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25 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28 CAHIER La participation des usagers à la santé PARTICIPE : PRÉSENT © Maurice Müller / Question Santé

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25Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

CAHIER

La participation des usagers à la santé

PARTICIPE : PRÉSENT

© M

aurice Müller / Q

uestion Santé

26 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

Une idée en mouvement

La participation des usagers et citoyens page 30En septembre 2003, la Fédération des maisons médicales actualisait son cahier depropositions en matière de politique de santé, réaffirmant sa volonté de promouvoir laparticipation des usagers et citoyens.

Participation des patients : les avatars d’un concept page 32Marianne Prévost, sociologue, chercheur à la Fédération des maisons médicalesUne mise en perspective historique amène l’auteur à poser un regard à la fois critique etconstructif sur le concept de participation des usagers, et à saisir quels écueils affronterpour que la participation constitue un instrument au service d’un mieux être et de plus dejustice.

L’approche communautaire dans le domaine de la santé. Permettre auxhabitants de s’engager dans des actions de santé de proximité page 51

Thierry Lahaye, service santé, administration de la Commission communautairefrançaiseQuelles sont les conditions favorables et les résistances à la mise en oeuvre d’actionscommunautaires ?

Participer, maître-mot ! Voilà des décennies déjà qu’il se faufile partout et s’affirme. Du trèsolympique et déjà plus que séculaire « L’important n’est pas de gagner, mais de participer » auxexhortations militaires (le I need you de l’oncle Sam ou le devoir de « participer à l’effort deguerre »), où il s’agit de prendre part à une action déjà en place que le participant peut simplementrejoindre sans grande possibilité de la déterminer et de l’infléchir, l’invitation à « participer »rebondit sur 68 où elle se mêle aux idées d’autonomie, de non-hiérarchie, de désaliénation,d’émancipation de l’individu et aujourd’hui se présente à nous sous des aspects contrastés, tantôtappel à prendre ensemble possession de son avenir, tantôt contrainte à se soumettre à un systèmesous peine d’exclusion.

Le thème de la participation joue-t-il sur la même gamme de variations dans le domaine de lasanté ? La « participation des patients » est-elle un substitut au désir de puissance brisé dessoignants, un moyen pour eux de reporter sur l’usager une part de leur responsabilité ou un réelsouci de parole et de démocratie ? Y a-t-il chez les usagers une volonté de participer, sous quelleforme, avec quels moyens ? La « place de l’usager », est-ce un slogan creux, une utopie mobilisatriceou un réalité en développement ? Notre cahier ne prétend ni faire le tour de ces interrogations, nien développer les enchaînements : elles sont seulement un courant souterrain qui traverse lestextes que nous vous proposons, affleurant en surface de ci de là. C’est en gardant ces questions àl’esprit que nous vous invitons à parcourir ces pages. Après une mise en perspective du cadredans lequel s’inscrit le concept de participation des usagers à la santé, nous développerons desréalisations concrètes en maisons médicales et dans le tissu associatif, qui apporteront deséclairages variés et peu consensuels, laissant la porte ouverte à vos propres réflexions et actions.

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Participe : présent

La partication des usagers

Participation et maisons médicales

Une journée de réflexions et débats sur la participation des patientsau sein des maisons médicales page 58

Juliette Keen, stagiaire en communication à la Fédération des maisons médicalesCe 27 janvier 2004, s’est tenue à Namur une journée de réflexions et de débats sur laparticipation des patients au sein des maisons médicales. Cette journée avait pour but decréer un espace de rencontre et de donner un temps de parole aux travailleurs ainsiqu’aux usagers des maisons médicales.

Enquête de participation sur un échantillon de la patientèle de la maisonmédicale de Barvaux page 62

Jean Laperche, médecin généraliste à la maison médicale de Barvaux, maître deconférence invité au Centre universitaire de médecine générale de l’universitécatholique de Louvain et Marianne Prévost, sociologue, chercheur à la Fédération desmaisons médicalesL’accroissement du sentiment de contrôle sur sa propre vie peut-il mener le patient à uneparticipation plus fréquente dans les prises de décision qui le concernent ?

Participation des patients : les avis de travailleursen maison médicale page 74

Yves Gosselain, licencié en communication, chercheur à la Fédération des maisonsmédicalesComment les travailleurs qui composent les équipes des maisons médicales situentl’implication du patient au sein d’une telle structure locale de santé ? Sont-ils prêt àpromouvoir cette implication ? A quels obstacles s’attendent-ils ? Comment perçoivent-ils les comités ? Où observent-ils la participation de leurs patients et sous quelle forme ?

Participer, c’est bon pour la santé. Le point de vue de l’usager page 78Jacques Bolaers, membre du comité de patient de la maison médicale La PasserelleParticiper : quoi, comment, pourquoi ?

Participation de la population dans les maisons médicalesen Belgique francophone page 80

Pierre Drielsma, médecin généraliste au centre de santé de Bautista van ShowenQuelques chiffres pour mieux cerner l’importance du phénomène « associations depatients en maison médicale ».

Focus-Groupe à la maison médicale Kattebroek page 83Sylvie Legrain et Brigitte Meire, infirmières, et l’équipe de prévention de la maisonmédicale KattebroekQu’attendent les patients ? Et s’il suffisait de leur demander ?

Le comité de quartier Marconi page 86Xavier Laruelle, assistant social à la maison médicale Marconi et à la maisonde quartierA la demande de certains habitants, la maison de quartier Le Partenariat Marconi et lamaison médicale marconi se lancent une dynamique de type « comité de quartier ».

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C A H I E R

La santé dans la vie quotidienne des patients page 89Claude Parmentier, accueillant et assistant social, Dominique Filée, Ariane Simon,médecins généralistes à la maison médicale le CadranQue représente la santé dans la vie quotidienne des patients ? En quoi diffère-t-elle de laperception des soignants ? Comment amener les patients à prendre conscience du rôleactif et collectif qu’ils peuvent jouer dans la santé ?

Le chemin vers… page 93Bernadette Bastin, accueillante à la maison médicale du LaveuPremiers pas en santé communautaire.

Des expériences divergentes

La Santé bien logée ? page 94Coralie Ladavid, assistante sociale, membre du Collectif « Droit au logement »de TournaiInterpellé par les difficultés que les gens éprouvent pour trouver un logement à Tournai,le Collectif « Droit au logement » entend insérer la problématique du logement dans uneperspective plus large qui prend en compte la santé, la maltraitance, l’épanouissementdes enfants...

Limites et enjeux de la prévention participative page 96Catherine Van Huyck, licenciée en philosophie, coordinatrice à Modus Fiesta,projet de Modus VivendiPour les associations actives dans la problématique du SIDA, la prévention ne peut êtreque participative : avant de définir de grandes politiques de santé, il faut donner la paroleà ce public qui manque cruellement de reconnaissance, à qui une place de citoyen estrefusée.

Survivre à la fatigue de la participation page 99Axel Claes, président de l’asbl ‘plus toot, te laat’La participation, un concept récupéré par les pouvoirs en place ? Pas si évident que ça...

Le centre de santé des Épinettes et la participation des usagers page 104Philippe Lefèvre, médecin, responsable du centre des épinettes, EvryUne ville nouvelle non loin de Paris. Un centre de santé y naît et se développe eninteraction avec son milieu et ses habitants.

Partie de chasse page 109Julien Piérart, sociologueQuand un projet de promotion de la santé à l’allure clés sur porte s’embourbe dans ladétermination de son public cible, trébuche sur la définition de ses objectifs et capote sursa méthodologie... Un regard caustique à considérer comme un catalogue de pièges àéviter.

« Bruxelles, Ville-Région en Santé » page 118Nicole Purnode, coordinatrice de « Bruxelles Ville-Région en Santé »Le concept de Ville-santé s’appuie sur la participation des individus aux décisions qui lesconcernent, une vision holistique du développement, l’empowerment des individus etdes groupes, la concertation, le partenariat et l’intersectorialité.

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Participe : présent

La partication des usagers

Conclusion

Pour une participation bien comprise page 122Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneLa participation, vue plongeante.

Le thème de la participation est fortement imbriqué avec ceux de la santécommunautaire, de l’éducation pour la santé et de la promotion de lasanté, et un certain nombre de contributions auraient trouvé parfaitementleur place ici si elles n’étaient déjà parues dans Santé conjuguée ou dansdes documents co-réalisés par la Fédération des maisons médicales(notamment dans la collection Santé communautaire et promotion de lasanté, entre autres le n°4 « La participation et les acteurs »). Nous vousinvitons à retrouver ces contributions dans nos cahiers « Susciter la santécommunautaire » (n°4), « De la prévention à la promotion de la santé »(n°10), « Les droits du patient » (n°24), « L’organisation des patients »(n°25) ainsi qu’en vous référant aux mots clé « participation des usagers »et « santé communautaire » dans l’index de Santé conjuguée (disponiblesur demande).

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Plus un système est organisé, plus grandit ledanger bureaucratique et la menace de perted’autonomie des usagers. Cette perte d’auto-nomie est structurelle pour les classes infé-rieures dans le système actuel : le modifier peutêtre autonomisant.Il faut travailler à réduire l’écart entre le profes-sionnel expert et l’usager ; le système actuelcontribue à l’aggraver.A côté d’un système de soins de santé organiséà l’échelle nationale, il est nécessaire d’avoirde petites structures en contact étroit avec lapopulation. Celles-ci favorisent la réflexioncritique des prestataires sur l’organisationsociale dans la relation thérapeutique, deprévention et de promotion de la santé.

Les objectifs d’une volonté de participation dela population sont :

1. analyse de la demande et définition desbesoins ;

2. travail communautaire ;3. développement de l’éducation pour la santé ;4. développement de la recherche-action et de

l’assurance de qualité incluant l’étude dela perception par la population des résultatsobtenus par le système de soins, et l’étudede son degré de satisfaction.

La participation concerne les citoyens, et ne selimite pas aux patients. Sa mise en œuvreimplique de tenir compte des éléments suivants.

La prise en compte de laperception des usagers àpropos de l’organisation dusystème de santé

Nous convions les pouvoirs publics à organiserune procédure standard de représentation, surbase d’élections et de participation aux diffé-rents niveaux de proximité ; les élus devraientpouvoir intervenir dans les commissions con-sultatives communales de la santé, au sein desassemblées générales et des conseils d’adminis-tration des institutions de soins (et notammentdes centres de santé intégrés). Cette représen-tation directe permettrait de pallier au déficitdémocratique lié à la représentation indirecteassumée par les communes et les mutuelles etdevrait garantir l’expression des minorités.Afin de toucher les minorités qui n’entrent pasdans les structures permanentes et d’éviter ledanger que les représentants élus ne deviennentdes professionnels perdant le contact avec lespréoccupations quotidiennes des citoyens, lapossibilité d’une participation ponctuelle surdes sujets précis doit être préservée. Des lieuxd’entente et d’écoute doivent être créés.La satisfaction des usagers est un indicateurimportant de performance du système et del’adhésion à ces objectifs : des modalitésconcrètes d’enquêtes doivent pouvoir approcherce paramètre et des conclusions doivent êtreintégrées à l’évaluation globale du système.

Une relation la plus égalitairepossible

L’égalité suppose des moyens qui doivent êtredonnés à l’usager par l’information, l’éducationpour la santé et la promotion de la santé. Unerelation « égalitaire » implique le respect etl’écoute de l’autre dans sa complexité et sadifférence.Le secret médical demeure essentiel ; à ce sujet,il est urgent de revoir la loi sur les assurances.

La participation des usagers et citoyensExtrait du Cahierde propositionsen matière depolitique de santéde la Fédérationdes maisonsmédicales

En septembre 2003, la Fédération desmaisons médicales actualisait soncahier de propositions en matière depolitique de santé, réaffirmant savolonté de promouvoir la participationdes usagers et citoyens.

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Mots clés :participation,maisonsmédicales

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Participe : présent

La partication des usagers

La collaboration avec les gensde terrain et les réseaux n’estpossible que si les soignantss’impliquent dans le milieu(participation à la population)

Une approche plus communautaire de la santé,notamment en ce qui concerne la prise encompte des déterminants sociaux, écono-miques, culturels et environnementaux, doitouvrir à des actions plurisectorielles et à uneparticipation active des populations concernéespar ces problématiques : logement /habitat etsanté, travail/non travail et santé, environ-nement et santé, etc.Ces dynamiques sont en amont du système desoins de santé proprement dit : elles relèventdu développement harmonieux des commu-nautés et contribuent largement à la promotionde la santé. Les professionnels de santé dupremier niveau, de par leur proximité avec lapopulation et leur insertion locale, sont interpel-lés de façon plus particulière par ces démarches.Si ces missions sont reconnues dans les décretsrégionaux qui concernent les associations de

santé intégrés, les moyens pour les réaliser sonttotalement insuffisants, voire inexistants ; ceux-ci devront être reconsidérés dans les futursbudgets régionaux.

La mise en œuvre de la récenteloi sur les droits des patients

Cette nouvelle loi ouvre un cadre intéressantdans le rapport bénéficiaires et professionnelsdu système de santé en clarifiant le droit àl’information, à la consultation du dossier, auconsentement à la dignité et aux recours. Ilfaudra veiller à sa mise en application dans tousles lieux de soins de santé.

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Participation des patients… faire participer…prise en charge de leur santé par les patients…mettre le patient au centre de la prise encharge… éduquer les patients… négocier,responsabiliser, accompagner, collaborer…

Participer : voilà un concept qui fait florès,parfois difficile à questionner : valeur, norme,éthique ?De quoi parle-t-on exactement ? Où ça

commence, jusqu’où ça va ? Participation dequi, à quoi ? Pourquoi ? Ce que nous faisonslà, est-ce bien « de la participation » ? Un peu,pas tout à fait ?

Patient, participation : ça veutdire quoi ?

Voyons d’abord si M. Larousse peut nouséclairer. « Patient » (voir la rubrique « patience,du latin patientia ») : une « personne quiconsulte un médecin » (M. Larousse voulait dire« professionnel de santé »). Le cadre est fixé :il s’agit d’une relation entre deux personnesayant chacune une place, l’une des deux prenantl’initiative du contact. Notons au passage qu’unpatient, c’est aussi « celui qui a de la patience »,c’est-à-dire qui a « l’aptitude à supporter avecconstance ou résignation les maux, lesdésagréments de l’existence : prendre son malen patience, s’efforcer de le supporter sans seplaindre ». Pas tout à fait le cas d’un patientqui, justement, vient déposer une plainte, sansdoute dans l’espoir de résoudre un problème.La patience, c’est la qualité de « quelqu’un quipeut attendre longtemps sans irritation nilassitude »… ce n’est pas toujours le cas despatients…

Philosophiquement, précise M. Larousse, unpatient est quelqu’un qui « subit l’action ;passif »… ah, là c’est justement ce qu’on leurreproche parfois, aux patients, d’être troppassifs : on voudrait qu’ils participent, qu’ilsse prennent un peu plus en charge… enfin,parfois ils sont trop actifs, ou mal : ils font ceque bon leur semble malgré tous nos conseils,ils veulent s’ingérer dans certains domaines quine sont pas vraiment leur affaire… participer ?

Participer (du latin participare) : « S’associer,prendre part à quelque chose : participer à unemanifestation ». Ah oui, là il s’agit clairementd’une démarche active ; notons cependant quela manifestation semble déjà là, le participantn’en a pas forcément pris l’initiative, et on nesouhaite en général pas vraiment qu’il enchange les mots d’ordre.

Participation des patients : les avatarsd’un concept

MariannePrévost,sociologue,chercheur à laFédération desmaisonsmédicales.

D’apparition récente, le concept departicipation des patients fait irruptiondans l’histoire longue qu’écriventensemble, et pas toujours dansl’harmonie, les « soignants » et les« soignés », une histoire scandée par lasuccession des perceptions de lamaladie et de la santé, une histoire sanscesse remodelée par l’évolution desmodes d’être ensemble et de fairesociété. Cette mise en perspective nousamène avec l’auteur à poser un regardà la fois critique et constructif sur leconcept de participation des usagers,à saisir à quels jeux de manipulationset d’aliénation il peut nous exposermais aussi quels écueils et difficultésnous avons à affronter pour que laparticipation constitue un instrumentau service d’un mieux être et de plus dejustice.

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« Un concept efficace et stimulant, permettant de dégagerune vision plus dynamique, de lier plus étroitement individuet société. Le prix à payer est cependant de l’utiliser sansse poser trop de questions à son sujet1.

Mots clés :participation,représentationde la santéet de lamaladie,relationsoignant-soigné,société,politique

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Participe : présent

La partication des usagers

Participer, c’est aussi « payer sa part de, cotiserpour : participer aux frais du repas » et « avoirpart à quelque chose, recevoir sa part de :participer aux bénéfices d’une société ». Donc,les patients qui cotisent à la mutuelle partici-pent ? Oui, mais enfin, c’est minimal, ce n’estpas de ça qu’on parle – sauf peut-être cespatients exigeants qui estiment avoir tous lesdroits ?

Remarquons que M. Larousse ne précise pass’il doit y avoir une équivalence entre les fraisdu repas et la part que l’on reçoit, comments’établit l’équilibre entre ces deux termes, quil’établit… Là, on touche peut-être à un pointdélicat : parce qu’en suivant cette direction, ilva être question d’argent, de pouvoir, de droit,de responsabilité… d’accessibilité peut-être,qu’en est-il de celui dont la cotisation ne vautqu’un morceau de pain ?

Bref, comme tous les mots qui paraissent sisimples, la participation des patients est unepoupée russe, avec plein de mots qui s’em-boîtent ; ou un concept « barbe à papa », quis’enroule et s’enroule, dont on n’arrive pas àdélimiter les contours... Ou encore, un discours(« ensemble de manifestations verbales, oralesou écrites, représentatives d’une idéologie oud’un état des mentalités à une époque, exemple :le discours sécuritaire »…) dont le sens n’estpeut-être pas le même pour celui qui parle, celuiauquel on s’adresse, et qui varie selon lecontexte, le moment.

Santé, médecine, participation :un peu d’histoire

Tentons brièvement, c’est une voie d’approcheparmi d’autres, d’évoquer comment se sontdéclinés au cours des temps, dans l’Occidentchrétien2, le sens de la souffrance et des rapportsqui se tissent autour d’elle, puisque c’est biende là que l’on part s’il s’agit de « patients ».

Santé, maladie, souffrance... : ces termes nerenvoient pas (seulement) à une réalité « objec-tive » mais s’inscrivent dans des représentations

différentes pour le professionnel et pour leprofane. Et, si la souffrance vient à un certainmoment s’exprimer dans le cadre d’une relationindividuelle, celle-ci s’inscrit elle-même dansun réseau plus large de significations : « il n’estpas de conduites (ni de relation) sans significa-tion sociale, et viser un changement de conduitede la part de telles communautés, tels groupessociaux, tels individus appelle nécessairementla prise en considération de la complexité desliens structurels et symboliques qui font leurinsertion dans le monde »3.

Rappeler quelques moments de l’histoire, celane donnera sans doute pas au lecteur une défini-tion de ce qu’est la « bonne » participation, nides recettes pour que « ça fonctionne »… maispourra, espérons-le, clarifier ce qui se jouelorsqu’on parle de la participation des patients,mieux comprendre à quel type de paradigmese relie chacune de ses déclinaisons, de sesinterprétations.

Précisons d’emblée que la souffrance et lestentatives pour l’ éliminer ou « faire avec »surviennent, n’en déplaise à M. Larousse, avantla consultation d’un médecin… La premièrepersonne consultée ne fut pas toujours, n’esttoujours pas, ou pas uniquement, un médecin –ni même, plus largement, un professionnel dela santé. Le terme « patient » comporte doncd’emblée une certaine réduction de ce qui sepasse en cas de souffrance. L’expression« participation des patients » serait-elle dès lorsréductrice ?

● Avant l’ère chrétienne

La maladie a toujours suscité un désir de com-prendre ce qui se passe, pourquoi, et la recher-che d’une manière de l’affronter3 : chez lesBabyloniens, elle était la conséquence d’unpéché, et impliquait l’idée de la présence dansle corps d’un esprit malin. Pour le faire sortir,les Babyloniens faisaient avaler au malade dessubstances destinées à dégoûter l’esprit du mal.Chez les Egyptiens, au temps des Pharaons, leconcept de maladie comme châtiment évoluavers une notion d’accident lié à un dramemétaphysique.

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Les anciens Juifs introduisent une nuance :considérant la maladie comme une épreuveimposée par Dieu au pécheur, ils pensaient quece dernier pourrait ainsi devenir meilleur. Ceconcept de rédemption permettait en quelquesorte au malade de donner une dimension plusacceptable à son mal, de lui donner un senspositif. Même type d’approche chez les anciensgrecs ; pour eux cependant, l’épreuve n’était pasenvoyée par les dieux, il s’agissait plutôt d’unphénomène naturel causé par une souillurematérielle, un attentat contre l’harmonie.

Péché, châtiment, agression extérieure, ruptured’une harmonie divine et sociale, châtiment,rédemption… : le malade est un coupable, unevictime, ou encore celui à travers lequel vientse manifester la rupture d’un équilibre quiimplique bien souvent la collectivité et qu’ilconvient de restaurer, d’une manière quidépasse également l’individu4.

Hippocrate, (né en 460 avant JC) représente untournant : il est d’ailleurs considéré comme lepère de notre médecine. Il s’inscrit dans lanouvelle pensée grecque, que JP. Vernantcaractérise par deux traits essentiels : « d’unepart le rejet, dans l’explication des phénomènes,du surnaturel et du merveilleux ; d’autre part,la rupture avec la logique de l’ambivalence, larecherche, dans le discours, d’une cohérenceinterne, par une définition rigoureuse desconcepts, une nette délimitation des plans duréel, une stricte observance du principe d’iden-tité »5. Les médecins de l’Ecole hippocratiquesont « loin de comprendre tous les mécanismesdes maladies qu’ils observent, mais, en tournantrésolument le dos au surnaturel, ils contribuentà faire de la médecine, si pas une science, aumoins une pratique rationnelle… C’est doncbien à instaurer le discours médical ques’emploie déjà le maître de Cos »6.

Hippocrate ne disposait pas de moyens sophis-tiqués ; il procédait par approche déductive, sebasant sur l’observation et sur les dires dupatient. Comme le souligne Jean-Pierre Lebrundans l’ouvrage cité ci-dessus, « Il est vraiqu’Hippocrate n’avait pas les moyens adéquatspour regarder objectivement la maladie, maisloin de considérer ceci comme un défaut dansson savoir, nous devons repérer que c’est ce

défaut même qui constitue sa spécificité et quile détermine comme savoir hippocratique. Lamédecine hippocratique n’est pas seulementune médecine ignorante de ce que la sciencelui permettra d’apprendre par la suite, c’est unemédecine qui, de ce fait, ne pouvait faire autre-ment que de « compter avec l’ignorance ». Onpourrait ajouter « et de ce que disait le patient » :ce que celui-ci, et éventuellement son entou-rage, avaient à dire sur le déroulement et laperception du mal, venaient compléter l’obser-vation du médecin.

● L’Occident chrétien

Loin d’approfondir et d’enrichir la démarchehippocratique, l’Occident chrétien renoue avecles interprétations religieuses de la maladie.Dans un manuel publié en l677, l’évèqueClaude Joly consacre une « instruction » à lamaladie2 « Pourquoi Dieu nous envoie-t-il desmaladies ? C’est pour mortifier le corps et lerendre obéissant à l’esprit, pour nous détacherde l’amour des créatures et pour nous convertirà lui, pour nous préparer à bien mourir. Dieupurifie par là ses élus : ce n’est pas un juge quipunit, c’est un père qui corrige et châtie. Ainsiles maux deviennent de grands biens. Lamaladie est à nouveau, à la fois châtiment etrédemption, comme l’écrit bien Louise-MarieGrignoire à sa sœur tombée malade au coursde son noviciat2 « Je me réjouis d’apprendre lamaladie que le Bon Dieu vous a envoyée pourvous purifier comme l’or dans la fournaise.J’envie quasi votre bonheur… ».

Pour les médecins comme pour l’Eglise, Dieuest la cause première : le savoir médical neconcerne que les causes secondes de l’irruptionde la maladie. Même s’il respecte ses confrèresde l’Antiquité et leur conception naturaliste del’univers, le médecin de l’Occident chrétiendélaisse quelque peu l’observation clinique.Jusqu’au XVIIIème siècle, les médecins, souventimpuissants à comprendre et à guérir, alignentlargement leur attitude sur celle de l’Eglise ;on ne peut guérir qu’avec des moyens naturelscréés par Dieu et le premier devoir d’unmédecin est de veiller à ce que le malade seconfesse… Ce lien entre les pratiques de soinset le phénomène religieux est d’autant plusimportante que le contexte politique est celui

Participation des patients : les avatars d’un concept

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Participe : présent

La partication des usagers

d’une monarchie de droit divin : une déclarationroyale de 1712 interdit aux médecins de retour-ner chez un malade dangereusement atteintaprès la troisième visite si celui-ci ne produitpar un certificat du confesseur2… : le malade,plus « patient » que jamais ?

Il n’est en tous cas pas dans une relation duelleavec le médecin… ni dans une relation de con-fiance : le médecin est souvent considérécomme un charlatan, un apprenti sorcier, voireun profiteur (« Dieu guérit et le médecinencaisse »). Le peuple développe ses propressavoirs, des recettes simples pour se guérir,comptant plus, à part Dieu, sur soi-même quesur la médecine officielle (« Bon médecin quise guérit soi-même »). L’emploi des plantesvoisine avec les prières, les pénitences et lesconjurations magiques : si les armes naturellesse révèlent insuffisantes, c’est que la maladie,envoyée par Dieu ou par Satan, ne peut céderque grâce au pouvoir des thaumaturges ou dessaints, à la fois intercesseurs auprès de Dieu eteux-mêmes faiseurs de miracles.

Peut-on dire que le malade participe aux soins ?En tous cas, il prend « quelque chose » encharge, le médecin n’est pas le maître du jeu, iln’est pas investi de la totalité du pouvoir deguérir : le malade va puiser dans différentsregistres – ce qui lui permet sans doute, parfois,de guérir, mais aussi de donner sens à ce qu’ilvit, et de se relier, à travers les pratiques desoins, à des interprétations et des traditionsancestrales, c’est-à-dire à une communauté, desvaleurs, une histoire…

● Le siècle des Lumières

Les intellectuels ne restent pas absents desdébats : les philosophes des Lumières (Buffon,Diderot, …) critiquent des médecins qu’ilsjugent souvent obscurantistes. Ils font aussiémerger l’idée que des maux jusque-là consi-dérés comme inévitables ne le sont pas, que desrègles d’hygiène et l’art de vivre permettent delutter contre la maladie et que l’homme acquer-ra toujours plus de pouvoir dans son combatcontre la mort : « la nature n’a mis aucun termeà nos espérances », dit Condorcet, préfigurantla question bien actuelle des limites de lamédecine...

● La révolution industrielle, la penséescientifique, Claude Bernard et Pasteur

Nous sommes au XIXème siècle, période de larévolution industrielle au cours de laquelle denombreuses sciences se développent. Lamédecine reste longtemps le « parent pauvre »de ce développement, jusqu’à l’avènement dela médecine expérimentale. C’est un tour-nant décisif : rompant avec le savoir populaireet le pouvoir religieux, cette approche sedifférencie aussi de la médecine hippocratique :« L’hippocratisme est un naturisme ; cettemédecine d’observation est passive, contempla-tive, descriptive comme une science naturelle.La médecine expérimentale est une scienceconquérante »7. Et ce que veut Claude Bernard,c’est : « fonder la médecine expérimentale enrendant scientifique ce qui n’est qu’empiriqueaujourd’hui. Pour cela je prouve qu’on peut agirsur les corps vivants comme sur les corpsbruts… Je prétends que la médecine expéri-mentale, celle qui a pour objet d’agir sur l’orga-nisme et de modifier ou guérir les maladies,n’existe pas ; son problème n’est pas posé ; elleattend encore son fondateur »8.

Sorti du domaine sacré, le corps humain peutêtre investigué, disséqué, observé de près. Ledéveloppement de l’anatomo-pathologieaboutira à une meilleure compréhension de sonfonctionnement et à plusieurs grandes décou-vertes médicales fin XVIIIème - début XIXème

(Bichat, Pinel, Laennec, ...). Le regard médicaldevient plus objectivant, différentes théoriesétiologiques se développent. Les hygiénistes decette époque envisagent des facteurs d’environ-nement multiples, depuis les conditionsmatérielles jusqu’àux conditions sociales, et lalutte contre la maladie combine des mesurestelles que la mise en quarantaine, l’assainis-sement des villes et des logements, l’éducation.

Mais les connaissances restent imprécises, etla médecine peu efficace devant les pathologiesles plus courantes à l’époque : choléra, diphté-rie, typhus, pneumonie, tuberculose... jusqu’àPasteur, qui, marchant dans les traces de ClaudeBernard (et de Lister, Koch, et quelques autres)représente un tournant décisif qui va révolution-ner la médecine. En moins de quinze ans (1870-1885), il réfute la théorie de la génération

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spontanée (selon laquelle les micro-organismesapparaissent dès que les condition propices sontréunies) et prouve l’existence des germes. PourBruno Dujardin9, la date du 20 août l885pourrait être choisie comme date d’entrée de lamédecine dans le cénacle des sciences moder-nes. Ce jour marque aussi « le début de la (toute)puissance des médecins sur la maladie » : cejour-là, un enfant de dix ans, mordu par un chienenragé, est sauvé grâce au vaccin inventé parPasteur. Pour la première fois, le cycle estbouclé – et démontré : une cause identifiée(germe spécifique), un effet reconnu (maladiespécifique), un traitement efficace disponible(intervention spécifique). Le succès de Pasteuret de son vaccin est instantané et mondial : enl886, des patients viennent en groupe de Russieet des Etats-Unis pour se faire soigner parl’équipe de Pasteur.

« L’inconnu pathologique cède du terrain, lesmystères du monde matériel trouvent desexplications toujours plus fondées, et plusconvaincantes. Plus de magie, plus de miracle,plus de vie à partir de rien... La science, impéria-liste, acccroît irrésistiblement son territoire.Confortée par les premiers succès de Pasteur,la vérité scientifique, une et indivisible, estperçue comme immuable. Telle est la nouvellefoi du XIXéme siècle ! »10.

Que devient le patient dans ce nouveau para-digme ? Il est dorénavant le dernier maillondans la chaîne de transmission d’une maladie,l’hôte insignifiant d’un agent causal extérieur.D’un côté, son rôle est plus confortable que dansles théories anciennes, puisque la maladie nevéhicule plus la notion de péché, de châtiment.Le malade n’est donc pas coupable, pas respon-sable, il est la victime d’un agent extérieur –qui n’a, au fond, même pas de mauvaise inten-tion, et qui ne vient rien lui « dire » à lui parti-culièrement : la maladie n’est plus une parole.En outre il existe une solution technique, dontl’efficacité ne dépend ni de Dieu, ni de lapersonnalité du malade, ni de son rapport aumonde.

En contrepartie, il n’y a plus de transcendance,et le patient n’a aucune « raison » de chercherun sens à sa maladie, pas plus que le médecinne peut lui en donner : nous quittons l’ère de laquestion pour entrer dans celle de la solution.

Solution que le médecin est seul à détenir ; lerôle du malade, de son savoir, de ses représen-tations, devient tout à fait marginal, voireinexistant. Sans doute pas dans les dédales deson inconscient (dont l’exploration commenceà peine !), mais en tous cas dans ce qui fonde larelation entre les deux pôles du drame, dont sontexclus à la fois le divin, le métaphysique, latradition – et aussi, d’ailleurs, la personneglobale, celle qui intéressait Hippocrate : lemédecin s’adresse aujourd’hui à l’organemalade, à l’agent qui l’attaque. L’indéniableefficacité du nouveau paradigme bio-médicalva de pair avec un morcellement de la personne- laquelle s’effacera progressivement pourdevenir l’« appendicite du lit 5 », « la throm-bose du 8ème »…

Le paradigme pasteurien était très pertinent àl’époque, face au problème majeur des maladiesinfectieuses. Son efficacité a, à juste titre,conquis les foules – professionnelles mais aussiprofanes, comme le fait remarquer BrunoDujardin dans l’ouvrage cité ci-dessus : « Al’évidence, Pasteur fait partie de la consciencecollective des scientifiques mais aussi, et c’estimportant, de la mémoire collective du grandpublic. Il suffit pour s’en assurer de compterde par le monde le nombre de rues, de boule-vards, d’avenues, de collèges ou de cliniquesqui portent le nom de Pasteur. Je n’ai pas vérifiémais je ne crois pas qu’il existe dans ce mondeune capitale qui ne porte, d’une manière oud’une autre, le nom de Pasteur ». Le mondeprofane en vient donc à adhérer au modèle desprofessionnels, et à s’en remettre à lui, mêmes’il n’en comprend pas tous les aspects : lemodèle bio-médical commence à pénétrer lesens commun, comme c’est toujours le casaujourd’hui.

● Hygiénisme et éducation sanitaire :participez, obéissez

Et les progrès sont réels : l’hygiène publiques’améliore grâce à une meilleure distributionde l’eau et aux découvertes de Pasteur qui fontmieux comprendre l’influence de l’hygiène, dela propreté, lesquels deviennent dès lors l’objec-tif premier de la prévention : on aseptise lessalles d’accouchement, les étables, les cui-sines… Et l’on entre dans l’ère de l’éducationsanitaire, qui développe un discours prescriptif

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en ciblant les comportements qui causent lesépidémies : il faut montrer au peuple à quoi ils’expose s’il ne se conforme pas aux recom-mandations des professionnels de santé.L’hygiène (médicale et domestique) fait l’objetde campagnes d’instruction des plus pauvres,souvent orchestrées par des œuvres de charité,catholiques et protestantes, qui fournissent aussiune aide de base (la soupe populaire de l’Arméedu Salut) – bien sûr épicée de prosélytisme.

L’hygiène publique, la prévention soutenue parl’éducation sanitaire, amènent un progrèsénorme qui sauvera des milliers de vie. On peutmême y voir les débuts d’une approche « posi-tive » de la santé (par opposition à l’approche« maladie »), et d’une certaine forme de parti-cipation des profanes à la santé : le public estinvité, tout comme aujourd’hui d’ailleurs, àcomprendre le rôle qu’il joue sur l’irruption dela maladie, à maîtriser, changer ses comporte-ments – à agir en être responsable. Mais cetteparticipation implique l’adhésion au modèlebio-médical, et une lecture très étroite descauses de la maladie ; une lecture qui ne s’at-taque pas aux conditions sociales qui laproduisent.

En effet, un tel combat n’entre pas dans lesobjectifs des éducateurs sanitaires ; ils consi-dèrent le peuple comme ignorant ou coupable,et leurs messages, très culpabilisants, charrientl’idée que « si vous êtes en mauvaise santé, c’esten grande partie de votre faute » (blaming thevictim, comme disent les anglo-saxons). Cen’est plus une faute contre Dieu, et pas seule-ment contre la connaissance - mais une fautecontre l’ordre, la norme, tels qu’ils sont définispar la classe dominante - à laquelle appartien-nent les médecins.

● Révolution industrielleet insécurité sociale

Classe dominante soucieuse du bien-êtrepublic ? Assurément, mais pas seulement : onest en plein développement industriel, il y aassez de travail pour tout le monde. Or, lescomportements néfastes de la classe ouvrière -saleté, promiscuité, désordre, alcoolisme, famil-les trop nombreuses, prostitution - l’exposentà la maladie, troublent l’ordre et entament saforce productrice... L’adoption des bonnes

manières de vivre, de se comporter, trouventleur fondement dans la médecine et l’asepsie,tout en rencontrant les valeurs des classesdominantes et les impératifs du dévelop-pementindustriel. La prévention prône la participation,pas la révolution…

Or, l’industrie, qui se développe à toute allureet crée de plus en plus de richesses, modifieprofondément les rapports sociaux et lesconditions de vie. Les ruraux s’entassent dansles villes manufacturières, minières ainsi queles ports ; et dans le centre des villes, là où lesloyers sont les plus bas, dans les immeublesvétustes, les mansardes et les caves, puis dansla périphérie où s’implantent les usines. Bref,les ouvriers vivent et travaillent dans desconditions effrayantes.

Comme le dit Robert Castel, « c’est le règnede l’insécurité sociale (qui) n’entretient passeulement la pauvreté (mais) agit comme unprincipe de démoralisation, de dissociationsociale à la manière d’un virus qui imprègne lavie quotidienne, dissout les liens sociaux etmines les structures psychiques des individus…Etre dans l’insécurité permanente, c’est nepouvoir ni maîtriser le présent, ni anticiperpositivement l’avenir. C’est la fameuse « impré-voyance » des classes populaires inlassable-ment dénoncée par les moralistes du XIXème

siècle »11.

Il y a évidemment des réactions face à cettesituation, mais elles ne viennent pas du champmédical. Le silence de ce dernier n’est sansdoute pas le fait du hasard : Carl Havelange12

souligne que l’identité du secteur médical, quise constitue à partir du XIXème siècle13, naît surla base d’un paradoxe : « d’une part, on constatel’affirmation d’un savoir, validé par l’instanceuniversitaire, et qui se veut autonome, indépen-dant. Le monde médical « sait » ce qu’est lasanté et décide ce qu’est soigner. Cette indépen-dance est, aujourd’hui encore, une grandecaractéristique du discours médical dans nospays. Elle se marque dans des expressions abon-damment utilisées, comme des imprécations,dans la presse professionnelle.D’autre part, pour faire valoir cette autonomie,la légitimer et lui assurer une pérennité, semanifeste une soumission à l’organisation del’Etat, dont le milieu médical tire sa légitimité

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et ses ressources. On peut lire toute l’histoiredu développement de la médecine à travers cettetension fondatrice structurante. Aujourd’huiencore, la revendication indignée de liberté d’unsecteur pourtant financé très majoritairementpar l’état conduit à ce statut curieux de « profes-sion libérale subsidiée ».Il ne s’agit pas de débattre sur la légitimité decette affirmation, d’autonomie, mais de consta-ter combien ce paradoxe est structurellementlié à l’exercice de l’art de guérir. L’ambivalencene date pas d’aujourd’hui ».

A l’extérieur du champ médical, plusieurspenseurs imaginent une société où les richessesproduites seraient mieux réparties : Saint-Simon (1760-1825) estime que l’Etat doitorganiser l’économie et remédier aux inégalitéssociales ; Proudhon refuse l’Etat centralisateuret prône une société organisée en associationsde travailleurs. Les socialistes utopistes font desprojets de cités idéales : Charles Fourier (1772-1837) imagine un phalanstère, lieu de vie et detravail communautaire ; Jean-Baptiste Godin(1817-1888), inspiré par Fourier, bâtit entre1859 et 1877 le familistère de Guise, où lesbesoins matériels, sportifs et éducatifs desouvriers sont pris en charge et gérés par lesouvriers eux-mêmes au sein de comités élus.

L’analyse marxiste permettra quant à elle decomprendre la logique du capitalisme naissant,et de mettre en lumière la course au profit desclasses possédantes, qui engendre un prolétariattoujours plus exploité et plus nombreux. Aucapitalisme devrait nécessairement succéder lecommunisme, où le profit bénéficiera à tous,puisque les moyens de production serontcollectivisés – et non plus captés par le patronatqui réinvestit les bénéfices dans la production(Marx était optimiste …).

● XXème siècle : un autre monde étaitpossible ?

Les ouvriers deviennent une classe sociale ; ilss’organisent petit à petit en syndicats destinésà obtenir de manière solidaire de meilleursconditions de salaires ou de travail. Passons lesdétails de ce combat, soulignons seulementqu’il fut de longue haleine et parfois sanglant.Mais les conquêtes sociales sont réelles ettransforment les conditions de vie de la classe

ouvrière. Au début du XXème siècle, lesmutuelles, les coopératives, les syndicats sedéveloppent. Ces organisations se fondent surune solidarité de classe et représentent devéritables conquêtes, dont la base est l’attache-ment de protections et de droits à la conditiondu travailleur. Le travail, auparavant rétribuédans le cadre d’un rapport pseudo-contractuelentre un employeur tout-puissant et un salariédémuni, devient un emploi, acquiert un statutqui inclut des garanties non marchandes : droità un salaire minimum, protections du droit dutravail, couverture des accidents, de la maladie,droit à la retraite, etc. : « La situation du travail-leur cesse d’être cette condition précaire, con-damnée à se vivre au jour le jour dans l’angoissedu lendemain. Elle est devenue la conditionsalariale : la disposition d’un socle de res-sources et de garanties sur lequel le travailleurpeut prendre appui pour maîtriser le présent etavoir prise sur l’avenir »11.

