il n’y a que cinquante journées qui se passent en centre sur deux années de scolarité pour passer le CAP. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte qu’il existait des situations significatives. Des chercheurs se penchent encore aujourd’hui sur le sujet, ce qui permet de valider un grand nombre de capacités tout en étant sur le lieu de travail. En effet, dorénavant, les chercheurs relient ces capacités à une compétence existante. Et je suis aujourd’hui certain

que d’autres entreprises pratiquent cela et ont droit au même label que nous : un label d’entreprise apprenante.

Emmanuel Ronot.- Très bien, Pierre. Merci. Je vais passer la parole à Norbert, qui va nous expliquer ce qu’est le réseau Sarah.

Norbert Briant.- Sarah, c’est le service d’accompagnement régional des apprentis handicapés. On trouve cela plus joli qu’un autre sigle et c’est plus facile à mémoriser. Par ailleurs, c’est moins stigmatisant pour les adolescents d’aller à une séance Sarah que d’aller quelque part où le mot "handicap" apparaît clairement. J’ai beaucoup aimé le passage sur la construction identitaire, car on travaille avec des adolescents qui développent leur autonomie. Or, il y a des mots que je n’aime pas beaucoup. On juge, on catégorise, on classe, et on ne met pas forcément les mêmes choses derrière les mêmes mots. Je préfère qu’on explicite.

Sarah est né d’une volonté conjointe de l’AGEFIPH - organisme mutualisateur, qui récupère les fonds des entreprises qui n’ont pas leur quota de travailleurs handicapés - et de la région Alsace, car l’Alsace est traditionnellement une terre d’apprentissage, ce qui est peut-être lié aussi à la proximité avec l’Allemagne. C’est aussi une terre de PME, d’artisans… D’ailleurs l’apprentissage marche encore assez bien en Alsace malgré la crise. L’objectif était donc de développer l’apprentissage chez les jeunes en situation de handicap, car ce qui freine l’accès à l’emploi, la surreprésentation dans le chômage, c’est la sous-qualification plus que le handicap. Cela a été souvent soulevé. Il existe quasiment tous les modes de compensation possibles pour tous les handicaps possibles, mais sans formation et face aux demandes des entreprises, on ne peut pas compenser la sous-qualification.

Cela fait dix ans que nous travaillons. Notre mission est triple. Nous sommes toujours dans ce système de triangulation. C’est-à-dire qu’on va intervenir aussi bien auprès du jeune que de sa famille, par rapport au projet du jeune, de sa faisabilité et des débouchés professionnels. On n’oublie pas que même formée, une personne handicapée reste une personne handicapée, et elle trouvera difficilement du travail dans une crèche par exemple. On tient compte aussi des capacités du jeune, des limitations liées au handicap ou des besoins en compensation… Une fois que l’on a vérifié que tout cela était possible - à la faveur d’un travail en réseau avec des partenaires compétents - nous essayons de créer autour du jeune un petit réseau. Il s’agit d’identifier quelques personnes ressources, les bons professionnels pour intervenir par exemple sur le plan pédagogique. Dans ce cadre, on a mis en place des référents dans les centres de formation d’Alsace, que l’on appelle référents Sarah, ce qui est plus "cool" que référents handicap… Ce sont des enseignants, des chargés de vie scolaire, des

TABLE RONDE : DES BONNES PRATIQUES EN MATIÈRE DE FORMATION ET ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES EN SITUATION DE HANDICAP VERS L’EMPLOI.

Page 42: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P42

directeurs adjoints, qui travaillent sur la base du volontariat. Ils doivent servir de courroie de transmission entre eux et nous. On évalue ensemble les besoins des jeunes en termes de compensation. Et on leur transmet les informations nécessaires avec l’accord du jeune et de la famille par rapport au handicap, aux prises de risque, aux bonnes pratiques. Je pense par exemple aux crises d’épilepsie qui sont souvent un frein par rapport à un centre de formation ou à un employeur.

Ainsi, on accompagne le jeune, la famille, le centre de formation, mais aussi l’entreprise. Nous avons des chargés d’intégration en entreprise qui multiplient les visites en entreprise et aident les tuteurs à s’adapter aux difficultés du jeune. On leur donne les informations nécessaires pour une meilleure prise en charge et pour dédramatiser le handicap, dissiper les représentations par rapport aux capacités.

Nous sommes sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, puisqu’on a un contrat de travail, on a une responsabilité. Ils en sont totalement conscients, c’est leur projet, ils se le sont appropriés. On vérifie d’ailleurs que le projet soit bien le leur et non pas celui des parent. On me l’a dit hier, et c’est juste : on est un outil au service des personnes. Et ces personnes vont nous utiliser en fonction de leurs capacités, de leur autonomie, de leurs demandes. On peut aussi intervenir sur les postes de travail, sur les aides humaines et techniques à mettre en place. Au niveau des acteurs économiques, on a des partenariats assez forts avec les chambres consulaires, avec la chambre d’agriculture, avec les syndicats professionnels, avec les grosses entreprises qui ont aussi des missions handicap ou des missions diversité, qui commencent à connaître notre service et nous adressent leur demande directement.

On fait donc du travail de dentelle. On a une mission principale, qui est l’accompagnement, mais celui-ci va être différent en fonction de chaque problématique, du parcours antérieur du jeune, de sa situation sociale, de sa situation géographique, de sa capacité à bouger. On intervient aussi pour le permis de conduire. On a mis en place des actions spécifiques pour les jeunes en situation de handicap. Il y a beaucoup de choses qui se font.

Nos taux de réussite ne sont pas mauvais : à peu près 80% quel que soit le niveau d’examen. En termes de niveaux d’études - V, CAP, BEP, etc. - on a une représentation équivalente aux autres apprentis. On commence à avoir des licences professionnelles ou des masters, notamment avec les missions handicap des universités, dont je regrette qu’elles ne soient pas là aujourd’hui.Et on a un taux d’insertion qui n’est pas mauvais. Ce qui est frustrant, c’est que les opérateurs d’insertion, ce n’est pas nous. On connaît les taux au niveau de l’apprentissage,

mais on ne sait pas quel est le devenir des jeunes puisqu’il y a d’autres acteurs, financés également par l’AGEFIPH. En effet, on perd les jeunes de vue excepté quand ils reviennent nous voir ou quand ils passent par la mission locale notamment parce qu’ils sont en galère. Il y en a qui ont maintenant atteint 30 ans et qui n’ont jamais réussi à atteindre un emploi pérenne. On se demande : les former, mais pourquoi ? Il y a un accompagnement spécifique aussi pour l’emploi durable, même s’il existe encore un manque à ce niveau-là : les services de Cap emploi n’ont pas la capacité d’intervention et de réactivité, ils n’ont pas la capacité de le faire. Cela nécessiterait une réflexion particulière par rapport à un accompagnement durable pour pérenniser l’emploi.

