les bavures mediatiques de l'otan

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tR0ltTttRE$ Comité Exécutif International lntern ation al Executive Com mittee Président Fernando Castello iEspagne) Vice-présidents Olivier Basille I Belgique) Karin Bojs {Suède) R e n a t oB u r g y lSsisse) i!oél Copin iFrance) MichaëlRediske rAllemagne) Trésorier ùlichel Schweri (Suisse) Secrétariat lnternational lnternation a! Secretariat 5, rue Geoffroy-Mârie 75009 Paris Té1. t33) 01 44 83 84 84 Fax (33) 01 45 23 11 51 E-mail :[email protected] Serveur Web : www,rsl,lr Guerre en Yougoslavie : Les "bavures médiatiques" de I'Otan Reporters sans frontières juin 1999

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Les bavures mediatiques de l'OTAN

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Page 1: Les bavures mediatiques de l'OTAN

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C o m i t éExécu t i fI n t e r n a t i o n a l

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P r é s i d e n tF e r n a n d o C a s t e l l o

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S e c r é t a r i a t

l n t e r n a t i o n a l

ln te rna t ion a !

Secre tar ia t

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Guerre en Yougoslavie :

Les "bavures médiatiques" de I'Otan

Reporters sans frontières

juin 1999

Page 2: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Guerre en Yougoslavie :les "bavures" médiatiques de I'Otan

Le Kosovo est I'enjeu d'une guene médiatique, planifiée par les stratèges des deux

camps. Du côté serbe, les rouages de la machine de propagande sont connus : le

régime de Belgrade est fondamentalement opposé à la liberté de la presse et n'hésite

pas à éliminer physiquement les voix discordantes. La RadiotéIévision de Serbie

(RTS), principale source d'information des Serbes est, depuis dix ans, entièrement

contrôlée par des proches du régime et fonctionne comme une véritable arme de

guerre. Ayant adopté une loi sur I'information particulièrement restrictive en octobre

1998, le régime serbe a profité du déclenchement des frappes de I'Otan pour faire taire

les médias indépendants dans le pays et transformer le Kosovo en huis clos médiatique

(cf. "Yougoslavie, un Etat de censure", rapport de Reporters sans frontières, mai

1999) .

Néanmoins la "stratégie de communication" de I 'Al l iance atlantique (l 'Otan est

composée de 19 pays démocratiques) depuis le début du conflit a pu, elle aussi,

susciter un certain nombre d'intenogations autant chez les journalistes occidentaux que

chez leurs confrères indépendants serbes. Ainsi, Veran Matic, rédacteur en chef de la

radio 892, interdite par les autorités de Belgrade depuis le début des bombardemenrs,

écrivait le 2 avril : "Représentant des médias libres, je ne connais que trop la nécessité

de I'information, de quelque bord que I'on soit dans le conflit. Ceux qui sont à

I'intérieur du pays ont besoin d'être au fait du débat intemational de même que sur ce

qui se passe dans le pays. L'opinion internationale a besoin de savoir la vérité de ce

qui se déroule ici. Mais au l ieu d'une information précise et sans entraves, nous

n'entendons tous que de la propagande de guene, rhétorique occidentale comprise".

La reprise à leur compte de rumeurs, de chiffres exorbitants et invérifiables et

I'utilisation d'un vocabulaire agressif ont renforcé les doutes quant à la bonne foi de

certains responsables politiques et militaires occidentaux. "L'Otan devrait abandonner

cette statégie de I'information", déclarait dès le 29 mars Pascal Boniface, directeur de

I'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), à Paris.

Guerre en Yougoslavie : les "bayures" médiatiques de I'Otan - RSF - juin 1999 - I

Page 3: Les bavures mediatiques de l'OTAN

D'autres observateurs ont été plus critiques encore, n'hésitant pas à renvoyer dos à dos

les protagonistes du conflit : "Ce que font actuellement les Serbes et leur télévision est

absolument répugnant, déclarait une anaiyste de Centre de recherches sur les médias de

masse de I'Université de Leicester, en Angletene. Mais la propagande de I'Otan n'est

guère meilleure", ajoutait-elle.

