le voyage, entre expérience et formation itinéraires · le réel, est-ce le quotidien habituel ou...

124

Upload: lyquynh

Post on 16-Sep-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

I t i n é r a i r e sLe voyage, entre expérience et formation

© Tous droits réservés. Toute copie ou reproduction, même partielle, mise en banque de données outransmission par tout moyen électronique, électrostatique, mécanique, bande magnétique, photocopie,photographie ou autre, est interdite sans autorisation préalable.© Peuple et Culture108-110 rue Saint Maur, 75011 ParisI.S.B.N 2-909674-04-5Achevé d’imprimer en juin 1997sur les presses de l’Arbre Aux Papiers - B.P. 121 - 72003 Le Mans Cedex.Dépot légal à parution.

I t i n é r a i r e sLe voyage, entre expérience et formation

Catherine Ballin, Corinne Baudelot, Joëlle Cleret,

Geneviève Dahan-Seltzer, Hélène Gisbert-Demaret,

Jean-Luc Menu, Françoise Navel-Brugnon et Jean-Louis Saïz

Préface et postface de Jacques Demorgon

édité par Peuple et Culture

imprimé par l’Arbre Aux Papiers

avec le soutien de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse

et du programme Jeunesse pour l’Europe

Le vif du voyage 8

L’activité internationale à Peuple et Culture 16Voyage dans le voyage 19

Moutons blancs à l’horizon 24Voyager et faire voyager 25

Voyage dans l’espace 30Déambulation urbaine 31L’au-delà du voir 32Balade tout terrain 34

Le temps du déplacement 36Moscou-Volgograd 37Vogue la galère 40Propos sur les gares 41

Voyage dans le temps 42Ruptures temporelles 43Indian Time 47Préserver le hasard 49Chronique d’une femme russe peu ordinaire 50

Sommaire

Préface

En guise d’ouverture

A la découverte du voyage

Identité, altérité 54Rompre avec l’ignorance 55Emois de voyageur… et toi ? 57L’identité du voyageur 58Chronique russe 60Identités plurielles 62English, I love you 64

Les conditions de la rencontre 68Le parti-pris de réciprocité, continuité et répétition 69Le thème au service de la rencontre 74Décryptage interculturel 76Décodage… Bauduen en mai 79La langue : barrière ou tremplin 80Quand l’interculturel se confronte à la création 88

La grille du positionnement de l’animateur 92Préparer et exploiter un voyage 102Temps choisi, temps imposé 104Temps professionnel, personnel, militant 106Entre le pouvoir, l’autorité et le charme 107

Le voyage mondialisé et ses coordonnées 112

Eléments bibliographiques 118Présentation des auteurs 120Table des illustrations 122

L’interculturel en question

Du point de vue de l’animateur

Postface

Annexes

7

P r é f a c ede Jacques Demorgon

Professeur de philosophie, maître de conférences de sciences sociales(universités de Bordeaux, Reims, Paris VIII, Compiègne). Auteur, à partir

de ses recherches sur le terrain des rencontres internationales,de L’Exploration interculturelle : pour une pédagogie internationale et

de Complexité des cultures et de l’Interculturel (voir pp. 118-119).

8

Le vif du voyage

Le bouquet des contradictions…

Le voyage ne manque pas de détracteurs. Degrands artistes comme Baudelaire trouvent le voyagefatigant et maigre sa récolte. Le voyage ne manquepas non plus de zélateurs qui lui attribuent des fonc-tions, des qualités, des résultats qui dépassent sespossibilités réelles.

Voici, dans les pages qui suivent, un ensembled’observations, de témoignages, d’analyses, deréflexions pédagogiques et politiques. Tous ceux quis’expriment dans le présent ouvrage sont largementfavorables au voyage, sans adhésion naïve. Le voyagen’est pas considéré comme un producteur automa-tique de miracles et de conversions. Mais il y a unaccéléré du voyage. Les contradictions coulent en luide façon plus abondante et plus vive. La vie habituelleest basée sur des identités, publiques ou privées, plu-tôt stables que changeantes. Nous croyons à ces iden-tités. Le voyage bouscule ces tranquilles assurances.Sa première vertu est de nous restituer le mouvementprofond de l’existence, sa complexité, sa richesse. Et

nous y faisons plus qu’ailleurs l’expérience d’être écar-telé par des contradictions dont la résolution n’estjamais tout à fait satisfaisante. Corinne Baudelot enrecence plusieurs. Faut-il rester ou partir ? Le réel, est-ce le quotidien habituel ou l’inattendu, l’inconnu ?Sommes-nous plus présents là où nous travaillons, enformalisant nos activités selon les règles, ou bien dansl’imaginaire d’un ailleurs qui fait soudain le vide ennous ? Voyager est-ce poursuivre ou s’arrêter ?Regarder au loin ou tout près ? Voir tout très vite oupeu de choses lentement ? S’abandonner au plaisirou vibrer d’inquiétude ? Se laisser provoquer à laréflexion ou remplir par la sensation ? Se perdre enl’autre ou se retrouver en soi ?

Cette somme de contradictions vives qu’est le voya-ge peut représenter un danger pour l’équilibre. Lesvoyages évoqués ici bénéficient d’un environnementinstitutionnel favorable. Peuple et Culture les valorise,les met en œuvre et s’y attache avec le soutien del’Office franco-allemand pour la Jeunesse et deJeunesse pour l’Europe. Leur réalisation s’effectuedans le climat psychologique et pédagogique d’un

Le vif du voyage

parJacques

Demorgon

9

Le vif du voyage

groupe qui, de bout en bout, partage avec le voyageurles joies mais aussi les risques, les aléas du voyage.

Les coordonnées du voyage

Le voyage est une dynamique d’ensemble auxaspects multiples, intenses, calmes ou précipités. Il alieu dans un espace en mouvement. - Celui desroutes et voitures ; celui des lacs, des mers, des portset des bateaux. - Gares et trains où soudain l’on habi-te parmi les autres pendant des heures : Moscou,Volgograd ! - Avions, aéroports, vols ! Paris-Barcelone,c’est simple ! Mais pour le Sud Dakota, il faut enchaî-ner trois avions à Paris, Boston, Minneapolis pouratterrir enfin à Rapid City ! Le voyage a lieu dans desespaces où l’on flâne, que l’on visite, où l’on s’installe.Certains resserrés vous abritent du vent, vous réchauf-fent ; ou vous privent de vue, vous étouffent. D’autresqui s’élargissent parfois jusqu’à l’infini, accroissent larespiration mais augmentent aussi l’angoisse ens’imposant à vous sans ménagement comme lesgrands espaces du Sud Dakota lorsque le blizzardsoufle par -20° pendant trois jours. L’autochtone vitdifféremment de nous un tel temps : «Indian Time». Ily a des contraintes climatologiques qui changent leshommes et leur rythme de vie. Françoise Navel-Brugnon le constate : voyage et rencontre ont lieu partous les temps. Souvent c’est moins intense mais il

nous faut toujours sortir du temps inconsciemmentprogrammé de notre cadre habituel de vie. Le voyageinstaure une tension nouvelle entre sa programma-tion, sa durée, ses instants. Il est une suite tendue etininterrompue de départs et d’arrivées, de distances etd’implications, de stimulants et de sacrifices. On vou-drait rester, on voudrait partir. On voudrait risquer, onvoudrait cesser. On voudrait veiller, on voudrait dor-mir.

Le voyage est l’occasion du hasard, de l’inattendu,de l’invraisemblable et de l’impensable. Sans douteest-il bon de laisser gestes et mouvements, voix etsons, langues incomprises, couleurs vives, odeursfortes nous envahir. Mais nous recevons ainsi, en plei-ne face, une quantité de réponses impossibles àdéchiffrer.

On se déplace, mais, selon les détracteurs du voya-ge, c’est inutile car on ne sait pas voir, il faudraitd’abord savoir. Cette opposition a du sens mais elleignore la complexité du voyage. Il peut être abandon àl’immersion, certains la rechercheront allant voir plusloin, allant voir ailleurs : c’est le côté «drogue» du voya-ge à répétition. Mais c’est aussi qu’il y a un bénéficelié au renouvellement de nos sensations. ClémencePhilippe a raison d’évoquer le tout premier voyage dubébé pour souligner le côté «re-naissance» de cette«effervescence sensorielle». ● ● ●

10

Le vif du voyage

Mais nombreux sont ceux aussi qui recherche-ront «l’au-delà du voir» dont parle J.L. Saïz. Ils voudrontsavoir, comprendre. Géographe ou géologue, historienou sociologue, musicien ou plasticien, botaniste ouornithologue, économiste ou politologue, traversant aumême moment les mêmes lieux n’entendront pas, neverront pas les mêmes choses. Mais, bien avant cesécoutes savantes, ces regards savants, il faut d’abord«sortir de l’ignorance» comme dit Catherine Ballin. Ilfaut aller découvrir l’autre réalité. Le voyage est en lui-même une première connaissance et les questionsqu’il nous pose en réclament une seconde.

Le jardin extraordinaire des allers-retours…

La vérité est simple : le voyage est le lieu et le liend’un ensemble d’allers-retours entre voir et savoir,découvrir et ignorer, entendre, comprendre et s’inter-roger.

Le voyage est aller-retour entre distanciation etimplication. Cela varie pour chacun : avant, pendant,après le voyage. Tant mieux si les uns sont arrivésavant d’être partis ; si les autres, déjà sur place, com-mencent seulement à lire leur documentation et leurguide. Mais il y a des allers-retours au cours desquelson est sans cesse interrompu. On est soudain bloqué.On ne sait pas aller de notre cadre de vie au cadre devie étranger. Chez les uns, les cafés sont plus visibles ;

chez les autres, ils sont plus cachés. On ne possèdepas le code ; on ne connaît pas la langue. La tendan-ce est grande de chercher protection auprès de ceuxqui sont censés savoir. On réclame systématiquementla traduction de tout. «Traduire», disent-ils.

Les textes qui suivent composent comme un guidepédagogique du groupe en voyage. Nombre d’éluci-dations nous sont proposées. Sur la langue, juste-ment, Corinne Baudelot rappelle le handicap connudes Français. Ils sont tout de même capables, commecaptain Jean-Claude, de dire «English, I love you !» . Ilne peut être question de culpabiliser le monolingue.L’échange linguistique est évidemment précieux et enun sens irremplaçable. Mais doit-il tenir tous les rôlesà la fois : au détriment des «richesses, souvent per-dues depuis l’enfance, du non verbal» ?

Les langages artistiques, Catherine Ballin y insiste,doivent pouvoir aussi retrouver leur place. Lamusique, les arts plastiques ont leur code propre quitranscende en partie les codes nationaux. Les lan-gages mixtes, verbaux et non verbaux, le photolanga-ge, le théâtre, par exemple, permettront de jouer surtoute la gamme des registres de significations et surleurs rythmes différents.

Tom Storrie nous donne un exemple saisissant. Ungroupe de chômeurs britanniques souhaite partageravec des Allemands et des Français la violence qu’ils

● ● ●

11

Le vif du voyage

ont récemment subie lors de la fermeture de leurusine. Leur représentation théâtrale ne reçoit qu’unaccueil poli. Piqués au vif, ils la retravaillent. En arrière-plan de leur jeu, ils mettent au mur un immense des-sin de l’usine. Lorsqu’arrive à sa fin la dernière heurede leur dernière journée de travail, ils décrochent ledessin de l’usine. Ils le montrent avec insistance auxspectateurs. Ensuite, lentement, ils se mettent àdéchirer ce dessin qui leur avait demandé des heuresde travail collectif.

Si le geste et le silence peuvent être ainsi d’unegrande portée symbolique et produire une intenseparticipation, la langue n’en reste pas moins toujoursaussi un trésor culturel. Mais nous nous en servonstellement pour des besoins utilitaires que nous nesavons plus y découvrir ce trésor. De la langue à laculture et de la culture à la langue, toute une séried’allers-retours nous manque.

Ce foisonnement de faits et de problèmes quicaractérise le voyage à l’étranger gagne souvent à êtreordonné par le choix d’un thème central. FrançoiseNavel-Brugnon l’explique : il ne s’agit pas d’empêcherl’émergence des thèmes personnels «qui alimententles échanges et construisent véritablement la ren-contre». Il s’agit de faciliter «l’aller-retour du thèmeprincipal aux sous-thèmes ainsi dévoilés». C’est toutcela qui va favoriser «l’apprentissage et la communica-tion à l’intérieur et à l’extérieur du groupe». ● ● ●

12

Le vif du voyage

Enfin, l’aller-retour fondamental ; c’est celuientre moi et l’autre. Pour Hélène Gisbert-Demaret etJoëlle Cleret, «le voyage est un outil pédagogique quipermet d’instaurer des situations de rencontre». Et larencontre se fait lorsque nous découvrons à la foisnos appartenances culturelles et celles des autres.Nous prenons conscience de nos identités plurielleset des leurs «mais le processus n’a de sens que s’il nese ferme pas». Les identités retrouvées représentent«un nouveau point de départ. Le voyage est uneconséquence privilégiée de socialisation et de forma-tion qui provoque sans cesse un mouvement». A cetégard, il est intéressant de constater que l’échanges’oriente parfois vers une dualité en miroir où l’enjeufinit par se perdre en complaisance.

A l’opposé, toute intervention tierce redynamiseaussitôt les échanges. Cela milite en faveur des ren-contres triangulaires. Les rencontres trinationales ledémontrent régulièrement.

Le voyage et sa mise en abyme…

Ainsi, le voyage n’est jamais un seul voyage.Mentalement, on voyage sans cesse, entre le lieu oùl’on est, celui d’où l’on vient, celui où l’on va. Il y aune mise en abyme du voyage. Il se rêve et se prépa-re avant ; il se déploie pendant, il se recueille après et

crée la nécessité et le désir de sa prolongation, de sonrenouvellement. «Voyage dans le voyage» selonl’expression de Geneviève Dahan-Seltzer. C’est aussice qui se passe dans les échanges quotidiens qui ontlieu à l’intérieur du groupe en voyage. Il y a là uninterculturel interne entre personnes qui ont déjà desidentités différentes d’âge, de sexe, de formation, demétier, d’appartenances sociale, régionale, nationale.

Mais le voyage est aussi l’occasion d’un interculturelexterne : découvrir des mœurs, certaines semblablesaux nôtres et d’autres bien différentes et mêmeincompréhensibles voire insupportables. La questioninterculturelle est ainsi de plusieurs façons présenteau cœur du voyage. Mais il n’y a pas d’interculturalitévéritable si nous ne sommes pas ensemble touchésdans notre altérité-ressemblance. Le voyage permet-ilcela ? Il peut y avoir bien des réponses parce qu’il y abien des voyages. Il faut un temps minimal pourqu’entre nous et l’autre un échange réel puisse s’ins-taurer. Mais nous ne sommes pas toujours démunis.Nous sommes, l’autre et nous, chacun dans son cadrereligieux, politique, économique, médiatique, à partirduquel nous pouvons situer aussi nos destins, sem-blables et différents, incertains et changeants. Voyager,ce n’est pas rencontrer des personnes isolées. C’estrencontrer l’histoire, celle de leur pays et la leur qui nesont pas séparables. Une double histoire, jamaisdépourvue d’un tragique profond, qui a déjà tourné àla tragédie, ou pas encore ou peut-être heureusement

● ● ●

13

Le vif du voyage

jamais. Dans les rencontres du voyage, les voyages devie se rencontrent. Dans l’échange nous en croisonsles représentations. Nous sentons bien qu’à toutmoment peuvent naître un cœur partagé, une intelli-gence singulière qui emportent au-delà de lui même,sans fiction, par la simple vertu de l’expérience.

