l’enseignant : un modèle pour la société - lacsq.org · n’avait pourtant pas le même statut...

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L L e e n n s s e e i i g g n n a a n n t t : : u u n n m m o o d d è è l l e e p p o o u u r r l l a a s s o o c c i i é é t t é é Conférence Par Me Linda Lavoie COLLOQUE PÉDAGOGIQUE DE LA RÉGION DE QUÉBEC Le 20 avril 2000 Cain Lamarre Casgrain Wells Société en nom collectif

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Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

TTAABBLLEE DDEESS MMAATTIIÈÈRREESS

Introduction ----------------------------------------------------------------------------------------------3

PREMIÈRE PARTIE ----------------------------------------------------------------------------4

Les droits de l’enseignant ------------------------------------------------------------------------------4

DEUXIÈME PARTIE-------------------------------------------------------------------------- 10

Les devoirs de l’enseignant -------------------------------------------------------------------------- 10

La jurisprudence arbitrale antérieure à 1996 --------------------------------------------------- 12

La jurisprudence de la Cour suprême du Canada --------------------------------------------- 13

Jurisprudence arbitrale postérieure à 1996------------------------------------------------------ 18

Le rôle de modèle de l’enseignant à l’école------------------------------------------------------- 23

En présence des élèves ----------------------------------------------------------------------------------------23

Hors la présence des élèves-----------------------------------------------------------------------------------23

Le rôle de modèle de l’enseignant à l’extérieur de l’école------------------------------------- 25

En présence des élèves ----------------------------------------------------------------------------------------25

Hors la présence des élèves-----------------------------------------------------------------------------------26

Les droits fondamentaux de l’enseignant ; la liberté d’expression et le droit à la vie

privée en fonction des devoirs et responsabilités qui lui incombent ------------------------ 28

Conclusion ---------------------------------------------------------------------------------------------- 29

Références----------------------------------------------------------------------------------------------- 31

3

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

INTRODUCTION

Il fut un temps, pas si lointain, où les « notables » des villes et des villages, et non

les enseignants, étaient les modèles de la société.

Les médecins, curés, notaires et avocats (et oui, les avocats aussi !) jouissaient d’un

certain prestige auprès de leur entourage et l’on attendait d’eux qu’ils « donnent

l’exemple » d’un comportement conforme aux valeurs du temps.

Cette époque est maintenant révolue. Les « notables » d’hier sont aujourd’hui des

personnes qui, comme tout le monde, travaillent pour gagner leur vie. Règle

générale, la société ne reconnaît plus le prestige autrefois accordé à ceux qui

pratiquaient une « profession libérale » et n’attend plus d’eux qu’ils adoptent un

comportement exemplaire.

Il en va tout autrement pour l’enseignant. La « maîtresse ou le maître » d’école qui

n’avait pourtant pas le même statut que les autres professionnels, joue aujourd’hui

un rôle grandissant dans la conservation et la transmission des valeurs de notre

société. Le plus haut tribunal du pays l’a récemment réaffirmé ; l’enseignant est un

modèle tant pour les élèves que pour la société dont ils doivent refléter les valeurs.

L’enseignant, pour remplir son rôle, jouit des droits que lui reconnaît la législation

et, dans une moindre mesure, les ententes collectives. Mais être un « modèle »

comporte également des devoirs importants, notamment celui de véhiculer tant par

le geste, la parole, que par l’attitude, ces valeurs de notre société. Ce sont ces droits

et ces obligations imposés aux professionnels de l’enseignement qui feront l’objet

de ce document.

4

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

La première partie du texte sera consacrée aux droits que la Loi sur l’instruction

publique1 et les conventions collectives reconnaissent aux enseignants. Nous verrons

ensuite l’interprétation qu’en donnent les tribunaux.

Puis, seront examinés les devoirs de l’enseignant selon les termes de la loi. L’impact

des décisions récentes rendues par la Cour suprême du Canada concernant le rôle de

l’enseignant fera également l’objet d’une attention particulière.

Enfin, certains exemples de situation impliquant les devoirs des enseignants seront

analysés pour démontrer les conflits pouvant potentiellement surgir entre ces devoirs

et leurs droits fondamentaux, tel le droit à la vie privée, à la liberté d’expression, etc.

PREMIÈRE PARTIE

LES DROITS DE L’ENSEIGNANT

Les droits de l’enseignant font l’objet d’une section particulière dans la Loi sur

l’instruction publique où, hormis la liberté de conscience, on reconnaît ceci :

« 19. Dans le cadre du projet éducatif de l’école et des

dispositions de la présente loi, l’enseignant a le droit de

diriger la conduite de chaque groupe d’élèves qui lui est

confié.

L’enseignant a notamment le droit :

1º de prendre les modalités d’intervention

pédagogique qui correspondent aux besoins et aux

objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève

qui lui est confié ;

2º de choisir les instruments d’évaluation des élèves

qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer

5

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte

des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont

confiés en se basant sur les progrès réalisés. »

La loi accorde donc à l’enseignant le droit de diriger les élèves qui lui sont confiés

en choisissant quelle intervention pédagogique est nécessaire compte tenu des

besoins des enfants et de leurs objectifs d’apprentissage. Cette latitude trouve écho

dans la convention collective en vigueur2 à l’article 8-1.05 :

« 8-1.05. Il revient à l’enseignante ou l’enseignant de

choisir la démarche appropriée pour la préparation et la

présentation de ses cours dans les limites des

programmes autorisés.

Les examens de la commission sont administrés

conformément à sa politique d’évaluation, laquelle est un

objet soumis à l’organisme de participation des

enseignantes et enseignants au niveau de la commission

déterminée dans le cadre du chapitre 4-0.00. »

En principe donc, l’enseignant jouit du droit de choisir la façon ou la méthode qu’il

estime la plus appropriée pour transmettre ses connaissances aux élèves dont il a la

charge.

