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L’EMPLOI DES FEMMES ET LE DROIT AU TRAVAIL AU MANITOBA DE 1900 À 1960 PAR ESYLLT JONES Document produit par la Direction générale de la condition féminine du Manitoba en l’honneur du Mois de l’histoire des femmes 2003 Document produit par la Direction générale de la condition féminine du Manitoba en l’honneur du Mois de l’histoire des femmes 2003 LES ANNÉES DE LUTTE :

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L’EMPLOI DES FEMMES ET LE DROIT AU TRAVAIL AU MANITOBADE 1900 À 1960

PAR ESYLLT JONESDocument produit par la Direction générale de la condition féminine du Manitoba en l’honneur du Mois de l’histoire des femmes 2003

Document produit par la Direction générale de la condition féminine du Manitobaen l’honneur du Mois de l’histoire des femmes 2003

L E S A N N É E S D E L U T T E :

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Chaque année, le Mois de l’histoire des femmesest célébré dans l’ensemble du Canada afin de recon-naître publiquement les réalisations des femmes,réalisations qui constituent un élément déterminantde notre patrimoine. Il permet aussi de mieux sensi-biliser la population aux contributions des femmes ànotre société.

Pour sa célébration de 2003, la Directiongénérale de la condition féminine du Manitoba avoulu souligner le droit au travail des femmes. Elle adonc commandé un document intitulé LESANNÉES DE LUTTE : L’EMPLOI DES FEMMES ETLE DROIT AU TRAVAIL AU MANITOBA DE 1900 À1960. Son auteure, Esyllt Jones, obtenait récemmentson doctorat en histoire à l’Université du Manitoba(à Winnipeg).

S’adressant aux élèves du secondaire 1 à 4 duManitoba, cette publication trace un bref portrait desfemmes et des organisations qui, entre 1990 et 1960,se sont battues pour améliorer la situation desfemmes au travail. Le document traite également durôle traditionnel que l’on attribuait alors aux femmeset qui consistait à s’occuper de la maison et de lafamille. L’opinion publique incitait donc les femmesà ne pas avoir de travail rémunéré.

Mme Jones désire remercier de leur aide lesarchivistes photos des Archives du Manitoba, leWestern Canada Pictorial Index, les Archives del’Université du Manitoba et le Centre for MennoniteBrethren Studies.

La Direction générale tient à exprimer sa recon-naissance aux personnes et aux organismes qui, parleur aide inestimable, ont contribué au succès duprojet. Un grand merci à tous et à toutes!

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REMERCIEMENTS

ORIGINE DES DOCUMENTS PHOTOGRAPHIQUES

1. Téléphonistes de la Société de téléphone du Manitoba.Archives de l’Université du Manitoba, collection du WinnipegTribune, PC18/4504/18-3704-037.

2. Domestiques mennonites, 1940. Centre for MennoniteBrethren Studies.

3. Anna Thiessen, vers 1918. Centre for Mennonite BrethrenStudies

4. Arracheuses de betteraves. Archives du Manitoba, collectionMartha Knapp, N17420.

5. Travailleurs du vêtement. Archives de l’Université duManitoba, collection du Winnipeg Tribune, PC18/6448/18-5.

6. Travailleuses du vêtement en grève. Archives de l’Universitédu Manitoba, collection du Winnipeg Tribune, PC18/6631-18-6631-010.

7. Francis Marion Beynon. Archives du Manitoba, N13687.

8. Margret Benedictsson, vers 1905. Western Canada PictorialIndex, A280-09020.

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Les femmes ont toujours travaillé. Elles travail-laient à la maison et sur la ferme, sans salaire,mais leur contribution à l’économie familiale

était rarement reconnue par la société ou comptabil-isée par les recenseurs. L’histoire les a longtempstenues dans l’ombre. Pendant la première moitié duvingtième siècle, les femmes qui avaient un travailrémunéré étaient confinées à un nombre assez limitéd’emplois tels que domestiques, employées debureau, travailleuses d’usine, enseignantes ou infir-mières. Les possibilités du marché de l’emploi pourles femmes se sont pratiquement limitées à ces caté-gories jusqu’à l’émergence, vers les années 60 et 70,du mouvement féministe qui a contribué à l’avance-ment de la femme sur le marché du travail et à lareconnaissance du droit des femmes d’exiger uneplus grande égalité au travail.

Bien que cela ait pris beaucoup de temps, la viedes femmes a commencé à changer et leur participa-tion au marché du travail s’est acccrue. Beaucoup defemmes se sont alors trouvées du travail à l’extérieurde la maison. En 1891, selon les données durecensement, seulement neuf pour cent des filles etdes femmes âgées de 10 ans et plus au Manitobaavaient un travail rémunéré. En 1961, elles étaient31 pour cent à occuper un emploi rémunéré et en1971, 42 pour cent. Par point de comparaison, aucours de cette période, environ 80 pour cent deshommes faisaient partie de la population active. Ilest important de rappeler que les données durecensement peuvent négliger certains détails ausujet de l’emploi des femmes. Il est souvent arrivéque les recenseurs ne tiennent pas compte desemplois à temps partiel ou saisonniers. Il en a été demême pour le travail rémunéré que les femmes effec-tuaient chez elles comme le travail d’usine qu’ellesramenaient à la maison, le gardiennage d’enfants, lalessive, l’élevage du bétail ou la culture des légumesou d’autres types de travaux qu’elles pouvaient ven-dre ou troquer. Néanmoins, les données dont nousdisposons indiquent que l’accès des femmes aumarché du travail s’est radicalement transformé.

Entre 1900 et 1970, ce n’est pas le taux de par-ticipation des jeunes femmes au marché du travailqui a le plus augmenté (bien que le nombre de

femmes au travail âgées de 24 à 44 ans ait triplé),mais bien celui des femmes âgées de 45 à 54 ans. Letaux d’activité dans cette catégorie d’âge est passé de11 pour cent en 1911 à 50 pour cent en 1971. Cesstatistiques révèlent qu’un nombre beaucoup plusélevé de femmes mariées retournaient au travaillorsque leurs enfants entraient à l’école ouatteignaient l’âge adulte. L’acceptation par la sociétéque les femmes mariées puissent travailler à l’ex-térieur de la maison est un des changements sociauxles plus importants survenus au cours du siècledernier.

Traditionnellement, les femmes occupaient desemplois qui étaient le reflet du rôle qu’elles occu-paient à la maison. Les soins infirmiers constituentun excellent exemple. Dans la famille, ce sont lesfemmes qui prenaient soin des malades et des per-sonnes âgées. Les femmes étaient réputées posséderà cet égard des dons particuliers que les hommesn’avaient pas. Les travaux ménagers constituentégalement un autre bon exemple. Les femmes effec-tuaient contre rémunération les mêmes tâches quedans leur propre maison.

Il existait à l’époque une nette distinction entreles emplois des hommes et ceux des femmes. En1921, les femmes pouvaient notamment occuper desemplois de vendeuses, d’enseignantes, de cou-turières, d’ouvrières agricoles et de blanchisseuses.Elles commençaient également à être beaucoup plusprésentes dans les emplois de bureau et dans lesecteur des soins infirmiers. Divers secteurs tels queles soins infirmiers, l’enseignement et le travail debureau sont alors devenus des « ghettos » d’emploisféminins où l’on recrutait principalement desfemmes. En 1910 par exemple, il y avait trois foisplus d’enseignantes que d’enseignants. Malgré leurnombre, rares étaient les enseignantes qui deve-naient directrice d’école, ce poste étant presque tou-jours occupé par des hommes.

Il existait aussi un écart important entre leshommes et les femmes sur le plan de la rémunéra-tion. En 1911, le salaire des femmes représentait enmoyenne 56 pour cent de ce que gagnaient leshommes. Les femmes se retrouvaient beaucoup plussouvent que les hommes dans des emplois à temps

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LES ANNÉES DE LUTTE : L’EMPLOI DES FEMMES ET LE DROIT AU TRAVAIL AU MANITOBA (1900 - 1960)

1. LES FEMMES ET LE TRAVAIL AU MANITOBA JUSQU’EN 1960

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partiel. Le point le plus important toutefois est queles femmes étaient confinées à des emplois quipayaient toujours moins que les emplois occupés pardes hommes, et même lorsque les femmes occu-paient les mêmes postes que les hommes, elles rece-vaient un salaire beaucoup moins élevé.L’enseignement illustre bien cette situation : même siles enseignantes recevaient un salaire supérieur àcelui de beaucoup de travailleuses, celui-ci représen-tait 70 pour cent de ce que gagnaient lesenseignants. Cet écart important est encore aujour-d’hui un enjeu important pour les femmes qui sontsur le marché du travail. Même aujourd’hui, lesfemmes gagnent en moyenne 80 pour cent de ce quefont les hommes.

ÉTUDE DE CAS : SERVICE DOMESTIQUE

Au début du vingtième siècle, l’emploi le plusaccessible pour les femmes était celui dedomestique. Même si des postes com-

mençaient à être offerts aux femmes dans lesbureaux, les usines et les ateliers, il était courant queles jeunes femmes sans compétences particulièrestravaillent comme domestiques. En 1900, le servicedomestique représentait au Canada environ 40 pourcent de tous les emplois occupés par des femmes auCanada. Au Manitoba — et tout spécialement dans laVille de Winnipeg — la plupart des domestiquesengagées étaient des immigrantes.1 Entre 1870 et1930, plus de 250 000 immigrantes sont venues auCanada pour y travailler comme domestiques. En1911, 84 pour cent des domestiques travaillant àWinnipeg étaient nées à l’extérieur du Canada. Il étaittrès courant pour les Manitobains de la classemoyenne ou de la classe supérieure d’embaucher desdomestiques qui vivaient chez eux. Ces femmes s’occupaient du ménage, des courses et de la cuisineet elles prenaient soin des enfants de leursemployeurs. On engageait également des femmespour travailler dans les ménages agricoles. Lesemplois de domestiques étaient facilement accessi-bles aux filles peu instruites de la classe ouvrière,mais comme le travail était difficile, ces postes n’é-taient pas très populaires auprès des jeunes femmes.Le plus souvent, lorsque d’autres emplois s’offraient àelles, elles les acceptaient. Il arrivait donc fréquem-ment que l’élite sociale se plaigne de la pénurie dedomestiques de qualité.