Et l’Europe ?

Dans la concurrence mondialisée qui caractérisenotre époque, de grandes régions du monde tententd’accroître leur pouvoir en s’unifiant mieux. C’est parti-culièrement le cas de l’Europe. Mais cette recherched’unité se fait de façon chaotique, précipitée ou tropralentie. Surtout, elle n’utilise qu’une partie desdimensions qui devraient nourrir ce travail d’unifica-tion. Cette unification n’apparaît plus dès lors commel’aventure et l’expérience de la mise en œuvre d’unprojet riche de stimulants qui peuvent entraîner aussides sacrifices, mais comme une triste soumission àdes contraintes particulièrement économiques venuesde l’extérieur. L’unification recherchée donne l’impres-sion de négliger - pour ne pas dire mépriser - dedélaisser - pour ne pas dire repousser - les identitésdes pays et de leurs peuples.

Les auteurs notent justement : «la politique euro-péenne privilégie les rencontres internationales entrehomologues - jeunes en difficultés, femmes, chô-

meurs, professionnels, ruraux, musiciens, artistes».Ainsi l’altérité qui résulte des cultures nationales, aulieu d’être prise en compte, est dissoute dans uneidentité particulière. D’où l’interrogation : «doit-onsuivre cette politique au risque de renforcer les caté-gorisations et les cloisonnements» ?

Si d’un côté, la politique européenne laisse chacundans son identité particulière, de l’autre, ne contribue-t-elle pas à dissoudre encore les altérités nationalesmais cette fois dans une identité généralisée ? Et l’ins-trument de cette politique, n’est-ce pas la mobilitépour la mobilité ? Ne sommes-nous pas alors dans lecontraire du vrai voyage, le contraire de la vraie ren-contre dont la mobilité n’est qu’une condition ? Bienévidemment, la préoccupation des institutions euro-péennes est sans doute de fournir un cadre général ;et celui-ci ne peut être que formel et abstrait. C’estaux institutions singulières, aux groupes et aux per-sonnes d’investir un tel cadre et de l’animer de leursprojets.

L’impulsion politique pour engager les personnes etles peuples dans une connaissance partagée de leursréalités culturelles actuelles et en développementsemble pourtant insuffisante par rapport à l’effortdéveloppé sur le plan économique. On pense sansdoute impossible de faire partager à tous l’histoire desuns et des autres. Et pourtant, le voyage révèle que cebesoin existe. ● ● ●

14

Le vif du voyage

Les recherches expérimentales des groupesinterculturels, elles-aussi soutenues par l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, ont démontré qu’il existaitdes ressources pédagogiques nouvelles pour per-mettre aux personnes et aux peuples d’Europe deconstruire ensemble un destin : en découvrant et enapprofondissant leurs stratégies d’hier et leurs straté-gies d’aujourd’hui.

Mais les voyages et les informations se mondiali-sent, de plus en plus, de façon essentiellement mar-chande. Nous sommes ici en présence d’un conflitentre deux sortes d’informations, deux sortes devoyages. Le calibrage marchand l’emporte avec lesrestes limités qu’il comporte encore de curiosité d’uncôté, d’aventure de l’autre.

Mais il y a et il y aura toujours des informations dontnous avons besoin et qui nous manquent. Mais il y aet il y aura toujours des voyages qui demeurerontirremplaçables : les voyages les plus vivants, ceux oùl’on invente un vivre et un penser ensemble. Par rap-port aux innombrables et permanentes violences pla-nétaires qui ne cessent de se reproduire, les voyagesdont nous parlons ne sont pas de trop pour contri-buer à l’indispensable reconstitution du lien fragileentre les hommes. La reconstitution et le développe-ment de ce lien n’ont lieu que si les multiples ten-sions entre unité et diversité, présentes ici ou là, font

réellement l’objet d’épreuves, de travaux, d’inventions.Les voyages ont leur façon, unique, d’y contribuer.

Tous les textes qui suivent nous invitent non seule-ment à défendre mais à développer les voyages lesplus vivants. Sans cette reconstitution du lien humainqui doit être permanente, nous glissons vite de l’igno-rance à l’indifférence, du sentiment d’étrangeté à laxénophobie et à la barbarie, comme personnes indivi-duelles mais aussi par groupes entiers, par popula-tions entières.

Voyager et se rencontrer, d’où que l’on vienne et oùque l’on aille, c’est participer à la profonde et dange-reuse aventure humaine sous ses diverses formes.C’est chercher à comprendre le lien qui s’y maintientou s’y défait, s’y construit ou s’y détruit, annonçantdans un cas des victoires inventives et, dans l’autre,les violences les plus extrêmes. Voyager, c’est aussicomprendre le tragique de la vie qui ne peut pasnous être étranger. Et toute construction, poursuiviehors de ce lien, ne devient que nouvelle Babel ●

● ● ●

En guised’ouverture

16

En guise d’ouverture

d ès son origine, Peuple etCulture s'est préoccupéde donner une dimension

internationale à son action d'éducation populaire, unevolonté due à la fois à l'histoire personnelle des fon-dateurs, à leurs convictions politiques et à leur ambi-tion de contribuer ainsi à la prévention de nouveauxconflits et à une meilleure compréhension entre lespeuples et les cultures.

Jusqu'au début des années 60, l'intérêt de Peupleet Culture pour ce domaine se traduit essentiellementpar l'envoi d'experts du mouvement à l'étranger, enEurope (Allemagne, Italie, Belgique, Yougoslavie…) eten Afrique du Nord (Algérie et Maroc) pour participerà des conférences et colloques internationaux ou ani-mer des sessions de formation.

En retour, les Congrès et Universités de printempset d'été accueillent régulièrement des représentantsde structures étrangères.

L'enjeu des relations internationales qui sont alorsinitiées est non seulement de donner une résonanceplus large aux actions éducatives et culturelles expéri-mentées en France, de voir comment elles peuventêtre adaptées à d'autres contextes, mais aussi de lesconfronter à d'autres approches, développées sur desterritoires géographiquement ou culturellement plusou moins éloignés.

Dans le même temps, les premiers voyages cultu-rels (Helsinki en 1952, Berne en 1954) ouvrent lavoie d'une pratique qui ne cessera de prendre del'ampleur au niveau national puis dans les associa-tions régionales : il s'agit de déplacer un groupe àl'étranger pour lui faire vivre une expérience dépay-sante et constructive à la fois, faire bouger et élargirses repères.

La création de l'Office franco-allemand pour la jeu-nesse va d'ailleurs intensifier ce volet d'activitéspuisque, dès 1964, Peuple et Culture organise dix

L’activité internationale à Peuple et Culture

17

En guise d’ouverture

stages franco-allemands avec le soutien de celui-ci,inaugurant une coopération qui ne se démentira pas.

Au fil des ans, à des degrés divers et sous desformes différentes selon la configuration du mouve-ment, on retrouve cependant cette double dimensiondes relations internationales :

• d'une part, la volonté de développper et de pro-mouvoir une démarche d'éducation populaire quidépasse les seuls impératifs nationaux et la convictionque, pour répondre aux défis du monde actuel, il fautconstruire des partenariats au-delà des frontières ets'inscrire dans des réseaux ;

• d'autre part, l'idée que le voyage et l'accueil degroupes étrangers constituent des supports privilégiésd'une action éducative ; que la découverte et laconfrontation à une autre culture permettent d'identi-fier ce qui, dans nos comportements, relève d'habi-tudes culturelles, de mesurer ainsi le caractère réduc-teur des stéréotypes que l'on peut avoir sur un payset ses habitants, et de créer les conditions pour toutun chacun d'une véritable ouverture interculturelle quivise, non pas à l'exportation d'une culture à vocationuniverselle et uniforme, mais au dialogue et àl'enrichissement mutuel des individus et des cultures.

Depuis plus de 20 ans, les associations membresde Peuple et Culture ont établi des partenariats mul-tiples et investi des champs d'intervention très divers.

Si elle répond toujours aux deux orientations majeuresévoquées plus haut, l'activité internationale déployéeau sein du réseau est d'autant plus variée qu'elle estconçue non pas de manière systématique et désincar-née, mais en fonction du contexte spécifique desassociations, des publics auxquels elle s'adresse etdes affinités que les animateurs ont avec tel ou telpays, avec telle ou telle structure.

Les formations mises en place par les associationsPeuple et Culture, qu'elles concernent des jeunes ensituation précaire ou de futurs professionnels de l'ani-mation, intègrent fréquemment un voyage ou unéchange, dans un objectif de consolidation du groupe,de dépaysement facilitant l'apprentissage et d'encou-ragement à la mobilité.

A l'heure d’une construction européenne trop domi-née par le libéralisme économique, œuvrer pour lacréation d'autres liens communautaires, fondés ceux-là sur des dynamiques sociales et culturelles, apparaîtcomme une nécessité. Les échanges européens dejeunes répondent donc à un double objectif : leurpermettre de développer une approche citoyenne del'Europe qui s'accompagne d'un renforcement de leurengagement local ainsi que favoriser leur mobilité pro-fessionnelle dans l'espace européen et leur donner lapossibilité d'appréhender les réalités du monde dutravail d'un autre pays. ● ● ●

18

En guise d’ouverture

Aujourd'hui, quelque cent-vingt rencontres bi-ou pluri-nationales sont organisées chaque annéeavec le partenariat et le soutien financier de l'Officefranco-allemand pour la jeunesse, des programmeseuropéens, en particulier "Jeunesse pour l'Europe", et,pour une moindre part, de programmes bi-gouverne-mentaux et de subventions locales.

Au total, ces échanges concernent 1700 personnespar an, en majorité des jeunes de 20 à 25 ans, la plu-part en activité ou en formation.

Les pays avec lesquels Peuple et Culture organisedes rencontres internationales - à la fois à travers“l’envoi” de groupes français et “l’accueil” en Francede groupes étrangers - se situent majoritairement enEurope (occidentale, centrale et orientale) mais égale-ment en Afrique (Maroc, Tunisie, Bénin, Sénégal etTchad) ; en outre, des contacts se sont récemmentnoués avec le Brésil, Cuba et le Liban.

Les thèmes les plus fréquemment abordés au coursde ces échanges sont la culture, les loisirs et, pour lesvoyages intégrés à une formation, l’objet du cursusdes stagiaires ; depuis quelques années cependant,on constate l'apparition plus massive de préoccupa-tions autour de l'environnement, de l'écologie, desnotions de justice et de démocratie, de même que lesrencontres s'appuyant sur des actions communesconcrètes, où le savoir-faire peut s'exprimer autrement

qu'en parole (par exemple, des co-réalisations artis-tiques), sont particulièrement suivies. Enfin, en réfé-rence à la situation économique, les possibilités d'em-ploi dans l'autre pays constituent un pôle d'intérêt cer-tain, et les séjours professionnels de longue duréereprésentent dans ce contexte une ouverture adaptée.

Revendiquer une telle transversalité pour l’activitéinternationale ne signifie cependant pas que laconception et l'encadrement des voyages puissents'improviser. Ils nécessitent au contraire des savoir-faire spécifiques, construits le plus souvent très empi-riquement par les animateurs impliqués dans cesopérations.

Ainsi, soucieux de contribuer, là comme dansd’autres domaines, à la capitalisation des savoirs déve-loppés par les acteurs sociaux, Peuple et Culture adonc impulsé en 1991 un séminaire d'analyse despratiques sur la "pédagogie du voyage" dont les textesqui suivent sont à la fois la trace et le prolongement. Ilne s’agit pas pour nous de publier des actes mais, àtravers toute une variété de témoignages, d’analyseset de récits d’expériences, de dessiner des itinérairespossibles pour ceux qui cherchent à contribuer àl’aventure interculturelle ●

● ● ●

19

En guise d’ouverture

l orsqu’on me demande maprofession, je réponds“sociologue” mais au fond

de moi, j’entends une voix qui dit “voyageur”.Dans mes interventions “sur le terrain” (terme du

métier pour différencier la pratique de terrain, de laréflexion théorique), j’éprouve toujours cette sensationd’effectuer une immersion dans un univers étrangerqu’il m’est proposé de découvrir... entreprise fabri-quant des voitures, produisant de l’électricité ouministère édictant des règles ou offrant des services. Ils’agit pour moi d’appréhender un langage, d’observerdes codes et des rituels de relation, de repérer despersonnages emblématiques, des savoir-faire spéci-fiques, des événements marquants, des valeurs sous-jacentes et des représentations qui structurent lesmodes de vie, de penser et d’agir de groupes sociauxdans un microcosme.

A l’instar d’un voyage à l’étranger, je ressens cettesensation de distance qu’il est possible à tout instantde réduire ou d’accentuer, partagée que je suis entrele désir et la peur de la rencontre.

La stimulation et la curiosité l’emportent et font si

bien que je continue d’exercer ce métier de «noma-de». A la fin de l’intervention, je repars transforméepar le détour, je ne sors pas indemne du voyage, monregard s’est enrichi de «la pesanteur et de la légèreté»de la traversée.

C’est la comparaison entre les uns et les autres,l’itération entre le terrain et la pratique qui donnentchair aux concepts et qui me font jour après jour...peut-être… sociologue.

J’ai accepté d’animer un atelier de deux jours puisun séminaire de trois ans pour un groupe d’anima-teurs-voyageurs de Peuple et Culture sur le thème dela pédagogie du voyage, par résonance personnelle etprofessionnelle pour le thème, par plaisir pour l’aven-ture, par sympathie pour ces «défricheurs du voyage»,par conviction qu’inscrire le voyage comme lieu péda-gogique, à l’heure de la construction d’une Europeculturelle, devenait un enjeu de société.

Le projet a consisté à inventer une démarche quipermette aux concepteurs et animateurs de voyagede prendre du recul par l’analyse et la com-

parGenevièveDahan-Seltzer

● ● ●

Voyage dans le voyage

20

En guise d’ouverture

paraison de leurs pratiques respectives, et derelire leurs expériences à partir des apports dessciences sociales au sens large, en articulant davanta-ge pratique et théorie.

La démarche s’est déroulée sous la forme d’une“intervention” avec un cadre et une pédagogie spéci-fiques.

Le cadre :- Le groupe s’est constitué sur le principe du volon-

tariat ; il a réuni des participants appartenant àdiverses régions de l’association et occupant diffé-rentes positions dans l’institution, jeunes débutants ouvieux routiers, permanents ou simples adhérents, ani-mateurs de voyages ou responsables de services.Cette hétérogénéité était intéressante et innovante ensoi dans les modes de travail de la structure.

- Un principe d’engagement dans la durée étaitrequis simultanément au volontariat (nous partîmes15 et nous finîmes 8), le séminaire ayant été pro-grammé au départ sur 2 ans pour favoriser l’apprentis-sage et la maturation du groupe.

- Le groupe s’est réuni au rythme moyen de 2 jour-née par trimestre, un vendredi et un samedi ; le choixdu samedi étant le signe d’une forte implication per-sonnelle, notamment pour des personnes appelées àse déplacer fréquemment à l’étranger du fait de leursfonctions.

La pédagogie a été fondée sur un double mouve-ment à la fois de distanciation et d’implication.