Ce principe a été reconnu maintes fois par les tribunaux. Ainsi, à ce sujet, l’arbitre

Blouin écrit :

« En ce qui concerne la notion de « liberté académique »,

cette notion est liée intrinsèquement à la philosopie (sic)

de notre système d'enseignement qui entend assurer la

promotion des connaissances au profit des valeurs

6

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

défendues par notre société pluraliste, libérale et

démocratique. […] Dans le milieu concerné, la liberté

académique impose au professeur un devoir de

transmettre des connaissances définies avec compétence

et éthique et lui garantit l'indépendance dans l'expression

et l'agissement en le plaçant à l'abri non seulement de

l'ingérence, mais aussi de toute tentative d'ingérence sous

(sic) forme notamment de menaces, de censures ou de

représailles institutionnelles, à la suite de pressions

pouvant émaner tant de l'interne (instances

administratives, pédagogiques, etc.) que de l'externe

(milieux gouvernementaux, professionnels, syndicaux,

etc.).»3

Malgré cela, il semble que les tribunaux d’arbitrage n’octroient pas aux enseignants

des droits à leur pleine mesure. Ainsi, le principe de la « liberté académique » a été

maintes fois énoncé, rarement est-il appliqué par les arbitres de grief. Les arbitres

déclarent volontiers l’existence de ce principe, mais n’en ordonne pas le respect.

La sentence de l’arbitre Denis Gagnon rendue le 10 décembre 1999 en est une bonne

illustration. Dans cette affaire, le Syndicat des enseignants des Vieilles-Forges

soutenait que l’enseignant pouvait choisir la méthode d’enseignement qui lui

paraissait la plus appropriée dans les circonstances et qui lui permettait de

transmettre la matière qu’il devait inculquer aux élèves. L’arbitre Gagnon rejette les

prétentions du Syndicat et écrit :

« Or, je partage l’opinion et les raisons exposées par le

procureur de la commission dans son argumentation, et je

suis d’avis que la clause 8-1.05 ne permet pas à Daniel

Cossette de refuser d’enseigner suivant la méthode

pédagogique implantée valablement, légitimement et dans

7

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

le but de répondre aux besoins d’une clientèle en

cheminement particulier.

En d’autres mots, s’il revient à l’enseignant de choisir la

démarche appropriée pour préparer et présenter ses

cours, il doit le faire dans le respect de la méthode

pédagogique implantée par la commission.»4

Cette sentence arbitrale semble mal fondée en droit puisqu’elle met de côté la liberté

académique que la loi et la convention collective accordent à l’enseignant dans

l’exercice de ses fonctions. L’arbitre tente de distinguer (avec bien peu de succès) la

« démarche appropriée » que l’enseignant peut choisir et « la méthode

pédagogique » déterminée par la commission scolaire. Ce sont pourtant là des

notions à toutes fins utiles identiques dont le choix, aux termes de la loi, devrait,

dans les deux cas, revenir à l’enseignant.

De plus, cette sentence arbitrale ne tient pas compte des devoirs importants qui sont

imposés aux enseignants et des lourdes conséquences pouvant découler d’éventuels

manquements à ces devoirs. Or dans bien des cas, ces devoirs ne pourront être

remplis que grâce à l’exercice d’une certaine liberté accordée à l’enseignant.

Ainsi, comment pourrait-on exiger d’un enseignant qu’il « collabore à développer

(…) le goût d’apprendre »5 de ses élèves s’il doit appliquer la méthode pédagogique

imposée par l’employeur même lorsqu’elle est inappropriée dans les circonstances ?

On le voit, la liberté académique est essentielle pour accomplir efficacement la tâche

d’enseignement et devrait donc être scrupuleusement préservée.

8

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

Néanmoins, cette liberté académique ne saurait être illimitée. Peu importe la

tangente qu’elle prendra, elle sera forcément contrôlée d’abord par la commission

scolaire et ultérieurement par les tribunaux d’arbitrage.

Que l’on pense aux méthodes pédagogiques impliquant des contacts physiques entre

l’élève et l’enseignant, au sujet desquels l’arbitre Angers Larouche écrivait :

« Du reste, un enseignant n’a pas de droit divin,

pédagogique ou autre d’exprimer son amitié ou son

appréciation envers une élève ou un élève par des

contacts physiques, que ce soit en lui mettant les mains

sur les épaules, autour des épaules, ou dans le dos. »6

La décision rendue par l’arbitre Morency dans Syndicat de l’enseignement de la

région de Drummondville c. Commission scolaire des Chênes7 nous donne un

exemple convaincant de ces limites. Dans cette affaire, l’enseignant en éducation

physique était congédié au motif qu’il aurait tenu des propos déplacés à l’endroit de

ses étudiants et aurait eu une conduite inappropriée à leur égard. On lui reprochait

également d’adopter une attitude qui indisposait les enfants, en posant des gestes

trop affectueux ou, au contraire, trop brusques à leur endroit.

Niant une partie des faits qui lui étaient reprochés, l’enseignant a toutefois reconnu

avoir tendance à embrasser les jeunes enfants pour leur manifester de l’affection, les

toucher afin de les instruire ou encore pour les protéger contre les accidents. Il

estime avoir fait des compliments aux enfants sans intention malveillante et avoir

appliqué des contacts physiques à des fins éducatives et dans une perspective

formatrice.

9

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

Ces références à la formation, aux techniques pédagogiques ou la liberté

académique de l’enseignant ont été écartées en bloc par l’arbitre qui juge que cela ne

peut ni expliquer ni justifier le comportement de l’enseigneant.

Selon le tribunal, les limites de l’acceptable ont été dépassées et l’enseignant a

manqué de jugement.

« Il estime que ses paroles et ses démarches étaient

justifiées et que les autres les ont mal jugées ou

appréciées.

C’est là, croyons-nous, que se trouve la base du

problème. Le plaignant n’est pas, semble-t-il, conscient

de ses responsabilités et des remous que sa conduite crée

autour de lui. Il a fait preuve de tant de manque de

jugement, de discernement et de tact dans l’exercice de

ses fonctions ou à l’occasion de l’exécution d’icelles, que

l’employeur était, à notre avis, fondé de s’interroger sur

sa capacité d’évoluer en milieu scolaire. »8

La liberté académique des enseignants n’est donc pas sans limite. L’exercice de

cette liberté peut, comme dans cette affaire, être non seulement jugé inapproprié,

mais qui plus est, constituer une démonstration de l’incapacité de l’enseignant à

accomplir les devoirs inhérents à ses fonctions et le conduire à une fin d’emploi.