Les employeurs de la classe moyenne et de laclasse supérieure de Winnipeg recherchaient le plussouvent des domestiques britanniques, mais ilsavaient également une opinion favorable des femmes

scandinaves. Par sa politique d’immigration, le gouvernement canadien orientait un grand nombrede jeunes immigrantes vers le service domestique.Beaucoup de groupes privés et de particuliers, dontles partisans de la réforme sociale et les activistesféministes, ont discuté des problèmes des domes-tiques mais ne se sont jamais attaqués aux barrièresqui empêchaient les jeunes femmes de la classeouvrière et les immigrantes de se trouver un autregenre d’emploi. Des organismes publics et privéspayaient la traversée au Canada de ces femmes parbateau et des commissions étaient versées auxsociétés de transport et aux chaperons accompag-nant ces jeunes travailleuses. Des groupes comme leLocal Council of Women de Winnipeg ont établi desmaisons d’accueil afin d’encadrer étroitement cesjeunes femmes et de les recommander à desemployeurs potentiels.

En 1921, le Manitoba a envoyé une représentantedu gouvernement en Grande-Bretagne afin derecruter des domestiques pour des maisons de fermeen payant leur passage au Canada. En 1926, le gou-vernement fédéral a commencé à fournir un soutienfinancier aux domestiques désireuses d’émigrer deGrande-Bretagne. Le gouvernement fédéral a égale-ment autorisé le Canadien Pacifique et le CanadienNational à recruter des domestiques émigrées de payseuropéens comme la Hongrie, la Russie, la Roumanieet la Pologne pour travailler dans les provinces desPrairies. Ces femmes devaient habituellement payerleur propre voyage. Cette entente a favorisé la venuedans l’Ouest canadien de beaucoup de femmes non-britanniques destinées à des emplois de domestiquesdans les villes et sur les fermes.

L’un de ces groupes se composait de jeunesfemmes de familles mennonites immigrées auCanada pour échapper à la révolution russe (1917)et à la guerre civile (1918-1921). Trouvant difficile-ment des moyens de subsistance et éprouvant desproblèmes financiers, les familles mennonitesarrivées vers 1920 ont dû se résoudre à envoyer lesfemmes non mariées de leur communauté travaillercomme aide-domestiques logées dans des maisonsde la classe moyenne et de la classe supérieure deWinnipeg. La dépression économique des années 30et les récoltes déficitaires ont ensuite aggravé la situ-ation de sorte que cette pratique s’est poursuiviejusqu’en 1950. Il était également courant que desFinlandaises, reconnues pour leur radicalisme,soient embauchées dans le service domestique.Nombre d’entre elles ont défendu les droits légauxdes travailleurs domestiques et se sont retrouvées àmiliter pour la politique socialiste.

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P R O F I L : A N N A T H I E S S E N

Les jeunes femmes qui travaillaient commedomestiques n’étaient pas protégées par la loi ni cou-vertes par les lois du travail de l’époque. Elles étaientvraiment exploitées. Les écrits de journalistesengagées décrivent les conditions d’emploimédiocres auxquelles étaient confrontées les domes-tiques. Les désavantages du travail de domestiqueétaient nombreux : rémunération faible ou inexis-tante, surcharge de travail et endroit insalubre pourdormir. Les domestiques devaient faire de longuesheures et n’avaient pratiquement pas de temps libresni de vie privée. À preuve cet article d’une jeuneAnglaise parue dans le Manitoba Free Press en 1909dans laquelle celle-ci explique que sa journée de tra-vail débute à 6 h 30 le matin et se poursuit jusqu’à20 h. Ces femmes se sentaient souvent isolées et soli-taires, parce qu’elles n’avaient pas beaucoup detemps pour se faire des amis ou pour socialiser. Cettesituation était particulièrement difficile pour lesimmigrantes qui arrivaient dans un nouveau pays etune nouvelle communauté. Celles qui travaillaientsur des fermes ressentaient encore plus cette soli-tude. Les immigrantes étaient aussi exposées à desrisques d’abus physiques ou sexuels. Toutes ces

raisons font que le travail domestique présentait peud’attraits par rapport aux emplois de bureau, parexemple, qui permettaient aux femmes d’acquérirune plus grande indépendance. Lorsqu’elles avaientle choix, beaucoup de femmes choisissaient de quit-ter le service domestique pour occuper de meilleursemplois.

Bien que ces conditions d’emploi médiocresaient été connues, il n’y a pas eu d’améliorations sig-nificatives dans les normes d’emploi relatives auservice domestique avant la Seconde Guerre mondi-ale. Les problèmes associés au travail domestiqueont plutôt été résolus lorsque celui-ci est devenumoins populaire comme source d’emploi auprès desfemmes parce qu’elles avaient dorénavant accès àd’autres postes. Lors de la Seconde Guerre mondiale,un grand nombre de femmes se sont retrouvées dansles usines qui avaient alors de grands besoins enmain-d’oeuvre.2 Vers les années 50, le nombre defemmes dans le service domestique était beaucoupmoins élevé parce que ces dernières préféraient setrouver un emploi qui payait mieux ou qui leurprocurait une liberté et une indépendance accrues.

Née en 1892, Anna Thiessen étaitarrivée au Canada en 1903. Elleétait l’aînée d’une famille de

treize enfants. Jeune mennonitereligieuse, elle était arrivée à Winnipegen 1915 pour faire du travail de mis-sionnaire. Elle avait été frappée par lasouffrance des familles, des veuves et desorphelins d’expression allemande quiarrivaient au pays sans ressource niemploi. Elle a joué un rôle clé dans lafondation de la maison Mary Martha,résidence pour les travailleuses domestiques men-nonites située au 437, avenue Mountain dans lesecteur nord de la ville. Exerçant des pressions sur laMennonite Brethren Church, elle a réussi à obtenirun soutien financier pour son projet. Anna Thiessena dirigé la maison Mary Martha de 1925 jusqu’aumilieu des années 40. Il y avait sur l’avenueBannatyne une deuxième résidence (la maisonEbenezer) que dirigeait une autre mennonitedévouée, Helen Epp.

La maison Mary Martha offrait l’hébergementainsi qu’un soutien matériel et affectif aux femmeset elle les aidait à se trouver un emploi. Elle a aussi

établi des normes d’emploi et ademandé que les employeurs aient àrépondre de la manière dont ilstraitaient leurs employées. Par exem-ple, les surveillantes refusaient deplacer des filles chez des employeursqui allaient mal les nourrir, leur don-ner une charge de travaildéraisonnable ou les faire dormir dansdes sous-sols humides. La maisonsélectionnait les employeurs et veillaità ce que les filles placées ne soient pas

maltraitées. À l’époque, il n’y avait pas de loi quirégissait les conditions d’emploi des travailleursdomestiques. Anna Thiessen a fait pression sur lesdignitaires de la ville afin qu’ils adoptent un règle-ment accordant un congé aux domestiques le jeudiaprès-midi et le jeudi soir.

Ces résidences étaient également des endroits oùles jeunes femmes pouvaient socialiser et s’amuser.Elles s’y réunissaient les jeudis midis pour mangerensemble et étudier la Bible. On y organisait descélébrations spéciales pour les fêtes de Noël et dePâques, par exemple. Pour Anna Thiessen, la maisonavait comme mission de répondre aux besoinsmatériels et spirituels des filles qu’elle accueillait.

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En 1959, les deux résidences furent forcées defermer leurs portes parce que trop peu de femmestravaillaient alors comme domestiques. Lors d’uneentrevue, une femme mennonite a déclaré ce qui suitau sujet des conditions difficiles qu’elle avait vécues : « Nous ne pouvions décider de ce que nousallions faire. Nous n’avions même pas l’argent poury réfléchir ». Une autre déclare : « Cela n’a fait demal à personne. Je pense que cela nous a aidé àdevenir ce que nous sommes aujourd’hui! »3.

ÉTUDE DE CAS : TRAVAIL AGRICOLE

Les Autochtones et les Métisses ont été les pre-mières femmes à pratiquer l’agriculture sur leterritoire où se trouve maintenant le Manitoba.

Dans les sociétés autochtones, la gestion de la nour-riture incombait principalement aux femmes. Lesfemmes Ojibway se chargeaient du traitement et dela conservation de la viande ramenée par les chas-seurs, mais elles piégeaient également le petit gibieret elles pêchaient. Elles récoltaient également desplantes indigènes, telles que les navets des Prairies,le riz sauvage et les baies, et recueillaient la sèved’érable pour en faire du sirop. Les femmesautochtones plantaient, sarclaient et récoltaient descéréales comme le maïs. Chez les Pieds-Noirs et lesMétis, les femmes jouaient un rôle de premier plandans le commerce des peaux de bison, nettoyant ettraitant le cuir et préparant le pemmican. Après lanégociation des traités et la création de réserves auxtermes de l’Acte des Sauvages (1876), les femmesont continué à s’occuper du travail agricole pournourrir leurs familles et la communauté autochtoneen cette période difficile où beaucoup d’entre euxmourraient littéralement de faim.