- Distanciation du fait du recours aux apports dessciences sociales. Il s’est agi de parcourir des problé-matiques liées au thème du voyage (l’interculturel,identité-altérité, les transports, la vitesse...) à partird’exposés courts, de lectures de textes de philo-sophes, analystes, psycho-sociologues... (Virilio,Baudrillard, Serres, Kristéva, Guillaume, Goffman,Hall...) renvoyant un questionnement sur les pratiquesdes participants.

- Implication personnelle et professionnelle des par-ticipants dans «l’exposition» et l’analyse de leurs expé-riences vécues.

Balandier formule à propos des ethnologues uneremarque qui vaut pour tous les amateurs de décou-vertes : «l’aventure exploratrice des autres culturesramène à l’aventure intérieure».

- Une grille de lecture méthodologique étant élabo-rée en synthèse par le groupe.

- L’enjeu était de créer un climat spécifique favori-sant l’expression, l’écoute et l’échange. Des temps derégulation ont été nécessaires tout au long du cycle,pour trouver «une forme esthétique» où chacun aitune place juste, compte tenu des statuts et des expé-riences hétérogènes.

En effet, le groupe était parti sur un objectif de tra-vail à dominante apparemment méthodologique et ilest devenu peu à peu un groupe d’analyse de pra-

● ● ●

21

En guise d’ouverture

tiques. Le fonctionnement d’un groupe de ce typerequiert l’instauration d’un climat de confiance pourpermettre l’émergence d’une parole impliquée ainsiqu’une capacité d’analyse et de débat. Il s’agit d’oserdire devant l’autre, ses questions, ses craintes, sesconflits, ses échecs et ses réussites. Cette attituden’est pas évidente dans l’univers associatif, où le fonc-tionnement se fait souvent sur un mode affectif ouidéologique.

Des divergences ont surgi et se sont exprimées etnégociées, à propos du projet d’instauration à mi-par-cours d’un voyage de 4 jours à Barcelone pour vivreen groupe une expérience commune d’intercultu-ralité ; ce fut l’un des moments les plus riches duséminaire depuis les négociations sur le sens et lafinalité de cette séquence, en passant par la situationelle-même d’animateur «auto-animé», jusqu’à l’évalua-tion de l’expérience «du voyage dans le voyage», auretour.

La dernière séquence du séminaire a conduit legroupe à se poser la question de la transmission deson expérience et à se lancer dans une ultime aventu-re, celle de l’écriture.

Ecriture qui ne se veut pas théorie, littérature,conseil mais avant tout désir de se confronter à lastructuration de sa propre pensée pour tenter de direle plus authentiquement possible à d’autres voyageursquels ont été la vie et le mouvement de la traversée.

Ainsi le parti pris est que chaque participant enfasse le récit sur le mode et le registre qui est le sien,à l’instar de ce qu’a été le séminaire.

Nous n’avons pas voulu réduire dans une seuleécriture banalisée, les cheminements singuliers ren-contrés au cours du voyage.

Nous souhaitons que la résonance avec le lecteurse crée au fil de la lecture.

Comme l’arlequin de Michel Serres, cette figureemblématique du voyageur, nous présentons des voixet des regards pluriels, des sensations multiples, desinstants fugitifs de compréhension, des points deméthodes entrevus, des questionnements en coursde formulation, des textes mis en images qui parlentou qui font silence… ●

22

A la découvertedu voyage

Prem

ière

par

tie

24

A la découverte du voyage

Pas d’impatience,ni de speed inutile.Nous étions trois à

n’avoir jamais pris l’avion.Cela m’a rassurée toutd’abord, mais très vite, je merends compte que c’estchacun pour soi et Dieu pourtous…Un petit avion pas tropimpressionnant del’extérieur, mais la sensationquand même d’être biennombreux à l’intérieur !Il est 13h30, heure française.Mon horloge intérieurecarillonne. L’avion rouledoucement, puis plus vite,puis de nouveau doucement.Le temps s’allonge,

l’impatience me gagne. Etpuis, presque soudainement,les moteurs ronronnent plusfort, l’avion prend de lavitesse. Un vide se loge dansmon estomac, je retiens letemps et soudain :l’apothéose ! on monte dansles airs !

L’espace est petit dedans,immense dehors, les maisonss’éloignent, je quitte laterre : déchirure ! Pas depeur cependant, plutôt unejouissance intérieure, unmoment intense, unique,presque violent.Dans l’avion, je redeviens unbébé. Attachée, dorlotée,

servie, débarrassée, câlinéepar les hôtesses,déresponsabilisée, quoi !Tout peut arriver. Ma vie etma mort ne m’appartiennentplus. Un grand sentiment depaix et de confiancem’envahit.Dehors c’est la folie desgrandeurs, moutons blancs àperte de vue, immensitécontrastant avec l’étroitessedu hublot que je trouveridiculement petit.La vitesse me paraît vertigi-neuse, le temps, lui, s’arrête.La vie continue sur une autreplanète, un petit monde dequelques humains défiant leséléments naturels ●

Moutons blancs à l’horizon…

“par

FrançoiseNavel-Brugnon

MO I

AT É

G NG E

pourquoi voyager ? pour-quoi faire voyager ? Lesdeux questions semblent

bien différentes et pourtant, lorsqu’elles sontposées par des personnes ou des organisations quiont fait du voyage un champ d’activité profession-nelle, elles sont indissociables. Sauf, bien sûr, à ceque l’enjeu professionnel se limite à la seuledimension économique d’une activité fondée surl’organisation de voyages. Mais, en dehors d’untourisme étroitement commercial, s’interroger surles raisons, objectifs et motivations qui conduisentun individu ou une structure à vouloir faire voya-ger les autres renvoie immanquablement à ce que,seul ou dans l’imaginaire collectif, on associe auvoyage.

Pourquoi voyager donc lorsque l’on n’y est pascontraint par son métier, lorsque ce n’est pas pourfuir, en émigrant, un environnement devenu hostile ?

Quand notre groupe de “praticiens du voyage”s’est engagé dans la démarche d’analyse et de res-sourcement théorique qui aboutit à cet ouvrage,c’est bien de là que nous sommes partis, sans être

forcément conscients alors de répondre en termestrès personnels à une interrogation qui s’inscrivaitrésolument dans un contexte et avec des finalitésprofessionnelles.

Se perdre, se démonter pour raccrocher, petit à petit,les morceaux sous une autre forme.

Se découvrir.Nouer ou renouer une relation privilégiée à l’imagi-

naire et au rêve, être à la recherche d’autrui. S’engager dans une promenade à la fois intérieure et

extérieure.Se perdre dans un paysage que l’on ne connaît pas, se

glisser dans un autre personnage grâce aux relationsqui se créent.

Se découvrir, se remettre en cause, étendre son champde vision et de réflexion pour revenir ensuite avec unregard différent sur son environnement quotidien.

Fuir aussi parfois, même lorsque les circonstances nevous contraignent pas directement à l’exil.

Se remplir d’images et de sensations, trouver unenouvelle énergie pour ne pas se perdre ensuite, une foisrentré, dans le quotidien.

Voyager et faire voyager

25

A la découverte du voyage

par CorinneBaudelot

● ● ●

A NA L Y S E

26

A la découverte du voyage

Etre en rupture, avec ce que cela génère d’an-goisse et d’émerveillement mélangés, par rapport à sesacquis, à ses repères, mais aussi à ses limites.

S’ouvrir à l’inattendu, se mettre en état de dépayse-ment.

S’exposer à la différence, en ayant la conviction de s’yenrichir, mais sans s’indigner ou se culpabiliser de lapeur que l’on peut y ressentir aussi.

Se mettre en transit, c’est-à-dire en transition, amor-cer un passage.

Nos réponses, imparfaitement retranscrites ici,appauvries des images et des anecdotes qui leurdonnaient vie et chaleur, dessinaient cependantensemble, en étoile, un faisceau d’indices sur nosreprésentations du voyage, où des contraires serejoignaient et s’ajoutaient au lieu de se soustraire.Comme si le voyage constituait un moyen privilé-gié de réconcilier l’ici et l’ailleurs, le connu etl’inconnu, soi et l’autre.

Cette représentation ne se prétend pas exhausti-ve ; partant des témoignages qui furent les

nôtres, elle n’est qu’un premier balisage quechacun pourra moduler ou compléter à

sa guise. Mais elle dresse bien le por-trait d’un voyage, vécu par nous-mêmes et voulu pour les personneset les groupes que nous emmenons,comme un temps et un lieu oùs’incarnent des paradoxes, où desindividus et cultures se construi-sent en se déconstruisant.

Faire voyager, c’est donc avanttout créer les conditions d’un tel pro-

cessus conçu comme un élément essen-tiel, déclencheur de l’autoformation indi-

viduelle et collective*. Face à l’illusion deconnaissance que contribuent à donner les images

* Le conceptd'autoformation

recouvre icil’analyse et la

prise en compted'expériences

qui ne relèventpas d'une situa-tion formelle de

tranfert deconnaissancesou de savoir-

faire mais sontcependant

riches en ensei-gnements, aussibien sur le plancognitif que surle plan de l'af-fectif, du sen-sible et de la

construction devaleurs.

réflexionplaisir se perdre

rêve, imaginaire soi

inattendu, mystère fixité, contemplation

intérieur horizontalité (désert)

verticalité (trou) extérieur

déplacement quotidien

l’autre réel

se retrouver angoissesensation

● ● ●

27

A la découverte du voyage

télévisées - comme si cadrage et montage n’étaientpas déjà, même involontairement, des choix mani-pulateurs, des réductions de la réalité - il fautencourager la rencontre directe avec une culture,avec des espaces et leurs habitants, et la confronta-tion de sa perception à celle d’autrui.

Créer de telles conditions, dans une société où laconsommation de voyages se fonde largement surdes critères économiques, cela engage donc avanttout notre capacité à mobiliser des partenariats ins-titutionnels pour faire reconnaître et financer unautre type de voyages, où, entre autres choses, lechoix des participants ne repose pas a priori surl’argent.

Mais cela ne suffit pas. Si certaines cultures,imprégnées de tradition nomade, considèrent levoyage comme un mode de vie, une façon d’habi-ter le monde, les nôtres restent majoritairementsédentaires. Le désir de partir à la découverte d’unailleurs peut exister en chacun de nous, mais iln’est pas pour autant formulé, reconnu, et saconcrétisation s’avère parfois difficile, que l’on nese sente pas de taille à partir, à affronter l’inconnu(surtout lorsqu’il se livre dans une autre langue),ou que l’on ne s’y sente pas autorisé.

Les flux touristiques et les comportements quiles accompagnent ne font que confirmer cette diffi-culté : combien de vacanciers retournent été après

été sur les mêmes lieux de villégiature, combienaussi préfèrent partir dans le cadre rassurant etquasi-immuable des séjours organisés, avec leurséquipements standardisés qui distillent l’exotismeen doses homéopathiques.

Qu’il s’agisse de jeunes (âgés de 16 à 30 ans, étu-diants ou lycéens, stagiaires impliqués dans uncursus de formation professionnelle ou groupescomposés d’individus en situation de précaritééconomique, sociale et/ou culturelle) ou d’adultesdéjà insérés dans une branche professionnelle (ani-mateurs, formateurs et autres médiateurs sociaux,d’une part, mais aussi artistes, agriculteurs, arti-sans, etc.), notre pari consiste à concevoir lesvoyages comme des parcours éducatifs, inscrits ounon dans un dispositif de formation labellisé.

Aucun apprentissage n’évite levoyage , dit Michel Serres (Le TiersInstruit , Editions Bourin, 1991).Certes, je n’ai rien appris que je nesois parti, ni enseigné autrui sansl’inviter à quitter son nid.Partir exige un déchirement quiarrache une part du corps à la partqui demeure adhérente à la rive dela naissance, au voisinage de laparentèle, à la maison et au villagedes usagers, à la culture de la

langue et à la raideur des habitudes.Qui ne bouge n’apprend rien (...).Partir. Sortir. Se laisser un jourséduire. Devenir plusieurs, braverl’extérieur, bifurquer ailleurs. Voiciles trois premières étrangetés, lestrois variétés d’altérité, les troispremières façons de s’exposer. Car il n’y a pas d’apprentissagesans exposition, souventdangereuse, à l’autre . (op. cité, pp. 27-29)

● ● ●

Ainsi, dans les voyages que nous mettonsen œuvre, la personne est saisie dans un momentintense et privilégié où elle est déplacée - dans unesorte de mise en déséquilibre qui lui permet de nepas sortir indemne, mais au contraire enrichie etcomme recomposée par l’expérience - pour seconfronter à la fois à une vie de groupe, un paysétranger et sa propre étrangeté.

Bien sûr, ces trois aspects jouent de façon diffé-renciée en fonction du contexte dans lequel le projetde voyage a été construit et des objectifs, plus oumoins formalisés, auxquels il est censé répondre.

Un voyage peut être conçu avant tout comme lelieu d’un enrichissement pour le groupe - précons-titué ou non - ou pour les individus qui le compo-sent. Envisagé comme un outil pédagogique, il vaalors viser à souder le groupe en lui faisant parta-ger une situation déstabilisante que le renforce-ment de solidarités internes permettra de mieuxassumer. Il représente également un catalyseur, unélément déclencheur pour des stagiaires impliquésdans un cursus de formation. Lorsque l’on se placedans une stratégie de remobilisation en particulier,pour des jeunes qui ont du mal à se situer dansleur environnement direct et dans la société engénéral, le déplacement à l’étranger et l’expositionà un autre contexte contribuent à mettre l’individuen mouvement et à lui faire toucher du doigt, defaçon plus immédiate et plus sensible, ce qui fondeson identité et son sentiment d’appartenance ou derejet vis-à-vis de la communauté ethnique, cultu-relle ou nationale à laquelle il appartient au départ.En ce sens, le voyage peut stimuler ou renforcer lacapacité des participants à se projeter non seule-ment vers un ailleurs, mais aussi dans l’avenir.

Dans d’autres cas, c’est la dimension de l’échangeinternational qui prédomine, dans une perspective

28

A la découverte du voyage

● ● ●

d’exploration interculturelle (cf. la 2ème partie de cetouvrage). Le voyage est alors conçu et vécu commeun lieu de confrontation et d’enrichissement mutuelau sein de groupes bi- ou tri-nationaux.

Dans la réalité d’un voyage ou d’un accueil, cesdeux tendances peuvent s’enchevêtrer ou se super-poser, d’autant que l’expérience interculturelle estdifficilement dissociable d’un processus de ques-tionnement identitaire comme celui que privilégiela première approche et inversement.

Cette imbrication, dont il ne faut pas gommer lacomplexité, représente néanmoins une richesse, etquelle que soit la configuration dessinée à l’origi-ne, le travail de concepteurs et d’animateursconsiste, d’une part, à créer les conditions favo-rables à une modification du voyageur et, d’autrepart, à accompagner à travers différentes étapes leseffets d’une telle démarche tant au niveau des indi-vidus qu’à celui du groupe.

Le plus souvent, cela revient à nager entre deuxeaux, à conjuguer des notions qui pourraient sem-bler contradictoires. En effet, on retrouve dans lagestion des voyages les contraintes et les enjeuxd’une formation qui cherche à associer, en complé-mentarité, la prise en compte de l’individu - sonparcours spécifique, ses rythmes et ses modesd’apprentissage, ses acquis et ses lacunes - et lesapports d’une dynamique de groupe. Avec uneexigence particulière : dans un contexte de

confrontation - au sens positif du terme - à unautre pays et à une autre culture, la dimension col-lective ne doit pas être synonyme de fermeture,dans un réflexe de repli sur le familier et le sem-blable.