10

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

DEUXIÈME PARTIE

LES DEVOIRS DE L’ENSEIGNANT

Nous l’avons dit, la Loi sur l’instruction publique impose aux enseignants des

obligations, lesquelles sont décrites comme suit :

« 22. Il est du devoir de l’enseignant :

1º de contribuer à la formation intellectuelle et au

développement intégral de la personnalité de chaque

élève qui lui est confié;

2º de collaborer à développer chez chaque élève qui

lui est confié le goût d’apprendre;

3º de prendre les moyens appropriés pour aider à

développer chez ses élèves le respect des droits de la

personne;

4º d’agir d’une manière juste et impartiale dans ses

relations avec ses élèves;

5º de prendre les mesures nécessaires pour

promouvoir la qualité de la langue écrite et parlée;

6º de prendre des mesures appropriées qui lui

permettent d’atteindre et de conserver un haut degré de

compétence professionnelle;

6.1º de collaborer à la formation des futurs enseignants

et à l’accompagnement des enseignants en début de

carrière;

7º de respecter le projet éducatif de l’école. »

C’est en se référant à ces devoirs et, de façon plus générale, au rôle de l’enseignant

dans notre société que maints dossiers disciplinaires ont trouvé une issue devant les

11

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

tribunaux. Selon les arbitres, les obligations énoncées par cette disposition ne

constituent pas de simples vœux pieux du législateur. Ce sont au contraire des

objectifs que les enseignants doivent chercher à atteindre. Ces devoirs sont toutefois

énoncés de façon générale, si bien que leur application varie non seulement d’un

tribunal à l’autre, mais également au fil du temps.

Ainsi, que signifie « contribuer (…) au développement intégral de la personnalité de

chaque élève » ou encore « prendre les moyens appropriés pour aider à développer

chez l’élève le respect des droits de la personne » dans le contexte quotidien de

l’enseignant ? Qu’est-ce qui contribue à développer la personnalité d’un élève de

façon acceptable tant aux yeux de l’enseignant à qui ce devoir est confié qu’à ceux

des élèves, parents, commissions scolaires ou encore à ceux de la société

québécoise ? Ce sont là des questions que la loi laisse sans réponse, mais qui doivent

être gardées à l’esprit des enseignants qui exercent leurs fonctions auprès des

enfants. En fait, ces obligations imposent aux enseignants de contribuer à

transmettre aux enfants non seulement les matières inscrites au programme éducatif,

mais également les valeurs généralement admises et prônées par la société dans

laquelle nous évoluons.

Ainsi, au-delà de la transmission de leur connaissance, les enseignants ont le devoir

de se comporter de façon compatible avec leur rôle tel que décrit par l’article 22 de

la Loi sur l’instruction publique. L’enseignant dont le comportement ou les propos

sont considérés incompatibles avec ce rôle pourra être réprimandé, et ce, malgré

qu’il offre une excellente performance de pédagogue.

En effet, si les obligations décrites par cette loi sont proactives, en ce qu’elles

requièrent de l’enseignant qu’il agisse de façon à remplir ses devoirs, il n’en

demeure pas moins qu’elles impliquent également le devoir de ne pas agir de

manière à nuire à l’accomplissement de ces objectifs par le système scolaire. Cet

aspect sera examiné.

12

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

Enfin, il va de soi que les valeurs de la société que l’enseignant représente évoluent

au même rythme que la société elle-même.

Cette évolution peut être examinée en trois temps. On peut regrouper la

jurisprudence en cette matière en fonction de la date à laquelle des décisions ont été

rendues. L’année charnière, 1996, correspond à l’intervention de la Cour suprême

dans des dossiers mettant en cause le rôle de l’enseignant.

Cette année-là, en effet, la Cour suprême du Canada9 a rappelé aux tribunaux

d’arbitrage quels étaient les devoirs des enseignants eu égard à la transmission des

valeurs prônées par notre société.

Notre étude de la jurisprudence pertinente sera donc effectuée dans un premier

temps en fonction des décisions rendues avant 1996, puis par l’analyse des

jugements de la Cour suprême du Canada et, enfin, par une revue sommaire de la

jurisprudence récente à ce sujet.

LA JURISPRUDENCE ARBITRALE ANTÉRIEURE À 1996

En 1983, s’inscrivant dans un courant jurisprudentiel majoritaire, un arbitre nuance

la gravité d’un acte qualifié d’immoral par la commission scolaire et réintègre un

enseignant malgré qu’il ait été déclaré coupable d’avoir eu une relation sexuelle

avec un jeune de 15 ans.10 Cette décision était basée sur la distinction maintes fois

faite par la jurisprudence entre la commission d’un « acte immoral » et la preuve de

l’« immoralité » d’une personne.

Ainsi, l’acte immoral, commis de façon isolée,11 dans des circonstances

particulières, par exemple à l’extérieur de l’école,12 alors que les chances de récidive

13

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

ne sont pas très élevées,13 sans que l’image ou la réputation de la commission

scolaire n’ait été entachée,14 pouvait être sanctionné par une mesure disciplinaire

sans que l’enseignant ne perde son emploi.

LA JURISPRUDENCE DE LA COUR SUPRÊME DU CANADA

Puis, à trois occasions, la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur le rôle que

joue l’enseignant dans notre société et sur les devoirs qui lui incombent pour exercer

ce rôle correctement.

Dans l’affaire Ross c. Conseil scolaire du district 15 du Nouveau-Brunswick15, un

enseignant a fait l’objet d’un congédiement pour avoir tenu des propos racistes et

discriminatoires à l’endroit des juifs. Ces déclarations étaient faites à l’extérieur de

l’école, principalement par le biais de la publication de quatre livres ou brochures,

de lettres ouvertes dans le journal local et grâce à une entrevue accordée à la station

de télévision locale.