De nombreux journalistes, couvrant les conférences de presse de I'Otan à Bruxelles,

ont également été très sceptiques quant à la véracité et I'exactitude des informations

fournies par des responsables de I'Otan. "Ce que Londres et Bruxelles présentent auxjournalistes comme des faits ne sont généralement que des rumeurs", écrivait,Ie22

avril, Kevin Mc Ederry deI'AFP. "Depuis le début des frappes aériennes, conférence

de presse après conférence de presse, les responsables de I'Otan ont diffusé fausses

nouvelles et rumeurs", résumait à la même date le quotidien français Libération,

Qu'en est- i l vraiment ? S'agit- i l de "maladresses" dues à la précipitat ion et à la

confusion, ou d'une tentative de désinformation délibérée ? Dans un tract de

propagande lancé sur la Yougoslavie, représentant un bombardier B52larguant ses

bombes à haute altitude, et destiné à encourager les désertions des soldats serbes,

I 'Otan aff irme : "Des mil l iers de bombes... et la volonté, la force et le soutien du

monde entier pour continuer à les déverser sur vos unités". Pour s'assurer de ce

"soutien", conditionné dans les sociétés démocratiques par I'adhésion de I'opinion

pubiique, les responsables de I'Otan auraient-ils pris quelques libertés avec la vét'rté ?

A partir de quelques exemples de ces "bavures médiatiques", Reporters sans frontières

tente de faire le point sur la question.

La "très bonne source" du général Wilby

Le 29 mars 1999, quelques jours après le déclenchement de I 'opération mil i taire

"Force aliiée" contre la Yougoslavie, I'Otan annonce à Bruxelles I'exécution par les

forces serbes du principal conseiller d'Ibrahim Rugova, Fehmi Agani, avec cinq autres

personnalités albanaises du Kosovo, dont Baton Haxhiu, jeune rédacteur en chef du

quotidien Koha Ditore de Pristina. Un peu plus tôt dans la journée, le directeur de ce

quotidien en langue albanaise, Veton Sunoï, avait été également inclus dans cette liste

pour en être retiré par la suite. La veille, l'Otan avait indiqué qu'ibrahim Rugova lui-

même se cachait et que sa maison était incendiée.

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Page 4: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Ces informations provoquent émoi et indignation générale dans la communauté

journalistique coûrme dans I'opinion publique internationale : M. Agani, un professeur

de sociologie de 66 ans, est considéré comme I'un des responsables albanais du

Kosovo les plus modérés et les plus respectés. L'annonce de ces exécutions fait la

"une" de la presse internationale, notamment américaine (cT. International Herald

Tribune,30 mars). Les quotidiens britanniques et italiens publient des nécrologies

élogieuses des victimes. De nombreux diplomates européens de haut rang avaient

pourtant manifesté leur surprise et s'étaient refusés à confirmer cette information. Le

porte-parole du ministère des Affaires étrangères français "craint" que cette exécution

ait eu lieu "mais n'en a pas la certitude". Intenogé au siège de I'Otan à Bruxelles sur

les circonstances de cette exécution, le général britannique David Wilby déclare tenir

cette information "d'une très bonne source" de I'intérieur du Kosovo, que ses services

ont pris soin de vérifier. L'exécution aurait eu lieu après que les cinq intellectuels

eurent assisté à I'entenement d'un avocat albanais, Bajram Kelmendi, tué avec ses

deux fils par des militaires (ou paramilitaires) serbes la première nuit des frappes

aériennes, ajoute le général.