Emmanuel Ronot.- Sarah est-il présent partout sur le territoire national ?

Norbert Briant.- Non. La création de Sarah remonte un peu avant la loi du 11 février 2005, qui était largement en chantier. Et on a choisi de rentrer totalement dans l’esprit de la loi en nous consacrant à l’accès au droit et à la sortie du milieu protégé, à l’inclusion scolaire, etc. C’est-à-dire adapter l’environnement aux personnes handicapées et pas l’inverse. C’est pour cela que l’on a créé un service un peu différent de ce qui se faisait ailleurs, où il y avait des poursuites de filière, avec des classes pour handicapés dans les CFA.

On a fait le choix de mettre les jeunes en situation de formation comme n’importe quel autre apprenti, et de leur apporter les adaptations dont ils ont besoin. Ces adaptations concernent notamment le soutien scolaire, qui représente 80 % de nos interventions, mais également la sensibilisation, l’accompagnement en entreprise, etc. Il y a d’autres services équivalents aux nôtres : les Sacah, c’est moins joli... Et les autres dispositifs qui relèvent plus du CFA spécialisé. Mais il est vrai qu’on est parmi les derniers nés de ces dispositifs. Il y a un site du 2APH, avec un annuaire de tous les services qui organisent l’accompagnement des apprentis handicapés en France.

Emmanuel Ronot.- Merci, Norbert Briant. On va passer la parole à Christian Grapin, qui va nous présenter Tremplin.

Christian Grapin.- Merci de nouveau à L’ADAPT d’avoir convié Tremplin à cette jolie conférence de clôture. Monsieur Briant, si j’utilise des mots qui ne vous conviennent pas, faites-moi la liste et donnez-moi la copie à la fin, j’essaierai de me corriger !

Ce matin, Evelyne Gebhardt disait : "il ne suffit pas d’établir des lois, il faut agir pour les réaliser". C’est ainsi que Tremplin est né. En France, il y a eu la première loi d’obligation d’emploi des personnes handicapées en 1987, et des

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Page 43: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P43

entreprises voulant la mettre en œuvre se sont heurtées au problème de la qualification. Ces entreprises étaient quatre. Elles se sont regroupées et ont créé leur propre association. C’est Tremplin : une association loi 1901 à but non lucratif et sans aucune activité marchande.

Nous nous adressons à des lycéens et à des jeunes. Nous sommes bien en amont de l’insertion professionnelle. C’est ce qu’ont compris les entreprises, en disant : "il faut s’intéresser aujourd’hui aux jeunes que nous intégrerons non pas demain, non pas après-demain, mais après-après-demain". L’objectif des entreprises par rapport à ces jeunes était d’une part de contribuer au développement du niveau de leur qualification, et d’autre part, dans le même temps, de contribuer au développement de leur expérience professionnelle. Et le tout était inscrit dans une dynamique inclusive entre le monde des études et le monde des entreprises.

Ce matin aussi, Anna Ludwinek remarquait une certaine réticence des employeurs qui ne souhaitent pas donner leur chance aux personnes handicapées. Eh bien Tremplin, c’est plus de 200 entreprises, et manifestement, si elles sont chez Tremplin, c’est qu’elles souhaitent donner leur chance aux jeunes que l’on accompagne. Elles ne sont pas contraintes. Mais cela ne veut pas dire que c’est facile et qu’elles y arrivent. Mais elles sont plus de 200. Initialement, c’était des grandes entreprises, mais aujourd’hui, ce sont aussi des PME. On sait que les PME n’ont pas toujours la capacité qu’ont les grandes à œuvrer dans le champ du handicap. Quand on est une association, il est légitime de se tourner aussi vers les entreprises qui ont moins de moyens ou de capacités humaines ou financières pour intervenir.

Qu’est-ce que Tremplin ? C’est une interface qui agit entre deux univers, celui des jeunes en situation de handicap et celui du monde de l’entreprise. Entre parenthèses, il me semble important de dire "des jeunes en situation de handicap", dans cet ordre-là. Car ils sont d’abord jeunes, comme tous les jeunes, et donc confrontés aux mêmes difficultés d’orientation, d’études, de contact avec les entreprises, et le handicap s’ajoute à leur situation. On ne veut pas vraiment être un pont entre ces deux mondes. Parce que quand on est un pont, cela veut dire que la valeur ajoutée existe justement parce que les rives sont éloignées. Le pont a toute son utilité dans ce cas, plus les rives sont éloignées. Mais ce n’est pas ce qu’on veut être. Nous, on veut rapprocher les rives pour qu’ils puissent ensuite, en l’absence de Tremplin, passer d’une rive à l’autre très facilement. Ce n’est pas gagné, mais en tout cas, c’est la volonté que nous avons.

Pour rapprocher ces rives, comment travaillons-nous ? C’est simple : nous développons des actions qui sont nos outils. Nous aussi, nous ne sommes qu’un outil, à vrai dire. Mais ce

sont des actions d’inclusion réciproque. En effet, nous avons deux publics : les jeunes handicapés que l’on accompagne, et le public des entreprises. Donc nous cherchons à ce que le jeune inclue le monde du travail dans son devenir, mais aussi à ce que l’entreprise inclue le handicap dans son devenir. Voilà pourquoi, à travers chaque action, il y a le recto et il y a le verso. Il y a ce qu’apporte l’action : le stage, le job d’été, l’apprentissage, mais aussi les CDD. On va ainsi jusqu’au premier emploi. Et donc à chaque fois, l’action va être utile tant au jeune qu’à l’entreprise.

Comment aborde-t-on cette action-là ? D’abord, on définit un projet. Mais attention, on a d’abord affaire à un jeune, et on voit le jeune avant de voir sa déficience. On voit ses potentiels avant de voir ses limites. Et puis surtout, on voit ses aspirations avant de voir ses freins. En gros, on ne cherche surtout pas à le réduire à son handicap. Et c’est la démarche aussi que nous avons vis-à-vis de nos entreprises : qu’elles ne réduisent pas ce jeune à son handicap. A partir du projet, on élabore une action, que l’on propose à nos entreprises, car il faut accompagner l’entreprise dans la compréhension de l’action. Lorsqu’une entreprise accueille le jeune, on aide à son accueil. Mais évidemment, c’est dans le quotidien de l’accueil que tout va se jouer. Nous n’abandonnons ni l’entreprise ni le jeune. Nous faisons un suivi pendant toute la période d’accueil du jeune, même si c’est un contrat en alternance de deux ans. Puis on fait un bilan, qui sert au jeune, mais aussi à l’entreprise que l’on accompagne. L’entreprise, ce sont les hommes et les femmes qui vont ouvrir leurs services, leurs activités. Et une fois que c’est fini, on avance, on passe à l’étape suivante : quel est le projet du jeune ? C’est bien pour cela que l’on parle du jeune en devenir.

