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Formation « Evaluation » 1-4 décembre 2007 à Lyon L’entretien comme outil d’évaluation Jean-Christophe Vilatte Laboratoire Culture & communication Université d’Avignon

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Formation « Evaluation » 1-4 décembre 2007 à Lyon

L’entretien comme outil d’évaluation

Jean-Christophe Vilatte Laboratoire Culture & communication Université d’Avignon

Formation « Evaluation » 1-4 décembre 2007 à Lyon

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I. Quelques généralités sur l’entretien

L'entretien avec le questionnaire et l'observation est un outil d’évaluation très usuel. La réflexion théorique sur les entretiens s'est développée, les techniques d'entretien se sont également diversifiées, par exemple : entretien rétrospectif, entretien d'anamnèse, entretien d'enquête sociale, entretien compréhensif, entretien clinique, entretien d'explicitation, entretien exploratoire, entretien biographique.... la liste est longue, chaque type d’entretien étant sous bien des aspects différent des autres entretiens et recueille donc des données ou des informations qui seront également différentes. Ce qu’il est important ici de ne pas oublier, c’est que le choix d’un type d’entretien joue sur l’évaluation que l’on va faire, sur les résultats que l’on va obtenir. Le choix d’un type d’entretien n’est donc pas neutre. Dans le cas de l’évaluation des musées ou expositions, les entretiens les plus couramment utilisés sont l’entretien semi-directif et l’entretien non-directif.

L'approche d’une théorie de l’entretien est complexe du fait qu’il n'y a pas une

technique précise d'entretien. Il y a toutefois un consensus, certains principes sont communs aux différentes approches, certaines règles sont à respecter pour que l’on puisse parler d’entretien.

L'origine de l'entretien est multiple. L'outil est antérieur aux méthodes des

sciences humaines et sociales et fait partie du langage diplomatique : il s'agit d'une conversation d'égal à égal entre deux chefs d'états ou deux souverains.

En psychopathologie, l’entretien a surtout été favorisé par l'approche psychanalytique. Freud refusa la méthode cathartique (guérison par la suggestion) pour une méthode où le patient analyse son propre discours. L'entretien psychanalytique est particulier. C'est un entretien de type interprétatif, c'est le psychanalyste qui donne les clefs pour comprendre le sens des propos. Certains auteurs vont dénoncer la dissymétrie de la relation thérapeute - patient, le pouvoir du thérapeute, la relation de dépendance du patient.

En réaction à la cure psychanalytique, Carls Rogers propose dans les années 1940 une approche particulière de l’entretien : l'entretien non-directif. Quand on parle d'entretien en sciences humaines et sociales, la référence à cet auteur est fréquente. Il y a une réflexion intéressante chez cet auteur sur la technique opératoire de conduite d'entretien. Son approche de l'entretien dépasse le cadre thérapeutique pour un cadre plus général : celui de la communication. L'entretien psychanalytique aussi intéressant soit-il, avec la notion de transfert et de contre-transfert, suppose des compétences particulières de la part de l'interviewé (de passer par l’analyse), ce que ne sollicite pas l'entretien rogérien qui demande quand même certaines compétences (écoute, empathie, congruence, ….). De nombreux médiateurs d’art sans le savoir font ou s’inspire dans leur pratique de l’entretien non-directif. Dans ce dossier, il s’agira surtout de présenter l’entretien non-directif, avec un double objectif : comprendre cette technique

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d’évaluation ou de recherche, mais aussi réfléchir en tant que médiateur à sa propre relation avec le visiteur.

En 1926, Piaget dans la Représentation du monde chez l'enfant justifie l’entretien comme étant la seule approche possible pour traiter des modes du fonctionnement mental de l'enfant. Il fondera une méthode qu'il appellera « entretien critique » qui repose entre autres sur la contre-argumentation : lorsque l’enfant propose une réponse à la question posée Piaget lui suggère une réponse opposée à la sienne (« si toi tu me dis cela, il faut que tu saches que Pierre lui m’a dit ceci [le contraire]….. alors qu’en penses-tu ? C’est toi ou Pierre qui a la bonne réponse ?». Pour Blanchet1, l'entretien de recherche est né en sociologie pour la première fois en 1929 dans une étude sur les conditions de productivité à la Western Electic, avec mise en évidence de l'importance des relations interpersonnelles dans la motivation au travail. Il ne s'agit plus seulement d'attendre les réponses des enquêtés aux questions des enquêteurs mais de s'intéresser aux propos, aux questions, des enquêtés. L'approche expérimentale de l'effet des conditions de travail sur le rendement ne permettait pas de dégager des résultats fiables. L'entretien de recherche résulte d'une démarche de recherche-action.

Dans leur démarche expérimentaliste, les chercheurs de l'école de Würtzburg (Bülher) complètent chaque mesure de l'effet d'une stimulation (chaque test) par une démarche introspective (ils demandent au sujet de commenter ce qu’ils viennent de faire dans le test).

Dilthey en développant l'approche biographique milite pour une psychologie des représentations du monde et des perceptions internes des propres états du sujet.

1. Quelques principes liés à l'entretien

Choisir l'entretien comme outil d’évaluation, c'est choisir d'établir un contact direct avec les personnes pour récolter les informations. C'est le phénomène d'interaction qui est privilégié.

L'entretien est un moment de parole durant lequel un intervieweur extrait une information d'un interviewé (dans son acte de parole) sur des actions passées, des savoirs sociaux, sur ses valeurs, normes, représentations…. Cette information était contenue dans l'ensemble des représentations associées aux événements vécus par l'interviewé. L'information a été expérimentée, absorbée par l'interviewé qui la restitue durant l'entretien avec déformation : orientation, interprétation par rapport à son expérience. La subjectivité est l'une des propriétés des entretiens.

L'entretien permet donc de comprendre le rapport du sujet au fait, plus que le fait lui-même (ne pas tomber dans le piège, s'il dit cela, c'est que ça se passe comme ça....). L’entretien relève du déclaratif2.

1 Blanchet (A.), Gotman (A.). L'enquête et ses méthodes : l'entretien. Paris : Nathan université, 1992 2 C’est ainsi qu’un interviewé qui déclare aimer l’art contemporain, se rendre dans toutes les manifestations d’art contemporain peut être un piètre pratiquant. La question n’est pas de savoir s’il ment

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Dans un entretien, il s'agit de donner la parole à l'autre afin de mieux connaître sa pensée, de l'appréhender dans sa totalité, de toucher au vécu de l'autre, à sa singularité, il s'agit de toucher à l'autre dans son historicité.

Dans un entretien, on ne se contente pas de réponses ponctuelles, mais de « réponses – discours », il s’agit de laisser l’interviewé parler, développer son point de vue sans chercher en tant qu’intervieweur à lui imposer son propre point de vue. C'est une technique qui est dite qualitative, on cherche à comprendre l'autre. Il s’agit d’une méthode souple, non rigide, qui cherche à s'adapter aux circonstances, au contexte, à l'individu.

À partir de l'entretien, les faits psychologiques et sociaux sont supposés pouvoir être appréhendés et compris à travers les représentations véhiculées par la parole, à travers l'expérience de l’individu.

2. Les critiques sur la démarche d'entretien

Même si elle est fortement utilisée et qu'on lui reconnaît aujourd'hui tout son intérêt comme outil d’évaluation, l'entretien est assez fréquemment critiqué. On lui reproche son manque d'objectivité et l’on interroge sur la valeur accordée au discours (jusqu’où les propos sont-ils fiables ?). Aucune des variables en jeu n'est contrôlée, on ne maîtrise pas les relations de causes à effets. Difficile de montrer les liens de dépendance, d'influence, le type de rapport entre les évènements. Tout semble reposer sur l'évidente qualité de l'intervieweur et de l'interviewé3.

C’est ainsi que les effets de l'intervention de l'intervieweur dans le déroulement de l'entretien sur les propos de l’interviewé ne sont guère pris en compte. Pourquoi en tant qu’intervieweur, on a posé telle question plutôt que telle autre ? Quels effets peut avoir la reformulation des propos de l'intervieweur sur l'interviewé ? Pourquoi à ce moment-là de l'entretien, on reformule et pas à un autre moment ? Quelle orientation donne la première question de départ à la suite de l’entretien ?

Aucun entretien n'est identique à un autre, même avec la même personne (on ne

peut jamais refaire le même entretien), à chaque fois il s’agit d’un nouvel entretien. D’où, à partir de ce constat, quel poids, quelle valeur, quelle fiabilité peut-on accorder aux propos de l'interviewé ? Ses propos ne sont-il pas que le produit d'un contexte, si à chaque fois l’entretien est différent ?

Quel est alors le sens de comparer deux entretiens ? Les matériaux sont-ils équivalents ? Quelle généralisation peut-on accorder aux données obtenues ? Tous les critères orthodoxes de scientificité ou d’objectivité sont bafoués dans l’entretien.

ou pas, mais elle est de comprendre pourquoi il tient des propos qui ne correspondent pas à sa pratique. Ici ce qui est posé, c’est la question du sens de ses propos. 3 La qualité de l’un ou de l’autre est souvent peu questionnée.

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C'est l'une des rares méthodes d’évaluation pour laquelle il n'existe aucune règle précise qui définit les conduites des deux acteurs, aucune règle qui justifie ces conduites. Il n'existe que des règles générales de conduites. Le savoir d'entretien s'acquiert tout autant par la pratique que par les discours sur l'entretien4.

Le statut des données qui sont produites lors d'un entretien reste indéfini. Impossible de parler de validité interne et externe pour un entretien.

La critique que l'on fait aux entretiens porte également sur l'analyse des

entretiens. Les méthodes d'analyse de contenu sont considérées comme des méthodes subjectives, fortement tributaires d'interprétations. Cette critique ne porte pas directement sur l'entretien lui-même, ne le remet pas en cause, elle porte sur l'utilisation que l'on peut faire de l'entretien. L'une des difficulté de l'analyse de l'entretien est de donner une signification au discours de l'interviewé, de le traduire, d'être conduit à faire des inférences (je pense qu'il a du vouloir dire ceci), d'aller au-delà de ces propos pour leur donner du sens. Pour éviter cela, il est nécessaire lors de l'entretien de déceler la signification véhiculée.

3. L'intérêt de l'entretien

Blanchet dans l'entretien dans les sciences sociales5 estime que si le statut

scientifique des données produites reste indéfini, l'entretien compense ses propres faiblesses par la richesse heuristique des productions discursives par rapport à l'archaïsme des questionnaires.

Il estime, à juste titre, qu'aujourd'hui l'entretien est une technique à part entière, à la fois sur la méthode, sur l'analyse des résultats et sur les fondements théoriques. L'approche psychologique et pragmatique du langage fonde la démarche. Blanchet dans Dire et faire : l’entretien

6 fonde une théorie de l’entretien à partir de l'approche psychologique et pragmatique du langage.

Aujourd'hui, les critiques vis-à-vis de l'entretien sont moins fortes. Outil considéré au départ comme irrecevable d'un point de vue scientifique, il est jugé aujourd’hui comme étant indispensable pour recueillir certaines informations. Blanchet à juste titre considère cette technique comme irremplaçable.

Pour Blanchet, l'entretien est un dispositif d'enquête qui est susceptible de lever certaines résistances de l'interlocuteur. Toutefois, l’auteur ne dit pas lesquelles et pourquoi. Pour lui, c'est un mode d'accès efficace aux représentations et aux opinions individuelles, mais là encore, il ne précise pas pourquoi. À la différence de Blanchet,

4 Les connaissances que l’on peut avoir sur la conduite d’entretien ont des effets limités, les savoirs sur l’entretien sont avant tout des savoirs d’expérience (pour savoir faire un entretien il faut faire des entretiens). C’est par la pratique que l’on maîtrise la technique d’entretien, la théorie servant à comprendre les erreurs de pratique. 5 Blanchet, A. (1985). L'entretien dans les sciences sociales. Paris : Dunod. 6 Blanchet, A. (1991). Dire et faire dire : l'entretien. Paris : Armand Colin.

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Abric considère que c'est le questionnaire qui est à privilégier pour traiter des représentations7.

4. Les compétences de l'intervieweur et de l'interviewé

Dans l’évaluation par entretien, l'information extraite par l'intervieweur suppose de la part de ce dernier une activité :

- d'analyse, - d'interprétation, - relationnelle.

La technique d'entretien repose sur la confiance entre l'interviewé et

l'intervieweur, sur l'interrelation. Il faut savoir écouter l'autre, le respecter. La qualité de l'entretien dépend de cette capacité à établir une relation avec l'autre, à le mettre en confiance.

L'entretien est une technique qui utilise le discours, il faut donc de la part de

l'interviewé une compétence liée à l'énonciation. Plus l'interviewé aura des difficultés à s'exprimer, moins son discours risque d'être spontané, plus il risque d'être difficilement compréhensible, avec le risque lors de l’analyse de faire des interprétations erronées.

Quelle que soit la compétence de l'interviewé, le discours est lié aux règles d'énonciation. Le respect de ces règles, de l'usage psychologique et social du langage peut rendre problématique la spontanéité et la fiabilité des propos. Des mécanismes de défense peuvent être mis en place : rationalisation, contrôle, filtrage, recherche d'une cohérence dans les propos, d'une logique dans les faits (le discours est une reconstruction à posteriori d'événements vécus), élaboration d'un point de vue, d'une opinion, prise de conscience au cours de l'entretien. Dans l'entretien, l'interviewé n'est pas passif, il met en jeu des processus cognitifs, il peut être amené à élaborer une pensée liée au moment de l'interview qui ne correspond en rien à sa pensée initiale.

7 Pour Abric, le questionnaire est la technique la plus utilisée dans le traitement des représentations. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les représentations sociales. Le questionnaire permet d'introduire une dimension quantitative fondamentale quand on travaille sur les représentations sociales (repérer des tendances, des différences, etc... d'un groupe social à l'autre). Autres avantages pour Abric, le questionnaire permet de standardiser : - le comportement du chercheur (risque de subjectivité lors des entretiens) - les variations interindividuelles des sujets (standardisation de l'expression des enquêtés : thèmes abordés, ordre des questions...). Cet avantage est aussi une limite. La standardisation n'est possible que si le chercheur a un certain nombre d'hypothèses et qu’il oriente l'étude en fonction de ses préoccupations. Pour sortir de l'impasse, il y a nécessité d'une pré-enquête. Le questionnaire limite l'expression des sujets, d’où problème de la valeur des réponses aux questions. La solution, selon Abric, est de proposer davantage de questions ouvertes, mais on connaît les limites de cette approche. On voit ici que la question de l’évaluation des représentations n’est pas simple et que chaque approche comporte des avantages et des limites.

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L'entretien est une situation de face à face dans laquelle l'interviewé à tendance à donner la meilleure image de lui-même (phénomène de désirabilité sociale).

L'intervieweur n'a jamais un statut neutre, ce n'est pas un miroir, tout comme la situation n'est pas neutre. L'ensemble de l'entretien est traversé par du sens (faire plaisir à l’autre, se méfier de ce que l'on fera des propos tenus, essayer de deviner ce que l’autre veut entendre, etc.).

Dans un entretien de type non-directif, seul l'interviewé parle, exprime son point

de vue sans avoir en retour le jugement de l'intervieweur. Il tente d'aller ainsi le plus loin dans son analyse, situation difficile à vivre, mise à nu, mais aussi sentiment de ne pas pouvoir tout dire, « d'aller jusqu'au bout », de « dire la vérité », d'où sentiment de frustration et mise en place de stratégies discursives pour compenser cet handicap (discours impersonnel, autocritiques justificatives, tendance à vouloir impliquer l'intervieweur pour avoir son avis, etc.).

Tout cela pose un certain nombre de questions. Quelle crédibilité ont les données obtenues ? Quelle garantie a-t-on de la qualité de l'authenticité des réponses, sachant qu'elles sont liées à la situation, à l'émotion, aux ambiguïtés et à la désirabilité sociale.

Nous avons dit tout à l'heure que dans l'entretien non-directif, il y avait égalité entre interviewé et intervieweur, en fait il y a des rapports de pouvoirs qui sont toujours présents dans une situation très particulière qui oscille entre témoignage (on se livre à l'autre) et confidence (reste la propriété de celui qui énonce). Séduction de l'intervieweur dans l'entretien, manipulation (orientation), lieu de transfert et de fantasmatisation (connaître l'autre).

Comment sortir de cette critique ? En constatant qu'elle ne concerne pas seulement cette méthode d’évaluation, mais qu'elle se rapporte à toute méthode.

Par un certain professionnalisme de l’intervieweur qui doit faire preuve de compétences : compétence à l'écoute, l'intervieweur doit analyser en écoutant le discours, déceler d'éventuelles contradictions en faisant attention que les contradictions peuvent être normales, revenir sur un propos énoncé en le réorientant différemment, etc. L'intervieweur peut aussi connaître le sujet (éléments biographiques, psychologiques, sociologiques, etc.), autrement dit avoir des informations complémentaires pour donner du sens aux propos tenus lors de l’entretien.

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5. Les différents types d'entretien selon leur degré de structuration

Il existe différents types d'entretien, selon leur degré de structuration :

- L'entretien directif : fortement structuré, il correspond à un ensemble de questions ouvertes. Il est uniformisé dans la forme et l'ordre des questions posées. l'individu doit se situer dans le cadre de référence déterminé par l'entretien (il doit obligatoirement répondre aux questions, ne peut s'en écarter). Les réponses sont peu développées. L'entretien directif exige une bonne connaissance du domaine étudié et de la population étudiée, de son langage et de ses systèmes de référence. En général cet entretien est pratiqué pour vérifier un problème déterminé, lors d'une enquête.

- L'entretien semi-directif : se situe entre l'entretien directif et l'entretien non-directif. Il est ni totalement fermé, ni totalement ouvert. Les thèmes à aborder sont fixés à l'avance. Mais l'ordre et la forme de présentation des thèmes sont libres. On procède en général à ce type d'entretien pour approfondir la connaissance d'un domaine ou vérifier l'évolution d'un phénomène connu. Pour Quivy et Campenhoudt8 c'est la forme qui est certainement la plus utilisée en recherche. Pour eux, le chercheur dispose d'une série de questions-guides relativement ouvertes à propos desquels il veut obtenir une information. Il ne pose pas forcément toutes les questions dans l'ordre prévu initialement. Il laisse venir le plus possible l'interviewé pour qu'il puisse parler selon une logique qui lui convient. L'intervieweur pose les questions que l'interviewé n'a abordées de lui-même.

- l'entretien non directif : ce type d’entretien appelé encore non standardisé, non structuré ou libre permet d’atteindre des niveaux plus profonds d’opinions et d’attitudes car la technique laisse un maximum de liberté au sujet. L’entretien de recherche ou d’évaluation ne pourra réutiliser qu’une partie seulement de la démarche. L’attitude du chercheur ou de l’évaluateur adoptant cette technique est fondée sur deux principes. L’acceptation de l’autre : il importe de ne jamais montrer quelques sentiments devant les propos du sujet, si ce n’est une acceptation positive. L’intervieweur se borne à en faciliter l’expression.