La Cour, relativement au rôle social de l’enseignant, a écrit :

« […] Lieu d'échange d'idées, l'école doit reposer sur des

principes de tolérance et d'impartialité de sorte que toutes

les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent

également libres de participer. Comme l'a dit la

commission d'enquête, le conseil scolaire a l'obligation de

maintenir un milieu scolaire positif pour toutes les

personnes qu'il sert.

Les enseignants sont inextricablement liés à l'intégrité du

système scolaire. En raison de la position de confiance

14

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

qu'ils occupent, ils exercent une influence considérable

sur leurs élèves. Le comportement d'un enseignant influe

directement sur la perception qu'a la collectivité de sa

capacité d'occuper une telle position de confiance et

d'influence, ainsi que sur la confiance des citoyens dans

le système scolaire public en général. […]

[…]

Le comportement de l'intermédiaire qu'est l'enseignant

doit traduire son adhésion à ces valeurs, croyances et

connaissances que le système scolaire cherche à

communiquer. […] L'enseignant est perçu dans la

collectivité comme l'intermédiaire par lequel passe le

message éducatif, et en raison de la position qu'il y

occupe, il n'est pas en mesure de [TRADUCTION]

«choisir le chapeau qu'il portera et dans quelle

occasion». […] ce chapeau d'enseignant, il ne l'enlève

donc pas nécessairement à la sortie de l'école et, pour

certains, il continue à le porter même après les heures de

travail. […]

[…]

La raison pour laquelle le comportement en dehors des

heures de travail peut équivaloir à de l'inconduite est le

fait que l'enseignant occupe une position de confiance et

de responsabilité. Si celui-ci agit de manière déplacée,

au travail ou après le travail, il peut en résulter une perte

de confiance du public à son égard et à l'égard du

système scolaire public, une perte de respect de la part

des élèves envers lui et envers les autres enseignants en

général, en plus de susciter à l'intérieur de l'école et de la

collectivité une controverse qui perturbe le

fonctionnement du système d'éducation.

15

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

C'est en raison de cette position de confiance et

d'influence que nous exigeons de l'enseignant qu'il se

conforme à des normes élevées au travail comme à

l'extérieur du travail, et c'est l'érosion de ces normes qui

est susceptible d'entraîner, dans la collectivité, une perte

de confiance dans le système scolaire public. »

Un mois après l’affaire Ross, la Cour suprême se prononce à nouveau sur le rôle que

jouent les enseignants dans la société. Une accusation criminelle avait été portée

contre un enseignant de 22 ans à qui on reprochait d’avoir touché, à des fins

sexuelles, une adolescente. La Cour devait déterminer si malgré que l’événement

soit survenu pendant la période estivale, l’enseignant était en situation d’autorité et

de confiance vis-à-vis son ancienne élève.

Or pour la Cour, on doit considérer que les enseignants sont d’emblée en situation

d’autorité et de confiance face à un enfant ou à un adolescent, peu importe que l’on

soit ou non en cours d’année scolaire.

Enfin, en 1997, dans l’affaire Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c.

F.E.E.E.S.O., district 15,16 la Cour suprême s’est saisie du congédiement d’un

enseignant qui a rédigé des lettres injurieuses et menaçantes à des représentants de

son employeur. Sur une période de quatre ans, cet enseignant avait soumis sa

candidature 39 fois pour obtenir un poste de cadre, sans jamais obtenir la promotion

tant désirée. Estimant faire l’objet de discrimination à cause de son origine ethnique,

l’enseignant a déposé une plainte à la Commission ontarienne des droits de la

personne puis a écrit une lettre au Conseil de l’éducation, laquelle contenait des

accusations et des menaces qui ont été réitérées lors d’une deuxième

correspondance.

16

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

Le Conseil d’arbitrage avait néanmoins ordonné la réintégration de l’enseignant en

assortissant toutefois celle-ci de certaines conditions. La Cour d’appel a maintenu

cette décision.

Appelée à examiner ce dossier, la Cour suprême a annulé la réintégration et rétabli

son congédiement. Pour la Cour, la vulnérabilité des élèves et la nécessité de

préserver la confiance du public dans le système d’éducation sont primordiales. La

Cour écrit :

« À mon avis, la conduite d'un enseignant influe

directement, d'une part, sur la perception qu'a la

collectivité de sa capacité d'occuper un tel poste de

confiance et d'influence, et, d'autre part, sur la confiance

de la collectivité à l'égard du système scolaire public en

général. Par conséquent, lorsqu'un enseignant accomplit

des actes d'une gravité telle que son statut comme modèle

de comportement est sérieusement compromis, le rapport

de confiance qui doit exister entre le conseil scolaire et

l'enseignant est miné et il y a alors une cause juste de

congédiement, même s'il existait une preuve positive que

l'enseignant pourrait être apte à reprendre ses fonctions.

(...)»17

(nos soulignés)

Ces enseignements de la Cour suprême du Canada ont été appliqués par les

tribunaux d’arbitrage. Les attentes qu’une commission scolaire est en droit d’avoir

face aux enseignants et les conséquences des écarts de conduite de ceux-ci sont donc

maintenant évaluées en fonction de leur « statut comme modèle de comportement ».

17

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

En fait, ces décisions ont eu pour effet de resserrer les exigences faites aux

enseignants à l’égard de leur attitude et de leur comportement. L’auteur Bourgeois

l’exprime ainsi :

« Des propos déjà cités, nous avons aussi vu que, sans

imposer un code de vie monastique au personnel de nos

institutions publiques d’enseignement, nous sommes en

droit d’attendre d’eux, en tout temps, un comportement

compatible avec leur profession et la teneur de la mission

éducative du milieu. »18

Il ne suffit donc pas que les enseignants apprennent aux élèves le respect des autres,

ils doivent eux-mêmes faire preuve de respect envers autrui. De même, non

seulement doivent-ils apprendre aux enfants à ne pas enfreindre les règles, mais ils

doivent également en donner l’exemple en se conformant eux-mêmes aux lois et

règlements.