Les correspondants de l'AFP sur place sont dans I'impossibilité de confirmer cette

information. L'agence indépendante Beta de Belgrade fait état de démentis énergiques

de ia part des autorités serbes. "S'ils avaient une quelconque responsabilité dans cette

affaire, explique à Reporters sans frontières une journaliste en poste à Belgrade, les

officiels serbes auraient attribué le meurtre à I'UCK ou gardé le silence, comme ils le

font habituellement." Du côté albanais, aucune cert i tude non plus : à Tirana, les

journalistes apprennent cette information par CNN ; des responsables politiques

kosovars en Europe reprennent I'information de I'Otan sans donner plus de précisions.

Après vérif ication, la ' l très bonne'source" du général Wilby serait le Centre

d'information du Kosovo, basé à Londres et dont les animateurs partagent l'exil de

nombreux responsables kosovars. L'un d'eux, Hafiz Gagica, avait affirmé le même

jour que Ibrahim Rugova était "blessé et que son sort demeurait inconnu."

Deux jours plus tard ibrahim Rugova s'adresse à la presse étrangère, depuis chez lui, à

Pristina : il est en bonne santé et sa maison est intacte. La radiotélévision de Serbie

diffuse également sa rencontre "cordiale" avec Slobodan Milosevic, à Belgrade.

Exploitant les failles de la communication de I'Otan, Ie maître de Belgrade s'offre ainsi

un formidable "coup médiatique" en s'affichant avec ie leader pacifiste des Kosovars.

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Renate Flottau, correspondante de I'hebdomadaire allemand Spiegel, qui a passé unesemaine en sa compagnie à Pristina début avril, raconte les pressions qu'a subies M.Rugova de la part des autorités serbes : son séjour à Pristina était une détention et sondéplacement à Belgrade s'apparentait à une prise d'otage. Mais rien de ce qu'avançaitI'Otan le concernant n'était vrai.

L'information sur I'exécution des cinq intellectuels albanais se révèle égalementfausse. Baton Haxhiu apprend sa mort par la radio. De passage à Londres le 7 avril,puis à Paris, il raconte sa fuite vers la Macédoine et affirme que ses confrères sont enbonne santé. Seul Fehmi Agani sera effectivement tué mais trois semaines plus tard parles forces armées serbes, dans des circonstances toujours non éclaircies, alors qu'iltentait de fuir le Kosovo avec sa famille. Les autorités serbes attribuerontimmédiatement ce meurtre à I'UCK ; les responsables de I'Otan ne reviendront plussur ce sujet. Ils n'ont jamais démenti leur information initiale. Ofiicialiser aussirapidement une rumeur, en cette première semaine de bombardements, ne semble pasêtre une "erreur" mais relever d'un choix : faire pencher la balance en faveur desfrappes aériennes de I'Otan sur la Yougoslavie alors que l'opinion publique est encoretrès sceptique sur leur efficacité.

"Bavures" mil i taires... et médiatiques

Le bombardement de I'ambassade de Chine à Belgrade, le 8 mai, a mis les dirigeantsoccidentaux dans I'embarras. Le bâtiment a été touché par trois missiles tirés parI'aviation de I'Otan, faisant quatre morts, dont trois journalistes chinois, et plusieursblessés. Le 10 mai, le président américain, Bi l l Cl inton, présente ses excuses augouvernement chinois, évoquant un "accident tragique". Pendant ce temps, le porte-parole de I'Otan tente d'expliquer aux joumalistes que "c'est la faute d'un système, pasd'un individu". "IJne information erronée a engendré une erreur dans ie ciblage initialdu bâtiment", ont dû admettre de leur côté, à Washington, le secrétaire américain de laDéfense, William Cohen, et le directeur des services de renseignements américains,Georges Tenet. En clair, les responsables américains avouent que leurs servicessecrets n'ont pas pris note du déménagement de I'ambassade de Chine, plusieursannées auparavant. Or, la nouvelle adresse figure dans tout annuaire téléphonique deBelgrade.