Au-delà de cette question du rapport entre l’indi-vidu et le groupe, on est soumis au même problè-me de dosage lorsqu’il s’agit de créer un cadre, unensemble de repères - en termes de programme, decontenus thématiques, d’encadrement pédago-gique et linguistique - pour rassurer les partici-pants sans les enfermer, de façon à ne pas casserles ressorts du hasard et de l’inattendu, à préserverl’aventure au sein d’un voyage pourtant organisé.

C’est à ces différents aspects que la première par-tie du présent ouvrage est consacrée, dans uneapproche résolument centrée sur le rapport autemps et à l’espace ●

Les difficultés du travail interculturelsont d’autant plus grandes qu’ellesne sont pas là à côté, séparéesd’autres difficultés. Elles sont aucontraire liées en profondeur auxproblématiques identitaires,individuelles et collectives, que celles-ci soient nationales,régionales, groupales, psycho-familiales, sexuelles ou d’âge.

Les difficultés interculturelles,lorsqu’elles ne sont pas écartées aumoyen des approches idéalistes oudiplomatiques, entre autres,réveillent les difficultésrelationnelles passées ou présentesd’ordre intra-culturel.Jacques Demorgon, L’Explorationinterculturelle : pour une pédagogieinternationale , Armand Colin, 1989).

29

A la découverte du voyage

30

L’aventure du voyage commence souventpar l’appréhension d’un nouvel espace.Les signes de la ville, ceux-là mêmesauxquels on est confronté quotidien-nement sans plus les voir, deviennent,ailleurs, autant de stimulations des sensque l’absence de repères exacerbe(Déambulation urbaine, p. 31).Se fondre dans l’espace inconnu, c’estdonc aiguiser son regard et réveiller sonimaginaire enfoui (L’au-delà du voir, p. 32).Ces sensations prennent un autre tourquand l’espace est rural, que sonimmensité nous envahit et nous révèledes codes bien spécifiques (Balade toutterrain, p. 34).

Prem

ier c

hapi

tre

voyage dans l'espace

celui que l’on connaît, ou quel’on croit connaître puis-qu’on s’y sent à l’aise, et qui

semble pouvoir être défini simplementcomme

un centre villeune banlieue

une zone industrielle.

Ces repérages faciles nous indiquent, apriori, des types d’architectures, des popu-

lations, des milieux sociaux...

Celui où parfois on aime à se perdre, où souvent on craint de se perdre.

Celui qui convient à notre champ de vision, habi-tué à buter sur le bitume, le béton, obligé de fixer

son attention sur des points névralgiques, trafic.

Celui qui n’a pas de montre solaire et de saisonsrythmées par les étoiles, et tend à uniformiser les

intensités lumineuses du soleil, de la lune.

L’espace urbain impose une structuration précise dansl’organisation d’une journée. Le citadin parcourt lemême chemin, souvent peu direct (because sens inter-dit, voie ferrée...) entre son habitat, son lieu de travailet parfois sa cantine ou son restaurant, la crèche,l’école, etc.Les parcours se vivent souvent en solitaire, en voiture,en autobus, à pied, alors que les points de départ etd’arrivée sont des lieux de vie publique, de rencontres.

Ces parcours induits par la ville paraissent banals et depeu d’intérêt lorsque l’espace est connu, tellementconnu qu’il finit par devenir transparent. Les murs, lesrues, les enseignes sont là, c’est normal, on ne lesremarque que le jour où ils disparaissent.Par contre, ces espaces à parcourir réveillent les senslorsqu’ils sont méconnus. Le besoin de se repérer ouencore le désir de découvrir une ville stimulent l’oeil,l’oreille, le nez.Gérer un groupe dans une ville inconnue, c’est savoirprendre en compte ces espaces. Les parcours, du lieud’hébergement au restaurant, aux sites de visites pré-vues au programme, sont autant d’occasions

31

A la découverte du voyage

Déambulation urbaine

parJoëlleCleret

● ● ●

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

MO I

A

T É

G NG E

32

A la découverte du voyage

de regarder et de comprendre la ville. L’espace est aplani sur les cartes offertes aux partici-pants dès leur arrivée ; ces plans servent en généraltrès peu car il faut les lire, les déchiffrer. Ils ne sont sou-vent utiles que pour apaiser nos angoisses d’animateuret remettre en chemin quelques rares étourdis perdusentre deux visites. L’espace urbain peut engendrer des peurs mais aussides désirs de se perdre. Le désir ne vient qu’une foismaîtrisée la peur. Chaque personne a besoin d’untemps différent pour passer de l’un à l’autre. L’espaceest perçu selon des repères propres à chacun. Un tra-vail sur l’attention à porter sur l’espace repérable parl’image, le bruit, les odeurs, amène à reconnaître lessignes de repérage propres à chacun. Le parcours dansun espace urbain étranger ainsi “détaillé” peut amenerà reconsidérer celui que nous traversons quotidienne-ment. Si l’espace est relu, parfois lu, avec un nouveauregard, c’est le regard du voyageur curieux de reconsi-dérer sa ville à partir d’éléments nouveaux ●

L’au-delà● ● ●

Dans le vu ou ceque je vois, s’ouvreun espace, se

découvre une image. J’enperçois les limites. Je la fixepour mieux m’en nourrir.Elle s’impose à moi et meséduit de tout son mystèrefait de simplicité etd’évidence, lié au fait que jesuis seul face et avec elle. Jene peux penser l’espace et levoir sans rapport àl’horizon, la terre surlaquelle je pose mes pieds sedéroule jusqu’à sonimpression d’infini. Au-delàde ce bleu, gris ou nuit, quisépare la ligne, je diraisqu’au point de rencontre dela matière terre et air arrivel’imaginaire, l’imaginaire oùla reconstitution d’un espace

33

A la découverte du voyage

du voir

parJean-LouisSaïz

à partir de la mémoire, surl’écran déroulé par lapensée, m’indique desrepères, des directions, dessens à emprunter, une placeà prendre dans le réel.

Voir, c’est ouvrir de sonintérieur une fenêtre sur lemonde, circuler au loin sansse déplacer. Mais, derrièrel’horizon, d’autres espacesattendent de l’espérance dupremier. Je veux voirl’horizon derrière cet autrehorizon, les couleurs et lesformes qui composent cetinconnu. C’est un appel dutemps que l’espacem’indique, un défi à ledécouvrir, le dépasser ●

34

A la découverte du voyage

c elui qui offre des momentsde paix, de retour auxsources, de silence.

Celui qui donne des frissons, des sen-sations portées par ses contours indéfi-

nis, son immensité montagneuse ouplane, ses forêts étranges, ses recoins

clairs et sombres.

Celui que l’on croit connaître pour y avoirséjourné régulièrement mais qui nous éton-

ne, effraye parfois par ses logiques illo-giques, ses lois oubliées.

Celui que l’on ne respecte plus car on lui impo-se nos rythmes citadins, et qui finit par nous

déranger pour son indomptabilité.

Celui qui est habité par des semblables rescapésdu monde urbanisé, si proches de nous et pourtant si

étranges.

Celui qui couve ses villages et induit une vie socialeintense et rude à pénétrer.

Celui qui n’est pas marqué de lumières artificielles, despots lumineux, de feux rouges et verts, de sirènes etklaxons.

Celui du silence bruyant, celui des oiseaux, des tor-rents, des feuilles, du vent.

Elle est partout cette campagne, qu’elle soit montagne,moyenne montagne ou plaine, maïs, blé, vigne, prairieou forêt, elle est espace, air, étendue, elle n’est pasville.Lorsqu’un groupe de jeunes y séjourne, il s’agit souventde citadins pour lesquels le milieu rural est synonymed’espace de liberté et d’ennui à la longue. Attention, le milieu est plein de pièges agréables ouvicieux !

Le rapport aux distances réellement parcourues tend àêtre surestimé en milieu rural. Un kilomètre ville n’estpas égal à un kilomètre campagne car les parcours à

Balade tout terrain

parJoëlleCleret

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

pied dans les rues d’un quartier ne se comptent paslorqu’ils sont ponctués d’arrêts et de départs au détourd’un carrefour, d’un bar, d’un groupe (s’assurer dunombre de kilomètres à parcourir pour telle promenadesur tel sentier rural…).La sensation de marche est réelle car pour certains rienne va ponctuer cette marche, le but est invisible, seul lecorps est en jeu, seul l’effort est marquant. Il s’agit dansce cas de leur prouver le contraire et de négocier unbut.Attention aussi à cette croyance qui consiste à se direque l’espace rural est liberté donc à tout le monde. Lesrègles de la propriété privée sont présentes partout. Ilest arrivé à un groupe de jeunes français et allemandsde s’aventurer dans une prairie fraîchement fauchéepour filmer une séquence d’un scénario dans le cadred’un atelier vidéo. Malgré mes recommandations ils ontpénétré dans le champ non clôturé sans l’avis du pro-priétaire. Le soir même tout le village s’insurgeait contrele manque de respect de ces jeunes étrangers, alle-mands pour certains de surcroît, qui viennent occuperle sol sans demander ! (occupation quand tu noustiens).

L’espace rural nous renvoie à nos maladresses etméconnaissances du terrain. Je revois ce jeuneIrlandais ravi de nous montrer sa proie vivante enlaçantson bras : une vipère - allô docteur. Il est vrai qu’il n’y apas de serpents en Irlande.

Les séjours en gîte rural sont souvent bien vécus. L’espa-ce extérieur amène le groupe à créer un espace inté-rieur chaleureux. La vie de groupe est d’autant plusriche que peu de choses la pertubent : pas de télévi-sion, de bars ouverts le soir. Les échanges en sont favo-risés.Pour certains cette vie de groupe est étouffante etl’espace rural trop pesant. Les réactions peuvent êtreextrêmes : rejet des autres, du programme, réactionsconflictuelles parfois.Ainsi, une jeune Allemande, dans son malaise ambiant,demandait sans cesse les prévisions météorologiquesdu soir, du lendemain. Tout était dû au temps, saletemps !

Les échanges interculturels courts (8-10 jours) surClermont-Ferrand et la région sont souvent partagés endeux temps : un temps en ville et l’autre en milieu rural.Ces deux espaces apportent un “plus” incontestable àla vie d’un groupe, car l’on s’y perd de façon bien dis-tincte ●

35

A la découverte du voyage

Lorsqu’on se déplace en voyage, le choixdu mode de transport n’est pas neutre.Moscou-Volgograd en témoigne (p.37),le voyage en train est un choc intercultu-rel à part entière où espaces intérieur etextérieur mêlés nous transportent dansun autre univers, riche en couleurs.Se déplacer, c’est bien comme concocterune recette ; il faut choisir les ingrédientset les combiner astucieusement : Voguela galère (p. 40) offre quelques conseilsà l’apprenti-voyageur.Partir ou revenir, on est souvent amené àtransiter par ce symbole du déplacementet cette invitation au voyage qu’est lagare (Propos sur les gares, p. 41).

Deu

xièm

e ch

apitr

e

le temps du déplacement

36

MO I

A

T É

G NG E

37

A la découverte du voyage

« Je suis arrivé àcroire que lesseulesconnaissancesqui puissentinfluencer lecomportementd’un individusont celles qu’ildécouvre lui-même et qu’ils’approprie »(Carl Rogers).

Quelle moucheavait bien pu nouspiquer le jour où

nous avons eu la riche idéede faire Moscou-Volgograden train ?

Moscou, gare centrale.Une vingtaine d’Européens(germano-français)déboulent dans la gare. Oncherche des caddies !... Ah !,belle aubaine, des porteursse présentent à nous(Attention il faudra payer endevises : deutschmarks,dollars, francs. Combiensommes-nous ? Unevingtaine. Va pour 20 DM.)et nous voilà partis à larecherche de noscompartiments. Il y a unwagon pour dormir et un

wagon pour se restaurer. Onlonge le train qui n’en finitpas d’être long. Je medemande comment lamachine va pouvoir tirercette immense chenille. Il mefaudra faire une enquête.

Au loin des bras se lèvent,des cris. Enfin un descollègues allemands adécouvert les wagons. Lesvalises s’engouffrent par lesportes et les fenêtres. Ons’installe. Quatre parcompartiment. Deux en haut,deux en bas. Les filles àgauche, les garçons à droite(dommage mais on verra).Le trajet va certainementaider à la communication età la relationinterpersonnelle.

21 heures à se côtoyer surquelques mètres carrés.Les premiers jours de maisont bien chauds. Un soleilde plomb tape sur le quai.Des dizaines de genss’enlacent, s’embrassent,pleurent. Une jeune fillenous tend des fleurs. Unchoc. La chenille se met enroute. On dirait qu’elle apeine à se traîner. Lentementelle prend un rythme decroisière, cahin-caha. Onlaisse Moscou très vitederrière nous pour attaquerles grandes étenduesdésertiques.

Je commence ma tournée deslieux. Les gens s’installentpar affinité, nationalité, sexe,(tu ronfles, tu ronfles

“Moscou-Volgograd

parJean-LucMenu

● ● ●

38

A la découverte du voyage

pas). Ah ! là, unetournée de vodka ! Les discussions vont bontrain. Je me bloque dans lecouloir et le paysage défiledevant mes yeux, lentement.On dirait que l’on tourne unfilm au ralenti. Le pays estcomme je l’avais imaginé...immense... des étendues quin’en finissent pas des’allonger.Choc. La chenille s’arrêtebrusquement. Je passe matête par la fenêtre : au loinquelques maisons, del’agitation sur la voie.Certainement une gare, maisj’imagine le convoi si longque seulement une partie dela chenille peut se présentersur le quai.

A l’intérieur descompartiments, le silences’est installé. Premièrefatigue, conversationsfurtives. Son de cloche.Premier service. C’est

● ● ●

39

A la découverte du voyage

superbe. Dîner dans unrestaurant ambulant.Transporté à travers lespremières forêts debouleaux. Repas russetypique : bortsch, salade deconcombres, viande panéeplus patates, gâteau, arroséde bière, vin, vodka (auchoix).

L’atmosphère est détendue.Allemands et Françaisécoutent les premièresrecommandations pour notreséjour à Volgograd (d’uneoreille bien sûr car lesblagues fusent). La nuitrisque d’être longue etagitée.

Après le repas uneconversation s’engage entrenotre interprète et la jeunefille qui s’occupe de notrewagon. On se coince dans uncompartiment, une dizaineen tout, et un récit fortintéressant nous est conté

par notre hôtesse. Sa vieavant, maintenant... etaprès, quel avenir ?

La nuit pose lentement sonvoile sur notre groupe ! Cen’est plus quechuchotements, rires furtifs.

Je décide enfin de poser moncorps fatigué sur lacouchette et je laisse sedérouler le ciel étoilé !

5 heures. Une lumièreintense entre dans notre loge.Je saute de mon perchoir,ouvre discrètement la porte,appareil photo à la main.Clic. Première photo à monréveil. Etendue verte,caressée par un premierrayon de soleil. Le ventcouche lentement les arbres.Des centaines de couleurs sejettent à mes yeux, lachenille trace son chemin àtravers la steppe, laissantune trace blanche derrière

elle. Je suis tellementabsorbé par les mille et unecouleurs qui défilent devantmes yeux que je n’ai pas

senti que notre hôtesse setient à côté de moi, une tassede thé fumante à la main,sourire «spasiba !». Sonsourire donne encore plus delumière à la nature ! ●

Wagabon : voiturerécalcitrante, qui sedétache du train etdécide de vivre hors desrails.