L’Etat agit dès lors comme un « réducteur derisques ». C’est l’avènement de l’Etat social,surtout dans l’entre-deux-guerres. Les inégali-tés subsistent, mais les luttes pour le « partagedes bénéfices » - souvent très vives – se livrentà travers un mode de négociations conflictuellesentre « partenaires sociaux ». Robert Castelsouligne que les travailleurs bénéficient doré-navant d’une « propriété sociale, qui représenteun homologue de la propriété privée ; unepropriété pour la sécurité désormais mise à ladisposition de ceux qui étaient exclus desprotections que procure la propriété privée ».

Dans le champ médical, la connaissance scienti-fique et les techniques se développent, la méde-cine se spécialise, elle a une efficacité inéditeet une nouvelle puissance, repoussant toujoursplus les limites de la souffrance et de la mort.Du côté de la morbidité, les grandes épidémiessont vaincues et laissent une place croissanteaux maladies chroniques.

Parallèlement, la médecine sociale se développedès l930 et attire à nouveau l’attention sur leseffets pathologiques de l’environnement social,tentant de les objectiver à travers des recherchesépidémiologiques. Dans l’entre-deux guerres,la pensée scientifique devient plus sytémiqueet, dans un article publié dans le Lancet en l942,« Aetiology : a plea for wider concepts and new

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Participe : présent

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study », J.A. Ryle – qui deviendra titulaire dela première chaire de médecine sociale en l943– récuse l’idée de causalité unique et plaide pourrenforcer le concept naissant d’étiologie multi-causale14. De nouveaux professionnels appa-raissent dans le champ de la santé publique etde la prévention – timidement et, faut-il le dire,sans beaucoup de reconnaissance de la part des« vrais médecins ». La psychologie médicale,l’approche psychosomatique se développentégalement, ainsi que les théories psychana-lytiques. Des disciplines extérieures au champde la médecine développent leur propre appro-che de la santé et de la maladie ; citons l’anthro-pologie, qui considère la maladie comme un« construit » s’élaborant à partir de différentesreprésentations, propres à certaines popula-tions : groupes ethniques, classes sociales,classes d’âge, malades atteints d’une pathologieparticulière. L’analyse comparative desreprésentations et des pratiques thérapeutiquespropres aux diverses sociétés contribuelargement au développement de l’anthropologiemédicale, discipline à part entière située aucroisement de préoccupations médico-sanitaires et anthropologiques.

C’est aussi la part croissante desmaladies chroniques qui modifie lerapport à la maladie, à la santé, et

la relation soigné-soignant :le traitement souvent long de ces

pathologies, complique le processusde guérison, nécessite l’adhésion du

patient, implique qu’il changecertaines habitudes de vie…

Bref, qu’il participe !

Dès lors, l’éducation sanitaire évolue, tente derompre avec les anciennes méthodes prescrip-tives, et s’allie avec les nouveaux courantspédagogiques qui se développent dans lesannées 60.Elle définit plus précisément son champ derecherche et d’action : l’étude de la person-nalité, le développement personnel, la clarifi-cation des croyances, des opinions, des motiva-tions personnelles, la réalisation de soi sont labase des programmes qui considèrent cette foisles individus comme sujets – des soins, et plusencore de la prévention.

● La parole et les normes

L’approche éducative s’ouvre ainsi plus large-ment à l’univers profane, invité à « participer »,à « prendre en charge » la modification desfacteurs qui influencent la santé ; mais, restantlongtemps centrée sur l’individu, cette approchene se donne pas vraiment la mission d’interveniractivement sur les conditions de vie. La plupartdes programmes sont centrés sur les motiva-tions individuelles, les actions visant à améliorerle bien-être des individus se focalisent sur lescomportements – les « mauvaises habitudes devie », considérées comme les causes principalesde maladie : alimentation, tabac, sédentarité,sexualité, alcoolisme… Implicitement, cetteoptique induit que l’idée que les gens sontresponsables de ce qui leur arrive...

Qu’est-ce qui a changé depuis l’hygiénisme duXIXème siècle ? Beaucoup de choses : la con-naissance de l’humain, des mécanismes patho-logiques et des conditions de vie déterminantla santé. Les fondements de la norme changent,mais celle-ci reste ancrée dans le modèle bio-médical et la technicisation : « Le champ de lasanté connaît aujourd’hui un recours grandis-sant aux artefacts techniques, en même tempsqu’une formalisation croissante de normes dansdes domaines très nombreux. Il s’agit par exem-ple de savoirs qui se traduisent en normes deconduite (tels que ceux produits par l’épidémio-logie qui amènent à définir la manière decoucher les nouveaux-nés)… La technicisationde la médecine participe à la production norma-tive au niveau des pratiques professionnelles età celui des comportements humains : d’une part,les professionnels sont confrontés à des normestechniques de réglage et de fonctionnementd’instruments et de machines de plus en plusnombreuses et de plus en plus complexes ;d’autre part, ces dernières autorisent la catégo-risation de sous-populations selon des normesbiologiques (...) et aboutissent à des règles denormes comportementales (...) qui vont permet-tre le réglage de paramètres tels que la tensionartérielle et le cholestérol. La technique lie ainsien un tout réglage des machines, réglage despratiques professionnelles, réglage des para-mètres corporels et réglage des comportementssociaux »15.

Réglage qui reste en phase avec des considé-

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rations morales culturellement construites,surtout pour les maladies à étiologie complexe :« ce sont les maladies dont on juge multiples(c’est-à-dire mystérieuses) les causes, quioffrent le plus de possibilités pour désignermétaphoriquement tout ce que l’on estimedétraqué sur le plan moral ou social… Ainsi,l’absence d’une étiologie limpide et irrévocablede l’obésité favorise sa qualification sociale »16.

La relation entre savoir médical et normesociale a été largement étudiée dans le domainedu SIDA : l’on sait ce qu’a produit (ce queproduit encore), même au sein du corps médi-cal, la notion de faute, de comportement dé-viant, attachée à la contamination par le SIDA.Plus banalement, quel regard portent la sociétéet les soignants sur les fumeurs, les toxico-manes, les obèses… ? « Le mot crime peutparaître un peu fort, mais pourtant que signifie-t-il ? Du latin crimen, accusation, il désignetoute infraction très grave que la loi devraitpunir. Au nom de l’obésité, que d’infractionsgraves au bon sens, et sans la moindre punition.Les plus criminels sont les obèses eux-mêmes »16…

Crise de l’Etat social et lalogique marchande : l’individuresponsable

Pour caricaturale qu’elle soit, cette opinionvient pointer les rapports troubles qui peuventexister entre les notions de prévention, deresponsabilité et de culpabilité… Surtoutlorsque « tout ça coûte cher »…

… et que « l’Etat social » est en crise, une criseprofonde et structurelle, depuis le début desannées 70. « Avec les exigences croissantes dela construction européenne et la mondialisationdes échanges, l’Etat-nation s’avère de moinsen moins capable de jouer ce rôle de pilotagede l’économie au service du maintien del’équilibre social... Pour relever le défi de laconcurrence internationale, le leadership passeà l’entreprise dont il faut maximiser lescapacités productives. Mais c’est dès lorsl’appréciation du rôle de l’Etat qui s’inverse. Ilapparaît doublement contre-productif : par lessurcoûts qu’il impose au travail pour le finan-

cement des charges sociales, et par les limiteslégales qu’il pose à l’exigence de compétitivitémaximale des entreprises sur le marché interna-tional à n’importe quel coût social »11.

L’Etat qui avait pris en charge, depuis la fin duXIXème siècle, la gestion d’un nombre grandis-sant de fonctions sociales, se laisse envahir parla logique marchande, dont le discoursimprègne progressivement tous les secteurs dela vie sociale et politique et va de pair avec unedésagrégation de l’idéologie de classe. L’Etatabandonne progressivement certaines de sesfonctions sociales, ou du moins les assuredifféremment.

Depuis lors, il y a de moins en moins d’Etat…ou plutôt, « C’est ainsi que nous allons actuel-lement vers un modèle d’Etat-surveillant, der-rière lequel s’établit un Etat tablant sur lecontrôle et la gestion prévisionnelle du risquepour réguler la vie sociale, parce qu’il n’aprobablement plus les moyens (ni le désir)d’assurer une structure réparatrice pour tous,ni d’ailleurs les moyens (et/ou le désir) de s’atta-quer à la globalité de la question sociale17 ».

Dans l’Etat social, les mécanismes de protectionne liaient pas l’aide à la faute : il s’agissait deprotéger les victimes potentielles, d’indemniserles victimes de situations particulières(accidents) ou naturelles (maladie, vieillesse).Mais la crise - économique, idéologique -amène progressivement l’Etat à mettre enavant le thème de la déresponsabilisationqu’entraîneraient les mesures sociales, pourjustifier un accès plus limité à cette aide, ouune aide moins généreuse. Ainsi, l’accessibilitéà certains services ou à certaines mesures d’aide(allocations sociales par exemple) va devenirconditionnelle à la participation ou à l’effortque fait l’individu pour échapper à sadépendance : quelles que soient les possibilitésobjectives, l’individu est responsable de prendreles moyens requis pour améliorer son sort.

● Participez, vous êtes cernés

« Qui est responsable de votre santé ? »…quand nous avons posé cette question dans lesinterviews de la patientèle de la maison médi-cale de Barvaux18 les répondants commençaientpar hésiter sur le sens du mot : charriait-il une

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Participe : présent

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notion de culpabilité ? Ils n’avaient pas tortd’hésiter : la responsabilité est encore un mot àplusieurs sens (Larousse !), mais aussi, et c’estplus important peut-être, il change de sens, dansla construction des discours, à mesure que lessolidarités collectives diminuent. La responsa-bilité perd beaucoup de sa dimension collectivequand la société et la politique appellentl’individu à ses « responsabilités »…

Sommes-nous loin de la question de la partici-pation ? Pas du tout : responsabilité, autonomie,sont les petites sœurs naturelles de la parti-cipation ; mais ces concepts fleurissent avecautant d’abondance dans le secteur de l’entre-prise marchande que dans celui de la santé…ne faut-il pas « gérer sa santé », aussi bien queson capital ? Hasard malencontreux des mots,interpénétration des discours, bases idéolo-giques communes ?

L’individualisation de la responsabilité rencon-tre, comme le souligne Kaufmann déjà cité ci-dessus, des valeurs sociales qui se sont impo-sées dans la « société de consommation » :« Quand le marché découvrit dans l’après-guerre que la demande pouvait participer àl’expansion, les travailleurs, encore pauvresmais enfin intégrés, étaient prêts à devenir lesnouveaux consommateurs. Et, contre l’éthiquedu juste et du bien garantie par l’Etat, commen-çait à se faire jour le nouveau mot d’ordre de lamodernité individualiste : chacun fait ce qu’ilveut. Après un demi-siècle de tourmente où ilavait conduit le bal (parfois pour le meilleur etsouvent pour le pire), le politique était soudaine-ment confronté à l’expérience du vide intérieur :il avait perdu de sa superbe et de sa substance,il était relégué à un rôle de simple arbitre de larégulation animée par le marché et les individuseux-mêmes »1.

● Echange sécurité contre autonomie

Dans cette évolution, où partout l’accomplis-sement personnel remplaçait la « socialisationdisciplinaire », Mai 68 représente un momentparticulier, une remise en question profonde desvaleurs et des pouvoirs ; si la « moyennisation »de la société avait conduit beaucoup d’analystesà conclure que la lutte des classes était dépassée,mai 68 fut interprété comme un retour en forcedu politique, rappelant la grande époque à

laquelle se référaient les militants révolution-naires. Cette période voit éclore de nouvellesidées, une mise en question des normesculturelles et des valeurs socio-politiques et denombreux groupes de pression revendiquant lechangement, l’autonomie, le bien-être et unemeilleure qualité de vie. C’est dans les années’60 que naissent les premières maisons médi-cales…

Mais Kaufman souligne que ce mouvement n’apas empêché le monde d’évoluer vers la« transcendance du marché global », mettantsournoisement le politique sous la dominationde l’économique qui prévaut aujourd’hui. Lamise en avant d’un idéal d’autonomie, qui sesubstitue à celui de sécurité, n’est pas étrangèreà ce phénomène : « derrière les slogans s’inspi-rant du passé du mouvement ouvrier, une autrelogique était souterrainement à l’œuvre, libérantles mœurs dans le sens d’une autonomisationindividuelle. La critique de la société deconsommation avait de ce point de vue uneportée symbolique : ego ne pouvait réduire sonpouvoir créateur à l’univers étroit de la mar-chandise. Il voulait s’engager, sans limiteaucune, dans l’invention de soi, se poser millequestions, à propos de tout, pour se transformerlui-même en centre éclairé de son propreunivers… Quand l’activisme se fut refroidi, ildevint évident que le panorama social avaitprofondément changé. La consommation demasse avait permis un retour de la régulationéconomique au détriment du politique »1.

Guy Lebeer explique bien que l’innovation,après la récession de 74-75, « a consisté àreconnaître au sein de l’entreprise, la validitéde l’exigence d’autonomie, et même à en faireune valeur absolument centrale du nouvel ordreindustriel. Aux mesures visant à donner une plusgrande sécurité aux salariés ont été substituéesdes mesures visant à rendre plus léger lecontrôle hiérarchique, et à prendre en considé-ration ce que l’on appelle si joliment les« potentiels » des individus. L’autonomie a étéen quelque sorte échangée contre la sécurité.Car l’octroi d’une plus grande autonomie etd’avantages individualisés a eu pour effet ledémantèlement des unités organisationnelles(entreprises, services, départements) et descatégories de personnes (groupes profession-nels, occupants d’un même type de postes,

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classes sociales), c’est-à-dire de l’ensemble descollectifs sur lesquels les syndicats prennenttraditionnellement appui. Cette histoire montreen somme l’incroyable souplesse du système,capable de répondre à des aspirations trèsdifférentes à travers le temps et de récupérerles idées de ceux (les soixante-huitards...) quiétaient ses ennemis »19.

En matière de santé, l’individu bien-portantdevient de plus en plus le responsable désignéde sa santé et plus particulièrement de la« gestion » de celle-ci, tout comme le maladeest responsable de la gestion de son affection.Ici aussi, le discours opposé à la médicalisationva rencontrer des préoccupations économiques :« Au départ, la notion d’autonomie renvoie plusprécisément à l’indépendance du malade vis-à-vis de l’institution médicale, et de son main-tien dans un cadre de vie habituel, non institu-tionnel (l’hôpital). Ces notions d’autonomie etde responsabilité sont pensées comme consen-suelles, aussi vont-elles constituer des argu-ments permettant de légitimer le développementdes auto-soins extra-hospitaliers et de rompre

définitivement avec la période antérieuremarquée par l’hospitalocentrisme. Cettefonction de légitimation est d’autant plus forteque ces valeurs présentent l’avantage derépondre aux exigences de restrictions desdépenses en matière de santé publique »15.

● La santé politique ?

Responsabilité, autonomie, participation : cesconcepts ne sont décidément pas neutres, et,plus ils qualifient l’individu et non une positioncollective, plus ils se chargent d’une valeurmorale, jusqu’à devenir normatifs et dépoliti-sés : « C’est au nom de l’intérêt du malade quel’on assiste (en France) au développement demodes de prise en charge alternatifs à l’hospi-talisation au cours des années 70-80. On assisteici à la conciliation de valeurs individuelles etsociales, pour affirmer la convergence entrel’intérêt personnel et l’intérêt collectif… Dansle cas du traitement par hémodyalise de l’insuf-fisance rénale chronique... pour les équipesmédicales et paramédicales, il va de soi qu’unjeune se « prenne en charge ». Aussi, le maladede vingt ou trente ans qui rejette le rôle d’auto-soignant au profit du rôle de simple soigné auratendance à être stigmatisé par les professionnelset à être étiqueté comme malade « qui se laissealler »20.

Le concept de responsabilité est particulière-ment en vigueur dans le discours préventif, dontNorbert Bensaïd dénonçait en 1981 le caractèremoralisateur et normalisateur21. Le Grouped’études pour une réforme de la médecine(GERM) était en alerte lui aussi, dès l983 :« Certains s’interrogent aujourd’hui sur lesmotifs profonds de l’engouement récent mani-festé notamment dans les sphères politiquesoccidentales à l’égard de l’éducation pour lasanté : le soutien officiel accru, à première vuealtruiste et de bon sens, aux campagnes etactions qui visent à corriger les comportementsde vie malsains des individus n’est-il pas aussiune manière de développer et de répandre, defaçon plus insidieuse, l’idée que chacun estpersonnellement seul responsable de ses ennuisde santé ? En période d’affolement face auxdépenses croissantes des budgets de l’assurancemaladie, n’est-ce pas là une forme de propa-gande secondaire qui prépare idéologiquementle terrain à des mesures de limitation de la

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Participe : présent

La partication des usagers

solidarité sociale face aux risques sanitairesainsi qu’à la « personnalisation/privatisation »plus grande de la couverture de ces risques ? »22.Crainte visionnaire : cette question est plus quejamais d’actualité !

Peut-on encore inverser lerapport de forces ?

Alors, participation, responsabilité, autonomie :droit ou devoir ? Valeurs inscrites dans lasolidarité ou dans un discours individualisant ?Cela est étroitement lié à la définition que l’ondonne au concept de « santé », et à la lectureque l’on fait de ce qui la détermine. Seule unelecture politique permet de questionner lesconcepts utilisés et de dépister quelles normes,quels discours ils véhiculent.

Le mouvement des maisons médicales, dont lespremières ont vu le jour dès les années 60, s’estclairement inscrit, en alliance avec le Grouped’étude pour une réforme de la médecine(GERM), dans une approche qui rompt avec lapseudo-neutralité du discours médical etpoursuit très clairement des objectifs politiques.Bien que s’étant plus ou moins institutionnalisé,ce mouvement est cependant resté relativementmarginal : les professionnels de la santé sonteux-mêmes divisés, pris dans des logiquesdifférentes voire adverses. La lecture politiquede la santé, de ce qui la détermine, avec lesconséquences qu’implique cette lecture, estdonc loin de rallier tous les intérêts en présence.

Au niveau international, l’Organisation mon-diale de la santé a souligné la responsabilité desEtats et la nécessité d’une action urgente de lapart de tous les gouvernements, de tous lespersonnels des secteurs de santé et du dévelop-pement, ainsi que de la communauté mondiale,pour protéger et promouvoir la santé de tousles peuples du monde. « La santé pour tous enl’an 2000 » : tel est le credo de la conférenceinternationale sur les soins de santé primairesd’ Alma Ata (l976) qui débouche sur la charted’Ottawa élaborée en l986 lors de la premièreconférence internationale pour la promotion dela santé. Cette charte positionne clairement lasanté comme partie d’un système complexe,diversifié, en interaction permanente, qui néces-

site des interventions intersectorielles etparticipatives sur base de décisions politiques.

Dans cette optique, la santé ne se définit pluscomme la non-maladie, mais comme un état debien-être, ou tout au moins d’équilibre, physi-que, psychique et social, Et le droit à la santé,c’est aussi le droit aux conditions qui la favori-sent, conditions de plus en plus étudiées etconnues. L’amélioration de la santé devient dèslors une affaire trop sérieuse pour être confiéeaux seuls professionnels de santé : l’Organi-sation mondiale de la santé leur définit, à côtéd’une fonction curative, un rôle de médiationentre des « intérêts divergents », de partenariat,d’accompagnement… pour aider les gens àacquérir un pouvoir23 accru sur leur santé et surses déterminants.

Cette position devait remettre au centre lepolitique aux détriments de la logique écono-mique, avec les conséquences que cela impli-que. Mais les vœux de l’Organisation mondialede la santé n’aboutissent pas à des changementsradicaux.Bien au contraire, les « lois » de la concurrenceamènent graduellement au démantèlementprogressif des services publics, aujourd’huiparticulièrement menacés par les discussionssur l’accord général sur le commerce et les ser-vices (AGCS) dont l’objectif est d’assimiler lesservices publics à des produits de consomma-tion et de les soumettre à la « logique » dumarché – libéralisation, privatisation…

Et la participation dans tout ça ?

Notre époque de « barbarie douce ne laisse rienni personne en repos. Dans leur vie personnelleet professionnelle les individus se trouventconstamment incités à faire preuve d’« auto-nomie » et de « responsabilité », ils se doiventd’être « motivés », « réactifs » et « participa-tifs » »24. Que signifient de telles incitationspour les patients chômeurs ou allocatairessociaux, aujourd’hui sommés de prouver qu’ilsont un projet, qu’ils se conduisent en êtresresponsables – au risque de perdre un minimumvital qui n’est plus vraiment considéré commeun droit ?25.Il faut donc plus que jamais être attentif à

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l’intrusion d’une logique puissante, qui envahitmême les domaines où l’on vise à la contrer.Par exemple, si les récentes lois sur les droitsdes patients - une modalité spécifique de laparticipation, de l’autonomie – représentent uneavancée certaine, elles n’échappent pas à cetteanalyse. Guy Haarscher nous invite à restercritiques : « en ayant fait cela, on évite l’écrase-ment du patient par le médecin mais on n’aencore posé aucune question fondamentale surce qu’est la santé, le type de rapport, sur ce qu’ilfaut privilégier, sur une politique de santépublique, sur le type d’hôpitaux… qui sont desproblèmes de politique de la santé au sens large,d’éthique aussi et qui ne se résument pas à desdroits… Je trouve légitime que l’on revendiqueles droits du patient, mais attention à un doubleeffet pervers : d’une part ce n’est pas uneapproche citoyenne mais individualiste, parfoismême « clientéliste », d’autre part cela peut àla limite empêcher le médecin de faire sonmétier. Ce type de rapport ou de dialoguedevrait être approché avec distance critique »26.

Participation : poser les bonnesquestions

Quel peut être l’intérêt d’agents de la santé àrevendiquer la participation des utilisateurs ?Joel le Corre en propose trois : un intérêtprofessionnel, « dans le but de réaliser au mieuxdes objectifs de soins ou de prévention » ; uneraison éthique, « car s’il s’agit de soigner, c’estbien le corps de l’autre qui est en jeu ; s’il s’agitde prévenir, la question de la norme et donc decelle de son élaboration se posent » ; et enfin,une autre raison « qui tient à notre place dansle champ de la médecine, au sens sociologiquedu terme. Celui-ci est dominé par les tenantsdu capital symbolique, à savoir les éminentshospitalo-universitaires que leurs titres, leurspublications, leur clientèle privée, leurs affilia-tions installent aussi parmi les tenants du capitaltout court. A l’autre bout,… les défenseurs dela médecine sociale que leur statut, l’écoute dontils sont l’objet, leur nombre, voire leurs revenus,situent bien parmi les dominés »27.Tout comme la santé est politique28, participerconsiste donc aussi à « prendre parti ». Pourquoi ? Là est la question : « que les institutions,

les hommes politiques, sollicitent la participa-tion de la population, des citoyens, on peut yvoir l’intention d’un développement de ladémocratie, mais aussi l’appel d’un plus grandnombre à la politique engagée »27.

Lorsque l’on veut « susciter la participation despatients », inciter les patients à « se prendre encharge », « devenir autonomes », il est doncindispensable de s’arrêter suffisamment long-temps, avec toutes les personnes concernées,pour savoir ce que recouvrent les mots, lesintentions, les projets : qu’est-ce que cela veutdire pour chacun ? Qu’est-ce que cela ne veutsurtout pas dire ? Quelles sont les places dechacun ? Voulons-nous agir « pour eux » ou« avec eux » ? Sommes-nous dans la compas-sion ou dans la résistance ? Voulons-nouscombler les lacunes du système, les ignorer, oules dénoncer ?

Personne ne peut être au-dessus desclasses qui luttent, car personne ne

peut être au-dessus des hommes.La société n’a pas de porte-parolecommun tant qu’elles est divisée

en classes qui luttent.C’est pourquoi, pour l’art, être

impartial signifie seulement :appartenir au parti dominant ».

Berthold Brecht29.

Redéfinir la participation

Quelques typologies de la participation peuventaider à poser des balises. Il y en a d’autres, etbien sûr aucune catégorie n’est étanche, desrecoupements existent. Citons quelques appro-ches :

● Fournier et Potvin

Fournier et Potvin30 relèvent, à partir d’uneméta-analyse de la littérature, différentesvisions de la participation :

• Une vision « utilitariste », dont le but estd’améliorer l’efficacité et l’impact desinterventions définies par les professionnelsde santé. On reconnaît ici qu’il n’y a pas de

Participation des patients : les avatars d’un concept

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Participe : présent

La partication des usagers

traitement, ou de prévention efficace sansnégociation avec le patient. Cela va de l’intro-duction de changements de comportements,de modes de vie quand la technologie médi-cale est peu efficace pour améliorer la santé,à des mesures visant à favoriser la compliancedes malades chroniques ; en passsant par unemobilisation directe des ressources de la com-munauté dans les contextes où les moyensmanquent – ou tout au moins ne sont pasalloués aux services de santé publics(participation directe au financement ducentre de santé dans le Tiers Monde parexemple).

• Une vision « démocratique », où il s’agit deredistribuer certains aspects du pouvoir localou central - mais sans remettre en questionles structures sociales et le fondement del’Etat. Cette approche est fréquente dans lescontextes démocratiques, et peut se déclinerà différents niveaux : celui d’une ville, d’unerégion, d’une nation (ou d’organismes : cf.les récentes élections mutuellistes) – maisaussi, pour commencer peut-être, à l’échelled’une commune, d’un quartier, d’une struc-ture de santé où les pouvoirs pourront seredistribuer entre professionnels et patients.L’objectif sanitaire peut alors être secon-daire : on ne vise pas forcément une utilitéimmédiate par rapport aux soins, à la santédans le sens bio-médical du terme.

• Une vision de « conscientisation » et derenforcement du pouvoir populaire : c’est, audépart, surtout en Amérique latine, avec PauloFreire, que se développe cette vision, d’em-blée située sur le plan communautaire et poli-tique. Le contexte est ici loin d’être démocra-tique : les patients sont avant tout des citoyensdépourvus du pouvoir d’élire leurs représen-tants au niveau politique. Le but ultime decette forme de participation est de renverserla dynamique politique en place, d’investirdes zones de pouvoir, de transformer radicale-ment les structures politiques et sociales.Même si elle part des services de santé, l’ac-tion est d’emblée sous-tendue par un objectifpolitique global et dépasse le secteur sani-taire, pour s’appliquer à une gamme pluslarge d’actions de développement. Elle estdès lors, par nature, communautaire et baséesur une collaboration entre divers secteurs im-pliqués dans l’organisation de la vie sociale.

● S. Rifkin

S. Rifkin31 distingue cinq niveaux dans laparticipation communautaire :

• la participation aux avantages du programme,sans intervention de la population sur leschoix ni les contenus ;

• la participation aux activités des programmes,sans intervention de la population sur le choixou les modalités de ces activités ;

• la participation à l’exécution des program-mes, où la communauté intervient dans lagestion du programme et prend des décisionssur la manière de mener les activités, sansintervenir sur les objectifs et la nature desactivités ;

• la participation à l’évaluation du programme,où les intéressés évaluent si les objectifs sontbien atteints ;

• la participation à la planification des program-mes, où certains membres de la communautéparticipent à l’élaboration des programmeset reçoivent l’aide des professionnels (enterme d’expertise et/ou de ressources.

● Pissaro

Pissaro32 propose quant à lui la typologiesuivante :

• la participation-approbation : consultation dela population par les professionnels, au coursd’une réunion où il s’agit le plus souventd’avoir leur approbation ;

• la participation-consommation, où lavalidation du projet se fait au travers de lamesure de la participation des habitants entant que consommateurs (s’ils fréquentent leservice, c’est qu’ils en sont satisfaits) ;

• la participation-alibi, qui consiste à associerquelques habitants à un groupe de travail sansleur donner vraiment les moyens d’analyseret de comprendre ce qui se passe… ;

• la participation-action, où les habitants sontimpliqués dans l’ensemble de la démarche,depuis l’analyse de la situation et le choixdes actions jusqu’à l’évaluation finale.

Le concept d’empowerment33 souligne uneintéressante dimension de processus. Ce con-cept permet d’expliquer comment l’accroisse-ment d’un sentiment de contrôle plus grand sursa propre vie peut mener une personne ou un

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groupe à prendre plus part aux décisions qui la(le) concernent. Dans cette définition,l’empowerment est considéré comme unprocessus qui peut mener à une participation –à des activités, à des décisions, à la prise encharge de sa santé – dont la finalité est d’amé-liorer la qualité de vie.

On distingue plusieurs phases dans ce proces-sus. Le « degré zéro » correspond à un senti-ment d’impuissance, le plus souvent lié à unenvironnement social négatif, un isolementsocial, une limitation ou une absence depossibilités de choix. Un cheminement peuts’effectuer à partir de cette situation :

• une prise de conscience personnelle, quisurvient quand la personne commence àpouvoir situer sa situation personnelle dansun contexte plus large, culturel, économique,social et à découvrir ses ressources propres…Cela permet de vivre autrement un vécu desouffrance ou d’échec, et d’entamer un pro-cessus de requalification. La consultationindividuelle, c’est-à-dire la sphère interper-sonnelle, est un lieu où peut se développercette mise en contexte et où l’intervenant peuts’attacher à renforcer l’estime de soi, lepouvoir personnel du patient face à samaladie, face à sa santé ;

• l’ouverture s’élargit si la personne peut re-créer un sentiment d’appartenance, de lienavec d’autres, ce qui l’aide aussi à sortir d’unsentiment d’impuissance ou de culpabilité.Le groupe permet d’apprendre de nouveauxrôles, de s’exprimer, d’accroître les compé-tences. L’intervenant peut ici soutenir, sus-citer la création d’un groupe, qui sera le véhi-cule de l’ « empowerment en santé » : autre-ment dit, un lieu, un espace à partir desquelsde nouvelles capacités surgissent plus facile-ment qu’au niveau individuel, à partir des-quels les changements personnels peuventêtre expérimentés. Le principe guidant ce typede démarche est qu’en agissant avec d’autres,les gens gagnent des « caractéristiques desanté » essentielles, c’est-à-dire. un potentieldont le lien avec une vie en santé est reconnu :pensée critique, prise de conscience, capacitésde contrôle, nouvelles compétences, cohéren-ce. Sans le support d’un groupe, peu de genspourraient participer à des changementssociaux plus formels ;

• l’action communautaire consiste à soutenirun processus d’organisation des gens autourde problèmes plus larges que les préoccupa-tions immédiates des membres du groupe ;ce qui peut amener celui-ci vers l’engagementsocial, où il s’agira de développer des ressour-ces, des stratégies pour jouer un rôle socialet politique plus important, se joindre àd’autres groupes, participer à des décisionsayant un impact collectif.

• un niveau plus large encore est celui de lacoalition, où se rencontrent différents groupesqui partagent les mêmes préoccupations etun même objectif. Au niveau de la coalition,il s’agit de promouvoir une idée : prendreposition sur les solutions possibles et initierdes actions avec l’intention délibéréed’influencer les choix politiques.

• enfin, l’action politique permet d’ intensifierles actions initiées dans la coalition (sousforme de parti par exemple).

Différents trajets peuvent se dessiner entre cessphères, selon les caractéristiques, l’histoire dela personne ou du groupe : ainsi, un patient quia pu, dans une relation individuelle avec unsoignant ouvert au dialogue (sphère intra-personnelle) mieux comprendre commentaméliorer son équilibre alimentaire, peut êtreamené vers un groupe d’activités cuisine(sphère intragroupe) pour renforcer ses compé-tences, se sentir soutenu dans sa démarche. Ilpourrait, à partir de ce travail, prendre conscien-ce de la mauvaise qualité de l’offre alimentairedans son quartier, participer à une actioncommunautaire tournée vers les acteurs locauximpliqués dans cette offre (les écoles, lescommerçants,...). Ce groupe communautairepourrait, à travers son action, sensibiliser desdécideurs, se rassembler en plate-forme, engroupe de pression se centrant sur l’analyse desintérêts en présence (sphère de la coalition) ;et de là, s’inscrire dans un parti politique dontle programme comporte un axe d’améliorationde l’environnement…

Les sentiers sinueux de l’actioncommunautaire

Ce type de cheminement peut se décliner dans

Participation des patients : les avatars d’un concept

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Participe : présent

La partication des usagers

une trajectoire professionnelle : ainsi le désirpersonnel de pratiquer une autre médecine, peutamener à créer une maison médicale avecd’autres soignants, à rallier la Fédération pourinfluencer les choix politiques en matière desanté, à investir des lieux de décision régionaux,communautaires, fédéraux...

suivre, soit faire prendre conscience, ou aumoins entendre, les difficultés du patient etl’aider à mieux les comprendre, à découvrir denouvelles ressources. La première attituderisque de renforcer le sentiment d’impuissanceet de culpabilité : en s’irritant de la « passivité »du patient, le soignant rate des occasions d’en-tendre sa parole, de comprendre et de soutenirles ressources qu’il a... La deuxième attitudeaide le patient à sortir de son isolement, àéchanger avec d’autres pour mieux découvrirdes zones d’action plus larges, de nouveauxpotentiels… De même, les animateurs d’ungroupe de patients peuvent fermer d’emblée legroupe sur lui-même et sur la pathologie concer-née, ou l’amener vers de nouveaux horizons enréfléchissant à l’offre alimentaire dans lequartier, à comprendre la logique de cette offre,en invitant peut-être d’autres intervenants...

La manière dont l’intervenant définit la santé aévidemment un impact sur la manière dont ildéfinit le public concerné : la référence aumodèle bio-médical amène assez logiquementà partir de la maladie, des patients atteints, àidentifier un groupe cible défini selon certainsparamètres préalables (pathologie, groupe àrisque âge, sexe…). Tandis qu’une référence aumodèle de promotion de la santé conduit plusnaturellement à envisager d’emblée les déter-minants de la santé sans référence à une patholo-gie précise, et à approcher la collectivité selondes critères socio-anthropologiques - en analy-sant par exemple les regroupements naturels,les priorités et les formes d’organisation etd’interaction existant dans cette collectivité.

Ces approches ne doivent pas être opposées :elles peuvent se compléter harmonieusement,tout comme le curatif et le préventif. Néanmoinselles requièrent des compétences, des méthodesdifférentes, rencontrent des difficultés spécifi-ques et ne renvoient pas au même type departicipation.

Un des éléments qui distingue l’approche bio-médicale de l’approche promotion de la santé,c’est l’identification de ce qui lie les gens entreeux : le lien qui peut se créer sur base d’unepathologie commune ne suffira généralementpas à susciter une dynamique collective pluslarge. Le cas du SIDA a été particulier : la mala-die, devenant une part de l’identité chez les

Quel que soit le niveau d’intervention choisi, ilimporte de ne pas se tromper de moment, deniveau : il peut être inutile, contre-productif oumême violent, de chercher trop vite à amenervers l’action collective une personne extrême-ment désaffiliée, fragilisée, sans passer par untravail dans un espace protégé qui lui permetde se requalifier.

Par ailleurs, la perspective prise au départ risqued’influencer le passage d’une sphère à l’autre.Si l’on reprend l’exemple des patients dans laconsultation individuelle, le soignant peut, demanière très schématique, avoir deux typesd’attitudes : soit prescrire le « bon » régime à

Il serait évidemment simpliste, dansun cas comme dans l’autre,

d’imaginer qu’une telle dynamiquesuive un cours automatique et

linéaire : certains patients sesatisfont du changement acquis dans

la sphère personnelle ou de groupe,sans désirer aller plus loin.

De même, certains soignantsapprécieront le type de médecine

pratiquée en maison médicale, sansse sentir investi d’un rôle politique,

sans vouloir pour autant remettre enquestion plus profondément les

mécanismes sociaux qui produisentla (mauvaise) santé…

D’autres par contre, choisirontd’emblée de travailler en maison

médicale parce que ce type destructure leur semble plus cohérente

avec la lecture qu’ils ont de ce quiproduit la santé, et chercheront très

vite à dépasser le cadre local del’équipe pour agir à un niveau plus

politique…

48 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

personnes atteintes (ce qui est aussi le cas pourd’autres pathologies lourdes) s’est vite associéechez certains à une position militante ; c’estqu’ici les enjeux moraux et sociétaux apparais-saient très clairement. Soulignons cependantque les premiers « militants du SIDA » étaientles homosexuels, qui revendiquaient à traversleur combat une reconnaissance de leurs choixde vie et un refus de l’exclusion.

Si l’on vise donc une participation plus large,on ne pourra manquer de s’interroger sur cequ’est une communauté, sur ce qui lie, ce quipeut lier les gens entre eux au point d’agir demanière collective. Classiquement, le conceptde communauté est défini selon des critè-res géographiques (village, quartier), descritères d’intérêts (intérêts particuliers degroupes d’individus spécifiques : chômeurs,minimexés, syndicat de locataires, utilisateursd’un même service), ou des critères d’identité(segments particuliers de population envisagéssous l’angle de l’appartenance culturelle,ethnique, religieuse, sexuelle...)3.

Pour utile qu’elle soit, cette classification nerésout pas toutes les difficultés : les grands cli-vages traditionnels ont laissé la place à desidentités plus floues, plus flexibles, en écho avecl’individualisation et l’atomisation de la sociétémoderne. La même personne se reconnaîtplusieurs « identités », plusieurs apparte-nances, qui peuvent se jouer simultanémentdans des contextes différents, varier dans letemps, susciter des alliances temporaires…Kaufmann souligne que le sentiment d’identitéest bien souvent en souffrance dans la sociétémoderne parce qu’il ne s’appuie plus sur desrôles sociaux clairs, sur des structures fortesauxquelles l’individu se rallie (confrériesprofessionnelles), ni sur des éléments donnésd’avance (famille, fonction sociale reconnue),comme c’est le cas dans la communauté tradi-tionnelle ; ni, comme ce fut le cas à la fin duXIXème siècle, sur une identité de classe sur-plombant les particularismes et les trajets indivi-duels. Trouver son identité peut être aujourd’huile travail d’une vie, mené en solitaire, et lesenjeux de l’adhésion à tel ou tel groupe sontdifférents pour chacun, difficiles à cerner del’extérieur, mouvants et incertains.

D’où la complexité de l’action communautaire :

comment définir la communauté, en fonctionde quels points communs ? Qui définit lacommunauté ? Qu’est-ce qui lie les individus-patients ? La difficulté est d’autant plus grandelorsque l’on cherche à relier des personnesisolées, désaffiliées : parce que « les ruptures(sociales, professionnelles, familiales, relation-nelles) ont pour effet de modifier fondamentale-ment les perceptions que l’individu a de sonrapport à lui-même, aux autres, à la société, etde fragiliser toute notion de lien : dégradationde l’image de soi, perte du sentiment d’utilité,altération du sentiment d’exister, repli sur soi,exacerbation de l’auto- et de l’hétéro-agressi-vité »34.

S’attacher à créer du lien social à partir des indi-vidus est dès lors une lourde tâche, surtout pourles intervenants qui rencontrent avant tout lesgens de manière individuelle et à un momentde souffrance qui engage ceux-ci à chercherl’aide, le réconfort plutôt qu’à « se prendre encharge » collectivement. Il nous semble que,dans la consultation individuelle avec les per-sonnes les plus fragiles, il est fondamental des’attacher avant tout au renforcement de lapersonne et de ses capacités. L’enquête faite àBarvaux36 montre bien le rôle clé que peut icijouer l’équipe soignante.

La perspective collective, indispensable si l’onveut s’attaquer aux déterminants de la santé, sedéveloppera mieux à partir de, ou en collabora-tion avec d’autres lieux. C’est dès lors plutôt àl’équipe soignante, de participer. Participer àla décision politique en tant que citoyen qui ale pouvoir de choisir des représentants soute-nant le bien-être social. Participer à la vie socia-le locale en repérant les leviers d’une actionplus globale : les dynamiques et les solidaritéslocales, les réseaux, les associations aveclesquelles des alliances peuvent être construites,les initiatives et les savoir-faire des habitants,les leaders naturels dans différents milieux…

Vers un projet de société plusjuste

Mener une telle démarche implique d’élargirle concept de participation des patients : parcequ’il ne s’agit plus ici de prendre appui sur ce

Participation des patients : les avatars d’un concept

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Participe : présent

La partication des usagers

qui constitue le sens originel du terme« patient » - le contact entre un profane et unprofessionnel à partir d’une maladie, ou toutau moins d’un problème provoquant la souf-france. La rencontre doit prendre appui sur desressources, un projet de vie, un projet de sociétédans lequel des savoirs, des positions différentespeuvent se rejoindre pour élaborer des valeurset des actions communes.La construction d’un projet cohérent demandeau soignant de développer des compétencesnouvelles, que ce projet vise le développementintrapersonnel ou l’action communautaire, enpassant par les différentes étapes décrites ci-dessus. En effet, quel que soit son désir, lesoignant est avant tout formé dans une perspec-tive individuelle et bio-médicale : les aspectspsychologiques, sociaux, politiques de la santéet de la maladie ne prennent toujours pas, c’estle moins qu’on puisse dire, beaucoup de placedans la formation de base.