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Page 6: Les bavures mediatiques de l'OTAN

La Chine a rejeté cette thèse, citant, une fois n'est pas coutume, la presse occidentale :

"Les médias occidentaux eux-mêmes se sont demandé comment les services de

renseignements de la prernière puissance du monde avaient pu se méprendre sur la

nature d'un vaste bâtiment diplomatique, avec une cour, une plaque sur la porte et un

drapeau", déclare un responsable chinois. Le l1 mai, le secrétaire général de I'Otan,

Javier Solana, a promis une "enquête formelle" dont les résultats seraient présentés le

plus rapidement possible. A ce jour, ils n'ont toujours pas été rendus publics.

Le 30 mai, le bombardement d'un convoi de journalistes a de nouveau mis à l'épreuve

la communication de I'Alliance. Deux véhicules transportant des journalistes ont été

pris pour cible par I'aviation de I'Otan sur la route de Prizren à Brezovica, au Kosovo.

La correspondante du quotidien britannique The Times, Eve-Ann Prentice, une

journaliste de la télévision nationale portugaise, Elsa Marujo, le journaliste italien

Renzo Cianfanelli, du quotidien Corriere della Sera et un écrivain français, Daniel

Schiefer, ont été blessés au cours de cette attaque et I'un des chauffeurs a été tué. Eve-

Ann Prentice a raconté dans son quotidien les circonstances de cette attaque, alors que

les responsables de I'Otan, après avoir "vérifié" les informations sur ce raid, ont

déclaré, le 31 mai, n'avoir "aucune indication sur cet incident". "Bien sûr, nous ne

pouvons pas garantir la sécurité des journalistes ou des véhicules individuels au

Kosovo", a ajouté Jamie Shea, le porte-parole de I'Otan.

Le bombardement, le 14 avril, d'un convoi de réfugiés albanais a montré les limites de

I'argumentation des responsables de I'Alliance atlantique et constitue, à ce jour, sa plus

importante "bavure" mil i taire. Ce jour-là, des avions de I 'Otan bombardent deux

colonnes de réfugiés dans la région de Djakovica (sud-ouest du Kosovo) faisant, selon

les sources serbes, 75 morts. Dans un premier temps, le ministre al lemand de la

Défense, Rudolf Sharping, accuse I 'aviation serbe d'être responsable de ce

bombardement. Le lendemain, dans un texte diffusé par son étarmajor à Bruxelles,

L'O[an reconnaît avoir bombardé par eireur un véhicule civil : "D'après son enquête

préliminaire, I'Otan confirme qu'ii semble que l'un de ses avions ait lâché par erreur

une bombe sur un véhicule civil dans un convoi, hier". L'organisation justifie son

intervention par la présence présumée de véhicules militaires dans la zone : "Des

véhicules de la police ou de I'armée serbe auraient pu se trouver dans ou autour du

convoi", poursuit Ie communiqué.

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Page 7: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Le même jour, le correspondant de I'AFP au Kosovo, Aleksandar Mitic, le

correspondant du quotidien Los Angeles Times, Paul V/atson, et deux équipes de

télévision grecques qui ont pu se rendre sur place, font état de scènes "d'apocalypse" :

corps carbonisés ou déchiquetés, tracteurs réduits en ferraille, maisons en ruines...

Selon le reportage d'Aleksandar Mitic, deux convois, au nord et au sud de la ville de

Djakovica, ont été la cible des bombardements. Il rapporte le témoignage d'un réfugié

qui affirme que les colonnes ont été visées à "trois oJ quatre reprises" : "Les avions

faisaient des rotations. comme s'ils nous suivaient."

Toute la journée du 16 avril, le porte-parole de I'Otan, Jamie Shea, et le responsable

militaire de I'Alliance, le général Giuseppe Marini, martèlent que "dans un cas et bien

un seul, nous avons des preuves de pertes civiles". "Autrement, nous sommes sûrs

d'avoir visé des véhicules militaires". Les médias parlent déjà de la "plus grosse

bavure de I'Otan" et soulignent la "confusion" de la communication de I'Alliance.