Même si la répartition des tâches dans lessociétés autochtones était dans une large mesurefondée sur le sexe comme dans les familles et lescommunautés blanches, les femmes autochtonesobtenaient une plus grande reconnaissance pourleur contribution et bénéficiaient du pouvoir socialcorrespondant. Cette situation contrastait radicale-ment avec celle de la société blanche où la contribu-tion des femmes à l’économie familiale restait dansl’ombre ou était décrite négativement comme du « travail de femmes ». Les historiens ont alléguéqu’un des effets les plus pervers de la colonisationdes blancs sur les autochtones a été l’effondrementdes « relations égalitaires entre les sexes »4. Lesfemmes autochtones ont toutefois continué de jouird’un statut privilégié dans leur communauté, con-servant le droit à la propriété, un pouvoir religieux etdes rôles politique et diplomatique. Ce sont des pou-

voirs que l’on refusait d’accorder aux femmeseuropéennes et canadiennes de l’époque.

À l’ère des pionniers, le travail des femmes a étéd’une grande importance pour l’économie rurale,même s’il n’était pas rémunéré et qu’il n’a pas obtenula reconnaissance méritée. Pendant la colonisation,les hommes trouvaient qu’il était difficile de survivresans l’apport des femmes qui, dans certains cas,effectuaient les durs travaux des champs ou partici-paient à la construction de la maison familiale. Lorsde la colonisation, les hommes et les femmes n’ontpas eu d’autre choix que de travailler ensemble.Ultérieurement, lorsque les fermes familiales bienétablies ont bénéficié de changements tech-nologiques (comme le matériel de battage et derécolte), les hommes et les femmes se sont vusattribuer des rôles plus distincts en fonction de leursexe. Les femmes ont délaissé les travaux deschamps pour s’occuper davantage des tâchesménagères. Les travaux des champs sont devenusl’entière responsabilité des hommes. Au moment desrécoltes, des équipes d’hommes étaient engagéespour opérer la machinerie et exécuter les tâchesmanuelles. Le travail des femmes consistait à prépar-er les repas pour les hommes. L’histoire orale nousapprend que les agricultrices s’occupaient destravaux des champs seulement lorsqu’il manquaitd’hommes pour faire ces travaux, comme pendant laguerre ou lorsque la famille n’avait pas les moyensd’embaucher des travailleurs.

En 1930, une étude du gouvernement avaitrévélé que les familles agricoles devaient acheterseulement la moitié de ce dont elles avaient besoin.Elles comblaient elles-mêmes l’autre moitié de cesbesoins, principalement par le fruit du travail desfemmes. Lors de la Crise de 1929, la capacité desfemmes de cultiver la terre a permis à certainesfamilles de rester sur la ferme ou même d’éviter demourir de faim. Avec l’aide des enfants, les femmesavaient habituellement la responsabilité de fairepousser et de récolter les légumes et les fruits.L’agriculture offrait même aux femmes la possibilitéd’avoir un emploi payé comme on peut le constatersur la photo dans cette publication qui nous montredes arracheuses de betteraves. Les femmes s’occu-paient aussi de faire de l’élevage, pas seulement despoulets et des porcs mais aussi des vaches. Lesfemmes élevaient des volailles qu’elles abattaientensuite et elles vendaient les œufs sur le marché.Avant la mécanisation de l’agriculture, les femmesrapportaient des revenus à la ferme grâce aux activ-ités laitières. Elles nourrissaient et trayaient les vach-es et vendaient ensuite le lait, le beurre et le fromagedans les collectivités environnantes. Une femme

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d’agriculteur décrivait l’élevage d’animaux commeun « travail à temps plein, 24 heures sur 24, 365 jours par année »5. Les femmes ont commencé à jouer un rôle moins actif dans l’élevage des ani-maux lorsque l’agriculture commerciale a pris del’essor et que les exploitations agricoles se sont mod-ernisées dans les années 50. Les femmes se sont alorsréorientées vers la gestion des exploitations agricoleset beaucoup d’entre elles ont cherché du travailailleurs que sur la ferme.

À la même époque, les femmes ont été respons-ables de l’amélioration des conditions de vie dans lesmaisons de ferme. Elles y sont parvenues avec trèspeu de commodités du monde moderne pendantune bonne partie du 20e siècle. Avant les années 50,peu de fermes avaient l’eau courante ou l’électricité.Il aura fallu aux agricultrices au moins une généra-tion de plus que les femmes des villes pour com-mencer à utiliser des réfrigérateurs électriques, desmachines à laver et des aspirateurs. Les femmesaccomplissaient manuellement des tâches difficilesqui étaient rarement comptabilisées.

ÉTUDE DE CAS : INDUSTRIE DU VÊTEMENT

Historiquement, l’industrie du vêtement a con-stitué une source importante d’emplois pour lesfemmes du Canada et celles de Winnipeg.Winnipeg, tout comme Montréal et Toronto, était uncentre de fabrication de vêtements. Le vêtement étaitun des rares secteurs où les immigrantes de la classeouvrière pouvaient trouver du travail. Beaucoup decelles qui travaillaient dans les manufactures de vête-ments étaient Juives, Ukrainiennes, Polonaises,Allemandes et Russes.

Au tout début des manufactures, les femmesétaient beaucoup plus nombreuses que les hommes.Elles apportaient du travail à la maison et travail-laient aussi dans de petits ateliers de confection et decouture. Les tentatives de syndicats tels que leUnited Garment Workers of America (UGWA) visantà syndicaliser ces travailleurs ont débuté vers la findu dix-neuvième siècle. La première section localede femmes de l’UGWA au Canada a été créée àWinnipeg en 1899. À cette époque, les travailleusesde l’industrie du vêtement étaient parmi les femmesles plus militantes, malgré l’absence de soutien destravailleurs et des syndicalistes qui considéraient cesfemmes comme une menace pour leurs emplois etleurs niveaux de rémunération.

On attribuait aux hommes et aux femmes destâches bien distinctes qui étaient censées tenircompte de leur sexe et de leurs compétences.

Comme le faisait remarquer un historien, « le travaildes femmes dans l’industrie du vêtement se fondaitsur l’opinion sociale voulant que leur destin ultimede femmes et de mères de famille rendait leur rôledans le monde du travail plutôt marginal »6. Engénéral, les hommes contrôlaient les emplois les plusspécialisés et les mieux payés tandis que les femmesétaient confinées aux aspects du travail jugés moinstechniques et par conséquent moins bien payés. Letravail de précision sur les manteaux et les completsdes hommes, comme la coupe et le pressage, étaitconsidéré comme un travail d’homme, tandis que lesfemmes s’occupaient du travail de finition, posaientla doublure et les boutonnières et cousaient les bou-tons. La production des vêtements pour femmes sefaisait de la même manière.

Dans les manufactures qui fabriquaient deschemisettes (combinaisons-jupons) et des robes, lamajeure partie du travail était accomplie par desfemmes qui se servaient de machines à coudre.Certaines pièces continuaient d’être cousues à lamain. Cette division des tâches fondée sur le sexefaisait en sorte que les femmes gagnaient moins queles hommes, et qu’elles étaient jugées inadmissiblesà des postes supérieurs plus spécialisés qui leurauraient permis d’améliorer leurs conditions salari-ales. En 1920, les travailleuses du vêtement gag-naient en moyenne 12,00 $ par semaine compara-tivement à 24,65 $ pour les hommes. Les emploissaisonniers étaient chose courante à l’époque, desorte que les femmes devaient faire durer le pluspossible leurs revenus lorsqu’elles étaient mises àpied.

Les travailleurs de l’industrie du vêtement étaientsouvent rémunérés pour chaque vêtement fabriqué.C’est ce qu’on appelait le travail à la pièce. Le travailà la pièce était souvent exécuté par des femmes etétait très mal rémunéré. Les employeurs tentaientsouvent d’accélérer le rythme de production dans lamanufacture en diminuant le tarif à la pièce, oblig-eant ainsi les employées à travailler plus rapidementpour gagner le même salaire. Le travail à la pièceincitait les femmes à travailler plus fort et plus rapi-dement. Comme elles gagnaient moins que leshommes, les femmes étaient particulièrement vul-nérables aux pressions découlant du travail à lapièce. Les hommes se sont opposés à l’applicationd’un tarif à la pièce mais les femmes n’étaient sim-plement pas en position de force pour le faire.

Les travaux de couture que les femmes faisaientà la maison étaient également rémunérés à la pièce.Même si le travail était très mal payé, c’était la seulemanière que les mères de famille avaient de gagnerde l’argent sans quitter la maison ni faire garder leurs

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enfants. Le travail à domicile mettait un lourdfardeau sur les épaules des femmes puisqu’ellesdevaient effectuer leurs tâches ménagères en plus deconsacrer de nombreuses heures à la couture.Beaucoup de familles de la classe ouvrière avaientbesoin du revenu supplémentaire parce que lerevenu du chef de famille n’était pas suffisant pourassurer le soutien de sa famille. Comme les femmesétaient isolées les unes des autres, il était difficilepour elles de s’organiser pour demander un meilleursalaire et de meilleures conditions de travail.