6. L'utilisation de l'entretien

Il existe plusieurs utilisations possibles de l’entretien : - l’entretien exploratoire : l'entretien non-directif est souvent pratiqué pour

des études exploratoires ou des approfondissements d'informations incomplètes. Il s'agit de se familiariser avec un milieu. C’est ainsi que dans

8 Quivy, R., Van Campenhoudt, L. (1995). Manuel de recherche en sciences sociales. Paris : Dunod

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les études ethnographiques, le chercheur est totalement étranger au milieu qu'il étudie, il développe progressivement grâce à des entretiens exploratoires et à des observations sa connaissance et ainsi il peut construit ses hypothèses de recherche. Lors d'une approche par questionnaire, avant toute élaboration du questionnaire, il est souhaitable, le plus souvent de faire une pré-enquête en réalisant quelques entretiens non-directifs, de types exploratoires (on prend alors des interviewés les plus différents les uns des autres pour avoir toute la gamme de comportements, de réponses possibles ce qui permet ensuite d'élaborer des questions cafétéria les plus complètes possibles). De nombreuses évaluations dans les musées commencent par quelques entretiens qui ont pour fonction de permettre aux évaluateurs de découvrir le musée, ses visiteurs, de voir ainsi apparaître certains problèmes, de se poser des questions, de commencer à faire quelques hypothèses. À partir de ces entretiens, un outil d’évaluation privilégie est alors choisi : soit poursuite des entretiens, soit passage à un questionnaire, soit les deux…..

- l’entretien à usage principal : constitue le mode de recueil de l'information pour valider l'hypothèse. Il convient ici de réaliser un nombre important d'entretiens.

- l'entretien à usage complémentaire : qui permet d'enrichir ou de compléter les informations obtenues par d'autres outils. Moscovici sur les représentations de la psychanalyse a ainsi mobilisé l'entretien (une centaine de personnes), le questionnaire (2265 sujets) et l'analyse de presse

On peut employer des approches combinant les différents types d'entretiens, par

exemple, une formule assez courante consiste à commencer par des entretiens non-directifs qui sont en suites prolongés par des entretiens semi-directifs (sur des points précis). Beaud et Pialoux (1990)9 utilisèrent une série d'entretiens pour élaborer progressivement, puis stabiliser un guide d'entretien, les premiers entretiens ont permis de dégager des hypothèses qui furent interrogées lors de nouveaux entretiens plus approfondis. Il ne s'agissait pas à travers les entretiens d'illustrer un modèle théorique préalablement construit mais de les utiliser comme un outil d'investigation, de construction d'hypothèses toujours en cours de transformation, comme une sorte de tremplin pour la réflexion.

Pour Pourtois et Desmet10, on utilise l'entretien quand on ne peut plus avec les autres techniques d'investigation obtenir les informations nécessaires et adéquates. Les auteurs précisent les avantages de la technique d'entretien : rapport considérable dans la recherche des systèmes de valeurs, des modes de représentations, des perceptions spécifiques à un sujet ou à un groupe.

9 Retour sur la condition ouvrière. Paris : Fayard. 10 Pourtois, J-P., Desmet, H. (1988). Épistémologie et instrumentation en sciences humaines. Bruxelles : Mardaga

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Un entretien quand il est bien mené fournit des données en abondance, données

riches et nuancés, données complexes, ce qui n'est pas ensuite sans poser des problèmes. Comment traiter cette richesse, jusqu’où peut-on respecter l’originalité, la singularité et la complexité des propos de l’interviewé ? Souvent, dans l’analyse, ses propos sont réduits.

Ce qui fait l’intérêt de l’entretien c’est la souplesse de la méthode, l’adaptabilité

au sujet et au contexte, l’évaluation de la motivation, de l'implication de l'interviewé. Possibilité de recueillir la dimension émotionnelle, les réactions affectives, ce qui est difficile avec les autres méthodes de recueil.

Quivy et Campenhoudt (1995)11 considèrent que la méthode convient particulièrement pour :

- l'analyse du sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et aux événements auxquels ils sont confrontés : leur système de valeurs, leurs repères normatifs, leurs interprétations conflictuelles, leur lecture de leur propre expérience, etc.,

- l’étude de la perception par l'interlocuteur d'un événement ou d'une situation, ses interprétations ou ses expériences,

- l’analyse d'un problème précis : ses données, les points de vue en présence, ses enjeux, les systèmes de relation, le fonctionnement d'une organisation, etc...

Correctement mis en valeur, l’entretien permet de retirer des informations et des

éléments de réflexions très riches et nuancés. Ses principaux avantages sont : - le degré de profondeur des éléments d'analyse recueillis, - la souplesse et la faible directivité du dispositif qui permet de recueillir des

témoignages et les interprétations des interlocuteurs en respectant leurs propres cadres de références.

Un entretien est une méthode économique et facile d'accès : un petit

magnétophone, de l'audace, quelques personnes, quelques qualités pour obtenir des informations et le « tour est joué » écrit Kaufmann (1996)12.

11 Quivy, R., Van Campenhoudt, L. (1995). Manuel de recherche en sciences sociales. Paris : Dunod 12 Kaufmann (J.C). L'entretien compréhensif, Nathan université, 1996.

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7. Comment assurer la « scientificité » de la méthode

Cela est possible, de plusieurs manières, en : - maîtrisant la technique de l'entretien, - ayant l'esprit critique (exemple : mesurer sa part d'influence sur les propos

de l’interviewé), - demandant à l'interviewé comment il a vécu l'entretien. Les informations que

l'on retire après enregistrement sont souvent très intéressantes (c’est pour cela qu’il faut souvent laisser le magnétophone ouvert une fois l’interview « terminé »),

- essayant d'avoir des informations complémentaire sur l'interviewé (quand cela est possible) et en comparant ainsi les sources d'informations (ex : comparaison entre un discours et une pratique, comparaison entre un discours et une observation)

8. L'entretien est différent des autres formes de recueils de contenu verbaux

L’entretien n’est pas : - une conversation : un échange de propos entre deux personnes. Dans un

entretien, il n'y a aucun retour par l’intervieweur de l'exposé de l'interviewé, l’interviewé ne sait pas ce que pense l’intervieweur de ses propos. Le locuteur peut s'exprimer sans être contredit ou jugé explicitement par l'intervieweur. Il n'y a aucun partage des savoirs. L'échange est maintenu absent.

- un interrogatoire - un interview journalistique - un questionnaire

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II. La technique d’entretien non-directif ou entretien libre

La non-directivité est certainement une notion très difficile à définir. Elle n'existe pas, c'est pour Carl Rogers un paradoxe qui conduit à une posture particulière de l'intervieweur : laisser l'interviewé s'exprimer avec ses mots, ses idées, ne pas s'impliquer, ne pas déformer ses propos, son point de vue. Pour Rogers, l'attitude non-directive permet de recueillir des données « chimiquement pures ».

L'entretien non-directif relève davantage du savoir-faire, d'un savoir pratique, que de savoirs théoriques, c'est un travail après-coup, une analyse de la pratique qui permet de progresser dans les compétences. C'est l'expérience qui est constructive.

Les critiques par rapport à la non-directivité sont nombreuses, de nombreux auteurs dénoncent le mythe de la non-directivité dans la recherche 13.

1. Son principe

L'intervieweur écoute le sujet, sans le diriger. Il intervient le moins possible, reste le plus neutre possible. Dans l'entretien non-directif, il s'agit d'une rencontre, d'un moment exceptionnel, unique, non-reproductible, à risque (part d'incertitude sur ce qui va être dit, sur la manière dont va se dérouler l’entretien, etc.).

Ce qui sera dit dans un entretien à un moment donné ne peut être dit exactement de la même manière à un autre moment. On ne redit jamais la même chose dans deux entretiens successifs. Chaque entretien à sa logique, son déroulement son vécu.

L'entretien non-directif suppose que l'intervieweur reconnaisse chez l'interviewé des compétences tant au niveau de son expression qu'au niveau du problème traité.

L’intervieweur doit être convaincu que l'interviewé à travers son discours est l'approche la plus apte à fournir des informations utiles.

L'intervieweur n'intervient que pour donner les consignes sur le thème de l'entretien, relancer la personne interrogée sur des aspects du problème abordé trop superficiellement ou le recentrer sur le thème de l'entretien

L'intervieweur ne donne pas son opinion, n'influence pas le discours de l'autre et en respecte son originalité. La neutralité est également importante au niveau du vocabulaire de l'intervieweur dans le choix des mots et le vocabulaire adapté. Il faut parler comme l'autre.

Si l'intervieweur doit être neutre, il ne doit pas être passif pour autant, mais il doit être :

13 Bourdieu, P. (1968). Le métier de sociologue. Mouton/Bordas, 1968 Pagès, R. (1970). L'orientation non directive en psychopathologie et en psychologie sociale. Paris : Dunod. Blanchet, A.(1982). Epistémologie critique de l'entretien d'enquête de style non-directif : ses éventuelles distorsions dans le champ de sciences humaines. Bulletin de psychologie, 1982, 358, 187-195 Blanchet, A. (1991). L'influence non-directive. Psychologie française, 1991, 35-3

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• Engageant : sourire, acquiescement, etc... montrer un intérêt réel et motiver l'interviewé. Cet intérêt doit apparaître aussi bien dans les soutiens vocaux que dans les attitudes corporelles, tel le regard, les gestes, l'attitude du corps, la mimique. Cet intérêt doit être véritable et non feint. Il faut une acceptation inconditionnelle de l'autre, l'accepter comme il est, en éprouvant de l'intérêt pour ce qu'il dit,

• Intellectuellement actif : durant l'entretien, l'intervieweur doit effectuer tout un travail cognitif, tout un questionnement dont la question principale est :

* la compréhension ou l'empathie : tenter de comprendre ce que l'autre dit et ressent. « Qu'est-ce que je comprends de ce qu'il est entrain de me dire ? ». « De quoi me parle-t-il ?. « Est-ce que ce qu'il dit c'est clair pour moi, est-ce que nous y mettons le même sens ? ». Or, le plus souvent le sens que chacun donne est très différent. Il y a donc nécessité de faire préciser l'autre par rapport au contenu, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'ambiguïté, jusqu’à ce que l’on puisse dire : « c'est clair, j'ai compris, je ne ferais aucun contresens par rapport à ce qu'il a dit ». Une telle attitude est beaucoup plus difficile à avoir qu’on ne le pense et il est très fréquent lorsqu’on relit un entretien de se demander pour certains propos ce que l’interviewé à bien voulu dire. La compréhension de l’autre nous échappe souvent. Une des compétences à acquérir en tant qu’intervieweur, c’est l’écoute. * compréhension du contenu : « quel est le point de vue de l’interviewé sur ce qu'il est entrain de me dire, est-ce que je le comprends, est-ce que c'est clair, il y a-t-il nécessité d’approfondir jusqu'au bout le point de vue de l'autre ?» * compréhension du sens : « ce qu'il est entrain de dire, pourquoi le dit-il à moi, pourquoi le dit-il ici, quel sens à son discours par rapport à moi, moi qui arrive avec une étiquette, qui ne suis pas neutre ? ». * compréhension de la position : d'où est-ce qu’il est entrain de me parler : « Est-ce qu'il me parle de ce qu'il a vécu, de ce qu'il aurait bien voulu vivre, de seulement un seul aspect de ce qu'il a vécu (négatif ou positif) » ? « Me décrit-il la réalité, l'idéalisation de cette réalité, l'aspect fantasmatique de cette réalité ? ».

L'entretien n'est donc pas un simple enregistrement passif, il y a un traitement de

l'information, traitement complexe : il faut réfléchir sur ce que l’interviewé vient de me dire, tout en écoutant ce qu'il est entrain de me dire, tout en réfléchissant sur la relance qu'on va lui proposer, tout en réfléchissant sur ce que l'on va aborder ou pas par la suite, comment on va réorienter si c'est nécessaire le cours de l'entretien pour répondre aux objectifs qu'on s'est fixé (thèmes à aborder, réponses à des questions, etc....).

Pour cela il est tout à fait possible, même conseillé, au fur et à mesure que

l’interviewé parle, de noter sur un carnet certains de ses propos, de noter ses propres remarques, de conserver ainsi des traces que l’on pourra reprendre ensuite au cours de l’entretien.

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Faire un entretien est un moment éprouvant pour l’intervieweur qui nécessite une préparation, on ne fait pas plusieurs entretiens à la suite.

2. L'entretien non-directif en recherche

Blanchet parle de l'entretien non-directif de recherche (ENDR) qui est un emprunt aux méthodes de Rogers. Cet emprunt pose problème car cet entretien est à la fois en continuité mais aussi en rupture avec l’approche rogérienne. Pour Blanchet, on ne peut ni les séparer, ni les confondre.

Il y a des différences entre les deux : dans un entretien thérapeutique, c'est le patient qui est demandeur, dans un entretien de recherche, c'est l'intervieweur (le chercheur). Les rapports ne sont donc pas les mêmes.

L'entretien dans une recherche est utilisé parce qu'il représente la meilleure méthode pour répondre aux questions que l'on se pose. Il y a donc nécessité d'avoir un questionnement au préalable, de savoir ce qu'on attend du discours sur tel et tel sujet. Ce que l'on ne connaît pas et que l’on cherche à découvrir, c'est quel sera le point de vue de l’interviewé sur le sujet.

Pour Blanchet, un entretien de recherche se caractérise par un contrat de communication particulier qui est posé au préalable et qui constitue la référence pour l'échange. Ce contrat étant validé au cours de l'échange par des discours spécifiques, par des attitudes (silence et attente de l'intervieweur qui ne coupe pas la parole, acquiescement des propos, etc.). Le discours de l'intervieweur se caractérise par des relances, le discours de l'interviewé par une apparente linéarité (qui est contrôlée par l'intervieweur) et par une apparente structuration, il est problématisé, auto-théorisé dans la mesure où l'interviewé cherche à répondre aux questions qu'il se pose et à entretenir sa propre production.

3. La préparation de l'entretien

On n'arrive pas pour faire un entretien sans l'avoir préparé, sans savoir ce que l'on veut traiter et jusqu'où, même si on reste à l’écoute de toutes ouvertures nouvelles (points que l’on n’avaient pas envisagés) qui peuvent être proposés par l’interviewé.

L'entretien est une réponse aux interrogations, la possibilité durant l'entretien d'avoir de nouvelles interrogations. Rester neutre ne veut pas dire que l'autre en face doit dire ce qu'il veut, conduire l'entretien comme il veut. Un entretien non-directif se dirige (avec souplesse). On écarte ce qui ne correspond pas au questionnement. Ce qui n'est pas abordé spontanément par l'autre peut être ensuite abordé14.

14 Il est possible dans un entretien non-directif de commencer sur ce registre et puis une fois que l’on a épuisé avec l’interviewé ce sur quoi il voulait parler, aborder sous une forme plus semi-directive les questions qui n’ont pas été traitées spontanément dans la partie non-directive.

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3.1 La préparation de la grille

Dans un entretien non-directif, comme dans tout entretien, il y a une grille qui permet au chercheur de savoir ce qu'il veut obtenir.

À la différence de Blanchet15, Kaufman revendique une grille de « vraies questions » précises, concrètes plutôt qu'une grille à thématiques générales. Quelle que soit l'approche, la suite d'items dans la grille doit être logique et l'ensemble cohérent.

Si dans l'entretien semi-directif, la grille structure le discours de l'interviewé, en entretien non-directif, elle vient se fondre, s'inscrire dans le discours de l'interviewé. Elle vient rappeler à l'intervieweur ce sur quoi porte l'entretien, elle est un garde-fou qui n'est pas utilisé tant que l'interviewé reste dans ce sur quoi doit porter l'interview.

Dans l'entretien non-directif, l'ordre n'est pas préétabli, il se négocie entre interviewé et intervieweur, à travers les relances. Il s'agit de ne pas « couper » la parole de l'interviewé.

Il est donc possible, et souhaitable de construire un guide, une grille d'entretien, puis de cocher, barrer ce qui a été traité pour savoir ce qu'il reste à traiter. L'idéal, c'est que l'interviewé aborde de lui-même, tous les points de la grille.

Dans un entretien non-directif, on n'est pas obligé de tout traiter, il faut savoir délaisser la grille, si ce que dit l'interviewé est intéressant, original, il faut en profiter et approfondir avec lui cette partie au détriment des autres, si c’est nécessaire, si ce qu’il nous dit nous paraît tellement important ou intéressant….. Le danger d'une grille est de trop se centrer sur la grille, d'en oublier ce que l'autre est entrain de dire. L'idéal est de connaître parfaitement sa grille d'entretien et de l'adapter en fonction des circonstances.

Un exemple de grille d’entretien (Blanchet, 1992)16

Consigne initiale : « Vous avez hérité dernièrement, pouvez-vous me raconter comment ça s’est passé» Guide thématique (série des thèmes à explorer au cours de l’entretien) L’AVANT-SUCCESSION. [Explorer notamment si l’on avait pensé à l’héritage avant qu’il n’arrive] LA SUCCESSION Décès [circonstances, cérémonie, religion, décès vécu par les différents membres de la parentèle] Ouverture et déroulement de la succession [quand et comment ; présence ou non de dispositions testamentaires ou autres]

15 Blanchet, A. , Gotman, A. (1992). L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan, coll. 128, n°19. 16 Blanchet, A. , Gotman, A. (1992). L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan, coll. 128, n°19.

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Protagonistes [qui s’occupe de quoi, dans la famille, en dehors de la famille : avocats, notaires, etc.] LE TEMPS DU PARTAGE Le patrimoine [composition, provenance] Les héritiers [situation familiale et statut socioprofessionnel] Principales options concernant la répartition des biens [indivision, donations du vivant ou non, répartition entre conjoint survivant et descendants] Circonstances et explications de ces options HÉRITAGE ET RELATIONS FAMILIALES

Relations entre légateur et légataires avant le décès Relations entre héritiers [avant, pendant et après le décès et la succession] Rôle des conjoints dans la succession ÉCONOMIE DES BIENS HÉRITÉS

Prise de décision [circonstances, protagonistes : héritiers seuls, ménages, fratries, héritier + conjoint survivant, etc.] Choix [dépenses, achats, garder, investir, vendre ; individuellement, à plusieurs et avec qui] Significations de ces choix [par rapport au devenir familial, à la stratégie professionnelle, à la stratégie patrimoniale]

On voit ici dans cet exemple que la grille aborde les principaux themes liés à la question de l’héritage

Le guide d’entretien se distingue ainsi fonctionnellement du protocole du questionnaire dans la mesure où il structure l’interrogation mais ne dirige pas le discours. Il s’agit d’un système organisé de thèmes, que l’intervieweur doit connaître sans avoir à le consulter ni à le formuler sous la forme d’un questionnaire. En effet, ce guide a pour but d’aider l’interviewer à élaborer des relances pertinentes sur les différents énoncés de l’interviewé, au moment même où ils sont abordés. Cette technique permet donc, du moins en principe, à la fois d’obtenir un discours librement formé par l’interviewé, et un discours répondant aux questions de la recherche.