L'émotion dans I'opinion publique, choquée par les images du bombardement, est telle

que Londres s'empresse de souligner que les bombes uti l isées ne sont pas

britanniques. Ce n'est que le 19 avril que I'Otan change sa version des faits : I'Alliance

reconnaît avoir touché deux convois, à I'aide d'une douzaine d'avions qui ont largué

un total de "neuf bombes". L'Alliance rend public l'enregistrement de la bande-son

d'un des pilotes responsables du bombardement du premier convoi, qui affirme que

les véhicules en question "étaient de type militaire". Quant au deuxième convoi, I'Otan

aff irme que ses pi lotes l 'avaient pris pour cible à cause de ' 'sa cadence et son

espacement typiquement mil i taires". Ce même jour, le quotidien britannique Iàe

Express révèle qu'un des pilotes américains responsables du bombardement meurtrier

aurait été averti, en vain, de Ia présence de civils dans le convoi par un pilote

britannique. Deux jours plus.tard, les responsables de I'Otan admettent que la bande-

audio du pilote diffusée le i9 avril n'avait rien à voir avec I'affaire des convois

bombardés. Belgrade enfonce le clou en diffusant I'enregistrement présumé d'une

conversation entre un pilote américain et un avion-radar AWACS qui I'encourage à

bombarder malgré ses doutes sur la présence de civils. L'Otan dénonce immédiatement

un "trucagg".

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Page 8: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Les dérives de la communication occidentale

Les responsables de l'Alliance "s'excussnt" et "regrettent" les victimes civiles. Il leur

arrive également de faire leur mea culpa pour avoir donné de fausses informations. Le

16 avril, par exemple, le ministre allemand de la Défense, Rudolf Sharping, avous

devant la presse "s'être exprimé dans le meil leur des cas trop tôt", sur le

bombardement des deux convois de civils à Djakovica. Il avait accusé, dans un

premier temps, les forces armées yougoslaves d'être responsables de ce

bombardement sur "la foi des informations dont ils disposait alors". Il reprenait, en

fait, des propos du géneral Wesley Clark qui évoquait des "témoignages oraux" de

réfugiés selon lesquels des convois auraient été attaqués ce même jour par I'aviation

yougoslave. "LJn mensonge monstrueux", répliquera le porte-parole du ministère

yougoslave des Affaires étrangères

Mais tout en reconnaissant leurs "erreurs", les responsables occidentaux soulignent

systématiquement que c'est au régime de Slobodan Milosevic qu'incombe "l'entière

responsabilité" de ces "incidents". Ainsi sont rappelés quotidiennement les exactions

des forces serbes, I'exode des Albanais du Kosovo, la nature du régime de Milosevic.

Ce qui fait dire à Roger Silverstone, spécialiste des médias pour la London School of

Economics, que les responsables de I'Alliance "on[ mené jusqu'ici une bonne guerre

de propagande mettant en lumière les opérations de "purifications ethniques" des

Serbes pour couper court aux critiques". Mais là encore les informations fournies par

I'Otan ne semblent pas avoir fait l'objet d'une vérification rigoureuse. Des "villages

attaqués à I'artillerie", des "villes rasées", des "boucliers humains", des "charniers" :

autant d'informations annoncées sans que soit apportée la moindre preuve de ieur

existence. Les autorités serbes se sont fait un plaisir de montrer des images infirmant

ces allégations de I'Otan, marquant de précieux points dans la guerre de I'information.

Lorsque les responsables de I'Otan sont pris en flagrant délit de maladresse - ou de

mensonge -, ils rappellent volontiers I'absence d'indépendance des médias serbes. Le

18 avril, peu après Ie "désastre médiatique" des colonnes de réfugiés bombardées par

I'aviation alliée, le porte-parole de I'Otan, Jamie Shea, a longuement dénoncé la

mainmise du régime de Milosevic sur les médias. "Jour et nuit, je subis la pression des

journalistes pour justifier les actes de I'Otan, mais je suis frappé que Slobodan

Milosevic ne doive rien justifier", se plaint-il. Et d'ajouter : "Milosevic ne connaît pas

ies contraintes liées aux médias".