Les conditions de travail dans l’industrie du vête-ment étaient médiocres. Les manufactures, dont cer-taines étaient simplement des entrepôts convertis,étaient mal éclairées et mal ventilées. Insalubres, leslieux étaient propices à l’éclosion de maladiescomme la grippe et la tuberculose. Les semaines detravail de 60 heures étaient chose courante dans lesannées 30. Les machines à coudre fonctionnaientsans arrêt toute la journée. Les femmes souffraientd’épuisement nerveux en raison du rythme de travaileffréné et de l’accélération constante de la cadence.Si elles avaient le malheur de se plaindre, lesemployeurs les menaçaient de congédiement. Lesdirecteurs des manufactures imposaient une disci-pline très stricte aux employées. Voici ce que rap-portait un journal de Toronto en 1911 : « Les ateliersd’Eaton fournissent un exemple frappant de l’habi-tude chez les femmes de coordonner leurs actions. Àla fin de la journée, une première cloche se faitentendre. Immédiatement, le courant est coupé etles filles mettent de côté leur travail pour la nuit.Une autre cloche retentit et les filles se lèvent alorsjuste à côté de leurs chaises. Au son d’une troisièmecloche, elles placent simultanément leurs chaises àl’envers sur les tables pour permettre aux balayeursde faire leur travail »7. Les femmes pouvaient égale-ment écoper d’amendes si elles enfreignaient lesrègles en milieu de travail. Ces amendes étaientdéduites de leurs chèques de paye. Par exemple, lescouturières devaient payer une amende si ellesoubliaient de rapporter aux contremaîtres lesfusettes vides. Le travail réputé être de piètre qualitéétait retourné à la couturière afin qu’elle le refassegratuitement.

Au cours de la Grande Crise, les conditions detravail ont empiré pour les femmes qui travaillaientdans l’industrie du vêtement. Les propriétaires demanufactures se démenaient pour rester solvablesnotamment en augmentant la production desemployés et en réduisant leur salaire. Beaucoupd’entreprises ont créé des emplois à temps partielpendant cette période pour éviter d’être assujetties

aux lois gouvernant le salaire minimum. Avec autantde femmes au chômage ou nécessitant un secourssocial, il y avait toujours des travailleuses qui étaientprêtes à prendre la place de celles qui s’opposaientaux coupures de salaire. La montée du militantismeouvrier dans l’industrie du vêtement survenue aucours des années 30 à Winnipeg peut donc semblersurprenante. Entre 1930 et 1935, il y a eu plus devingt grèves dans l’industrie du vêtement, mettanten cause les hommes et les femmes. Les femmes sesont battues pour conserver le peu de sécurité finan-cière qu’elles avaient. Dans les années 20, le UnitedGarment Workers (UGW) avait organisé la plupartdes travailleurs du vêtement de Winnipeg ainsi quequelques travailleuses, mais avait par la suite perdudes membres parce qu’il n’était pas arrivé à contrerles coupures de salaires effectuées au début desannées 30. Un nouveau syndicat plus dynamique aalors vu le jour, le Industrial Union of Needle TradesWorkers (IUNTW). Faisant partie de la Workers’Unity League, ce syndicat a travaillé à regrouperdans un seul syndicat les travailleurs spécialisés etnon spécialisés — un modèle connu sous le nom desyndicalisme vertical — et il s’est intéressé davantageà la syndicalisation des femmes. Contrairement auxsyndicats plus conservateurs dominés par leshommes comme le UGW, l’IUNTW encourageait lesfemmes à occuper des postes de contrôle au sein del’organisation. Malgré les succès obtenus et son car-actère radical, le syndicat a rencontré une vive oppo-sition de la part des employeurs et a fait peu de gainsconcrets pour les femmes.

Le prochain syndicat industriel qui allait con-naître du succès à Winnipeg est le AmalgamatedClothing Workers of America (ACWA). À la fin de laSeconde Guerre mondiale, ce syndicat est parvenu àorganiser plus de 1 200 travailleurs de l’industrie duvêtement, principalement des femmes, employésdans les manufactures de vêtements de Winnipeg. Laparticipation des femmes aux premiers jours del’ACWA a été remarquable. C’était évidemmentlogique puisque la plupart des membres étaient desfemmes. Au cours de la première ronde de négocia-tions avec les employeurs, 41 femmes et 12 hommesreprésentaient le syndicat. À la fin des années 40, lesdirigeants syndicaux comptaient un certain nombrede femmes. Les pénuries de main-d’œuvre et la pro-duction accrue résultant de la guerre ont renforcé lepouvoir de négociation des syndicats et contribué enfin de compte à la hausse des salaires. Par suite descommandes d’uniformes militaires placées par legouvernement, les manufactures et les usinesdevaient mettre les bouchées doubles pour répondreà la demande. Pour la première fois depuis la

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Travaillant dans l’industrie du vêtement,Theresa Korzinski a été l’une des activistes del’ACWA. Pendant la Crise de 1929, elle avait

quitté Dryden, en Ontario, pour venir chercher dutravail à Winnipeg. Sa sœur aînée, qui travaillaitcomme domestique à Winnipeg, s’était organiséeavec son employeur pour trouver du travail àTheresa. Theresa faisait du ménage et s’occupait desenfants pour un salaire de 3 $ à 5 $ par mois. Aprèsune grave maladie, Theresa séjourna pendant uncertain temps dans une pension de famille, lesSisters of Service, qui accueillait les jeunes tra-vailleuses. Tout comme la maison Mary Martha, lesSisters of Service dirigeaient un bureau d’emploi etaidaient les femmes à trouver du travail comme tra-vailleuses domestiques. Theresa évoque ses sou-venirs : « Nous venions au 62, Hargrave pour y pass-er l’après-midi et pour le repas du soir. La cuisineétait excellente. Loin de chez nous, nous étionsreconnaissantes d’avoir cette maison qui nousaccueillait. Tout un éventail d’activités étaientprévues — des concerts, des bals masqués, desréceptions, des pièces de théâtre, des concerts depiano, et nous avons même notre propre équipe desoftball ».

Theresa n’aimait pas les tâches ardues et leslongues heures associées au service domestique et,avec l’aide d’une consoeur du 62, Hargrave, elledénicha un emploi à la manufacture de vêtements. « Au début, mon travail consistait à examiner lesvêtements afin d’enlever les fils qui dépassaient. …Je gagnais 18 cents de l’heure et j’adorais monemploi. Je cessais de travailler à 16 heures et j’étaisensuite entièrement libre — pas de travauxménagers, de vaisselle à laver ni de repas à préparer.

C’était vraiment bien…. Pendant la guerre, le gou-vernement nous commandait des pantalons et deschemises pour l’armée. Pour une douzaine de che-mises, nous devions poser 120 boutons et nous rece-vions 8 et 9 cents par centaine de boutons. J’aimaisbien ce travail également. J’étais très fière de tout ceque je faisais. »

Les travailleuses du vêtement étaient très malpayées. Elles travaillaient souvent dans des endroitsinsalubres où il faisait très chaud. Au cours deschauds mois de l’été, les femmes travaillent sur desétoffes très lourdes destinées aux vêtements d’hiver.La discipline était stricte dans l’atelier. « Nousn’avions pas le droit de parler pendant les heures detravail. Si vous étiez surprise à parler — adieu —vous étiez congédiée. Aussi, personne n’osait ouvrirla bouche lorsque le superviseur rôdait aux alen-tours. » Le temps passé aux toilettes était égalementrigoureusement contrôlé. L’une des collègues deTheresa avait été réprimandée verbalement pouravoir passé trop de temps aux toilettes et on l’avaitmenacée de congédiement. À la surprise de Theresa,la collègue s’était défendue devant le superviseur.

Par la suite, Theresa a appuyé la syndicalisationde son milieu de travail. Elle est devenue déléguéesyndicale (représentante du syndicat) et a été activedans le mouvement syndical au cours des années 50et 60. Puis, Theresa a été élue secrétaire de la sectionlocale de l’AGWU. « Je considérais cette nominationcomme un honneur, se rappelle Theresa. Cela a étéune expérience très formatrice…. Je conserve d’ex-cellents souvenirs de cette période. J’ai appris beau-coup et aider les autres m’a apporté une très grandesatisfaction. »

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Première Guerre mondiale, les salaires ont consid-érablement augmenté. Comme se rappelle unefemme : « Certaines femmes gagnaient maintenant 18 $ ou 19 $ par semaine, presque le salaire d’unhomme »8. Vers les années 50, les salaires des mem-bres de l’ACWA étaient équivalents à ceux de tra-vailleurs de bureau comme les commis ou les dacty-los.

La contribution des femmes de l’ACWA au mou-vement ouvrier du Manitoba a été très importante.Des femmes comme Kay Stifora, qui a été l’une destrois femmes à être élues à la direction du WinnipegLabour Council en 1978, ont travaillé activementcomme représentantes syndicales sur le marché dutravail et plus globalement pour l’ensemble du mou-

vement ouvrier. Les femmes ont également été trèsactives dans la Union Label League, qui s’estinsurgée contre le travail dans les ateliers clandestinsnon syndiqués en encourageant les consommateursà acheter des vêtements dont l’étiquette confirmait lafabrication syndicale. L’histoire de ces femmes con-tredit la perception selon laquelle les femmes ne s’in-téressaient pas aux syndicats. Certaines de cesfemmes n’ont travaillé dans l’industrie du vêtementque quelques années avant de se marier. D’autres,comme Kay, y sont restées pendant plus de trenteans. Vers 1950, la majorité des femmes que l’onretrouvait dans l’industrie du vêtement étaient mar-iées. Ces femmes savaient concilier travail, activismesyndical et mariage.