Le jeune est considéré dans sa globalité, il est reçu, suivi individuellement, on parle de son projet d’étude, de son projet professionnel et de son handicap. On a d’autres événements, auxquels Karemba a participé, et auxquels il participera encore : vous allez vous immerger en entreprise cinq jours de suite… J’encourage cette immersion réciproque. Cinq entreprises vont ouvrir leurs portes à Karemba et il faut aussi les accompagner.

Chez Tremplin, nous suivons les jeunes. 15% d’entre eux préparent un Bac, technique ou professionnel, 25%, un Bac + 2, 30% un Bac + 3, 30% un Bac + 4 ou + 5. 15% des jeunes qui préparent un Bac + 4 ou + 5 sont venus chez Tremplin au niveau du Bac. C’est notre travail : permettre à un jeune d’avancer dans son parcours de formation. On m’a demandé de parler aussi de notre engagement européen. Serge Ebersold nous a contactés et nous avons participé à un projet Leonardo sur la transition vers l’emploi. L’idée était de concevoir et d’expérimenter une méthodologie pour l’ensemble des universités et des étudiants handicapés

TABLE RONDE : DES BONNES PRATIQUES EN MATIÈRE DE FORMATION ET ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES EN SITUATION DE HANDICAP VERS L’EMPLOI.

Page 44: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P44

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

dans l'Union européenne, dans le but de les accompagner dans leur dernière année d’études. L’INSHEA a fait appel à nous pour ce versant très opérationnel : la mobilisation des entreprises pour accompagner les jeunes. Le projet était un transfert d’innovation, qui partait de l’université d’Aarhus, dans une démarche de co-construction entre universités, étudiants et entreprises. Il fallait surtout l’adapter à chaque pays. Car au niveau du handicap, on sait qu’il y a beaucoup de différences entre tous les pays européens.

Il y avait une multitude d’acteurs, entre autres - et c’est une nouveauté - les entreprises que l’INSHEA et nous-mêmes avons mobilisées. L’idée était de concevoir cette transition vers l’emploi avec trois acteurs majeurs : les étudiants handicapés, les référents professionnels qui étaient chez les employeurs privés ou publics, et les chargés d’accueil d’universités. Toute une série d’outils a été constituée. Je vous renvoie sur le site de l’INSHEA où ils apparaissent. Il s’agit d’un guide d’évaluation, de formations, d’un guide d’accompagnement, d’une charte d’engagement, d’entretiens - un référent professionnel recevait au moins quatre fois l’étudiant dans son parcours - et enfin, une feuille de route. J’ai terminé. Merci beaucoup.

Emmanuel Ronot.- Merci. Avant de passer la parole à Patricia, Karemba voulait dire un mot à propos de Tremplin…

Karemba Darame.- Je suis également suivi par Tremplin. Cela m’a beaucoup aidé pour aller vers ces entreprises, vu que le suivi du jeune et des entreprises se passe du début à la fin. Cela aide donc beaucoup les jeunes. Les entreprises aussi sont plus réceptives, elles accueillent les jeunes avec plus de compréhension, ce qui permet d’en tirer de très grands profits. C’est une très bonne association, qui fonctionne bien. Et puis comme Christian Grapin l’a expliqué, je bénéficie actuellement de l’opération "Un Jour Un Métier". J’ai vu déjà trois entreprises, et j’en ai deux autres à voir dans les semaines à venir.

Emmanuel Ronot.- Merci. Je pense que cela met en image le discours de Christian. Je vais passer maintenant la parole à Patricia Scherer, qui va se présenter et présenter aussi sa fonction, qui est originale. Ce n’est pas partout que l’on a la chance d’avoir une chargée des relations européennes et internationales.

Patricia Scherer.- Je travaille pour la FEGAPEI ici en France. Il s’agit d’un travail assez peu habituel. Le président de mon organisme et le conseil d'administration ont reconnu le fait qu’en France, nous devons tous échanger sur nos pratiques. Mon travail est de rechercher des exemples de bonnes pratiques ailleurs, dans d’autres pays, afin que nos membres puissent voir ce qui se passe au-delà des frontières de la France. L’objectif est de contribuer à l’amélioration des

services proposés aux personnes en situation de handicap en France. De plus, ses partenaires ont fait preuve d’un grand courage en employant une femme allemande qui parle plus facilement l’anglais que le français… Le projet Leonard da Vinci remonte à 2011 et s’est terminé en 2013, cet été. Il s’agissait d’améliorer la mobilité des personnes avec des problèmes d’apprentissage afin de les rendre plus employables. Nous avons travaillé avec plusieurs associations dans plusieurs pays. Le projet portait sur la restauration, avec surtout des commis de cuisine et des commis de salle. Au lieu de monopoliser la parole, je préfère vous montrer un petit film, et je vous demanderai tout à l’heure ce que vous pensez du projet. Merci.

Film

Patricia Scherer.- Sur le lieu d’apprentissage, les personnes en situation de handicap ont pu connaître un contexte différent de celui de leur pays. Elles ont passé deux semaines dans les pays respectifs. A la fin de ce projet, nous leur avons demandé de nous raconter ce qu’elles avaient appris en termes d’apprentissage. On a alors constaté que ce sont surtout les compétences sociales qui se sont améliorées : la communication, l’adaptation à de nouvelles circonstances. Il s’agit beaucoup moins de compétences techniques : connaissance de l’hygiène, découpe de carottes, etc.

Nous avons demandé aux moniteurs quelles étaient leurs évaluations de l’amélioration des compétences, et ce sont là encore les compétences sociales, les compétences dites "soft", qui ont été citées. Dans le cadre de ce projet, nous avons pu aussi nous entretenir avec les employeurs sur le marché de l’emploi dans le secteur de la restauration, et nous avons constaté que ces compétences "soft", transférables, sont essentielles. Nous avons donc demandé une petite rallonge de subvention européenne afin de monter un projet pour améliorer les compétences soft de ces jeunes, qui sont nécessaires à la fois pour maintenir et garder son poste, et pour travailler.