M O T - V A L I S E *

* Ce mot valiseet les suivantssont extraits deRalentir : mots-valises !, d’AlainFinkielkraut,Seuil, 1979.

40

A la découverte du voyage

c omment bien vivre le tempsdu déplacement du voya-ge ? Petite recette à l’atten-

tion de l’apprenti-voyageur…

➔ Choix des ingrédients :Voiture, minibus, autocar, train, avion,

bateau...

➔ Harmoniser le choix du transporten fonction de :

la rapidité, la destination, la sécurité, lecoût, la pollution, l’autonomie des personnes.

➔ Méthode :• Bien respirer, ouvrir grand les yeux, tenir ses

sens en alerte, rester en état de veille pour obser-ver et repérer l’insolite.

• Rester calme, gérer au mieux son impatience.• Choisir d’habiter son voyage et d’en faire un

temps plein.• Prendre le temps de digérer son départ et de pré-

parer son arrivée.

• Prendre conscience de son propre temps, de son ryth-me.

➔ Remarques :• Etre vigilant aux différences entre le voyage aller(vers l’aventure, l’inconnu) et le voyage retour (vers leconnu, le quotidien).• Préserver un temps personnel d’intimité différent dutemps d’intimité qui peut être vécu avec le groupe.• Mélanger une bonne dose de disponibilité, d’écoute,de désir de voyager et l’ajouter à une bonne organisa-tion.• N’oubliez pas au préalable de mêler à cette dernièreun zeste d’aventure, un parfum d’émotion et une gran-de envie de découvrir et d’échanger.

Bon voyage ! ●

Vogue la galère !

parFrançoise

Navel-Brugnon

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

MO I

AT É

G NG E

Se rendre dans lesgares, ou stationsdans d’autres

langues, pour se poser entémoin la question duvoyage, comme un simpledéplacement ou un départvers l’ailleurs.

Les gares sont des lieux où levoyage existe même si l’onne part pas. On y voit ceuxqui vont et ceux qui viennent,la rencontre, la séparation.

La gare n’est pas un lieu oùl’on reste mais il y demeureune forte sensation de boutdu monde, de temps quis’arrête et qui repart aumultiple, de gens qui

passent. Il s’y fixe desmoments forts où se dévoilel’expression de l’intime,psychodrame public fait deregards, de paroles, degestes qui nous content lepartage, la solitude. Les seules personnes quil’habitent sont celles quin’ont plus de demeure et enfont un refuge au masque deleur identité. Nul ne restesuffisamment longtemps etdépose quelquefois une piècemanière de s’excuser.

Les gares ponctuent letemps, elles sont attentes, du départ au retour ellesnous invitent aux voyages, à la découverte des lieux de la ville dont elles portentle nom. ●

41

A la découverte du voyage

Propos sur les gares

“parJean-LouisSaïz

Changement de rythmes, éloignementdu quotidien, le voyage provoque desRuptures temporelles (p. 43) qu’ilconvient de prendre en compte. Un rapport au temps différencié qui peutrendre perplexe au premier abord maisrévèle l’autre culture, si tant est qu’onveuille bien prendre le temps de ledécouvrir… (Indian Time, p. 47).Aussi, le programme d’un échange doit-ilcombiner un cadre sécurisant et l’émer-gence de l’imprévu (Préserver le hasard,p. 49).Comme cette rencontre fortuite en trainqui nous offre la Chronique d’une femmerusse peu ordinaire (p. 50).

Troi

sièm

e ch

apitr

e

voyage dans le temps

42

43

A la découverte du voyage

t out voyage est un voyagedans le temps. Il n’est pasbesoin d’avoir recours à la

science-fiction ou d’inventer des machines futu-ristes pour donner prise à cette affirmation. Car sil’on associe le fait de voyager avant tout à undéplacement dans l’espace, celui-ci s’inscrit tou-jours dans une épaisseur temporelle. Sans êtreEinstein ni vouloir réinventer la théorie de la rela-tion espace-temps, on peut prendre conscience dece phénomène pour peu que l’on se prête à uneanalyse un peu plus serrée du voyage, qu’il sefasse en solitaire ou collectivement.

Bien des figures mythiques du voyageur ren-voient à la volonté de jouer sur le temps, voire dele maîtriser : n’est-ce pas le désir de découvrir uneroute plus rapide vers les Indes qui pousse lesgrands explorateurs sur les mers au XVIème siècle ?Et sans égard pour la chronologie, il suffit de son-ger à la quête du Graal et à la recherche, à traversun objet sacré, de la vie éternelle, pour illustrer lerapport sensible qu’entretient le voyage avec lanaissance, la vie et la mort.

Si cette dimension initiatique n’est pas systémati-quement perceptible, il est aisé de mesurer la façondont le voyage met en oeuvre un changement derythme, un autre mode d’inscription dans le tempsqui crée autant le dépaysement que le déplacementgéographique. Bien sûr, il y a le phénomène dudécalage horaire. Mais au-delà, le voyage constitueun temps, souvent vécu comme privilégié, où l’onsort du quotidien et de ses rythmes cycliques. C’estpourquoi aussi, à côté des aspects spécifiquementliés à la découverte d’une autre culture, le voyagepeut être conçu comme une étape essentielle dansla (re)construction de la capacité d’un individu àprendre du recul par rapport à son vécu habituel età se projeter dans l’avenir.

Cela implique, cependant, que l’on attache unegrande importance aux passerelles qui s’établissentavec le quotidien, non seulement au retour, quandon tire en quelque sorte les leçons du voyage etque l’on veut en conserver une mémoire qui pren-ne sa place dans un projet de vie réinvesti, maisaussi avant le départ, de façon à inscrire le

Ruptures temporelles

par CorinneBaudelot

● ● ●

A NA L Y S E

44

A la découverte du voyage

séjour dans un véritable processus et nonpas dans un scénario de rupture brutale et de dua-lisation (voir dans la troisième partie Préparer etexploiter un voyage, pp. 102-103).

Temps suspendu, étiré ou raccourci, comme aucinéma ; parenthèse qui échappe à la

répétition mais dont on sait bienqu’elle s’inscrit dans un

temps condensé, bouclépar les moments sym-

boliques du départet du retour, levoyage inciteaussi à vivreintensément leprésent, à ensavourer la plé-nitude jusqu’à

repousser biensouvent les limites

de la fatigue nerveu-se et physique. D’où

cette frénésie qui s’empa-re parfois des organisateurs

de voyages, qu’ils oeuvrent dans lesecteur touristique ou revendiquent une démarched’éducation populaire, lorsqu’il s’agit de composerun programme pour des participants eux-mêmes

avides de découverte. L’enjeu n’est pas de leur endonner pour leur argent, mais surtout de leur endonner “pour leur temps”... On se heurte alors,lorsque l’aventure est collective et qu’elle se dérou-le dans un pays étranger, au fait qu’il y a autant derythmes et de façons d’appréhender le temps qu’ily a d’individus et de cultures (sur cette dimensionde la relativité du temps, on se référera auxouvrages d’Edward T. Hall, La Dimension cachée etLa Danse de la vie).

La conception et la gestion d’un programme nepeuvent donc faire l’économie de cette analyse etdoivent se donner des marges de souplesse etd’adaptation, en fonction de la personnalité desmembres du groupe et des caractéristiques du lieude vie dans lequel il séjourne. Elles exigent aussique l’on soit attentif aux temps d’autonomie et deréappropriation individuelle qui sont essentielslors d’un voyage collectif. Les conditions maté-rielles de l’hébergement et le caractère nécessaire-ment organisé de toute une partie du programmeréduisent singulièrement les espaces d’intimitélaissés à chacun(e). Certes, il se crée dans cecontexte un autre rapport à l’intime qui tend à”déborder” sur le groupe, mais cela n’exclut pas,bien au contraire, que l’on facilite la constitution desous-groupes par affinité, ni que l’on préserve desmoments de ”vacance” - programme libre ou acti-

● ● ●

Les maux du tempspar F. Navel-Brugnon

Courir après le temps ?Quelle gageure et quel risque de perdre

son temps à vouloir rattraper le temps perdu !Mieux vaut prendre son temps et

habiter le temps de l’instant...Gagner du temps est une illusion, une projection dans

l’avenir, qui gâche la perception du temps qui passe et nous empêche de le savourer en profondeur.

Arrêter le temps ? Pour quoi faire, si ce n’estjouir de l’intimité du moment et mieux se

nourrir de l’air du temps !...

45

A la découverte du voyage

vités proposées à la carte - véritables temps derecentration permettant à chacun(e) de se retrou-ver, seul(e) ou avec quelques-un(e)s qu’il/elle aura

délibérément choisis. En outre, si l’ouverture à unailleurs et le retour constructif sur soi que celainduit sont facilités par ce temps décalé ● ● ●

46

A la découverte du voyage

que représente le voyage, il ne faut pas fairel’impasse sur le besoin de repères à la fois spatiauxet temporels qui peuvent s’y manifester. Ainsi denotre groupe d’animateurs, en voyage expérimen-tal à Barcelone, qui s’était établi un rituel familierassociant le moment du petit déjeuner et un lieu derendez-vous quotidien sur la Plaza del Pi. Les

repas jouent à ce titre unrôle particulier, même lors-que les habitudes culinairesdu pays d’accueil s’avèrentun peu déstabilisantes.

On l’a vu, le rapport autemps s’inscrit de façon pré-dominante dans l’ensembledu voyage, depuis la prépa-ration jusqu’au moment dela restitution. Lorsqu’ils’applique plus spécifique-ment à l’espace que l’onparcourt et qui sépare le

point de départ du point d’arrivée, il prend àl’heure actuelle un tour particulier. Dans une socié-té marquée par l’accélération, où les distances sontabolies par le développement des moyens de com-munication - moyens de transport certes, maisaussi moyens de transmission de l’information entemps réel grâce aux satellites et réseaux informa-

tiques - il est difficile d’échapper à cette courseeffrénée lorsque l’on part en voyage. Nous vivonsà l’ère de l’impatience : pour reprendre une expres-sion courante (répandue et pressée !), “on voudraittoujours être arrivé avant même d’être parti”. Faceà ce phénomène de déperdition, sans doute faut-ilréhabiliter la durée, permettre au temps de trans-port de s’étaler, de s’affirmer comme un momentindispensable de passage, de transition, de pro-gression d’un lieu vers un autre ●

● ● ●

Pense-heures :philosophespécialisé dansles questions du temps

M O T - V A L I S E

MO I

A

T É

G NG E

Indian Time

47

A la découverte du voyage

Le Sud Dakota(Etats-Unis) meparaissait bien loin

et il le fut !Une nuit de voyage en trainjusqu’à Paris, puis le métro,suivi du R.E.R.Une première étape en avionjusque Boston, une secondejusque Minneapolis, unetroisième jusque Rapid City.Quelques heures dedéambulation dans lesdifférents aéroports, le toutponctué d’un décalagehoraire de 8 h...Pour terminer ce périple,2h30 de voiture pourrejoindre un petit “home”isolé dans la grande prairie.

Temps du voyage intense etmerveilleux, peuplé des

aventures à venir et desémotions à partager.Les premiers jours, le tempss’écoule dans l’espace d’unepetite maison chaude perduedans la neige, comme un îlotflottant au milieu du gel etdu froid.Prendre l’air et goûter enfinla joie des grands espacesrêvés du film “Danse avecles Loups” est un désir quis’épuise de lui-même, après10 minutes de marcheharassante dans le blizzardpar -20°.

Il me faut calmer cetteimpatience de découvrirl’extérieur pour profiter dece qui se vit à l’intérieur.Vivre le quotidiendifféremment.

Ici le temps, comme lesespaces, dont j’imagine lagrandeur, se révèleimmensément profond.Le temps d’attendre, le tempsde vivre chaque moment.Rien ne presse, c’est le tempsdu moment présent. Un petitaperçu de ce que l’on nomme“Indian Time”.Personne ne semble rienattendre, chacun vit sontemps.A première vue, je ressensune impression d’étonnementet de curiosité. Mais que fontces gens de leur journée ?Ils attendent... Ils vivent toutsimplement.Ce que l’on a tendance àqualifier tout d’abordd’inertie ressembledavantage, quand on

● ● ●

parFrançoiseNavel-Brugnon

48

A la découverte du voyage

les connaît mieux, à dela patience, à une relationharmonieuse avec leurenvironnement, à un tempsqui n’est pas forcémentrythmé par des activitésprécises physiques ouintellectuelles, mais plutôtune sorte de tempspersonnel. En effet, chacun estautonome, chacun a sonpropre rythme.Même les repas ne semblentpas obéir à un rituel horaireprécis. Chacun mange quandil a faim.

Au bout de trois jourscependant, les sortiesdeviennent possibles, leblizzard s’étant arrêté.La découverte des grandsespaces grandioses etinsolites s’harmonise avec letemps des hommes.Tout semble plat, désert, etpourtant, en se promenant,on découvre que les grandes

plaines sont loin d’êtreinhabitées.Elles sont peupléesd’animaux, les chiens deprairie qui pullulent, lesdaims, les antilopes, leséperviers, les aigles.

L’uniformité apparente dupaysage cache en fait unegrande variété et révèled’innombrables petitesvallées avec des pointsd’eau, où viennents’abreuver les animaux. Lesol est constitué d’unevégétation riche etnourrissante, que l’onnomme “l’herbe à bison” etqui permet aux herbivores derésister efficacement auxrigueurs de l’hiver.La maîtrise du temps et cellede l’espace par l’hommeparaît saugrenue.C’est davantage l’inverse quise produit. L’homme faitpartie d’un tout, il se fond ets’adapte à son milieu.

La vision indienne duterritoire estfondamentalement différentede celle de l’homme blancqui l’entoure.Dès que l’on sort desréserves, le territoire estsoumis à une loi différente.Quadrillage de l’espace,routes goudronnées,repérages Nord/Sud etEst/Ouest sur les voies decirculation. Les prairies sontclôturées pour permettrel’élevage des bovins. Desparcelles immenses sontmises en culture de céréales.On y trouve des villages etdes villes, où la richesse del’Amérique est au rendez-vous.

Ce sont deux mondes qui secôtoient mais qui ne semélangent pas.Deux systèmes de penséeayant leur propre logique etleurs propres règles ●

● ● ●

49

A la découverte du voyage

l e programme est conçu enamont de la rencontre pour lesparticipants bien sûr, mais

aussi en réponse au positionnementde l’institution et de ses partenaires

(financiers, étrangers, locaux).L’inscription d’un groupe à un voyage

induit donc une organisation. L’animateurœuvre en amont à la construction du

voyage et de l’échange.Durant cette phase de préparation, le pro-

gramme s’élabore avec et en réponse augroupe. Il répond au cadrage attendu par le

groupe.

Le programme est sécurisant car il structure etpose des repères préalables capables d’amoin-

drir les peurs, les angoisses du futur voyageur.Sur place, le programme pose le cadre et le fait

même qu’il existe, rassure et déclenche souvent desréactions de groupe, des rejets parfois de tout ou

partie de ses composantes.Le programme est la trame, voire le tremplin, base de

discussions, de revendications, objet réconfortant liantles gens dans un espace/temps défini et court.