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Pourquoi les femmes étaient-elles confrontées àautant d’inégalités dans le monde du travail? Aucours de cette période, les femmes ont lutté

contre les attentes sociales à leur égard et contrel’idéalisation de la femme comme épouse et mère. Onne prenait pas au sérieux les emplois et carrières desfemmes parce qu’on supposait qu’elles allaient quitterdéfinitivement le monde du travail une fois mariées.La place de la femme était à la maison. Ces attitudesétaient courantes peu importe les classes sociales, lesorigines ethniques ou les races. En 1910, le Premierministre du Manitoba, M. Rodmond Roblin, avaitdéclaré que les jeunes femmes qui travaillaient dansles manufactures de Winnipeg voulaient simplementde l’argent de poche. Le réformateur progressiste, J. S.Woodsworth, avait déploré le fait que les travailleurset les immigrants arrivés récemment ne puissent pasgagner suffisamment pour subvenir aux besoins deleurs familles, ce qui obligeait les femmes à travaillerà l’extérieur. Selon lui, si les femmes travaillent, celasignifie qu’il faut « sacrifier les meilleures choses quela vie de famille peut apporter ».10

MM. Woodsworth et Roblin n’étaient pas les seulsà penser que les hommes devaient assurer le soutienfinancier des femmes et des enfants. Les historiensfont référence au modèle masculin comme soutien dela famille. C’était une norme sociale bien enracinée aucours de la première moitié du vingtième siècle.Même les familles d’ouvriers les plus pauvres quiavaient besoin de revenus supplémentaires et quin’avaient pas d’autres choix que d’envoyer la femmeet les enfants sur le marché du travail, continuaient decroire que l’homme devait être le seul soutien de lafamille. Certains hommes étaient honteux etdémoralisés si leur femme ou leurs filles devaient tra-vailler pour permettre à la famille de joindre les deuxbouts. D’autres interdisaient simplement à leurfemme de travailler. Les femmes mariées qui avaientun emploi étaient sévèrement critiquées. On leurattribuait les problèmes sociaux comme la délin-quance juvénile et les problèmes médicaux comme lamortalité infantile. L’opinion publique considéraitque la présence des femmes à la maison contribuait àminimiser les problèmes sociaux.

En fait, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale,l’homme comme unique soutien de famille a été unmythe et non une réalité pour la plupart des famillescanadiennes. Les familles de la classe moyenne et dela classe supérieure ont été en mesure de vivre sur lesrevenus de l’homme qui était chef de famille, mais

beaucoup de familles d’ouvriers n’ont pas eu cettepossibilité. Vers la fin des années 20, la prospéritééconomique et une amélioration générale des niveauxde santé avaient rapproché la famille de cet idéal d’unseul soutien de famille. Un homme pouvait soutenirseul sa famille s’il avait un bon emploi (de préférencesyndiqué), travaillait régulièrement toute l’année, netombait pas malade et ne se blessait pas et avait troisenfants ou moins à nourrir. Mais la Crise de 1929 aramené l’insécurité économique, le chômage et lesbas salaires. Les familles de la classe ouvrière étaienthabituées à prendre tous les moyens possibles pourboucler leur budget, y compris à faire travailler lafemme et les enfants. Ce n’était évidemment pas lasituation idéale.

Les historiens ont allégué que la séparation destâches entre les hommes et les femmes survenait bienavant l’arrivée des femmes sur le marché du travail.Les filles apprenaient également leurs rôles dans leursfamilles et à l’école. « Les décisions prises dans lesfamilles au sujet de ceux qui devaient rester à la mai-son pour prendre soin des enfants et s’occuper destravaux ménagers et de ceux qui devaient gagner unrevenu ont un impact important sur la composition dela main-d’oeuvre. »11 On apprenait aux filles pendantleur enfance et leur adolescence les normes auxquelleschacun des sexes était soumis. Dès leur plus jeune âge,les garçons et les filles devaient assumer des respons-abilités différentes dans la maison et entretenaient desrapports différents avec le travail rémunéré. Les fillesdevaient souvent rester à la maison pour aider leurmère dans les tâches domestiques. De leur côté, lesjeunes garçons étaient encouragés à travailler commelivreurs de journaux ou comme messagers dans desbureaux. Dans la classe ouvrière, la famille s’attendaità ce que les garçons âgés d’au moins quinze ou seizeans travaillent et contribuent financièrement auménage. Les possibilités de travailler à l’extérieurétaient bien plus fortes pour les fils plus âgés que pourles filles. Les familles d’ouvriers considéraient que c’était tout à fait normal. Il y avait peu d’emplois queles filles pouvaient choisir et les salaires qui s’y rat-tachaient étaient très bas. Il semblait logique que lesfilles restent à la maison pour aider aux tâches domes-tiques. C’était tout particulièrement vrai au début duvingtième siècle, où les femmes mettaient au mondeun grand nombre d’enfants, ce qui leur donnait beau-coup de travail à la maison. Les familles s’inquiétaientégalement de la possibilité que leurs filles soientabusées à leur lieu de travail, harcelées sexuellementou assaillies.

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2. OBSTACLES SOCIAUX AU TRAVAIL DES FEMMES

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Les filles ont également appris à l’école ce qu’onattendait (ou ce qu’on n’attendait pas) d’elles. L’écolemettait habituellement l’accent sur les compétencesdomestiques des filles, leur apprenant à être debonnes épouses et de bonnes mères. Les filles pou-vaient apprendre à cuisiner ou à prendre soin desenfants. Les cours visant à préparer les jeunes femmesau monde du travail portaient surtout sur la tenue delivres ou la dactylographie, ces emplois représentantdes débouchés pour beaucoup de jeunes femmeslorsqu’elles terminaient leurs cours.

Les mouvements réformistes ont eu des attitudescontradictoires lorsqu’il était question de défendre ledroit des femmes au travail. Au cours de la premièremoitié du vingtième siècle, même les féministes croy-aient parfois que les femmes mariées ne devaient pastravailler. Par exemple, en 1920, le UniversityWomen’s Club — un groupe d’universitaires cultivéesqui appuyaient le droit de vote des femmes et qui tra-vaillaient à améliorer leurs conditions de travail —avaient déclaré qu’elles s’opposaient à ce que lesfemmes mariées travaillent. Au cours d’un débat sur laquestion, une femme avait indiqué que « la bonnecuisine, une bonne relation de couple et l’influencematernelle reposaient essentiellement sur la présencede la mère à la maison ». Les opposants soutenaientplutôt l’égalité d’accès à l’emploi pour les hommes etles femmes. Sans cette égalité, les femmes resteraienttoujours financièrement dépendantes des hommes.Toutefois, à la fin de cette rencontre, les femmes mem-bres du club avaient voté contre le droit au travail desfemmes mariées12.

D’autres féministes clamaient haut et fort leurappui à l’égalité en milieu de travail. En 1928, Nellie McClung avait écrit ce qui suit dans la revue Maclean’s : « Une femme peut-elle élever une familleet mener une carrière en même temps? Sans aucunehésitation, OUI! »13. L’anarchiste féministe bien con-nue, Emma Goldman, qui avait visité Winnipeg audébut du vingtième siècle, était d’avis que le droit autravail de la femme était un des éléments importantsde la liberté de la femme. Comme bien d’autres, elleconsidérait que la dépendance économique à l’égarddes hommes constituait une entrave à la liberté desfemmes.

Au sein des syndicats et des mouvements social-istes, les femmes défendaient également les droits desfemmes en milieu de travail. Elles devaient souventdébattre des attitudes qu’adoptaient leurs collèguesmasculins. « Pendant une bonne partie du vingtièmesiècle, le mouvement ouvrier considérait générale-ment les femmes au travail comme un problème etune menace potentielle pour les hommes. »14 Avant laPremière Guerre mondiale, le mouvement syndical

s’opposait à l’embauche des femmes dans le secteurindustriel. Les hommes craignaient que les femmesleur volent leur emploi et alléguaient que le basniveau salarial des femmes avait un impact négatif surcelui des hommes. Les dirigeants syndicaux perce-vaient également les femmes comme des êtres passifset conservateurs et croyaient qu’il était pratiquementimpossible de les syndicaliser ou de les inciter à fairela grève. Les femmes étaient réputées être fondamen-talement moins militantes que les hommes. Cette per-ception était erronée comme le démontre le présentdocument. Les femmes étaient disposées à militerpour défendre leurs droits en milieu de travail. Maisavant les années 70, elles avaient très peu de modèlesféminins dans le mouvement syndical, largementdominé par les hommes, pour les inspirer. Les syndi-cats qui comptaient des femmes parmi leurs membresavaient tendance à les exclure des postes de contrôleet ils n’accordaient pas une place prioritaire aux ques-tions importantes pour les femmes lors des négocia-tions collectives.

De plus, le mouvement ouvrier manitobain étaitdominé par des Anglo-Canadiens. Les préjugés qu’ilsentretenaient envers les immigrants et les Juifs pou-vaient faire obstacle aux efforts de syndicalisation.Beaucoup de femmes que l’on retrouvait dans dif-férents emplois allant du travail domestique au travailde manufacture étaient des immigrantes arrivéesrécemment de l’Europe du Sud ou de l’Europe del’Est. Comme beaucoup de gens de l’élite sociale, lestravailleurs d’ascendance canadienne ou britanniqueavaient tendance à regarder de haut les Ukrainiens etles Polonais, par exemple. Ils ne percevaient pas lesimmigrants européens ou asiatiques comme leurségaux sur le plan social et souvent ne les acceptaientpas dans les mouvements prônant le changementsocial. Au Canada, le racisme et l’ethnocentrisme ausein des mouvements progressistes sont venus s’ajouter au sexisme, rendant doublement difficile lalutte pour les droits des femmes au travail.

Il est évident que les employeurs ont profité desinégalités que subissaient les femmes au travail et dansla société en général. Ils estimaient que les femmesconstituaient une main-d’œuvre bon marché prête àaccepter bien des compromis. Les entreprises consid-éraient qu’il était logique de payer aux hommes dessalaires plus élevés pour effectuer le travail plus spé-cialisé. Elles confiaient ensuite les tâches moins spé-cialisées aux femmes, aux immigrants arrivés récem-ment ou aux travailleurs de couleur qui pouvaient êtrepayés moins cher en raison de leur marginalisationsociale. Toutefois, au fil des ans, les employeurs ontété de plus en plus critiqués pour le traitementinéquitable qu’ils réservaient aux femmes en raison deleur sexe.