3.2 Population et échantillon

Qui interviewer et combien de sujets interviewer ? Voilà deux questions auxquelles on se doit répondre. La définition de la population est souvent incluse dans la définition même de l'objet et dans l'hypothèse formulée.

On peut composer un échantillon : o homogène : c’est-à-dire ayant le même type d'interviewés o avec des sous-populations : chaque population étant homogène et

hétérogène aux autres o le plus hétérogène possible : on retient la diversité o cible (sujets en rapport directe avec l'étude) et un échantillon

satellite (sujets qui va réfléchir sur les premiers). Exemple : des visiteurs de musées (cible), des médiateurs (satellite)

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o représentatif : la question est de savoir ici de quoi ? o selon des critères (âge, catégories socioprofessionnelles, ….)

Le nombre d'entretiens dépend de l'objet d'étude, si ce dernier est faiblement ou

fortement multidimensionnel, de la diversité des attitudes supposées, de la diversité des variables susceptibles de jouer sur les réponses (sexe, âge, ....).

3.3 La conduite de l'entretien

Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour conduire un entretien.

3.3.1 Le contrat de communication

Avant de démarrer un entretien, l'intervieweur doit établir un contrat de communication, autrement dit situer la place de chacun des protagonistes. Il s'agit pour Blanchet d'établir un engagement moral autant que les règles sociales de la relation.

Ce contrat de communication est impulsé par l'intervieweur qui commence par fournir :

- son nom, - l'objet de sa démarche, - le nom de l'institution, Le contrat explique de quelle manière l'interviewé a été choisi (les modalités

d'échantillonnage). Il signale que l'entretien est enregistré17 et la durée de l'entretien. Il insiste sur les règles déontologiques liées à la pratique de la recherche ou de l’évaluation (anonymat, confidentialité).

L'intervieweur précise ses attentes par rapport à l'interviewé : « nous voulons avoir le point de vue de... sur... nous pensons que vous pourrez.... c'est pour cela que nous vous avons contacté... je souhaiterais donc que vous puissiez vous exprimer le plus librement sur ce sujet et que vous me disiez comment vous voyez...... ». Il est également important de faire comprendre au sujet qu'on ne posera pas de question.

3.3.2 La question ou consigne de départ

Plusieurs options sont envisageables : • Commencer par une question ouverte Elle stimule, il s’agit ici de ne surtout pas commencer par une question très

pointue, une question fermée. À partir de là, on note dans la réponse tous les éléments qui sont abordés : ils signifient que le sujet y accorde de l'importance. Ce sont ces 17 C’est une règle, il ne peut y avoir d’entretien sans enregistrement. Certains auteurs proposent de prendre des notes. L’interviewé est souvent obligé de ralentir ses propos pour laisser le temps à l’intervieweur de tout noter, on obtient donc beaucoup moins d’informations (c’est plus pauvre), les propos sont moins spontanés, l’interviewé prend le temps de réfléchir. Enregistrer c’est garder une trace complète de ce qui a été dit et donc la possibilité de revenir dessus.

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éléments qu'il faudra reprendre et retravailler dans la suite de l’entretien. Ne pas en tenir compte, c'est se donner les moyens de passer à côté de l'entretien, cela signifie qu'on n’écoute pas, qu'on a autre chose en tête, il faudra ensuite regagner la confiance de l’interviewé.

Une fois qu'on a épuisé un thème, il faut passer au suivant, ...... traiter ensuite des points qui n'ont pas été abordés.

Une telle approche pose le problème du degré d'ouverture : on peut même commencer par une question que n'a pas trait directement au problème étudié, mais qui permet de situer dans les propos spontanés de l'individu la place qu'il accorde à ce problème. Exemple : si l'on veut faire un entretien sur les visites de musées, au lieu de commencer par « parlez-moi de votre pratique des musées », on peut commencer par « parlez-moi de vos loisirs, de vos sorties ….. ». Si la personne aborde directement et spontanément le thème de la visite des musées, alors qu'on ne lui a rien demandé de précis là-dessus, ce n'est pas la même chose que si on est obligé de lui demander au bout de plusieurs minutes « les musées vous les fréquentez ? ».

Le fait d'avoir une question plus large que le problème permet de connaître la valeur relative que le sujet accorde à ce problème. Toutefois, cette valeur peut être également abordée durant l'entretien sur le problème lui-même.

Le risque d'une question très ouverte est que le sujet n'aborde pas spontanément le thème de recherche et donc qu’il va falloir, le « couper » et l’orienter vers le thème.

• Commencer par quelques questions Point de vue de Kaufman, pour lui il faut commencer par quelques questions

simples et faciles, juste pour rompre la glace dit. Toutefois, il relève les limites de cette approche, si les questions sont trop nombreuses on risque d'installer l'entretien dans un jeu de questions-réponses (réponses de surface).

• Commencer par les représentations, Il s’agit de commencer l’entretien sur les opinions, les valeurs. La consigne ici

est réflexive : « que pensez-vous de l’art contemporain, …… des musées d’art contemporain ».

• Commencer par des faits concrets La consigne ici est descriptive. Jodelet dans son étude sur les représentations de

la maladie en milieu hospitalier part dans ses entretiens du particulier pour aller au général, à partir de descriptions de malades, d'éléments de la vie quotidienne, d'explicitations de comportements concrets ou d'usages observés pour faciliter l'expression des enquêtés et permettre ainsi la mise à jour des représentations qui avaient de fortes chances d'être occultées dans un entretien classique. La consigne quant à la pratique des musées serait alors « quels sont précisément les musées que vous avez dernièrement visités… ».

• Personnaliser la consigne : avantage de cette approche, le sujet s'implique fortement dans son discours, il parle de lui, de ses sentiments, de sa pratique. Inconvénient : il peut y avoir une certaine résistance de sa part par rapport à certains

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thèmes « j'aimerais savoir quel est votre point de vue et qu'elles ont été vos expérience concernant.... ».

• Dépersonnaliser la consigne « j'aimerais savoir ce que vous pensez de ce phénomène et que vous me disiez tout ce qui vous vient à l'esprit à ce sujet ». Consigne qui favorise ici l'expression de points de vue généraux et évite pour l'interviewé, dans un premier temps, le récit de sa propre expérience.

Chauchat18 considère que pour une même étude, on doit utiliser la même consigne de départ et qu'il est nécessaire de choisir la consigne la plus adaptée à l'étude et donc de procéder à un test proposé à plusieurs sujets d'une population parente. On choisit la meilleure formulation en fonction des réponses obtenues à chacune. Cette approche est toutefois assez peu respectée, la plupart des théoriciens de l’entretien revendiquant l’idée d’une adaptation à chaque fois renouvelée à l’interviewé.

3.3.3 La prise de note

Durant l'entretien, on l’a déjà évoqué, il est possible, même conseiller de prendre des notes : noter les différentes idées de l’interviewé pour pouvoir ensuite les retravailler. « Il a dit ceci et cela, on va donc d'abord creuser ceci, puis ensuite cela (tout à l'heure vous avez dit également que......) ».

3.3.4 Les modes d'intervention

Certains auteurs préfèrent l’expression d’intervention plutôt que question, cette dernière étant associée à l’idée d’une courte réponse (question/réponse). Pour inciter une personne à continuer par rapport à un thème donné, différents modes d'intervention sont possibles :

* la contradiction : intervention s'opposant au point de vue de l'interviewé et qui l'amène à justifier, soutenir son point de vue. Problème il y a dans la justification de l’interviewé des propos qui vont être construits pour l'occasion (recherche d'une logique et d'une cohérence), l'intervieweur semble donner son point de vue à l'interviewé (point de vue contraire qui peut être perçu comme un jugement). L'intervieweur interrompt l'interviewé dans sa narration. On a deux points de vue, deux personnes qui parlent. Ce type d’intervention induit une tendance de l’interviewé à extrémiser ses opinions. D’autre part, en apportant la contradiction, l’interviewer quitte son statut de neutralité, à moins qu’il ne prenne un rôle explicite de porte-parole du parti opposé. Approche utilisée dans l'entretien journalistique (porte-parole de l'opinion publique). Blanchet déconseille son utilisation en entretien de recherche. Dans le cadre d’un entretien de recherche ou dans le cas d’une évaluation, la contre-argumentation

18 Chauchat, M.H. (1985). l'enquête en psychologie sociale. Paris : PUF.

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directe de l’intervieweur peut être interprétée comme l’expression de sa propre opinion et conduit ainsi à une transgression du cadre propre au genre, qui veut que la seule information extraite soit celle de l’interviewé. * la consigne ou question externe : la consigne cadre l'entretien qui est une intervention directrice introduisant un thème nouveau Elle est donnée en début de tout entretien par une phrase inaugurale. La consigne est une intervention visant à définir le thème du discours de l’interviewé. Tout entretien de recherche débute par une consigne inaugurale ; celle-ci doit être claire, non contradictoire avec le contrat initial et plus précise que ce dernier quant à l’objet de la demande. La consigne donne à l’interviewé le contexte thématique et logique de l’entretien. Le champ des réponses attendues doit être suffisamment large pour que tous les interviewés d’un même échantillon puissent y inscrire leur propre discours. Les consignes sont formulées comme des demandes de réponse discursive concernant soit les représentations de l’interviewé, soit ses expériences. Elle donne le contenu et la logique de l'entretien : - « j'aimerais que vous me parliez de..... et ce que cela représente pour vous » discours d'opinion - « j'aimerais que vous parliez de.... et comment ça se passe » discours de narration - « maintenant j'aimerais que nous abordions .... » la consigne permet d'introduire une nouvelle séquence thématique. Quand l'intervieweur utilise de type de consigne, c'est lui qui structure l'entretien, le dirige au détriment du sujet et de sa « logique ». Le rôle des consignes est essentiel dans l’entretien. Ces instructions ajoutent des éléments d’information au cadre contractuel dont le respect est un enjeu pour que soit assurée la pertinence du discours. Chaque consigne introduit une séquence thématique nouvelle. La multiplication des consignes traduit à l’interviewé la part de structuration que l’intervieweur entend donner au discours produit. Toutefois, il ne faut pas oublier que plus le discours est structuré par l’interviewer, moins le discours de l’interviewé est prolixe, associatif et articulé selon une cohérence interne. * la relance : certainement l'intervention la plus appropriée pour un entretien. Il s’agit d’une sorte de paraphrase plus ou moins déductive et plus ou moins fidèle qui est une intervention subordonnée, s’inscrivant dans la thématique développé par l’interviewé. Il s'agit de reprendre ce qui a été dit antérieurement par l'interviewé. La relance s'inscrit, se coule, dans la narration de l'interviewé. La relance ne définit pas les thèmes à évoquer, elle s’inscrit dans le déroulement des énoncés de l’interviewé comme un fragment de contenus subordonné à ce dernier. C’est un acte réactif, elle tend à favoriser une rétroaction de l’interviewé sur son propre discours, qui l’amène à expliciter davantage sa pensée et à

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développer le fragment de discours mis en question (contesté) indirectement par l’intervention.

Blanchet relève l'existence de six types de relance, chacune ayant des effets

spécifiques sur les discours produits. On peut les regrouper selon deux critères : l’acte de langage accompli par l’interviewer et l’instance discursive visée.

• L’acte de langage accomplit par l'intervieweur qui peut être :

- le mode réitératif : l'intervieweur relance la parole du point de vue de l'autre « voici ce que je prend dans ce que vous me dites ». Le contenu propositionnel de l'intervieweur dans la relance est le même que celui d'un énoncé de l'interviewé selon les modèles suivants

* écho : « vous m'avez dit (p.)…..Je vous dis que vous m'avez dit (p) ....... ». Répétez à quelqu’un quelque chose qu’il vient d’énoncer manifeste à cet interlocuteur qu’on a bien entendu et compris, mais également que, à son insu, on opère une sélection dans l’ensemble de son discours, dont on souligne ainsi l’importance en soir et pour soi. L’écho est une technique repérable et son usage systématique peut agacer l’interviewé. Dans l’exemple suivant19, l’interviewé occupe un poste professionnel important, il parie de son travail et résiste aux échos infirmatifs de l’interviewer :

Ié : On ne peut pas partir un mois, par exemple, même si c’est pour des raisons

professionnelles impérieuses. C’est très gênant si je pars un mois….et c’est la

même chose d’ailleurs pour la plupart des gens qui travaillent avec moi.

Ieur : Mais vous-même, vous ne pouvez pas partir un mois.

Ié : Oh non.. enfin je ne veux pas dire qu’on ne pourrait pas le faire, hein... mais

enfin... c’est pas organisé pour ça... Mais exceptionnellement, une fois je peux

très bien partir un mois, s’il le fallait... à condition... de m’être arrangé

d’avance.

Ieur: Vous dites que ce n’est pas organisé pour ça.

Ié : Ben non, parce que je ne suis pas amené à partir un mois... dans mes

fonctions... Mais si je devais... par mes fonctions, moi j’ai... j’ai des

collaborateurs qui partent un mois... deux mois, trois mois de suite... c’est prévu

19 Blanchet, A. et coll. (2005). Les techniques d’enquêtes en sciences sociales. Paris : Dunod

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dans l’organisation... Mais moi personnellement, c’est pas prévu... si je devais

partir heu... pour des périodes si longues, eh bien il faudrait que je m’organise

en conséquence... C’est pas l’objet de mes fonctions.

Ieur : Les voyages, c’est pas l’objet de votre fonction.

Ié : Si, mais pas des voyages si longs... bon ça me paraît clair tout ça... ce sont

des voyages fréquents, mais de durée relativement limitée.

Ieur : Donc, vous faites des voyages fréquents.

Ié : Oui... de durée limitée, (silence).

L’écho est ici utilisé par l’interviewer sur un mode infirmatif, il vise à affaiblir l’autorité et la cohérence de l’interviewé en soulignant essentiellement les énoncés qui traduisent les contraintes auxquelles ce dernier est soumis dans sa vie professionnelle.

* reflet : « vous m'avez dit (p) ..... je vous dis que vous m'avez dit X = croyance (p) ... ». Les réitérations qui reflètent l’attitude de l’interviewé ne mettent pas en cause la valeur de vérité en soi de la proposition réitéré, mais lui attribuent une origine énonciative qui relativise le contenu énoncé et substitue à la problématique de la véridiction, celle de la sincérité du locuteur. En réponse à une série de « reflets » l’interviewé réfèrera davantage à sa position personnelle. C’est l’acte de pensée de l’interviewé qui devient le véritable objet de l’interlocution. Dans l’exemple suivant, en l’absence de cas concret à évoquer concernant le problème de la drogue, cette femme vivant à la campagne est fortement sollicitée par un « reflet » à exprimer (voire construire) ce qu’elle ressent à l’égard du problème. Ié : Ici on a des réactions que lorsqu’on voit certains cas, alors on peut porter... je ne sais pas, c’est pas un jugement, mais c’est difficile de dire là. Il faudrait connaître le milieu, pourquoi exactement. « Pourquoi », justement c’est à partir de l’aspect concret... dans quel cadre est-ce qu’il est amené à faire ça... Il est certain, si on se drogue, c’est pour une raison quelconque. Ieur : Oui, et... ce que je sens, c’est que... enfin tout ça vous paraît un peu... un peu flou. Ié : Heu... comment ? Ieur : Heu... Ne connaissant pas de cas concret…. Ié : Oui.

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Ieur : Ça vous paraît... Ié : C’est vrai, je ne peux pas dire... pour moi... je ressens... c’est terrible, c’est terrifiant... mais... le pourquoi j’aimerais bien.., moi j’ai appris... je crois que je pourrais dire quelque chose si j’avais vu quelques cas, à partir... en connaissant le milieu, parce que vraiment... si je le rencontrais dans la rue, ben... ça vous marque, mais... sans plus, quoi, hein. Je ne sais pas moi, hein. C’est surtout le milieu... familial dans lequel ils vivent, dans... qui peut-être amène une suite de.. préjugés, quoi. Enfin je ne sais pas, c’est... mon avis personnel. Ce sont des êtres qu’on ne peut pas juger, si jugement il y a, on ne juge pas, c’est affreux, pour moi, c’est affreux de dire juger quelqu’un.

Le « reflet » ou « relance en miroir », ou encore « reformulation des sentiments » est une intervention caractéristique des thérapies rogeriennes.

- le mode déclaratif : l'intervieweur donne son point de vue sur le discours ou l'interviewé lui même « voici comment je vous vois ». Déclaration qui renvoie à des actes assertifs dont le contenu propositionnel est inféré par l'intervieweur à partir de l'énoncé de l'interviewé selon les modalités suivantes :

* complémentation « vous m'avez dit (p), je vous dis que j'en déduis (q) ». En faisant une complémentation (synthèse partielle, anticipation incertaine, inférence sur le contenu), l’intervieweur ne donne pas son point de vue personnel tout en laissant supposer, n’opère aucune interprétation tout en indiquant qu’il écoute ce qu’on lui dit. L’usage répété de cette déclaration « référentielle » entraîne une relation intersubjective fondée sur une sorte de coopération commune pour produire le meilleur discours possible : le plus cohérent, le plus complet. L’intervieweur semble mettre toute son énergie à comprendre et à aider la construction de l’histoire qu’on lui raconte. Pour ce faire il opère selon trois manière : a) il propose une sorte de reformulation conclusive et généralisante qui montre qu’il a compris et qui confirme parfaitement l’interviewé sur l’intérêt de ce qu’il dit b) ou bien il avance une déduction incertaine et hâtive, auquel cas « il fait l’âne pour avoir le son » et l’interviewé doit faire un développement supplémentaire pour combler la lacune apparente (dans l’expression et dans la compréhension) c) ou il fait une inférence logique ou pragmatique certaine qui relève une écoute sensible au raisonnement dans l’exposé des pensées et des faits. Si l’on prend pour exemple le passage suivant d’un entretien sur le thème de la résidence secondaire, au cours duquel l’interviewé (Ié) raconte à l’intervieweur (Ieur) comment dans son adolescence il aimait déjà construire des cabanes :

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Ié : J’étais à ... chez mes parents à cette époque.

Ieur : C’est dans ... c’est dans la Creuse, aussi.

Ié : C’est la Haute-Vienne. Mais le lac fait Creuse-Haute-Vienne... Bon, alors,

si vous voulez, certainement que dans le fait que j’attaque le... une résidence

secondaire à B. (nom géographique), il y avait, heu, un peu d’atavisme..

Ieur : Oui... ... Et puis, en tout cas, vous avez une notion de..., des notions

d’architecture.