L’inattendu est dans le programme sans être program-mé. L’animateur doit être prêt à le voir surgir, ne pasl’estomper et le gérer.L’inattendu c’est l’aventure à laquelle le groupe et l’ani-mateur ne s’attendaient pas à la lecture du programme.Par exemple, un incident de transport qui transforme undéplacement en véritable aventure, le rythme est cassé,les rendez-vous annulés et le groupe se retrouve dansun lieu et une situation imprévus qui peuvent débouchersur des rencontres fortuites d’une grande richesse. L’ani-mateur doit alors négocier ces situations sans se laisserdéborder par le groupe.

L’imprévu est embusqué derrière chaque tournant, il estsouvent, au sein des programmes, facteur essentiel,générateur de la dimension interculturelle de nosvoyages.Les histoires d’amitié et d’amour naissantes lors d’unvoyage sont fréquemment les plus marquantes et richespour un groupe ou un individu.

Préserver le hasard

● ● ●

parJoëlleCleret

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

Malheureusement des événements déstructu-rants, imprévisibles viennent parfois casser la dyna-mique ; vols, pertes, accidents, mais certains chaossont des tremplins d’énergie et l’animateur doit pouvoirles pointer comme tels et faire prendre conscience augroupe qu’ils sont des éléments non négligeables etpositifs.

D’une certaine façon, l’inattendu peut aussi être intégréau préalable dans le programme. L’animateur peut pré-voir des temps propices à l’aventure sans toutefois enmaîtriser les rendus. Le cas se présente lorsque l’anima-teur utilise des techniques d’animation telles que le“décryptage” (à savoir un temps limité où les partici-pants ont la consigne de déambuler dans une ville ouun quartier sans utiliser l’outil de communication qu’estle langage et privilégier ainsi les sens, la vue, l’ouïe,l’odorat, pour découvrir le site, voir plus loin pp. 76-78). Les effets de ces temps programmés sont souventpleins d’inattendu et l’animateur doit prévoir des tempsde retour au groupe pour que l’expérience individuellenourrisse l’expérience collective.

Il n’y a pas de recette clés en main, la marge demanœuvre se situe en équilibre entre la contrainte d’uncadrage porté par le programme et le besoin d’autono-mie et d’aventure, gage d’une rencontre interculturelle ●

50

A la découverte du voyage

● ● ●

Ma chère Isabelle,

Je te salue, toi ettes amis, du fond de notreRussie qui tient encore, ne sedécourage pas, s’acharne etcompte sur une améliorationde la situation car ellepossède une force spirituelleet physique, même si la jeunegénération nous donne desinquiétudes.

Les animateurs et leséducateurs font tout ce qu’ilspeuvent pour élever leniveau culturel, maintenantque nous avons la liberté etmême si nous manquons demoyens matériels. Je veuxdire que l’on nous montredes films du monde entier àla télévision et au cinéma.

“Chronique

MO I

A

T É

G NG E

Deux fois par semaine onorganise des soiréesdansantes pour nous les gensd’un certain âge. J’ai eneffet 39 ans. Le 3 février1993 j’en aurai 40. J’en suisdéjà à la moitié de ma vie.Seule, sans enfant, sansmari, jamais mariée.

Pour comprendre, il fautcomparer. Maintenant nouscomprenons que legouvernement faisait exprèsde cacher beaucoup dechoses aux habitants de l’ex-URSS. On peut beaucoupécrire et parler à ce sujet.C’est d’ailleurs ce que fontles journaux et les revues, enfait tous les moyensd’information. Les habitantsde Russie ont encore

beaucoup de patience. C’est vraiment grâce à cettepatience que nous faisonsface aux problèmes de notrevie qui sont créés par lesgouvernements de toute laplanète. On ne peut pas ledire autrement. Ce sont biendes gens concrets qui créentles techniques et tout le reste,routinier et soi-disantindispensable à lacommunauté humaine.

Maintenant je travaillecomme aide-soignante dansun hôpital. J’ai quitté lesChemins de Fer pour causede compression depersonnel. Aujourd’hui beaucoupd’entreprises licencient et lesgens se retrouvent sans

travail alors qu’ils sonthabitués à l’ancien système,beaucoup sont complètementperdus. On licencie surtoutles femmes.Je suis habituée auxdifficultés. Je peux faire leplus sale boulot qui soit etc’est d’ailleurs ce que je fais,mais au moins c’est untravail honnête et stable. Lesfemmes essaient de ne pasêtre aides-soignantes, ellesne veulent pas débarrasserla saleté, s’occuper desmalades. Les hôpitaux sonttrès sales chez nous, tu lesais.Le samedi et le dimanche jesors, je vais m’amuser dansune soirée dansante quicommence à 6 heures et setermine à 9 heures. ● ● ●

51

A la découverte du voyage

d’une femme russe peu ordinaireCe texte estextrait d’unelettre envoyéepar Tamara,une femmerusserencontrée, de manièreimpromptue,à l’occasiond’un voyagede Moscou à Volgograden train (voirplus haut pp.37-39).

52

A la découverte du voyage

Il n’y a pas de boîte denuit à Volgograd, alors qu’àMoscou ils en ont ouvertdeux qui marchent de 22h30à 5h30 du matin. Une petitenouveauté pour distraire.

J’aime beaucoup la danse, lamusique, discuter avec lesgens. Avoir des relationsintimes est aussi trèsdangereux, et personne neme demande en mariage,alors je dois me contenter dela musique et des danses, eten plus parfois je vais à labibliothèque, je regarde lesrevues, les journaux, on peutemprunter un livre. Voilà mavie : le travail, la danse, leslivres.

Isabelle, je ne me plains pas,je décris juste ma vie endétail. Je ne bois pasd’alcool et je ne fume pas.C’est aussi très bien de secontenter du minimum.Me marier est très difficile,

d’abord je suis déjà trèsvieille, encore que je mesente toujours jeune, et puisen plus je ne possède rien.Les hommes aiment lesfemmes jeunes. Malgré toutje trouve la vie intéressanteet je remercie Dieu d’exister,je le remercie qu’il y ait laterre et vous et toi Isabelle.Tout va s’arranger, jem’efforce d’y croire. La vie,l’amour, le rire feront sauterles serrures de tristesse et demauvaise humeur etlaisseront entrer la lumièredu soleil qui nousréchauffera de sa caresse etnous apaisera.

Isabelle, si tu as le temps,essaie d’aller dans uneagence matrimoniale, peut-être que quelqu’un souhaitefaire la connaissance d’unefemme russe, je pourraisaussi faire des ménages,ranger, faire la lessive,m’occuper de petits enfants.

Je sais que c’est très difficilecar je ne parle pas français.Et qu’est-ce que tu penses dema demande ? C’est peut-être mal de faire ce que jefais ?

Isabelle, je te souhaite toutce qu’il y a de meilleur dansla vie.Ecris-moi. Salue de ma parttous ceux qui étaient avec toià Volgograd alors.

Je t’embrasse.Tamara ●

● ● ●

L’interculturel en question

Deu

xièm

e pa

rtie

Prem

ier c

hapi

tre

54

Pour Peuple et Culture, voyager est unchoix pédagogique et politique : dans lecontexte actuel, Rompre avec l’ignorance(p. 55) est en effet une nécessité.En se frottant à l’altérité, le voyageur estsubmergé par un flot de sensationsinsolites (Emois de voyageur… et toi ?,p. 57) et cette effervescence sensorielleest comparable à une re-naissance(L’identité du voyageur, p. 58).Comme en témoigne cette Chroniquerusse (p. 60), l’altérité joue comme unmiroir qui renvoie à sa propre identité etpermet d’appréhender autrement lesclivages ethniques (Identités plurielles, p.62). A travers les contacts et la vie encommun, les préjugés s’estompent pourlaisser place à : English, I love you (p. 64).

identité, altérité

55

L’interculturel en question

Rompre avec l’ignorance

l ’activité de Peuple etCulture est ancrée dansl’international depuis sa

création. En effet depuis plus de cinquante ansnous considérons qu’aller à la rencontre de l’autrerenforce notre propre identité.

A l’époque de la Libération il y avait urgence àcombattre les idéologies nationalistes et à formerles futurs éducateurs du bien fondé de l’intercultu-rel. Donner du sens à l’action, rapprocher les cul-tures, respecter les différences et œuvrer pourl’accès à la culture du plus grand nombre, cettefinalité plus que jamais nous la revendiquons avecl’élan utopique qui est le nôtre.

Nous sommes bien obligés de constater que lasociété d’aujourd’hui évolue dans un contextemulti-culturel basé sur le pouvoir économique. Lesinégalités sociales et les phénomènes d’intolérancesont sans cesse grandissants. Lutter aujourd’huicontre toutes les formes d’aliénation nous sembleêtre un enjeu de société, tout comme il l’était dans

le contexte d’après-guerre des années 45-50. Il nousapparaît plus que nécessaire de contribuer àrompre les remparts de l’ignorance qui nous encer-clent de façon pernicieuse.

En effet tout nous donne à penser, à comparti-menter, à classer, ordonner, aseptiser le genrehumain. Or quoi de plus dangereux que de se lais-ser prendre dans la tourmente de la mondialisa-tion, le mirage des interconnexions et autres inter-actions...

Nous soulevons dans cet ouvrage, aussi modestesoit-il, la revendication, le droit, le devoir d’allervers l’autre, d’aller voir ailleurs par soi-même etsans écran intermédiaire…

Cela nous semble être un enjeu fort que de pro-voquer des ruptures, de développer l’espritd’aventure, de vivre des expériences au réel et dene pas uniquement se laisser guider dans la virtua-lité.

Voyager, rompre l’ignorance et découvrir denouveaux horizons, partir afin de mieux découvrirson quotidien, rien ne peut remplacer le contactdirect des hommes entre eux.

parCatherineBallin

● ● ●

A NA L Y S E

56

L’interculturel en question

Nous sommes des artisans du voyage, enconséquence nous sommes persuadés qu’il vautmieux susciter des malentendus que de rester dansl’ignorance. Qu’il faut provoquer les esprits, cham-

bouler les cadres symboliques, les va-leurs, les traditions, les règles, les

normes, les principes éthi-ques et religieux. Il s’agit

bien là d’apprendre à sedécouvrir soi-même, quije suis, d’où je viens,vers quoi je vais :voyager, le détourobligatoire pour con-naître sa propre identi-

té et celle des autres.

Un bilan de santé devraits’accompagner d’un voyage

car les apprentissages et lesrichesses qu’il apporte réduisent les

risques de repli sur soi, et par conséquent lesrisques d’intolérance et autres exacerbations iden-titaires.

Pour nous l’enjeu consiste à ne pas s’enfermerdans les clivages culturels, à ne pas cloisonner lesminorités, encore moins à promulguer une cultureuniverselle. Il est de promouvoir les échanges

interculturels tout au long de la vie. Il nous sembleimportant de faire prendre conscience aux respon-sables en charge d’éducation du rôle qu’ils ont àjouer, de l’utilité de bouger, de repenser leurs pra-tiques et de donner du sens à leur action.Accompagner vers le voyage, l’échange, nousparaît être un moyen privilégié de combattre lesidées reçues et la normalisation. Tout comme dansla période d’après-guerre, nous sommes dansl’urgence idéologique.

Accéder à la culture, promouvoir l’homme, celapasse inévitablement par la pratique et la connais-sance de soi et des autres ●

● ● ●

Q u e s t i o n

La politique européenne privilégie

les rencontres internationales entre homo-

logues : jeunes en difficulté, femmes, chô-

meurs, professionnels, ruraux, musiciens,

artistes... Doit-on suivre cette politique au risque

de renforcer les catégorisations et les cloison-

nements ? Le processus interculturel posé

au sein de ces rencontres permet-il une

ouverture sur d’autres types de

projets de vie ?

MO I

A

T É

G N

57

L’interculturel en question

Plus je voyage et plus...

se croisentles rythmes intérieurs etextérieursà ne plus savoir compterles heures à les volerespace-temps retrouvé

je possèded’espaces et de territoiresparcours traces qui setrament et se tissent de la Plaza delPi jusqu’au port et à la mer

je sensmon corps qui soudain sefigepuis entre en dansese meut et se déplace

tango sardane et flamencoje guettele partage de l’ombre et dela lumièresur le sol du cloîtreainsi que les lumières rougesdes bougies dans les églisesqui dénoncent la tiédeurde nos cierges austères etblancs

j’entendsla langue espagnole et lalangue catalanesœurs ennemies ou amiessuivant les identités choisiesque puis-je parlerje me déconstruisje plonge au fin fond de moidans les méandres de Gaudiles bleus de Mirô ou deTapiés

je me brûle dans les néonsviolets de Merzje m’étonnede voir les vieux danseret boire avec les jeunesbranchés

je suis émuepar le regard du travestiqui négocie son talentd’artistepar le travail de Luisqui tresse la matière et la vie

je ressens...mes limites et mes manquesmes pulsions et mes désirsmes énergies et mespossibles ●

Emois de voyageur… et toi ?

“parGenevièveDahan-Seltzer

G E

58

L’interculturel en question

l e premier voyage est lanaissance. C’est le voyageforcé, le passage obligatoi-

re, promesse de vie, d’évolution et d’inconnu.Voyage du monde clos aux sentiments atténués,

à la chaleur constante, au fracas d’un monde quipénètre le corps (inspiration et sens).

L’identité du petit voyageur va commencer à seconstruire par la séparation physique d’avec lamère. Projection du connu et sécurisant versl’inconnu et la solitude.

Le contact avec le monde nouveau va se fairedans une submersion de sensations nouvelles.

La métamorphose des sens*

• L’ouïe : après les bruits réguliers du cœur de lamère, entrent les sons des machines, des voix, descris… Bruit rassurant : la voix de la mère.

• Le toucher : mains qui prennent, soulèvent,posent, caressent. Contact de la peau, d’un tissu,d’un instrument… Passage du chaud au froid.Rassurant : la peau (37°), de la mère de préférence.

• Le goût : après le liquide amniotique, le désert.Rassurant : la peau, le lait (pas tout de suite).Il faudra attendre (le désir ?).

• La vue : du noir à la douleur de la lumière.Rassurant : retrouver l’obscurité, yeux ferméscontre peau.

• L’odorat : découverte d’un sens nouveau né dela respiration dans l’éclosion à la vie extérieure.Sens de la naissance - de toutes les naissances ? Submersion dans une kyrielle d’odeurs et dans cetodorat qui va dominer les premières semaines dela vie (pourquoi ? voir le lien entre odeur et goût ?sens le plus développé à cet instant de la vie ?).Rassurant : a priori, rien. Mais si : l’odeur de lamère. Sans connaître a priori l’odeur de sa mère, lenouveau-né va la reconnaître (sens de l’instinct).