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Téléphonistes de laSociété de téléphonedu Manitoba

Anna Thiessen, fondatrice de la maisonMary Martha, 1918

Domestiquesmennonites,vers 1940

Travailleuses duvêtement en grève

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Travailleurs du vêtement

Arracheuses de betteraves

Francis Marion Beynon

Margret Benedictsson, vers 1905

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3. CAMPAGNES MENÉES POUR LE DROIT DES FEMMES AU TRAVAIL

Ce n’est pas par hasard que les femmes ontréussi à obtenir une plus grande égalité autravail. C’est un élément pour lequel les

femmes se sont constamment battues au cours duvingtième siècle. Les campagnes pour les droits desfemmes en milieu de travail étaient souvent associéesà d’autres aspects du mouvement féministe, commele droit de vote ou le droit de posséder des biens.Même s’il y avait habituellement des tensions et desdivisions entre les femmes au sein des mouvementssociaux, les femmes de toutes les classes sociales etde toutes les races unissaient leurs voix pour deman-der des changements.

Les femmes journalistes, qui étaient plutôt priv-ilégiées, très instruites et qui étaient issues defamilles à l’aise financièrement, ont largement con-tribué aux droits des femmes en matière d’emploi endévoilant l’exploitation dont elles étaient victimes eten exigeant de meilleures conditions de travail et dessalaires plus élevés pour les femmes. Défrichantelles-mêmes le terrain dans une profession dominéepar les hommes, les femmes journalistes parlaientsouvent avec passion d’égalité sociale et économiquepour les femmes.

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Cadette de six enfants, FrancisMarion Beynon est née en 1884à Streetsville, en Ontario. Sa

famille s’établit au Manitoba alorsqu’elle est enfant. Les familles tant ducôté maternel que du côté paternel sontdes méthodistes très pratiquants etcomptent parmi elles de nombreuxministres du culte. La mère de Francismilite activement au sein de la Women’sChristian Temperance Union, organisa-tion réformiste qui veut interdire lavente d’alcool. À l’âge adulte, Francis décide derejeter la pratique religieuse excessive de sa famille etla discipline très stricte de son enfance.

Après la mort de leur mère, Francis et plusieursde ses sœurs s’instruisent pour devenir enseignanteset elles font l’école dans les régions rurales duManitoba. Toutefois, Francis délaisse rapidementl’enseignement. En 1908, elle déménage à Winnipeget se trouve un emploi au service de publicité de lacompagnie T. Eaton. Elle est une des premièresfemmes à l’Ouest à faire carrière dans la publicité.Vers 1912, elle devient la première rédactrice en chefà temps plein du Grain Grower’s Guide. Sa sœur,Lillian, est une rédactrice attitrée de la Free Press.Elle et Lillian ont été d’importantes porte-parole dela réforme sociale et elles ont participé activement aumouvement en faveur du droit de vote des femmes.Francis a écrit nombre d’articles au sujet du droit de

propriété des femmes sur les biensfamiliaux, des dispositifs d’économiede main-d’œuvre pour la maison et duvote des femmes.

Au cours de cette période, les deuxfemmes ont fait partie d’une très richeculture du journalisme féminin auCanada cherchant à améliorer les con-ditions sociales des femmes écrivains età obtenir qu’elles soient reconnues etrespectées au même titre que leshommes. Ces femmes ont défriché le

terrain dans une profession dominée par leshommes. Comme elles avaient été exclues du trèsmasculin Canadian Press Club, elles ont décidé decréer en 1906 leur propre organisation — leCanadian Women’s Press Club (CWPC). Le CWPCpeut revendiquer la plus longue existence commeorganisation de journalistes féminines au monde. LeCWPC offrait à ses membres un esprit de franchecamaraderie et un soutien mutuel à l’extérieur de lafamille. Il a permis à ces membres de « tisser desliens d’amitié durables et de prendre conscience deleur valeur comme professionnels »15. L’organisationa également favorisé l’éclosion de l’activisme tantdans les régions rurales que dans les centres urbains.Les historiens reconnaissent le rôle de premier planque le CWPC a joué dans l’obtention du droit devote pour les femmes. Les journalistes du CWPC ontutilisé leur accès aux médias pour provoquer un

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débat public sur des questions de grande importancepour les femmes, dont les conditions de travail et lesconditions salariales des femmes occupant diversemplois allant de domestiques jusqu’à enseignantes.

Au cours des premières décennies du vingtièmesiècle, les femmes de l’Ouest canadien avaient unetrès grande influence par l’entremise du CWPC. Onretrouve parmi elles Nellie McClung, la plus célèbredes féministes du Manitoba et Emily Murphy, l’unedes collègues de McClung dans l’affaire « personne »qui aboutit à la reconnaissance des femmes comme« personnes individuelles » au Canada en 1929.

Au cœur même de ce réseau de soutien, FrancisBeynon a également été en mesure d’exprimer sontalent artistique. Elle est l’auteur du roman AletaDay, que l’on reconnaît maintenant comme unimportant ouvrage féministe et pacifique de cettepériode. Le roman fut publié par la presse britan-

nique réformiste en 1918, juste après la fin de laPremière Guerre mondiale. Malgré la notoriété deMme Beynon comme journaliste dans la région, lesManitobains firent peu de cas de son roman lorsqu’ilparut au Canada en 1920. Aleta Day se passe àWinnipeg. Tout comme Francis, la protagoniste estune journaliste féministe qui lutte pour faire tomberles obstacles sociaux à l’égalité et à l’épanouissementdes femmes. Mme Beynon s’est également ardemmentopposée au militarisme de l’époque, se dressant con-tre la guerre et la conscription des soldats. Aleta estsensibilisée aux horreurs et aux injustices de laguerre par les souffrances de son amoureux, un sol-dat exposé au gaz et blessé dans les tranchéesd’Europe.

En 1917, Francis déménagea à New-York où vin-rent la rejoindre sa sœur Lilian et son mari. Noussavons très peu de chose de sa vie après cette période.

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PROFIL : MARGRET BENEDICTSSON

Les activistes désireuses d’amélior-er les conditions de travail et devie des femmes ne provenaient

pas toutes d’organisations de femmesanglo-canadiennes de la classemoyenne. Il est important de recon-naître aussi les réalisations et l’engage-ment d’immigrantes comme MargretBenedictsson, écrivaine et dirigeantepolitique de la communauté islandaiseau Manitoba. Margret était née en 1866en Islande et avait immigré au Dakota du Nord alorsqu’elle était encore enfant. Elle subvenait déjà à sesbesoins à l’âge de 13 ans, travaillant pour payer sesétudes secondaires et ses deux années de collège.Elle déménagea ensuite à Winnipeg et épousa SigfusBenedictsson en 1892. En 1898, Margret et Sigfuscommencèrent à publier Freyja (« femme »), unmagazine en langue islandaise qui prônait le droit devote des femmes. Paru en 1898, le premier numéromentionnait que « les questions relatives à l’émanci-pation et aux droits des femmes seront toujoursnotre préoccupation principale ». Margret était larédactrice en chef du magazine et elle rédigeait outraduisait une grande partie de son contenu. Le mag-azine imprimait des traductions des écrits deCharlotte Perkins Gilman et de Olive Schreiner,deux auteures connues du mouvement féministeinternational au tournant du vingtième siècle.

En plus de parler du droit de votedes femmes, Freyja s’intéressait àd’autres questions qui revêtaient del’importance pour les femmes. Le mag-azine critiquait les limites imposées auxfemmes dans leur vie et l’impossibilitéde choisir d’autres emplois que ceux demère de famille ou de domestique.Margret était d’avis que les femmesdevaient avoir davantage accès auxemplois professionnels et aux postes degestion. Elle alléguait également que le

travail des femmes à la maison représentait une con-tribution inestimable (et non reconnue) à l’économiede la famille, aussi importante que le salaire gagnépar les hommes. Freyja soulignait également lanécessité d’avoir des mesures d’assistance socialepour les femmes vivant dans la pauvreté, alléguantque l’État devait s’occuper des besoins des pauvres.Dans ses textes, Margret soulignait qu’il fallaitaméliorer la vie des femmes de la classe ouvrière etoffrir de meilleures conditions de travail dans desemplois comme le service domestique.

La vie privée de Margret reflétait bien les nom-breuses tensions que subissaient les femmes quivoulaient mener de front une vie familiale active etune carrière. Elle devait concilier ses rôles d’éditriceet de rédactrice en chef avec ses responsabilitésménagères qui comprenaient prendre soin de sestrois enfants. Son mariage commença à s’effriter et

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fut dissolu après que Sigfus lui eut refusé l’accès à lapresse à imprimer dont il était propriétaire. Freyjacessa d’être publié en 1910. Margret quitta alors sonmari et emmena ses trois enfants aux États-Unis oùelle demeura jusqu’à son décès en 1956.