L’écoute active, le développement des forcescollectives, ne s’improvisent pas et ne découlentpas naturellement des pratiques de soins, aussifines soient-elles. Le concept de participation,d’action communautaire, risque de rester un dis-cours vide de sens, de s’épuiser dans des actionsinefficaces ou contre-productives, s’il n’y a pasune reconnaissance forte des compétencesnécessaires pour les mener à bien, et uneprofonde réflexion éthique quant aux objectifspoursuivis, au sens de l’action, aux valeurs quila fondent.

« On ne peut prétendre sauver à la fois le dis-cours médical et le discours du patient », ditClavreul cité par JP. Lebrun6. Cette formulelapidaire a du vrai, mais elle est sans doute troppessimiste et réductrice. Il vaut mieux s’inscriredans le combat évoqué par Marc Renaud35 : « Al’orée du XXème siècle, une épreuve de forcesemble donc se dessiner entre la déesse de lamédecine, Panacée, qui devient de plus en plusambitieuse et habile dans ses tentatives pourvaincre la mort, et Hygié, déesse de la santépublique et grande prêtresse des réformessociales ».

Ces deux positions ne sont peut-être pas anti-nomiques : on peut les concilier en adoptant unepratique de soins résolument pluridisciplinaire ;en faisant alliance avec des intervenants exté-

rieurs au domaine du soin ; en identifiant lesterrains spécifiques dans lesquels chacun peutdévelopper ses compétences.L’élargissement des perspectives, le recours àdes compétences diversifiées, peuvent soutenirdes pratiques qui aident le patient à mieux vivresa maladie, à mieux comprendre et adhérer auxtraitements recommandés, et c’est tant mieux.De telles attitudes peuvent aussi amener à uneposition réflexive et éthique sur la santé, inter-rogeant ce qu’est une position de soignant, depatient, de profane, dans un contexte historiqueet politique donné – et c’est tant mieux. Ellespeuvent enfin permettre de rejoindre la person-ne sur un terrain tout autre que celui de lamaladie, un terrain partagé de citoyens qui serencontrent pour aller vers un projet de sociétéplus juste ; et c’est tant mieux.

Références

(1) J.C. Kaufmann, L’invention de soi. Une théoriede l’identité, Armand Colin 2004.

(2) A.Hoffman, « Pourquoi Dieu nous envoie-t-ildes maladies », Santé Conjuguée n° 16, avril 2001.

(3) M. Bantuelle, J. Morel, Y. Dario, Des conceptset une éthique, Collection Santé Communautaire etPromotion de la Santé, 2000.

(4) A. Hoffman, « Regards de l’anthropologie surles représentations de la maladie », Santé Conjuguéen° 16, avril 2001.

(5) J.P. Vernant, La formation de la pensée positivechez les Grecs, in « Mythes et pensées chez lesGrecs », Etudes de psychologie historique, Paris,Maspero, l965.

(6) J.P. Lebrun, De la maladie médicale, éditionsDe Boeck Université, 1993.

(7) G. Canguilhem, « L’idée de médecineexpérimentale selon Claude Bernard », in Etudesd’histoire et de pghilosophie des Sciences, Paris, Vin,l968-l983.

(8) cité par J.P. Lebrun dans De la maladiemédicale, éditions De Boeck Université, 1993.

(9) Dujardin Bruno, Politiques de santé et attentesdes Patients : vers un nouveau dialogue, Karthaléditions Charles Léopold Mayer, 2003.

(10) Lambrichs, Histoire et Vérité, 1993, cité dansBruno Dujardin.

(11) Robert Castel, L’insécurité sociale : qu’est-cequ’être protégé, La République des idées, Seuil,octobre 2003.

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(12) interview de Carl Havelange par C. Legrève,in Le Marchand d’Orvitéan. Cf C. Havelange, Lesfigures de la guérison (XVIIIè-XIXè siècle. Une his-toire sociale et culturelle des professions médicalesau pays de Liège, ed Les belles Lettres, Paris, l990.

(13) le grade de docteur en médecine, chirurgie etaccouchement est créé en Belgique en l849.

(14) Monique Van Dormael, Médecine géné-raleet modernité, Regards croisés sur l’Occident et leTiers Monde, Thèse de doctorat en sciences sociales,ULB, l994-l995.

(15) Douguet F., « Conflits et négociations entrenormes professionnelles et profanes dans les contex-tes d’auto-soins », in Normes et Valeurs dans lechamp de la Santé, Colloque international del’Association internationale des sociologues delangue française (AISLF), Brest mars 2003.

(16) Daubigny L, « La gestion médicale de l’obé-sité – entre concepts scientifiques et représentationssociales », in Normes et Valeurs dans le champ de laSanté, Colloque international de l’AISLF, Brest mars2003.

(17) Unger Jonathan, Vers une géographie de lapolice locale en région de Bruxelles–Capitale,Mémoire, ULB Faculté des Sciences, Départementde géographie, 2002-2003.

(18) voir article de Jean Laperche dans ce numérode Santé conjuguée.

(19) Guy Lebeer, Les maisons médicales : un mou-vement critique en crise ?, intervention lors du Xème

colloque de la Fédération des maisons médicales,19-20 octobre 2002 « De la valse à trois temps à lavalse à mille temps », Santé conjuguée n° 11, 2001.

(20) voir référence 15.

(21) Bensaïd Norbert, La lumière médicale,collection Actuel, éd du Seuil, 1981.

(22) Thierry Poucet, « L’éducation pour la santé :un courant qui passe... ou une mode qui passera »,Actualité Santé n° 49, février l983, GERM.

(23) Douguet Florence, « Conflits et négociationsentre normes profanes et normes professionnellesdans les contextes d’auto-soins », in Normes etvaleurs dans le champ de la santé, colloque inter-national AISLF, mars 2003.

(24) J.P. Le Goff, La Barbarie douce, éd. LaDécouverte, Paris, 1999.

(25) pour les nouveaux projets de loi sur le bénéficedes allocations de chômage : voir le site

Participation des patients : les avatars d’un concept

<www.stopchasseauxchomeurs.be>.

(26) Guy Haarscher, « Les droits du patient ne fontpas une politioque de santé publique », interview,Santé Conjuguée n°24, avril 2003.

(27) Joël Le Corre, « La participation… et la luttedes classes », Santé conjuguée avril l998, n°4.

(28) « La santé politique : pourquoi ? », Santéconjuguée avril l998 n°4.

(29) Berthold Brecht, Petit Organon pour lethéâtre, éd. de l’Arche.

(30) Fournier P., Potvin L. Participation commu-nautaire et programmes de santé : les fondementsdu dogme, Sciences sociales et santé, 13(2) : 39-59,1995.

(31) Rifkin SB, Participation communautaire auxprotrammes de santé maternelle et infantile.Planification familiale : analyse sur la base d’uneétude de cas. Genève, OMS, l990.

(32) Pissaro B., Les inégalités dans la ville.Congrès international du Centre de coordinationcommunautaire en éducation pour la santé, Liègel992, cité dans le mêm doc de Thierry Lahaye.

(33) Labonte R., Health promotion andempowerment : reflections on professional practices,Health Education Quarterly l994 ;21(20 :253-68).

(34) « Pauvreté, précarité : quelle santépromouvoir ? », La Santé de l’Homme n°348 juillet-août 2000, ED/CFES.

(35) collectif sous la dir. de Robert G. Evans,Morris L. Barer et Théodore R. Marmor, Etreou ne pas être en bonne santé, Presses de l’uni-versité de Montréal, John Libbery Eurotext,1996.

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Participe : présent

La partication des usagers

La présente note a pour objectif d’identifier lesconditions favorables et les résistances et obsta-cles à la mise en œuvre d’actions commu-nautaires.L’article 6 du décret non-marchand* prévoit queles maisons médicales doivent assurer :

• des fonctions curatives et préventives dansle cadre des soins de santé primaires ;

• des fonctions de santé communautaire ;• des fonctions d’observatoire de santé de

première ligne ;• des fonctions d’accueil.

La définition de la fonction de santé commu-nautaire proposée à l’article 1 du décret précités’articule autour de deux axes :

• le travail en réseau ;• la création de conditions de participation

active de la population à la promotion de sasanté.

Les résistances et obstacles

Si le secteur des maisons médicales sembles’accorder et reconnaître la nécessité de rendreles populations actrices de leur santé et depromouvoir des démarches participatives dansle domaine de la santé, l’analyse des dossiersd’agrément et des rapports d’activités fontapparaître que rares sont les maisons médicalesqui parviennent à élaborer et à mettre en œuvredes actions avec les habitants dans le domainede la santé.

De nombreuses raisons peuvent sans douteexpliquer cette situation :

• le financement du poste de santé communau-taire prévu à l’article 26 de l’arrêté du non-marchand et l’obligation prévue à l’article 16de l’arrêté précité de prester la fonction desanté communautaire à concurrence de 0,5équivalent temps plein (ETP), permetdifficilement le développement des pratiquescommunautaires autour de la santé ;

• certains professionnels déclinent trop souventla santé en référence à la maladie. L’état desanté ne relève pas d’une seule logique desoins et de performance médicale dans la luttecontre les pathologies mais d’une logique plusglobale prenant en compte les principauxdéterminants de la santé. L’ensemble desfacteurs individuels (exemple : les habitudesde vie présentent une forte composante indivi-duelle) et collectifs (exemple : l’environ-nement social, l’environnement physique, lesconditions de vie ou de travail, …) jouent unrôle essentiel pour promouvoir la santé,empêcher et retarder l’apparition des problè-mes de santé. Autrement dit, s’il vaut mieuxavoir un bon système de soins en cas demaladie, il vaut encore mieux avoir un bonsystème de santé pour éviter de devenirmalade.

Il nous faut sortir de la segmentation entreprévention/promotion et soins qui génère desoppositions et dualités artificielles. Il existe

L’approche communautaire dans ledomaine de la santé.Permettre aux habitants de s’engager dans desactions de santé de proximité

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Thierry Lahaye,service santé,

administration dela Commission

communautairefrançaise.

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Faire que les habitants soient nonseulement les acteurs des actions desanté qui les concernent mais qu’ils ensoient aussi réellement les auteurs, nes’improvise pas, mais implique demettre en place un contexte complexequi fera que la participation deshabitants soit effective et autre chosequ’un slogan ou un alibi.

Mots clés :participation,maisonsmédicales,santécommunautaire

* Le décret non-marchand vise à

améliorer lesconditions de

travail et derémunérations

desprofessionnels(aménagement

des fins decarrière par une

réductionprogressive du

temps de travail,prise en comptede la formation

du personnel, …)

52 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

en fait un continuum le long duquel chaqueprofessionnel de santé évolue en fonction dela nature de ses interventions. L’évitabilitéreprésente le fil conducteur des actions àmener dans la perspective de ce continuum :agir sur les déterminants pour éviter lamaladie, éviter l’absence ou le retard de priseen charge, éviter l’aggravation ou les séquel-les, éviter au maximum le retentissement surla vie des personnes concernées.Une telleapproche se situe clairement dans le cadred’une démarche de qualité qui concernel’ensemble des champs d’action en faveur dela santé et ne se limite pas aux seuls soins. Ilimporte d’intégrer la santé dans unedimension citoyenne et de projet de société,telle que préconisée par la charte d’Ottawaen 1986.

• La complexité institutionnelle de la Belgiquedans le domaine de la santé crée une multi-plicité de décideurs politiques s’accom-pagnant d’une multiplicité de source definancement. L’absence d’interactions fortesentre les différentes entités et notammententre la Commission communautairefrançaise de la Région Bruxelloise et laCommunauté française est préjudiciable audéveloppement des pratiques communau-taires dans le domaine de la santé. Pourrappel, le renforcement de l’action commu-nautaire figure parmi les priorités duprogramme quinquennal de promotion de lasanté de la Communauté française.

• Le développement des capacités d’expres-sion, d’initiatives et d’organisation des habi-tants est mis à mal par le phénomène deprécarisation ou de désaffiliation.Les problèmes de la vie quotidienne, ladifficulté à imaginer un avenir ailleurs ou unavenir tout court, la désignation du quartieroù ils habitent comme un lieu problématiquefavorisent l’intériorisation par les habitantsd’un profond sentiment de dévalorisation.« Ces ruptures (scolaires, professionnelles,familiales, relationnelles) ont pour effet demodifier fondamentalement les perceptionsque l’individu a de son rapport à lui-même,aux autres, à la société, et de fragiliser toutenotion de lien : dégradation de l’image de soi,perte du sentiment d’utilité, altération dusentiment d’exister, repli sur soi, exacerbationde l’auto- et de l’hétéro- agressivité » .

La précarisation est un obstacle aux droitsde l’homme, car à travers l’irrespect des droitsfondamentaux, il est porté atteinte au droitde vivre dans la dignité1.Une société démocratique et riche commel’est la société belge devrait assurer les condi-tions objectives du bien-être physique, mentalet social de tous et donner équitablement àchacun le maximum de chances pour assurerson épanouissement.Cet ensemble de droits-créances2 constitue lesocle préalable, c’est-à-dire l’objectif initialet incontournable, de toute politique visant àpermettre aux habitants d’être créateurs deleur propre santé et d’être des partenairesactifs dans la conception et la mise en œuvrede projets de santé.

La santé revêt un caractèresecondaire par rapport aux

besoins et aux droitsfondamentaux.

Tant que ceux-ci ne seront paspris en charge, les personnes en

situation de vulnérabilité aurontdes difficultés à s’engager dans

une démarche communautaire.

• Il n’est pas facile de faire travailler ensembledes personnes d’horizons différents : habi-tants, professionnels, institutions…

* Dans une démarche de travail en partena-riat, le problème réside souvent dans lacoexistence des expertises : celle des habi-tants, experts de leur quotidien, et cellesdes professionnels qui parlent au nom deleurs structures, de leurs missions et enfinen leur nom propre. Les espaces de négo-ciation sont difficiles à mettre en place.

* La perception du temps, différente pourchacun, influe notamment sur le rythme detravail, des rencontres.

* Trop de proximité avec les habitants peutengendrer un manque de distanciation parrapport aux habitants notamment lorsquele professionnel est issu du quartier ou ren-contre dans sa vie privée des difficultésproches ou similaires de celles de la popu-lation.

(1) « Pauvreté,précarité : quellesantépromouvoir ? »,La Santé del’Homme n° 348juillet-août 2000p. 31 ED/CFES).

(2) Les droits del’homme peuventêtre divisés endeux catégories :les droits-libertés,c’est-à-dire ledroit de… (libertéde réunion,liberté de pensée,liberté religieuse,…) et les droits-créances, c’est-à-dire le droit à…(santé, logement,…).

(3) Le diagnosticcommunautaireCollection Santécommunautaire etpromotion de lasanté n° 3, ASBLSantéCommunautéParticipation p.7, 2000.

L’approche communautaire dans le domaine de la santé

53Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

A l’inverse, le professionnel extérieur peutfaire des erreurs dans l’appréciation dessituations et des enjeux par manque deconnaissance et de proximité avec le terrainet la vie de ses habitants.

• « Le diagnostic constitue l’étape initialed’une approche communautaire de santé. Ildoit initier une dynamique locale »3. Lediagnostic généralement réalisé par desprofessionnels renvoie souvent à tout ce quine va pas dans un quartier.Les habitants et plus largement la populationconstituent un groupe hétérogène dont lesdéterminants de santé au sens large (prati-ques, connaissances, solidarités, habiletéssociales…) sont peu pris en considération.Les professionnels manquent très souventd’outils pour récolter les données sur lescapacités et potentialités des habitants et ontrarement les moyens de les créer.

Les conditions favorables

Pour permettre l’engagement d’habitants et deprofessionnels dans des actions de santé deproximité, il est nécessaire de :

• Élaborer un diagnostic communautaire

Le diagnostic est un support d’apprentissagede la coopération entre les acteurs et un outild’engagement. C’est pourquoi, au-delà desaspects problématiques de la vie dans leterritoire d’intervention, il s’attache à repérerce qui fonctionne : les solidarités de quartier,les dynamiques locales, les initiatives deshabitants, la place et les relations qu’entre-tiennent les différents acteurs les uns vis-à-vis des autres, l’histoire du quartier…Le diagnostic est indispensable pour per-mettre de définir le champ d’action et sert àl’élaboration d’objectifs. Jamais linéaire, ils’étaye sans cesse et tout au long du proces-sus.

• S’appuyer sur les initiatives, désirs,demandes, attentes, besoins, potentiels etreprésentations des habitants et desprofessionnels

Le recueil de l’ensemble de ces éléments

passe d’abord et avant tout par l’écoute.Les habitants et les professionnels doiventpouvoir exprimer les problèmes qui les préoc-cupent et les sujets qui les mobilisent.Cela implique que ceux qui réalisent lediagnostic soient formés, qu’ils puissentdévelopper des qualités et des compétencesen matière d’écoute active, qu’ils disposentde temps, de latitude et d’autonomie.Si les personnes peuvent s’exprimer, à leurrythme, à leur façon, un climat de confiancefavorisant l’engagement peut s’installer, dansune perspective de développement.Les représentations de la santé prennentsouvent le pas sur une réalité plus objective.Pour éviter qu’elles ne soient un obstacle àl’engagement des acteurs et pour agir au plusproche de leurs préoccupations, il est indis-pensable, au-delà des éléments objectifs,d’identifier les représentations qui s’expri-ment à différents niveaux :- les perceptions émotionnelles, l’estime de

soi ;- les comportements, attitudes et pratiques ;- le niveau de connaissance ;- l’environnement social, culturel, géogra-

phique, économique…

• Reconnaître l’habitant comme expert deson quotidien

Les compétences et les potentialités deshabitants sont trop souvent niées ou mécon-nues. Quelles que soient leurs difficultés etleurs conditions de vie, les populations ontdes solidarités et des savoir-faire qui leur sontpropres.

• Reconnaître les réseaux de la vie quoti-dienne des habitants

Il est difficile de mettre en place un travailparticipatif sans un repérage et une connais-sance des réseaux existants sur le territoired’intervention. Ces réseaux jouent un rôlefondamental dans la dynamique d’un quartier.De plus il est primordial que les réseauxprimaires définissent les réseaux secondaires.« Les réseaux primaires constituant le « tissusocial » de base, on pourrait s’attendre à ceque se soient eux qui déterminent les modali-tés d’existence des réseaux secondaires (ceuxdes professionnels) et les services que ceux-ci peuvent offrir. Or c’est rarement ce qui se

(4) L’interventionde Réseau –Brodeur C,

Rousseau R –Service Social

dans le monde –ED France

Amérique 1987.

54 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

produit. L’observation du fonctionnement denotre société montre, en effet, que les institu-tions sociales, même si elles sont au servicede la population, s’approprient souvent la res-ponsabilité de définir elles-mêmes, à la placedes réseaux primaires, les besoins de cesderniers et les services qu’il leur faut. Lesréseaux primaires acceptent généralementcette situation et adaptent alors leurs deman-des aux services qui leur sont offerts… »4.

• Repérer les conflits et en faire des supportsde développement des relations sociales

Les conflits ou des périodes de crise (exem-ple : les problèmes de voisinage) constituentautant de modes d’expression, d’indicationd’un problème dont la nature est souventdifférente du support choisi pour l’exprimer.Favoriser l’expression des conflits peut êtreun support au développement des relationssociales et amorcer ainsi un processus visantà les faire exister en tant que groupe.

Par exemple, si l’on considère les problèmesde voisinage, il semble qu’il s’agisse desproblèmes relationnels au sens large dontl’expression technique (exemple : le bruit, lapropreté…).Vouloir résoudre le problème technique posésans faire un travail de compréhension de lademande sous-jacente ou des conflits dont ilest l’expression est, le plus souvent voué àl’échec.

• Aider les habitants à élaborer un projet

Il peut être utile :- d’aider les habitants à faire un travail de

formulation et de mise en forme des propo-sitions dont ils sont porteurs ;

- de fournir des supports à l’émergence et àl’élaboration d’un projet dans lequel ilspuissent se reconnaître et qu’ils puissentnourrir.

Il s’agit de favoriser le passage de proposi-tions à l’élaboration d’un projet et, ce faisantde permettre l’exploration de ses conditionsde réalisation et donc de l’univers de règles,de contraintes, de possibles dans lequel il peutse développer.Ce travail permet notamment de mettre à jourdes divergences entre les habitants sur lesorientations du projet autour duquel ils sontréunis ou sur ses conditions de mise en œuvre.L’élaboration d’un projet constitue une étapeimportante dans l’acquisition ou le renforce-ment des capacités de négociation deshabitants entre eux, condition de leur capacitéultérieure à négocier le projet avec d’autrespartenaires ou avec des organismes.

• Mettre en place des formations adaptées

La question de la formation est au centre desformes de soutien susceptibles de concrétiserdes initiatives prises par les habitants, desprojets conduits par eux ou auxquels ilsparticipent.C’est un moyen essentiel pour les aider àdévelopper ou compléter des capacités quileurs soient utiles individuellement oucollectivement.L’ensemble du processus d’élaboration d’unprojet doit être conçu non pas uniquementpar rapport à la finalité qui l’oriente, maiségalement comme un support d’apprentissageou d’élargissement de certaines capacités.

L’approche communautaire dans le domaine de la santé

55Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

• Définir les modalités d’évaluation de sesactions

Toutes les personnes (y compris les habitants)impliquées dans un projet doivent être asso-ciées à l’évaluation.L’auto-évaluation accompagnée des actionsmenées semble une méthode adaptée pourque la réflexion sur le fonctionnement prenneen compte à la fois les attentes des acteurs ettoutes les potentialités et richesses des savoir-faire.L’auto-évaluation permet aux partenaires deretracer ensemble le chemin parcouru, etd’avoir une vision à long terme de ce qu’ilsveulent poursuivre : retrouver les grandes éta-pes du projet, revenir aux objectifs, voir com-ment ils ont été mis en œuvre, quelles ont étéleurs évolutions (ou non), et pourquoi, identi-fier les freins autant que les ressources dontils n’avaient pas forcément conscience.Il est difficile d’évaluer seul les actions danslesquelles on a été impliqué, car c’est un exer-cice qui demande une prise de recul et unquestionnement particulier. De plus, l’évalua-tion peut déboucher sur des remises enquestion difficiles à assumer par le groupes’il n’y a personne pour réguler cette démar-che. C’est pourquoi, il est utile de faire appelà des personnes ressources externes pourréaliser une auto-évaluation accompagnée.L’accompagnement de la démarche permetde fournir une trame méthodologique, et dedonner place à la parole de chaque typed’acteur : professionnel de santé, personneladministratif, vacataires, bénévoles, habi-tants-usagers… L’auto-évaluation accom-pagnée s’inscrit de ce fait dans une perspec-tive d’analyse systémique : un résultat obser-vé n’est pas vu comme une conséquencelinéaire d’une cause unique, mais comme larésultante d’un certain nombre d’interactions.Analyser ces interactions comme deséléments constituants du système permet enretour d’agir dessus et de modifier le systèmeglobalement.L’accompagnateur a le triple rôle d’apporterdes éléments méthodologiques nécessaires àla réalisation de l’évaluation, d’assurerl’animation de la démarche et d’être le« regard extérieur » qui permet de prendre durecul par rapport à l’action.

Ce que l’on attend d’une auto-évaluation

accompagnée n’est pas seulement une vision« objective » du fonctionnement (résultatsatteints ou non, processus et qualité du parte-nariat, …), mais aussi un éclairage sur lespratiques mises en œuvre et une mobilisationdes partenaires autour d’un objectif commun.Par le partage et les échanges qu’elle suscite,l’auto-évaluation augmente la compréhen-sion mutuelle des enjeux et des stratégiessuivies. Elle permet de dégager les lignes deforce dans le fonctionnement de l’équipe, etde repérer des nœuds de dysfonctionnementséventuels. Cette connaissance communeforgée ensemble constitue une base de travailpour élaborer de nouveaux objectifs et desoutils.L’auto-évaluation accompagnée est donc unoutil de mobilisation dans le sens où ellepermet de donner de la valeur à ce qu’on afait, et de donner de la valeur à la parole deses partenaires.

L’auto-évaluation comprend plusieursétapes :

1. Le questionnement de départ- Pourquoi évaluer ?- Quelles sont les attentes de chacun dans

cette démarche ?- Que veut-on évaluer ?- Quels étaient les objectifs de départ ?

2. La description des actionsPour chacune des actions, il s’agit deretrouver ou de reconstituer, et de décrire :- les objectifs initiaux pour les habitants,

les professionnels ;- leur évolution éventuelle : quand, pour-

quoi, sous quelles influences, avecquelles conséquences, … ;

- les ressources mobilisées : ressourceshumaines et matérielles, finance-ments, … ;

- les résultats : par rapport aux objectifs(résultats attendus), effets observés(résultats non attendus), impact (consé-quence sur l’environnement).

3. Analyse des actionsIl s’agit de mettre en relation les différentséléments décrits plus haut :- cohérence des résultats et des effets par

rapport aux objectifs, à la méthode utili-sée, aux ressources engagées (humaines,matérielles, financières) ;

56 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

- analyse du rôle des habitants dans lesactions menées et les éléments ayantfavorisé ou freiné leur participation ;

- repérage des « moteurs » de l’action ;- identification des freins, des nœuds de

dysfonctionnement, des obstacles.

4. SynthèseCette quatrième phase consiste à faire lasynthèse des observations et des déduc-tions.Il convient de repérer les modes defonctionnements adéquats, à valoriser lessolutions, à rechercher les modes derésolution des difficultés.

L’effet Canada Dry

La notion de participation des habitants renvoieà des sens différents pour les acteurs, sens quisont rarement énoncés et encore moins explici-tés de sorte que chacun se mobilise au nomd’une conception particulière de la partici-pation.Les interprétations de la participation commu-nautaire sont multiples. Elles peuvent recouvrirle sens de la coopération jusqu’à celui del’obédience. Ces différentes lectures de laparticipation auront une incidence sur lesmodalités des actions entreprises sur le terrainet plus particulièrement sur la place et le pouvoirlaissés à la population dans les actions.

RIFKIN5 distingue cinq niveaux dans laparticipation communautaire :

1. La participation aux avantages des pro-grammes.La population bénéficie des services mis àsa disposition par les divers organismes ouinstitutions. Elle n’intervient ni sur le choixni sur le contenu des programmes ;

2. La participation aux activités des program-programmes élaborés par des organismesou institutions.On peut considérer que c’est une partici-pation active bien que les intéressés nesoient pas inclus dans le choix des activitésà mener ou dans les modalités de leurexécution ;

3. La participation à l’exécution du program-me.La communauté intervient dans la gestiondu programme et prend des décisions surla manière dont les activités sont menées.Toutefois, les objectifs et la nature des acti-vités restent du ressort des professionnels ;

4. La participation à l’évaluation des pro-grammes.En plus des modalités de participationexposées précédemment, les intéressésévaluent si les objectifs des programmesont bien été atteints ;

5. La participation à la planification des pro-grammes.En plus de ce qui précède, la communautéou certains de ses membres participent àl’élaboration des programmes (priorité,objectifs, stratégies, actions) et demandentaux professionnels de leur apporter del’aide (expertise et/ou ressources).

PISSARO6 propose la typologie suivante :

1. La participation-approbationLes professionnels du sanitaire bâtissentdes projets, puis sollicitent la populationpour une réunion, à laquelle vient qui veutou qui peut. Mais, si l’objectif formulé decette réunion est de présenter les projets etde consulter les habitants, le plus souventc’est simplement leur approbation qui estrecherchée.

2. La participation-consommationLa validation du projet se fait au travers dela mesure de la participation des habitantsen tant que consommateurs. Par exemplesi l’ouverture d’un centre de santé, donnelieu à une fréquentation de la part des usa-gers, c’est qu’implicitement, ils participentet valident cette initiative.

3. La participation-alibiElle consiste à associer deux ou trois habi-tants à un groupe de travail sans leur donnerles moyens d’analyser et de comprendre cequi se passe. L’essentiel étant de pouvoirfaire figurer leur présence sur les comptes-rendus de réunions pour justifier uneparticipation des principaux concernés.

(5) Rifkin SB.,Participationcommunautaireaux programmesde santématernelle etinfantile.Planificationfamiliale :analyse sur labase d’une étudede cas, Genève,OMS, 1990, p.44.

(6) Pissaro B.,Les inégalitésdans la ville,Congrèsinternational duCentre decoordinationcommunautaireen éducationpour la santé,Liège, 1992, p. 10+ annexes.

(7) Arnstein,Sherry R., “ALadder of CitizenParticipation”,AmericanInstitute ofPlanners Journal,Vol. 35, Juillet1969, p. 216.

L’approche communautaire dans le domaine de la santé

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Participe : présent

La partication des usagers

Les abus de langage risquent d’aboutir à deseffets « Canada Dry » : « ça ressemble à de laparticipation, ça en a le goût, mais … »

4. La participation-actionLes habitants sont impliqués dans l’ensem-ble de la démarche, depuis l’analyse de lasituation et le choix des actions à mettre enœuvre jusqu’à l’évaluation finale.

ARNSTEIN7 propose la figure qui suit, présen-tant huit niveaux de participation des citoyensrépartis selon le partage de pouvoir consentiaux participants par le décideur.

8. Contrôle

7. Partenariat, entente négociée

6. Délégation (mandat et instances publiques)

5. Plaintes et ombudsman

4. Consultation (Commissions, audiences publiques)

3. Information

2. Sondage

1. Marketing social

Modalités de participation

Pouvoir partagé

Pouvoir d’influence

Absencedepouvoir

58 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

La participation des patients… Cette journée aété pour moi l’occasion de beaucoup dedécouvertes…

En arrivant sur les hauteurs de Namur, je savaisque j’avais beaucoup de choses à apprendre.Étudiante en dernière année, je projetais de fairemon stage à la Fédération. Au-delà du thèmede réflexion proposé, l’objectif de cette journéeétait ainsi de me familiariser avec ces maisonsmédicales qui, hormis par quelques brochuresexplicatives, m’étaient jusque là assez étran-gères.Curieuse aussi de savoir ce que l’on pouvaitdire pendant toute une journée sur la participa-tion des patients, j’arrivais à cette journée dansl’état d’esprit d’une observatrice, les oreilles etles yeux grands ouverts...Imaginant une réunion assez formelle, je suissurprise (dans le bon sens !) par la simplicitédes gens présents. Je perçois d’emblée uneambiance conviviale, presque bon enfant, où ilest bon de se retrouver autour d’une tasse decafé pour mieux commencer la journée. Loind’une ambiance commerciale, je sens l’investis-sement et l’engagement social de chacun.

Un premier tour de table permet déjà de mettrequelques visages sur les noms et de me rendrecompte de la grande diversité dans les personnesprésentes : médecins, infirmiers, stagiaires,patients, personnes désireuses de créer un comi-té de patients, etc. Chacun étant présent autourd’un projet commun, désireux d’apprendre,d’exprimer son point de vue, d’avancer sur laquestion de la participation des patients.

La matinée basée sur les échanges entresoignants et patients a été essentiellementconsacrée à trois interventions. Jean Laperchenous présente tout d’abord les résultats de l’en-quête menée auprès des patients de la maisonmédicale Barvaux et me fait prendre conscienceque la réalité des gens est parfois plus difficilequ’on ne le pense, même près de chez soi.

Yves Gosselain enchaîne ensuite en présentantles résultats de différentes enquêtes du program-me d’Agir ensemble en prévention. Il nousexplique où en sont les maisons médicales enmatière de participation. En tant qu’observatriceextérieure, je découvre petit à petit le concept« d’association de patient ». Ce concept seradétaillé par Jacques Bolaers et Faustina Da Giauqui nous font part de leur expérience, leursmotivations, mais aussi leurs questionnementset les difficultés rencontrées au niveau de leurassociation de patients l’Impatient et la coopéra-tive des patients.Cet exemple concret permet à chacun de voircomment un comité de patients est géré. Ledébat qui s’en suit donne l’occasion à ceux quile veulent de raconter leur propre expérience,et nombreux étaient ceux qui étaient contentsde partager cela. On sent alors certains carac-tères plus forts sortir et je découvre la passionet l’investissement que chacun met dans ce qu’ilfait.

La convivialité était aussi bien présente lors durepas qui a permis de découvrir le centrenamurois.Au début de l’après-midi (consacrée à deséchanges entre professionnels des maisons

Une journée de réflexions et débats sur laparticipation des patients au sein desmaisons médicales

Juliette Keen,stagiaire encommunication àla Fédération desmaisonsmédicales.

Ce 27 janvier 2004, s’est tenue à laBourse de Namur une journée deréflexion, débat sur la participation despatients au sein des maisons médicales.Cette journée avait pour but de créerun espace de rencontre et de donner untemps de parole aux travailleurs ainsiqu’aux usagers des maisons médicales.

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Mots clés :participation,m a i s o n smédicales

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Participe : présent

La partication des usagers

médicales), certains intervenants trouventimportant de revenir sur la définition de certainsconcepts… ce qui fait parfois partir la discus-sion dans des directions diverses et rend lacompréhension à l’observatrice extérieuredifficile… !

Le dernier exposé de Céline Houtain etMarianne Prévost reprend la notion de partici-pation de manière plus théorique mais aussi pluslarge (ce qui rencontre plus particulièrementmes intérêts liés à ma formation universitaire).Elles reviennent sur les différents aspects de laparticipation : ses différentes formes, sesenjeux, ses intervenants.

La journée sur la participation sousl’angle de la communication

Aborder la communication de cette journéen’est pas dénué d’intérêt. En effet, on remarqueque cette rencontre est traversée du début à lafin par la communication et il semble que l’onpeut même aller jusqu’à dire que la communi-cation est à la base de cette journée. Cela seressent dès l’introduction à la journée :« l’objectif de cette journée est de créer unespace de rencontre entre représentants descomités de patients et les soignants des maisonsmédicales. »

Le but ici ne sera pas de rentrer dans les détailsde modèles théoriques. Nous tenterons plutôtde cerner et d’analyser de manière pragmatique

ce qui s’est joué en termes d’interactions et decommunication.

On communique pour informer, s’informer,connaître, se connaître, expliquer, s’expliquer,comprendre, se comprendre.D’une manière générale, la richesse de lajournée a sans doute été possible grâce à ladiversité dans ce qui a été proposé. D’une part,les différents exposés oraux sont considéréscomme étant une communication unilatérale.Ils ont permis d’informer les participants surdifférentes enquêtes, de prendre conscience dupoint de vue des patients, de prendre du reculpar rapport au thème de la participation grâce àun éclairage théorique, etc.D’autre part, les moments de réactions et de« discussion libre » ont été l’occasion d’uneréaction, d’un retour, d’un échange indispen-sable. De cette manière, on est passé d’unmodèle linéaire de la communication (qui neva que dans un sens) vers un processus dyna-mique, un dialogue, un échange où toutes lesparties sont en interaction et où le « récepteur »peut aussi exprimer ses intérêts, ses question-nements, etc. Il y a dans toute communicationla nécessité de mettre en place cet échange (cefeed-back). Cette circulation de la parole estaussi le meilleur moyen de limiter les malenten-dus, les ré-interprétations, les déformations quipeuvent entraver la communication.

Un message comporte deux niveaux designification : il transmet non seulement lecontenu informatif mais exprime aussi quelquechose sur la relation qui lie les interlocuteurs.Ainsi, si les participants semblent satisfaits dela journée, ce n’est pas seulement parce que lecontenu leur a parlé. C’est aussi parce que lecadre, le contexte y était propice. Des élémentsanodins comme le fait de disposer les tables enrectangle, de pouvoir voir tout le monde, desentir une atmosphère agréable et de savoir d’oùchacun vient et ce qu’il fait en se présentantfavorisent une relation conviviale et influefavorablement sur le cadre général et le contenudes discussions.

60 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

« Une journée comme ça, ça fait du bien… »

Satisfaction qu’ont exprimée beaucoup de participants à cette journée, révélant ainsi le besoinqu’ils ont de se retrouver entre acteurs de soins de santé, mais aussi avec les bénéficiaires de cesservices.Satisfaction de construire ensemble une véritable collaboration entre soignant et soigné dansl’unique but d’offrir à chacun des soins de santé adaptés aux besoins de chacun, proches de sesattentes tant du point de vue des soins en tant que tels que du point de vue de l’accueil et desautres relations humaines qui tournent autour des maisons médicales.

Une journée de réflexions et débats sur la participation des patients

A travers cette journée d’échanges, on peutaussi saisir qu’il y a des enjeux qui sous-tendentla communication, et en particulier un enjeuidentitaire. En effet, toutes les personnes pré-sentes font partie d’un projet commun, et ontbesoin de se situer au sein de celui-ci, deconnaître leur rôle, leur place par rapport auxautres personnes présentes.Cela peut aussi constituer une motivation. Leséchanges n’ont pas seulement une viséeinstrumentale : ils sont aussi animés par unbesoin de reconnaissance, des enjeux depositionnement, etc.

La communication est donc essentielle pourvoir ce qui se passe ailleurs, de prendreconscience des pièges dans lesquels on risquede tomber si on veut créer un comité de patients,mais aussi de se rappeler que l’on n’est pas seuldans l’aventure.

La journée s’est clôturée par un dernier échangesur les apports et ce que chacun retire de ce tempsde réflexion et parfois aussi de découverte. D’unpoint de vue personnel, je garde de cette journéeriche et dense l’image de personnes engagéeset investies dans ce qu’elles font. ●

Quand à la forme de cette journée, beaucoupont apprécié la représentativité des associationsde patients, la richesse des échanges, ainsi quela possibilité qu’avait chacun de pouvoirs’exprimer. Selon beaucoup de participants, lataille du groupe était trop large, limitait doncles échanges et ne permettait pas à ceux quiont plus de difficultés à parler en public dedonner leur avis.

Un bon temps de réflexion, àpoursuivre ?...

A la question « Estimez-vous que d’autresrencontres devraient être prévues ? », tout lemonde est unanime, le projet est alléchant, maispeut-être sous d’autres formes. Plusieurspersonnes ont trouvé important de laisser mûrirla réflexion lancée par cette journée. Leséchanges furent denses et il faut pouvoir lesintégrer avant de se relancer dans d’autresrencontres.

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Participe : présent

La partication des usagers

Ensuite, il naît un souhait de décentraliser les rencontres et de les organiser à plus petite échelleen collaboration avec quelques maisons médicales. Cela permettrait d’une part d’avoir deséchanges en plus petits groupes et d’autre part, de regrouper les maisons médicales ayant un vécuplus ou moins semblable.

Le souhait serait aussi de construire la rencontre autour d’une partie scientifique dans un premiertemps afin de permettre aux différents acteurs de se former intellectuellement ; et ensuite unepartie plus pratique en collaboration avec les associations de patients (existantes ou à construire)dans le but de progresser d’un point de vue humain et relationnel, de connaître leurs avis, leursattentes et d’échanger sur leurs problèmes. Cela permettrait aussi de tirer des conclusions concrètessur les modifications qui devraient êtres apportées d’un point de vue local au niveau de lacollaboration soignant-soigné.

De plus, plusieurs désirent découvrir d’autres expériences extérieures aux maisons médicalesafin d’élargir l’horizon des relations interpersonnelles dans le milieu médical et paramédical.Il est également proposé d’organiser des ateliers isolés qui pourraient apporter le point de vued’un thérapeute sur les possibilités et les limites face à une maladie ou aux différents problèmesrencontrés dans le domaine de la santé.

En bref, il semble que le projet reste accueilli pour tout le monde et les idées fusent pour ce qui estdu contenu. Ce qui reste en suspens est donc une question d’organisation.

Un fossé entre l’idéal et la réalité ?...

Bien que le projet soit accueilli avec beaucoup d’enthousiasme, il subsiste toute une série decraintes.

La première est liée à l’information entre les maisons médicales et leurs patients. Commentaméliorer la communication entre les comités de patients et les patients sur les projets des maisonsmédicales ? Il y a une réelle demande de moyens et de formation concernant la transmission del’information sur les projets en cours et à venir dans la collaboration soignant-soigné.

Ensuite, se pose la question de la « professionnalisation » des patients. Les maisons médicalesdans lesquelles un comité de patients n’est pas vraiment présent se demandent si la participationdes patients à la vie de la maison médicale est adéquate, voire possible.Comment définir ou redéfinir le « projet » des maisons médicales en fonction d’une collaborationavec les patients ?

Enfin, se pose pour certains le problème de la motivation et de l’encadrement. Il est certain que letravail avec des comités de patients demande une série de moyens humains pour lequel despersonnes motivées et compétentes sont nécessaires. « Les patients sont avides de connaissances,d’écoute, de partage. Ils attendent beaucoup des professionnels ». Et il faut trouver cesprofessionnels capables d’établir une bonne collaboration avec les patients, voire de les encadrerdans un comité de patient.

Un souffle de motivation

En conclusion, cette journée a été pour beaucoup une source de motivations à faire bouger leschoses dans leur maison médicale, une source de réflexions et de pistes. Les échanges ont permisde comparer les différentes expériences et de retirer personnellement les idées qui pouvaients’appliquer le mieux à leur situation ou à leur réalité vécue dans leur maison médicale avec toutesses différences socioculturelles et même médicales.