Nous avons trouvé des partenaires très fiables. Il s’agit de mettre en place des projets pilotes pour ces personnes avec des difficultés d’apprentissage, en ce qui concerne ces compétences soft. Merci de nous avoir donné l’occasion de présenter nos projets.

Emmanuel Ronot.- Nous avons tenu nos temps, donc merci à vous !

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

Page 45: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P45

SÉQUENCE 3

Manuèle MassetDirectrice adjointe, L’ADAPT/Essonne, France

Jacques PerrierGroupe La Poste, France

Valérie PaparelleDirectrice générale adjointe, L’ADAPT, France

Stéphanie le DornerResponsable diversité et égalité

des chances, Malakoff Médéric, France

Fernando Bellver SilvanAssociation Européenne de l’emploi

accompagné (EUSE), Espagne

Stéphane Forgeron Club des jeunes cadres handicapés,

L’ADAPT, France

TABLE RONDE 3

Page 46: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P46

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Anne Thévenet.- Merci à tous. Monsieur Briand a donné dans son intervention la transition parfaite : "se former, oui, et après ?". Après, c’est l’intégration en entreprise, à savoir le thème de cette dernière table ronde de la journée, animée par Valérie Paparelle, directrice générale adjointe de L’ADAPT. J’invite les intervenants à nous rejoindre.

Valérie Paparelle.- Pendant que nos invités s’installent, je vais présenter la thématique de notre table ronde. On ne pouvait pas parler des jeunes et de l’accès à l’emploi, c’est-à-dire de parcours école, apprentissages et formation professionnelle, sans parler aussi du rôle prépondérant de l’entreprise dans leur parcours et leur évolution de carrière. Merci de m’avoir rejoint : Jacques Perrier, directeur délégué La Poste, Stéphanie Le Dorner, responsable diversité à Malakoff Médéric, Manuelle Masset, directrice adjointe de la plateforme d’insertion de L’ADAPT en Essonne, Stéphane Forgeron, administrateur de L’ADAPT et président du club des jeunes cadres handicapés, et Fernando Bellver Silvan, de l’Association européenne de l’emploi accompagné. J’aimerais maintenant donner la parole à Jacques Perrier. Quelles sont les clés, pour vous, d’une intégration réussie ?

Jacques Perrier.- Il n’y a pas de secret particulier. J’ai identifié deux clés. La première : il faut simplement que le salarié standard, c’est-à-dire qui n’est pas handicapé, côtoie les travailleurs handicapés pour contrer les stéréotypes. On a travaillé là-dessus à La Poste. On a fait des analyses sur les préjugés, pas seulement sur le handicap mais sur tout ce qui relève de la diversité. Ce n’est pas grave d’avoir des préjugés, mais ce qu’il faut surtout, c’est les combattre. Or, on voit que quand une personne handicapée est dans une équipe, c’est d’abord un collègue. La première règle est donc de travailler ensemble. En langage politique, on parlerait de vivre-ensemble, mais là, c’est le "travailler ensemble". On se rend compte que le collègue handicapé est un collègue comme les autres. Au travers du travail, des liens se tissent et l’intégration se fait facilement. À l’occasion de la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, on a accueilli des stagiaires. Nos propres employés, un collègue comme les autres. La première clé est donc que valides et personnes handicapées se côtoient. Cela permet de lever les appréhensions.

La deuxième chose, la deuxième clé, c’est le travail en équipe. Il est très important que le travailleur handicapé soit accueilli par une équipe. Nous lançons d’ailleurs depuis plusieurs années un challenge au sein de La Poste - Handifférence - à l’ouverture de la Semaine de l’emploi des personnes handicapées. Ce trophée récompense des équipes qui ont mis en place des actions permettant d’intégrer un travailleur handicapé. L’an dernier, le prix a été décerné à un service dans lequel il y avait un travailleur malentendant. Ils ont simplement eu l’idée de déplacer leurs

bureaux de façon à faire face à ce travailleur malentendant pour qu’il puisse lire sur leurs lèvres. Par une organisation toute simple, ils avaient simplifié les relations avec ce collègue.

Voilà en résumé, pour moi, les deux clés de l’intégration réussie : que les gens se côtoient pour lever les appréhen-sions, et que le travail d’équipe permette d’intégrer le tra-vailleur handicapé.

Valérie Paparelle.- Stéphanie Le Dorner, quelle est votre appréciation sur cet aspect : dépasser les stéréotypes et les préjugés ?

Stéphanie Le Dorner.- Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire. J’ajoute qu’il faut une vraie volonté de la part de la direction de l’entreprise pour être en capacité d’intégrer des personnes en situation de handicap. Cela implique de donner des clés aux managers, souvent démunis compte tenu de la méconnaissance du handicap, pour intégrer au mieux dans leurs équipes un collaborateur.

Voici l’exemple d’un projet sur les moyens d’insérer des jeunes personnes autistes, ayant une trisomie ou atteintes de trouble du comportement à Malakoff. On a mis en place un partenariat avec la Fondation d’Auteuil, qui intègre au sein de sa structure une classe de jeunes adultes déficients intellectuels et les accompagne jusqu’à l’âge de 21 ou 22 ans, jusqu’à une intégration complète au sein d’une entreprise du milieu ordinaire ou protégé.

On fait fonctionner ce partenariat à deux niveaux. Le premier, ce sont des experts Malakoff Médéric qui se rendent régulièrement dans cette classe pour apporter aux jeunes leur expérience de l’entreprise. Ils ont donc un échange sur : comment on construit son CV ? Comment on tient un entretien de recrutement ? Qu’est-ce qu’un contrat de travail ? Quels sont les codes de l’entreprise (les tenues, le comportement à la cantine…) ? On envoie donc régulièrement des collaborateurs Malakoff Médéric pour avoir un échange avec ces jeunes et leur donner des clés de compréhension du monde de l’entreprise. Puis on les accueille chez nous, d’abord pour des périodes de découverte d’une à deux semaines. Parfois, cela ne se passe pas bien. Certains jeunes ont un projet dont on se rend compte qu’il ne leur correspond pas. Notre rôle est donc aussi de dire que, de notre point de vue d’employeur, il faut peut-être revoir le projet professionnel. A l’inverse, pour certains, cela se passe très bien. Si au bout de quinze jours, le partenariat fonctionne, les jeunes restent en alternance pendant un an à deux ans. Et si des postes s’ouvrent, dans le cadre de ce partenariat, une embauche se fait. Il y en a eu deux : deux personnes autistes, en CDI, dont la dernière a signé en septembre.

