l'eau comme bien commun, vision nouvelle, dangers et opportunités

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1 L’eau bien commun, vision nouvelle, dangers et opportunités Bettina Laville, Comité 21 Le droit à l’eau Au plan mondial, une résolution de l’Organisation des Nations Unies prise le 28 juillet 2010 a reconnu « le droit à une eau potable salubre et propre comme étant un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ». En France, Le « droit à l’eau », institué par la LEMA, s’inscrit dans le cadre de la Constitution française, et plus précisément dans celui de la charte de l’environnement promulguée le 1er mars 2005. « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et confère également à chaque personne « le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. » La question de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en France renvoie donc à un problème d’ordre économique lié à la capacité qu’ont ou n’ont pas les usagers à payer un service de plus en plus coûteux, et ceci dans un contexte social parfois difficile lié à la perte du logement ou à la précarité de celui-ci. Le droit à l’eau potable est ainsi étroitement lié à l’accès au logement et ’à la lutte contre la précarité énergétique. La loi Brottes de 2013 a interdit les coupures d'eau en cas de factures impayées (article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles). Selon cette loi applicable depuis la fin du mois de février 2014, les distributeurs ne peuvent pas couper l'arrivée d'eau dans un logement lorsqu'un client ne paye plus son abonnement. L’au est ainsi consacrée bien essentiel. Contrairement aux coupures de gaz et d'électricité, qui ne sont interdites que pendant la période de trêve hivernale, cette interdiction est applicable tout au long de l'année. Le principe d'interdiction des coupures d'eau tout au long de l'année est prévu au 3ème alinéa de l'article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles. Saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a estimé, dans une décision rendue le 29 mai 2015, que cette disposition relative à l'interdiction des coupures d'eau tout au long de l'année n'était pas contraire à la Constitution. Les clients peuvent donc faire valoir les règles légales ci-dessus si un distributeur les menace de couper leur fourniture d'eau. Le CC a jugé que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre qui résulte de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur. Il ne s’est pas appuyé sur le Bien commun. L’eau bien commun 1. Les biens communs publics sont essentiels et insubstituables pour la vie de tout être humain et pour le vivre ensemble (pas de vie sans eau, on ne peut pas remplacer l’eau, la substituer…) 2. Ils appartiennent au domaine des droits humains fondamentaux (droit à l’eau potable, droit à l’eau saine/hygiène/assainissement,…) 3. Ils ne peuvent faire l’objet ni de mécanismes de rivalité ni d’exclusion (impossible de soumettre l’accès à l’eau à la compétition. Boire l’eau potable n’empêche pas les autres d'en faire autant).

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L’eau bien commun, vision nouvelle, dangers et opportunités

Bettina Laville, Comité 21 • Le droit à l’eau

Au plan mondial, une résolution de l’Organisation des Nations Unies prise le 28 juillet 2010 a reconnu « le droit à une eau potable salubre et propre comme étant un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ». En France, Le « droit à l’eau », institué par la LEMA, s’inscrit dans le cadre de la Constitution française, et plus précisément dans celui de la charte de l’environnement promulguée le 1er mars 2005. « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et confère également à chaque personne « le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. » La question de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en France renvoie donc à un problème d’ordre économique lié à la capacité qu’ont ou n’ont pas les usagers à payer un service de plus en plus coûteux, et ceci dans un contexte social parfois difficile lié à la perte du logement ou à la précarité de celui-ci. Le droit à l’eau potable est ainsi étroitement lié à l’accès au logement et ’à la lutte contre la précarité énergétique. La loi Brottes de 2013 a interdit les coupures d'eau en cas de factures impayées (article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles). Selon cette loi applicable depuis la fin du mois de février 2014, les distributeurs ne peuvent pas couper l'arrivée d'eau dans un logement lorsqu'un client ne paye plus son abonnement. L’au est ainsi consacrée bien essentiel. Contrairement aux coupures de gaz et d'électricité, qui ne sont interdites que pendant la période de trêve hivernale, cette interdiction est applicable tout au long de l'année. Le principe d'interdiction des coupures d'eau tout au long de l'année est prévu au 3ème alinéa de l'article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles. Saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a estimé, dans une décision rendue le 29 mai 2015, que cette disposition relative à l'interdiction des coupures d'eau tout au long de l'année n'était pas contraire à la Constitution. Les clients peuvent donc faire valoir les règles légales ci-dessus si un distributeur les menace de couper leur fourniture d'eau. Le CC a jugé que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre qui résulte de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur. Il ne s’est pas appuyé sur le Bien commun.

• L’eau bien commun 1. Les biens communs publics sont essentiels et insubstituables pour la vie de tout être

humain et pour le vivre ensemble (pas de vie sans eau, on ne peut pas remplacer l’eau, la substituer…)

2. Ils appartiennent au domaine des droits humains fondamentaux (droit à l’eau potable, droit à l’eau saine/hygiène/assainissement,…)

3. Ils ne peuvent faire l’objet ni de mécanismes de rivalité ni d’exclusion (impossible de soumettre l’accès à l’eau à la compétition. Boire l’eau potable n’empêche pas les autres d'en faire autant).

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4. Ils sont, par conséquent, de la propriété commune de tous les êtres humains, patrimoine commun de l’humanité et de la vie sur la planète, (on ne peut pas être propriétaire d’un fleuve, d’une nappe, d’un bassin…des nuages !)