Ié : Ah oui ! Ça, on en a eu , hein, parce que... la première cabane qu’on a dû

monter, ça devait être sur une carcasse de camion... On avait pris le...

Ieur : Le plancher du camion.

Ié : Non. non, non ! Même pas ! C’était un système qui tenait la bâche du

camion, voyez, des arceaux de... en fer et tout ça, qu’on avait monté, là, dans un

coin de la scierie.

Ieur : Oui... C’était une tente en bois, quoi.

Ié : Ah, oui, mais il y avait tout ce qu’il fallait. On y mangeait, là-dedans. Alors,

à cet âge-là, on devait avoir 12, 13 ans, hein... On avait eu un mal fou, parce

qu’il avait fallu boulonner toutes les planches sur le truc en ferraille (...). Alors

là, on y passait régulièrement, on y faisait des surboums, on fêtait tous les

anniversaires. S’il y avait pas d’anniversaires, on y fêtait Noël, le Premier de

l’An, enfin, on y faisait tout, là-dedans.

Ieur : Et ça, c’était avec des copains qui venaient de la même ville.

Ié : Oui, oui. Du petit village qui est en ..

Les première, troisième et cinquième interventions sont des

anticipations incertaines : l’interviewer « fait l’âne pour avoir du son » ; la seconde et la quatrième sont des déductions synthétisantes et conclusives. La description de l’interviewé est ainsi soutenue dans le choix et la précision des termes utilisés, par des interventions de l’intervieweur qui manifeste son intérêt pour une telle construction de la référence.

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* interprétation « vous m'avez dit (p), je vous dis que j'en induis que vous avez les propriétés-qualités (X = opinion, sentiment, attitude,...) ». L’interprétation est une intervention focalisée sur la cause du dire de l’interviewé, c’est-à-dire sur son sens tel qu’il est constitué par l’intention du sujet parlant. Une telle recherche d’intentionnalité est presque toujours perçue par l’interviewé comme une prise de pouvoir sur son discours ; en effet, tout locuteur se veut détenteur du sens de ce qu’il dit et ne cède apparemment cette prérogative à l’interlocuteur que dans des situations particulières (affiliation, transfert, soumission, …). L’interprétation entraîne des effets de consentement ou de résistance selon qu’elle est supposée révéler des intentions congruentes avec le contenu propositionnel du dire (interprétation confirmative) ou des intentions incongruentes (interprétations infirmatives). Les interprétations confirmatives sont en général validées par l’interviewé ; elle tendent à orienter le discours vers le registre modal. Les interprétations infirmatives contraignent l’interviewé à rétablir une certaine cohérence et orientent le discours vers la construction d’une version remaniée de la chaîne des causes. Ce discours démonstratif s’accompagne souvent d’un processus de dégagement du sujet de généralisation. Il est fréquent qu’à cette occasion, l’interviewé adopte un jargon de spécialiste. Dans l’exemple suivant, l’interviewé est un homme qui a deux frères (1) et (é) ; le frère (2) s’est occupé du partage à la suite d’un héritage, il est suspecté de l’avoir fait à son profit.

Ié : Ce qu’on pourrait faire, mais on n’aime pas ça, on pourrait prendre une

estafette, aller chez mon frère et revenir. Ca, j’ai pas du tout envie de la faire ;

mon frère aîné n’a pas du tout envie de la faire non plus.

Ieur : Et pourtant vous vous sentez un pue lésé

Ié : Oui, complètement

Ieur : En même temps vous vous sentez lésé(s) et en même temps vous dites

(discours précédent) que l’argent. c’est pas très important...

Ié : Oui, parce que finalement, en fait sur les trois, y en a toujours un qui

profite... et c’est pas normal ; à ce moment-là, il aurait dû faire les choses

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correctement. On se sent lésé parce que, finalement dans une société où on se

laisse faire, on se sent toujours lésé, si on se laisse faire. Finalement, y en a

toujours un qui profite au maximum et qui y arrive.

Dans cet exemple, la première intervention de l’intervieweur contrecarre le point de vue tenu par l’interviewé, puis dans un deuxième temps, l’intervieweur souligne une contradiction qui laisse supposer que le propos de l’interviewé ne rend véritablement pas compte de ce qu’il ressent et de ce qu’il pense. Ici l’intervieweur dit en quelque sorte : « Vous vous masquez votre propre sentiment ». Le discours subséquent de l’interviewé est de type démonstratif ; il justifie après coup des prises de positions contradictoires (se sentir lésé et ne pas avoir envie de réparer le dommage subi); il généralise le problème, objective la situation, neutralise les sentiments.

- le mode interrogatif : l'intervieweur intervient en demandant explicitement le point de vue de l'interviewé sur un thème donné « voici ce que je veux savoir ». Ce sont des actes directifs dont le contenu propositionnel est inféré par l'intervieweur à partir de l'énoncé de l'interviewé selon les modèles suivants :

* interrogation référentielle : « vous m'avez dit (p), je vous dit que j'en déduis (q), est-ce que (q) est vrai ? » * interrogation modale : « vous m'avez dit (p), je vous dis que j'en induis que vous avez les propriétés-qualités (X = opinion, sentiment, attitude,...), est-ce que (X) est vrai ? ».

Trop d’interrogations perturbe le déroulement de l’entretien. Le cas est fréquent lors d’entretiens effectués par des intervieweurs inexpérimentés. On constate alors qu’une proportion élevée d’interventions interrogatives (traduisant un certain malaise de l’intervieweur) ont pour fonction de rompre la linéarité du discours de l’interviewé ; un contrat de communication non conforme au contrat initial de l’entretien se constitue à la suite des initiatives nombreuses que prend l’intervieweur, notamment pour demander constamment des précisions : l’interviewé attend de l’intervieweur qu’il l’interroge et de fait lui délègue une part importante de la responsabilité de renonciation. Un entretien fondé sur une conduite trop interrogative est assimilable à un interrogatoire. Ce n’est ni un questionnaire, dans le sens où aucune question préalablement préparée ne vient justifier et définir le contenu et la forme des interventions de l’interviewer, ni un entretien de recherché ou d’évaluation, puisque le but atteint n’est pas conforme à l’objectif en principe visé par ce dispositif : favoriser la constitution d’un discours linéaire. Toutes les interventions de l’intervieweur dans l’entretien s’inscrivent dans un discours qu’elles centrent sur certains objets et dont elles sollicitent certains registres ; ce qui fait que la construction discursive de l’interviewé est en même temps celle de l’intervieweur. Commandé par une

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situation sociale, un contrat initial et des interventions de l’intervieweur, le discours se révèle être le produit d’une série d’interactions permanentes.

• L’instance discursive visée :

- le registre référentiel : représente les objets et faits qui font la matière des propos discursifs

- le registre modal : représente un certain état psychologique du locuteur Pour les pragmaticiens le discours permet d'accomplir trois fonctions essentielles :

- fonction d'acte : altérer l'état de l'auditeur - la fonction modale : traduire l'état du locuteur - la fonction référentielle : dire comment sont les choses

• relance incitatives : oui et oui, qui encore, qu'est-ce que tu peux dire sur.... quelles idées tu as encore....

• réitération ou reflet : l'intervieweur reprend une partie du discours ou peut reformuler (synthétiser) certains propos de la personne interrogée, ce qui établit une relation d'écoute. Les reformulations peuvent aider la personne à s'exprimer, l'intervieweur étant une sorte de reflet de ses propos (« vous venez de dire ......... ». On l'invite à réécouter ses propos pour voir s'il n'a rien à ajouter, compléter, etc. Une interrogation « vous pensez que ......vous pensez réellement que....vous pensez que tout le monde est de votre avis …… »

Ces six types de relance par l’intervieweur peuvent être représentés selon le

schéma suivant Déclaratif Interrogatif Réitératif Réfléchit une attitude ou un sentiment implicite

Demande une réflexion sur l'attitude ou les sentiments

Reformule une attitude ou un sentiment implicite

Réflexif sur les sentiments

RÉFLEXIF

Réfléchit un contenu implicite

Demande un approfondissement du contenu

Reformule un contenu explicite

Réflexif sur le contenu

Complémente Demande une explication

Anticipe sur la suite du discours

Déductif EXPRESSIF

Donne son point de vue sur la question

Demande une précision

Répète ce qui vient d'être dit

Incitatif

Prend position sur un thème nouveau

Demande le développement d'un thème nouveau

Relance sur un thème nouveau

Thématique THEMATIQUE

Acquiesce S’étonne Ponctue APPROBATIF

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Soit, pour illustrer ces interventions, un exemple extrait d’un entretien tiré de l’enquête et ses méthodes de Blanchet20:

Des étudiantes ont été interviewées sur la pratique des mères porteuses et les représentations qu’elles en avaient. L’une d’entre elles énonce les propositions qui sont les suivantes :

« Les mères porteuses sont courageuses... mais je pense qu’elles sont inconscientes ».

Le discours est composite, il énonce littéralement deux propositions qui

s’inscrivent, la première dans le registre référentiel, la seconde dans le registre modal. Voici, à titre illustratif, six propositions d’interventions :

- Écho : l’intervention répète ou reformule un ou plusieurs énoncés référentiels du discours de l’interviewé : « elles sont courageuses » ou « elles sont inconscientes », ou « elles sont courageuses et inconscientes ».

- Reflet : l’intervention répète ou reformule avec un préfixe modal un ou plusieurs énoncés du discours de l’interviewé : « vous pensez qu’elles sont courageuses » ou « vous pensez qu’elles sont inconscientes », ou « vous pensez qu’elles sont courageuses et inconscientes ».

- Complémentation : l’intervention vient ajouter un élément d’identification de la référence à l’énoncé précédent de l’interviewé. Ce sont soit des déductions partielles : « elles (les mères porteuses) se créent des problèmes » ; soit des anticipations incertaines (complémentations incluses) : « et aussi dévouées » ; soit des inférences logiques ou pragmatiques : « elles ne sont pas conscientes ».

- Interprétation : elle vise à suggérer une attitude non explicitée par l’interviewé : « vous craignez des conséquences néfastes ».

- Interrogation référentielle : c’est une demande d’identification supplémentaire de la référence : « dans quel cas ? ».

- Interrogation modale : c’est une demande d’identification de l’attitude propositionnelle de l’interviewé : « qu’est-ce que vous en pensez ? ».

Les relances de l’interviewer ont cette particularité d’être des commentaires : elles prennent comme support le discours de l’interviewé. Par ses relances, l’interviewer paraît ne rien dire qui n’ait été déjà dit : il souligne, synthétise, reformule, demande une précision, et semble laisser à l’interviewé la part essentielle de la construction discursive.

Pourtant chaque relance est différente et, à chacun de ses tours de parole, l’interviewer dispose d’un éventail assez large de choix parmi plusieurs solutions

20 Blanchet, A. , Gotman, A. (1992). L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan, coll. 128, n°19.

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possibles. De ce fait, il est difficile de soutenir qu’une relance n’aurait qu’un simple rôle de ponctuation ou de confirmation, qu’elle serait en quelque sorte « non-directive ». Chaque type de relance acquiert en effet pour l’interviewé une valeur informative à laquelle son discours répondra nécessairement. Les relances guident le discours, l’influencent dans son contenu et sont également susceptibles d’entraîner des modifications de l’opinion des interviewés dans certaines conditions.

Il faut savoir également dans un entretien ne pas couper les silences, ne pas faire des relances inappropriées coupant ainsi l'émergence de propos authentiques. Savoir revenir sur certains problèmes qui ont été évacués par l'interviewé en trouvant le « bon angle d'attaque ».

3.3.5 La durée

Traditionnellement 1h, minimum 3/4h, un quart d'heure étant considéré comme trop court. Pourquoi faut-il du temps, pour pouvoir faire émerger progressivement la pensée originale du sujet, au début il peut y avoir des mécanismes de méfiance, de défiance, on peut avoir un discours de conformité sociale, progressivement ce discours tombe, une fois qu'on a éclusé les lieux communs, on est bien obligé de se référer à soi, le discours devient plus authentique. Ce n'est pas toujours vrai, il peut rester de conformité tout le temps et être authentique dès le début. C’est un élément à prendre en compte dans l'analyse.

Dans le cadre d’une évaluation dans un musée, il est très difficile de pouvoir faire un entretien d’une heure, surtout lorsque l’on prend les gens après la visite. Il faut prévoir un endroit calme pour pouvoir mener l’entretien, faire asseoir les gens, les mettre à l’aise et savoir qu’on ne pourra peut-être pas tout aborder par manque de temps.

3.3.6 L'issue de l'entretien

Il est toujours utile, à l'issue de l'entretien d'obtenir des renseignements sur la façon dont l'interviewé a vécu l'entrevue. À côté de l'aspect humain de la démarche, il y a aussi des informations possibles pour analyser ensuite les données recueillies, d’où laisser le magnétophone ou le remettre en marche.

Ne pas oublier de remercier la personne pour le temps qu’elle vient de nous consacrer.

Après le travail de terrain, commence une autre activité que l'on peut décomposer en deux étapes :

- la transcription des données collectées, - leur analyse.

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III. Transcription de l'entretien

On considère que l'analyse rigoureuse des entretiens n'est possible que si le contenu de leur enregistrement fait l'objet d'une transcription écrite. On passe d'un contenu verbal recueilli oralement à un support écrit. Une telle opération ne va pas de soi. Passer du travail parlé au langage écrit ne va pas de soi. Ce n'est pas un simple travail d'exécution technique, mais une opération complexe, comparable à celle d'un traducteur plutôt qu'à celle d'un copiste. Elle relève de la responsabilité de l’évaluateur. Comme tout travail de traduction, la transcription des entretiens peut « coller » plus ou moins au discours original, depuis la transcription intégrale jusqu'à divers degrés de la transcription élaborée.

1. La transcription intégrale

Elle reprend la totalité des informations verbales, para-verbales et non verbales émanant de l'interviewé et de l'intervieweur. Elle consigne les éventuelles interruptions intervenues en cours d'entretien

. Le discours verbal : la totalité des énoncés sont repris mot à mot dans l'ordre de leur énonciation. Sont respectées les répétitions, les incorrections et toutes les marques souvent relâchées du langage oral. Ce parti pris de fidélité tolère cependant une part de régulation de la chaîne parlée par le respect de certaines règles de ponctuation indispensable à la lisibilité minimale du texte (virgule, point final, point de suspension). L'important est que le transcripteur fixe de manière conventionnelle les règles de report du registre verbal au registre écrit et qu’il les respecte pour la totalité d'une série d'entretiens.

. Les informations paraverbales et non-verbales : les traits non linguistiques d'accompagnement du dire figurent dans la transcription intégrale. Dans la catégorie des traits paraverbaux du discours figurent les inflexions de la voix, les accentuations et les chuchotements, ainsi que le débit de la parole, les hésitations, pauses et silences. Les éléments non-verbaux qui accompagnent et ponctuent le discours sont également notés : sourires, rires, moues, clins d'oeil, haussement des épaules, etc. Ces gestes et mimiques divers participent à l'expression subjective de sentiments, opinions, jugements que la personne garde, consciemment ou non hors du champ de la parole. Ces expressions non-verbales sont parfois de véritables marqueurs d'un groupe social particulier.

. Les usages de la transcription intégrale : indispensable dans une évaluation relevant de la phonologie, de la dialectologie, de la psycholinguistique, la transcription intégrale n'est pas nécessairement utile dans une évaluation de type sociologique. Tout au plus, constitue-t-elle une première étape dans l'établissement d'un texte lisible et analysable. Dans la pratique cette toute première étape peut être sautée à la condition que soit conservé l'enregistrement original qui sera écouté en cas de doute sur un accent, une intonation ou un lapsus.

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Dans le cas où l'entretien retranscrit est communiqué à la personne interviewée elle même, il est préférable que celle-ci ait fait l'objet d'un minimum d'élaboration pour être non seulement lisible, mais « acceptable » par celle-ci quant à l'image qu'elle se fait d'elle-même.

2. La transcription élaborée

Il y a plusieurs degrés d'élaboration de la transcription d'un entretien depuis le simple toilettage jusqu'à une véritable réécriture, en particulier en cas de publication de larges extraits. Le passage de la forme intégrale à une forme plus ou moins élaborée de transcription des entretiens est lié aux nécessités de leur analyse. Cette opération relève de la responsabilité de l’évaluateur et suppose un choix délicat entre les exigences du respect de l'authenticité du dire et de la lisibilité du texte écrit d'autre part. Elle doit être expliquée dans le compte-rendu d’évaluation.

. Le travail d'élaboration du discours : dans une première phase le texte peut

être simplement toiletté et débarrassé des parasites de la parole (bégaiements, répétitions, interjections, euh, ben...) considérés comme des scories sans intérêts par rapport à l’évaluation. Le reste du discours est respecté dans la dynamique de son énonciation. Le vocabulaire, les tournures de phrases, les enchaînements des propos de l'enquêteur et de l'enquêté sont scrupuleusement reproduits. Dans une seconde phase, les retouches formelles visent à rétablir le discours oral dans une forme de langage grammaticalement compatible avec les usages de l'écrit : mise en concordance des temps verbaux dans un récit, rétablissement de l'adverbe « ne » fréquemment omis dans les phrases négatives, etc.

. La structuration globale de l'entretien : le double travail de toilettage et de

correction grammaticale est souvent insuffisant pour rendre le texte lisible et utile. Il reste à démêler les noeuds d'une argumentation embrouillée, renouer le fil d'un récit, remettre à leur place les pièces d'un puzzle présenté pêle-mêle. Il s'agit alors de remettre de l'ordre dans l'entretien.

La mise en ordre chronologique se justifie dans le cas des récits de vie. En effet, ceux-ci sont rarement relatés dans l'ordre exact de succession des événements. Le montage de la biographie vise à « relinéariser ».

La mise en ordre thématique ou logique répond aux mêmes besoins de lisibilité et de comparabilité des entretiens. Les retours en arrière, les ajouts à propos d'un sujet déjà abordé sont déplacés et remis dans leur contexte sémantique.

Dans le cas où l'entretien fait l'objet d'une publication, les interventions de l'enquêteur sont réduites en nombre et en longueur. Celles qui n'ont d'intérêt que de soutenir le propos du locuteur sont purement et simplement supprimées.

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Une fois l'entretien retranscrit, qu'en fait-on. La démarche la plus simple

consiste, dans l'élaboration du texte produit par l’évaluateur (son compte-rendu) à se référer à des extraits plus ou moins longs d'un entretien ou de plusieurs entretiens croisés. Les citations ont une fonction illustrative et/ou explicative.

Une telle approche se justifie toutes les fois que l'intérêt de l’évaluateur porte sur

l'information plutôt que sur l'informateur, sur le contenu plutôt que sur la forme. Dans ces conditions, le crédit attribué aux citations est lié à la confiance que l'on

peut accorder à l’évaluateur lui-même, à la rigueur intellectuelle et technique explicitement attestée en amont, dans les différentes étapes de la production, de transcription et de lecture des entretiens.