Page 47: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P47

Ce partenariat prend du temps, nous devons donc nous appuyer sur des partenaires. Nous avons un réseau de tuteurs volontaires, qui continuent à accompagner ces jeunes sur leurs projets professionnels. Nous, entreprise, nous avons besoin de structures extérieures qui accompagnent les jeunes, soit la Fondation d’Auteuil, soit les éducateurs qui suivent les jeunes à l’extérieur de nos structures. Au début de la mise en place du projet, on se voit une fois par semaine pour faire un point sur ce qu’il faut travailler. Par exemple, nous avons reçu deux jeunes adultes en même temps. Or, à la cantine, ils se sont un peu laissé aller à leurs envies "théâtrales". Et on leur a expliqué qu’on était dans le monde de l’entreprise, et que même si c’était un moment de détente, il y avait des codes qui ne permettaient pas forcément d’avoir ces comportements. Les accompagnateurs nous ont suivis pendant deux ans, pour la première intégration. Et pour celui qu’on vient d’intégrer depuis septembre, on continue. Il est important en effet de sécuriser le dispositif mis en place et d’accompagner le nouveau salarié dans sa gestion de carrière.

Valérie Paparelle.- Sur quel poste de travail l’avez-vous engagé ?

Stéphanie Le Dorner.- Le premier a été embauché à un poste d’huissier. Il accueille tous les rendez-vous de nos directeurs au niveau du siège, et il assiste les assistantes de direction dans leurs tâches du quotidien. Le deuxième est d’abord en service au sein de la restauration de direction. C’est important parce que cela signifie que nos dirigeants ont accepté aussi ces deux personnes, puisque les deux postes sont en lien avec les activités de la direction du siège. Mais il est aussi en gestion de ce qu’on appelle le stock café. On a des machines à café sur tous nos étages et Christian gère les commandes de café.

Valérie Paparelle.- Je crois qu’on vient d’avoir la présen-tation d’un dispositif plutôt exemplaire. Cela fait une dizaine d’années qu’à L’ADAPT, nous travaillons sur ces sujets, en lien direct avec les entreprises. Manuèle, quel regard por-tez-vous sur ce partenariat avec l’entreprise ? Qu’est-ce qui a changé en dix ans ? Est-ce que vraiment ça a bougé ? Comment pourrait-on aller plus loin ?

Manuèle Masset.- Ce qui a considérablement changé, c’est que l’entreprise se positionne clairement aujourd’hui comme un partenaire de l’insertion, avec des attentes, des propositions, pour la mettre en œuvre. Ce qui partait autrefois d’une bonne action n’est plus du tout la même chose. On est dans une logique de parcours avec au bout des propositions d’intégration pérennes, sur des objectifs remplis, contractualisés et programmés dans le temps.

Ce qui a également changé en termes d’accompagnement,

c’est ce que les équipes mettent en place. Aujourd’hui, L’ADAPT propose du job-coaching dans les ESAT Hors-les-murs, porté(s) par des équipes pluridisciplinaires, où l’on met en œuvre un soutien global de la personne par le biais d’une mise à disposition en milieu ordinaire de travail. C’est un apprentissage écologique par le biais de l’apprentissage en situation, et ce à partir du projet de la personne, de ses besoins, des objectifs de l’insertion. C’est donc un programme de co-construction de l’insertion, où les acteurs vont être chacun positionné comme partenaire et expert de l’intégration, qu’il s’agisse de l’usager ou de l’entreprise partenaire.

L’intérêt de ce type de job-coaching d’accompagnement d’équipe, c’est d’être au plus près des choix de la personne, le transfert des compétences relationnelles développées en entreprise, l’indépendance progressive de la personne, le développement de son empowerment ("la reprise du pouvoir") et de sa capacité à agir. Mais aussi l’échange des points de vue entre les acteurs pour concrétiser l’intégration.

Valérie Paparelle.- Peut-être pouvez-vous nous préciser les caractéristiques des publics qui sont accompagnés dans les ESAT Hors-les-murs ? On a beaucoup parlé de la maladie mentale ou du handicap mental…

Manuèle Masset.- Nous, ce serait plutôt l’accompagnement de handicaps cognitifs, qu’ils soient dus à une lésion cérébrale acquise, à des troubles développementaux, ou en lien avec une maladie mentale. Une partie du travail de l’intégration va se faire sur l’analyse cognitive des tâches professionnelles et la mise en adéquation avec les capacités de la personne. Ensuite seulement vient le travail d’intégration au collectif, l’articulation à l’organisation du travail de cette entreprise.

Valérie Paparelle.- Avant de redonner la parole à Stépha-nie et Jacques Perrier, j’aurais une question sur la manière dont on travaille avec l’entreprise, ce qu’on arrive à faire bouger au sein de l’entreprise… J’ai entendu tout à l’heure : "quand le projet professionnel n’est pas adapté, on réo-riente". Comment ça se passe ? Le projet professionnel n’est pas forcément défini au départ ? Comment se fait le travail avec l’entreprise ?

Manuèle Masset.- Cela se construit étape par étape. Le travail avec l’entreprise part d’un besoin identifié par l’entreprise et l’identification d’un jeune qui peut travailler dans cette entreprise-là. Il y a le chargé de relation entreprise, le job-coach et le tuteur. C’est par le croisement de ces points de vue qu’on va pouvoir fixer de nouveaux objectifs, voire faire évoluer le projet de la personne accueillie et la réorienter. Cela repose sur un croisement des points de vue et un accompagnement individualisé de chaque acteur.

TABLE RONDE : L’INTÉGRATION EN ENTREPRISE

Page 48: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P48

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Valérie Paparelle.- Cela est-il envisageable chez Malakoff Médéric, à La Poste ? C’est-à-dire d’adapter les conditions de travail aux conditions de la personne ? Est-ce facile à enclencher ? Le "travailler ensemble" est-il possible aujourd’hui ?

Jacques Perrier.- Oui, bien sûr. C’est aussi notre fierté de le faire, dans une entreprise comme La Poste, où l’on n’a pas vocation à être un centre d’emploi de personnes handicapées en tant que tel, mais où l’on a des obligations légales, comme tout le monde, d’avoir des travailleurs handicapés. J’ajoute que nous avons aussi nos propres personnels qui deviennent handicapés par inaptitude, notamment en vieillissant. Cela peut par exemple concer-ner les facteurs, qui ont des tâches de manutention. Mais nous avons une logique d’adaptation des postes. Je vais donner un exemple qui a trait à la prévention du handicap. Les vélos des facteurs sont de plus en plus nombreux à disposer d’une assistance électrique. En 2015, tous nos facteurs en bénéficieront. En plus d’être écologique, cela diminue l’effort du facteur, donc aussi le risque d’inapti-tude. Nous développons aussi la prévention du handicap en interne.