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C A H I E R

Contexte

La maison médicale de Barvaux existe depuisvingt-cinq ans et les soignants fondateurs de ceprojet souhaitent explicitement, depuis le début,favoriser et développer la participation despatients. Au niveau collectif, une associationde patients existe à Barvaux depuis 1986,constituée en asbl ; ce Forum Santé dialogueavec les soignants sur différents aspects desproblèmes de santé et organise des activitésdestinées aux patients. Sa présidente, depuislongtemps patiente à la maison médicale, a parailleurs fondé la Ligue des usagers des servicesde santé (LUSS).

« La participation aux activités collectivesproposées par la maison médicale n’est pastoujours aussi importante que nous le souhaite-rions… Les patients sont-ils passifs, ne veulent-ils pas prendre leur santé en main … ? » Nosréflexions nous ont amenés à vouloir approfon-dir la manière dont les patients participent au

niveau individuel. En effet, les enjeux réels,pour la santé de chacun, nous semblent avanttout présents dans les relations les plus fré-quentes, celles qui se nouent au quotidien entreles patients et leurs soignants. Pour éclairer cequi se passe à ce niveau-là, nous avons réalisédeux enquêtes auprès d’échantillons représen-tatifs : environ 15 % des patients chaque fois,tirés au sort parmi les personnes qui consultenthabituellement à la maison médicale deBarvaux.

La première enquête (par questionnaire) étéréalisée en 1990 et préparée par un groupe mixtede soignants et de patients de l’asbl Forum-Santé avec le Centre d’éducation du patient(professeur Alain Deccache).

La deuxième enquête, que nous présentons danscet article, a été réalisée par questionnaire etinterviews en 2001. Elle a d’abord été préparéepar des « focus groups » menés avec diversgroupes de patients et avec l’équipe dessoignants de la maison médicale. Le pilotagedu travail a été lui aussi assuré par un groupemixte de patients et de soignants ; sa réalisationpratique a été confiée au RESO de l’Universitécatholique de Louvain (professeur AlainDeccache) et à des chercheurs de la Fédérationdes maisons médicales (Yves Gosselain etMarianne Prévost), qui ont mené des interviewsface à face auprès de patients précarisés.

Les réunions préparatoires nous ont amenés àprendre en compte le concept d’empowermentpsychologique, qui désigne « la capacité d’unindividu à prendre des décisions et à exercerun contrôle sur sa vie personnelle. Comme lesentiment d’efficacité ou l’estime de soi,l’empowerment met l’accent sur une représen-tation positive de soi-même et de ses compé-tences personnelles »1. Ce concept « permetd’expliquer comment, chez le patient, l’accrois-sement d’un sentiment de contrôle sur sa proprevie peut mener à une participation plus fréquen-te dans les prises de décision qui le concer-nent ». Ce que nous avons (notamment) cherché

Enquête de participation sur unéchantillon de la patientèle de la maisonmédicale de Barvaux

Jean Laperche,médecingénéraliste à lamaison médicalede Barvaux,maître deconférence invitéau Centreuniversitaire demédecinegénérale del’universitécatholique deLouvain etMariannePrévost,sociologue,chercheur à laFédération desmaisonsmédicales.

L’accroissement d’un sentiment decontrôle sur sa propre vie peut-il menerle patient à une participation plusfréquente dans les prises de décision quile concernent ? Dans quelle mesure lespatients ont-ils le sentiment de contrôlerleur vie et leur santé ? Qu’est-ce qui,dans leur relation avec les soignants,peut soutenir et favoriser ce sentiment ?Autrement dit, dans quelle mesure nospratiques soutiennent-elles les élémentsfavorables à l’empowerment ? Enquêteà Barvaux.

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(1) D. Doumont,I. Aujoulat,L’empowermentet l’éducation dupatient, Dossiersdu RESO, UCL,août 2002.

Mots clés :participation,maisonsmédicales.

63Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

à cerner dans cette étude, c’est d’une part, dansquelle mesure les patients ont le sentiment decontrôler leur vie et leur santé ; et d’autre part,ce qui, dans leur relation avec les soignants,peut soutenir et favoriser ce sentiment –autrement dit, dans quelle mesure nos pratiquessoutiennent les éléments favorables àl’empowerment.

La littérature identifie certains deces éléments favorables dans le cadrede la relation de soins : l’accessibilité

et la disponibilité des services, laqualité de l’information donnée,

ainsi que celle de l’écoute et dusoutien apportés par le soignant ; le

dialogue autour du traitementmédical ; la prise en compte des

dimensions non strictementmédicales des problèmes de santé.

Méthodologie

Deux cent neuf questionnaires* ont été envoyésen octobre 2001, avec une lettre d’invitationcosignée par la maison médicale et ForumSanté. Le questionnaire était accompagné d’uneenveloppe pré-timbrée à ré-envoyer à l’univer-sité catholique de Louvain. Cette procédurenous a valu un taux de réponse élevé : 63 %(en 1990 : 58 %).

Par ailleurs, les chercheurs de la Fédération ontinterrogé face à face un sous-groupe d’environquinze personnes, qui ne les connaissaient pasmais avaient été clairement informés de leurvenue par l’équipe de la maison médicale, etavaient donné leur accord. Il s’agissait depersonnes très défavorisées, identifiées par lessoignants. Cette catégorie de patients, qui avaittrès peu répondu au questionnaire écrit, consti-tue, comme l’a montré une enquête ultérieureréalisée en 2003, 20 % de notre patientèle totale(dont 5 % vivent une très grande pauvreté). Les

entretiens se sont déroulés à domicile (pendant1h30-2h), avec une garantie de confidentialité.

Actuellement, nous discutons l’ensemble desrésultats en équipe et avec les patients du ForumSanté, pour envisager des pistes d’améliorationde nos pratiques.Dans cet article, nous présentons certains résul-tats de l’enquête par questionnaire et des entre-tiens face à face, enrichis par des citationsextraites des entretiens.

Qui sont-ils ?

Les répondants au questionnaire : des personnesâgées de dix-sept à nonante ans (en moyenne :quarante-cinq ans), dans une proportion corres-pondant à la pyramide des âges observée dansl’ensemble de la patientèle ; 60 % de femmes(un peu plus que dans la patientèle totale, oùelles sont 53 %).

Les répondants sont, en moyenne, soignés cheznous depuis dix ans (de vingt-cinq ans à toutrécemment).

Leurs niveaux d’instruction : 40 % niveauprimaire ou professionnel, 30 % : niveausecondaire ou technique inférieur, 30 % : étudessupérieures.

Les patients interrogés face à face : des hommeset des femmes, âgées de trente à soixante-cinqans, qui ont un faible niveau d’instruction(primaire ou moins).

De quelles ressources matérielles et socialesdisposent ces patients ?

Les quelques caractéristiques présentées ci-dessus en donnent déjà un premier aperçu.

Nous avons aussi examiné l’insertion socialedes patients (travail, famille, réseau d’amis, vieassociative, …), considérée comme une res-

* Echantillonreprésentatif de

15% des patientsinscrits de seize

ans et plus.

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source, un élément favorisant la prise en chargede sa propre santé et la communication avecles soignants...

Parmi les répondants au questionnaire, 48 %ont un emploi, 43 % n’en ont pas : ces dernierssont pensionnés (22 %), étudiants (12 %), sansemploi (9 %), 8 % sont parents au foyer.Parmi ceux qui ont un emploi, la grosse majoritésont des employés (49 %) et des ouvriers(31 %). La proportion restante se partage entreindépendants, commerçants, cadres, agricul-teurs et professions libérales.La majorité (59 %) ont des revenus mensuelspour le ménage se situant dans la tranche 50-75.000 BEF ou supérieur à 75.000 BEF. Seuls4 % ont des revenus inférieurs à 25.000 BEF.

17 % de ces personnes vivent seules ; 30 %vivent à plusieurs, en famille. 63 % indiquentque leur foyer ne comporte pas d’enfant. Lesménages comptent en moyenne trois personnes.

Très peu de répondants sont actifs au plansocial : 58 % ne participent jamais à une activitésociale, et 68 % n’appartiennent à aucuneassociation.

Un score d’isolement social a été établi enregroupant quatre dimensions : vit seul, ne par-ticipe à aucune activité sociale, n’est membred’aucune association et n’a pas d’emploi. Unpatient cumulant ces quatre dimensions estconsidéré comme socialement isolé. 26 % desrépondants rencontrent cette situation d’isole-ment social ; parmi eux, 83 % se disent enmoins bonne santé, contre 60 % des autres enmoyenne. L’isolement social se combine le plussouvent à un faible niveau de revenus et unfaible niveau d’instruction, ainsi qu’à une plusgrande prévalence de maladies chroniques. Il ya donc un cumul de facteurs de vulnérabilité.

Les patients interrogés oralement ne travail-lent pas, sauf un dont l’emploi est précaire. Ilssont pensionnés, handicapés ou chômeurs, etn’ont pas de ressources complétant les alloca-tions perçues. Ceux qui ne sont pas pensionnésont perdu leur emploi pour des raisons qu’ilslient à leurs problèmes de santé et/ou à desévénements de vie perturbants. Pour certainsd’entre eux, le travail a occasionné voire aggra-vé des problèmes de santé ; et leur état de santéactuel les empêche de travailler. Ils ressentent

leur inactivité professionnelle comme unmanque qui provoque l’isolement social,agissant ainsi sur la santé mentale et d’autresdéterminants (tabagisme, manque d’exercicephysique, mauvais équilibre alimentaire). Cespersonnes manifestent en général le désir deretrouver du travail, tout en exprimant desdifficultés objectives (manque de possibilitésd’emplois dans la région) et un sentiment defragilité (physique/psychique) que certainsrelient avec beaucoup de profondeur àl’ensemble de leur trajet de vie :

Avant je travaillais dans un home pourpersonnes âgées, comme aide familialependant dix ans. Il a fermé il y a un ans.Depuis lors, je ne travaille plus. Ca m’abeaucoup touchée, car j’aimais bien : c’étaitune petite maison, une bonne ambiance... Jene trouverai jamais aussi bien ailleurs, -ailleurs c’est l’usine, j’ai réessayé ici, je n’aipas tenu. C’était des nuits dormantes, il n’yavait pas de contacts humains, c’est desmouroirs maintenant... j’allais mourir, là...ce que je voudrais, c’est des contacts hu-mains, mais avec des enfants ; ou des adultes,mais... , je veux changer de secteur. J’aimaisbien, mais... vous voyez, quand on travailleavec des ordinateurs, c’est toujours bon...mais les personnes âgées, ce sont des êtreshumains, et je ne les supporte plus,... je suiscomme saturée... alors, si on ne supporte plusles ordinateurs ce n’est pas grave, mais si onne supporte plus les êtres humains, ça ne vapas, on ne sait bien s’en occuper

Vous savez, j’en ai vu beaucoup... Alzheimer,sclérose en plaque... un mouroir... mais je faisune fixation sur mon âge... C’est psycho-logique, je sais bien, mais j’ai peur de vieil-lir... je veux changer de boulot... je ne veuxpas travailler dans un home pendant desannées, et puis quitter le home pour y entrermoi-même comme vieille... mais je ne sais pasvers quoi aller... Ma mère est morte quandj’avais onze ans... j’ai été en home... j’ai dûêtre adulte avant d’être enfant... Et puis j’aitravaillé dans un home… et maintenant avecses grands enfants à lui... je suis grand-mèreavant l’âge... j’ai été mère avant d’êtrefemme... enfin, tout se mélange, c’estbeaucoup de choses difficiles, c’est peut-êtrepour ça que je fais une fixation sur mon âge…

Les personnes interrogées oralement vivent

Enquête de participation sur un échantillon de la patientèle

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Participe : présent

La partication des usagers

seules ou en couple, parfois avec enfants ; unemère de famille est isolée, a plusieurs enfantset s’occupe de ses petits enfants. Les histoiresfamiliales sont heurtées ; les relations avec leconjoint précédent et l’entourage élargi –souvent lui-même envahi par des difficultés detous ordres - sont conflictuelles. Ces personnesn’ont aucune activité de loisir, ne sont pasaffiliées à un club ou à une association, et n’ontpas de réseau d’amis. La plupart du temps ellessouffrent de divers problèmes sociaux. Desévénements souvent très lourds pèsent sur leurvie, et certains, malgré leurs tentatives, n’arri-vent pas à y donner un sens, à se « réconcilier »avec leur vie. Elles expriment un grand senti-ment de solitude :

Ah oui, j’ai besoin d’en parler... vous compre-nez, si vous avez un problème, et que vous legardez pour vous, si vous n’en parlez pas àquelqu’un... c’est pire... parfois je vais au vil-lage à pied, rien que pour avoir des contactsavec des gens…

Comment les patientsperçoivent-ils leur santé ?

La réalité des maladies et de la santé chez nosrépondants est complexe et souvent lourde :plus du tiers des répondants souffrent d’une ouplusieurs maladies chroniques. En outre, prèsd’un quart déclarent qu’un proche avec qui ilsvivent est atteint d’une maladie chronique.Cette place importante des problèmes de santéa peut-être joué un rôle dans le fait de répondreau questionnaire.

La maladie chronique implique souvent uneplus grande attention pour sa santé, à la foispour les soins curatifs et pour la prévention.Mais aussi un coût, jugé lourd ou insupportablepar 26 % des répondants au questionnaire,essentiellement ceux dont les revenus sontinférieurs à 50.000 BEF/mois, ce qui est le casdes patients défavorisés interviewés oralement.Quand les enfants sont petits, la santé est unelourde charge et les parents sont parfois amenésà retarder des soins pour eux-mêmes.

Cependant, 93 % des répondants se sentent« bien ou plutôt bien », et 88 % espèrentmaintenir ou améliorer cette bonne santé d’ici

un an. Comme on pouvait s’y attendre, lespatients atteints d’une maladie chronique sesentent en moins bonne santé que les autres,mais la santé « reste bonne » ou « peuts’améliorer » selon les deux-tiers d’entre eux.

Dans les entretiens face à face, il y a toujoursdes pathologies lourdes ayant parfois entraînéune invalidité. Dans un cas, c’est un enfant qui,atteint d’une maladie incurable et totalementdépendant, est soigné à domicile par la familleet les kinésithérapeutes essentiellement. Auxpathologies physiques s’ajoutent des tableauxdépressifs, un passé récent d’alcoolisme ; dansun cas, une arriération mentale touchant laquasi-totalité de la famille, et dans deux cas,des deuils d’enfant ou de conjoint vécus dansdes circonstances tragiques et manifestementencore extrêmement douloureuses. Dans lesentretiens, les répondants témoignent d’uneconception globale de la santé, qu’ils définissentcomme un équilibre dynamique entre la santéphysique, sociale et mentale : Être en bonnesanté c’est ne pas se sentir malade, c’est se sen-tir bien dans sa tête et dans son corps. Je nesuis pas malade, ou alors je ne le sais pas. Quelsque soient leurs problèmes de santé ils ne sedéfinissent jamais comme des victimes impuis-santes. Certains sont philosophes : le sentimentque « ça va » indique à la fois une certaineacceptation du problème de santé et le sentimentque, dans les limites existantes, ils arrivent àl’intégrer dans leur vie, à y faire face. « Ca neva pas » quand ils ne trouvent pas de réponseau problème, pas d’écoute, n’arrivent pas à ytrouver un sens. Une partie du travail dessoignants peut donc consister à renforcer lespatients dans leurs capacités de compréhen-sion, de recherche de sens, quelles que soientles réalités « objectives » : c’est ici qu’intervientle travail d’ « empowerment ».

Quels liens entre la santé et lecontexte de vie ?

Ce sont les entretiens qui permettent le mieuxde comprendre quels liens les gens établissententre leur santé et leur histoire, leurs conditionsde vie. En général, ils estiment que leursdifficultés influencent leur état de santé, etinversement.

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Si on a des problèmes d’argent, avec lesenfants… : la santé est moins bonne, çadémoralise.

Si on est au chômage, qu’on a des problèmesfinanciers, ou au travail, la pression pour lerendement… : on est plus vite malade. Toutest lié.

Toutes ces difficultés influencent beaucoupla santé, par exemple le diabète de mon mari.Et il y a eu des expulsions (du logement), dela prison : ça donne de mauvaises pensées.En arrivant ici, il n’était pas malade.Aujourd’hui, il est malade à cause de toutça, parce qu’il y pense beaucoup, et il sepréoccupe beaucoup pour les enfants.Si on n’a pas la santé, on n’a pas de travail,donc pas d’argent, donc les huissiers…

Qui joue un rôle en matière desanté ?

Nous explorons ici le « lieu de contrôle » : lespatients se sentent-ils impuissants, remettent-ils entièrement leur santé dans les mains dusoignant ? Nous avons déjà vu que tel n’est pasle cas, et ceci apparaît plus précisément à partird’autres questions.

Qui vous aide le plus pour votre santé ?

Le médecin est la première ressource pour lagrande majorité des répondants au question-naire, suivi d’eux-mêmes puis de leur famille(dans notre échantillon, aucune personne nes’en réfère à Dieu ou à la chance). Cela n’em-pêche pas 80 % d’entre eux de préciser qu’ilsont récemment fait quelque chose eux-mêmespour améliorer leur santé (en matière d’alimen-tation, tabac, alcool, activité physique, recher-che d’informations…) ; 61 % estiment pouvoirinfluencer l’évolution de leur santé. Toutefois,16 % des répondants estiment n’avoir aucunpouvoir de décision dans ce domaine.

Nous leur avons aussi demandé s’ils se sentent« experts de leur propre santé », ce qui a donnéles résultats suivants (réponses exclusives) :

- 23 % : oui tout à fait ;- 50 % : plutôt oui ;- 20 % : plutôt non ;- 5 % : non pas du tout.

Les personnes vues face à face prennentconscience, au fil de l’entretien, de ce qu’ellesont fait pour influencer leur santé, de ce qu’ellespourraient faire, de ce qu’elles pourront peut-être faire un jour, lorsque certaines conditionsseront meilleures… aucune ne s’en remetcomplètement, passivement, aux soignants.Mais certains changement restent difficiles, etles efforts qu’ils demandent ne sont peut-êtrepas toujours perceptibles par le soignant :

« Je devrais arrêter le tabac, mais ça... j’aiessayé avec des patchs, ça n’a pas marché,j’ai dû arrêter, à cause de l’estomac... et puisc’est vraiment difficile... mais je diminue, çaoui, par moi-même : vous voyez, je les roule,je prépare le paquet, ma dose quoi, je parsavec ça le matin. Et quand je fais des choses,le week end, je prends la mobylette, je vaisme balader, ou avec le chien,... là je n’enprends pas... J’ai vraiment diminué... maisévidemment, si je reste tout seul chez moi,qu’est-ce que vous voulez... ».

Le désir d’autonomie, de position active, estgénéralement limité par des situations extrême-ment lourdes et fragilisantes, mais il sembletoujours présent : lorsque les répondants évo-quent les événements difficiles qu’ils ont vécu,c’est aussi pour mettre en valeur leurs capacitésd’évolution, de réaction, la force que ce trajetleur a donnée :

« c’est parce que j’ai été dans la misère, alorsj’ai beaucoup observé, pour pouvoir medébrouiller... ».

« j’ai été à l’orphelinat, et puis dans un home,avec des religieuses, c’était très très dur... jene le regrette pas, ce n’est pas ça, maintenantje suis fort, dans la vie, et avec la vie que j’aieue... avec tout ce qu’on a eu... avec la vieque j’ai eue, les choses qui se sont passées,tout ça influence ma manière de voir leschoses... »

En ce qui concerne les changements tentés ouréalisés dans le domaine de la santé, la volontéd’être acteur de sa vie est aussi exprimée parun couple - même si les efforts n’aboutissentpas toujours, ou sont relativement limités etinfructueux :

« j’ai décidé seule de changer des petites cho-ses : de l’eau près des radiateurs (problèmes

Enquête de participation sur un échantillon de la patientèle

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Participe : présent

La partication des usagers

respiratoires), utilisation de javel, et aussiPerdolan® pour mon fils, et les aérosols… »

« C’est moi qui suis responsable pour chan-ger : je roule mes cigarettes (décision priseavec mon ancien médecin), donc je fumemoins ; je ne bois plus du tout ».

Plusieurs patients qui ont rencontré de gravesdifficultés financières expliquent qu’ils ont faitle pas d’aller en parler avec quelqu’un à lamaison médicale (le médecin ou l’infirmière,parfois l’accueil). Ils parlent de cette démarchecomme d’une démarche personnelle pour s’ensortir de manière acceptable au niveau de leursanté, compte tenu de leurs difficultés finan-cières. Ils mettent toujours en avant le fait qu’ilssavent (qu’ils ressentent) très bien, avant d’allertrouver la maison médicale, que leur appel seraentendu et pris en compte.

En ce qui concerne le sentiment d’être « expertsde leur santé », les entretiens donnent une imagenuancée. Les patients définissent différentschamps de compétences ; le soignant est à lafois expert de LA santé (en général) et expertde SA santé (celle du patient) – mais seulementpour certains aspects : les médicaments à pres-crire, les examens à réaliser… Les patientss’attribuent une meilleure connaissance en cequi concerne les effets secondaires, le seuil dela douleur, la manière dont la maladie rejaillitsur leur vie, leur bien-être. Dans les deuxextraits qui suivent, les patientes explicitent larépartition des rôles, et l’on voit que leursoignant souligne bien leur compétence :

« C’est le docteur qui sait le mieux... mais sije lui dis qu’un médicament ne me convientpas, elle me dit « c’est toi qui le prends, c’esttoi qui sait mieux si ça te va »... ».Si le docteur n’est pas là, je demande à lasecrétaire qu’on l’appelle et je peux lui expli-quer au téléphone... Le docteur m’a déjà dit :« Eh bien, vous qui n’avez pas fait d’études,vous savez mieux que moi ce que votre enfanta comme maladie ».Je lui explique ce que l’enfant a, au télé-phone ; quand elle vient, une fois elle m’adit « vous n’avez pas besoin du docteur, saufpour les médicaments ! Ce que vous dites autéléphone, chaque fois que je viens, c’estjuste, vous avez bien diagnostiqué... ».J’ai besoin du docteur pour les médica-

ments - et puis, on peut se tromper... eux aussi,parfois ils ne savent pas tout de suite... maismoi si je ne sais pas, je n’ai pas les livres...eux ils ont des livres s’ils ne savent pas, oubien ils se demandent entre eux, parce qu’ilssont plusieurs. Et si c’est encore compliqué,ils peuvent faire des radios... mais il y abeaucoup de choses que je connais bien... etle médicament, je ne donne pas sans ledocteur.

Un autre patient est aussi très explicite :« Je suis alcoolique mais je suis abstinent ;je ne dois plus boire une goutte. Par exemple,si je vois un gâteau au moka, je ne vais pas lemanger... s’il y a du rhum dedans, ça risquede me redonner le goût de boire : je le sais,c’est comme ça…Enquêteur : vous avez demandé conseil audocteur, pour ça ?Non, je le sais, c’est moi qui le sais... c’estpeut-être dans ma tête, ce n’est peut-être paspareil pour tout le monde, mais pour moi c’estcomme ça ! ».

Qu’est-ce qu’une bonne relation,une bonne consultation ?

Nous avons voulu préciser ce qu’en disent lespatients, en posant la question : « Pour vous,une bonne consultation, c’est… ».

L’enquête par questionnaire donne les résultatssuivants (items proposés, réponses non exclusi-ves) : une bonne consultation, c’est être écouté,compris (64 %) ; bien conseillé (60 %), enconfiance (40 %), bien informé (32 %), aidé(31 %) rassuré (27 %) et respecté (20 %). Lesaspects relationnels, humains, sont donc au toutpremier plan.

Dans les entretiens, les patients n’ont pas étéinterrogés sur leur conception « théorique »d’une bonne consultation : ils l’ont plutôt défi-nie à partir de leur vécu, souvent en comparantles relations avec la maison médicale et avecd’autres structures. Les items cités ci-dessusn’ont donc pas été proposés par l’enquêteur,mais ils sont apparus spontanément, de manièretrès intriquée ; il serait très difficile de leshiérarchiser.

68 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

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Une bonne consultation, « ça veut dire qu’ilécoute bien, longtemps, prend son temps et jepeux parler de tout… d’autres ne vous écoutentpas, ils vous soignent seulement » ; ou encore,« c’est simplement que le médecin vient et aprèsje vais mieux. Parce que si on a peur de quelquechose de grave, elle rassure. Pour moi le plusimportant, c’est ma tension, il faut changer demédicaments si c’est nécessaire. On se sentécouté, elle prend bien son temps, jamaispressée... c’est ça un médecin, avoir le temps.Après on est soulagé ». Le terme « respect »n’est pas cité comme tel, mais il apparaît demanière implicite, et est fortement lié à la con-fiance : les patients expliquent qu’ils peuventparler de leurs problèmes financiers, psychi-ques, familiaux, sans se sentir jugés, sans lagêne qu’ils ressentent avec d’autres interve-nants (extérieurs à la maison médicale :l’hôpital, les services sociaux...) :

« Pour les médicaments, ça fait cinq millefrancs par mois, c’est beaucoup. On ademandé l’aide du CPAS, mais avec lesconditions qu’ils mettent, moi je ne veux pas.Leur condition c’est qu’on accepte un suivibudgétaire : ils veulent savoir exactement cequ’on a, ce qu’on paie, au centime près...Avec le docteur, on regarde ensemble pour leprix, et comme ça, la prescription est toujoursbonne... Par contre, à l’hôpital, ils ne sontpas sympas : la dernière fois, je demandepour avoir une facture, elle me répond « etvous saurez payer ? »... C’est malin, commesi j’allais lui répondre « non non je viens pourfaire des dettes ! ».

« Avec toutes nos difficultés, et qu’on n’a pasl’aide du CPAS, la maison médicale abeaucoup aidé pour des médicaments, desdémarches… Le médecin a fait toutes lesdémarches. Parce que ce n‘est pas l’argentqui compte, mais le service qu’il doit faire »

Une bonne consultation, cela signifie être bientraité au niveau médical ; mais le lien est étroitentre la qualité technique (médicaments,examens) et les qualités humaines. Ces deuxaspects des soins apparaissent largementindissociables : « une bonne consultation, c’estavoir le temps de s’expliquer, et qu’un bondiagnostic soit posé. Un médecin qui écoute,comprend et peut trouver ce qu’on a ». Laplupart des répondants apprécient que la

prescription se fasse en fin de consultation, demanière adaptée, sans excès, après avoir étéécoutés.

Les patients ont-ils le sentimentde participer ?

Dans le questionnaire, nous avons demandé auxpatients de décrire le type d’interaction qu’ilsvivent le plus souvent avec leur soignant, enleur proposant des catégories établies enfonction de la typologie de Szaz et Hollender.Cela donne les résultats suivants :

- le médecin décide et le patient suit (type« activité-passivité ») : 27 % ;

- le médecin conseille et le patient décide(type « direction-coopération ») : 18 % ;

- la décision est commune (type partici-pation mutuelle ») : 55 %.

Dans les entretiens, les enquêteurs n’ont pasproposé aux répondants de se situer dans unecatégorie proposée à priori. Les réponses fontapparaître une dynamique subtile. Tous lespatients décrivent une relation de type « partici-pation mutuelle », exprimant bien les limiteset le rôle de chacun - mais ils ne le font pasd’emblée : leur première réponse ne les satisfaitpas, ils se rendent compte que ce n’est pas toutà fait ça, cherchent à nuancer, à expliciter (pourl’enquêteur et pour eux-mêmes), évoquentcertaines situations et en arrivent à décrire plusfinement la manière dont se construit la déci-sion. Leur réponse finale est donc le fruit d’uneélaboration, possible grâce à l’espace que laissel’enquêteur.

Il ressort de cette élaboration, que l’aspectrelationnel est essentiel ; mais il ne « remplace »jamais la compétence médicale (et inverse-ment), il part d’elle et en renforce en mêmetemps la crédibilité. Les répondants situent trèsprécisément ce qu’eux-mêmes apportent dansla relation thérapeutique – des éléments d’his-toire et de contexte personnels, leur sensibilité,leur cadre de référence : ils perçoivent que ceciaide le soignant à comprendre le problème. Ilsapportent par ailleurs leur « force », leur énergiepropre, dont ils savent qu’elles soutiennent oumême conditionnent la guérison. Cette réparti-tion des rôles leur convient : ils évoquent peu

Enquête de participation sur un échantillon de la patientèle

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Participe : présent

La partication des usagers

d’insatisfaction, de discussions ou de négocia-tions dans le cadre du traitement ; dans certainsentretiens il apparaît que les termes discussionou négociation ne sont d’ailleurs pas applicablescomme tels, puisque la décision est prise àl’issue d’un échange dans lequel chacun aapporté ses ressources, et l’accord se faitnaturellement.

« Mon médecin commence toujours par voirce que j’ai déjà pris, elle me connaît, sait ceque je peux prendre ou pas, elle connaît trèsbien ses patients, elle connaît beaucoup dechoses. S’il n’y a pas lieu de donner desantibiotiques, ils donnent du sirop ou… Puissi ça ne va pas mieux après trois quatre jours,on a déjà prévu les antibiotiques. Comme jetravaille moi-même en maison de repos, jevois bien comment évolue un rhume.C’est le médecin qui pose les questions, etmoi je réponds ; le médecin décide.Enquêteur : Le médecin demande votre avis ?Elle ne juge pas, elle n’impose pas, elle sug-gère. C’est comme ça entre nous, ça marchecomme ça. Par exemple : quand j’ai dûchercher un psychiatre, j’ai cherché de moncôté ; si je ne trouve pas, elle va chercheralors. (Plus tard) : le médecin demandetoujours d’abord ce qu’on a déjà donné auxenfants, vu que je suis un peu au courant parmon boulot (garde malade) ».Oui, je peux tout à fait dire mon avis. Lemédecin comprend beaucoup de choses,vraiment beaucoup de choses. Il m’a sortid’une impasse. En consultation, ce n’est pasune décision du médecin, ça se discute. Ouiil me conseille, mais il ne me force pas.Seulement si l’enfant est en danger, alors ilva imposer ce qu’il faut faire, que donner,quand et comment ».

Comment les patientsapprécient-t-ils ce qu’apportentles soignants de la maisonmédicale de Barvaux ?

Dans le questionnaire, les répondants ont étéinvités à se prononcer sur différentes dimen-sions : l’écoute ; la disponibilité ; le respect dupatient et de ses choix ; le soutien ; l’informa-tion et les conseils donnés. La moitié d’entre

eux trouvent les soignants « très disponibles »,l’autre moitié « plutôt disponibles ». 58 % despatients estiment être très bien écoutés, qu’onleur laisse le temps de s’expliquer, et que leurparole est prise en compte (signalons par ail-leurs que 22 % n’ont pas le sentiment d’êtreécoutés lorsqu’ils parlent à leur famille ou leurentourage).

Nous avons remarqué qu’il n’y a pas de relationentre le temps accordé (mesuré objectivement)et le sentiment que le soignant est disponible.Par contre, ce sentiment est associé au fait dese sentir écouté.

En matière de soutien psychosocial,(compréhension et encouragement) : 45 % despatients se disent très bien soutenus, 41 % plutôtbien.41 % des patients trouvent que leurs choix desanté sont très bien respectés par les soignants ;51 % les trouvent plutôt bien respectés ; 29 %déclarent que leur avis ou accord est « tout àfait » demandé avant une prescription ourecommandation, 24 % estiment que ce n’est« pas du tout » ou « plutôt pas » le cas… – maisce n’est peut-être pas un problème pour eux :rappelons que 25 % des patients considèrent quele véritable expert de leur santé est leur médecin.

Le médecin prescrit-il des « médicaments quiconviennent au patient » ? Tout à fait, selon lamoitié d’entre eux, plutôt oui pour la quasi-totalité des autres. Mais 16 % estiment qu’iln’est « plutôt pas » facile d’exprimer un désac-cord avec le médecin… (ce qui est tout à faitfacile pour 37,5 %, et plutôt facile pour 46 %).Ceci est associé au fait de se sentir respecté.

Il est probable que certains patientsne ressentent pas « l’autorisation »

d’exprimer un désaccord, même si lemédecin s’estime favorable à cela…

Avons-nous toujours bien consciencede cette difficulté, créons-nous les

conditions pour que le patient puissevraiment s’exprimer ?

Cette question nous interpelle.

Les patients trouvent-ils suffisamment d’infor-mation à la maison médicale, peuvent-ils poserdes questions ?

70 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

Les réponses sont mitigées : 34 % des patientsconsidèrent qu’ils sont très bien informés à lamaison médicale, 51 % sont moyennementsatisfaits et 14 % ne s’estiment pas bieninformés.Presque tous souhaitent plus d’informations,même ceux qui se considèrent déjà bien infor-més.

La disponibilité des soignants

Dans les entretiens face à face, tous les patientssoulignent la grande disponibilité des soignants,illustrant ceci par différentes anecdotes :

« quand le petit a fait de l’asthme, il passaitdeux à trois fois par semaine et fixait lui-même rendez-vous pour la suite » ; « Je peuxlui téléphoner… même à 3h du matin…Quand ma femme est morte, il est venudirectement, je ne dis pas en pyjama, maispresque ! Je le sens comme…. Le médecinde famille, c’est ça, c’est tout… » ; « On peuttoujours les appeler, jour et nuit, ils viennent.Le médecin aide aussi pour remplir despapiers pour la mutuelle... Je ne sais pas siailleurs c’est pareil, mais ici c’est inima-ginable. Les kinés, infirmières, c’est pareil ».

Ils précisent que le travail en équipe augmentecette disponibilité, soulignant parfois l’intérêtdu dossier partagé :

« Ils sont très disponibles, quand on appelle,il y a toujours un médecin qui vient, avec ledossier. Il y a toujours quelqu’un dedisponible. Je demande d’abord quelqu’unque je connais, mais sinon il y a toujoursquelqu’un d’autre ».« Ce qui est génial, c’est le forfait. Par rap-port à ce qui se passait avant, dans lamédecine, c’est vraiment bien ; et maintenanton peut avoir accès à son dossier, tandisqu’avant, dans l’« ancien temps », ce n’étaitpas dans les habitudes. Et quand un médecinest absent, un autre peut voir le dossier c’estvraiment bien, avant ça n’existait pas, avecle truc-là, du secret médical » (ce patientassimile-t-il le dossier partagé à un moinsgrand respect du secret médical ?) .

Ils s’estiment en général suffisamment informés

quant au traitement, précisant qu’ils ne com-prennent pas tout, mais qu’ils font confiance etn’en demandent pas beaucoup plus.

« Oui je comprends toujours pourquoi telmédicament. Il dit « tu as ça, voilà pourquoitel médicament, pourquoi une piqûre... » ;« Ah oui, je comprends toujours bien, elleexplique tellement bien. Même avec lesenfants, elle les informe. Elle parle tout à faitnormalement et si c’est nécessaire, elle ré-explique. Elle discute avec l’enfant, question-ne avec des mots à eux. Ensuite, elle demandel’approbation de la maman ».

Ils disent aussi pouvoir facilement poser desquestions, et en comprendre les réponses. Ilsen reviennent toujours à la compétence qu’ilsreconnaissent au soignant, et à la qualité de leurrelation avec lui : la confiance ainsi construitefait en sorte qu’ils acceptent de ne pas toutcomprendre... Nous nous sommes cependantdemandés si la force du lien tissé avec lesoignant, le besoin de se sentir en harmonie aveclui, ne fait pas parfois obstacle à l’expressiond’une insatisfaction. L’extrait suivant, mené enprésence du mari de la répondante, illustre cettedifficulté : la dame exprime une insatisfactionmais la nuance aussitôt, le mari abonde dans cesens, l’insatisfaction revient timidement :

« Mme : Le seul point négatif, c’est qu’ils sontun peu légers sur les traitements.M. : Oh, ce n’est pas vraiment négatif, c’estun peu de la médecine « douce », ils ne pous-sent pas sur les médicaments, quoi.Mme : … mais point de vue psychologique,ils sont très forts... ils nous connaissent surle bout des doigts... on peut parler de chosesintimes qu’on ne dirait pas à quelqu’und’autre.… Mais chez moi ce qui est négatif,c’est que je ne fais jamais de fièvre, même sije suis malade, alors on ne me donne pasd’antibiotiques... après je reviens, il fautquand même m’en donner - on aurait pu m’endonner tout de suite...M. : Oui mais les antibiotiques ce n’est pastoujours bon, on en parle beaucoup pour lemoment.Enquêteur : vous posez parfois des ques-tions … ?Mme : Oh oui, on a des très bons contacts,ils nous connaissent ; ce qui est bien, c’estque même si je viens pour une angine, on peut

Enquête de participation sur un échantillon de la patientèle

71Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

parler d’autre chose - des problèmes decouple, du bébé... Le bébé, d’ailleurs, poureux ce n’est pas un numéro, ils saventcomment il s’appelle : c’est, « ah voilàPierrot »,… mais pour les traitements, ils sontun peu légers.Enquêteur : vous leur avez déjà dit ?Mme : Ah, non (ils sourient tous les deux,d’un air de dire, quand même !) non, je nel’ai jamais dit, ce n’est pas facile à dire…M. : Et puis, ils ont peut-être raison... Moi jesuis pour faire confiance, c’est son métier.Mme : Moi mon problème c’est que je ne faispas de fièvre, je n’en ai jamais fait... je peuxêtre très malade, je ne fais pas de fièvre...c’est peut-être psychologique, de ne pas fairede fièvre ?M. : Pour moi, ce n’est pas un problème, jeprends ce qu’il me donne et si ça ne va pasmieux je retourne et il change de traitement.Et puis il y a aussi des abus dans les médica-ments, c’est pour ça qu’ils n’en donnent pastrop, il ne faut pas exagérer avec ça.Mme : Enfin, ils sont très disponibles, quandon appelle, il y a toujours un médecin quivient, avec le dossier. Mais quand même…

Et les problèmes non médicaux ?

Dans les entretiens, les enquêteurs ont inves-tigué les questions non médicales abordées dansla consultation, ce que la plupart des répondantsavaient spontanément évoqué, avec beaucoupde satisfaction : « Quand on parle au médecinde nos autres problèmes on est déjà soulagé ».Ils disent parler spontanément des questionsrelationnelles, sociales, financières… avec leurmédecin. C’est naturel, ça leur fait du bien,certains y voient même un intérêt pour le travaildu médecin. Plusieurs répondants soulignentque c’est le médecin qui invite à parler d’autrechose, et ils semblent lui en être reconnaissants.

« Le médecin demande toujours des nouvel-les, ce qu’on fait, ce que d’autres médecinsont fait avec le petit qui est malade. Si lemédecin n’écoutait pas, il ne comprendraitpas les problèmes. Si je suis nerveuse, il medemande pourquoi, c’est très bien. Ca vientdans la conversation, ce n’est pas une ques-tion, parfois ça vient de moi, ça dépend. »

« On blague aussi beaucoup. Et si on a unproblème d’argent, on peut en parler, ilaiderait. Si on a du chagrin... il le remarquede suite, on lui en parle et il nous redresse.Un docteur, c’est sacré ».« … et puis, je n’allais pas bien, j’étaisnerveuse, et je remettais tout sur les enfants ;le docteur m’a dit, ça il ne faut pas, il fautpas pour les enfants. On a parlé, elle est...comme médecin et psychologue... je suisvraiment contente.C’est un gâteau…Avant, je ne disais rien... je n’osais rien direau médecin... maintenant je suis à l’aise, jen’ai pas de problème à lui dire ce que jeveux. »C’est plus facile qu’avant ?…« Oui, parce qu’elle m’a sorti du trou, avecle père de mes enfants, là... Si je ne lui enavais pas parlé, j’aurais gardé ça pour moi...je n’ai pas pu parler de mes problèmes àd’autres, même pas à ma mère,... maintenantj’ai plus facile ».

72 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

La participation aux activitéscollectives organisées par lamaison médicale

La grande majorité des répondants au question-naire n’ont jamais participé aux activités orga-nisées par la maison médicale ou l’associationForum Santé dont 80 % connaissent cependantl’existence. Par contre, le magazine « ForumSanté » est bien connu, et jugé utile par 70 %des gens.Dans les entretiens, les répondants semblent peuinformés des activités collectives. Ils nesemblent pas vraiment intéressés – ou alors sontouverts au principe, mais estiment que lesactivités proposées ne sont pas pertinentes poureux, ou qu’il en faudrait d’autres, tout enreconnaissant qu’il leur serait difficile de semobiliser…

Conclusions

Les résultats issus du questionnaire nousinterpellent : même si la majorité des patientsexpriment leur satisfaction vis-à vis de leursrelations avec les soignants, il n’en reste pasmoins qu’une grande partie d’entre eux ont desavis mitigés, sur des aspects qui sont liés àl’empowerment : l’information, l’écoute, lapossibilité d’exprimer un désaccord… Lorsquele dialogue est insuffisant, il est probable quele patient décide en fin de compte seul, danscertains cas, une fois passée la porte ducabinet… c’est bien évidemment son droit, maisc’est regrettable s’il agit ainsi faute d’avoir puposer des questions, se sentir écouté, recevoirdes réponses...