A chaque voyage, on refait celui-là. Sous quelle forme ? Quelles seront les consé-

quences des sensations nouvelles sur notre vie enlien avec notre vécu ? Quelle communication pour-ra s’instaurer selon l’utilisation consciente etinconsciente que l’on fait de ses sens ?…

L’identité du voyageur

parClémence

Philippe(elle a participé

au séminairedans lespremiers

temps puiss’est retirée

pour desraisons

familiales)

* Voir aussil’encadré page 77)

A NA L Y S E

59

L’interculturel en question

• L’ouïe : découverte des bruits des rues, desvoix (langue étrangère, intonations), des musiques,de la nature...Agression ou compréhension

→ “je vous entends bien”“s’entendre avec” (intellect)

• Le toucher : le contact tactile à l’autre différentselon les cultures. Pour entrer en communication,je touche l’autre, les choses.Agression ou chaleur

→ “je suis touché” (affectif)• Le goût : les cuisines, le piment, le sucré-salé,

la peau...Agression ou appétit-digestion

→ “je prends goût à …la vie (plaisir)• La vue : le spectacle du monde, la lumière, la

misère, la beauté....Agression ou éblouissement

→ “tu vois ce que je veux dire” (intellect)• L’odorat : les odeurs de cuisine, de la nature,

des égouts, de la merde, de l’encens, des corps...Agression ou bien-être

→ “je me sens* bien”“je ne peux pas le sentir”(physique)

De tous les sens, l’odorat, sens découvert en der-nier par le nouveau-né(z) au moment crucial del’éclosion semble être celui qui ramène le plus à cepremier voyage, à la séparation, à la rencontre de

sa nouvelle identité, en tout cas à la découverted’un soi inconnu car baigné dans un contexte luiaussi inconnu. Je ne suis plus ce que j’étais, quisuis-je donc ?

Les odeurs sont des facteurs déstabilisants nonpalpables, non exprimables (emportez-vous votreparfum en voyage ?).

Il semblerait aussi que lorsqu’on perd l’odorat,on perd ses repères, son équilibre physique, unepart de la mémoire, plus de capacités physiquesque lors de la perte d’autres sens.

En tout cas, le mystère demeure. Et là où il y amystère, il y a anguille sous roche…

S’il est le premier contact avec un monde incon-nu, que faire avec ce sens si peu maîtrisé et maîtri-sable dans nos pratiques pédagogiques ?

Il est bien difficile, voire impossible de travailleren amont sur les représentations (re-PRESENT-ations) olfactives (présent est aussi cadeau → l’or,l’encens et la myrrhe… une piste ?)

Au Japon, lorsqu’on veut mettre fin à un cycle decadeaux aux valeurs de plus en plus élevées entredeux partis, on offre une odeur, celle d’un vieuxkimono parfumé que l’on rend après l’avoirhumé...

Sens de la naissance, donc sens de la mort ? ●

* “Je sens” sedira pourl’odorat commepour tous lesautres sens. Onpeut signaler lapauvreté destermes traitantde l’odorat et larichesse dusens (encore !)du verbe sentir.Verbegénériqueregroupant monrapport aumonde.

MO I

AT É

G NG E

60

L’interculturel en question

Chronique russeEn revenant devoyage, on atoujours la même

envie d’avoir de bellescertitudes à mettre dans lesoreilles de la famille, desamis et des autres !

Mais je dois dire que pour laRussie, c’est difficile. Peut-être parce que ce pays, parson passé, son histoire et sasensibilité actuelle, aquelque chose qui noustouche et nous trouble,comme si nous nous ytrouvions face à noscontradictions d’Européens,d’Occidentaux du XXèmesiècle ! Comme un miroirgrossissant, le pays, enquelques jours, je diraispresque en quelques heures,

nous renvoie l’image denotre compromis quotidien,mais avec la force de laprésence physique, àlaquelle il est impossible dese soustraire, privé que l’onest alors des protectionsmédiatiques ou idéologiquesde l’environnementquotidien, du “chez soi”...

Histoire démente et atroce,présent difficile, aveniratomique, nos angoisses etnotre mémoire collective sonten Russie. Ce pays danslequel les gens vivent nouséclate au visage enconcrétisant notreambivalence et l’éternel“pour ou contre” de notreraison. Source d’équilibre,mais aussi cause de notre

responsabilité à choisir unevoie radicale.

Le pays, il paraît qu’ils s’enfoutent. Peut-être justementparce qu’il est plus notreproblème que le leur.Pourtant en quelques joursde visite en Russie, eux etnous, à échanger autant qu’àfaire avec des jeunesresponsables (théâtres,écoles, mouvements dejeunesse etc...), on est forcéde constater la continuité quiexiste dans leur démarche,dans leur projet, j’iraismême à dire, dans leurexistence : ils voudraientpartir, mais ils restent parcequ’ils veulent y croire, ils ontl’espoir, malgré tout !

“par

Jean-LucMenu

61

L’interculturel en question

On a partout l’impression“qu’il faut bien vivre, quoi !”Ce compromis entre lasituation et les envies aquelque chose de provocantet de touchant à la fois. Etc’est toujours un miroir quinous renvoie notre propreimage.

Est ou Ouest, chacun a, endéfinitive, les mêmesproblèmes pour vivre et seretrouve face aux mêmesquestions de fond, quel quesoit le système : la sociétéindustrielle, capitaliste ousocialiste, veut produire desgens comme elle produit desroutes ou des conserves.Animation, formation,création, promotion, etc.,tout, des deux côtés est entreles mains de l’Etat.Où est l’Est, où est l’Ouest ?Cette barrière ne peut existerpour les gens, et lesfrontières apparentes oucachées ne sont là que pour

nous faire croire qu’il y a desbornes à l’imagination.La connerie, elle, n’a pas defrontières, pas de barrières !

Alors pourquoi pasl’imagination ?Soyons donc des funambulesde la déambulation !... ●

62

L’interculturel en question

l es valeurs fondatrices dePeuple et Culture rappel-lent nos luttes, toujours

bien actuelles, contre les inégalités sociales etcontre toute forme d’aliénation culturelle.

Le contexte multiculturel de notre société assisesur la concurrence et la compétition engendrel’émergence d’intolérances, de comportementsracistes et d’inégalités sociales et culturelles sanscesse grandissantes entre les groupes.

Peuple et Culture œuvre au contraire pour lareconnaissance des minorités, décrites selon LouisWirth comme “tout groupe de personnes qui, dufait de certains traits physiques ou culturels spéci-fiques, se voit traité différemment et moins bienque les autres membres de la société dans laquelleil vit, et qui se considère par conséquent commefaisant l’objet d’une discrimination collective”.

L’enjeu est bien ici aussi la lutte contre l’ignoran-ce en favorisant l’accès de toutes et tous à la cultu-re, sans tomber dans la promotion d’une cultureuniverselle et sans s’enfermer dans un relativisme

culturel qui cloisonne les minorités en mêmetemps qu’il reconnaît leur existence.

L’approche de Peuple et Culture se situe davan-tage comme une démarche interculturelle quicherche à faire dialoguer et s’enrichir mutuelle-ment des identités elles-mêmes plurielles. Elle sup-pose un processus qui passe inévitablement par lacommunication, la proximité, l’échange direct :déplacement, ouverture à l’autre, travail sur lescodes, les signes, les a priori, les préjugés, les sys-tèmes de catégorisation qui nous régissent.

Le voyage est un outil pédagogique qui permetd’instaurer des situations de rencontre. Dans larencontre interculturelle se jouent à la fois l’appar-tenance culturelle et la situation sociale des indivi-dus. Ces deux dimensions, en interaction perma-nente, sont à prendre en compte afin, dans unsecond temps, de dépasser les clivages sociaux etde respecter les diversités culturelles, en particu-lier en favorisant les modes d’expression et decréation.

Identités plurielles

parJoëlleCleret

etHélèneGisbert-

Demaret

A NA L Y S E

63

L’interculturel en question

“Toute approche qui prête attention à la diversi-té des cultures procède par comparaison”(Umberto Eco1).

Le feed-back de sa propre culture à l’autre cultu-re dévoile les similitudes. Cette recherche depoints communs fait aussi ressortir les différencesculturelles, bases de définitions imparfaites d’uneautre culture mais repères indispensables, à condi-tion qu’elles soient respectées, pour mieux se défi-nir soi-même.

“C’est en devenant conscient de sa subjectivitéet de ses mécanismes qu’on peut comprendre celled’autrui” (E.M. Lipianski2).

“Il vaut mieux traduire une culture dans sonpropre langage avec toutes les inexactitudes, leserreurs et les déformations que cela suppose que derester dans l’ignorance” (Umberto Eco1).

Le détour que provoque le voyage permet demieux percevoir ses propres réalités, sa propreappartenance culturelle. Mais le processus n’a desens que s’il ne se ferme pas. L’identité retrouvéeest un nouveau point de départ.

Le voyage est une séquence privilégiée de socia-lisation et de formation qui provoque sans cesseun mouvement.

“Les difficultés du travail interculturel (…) sontliées en profondeur aux problématiques identi-

taires, individuelles et collectives” (JacquesDemorgon3)

L’approche interculturelle est complexe lors-qu’elle mêle, au cours d’un même échange, diffé-rents groupes multiculturels des pays concernés.

Les rencontres de jeunes de quartiers à ce titresont éloquentes de complexité. La multiplicité descultures majoritaires/minoritaires au sein desgroupes internationaux influe sur la rencontre,enrichit les espaces interculturels mais rend plusdifficile l’apprentissage de soi et de l’autre. Lesminorités figées au sein d’un groupe peuvent seretrouver majoritaires dans un contexte d’échangesi le groupe est essentiellement voire uniquementcomposé de membres de cette minorité.

Le contexte échange ou voyage peut modifier lesdonnées multiculturelles établies sur un quartier,dans une ville, une nation.

“C’est le contexte social et historique qui susci-te, chez un groupe, la conscience minoritaire”(Deidre Meintel4).

Hors contexte, cette conscience minoritaire estébranlée, parfois sereinement, parfois violemment.

Le détour a provoqué le système établi. Le retourpeut alors s’avérer difficile à gérer suivant les indi-vidus et un suivi des effets d’un voyage s’avèred’autant plus indispensable ●

1. «La conditionminoritaire», in Courrier de l’Unesco, juin 1993.2. «Les dessousde la commu-nication inter-culturelle», in Sciences Hu-maines, n°16,avril 1992.3. L’explorationinterculturelle :pour unepédagogieinternationale,Armand Colin,1989.4. «Qu’est-cequ’uneminorité ?», in Courrier de l’Unesco, juin 1993.

MO I

AT É

G NG E

64

L’interculturel en question

Jour J, nous voilàtous réunis.Scrutant le regard

des uns et des autres.

Content de prendre l’avionvers un pays que je neconnaissais pas et encoremoins compréhensible pourmon patois gaulois, j’avaistout à coup l’impression dedevenir l’assisté de madameet monsieur tout le mondequi voudrait bien me prendreen charge. A part mesrivières et mes trous de rats,là où s’exprimait toute monénergie débordante et mespensées parfois délirantes,avec des souvenirs toutefoisinoubliables, je devais mettreen oeuvre une stratégie decivilisé issue d’une

personnalité égoïste maisgénéreuse. Un contrasteinexplicable maisvirtuellement présent dansses trois dimensions.

Je me sentais un peu vieilliface à des amisenthousiastes avec leurpatrimoine culturel différentdu mien. Autodidacte desurcroît et enrichi d’un passéparfois douloureux, jem’adaptais. Quelquespassages cafardeux suivisd’une euphorie et d’un vraiplaisir de vivre au milieu degens merveilleux,entrecoupés de quelquespensées lointaines un peunostalgiques, d’uneadrénaline contrôlée et d’unregard incertain vers

l’avenir, illustrèrent pourmoi le résumé de ce séjour.

A toute cette psychanalysede sentiments débordantsvient s’amalgamer uneréalité. J’étais bien àLondres et je découvrais unautre environnement avecdes personnes différentesmais proches de nous. Unaccueil chaleureux, uneorganisation calculée, unevolonté de bien faire pournous faire apprécier leurpatrimoine et nous faireappréhender les rouages deleur machine socio-politico-culturelle et financière.Mais... Le programme étaitbien chargé pour amorcerdes déclics spontanés versun dialogue riche en

English, I love you

“Témoignage

de CaptainJean-Claude,

participantd’un voyagede contact à

Londresdestiné à des

animateurs dejeunes.

65

L’interculturel en question

questionnement et favoriserun libre échange d’idées.L’approche des structureséducatives aurait pus’enrichir d’un supplémentd’information avant quenous puissions en découvrirles centres d’intérêts qui nese sont manifestés qu’aprèscoup. Ah, c’était chouette !Oui, une fois la visiteterminée. Ou alors c’étaitl’immobilisme cérébraldevant une structure qui nereprésentait pas le mêmeintérêt pour tout le monde.

Que reste-t-il de tout cela ?Une harmonie que l’on nepeut pas dissocier et quis’emmêle suivant troisprincipaux axes. Ladécouverte des institutionsau sens le plus large, une viecommune au sein de deuxgroupes différents et dessouvenirs éparpillés pendantnos moments de détente.

● ● ●

66

L’interculturel en question

La découverte dusystème éducatif, deformation et de préventiondans différents domaines, asuscité néanmoins le plusgrand intérêt. Mais on auraitpu se dispenser de certainesvisites. J’ai apprécié la visitesur le bateau, le grandcollège où nous avonsparticipé brillamment àrééduquer la voix avec destalents de compositeur, pourne citer que cela.

Une compréhension un peufloue dans leur façon degérer au mieux leur centre

d’intérêt avec cette notion devolontariat et d’âmescharitables m’a laissé pensif.

Mais on ne peut pasdiscréditer la présence d’unevocation qui reflète lesymbole d’une grandevolonté au service des plusdémunis. Et je suis restéadmiratif devant unejeunesse pleine d’élan, déjàcapable de prendre encharge et faire en sorte quenous, Français, puissionstrouver parmi leur richesseintérieure, l’accueil, lesavoir et la générosité.

Un autre fait marquant en cequi me concerne est laconvivialité qu’affichaientces personnes différentes denous, de par leur couleur,leur culture, leur mode devie et leur façon des’habiller. La tolérance danssa plus grande dimension etl’amitié chaque jourgrandissante, me donnent lesentiment qu’il ne devraitplus y avoir de guerre. Lerespect des valeurs morales,la reconnaissance des êtresdifférents, sont là untémoignage de sincérité.Mon plus grand souhait étaitbien sûr de revoir trèsrapidement toute cetteéquipe sur le sol français.

Notre vie commune durantce séjour ne peut que seréjouir de la dynamique quia vu le jour dès le départ.Quelques petits heurts tout àfait logiques n’étaient à monsens qu’une humeur

● ● ●

Les deux caractéristiques essentielles del’Anglais sont l’humour et le gazon. Sanshumour et sans gazon, l’Anglais s’étiole etse fane (…). L’Anglais tond son gazon trèscourt, ce qui permet à son humour de volerau ras des paquerettes. Commentreconnaître l’humour anglais de l’humourfrançais ? L’humour anglais souligne avec

amertume et désespoir l’absurdité dumonde. L’humour français se rit de ma bellemère. Alors que le porc et le Français sontomnivores, l’Anglais mange du gigot à lamenthe, du bœuf à la menthe, du thé à lamenthe, voire de la menthe à la menthe.Pierre Desproges, Les étrangers sont nuls ,Seuil, Collection Point Virgule, 1992.

67

L’interculturel en question

passagère vite réconciliée.Mais ils ont exprimé ce quenous sommes, différents lesuns des autres, ce qui fait larichesse et consolide lespiliers d’une démocratie.J’ai énormément apprécié legroupe que nous formions etje n’ai jamais eul’impression qu’à un momentdonné l’équipe se déchirait.Nous avons peut-être prouvéque nous pourrions repartirensemble et ce seraitformidable. Mais qui peutprédire l’avenir, si ce n’estl’incertitude de tous lesjours, le souci de trouver dutravail, peut-être pourd’autres de fonder un foyerou encore de s’expatrierdans d’autres régions duglobe. Les souvenirs sontpourtant bien présents et ilserait dommage de leseffacer sans en retirer lebénéfice culturel etémotionnel que nous avonstous vécu.