Mais pour finir de répondre à votre question : oui, quand on a des travailleurs handicapés, on essaie d’aménager les postes afin de leur permettre de gérer leur handicap. Si on a un malvoyant par exemple… On ne va peut-être pas le mettre au guichet, mais pourquoi pas au sein des services de télé-conseil, de conseil à distance, au téléphone. On n’est pas face à face avec le client, mais par contre, il y a des écrans qui sont aménageables, avec des claviers en braille et la possibilité d’agrandir l’image. Ce sont des situations réelles et importantes.

Stéphanie Le Dorner.- Aujourd’hui, on a la chance d’avoir un certain nombre d’équipements techniques qui nous permettent d’aménager des situations dans l’entreprise. Bien évidemment, on accompagne nos collaborateurs sur ces équipements. Mais ce n’est pas toujours facile, car on n’est pas sur de l’aménagement matériel, mais sur la possibilité ou non de tenir un poste. Et parfois, la réponse est non, en tout cas dans les postes que nous, nous proposons. Dans ce cas-là, il y a un vrai travail à faire ensemble. L’idée, ce n’est pas de se dire : non, ce n’est pas possible. C’est de se dire : qu’est-ce qu’on peut faire ensemble pour l’accompagner vers un autre projet ?

Ce n’est pas toujours facile non plus de gérer les parents des jeunes que l’on accompagne. Nous avions construit un projet professionnel qui plaisait à un jeune, mais qui ne satisfaisait pas ses parents par rapport à la projection qu’ils avaient faite quant aux capacités de leur enfant. Et cela a été une aventure assez compliquée à gérer,

parce que du coup, j’avais un protagoniste en plus dans l’accompagnement que je faisais habituellement. Au final, on a eu des discussions très franches, c’est-à-dire qu’on a maintenu notre position et on a réussi à trouver un terrain d’entente, pour remettre au centre notre jeune stagiaire, qui, lui, était bien motivé par ce qu’on lui proposait. Après, on peut proposer un certain nombre de projets professionnels uniquement en lien avec les métiers que l’on peut accompagner. Il existe donc tout un champ où l’on ne sera pas forcément la bonne entreprise. Mais par exemple, on peut accompagner des jeunes au niveau de nos services courrier ou au sein des restaurants de direction, soit en cuisine, soit en salle. On a eu des demandes, et on accompagne régulièrement ces jeunes dans ce domaine.

Valérie Paparelle.- Merci. Je voudrais que l’on passe maintenant la parole à Fernando Bellver Silvan, qui va nous parler d’un dispositif qui se développe dans un certain nombre de pays de l’Union. Vous êtes représentant de l’association européenne pour l’emploi accompagné, que vous allez nous présenter aujourd’hui. Qu’est-ce que l’emploi accompagné ?

Fernando Bellver Silvan.- Merci. Bonjour à tous. Je re-mercie surtout L’ADAPT pour l’invitation adressée à l’Union européenne de l’emploi accompagné. C’est le terme consa-cré en effet. Nous allons partager avec vous notre activité. Je vais d’abord parler de l’emploi accompagné, comme d’un système d’insertion professionnelle, utile pour les personnes handicapées. En deuxième lieu, je parlerai de l'Union européenne de l’emploi accompagné : ce qu’est cette organisation et ce qu’elle entreprend, et je parlerai pour conclure de quelques défis du futur.

Qu’est-ce que l’emploi accompagné ? Il s’agit d’un soutien aux personnes handicapées et autres collectifs désavantagés pour obtenir et maintenir un emploi rémunéré dans le marché libre du travail. L’engagement avec le client est la première phase du processus de l’emploi accompagné ; l’accueil de la personne qui frappe à notre porte, car elle a besoin d’un soutien pour accéder au monde du travail. Nous devons nous mettre à son service, en l’informant de la méthode que nous appliquons et de ce qu’elle exige, pour qu’il ou elle prenne sa propre décision. On peut consulter le guide de la boîte à outils où on trouvera l’explication des bonnes pratiques.

L’emploi accompagné utilise une approche personnalisée et réunit les informations intéressantes sur les aspirations et les aptitudes de la personne pour le travail. Le profil professionnel est l’instrument qui s’utilise pour réunir toutes ces informations. Pour réaliser une bonne pratique dans la conception d’un profil professionnel (consultez le guide n°2

Page 49: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P49

de la boîte à outils). A partir des conditions requises par le marché de travail, on examine les capacités du demandeur d’emploi pour arriver à un ajustement entre ses besoins et ceux de l’employeur. Dans cette phase, nous connaissons déjà les capacités et les ambitions des demandeurs de travail. Sans oublier que les agents doivent soutenir des buts réalistes à l’égard des objectifs du travail. Nous estimons que les employeurs sont les premiers agents de l’insertion au travail de ces collectifs de personnes. Pour plus d’informations sur cette phase, consultez le guide n°3 de la boîte à outils.

La dernière phase est le soutien sur et en dehors du lieu de travail. C’est l’un des éléments principaux de l’emploi accompagné et ce qui le différencie des services de placement traditionnels. Ce soutien, on l’apporte au commencement d’un nouveau travail et dans le but de le maintenir pendant longtemps. Cela dépend des besoins individuels de l’employé. Certains ont besoin d’un soutien pour apprendre une nouvelle tâche dans l’entreprise et préfèrent que l’entraîneur vienne directement sur leur lieu de travail. D’autres en ont besoin pour assumer un nouveau rôle professionnel, ou pour résoudre des problèmes avec les collègues et préfèrent recevoir ce soutien en dehors du lieu de travail. Cette phase est celle qui caractérise le mieux l’emploi accompagné. Nous conseillons d’étudier attentivement le guide n°4 de la boîte à outils de l’EUSE où sont expliqués les secrets d’une bonne pratique. Dans le cadre de l’emploi accompagné, nous avons deux clients : la personne et l’employeur. Voilà le secret du succès de l’emploi accompagné.

On peut affirmer que l’EUSE mène une action positive pour favoriser le développement de l’emploi accompagné en Europe, et qu’elle a contribué de façon significative à ce champ social. Elle a réussi à devenir une association de référence. Créée en 1993, elle a été continuellement en croissance, a travaillé dans vingt pays. Et nous avons maintenant quatre nouveaux pays membres associés, parmi lesquels nous compterons bientôt la France. La notion de membres associés encourage d’autres pays à participer. Jusqu’ici, l’EUSE n’a bénéficié d’aucun financement de l'Europe, mais cela peut changer.