D’autant plus que les patients accordent uneplace très importante aux soignants ; n’y a-t-ilpas quelque chose à améliorer au niveau de larelation individuelle, pour renforcer la capacitédes patients à avoir une plus grande marge depouvoir personnel en ce qui concerne leursanté ? Faisons-nous assez pour diminuer lesentiment d’impuissance qui semble présentchez une partie non négligeable de nos patients,et qui constitue un frein certain à l’empower-ment ? Nous devons de toute évidence conti-nuer la réflexion pour arriver à mieux identifier,

pour chaque patient, ce qu’il en est de sonsentiment de responsabilité et de pouvoir (etles éventuelles raisons de ce sentiment) ; et pourlui montrer, lorsque c’est possible, où et com-ment il peut influencer sa santé, y compris enl’aidant à observer les effets, favorables ou non,de ses propres actions et décisions. Nous devonsici jouer un véritable rôle de soutien, où il s’agitde considérer le patient comme un être respon-sable – dans le sens de « capable d’apporter uneréponse, de réagir à une situation » (en évitantà tous prix de renforcer l’impression qu’ontparfois certains d’être la cause, le « coupable »de leur état).

Les personnes interrogées face à face manifes-tent quant à elles une grande satisfaction. Biensûr nous n’oublions pas que ces patients ontété sélectionnés... nous restons donc prudentsquant à nos conclusions. Un des « fils rouges »qui maintient leur relative insertion est, demanière évidente, leur contact avec le soignant :c’est parfois quasiment leur seul lien social etils l’investissent d’un rôle essentiel dans leurvie. Les éléments favorables à l’empowermentse retrouvent largement dans cette satisfaction :accessibilité financière, disponibilité, écoute,respect et attention des soignants aux problèmesnon médicaux.

Tout ceci semble avoir favorisé la créationd’une relation de confiance inscrite dans ladurée, qui leur permet de reconnaître leurs pro-pres ressources et d’en être valorisées. En géné-ral, ces entretiens semblent montrer que nousavons pu repérer les ressources qui existent chezces patients, les soutenir et les renforcer ; etaussi, que cette relation participe, à plus longterme et en dehors d’un épisode de soinsparticulier, à une (re)construction de sens dansdes histoires justement marquées par la perte,la discontinuité, le manque d’écoute et deconfiance, la honte parfois. Bref, nous pensonspouvoir dire que cette prise en charge s’inscritdans un processus d’empowerment.

Si quelque chose doit être questionné pour cespatients-là, c’est peut-être l’importance dutransfert… Mais il semble être une conditionde l’empowerment de ces personnes très fragi-lisées.

Les personnes interrogées insistent, lorsqu’ellesévoquent les facilités financières qui leur sont

Enquête de participation sur un échantillon de la patientèle

73Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

parfois accordées, ou l’extrême disponibilitédes soignants dans certains cas, sur le fait qu’ils’agit de situations exceptionnelles, et qu’ellesn’« abusent pas ». Lorsqu’elles soulignent ladisponibilité du soignant dans une situationparticulière, ce n’est pas avec le sentiment quetel est par définition le rôle du soignant (un droitacquis), mais bien que cela s’est produit parcequ’à ce moment-là, cette disponibilité étaitnécessaire : cela va « au-delà du contrat ». Nousen concluons qu’une relation peut être pro-fonde, soutenante, sans entraîner une « surcon-sommation » ou une « mentalité d’assisté ». Lesenquêteurs ont d’ailleurs été frappés par ladignité des personnes rencontrées, qui tiennenttoujours à se définir comme acteurs et à sedébrouiller seules lorsqu’elles se trouvent faceà des institutions (CPAS, mutuelle,...) dontl’attitude ne leur semble pas juste.

La faible participation des patients aux activitésorganisées par la maison médicale nousinterpelle, c’était d’ailleurs, avant l’enquête, undes questionnements de l’équipe. Les résultatsnous engagent évidemment à continuer laréflexion sur cet aspect de nos activités. Mais,et ceci est intéressant, nous nous sommes aussimieux rendu compte que des patients qui nousparaissent parfois trop passifs – notamment àcause de ce faible taux de participation –prennent part activement aux soins et auxdécisions qui les concernent – à leur rythme, àleur manière, selon leurs possibilités. Cela nousrappelle qu’être acteur, participer, cela ne semesure pas que par la participation à desactivités collectives : c’est aussi être capablede chercher une aide professionnelle au bonmoment, au lieu adéquat, et de se positionnercomme sujet dans le cadre d’une relationindividuelle de soins.

74 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

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Participation des patients : les avis detravailleurs en maison médicale

Yves Gosselain ,licencié encommunication,cchercheur à laFédération desmaisonsmédicales.

Comment les travailleurs qui com-posent les équipes des maisons médi-cales situent l’implication du patient ausein d’une telle structure locale desanté ? Sont-ils prêt à promouvoir cetteimplication ? A quels obstacless’attendent-ils ? Comment perçoivent-ils les comités ? Où observent-ils laparticipation de leurs patients et sousquelle forme ?

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

A plusieurs reprises déjà, on a questionné desmembres des équipes à propos de la place dupatient au sein de la maison médicale. C’est durésultat de ces interpellations dont nous allonsdébattre dans cet article. C’est une façond’aborder la question de la participation.

Un autre angle d’approche consiste à observerles projets. Depuis de nombreuses années, lamise en place d’action par projet est développéeet fait l’objet de formations spécifiques.Certaines méthodologies de projet peuventeffectivement favoriser une participation adap-tée au projet en question. Quelques rapportsapportent une analyse de ce point de vue.

Au rang des méthodes utilisées, depuis huitannées figure le développement de la qualité(aussi appelée l’assurance de qualité dans lessoins de santé primaires). Parmi les critères dequalité, on retrouve la participation des patients.On dispose là encore d’un terrain d’investiga-tion intéressant : une lecture transversale desprojets à la lumière de ce critère a déjà nourriles travaux de la Fédération à plusieurs reprises.

Toujours pour essayer d’approcher au plus prèsla réalité de la participation, on peut égalements’intéresser aux pratiques plus quotidiennes,aux relations qui se tissent entre les différentsacteurs. Une recherche menée à Barvaux (voirarticle précédent) au cours des trois dernièresannées a commencé par décrire ces pratiques.Ensuite, un partenariat s’est mis en place(équipe, quelques patients, Fédération et unservice universitaire) pour organiser une vasteenquête qualitative en interrogeant les patientspar questionnaire et certains par entretien à leurdomicile.

Toutes ces approches sont des analysesindispensables et complémentaires à celle quenous présentons ici, centrée sur l’avis destravailleurs à propos de la participation despatients. Les différentes investigations menéessont ancrées dans les questionnementssuivants :

Comment les travailleurs qui composent leséquipes des maisons médicales situentl’implication du patient au sein d’une tellestructure locale de santé ? Sont-ils prêts àpromouvoir cette implication ? A quels obsta-cles s’attendent-ils ? Comment perçoivent-ilsles comités ? Où observent-ils la partici-pation de leurs patients et sous quelle forme ?

Si soignants et patients enattendent chacun davantage…

En 1992, avant de lancer un vaste programmede formation – toujours en cours – la Fédérationcommence par interroger ses membres maisaussi mille deux cents patients de maisonsmédicales. Ce qu’on cherche à mettre enlumière : Comment chacun, professionnel desanté ou patient, perçoit la place, le rôle del’autre ? Quelles sont leurs attentes respectives,notamment dans le champ de la prévention ?

Cette enquête a permis d’identifier des diffi-cultés de communication : le patient en connaîtdavantage sur sa propre santé et sur la façon dela « conserver » que ne le pensent les soignants.Un autre hiatus apparaît et il fera l’objet despremiers mois du programme de formation : de

Mots clés:participation,maisonsmédicales

75Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

leur côté, les soignants ressentent – oupressentent de la part leurs patients – une séried’obstacles pour être proactifs en prévention etaller au-delà du premier motif de consultation.Or, de leur côté, plus de la moitié des patientsinterrogés en attendent plus de la part de sonmédecin : ils attendent surtout des conseils etdes rappels préventifs. Ils sont très largementprêts à accepter également un dépistage ou àrépondre positivement à une lettre de rappel.Mais ils estiment que c’est à la maison médicalede faire la proposition. Une des conclusions decette enquête qui a manifestement marqué lestravailleurs des maisons médicales : la balle estdans leur camp, ils ont reçu un signal fort de lapart des usagers qui leur donnent un feu vert,voire une carte blanche, pour proposer plusactivement.

A la lecture des attentes réciproques (et attendreest bien le mot : soignant et patient disant ensynthèse la même chose : « Elargir le motif deconsultation, certainement, mais j’attends quel’autre en prenne l’initiative »), l’autre conclu-sion prenait des allures de communication :pour faciliter l’évolution des échanges, untravail sur les représentations s’imposait. LaFédération a notamment proposé des forma-tions aux travailleurs. Peu de temps après,l’assurance de qualité a ouvert une opportunitéintéressante pour travailler à plus long termeles différentes facettes de la participation.

Avec le choix de la méthodologie de l’assurancede qualité pour réorienter et développer desprojets en maison médicale, la participation del’usager (ou du patient selon les cas) devenaitun critère de qualité parmi d’autres. Les critèresde qualité sont au nombre de treize et sont autantde dimensions à surveiller tout au long d’unprojet en soins de santé primaires. Ainsi laparticipation côtoie la continuité, l’accessibilité,l’équité, la globalité, la pluridisciplinarité…Avec l’outil qu’elle a développé – le carnet debord en assurance de qualité – la Fédérationdes maisons médicales propose la définitionsuivante :

Est participative la démarche de préventionou la stratégie qui permet au patient deprendre part à la prise en charge de sa santé,qui l’incite à exprimer ses choix et l’aide à

les réaliser. Une telle démarche implique unpartage du pouvoir de décision et une priseen compte du point de vue du patient.Un projet est participatif s’il est à l’écoutedes demandes, s’il aide à mieux les entendre,si les patients ont l’occasion de s’exprimer,de participer aux différents stades d’un projet,de le modifier, voire de le refuser.

En 2000 et 2003, les travailleursont été questionnés sur laparticipation des patients

A trois années d’intervalle, la même enquêtepar questionnaire (à quelques questions près) aété réalisée auprès de l’ensemble des maisonsmédicales : en 2003, quarante-sept équipes sursoixante-sept ont renvoyé leurs réponses, en2000, elles étaient quarante sur cinquante-six(soit sept sur dix pour chaque édition). Laparticipation des patients a fait l’objet d’un voletparticulier de cette enquête, en tant que critèrede qualité. Une dizaine de questions lui sontconsacrées sur plus de cinquante questions autotal abordant la prévention et la promotion dela santé. L’enquête commence par répertorierdes actions réalisées en maison médicale. Lequestionnaire est adressé à une personne deréférence en prévention et il est demandé queplusieurs personnes de l’équipe se concertentpour répondre. Des rappels écrits et télépho-niques ont été effectués.

● La sensibilisation des professionnelsde santé

A la question « De manière générale, votreéquipe s’intéresse-t-elle au développement dela participation des patients ? », les répondantsse montraient légèrement plus intéressés en2000 qu’en 2003 :

Soit 80% qui se disent intéressés ou plutôtintéressés au développement de la participation

en % non plutôt plutôt ouinon oui

2000 7.5 13 46 33.5

2003 8.5 21.5 36 34

76 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

Participation des patients : les avis de travailleurs en maison médicale

en 2000, contre 70% en 2003. Globalement, cesdeux groupes de réponses nous montrent deséquipes favorables au développement de laparticipation au sein de leur structure. A cestade, on ne peut pas chercher à interpréter lapetite différence entre les deux éditions (ce quine représente que quatre répondants), d’autantque cette question ne peut apporter qu’uneappréciation générale.

En 2000, des questions permettaient d’appréciercet intérêt au travers des réunions d’équipe.Trente-quatre répondants (sur trente-huit) disentparler parfois ou souvent des réactions despatients au cours des réunions d’équipe. Etvingt-sept sur trente-huit ont l’impression quel’avis, les réactions des patients modifient lesattitudes, les pratiques de leur équipe.

● Les lieux de la participation

Les travailleurs ont ensuite été interrogés surla façon concrète, visible dont la participationse mettait en place dans leur maison médicale.Pour chacune des éditions, 2000 et 2003, trente-neuf équipes ont répondu à cette question ; letableau suivant présente dès lors le nombre derépondants (et non pas un pourcentage, nonsignificatif ici).

en place dans les contacts individuels, vingt ontprévu un temps de consultation pour laisserplace à cette participation.Les activités ponctuelles occupent encore uneplace importante pour favoriser la participationet les groupes à thèmes semblent s’être nette-ment développés. En 2003, on observe donc uneplus grande diversité de lieux dans lesquels laparticipation prend une forme concrète.

● Différents niveaux de participation

Plusieurs auteurs proposent des échelles departicipation pour permettre d’affiner le degréd’implication du patient dans un processus.Nous avons travaillé avec une échelle à cinqniveaux et nous avons demandé aux travailleursde situer le type de participation qui était le plusfréquemment proposé à leurs patients. Nousreprenons ici uniquement les résultats pour2003 (la comparaison étant difficile avec autantde données). Le tableau affiche des pourcen-tages pour permettre la comparaison entre lescolonnes (bien que les réponses concernententre vingt-quatre et vingt-sept équipes pourchacune des colonnes) : les domaines curatif,préventif et de gestion de la maison médicale(des exemples étaient proposés dans l’enquête).

D’emblée, on constate que les réponses sedistribuent différemment pour les troisdomaines : pour le curatif et le préventif, ce sontrespectivement des propositions de négociationet de décision qui sont faites aux patients parune majorité d’équipes. En ce qui concerne lagestion de la maison médicale, le patient est leplus souvent simple bénéficiaire. Par contre, ceniveau n’est pas du tout cité pour la préventionet par une seule équipe pour le curatif.

Si on fait une synthèse pour les trois domainesconfindus, on peut relever que c’est le niveaude négociation qui est le plus souvent proposé.

On constate que l’organisation d’un comité depatients reste marginale, on y reviendra. Parcontre, d’autres formes sont nettement plusdéveloppées : la place du patient au sein des

2000 2003

consultation / contacts individuels 28 35

activités ponctuelles 16 18

groupes à thèmes 9 18

rédaction journal 10

association, comité 7 5

( %) le patient … curatif préventif gestion

est bénéficiaire 4 0 50

est informé 22 19 22.8

donne son avis 11 15.5 12.5

négocie 55.5 23 8.3

décide 7.5 42.5 8.3

contacts individuels sem-ble avoir encore progres-sée et est citée aujourd’huipar une grande majoritédes équipes. Notons aupassage, que la premièreenquête nous permet dedéterminer que sur lesvingt-huit équipes pourqui la participation se met

77Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

● Les associations de patients

Pour ce volet, les informations sont d’originesdifférentes. En 2003, il s’agit du mêmequestionnaire écrit, tandis qu’en 2000, uneenquête téléphonique avait eu lieu sur ce sujetauprès de l’ensemble des équipes.

En 2000, onze équipes (sur quarante-huitrépondants) déclarent qu’il existe une asso-ciation de patients et sept en 2003 (sur quarant-sept). Pour ces dernières, on dispose des détailssuivants : six ont pris la forme d’une asbl etcinq possèdent un lien formel avec la maisonmédicale : quatre sont représentées dansl’assemblée générale et la cinquième égalementau conseil d’administration.

Les équipes ont ensuite été interrogées sur lesassociations de patients qui ont cessé leursactivités. Les résultats des deux enquêtes étantvraiment très proches, nous présentons unique-ment les plus récents. En 2003, dix équipesrépondantes disent qu’une association a existémais a disparu. La cause la plus souvent évo-quée est l’essoufflement des énergies, surtoutchez les patients (et dans une moindre mesurechez les travailleurs de la maison médicale).Les conflits ne sont évoqués que par une équipecomme une cause possible de la disparitiond’une association. Quelle a été la durée de viede ces associations de patients ? Une seule n’afonctionné que moins d’un an ; six ont duréentre un et cinq ans ; et trois ont existé plus decinq ans.

Enfin, on a demandé aux équipes qui n’ont pasd’association de patients s’ils avaient l’intentiond’en stimuler la naissance. Les réponses sontassez tranchées : dix équipes sur trente-quatreaffirment que oui. Et dans trois maisonsmédicales au moins, il existerait déjà un groupede patients souhaitant créer une telleassociation.

Une histoire encore à remettresur le métier

A travers ces quelques enquêtes menées auprèsdes travailleurs des maisons médicales, on a vuque la participation prend des formes assez

diverses. On voit également que selon le typed’activités, les niveaux de participation ne sontpas identiques. Et que sur cette question, dansle domaine de la prévention, on atteint desniveaux de participation assez souvent élevés.

Les associations, si elles sont une forme trèsvisible de participation, ne représentent en faitqu’une petite part de la participation au seind’une structure comme les maisons médicales.Il en existe une dizaine, autant ont disparu etautant pourraient voir le jour prochainement.En tant que forme organisée de participation,c’est assurément un indicateur qu’il faudrasuivre au cours des prochaines années.

La plupart de ces enquêtes n’avaient pas pourobjet principal la participation des patients. Ceconstat est à l’image du travail mené par lesmaisons médicales au sein de leur Fédération :c’est à l’occasion de formations, d’échangesd’expériences et de groupe de travail surd’autres sujets que la participation des patientsest régulièrement questionnée dans la mise enœuvre de projets – ou la place qu’occupe lepatient dans le dispositif mis en place –.

78 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

La participation du patient, c’estquoi ?

Comme nos amis de la Coopérative des patientsde Seraing, nous distinguons trois niveaux departicipation des usagers dans une maisonmédicale :

• individuel, dans la relation thérapeutique (laconsultation) et la prise en charge de sa santé ;

• collectif, quand des individus se réunissentautour de thèmes en rapport avec la santé ausens large ;

• dans la structure, quand un groupe d’usagerscherche à mieux comprendre le système desanté auquel il est affilié et qu’il veut y êtrereconnu comme interlocuteur.

Quels sont à ces différents niveaux, les droitset les devoirs du patient (et du thérapeute) ?

• Niveau individuelDans la relation thérapeutique, droits etdevoirs du patient et droits et devoirs duthérapeute sont pour nous indissociables.Lors d’une consultation, la relation doit être

Participer, c’est bon pour la santéLe point de vue de l’usager

La maison médicale La Passerelle estpour le moment en phase d’évaluationde son nouveau fonctionnement.Nouvelle organisation, nouvelleassemblée générale, nouveau conseild’administration... A cette occasion,l’Impatient aussi a réfléchi et essayé depréciser les raisons et les enjeux d’uneparticipation active des patients.

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égalitaire, la collaboration doit être sincèreet complète, patients et thérapeutes sont lespartenaires d’un partage de connaissances etd’expériences, où l’expertise de l’un et l’autredoit être reconnue. Patient et thérapeute ontchacun droit à la vérité dans une relation deconfiance. Le patient a le devoir de préserversa santé, dans un principe de citoyenneté etde solidarité, et le thérapeute a le devoir defavoriser cette prise en charge individuellede la santé.

• Niveau collectifLes patients réunis en association doiventfavoriser la réflexion, l’information visantl’autonomie et le bien-être des usagers, mettreen œuvre les valeurs de solidarité et decitoyenneté. Une association d’usagers demaison médicale se doit de soutenir le projetet d’être solidaire de l’équipe des travailleurs.L’Impatient a également pour mission deproposer à l’équipe un retour, une évaluationde sa pratique professionnelle. Les travail-leurs doivent être à l’écoute de l’associationet collaborer avec elle au travail de promotionde la santé individuelle et collective.

• Niveau institutionnelParticipant à la structure de la maisonmédicale, les usagers doivent pouvoir donnerleur avis sur tout ce qui concerne la qualité etla quantité des soins qu’ils sont en droitd’attendre des travailleurs de la santé.L’usager doit pouvoir apprécier le bon respectdes termes du contrat les liant à la maisonmédicale et aux mutuelles. Sa position dansla structure doit permettre la prise en comptede ses observations.

Le fonctionnement actuel de LaPasserelle, permet-il une plusgrande participation desusagers ?

Une fois bien comprise, l’organisation de lamaison médicale parait plus simple, on saitmieux qui fait quoi et comment interpeller etfaire passer nos remarques.Cependant, il y a encore pas mal de chemin à

Jacques Bolaers,membre ducomité de patientde la maisonmédicale LaPasserelle.

Mots clés :participation- maisonsmédicales.

79Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

faire pour que les Impatients utilisent bien cespossibilités et pour que les travailleurs prennentl’habitude :

1) d’interpeller l’association en temps utile,quand un point à débattre les concerne(qualité et quantité des soins) ;

2) de... tenir compte de leurs remarques.

Un des objectifs de notre conseil d’adminis-tration est d’apprendre à être un lieu de parolepour les usagers et de passer d’observationsindividuelles à une réflexion collective plusconstructive, pour l’ensemble des usagers etpour l’équipe de La Passerelle. La nouvelleorganisation de La Passerelle permet de mieuxutiliser nos droits et favorise la mise en œuvrede notre volonté de représentativité, mais celademande du temps et un long travail prépa-ratoire et d’appropriation.

Quels sont les conditions et les objectifs d’uneparticipation active des usagers réunis enassociation dans la structure de leur maisonmédicale ? Tout d’abord et bien évidemment lamobilisation, la volonté de participer. Ensuite,le désir de s’informer, de comprendre lesfonctionnements et les enjeux. Pour être critiqueet être capable d’évaluation (vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur maison médicale) les usagersdoivent être compétents. La rencontre entre lestravailleurs de la santé et les usagers doitpermettre des consultations, des débats en vue

L’Impatient est le nom de l’association des usagersde la maison médicale La Passerelle à Liège (voirprésentation dans le Santé conjuguée n°25, page 103consacré à l’organisation des patients).

d’optimiser le service, notamment en termes dequalité et d’accessibilité. Dans la pratique, ilest beaucoup plus facile de parler de l’objet denos rapports avec les travailleurs, c’est-à- direde la santé, que des rapports eux-mêmes, c’est-à-dire de nos fonctionnements respectifs et deleur interaction. Une association de patients doitpouvoir aider l’équipe d’une maison médicaleà être critique envers elle-même, à évaluer sonfonctionnement.Et ce d’autant plus que les maisons médicalesproposent une médecine alternative, elle-mêmecritique de l’organisation des soins de santé engénéral. ●

80 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

Participation de la population dans lesmaisons médicales en Belgiquefrancophone

Le mouvement des maisons médicalesexiste depuis 1972. Au 25 mars 2004,septante maisons médicles sont mem-bres de la Fédération. Le principe dedémocratie participative est écrit dansleurs statuts et dans leur charte : letravail réalisé en soins de santé pri-maires favorise la participation de lapersonne à la gestion de sa santé. Ilsuscite la participation de la populationà l’organisation des soins de santé et àleur évaluation, de manière conscienteet responsable (charte version décem-bre 96). On voit bien que ce point n’estpas conjoncturel mais un des piliers denotre activité.

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Drielsma Pierre,médecingénéraliste à lamaison médicalede Bautista vanShowen.

Mots clés :participation,maisonsmédicales

Méthodes

Nous avons exploré la question par unquestionnaire téléphonique, quarante-huitcentres sur cinquante sept y ont répondu, soitun taux de réponses de 84 %.

● Combien de maisons médicalesprésentent une association de patients ?

L’enquête nous a permis d’observer que desassociations existent dans onze centres surquarante-huit, soit 23 %.Ces chiffres montrentque les maisons médicales membres de laFédération sont loin de réaliser ce qui est,conformément aux statuts, un des objectifsfondamentaux de la Fédération.

● Centres sans association actuellementmais qui en ont eu précédemmentCombien d’associations ont disparu ?

Neuf associations ont disparu.La cause la plus souvent évo-quée est l’essoufflement desénergies, soit chez les pa-tients, soit chez les travail-leurs de la maison médicale(six et cinq occurrences). Lesconflits semblent plus rares(deux occurrences)Nous voyons ici une desraisons les plus importantesqui obèrent l’existence ou lemaintien d’une association depatients. L’énergie à dépenser,le temps à trouver, le plaisir àfaire fonctionner une tellestructure. Les patients les plusdisponibles sont souvent lesplus récriminateurs, les pa-tients qui ont des vues largessont souvent peu disponibles.Il en résulte des risques desclérose et de répétition.Participer à une associationd’usagers n’a rien d’évident,

81Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

A l’épreuve des faits, ces considérationspeuvent apparaître comme un vœu pieux, unedéclaration d’intention qui dédouane la maisonmédicale de son impératif catégorique.Il existe aussi des réticences qui ne sont passignalées dans les réponses au questionnaire.Celles-ci sont connues de l’auteur par d’autresvoies moins cartésiennes. Certaines maisonsmédicales ne souhaitent pas que les patientsaient accès au chiffre d’affaire, aux salaires, auxdynamiques interpersonnelles. L’équipe de pro-fessionnels est prête à entrouvrir les chapitresdes services offerts aux patients. Mais quelquepart, le sous-bassement fonctionnel de la maisonmédicale doit rester de l’ordre de l’intimegroupal. Un exemple récent montre que mêmequand il s’agit de l’offre de services, une partiede l’équipe au moins souhaite pouvoir déciderseule de sa charge de travail tant qualitative quequantitative. Suite à la reconnaissance descercles de médecine générale et leur missiond’organiser les gardes publiques, certainesmaisons médicales exclues de la garde publiquefonctionnaient en vase clos avec une gardereconnue (nécessité fait loi) par la commissionmédicale provinciale ; les voici soudain obli-gées de rejoindre leurs chers confrères1. Laquestion de savoir quels services-patientèleseront maintenus crée des difficultés auxsoignants concernés qui seraient heureux devoir ces services minimisés parfois avec uneargumentation éminemment rationnelle.

surtout si on pense qu’il faudrait aussi participeraux réunions de parents d’élèves, de comitésde quartiers,.. et pourquoi pas d’usagers desservices publics. La vie participative pourraitainsi se démultiplier à l’infini, mais la popula-tion n’est pas composée que de retraités et dechômeurs. Les patients qui travaillent peuventêtre exclus de fait de la participation. On peutse demander s’il ne serait pas plus pertinent decréer des structures participatives généralistesdans les communes et/ou quartiers. Ces assem-blées pouvant se saisir de toutes questionslocales pertinentes qui les préoccuperaient ence compris le(s) centre(s) de santé et les ques-tions connexes. Une telle formule aurait l’avan-tage d’inscrire la santé dans un contextepolitique plus large, et d’avoir prise sur certainsdéterminants qui sortent du domaine de compé-tence des centres de santé. Comment, enl’absence de telles structures démocratiques,repenser la question des comités de patients ?Telle est sans doute une question qui pourraitêtre mise en débat au sein de la Fédération.

Mode d’organisation desassociations : questionsinstitutionnelles

Sept associations de patients sont constituéesen ASBL, trois en association de fait et une estcomplètement informelle. L’articulation avecla maison médicale est le plus souvent for-melle : participation aux assemblées généraleset/ou au conseil d’administration. Les associa-tions qui durent instaurent un partenariat expli-cite avec la maison médicale, ce partenariatpouvant constituer un réel pouvoir des patientsdans l’institution.

● Centres projetant la création d’uneassociation

La majorité des maisons médicales sansassociation en envisage la création dans unavenir rapproché.

(1) d’autant quel’honoraire de

disponibilitépassera par le

cercle unique demédecinegénérale.

82 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

Participation de la population dans les maisons médicales en Belgique

● Les points positifs relevés par les centresqui présentent une association

Les associations sont ressenties comme utiles :elles soutiennent la maison médicale, amélio-rent la solidarité entre les patients et la compré-hension mutuelle, le gain financier semble peuimportant.

● Autres actions de participations

Les autres actions relevées concernent quelquesactions de santé comme enquête de satisfaction,prévention, banque de médicaments, santécommunautaire. Huit associations sur onzeorganisent une fête et quelques autres fournis-sent une aide bénévole.

● Problèmes actuels des associations depatients

La faible participation de la population, cinqfois citée sur les onze associations existantes.On note aussi l’existence d’un désintérêt dessoignants (1/11) et de conflit politique (1/11).Une relation de pouvoir est en jeu : on a peurque les patients changent. Notre angoisse vient

d’une prise de conscience de la distance quinous sépare des attentes des patients, de leursprojets.

Conclusions

Participe et tais-toi ? La bouteille à moitiépleine : onze associations actives, dix-huit quipourraient voir le jour ? Des liens institutionnelsforts. Influence positive sur la dynamique deséquipes, et l’assurance de qualité. La bouteilleà moitié vide : trop peu de participation sur lapolitique de santé ; la santé communautairesemble pouvoir être le lien entre les préoccupa-tions concrètes et les réflexions globales.Tendances à l’utilisation ancillaire des patients.

Pour suivre...

Nous pensons qu’il faut explorer le discours desusagers/patients, tant dans le cadre de l’insti-tution (structure participative) que dans larelation thérapeutique et dans les enquêtes ;sous le triple regard de la volonté (que veulent-ils ?), de l’opinion (que pensent-ils ?) et de l’at-titude (comment se positionnent-ils ?).

Explorer ce regard non seulement en ce qui con-cerne la maison médicale dont ils sont usagers,mais aussi plus largement, sur le fonction-nement et l’organisation du système de santédans lequel fonctionnent les maisons médicales,et sur les options politiques qu’impliqueraientles changements

83Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagersFocus-groupe à la maison médicaleKattebroek

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Qu’attendent les patients ? Et s’ilsuffisait de leur demander…

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Sylvie Legrain etBrigitte Meire,infirmières, et

l’équipe deprévention de la

maison médicaleKattebroek.

Mots clés :participation,

maisonsmédicales

Au sein du groupe de prévention de notremaison médicale, nous avions envie de nousinvestir dans un nouveau projet répondant à uneréelle demande, problématique ou besoin despatients de la maison médicale. Nous voulionstrouver un moyen de connaître ces derniers,d’« interroger » les patients afin de mieuxcerner leurs préoccupations au quotidien. Nousdésirions que le résultat de cette recherchepuisse déboucher sur des actions concrètes queles patients se sentent plus concernés par nosprojets et ainsi en arriver à une plus grandeparticipation de leur part.Dans le cadre de notre projet, nous avonsconsidéré le focus-groupe comme un moyen derassembler un certain nombre de personnesselon des critères définis, pour un nombre derencontres limité afin de leur donner un espaceoù ces personnes pourraient s’exprimer de façonnon-dirigée par un thème prédéfini, par rapportà leurs attentes de la maison médicale, leurspréoccupations au quotidien, des problèmesrencontrés, … Ces rencontres nous permettantde réaliser une sorte d’ « audit ».Bien que déterminés à ne pas influencer lessujets exprimés lors de ces rencontres, à ne pasorienter le débat au départ, nous espérions quece focus-groupe pourrait nous éclairer parrapport à des problématiques diverses pouvantfaire l’objet d’animations, de point de départpour de nouveaux projets de prévention.

Pour que les patients se sentent libres d’abordern’importe quel sujet, de s’exprimer par rapportà leurs attentes de la maison médicale, nousavons opté pour des animateurs extérieurs à la

maison médicale (Marianne Prévost de laFédération et Véronique Chalon, accueillanteà la maison médicale du Noyer) ainsi que pourun lieu proche de la maison médicale maisextérieur (centre culturel du Fourquet).

Nous avions choisi de travailler avec des famil-les, largement représentative de notre popula-tion. Plusieurs options se présentaient : viser lesfemmes ? Les hommes ? Les adolescents ?Nous avons décidé de rassembler des femmescar elles jouent un grand rôle au sein de lafamille au niveau de la santé. Afin que lesparticipantes puissent se trouver des pointscommuns, une réalité quotidienne commune aumoins sur un critère, nous avons sélectionnécelles ayant au moins deux enfants, dont aumoins un entre trois et dix ans.Un autre choix a été de viser des familles habi-tant le quartier de la maison médicale élargi,afin de ne pas se limiter uniquement aux person-nes habitant les logements sociaux proches.Familles maghrébines, originaires d’Afriquenoire et européennes ayant des disponibilitéspendant la journée.En organisant ces focus-groupes durant lajournée, nous sommes conscients que nousexcluons les personnes qui travaillent ; nousdevons nous rendre à l’évidence qu’un seulfocus-groupe ne peut être représentatif de tousles patients de la maison médicale.

A l’aide du listing des personnes répondant auxcritères choisis, nous avons fait une présélectionde femmes qui de prime abord seraientsusceptibles, en fonction de leur situationfamiliale, médicale ou autre de répondre à notreappel.Ensuite, nous avons équilibré le groupe quantà leur origine culturelle. Après ces différentessélections, il nous restait une quarantaine defemmes que nous avons contactées individuel-lement par téléphone, jugeant le contact oral leplus adapté. Chaque femme a été contactée parle membre de l’équipe la connaissant le mieuxou ayant eu un contact récent avec elle.

Voici les informations données au téléphone :

• Ces rencontres ont pour but de connaître les

84 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

chologue conviendrait mieux. Certaines igno-raient la présence d’un médecin acupuncteurainsi que de l’assistante sociale. En ce quiconcerne les services liés à la santé mentale, ils’avéra que les participantes ne disposaientquasiment d’aucune information !Elles trouvent que tant au niveau pratique(accès) qu’au niveau confiance, démarche plusfacile, ce serait bien d’avoir un psy à la maisonmédicale (pour adultes et enfants). Certainesdisaient que ce serait bien d’avoir des spécialis-tes à la maison médicale ; d’autres exprimaientque s’il y avait spécialiste à la maison médicale,ce ne serait plus la même chose. Elles se rendentcompte qu’il n’existe pas un spécialiste pourchaque problème.Elles trouvent que des groupes de parole pour-raient être intéressants ; elles font remarquerque c’est important et que ça complète le suiviindividuel.

Les femmes soulevèrent divers problèmes desanté. Le plus fréquent est celui de l’énurésiechez leurs enfants ; elles éprouvent des diffi-cultés à en parler et apprécieraient l’interventiond’un professionnel pour compléter les échangesde trucs et ficelles qu’elles utilisent entre elles.

Elles parlent aussi d’un problème avec lesenfants difficiles que ce soit au niveau del’alimentation ou par rapport à l’autorité(contacts avec père pas toujours adéquats).

L’école constituait une problématique à elleseule. Les femmes sont anxieuses à ce sujet,elles se mettent elles-même sous pression ; ellesn’ont pas beaucoup de lieux pour échanger, pourrelativiser ; les contacts avec l’école sont diffi-ciles, un médiateur entre parents et écolepourrait être utile ; certaines changent leursenfants d’école, d’autres préfèrent se battre pourfaire changer les choses. Elles suggèrent uneinformation aux enfants et parents et pourquoipas à l’école : qui doit prendre en charge l’édu-cation générale ? Comment stimuler l’écolepour l’organisation de certaines activités.Au niveau éducation des enfants, l’angoisse estgrande, il n’y a pas de grande participation despères (sans parler pour autant de démission),elles demandent d’échanger entre elles.

Les rapports avec les hôpitaux sont égalementproblématiques : réponses inadéquates, elles nesont pas bien entendues, ne connaissent pas bien

attentes, les besoins de ces personnes pourmieux travailler ensemble, pour être plusefficaces dans nos actions ;

• Rencontres prévues après le 15 novembreautour d’une tasse de thé ou de café, auFourquet ;

• Une personne de l’équipe accueillera etprésentera Marianne Prévost (mais n’assisterapas aux échanges, sa présence pourrait êtreun frein) ;

• Les attentes seront transmises globalement àl’équipe, sans nom :

• Une garderie sera assurée pour les enfantsqui ne sont pas en âge d’école ;

• Au départ, on prévoit deux à trois séances. Ilétait permis aux personnes ciblées de veniravec une amie, une voisine, qui réponde plusou moins aux même critères ;

• Un courrier sera envoyé pour confirmer lesdates des rencontres.

A la suite des coups de fil, une grande partiedes femmes étaient enthousiastes et prêtes àrépondre présentes à l’appel. D’autres étaientplus hésitantes, ou dans l’incapacité de se libéreren journée. Nous avons appelé les femmesintéressées une deuxième fois afin de leurpréciser les dates des focus. Un troisièmecontact a été pris par courrier pour leur rappelerles différentes rencontres.Il leur a été proposé un rendez-vous à la maisonmédicale si elles le désiraient afin d’aller à piedsau Fourquet. Lors de la première rencontre, lesfemmes étaient au nombre de treize et lors dela deuxième, six femmes, dont deux nouvel-lement arrivées.

Analyses et interprétation

La plupart des femmes sont d’origine maghré-bine, deux sont belges, dont une « convertie ».Elles ont exprimé des sentiments très positifspar rapport à la maison médicale, nombreuxéloges, accueil sympa ; même quand il s’agitde remplaçants, elles sont très contentes. Ellesaiment avoir leur propre médecin mais elles fontconfiance au reste de l’équipe.

Quand elles veulent poser des questions qui nesont pas liées directement au côté médical, ellesont le sentiment que les médecins manquent detemps ; elles se rendent compte qu’un(e) psy-

Focus-groupe à la maison médicale Kattebroek

85Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

leurs droits ; quand aller aux urgences, pourquoidoit-on attendre aux urgences, à la maisonmédicale ; à l’hôpital, les infomartions et résul-tats d’examens sont mal transmis ; il y a uneenvie de mieux comprendre comment çamarche.

Elles parlent aussi des problèmes vécus avecmédecin de garde avec la notion d’urgence ; lemédecin qui ne se déplace pas, les cas racontésn’ont pas été excessifs.

Stratégie et effet dechangement

Le constat du désir de certaines femmes derencontrer un psychologue, avec la difficultéd’en trouver rapidement dans la commune oules communes avoisinantes, rencontrait leconstat identique des membres de la maisonmédicale ainsi que d’autres travailleurs médico-sociaux de la commune de Berchem faitquelques mois auparavant.

En effet, nous étions depuis plusieurs moisoccupés à potasser un projet visant à trouverdes subsides ou un partenariat possible avec uncentre de santé mentale afin de pouvoir jouird’un psychologue détaché sur la commune deBerchem.

Quelques mois plus tard, suite à la réponse àl’appel à projet de la Commission commu-nautaire française de soutien pour un projetréseau, la maison médicale, promoteur du projetavec comme partenaires la coordination socialeet différents services et associations de Berchema obtenu un subside nous permettant d’engagerun psychologue à temps plein.

Son temps de travail est partagé entre lesconsultations individuelles de plus en plusnombreuses, ouvertes aux habitants de Berchemet des prises de contact avec les différentspartenaires du réseau afin de mettre en placedes projets répondant à des demandes com-munes. Les projets envisagés sont la créationde groupes de paroles ouverts aux parents defamilles monoparentales ainsi qu’un groupe deparole pour adolescents dans le cadre d’unprojet naissant sur la commune d’une maisonde la famille.

Le succès des consultations individuelles reflètebien le besoin de nombreuses familles depouvoir jouir d’un soutien psychologiqueaccessible et les problématiques exprimées sontpour certaines assez lourdes.Plusieurs femmes présentes au focus-groupesont suivies par la psychologue et sont intéres-sées par le groupe de parole.Dans le petit journal de la maison médicaleenvoyé aux patients, nous avons fait paraîtreun article concernant l’acupuncture et la possi-

bilité de pouvoir en jouir à la maison médicalepar un des médecins. Plusieurs patients ont déjàcontacté la maison médicale afin d’avoir de plusamples renseignements. Concernant le servicesocial, l’assistante sociale a redéfini le rôle desa permanence.

Deux séances d’information interactives ayantcomme thème l’énurésie ont été organisées parun médecin et la psychologue et ont rassemblédes patients très intéressés par le sujet etcontents d’avoir pu partager leur expérience etrecevoir des informations complémentaires.

Il est important de préciser que nous n’avonspas prévu de faire une évaluation systématiquede ce focus-groupe, de façon « scientifique »mais que l’important pour nous était que nouspuissions mettre des projets concrets en placeà la suite de celui-ci qui répondent à de réellesdemandes et impliquent la participation despatients.

86 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

Un tel comité avait existé quelques annéesauparavant, mais il n’avait pas fonctionné trèslongtemps, vraisemblablement parce que lespersonnes « porteuses » avaient quitté lequartier. Nous avons donc pris l’initiative derelancer le processus (organisation et animationdes réunions, invitation de mandatairescommunaux, soutien logistique...).

Allumer le feu

Les premières réunions ont eu lieu en octobre,novembre et décembre 2002. Elles ont réuni,au total, une trentaine d’habitants du quartieret ont permis de dégager deux pistes de travail.