Cependant le souci d'objectiver et de systématiser le traitement des données discursives obtenues par l’entretien incite l’évaluateur à forger des outils d'analyse plus élaborés.

IV - L'analyse de l’entretien

En sciences humaines et sociales, la méthode des entretiens est le plus souvent associée à l'analyse dite de « contenu ».

1. Les principes de l'analyse de contenu Mucchielli rappelle que l'analyse de contenu est une activité courante, voir vitale pour le sujet dans son environnement (porter son attention sur les informations). Être en relation avec son environnement, c'est y chercher des interprétations (donner du sens), c'est sélectionner et interpréter chacune des informations.

Toute activité dans l'environnement consiste à analyser l'information (coder-décoder). La fonction des organes sensoriels est de discriminer les informations, les classer par genre. Ce traitement permet ensuite de réagir.

Lors d'un entretien de recherche ou d’évaluation, même s'il est centré sur un objet précis, le corpus discursif est toujours traversé de thématiques connexes. Face à ce corpus, le chercheur ou l’évaluateur va tenter d'identifier ce qui relève effectivement de ce qu'il étudie. Pour cela, il doit procéder à une analyse de contenu.

Dans ce travail d'analyse, il peut mobiliser un ensemble de techniques et de démarches qui fondent une méthodologie globale d'analyse de contenu.Technique de recherche qui a pour objet une description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication.

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Il existe plusieurs méthodes d'analyse de contenu permettant l'observation des fréquences, des relations entre différents éléments, d'effectuer des comparaisons entre plusieurs corpus ou entre plusieurs méthodes.

Face à un ensemble de données sémantiques, l'analyse de contenu consiste à établir un code d'analyse en fonction duquel on décompose le corpus en unités de signification, puis à constituer des catégories sémantiques. Ces deux opérations sont régies par le cadre de référence défini par l'étude ou l’évaluation entreprise. Une analyse de contenu dépend du cadre conceptuel dans lequel elle se situe et de l'objectif de l'étude ou de l’évaluation.

La méthode d'analyse de contenu la plus simple consiste en un simple codage des unités lexicales. L'analyse thématique code des ensembles signifiants par thème. Le codage peut être effectué selon une syntaxe définie par le domaine d'étude, c'est-à-dire selon des règles de combinaisons des unités de signification.

À ce jour, il n'existe pas de théorie, ni de méthodologie générale de l'analyse de contenu satisfaisantes, ce qui suscite des critiques. Seule l'expérience du codeur supplée cette carence, même si la méthodologie de l'analyse de contenu s'est construite contre le risque d'interprétation subjective par le chercheur (impression générale et personnelle du sens du texte). Les risques subsistent toujours, la rigueur méthodologique est toujours relative.

La fiabilité de la méthode et sa validité sont liées : - au respect de la chronologie des étapes qui jalonnent l'analyse, - par la règle que le chercheur doit s'imposer de rester au plus près du discours et

plus particulièrement au plus près de l'univers de pensée du locuteur.

Il existe des biais au niveau de l'analyseur : • Influence de la sensibilité et de l'émotivité de l'analyseur Muchielli propose à trois codeurs un texte dans lequel il faut relever les

réactions affectives : A en trouve 0,76%, B 2,32%, C 3,17% • Influence de l'idéologie des codeurs, de sa théorie "a priori", de son

hypothèse de travail Agit à l'insu de son porteur comme un filtre, comme une interprétation des

informations dans le sens de l'idéologie, comme rationalisation des a priori irrationnels et des préférences partisanes (trouver du sens autrement dit de la cohérence chez l’autre, etc...)

Le chercheur ou l’évaluateur en analyse de contenu se doit de vouloir prouver ses hypothèses explicites ou implicites. Il doit savoir que même en utilisant une méthodologie impeccable, il est malgré lui orienté par ses tendances.

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2. Des tentatives de définition de l’analyse de contenu

Plusieurs chercheurs ont essayé de définir cette technique en instant sur certaines dimensions

Pour Bardin21, il s'agit d'un ensemble d'instruments méthodologiques de plus en plus raffinés et en constante amélioration s'appliquant à des discours extrêmement diversifiés. Le facteur commun de ces techniques multiples et multipliées (...) est une herméneutique contrôlée fondée sur la déduction : l'inférence. En tant qu'effort d'interprétation, l'analyse de contenu se balance entre les deux pôles de la rigueur de l'objectivité et de la fécondité de la subjectivité.

Pour Ghiglione et Matalon22 la pratique de l'analyse de contenu, considérée

comme une méthode et cela seulement est avant tout une pratique sociale. Elle trouvera ses justifications dans une prévisibilité empirique liée à un objectif prédéterminé et cherchera des validations extrinsèques à sa propre pratique. Il s'agit donc pour ces auteurs d'une pratique totalement soumise à la demande sociale qui participe de l'histoire d'un processus d'investigation engagé à un moment donné par des acteurs sociaux. Elle n'est qu'une partie de ce processus qui la dépasse et la surdétermine, lu conférant ainsi ses critères de pertinence. En d'autres termes, la fin justifie les moyens. L'analyse de contenu manque cruellement de fondements théoriques

Pour Mucchielli23, il s'agit d'un terme générique désignant l'ensemble des

méthodes d'analyse de documents le plus souvent textuels, permettant d'expliciter le ou les sens qui y sont contenus et/ou les manières dont ils parviennent à faire effet de sens. Mucchielli distingue deux ensembles d'analyse :

- Les analyses quantitatives reposant sur des opérations mathématiques et statistiques (codage, comptage, corrélation, comparaison,...)

- Les analyses qualitatives reposant sur des opérations idéelles (catégorisation, mise en contexte, réductions métaphoriques, recherches de structures...).

L'analyse de contenu correspond aujourd'hui à une pratique encore non

stabilisée, en évolution. Elle regroupe plusieurs méthodes (cette diversité s'explique par ses origines variées) et elle associe techniques visant l'objectivation, l'émergence du sens avec d'autres techniques visant l'interprétation, l'explication du sens des contenus (l'inférence).

Utiliser cette méthodologie implique pour l'analyste de comprendre le langage

utilisé (manier la langue, être à l'aise dans son vocabulaire, connaître les effets de style, d’où des connaissances en linguistique et grammaire transformationnelle). Ceci

21 Bardin, L. (1977). L'analyse de contenu. Paris : PUF 22 Ghiglione, R., Matalon, B. (1985). Les enquêtes sociologiques. Paris : Armand Colin 23 Mucchielli (1984). L'analyse de contenu des documents et des communications. Paris : ESF.

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implique qu'il est presque impossible de faire une analyse de contenu dans une autre langue que la sienne. L’analyste doit aussi comprendre le vocabulaire utilisé.

Il s'agit également de comprendre les idées (intuitions, idées, opinions, attitudes... au delà des mots, c'est l'idée qu'il faut retrouver (différentes formules pour exprimer le même contenu, mots renvoyant à différentes idées, etc....).

L'analyse de contenu se caractérise aujourd’hui par le développement de l'informatisation des procédures, surtout après l'ouvrage de Stone the General Inquirer. L'ouvrage décrit un système informatique capable d'analyser de façon automatique le discours en tenant compte des relations syntaxiques entre les éléments. Le système permet de concilier plusieurs modes d'études lexicales : relevés de mots, couples de mots en co-occurence, de groupes de mots, de thèmes. Le système comprend un code préétabli, enregistré en mémoire par la machine. Par la suite les logiciels d'analyse de contenu n'ont fait que se développer. Les pratiques d'analyse textuelle informatisée renvoient à quatre approches :

- les approches lexicométriques24 : on trouve comme logiciels : Alceste, hyperbase, lexico 1, spad, qui sont capables de traiter les corpus lexicométriques (comparaisons de profils lexicaux). Ces logiciels procèdent selon quatre étapes :

o dresser l'inventaire de toutes les formes graphiques brutes du corpus à analyser,

o construire le tableau lexical avec autant de lignes qu'il y a de mots et en notant dans les colonnes le nombre de fois où ces mots apparaissent

o répartir ce corpus en parties distinctes o effecteur des calculs et comparer les profils lexicaux

- les approches socio-sémantiques : avec des logiciels comme AC2, Alice et certains modules des logiciels lexica et Sphinx. Ces logiciels opèrent une segmentation du corpus en unités de significations et procèdent à la classification de ces unités, puis à l'aide d'un algorithme d'analyse discriminante, ils calculent l'arbre hiérarchique de classification. Ces analyses sont guidées par les grilles d'analyse conceptuelle spécifique à chaque recherche

- les approches par réseaux de mots associés comme le logiciel Candide cherchent à mettre en évidence les configurations cognitives cachées sous la surface textuelle en utilisant les occurrences des termes et leur proximité.

- les approches propositionnelles et prédicatives réalisées dans le cadre de l'analyse cognitivo-discursive. Le logiciel Trope en permettant la mise en oeuvre de cette méthode identifie les propositions, réduit le corpus à l'essentiel et met en évidence le rôle de l'énonciateur.

24 mesure lexicale. Les approches lexicologiques des discours se fondent sur l'étude systématique des unités élémentaires ayant une forme et un sens qui les composent : les mots du lexique. Le lexique se définit comme l'ensemble des unités lexicales appelées communément mots, en usage dans une langue

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Si l'approche de l'analyse de contenu est plurielle, l'informatique a permis de limiter cette diversification en proposant des opérations standard à l'analyste.

3. Les techniques de base de l'analyse de contenu

L'analyse de contenue permet de limiter la tendance à la subjectivité du chercheur. Elle vise à la systématisation et à la généralisation des résultats. Ghiglione et Matalon25 distinguent deux types de procédures :

- les procédures closes qui impliquent la formulation préalable d'hypothèses. Le discours ou les textes sont étudiées à la lumière de ces hypothèses et l’on tente de les vérifier. Les hypothèses structurent les informations recueillies.

- les procédures ouvertes : aucune hypothèse ne guide l'analyste. Approche souvent mise en oeuvre lors des phases exploratoires de recherche ou d’évaluation. L'analyste se centre sur la mise en évidence des différents aspects du discours et doit faire une analyse beaucoup plus systématique de façon à dégager la diversité de ce discours. Il est toutefois orienté par un objectif, aussi minimal soit-il.

Le choix d'une procédure close ou ouverte relève davantage de l'adaptation à des

contraintes imposées par le contexte global de la recherche ou de l’évaluation plutôt que par une décision.

La première étape de toute analyse de contenu consiste à constituer le corpus. Le corpus est la collection finie et intangible de matériaux déterminés à l'avance par l'analyste et sur laquelle il va travailler. L'analyse peut porter sur n'importe quels matériaux. Après la mise au point d'une problématique et des hypothèses, la constitution du corpus est une étape essentielle de la recherche ou de l’évaluation. L'exigence de la référence à un corpus défini est une exigence de rigueur élémentaire. La recherche d'une description « scientifique » ne pourra jamais reposer que sur la description d'un corpus donné.

Quand on s'engage sur l'analyse d'entretiens, ces derniers sont intégralement retranscrits, une marge à gauche étant conservée. Si l’on travaille sur des documents (presse, articles, etc.), ceux-ci sont découpés au préalable, photocopiés. S'il s'agit de réponses à des questions ouvertes, il faut qu'elles soient également réécrites sur des fiches. Bardin26 estime qu'il est utile de numéroter les différents éléments du corpus.

En cas de traitement informatique, il est indispensable de réorganiser les textes en fonction de la procédure liée au logiciel.

25 Ghiglione, R., Matalon, B. (1985). Les enquêtes sociologiques. Paris : Armand Colin 26 Bardin, L. (1977). L’analyse de contenu. Paris : PUF sup.

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4. Les analyses du contenu manifeste

Méthode qui permet de mettre en évidence le sens du discours ou du texte à travers les signifiés qu'il contient. Le chercheur reste proche de la forme du texte et ne cherche pas à repérer les sens cachés du discours. Le contenu des entretiens est considéré comme une suite d'énoncés stables susceptibles d'être découpés, mesurés et comparés. Une telle analyse facilite le repérage du processus d'objectivation qui renvoie à la manière dont une notion est simplifiée, matérialisée en image et/ou en mots.

4.1 L’analyse thématique

Méthode la plus simple qui implique la mise en oeuvre des différentes opérations de base qu'on utilise dans toute analyse de contenu. Ce mode d'analyse est centré sur les notions ou thèmes27 évoqués à propos d'un objet d'étude. Il s'agit d'obtenir des informations sur cet objet. La démarche la plus simple consiste à se situer d'emblée au niveau du contenu sémantique sans s'arrêter à l'étude du discours en tant que système de signes.

Pour Mucheilli28 l'analyse de contenu thématique est la plus simple des analyses

de contenu. Elle consiste à repérer dans des expressions verbales ou textuelles des thèmes généraux récurrents qui apparaissent sous divers contenus plus concrets. Elle est donc la première forme de catégorisation impliquée dans un corpus.

En résumé, de type d'analyse assez simple dans son principe implique de procéder à une catégorisation29 dont l'unité de base est le thème. L'objectif de l'analyse de contenu

27 La notion de thème ne fait pas l'objet d'une définition claire et commune à tous les analystes contrairement au mot, au syntagme ou à la proposition. Dans une approche linguistique pragmatique, le thème est une catégorie sémantique définie comme un noyau de sens ou encore un ensemble signifiant complexe, organisé à un certain niveau de globalité et d'abstraction : par exemple le thème de la mort, le thème de la nature qui revient au sein d'un texte ou d'un corpus de textes. En psychologie, le thème peut être défini comme une unité perceptive dans lequel un problème est vécu et perçu. L'analyste doit se mettre à la place du locuteur pour déterminer si tel thème est présent ou non dans le discours. Une troisième conception met en évidence le caractère homogène et unitaire de la notion en la définissant comme un fragment de contenu verbal plus ou moins long développant une idée et une seule. Celle-ci est opératoire dans la mesure où le repérage et le bornage de l'idée en cause sont menés de façon cohérente et fidèle par le chercheur ou l’évaluateur. 28 Muchielli, A. (1996). Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales. Paris : Armand Colin. 29 Une catégorie est une notion générale représentant un ensemble ou une classe de signifiés. La catégorisation est une opération de classification d'éléments constitutifs d'un ensemble par différentiation puis regroupement par genre (analogie) d'après ces critères préalablement définis. Les catégories sont des rubriques ou des classes qui rassemblent un groupement d'éléments sous un terme générique, rassemblement effectué en raison des caractères communs de ces éléments. Pour être certains que les catégories définies sont de bonnes catégories, il faut s'assurer qu'elles regroupent les qualités suivantes : - l'exclusion mutuelle : chaque unité de texte ne doit pouvoir être classée que dans une seule catégorie. Ceci implique que les catégories soient suffisamment différentes et ne se recouvrent pas

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thématique est la recherche de catégories dans un discours ou un texte qui correspond à la réorganisation sous forme résumée de ce qui est dit. Cette analyse comprend plusieurs étapes

• Préparation du matériel Pour conduire une analyse de contenu de manière rigoureuse, il est nécessaire de

procéder à la retranscription intégrale du discours. • Sélection d'un échantillon du corpus Choisir quelques éléments du corpus souvent les plus informatifs et diversifiés

pour construire la grille d'analyse qui sera appliquée à tous les éléments.

Extrait d’un entretien semi-directif à partir de la consigne « J’aimerais que vous me disiez ce qu’est pour vous, le travail ? ». Nathalie : Le travail c’est fournir un bien ou un service... c’est contribuer à l’une des différentes étapes qui sert à fournir soit un bien soit un service... pour moi qui travaille dans la fonction publique, c’est plutôt un service. Les missions que j’ai c’est négocier des prix de journées, et mon travail ça consiste donc à, ça sert à produire un service public ; Interviewer : Quand vous pensez à travail, travailler, à quoi ça vous fait penser principalement? Nathalie : À des contraintes notamment horaires, une obligation de respecter certaines consignes, certains horaires, donc c’est l’aspect contraignant du travail... après les aspects positifs du travail, c’est la sociabilité être en contact cinq jours avec des collègues, il y a une cohabitation forcée, il y a des concessions qui sont à faire, il y a des conflits parfois il y a tout un tas de situations à gérer, ça participe de la socialisation de l’individu. Ça me fait réfléchir sur les relations humaines, entre les personnes, les relations de pouvoir, un tas de choses comme ça. Si je dois donner une échelle de priorité, c’est plutôt une contrainte de devoir être en un lieu donné déjà physiquement et de me voir imposer toute une hiérarchie, et des collègues, le fait que je n’ai pas l’entière maîtrise de l’organisation de mon temps de travail... ça permet aussi à une personnalité de se construire, ça permet de se connaître soi, de réfléchir sur soi par rapport aux autres. Après, il y a aussi tout l’intérêt, tout l’intérêt intellectuel qu’on peut trouver dans les

- l'homogénéité : une seulement dimension doit préciser à la construction des catégories. Les catégories doivent être de même niveau de généralité - la pertinence : le système de catégories choisi doit correspondre aux objectifs, aux hypothèses de la recherche - l'objectivité et la fidélité : une analyse réalisée par plusieurs analystes doit pouvoir arriver aux mêmes résultats. Ceci n'est possible que dans la mesure où l’on a mis au point des catégories de qualité. Lorsque ces catégories sont mises au point, on les organise souvent en grille d'analyse de contenu. Cette grille présente l'ensemble des catégories et des sous-catégories déterminées. Elle est en général élaborée à partir d'un échantillon de corpus. Une fois terminée, elle peut être appliquée à l'ensemble des données. En ce qui concerne les entretiens, la grille d'analyse de contenu apparaît souvent comme une version très approfondie du guide d'entretien utilisé pour collecter les informations. Ainsi l'analyse de contenu consiste à réorganiser chacun des entretiens de façon à ce qu'ils soient tous présentés exactement de la même façon. Cette réorganisation résulte d'un travail de codage et de catégorisation des unités de discours

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domaines qui nous sont confiés. Le domaine dans lequel je travaille des personnes handicapées, ça me fait travailler avec toute la législation en vigueur dans le secteur des handicapés. Ça me fait aussi toucher du doigt tout ce qui est analyse financière, tout ce qui est aussi droit administratif. C’est une source aussi de connaissances, ça serait le point positif mais ça a toujours son corollaire, le point négatif, il y a toujours des urgencies et on n’a pas toujours le temps d’approfondir comme on le souhaitait ces dimensions-là. Ça participe à l’épanouissement de l’individu pas toujours dans des conditions optimales mais bon. Et puis le travail c’est aussi conquérir son autonomie puisqu’il y a aussi le niveau financier qui n’est pas négligeable et qu’à partir du moment où on gagne un salaire on acquiert une certaine liberté.