Parmi nos activités, nous organisons des congrès internationaux tous les deux ans. Nous avons également une bourse d’enseignement pour reprendre les meilleures pratiques en Europe. Nous avons développé des standards de qualité et la boîte à outils de l’emploi accompagné. Par ailleurs, nous avons effectué une étude sur l’emploi accompagné en Europe pour la commission, et maintenant, nous travaillons à un projet Leonardo de transfert d’innovation, d’adaptation de la boîte à outils pour d’autres groupes désavantagés.

L’EUSE a fixé la définition du modèle, les standards de qualité, et a fourni une boîte à outils pour en faciliter l’application. Elle a aussi mis en œuvre une aide mutuelle entre les pays européens qui se trouvent à différents stades de développement, pour bénéficier des conseils des uns et des autres.

Les traités internationaux conseillent de bâtir des sociétés plus inclusives, nous l’avons vu ce matin, au travers de la Convention des Nations unies, du bureau international du travail, de l'Union européenne 2020, de la stratégie à long terme pour la croissance intelligente, durable et inclusive. Le rapport d’emploi 2011 suggère le soutien personnalisé pour trouver un travail ou progresser dans l’emploi particulièrement pour ceux qui en ont le plus besoin. La stratégie européenne sur le handicap dit la chose suivante par rapport à l’emploi : "les personnes handicapées doivent être payées dans les marchés libres du travail". Quel défi du futur avons-nous ? Une large reconnaissance de l'Union européenne, de la profession d’emploi accompagné, la production de statistiques et l’engagement de la commission de l'Union européenne pour assurer le financement de l’emploi accompagné.

L’emploi accompagné devrait être surveillé par le ministère de l’Emploi dans les pays nationaux. L’emploi accompagné devrait bénéficier d’une loi et être encadré par une structure de l’administration publique. Et finalement, un contrat de travail spécifique d’emploi accompagné devrait être un outil légal utile pour garantir le financement de ce service de soutien et la mise en œuvre du modèle que nous avons mis en place.

L’emploi accompagné change la société. Il commence par changer la personne, qui devient un citoyen actif comme les autres, c’est-à-dire quelqu’un qui contribue à la société avec le soutien et l’accompagnement dont il a besoin dans le marché libre du travail. Il change aussi la famille, qui change de regard sur la personne désormais occupée, contribuant à l’économie de la communauté. L’emploi accompagné change les professionnels et les institutions. C’est une autre approche des marchés et des services aux citoyens. L’emploi accompagné change surtout les employeurs et les entreprises. Quand elles décident d’intégrer la diversité, cela améliore les relations humaines, la responsabilité sociale de l’entreprise. L’emploi accompagné changera aussi l’administration publique, les lois et la société, parce que tous les États doivent adapter leur législation à la Convention des Nations unies, pour faciliter la construction d’une société plus inclusive.

Pouvoir travailler comme tout le monde, dans n’importe quelle entreprise, est la première condition pour faire advenir cette nouvelle société. Je vous encourage à travailler tous

TABLE RONDE : L’INTÉGRATION EN ENTREPRISE

Page 50: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

P50

SÉQUENCE 3

CONFÉRENCE EUROPÉENNE

PARTAGER ET INNOVER POUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

ensemble dans l’EUSE, vous serez les bienvenus. Nous avons besoin de vos idées, de vos expériences, de votre force et de votre créativité ; la force de la France, pour aller en avant. Merci beaucoup.

Valérie Paparelle.- Merci beaucoup. Je crois que nous avons aussi besoin de continuer à échanger avec vous sur le sujet. On a bien compris qu’il fallait suivre le guide, on ira le consulter. Il y a eu un certain nombre de débats en France sur la question de la sortie de l’institution et la question de l’accès aux droits du travail pour tous les travailleurs. On a parlé de l’intégration et de l’accompagnement vers l’emploi. Mais une fois en emploi, comment accompagner l’évolution de carrière ? Comment garantir que les personnes handicapées puissent continuer à se former, à évoluer dans de nouvelles fonctions ? Je voudrais donner la parole à Stéphane Forgeron, président du club des jeunes cadres handicapés.

Stéphane Forgeron.- Tu parlais du moyen de sortir de ces institutions et d’arriver dans le droit commun. C’est peut-être là pour moi la principale préoccupation. Car en effet, nous vivons dans une société où, historiquement, les personnes handicapées étaient en milieu spécialisé. Cela a généré tout un tas de stéréotypes, d’idées reçues sur le fait que les personnes handicapées ne pouvaient pas avoir une scolarité ordinaire, ne pouvaient pas non plus avoir un emploi en milieu ordinaire, ou alors, sur des postes déterminés.

Ce matin, j’étais dans le train, j’étais mal réveillé, un partenaire de L’ADAPT m’a reconnu et m’a dit : "en ce qui concerne les personnes handicapées, on ne reçoit que des CV pour des postes d’agent administratif ". Cela démontre bien que ces personnes n’avaient probablement pas la possibilité de faire de hautes études. Beaucoup n’ont pas eu la chance que j’ai eue - je suis un profil parmi tant d’autres - d’avoir fait le bon choix, d’avoir eu aussi des parents qui m’ont orienté, sans le savoir peut-être, vers la bonne voie.

En tout état de cause, la difficulté qu’on a, et sur laquelle on va devoir travailler dans les années à venir, c’est la définition en France du travailleur handicapé. On a une définition de la personne handicapée, qui est issue de la loi de 2005, à laquelle se superpose la définition du travailleur handicapé : "toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques". Cette définition date de 1957. Or, entre temps, le monde du travail a bien évolué, les entreprises ont changé, les mentalités ont évolué. Mais cela démontre que pour le législateur, le handicap reste avant tout un problème médical, intrinsèque à la personne, et que c’est uniquement en raison de ces altérations que ses capacités de travail sont réduites. Le droit du travail

français occulte les facteurs environnementaux du handicap dans une situation de travail.Le code du travail stipule que l’obligation d’emploi de cette population de personnes handicapées est conditionnée à une décision administrative. Autrement dit, une personne aveugle n’a pas l’obligation de travailler. Moi, je travaille, parce que je l’ai voulu, mais sinon, personne ne me dirait rien, parce que la loi l’a prévu de la sorte. Cela pose quand même un problème de fond. Là aussi, on est dans une conception de la personne handicapée qui n’est pas très positive, et d’un autre côté, on ne la force pas non plus à faire de hautes études, à se dépasser. Je suis un exemple parmi tant d’autres : j’étais en milieu spécialisé, et on considérait que si j’allais jusqu’au bac, ce serait déjà bien. Et moi, je ne le concevais absolument pas de cette façon. Aujourd’hui, c’est la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, où tout le monde se mobilise, de nombreux bénévoles aussi, des réseaux qui aident les personnes handicapées à essayer de reprendre goût, trouver l’envie d’avoir un emploi et de les préparer.