C’est ce qu’un arbitre de l’Ontario19 a décidé lorsqu’un professeur surpris en

possession d’un camion rempli de téléviseurs volés a été congédié en 1983.

L’arbitre note d’abord qu’à son avis, tout citoyen, un jour ou l’autre, se place dans

une situation telle, que son comportement constitue un mauvais exemple pour son

entourage. Les enseignants, comme les autres, sont susceptibles de se retrouver dans

de telles positions.

Mais la loi ontarienne exige des enseignants qu’ils maintiennent un niveau de

bienséance plus élevé que celui attendu des autres professionnels. Puisque

l’éducation des enfants inclut nécessairement le respect de la loi et des autres vertus,

les enseignants doivent non seulement transmettre ces valeurs, mais les pratiquer

18

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

eux-mêmes, si bien que le comportement de l’enseignant en question est considéré

répréhensible et de nature à mériter un congédiement.

JURISPRUDENCE ARBITRALE POSTÉRIEURE À 1996

Bien que récente, une jurisprudence s’est déjà développée pour exiger des

enseignants une plus grande rigueur dans l’application de leurs devoirs, y compris

celui d’agir comme un modèle pour les enfants.

Ainsi, dans l’affaire l’Association de l’enseignement du Nouveau-Québec c.

Commission Scolaire Crie20, la Commission scolaire a annulé le contrat

d’engagement d’une enseignante qui avait délibérément omis de mentionner qu’elle

avait déjà été condamnée pour grossière indécence et production de matériel

pornographique. Les faits à l’origine de ces condamnations lui avaient déjà fait

perdre son emploi dans une autre commission scolaire.

La commission scolaire Crie avait donc procédé à l’embauche de cette enseignante

en ignorant ses antécédents judiciaires et l’a congédié lorsque cela a été porté à sa

connaissance. L’employeur soutenait devant l’arbitre que les actes criminels commis

par l’enseignante étaient en contravention avec les valeurs morales et religieuses

qu’elle devait transmettre aux élèves. À ce sujet, l’arbitre écrit :

« Et, à mon avis, la commission scolaire n’avait pas à

faire devant le tribunal la description exacte des

différentes valeurs morales ou religieuses qu’elle veut

transmettre aux élèves qu’elle a mission d’éduquer, à

moins que ces valeurs soient exorbitantes de la norme. En

ce sens, il me semble que lorsqu’un enseignant est trouvé

coupable d’actes criminels, on doit considérer qu’il a

19

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

posé des gestes que l’ensemble de la société, incluant

évidemment la commission scolaire qui l’emploie,

réprouve. Sous réserve, bien sûr, du « lien » qu’on doit

faire entre l’emploi occupé et les actes commis.

[…]

Il ne fait donc aucun doute que l’enseignant a un rôle

extrêmement important à jouer et qu’il est tout à fait dans

l’ordre des choses qu’on exige de lui qu’il maintienne des

valeurs de probité et d’honnêteté au-dessus de la

moyenne. »21

On constate que les exigences des tribunaux à l’égard des enseignants sont très

élevées. Ils doivent faire preuve de « probité et d’honnêteté au-dessus de la

moyenne ».

La décision Commission scolaire Crie et Fortier22 donne un autre exemple de l’effet

produit par les enseignements de la Cour suprême sur les attentes qui sont

maintenant formulées aux enseignants. Dans cette affaire, l’enseignant s’est vu

reprocher les propos sexistes ou à caractère sexuel qu’il tenait aux filles de la classe

dont il était responsable. Par diverses remarques et commentaires, il harcelait ses

étudiantes en les plaçant dans une situation telle, qu’elles devenaient objet de

commentaires et de railleries à caractère sexuel.

L’arbitre de grief a néanmoins réintégré l’enseignant en considération notamment

des vingt années d’ancienneté au cours desquelles il avait enseigné auprès des

communautés Cries et du côté latin de son caractère qui expliquerait son goût

prononcé pour les femmes et son grand désir de les complimenter.

La Cour supérieure a renversé cette décision. Dans un jugement sévère à l’endroit de

la décision de l’arbitre et de l’enseignant, l’honorable juge Duval-Hesler indique

20

Cain Lamarre Casgrain WellsSociété en nom collectif

d’abord que les vingt années de loyaux services fournis de l’enseignant ne peuvent

en rien atténuer la gravité des reproches qui lui sont formulés. Faire en sorte que

certaines de ses élèves soient l’objet de commentaires déplacés ou de railleries à

cause de leur sexe constitue du harcèlement sexuel. Un tel comportement est

inacceptable pour un enseignant.

La Cour reproche également à l’arbitre d’avoir examiné les faits en fonction de ses

propres valeurs plutôt qu’en regard de celles de la société en général. S’appuyant sur

la jurisprudence de la Cour suprême du Canada23, la Cour accueille la requête en

révision judiciaire présentée par la commission scolaire, annule la décision de

l’arbitre de réintégrer l’enseignant et ordonne qu’un nouveau procès soit tenu pour

disposer du congédiement.

Dans cette affaire, ce sont les propos de l’enseignant qui n’étaient pas conformes au

rôle qu’il doit assumer dans la société. Dans la décision rendue dans la Federation of

English Speaking Catholic Teachers c. Commission des écoles catholiques de

Montréal,24 ce sont plutôt les commentaires que l’enseignant tolérait de certains

élèves qui le conduisirent au congédiement.

Selon l’arbitre, permettre que des élèves en dénigrent d’autres, y participer en riant

de certaines blagues de mauvais goût et ne pas intervenir pour rétablir un climat plus

sain peut être considéré comme un manque de jugement. Ces faits et certains autres

ont en l’espèce privé l’enseignant de conserver son emploi.25

On doit donc retenir que la gravité des propos ou comportements reprochés aux

enseignants ne doit pas nécessairement être évaluée uniquement en considérant le

point de vue de l’enseignant. L’absence de dossier disciplinaire, les circonstances

particulières entourant les faits reprochés ou les valeurs personnelles de l’enseignant

ne suffiront peut-être pas à repousser la preuve d’une cause suffisante de

congédiement.