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Page 9: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Des responsables militaires s'en prennent également aux médias serbes, les accusant

de mener de véritables campagnes de désinformation : le 19 avril, alors que I'Otan

avoue avoir bombardé les deux convois à Djakovica, le porte-parole de I'organisation à

Skopje, le commandant Eric Mongnot, dément longuement des informations sur les

pertes alliées diffusées par les Serbes en les accusant de propagande mensongère.

Autres particularités de la communication occidentale : l'approximation des chiffres,

les références historiques largement discutables et I'utilisation d'un vocabulaire visant

à d iabol iser I 'adversai re. A ins i Jamie Shea qual i f ie S lobodan Mi losevic

d"'organisateur de la plus grande catastrophe humanitaire depuis L945" ou encore

d"'instigateur d'un exode semblable à l'évacuation de Phnom Penh par les Khmers

rouges". Rudolf Sharping déclare, le 28 mars, Qu'un "génocide" est en cours au

Kosovo, alors que le porte-parole de I'Otan annonce que 500 000 personnes ont-été

chassées du Kosovo, oubliant de préciser qu'il s'agit d'un chiffre portant sur une

année d'affrontements dans la province et non sur les jours couvrant la campagne

militaire de I'Otan. Le terme de "génocide" est systématiquement utilisé également par

Tony Blair, Premier ministre britannique, alors qu'en Allemagne les off iciels

s'emploient à comparer le régime de Milosevic à celui d'Hit ler. Ces références

historiques ont suscité des protestations de la part des spécialistes. Le 22 avril, à

Bonn, le directeur du Centre de recherches sur I'antisémitisme, Wolfgang Benz, a mis

en garde contre les comparaisons entre le régime de Belgrade et l'Allemagne nazie,

estimant qu'elles risquaient de relativiser la Shoah. L'historien a déploré "l'utilisation

inflat ionniste et fatale du mot "Holocauste"" et reproché aux hommes poli t iques

occidentaux de "puiser n'importe comment dans I'arsenal des termes historiques". Peu

auparavant, le chef de la diplomatie britannique, Robin Cook, avait parlé de "solution

finale" mise en æuvre par Slobodan Milosevic au Kosovo.

A part ir du 30 mars, le gouvernement britannique durcit encore le ton de sa

"communication" pour contrer "la propagande de I'armée yougoslave et de ses brutes"

(Robin Cook). Le ministre de la Défense, George Robertson, qualifie Slobodan

Milosevic, de "boucher" lors de ses briefings quotidiens à Londres. D'autres ministres

britanniques dépeignent le président yougoslave sous les traits d'un "voyou

diabolique" assisté de "suppôts sadiques et corrompus". "Ce sont des formules

réfléchies, destinées à faire la "une" des tabloïds britanniques", analyse Serge Halimi

du mensuel français Le Monde diplomatique.

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Page 10: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Des responsables kosovars en exil sont conviés à Londres pour justifier les frappes deI'Otan et appeler à leur poursuite. Plus discrètement, des sources gouvernementales

reprochent aux journalistes britanniques d'accorder "trop d'importance à la propagande

serbe" et de "douter trop systématiquement du bien-fondé de l'opération armée de

l'Otan". Le correspondant delaBBC à Belgrade, John Simpson, est directement visé.

Selon le quotidien The Times du 16 avril, il aurait été accusé par des responsables dugouvernement britannique de "véhiculer la propagande serbe sans discernement dans

sa couverture des bombardements de I'Otan." On lui reproche des "simplifications",

voire un pro-serbisme latent, pour avoir affirmé que le conflit avait refait I'unité dupeuple serbe derrière son Président. Des "voix" du gouvernement laissent entendrequ'une plainte officielle pounait être déposée contre la radio. De son côté, le directeur

adjoint de La BBC, Richard Ayre, défend le journaliste : "Je rends hommage au

cqurage de John Simpson et à I'objectivité de ses reportages. (...) Il est essentiel que lepublic puisse disposer d'une description véridique de l'atmosphère à Belgrade et non

simplement de ce que les gouvernements de I'Otan aimeraient entendre."

