L'Encyclopédie de la Méditerranée existe pour l'instant en trois éditions : française, italienne et arabe. C'est une coproduction issue d'un partenariat entre différents édi- teurs des rives de la Méditerranée. La problématique générale de l'Encyclopédie est de vérifier si la Méditerranée — avec les complexités, les différences et les tensions qui la traversent - constitue un ensemble sus- ceptible d'être un objet d'analyse et de recherche. L'organisation actuelle des connaissances inciterait plutôt à aller à l'encontre de cette hypothèse, car peu d'enseigne- ments y sont aujourd'hui, directement ou indirectement, applicables. Cependant, une lecture transversale des poten- tialités rend cette tentative pour le moins raisonnable. La démarche s'inscrira d'une part dans une vaste perspec- tive historique, pour montrer que les antagonismes ont finalement généré moins de blessures graves que de ren- contres et de contributions positives. D'autre part, parce qu'il n'est pas possible de s'en tenir à la seule identité his- torique, si riche et si complexe soit-elle, l'Encyclopédie aborde le présent, pour prendre conscience des dangers et des difficultés qui paraissent s'opposer aujourd'hui au renouveau des échanges entre cultures méditerranéennes. L'Encyclopédie pose donc les prémices d'une véritable entreprise culturelle qui a l'ambition d'inscrire la Méditerranée au cœur du débat actuel, de la réflexion et de la recherche de perspectives adaptées aux attentes des peuples méditerranéens. Avec de possibles retombées sur le contexte de l'enseignement et sur la conception même des différentes disciplines. Soixante titres sont déjà programmés dans la section «Histoire» — depuis la sédentarisation jusqu'à la fin du premier millénaire de notre ère - et dans la section «Temps présent» — sciences humaines, écologie, écono- mie et ressources.

L'Encyclopédie de la Méditerranée est publiée avec le concours de l'Union européenne.

ENCYCLOPÉDIE DE LA MÉDITERRANÉE

EDM

Série TEMPS PRÉSENT

Les ouvrages de l'Encyclopédie de la Méditerranée sont actuellement publiés par les éditeurs

suivants :

Alif-Les Éditions de la Méditerranée, Tunisie Edisud, France

Editions Jaca Book, Italie Editions Toubkal, Maroc Dar el Fergiani, Libye

BERNARD KAYSER

MÉDITERRANÉE UNE GÉOGRAPHIE DE LA FRACTURE

Édisud A Toubkal

© 1996 pour l'édition française

Edisud, France tous droits réservés

première édition en langue française septembre 1996

couverture et maquette Alif-Les Editions de la Méditerranée

cartes dessinées par Cesare Sacconaghi, Gallarate

La réalisation de l'Encyclopédie de la Méditerranée est soute- nue par l'Association internationale SECUM. Sciences, Education et Culture en Méditerranée (siège à Aix-en- Provence, Tunis, Casablanca, Milan).

ISBN 2-85744-877-5 Edisud ISBN 9973-22-054-4 (coll.) Alif

ISBN 9973-22-058-7 Alif

La Méditerranée est un mythe, la Méditerranée est une image. Elle n'est pas une géographie, nous dit Predrag Matvejevitch : «On ne saurait expli- quer ce qui nous pousse à tenter, encore et tou- jours, de reconstituer la mosaïque méditerranéen- ne.» Limage n'est pas virtuelle, pourtant. Sa réalité est attestée par des cartes. D'abord la carte montrant la répartition de l'olivier et de son cortège de plantes plus ou moins endémiques : elle identifie de la façon la plus classique un domaine biogéo- graphique, le milieu méditerranéen. Ensuite la carte montrant l'extension de l'empire romain, autour de la mare nostrum, aux premières années de notre ère : elle identifie l'aire d'une civilisation durable, qu'on peut qualifier de méditerranéenne. Enfin, les cartes... postales : sur les côtes et les arrière -pays ravagés par la modernité, le photo- graphe et le promeneur peuvent dérober encore