21

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En effet, on doit légalement évaluer la rectitude des gestes posés ou des paroles

prononcées en regard des valeurs de la société, le climat créé par le comportement

de l’enseignant dans l’école ou dans la classe, le sentiment de rejet que cela a pu

provoquer chez certains élèves et, enfin, de l’impact de tout cela sur la confiance

que la société doit continuer à avoir dans le système scolaire que fréquentent les

enfants.

Les propos, remarques ou gestes de nature sexuelle envers les élèves constituent

donc des écueils évidents pour l’enseignant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de

l’école.

Il en va de même pour les remarques, commentaires ou blagues qui ridiculisent ou

ostracisent certaines personnes, malgré que les propos n’aient pas de connotation

sexuelle à proprement parler. Pensons par exemple aux blagues portant sur les

femmes blondes, aux remarques sur les assistés sociaux (B.S.), sur les grosses

personnes ou encore sur le degré d’intelligence d’enfants en difficulté

d’apprentissage. Ce sont là autant d’exemples qui peuvent amener un employeur à

considérer que l’enseignant n’agit pas comme un modèle de respect envers les

autres. Ce sont donc des exemples de comportement pouvant justifier l’imposition

de mesures disciplinaires.

L’utilisation de sobriquets peut en effet être un motif justifiant l’imposition de

mesures disciplinaires. Dans une décision rendue en 1992, l’arbitre Gauvin décrivait

ainsi les propos malheureux de l’enseignant.

« Il affublait de temps à autre certaines élèves de

surnoms, ce qui était alors perçu comme étant tantôt un

manque de respect, tantôt de la raillerie, tantôt voire

même du mépris à leur endroit, ces surnoms étant, pour

22

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souligner l’aspect physique de l’une : « La grosse

boulette »; pour attirer l’attention sur les noms à

consonance anglophone de deux autres : « Les deux

anglaises »; pour insister sur certaines particularités

physiques de l’une : « La squaw »; pour ridiculiser

certaines difficultés éprouvées par d’autres dans la

matière enseignée : « P’tite tête »; pour désigner une

autre étudiant un peu grassette : « La grosse »; pour en

stigmatiser une autre : « Bianca la mafia » ou

« mercenaire » ou « la droguée »; enfin, pour en nommer

une autre éprouvant des difficultés scolaires : « Grande

nonotte ».26

Ces sobriquets, « tantôt irrespectueux, tantôt railleurs, tantôt teintés de mépris »27

constituent, selon l’arbitre, des manifestations d’inconduite de l’enseignement. En

décrivant une personne ou un groupe de personnes de façon péjorative, l’enseignant

s’expose à se voir reprocher de ne pas avoir fait preuve du respect envers autrui dont

il doit pourtant donner l’exemple. Des sanctions disciplinaires pourront lui être

imposées si, contrairement à ses devoirs, il contribue à développer un sentiment de

rejet chez certains enfants.

Déjà exigeante, la profession d’enseignant est, depuis 1996, un statut à porter dans

pratiquement toutes les circonstances. Les mises en garde ci-dessus formulées sont

en effet susceptibles de trouver application tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de

l’école.

La personne qui enseigne doit garder à l’esprit qu’elle est appelée à servir de

« modèle » pour les enfants, alors même qu’elle n’est pas au travail.

23

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LE RÔLE DE MODÈLE DE L’ENSEIGNANT À L’ÉCOLE

EN PRÉSENCE DES ÉLÈVES

Le devoir de l’enseignant de respecter les valeurs de la société québécoise en

présence des enfants est évident.

Ainsi, si la rectitude politique est présentement de mise dans notre société, cela

devrait se refléter dans le comportement du corps professoral.

Dire d’une personne qu’elle est grosse a pu être vu positivement lorsque cela était

signe de prospérité, mais il est clair que ce qualificatif est souvent mal reçu de nos

jours.

Son utilisation par un enseignant à l’endroit d’un ou d’une élève risquerait donc

d’être perçu comme un manque de respect, une forme de rejet et possiblement

comme un motif de reproche de la part d’une commission scolaire.

Lorsque des remarques ou des propos désobligeants sont tenus devant les enfants,

dans la classe ou à l’école, le lien avec l’emploi et le manquement au devoir de

l’enseignant est évident. Ce ne sont toutefois pas là les seules situations susceptibles

de mettre en cause le rôle de l’enseignant dans la société.

HORS LA PRÉSENCE DES ÉLÈVES

Le comportement d’un enseignant lorsqu’il est à l’école, mais hors de la présence

des élèves, peut également justifier l’imposition de mesures disciplinaires, s’il est

fautif.

24

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L’affaire Conseil de l’éducation de Toronto28 nous donne un bon exemple de ce type

de manquement. Rappelons les faits à l’origine de cette décision.

Des lettres de menace et d’insultes ont été écrites par un enseignant déçu de se voir

continuellement refuser une promotion. Après avoir porté plainte pour racisme

auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, l’enseignant a

expédié de telles lettre à des représentants de l’employeur. Les élèves n’ont jamais

été mis en cause ni même informés de la teneur, voire même de l’existence de cette

correspondance.

Ces lettres contenaient des manifestations d’agressivité et des menaces qui ne se

sont par contre jamais concrétisées. Les experts consultés par les parties

s’entendaient pour dire que cet enseignant n’était pas susceptible de commettre des

actes de violence et qu’il ne souffrait d’aucun désordre psychologique.

Néanmoins, les lettres qu’il a rédigées et l’agressivité dont elles font preuve ont été

considérées comme des manquements graves au rôle que doivent assumer les

enseignants. Que cette agressivité ne se soit pas manifestée devant des élèves n’a

rien changé à l’affaire et l’enseignant s’est vu refuser le droit de réintégrer son

emploi. La Cour suprême écrit :

« Du fait de leur situation de confiance, les enseignants

doivent prêcher par l’exemple et par leur enseignement,

et ils donnent l’exemple autant par leur conduite en

dehors des salles de cours que par leur prestation dans

celles-ci. En conséquence, toute mauvaise conduite en

dehors des heures normales d’enseignement peut

constituer le fondement de procédures disciplinaires.»29

25

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Tout comme dans l’arrêt Ross précité, c’est donc l’inaptitude de l’enseignant ayant

tenu des propos agressifs ou racistes à remplir son rôle de « modèle » qui a été

déterminante dans le choix de la mesure disciplinaire à imposer.