Conclusion : la guerre perdue de I 'Otan ?

Reporters sans frontières a recueilli de nombreux témoignages de journalistes indignés

de la stratégie de communication de I'Otan. Alexandra Schwartzbrod, du quotidien

français Libération, juge la communication autour de l'épisode du bombardement des

convois à Djakovica "scandaleuse" et garde, dans I 'ensemble, le souvenir d'une

information "confuse", sinon mensongère. "I ls donnaient I ' impression de ne pas

savoir de quoi i ls parlaient", résume la journaliste. D'ail leurs, poursuit A.

Schrvartzbrod, depuis la fin avril, son quotidien ne juge pas uti le d'avoir un

correspondant perrnanènt auprès de l'état-major de I'Otan à Bruxelles.

Le 27 avril, des responsables de I 'Otan ont admis eux-mêmes, à mots couverts,l'échec de leur stratégie de communication : la politique de communication de I'Otan

devrait être "revue en profondeur (...) notamment à la lumière du "désastre" du

bombardement meurtrier des convois de réfugiés", affirment-ils. Londres dépêche

alors au siège de I'Otan certains de ses meilieurs spécialistes des relations avec lapresse. Parmi eux, le principal conseiller de Tony Blair, Alastair Campbell, I'un des

artisans de Ia victoire électorale des travaillistes en Aneleterre. en mai 1997 .

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Page 11: Les bavures mediatiques de l'OTAN

Dans un rapport interne à I'organisation, révélé par le quotidien espagnol El Mundo

(31 mai), I'Alliance reconnaît que "le quartier général de I'Otan ne possède pas les

mécanismes, ni les moyens, ni I'expérience nécessaires pour mener une campagne

d'information en temps de guerre". Ce rapport préconise une préparation de I'opinion

publique à trois scénarios : "longue période de bombardements aériens, durcissement

des attaques aériennes sur des objectifs non exclusivement militaires et intervention

terrestre", et recommande I'utilisation de "tous les canaux possibles" pour améliorer la

communication, dont les Organisations non gouvernementaies et les journalistes. On

peut craindre que le renforcement du dispositif de communication de I'Otan n'ait visé à

accroître la manipulation des médias, plutôt qu'à améliorer la qualité de I'information.

Dans leur troisième mois de campagne militaire, les responsables de l'Otan n'ont

pratiquement plus parlé de "dommages collatéraux" mais uniquement de "cibles

légitimes" - relais et bâtiments de télévision, PTT, centrales électriques, ponts - sans

pour autant susciter de grands mouvements de protestation et d'indignation dans

I'opinion publique. Mais à quel prix ? Tout en restant dans I 'opinion publique

occidentale le défenseur d'une "juste cause", I'Otan n'a pas fait preuve de bonne foi

dans ses relations avec les médias et a malmené à plusieurs reprises la vérité.

L'off icial isation de la rumeur sur l 'exécution d' intel lectuels albanais et les

"cafouillages" médiatiques, plus ou moins volontaires, sur les bombardements de

civils ont porté fortement préjudice à la crédibilité de I'Alliance. Les pressions exercées

par le gouvernement britannique sur le correspondant de la BBC sont une atteinte à Ia

liberté d'informer, Galvauder des termes historiques et utiliser un discours agressif est

indi-ene de responsables de pays démocratiques.

I l va de soi qu'en temps de confl i t , ' l ' information fournie par l 'une ou I 'autre des

parties peut être légitimement suspectée d'être un instrument de propagande. La

communication est tout aussi inévitablement une arme de guerre qu'elle est une arme

polit ique ou une arme commerciale. Mais on pouvait espérer qu'une coali t ion de

démocraties, qui prétend lutter pour le droit et la morale, se comporterait plus

honnêtement oue la dictature ou'elle combat.

Guerre en Yougoslavie : Ies "bavures" médiatiques de I'Otan - RSF - juin 1999 - 10