• Identification des thèmes

Deux approches sont possibles pour identifier les différentes thématiques. On

peut, soit procéder à un découpage du corpus guidé par : - la problématique et les hypothèses du chercheur ou de l’évaluateur et d'autre

part par le respect des principes de l'analyse de contenu. À chaque unité de discours est affecté un mot ou groupe de mots susceptible de résumer le thème sélectionné. Cet étiquetage sert de base à la grille d'analyse utilisée ensuite.

- une analyse flottante qui permettra de construire à posteriori un modèle. Dans l'analyse flottante, chaque entretien isolément fait l'objet d'une lecture suivie où tout est susceptible de faire sens. Sont pris en compte non seulement les énoncés dans leur valeur explicite et leur agencement logique, mais tous les éléments même inattendus, incongrus ou apparemment insensés : répétitions, lapsus, contradictions. Ces fragments de discours sont repérés en marge des documents transcrits ou consignés sur des fiches ad hoc et mis en attente d'un traitement ultérieur. Il s’agit d’une étape d'imprégnation et de familiarisation avec les discours enregistrés, cette première phase de lecture implique une attitude « ouverte », une « attention flottante ». Ce mode de lecture se caractérise par une mise entre parenthèses provisoire des savoirs reçus et des hypothèses construites dans une stratégie de retardement de toutes formes de catégorisations et de classement du contenu. L'ensemble du corpus est soumis à une forme de lecture de type horizontale qui permet la confrontation transversale des faits et des points de vue. Cette mise en perspective des entretiens fait apparaître les contrastes et les divergences autour d'éléments invariants qui donnent la figuration schématique du ou des modèles sous-jacents à construire.

Les deux approches ne sont pas exclusives, elles se doivent d’être

complémentaires. Pour illustrer ceci, si l’on reprend l’exemple précédent, le découpage de l’extrait

d’entretien a permis d’identifier plusieurs thèmes associés à la représentation du travail et a conduit à une réorganisation du discours.

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Thème 1 : Le sens général du travail pour la personne interrogée. Le travail c’est fournir un bien ou un service... c’est contribuer à l’une des différentes étapes qui sert à fournir soit un bien soit un service... pour moi qui travaille dans la fonction publique, c’est plutôt un service. Thème 2 : Description de l’activité. Les missions que j’ai, c’est négocier des prix de journées et mon travail, ça consiste donc à, ça sert à produire un service public... Thème 3 : Les points négatifs du travail

a/ Les contraintes - À des contraintes notamment horaires, une obligation de respecter certaines consignes, certains horaires, donc c’est l’aspect contraignant du travail - Si je dois donner une échelle de priorité, c’est plutôt une contrainte de devoir être en un lieu donné déjà physiquement - Le fait que je n’ai pas l’entière maîtrise de l’organisation de mon temps de travail

b/Les relations sociales difficiles - Il y a une cohabitation forcée, il y a des concessions qui sont à faire, il y a des conflits parfois il y a tout un tas de situations à gérer, ça participe de la socialisation de l’individu - et de me voir imposée toute une hiérarchie, et des collègues

c/Des actions menées dans l’urgence - C’est positif mais ça a toujours son corollaire, le point négatif, il y a toujours des urgences et on n’a pas toujours le temps d’approfondir comme on le souhaitait ces dimensions-là Thème 4 : Les points positives

a/Un lieu de sociabilité - Après les aspects positifs du travail, c’est la sociabilité être en contact 5 jours avec des collègues.

b/Une source de connaissance de soi et des autres - Ça permet aussi à une personnalité de se construire, ça permet de se connaître soi, de réfléchir sur soi par rapport aux autres. - Ça me fait réfléchir sur les relations humaines, entre les personnes, les relations de pouvoir, un tas de choses comme ça. - Ça participe à l’épanouissement de l’individu pas toujours dans des conditions optimales mais bon !

c/Un moyen de développer ses connaissances - Après, il y a aussi tout l’intérêt, tout l’intérêt intellectuel qu’on peut trouver dans les domaines qui nous sont confiés. Le domaine dans lequel je travaille des personnes handicapées, ça me fait travailler avec toute la législation en vigueur dans le secteur des handicapés. Ça me fait aussi toucher du doigt tout ce qui est analyse financière, tout ce qui est aussi droit administratif.

e/Un moyen d’être autonome - Et puis le travail c’est aussi conquérir son autonomie puisqu’il y a aussi le niveau financier qui n’est pas négligeable et qu’à partir du moment où on gagne un salaire on acquiert une certaine liberté.

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• Élaboration de la grille d'analyse de contenu Une fois les thèmes identifiés, il s’agit de les organiser en sous-groupes, puis de

positionner ces sous-groupes, les uns par rapport aux autres en introduisant une certaine logique. Une grille générale est donc réalisée à partir du premier entretien. Pour vérifier la stabilité et la pertinence de cette grille, on essaie de l'appliquer à un deuxième, puis un troisième élément du corpus. On apporte alors les modifications nécessaires. Durant cette phase, on note tous les nouveaux thèmes susceptibles d'apparaître. À partir de ce moment, on considère que la grille peut être utilisée sur l'ensemble des données.

L’encadré suivant présente un exemple de grille pour l’entretien sur le travail

(voir encadré précédent). Thème 1 Le sens du travail (définitions) Thème 2 Descriptions du travail Thème 3 Les points négatifs du travail • Les contraintes • Les relations sociales difficiles • Les activités conduites dans l’urgence Thème 4 : Les points positifs du travail • Un lieu de sociabilité • Une source de connaissance de soi et des autres • Un moyen de développer ses connaissances • Un moyen d’être autonome

• Application de la grille d'analyse à l'ensemble du corpus Il s'agit de dupliquer la grille de façon à procéder à l'analyse du corpus restant.

Durant cette phase, il se peut qu'on repositionne les catégories les unes par rapport aux autres

L'inventaire et la hiérarchisation des thèmes pertinents conduit à établir une grille d'analyse sous forme d'un code dont l'emploi paraît laisser une part relativement importante à la subjectivité du codeur.

Version finale de la grille d'analyse de contenu des entretiens sur le travail

Thème 1 : Les caractéristiques de l'activité exercée - Une activité de production de service - Une activité intellectuelle - Une activité sans contrainte - Une activité solitaire Thème 2 : Les points positifs du travail

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- Un moyen de développer ses connaissances - Un moyen d'accroître son efficacité - Un moyen d'être autonome - Un moyen de connaissance de soi - Un moyen de développer des relations sociales Thème 3 : Les points négatifs du travail - Un ensemble de contraintes - Un sentiment d'insatisfaction - Des relations sociales difficiles

• Analyse verticale ou synthèse individuelle La grille d'analyse est reproduite en autant d'éléments du corpus. S'il y a 25

entretiens, on reproduit la grille en 25 exemplaires. Pour chaque entretien, on incorpore sous chaque thème de la grille le ou les

extraits, citations correspondant ou bien on rédige un résumé de cette portion de texte. La grille devient alors un « cahier d'analyse de contenu ».

On peut à partir de là faire une analyse, entretien par entretien, des différents thèmes, de manière singulière pour analyser, comprendre la pensée du sujet, son organisation, sa structure, comprendre comment se sont construites les idées. Implication, non-implication, utilisation de la première ou troisième personne, etc...

• Une analyse horizontale ou transversale Il s'agit de la dernière phase de l'analyse thématique qui consiste à rassembler

les cahiers d'analyse individuelle en une analyse de l'ensemble du corpus. Plus le corpus est important, plus cette phase est délicate et implique de travailler lentement et rigoureusement. L'objectif est de regrouper toutes les citations ou les résumés de l'ensemble du corpus pour chacun des thèmes.

C'est à ce stade qu'intervient la « quantification de l'analyse ». On comptabilise le nombre de points de vue similaires et on les regroupe en un même thème.

Il s'agit ici pour un thème donné d'analyser ce qui est commun, ce qui est différent entre les entretiens. En cherchant à rendre compte de ce qui est commun et différent. L'approche peut être (doit être) quantitative : 4 sur 8 pensent, deux, si les deux ont un point de vue commun, ils se différencient toutefois......

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Pour faciliter l'analyse on peut évoquer les thèmes par ordre d'importance : le premier thème est celui qui est le plus consensuel, etc. On repère les thèmes majoritaires et minoritaires.

Des auteurs proposent des règles d’énumération qui correspond à la manière de

compter les informations. C’est ainsi que pour Ghiglione et Matalon30, il existe deux sortes d'unités de numération :

- les arithmétiques qui servent à compter le nombre de fois où un certain contenu ou thème apparaît

- les unités géométriques qui permettent de mesurer l'espace consacré à un certain contenu On postule souvent que l'importance d'une idée, d'un thème, d'une unité, d'un

texte est d'autant plus grande que cette unité est fréquemment évoquée. Une telle affirmation correspond à une prise de position théorique implicite qui n'a pas été réellement élucidée par les chercheurs.

Le choix d'une règle de numération correspond souvent à une prise de positon théorique qui ne doit pas être réalisée au hasard. Bardin31 identifie plusieurs normes d'énumération possibles :

- présence/absence d'un élément - fréquence d'apparition d'un élément - fréquence pondérée en fonction de l'importance de certains éléments pour le

chercheur - intensité : possibilité de coder l'intensité d'une attitude ou d'une opinion - la direction : évaluer un élément à partir de pôles (beau/laid,

favorable/défavorable,...) - l’ordre : notation par exemple de l'ordre d'apparition des thématiques

L'analyse thématique est la méthode la plus fréquemment utilisée, mais elle est

aussi celle qui pose le plus de problème car elle combine des opérations sur le sens avec des opérations méthodologiques hasardeuses. L'identification des thèmes est réalisée le plus souvent de manière « impressionnistes ». Lorsqu'un naïf demande comment on a pu arriver à tel résultat, la réponse aussi élaborée soit elle ne peut masquer le fait que personne n'en sait rien, y compris celui qui l'a atteint. Pour cela, il est nécessaire de travailler en équipe. Si les thèmes identifiés par des personnes compétentes sont à peu près les mêmes, la différence vient surtout du niveau de précision de l'analyse. Certains analystes se situant au niveau des catégories, d'autres des sous-catégories.

La critique de l'analyse de contenu a amené certains chercheurs à proposer d'autres techniques d'analyse du contenu manifeste. 30 Ghiglione, R., Matalon, B. (1985). Les enquêtes sociologiques. Paris : Armand Colin 31 Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu. Paris : PUF

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4.2 L'analyse propositionnelle du discours (ADP)

Cette technique a été mise au point plus spécifiquement pour l’analyse des entretiens semi-directifs ou non-directifs. Elle s’appuie sur l’analyse des contenus des discours et non sur le contexte social et idéologique de leur expression. Les auteurs de cette approche en proposent la description suivante : « La clef de voûte de l’APD est l’établissement des modèles argumentatifs, schémas qui symbolisent le rôle des acteurs, la fonction du prédicat et leur place respective dans la proposition. Le modèle argumentatif [...] traduit des unités de contenu au moyen de référents-noyaux, sujet des propositions devant rendre compte du plus grand nombre de propositions possibles ». (Blanchet, 1985)32.

L’APD vise la mise au jour des micro-univers des sujets s’exprimant et à cerner les éléments centraux de leurs univers représentationnels (Ghiglione, Landré, Bromberg & Molette, 1998)33. Comme elle vise à « identifier des unités d’enregistrement et unités de contexte, cette forme d’analyse peut être considérée comme un type d’analyse thématique. Le langage est considéré comme porteur des traces des systèmes de représentations des locuteurs. Pour Ghiglione, les représentations se structurent autour de quelques référents-noyaux, soit des unités de contenu caractérisées par des substantifs organisés en système. Ces référents-noyaux ont pour caractéristique d’être des éléments centraux : plus ils sont fréquents, plus ils sont importants dans la structuration des discours produits. Ils permettent de repérer les jeux de co-occurrences : on peut observer les interrelations entre les éléments du discours comme actants (ceux qui font les actions) ou actes (ce sur quoi portent les actions).

Ainsi, Ghiglione, Landré, Bromberg & Molette (1998) résument : « Lorsqu’on tente de répondre à la question : qui dit quoi ? (dans ce discours), la réponse fournie doit concerner l’analyse de la mise en scène des acteurs, de leurs interrelations, des actes qu’ils accomplissent, ainsi que de leurs caractéristiques ».

L’analyse est structurée selon les étapes suivantes :

• Le découpage du texte en propositions :

Toute proposition est un morceau du discours comprenant un sujet, un verbe et

un complément. Il s’agit dans une première étape de séparer toutes les propositions qui seront traitées indépendamment les unes des autres.

32 Blanchet, A. et al. (1985). L’entretien dans les sciences sociales. Paris : Dunod 33 Ghiglione, R., Landré, A., Bromberg, M., & Molette, P. (1998). L’analyse automatique des contenus. Paris : Dunod.

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• Le repérage des référents-noyaux :

Les référents-noyaux sont les termes (pronoms ou substantifs) sélectionnés pour leur capacité à structurer le discours. Ils ont un rôle clef sur le plan du sens du texte. Pour les auteurs, le nombre de référent-noyaux est limité (autour de 15). Ils doivent pouvoir rassembler le plus grand nombre de propositions possibles (environ 80 %). Par exemple, dans un entretien, les termes relation, approche, rapport, contact... sont substituables au sein de la même proposition sans modification du sens et peuvent donc être représentés par le même référent-noyau.

• La restructuration des propositions en modèles argumentatifs :

Chaque proposition est détaillée : on repère les prédicats, les verbes et les compléments. Les verbes sont classés dans trois catégories. Les verbes statifs indiquent un état de possession, les verbes factifs évoquent une action et les verbes déclaratifs expriment une déclaration. Par exemple, dans la proposition « Je me promène avec mes amis », « Je » est un référent-noyau (RN), « me promène » est un verbe factif (F associé à la forme affirmative), « avec mes amis » est codé r pour « avec » et référent-noyau (RN) pour « mes amis ». Toutes les propositions sont ainsi codées et regroupées au sein d’un tableau où les lignes sont les propositions et les colonnes correspondent aux composantes des propositions (RN, verbe, adjectif, etc.).

• La restructuration textuelle

À ce stade, on peut regrouper toutes les propositions concernées par les mêmes référents-noyaux. Ces référents-noyaux sont les acteurs principaux de l’univers que le sujet met en scène. Ce sont souvent des actants. Cette réécriture des propositions dresse une première image du parcours argumentatif du locuteur. Enfin, le chercheur ou l’évaluateur interprète ces données ainsi réorganisées en cernant le sens et les relations entre RN.

Les auteurs ont mis au point un logiciel « Tropes » permettant d’effectuer cette analyse. Parmi les exemples traités par les chercheurs, reprenons brièvement celui illustrant une analyse des représentations des hommes politiques dans la presse.

Deux journaux sont comparés : Le Monde et Libération. L’analyse met en évidence que

Jacques Chirac est associé dans les articles des deux journaux à trois univers référentiels

principaux : la politique, la nation et l’économie. L’univers « politique » représente 475e de

l’ensemble des univers, tandis que « nation » est structuré par les référents nation, union

européenne et immigration. L’univers « économie » s’organise autour des référents impôts,

emploi, finances. Les articles imposent donc le même type de traitement dans les deux

journaux.

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L’APD apparaît comme une forme d’analyse thématique s’attachant de manière plus systématique que l’analyse de contenu thématique classique aux signifiés. Basée sur le découpage du discours en propositions, sur le découpage des propositions en plusieurs unités composant un ensemble de modèles argumentatifs, I’APD est très utile pour étudier les représentations sociales. En effet, les référents-noyaux correspondant à « des pôles d’attraction sémantique qui structurent l’ensemble des paroles dans un contexte donné » (Bardin, 2001)34 et peuvent donc être associés aux éléments qui balisent l’univers représentationnel du sujet concernant un objet.

4.3 L’analyse stylistique Outre l’étude des thèmes et des propositions, on peut chercher à identifier le

contenu d’un message en s’intéressant à sa forme. Comme le précise Bardin (2001) évoquant les analyses de l’expression, « le passage par la forme n’est qu’une manière indirecte d’atteindre un autre niveau ». On fait l’hypothèse que la forme du discours peut informer le chercheur sur les représentations sociales du locuteur

Il s'agit par le calcul des "écarts" syntaxiques et lexicologiques de caractériser un discours

À l’origine, elle permet à des spécialistes d'histoire littéraire d'attribuer un discours à tel ou tel auteur, de reconnaître les parties ajoutées par des copistes, etc... Mucheilli rapporte la méthode proposée par J. Roche : le travail se fait sur un texte entier (s'il est relativement court : 3-4 pp) ou sur des échantillons d'un texte long, pris au hasard. L'unité de contexte est la phrase. Les opérations à accomplir sur chaque phrase sont les suivantes :

• Distribution du vocabulaire en classes morphologiques

L'unité d'enregistrement est le mot. Pour chaque phrase, on détermine le nombre

U (unités), V (verbes), Q (adjectifs qualificatifs), etc. On calcule le nombre moyen de U par phrase, le nombre moyen de V, de Q,

etc... la répartition des phrases par classes de longueur (nb de U), pourcentage des V, Q, etc... L'interprétation est ensuite la suivante :

si V + AD (adverbe) > S + Q ... le style est dynamique si V + AD < S + Q ... le style est descriptif

• Analyse syntaxique

Il s'agit de compter les propositions par phrase, le nombre de subordonnées par

phrase, le rapport au nombre de propositions principales, etc...

34 Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu. Paris : PUF

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Tout ceci permet de faire une série de calcul : coefficient de composition, de subordination, pourcentages afférents... l'interprétation consiste à définir la phrase longue, courte, faite de tel type de subordonnées, plus ou moins complexes (c’est ainsi que les textes de De Gaulle sont riches de substantifs).

• Recherche de procédés stylistiques

Une quarantaine de calculs non développés par Mucchielli35 permettent de

mesurer : la fluidité de la phrase, son taux de variété par rapport au schéma moyen de l'auteur, le taux d'anomalie de construction, etc.... (De Gaulle avait des phrases fluides. Il affectionnait la construction insolite de l'inversion du circonstanciel, évitait les négations, multipliait les formules d'insistance, employait avec prédilection le « nous »).

• Inventaire et décompte des figures de rhétoriques

Il faut ici maîtrise la rhétorique. Il est à rappeler que dans la langue française il

existe une centaine de figures de style. Cette phase permet de préciser définitivement la forme et de caractériser l'auteur. Les figures de style se subdivisent en :

- figures de construction : ellipse .... anacoluthe ou tmèse, parataxe, épanorthose, etc....

- figures de mots ou tropes : périphrase, antiphrase, métaphore, métonymie, litote... l'hypallage...

- figure de pensée : la circonlocution la concession, l'ironie, le sarcasme.... l'épiphonème, la métastase, la prosopopée....

Le travail consiste à retrouver ces figures et à en faire une analyse quantitative :

calcule de la moyenne de figure par phrase et des figures par rapport à la masse lexicale, décompte fréquentiel par figure (par phrase, sur le total des mots, sur le total des figures, etc...)