La campagne en faveur d’une loi établissant unsalaire minimum au Manitoba a été l’un des effortsréformistes les plus importants pour améliorer lesconditions de travail des femmes. Avec l’appui d’or-ganisations de la classe ouvrière telles que leWomen’s Labour League, des groupes de femmes dela classe moyenne, comme le University Women’sClub, ont pressé le gouvernement d’agir. Vers la finde la Première Guerre mondiale, le gouvernement aeffectué une enquête afin d’évaluer le besoin d’unsalaire minimum pour les femmes. (À l’époque, onne jugeait pas nécessaire d’avoir une telle loi pourprotéger les travailleurs masculins.) Dans le cadre decette enquête, qui visait à établir un « salaire-subsis-tance » pour les femmes, 9 000 travailleuses furentinterrogées. L’enquête sur le salaire minimum suppo-sait que les femmes — et tout particulièrement cellesqui avaient moins de 18 ans — avaient d’autressources de soutien financier à part leur salaire. Elleprésumait que la plupart des jeunes travailleusesvivaient à la maison. L’enquête n’envisageait pas lapossibilité que des femmes puissent avoir à soutenirfinancièrement des enfants ou d’autres membres dela famille avec leur salaire. Les hypothèses émisesétaient conformes à l’opinion générale des organisa-tions ouvrières, des réformistes de la classemoyenne, des employeurs et du gouvernement selonlaquelle la notion de « revenu familial » (un niveaude rémunération suffisamment élevé pour soutenirles membres de sa famille) n’était pertinente quepour les hommes. Les hommes étaient considéréscomme des soutiens de famille tandis que lesfemmes ne l’étaient pas. Les responsables de l’en-quête sur le salaire minimum en arrivèrent à la con-clusion qu’un salaire hebdomadaire de 10 $ était lemontant minimum dont une femme avait besoinpour survivre.

L’enquête révéla à quel point la situation salarialedes femmes au Manitoba était terrible. Dans les man-ufactures visées par le sondage, seulement 38 pourcent des femmes gagnaient 10 $ ou plus parsemaine; la majorité gagnait moins.16 Beaucoup d’en-tre elles avaient un salaire nettement inférieur. Unefille de 15 ans qui travaillait pour un fabricant deboîtes en carton gagnait 5,50 $ par semaine. L’aînéede cinq enfants, elle vivait chez ses parents et leurremettait son salaire. Le seul luxe qu’elle se permet-tait était de dépenser 2,60 $ par année pour aller aucinéma. Une femme de 22 ans travaillant également

pour un fabricant de boîtes en carton gagnait 8 $ parsemaine. Elle ne vivait pas chez ses parents et devaitpayer 18 $ par mois pour se loger et se nourrir.Interrogée dans le cadre de l’enquête, elle avaitdéclaré qu’elle espérait pour la première fois pouvoiracheter des sous-vêtements de laine pour l’hiver.Nombre des autres femmes interrogées, qui travail-laient pour des confiseurs, dans des manufactures devêtements ou dans d’autres types d’usine vivaientdes conditions semblables. Leur salaire couvrait àpeine leur frais de subsistance et il ne leur restaitpratiquement rien pour les autres dépenses commede nouveaux vêtements ou des loisirs.

In 1918, le gouvernement provincial duManitoba créa la Commission du salaire minimumcomposée de deux représentants ouvriers, de deuxreprésentants patronaux et d’un président. Il y avaitdeux femmes au sein de la Commission. LaCommission fixa le salaire minimum à 11 $ ou 12 $par semaine selon l’industrie, avec un barème salar-ial moins élevé pour les apprentis et les mineurs. Lesemployés n’étaient admissibles à ce minimumqu’après 18 mois de service auprès de leuremployeur. Ces règles ne contentaient pas tous ceuxqui avaient fait campagne pour l’établissement d’unsalaire minimum. Helen Armstrong de la Women’sLabour League s’était fortement opposée à l’applica-tion d’un salaire minimum différent en fonction del’âge.

La Commission a également voulu apporter desaméliorations dans d’autres secteurs de travail desfemmes. Elle exigeait que les femmes aient des paus-es de dix minutes et une journée libre chaquesemaine. La Commission voulait une semaine de tra-vail de 48 heures pour les femmes et elle avaitélaboré un barème détaillé des heures maximumspar secteur. La Commission exigea également que lessalaires des travailleurs soient versés chaque semaineau lieu de l’être aux deux semaines ou mensuelle-ment. Elle espérait procurer aux femmes une plusgrande stabilité d’emploi en persuadant lesemployeurs de leur donner un avis de congédiementde deux semaines.17

Bien que ces règles aient constitué une certaineamélioration, l’application des lois sur le salaire min-imum était tout autre chose. Au cours de la Crise de1929, il y avait des femmes dans l’industrie de laconfection qui gagnaient moins de 9 $ par semaine.Questionnées à ce sujet, des femmes s’étaient rap-pelées qu’elles gagnaient aussi peu que 5 $ à 7 $ parsemaine. Une femme qui avait commencé à travaillerà l’âge de seize ans se rappelle : « Le plus que j’aigagné pour le travail à la pièce, c’est 5 $ par semaine

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… Les jours d’hiver, il faisait si froid lorsque noustravaillions à nos machines à coudre que nousdevions porter nos bottes et parfois nos manteaux àl’intérieur … si nous allions nous plaindre ensembleau patron pour avoir du chauffage, il nous traitait debolcheviques et il menaçait de toutes nous congédi-

er si nous ne retournions pas immédiatement à nosmachines »18. Dans l’industrie du vêtement, lessalaires et les conditions de travail ne s’étaientpresque pas améliorés vers les années 50, surtoutdans les manufactures non syndiquées quiembauchaient des immigrants nouvellement arrivés.

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PROFIL : HELEN ARMSTRONG

Helen Armstrong est l’une des activistes dumouvement ouvrier les plus connues duManitoba. En tant que femme, elle a été l’ex-

ception dans le mouvement ouvrier dominé par leshommes. Elle a joué un rôle de premier plan dansla grève générale de Winnipeg (1919), en étant l’unedes deux seules femmes à faire partie du comité degrévistes formé de 53 travailleurs. Helen a égalementété présidente de la Women’s Labour League, organ-isatrice syndicale, partisane du salaire minimum, etmembre du Political Equality League, la coalition deWinnipeg pour le droit de vote des femmes. Pendantla Première Guerre mondiale, elle s’est opposée (avecd’autres membres du mouvement syndical) à la con-scription des travailleurs et elle a défendu les droitsdes « étrangers ennemis » emprisonnés. Elle a faitpression sur les gouvernements pour que les femmeset les enfants des soldats obtiennent de meilleurespensions. Helen a également défendu publiquementles causes des travailleuses et des familles de tra-vailleurs. Son activisme lui a valu d’être arrêtée àplusieurs occasions. La vie d’Helen démontre que lesfemmes faisant partie de la classe ouvrière étaientloin d’être des victimes passives de leurs conditionsde travail ou des conditions économiques. Lesfemmes ont joint les rangs de la Women’s LabourLeague pour militer en faveur d’un changementsocial et pour améliorer leur vie professionnelle.

Helen et son mari, George Armstrong, ont vécu àWinnipeg pendant peu d’années, mais ils ont exercéune influence importante sur les mouvements ouvri-er et socialiste de la ville. George a également été unefigure dominante lors de la grève générale deWinnipeg, et a été au nombre des organisateurs de lagrève qui ont été arrêtés et emprisonnés. Helen estnée en Ontario. Elle était la fille d’Alfred Jury, untailleur et un membre influent des chevaliers duTravail, une organisation de travailleurs qui a militéen faveur de la journée de neuf heures de travail etd’autres mesures en vue d’améliorer le sort des tra-vailleurs. Helen a rencontré George Armstrong dansla boutique de son père. Après avoir vécu pendantquelque temps aux États-Unis, le couple est venus’installer à Winnipeg.

À une certaine époque où le mouvement ouvriermettait l’accent sur les travailleurs syndiqués de sexemasculin et militait en faveur d’un « salaire familial », Helen et les membres de l’organismequ’elle a contribué à mettre sur pied — la Women’sLabour League — se sont rendus compte de lanécessité d’organiser les femmes qui se battaientpour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leurfamille. Helen a participé à la campagne en vue desyndiquer les femmes qui travaillaient dans les mag-asins à rayons de Winnipeg, et elle a été à la têted’une grève contre Woolworth en 1917. Les femmesqui travaillaient chez Woolworth gagnaient aussi peuque 6 $ par semaine, pour de longues heures de tra-vail épuisantes. Elles demandaient au moins 8 $ parsemaine, la reconnaissance syndicale et une demi-journée de congé. Elles ont fait la grève du 26 mai au11 juin 1917 pour appuyer leurs revendications. Lesgrévistes ont reçu l’appui de l’ensemble du mouve-ment ouvrier, qui les a aidés à recueillir des fondspour les indemnités de grève. La grève a eu desrésultats mitigés. Woolworth a accepté de hausser lessalaires et d’améliorer les congés, mais elle a refuséde reconnaître le syndicat. La plupart des femmesqui avaient fait la grève perdirent leur emploi, parceque l’entreprise avait engagé des remplaçantes pen-dant la grève.

Helen Armstrong et la Women’s Labour Leaguedevaient jouer un rôle central dans l’organisation desgrévistes de sexe féminin dans la grève générale his-torique de Winnipeg qui a eu lieu en mai et en juin1919. La grève générale a débuté au moment où leconseil des ouvriers métallurgistes a demandé à êtrereconnu comme l’agent négociateur officiel desouvriers métallurgistes de Winnipeg. Lesemployeurs de la ville ont refusé de reconnaître leconseil ou le conseil des métiers du bâtiment. Ils nevoulaient pas rencontrer les représentants des tra-vailleurs pour discuter d’un salaire minimum vital.Les travailleurs qui ont participé à la grève généralene se sont pas battus seulement pour de meilleurssalaires et de meilleures conditions de travail. Ils ontaussi revendiqué le droit à la négociation collectiveet à la syndicalisation.