Le premier axe de travail concerne les questionsde la propreté et de la sécurité. Ces deuxquestions sont très fortement liées et semblentinterpeller de nombreuses personnes duquartier. Le Comité pourrait jouer le rôle deporte-parole du quartier et relayer ces questionsauprès des pouvoirs publics (mandatairescommunaux).

Le second axe de travail concerne laconvivialité dans le quartier, les relations deshabitants entre eux. Le rôle du comité serait icid’organiser ou de promouvoir des activitéspermettant aux habitants de se rencontrer, defaire des choses ensemble. Par exemple :organiser des repas de quartier, une brocante,des soirées-débat, un ciné-club... On peutrallonger la liste, le but de toutes ces activitésest avant tout de permettre aux habitants de

Le comité de quartier Marconi

Dans une perspective de travailcommunautaire et suite à la demandede certains habitants, la maison dequartier Le Partenariat Marconi et lamaison médicale Marconi ont décidé enseptembre 2002 de relancer et desoutenir une dynamique de type« Comité de quartier ».

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Xavier Laruelle,assistant social àla maisonmédicaleMarconi et à lamaison dequartier.

Mots clés :santécommunautaire,maisonsmédicales

nouer des contacts, d’apprendre à se connaître,de faire vivre leur quartier. Plusieurs réunionsont eu lieu sur ce thème, afin d’organiser et depréparer une fête de quartier.

Le comité de quartier en tant que tel, c’est-à-dire en tant que groupe structuré et organiséd’habitants, n’est apparu que très progres-sivement.Dès le départ, nous tenions à ce que les habitantsrestent les maîtres du jeu. En tant que profes-sionnels (maison de quartier et maisonmédicale), notre rôle devait se limiter à fournirun cadre aux réunions et à en garantir le bondéroulement, tout en nous abstenant d’endéterminer le contenu. La difficulté de notretâche consistait à mobiliser et à soutenir lesquelques personnes désireuses de s’investir dansla vie du quartier sans pour autant nous sub-stituer à elles. Il s’agissait non pas de créer detoutes pièces et à la place des habitants uncomité de quartier, mais d’encourager sonémergence en sollicitant leur participation.L’exercice était délicat, mais l’enjeu en valaitla peine : contribuer à la construction d’uneidentité collective, un « nous », pour reprendrele terme d’une habitante dans un quartiercaractérisé par une grande mixité culturelle,économique et sociale.

Cette première année de travail a été marquéepar deux étapes. Dans un premier temps, nousavons dû jouer un rôle très actif et consacrerune énergie importante à « (r)allumer le feu » :recherche d’habitants motivés, invitation auxréunions, publicité, animation des réunions,rédaction des procès verbaux... Ensuite, « le feuayant pris », nous avons pu déléguer certainestâches aux habitants, tout en restant les anima-teurs principaux de la dynamique. L’étapesuivante de ce processus consiste pour nous àpasser au second plan pour n’être plus qu’unmembre parmi d’autres du comité de quartier :c’est l’objectif que nous nous fixons pourl’année à venir.

La plainte, la revendication, lafête...

Nous avons retenu trois temps forts au cours decette période d’un an.

87Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagers

opta pour la pose de blocs en béton. Le comitéobtint l’autorisation de peindre ces blocs, ce quise fit le jour de la fête de quartier qui eut lieutrois semaines plus tard. Aujourd’hui, il n’y aplus de problème de parking sauvage dans cetronçon de la rue Marconi.

● La fête

Le 17 mai 2003 a eu lieu une grande fête dequartier, dans la rue Marconi. Les habitants enont été les principaux organisateurs. Chaquemembre du comité à participé à une tâcheprécise : réalisation d’une affiche et d’unebanderole, diffusion de l’information, toutes-boîtes, transport de matériel (tables et chaises),préparation des repas, stand des crêpes, musi-que, gestion de la brocante, etc. La fête fut unvéritable succès. Les échos qui nous sontparvenus étaient tous positifs. Certains habitantsqui s’étaient montrés très sceptiques lorsquenous les avions informés du projet (« vousn’arriverez jamais à faire sortir les gens de chezeux, à faire vivre ce quartier... ») sont venusnous féliciter. Cette fête a permis aux habitantsde se rencontrer dans un esprit de convivialitéet de donner une image positive du quartier.

Vous avez dit Chicago ?

A ce propos, voici une anecdote qui relate ladiscussion entre un agent de police présent cejour-là et un groupe d’habitants.

Venez donc boire un verre avec nous, M’sieurl’agent ! Qu’est-ce qu’on vous offre ?Merci… Dites, il faudrait faire ça beaucoupplus souvent, ce genre de fêtes, surtout dansce quartier. Moi je vous y encourage vive-ment. A Saint-Gilles, on a constaté unecorrélation entre les fêtes de quartier et ladiminution du nombre de vols, et...Ah bon ? Mais pourquoi dites-vous « surtoutdans ce quartier » ?Vous savez, chez nous, on appelle ce quartier« Chicago »… C’est l’un des quartiers lesmoins sûrs de Forest, selon nos statistiques.Sans blagues ! Ca c’est incroyable ! Je ne mesuis jamais senti en insécurité par ici, etpourtant je sors souvent le soir. Il faudraitpeut-être revoir vos statistiques…

● La plainte

A l’occasion d’une des toutes premières réu-nions du comité, nous avions invité l’échevindes Travaux publics ainsi qu’un fonctionnairede la cellule « Propreté » afin de discuter duthème de la propreté et de la sécurité, ainsi quedes travaux prévus par la commune dans lequartier. Les habitants, informés via des afficheset un toutes-boîtes, étaient très nombreux(vingt-cinq personnes). Ce fut une réunion trèsmouvementée et difficile à animer : les gensparlaient tous en même temps, ne s’écoutaientpas, invectivaient l’échevin et son fonction-naire, chacun souhaitait exposer des problèmesd’ordre personnel et obtenir de la commune queson cas particulier soit pris en considération...En tant qu’animateurs de la réunion et garantsdu cadre, nous étions partagés : d’une part, ilfallait que soient respectées des règles mini-males pour éviter le chaos et la cacophonie,d’autre part il nous semblait important que leshabitants puissent exprimer même avec colèreleurs angoisses et soucis quotidiens. Suite àcette réunion, les plans de rénovation de deuxrues du quartier ont été mis à la disposition dela maison de quartier afin d’en permettre laconsultation par les habitants.

● La revendication

Un jour, une dame du comité nous a fait partd’un problème qui se posait quotidiennementpour une vingtaine d’habitants, dont elle-même.Ces personnes, qui habitent dans la partie laplus étroite d’une rue du quartier, éprouvaientparfois d’énormes difficultés à sortir de chezelles, tout simplement parce que des véhiculesse garaient sur le trottoir, juste devant leur ported’entrée ! Il fut décidé qu’une délégation detrois personnes du comité de quartier iraitrencontrer l’échevin des Travaux publics afinde lui expliquer le problème (photographies àl’appui) et de proposer une solution. Une desdames concernées, étant architecte, avait toutmesuré, réalisé le plan de la rue, et suggéré defaire placer des bacs de fleurs sur le trottoir.Un rendez-vous fut donc pris à la commune, etaprès des négociations avec le service destravaux publics, la proposition du comité dequartier fut acceptée moyennant une petitemodification : les bacs de fleurs coûtant tropcher (la délégation avait apporté des devis), on

88 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

S’est ensuivi un petit débat sur l’insécuritéobjective et subjective.Ce qui est sûr, et nous en terminerons avec ça,c’est que la fête a contribué à donner unecertaine visibilité et une légitimité au Comitéde quartier : celui-ci peut être l’instrument d’un« mieux vivre » dans le quartier.Quelques semaines après la fête, le comité dequartier a répondu à un questionnaire du Servicede prévention de la commune sur la sécuritédans le quartier.

Le seul bémol mais il est de taille que nousajouterions à cette évaluation plutôt positive estle suivant : les membres du comité de quartiersont exclusivement belges, et la grande majoritédes adultes ayant participé à la fête, nous neparlons pas des enfants, très nombreux est denationalité belge. Il nous faut par conséquenttenter d’élucider cette question : où sont leshabitants d’origine immigrée, comment lesinclure dans le processus, quelles stratégiesdevons-nous mettre en oeuvre pour les faireparticiper, avec les autres, à la dynamique duquartier ?

Le Comité de Quartier Marconi

89Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

Participe : présent

La partication des usagersLa santé dans la vie quotidienne despatients

ClaudeParmentier,

accueillant etassistant social,

Dominique Filée,Ariane Simon,

médecinsgénéralistes à lamaison médicale

le Cadran.

Que représente la santé dans la viequotidienne des patients ? En quoidiffère-t-elle de la perception dessoignants ? Comment amener lespatients à dépasser leurs perceptionsindividuelles et leur faire prendreconscience du rôle actif et collectifqu’ils peuvent jouer dans la santé ? Telssont les intentions du projet de santécommunautaire mis en place par lamaison médicale Le Cadran, enpartenariat avec le centre local depromotion de la santé de Liège, leCentre d’enseignement et de rechercheen éducation pour la santé del’université de Liège (CERES) et leservice de Santé publique et Epidé-miologie de l’université de Liège, avecl’appui financier de la Communautéfrançaise

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Mots clés :participation,

santécommunautaire,

maisonsmédicales

Description du projet

Notre projet s’est déroulé en trois étapes. Nousavons d’abord réalisé un diagnostic de santécommunautaire. Il y a ensuite eu une prise deconscience des usagers de santé. Enfin, despatients ont participé activement à la prise encharge de la santé communautaire et se sontappropriés le projet.

● Diagnostic communautaire

Le premier objectif de notre projet était deréaliser une analyse qualitative des préoccupa-tions de santé des patients, un diagnosticcommunautaire à partir de groupes focalisés oufocus-groupes. Nous désirions connaîtrel’importance de la santé dans la vie quotidiennedes patients, les obstacles perçus et les attentesqu’ils avaient par rapport à notre équipe desoignants.

La méthode des groupes focalisés est basée surdes discussions en petits groupes animés parun communicateur : l’entretien est mené par uneméthode en spirale, partant de généralités pourarriver à connaître les motivations profondesdes croyances, attitudes et comportements.C’est une technique ascendante où les donnéesrecueillies viennent entièrement des personnesinterviewées et où l’animateur laisse aumaximum les gens s’exprimer sans donner deconsignes ni d’informations. Cette méthodeessentiellement qualitative ne permet pas detirer de conclusions statistiques mais peut servirde préambule à des enquêtes plus quantitatives.Les données récoltées dans le cadre d’un groupefocalisé nous renseignent sur les opinions, lescroyances, les perceptions, les attitudes d’ungroupe, sur ses représentations et ses réticencespar rapport à un sujet précis (celui de la santéen ce qui nous concerne).

● Prise de conscience communautaire

Nous avons constaté que nos patients ont peusouvent l’occasion de parler de problèmesgénéraux de santé entre eux, sans l’interventiond’un expert et que cette expérience pourrait lesinciter à continuer à réfléchir à certains thèmesentre eux ou avec nous, mais munis d’unecertaine « expertise » en tant qu’usagers.

Nous pensons également que si notre objectiffinal (la santé) est bien partagé par les patientscomme par les thérapeutes, il est possible quedes objectifs intermédiaires soient considéréscomme prioritaires par les professionnels etsecondaires par les usagers et inversement. Y

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C A H I E R

animatrice du Centre d’enseignement et derecherche en éducation pour la santé. Cesgroupes focalisés ont abordé différents thèmes :

• la santé ;• la place de la santé dans les préoccupations

quotidiennes de chacun ;• les aspects de la santé qui intéressent le plus

les participants ;• les aspects psychosociaux, environne-

mentaux, … de la santé ;• les obstacles à la santé ;• les attentes des patients par rapport à la

maison médicale ;• les implications que les patients pourraient

prendre dans la gestion de la santé de lacommunauté.

Chaque participant a eu l’occasion de s’expri-mer sur ces sujets. Les thèmes ont toujours étéabordés dans une dimension générale basée surl’expérience de chacun.Nous avons utilisé les critères suivants pourformer ces groupes : même statut professionnel,même sexe, même tranche d’âge, culturesdifférentes, milieux sociaux différents (mais pastrop), pas d’expert de la santé, être un usagerde soins ancien ou se présentant souvent auxconsultations.Nous avions envoyé une invitation écrite àquatre-vingt six patients sélectionnés, trente sixont répondu positivement et vingt et un se sonteffectivement présentés.

Le premier groupe était constitué de femmesde plus de cinquante ans. Le deuxième groupecomportait des femmes avec enfants. Letroisième groupe réunissait des hommes de plusde quarante ans. Les trois groupes étaientsuffisamment homogènes pour permettre àchaque participant de pouvoir s’exprimer. Ilsétaient assez hétérogènes pour permettrel’expression d’idées originales et différentes.

● Synthèse des groupes (mars - mai 2002)

Une synthèse des propos tenus dans les troisgroupes de discussion a été réalisée parl’animatrice du Centre d’enseignement et derecherche en éducation pour la santé. Lesparticipants, y compris les personnes quin’avaient pu être présentes lors des réunions,et tous les patients de la maison médicale

réfléchir entre usagers permet de créer une prisede conscience du rôle d’acteur que peuventjouer les « patients » dans la prise en charge deleur santé, d’instaurer un sentiment de confianceen leurs capacités et d’induire une motivationau changement.

Le deuxième objectif des focus-groupes étaitque les patients réalisent qu’ils ne sont pas seulsà vivre les mêmes problèmes de santé, quel’échange d’idées permet de progresser, detrouver de nouvelles stratégies et d’influencerpositivement la santé.

● Action communautaire

Grâce à leur homogénéité, les groupes focaliséssont libérateurs de paroles et permettent aussibien l’expression d’idées originales que deconsensus. Nous espérons, après analyse ducontenu, identifier les thèmes intéressant nospatients soit pour en parler, soit pour chercherdes solutions, soit pour mener des actionscommunautaires en collaboration thérapeutes-patients. Quelle action le patient désire-t-ilmener ? Qu’est-il prêt à mettre en place pourconcrétiser cette action ? Jusqu’où est-il prêt às’impliquer dans la participation à une actioncollective ?

Là se trouve le troisième objectif du focus-groupes : créer les conditions pour que le patientexprime les thèmes pour lesquels il estsusceptible de se mobiliser. Faire prendreconscience qu’il n’est pas seul à vivre telévénement ou à avoir telle opinion, que s’il nepeut pas changer le monde, il peut induire deschangements à son échelle sur sa famille, sesvoisins, dans son quartier… et ce dans le cadred’une action collective.

Réalisation du projet

● Les focus-groupes (janvier - février 2002)

Au début de l’année 2002, plusieurs patientsde la maison médicale Le Cadran ont été invitéspar l’équipe de professionnels de la santé de lamaison médicale à participer à trois groupes deparoles. Le débat dans ces groupes de discus-sions (ou focus-groupes) était assuré par une

La santé dans la vie quotidienne des patients

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Participe : présent

La partication des usagers

intéressés par la démarche ont été invités àassister à la présentation de cette synthèse.

Les patients présentent trois priorités dans lavie : la qualité de vie qui englobe la santé, lafamille et les amis. Ces trois thèmes s’influen-cent mutuellement. Ainsi la qualité ou nond’une ambiance familiale peut avoir une bonneou mauvaise influence sur la santé. Une maladiegrave ou le décès d’un proche marque la viedes gens et a un impact sur leur santé.La maladie est un moment difficile à surmonter.Un soutien familial, une aide des amis sontnécessaires. La maladie est un gros souci pourles mères qui sont malades : qui va s’occuperdes enfants ?La solitude et l’inactivité sont des problèmesfréquemment évoqués, le manque de moyensfinanciers est ressenti comme un obstaclemajeur à une qualité de vie mais non àl’accessibilité aux soins.Les patients accordent une très grandeimportance à la parole. C’est très important depouvoir parler mais il est tout aussi primordiald’être écouté. Les patients déclarent avoir lesentiment d’être écoutés à la maison médicale.Cette écoute ne serait pas toujours présente àl’hôpital ou dans les autres structures de santé.L’aspect multiculturel du quartier a été abordé.Est-ce une richesse ou une source deproblèmes ? Méconnaissance de l’autre et desa culture, délinquance, insécurité (sentimentou réalité ?), incidence ou non de l’immigrationsur les relations dans le quartier, … Autant desujets évoqués et certainement à développer enprésence de personnes ressources.

● Action communautaire (mai - juin 2002et ensuite…)

Suite à la réunion du 16 mai, les patients ontémis le souhait que des réunions à thèmes soientorganisées (mais par qui ?) avec la participationd’un médecin de la maison médicale. Les butsde ces réunions seraient :

• se rencontrer et faire connaissance ;• avoir une information ;• dédramatiser certains problèmes (le cancer,

la fin de vie) ;• partager son expérience personnelle et son

savoir ;• avoir un espace de parole par rapport à des

problématiques vécues (drogue, cancer,solitude, …).

Le groupe de discussion des mamans a proposéd’organiser un espace de jeux, voire une plainede jeux, pour les plus petits. Le thème de lapetite enfance est très important. Les mères sontaussi très inquiètes pour leurs enfants face auphénomène de la drogue. Des réunions sur cethème avec les enfants sont évoquées.

Après la présentation de la synthèse, les patientsont proposé de nouvelles idées de thèmes deréunion : ménopause et ostéoporose pour lesfemmes, l’inactivité et ses conséquences pourles hommes. Pour ces derniers, l’inactivitésuppose de faibles revenus. Ceux-ci sont surtoutconsacrés aux besoins primaires (logement,nourriture, etc.). Se soigner et entretenir sa santéen mangeant des produits sains n’est pasaccessible à toutes les bourses. Inactivité rimeavec faibles revenus, solitude, routine etdépression.

La proposition de mettre dans la salle d’attenteun panneau est avancée. Il serait à la dispositiondes patients et géré par eux. Des informationsd’ordre pratique seraient affichées. Ce panneauservirait également de relais pour des démarchesd’entraide et de solidarité.

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C A H I E R

Deux discours sont entendus lors de cetteréunion. Le premier laisse entendre qu’il ne sepasse rien dans le quartier Sainte-Marguerite.Le second informe que ce quartier est desservipar des associations qui présentent denombreuses activités. L’information passe-t-ellemal ? Comment la faire circuler ? Certainsproposent de faire un relevé des associations etdes activités qu’elles proposent. Qui fera cetravail ? Faut-il attendre que le comité dequartier ou la ville prennent en charge l’organi-sation de différents types d’activités ? Ousommes-nous capables de nous mobiliser pourorganiser des activités qui partent de nos réalitéset préoccupations quotidiennes ? Qu’est-ce quipourrait constituer le point de départ de ce typede démarche ? Nous sommes conscients quenous ne changerons pas le monde mais que nouspouvons agir à notre échelle en posant de petitesactions avec nos proches, nos amis, nosvoisins… et pourquoi pas, d’autres patients dela maison médicale.Certains évoquent la possibilité de programmerune prochaine réunion de patients et d’inviterun représentant du comité de quartier qui nousinformerait sur l’infrastructure associative duquartier, ses possibilités et les services offerts.Qui prendra en charge l’organisation de cetteréunion, la maison médicale ou les patientsintéressés ? Les personnes présentes semontrent en tout cas très intéressées à participerà cette réunion.D’autres pistes de réflexion et activités sontencore énoncées : salle de sport, jeu de boules,plaine de jeux, sécurité dans le quartier, atelierde relaxation, groupe d’entraide, trouver unesalle pour parler et jouer aux cartes…

Évaluation et perspectives

A toutes les étapes du projet, nous avonsconstaté la difficulté de mobiliser nos patients.La procédure de recrutement par affiches oucourriers est nettement moins efficace quel’invitation directe en face à face. Toutefois, unefois mobilisés, les patients invités se sontmontrés très actifs et intéressés par le projet.De l’évaluation (anonyme) réalisée après lesfocus-groupes, il ressort que c’est l’intérêt pourla vie de la maison médicale et la santé engénéral qui a motivé la participation des patients

et non l’envie de « faire plaisir » à leurthérapeute.

La majorité des patients ayant participé auxfocus-groupes n’avaient pas d’activité profes-sionnelle et connaissaient d’importantes diffi-cultés financières. Leur mobilisation demandaitun réel effort car ils avaient en général un lourdpassé médical et connaissaient de nombreusesdifficultés dans leur vie quotidienne.

Lors de la réalisation des focus-groupes, nousavons été étonnés par le foisonnement d’idées,l’enthousiasme des participants et leur désir decontinuer cette démarche.

Toutefois, lors de la synthèse des résultats et ladiscussion sur les actions futures, peu de partici-pants sont venus. Il est vrai que nous n’avionspas utilisé de stratégie de recrutement trèsactive, craignant d’avoir trop de participants…

Nos conclusions sont que nos patients ont uneréelle motivation de participation et d’actionmais que d’énormes obstacles socioécono-miques et médicaux les empêchent de les mettreen pratique.

Le paradoxe de ce projet est que l’équipe de lamaison médicale souhaite qu’il aboutisse maisque cette même équipe ne peut réaliserl’entièreté du projet seule. La réussite du projetest maintenant dans les mains de nos patients.C’est le taux de réponses au bulletin d’inscrip-tion, la récolte de thèmes de discussions etsurtout le degré d’implication des patients dansla prise en charge de l’organisation des pro-chaines réunions qui déterminera la viabilité duprojet. Il est probable que durant plusieurs moisl’équipe de la maison médicale devra continuerà organiser les réunions futures avant que lespatients ne puissent réellement s’approprier leprojet.

La santé dans la vie quotidienne des patients

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Participe : présent

La partication des usagersLe chemin vers...

La maison médicale du Laveu à Liègea ouvert ses portes il y a trois ans. Lespatients ont, dès le départ, été au centrede nos réflexions et préoccupations.Déjà, lors de la rédaction des statuts,une place leur a été octroyée en vued’une participation active aux futuresassemblées générales.

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BernadetteBastin,

accueillante à lamaison médicale

du Laveu.

Mots clés :participation,

maisonsmédicales

En effet, nous sommes convaincus que lespatients et l’équipe soignante sont partenairestant dans la prise en charge de la santé de ceux-ci que dans l’évolution de l’institution.La collaboration commence par la qualité descontacts individuels (via l’accueil, les consulta-tions, …) et se concrétise au fur et à mesuredans une confiance partagée.Notre souhait est de créer une association depatients mais nous considérons que le temps estnotre allié et nous permet de poser des jalonsen planifiant des démarches de natures diverses.C’est ainsi que lors de notre premier anniver-saire, les usagers ont été conviés à partager le« verre de l’amitié ». Une soixantaine depersonnes ont répondu à l’invitation. Nousgardons tous en mémoire cette belle soirée.Une boîte à suggestions a été placée dans lasalle d’attente et réceptionne les avis, demandeset propositions. Elle est toutefois sous utilisée.Dans le courrier d’invitation était joint unquestionnaire qui invitait les patients à donnerleur avis sur certains points à améliorer, àimaginer la place de la maison médicale dansle quartier et à partager leurs attentes par rapportà la maison médicale, en dehors des soins desanté.

Lors de notre deuxième anniversaire, nousavons organisé une balade commentée dansnotre quartier suivie d’un goûter. Moins d’usa-gers ont répondu présents mais les participantset l’équipe ont été enchantés par ces momentspartagés. C’est aussi durant ces mois que troismédecins ont successivement quitté la maison

médicale. On peut imaginer l’insécurité àlaquelle les patients et l’équipe ont été confron-tés. Le temps consacré à l’échange, l’écoute etla compréhension ont été mis au service d’uneconfiance à maintenir et/ou à rétablir.

Dans ce contexte, nous avons mis sur pied, ennovembre 2003, une rencontre avec notrepatientèle. L’objectif de cette soirée était deprésenter notre projet, avec toute sa spécificitéet sa complexité ainsi que permettre aux patientsde nous interpeller sur les événements récents.Cette présentation décrivait le fonctionnementde la maison médicale ainsi que l’historique etl’évolution de notre projet : autogestion, forfait,équipe pluridisciplinaire, réunion de cas, travailen réseau, prévention, approche globale,continuité des soins, accessibilité, place dupatient. L’accès à la densité de ce contenu a étéfacilité par l’utilisation de l’outil informatiquesous forme de diapositives Powerpoint. Unetrentaine de personnes, très représentatives denos abonnés (diversité culturelle, socio-économique, tous âges confondus, « anciens »et récents inscrits) a répondu à notre invitation.Des intervenants extérieurs ont contribué à laréussite de cette rencontre. En effet, JacquesBolaers, coordinateur de l’Impatient (asso-ciation de patients de La Passerelle) ainsi qu’unreprésentant de la toute jeune coopérative depatients de l’Herma ont témoigné en tant quepatients, de la création de l’association depatients et de l’importante mais non moinsdélicate collaboration entre l’équipe et l’asso-ciation de patients. Miguelle Benrubi, médecinà La Passerelle a insisté sur le rôle d’acteur dupatient dans la prise en charge de sa santé etsur la place de l’équipe dans l’éducation àl’autonomie de celui-ci.L’échange qui s’en suivit fut riche et démontraitla difficulté pour certains patients d’intégrerl’ensemble des notions inhérentes au contrat quinous unit. Certains patients nous expriment, lorsde leur passage à la maison médicale, leur enviede s’investir. C’est ainsi que trois personnes ontrépondu favorablement à l’appel du réseauSolidarité de La Passerelle qui souhaitedévelopper un partenariat avec les maisonsmédicales voisines. Malgré les « perturbations »des mois passés, beaucoup de patients ontexprimé leur confiance en notre structure etcelle-ci nous donne la force de croire ensembleen cette formidable aventure… ●

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La santé bien logée ?Coralie Ladavid,assistantesociale, membredu Collectif« Droit aulogement » deTournai.

Le « Droit au logement » (DAL) est néen 1994, à l’initiative de vingt-septassociations (mouvement associatif,éducation permanente, maisonsmédicales, etc.) concernées par laproblématique du logement. Il compteaujourd’hui dix-neuf associations (donttrois maisons médicales) et est constituéen association de fait (l’assembléegénérale élit un groupe d’action). LeCollectif est vivement interpellé par lesdifficultés que les gens éprouvent pourtrouver un logement à Tournai. Plusglobalement, le « Droit au logement »entend insérer la problématique dulogement dans une perspective pluslarge, plus intersectorielle (santé,maltraitance, entente familiale,épanouissement des enfants, etc.).

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Le « Droit au logement » bâtit son action sur labase de demandes individuelles que les repré-sentants des dix-neuf associations recueillentdans leur activité professionnelle (ou militante).Les objectifs sont les suivants, dans laperspective d’un droit du logement décent pourtous (constitution) :

• centraliser l’information ;• faire se transformer les demandes indivi-

duelles en demandes collectives ;• travailler en réseau ;• reconnaître la parole de l’usager (s’adapter à

son vocabulaire) ;• devenir un interlocuteur reconnu par les

pouvoirs locaux ;• être capable de produire des propositions à

destination des pouvoirs politiques.

La participation des usagers est fortementinscrite dans la pratique du « Droit au loge-ment ». C’est à partir des demandes individuel-les qu’une démarche collective peut émerger.Lors de ces entretiens individuels, les aspects« éducatif » et « autonomie » sont très présents.Il s’agit de donner aux personnes les outilsnécessaires en terme de connaissance des droitset devoirs pour pouvoir les « autonomiser ». Ilest primordial également de prendre leurdétresse en compte et de pouvoir les défendre,face à des propriétaires parfois intimidants oupeu scrupuleux, dans le but de leur redonnerconfiance en eux et en la société.

En terme de participation, un comité delocataires a fonctionné quelques mois mais adû s’interrompre faute de participants. Parcontre, des demandes individuelles sontorientées vers le « Droit au logement » lorsquecelles-ci peuvent faire l’objet d’une actioncollective ou d’une interpellation. La personneconcernée prend alors part à l’action avec lestravailleurs du collectif. Par exemple, récem-ment un jeune a fait part à l’assistante socialede la maison médicale de sa révolte envers lasociété de logements sociaux de Tournai. Eneffet, celle-ci exige un certificat de bonne vieet mœurs pour introduite une demande delogement. Or, la Région wallonne ne l’obligenullement et cela pouvait être interprétercomme un abus de droit. L’assistante sociale aproposé au jeune de venir à une réunion du« Droit au logement » pour que son indignationpuisse être entendue et qu’une action puisse être

Mots clés :logement ,participation,maisonmédicales

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Participe : présent

La partication des usagers

entamée. Ce qui fut chose faite. Le jeune a doncpu être entendu et crier sa révolte d’une manièreconstructive.

Bien évidemment, cette participation n’est pastoujours facile et elle connaît quelques diffi-cultés liées :• au passage entre les demandes individuelles

et l’élaboration de projets plus collectifs (dèsque sa demande individuelle est satisfaite,l’usager ne ressent pas toujours un intérêtpour s’investir davantage) ;

• au manque de croyance des usagers à l’actioncollective (la société individualiste encouragele chacun pour soi et non plus la solidarité) ;

• à la reconnaissance, toujours difficile à obte-nir, notamment auprès des pouvoirs publics.

En quoi les maisons médicales de Tournai,faisant partie de ce Collectif, jugent utile d’yparticiper et quel objectif santé est visé ?La problématique du logement est très présentedans la population rencontrée dans les maisonsmédicales et constitue un facteur déterminantde la santé très important. Comment se sentirbien lorsqu’on vit dans un logement trop petitou insalubre ? Le logement constitue donc unfacteur de bien-être pour les patients.Cependant, les loyers sont chers et les loge-ments ne sont pas toujours conformes. Au-delàdu fait d’aider les personnes à trouver un loge-ment décent, il existe un réel problème politiqueglobal qu’il est indispensable d’aborder si l’onveut que les choses changent et éviter que tousles jours les mêmes demandes viennent à nous.Nous sommes à la première ligne pour d’unepart détecter le problème que nous rencontronsquotidiennement et d’autre part rendreconfiance aux personnes dans la possibilité dechanger leurs conditions. Cette démarches’inscrit dans un objectif de vision globale dela santé et de bien-être pour la population quenous rencontrons. C’est tout simplement penserglobal, agir local. ●

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C A H I E R

La citoyenneté est un concept qui a beaucoupété utilisé en santé publique. Lors de la créationdes organismes thématiques1 de prévention duSIDA, ce concept constituait une base clé. PourEx Aequo, Modus Vivendi, Espace P, etLatitudes, la prévention ne pouvait être queparticipative. Sans doute parce que ModusVivendi, comme ces autres associations, travail-lait avec un public qui manquait cruellementde reconnaissance, à qui cette place de citoyenétait refusée. Il était urgent de lui donner laparole avant de définir de grandes politiquesde santé. Comment vivait-il l’épidémie duSIDA, quels risques courait-il et commentpouvait-il se protéger… Nous ne pouvions fairel’économie de l’écouter, si nous voulions tenterde répondre à ces questions.Très vite, nous nous sommes rendu compte quene parler que du SIDA par rapport aux popu-lations que le virus touchait le plus durementposait de nombreux problèmes éthiques. Entravaillant de manière participative, nous avons

Limites et enjeux de la préventionparticipative

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Catherine VanHuyck, licenciéeen philosophie,coordinatrice àModus Fiesta,projet de ModusVivendi.

Développer une « prévention partici-pative » dans le cadre de la réductiondes risques chez les usagers de drogues,c’est aussi s’exposer à une série dedérives qui font de cet objectif unexercice de démocratie extrêmementpérilleux mais passionant.

(1) Organismesqui ont été créésautour de publicsspécifiques : Lesmigrants, leshommes ayantdes relationssexuelles avecd’autres hommes,les personnesprostituées et lesusagers dedrogues.

(2) En référenceaux « jobsd’étudiants »,nom donné auxusagers dedrogues quitravaillent avecnous pour deuxraisons :- nous les payons(tout travailmérite salaire)- il s’agit deprestationsoccasionnellesIls sont donc nos« collègues »même s’il y a unlien desubordination.

constaté que nous ne pouvions faire l’impassed’autres risques, plus importants à leurs yeux(ou, en tout cas, plus immédiats), que celui decontracter le SIDA. En effet, comment dire àquelqu’un « mets un préservatif, utilise uneseringue propre... », alors que ses préoccupa-tions immédiates sont tout autres : trouver untoit pour ce soir, risquer de se faire exclure parl’annonce de son homosexualité, éviter lescontrôles policiers car de statut clandestin… Àce moment-là, pour eux, ces questions sont plusproches et plus réelles que celle de contracterle SIDA.Très vite nous avons tous décidé qu’il fallaitintégrer la prévention du SIDA dans unedémarche de promotion de la santé telle quedéfinie par la charte d’Ottawa, à savoir « unprocessus qui confère aux populations lesmoyens d’assurer un plus grand contrôle surleur propre santé et d’améliorer celle-ci ».

Cette démarche est assez similaire à celle décritedans le décret sur la promotion de la santé du14 juillet 1997 de la Communauté française. Ony parle d’un « processus qui vise à permettre àl’individu et à la collectivité d’agir sur lesfacteurs déterminants de la santé et, ce faisant,d’améliorer celle-ci, en privilégiant l’engage-ment de la population dans une prise en chargecollective et solidaire de la vie quotidienne,alliant choix personnel et responsabilitésociale ».

La participation n’est pas unoutil

À Modus Vivendi, au fil du temps et de notretravail, il nous est apparu que si la préventionparticipative était incontournable, elle présentaitégalement des risques de dérive. Paradoxale-ment, notre manière de travailler pouvait engen-drer des risques pour les jobistes2 qui travail-laient avec nous. C’est de cela que j’aimeraisvous faire brièvement part ici.

La prévention participative véhicule des enjeuxautres que sanitaires. En travaillant non plus

Mots clef :participation,promotionde la santé,prévention,drogue

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Participe : présent

La partication des usagers

pu supporter l’échec de la prévention auprèsde certains de leurs pairs. Ce qui eut des consé-quences catastrophiques sur leur équilibre. Lepair ne remplace pas le professionnel. Du faitde son implication, il apporte une richesseénorme mais une émotivité qui l’est également.C’est au professionnel à veiller à ne pas lemettre en danger.

La prévention participative ne doit pas nousamener à brandir un pair fantoche, une marion-nette. Nous devons accepter de pouvoir êtreébranlés par leurs paroles, de pouvoir être remisen question. En bref, de véritablement dialo-guer… Il est parfois très vexant de s’entendredire « Mais c’est du délire ton truc, c’est pasdu tout ça ! »… mais en général, c’est salutairepour les projets !

Une troisième dérive serait cependant d’appli-quer la prévention participative de manière« jusqu’auboutiste » : il n’y aurait plus qu’unseul savoir, celui de l’usager. Je pense, parexemple, à un consommateur qui me disait :« Tu ne peux rien dire de l’injection car tu net’es jamais injectée » et qui était persuadé

« sur l’usager » mais « avec lui »3, on luirestaure sa place politique, de citoyen, à savoirqui agit pour le bien de la cité. Il s’agit d’unprocessus constant et non d’un moyen en vued’une fin. Nous faisons alors savoir à nospublics qu’ils sont capables non seulement dedéfinir les problèmes mais aussi de participer àl’élaboration et à la mise en place de projets.Ce qui permet également, par le passage du rôlede « celui sur qui l’on agit » à celui d’acteur,de lutter contre l’exclusion sociale. En effet,en prenant place dans des processus departicipation visant à améliorer la santé (au sensde bien-être) de ses concitoyens, l’usagerretrouve une place, un rôle dans la société civile.Le risque de dérive ici serait de percevoir cetteparticipation uniquement comme un outil. Cequi lui ôterait son approche démocratique etpasserait outre la question de la citoyenneté.Cette participation pour qu’elle soit citoyennene doit pas être perçue uniquement comme undispositif.

La participation ne déchargepas les professionnels de leursresponsabilités

La prévention participative amène la questionde la solidarité et de l’échange. Par exemple,dans les comptoirs d’échange de seringue, dumatériel est donné mais aussi reçu. Les consom-mateurs ramènent leurs seringues usagées aucomptoir afin que d’autres ne se blessent pasou ne se contaminent avec leur matériel.Une dérive consisterait à abandonner la pré-vention aux usagers en se disant « qu’ils n’ontqu’à s’en charger ». La solidarité civile doitjouer dans les deux sens. Le pair a ses limiteset si on le surinvestit, on peut le mettre endanger. Ce fut notamment le cas de certainsprogrammes de prévention du suicide dans lesécoles : des écoliers y étaient formés afin d’êtredes acteurs de prévention du suicide auprès deleurs pairs, se retrouvant ainsi face à une missionécrasante qui les dépassait : diminuer le tauxde suicide parmi les jeunes écoliers. Plusieursont pris leur rôle tellement à cœur qu’ils n’ont

(3) Si le travailthérapeutiqueconsidère que

cette démarche vade soi, ce n’estpas toujours le

cas du travail deprévention.

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C A H I E R

qu’une injection d’eau salée permettait d’arrêterune overdose. Le public n’a pas le monopoledu savoir. C’est quelque chose qu’on partageet qui s’élabore ensemble à partir d’une multi-plicité de points de vue.Une autre dérive serait de ne pas faire dedifférence entre participation et auto-support.

La participation fait partie de la promotion dela santé, mais elle a des implications politiques.L’auto-support est avant tout un acte politiquemais qui peut entraîner des implicationssanitaires. Prenons ainsi l’exemple de Citoyenscomme les autres (CCLA), groupe d’auto-support, qui a créé en Belgique le premiercomptoir d’échange de seringues. Les deuxdémarches sont nécessaires mais différentes etdoivent se respecter mutuellement. Uneprévention participative qui n’encouragerait pasla création de groupe d’auto-support n’auraitpas de sens parce qu’elle n’irait pas au bout desvaleurs qu’elle défend.

Une attitude critique

La participation citoyenne des usagers dedrogues est un idéal qui a ses limites dans lapratique. Cette tension entre l’idéal et lapratique est féconde car elle nous oblige à avoirune attitude résolument critique par rapport àla vision que nous avons de la participation etla manière dont nous la mettons en œuvre. Lesconsommateurs, lorsqu’ils participent à nosprogrammes, ne nous permettent pas de fairepasser nos considérations de santé publique audétriment de leurs besoins, ils nous titillentjusqu’à ce que nous ayons le mot juste, celuiqui leur parle. Il s’agit ici de l’exercice périlleuxde la démocratie en acte car « dès qu’on l’envi-sage sous l’angle du processus, la participationacquiert une dimension politique »4.

(4) MartineBantuelle,Jacques Morel etDenis Dargent,Santécommunautaire etla promotion dela santé. Tome 4.La participationet les acteurs,Santé,Communauté,Participation.,Bruxelles, 2000.

Limites et enjeux de la prévention participative

Cet article a été publié dans Les Cahiers deProspective Jeunesse, n°27, dossier « Drogues etréduction des risques - tome 1 », juin 2003.Prospective Jeunesse asbl, 27 rue Mercelis, 1050Bruxelles, tél. : 02/512 17 66, fax : 02/513 24 02,site Internet : http://www.prospective-jeunesse.be».

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Participe : présent

La partication des usagers

Géographie sociale gommée

Saint-Josse est marqué de rouge sur chaquecarte que je regarde. Ce coin de Bruxellesproche d’une gare, possède un quartier voué àla prostitution et a connu des émeutes en 1998.Saint-Josse arbore également la couleur rougede ses bourgmestres socialistes et celle desnombreux turcs, marocains, français, italiens,espagnols, congolais, portugais, britanniques,algériens et hollandais qui y habitent. A la suited’une législation plus flexible sur la nationalité,le nombre d’habitants d’origine étrangère adiminué de 54 % à 44 % en 2000. Cette courberouge s’incurve vers le bas de manièreconstante. Il n’y a pas beaucoup de vieillespersonnes. D’autre part, le manque d’éducationdes jeunes est un problème majeur.

Redouan, qui tient un snack, m’a expliquécomment, quand il avait quatorze ans, il antici-pait chaque jour la prochaine leçon de mathé-matique. Arbitrairement, on lui conseilla dechanger de section pour se consacrer à un coursde carrosserie et métallurgie. Il en faut moinsque cela pour vous faire rougir de honte. Trop

de familles nombreuses vivent les unes sur lesautres, trop de maisons sont trop petites et leurconfort trop limité. Comme partout ailleurs àBruxelles, les célibataires forment la portion laplus large de la population. Il y a sept millefamilles à Saint-Josse, c’est-à-dire 15.541personnes dans une zone qui fait un peu plusqu’un demi-kilomètre carré. Seul un foyer surquatre n’a pas déménagé durant les années ’80,ce qui signifie que la mobilité résidentielle esténorme. La plus petite partie se réfugie àCharleroi où elle vit dans des parcs à caravanes.Comme si Bruxelles ne voulait pas que les« survivants » restent dans l’enceinte de sesmurs. Ils sont rayés au bic rouge.