Les tribunaux se sont demandés si l’on pouvait prendre exemple sur un adulte

raciste ou agressif au point de menacer de mort les gens qui le contrarient. Dans les

deux cas, la réponse négative des tribunaux s’est traduite par la perte d’emploi des

enseignants pour des propos qu’ils avaient tenus hors la présence d’élèves.

LE RÔLE DE MODÈLE DE L’ENSEIGNANT À L’EXTÉRIEUR DE L’ÉCOLE

EN PRÉSENCE DES ÉLÈVES

Les exemples ci-dessus mentionnés permettent de comprendre facilement que le

comportement fautif adopté par un enseignant en présence d’élèves, même à

l’extérieur de l’école, pourra faire l’objet de mesures disciplinaires.

L’enseignant, la fin de semaine, est encore un enseignant. Il en va de même pendant

les vacances estivales, lorsqu’il quitte l’école le soir, etc.

Selon la Cour suprême, l’enseignant « n’est pas en mesure de (…) « choisir le

chapeau qu’il portera et dans quelle occasion (…) » ce chapeau d’enseignant, il ne

l’enlève donc pas nécessairement à la sortie de l’école et, pour certains, il continue

à le porter même après les heures de travail »30

La décision Audet de la Cour suprême illustre de façon convaincante ce principe. Un

jeune enseignant de 22 ans était accusé d’avoir abusé de l’autorité que son statut lui

octroi en posant des gestes à caractère sexuel à l’endroit d’une élève pendant les

vacances estivales et donc en dehors du contexte scolaire.

26

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Selon la Cour, l’enseignant devait, même à ce moment, garder à l’esprit le rôle de

modèle qu’il est appelé à jouer auprès des jeunes et éviter d’abuser de la position

d’autorité dont il jouit auprès de ceux-ci.

HORS LA PRÉSENCE DES ÉLÈVES

L’enseignant qui adopte un comportement ne cadrant pas avec les valeurs qu’il doit

promouvoir alors qu’il n’est ni dans le contexte scolaire ni en présence des élèves

peut aussi se voir imposer des mesures disciplinaires. Dans ce cas, la publicité faite

autour des gestes posés par l’enseignant aura un impact déterminant.

En effet, si les élèves ne sont pas directement témoins d’un comportement fautif,

l’enseignant n’aura donné de mauvais exemple que si les gestes posés ont été

publicisés, que ce soit par la voie des médias ou simplement par le bouche à oreille.

L’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses de l’enseignement de Portneuf

CEQ c. Commission scolaire de Portneuf 31 en est un exemple.

L’enseignant, trouvé coupable de fabrication de matériel pornographique et de

grossière indécence, n’avait posé les gestes reprochés que chez lui et uniquement en

présence d’adultes consentants, sans qu’il n’y ait aucune participation d’enfants, à

quelque titre que ce soit.

27

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Devant ces faits, l’arbitre écrit :

« […] la preuve atteste qu’aucun enfant n’était concerné

et que l’employeur le savait. En un tel contexte,

l’employeur se devait de convaincre le tribunal que la

nature et la gravité des accusations criminelles ont

entraîné une publicité qui risquait de causer un dommage

important à sa réputation d’institution d’enseignement, de

miner sa crédibilité, s’il ne relevait pas le plaignant de

ses fonctions. Car en tant qu’institution d’enseignement

spécialisé aux niveaux préscolaire et primaire,

l’employeur a la responsabilité sociale de s’assurer que

tout enseignant présente certaines garanties morales et il

doit, lors d’accusations criminelles, même s’il sait

qu’aucun enfant n’est impliqué, évaluer néanmoins ce qui

a été porté à la connaissance du public. »

La publicité faite autour de cette affaire a, en l’espèce, conduit au maintien du

congédiement de l’enseignant impliqué dans la commission de ces actes criminels.

Il est vrai que la présence ou l’absence de publicité autour d’une situation

impliquant un enseignant n’est pas nécessairement contrôlée par celui-ci. Considérer

ce facteur pour déterminer si un congédiement doit ou non être maintenu peut donc

sembler arbitraire. En effet, les mêmes gestes posés par un enseignant pourraient,

dans un cas, ne pas faire l’objet de publicité, ne pas ternir l’image de l’employeur ni

remettre en question le rôle de modèle qu’il joue et, donc, ne pas justifier un

congédiement. Dans un autre cas, le même comportement d’un enseignant ayant fait

l’objet d’une vaste publicité pourrait, simplement à cause de cette diffusion dont

l’enseignant n’est nullement responsable, justifier un congédiement.

28

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Néanmoins, la considération de cet élément par les tribunaux trouve sa justification

dans le devoir de l’employeur de préserver son image et ainsi, la confiance de la

société dans le système d’éducation.

LES DROITS FONDAMENTAUX DE L’ENSEIGNANT ; LA LIBERTÉD’EXPRESSION ET LE DROIT À LA VIE PRIVÉE EN FONCTION DES

DEVOIRS ET RESPONSABILITÉS QUI LUI INCOMBENT

Que le comportement des enseignants à l’extérieur du contexte scolaire puisse avoir

un impact sur l’évaluation de leur capacité à exercer leurs fonctions est un principe

maintenant bien établi par la jurisprudence québécoise et canadienne.

Ce principe peut toutefois entrer en contradiction avec les droits fondamentaux dont

jouissent les enseignants au même titre que tout autre citoyen. Ce sera souvent le

droit de s’exprimer librement et celui du respect de la vie privée qui seront ainsi

compromis.