Carte 1. L'empire à la mort d'Auguste

dans une lumière inimitable des lambeaux de pay- sages bucoliques, rappelant les descriptions litté- raires de tous les temps. La Méditerranée s'impose. Nulle part ailleurs, sur une pareille étendue, l'unité d'espaces aussi dispa- rates n'est aussi profondément ressentie. Car elle est aujourd'hui, pour les habitants du monde dominant et pour leurs médias, une construction bien établie : une production du soleil et de la mer idéalisés, dans une aura gréco-latine. Une gigan- tesque aire de loisirs. Mais ses limites ne sont inscrites ni dans l'espace, ni dans le temps. «On ne voit pas, dit encore Matvejevitch, comment les déterminer, ni en fonction de quoi. Elles ne sont ni historiques, ni ethniques, ni nationales, ni étatiques. C'est un cercle de craie qui sans cesse se trace et s'efface». A vouloir désigner par Méditerranée la totalité des pays riverains, la politique en souligne l'ambiguï- té. En deçà de la bande côtière, la montagne, le désert et les Nords industrieux feraient-ils donc partie d'un ensemble constitué, d'une commu- nauté ? La Méditerranée est une communauté de papier. Les pays méditerranéens ne seraient-ils donc que ceux ayant des intérêts - souvent oppo- sés - dans la mer qui les baigne ? Mais la Méditerranée et son discours sont insépa- rables. Elisée Reclus, grand géographe incompris de son temps, soulignait en 1864 «l'espèce de fas- cination qu'exerce la Méditerranée sur tous les habitants de l'intérieur du continent», prévoyant

que serait graduellement attirée vers la côte une nombreuse population flottante qui transformera «ses villes en de vastes caravansérails». Et Jules Sion, dans la Géographie universelle (1934), lui fai- sait écho : «Qui s'éloigne de ses bords en garde un nostalgique souvenir.» Tandis qu'André Siegfried, dans sa Vue générale (1943), objectivait ces impressions en prétendant, au point de décrire une «race méditerranéenne», que la Méditerranée est «partout la même : les nuances y sont moins importantes que les ressemblances... On sait tou- jours, à quelques kilomètres près, si l'on est enco- re dans l'air méditerranéen ou si l'on en est sorti». Faut-il aller plus loin encore dans l'absolu ? Camus, envoûté, nous y entraîne : «Chaque fois qu'une doctrine a rencontré le bassin méditerra- néen, dans le choc des idées qui en est résulté, c'est toujours la Méditerranée qui est restée intac- te, le pays qui a vaincu la doctrine !» Les citations, qu'on pourrait multiplier, ne prou- vent qu'une chose : l'enracinement du mythe. L'analyse de la réalité conduira sur des chemins contraires. La Méditerranée est depuis des siècles et des siècles périodiquement fracturée, morcelée, conflictuelle. La vie de la Méditerranée est écarte- lée ; de toutes parts, tirée vers l'extérieur et déter- minée par l'extérieur. Ce n'est pas plus un ensemble géographique qu'une aire culturelle.

MERS

Une mer fermée, une mer tranquille, la Méditerranée ? Certainement pas. C'est une mer fragmentée, en plusieurs bassins ; c'est une mer agitée en surface, par les courants, par les «coups de tabac» ; c'est une mer usée, maltraitée. Et c'est une mer ouverte. Ouverte, fondamentalement, dans sa dépendance de l'Océan. Sans le détroit de Gibraltar et la masse des eaux atlantiques qui se déversent, la Méditerranée n'existerait plus comme mer depuis longtemps. La forte évaporation serait capable de faire baisser son niveau de 1 m par an ; les fleuves et les pluies ne lui apportent, bon an mal an, que 900 km d'eau. L'Atlantique lui en fournit 38 000 km Une toute petite partie de l'étendue marine plané- taire — 1/180 et 1 /35e du seul Atlantique—, la Méditerranée couvre environ 3 millions de km Mesurée le long du 35° de latitude Nord, elle se

Carte 2. Les courants marins

Bernard Kayser est professeur émérite à l'Université de Toulouse-le-Mirail, agrégé de l'Université (Géographie) et docteur ès-Lettres ; il a été directeur de l'Institut de Géographie de Toulouse de 1970 à 1977, responsable d'unités de recherche au CNRS de 1972 à 1984 et consultant auprès de l'OCDE de 1965 à 1978. Président du groupe de prospective sur l'avenir des espaces ruraux à la DATAR de 1990 à 1994, il est actuellement prési- dent de l'Université rurale européenne. Il a effectué diverses missions d'assistan- ce technique et d'enseignement dans le bassin Méditerranéen, en Afrique et en Amérique latine. Ses principales publications : Pour une ruralité choisie, éd. de l'Aube, 1994 ; L'Europe vue de l'espace, cent images du satellite Spot, éd. Solar, 1991 ; La renais- sance rurale, sociologie des campagnes du monde occidental, éd. A. Colin, 1990 ; Les sociétés rurales de la Méditerranée, Edisud, 1986 ; Quatre-vingt quinze régions, éd. du Seuil, 1971 ; Géographie humaine de la Grèce, P.U.F., 1964 ; Studi sui terreni e sull'erosione del suolo in Luciania, éd. Montemurro, 1964 ; Campa- gnes et villes de la Côte d'Azur, éd. du Rocher, 1960.

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