Que peut apporter une telle approche. Pour Muchielli, elle permet l'établissement de correspondances entre modalités stylistiques et traits de personnalités. C'est ainsi que le rapport tropes/masses lexicale peut être révélateur du degré d'ambiguité-duplicité du locuteur, par opposition à simplicité-franchise. Muchielli cite Buffon « le style, c'est l'homme ».

En psychopathologie, on est ainsi arrivé à caractériser le langage des malades mentaux à partir de l'analyse des écarts stylistiques et sémantiques de leurs discours. L'écart est calculé par rapport à l'usage commun de la langue. Par exemple, le maniaque à tendance à parler sans cesse, avec un débit rapide, incorporant au passage de

35 Mucchielli (1984). L'analyse de contenu des documents et des communications. Paris : ESF.

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nombreuses remarques incidentes. Le style des énoncés tend à être télégraphique, les termes de liaisons, les participes, les pronoms relatifs ont tendance à être omis....

4.4 Les analyses lexicologiques

Les analyses statistiques du discours (lexicométrie) ont pour objectif la mesure

des performances verbales d'un ou plusieurs locuteurs à partir d'un certains nombres d'indices

- Volume d'émission, - Vitesse d'élocution, - Richesse du vocabulaire. Les calculs sont effectués sur des collections de textes dont les unités lexicales

sont toutes prises en compte (corpus exhaustif). Celui-ci est édité sous formes de listes alphabétiques ou index (index global ou spécifique triant les mots pleins et les mots outils.

Le volume d'émission lexicale d'un locuteur est le nombre total de mots émis dans un discours. Cet indice sert de base aux calculs plus complexes et aux comparaisons entre locuteurs.

V. Giscard d'Estaing F. Mitterrand

Interventions 19250 mots 17153 mots

Débat contradictoires

nb de mots différents

10134

1616

8237

1697

La vitesse d'élocution est le nombre moyen de mots émis à la minute

Candidats Nb mots/minute

Laguiller

Giscard d'Estaing

Mitterrand

Chirac

188

150

138

117

• L'analyse de voisinage lexical

Dans les analyses précédentes, les mots sont considérés comme des objets

verbaux indépendants les uns des autres et soumis en tant que tels à des opérations de décomptes fréquentiels simples. Or, les mots ne sont jamais isolés les uns des autres, c'est leur relation qui fait sens pour le locuteur

La méthode repose sur le postulat que les mots changent de valeur selon leurs

formations discursives où ils figurent et que l'on peut condenser l'idéologie d'une

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formation discursive dans les énoncés où se trouvent certains mots phares pour leur intérêt dans une recherche.

L'analyse ici ne consiste pas seulement à relever des fréquences (occurrences) mais des corrélations entre occurrences voisines. À propos d'un mot sélectionné a priori appelé mot-pôle ou terme pivot, l'objectif est de trouver d'éventuelles régularités de voisinage avec d'autres mots

Il va de soi qu'un certain nombre de ces formes co-occurentes sont des expressions stéréotypées ou ce que les linguistes nomment des « syntagmes figés » ou « lexies figées » peu intéressantes pour la recherche. Exemple dans les discours politiques l'analyse des formes co-occurentes du mot « peuple » montre la place privilégiée occupée par le mot « français » en expansion à droite dans le stéréotype « peuple français ».

Par contre chez Robespierre le mot « peuple » sélectionne un vocabulaire abstrait (droit, souveraineté) ou lié à des valeurs, des acteurs ou des lieux de nature politique (révolution, royauté, représentant, Convention nationale). Chez Herbert, le mot français est en relation avec un vocabulaire concret (force, vouloir, guerre).

Discours de Robespierre Discours d'Hebert

Expansion gauche Expansion droite Expansion gauche Expansion droite

Mot pôle Mot pôle

Peuple Peuple

1.Représentants

2.Souveraineté

3. Droits

4. Grand

5. Révolution

1. Français

2. Royauté

3. Convention

4. Nationale

1. Ami

2. Peuple

3. Voir

1. Français

2. Peuple

3. Guerre

L'analyse ne concerne que l'index des mots pleins. La procédure informatique

consiste en une lecture mécanique de tous les environnements lexicaux d'un mot choisi comme mot-pôle et l'établissement des relations statistiques qu'il entretient avec d'autres. L'ordinateur fournit un tableau des formes co-occurentes d'un mot-pôle, en contexte défini : par exemple les mots qui précèdent les 5 mots qui suivent, mots qu'il attire statistiquement.

Les résultats sont édités sous formes de deux listes hiérarchiques, celle des mots co-occurents qui précèdent le mot-pôle (expansion gauche) et celle des mots co-occurents qui succèdent au mot-pôle (expansion droite).

• l'analyse énonciative Au-delà des mots considérés isolément ou en contexte lexical, Il s'agit de

prendre en compte l'énoncé objet fabriqué où le locuteur s'inscrit en permanence à

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l'intérieur de son propre discours, en même temps qu'il inscrit l'autre par des marques énonciatives.

De nombreuses études ont été faites dans ce sens avec les débats politiques.

Gerstlé propose ainsi une lecture des débats politiques à travers la gamme des pronoms en se servant de la notion de structure d'adresse (quelqu'un s'adresse à quelqu'un d'autre) qui lui permet de classer le fond de l'argumentation de chaque orateur, par rapport à lui-même et aux autres. Il distingue trois types de structure d'adresse : l'implication, l'interpellation et l'association :

. La structure d'implication : signalée par l'utilisation du « je » et de ses

dérivés (moi, me, ma, mon, mien, etc..). Elle marque à quel degré du locuteur s'implique dans son discours, assume ce qu'il dit « j'ai fixé... je veux l'indépendance... »)

Pronom Je et ses dérivés dans le débat de 1981

V. Giscard d'Estaing F. Mitterrand

Je 21,1% 29,5%

Moi, ma, mon, etc.. 5,5% 9,5%

Total 26 % 39 %

. La structure d'interpellation : signalée par l'utilisation du vous et de ses

dérivés (votre, vos, le vôtre, etc..). Elle marque dans quelle mesure le locuteur émet des paroles en direction d'un interlocuteur, l'apostrophe, l'interpelle, le questionne

La fréquence du pronom vous dans le débat de 1981

V. Giscard d'Estaing F. Mitterrand

Vous 311 205

La structure des échanges est très différente selon les deux candidats

. La structure d'association : façon d'associer au locuteur des acteurs divers grâce à l'utilisation du nous et des dérivés (notre, nos, le nôtre, etc..). Une question se pose qui fait partie du nous et qui en est exclu ? Le nous peut donc être d'inclusion mais aussi d'exclusion (nous /aux autres). L'emploi de la structure d'association par le « nous » est aussi une façon pour le locuteur de prendre de la distance par rapport à un contenu, de délier sa propre responsabilité.

. La fonction du temps dans le discours : en dehors de la structure d'adresse exprimée par le choix des pronoms, la présence du locuteur s'observe à partir des verbes à la fois sous l'angle de leur :

- aspect, - temps,

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- marques qui les accompagnent comme les adverbes ou les prépositions de temps, lieu...,

- auxiliaires modaux, tels que pouvoir, devoir, etc...

. Utilisation différentielle des temps grammaticaux :

Le temps grammatical dans le débat de 1981

V. Giscard d'Estaing F. Mitterrand

Verbes au présent 30,5 62

Verbe au passé 50 10

Verbe au futur 19,5 28

Cette différence peut s'expliquer par la différence de positon des deux locuteurs.

Le président sortant en fin de mandat ne peut éviter de revenir sur son passé. De même le prétendant ne peut que parler du futur, comme s'il allait être élu.

. La distinction des temps superposés : Si l'on s'en tient à l'analyse précédente, il peut y avoir des erreurs d'interprétation. En effet, on peut distinguer trois types de temps à l'oeuvre dans un discours :

- Le temps intérieur au discours (passé, présent, futur), il sert à l'enchaînement des propositions les unes par rapport aux autres (comment je l'ai dit tout à l'heure... je dis et je répète que.... Vous me diriez que...).

- Le temps intemporel : un temps hors temps, à la fois intemporel et éternel. Il vise à signifier une permanence de type naturel ou idéel qui échappe au temps physique (j'ai toujours..... vous gérez comme un....).

- Le temps chronique ou temps historique tel qu'il s'écoule concrètement. Attention, les propos relevant du futur peuvent être exprimés au présent en les accompagnant de marques particulières dites déictiques (à) : adverbe, date... (demain, je vais....). C'est le temps chronique qui intéresse le chercheur ou l’évaluateur.

À partir de là on peut croiser la structure d'adresse et les orientations

temporelles.

Orientation temporelle du locuteur et de son adversaire dans leurs discours d'après les

marques déictiques

Au passé Au présent Au futur

V. Giscard d'Estaing parle De Lui 50% 29% 21%

L'autre 28% 15% 57%

F. Mitterrand parle De Lui 15% 39% 46%

L'autre 70% 19% 11%

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Giscard d'Estaing se situe dans le passé aussi bien par lui-même que par son

adversaire, Mitterrand reste dans le présent de la campagne.

5. Analyse sémantique et structurale Dans cette perspective, il s'agit de dépasser le contenu manifeste explicite pour

toucher le sens implicite, par une analyse au second degré. Approche aux frontièrex entre l'herméneutique (sciences du déchiffrement, des énigmes et des symboles) et l'art de l'interprétation. Pour Muchielli36, on n'est plus dans l’analyse de contenu. Pour y rester, tout en allant plus loin que le sens immédiat-explicite, on peut rechercher :

- Les connotations - Les structures de significations

5.1 Analyse des connotations

À côté de sens du dictionnaire, existe pour tous les mots une auréole de sens

multiples, provenant du retentissement de ces mots et de leurs sonorités mêmes, dans des zones plus obscures de la conscience. La dénotation (sens du dictionnaire) se différencie de la connotation qui est ce retentissement, ensemble « ouvert » par rapport à la dénotation qui elle est close. Les connotations représentent le retentissement affectif du mot et l'ensemble de ses valeurs à un niveau vécu non-réfléchi.

• Le différenciateurs sémantiques d'Osgood

La technique du différentiel sémantique mise au point par Osgood en 1957 dans The measurement of meaning a pour but d'obtenir un jugement sur un mot à partir d'une échelle connative.

Pour Osgood le sens ou la signification conative d'un mot est l'ensemble des associations verbales fournies à ce mot par un sujet ou un groupe socio-culturellement déterminé de sujets. Ces associations résultent d'une impression sémantique produite par un stimulus verbal (mot initial considéré) et constituée par une partie détachable (rm) d'une réponse totale (Rt) apprise et associée antérieure au référent physique dont le stimulus verbal est le signe linguistique (Sav). celui-ci fonctionne comme un

stimulus conditionnel qui n'évoquerait qu'une partie de la réponse inconditionnelle ou apprise antérieurement, Rt. cette réponse médiatrice partielle (rm) possède un pouvoir

représentationnel déclenchant des associations verbales au mots stimulus.

36 Mucchielli, R. (1986). L’analyse de contenu. Paris : ESF

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S R t

Sa

rm

............... sm R

v

Modèle purement associationniste : S est un stimulus physique quelconque (une

oeuvre), Rt la réponse totale à ce stimulus. Sav est un signifiant verbal associé à S. Cette association produit une réponse représentationnelle rm qui est une partie ou évocation de Rt . Par auto-stimulation rm devient stimulation représentationnelle sm et déclenche une nouvelle réponse verbale Rv. La liaison Sav -rm est appelée décodage, c’est-à-dire interprétation de la liaison du signe au médiateur, la liaison sm - Rv est

appelée encodage, c’est-à-dire expression des idées, le couple rm-sm est appelé impression sémantique.

Pour l'auteur, la signification d'un mot n'est pas son sens dénotatif lexical, c'est l'ensemble des réactions émotionnelles et comportementales qu'il évoque. le mot ici s'est trouvé associé dans l'apprentissage personnel ou l'expérience a des impressions.

La signification réelle d'un mot (chargé de valeurs) ne peut se définir que par la position qu'il a dans un « espace sémantique » à n dimensions. À partir d'une analyse factorielle, il s'agit de trouver les dimensions de tout espace sémantique, pour éviter la multiplicité des dimensions Osgood trouve trois facteurs essentiels :

• valeur : bon-mauvais, beau-laid, gentil-méchant... • puissance : fort-faible, dur-mou, lourd-léger.... • activité : actif-passif, tendu-relaché, rapide-lent....

Il est possible à partir de là, pour un stimulus donné de connaître les réactions-

impressions qu'il déclenche à partir d'échelles d'adjectifs bipolaires. Concrètement on propose aux sujets des échelles sémantiques constituées à

chaque fois de deux adjectifs qui sont censés constituer deux attributs opposés d'une même modalité. Ces deux adjectifs sont figurés comme deux pôles d'une échelle qui porte des graduations intermédiaires appelées points (échelle en cinq, sept points).

Chaque mot est décrit par le sujet par une position de l'échelle, c’est-à-dire un point. Les adjectifs se distribuent selon les trois dimensions sémantiques. Les adjectifs doivent être choisis en rapport avec le champ sémantique supposé du concept. La liste n'est pas limitée.

Il est possible de comparer plusieurs stimuli pour connaître les similitudes ou non de significations conatives (mesure de l'écart sémantique ou conatif). Muchielli donne l'exemple de la comparaison sémantique entre orange et pamplemousse. Il prépare une échelle bi-polaire en 7 points et demande 20 sujets de « situer » sur chacune

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des lignes le concept désigné, et cela en se laissant aller à ses impressions. Chaque ligne représente une échelle et les deux adjectifs anti-thétiques sont à chacun des deux pôles. Ces adjectifs se distribuent selon les trois dimensions sémantiques prévues : Valeur, Puissance, Activité, en proportion égale. Ils doivent être choisis en rapport avec le champ sémantique supposé du concept et leur liste n’est pas limitée. Sur chaque ligne, il y a 7 points dévaluation ou 7 cases : + + +, + +, 4-, zéro, +,++,+++.

L’expérience révèle une différence sémantique nette entre ces deux représentations dans le groupe étudié : l’orange est, pour le groupe interrogé, un « être » chaud, vif, gai, généreux, dynamique, amical et jeune ; le pamplemousse, au contraire, un « être » vieux, lent, replié sur soi, intellectuel. On voit là ce que la publicité appelle « la personnalité des produits de consommation ».

La différence entre deux profils sémantiques est mesurée par la formule :

C’est-à-dire : la différence de signification est égale à la racine carrée de la somme des carrés des différences par échelle. Plus D est petit, plus les « concepts » sont dits « congruents » (ils coïncident, s’identifient l’un à l’autre au niveau des réactions affectivo-comportementales).

Le différenciateur sémantique a de nombreuses applications. Passant en revue

ces applications, Moles37 cite : - L’analyse de la force connotative comparée, dans l’évaluation des

affiches et des images de marque,

37 Moles, A. (1970). La diffusion de la différenciation sémantique en France, International Review of applied Psychology, 1970, n° 2

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- L’estimation de l’aspect esthétique d’un message, - La classification de matériels non-verbaux, - La valeur des méthodes scientifiques, - Les perceptions de différents groupes culturels, - La mesure de l’acculturation, - etc...

Sur le suicide des jeunes, Mouren (1966)38 compare des jeunes ayant fait des

tentatives par rapport à des sujets normaux. Les différences significatives concernent les concepts Moi-Père-sécurité-Vie-Mort. dans le premier groupe, sous-estimation de la puissance et de l'activité du moi, phénomène encore plus marqué par rapport au père.

Hesse (1969) critique le risque de « fausses bipolarités » qui peuvent se glisser dans certaines listes, d'où la nécessité d'une standardisation (mais est-elle vraiment possible ?). Il montre également que les réponses sont influencées par le caractère (le style) des sujets (certains sujets utilisent plus que d'autres les extrêmes que les zones moyennes et inversement).

Le cadre des trois dimensions produit un appauvrissement des connotations individuelles. Le champ des connotations semble plus grand et plus ouvert, plus individualisé.

• La méthode de l'adjective check-list

Il s'agit de pallier les défauts (critiques) du différenciateur d'Osgood en proposant non pas des présentations bipolaires d'adjectifs, mais une liste d'adjectifs. La sélection des adjectifs reposant sur des hypothèses, vis-à-vis du champ sémantique d'un concept (masculinité par exemple) ou d'un couple de concepts (masculinité/féminité). Ces hypothèses étant à priori et/ou relevant d'une pré-enquête. Il s'agit soit :

- de cocher dans la liste, les adjectifs qui conviennent, - de donner un numéro d'ordre aux adjectifs choisi (poids).

Dans cet exemple, sur Rôles masculins et féminin, Rocheblave-Spenle propose

la liste suivante d’adjectifs en demandant à des sujets de cocher « les adjectifs qui conviennent à Masculinité et ceux qui conviennent à Féminité » :

38 Mouren, P., Tatossian, A., Blumen, G., & Guin, P. (1966). Le suicide des jeunes. Annales médico-

psychologiques, Paris, 1966, n° 1

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En rassemblant et catégorisant les résultats, l’auteur pense avoir reconstitué ce que signifient masculinité et féminité pour son groupe. Pour Mucchielli39, il semble que cette approche permet davantage d’obtenir des stéréotypes que des champs sémantiques. Toutefois, pour cet auteur, il n’en est pas moins vrai que sur des concepts moins dévitalisés par les stéréotypes culturels, la méthode de l’adjective check-list donne des résultats. Quelque chose se dessine (si les consignes orientent vers les « impressions personnelles irrationnelles ») qui correspond aux connotations, et la méthode est moins rigide que celle d’Osgood.

Une variante consiste à demander de donner un numéro d’ordre aux adjectifs choisis et à ne tenir compte que des deux premiers choix (2 points à l’adjectif choisi en premier, 1 point à celui choisi en second) tout en comptant le nombre total d’adjectifs choisis. En effet, les deux premiers choix indiquent l’impression la plus immédiate et la plus forte, mais le nombre total de choix est indicatif de la « richesse » connotative du concept étudié.

• L'analyse sémantique

L’analyse sémantique consiste à recenser les significations qui sont impliquées dans un mot, en se basant sur l’étude des connotations le plus souvent admises (Mucchielli, 1986). Cette forme d’analyse centrée sur l’étude des sèmes (structures élémentaires de signification) est très souvent mobilisée dans l’étude des représentations sociales lors d’utilisation de méthodes comme l’association libre ou la carte associative où on demande aux sujets à quelles connotations ils rattachent certains mots (exemple : au mot travail, on rattache souvent, argent, responsabilités, collègues etc.). Cependant, dans l’analyse sémantique, le chercheur travaille à partir des connotations qu’il fait lui-même à partir des mots du discours sur lequel il travaille. Le sémème est l’axe sémantique immanent à un ensemble de sèmes, soit l’idée générale,

39 Mucchielli, R. (1986). L’analyse de contenu. Paris : ESF

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l’image, les connotations qui traversent un ensemble de sèmes. Par exemple, dans les écrits de G. Bernanos, les mots suivants : cancer, gangrène, ulcère, rongeur, etc. renvoient au sémème « être-dévoré » par opposition aux mots : hémorragie, anémie, insectes suceurs de sang, etc. qui renvoient au sémème « être-vide ». Ces deux sémèmes renvoient à l’image que l’auteur se fait de la mort agissant dans la vie. On peut remarquer l’existence de trois phases pour mettre en œuvre cette technique :

Analyse sémique de chaque unité de texte :

Dans l’exemple cité par Mucchielli (1986) du poème de Baudelaire, il faut

d’abord analyser chaque mot du texte.