Consciente de ce risque, la Cour suprême du Canada écrivait d’ailleurs dans l’affaire

Ross :

« C'est en raison de cette position de confiance et

d'influence que nous exigeons de l'enseignant qu'il se

conforme à des normes élevées au travail comme à

l'extérieur du travail, et c'est l'érosion de ces normes qui

est susceptible d'entraîner, dans la collectivité, une perte

de confiance dans le système scolaire public. Loin de moi

l'idée de vouloir ainsi soumettre la vie entière des

enseignants à un contrôle démesuré dicté par des normes

morales plus strictes. Cela risquerait d'entraîner la

violation importante des droits à la protection de la vie

29

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privée et des libertés fondamentales des enseignants.

Toutefois, lorsque l'«empoisonnement» d'un milieu

scolaire est imputable au comportement d'un enseignant

après ses heures de travail, et qu'il est susceptible

d'entraîner une perte correspondante de confiance dans

l'enseignant et dans l'ensemble du système, ce

comportement après le travail devient alors pertinent. »32

(nos soulignés)

Ainsi, bien que les tribunaux se disent respectueux de ces droits fondamentaux des

enseignants, certains de ces droits, comme la vie privée, sont parfois enfreints sous

des prétextes bien minces. Par exemple, dans l’affaire du Syndicat des travailleurs et

travailleuses de l’enseignement de Portneuf,33 le tribunal d’arbitrage a décidé que la

production de matériel pornographique par un enseignant n’appartenait pas au strict

domaine de sa vie privée, d’une part parce que l’affaire a été largement publicisée, et

d’autre part parce que le matériel pornographique en question a été expédié par la

poste, ce qui lui donnerait un caractère public.

CONCLUSION

On peut donc retenir que tout geste ou comportement adoptés par un enseignant qui

est susceptible d’entacher, d’une façon ou d’une autre l’image de l’école, de la

commission scolaire ou encore du système scolaire, est passible de mesures

disciplinaires.

Dans l’état actuel du droit, la liberté d’expression et le droit à la vie privée d’une

personne enseignante risque fort d’être écarté au nom du droit de l’employeur de

protéger la confiance des gens dans le système scolaire.

30

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L’enseignant, soucieux d’être à l’abri de sanctions disciplinaires devrait donc tendre

à devenir l’« exemple » que la société réclame.

Toutefois, en classe, il doit non seulement tendre vers l’exemplarité, mais qui plus

est, y parvenir.

31

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RÉFÉRENCES

1 L.R.Q. c. I-13.3.2 Entente intervenue entre le Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires pour

catholiques, les commissions scolaires confessionnelles, catholiques et les commissions scolaires

dissidentes pour catholiques (CPNCC) et la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) pour le compte

des syndicats d’enseignantes et d’enseignants qu’elles représentent [1995-1998].3 Syndicat des professeurs du collège de Chicoutimi C.S.M. (Élie Simard) c. Collège de Chicoutimi, SAE

5080, le 6 février 1990, arbitre Rodrigue Blouin.4 Syndicat des enseignants des Vieilles-Forges (Daniel Cossette) c. Commission scolaire du Chemin-du-

Roy, S.A.E. 6974, le 10-12-1999, arbitre Denis Gagnon, page 17.5 Article 22 (2) de la Loi sur l’instruction publique.6 West Island Teacher’s Association P.A.C.T. (Paul Wilkinson) c. Commission scolaire Baldwin-Cartier,

S.A.E. 4988, le 21-09-1989, arbitre Angers Larouche.7 SAE 5967, le 05-10-1993, arbitre Jean-M. Morency.8 Précité, note 7, pages 586 et 587.9 Ross, [1996] 1 RCS 825 ; R. c. Audet, [1996] 2 RCS 171 ; Le Conseil de l’éducation de la cité de

Toronto, [1997] 1 RCS 48710 Syndicat des enseignants de Châteauguay-Moissons c. Commission scolaire de Châteauguay, S.A.E.

3128, le 23-11-1983, arbitre Michel Leblond.11 Syndicat de l’enseignement de Pascal-Taché c. La Commission scolaire régionale Pascal-Taché, S.A.E

5097, le 27-02-1990, arbitre François-G. Fortier.12 Syndicat des travailleurs de l’enseignement de l’est du Québec c. La Commission scolaire de La

Tourelle, S.A.E. 5808, le 02-02-1993, arbitre Fernand Morin.13 Syndicat de l’enseignement Richelieu-Yamaska c. Commission scolaire Saint-Hyacinthe-Val-Monts,

S.A.E. 5952, le 01-09-1993, arbitre Jean Gauvin.14 Précité note 11; précité note 13.15 [1996] 1 RCS 825.16 [1997] 1 RCS 487.17 Précité, note 16, pages 44 et 45.18 P. Bourgeois, L’intérêt public, ce mal-aimé, Développements récents en droit de l’éducation, Édition

Yvon Blais inc., 1999, 25 pages, pages 20.19 Etobicoke Board of Education and Ontario Secondary School Teachers’ Federation, District 12,

le 26-10-1941, arbitre K.P. Swan, E.G. Posen, J.E. Baker.

32

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20 SAE 6674, 23-10-1997, arbitre Martin Côté.21 Précité, note 20, pages 499 et 500.22 REJB 1997-00757, 21 avril 1997, (C.S.).23 Précité, note 9.24 Federation of English Speaking Catholic Teachers inc. P.A.C.T (Kevork Iradian) c. Commission des

écoles catholiques de Montréal, S.A.E. 4863, le 11-04-1989, arbitre Angers Larouche.25 Précité, note 24 ; voir également à ce sujet Association des enseignants de l’ouest du Québec c.

Commission régionale protestante Western Québec, S.A.E. 5547, le 04-02-1992, arbitre Réginald Savoie.26 Syndicat de l’enseignement de l’Estrie c. Commission scolaire du Lac-Mégantic, S.A.E. 5673,

le 24-07-1992, arbitre Jean Gauvin, page 6.27 Précité, note 26, page 22.28 Précité, note 16.29 Précité, note 16, page 33.30 Précité, note 15, pages 43 et 44.31 SAE 5470, 01-10-1991, arbitre Rodrigue Blouin.32 Précité, note 15, pages 44 et 45.33 Précité, note 31.