Une baleine appeléeenvironnement

A travers l’Europe, des centaines de quartiersrésidentiels dilapidés comme celui-ci ont lesqualifications nécessaires pour recevoir unestimulation financière du Gouvernement, liéeau développement de la participation desrésidents à un niveau local. Cette idée trouveson origine dans la lutte pour l’environnementet peut être largement appliquée. « L’environ-nement » est décrit par les Nations-Unies, dansle Traité de la Commission économique pourl’Europe, mieux connu sous le nom de Traitéde Aarhus (1998), comme un cadre adapté pourla santé de chacun, et c’est précisément sur cepoint que le traité devient intéressant : quandles concepts d’administrer et de vivre sontperçus sous le même jour, égaux et complé-mentaires. Additionnellement, en tant queprincipes actifs, ils appartiennent à tout unchacun. Grâce à la pression exercée par lesmouvements environnementaux, nous décou-vrons des garanties précisément formulées pourun exercice efficace de notre citoyenneté. Letraité d’Aarhus n’est à ce jour toujours pasopérationnel. Il est de notre ressort de ne paslaisser ce document progressiste être soigneuse-ment rangé dans les plate-bandes de fauxbégonias des façades derrière lesquelles on nevoit plus aucune maison. Ce paradoxe n’estpeut-être pas immérité mais en réalité, lespoliticiens ne font un usage conscient et efficacede notre notion de citoyenneté qu’en tant deguerre.

Survivre à la fatigue de la participationAxel Claes,

président del’asbl ‘plus toot,

te laat’.

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De la convention Aarhus (Nations-Unies) sur la participation aux réalitésde terrain, il y a les difficultés de mobi-liser les habitants, la confrontation aumonde politique, les outils à dévelop-per... et l’enthousiasme à maintenir, fut-ce au prix de quelques coups de gueule !

Mots clés :santé

communautaire

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C A H I E R

Les contrats de quartiers et de villes ramentprudemment dans ce réservoir sur lequel planeun orage potentiel. Les contrats de quartierimpliquent l’argent du Gouvernement dans desprogrammes de quatre ans afin de fournir unestimulation à un environnement de travail et devie problématique au sein des villes. Tout tourneautour du développement et de la gestion del’espace public, des programmes de réimpli-cation socioprofessionnels pour les chômeurslongue durée, ainsi que des facilités de logementet de communauté. L’argent est égalementinjecté afin d’encourager la participation desrésidents. C’est le Herold d’une collectivisationdouce de la prise de décision à un niveau local.Malgré le fait que le terme de « participationpublique » (souvent un euphémisme pourl’organisation de fêtes de quartier et l’emplis-sage de boîtes aux lettres de dépliants en papierglacé) est souvent utilisé dans ce contexte,quelque chose de fort différent s’est produit en1999 à Saint-Josse. Nous avons utilisé le budgetParticipation pour couvrir les frais d’expertiseacadémique externe et d’éducation. Les citoyensont peut-être besoin d’aide pour la reconnais-sance de leurs droits, vous voyez. Avecquelques difficultés, des groupes de travail derésidents ont démarré, ce qui en plus des troisréunions annuelles obligatoires avec l’autoritélocale, fonctionne de manière complémentaireet thématique. D’un point de vue juridique, cesassociations de facto opèrent sur un modeinformel qui est en mesure d’influencer desdécisions, entre autre comment la participationrésidentielle peut être concrète et efficace. Ence sens, un activiste vétéran des logementssociaux a obtenu rémunération pour sa partici-pation aux réunions. Un urbaniste indépendantassiste les participants dans l’organisation dediscussions. Dans le sens de cette structurelâche mais financée, leurs points de vue ont étéconfrontés avec ce secteur de la population quine souhaite pas se spécialiser dans la rencontreavec des hommes politiques, ces habitants quiessaient d’arriver à l’amélioration de leurenvironnement par d’autres moyens.

Stratégie active

Néanmoins, de février à mars 2001, unsentiment de découragement général s’est

installé au sein du groupe de participants. Il n’yavait toujours pas de point de contact ouvertou orienté vers le voisinage. Après dix-huit moisde réunions, le Conseil local de Saint-Jossen’avait toujours pas pris la moindre initiativeafférente à un changement mineur de l’esthéti-que des rues. Aucun éclairage public supplé-mentaire ne fut installé, aucun trottoir ne futélargi. Mis à part l’installation d’un parc semi-public, il n’y a rien à voir. Dans ce micro-climattendu, choqués par la violence et les disputesintestines infernales, nous estimions que lemoment était opportun pour organiser desinterviews vidéos percutantes. Avec toutes lespersonnes impliquées et autant de personnespossibles. Le bureau de chômage devint lestudio d’enregistrement et le quartier généralpour des ateliers vidéo dans le quartier. Quinzehabitants, principalement blancs, donnèrentlibre cours à leurs idées durant les week-ends.Deux anciens organisateurs de la mission locale(bureau d’emploi social majeur), le bourg-mestre, un architecte et un politicien localfraîchement élu. Deux propriétaires parlèrentde leurs expériences avec le système de subsidesde la rénovation urbaine. Fin mai, douzebrouillons classés par sujet furent rapidementcompilés, et ceux-ci provoquèrent une foule decommentaires lorsqu’ils furent visionnés chezKarim et au bureau radical le même soir. Il yeut un accès à plus de vingt heures d’interviewsenregistrées. Certains sujets s’ouvrirentdirectement. Bizarrement, il semblerait que cesréunions ne soient pas un lieu d’échangesd’idées. Une marée de paroles emplies deprojets enthousiastes, de visions philosophiqueset de déclarations…

Je n’aime pas les cités dortoirs où il ne sepasse absolument rien. J’aime bien lesquartiers populaires où les gens vivent dansla rue et où les magasins sont ouverts tard lesoir. La partie proche du centre ville est parti-culièrement attrayante, de par son acces-sibilité à pied, en vélo ou par les transportspublics. (Bernadette)

Le fait de clamer haut et fort une quelconquecohabitation est particulièrement difficile.Quelques personnes disent peut-être que lesgens sont à leur mieux quand ils sont parmiles leurs et qu’en conséquence, il n’y a pasde problème. Il existe dans les villes une

Survivre à la fatigue de la participation

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Participe : présent

La partication des usagers

densité qui fait que les contacts humains sontintenses, tout comme les frictions. Mais il estplus facile de dire que l’on va bâtir deslogements sociaux pour les pauvres parcequ’ils sont là, que de bâtir des logementssociaux à Uccle afin de sauver les quartiersmoins favorisés d’une quelconque ghettoïsa-tion. Et donc, on laisse les choses en l’état.(Patrick)

Ces pensées ont été transmises avec le moindreeffort par les projections des vidéos. Regarderces interviews ensemble était devenu un événe-ment alternatif. Des mots qui n’avaient pas étéprononcés depuis trop longtemps bouillaient àla surface. Des hiérarchies invisibles quis’étaient développées à l’occasion de plusieursréunions par le fait que certaines personnes plusque d’autres prirent la parole, cessèrent defonctionner, furent nivelées vers le bas et prirentune forme plus horizontales, dans cette zonecollective impétueuse et non préconçue. Trèsgraduellement, un espace où les gens écoutaientet où tout le monde avait la parole, prit forme.Un groupe fait apparemment d’air pur dont toutle monde avait anticipé la mort par dessèche-ment. Comme le poète du XVIIème siècle le dit :choqués par la violence et les disputes intestinesinfernales.

N’effacez pas vos messages

Lorsque les enregistrements et soirées vidéoscommencèrent à jouer une part active dans leprocessus de préparation des réunions etactivités, la maintenance et la documentationd’anciens matériels devinrent à la fois souvenirset projets. Étroitement connectées à d’autresressources telles que l’implantation d’un siteinternet, ou le journal de quartier qui combinaitles stratégies budgétaires, la libre expressiondes opinions et la liberté des associations, lesarchives se transformèrent en une roue quidoublait de taille jour après jour. Les écoles,les sociologues, les urbanistes, les artistes, touspurent les utiliser. Ces archives furent utiliséesdans la conception de publications et decommuniqués de presse. Une fois que tout estécrit, vous vous rendez compte que vous avezsoudainement produit le contenu d’un journalde quartier. Cette performance orale et écrite

passe à la radio. Une image vidéo sur la nouvelleaffiche. Durant les groupes de travail etprojections publiques, des groupes sontaléatoirement et de façon inattendue, mélangésà d’autres groupes et confrontés avec d’autressujets que le repavement d’un square. Religion !Police ! École ! (Pourquoi est-ce que je visici ?). Voici quelques sujets qui sont sousl’analyse quotidienne du quartier. Cette liste nonexhaustive d’histoires urbaines est un instru-ment analytique entre des mains collectives.

Un produit culturel critique pour ceux quiveulent regarder à travers les verres.L’anecdote en fait pratiquement partie. Undrame discuté de toute part, examiné et quidonc amène du changement.Plus que tout au monde, je crois que lamémoire a ses droits. Pour me référer àBergson, à la fin de Matière et mémoire :l’esprit emprunte à la matière les perceptionsdont il puise sa nourriture et les rend sousforme de mouvement dans lequel est gravéesa liberté. (JLG)

Acupuncture psycho-géographique

Dériver avec une caméra. Influencer, détournerou interférer à l’aide de flux énergétiques dansun lieu particulier par l’application précise dela caméra.L’acupuncture psycho-géographique est un outilimportant que nous avons développé au sein denotre stratégie active. Explorer une zone,explorer doucement à l’aide de la caméra pourtrouver les points critiques de sensibilité. Laisserl’objectif et le « focus » dicter la position dechacun dans la pièce ; appuyé contre un mur,allongé sur le sol, être statique et occuper uneplace dans une zone de fluides.La caméra n’est pas seulement un senseurd’exploration mais est également un instrumentde changement. Concentrer l’attention d’unpassant sur un détail minuscule, qui dérangemomentanément une activité quotidienne, et quipeut-être scarifie une après-image sur leurmémoire de ce jour ou de cet endroit. Lecaméraman doit être à la fois sensible et réceptifaux approches du public à partir du moment oùla caméra les attirera.

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Diagnostic : une caméra est un excellent« détecteur » de pouvoir. Une utilisationjudicieuse de la caméra tirera de cette énergiela puissance d’un endroit particulier ; « vousne pouvez pas filmer ici ». « Vous avez besoind’une autorisation, etc. ». Sans l’aide d’unecaméra qui pique la surface, vous pourriezpasser au travers d’une zone toute votre vie enétant heureusement inconscient de la manièredont elle est infectée par le pouvoir et lalégislation.Prescription : nous recommandons un dosagerégulier de caméra dérive comme moyen deprévention à la complaisance, l’ennui et ladébilitation. L’acupuncture psycho-géographi-que fonctionne le mieux dans un environnementsec et illuminé de façon dramatique mais peutet devrait être administré sous maintes condi-tions. Il n’est pas possible de faire une overdose.Néanmoins, le non initié, lors de son premiervoyage devrait idéalement être accompagnéd’un adulte irresponsable.Effet secondaire : « Moment Magique » de lavidéo.Précaution : ne pas mélanger avec de l’alcool.

Le grand Swindle de laparticipation

En pratique, toutes les politiques européennessont interprétées au travers d’une hiérarchie defiltres, de gouvernements nationaux etrégionaux et d’administrations locales desvilles. Pour arriver à ce que ces politiques soientinsérées au sein de structures constitutionnelleslocales existantes, un degré de domesticationest toléré. Cette domestication de politiqueurbaine européenne, obscurcit la force conduc-trice réelle nichée derrière ce qui apparaîtsouvent sur le terrain être localement inspiré,des éruptions spontanées d’illuminations.Les politiciens sont réticents à détruire cettemauvaise conception, car non seulement ilexiste une gloire réfléchie qui peut être gagnéemais il faut aussi révéler la véritable source deleur intérêt récemment trouvé dans des notionsde participation qui révéleraient égalementqu’une participation sensée est une conditionpour l’obtention de leurs budgets. Enconséquence, les gens en Angleterre croient quele Nouvel accord pour les Communautés est une

initiative du Parti travailliste, les gens àBruxelles croient que le contrat de quartier estune initiative gouvernementale locale, qu’àFlorence le contratte di quartiere est uneinitiative du Parti socialiste régional. Cetteignorance ne fait que faciliter l’abus de la notionde participation.Les hommes politiques comprennent bien qu’ily a et la lettre et l’esprit de tout contrat, maisque la chose la plus importante est d’obtenirles fonds. Il n’est pas difficile d’apposer untimbre cynique sur la notion de participation,une personne peut participer en tant que« consultant » à une série de pseudo problèmespré-déterminés tels que le style de l’éclairagepublic. L’on peut participer par sa présence, àune « journée portes ouvertes » afin de s’ébahirgormlessly face à la maquette impressionnantedes tours du « fait accompli » proposé. Ou l’onpeut participer en étant l’une des deuxpersonnes ayant choisi l’option du conseil dereprésentation des habitants où l’on est en sousnombre par rapport aux hommes politiques,intérêts des sociétés, représentants de la police,et fonctionnaires gouvernementaux. Incapablede produire une quelconque influence réelle,votre présence ne sert qu’à avaliser et à investirun semblant de démocratie dans des décisionsqui auraient de toute façon été prises maisderrière des portes encore plus fermées end’autres temps.Nous voyons que notre travail vidéo sertd’antidote à ce cynisme, relève les attentes, afinde faire briller sa lumière sur le contexteeuropéen de politique urbaine, afin de seconcentrer sur la notion de citoyenneté et desdroits politiques.Les politiciens, obsédés par leur image, adorentla caméra. Une caméra qui est… dans une pairede mains sûre. Pour un homme politique, lavidéo se prononce relations publiques. Aumieux, la caméra est un outil utile mais sansdanger, servant à la compilation de « preuves »de leurs efforts « d’impliquer » le public dansle grand manège de la participation. Il existenéanmoins un mouvement prometteur qui val’encontre de cette tendance.

Survivre à la fatigue de la participation

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Participe : présent

La partication des usagers

Aarhus is a very very very fine house

Convention des Nations-Unies :

Reconnaissant en outre le rôle important que les citoyens, lesorganisations non-gouvernementales et le secteur privé peuvent jouerdans le domaine de la protection de l’environnement,Reconnaissant également que chacun a le droit de vivre dans unenvironnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir,tant individuellement qu’en association avec d’autres, de protéger etd’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes etfutures,Considérant qu’afin d’être en mesurede faire valoir ce droit et des’acquitter de ce devoir, les citoyensdoivent avoir accès à l’information,être habili tés à par ticiper auprocessus décisionnel et avoir accèsà la justice en matièred’environnement, étant entendu qu’ilspeuvent avoir besoin d’une assistancepour exercer leurs droits,Reconnaissant que, dans le domainede l’environnement, un meilleur accèsà l’information et la participationaccrue du public au processusdécisionnel permettent de prendre demeil leures décisions et de lesappliquer plus ef ficacement,contribuent à sensibiliser le public auxproblèmes environnementaux, luidonnent possibilité d’exprimer sespréoccupations et aident les autoritéspubliques à tenir dûment compte decelles-ci,Cherchant par-là à favoriser le respect du principe de l’obligationredditionnelle et la transparence du processus décisionnel et à assurerun appui accru du public aux décisions prises dans le domaine del’environnement.

Source : The Aarhus Convention. An Implementation Guide, 1998,www. unece.org/env/pp/

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Une ville nouvelle, avec des habitants quichoisissent de s’y implanter pour y vivre unevie nouvelle et pour participer à l’élaborationde leur cadre de vie. Mais la ville a aussi étéconstruite pour alléger Paris de sa populationla moins favorisée. Si Évry était habité au débutpar la catégorie moyenne, du petit employé aucadre moyen, il était inéluctable qu’avec ses85% de logements sociaux, la crise économiqueet la montée du chômage, la ville accueille unepopulation de plus en plus précarisée, avec sonlot de problèmes sociaux. La ville, et donc lecentre de santé, ont connu des visages trèsdifférents depuis son ouverture, et laparticipation des usagers ne se présente plus dela même manière.Au début de la ville, dans les années 70 - 80,les habitants étaient dans une dynamiqueassociative, d’accueil et de militantisme pourpromouvoir une autre manière de vivre etd’autres relations entre habitants. Ils ontparticipé aux choix des équipements sociaux,culturels et sportifs de leur quartier.

Les habitants du premier quartier de la villenouvelle d’Évry, celui des Pyramides, firent lademande d’un centre de santé, pour y dévelop-per une médecine alternative, avec des relationsau médecin différentes. Une association « ÉvrySanté », comprenant des habitants, des élus et

des professionnels de la santé, est créée, dansle but de promouvoir et gérer les futurséquipements de santé de la ville. Le projet initialprévoyait un centre de santé par quartier, ens’appuyant sur le concept de centre de santééclaté, avec des missions de soins et deprévention, selon le modèle des Centres locauxde santé communautaire québécois.En janvier 1980, un médecin, choisi par leshabitants d’Évry, et soutenu par les élus de laville, s’installe en libéral dans le quartier desÉpinettes, en vue de créer un centre de santé.Rapidement il s’associe à un autre médecin etprend comme secrétaire une habitante duquartier, qui est en même temps la secrétaire del’association Évry Santé. Un groupe d’usagersse forme rapidement ; des réunions informellesse tiennent régulièrement pour échanger sur desthèmes de santé (les médicaments à avoir chezsoi ; que faire en cas de fièvre d’un nourrisson ?,etc.). Ce groupe, constitué d’usagers et deprofessionnels de la santé, a préparé l’ouverturedu centre de santé, en y travaillant sesspécificités.

Les spécificités du centre desanté

● Un centre de santé à taille humaine,intégré au quartier

Placé au centre du quartier et des problèmessociaux ; quinze personnes y travaillent, lagrande majorité à plein temps, habitant la villeou les alentours et donc très concernées etinformées par tout ce qui se passe dans lequartier et dans la ville ; la petite taille, voisined’un groupe médical en libéral, permet desrapports plus personnalisés et moinsadministratifs que dans les grandes structures.Cette taille n’est pas sans difficultés car, si cecentre est adapté à la taille du quartier, il est,contrairement au projet initial, le seul dans laville, et il est difficile de refuser les habitantsdes autres quartiers, ceci provoquant unengorgement des consultations toujours difficileà gérer.

Le centre de santé des Épinettes et laparticipation des usagers

Philippe Lefèvre,médecin,responsable ducentre desépinettes, Évry.

Une ville nouvelle non loin de Paris.Un centre de santé y naît, se dévelop-pant en interaction avec son milieu etses habitants.

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Mots clés :participation,médecinegénérale

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Participe : présent

La partication des usagers

● Un accueil spécifique

L’écoute et la reconnaissance des problèmesadministratifs, sociaux, culturels et psycho-logiques facilitent l’accès aux soins et leur suivi.Cet accueil social, autant qu’administratif,permet l’amorce des démarches administra-tives, en sollicitant le réseau social tissé sur laville, et s’assure de leur suivi. La permanenceet la stabilité des accueillants, qui favorisent laconfiance, leur implication importante ainsi queleur participation aux réunions hebdomadairesde l’équipe, en font de véritables relais entreusagers et professionnels techniciens, et desmembres à part entière de l’équipe soignante.

● Une médecine de famille accessible à tous

Par le tiers-payant généralisé et par un accueilsimple et chaleureux. Participent aussi à lafacilitation de l’accès aux soins : le regroupe-ment des soins médicaux, infirmiers, kinési-thérapeutiques et dentaires, la dimensionvolontairement réduite de l’équipement, lecentrage sur la médecine générale et les soinsprimaires ; la ville étant suffisamment couverteen spécialistes (il existe deux cliniques privéeset un hôpital intercommunal qui a ouvert enmême temps que le centre), le choix a été faitde ne pas y mettre de spécialistes mais quatremédecins généralistes avec des orientationsrépondant aux besoins de la population : une

femme avec une orientationgynécologique pour faci-liter, en particulier, le suivigynécologique des femmesmusulmanes, une autreformée spécifiquement àl’accueil des personnes enprécarité, un médecin avecune orientation psychoso-matique et psychothérapeu-tique, et un médecin avecune formation spécifiquesur le SIDA et ayant desvacations à l’hôpital, faci-litant le travail en réseauville – hôpital. Les méde-cins généralistes sont les

référents naturels de la famille, les seuls àpouvoir assurer le suivi de leur santé.

● Une gestion tripartite

Avec un comité de gestion composé d’usagers,de professionnels et d’élus de la ville (quifinance le centre, au-delà des actes rembourséspar la sécurité sociale).Les habitants ont ainsi participé aux choix desprofessionnels du centre, ont été impliquésd’emblée dans les orientations du centre, lestemps de consultation, l’accueil, avec enparticulier un panneau d’affichage qui leur estréservé. Les actions de prévention sont décidéesensemble, les propositions venant des uns oudes autres.

● Une coordination tournante assurée parles membres de l’équipe

Pour favoriser l’implication de tous et éviterles pesanteurs hiérarchiques. Le coordinateurest élu pour un à trois ans, tout en continuant sapratique professionnelle. Cela évite de mettreun obstacle administratif entre usagers etprofessionnels mais c’est une charge assezlourde pour le professionnel qui assure cettecoordination (les problèmes internes, le lienavec les services de la mairie et les relationsextérieures, etc.), même si certainesresponsabilités peuvent être réparties au sein

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de l’équipe ; mais ce fonctionnement autogéréest difficile à intégrer dans un fonctionnementmunicipal.

● Un centre de santé et pas seulement desoins

Tous les professionnels ont un temps de préven-tion dans leur temps de travail, avec quatreheures par semaine consacrées à la prévention.Parmi les actions régulières du centre : les réu-nions avec les usagers permettent d’échangerles points de vue sur la santé du quartier ; lesgroupes de gymnastique douce offrent une autrereprésentation du corps et la possibilitéd’expérimenter d’autres attitudes et une autrevision de son corps ; les groupes de parolespermettent d’expérimenter une autre forme decommunication, plus authentique, où chacunpeut s’exprimer et être écouté sans jugementde valeur, et où les différences sont reconnueset valorisées ; un bulletin, pour informer etsensibiliser, est fait avec des usagers afin queles thèmes et la façon de les aborder et de lesprésenter soient adaptés à la population ; uneprévention bucco-dentaire est faite dans lesécoles pour informer, sensibiliser et dépister lescaries (des usagers ont participé au spectaclede marionnettes).

Une expériences d’action desanté communautaire

Dès l’ouverture du centre, en 1981, des réunionsd’informations sur des thèmes de santé ont étéorganisées à partir des demandes faites sur unpanneau d’affichage réservé aux usagers. Lesthèmes étaient listés et les usagers cochaientd’une croix les thèmes qui les intéressaient. Lesthèmes étaient généralement d’ordre technique(les vaccins, la fièvre chez le bébé, etc.) et traitéspar les professionnels du centre. Au bas de laliste, un thème rajouté par un usager, avait renduperplexes les professionnels : « Comment gérerl’angoisse dans la vie quotidienne ? ». Pendantde longs mois, nous avons laissé ce thème decôté, ne sachant pas comment le traiter. Devantl’accumulation de croix, nous nous sommesdécidés à l’aborder, en le préparant avec desusagers : deux usagers, une secrétaire et unmédecin ont pendant trois à quatre réunions

échangé sur leurs angoisses et leur façon de lesgérer ; ces échanges nous ayant paru trèsintéressants, nous avons décidé de proposer cetype d’échanges, sans l’apport spécifique d’unintervenant. Une réunion eut lieu, en février1984, regroupant une quarantaine de personnes,qui, à notre surprise, se sont rapidement impli-quées. Une dizaine de personnes ont souhaitépoursuivre ces échanges et se sont réunies unefois par mois, à la maison de quartier au début,puis chez les uns et les autres pour apporter uneambiance plus chaleureuse. Un médecin del’équipe (généraliste et psychothérapeute)animait ce groupe, pour faciliter la parole,veiller à ce que chacun puisse parler et qu’iln’y ait pas de jugement de valeur ni de conseils(plus souvent inadaptés qu’aidant).

Ces groupes se multipliant chaque année, lemédecin ne pouvait plus répondre aux besoinset il a fallu réfléchir à une stratégie de dévelop-pement. Des participants à ces groupes, dits decommunication, enthousiasmés par la qualitéde communication qu’ils découvraient, ont euenvie de s’investir davantage et ont demandéde se former pour animer ces groupes etpermettre leur développement, la gratuité étantun principe important, distinguant ces groupesde certaines thérapies de groupe. Une formationa été mise en place, entre 1988 et 1990 (environdeux cents heures réparties sur trois ans, gratuitepour les participants, qui s’engageaient morale-ment à animer gratuitement la formation a étéfinancée par la Direction régionale des affairessanitaires et sociales, DRASS). Dix ans plustard, sur les huit animateurs, six continuaientd’animer bénévolement, un anime profession-nellement et le dernier a mis à profit sescompétences d’écoute et d’animation dans soncadre professionnel. Les groupes se rencontrentune à deux fois par an pour échanger sur ce quecela leur a apporté et pour faire la fête (c’est unélément important dans la santé commu-nautaire).

Le développement de ces groupes de parolesnous a amenés ensuite à créer, avec d’autresassociations, un lieu d’écoute et de paroles surla ville.Le fait que les professionnels aient été démunisface à la demande des usagers a permis d’élabo-rer quelque chose d’original avec les usagers ;c’est en acceptant de ne pas tout maîtriser que

Le centre de santé des Épinettes et la participation des usagers

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Participe : présent

La partication des usagers

les professionnels ont permis aux usagers dedévelopper leur créativité : c’est le conceptd’impuissance créatrice.

Évolution de la place du centrede santé

Quand la population s’est appauvrie, le besoind’assistance s’est largement accru ainsi que lanécessité de travailler en réseaux avec le secteursocial. L’intégration au secteur Développementsocial et santé de la municipalité a permis unemeilleure coordination des actions vis-à-vis desfamilles les plus en difficultés.Le centre de santé a été moteur dans la créationet le développement des réseaux de soins :réseaux toxicomanie, SIDA, ville-hôpital,réseau d’accès aux soins, réseau de santé deproximité, avec des actions de préventionmenées sous forme de projet partenarial, avecdes financements multiples.Il a aussi été moteur dans la création, en 1995,d’une coordination santé, avec l’embauche d’unmédecin coordinateur santé sur la ville,permettant la mise en place d’un comitétechnique santé, constitué d’une quinzaine depersonnes, enracinées dans la ville, profes-sionnels du social ou de la santé, avec pourmission de repérer les problèmes de santé, d’endégager des priorités et de proposer des actions.Trois thèmes avaient été retenus, faisant l’objetde commissions : l’accès aux soins, débouchantsur la création d’un réseau d’accès aux soinspour les plus démunis ; l’alcool avec la créationd’un Centre de cure ambulatoire en alcoologiesur la ville ; et la santé mentale. Ce dernierthème a été l’occasion d’un cycle de rencontresinterprofessionnelles sur le mal être (l’échecscolaire, le mal être des adolescents et lasouffrance sociale), permettant à cent cinquanteacteurs de la santé, du social et de l’éducatif dese rencontrer, de mieux reconnaître les pratiqueset les difficultés de chacun.C’est plus l’affaire de professionnels que decitoyens, même s’ils ne sont pas oubliés maisc’est actuellement la demande de ces profes-sionnels d’apprendre à mieux se reconnaître età envisager de travailler plus ensemble. C’estdéjà un pas vers le décloisonnement, et despossibilités d’évaluation et de coordination desactions de santé.

Cette coordination santé a été fermée par lamairie en 2001 pour des raisons politiques, lasanté ne faisant pas partie des priorités de lanouvelle équipe municipale.La santé s’est recentrée sur le centre de santéqui fonctionne aujourd’hui davantage sousforme de projets avec des financements extra-municipaux, reliés aux priorités de santémunicipales, régionales et nationales :

• un projet de réseau périnatalité d’accom-pagnement des jeunes mères ;

• un projet d’école du dos, avec une formationdans les services de la mairie et uneévaluation des conditions de travail amenantà des modifications de ces conditions ;

• un projet de réseau local de santé mentalepour améliorer l’accès aux soins mentaux,l’orientation et l’accompagnement vers lesstructures adaptées, et les urgences psychia-triques (création d’une cellule d’alerte,regroupant psychiatres, intervenants médi-caux et sociaux et la police) ;

• un projet de prévention bucco-dentaire avecun dépistage dans toutes les écoles d’Évry ;

• un projet de soins, qui représente encore lagrande part de l’activité du centre, pour lequelune nouvelle convention avec les Caissesd’assurance maladie a permis de fairereconnaître et valoriser une qualité des soins.Cette convention comprend une option aveccoordination et continuité des soins, associésà une prévention et un dépistage des maladies.Cette option est contractuelle avec les usagersy adhérant qui s’engagent auprès d’unmédecin coordinateur de leurs soins.

Évolution de la place desusagers

Le profil sociologique, économique et culturelde la population d’Évry, et en particulier celleutilisant le centre de santé, s’est beaucoupmodifié, ainsi que les relations entre profession-nels et usagers. A l’ouverture du centre, lesusagers étaient moteurs dans cette relation,demandeurs de savoirs et de prise en charge deleur santé ; les professionnels tentaient derépondre à leurs attentes.Les usagers d’aujourd’hui sont plus demandeursd’aide en santé, comme demandeurs d’aide

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Le centre de santé des Épinettes et la participation des usagers

sociale. Et il n’est pas facile pour les médecinsde se situer ; ils ont à éviter deux pièges : celuide la toute-puissance qui a réponse à tout, peutmême intervenir dans le champ social, et fairetoujours plus pour leur patient, et celui del’impuissance qui ne peut plus rien pour lemalade, rejetant les problèmes sociaux etrenvoyant les personnes vers les servicessociaux concernés. Il me paraît aussi importantde faire « avec » et non « pour » les personnesen difficultés, car faire pour elles est unemanière d’accroître leur dépendance et leursentiment d’impuissance. C’est en s’appuyantsur leurs ressources, parfois inconnues d’elles,que l’on peut réellement les aider à quitter leurplace d’assistées pour devenir actrices de leurvie : c’est le concept « d’empowerment »s’appuyant sur la capacité de résilience.

La place de l’association des usagers abeaucoup changé puisque au démarrage, elle aparticipé à la création de la structure, à ladéfinition de ses objectifs, à la conception et àla réalisation de projets de prévention et mêmeau recrutement des professionnels.L’intégration du centre de santé dans la structuremunicipale, avec un fonctionnementadministratif rigide et pesant a progressivementdiminué la place et la créativité des usagers.Les membres de l’association ne représentaientplus les usagers du centre, beaucoup venant« d’ailleurs ».Les usagers et les professionnels ont continuéde se réunir régulièrement pour analyser lapertinence de la place de l’association d’usagersau niveau du centre, pour continuer d’améliorerson fonctionnement, au niveau du quartier, pouraccroître la proximité avec la populationactuelle et donner plus de place à la santé, ouau niveau de la ville et pour tisser un réseauplus large et plus opérationnel d’acteurs de lasanté.

La nouvelle convention signée en 2003 avecles Caisses d’assurance maladie, avec sesoptions contractuelles, a engendré des actesd’adhésion des usagers à cette pratique ducentre de santé (cinq cents en quelques mois),ce qui a permis de remobiliser les usagers etl’association, autour de la question desurgences.

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Participe : présent

La partication des usagers

La scène se passe dans une Ville-Santé deBelgique

Les nouveaux destinataires des projets depromotion de la santé ne sont plus ce qu’ilsétaient. Ils auraient, dit-on, assez d’énergie pourfaire dévier le cours d’élaboration d’un projet.Ils seraient pourvus d’une telle volonté qu’ilspourraient en stopper net la trajectoire. Ilsseraient tellement consistants que le projetviendrait simplement se mouler sur eux. Ilsseraient tellement puissants qu’ils endeviendraient presque partenaires. Admiration.Les voilà dotés de capacités quasi surnaturellesou du moins assez inhabituelles. De quoiaiguiser nos instincts de sociologue-chasseur departicipation. C’est en nous levant très tôt, enles attendant dès l’aube d’un projet auquel nousa conduit notre filature ethnographique, quenous pensons pouvoir surprendre ces fameuxdestinataires. Mais que les pressés s’abstien-nent ! L’affût risque d’être long.

(Début de la réunion. A, l’animatrice, relit leprocès verbal de la réunion précédente auxautres promoteurs de santé, tous issusd’institutions différentes)

A : On va passer en revue les aspects tech-niques de la rencontre qu’on veut organiseravec les intervenants en milieu scolaire. Aquoi servirait ce lieu ? Comment présenter

ce lieu aux enseignants et aux directeurs ?On a dit qu’il s’agirait d’une séance d’infor-mation, d’un outil de communication etd’échange d’expériences, tout en gardant àl’esprit que ce serait plus un lieu de ressour-cement pour les profs. Mais l’informationserait donnée par qui ?D : Par des personnes compétentes. Il fautprévoir des thèmes : alimentation, tabac,...mais laisser le énième atelier aux acteurs quiseraient libres d’en choisir le thème. Mais ilfaudrait peut-être s’assurer que pour lesacteurs, c’est important qu’il y ait un climatd’échange dans les écoles. Il faudrait savoirsi ce que nous avons pensé, conçu, est perti-nent pour eux ?A : Non. Pour les attirer, pour qu’ils viennent,on doit faire une sorte de promotion. Maisleur participation, approbation est très atten-due. Normalement, ils devraient approuver.

Quelle chance ! Cinq minutes de réunion et déjànous saisissons les destinataires de ce projet :« les profs ». Qui a dit qu’il fallait s’armer depatience ? En guise d’équipement, un bonprocès verbal aura suffi : les destinatairesavaient déjà été repérés par les élaborateurs lorsde leur réunion précédente. Une relecture, justehistoire de se rappeler à qui on destine ce projet,et l’affaire est dans le sac. Les élaborateurs vontencore régler quelques détails techniques, faireune bonne « promotion » de ce produit et lesdestinataires « devraient approuver ». Lu etapprouvé écriront-ils au bas du script de ceprojet. C’est comme si c’était déjà fait.

Enfin « normalement »… Si tout ce qui a étéprévu jusqu’à présent se réalise. Un doutesubsiste quand-même. L’usage du conditionnelen témoigne : « ce serait plus un lieu deressourcement pour les profs ». A peine aperçus,ceux-ci s’évanouissent dans la nature. A leurplace, on voit apparaître « les acteurs », ous’agit-il plutôt de consommateurs qu’on doitencore attirer par d’alléchantes « promotions » ?Mais qui sont « ils » donc ? Nous aurions prispour la proie ce qui n’était qu’une ombre ? Iln’y a qu’un moyen de le savoir : suivre le projetqui repart.

A : J’aimerais revenir sur tes mots : « climatpropice à l’échange »… Qu’est-ce que c’est ?D : Ce serait un échange non-directif, sansobligation d’expression selon les termes de

Partie de chasseJulien Piérart,

sociologue.Quand un projet de promotion de lasanté à l’allure « clés sur porte »s’embourbe dans la détermination deson public « cible », trébuche sur ladéfinition de ses objectifs et capote sursa méthodologie... Un regard caustiqueà considérer comme un catalogue depièges à éviter.

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Mots clés :participation,

promotionde la santé

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santé publique. Mais il y a des problèmes derivalité entre les écoles. Si ça se passe pen-dant les rencontres, qu’est-ce qu’on fait ? Ceserait quand-même malheureux que le lieune corresponde pas à ce qu’on voudrait qu’ilsoit.G : On aura les fidèles et ceux qui viennentponctuellement.D : On peut fidéliser certaines personnesmais il faut accepter que d’autres viennentmoins souvent.A : Dans ta vision des choses (D), tu souhaitesque ce soit un lieu de partage d’expériences.D : Oui.G : Si on définit des caractéristiques audépart, on va veiller à ce qu’il évolue danscette direction.A : On est propriétaire d’une idée qu’onessaye de mettre sur pieds. Question : dansun an ou deux, nous on n’est plus propriétaireet les acteurs impulsent leur propre dynami-que ? Oui ou non ?D : Il faut un animateur extérieur qui dirigecela.A : Ou on impulse une dynamique pendanthuit ans ?(D et G choisissent la première proposition)A : Il faut alors travailler le processusd’appropriation du projet par les acteurs.C’est l’auto-gestion. On change d’approche.D : Mais si tu gardes un animateur exté-rieur ? Qu’en est-il de l’auto-gestion ?A : Ah oui, ça c’est le problème, c’est nousqui avons pensé le projet...D : On pourrait dire que c’est l’un de nousqui s’en occupe pendant cinq ans, qui gère,qui anime. Mais qui a le temps ?(Résistance floue par rapport aux propos deA qui doit expliquer trois fois la pratiqued’autogestion. Finalement le groupe dit ouià l’autogestion)A : Alors, il faut qu’on travaille autrement.D : Alors on ne doit plus réfléchir à cela.A : Oui, il faut y penser entre nous. Commenton va les aborder, sur quoi, avec quelleméthode d’approche ?

Ah ! Voilà que reviennent « les acteurs ». Ilssemblent en pleine forme, tout bondissant, toutfrémissant. L’animatrice les pense mêmecapables « d’impulser leur propre dynamique ».Si c’est le cas, attention !, il ne faudrait pas leseffaroucher. Il vaudrait mieux changer de

technique « d’approche ». Le projet en subira-t-il les conséquences ? L’approche sera-t-elleréellement différente du fait que ses destina-taires ont été aperçus sous un jour nouveau ?Le rapport entre élaborateurs et destinataires ensera-t-il modifié ? Vive l’autogestion ? L’idéeest tentante. A première vue, les élaborateursse déclarent prêts à céder la propriété du projetaux destinataires en même temps qu’ils sedélestent d’un peu de leur charge de travail.Mais la situation devient vite très difficile àimaginer. Même pour l’animatrice qui a amenéces mots nouveaux à la réunion et qui endécouvre en même temps la cruelle, la fatalecontradiction : « problème, c’est nous qui avonspensé le projet ». L’auto-gestion est-elle mortedans l’œuf ? En tous cas, les élaborateursdécident de poursuivre leurs réflexions à ce sujetdans l’ « entre nous ».

A : Il faut pouvoir jouer sur les deux tableauxgrâce à l’animation. Il faut mettre des guide-lines pour éviter de tomber dans des discus-sions techniques, la rediscussion du projetpar le groupe, et laisser la parole aux gens.

Entre eux et nous, la frontière est maintenanttracée explicitement, effaçant les brefs instantsde gloire de l’autogestion. Peut-on encoreimaginer cette « appropriation » possible si deslimites, des « guidelines », sont fixées pour qu’iln’y ait aucune rediscussion « technique » duprojet par le groupe ? Ces re-discussions sont-elles si techniques que cela, même si pourempêcher qu’elles se produisent, c’est bien à latechnique (d’animation) que l’on aura recours ?De l’auto-gestion à la possibilité d’expression,le projet quitte les mains des acteurs pourfinalement « laisser la parole aux gens », cefidèle public.

A : Le but est de fidéliser le public.G : C’est quelque chose qu’on ne peut pascontrôler.D : Est-ce intéressant de fidéliser un public ?A : Dans un autre projet sur le tabac, on aseulement su fidéliser les dames de l’Officede la naissance et de l’enfance (ONE).(silence)

Mais non, il n’est pas fidèle ce public ! Il fautencore le « fidéliser ». C’est ça l’objectif, c’estça le but. Mais c’est impossible s’écrie-t-onparmi les élaborateurs, « c’est quelque chose

Partie de chasse

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Participe : présent

La partication des usagers

qu’on ne peut pas contrôler » ! Ah la belleentourloupe, le bel échappatoire. Ces destina-taires quand-même ! Ils ne sont même pasnommés que voilà déjà qu’ils se défilent. Leurfuite va-t-elle saisir d’effroi ceux qui patiem-ment élaborent un projet qui leur est destiné ?Non. Une fois de plus, ils s’en feront une raison.Rappelons-nous : « on peut fidéliser certainespersonnes mais il faut accepter que d’autresviennent moins souvent ». Et ils accorderontbien moins d’importance à cet objectif qui aprèstout n’est peut-être pas si « intéressant » à leursyeux.

A : Se pose maintenant la question du groupe-cible : l’Inspection médicale scolaire (IMS),centres psycho-médico-sociaux (PMS),enseignant, directeurs, éducateurs,...primaires et secondaires mélangés ?(silence)A : Il faut redéfinir l’objectif : qu’est-ce qu’onattend d’eux ?(le débat s’anime)

Mais qui est-il donc ce « public » ? Une cible.Pas une cible vivante, seulement un groupe-cible, rassurons-nous ! Au départ, l’animatriceles a présentés comme des « intervenants enmilieu scolaire », puis ils sont devenus« enseignants et directeurs », « acteurs »,« public » fidèle et infidèle. Quand vient lemoment de se poser plus précisément laquestion de leur identité, les élaborateurs leurajoutent le PMS, l’IMS et les éducateurs. Maisquand il s’agit de savoir de quels niveauxd’enseignement ils proviennent (primaire ou/et secondaire ?), l’animatrice plante sonaiguillon dans cette assoupissante élaborationet décide pour pouvoir répondre à cettequestion, qu’il est grand temps de mieuxpréciser l’objectif du projet : « qu’est-ce qu’onattend d’eux ? ».

