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L'EMPIRISME LOGIQUE

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« INITIATION PHILOSOPHIQUE »

Comi té de p a t r o n a g e :

ALQUIÉ (Ferdinand), Professeur à la Sorbonne.

t BACHELARD (Gaston), Membre de l'Institut, Professeur honoraire à la Sorbonne.

BASTIDE (Georges), Correspondant de l'Institut, Doyen honoraire de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Toulouse.

GOUHIER (Henri), Membre de l'Institut, Professeur hono- raire à la Sorbonne.

HUSSON (Léon), Professeur honoraire à l'Université de Lyon.

MOROT-SIR (Edouard), Professeur à l'Université d'Ari- zona ( Etats- Unis .

RICŒUR (Paul), Professeur à l'Université de Paris-Ouest.

t VIALATOUX (Joseph), Professeur honoraire aux Facultés catholiques de Lyon.

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« I N I T I A T I O N P H I L O S O P H I Q U E » Section dirigée par Jean LACROIX

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L'EMPIRISME

LOGIQUE Russell à Nelson Goodman

par

L O U I S V A X Professeur à la Faculté des Lettres

et Sciences humaines de Nancy

PRESSES U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E

108, Boulevard Saint-Germain, Paris 1970

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D U M Ê M E A U T E U R

L 'a r t et la littérature fantastiques, Paris, Presses Universitaires de France, 3 éd. mise à jour, 1970 (coll. « Que sais-je ? »).

La séduction de l'étrange. (Etude sur la littérature fantastique), Paris, Presses Universitaires de France, 1965 (« Bibliothèque de Philosophie Contem- poraine »).

Critique de la profondeur, Nancy, Faculté des Lettres, 1967 (collection des « Mémoires » des Annales de l'Est).

EN COLLABORATION AVEC ANNE LUCAS

Textes philosophiques allemands, Paris, A. Colin, 1969 (coll. « U2 »).

Dépôt légal. — I édition : 3 e trimestre 1970 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays © 1970, Presses Universitaires de France

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I N T R O D U C T I O N

J'appelle empirisme logique un courant philosophique dont les trois manifestations principales furent l'atomisme logique en Grande-Bretagne, le néo-positivisme ou posi- tivisme logique issu du Cercle de Vienne, et la philosophie logique contemporaine qui, particulièrement florissante aux Etats-Unis, tend à reconquérir l'Europe continentale.

Ces philosophies présentent des traits communs : atta- chement à l'expérience sensible, défiance à l'égard de la spéculation et des prétendues évidences du sens intime, goût de la rigueur logique dans les inférences, effort vers la clarté et la netteté dans l'exposé. Si elles assignent à la philosophie un terrain d'investigation distinct de celui de la science — la science étudie les faits, et la philosophie le langage scientifique — ses méthodes et son esprit sont nettement scientifiques. Comme les savants, les adeptes de l'empirisme logique estiment que la philosophie doit aller se perfectionnant, et ne doit pas craindre de s'attacher à des besognes précises et modestes. En science comme en philosophie, estime Nelson Goodman, la méthode micro- scopique a ses mérites. Et d'ajouter qu'un jour viendra peut-être où le philosophe se caractérisera, tout comme le savant, par les questions qu'il étudie, et non par les opi- nions qu'il professe.

J'ai consacré à chacune des trois écoles un chapitre distinct. Qu'on n'attache pas à cette division didactique une importance excessive ! Certains philosophes pour- raient être rattachés à deux écoles ; d'autres ont occupé

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une position marginale. J'ai dû écarter, faute de place, la très remarquable école analytique polonaise (I), ainsi que l'école contemporaine d'Oxford, qui s'attache à l'analyse des langues communes.