Une idée à battre en brèche est que le handicap fait partie de la santé. Et cette idée n’est pas une exclusivité française ; l’OCDE l’a démontré à travers un rapport instructif, qui demande en quelque sorte de démédicaliser le handicap. Je pense que c’est la seule façon d’y arriver. Ça ne veut pas dire qu’il faut nier la réalité. Si une personne a un problème de santé, il ne faut pas le nier. Elle a le droit d’être soignée comme tout un chacun. Du reste, l’étude qui a été présentée par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie insiste bien sur une notion : elle parle des personnes ayant des problèmes de santé ou un handicap. Cela est essentiel. Si on faisait cette distinction clairement, cela changerait le regard sur les personnes handicapées. Une personne qui a des problèmes de santé peut être handicapée, et elle peut aussi avoir un problème de santé temporaire et rester handicapée. Il faut faire attention à la façon dont on s’exprime. Les personnes handicapées ont une capacité de travail réduite, administrativement, c’est comme cela que c’est décrit. Quel que soit le niveau de formation. Cela peut concerner un cadre supérieur d’une entreprise, qui est handicapé : on considèrera malgré tout qu’il a une capacité de travail réduite, d’un point de vue administratif, sans pour autant l’avoir vu.

Les évaluations sont souvent disciplinaires, entre médecins, et souvent sans voir la personne : cela pose un problème. Surtout que l’on continue à voir la personne handicapée - quel que soit son niveau de formation - à travers ses limitations, et non à travers son potentiel, ses capacités. On lutte au niveau des cadres handicapés, on lutte pour valoriser la personne handicapée, qui a aussi des compétences, des potentialités, et qui a le droit véritablement de travailler comme tout un chacun et de pouvoir évoluer.

Page 51: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

LES CAHIERS DE L'ADAPT #175 P51

Pour en venir à l’évolution de carrière, c’est un véritable problème aujourd’hui. Il y a des exceptions. Néanmoins, on a du mal à les identifier. D’un côté, on parle des personnes handicapées comme des exemples dans l’entreprise, mais on continue de dire que ce sont des cas particuliers, voire des exceptions. Cela pour dire qu’elles ne sont pas intégrées véritablement au processus de l’entreprise en termes d’évolution de carrière, de mobilité. Cela renvoie à l’idée que quelque part, on fait du social : on s’occupe de quelqu’un qui serait malade, qui aurait besoin d’une attention particulière.

Valérie Paparelle.- Stéphanie a l’air de vouloir réagir à cette dimension-là.

Stéphanie Le Dorner.- Je faisais une grimace car je ne suis pas tout à fait d’accord dans le sens où chaque salarié bénéficie du même accompagnement, qu’il soit en situation de handicap ou pas. On a des collaborateurs qui sont non identifiés, qui ne sont pas reconnus ou qui ne souhaitent pas forcément en faire état. La seule chose qui diffère, c’est qu’effectivement, il y a une prise en compte de la situation de handicap qui est nécessaire si - et seulement si - on doit mettre en place un accompagnement spécifique, par exemple pour l’accès à une formation. En tout cas, il n’y a pas de réseau spécifique pour avoir accès à la gestion de carrière pour les personnes en situation de handicap et pour le reste. Les missions handicap sont des facilitateurs pour mettre en place des projets, une fois que les personnes sont suivies par les responsables ressources humaines.

Stéphane Forgeron.- (à la salle) Je ne connais pas votre contexte, mais la France a aussi une spécificité : elle a des missions handicap. Je suis intervenu à Londres dans le cadre de mes missions, notamment dans une banque d’investissement. Le manager ou le RH m’a dit : "c’est de la discrimination, de la stigmatisation". Je ne dis pas que les missions handicap doivent être supprimées, mais dans beaucoup de pays, on parle ouvertement d’un problème qui se présente. On ne renvoie pas la personne handicapée vers le médecin du travail ou l’assistante sociale.Je vous remercie et je remercie aussi L’ADAPT pour l’organisation de cette manifestation. Ce n’était pas simple à faire. C’était aussi une première pour elle de se lancer dans cette aventure européenne. Je remercie les salariés et les bénévoles qui s’impliquent. Pour ceux qui voudraient s’investir au sein de notre association, n’hésitez pas : vous pouvez adhérer ! Vous verrez qu’au sein de L’ADAPT il y a une très forte ouverture sur l’extérieur, qui a été réaffirmée aujourd’hui.

Valérie Paparelle.- Merci, Stéphane Forgeron, pour ces encouragements. Notre conférence touche à sa fin. Je laisse le mot de conclusion à Serge Van Brackel, notre

grand témoin, dont le regard teinté d’humour viendra éclairer notre journée.

_Sketch de Serge Van Brakel (1)

"Je ne dis pas que ce que je vais dire, c’est ce que vous avez dit, mais qu’est-ce que j’ai compris ? On est tous des Hommes ! Même les femmes ! Et même les handicapés ! Et même toi mon petit ! Oui… C’est quelque chose que j’ai retenu."

TABLE RONDE : L’INTÉGRATION EN ENTREPRISE

(1) Serge Van BrakelPrésident de l’association "Association d’information, de communication et de démystification de la personne handicapée". Depuis 1989, Horizon 2000 travaille sur l’image de la personne handicapée à travers la mise en place d’outils et de formations en démystification de la personne handicapée.Elle s’adresse à la fois aux différents services publics et aux entreprises privées. Elle est aussi apte à intervenir sur des opérations "grand public" afin de sensibiliser la société à la problématique de la personne handicapée.

Retrouvez cette vidéosur notre chaîne YouTube

L'ADAPT - ECHANGES EUROPÉENS : PARTAGER ET INNOVER

Page 52: Les cahiers de L’ADAPT · 2014. 9. 18. · LES CAHIERS DE LADAPT 1 P7 deux ans. Nous espérons que la Commission européenne et le Parlement soutiendront cette démarche. La jeunesse,

L’ADAPT Siège social

Tour Essor, 14 rue Scandicci, 93508 Pantin CedexTél. : 01 48 10 12 45 / Fax : 01 48 10 12 [email protected]