M : Les amener à construire une école quirépond à trois critères à définir.D : Un lieu de réflexion, de partage…M : Ne faudrait-il pas savoir ce qu’est poureux la promotion de la santé ?G : Ca pourrait nous guider dans le projetpour les infidèles.D : … Offrir un appui moral - relations entrecollègues -, technique - quelle sorte d’ali-ments - au sein du groupe, un accompagne-ment, une remotivation. L’effet recherché

étant le changement.A : Il faut garder ces deux dimensions : moralet technique. C’est important. Ca nous permetd’éviter de tomber dans le groupe théra-peutique - sans négliger la santé mentale - etd’éviter le groupe technique seulement.Comment définir le nom du groupe ? Il fautque ça attire les gens.(Trois propositions fusent) : « groupetechnique et humain », « appui personnel,opérationnel et d’accompagnement dans ladémarche de réflexion », « groupe de soutienpersonnel ».(Le groupe choisit la dernière)A : Concrètement, on a un groupe, qu’est-cequ’on fait avec eux ? Et comment attirer lesgens ?G : Il faut établir le programme.A : On fait une plaquette de présentation.G : Une plaquette de promotion.A : On y dit comment on en est arrivé là ?D : On établit des règles - ce qu’est ce lieu,ce qu’il n’est pas, on doit discuter de thèmesrestant dans le cadre professionnel, pas decritique du voisin, confidentialité, ce qui vaêtre discuté leur appartient.M : De quoi ils vont avoir envie de discuter ?A : L’objectif est de les amener à s’approprierla promotion de la santé pour qu’ils repro-duisent ça dans leur propre milieu de vie. Lapremière séance serait une séance d’infor-mation où on présenterait la plaquette. Et onchoisirait une date en fonction de la premièreséance. Les acteurs décident eux-mêmes.G : Les inscriptions seront gratuites ? Est-ce que cela attire plus ou moins les gens ?D : On le fait à la maison communale ? Il y aune salle de prestige mais avec étiquette. Detoute façon il ne faut pas que ça se passe dansune institution parce que sinon…A : On choisit un lieu neutre avec une bonneacoustique, convivialité et gratuité. Parexemple dans les bâtiments du parc, c’estverdoyant, les gens viendront plus facilement.G : Pour la fréquence des réunions ?D : Il faut laisser le choix aux acteurs.A : Mais est-ce qu’on ne doit pas prévoir unminimum de structure pour que quelque chosesorte du processus ? La coquille doit être plusou moins prévue d’avance.G : Oui parce que on n’est pas crédibles, entant que promoteur, de l’interroger commeça devant…

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Les élaborateurs s’agitent, tout va plus vite, leprojet s’emballe, on lui trouve un nom, on parle« concrètement ». On s’applique, on imagine sa« plaquette de promotion », on établit des règlesde discussion, on lui trouve une salle - dont onparle de l’acoustique, de l’importance de laverdure et du prix des tickets d’entrée - et dansla foulée on lui précise même un objectif : ilfaut que ce projet « les amène à s’approprier lapromotion de la santé pour pouvoir reproduireça dans leur propre milieu de vie ». Mais on nesait toujours pas de qui on parle. Jusqu’à ladéfinition de l’agenda du projet, il s’agirad’« eux », « les infidèles », « des collègues »,« un groupe », « les gens », « les acteurs ». Ons’est imaginé un moment, lorsqu’on parlait« concrètement », « avoir un groupe ». Mais ilnous faudra bien constater en cette fin depremière réunion, qu’on a toujours pas les motspour le décrire. La galopade du projet s’achèvedans le silence final de la dernière phrase. Lesdestinataires semblent suspendus dans le vide,ou plutôt sagement rangés comme ces troispoints de suspension à la fin du projet. Si petitset si peu embarrassants.

Un mois plus tard

Un mois plus tard, on repart à l’affût. Réveillonsvite tous nos sens car le public-cible est proche.C’est le même projet mais on notera parmi lesélaborateurs, une nouvelle venue (O). A peinecommence-t-on à les regarder s’affairer que, çay est !, ils ont déjà trouvé la salle. Plus questionde tergiverser comme ils l’ont fait précédem-ment sur la couleur de son étiquette. La questionest vite tranchée, d’autorité, par l’animatrice :« c’est un lieu public ! ». Survient alors ce criangoissé tel celui du geai posté à l’orée du boispour annoncer l’arrivée imminente d’un visiteurimprévu : [aki] ! « A qui envoie-t-on les invita-tions ? » Enfin les voilà, ces destinataires tantattendus.

A : Les tables font du bruit, il y a du bruitdans la rue et c’est moi qui cause tout letemps. Le procès verbal de la réunionprécédente ne doit pas être rediscuté ? Bon,on se met au point sur la présentation. Pourl’endroit : maison communale, hôtel,bâtiments du parc ?

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Participe : présent

La partication des usagers

D : A propos de la maison communale ? Est-ce que ça ne posera pas de problèmes pourles autres réseaux ?A : C’est un lieu public !D : A qui envoie-t-on les invitations ? Auxdirecteurs, aux femmes de ménage ?G : L’école c’est tout le monde !D : Maternel, primaire, secondaire ?A : Prenons par exemple un thème bateaucomme l’hygiène à l’école. Tous les niveauxseront intéressés par un thème comme l’hy-giène à l’école. Mais ça relance la questiondu qui ? Quelles fonctions ?O : Et les PMS ? Ceux qui gravitent autourde l’école ?D : Ou on pourrait les avoir comme parte-naires.O : De toutes façons on a les parents, lesélèves et les directeurs.A : Ah oui les parents…D : On invite les directeurs qui auront unevision plus globale de leur école ou lesinstituteurs ?(silence)A : Il faut redéfinir l’objectif du projet car ily a un problème quant au choix du public-cible.

Caramba ! Même pas le temps de pester sur cemauvais coup de fusil qu’il faut déjà nousapprêter à galoper derrière le projet. Le mêmeaiguillon que la fois passée, celui de laredéfinition de l’objectif, vient d’être planté parl’animatrice. Et elle sort maintenant toute lagrosse artillerie de l’animation : le beau, lemagnifique, le superbe… tableau blanc. Cettefois, les destinataires ne pourront plus nouséchapper. Qu’il s’agisse de « directeurs » ou de« femmes de ménage », de « parents »,« d’élèves » ou même de satellites qui gravitentautour du « monde » de l’école, peu importepourvu qu’avant la fin de cette deuxièmeréunion, on ait quelque chose à nous mettre sousla dent

D : Il s’agit d’améliorer le bien-être à l’école,en apportant un plus.M : Il s’agit de donner des moyens auxdirecteurs pour faire « une école en santé ».A : De toute façon on est dans des groupes àthèmes. Proposons d’abord les thèmes.M : L’hygiène.(Inscription au tableau de l’organisation duprojet)

1. on part de groupes à thèmes ;2. pour donner des moyens pour faire une

école en santé ;a. documentation ;b. temps de réflexion ;c. étude de cas ;d. (financiers) ;e. personnes ressources ;f. offre de partenariat.

A : Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?M : On peut cibler notre public.D : Pas plus que tantôt.A : Quel est le public ?(silence)

Silence de consternation. Le sociologue-chasseur est à cours d’explication. Il voudraitredevenir cueilleur et partir, comme le disentnos voisins québécois, à la cueillette denouveaux matériaux. Ce n’est pas possible. Ildoit y avoir une erreur dans mes observationspour que tant de gens se soient ainsi évanouisdans la nature… Comment un monde entier,celui de l’école, peut-il disparaître le temps dequelques inscriptions sur un tableau blanc ?Consternation partagée. Les élaborateurs ensont aussi pour leurs frais. Ils se sont perdusdans la traduction. Pardon, nous nous sommesperdus dans la traduction. Il paraît que dans cegenre de situation, il vaut mieux rester groupés.C’est sans doute ce bon vieux principe élémen-taire de sécurité que le petit groupe des élabora-teurs essayera d’appliquer lorsque des tensionsapparaîtront en son sein. Les destinatairesreprésenteraient-ils une menace ? En tous cas,on ne sait pas trop où on va mais on y vamaintenant beaucoup plus prudemment.

O : On pourrait travailler avec des relais-élèves, des délégués de classe.D : Les élèves seront invités aux groupesthématiques si le personnel se dit, après qu’onait fait un bon travail : « tiens, ça concerneaussi les enfants ».O (à demi-voix) : « Cela concerne surtout lesenfants ».O (à voix haute) : Avec les directions d’école,on pourrait leur demander comment euxvoient leur « école en santé ».D : Non, eux il faut qu’ils soient relais.A : Bon, quel public alors ?D : Les enseignants avec les directions, maispas forcément.A et O : Tu n’auras pas les enseignants si les

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directeurs viennent.D : Il faudrait connaître les besoins. Ilfaudrait faire une enquête.A : Tu veux savoir « est-ce que ce lieud’échange répond véritablement à un besoinchez les directeurs ? »D : Oui. On ne les saura jamais qu’en leurdemandant.A : Mais non ! C’est une histoire de marke-ting et rien d’autre !M à A : Mais n’est-ce pas à nous à rendre ceprojet utile, à les intéresser ?A : On essaye de vendre une marchandise.D : Et il faut qu’ils en aient envie. “Ils” c’esttout qui veut.A : Voilà. Comme du coca dont on ne pourraitplus se détacher.(silence)

Il n’y a plus de doute, un projet peut très bienêtre élaboré sans savoir à qui on a affaire, sanssavoir de qui on parle - du moins dans la théoriede gestion de projet ici défendue par l’anima-trice. On peut même ne plus parler d’acteursmais en revenir aux consommateurs. Ceux quisont tant décriés par la promotion de la santé.Ceux qui consomment des soins, qui ne sontpas acteurs de leur santé. Peu importe qui ilssont, peu importe de savoir de quoi ils ont« besoin », il s’agit ici de leur vendre un projetcomme on leur vendrait du « coca-cola ».Personne n’a besoin de cette limonade, on en ajuste envie, c’est tout. Si le « marketing » estréussi, on peut vendre n’importe quoi àn’importe qui.

Silence. Qui a-t-il derrière ce silence ? La paixdes idées, l’opposition retenue ? Le projetn’arrête plus de sombrer dans une mer desilence. Si on ne le renfloue pas, on finira parcroire que l’école n’est vraiment pas l’endroitidéal pour ce genre d’élaboration. Et si ondécrochait simplement de sa façade grise, pleinede mauvais souvenirs qui nous empêchent sûre-ment de penser, ses cinq lettres qui résonnentcomme un blasphème : é-c-o-l-e. Et si on luiaccrochait à la place ces mots tout nouveau :« milieu de vie ». Pourra-t-on éviter au projetde couler corps et biens ? En tous cas, on a déjàdébarqué « les élèves »… enfin c’est pas encoretout à fait sûr.

A : Retournons à la question du public-cible.Qu’est-ce qu’on prend comme acteurs dans

l’école ?M : Il y a les directeurs, les enseignants, lesélèves, le personnel non enseignant, lesassociations de parents, les IMS/PMS…O : … et tous les partenaires tels l’ADEPSqui sont ponctuels.A : L’école est un milieu ouvert ou fermé ?G : Il faudrait que les participants voientl’école comme ouverte mais on ne peut pasouvrir le projet à tous.A : Et si on part de l’idée de « milieu de vie »,qui en fait partie ?O : Pas les parents vu qu’ils ne sont pasprésents. Mais bien l’horaire ; la prise encharge des parents avant et après les heuresde classe ; jusqu’où les parents amènent leursenfants ; les rangs, ... Il y a plein d’acteursqui entrent à l’école.

Bon. Il faudra se faire une raison. L’école,renommée pour l’occasion « milieu de vie »,c’est de toute façon « plein d’acteurs » mais« pas les parents ». Exit les parents ! Enfin unpremier pas décisif dans ce travail de sélectiondes destinataires. Travail qu’il faudra tout demême assurer puisque « on ne peut pas ouvrirle projet à tous ». En cela pas de doute, laperplexité des élaborateurs a ses limites. Et lasélection qui en découle est tout sauf naturelle.Qui seront les heureux élus choisis par les éla-borateurs ? Qui vont-ils prendre en compte pouren finir une bonne fois pour toute avec leursénumérations ? « Tout qui veut » nous a déjàdit D (mais c’était avant que les parents sefassent sortir). Tout qui veut de ce projet peuten être le destinataire. Qui veut peut commedit le vieil adage. Mais est-ce une permissionou une capacité ? Dans les raisonnementsmobilisés par nos élaborateurs, c’est une capa-cité. Mais elle n’est pas forcément tributaire dela volonté. L’une des élaboratrices de dire qu’onpourra compter sur ceux à qui on offre lapossibilité d’agir en leur donnant des outils.Non ! dit une autre visiblement énervée, on nepourra compter que sur ceux qui en ont lavolonté.

(O explique sa vision du projet)O : A l’école, les nombreux acteurs regardenttous dans la même direction mais pas forcé-ment en se regardant. Il faudrait les mettreautour de la table ronde.A : C’est quoi l’école pour toi ?O : C’est un cadre, des flux et des choses qui

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Participe : présent

La partication des usagers

coincent, des insatisfactions pour les élèvescomme pour les professeurs. On pourraitobserver comment la structure évolue durantla journée, repérer des petits événements puisposer la question aux acteurs pour savoircomment ils y apporteraient des réponses.D : Leur demander de changer est « troplourd ». On va sélectionner dès le départ lesfrileux et les audacieux.O (s’oppose) : On peut au moins identifier lefonctionnement de l’école et après changer.A : Quelle démarche adopter ?D : La démarche la plus efficace, c’est defrapper aux portes des écoles et de récolterdes infos. Mais c’est trop lourd. Et on aura« la violence dans les réfectoires,... » etc.Mon institution a déjà les réponses auxquestions.O : Je refuse de retourner dans les écolesparce que le problème c’est que les gens s’ycroisent mais ne se rencontrent pas et l’enfantsouffre.(Il est midi. On se sert de sandwichs et oncontinue de discuter en mangeant)D : Je suis d’accord avec la philosophie deO. Mais pas avec la porte d’entrée. Le départest trop fort. On risque de rebuter des profset il ne restera plus que quelques écolesvolontaires. Il vaut mieux faire petit à petit.O : Non ! C’est l’affaire de quelquespersonnes. Sinon ça ne bouge pas.(O donne l’exemple d’une institutrice qui tiretoute une équipe éducative)O : C’est une question de volonté plus qued’outils !

La « philosophie » de O a fait bouger quelquepeu le projet. On l’a vu frémir à nouveau, hésiteravant de prendre une nouvelle « démarche ».Mais l’identité des destinataires et l’objectifsont à nouveau mêlés autour du projet, ils leligotent et le paralysent comme dans uncamisole de force. Si on le pousse brusquementdans le dos à travers la grande « porte d’entrée »de l’école, on court le risque de se retrouveravec seule-ment quelques personnes autour dela table, les audacieux. Si on le fait rentrer« petit à petit », tout en douceur, on aura certesplus de monde – « les frileux » rejoignant « lesaudacieux » - mais le projet risque bien de neplus bouger. Et puis à quoi bon cette discussionpuisque de toute façon, plus personne ne veutretourner à l’école pour y pousser ce projet. Il

y a là bien trop de violence et bien trop desouffrance que d’autres ont, heureusement, déjàrapportés dans leurs fichiers.

Même la philosophie, cette amie de la sagesse,n’a pu se faire l’amie de ce projet pour l’aider àavancer. Serait-ce parce que ce projet est fou ?Ses élaborateurs sont-ils fous ? Ils ont beau setaper la tête contre le mur de l’école ou se taperdessus - dans la très discrète violence du calmede ce genre de réunion -, leur projet s’arrête ànouveau de bouger. Qui pouvons-nous encoreimplorer - la folie consensuelle nous obligeantà user du nous - pour nous sortir de ce mauvaispas ? La technique bien sûr.

A : Pourquoi ne pas faire des groupes théma-tiques à partir des expériences concrètes.Proposer des solutions, des petits leviers. Lesconférenciers viendraient alors de lacommunauté et parleraient de leur expériencepersonnelle.O : Et on identifie des démarches dans lesécoles et on les encourage.(Accord de D, M, O)A : Et puis on garde la possibilité d’avoir dela docu, comme d’habitude.

Subtil mélange que propose l’animatrice quiparvient du coup à faire baisser la tension. Des« petits leviers » seront apportés pour ceux quirencontrent des problèmes avec les « petitsévénements » dont parlait O. Toute « unecommunauté » dissipera la crainte de D den’avoir plus que « quelques écoles ». Quant auxfrileux, ils seront réchauffés par des encoura-gements. Une dernière remarque rassurante àl’attention de M en ce qui concerne l’utilisationde sa documentation, et la démarche proposéepar l’animatrice finit de mettre tout le monded’accord. Le projet repart mais toujours sansdestinataire à son bord, ou alors toujours beau-coup trop : professeurs, directeurs, personnelnon-enseignant, enfants... Ah ben oui lesenfants, « on a oublié les enfants !». Et ce-disantils les oublient pour de bon.

O : Les acteurs sont donc les profs, ledirecteur, le personnel non-enseignant et lepublic est composé des enfants. Maiscomment ceux-ci repartent-ils après avoir vula représentation des profs, des directeurs,... ?A : Tu changes la perspective. On a oubliéles enfants comme acteurs.

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(silence)A : Procédure !(A revient au tableau)A : Le point d’entrée c’est l’évocationd’expérience.M : On propose des outils, des méthodes.D : Et puis on leur laisse la possibilité dediscuter. Nous on a comme thèmes :(A note au tableau les thèmes proposés parD et M) : violence,

alimentation,hygiène,tabac,toxico,éducation sexuelle,démission des parents,mal-être et santé mentale,thèmes de concertation,conseil de participation,espace de vie.

(O est debout et nerveuse. Elle s’opposebrièvement à D lorsque celle-ci évoque lesconseils de participation)O : On en parle mais les conseils de partici-pation n’existent pas !

Tournons le dos aux enfants et faisons face autableau. On y lit sans véritable surprise les cinqthèmes finalement choisis : violence, alimen-tation, hygiène, démission des parents et espacede vie. Chacun d’entre eux a déjà été évoquéau moins une fois depuis la réunion précédente.Celui concernant la démission des parents nouslaisse néanmoins songeur. Ce thème évoque-t-il ces parents qui démissionnent ou ces parentsqu’on démissionne, ceux qu’on débarque desprojets, ceux que nous avons du quitter quelqueslignes plus haut ? Laissons à ceux qui pourraientse sentir visés par nos commentaires le bénéficedu doute. Car c’est peut-être de ce distinguosur le qui ou le qu’on dont il sera questionlorsqu’on « laissera (aux destinataires) lapossibilité de discuter ». Tout de même, quelleétrange façon d’y arriver. Quel chemin tortueuxnous devrons suivre encore pour éventuel-lement, au bout du compte, entendre des gensparler de démission des parents, souhaitervivement que ces derniers participent davantageet se demander comment faire puisque « lesconseils de participation » n’existent mêmepas ! Combien de parents et d’enfants faudra-t-il encore abandonner en cours de route pourpouvoir parler d’abandon, de lien social,

d’intégration, de rencontre, de « respect » ?

(Le thème hygiène suscite une discussion)M, O, A : Il faudrait qu’on trouve uneexpérience d’école en matière d’hygiène maisça ne va pas être facile.D : On peut aller la chercher ailleurs cetteécole.A : Pourquoi pas au Sénégal (rire).(A donne l’exemple de l’installation d’uncontainer dans la cour d’une école en Afri-que ; où on s’étonnait que les sacs poubellesétaient au pied du container ; où en observanton a vu que c’était les plus petits quin’arrivaient pas à mettre leur poubelles dansle container).O : L’hygiène fait partie d’un tout, c’est lerespect et l’effet miroir sous-jacent.(Chacun cherche ses cas pratiques. Ondiscute à bâton rompu sur ce que seraitl’hygiène)O : Des auréoles sous les bras.D : Des gens qui crachent partout.A : Des enfants qui sentent mauvais.M : Le respect de soi.A (à propos des enfants qui sentent mauvais) :Les formations au lavage ne servent à rien.O : L’hygiène est un concept qui fait peur. Ildevrait être intégré dans « cadre de vie ».L’hygiène c’est insoluble.M : Effectivement, il y a peu d’outils surl’hygiène. On pourrait aussi faire intervenirdes personnes qui rencontrent des problèmesà propos de ces thèmes ! ?D : Mais alors ils n’ont pas de solutions, ilsne font pas avancer le bazar.(A définit les tâches pour la réunionsuivante) : Chacun cherche des cas ; leséchéances ; le prochain rendez-vous.D : Prochaine phase, c’est fidéliser le public.M : oui mais, il faut faire coïncider le contenuaux attentes.A : Le projet final c’est de créer des fiches.

Les destinataires sont-ils des personnes avec quion doit compter ? Sont-ils nécessaires ? Est-ilvraiment nécessaire de parler d’eux ? Au boutde quatre heures de réunion, le projet estquasiment ficelé ; on a les solutions sur le boutde la langue, qu’elle soit belge ou sénégalaise ;les problèmes sont passés à la trappe ; les fichesont l’air d’être déjà rédigées. Bref, il semblequ’il n’y ait plus que nous à vouloir encore nouscoltiner la recherche des destinataires. On

Partie de chasse

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Participe : présent

La partication des usagers

s’imaginait que, par l’entremise des élabora-teurs, nous allions pouvoir rapidement lescoltiner, les prendre au collet comme le veutl’étymologie du mot. On espérait que la chasseen soit d’autant plus vite terminée. Quadrillage,battue, resserrage, encerclement, herse dressée,filet tendu, le piège se referme. Clac ! Mais àl’intérieur, juste un pauvre « public » bienmaigre - déjà trop à notre goût - et sans réelleconsistance. Public destiné à applaudir laremarquable poussée, l’ultime pro-motion (dulatin promovere, pousser en avant), celle desconférenciers sur qui les élaborateurs comptentvraiment pour faire avancer ce « bazar ».

Ce public sera-t-il fidèle ? Ou dit autrement,saura-t-il y croire ? Oui, si on fait « coïnciderle contenu » du projet « aux attentes » de sesdestinataires, semble me répondre l’une desélaboratrices. Mais cette phrase est presque entout point pareil à celle qui a été prononcée dèsle début de l’élaboration, quatre heures plus tôt :« il faudrait savoir si ce que nous avons pensé,conçu, est pertinent pour eux (les acteurs) ».Prononcer cette phrase n’a pas empêché la pro-motion du projet de se faire. Son mouvementvers l’avant, son cheminement, ne fut pastroublé, stoppé, empêché, dévié par les attentesdes destinataires-de-papier dont on ne connaîttoujours pas plus l’identité. Certes la promotionde la santé est un chemin pavé de bonnesintentions, mais dans les faits qu’est-ce que celaproduit1 ?

Maintenant la partie de chasse est finie et onrentre un peu déçu. Les destinataires ? On les asenti proches, tout proches de nous. On les areconnus ou du moins on a cru les reconnaître.Leurs noms nous furent familiers : directeurs,professeurs, femmes de ménage, délégués declasse… On les a comptés nombreux, très nom-breux puis réduits à « quelques personnes », età nouveau très nombreux. Finalement on en aattrapé, mais on les a relâché, n’ayant plus rienà en dire. On quittera donc ces destinatairesaussi peu visibles maintenant qu’à l’aube de ceprojet, les laissant constituer la masse informed’un « public » plongé dans la pénombre d’unesalle.

(1) L’auteurtentera d’y

répondre dans sathèse de doctorat

en sociologie,financée par leFond nationalede la recherche

scientifique etintitulée Les

mondes locaux dela santé publique,

qu’il défendrad’ici la fin del’année 2004.●

118 Santé conjuguée - avril 2004 - n° 28

C A H I E R

La même année se met en place un observatoirede la santé afin de développer et de mettre enplace des indicateurs de la santé bi-communautaire et du développement durablequi pourront être utilisés par tous les partenaires.Le 28 mars 1996, la Commission commu-nautaire française demande aux membres duGouvernement qui ont en charge les politiquesde santé d’organiser la candidature deBruxelles. La décision n’est pas entérinée parl’ensemble des partenaires.La Déclaration gouvernementale du 15 juillet1999 adoptée par les trois Assemblées préconiseles politiques transversales des institutionsbruxelloises dans la ligne du réseau « Villes-Santé » de l’Organisation mondiale de la santé.Le nouveau Gouvernement adopte l’analyse etla philosophie du mouvement « Ville-Santé »et lance un nombre d’initiatives qui favorisentla mise en place de ce programme. Le 13 juillet2001, le Conseil régional et les trois Assembléescommunautaires approuvent définitivement lefait d’être membre du réseau « Villes-Santé ».Le 15 octobre 2002, la Région de Bruxelles-Capitale est labellisée Ville-Santé.Pour la mise en oeuvre de ce programme, leGouvernement a mis en place un largepartenariat composé d’une part de partenairespolitiques et d’autres part de partenairesinstitutionnels toute comptétence confondue.

Les Villes-Santé selonl’Organisation mondiale de lasanté

Les onze critères des « Villes-Santé » et lestrente-deux indicateurs de qualité de vie dansles villes en santé déterminés par l’Organisationmondiale de la santé constituent la lignedirectrice du développement durable adapté auxdifférentes réalités des villes et déterminent lescomposantes de la vie urbaine sur lesquels ilfaut agir.

Onze critères ont été définis par l’Organisationmondiale de la santé :

1. Un environnement salubre, sans risques,et de haute qualité ;

2. Un écosystème stable et pouvant êtremaintenu à long terme ;

3. Une communauté forte, solidaire, et quin’exploite pas la population ;

4. Un haut niveau de participation et decontrôle par la population pour tout ce quiconcerne sa vie, sa santé et son bien être ;

5. La possibilité de satisfaire ses besoinspremiers ;

6. L’accès à une grande diversitéd’expériences et de ressources, avec unepossibilité d’élargir les contacts, lessynergies et les communications ;

7. Une économie locale diversifiée, vitale etinnovatrice ;

8. L’encouragement du sentiment de lienavec le passé, c’est-à-dire avec le patri-moine culturel et biologique des citadins,ainsi qu’avec d’autres groupes et indivi-dus ;

9. Une structure de ville compatible avec cequi précède et qui l’améliore ;

10. Un niveau maximum de services de santépublique accessible à tous ;

11. Une priorité à la santé.

Trente-deux indicateurs ont été proposés auxvilles membres du réseau des villes en santé :

Indicateurs de santéA1 Mortalité (toutes causes) ;A2 Cause de décès ;A3 Poids inférieur à la naissance.

« Bruxelles, Ville-Région en Santé »Nicole Purnode,coordinatrice de« Bruxelles, Ville-Région enSanté ».

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

En 1995, après la conférence « Promo-tion à la santé à Bruxelles, Questionset enjeux », un groupe de participantsdes différents secteurs et associationsdemandent aux partenaires institution-nels d’introduire la candidature de laRégion de Bruxelles-Capitale auprogramme « Villes-Santé » de l’Orga-nisation mondiale de la santé.

Mots clés :participation,ville etsanté

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Participe : présent

La partication des usagers

Indicateurs services de santéB1 Programme éducation de santé ;B2 Pourcentage d’enfants vaccinés

complètement ;B3 Nombre d’habitants par médecin

(ou assistance médicale) ;B4 Nombre d’habitants par infirmière ;B5 Pourcentage de la population avec

assurance maladie ;B6 Médecine générale pour allophones ;B7 Nombre de questions de santé traitées

par l’administration de la ville (nombrede réunions, sujets abordés, résultats...).

Indicateurs de l’environnementC1 Pollution atmosphérique ;C2 Qualité de l’eau ;C3 Pourcentage pollution d’eau retiré du

volume total d’eaux d’égouts ;C4 Index d’efficacité d’enlèvement des

immondices ménagers ;C5 Index d’efficacité de traitement des

immondices ménagers ;C6 Surface d’espaces verts dans la ville ;C7 Accès public des espaces verts ;C8 Dégradation des sites industrielles ;C9 Sports et temps libre ;C10 Rues réservées aux piétons ;C11 Pistes cyclable en ville ;C12 Transports publics ;C13 Champs du réseau transport public

(comparé avec le nombre de kilomètresde rues) ;

C14 Espace vital (moyenne d’espace vitalpar habitant = nombres de pièces vitalesavec une destination précise parexemple cuisine, salle à manger,chambre etc. ; salle de bains, buanderie,etc. ne sont pas considérés comme« espace vital »).

Indicateurs socio-économiquesD1 Pourcentage de la population vivant

dans des logements mal équipés ;D2 Sans abris (nombre estimé) ;D3 Taux de chômage ;D4 Pourcentage d’habitants avec revenu

inférieur à la moyenne ;D5 Crèches (pourcentage) pour enfants

avant la scolarité ;D6 Pourcentage de naissances viables de

mères >20 ; 20-34 ; 35+ ;

D7 Nombre d’avortements en rapport avecle nombre de naissances viables ;

D8 Pourcentages d’handicapés embauchés.

Le concept de Ville-Santé enRégion bruxelloise

L’ensemble des pouvoirs compétents souscritaux lignes de force du projet de l’Organisationmondiale de la santé :

• Réduire les inégalités en matière de santé ;• Favoriser la coopération intersectorielle et

notamment réduire les risques environ-nementaux ;

• Susciter la participation communautairedes bénéficiaires ;

• Privilégier l’approche promotionnelle de lasanté.

L’objectif principal du projet « Bruxelles, Ville-Région en Santé » est de contribuer à l’amélio-ration de la santé des citoyens par la mise envaleur et le développement de la participation.La participation, mise au cœur du projet, estdéfinie comme une participation dans l’actionet dans la gestion des projets.La participation est considérée comme lacapacité d’exercer un pouvoir et d’agir enfonction de ses propres choix. Elle est fondéesur la croyance que les personnes, tant indivi-duellement que collectivement, possèdent oupeuvent développer, les capacités pour effectuerles transformations nécessaires pour assurer leurbien-être. L’environnement social, les compor-tements et les relations sociales sont considéréscomme des déterminants de la santé.

Le programme de « Bruxelles, Ville-Région enSanté » a choisi l’espace public comme terraind’application et de première expérimentationdes « Villes en Santé ». L’espace public doit êtrecompris comme un lieu public ouvert sur lequartier, partagé par différents groupes sociauxet par des fonctions différentes, à l’exclusiondes espaces privatifs ou mono fonctionnels.Afin d’optimaliser l’expérimentation d’unenouvelle méthode de travail dans le secteur dela santé publique en milieu urbain, le territoirede mise en oeuvre à été réduit à une partie desix communes : Jette, le vieux Laeken, le quar-

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C A H I E R

tier maritime à Molenbeek, Saint-Josse-tenNoode, le bas de Schaerbeek et une partied’Evere. Ces zones constituent deux périmètresqui correspondent statistiquement au patchworkdes réalités bruxelloises et concernent chacuntrois communes.

Le programme d’action doit s’appuyer sur lesmoyens existant, les ressources locales etrégionales et favoriser la participation active deshabitants usagers du lieu. Les thèmes abordésdoivent être en rapport direct ou indirect avecla santé (qualité de la vie) et avec le dévelop-pement urbain durable (développement endo-gène). La notion de développement durablesuggère une transformation des structures et dessystèmes menant à une amélioration de laqualité de la vie pour toutes les personnes quivivent sur un territoire. Le développement socialet le développement urbain tiennent compte ducontexte économique, politique, social, culturelet écologique dans lequel les gens vivent. Ils’agit d’un développement solidaire et équi-table, endogène et communautaire, démocra-tique, éthique et durable qui prend en comptetoutes les dimensions de la personne et de sonenvironnement ainsi que des efforts effectuéspour améliorer son bien-être.

Cette stratégie s’appuie sur :

• La participation des individus aux décisionsqui les concernent ;

• Une vision holistique du développement ;• L’empowerment des individus et des

groupes ;• La concertation, le partenariat et l’inter-

sectorialité.

Les organes du projet bruxellois apportent auxprojets locaux :

• une information complète et simplifiée desaides existantes en Région bruxelloise dansles différentes matières devant faire l’objetd’intervention dans les projets locaux ;

• une aide pour établir le diagnostic de lasituation en mettant à disposition du projetles informations capitalisées par les différentspartenaires du comité de pilotage ;

• une formation sur les différents aspects duprojet (aménagement du territoire, politiquesde santé et de prévention, politique detraitement des déchets, politique de transport,

environnement, culture et sport, etc.) ;• une aide pour établir les indicateurs qui seront

le pilier de l’action à organiser ;• une évaluation permanente du projet ;• des échanges de savoir avec d’autres projets

au niveau régional, national et international ;• un financement local et européen ;• une communication sur le projet ;• une aide logistique.

La coordination du programme agira commepoint de contact du centre de ressources.

Quatre projets

Quatre projets ont été retenus au mois de juillet2003. Ils se situent sur les territoires descommunes de Laeken, Jette, Molenbeek etSchaerbeek.

Le projet Laeken (quartier Outre-pont) estintroduit par le comité de quartier. La préoccu-pation majeure des habitants de ce quartier estde créer le dialogue entre différents groupessociaux autour d’un espace agora et de renforcerle rôle des habitants dans l’aménagement de cequartier prévu dans un contrat de quartier.Sortir ce quartier de son isolement est indispen-sable pour que ses habitants acquièrent etorganisent une bonne qualité de vie.A ce jour, les habitants se sont mobilisés surl’aménagement d’un jardin communautaired’observation de la nature. Ils ont nettoyé leterrain et préparent un projet d’occupationdurable de ce lieu.

A Schaerbeek, le projet porte sur le bassin denatation Neptunium. Cet équipement collectifest très utilisé par les riverains. Des travauxd’entretien et des propositions de ré affectationdu lieu sont à élaborer. Un groupe d’habitantsse propose d’établir un programme de dévelop-pement durable pour cet équipement qui joueun rôle important tant sur le plan de l’exercicephysique que sur le plan de l’hygiène et de lasanté.

A Jette, la maison médicale Esseghem et soncentre communautaire l’Abordage ont établiavec les habitants des blocs du Foyer Jettois,un programme de désenclavement des tours et

« Bruxelles, Ville-Région en Santé »

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Participe : présent

La partication des usagers

un programme d’ouverture sur le quartier parl’organisation d’un parcours santé et dedifférentes activités physiques.Un plan d’aménagement de l’espace a étéélaboré par les habitants qui organisent uneenquete publique auprès de leurs voisins.

Le projet Molenbeekois se situe sur le tronçonde l’avenue Jean Dubrucq jouxtant Laeken. Unensemble de logements sociaux s’insère dansun tissu urbain très mixte. Des espaces publicsexistent mais doivent faire l’objet de program-mes de gestion et d’occupation de ces lieux.Des aménagements sont prévus mais il estimportant pour le comité des habitants que leprocessus d’aménagement soit intégré par leshabitants.Un contrat de quartier est en préparation et unprojet Ville-Santé sera sans doute intégré dansla programme de revitalisation.

Les projets proposés ne sont pas des projetsaboutis. Ils feront l’objet d’une assistancetechnique et d’une formation assurée par leprogramme des Villes en Santé. Les partenariatslocaux sont diversifiés et multiples. Les matièresabordées concernent des secteurs tels quel’intergénérationnel, l’environnement, lacitoyenneté, écologie urbaine, les activitésphysiques et la santé, l’alimentation, la gestiondes déchets et de la consommation, des potagerset, bien entendu, la participation et l’empower-ment des habitants. ●

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C A H I E R

Les textes que vous venez de lire mettent enlumière la complexité du concept de partici-pation, avec ses multiples définitions, niveauxet typologies, avec le paradoxe qui se noue dansla volonté des uns à vouloir la participation desautres au nom de l’autonomie et de la démo-cratie, avec le malentendu qui fantasme unelimitation de la liberté individuelle dans l’actioncollective susceptible de rendre aux gens lamaîtrise sur leur environnement et leur devenir,avec le détournement du concept quand il estmanipulé comme un outil au service d’unobjectif pré-établi, avec la difficulté à mettreen oeuvre une participation qui soit véritable-ment un processus aux mains de la population.

Tout pourtant concourt à gommer la vision« scout toujours prêt » que nous pourrions avoirde la participation et à y voir un processus(« le » processus ?) du nécessaire approfondis-sement de la démocratie.Dès les années 60, Paolo Freire (Pédagogie desopprimés), Ivan Illitch (Némesis médicale, Pourune société sans écoles, La Convivialité) et biend’autres instillent l’idée que cet approfondis-sement passe par l’implication des gens(appelés à être des « acteurs ») dans lesprocessus décisionnels qui les concernent. Dansun article paru en 1973 (Tankonalasanté n°4),Jean Carpentier traduit cette idée au plan de lasanté en déclarant que « le cabinet médical estle cul-de-sac où viennent se perdre les armesde la révolte » parce que la prise en chargemédicale, et notamment le colloque à deux,étouffe la parole du patient et le soumet à l’ordreétabli en détournant sa souffrance de son objetqui est aussi de nature politique.

Sur un plan plus général, la participation seprésente comme une issue à la crise de nossociétés démocratiques (seul régime où leconcept ait une sens). Après le désenchantementde la mort de Dieu, nos sociétés qui avaient cruse rassurer dans la science et le progrès sontconfrontées à un second désenchantementnourri de l’incapacité des institutions à protégerles individus contre les risques générés par cemême progrès : catastrophes écologiques enmarche, inquiétudes liées au développement desmoyens de destruction, jeux d’appentis sorciersgénétiques, etc. (voir Ulrich Beck dans Lasociété du risque).

Pour une participation bien comprise

Dans le même temps, le déclin de l’État Provi-dence se marque par une remontée des inégali-tés et, pour reprendre le titre d’un ouvragerécent de Robert Castel, de l’insécurité sociale.Les pouvoirs en crise sont ainsi amenés à setransformer et à dépasser les modèles del’expertise technocratique et du système repré-sentatif en s’ouvrant au débat avec la sociétécivile. De plus en plus, l’État se décharge surle tissu associatif de missions qu’il assumaitjusqu’alors et ce terme naguère désuet de« société civile » reprend vigueur au point dereprésenter un interlocuteur potentiel (et bienpratique puisque à ce jour sans définitionprécise ni puissance).

C’est donc à une véritable mutation sociale quela participation nous invite. Mais les mutationsprennent du temps : les concepts volent, lesmentalités restent... ou en tous cas n’avancentque pesamment. Et les mutations signifientaussi risque de malformation. Un exemple : lamode est à la « gouvernance », ou plus précisé-ment, à la « bonne gouvernance », terme quiréfère à une gestion de la chose publique sousle signe de l’ouverture, de la participation, dela responsabilité, mais provient en fait dudomaine de la politique d’entreprise, où, commele montre entre autres Jean-Pierre Le Goff (Labarbarie douce), participation et responsabilitériment avec flexibilité, détricotage des acquissociaux et des protections et asservissement àla « culture d’entreprise ». On connaît aussi lescraintes que font naître la « troisième voie » etl’État social actif qui prônent une participationdes individus à leur intégration sociale, au prixd’une individualisation des traitements (pertedes liens collectifs) et au risque d’une exclusionen cas de refus. Il s’agit là d’instrumentali-sations de la notion de participation qui ladétournent de son objectif réel de maîtrise sursa vie, l’amputent d’une caractéristique essen-tielle, celle d’être un processus collectif oùchacun avance à son rythme et nient sonfondement qui s’appuie sur la reconnaissancede la dignité humaine (et non sur le mythe d’unindividu autonome régi par son intérêt, mythejoliment saccagé par Miguel Bensayag dans lemythe de l’individu, paru en 2004 aux éditionsLa découverte).

Face à ces dérives, on voit émerger un nouveau

Axel Hoffman,médecingénéraliste à lamaison médicaleNorman Bethune.

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La partication des usagers

désir de lien, marqué par la réapparition denouveaux collectifs en tous genres, allant de laconcentration temporaire (vingt-cinq milletranspirations joyeusement mêlées au vingtkilomètres de Bruxelles) à des mobilisations demasse comme le mouvement alter-mondialistea pu en organiser ces dernières années (sur cedésir de lien, lire Résister, c’est créer deFlorence Aubenas et Miguel Bensayag auxéditions La découverte, 2002). Le superbeisolement de l’individu fatigué d’être soi dansun monde sans limites (cfr A. Ehrenberg et JPLebrun) n’est pas une fatalité inéluctable.

Ces considérations « macro » peuvent paraîtredisproportionnées lorsqu’on « redescend » auniveau de la participation des usagers dans nosmaisons médicales. Il n’en est rien, ce sont lesmêmes phénomènes qui sont à l’ouvrage. Lesefforts tenaces et parfois désespérants que nousdéployons pour mettre en place les conditionsd’une participation bien comprise paraissent demaigres étincelles, mais n’est-ce pas d’uneétincelle que jaillit la flamme ? ●