Le quatrième chapitre est une conclusion développée. Je m'efforce de situer l'empirisme logique par rapport à la science et à la philosophie. Je montre que c'est un produit typique de l'époque contemporaine, défiante à l'égard du bon sens cartésien, mais éprise d'observation et de rigueur. J'explique qu'il est aussi une manifestation de la crise actuelle de la philosophie, crise qui se manifeste par le refus du « grand rationalisme » du XVII siècle, l'atta- chement aux subjectivismes des penseurs existants et aux idéologies des groupes sociaux. Pour être éloigné de ces courants, il ne laisse pas de tirer son origine de l'évolution qui leur a donné naissance. Comme eux, il n'a plus con- fiance dans un système unique de la réalité et des valeurs. Mais, loin du pathétique et de la violence, il suggère peut-être quelques solutions propres à surmonter la crise.

Il n'était pas aisé d'exposer en quelques dizaines de pages au public français une philosophie qu'il ignore parce qu'elle déconcerte ses habitudes de penser, ou dont il médit parce qu'il la connaît mal. Rien n'est plus éloigné de la philosophie réflexive de Maine de Biran, Lachelier et Lagneau, chère à notre enseignement universitaire d'hier, et qui se plaisait à découvrir, à la faveur d'une réflexion concentrée, le métaphysique au cœur du psychologique. Il fallait aussi dissiper des préjugés dont le plus commun est celui d'un néo-positivisme figé dans ses dogmes immuables, le plus odieux étant la condamnation sans appel de la métaphysique. Or il n'a probablement jamais existé une philosophie qui ait été, plus que l'empirisme logique, attentive aux critiques et soucieuse de se réformer

(I) Lire : H. SKOLIMOWSKI, Polish Analytical Philosophy, London, 1967, XII-275 p. ; ainsi que le recueil collectif Polish Logic, Oxford, 1967, VIII-407 p.

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et de se perfectionner. Rien ne ressemble moins à un système établi une fois pour toutes, ou à une Eglise avec ses dogmes, ses pontifes, ses fidèles, ses apostats et ses excommunications. D'autre part, malgré son nom et son horreur de la spéculation métaphysique, le néo-positivisme ne doit presque rien au paléo-positivisme de Comte. Ses véritables sources sont l'empirisme anglo-saxon et la logique formelle moderne. Dernière source de méprise : nous sommes enclins à chercher dans la nature du discours une réplique de la nature des choses. Une philosophie rationaliste est un exposé rationnel de l'ordre supposé rationnel du monde ; une philosophie de l'affectivité se fait volontiers pathétique. Or l'empirisme que nous allons étudier n'est pas une philosophie empirique au sens banal du mot, entendez une connaissance et une sagesse tirées de ce qu'on appelle vulgairement expérience. « Empiriste » plutôt qu'empirique, cette philosophie est au contraire un discours très abstrait sur une science elle-même abstraite, encore que fondée sur l'observation.

Qu'on n'attende pas de ce petit livre la précision qu'on pourrait exiger d'un véritable exposé historique. Je me tiendrai pour satisfait si j'aurai pu aider à faire comprendre une philosophie sans être infidèle à sa lettre et à son esprit, et si quelques lecteurs mis en appétit s'adonnent aux joies austères de l'étude des œuvres intégrales.

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CHAPITRE PREMIER

L ' A T O M I S M E L O G I Q U E (I)

I

La philosophie qui voudra éliminer la métaphysique est elle-même issue d'une métaphysique : l'atomisme logique. Cette dernière doctrine, élaborée dans les premières années du siècle par Bertrand Russell, a été continuée par Ludwig Wittgenstein et John Wisdom.

Atomisme s'oppose à monisme. Le monisme soutient que l'univers forme une réalité insécable. Spinozisme et hégé- lianisme sont des échantillons de cette philosophie que j'exposerai, d'après Russell, de manière un peu caricatu- rale. Une proposition de départ comme « je suis un oncle » appelle naturellement la proposition complémentaire : « j'ai un neveu » (ou une nièce). Mais je ne saurais avoir neveu ou nièce sans avoir aussi un frère (ou une sœur) et une belle-sœur (ou un beau-frère). Mais ni mon frère ni moi-même n'existerions si nous n'avions de parents. Et ainsi de suite. Aucun des êtres qui peuplent ce monde n'existerait sans les autres êtres. Chacun en « appelle » d'autres, comme chaque morceau d'un puzzle d'autres

(I) L'exposé fondamental est celui de J. O. URMSON, que j'utilise largement.