Un vieux boudoir plein de roses fanées

Où gît tout un fouillis de rosés surannées

Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher

Seuls respirent l’odeur d’un flacon débouché

Le sens qui apparaît lors d’une première lecture est celui de révocation d’une

pièce vide remplie de nombreux objets qui semblent à l’abandon. À partir de chacun des mots exprimés, on cherche les connotations associées. Cette recherche des connotations est réalisée par l’analyste, mais peut être enrichie par celle réalisée par d’autres personnes, par des dictionnaires de synonymes par exemple. Dénombrement des sèmes et regroupement :

Les soixante-trois sèmes peuvent être réunis en plusieurs sémèmes. Par exemple, « lassitude » est un sémème pouvant regrouper vingt sèmes : fatigue, souvenirs, perte de valeur, abandon etc. Le thème « sans jeunesse » peut rassembler trois sèmes : vieux, fuite de la vie, etc.

Identification des principaux sémèmes du texte :

Les différents sèmes regroupés forment huit sémèmes principaux opposés deux à deux. 1- jeunesse/lassitude 2- plaisirs/désenchantement 3- intimité/solitude 4- multiplicité/encombrement

Le sens implicite du texte est le passage du premier terme au second, mettant en opposition la période de la jeunesse pleine de plaisirs à la vieillesse, période décrite en

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termes de lassitude désenchantée. Ce tableau dépeint l’univers intérieur du poète, sa mélancolie face à la vieillesse.

L’analyse sémantique permet ainsi d’identifier les dimensions socio-affectives sous-jacentes à un discours. Elle favorise l’émergence de la composante évaluative des représentations sociales, c’est-à-dire des valeurs que nous attribuons à ces connaissances et qui fondent nos jugements.

• L'analyse structurale

C’est Lévi-Strauss qui fut le premier à s’intéresser à la logique du fonctionnement des sociétés primitives, à leurs structures familiales et à leurs mythologies. La méthode structuraliste qu’il a initiée cherche à déceler sous la variété des situations et des phénomènes les relations qui témoignent d’un ordre caché. La structure correspond à une réalité non directement accessible au chercheur. Les structuralistes cherchent un ordre immuable sous un certain désordre apparent. En 1966, Greimas publie Sémantique structurale, un ouvrage de linguistique utilisant rapproche structurale. Cette approche structurale est doublée d’un point de vue systémique. En effet, la signification d’un récit ou d’une histoire serait organisée en fonction de cette structuration et toute variation au niveau des éléments constitutifs ou de leur agencement produirait un changement au niveau de l’émergence de la signification (Bardin, 2001)40. Dans l’analyse structurale, on ne s’attache plus au classement des signes mais on se centre sur leur agencement, sur le sens de leurs relations. Pour Piret, Noizet et Bourgeois (1996)41, cette méthode cherche à dépasser le contenu manifeste, immédiat du discours et à dégager la structure sémantique profonde qui le sous-tend, l’ensemble des éléments centraux et de leurs interrelations qui caractérisent le discours. C’est précisément de la mise en évidence de ces interrelations, de la manière dont ces éléments sont structurellement reliés que se dégage le sens du discours. Le postulat central de toute approche structurale est que les éléments du discours ne prennent sens que dans et par leurs relations entre eux [...] Elle consiste à saisir les associations, les oppositions, qui relient les thèmes d’un discours. Ces auteurs sont partis de l’ouvrage de Greimas pour construire une méthode d’analyse originale.

L’étude d’un texte au moyen de cette technique d’analyse structurale repose sur la mise au jour des articulations entre les termes du discours. La relation élémentaire entre les éléments du discours est la relation de disjonction : deux termes sont unis par une relation de disjonction s’ils constituent les deux modalités exclusives et exhaustives d’une réalité. En repérant les disjonctions présentes dans un discours et la manière dont elles s’articulent, on met au jour la structure des représentations du locuteur. Par ailleurs, la dynamique présente dans certains matériaux peut être représentée au moyen du schéma de quête, qui visualise la position de différents actants autour d’un enjeu.

40 Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu. Paris : PUF 41 Piret, A., Nizet, J., & Bourgeois, E. (1996). L’analyse structurale. Bruxelles : DeBoeck.

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Cette analyse procède par étapes successives pour analyser d’une part, l’ensemble du texte mais également pour parvenir à cerner de manière précise les propos du locuteur. Pour cela, on dénombre trois étapes :

Repérages des relations de disjonction : Le principe de base de cette technique s’appuie sur la mise en évidence des

relations entre deux mots, ou groupes de mots dans un texte qui ont quelque chose en commun tout en étant différents. Repérer les relations de disjonction revient à mettre en évidence les oppositions, les termes inverses.

Identification des structures : Ensuite, on cherche à cerner comment ces éléments de bases se combinent entre

eux pour former des structures plus complexes. Elles unissent deux ou plusieurs disjonctions entre elles. Plusieurs types de structures peuvent être déduits :

- La structure parallèle : peut-être composée de deux ou plusieurs disjonctions « empilées par des relations d’implication réciproque ». Par exemple, dans la phrase « La droite, c’est 20 ans d’immigration sauvage, la gauche, c’est l’immigration contrôlée », les auteurs expliquent que ces deux disjonctions ne sont pas indépendantes et peuvent être représentées de la manière suivante.

____Majorités politiques___

La gauche La droite

____Types d’immigration___

Contrôlée Sauvage

- La structure hiérarchisée : il s’agit d’une structure à plusieurs étages constituée

de disjonctions imbriquées. Par exemple, à partir de la phrase de Grize (1989 : « II est bien connu qu’on n’écrit pas comme on parle et qu’on ne parle pas au téléphone comme en tête à tête ».

_____ Manières de s’exprimer______

Écrire __Parler___

au téléphone en tête à tête

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- La structure croisée : dans certains cas, ni la structure hiérarchisée, ni la

structure parallèle, ne peut rendre compte de la relation qui unit deux disjonctions. À partir de la publicité « Tout le plaisir du café, sans caféine, DECAFE », les auteurs ont relevé une structure croisée.

____Le plaisir offert___

Tout le plaisir du café Pas tout le plaisir du café

___Composition du café___

(avec caféine) sans caféine

Ce type de structure nécessite une représentation schématique croisée pour rendre compte des relations dans la proposition.

1 - Tout le plaisir avec caféine : Les autres cafés. 2 - Tout le plaisir sans caféine : DECAFE 3 - Pas tout le plaisir avec caféine : Mauvais cafés 4 - Pas tout le plaisir sans caféine : Les autres décaféinés

Chacun des cadrans renvoie à une réalité possible.

Le relevé du schéma de quête :

Si les disjonctions et les structures permettent de relever la manière dont s’ordonnent les réalités sous-jacentes à un matériau, on ne peut pas encore en saisir la dynamique. Pour rendre compte de cette dynamique, les auteurs font appel à la notion de Récit de Quête. Le scénario de ce récit de quête est toujours le même : celui des actions menées par un personnage pour atteindre une fin, obtenir un objet. Le sujet peut également chercher à éviter l’objet. Les trois actants sont donc l’objet convoité, le sujet et les actions qu’il mène. On peut identifier des actants complémentaires associés aux facilitateurs ou aux obstacles à l’obtention de l’objet. Le récit de quête organise les disjonctions selon un scénario dans lequel prennent place des rôles typiques que l’on retrouve quel que soit le matériau.

Par exemple, Piret, Nizet et Bourgeois (1996)42, évoquent cet extrait d’entretien :

« Celui qui va à l’école, il ne gagne rien. À ce moment-là, ça ne me plaisait pas fort. J’avais

envie de gagner de l’argent. C’est pour ça que j’ai été travaillé ».

42 Piret, A., Nizet, J., & Bourgeois, E. (1996). L’analyse structurale. Bruxelles : DeBoeck.

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Ils l’analysent en termes de schéma de quête. L’objet valorisé est le fait de

gagner de l’argent. Pour y parvenir, le sujet « Je » dois mener l’action de travailler.

« Je » travaille + Gagner de l’argent +

La quête peut aussi se formuler sur un mode négatif : le sujet cherche à éviter un objet en s’abstenant de certaines actions. Ex : Je vais à l’école, je ne gagne rien.

« Je » aller à l’école - Ne rien gagner

Par schéma de quête, on représente les deux versants de la quête : au dessus, le versant à promouvoir et en dessous le versant à éviter :

Travailler + Gagner de l’argent + Sujet

Aller à l’école - Ne rien gagner

Les auteurs ont réalisé à partir de cette démarche, décrite ici de manière très brève, une recherche sur les transformations des représentations d’adultes en situation de formation. En analysant chacun des entretiens, les auteurs repèrent comment certains enseignements conduisent les sujets à re-interroger leurs parcours, leurs expériences et produisent de nouvelles représentations. Un des intérêts de cette technique réside dans le fait qu’elle favorise l’identification de la structure singulière de chacun des entretiens et ainsi des univers représentationnels de chaque sujet. Dans un second temps, il est possible d’établir une typologie des entretiens à partir des schémas de quête caractérisant chacun des entretiens.

Demazière et Dubar (1997)43 qui ont utilisé une version de cette approche pour

analyser des entretiens de jeunes en situation d’insertion professionnelle expliquent la manière dont la typologie peut être établie. D’abord chacun des entretiens est condensé de façon à mettre en évidence le jeu des oppositions/disjonctions et des conjonctions/corrélations entre les mots utilisés par le sujet. Ensuite, les chercheurs procèdent à une typologie inductive en regroupant les différents éléments du corpus autour d’un petit nombre d’entre eux choisis comme noyaux de la typologie. Pour cela, on rassemble d’abord les informations relatives de chaque entretien sur une fiche. Puis, les fiches sont réparties dans des tas à partir du choix d’unités-noyaux autour desquels on peut classer le discours. Il est indispensable de créer un nouveau tas lorsque la fiche contient des informations ne ressemblant à aucune de celles déjà réparties. À la fin, toutes les fiches sont classées dans des tas différents. Enfin chacun de ces tas doit être

43 Demazière, D., et Dubar, C. (1997). Analyser des entretiens biographiques. Paris : Nathan

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nommé de façon à refléter le plus fidèlement possible les représentations de la population interrogée. Cette analyse structurale s’appuyant sur le repérage de structures et de schèmes est particulièrement pertinente pour étudier les entretiens.

• L’analyse des relations par opposition (ARO)

Cette technique est également inspirée de l’approche structuraliste. Elle est plus particulièrement centrée sur les relations d’opposition entre les propositions.

L’ARO fut inventée par Raymond (1968)44 et est directement inspirée de l’approche structuraliste et des couples d’opposition mis en lumière par Lévi-Strauss. Elle vise également à dégager le contenu latent du discours (Blanchet & al., 1985)45. Cette méthode fut élaborée à partir d’une recherche sur l’habitat et part d’une double hypothèse qui suppose : a) l’existence d’une correspondance (relation) entre les éléments d’un système pratique et les éléments d’un système symbolique, b) l’existence d’une structure de cette correspondance en opposition constitutive de la fonction symbolique. Cette méthode considère que la parole est une actualisation constante de symboles. Dans l’étude sur l’habitat, l’hypothèse de base est que les habitants de pavillons individuels se représentent leur habitat comme le signifiant d’un mode de vie fondé sur une certaine idéologie. L’objectif de cette recherche est de définir la correspondance entre le pavillon individuel et l’idéologie. Il s’agissait de montrer qu’il existe dans une population de personnes vivant en pavillons individuels, un système de relations, une correspondance terme à terme entre l’organisation spatiale, matérielle du logement et les représentations, significations associées au logement. Les auteurs ont tenté de mettre en relation le système matériel et spatial du logement d’une part, et le système symbolique d’autre part. L’ARO consiste donc à repérer des relations de significations entre les signifiants d’une part (les objets dont on parle) et les signifiés d’autre part (ce que l’on dit à propos de ces objets), telles que les signifiants et leurs signifiés supposent terme à terme. Depuis l’étude des pavillonnaires, l’ARO a été utilisée dans un grand nombre d’enquêtes comme celle sur les « Derniers domiciles connus » qui est un bilan des manières d’habiter et des usages du logement collectif et une évaluation de la politique architecturale mise en œuvre dans le logement social dans les années soixante-dix/quatre-vingt. La démarche se déroule en deux phases :

44 Raymond, H. (1968). Analyse de contenu et entretien non-directif : application au symbolisme de l’habitat. Revue française de sociologie, 9, numéro spécial « Urbanisme » 45 Blanchet & al., (1985). L’entretien dans les sciences sociales. Paris : Dunod

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Découpage du texte :

On découpe le texte comme dans une analyse thématique classique. Pour ce faire, on doit :

- Constituer un lexique thématique et prendre comme point de départ une série facilement repérable Par exemple, dans une étude sur l’habitat, on peut prendre la série des différents espaces du pavillon : cuisine, salle, jardin, devant, etc.

- Repérer des relations d’opposition entre un signifiant et un signifié : on doit recenser tout ce qui a été dit (au niveau symbolique/idéologique) sur chaque thème, tout ce qui a été associé par le locuteur à chaque élément matériel mentionné dans l’entretien.

Réduction du texte

Ensuite, on procède à une réduction avec la mise en évidence de relations du type A/c, B/d, (Bardin, 2001)46 où A et B renvoient à des éléments spatiaux et c et d aux symboles ou significations correspondant comme Chambre/privé ou Salle/Publique. Le type de découpage requis n’a rien de mécanique, il implique au contraire, une lecture très analytique du texte et peut être pour cette raison relativement long. Pour chaque entretien, on rédige des fiches résumant les principales oppositions. Elles peuvent être classées selon les signifiants ou les signifiés. Un exemple cité par Blanchet (1985)47 permet de souligner la structure en opposition.

« nous mangeons dans la salle à manger pour les anniversaires ou autres fêtes mais autrement, nous sommes à la cuisine »

La phrase donne lieu à deux thèmes : « salle à manger » et « cuisine ». Puis, on

procède à une réduction mettant en évidence les oppositions suivantes :

A - cuisine (système spatial)/c - autrement (système symbolique) B - salle à manger/d - fêtes et anniversaires

On rapproche alors toutes les oppositions que l’on a pu identifier et l’on

s’aperçoit que toutes ces oppositions se ramènent à une seule : public/privé. D’autres axes vont se dégager avec d’autres pôles, « cuisine » s’opposera à

« chambre » sur l’axe intimité. Cette méthode revient à chercher une correspondance entre deux systèmes : le naturel et le symbolique. Il faut donc rechercher les oppositions dans le discours et les différents axes qui les structurent mais cela n’est pas toujours facile. Par exemple, la phrase suivante est également citée par Blanchet (1985).

46 Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu. Paris : PUF 47 Blanchet & al., (1985). L’entretien dans les sciences sociales. Paris : Dunod

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« Mes parents ont voulu que j’ai un métier solide, ils voulaient que j’aie un diplôme qui sur le marché du travail puisse être bénéfique alors, j’ai fait du droit … mais en fait j’aurais préféré faire psycho, ….. seulement ils considéraient que c’était quelque chose de plus ou moins bouché, faut dire que des psychologues on n’en a pas énormément besoin ».

On aurait tendance à penser que l’opposition se situe entre « droit » et

« psycho ». En fait, on s’aperçoit que ce qui est en cause pour le sujet, c’est l’opposition entre des études intéressantes ou agréables et des études rentables.

L’ARO informe sur la structure idéologique à partir de laquelle l’interviewé

construit son projet. Si les oppositions sont récurrentes, on peut en tirer des conclusions concernant les représentations sociales et l’idéologie.

Pour utiliser cette méthode, il est nécessaire d’aborder un sujet qui conduise la personne à évoquer un monde réel (les études) et un mode symbolique (représentation des études). Si cette technique, mettant en relation une dimension descriptive et une dimension symbolique, semble très pertinente, elle ne peut cependant pas être utilisée pour tous les types de relation Individus/Environnement.

Les approches basées sur l’étude sémantique des connotations et celles utilisant

rapproche structuraliste doivent permettre, à partir de la relation entre les mots, d’évoquer le réseau cognitif et affectif qui relie l’objet d’une représentation à d’autres objets évoqués dans un discours. Au lieu de partir, comme dans les méthodes associatives, d’un mot inducteur et d’analyser le réseau induit, on adopte d’une certaine façon la démarche inverse. On travaille à partir d’un discours produit en cherchant à repérer les liens entre les éléments et dimensions d’un objet afin de cerner les associations à son propos. Analyser le contenu latent d’un discours offre la possibilité de repérer les représentations sociales, mais également d’accéder à l’origine des conceptions, des croyances, aux conceptuels ou idées-sources sur lesquels s’ancrent les représentations sociales.

6. Conclusion sur l’analyse de contenu

Au cours ce panorama non exhaustif sur les analyses de contenu, on a souligné la diversité des techniques d’analyse de contenu.

On a regroupé les différentes analyses de contenu selon qu’elles s’attachent plus aux signifiés et au mode d’expression des représentations ou aux signifiants et plutôt à la dimension d’ancrage dans le système de pensée des individus.

Formation « Evaluation » 1-4 décembre 2007 à Lyon

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Par ailleurs, les techniques d’analyse de contenu présentées ici sont plus ou moins difficiles à mettre en œuvre et nécessitent, en général, une assez grande expérience. Il est évident que l’analyste débutant est invité à se lancer et à expérimenter par lui-même ces méthodes d’analyse. Cependant, il sera au départ, souvent confronté à des choix difficiles et à des interrogations sur le sens des discours étudiés. Il pourra également être parfois découragé par la masse de données qu’il doit traiter, procédera maladroitement dans sa manière de les classer. Cependant, plus son expérience s’étoffera, mieux il saura tirer profit des discours qu’il analyse. Pour se prémunir partiellement de ces difficultés et même lorsqu’on utilise les méthodes les plus simples, il peut être utile d’approfondir ses connaissances relatives à la méthode choisie avant de la mettre en pratique. Il est souvent nécessaire de consulter les ouvrages spécialisés sur chacune des méthodes. En effet, notre ambition en élaborant cette partie était avant tout de fournir des informations générales à propos de chacune de ces techniques de façon à ce que le lecteur puisse se faire une idée assez précise de la démarche et des procédures à mettre en œuvre.