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Les grévistes n’étaient pas tous des hommes. Defait, les premiers travailleurs à faire la grève pourappuyer les ouvriers métallurgistes et les ouvriers dubâtiment ont été les téléphonistes — au nombre decinq cents. Un jour après le début de la grève, leGlobe de Toronto publiait que les 30 000 grévistesde Winnipeg comptaient dans leurs rangs deux millefemmes. Il y avait des commis de magasin, des tra-vailleuses du vêtement, des serveuses, des relieuseset des travailleuses du secteur de la confiserie. HelenArmstrong a incité les femmes syndiquées et nonsyndiquées à appuyer la grève. Elle a joué un rôleessentiel dans l’organisation des travailleuses et, parl’entremise de la Women’s Labour League, a appuyéles grévistes qui perdaient leur salaire. La Women’sLabour League a organisé des activités de levée defonds et dirigé un réfectoire qui fournissait gratuite-ment des repas aux femmes affamées. Les hommesqui venaient au réfectoire versaient une contributionen argent, pour reconnaître que les femmes sur lemarché du travail gagnaient moins et qu’elles avaientdonc moins de ressources sur lesquelles elles pou-vaient compter. La Women’s Labour League a égale-ment mis sur pied un comité de secours qui faisaitdes dons en argent aux femmes dans le besoin, pourles aider à payer leur loyer et leurs autres dépenses.

Helen Armstrong a également fait du piquetagelors de la grève et elle a été arrêtée à plusieurs repris-es. Elle a organisé des réunions et essayé de syndi-quer de nouveaux groupes de travailleuses. La grèvegénérale a fourni à Helen l’occasion de tenter de syn-diquer les travailleuses du commerce, particulière-ment celles qui travaillaient dans des petits maga-

sins. Elle a réussi à convaincre un grand nombred’entre elles de faire la grève. Les serveuses ont étéun autre groupe important de grévistes. Les salaireset les conditions de travail des femmes dans lesrestaurants étaient effroyables, en dépit des nou-velles règles sur le salaire minimum. Les heures detravail variaient entre neuf et quatorze heures etdemie, et les congés allaient d’un jour à trois jourspar mois. Certaines serveuses gagnaient aussi peuque 15 $ par mois. Leurs employeurs retenaient surces misérables gages un certain montant pour lesuniformes et les pourboires des commis débar-rasseurs, de sorte que le salaire net des serveusesdiminuait à 9 $ par mois. Selon la Commission dusalaire minimum, ces femmes auraient dû gagner aumoins 12,50 $ par semaine. Les travailleurs derestaurant ont fait la grève pendant plus d’un moispour essayer d’obtenir un salaire d’au moins 10 $ parsemaine pour les femmes et de 15 $ pour leshommes.

Helen Armstrong et la Women’s Labour Leagueont continué à militer après la fin de la grèvegénérale qui s’est terminée par une démonstration deforce de la part du gouvernement et par l’arrestationde plusieurs organisateurs. Le jour de la fête duTravail en 1919, une parade composée de sept milleprotestants a défilé dans les rues de Winnipeg. LaWomen’s Labour League avaient deux remorques àplateau dans cette parade. Helen Armstrong a par-couru le Canada pour faire des apparitions en pub-lic afin de recueillir des fonds pour assurer la défensedes hommes incarcérés. Elle s’est également présen-tée deux fois à l’hôtel de ville, mais sans succès.

Les voix de femmes comme Helen Armstrongont aidé à transformer le monde du travail desfemmes, mais cette transformation s’est faite

lentement. Nombre des femmes qui ont revendiquéune plus grande égalité entre les hommes et lesfemmes au travail n’ont été témoins que de rares pro-grès de leur vivant. D’autres ont participé à deschangements rapides et excitants. La PremièreGuerre et la Seconde Guerre mondiales ont été despériodes critiques pour les femmes sur le marché dutravail. Alors que les hommes étaient partis au front,le travail des femmes devenait essentiel pour fairefonctionner les industries en temps de guerrecomme celles de la fabrication d’avions, de muni-tions, d’aliments et d’uniformes. Soudainement, onse rendait compte que les femmes avaient beaucoup

plus de capacités que les hommes l’avaient cru! Toutd’abord, les jeunes femmes célibataires et ensuite, lesfemmes mariées, commencèrent à occuper de nou-veaux postes, à faire des tâches dont elles avaient étéexclues auparavant, comme des travaux d’usinage,de soudure ou d’ingénierie. Elles assumèrent despostes de gestion plus importants. Pendant laSeconde Guerre mondiale, le pays avait un tel besoindu travail des femmes que le gouvernement fédéral amis sur pied des garderies partout au pays pour s’oc-cuper des enfants pendant que les femmes travail-laient. Ces garderies ont été les premiers servicesd’aide à l’enfance au Canada financés par l’État.Après la fin de la guerre, les subventions cessèrent etla plupart des garderies furent forcées de fermerleurs portes.

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4. OBSTACLES ET PROGRÈS JUSQU’EN 1960

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Fait ironique, la plupart des voix qui avaient prisposition pour le travail des femmes en temps deguerre se sont tues lorsque la guerre a pris fin. Lesfemmes avaient fait deux pas en avant et elles en ontfait presque deux en arrière. Pendant les années 20,par exemple, les jeunes femmes célibataires ont euaccès à un choix plus étendu de professions et ellesont parfois bénéficié de meilleures conditions de tra-vail et d’un salaire plus élevé. Cette situation s’ex-plique en partie par le vent de changement qui asoufflé sur le Canada pendant la Première Guerremondiale et tout de suite après. Cependant, lorsquela Grande Crise frappa en 1929, les femmes seretrouvèrent soudainement comme les boucs émis-saires du taux de chômage chez les hommes. Le gou-vernement provincial du Manitoba, qui employaitalors un nombre croissant de femmes, refusa d’en-gager des femmes mariées dans les années 30, enprétextant qu’elles n’avaient pas besoin de travailler.Le gouvernement fédéral a également fait de la dis-crimination contre les femmes dans les années 1920et 1930. On exerça des pressions sur lesenseignantes des Prairies pour qu’elles laissent leurplace aux hommes. Les femmes, bien sûr, résistèrentpar la parole à ces pressions mais leurs protestations

furent souvent ignorées. La vérité était que lesfemmes travaillaient pour soutenir d’autres person-nes. Le salaire gagné par les femmes était parfois laseule chose qui empêchait les familles de recourir àdes organismes de secours. Comme il n’existait pas àcette époque de programmes fiables d’assistancesociale, les veuves ne bénéficiaient d’aucun soutiende l’État et devaient subvenir aux besoins de leursenfants en faisant n’importe quel travail.

L’attitude envers le travail rémunéré des femmespendant la Crise de 1929 démontra « les idées quede nombreux Canadiens, tant des femmes que deshommes, se faisaient de la famille, de la maison et dela place des femmes »19. Pour ces gens, l’emploi n’é-tait pas un droit de la personne, mais un privilègefondé sur le sexe. La Seconde Guerre mondiale et lapériode qui l’a suivie n’ont fait que confirmer cesidées. L’image de la famille des années 50 dans la cul-ture populaire, celle des bungalows en rangée dansdes banlieues et des familles nucléaires où la femmerestait à la maison, ne reflétait qu’une partie de laréalité. Après la guerre, les femmes mariéesrefusèrent de rester à la maison pour toujours. Ainsigermèrent les changements rapides qui se sont pro-duits dans les années 60 et 70.

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NOTES EN FIN D’OUVRAGE

1 Marilyn Barber, « The Servant Problem in Manitoba,1896-1930 », dans First Days, Fighting Days: Women inManitoba History, Mary Kinnear, ed., (Regina: CanadianPlains Research Centre, 1987), p. 100.

2 Frieda Esau Klippenstein, « Scattered But Not Lost:Mennonite Domestic Servants in Winnipeg, 1920s-50s», dans Telling Tales: Essays in Western Women’s History.Catherine A. Cavanaugh and Randi R. Warne, eds.(Vancouver : University of British Columbia Press,2000), p. 203.

3 Klippenstein, p. 225-226.

4 Sarah Carter, Aboriginal People and Colonizers ofWestern Canada to 1900 (Toronto : University ofToronto Press, 1999), p. 89.

5 Tiré de A Female Economy: Women’s Work in a PrairieProvince, 1870-1970, Mary Kinnear, ed., (Montréal etKingston : McGill-Queen’s University Press, 1998), p.91.

6 Mercedes Steedman, « Skill and Gender in the CanadianClothing Industry, 1890-1940 », dans On the Job, C.Heron and R. Storey, eds. (Kingston : McGill-Queen’sUniversity Press, 1985), p. 160.

7 Tiré de Steedman, p. 166.

8 Tiré de The Clothes Off Our Back: A History of ACTWU459, Debra Lindsay, (Winnipeg : ACTWU 459,Manitoba Labour History Series, 1995), p. 30.

9 Tiré de Lindsay, p. 27.

10 Tiré de Kinnear, p. 28.

11 Bettina Bradbury, « Gender At Work At Home: FamilyDecisions, the Labour Market and Girls‚ Contributionsto the Family Economy », dans Canadian Family History:Selected Readings, Bettina Bradbury, ed., (Toronto : CoppClark Pitman, 1992), p. 177-178.

12 Kinnear, A Female Economy, p. 33-34.

13 Tiré de Kinnear, A Female Economy, p. 25.

14 Linda Kealey, Enlisting Women For the Cause: Women,Labour, and the Left in Canada, 1890-1920 (Toronto :University of Toronto Press, 1990), p. 5.

15 Susan Jackel, « First Days, Fighting Days: PrairiePresswomen and Suffrage Activism, 1906-1916 », dansFirst Days, Fighting Days: Women in Manitoba History,Mary Kinnear, ed., (Regina : Canadian Plains ResearchCentre, 1987) p. 57.

16 Kinnear, A Female Economy, p. 123.

17 « The Minimum Wage for Women and Girls in Manitoba» (Winnipeg : Province of Manitoba, c. 1920).

18 Kinnear, A Female Economy, p. 125.

19 Veronica Strong-Boag, The New Day Recalled: Lives ofGirls and Women in English Canada, 1919-1939 (Toronto: Copp Clark Pitman, 1988), p. 47.

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