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morceaux. Nul homme ne se sépare, si ce n'est par abstrac- tion, du monde humain tout entier, qui s'insère lui-même dans le monde vivant, etc. L'individu distinct est une abstraction ; seule la totalité est concrète.

L'atomisme soutient au contraire que l'univers est un agrégat composé d'individus distincts, comme un tas de sable de grains isolés. Chaque grain de sable est une réalité concrète ; et c'est leur ensemble, le tas, qui est une abstrac- tion. Or cet atomisme est un atomisme physique : Epicure nous en avait donné un spécimen.

L'atomisme logique soutient qu'à chaque atome de la réalité physique correspond un atome logique — ou lin- guistique. Or c'est avant tout de ces atomes logiques, ou linguistiques, qu'il va s'occuper. L'objet privilégié de cette philosophie n'est pas l'être, mais le discours. Les problèmes ontologiques s'effacent devant les problèmes linguistiques. Il est aisé de comprendre cet aspect des philosophies contemporaines : puisque les disciplines scientifiques traitent de la réalité, l'objet privilégié de la philosophie sera le discours sur cette réalité. Il s'agit d'ailleurs moins d'une mutation radicale que d'un changement d'accent. La philosophie contemporaine ne dédaigne pas l'onto- logie ; la philosophie traditionnelle n'ignorait pas les pro- blèmes du langage : elle s'est attachée depuis toujours à préciser le sens des mots, et à dénoncer les vices de pensée auxquels nous porte leur usage.

D'autre part, l'atomisme logique, philosophie anglaise, s'enracine naturellement dans ce terreau national qu'est l'empirisme de Berkeley et de Hume. Simplement il méta- morphose des problèmes ontologiques en problèmes linguis- tiques. L'être, disait Berkeley, c'est ce qui est perçu ; il n'y a point de réalité matérielle cachée sous les apparences. La connaissance, traduisent les philosophes contemporains, s'exprime en termes de sensations, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à un vocabulaire désignant des réalités extra- sensorielles. Le phénoménisme métaphysique déclare que

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la matière n'existe pas ; le phénoménisme linguistique, que le mot matière est inutile.

II

Maintes philosophies ont prétendu décrire le monde sur le modèle d'une science privilégiée, comme la mécanique rationnelle ou la biologie. Aux yeux des rationalistes du XVII siècle, le monde physique est une gigantesque machine, et les organismes vivants des machines très petites et très complexes. Pour Raymond Ruyer, la réalité première est de nature psychobiologique ; les mécanismes n'étant souvent que des formes dégradées de la vie. Pour les pythagoriciens, l'univers est de nature mathématique ; pour Russell, il sera de nature logique.

Discipline en sommeil depuis la fin du Moyen Age, la logique formelle connut, au XIX siècle, un développement prodigieux auquel Russell lui-même allait contribuer : c'est la logique formelle moderne qui constitue l'armature des Principia Mathematica de Russell et Whitehead. Cet ouvrage montre que l'énorme édifice des mathématiques connues repose tout entier sur les principes de la logique formelle. C'est elle qui avait permis de surmonter les anti- nomies auxquelles achoppaient les plus profonds mathé- maticiens. Russell crut avoir découvert la langue idéale, celle qui n'induit point en erreur. Car les langues commu- nes sont bien imparfaites. Le seul petit mot « est », sur lequel les philosophes ont tant ergoté, est en réalité un terme équivoque, couvert de prestige parce que fauteur de confusion. Considérez en effet les quatre phrases sui- vantes :

(I) Dieu est ; (2) Elisabeth II est la reine d'Angleterre ; (3) Elisabeth II est une femme ; (4) La femme est un être humain.