5. La société, chaque société humaine, est responsable collectivement des biens communs, dans une logique de solidarité (la charge de protéger, sauvegarder, valoriser l’eau pour la vie des humains et des autres espèces vivantes revient à la collectivité. Les coûts associés doivent aussi être pris ne charge et partagés par la collectivité)

6. Les biens communs publics sont l’expression de l’autorité publique et de la souveraineté partagée des peuples de la planète (la sécurité hydrique d’un peuple est garantie par une souveraineté partagées avec les autres peuples)

7. La propriété, la régulation, la gestion et le contrôle sont des fonctions intégrées sous l’autorité publique (la gestion de l’eau doit être assurée par des organismes publics. La confier à des entreprises privées poursuivant des objectifs de profit est en profonde contradiction avec la nature de l’eau en tant que bien commun essentiel et insubstituable à la vie).

• L'initiative citoyenne "Right2Water"

Le 17 février 2014, pour une audition publique, première du genre. Ils ont rencontré des députés de différentes commissions parlementaires en lien avec le sujet : la commission "Environnement", la commission du "Développement", la commission du « Marché intérieur » et la commissions des « Pétitions », ainsi que le Vice-président de la Commission européenne.

L'objectif de cette initiative citoyenne est d'ériger le droit à l'eau et à son assainissement au niveau d'un droit au sens que lui donnent les Nations Unies. Bien que le Parlement européen, dans sa résolution du 3 juillet 2012, reconnaisse que l'eau est un bien commun de l'humanité et que son accès devrait être un droit fondamental et universel, la Commission européenne n'a toujours pas présenté de projet législatif contraignant pour les Etats membres.

Il existe un Rapport du 15 juillet 2015 sur le suivi de l’initiative par la Commission Environnement du Parlement, pour l’instant sans suite.

• Objectifs du Millénaire et droit à l’eau

La communauté internationale a atteint, bien avant l'échéance de 2015, la cible des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui consistait à réduire de moitié le pourcentage de la population n'ayant pas accès à un approvisionnement en eau potable, d'après un rapport publié aujourd'hui par l'UNICEF et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). D'après ce rapport intitulé « Progrès en matière d'eau potable et d'assainissement 2012 », 89% de la population mondiale, soit 6,1 milliards de personnes, avaient accès à des sources améliorées d'eau potable à la fin de l'année 2010. Ce chiffre est supérieur d'un point à la cible des OMD, fixée à 88%. D'après les estimations du rapport, en 2015, 92% de la population mondiale aura accès à de l'eau potable améliorée.

Entre 1990 et 2010, le nombre de personnes ayant accès à des sources améliorées d'eau potable, par exemple un approvisionnement par canalisation ou des puits protégés, a augmenté de plus de deux milliards Mais au moins 11% de la population mondiale – soit 783 millions de personnes – n'ont toujours pas accès à de l'eau potable, et des milliards demeurent privées d'installations sanitaires ; la cible des OMD relative à l'assainissement est encore loin d'être atteinte et ne le sera

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vraisemblablement pas en 2015. Seuls 63% des habitants de la planète ont aujourd'hui accès à des services d'assainissement améliorés, chiffre qui, d'après les projections, ne devrait atteindre que 67% en 2015, soit un niveau bien inférieur à l'objectif des 75%. À l'heure actuelle, 2,5 milliards de personnes manquent encore de services d'assainissement améliorés.

Le rapport confirme que lorsque l'approvisionnement en eau est difficile, c'est aux femmes et aux filles qu'incombe de manière disproportionnée la corvée du transport de l'eau. Dans de nombreux pays, ce sont les habitants les plus riches qui ont bénéficié des plus grands progrès en matière d'accès à l'eau et l'assainissement, tandis que les plus pauvres accusent toujours un retard important.

« Nous avons atteint un objectif important mais nous ne pouvons nous arrêter à ce stade », a déclaré le Secrétaire général de l'ONU. « La prochaine étape doit consister à cibler ceux qui sont le plus difficiles à atteindre, les plus pauvres et les plus défavorisés. L'Assemblée générale a reconnu que l'accès à l'eau potable et à l'assainissement était un droit fondamental. Cela signifie que nous devons veiller à ce que chacun y ait accès. »

• Objectif de développement durable n°6 : Assurer l’accès à l’eau et à l’assainissement

Objectif : Garantir l’accès à l’eau et l’assainissement pour tous et assurer une gestion durable de l’eau.

Si l’accès à l’eau est devenu une réalité pour plus de 2 milliards de personnes, encore plus du tiers de l’humanité n’a pas accès à l’assainissement. Les Objectifs du millénaire pour le développement visaient une réduction de moitié de la population qui n’avait pas accès à l’eau et à l’assainissement. L’ODD 6 va plus loin et cible un accès universel d’ici 2030. Insistant sur la qualité de l’eau, sa gestion durable et l’hygiène, il souligne le cas des populations les plus vulnérables et de celles pour qui l’eau est une ressource rare. Cet objectif intègre la notion de gestion transfrontalière de cette ressource, essentielle à la gestion durable mais aussi favorable à la paix et à la coopération.

Deux approches parallèles : L’accès à l’eau comme droit humain fondamental, et l’eau bien commun de l’Humanité . Laquelle gagnera dans les 20 ans, étant donné la montée des initiatives citoyennes et des communautés virtuelles ?