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Quatre emplois, quatre valeurs logiques distinctes. En (I), est pose l'existence, et peut être remplacé par un quantificateur existentiel ; en (2), il affirme l'identité, et équivaut au symbole « = » ; en (3), il indique l'apparte- nance, que la logique désigne par « ∈ » ; en (4), il signale l'inclusion des classes que symbolise « ⊆ ». Le seul recours au symbolisme logique dissipe de faux problèmes. Char- pente des mathématiques, la langue des Principia apparaît à son créateur comme la langue par excellence, celle qui est propre à traduire, comme on l'a vu dans l'exemple analysé, la structure même de la réalité. Dans l'expression d'atomisme logique, il faudra désormais donner au mot logique son sens strict. Il ne reprendra son sens large que plus tard, quand les philosophes anglais renonceront à l'étude des langues formalisées pour retourner à l'analyse des langues courantes.

III

Tous les exposés de la logique moderne commencent par le calcul des propositions non analysées. Les énoncés élémentaires constituent les atomes du savoir ; atomes que la logique va assembler pour former des molécules. Ima- ginons un monde aussi réduit que possible, et qui n'ait que deux habitants, mon chat et mon chien ; et qu'ils n'aient d'autres caractères que leurs couleurs respectives : la grise et la noire. Ce monde comprenant deux éléments, mon chat gris et mon chien noir. La science élémentaire de ce monde se réduit à deux propositions atomiques : « Mon chat est gris » et « Mon chien est noir ». On voit qu'il y a correspondance stricte entre les réalités du monde et les énoncés du langage.

Partant des énoncés atomiques, je puis construire des énoncés moléculaires qui constitueront une science plus complexe. J'obtiendrai par exemple : (I) « Mon chien est noir et (&) mon chat est gris » ; (2) « Mon chien n'est pas noir ou (v) mon chat est gris » ;

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(3) « Si mon chien est noir alors ( ⊃ mon chat est gris » ; (4) « Mon chien n'est pas noir si et seulement si ( ≡ ) mon chat n'est

pas gris. »

Chacun des énoncés moléculaires (1)-(4) est vrai. Le premier est une conjonction, le second une disjonction, le troisième une implication matérielle, le quatrième une équivalence d'énoncés atomiques. Or la vérité des quatre énoncés moléculaires ne dépend que de la vérité des énon- cés atomiques qui les composent. Quant aux symboles ou connecteurs logiques, ils signifient simplement : « & » que les deux énoncés atomiques doivent être vrais ensemble, « V » que l'un d'eux au moins doit être vrai, « ⊃ » que le premier est faux ou le second vrai, « ≡ » qu'ils sont tous les deux faux ou tous les deux vrais. Par conséquent : (5) « Mon chien n'est pas noir et mon chat est gris » ; (6) « Si mon chien est noir, alors mon chat n'est pas gris » ; (7) « Mon chien est noir si et seulement si mon chat n'est pas gris ».

sont trois énoncés faux. La traduction des connecteurs logiques en mots de

la langue courante n'est qu'approximative : « & » est tou- jours commutatif, mais non pas « et ». (Dans la langue courante : « Je me déshabille et je me jette à l'eau » n'a pas tout à fait le même sens que : « Je me jette à l'eau et je me déshabille ».) Dans la langue courante, deux propositions équivalentes ont à peu près même signification (« je suis malade » équivaut à « je ne suis pas en bonne santé ») ; dans la langue formalisée, il suffit qu'elles aient même valeur de vérité (le vrai ou le faux), quel que soit leur contenu ( « 2 + 2 = 5» équivaut à « Napoléon est né à Sainte-Hélène »). Pour exprimer les nuances qu'elle néglige, il faudra à la logique un appareil plus complexe capable de noter, par exemple, la « relation asymétrique » de succession temporelle.

Bien entendu, le monde réel est plus riche que ce monde en miniature. Supposons qu'il contienne, en plus du chien