Et les soirées ? On ne peutpas oublier les parties decanassons, les longs repaspris ensemble, les parties deflipper, les cafards dans leschambres, le Campwell deLondres, sa cuisine indienne,cette odeur de dépaysement,le métro, les puces, leminicar où se dévoilait lapersonnalité de chacun,Camilla formidable commetous les autres, le racket, etpour ma part mes premierspas de danse moderne.

Qui peut l’oublier ? ●

En premier lieu, la réciprocité, larépétition et l’inscription dans la durée del’échange (p. 69) ainsi que le choix duthème (p. 74) sont des principespédagogiques de base pour que se nouele dialogue entre deux cultures.Ensuite, différentes approches sontprésentées : le Décryptage interculturel(p. 76), mode de communication non-verbal fondé sur l’expérience des sens - dont Décodage, Bauduen, Mai (p. 79)nous en fait goûter les prémices - ; Lalangue : barrière ou tremplin (p. 80)dans la découverte de l’autre culture ;enfin, Quand l’interculturel se confronteà la création (p. 88) ou les atouts del’acte de création comme dynamiquecentrale d’une rencontre.

68

Deu

xièm

e ch

apitr

e

les conditions de la rencontre

69

L’interculturel en question

n ’est pas un mutant culturelqui veut, il y faut l’acharne-ment, le courage et peut-être

le brin de folie qui habite tous lesgrands médiateurs.*

L’opposant au mondialisme, symbolisépar les parcs d’attraction Disney, et dont

il dénonce la facilité et la tendance àaffadir, à émousser les cultures en les uni-

formisant, Pascal Bruckner insiste sur la dif-ficulté du cosmopolitisme, quête d’une iden-

tité en mouvement, nourrie de plusieursappartenances culturelles.

Comment alors prétendre, non pas faire desparticipants à un voyage ou à une rencontre plu-

rinationale des cosmopolites achevés - tel n’estpas notre propos - mais au moins les sensibiliser

aux perspectives d’une telle ouverture, leur faireprendre conscience des enjeux liés à la découverte

d’une autre culture et leur donner l’envie de s’engagerdans une aventure au long cours ?C’est là qu’interviennent les notions de réciprocité, derépétition et d’inscription dans la durée lorsque l’onconstruit des échanges avec d’autres pays. Car il seraitvain de croire qu’un seul voyage à l’étranger, mêmequand il est entièrement conçu dans une optiqued’exploration interculturelle, parvient à enclencher ceprocessus pour tout un chacun. Ni que la rencontre seproduit automatiquement pourvu que l’on donne auxindividus la possibilité matérielle de se déplacer.

Une préparation commune

Quitte à énoncer une lapalissade, la première condi-tion, nécessaire mais non suffisante, réside dans la pré-paration commune du programme par des animateursou des équipes implantés dans le pays d’origine desparticipants et dans le pays d’accueil, y com-

Le parti-pris de réciprocité,continuité et répétition

parCorinneBaudelot

* PascalBruckner, “Faut-il êtrecosmopolite ?”in Esprit, n°187,décembre 92.● ● ●

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

70

L’interculturel en question

pris lorsqu’il s’agit simplement d’organiser leséjour à l’étranger d’un groupe mononational. Sinon, lerisque est grand pour un concepteur unique de ne don-ner à voir que ce que lui-même aura repéré en fonctionde ses expériences antérieures et de ses prédispositionsculturelles.

Mais cela ne s’improvise pas, et les complexités de lacommunication entre deux cultures s’y font sentir claire-ment quand bien même les organisateurs sont de partet d’autre de vieux routards de l’international. Ce tra-vail de préparation exige donc une connaissance réci-proque qui ne se limite pas à la seule dimension linguis-tique ou culturelle mais qui prend aussi en compte lescaractéristiques des organismes en présence (leursorientations, leur composition, leur mode de fonctionne-ment et leur spécificité d’intervention, leurs ressourceshumaines). D’où l’intérêt que représente la constitutionde partenariats durables avec des structures dont la phi-losophie - sans être bien évidemment un équivalent par-fait - soit néanmoins compatible avec la nôtre ou avecle projet sur lequel la collaboration doit porter.Pourtant, si le renouvellement constant des partenairesse révèle dangereux, on assiste également au phénomè-ne inverse, lorsque les équipes ou les individus engagésensemble sur une opération ont le sentiment de seconnaître si bien qu’ils ont alors tendance à faire l’éco-nomie d’un certain nombre d’étapes intermédiaires, declarifications du projet et de son contexte de réalisation.

La nécessité de réciprocité

Ensuite, on ne peut se contenter de faire voyager ; et laréciprocité doit s’appliquer aussi bien aux participantsqu’aux organisateurs. Autrement dit, quand on chercheà provoquer un dialogue entre deux cultures, quelleque soit l’échelle de cette ambition, il faut tenter decombiner déplacement à l’étranger et accueil dans sonpropre pays. En effet, impliquer les participants dans laréception d’un groupe étranger, en amont ou en avald’un voyage dans le pays de ce dernier, présente plu-sieurs avantages dans la perspective de “conscientisa-tion” et d’enrichissement qui nous occupe :• d’une part, cela contribue à valoriser à leurs propresyeux l’environnement local qui est le leur et qui devientainsi un centre d’intérêt partagé ;• en second lieu, cela leur permet d’appréhender ununivers quotidien à travers le regard d’autrui, dans unmouvement de distanciation, qui peut se traduire ensui-te par un enracinement encore plus fort ou par un cer-tain degré de détachement ;• enfin, cela les amène dans bien des cas à découvrirdes aspects inattendus ou restés jusqu’alors inconnus deleur “territoire”, qu’il s’agisse de données historiques,géographiques, socio-économiques, politiques ou cultu-relles, que leurs activités habituelles ne leur avaient pasdonné l’occasion d’intégrer, mais que les composantesdu programme, lors de la préparation ou pendantl’accueil, vont utiliser.

● ● ●

71

L’interculturel en question

Bien sûr, il ne faut pas tomber dans la systématisation,et selon le profil des personnes auxquelles on s’adres-se, il pourra être plus judicieux de les décaler un peu,c’est-à-dire d’élargir en même temps leur connaissancede la France en les installant dans un autre lieu ou uneautre région, surtout lorqu’ils ont eu tendance, par incli-nation ou par la force des choses, à se confiner dansleur village, leur quartier ou leur ville.

Les enjeux du vivre ensemble

Par contre, on voit bien l’intérêt que revêt dans cecadre la cohabitation dans un même lieu d’héberge-ment des participants français et étrangers : elle intro-duit une proximité de fait et facilite l’appréhensionimmédiate de ressemblances ou de différences entre lescomportements liés aux deux ou trois cultures en pré-sence sur des activités très pragmatiques - les courses,la cuisine, l’organisation et la répartition des tâchesmatérielles, les réactions face au programme et auxhoraires, etc... - qui sont induites par le partage de lavie quotidienne.

Mais une telle cohabitation n’est pas toujours facile àinstaurer lorsque l’accueil se produit tout près de la rési-dence des participants français, soit qu’elle représenteun surcoût financier, soit qu’elle se heurte à la volontéde ceux-ci de ne pas casser leurs habitudes ou à leur

difficulté à saisir a priori les enjeux d’une vie en com-mun avec le groupe étranger pendant la durée de sonséjour. Non seulement les premiers y perdent une occa-sion de vivre la rencontre interculturelle, mais lesseconds peuvent alors se trouver assez isolés - à plusforte raison lorsque, pour des critères écono- ● ● ●

72

L’interculturel en question

miques et organisationnels, ils sont logés dansun équipement un peu excentré - et être enclins às’enfermer dans la reproduction en vase clos de leurshabitudes culturelles pour compenser cet isolement.Dans ce cas, choisir un tiers lieu, suffisamment éloignépour que les «accueillants» n’aient pas le loisir de ren-trer chez eux le soir, peut également constituer un atout.

L’autre écueil réside précisément dans le fait qu’ungroupe pluri-national ainsi soudé par un hébergementcommun et l’organisation d’une vie collective tend àcomposer ainsi un peu artificiellement une communautéelle-même imperméable au contexte environnant, auxévénements et aux gens qui l’entourent. C’est pourquoiles animateurs responsables du projet doivent, dans laconception du programme, veiller à faire alterner desmoments de décentrage - en organisant des activitésqui ouvrent le groupe sur l’extérieur - et de recentrage -qui permettent aux participants de se retrouver entreeux. Cette alternance a une double fonction : elle éviteou tempère l’écueil évoqué à l’instant mais elle préser-ve aussi l’existence de temps de «digestion» pour legroupe, c’est-à-dire la possibilité de revenir, de façoninformelle ou organisée, entre participants de mêmenationalité ou dans des discussions plurinationales, surles expériences vécues «au dehors», chacun confron-tant par conséquent sa perception, ses observations etréactions à celles d’autrui.

Avec un groupe mononational transplanté dans un envi-ronnement étranger, le risque d’un repli et de la recréa-tion artificielle des conditions de vie qui lui sont fami-lières est encore plus prégnant. Dans ce type de voya-ge, la dimension de l’échange repose donc exclusive-ment sur les rencontres fortuites ou programmées quivont s’instaurer au fil des activités avec des acteurslocaux. De telles occasions peuvent effectivement être lefruit des circonstances (voir pp. 41 de la 1ère partie,Préserver le hasard), mais en tant qu’animateur, il seraitléger de s’en remettre entièrement au hasard et de nepas inclure, dans les propositions qui sont faites, desséances susceptibles de provoquer des contacts avecdes personnes extérieures au groupe.

Continuité temporelle et thématique

On l’a vu précédemment, le parti-pris de réciprocité,qui nous semble essentiel dès lors que l’on revendiqueun objectif d’interculturalité pour des actions internatio-nales, s’incarne dans la conjugaison d’accueils etd’envois. Celle-ci contribue non seulement à donner auterme d’échange toute sa teneur, elle inscrit aussi ladécouverte dans la durée en prévoyant deux rencontressuccessives. Un apprentissage interculturel ne se faitpas en un jour ni en quinze : il se construit dans letemps et exige un minimum de continuité entre les deuxvolets d’une même opération. En d’autres termes, il sup-

● ● ●

73

L’interculturel en question

pose que l’on parvienne autant que faire se peut à pré-server la composition du groupe initial, à quelquesmois, voire à une année d’intervalle. Ceci est loind’être aisé surtout si l’on cherche à faire participer desstagiaires dont le cursus de formation ne couvre pas engénéral la durée qui sépare l’envoi et l’accueil ; unefois chacun reparti dans un autre contexte que celui quiavait présidé à son implication dans le projet, la démo-bilisation semble difficile à éviter, à plus forte raisonquand il ne s’agit plus que d’accueillir le groupe étran-ger et que le voyage dans l’autre pays a déjà eu lieu.Cependant, on peut corriger cette note pessimiste ensoulignant l’observation faite par de nombreux anima-teurs : même si l’expérience se limite à la première par-tie d’un échange, un déclic s’est produit le plus souventgrâce aux relations humaines, interpersonnelles, ami-cales ou amoureuses qui ont vu le jour à cette occa-sion ; il n’est donc pas rare que des contacts se pour-suivent en dehors du cadre organisé d’une rencontrebi- ou pluri-nationale.

Penser les mécanismes d’exploration interculturelledans la durée, cela implique en outre que l’on envisa-ge les apports et les limites d’une continuité thématiqueentre les différentes phases d’un échange. Car enl’absence de passerelles, de renvois ou de résonancesentre l’accueil et l’envoi, on aboutit en général à unphénomène de déperdition, comme si les deux tempsse recouvraient ou s’annulaient au lieu de s’ajouter et

de se compléter. Concrètement, créer des correspon-dances entre les éléments des programmes prévus danschaque pays peut faciliter la progression d’une séquen-ce à l’autre et les faire jouer comme des étapes com-plémentaires à l’intérieur d’un processus d’apprentissa-ge interculturel.Là encore, il ne s’agit pas de tomber dans une repro-duction systématique des activités proposées, mais depermettre la comparaison entre plusieurs cultures (deuxou plus) dans des domaines où les participants seulsn’auraient pas la possibilité d’établir des parallèles, enfonction donc du profil du public ou du degré d’organi-sation que cela nécessiterait : visites de grandsensembles ou d’usines, découverte de l’histoire d’uneville, présentation d’une filière de formation ou d’unebranche professionnelle, approche des stratégies dedéveloppement touristique d’une région, choix enmatière de protection de l’environnement, analyse desphénomènes de racisme et de la place faite aux minori-tés, étude des dispositifs de traitement social du chôma-ge, etc.Enfin, même si leur organisation répond aussi àd’autres objectifs, en termes de mobilité professionnellenotamment, il faut mentionner ici la supériorité manifes-te des stages d’immersion - stages qui se multiplient àl’heure actuelle dans la dynamique de constructioneuropéenne - étalés sur plusieurs semaines ou plusieursmois, par rapport à des échanges de courte durée ●

74

L’interculturel en question

Le thème au service de la rencontre

choisir un thème, c’est identifierle projet voyage en termes decollectif. C’est lui donner un

titre, un sens, un contenu.Le choix du thème influence la structure

du projet en termes d’organisation (pré-paration, programme). Il lui donne aussi

une couleur, une saveur.Le thème peut se définir comme fil conduc-

teur prétexte à l’adhésion des participants. Ilconstitue le point d’ancrage sur lequel repose

la rencontre, à condition toutefois qu’il nemasque pas les enjeux véritables du voyage.

Il doit davantage agir comme un révélateur, unsupport privilégié pour susciter la communication

et non pas constituer une fin en soi qui aurait uneffet réducteur sur la rencontre.

Pour cela, la préparation en amont mais aussi larégulation pendant le voyage sont capitales pour cla-

rifier l’approche pédagogique choisie.

Prenons l’exemple d’une rencontre sportive de basketavec un public 15-18 ans, jeunes chômeurs. Le thèmepeut favoriser l’esprit de compétition, engendrer la fer-meture et la non-communication si la rencontre desjeunes se fait uniquement par et pour l’activité elle-même. Imaginons la même rencontre sportive oùl’approche pédagogique choisie met en avant le parta-ge, la reconnaissance des uns et des autres et la coopé-ration. Le même thème et les mêmes conditions exté-rieures (destination, durée, public) peuvent alors débou-cher sur un véritable échange interculturel et non plussur une cohabitation tolérée.

Le choix d’un thème implique donc une réflexion enamont sur les finalités et sur le choix d’une méthodepédagogique appropriée à ces finalités. Souhaite-t-on ladécouverte intellectuelle, sportive ou scientifique de telou tel sujet ? ou bien laisse-t-on la porte ouverte à l’ima-ginaire, au rêve, à l’inattendu, qui sont les ingrédientsindispensables à une véritable communication ?

parFrançoise

Navel-Brugnon

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

75

L’interculturel en question

Les différentes approches utilisées en complémentaritéfavorisent l’ouverture par la diversité et la richesse deslangages utilisés.La découverte du thème doit se faire avec beaucoup desouplesse afin de permettre aux participants de pouvoiraussi s’en échapper.Cette liberté d’action entraîne l’émergence de thèmesindividuels, qui alimentent les échanges et construisentvéritablement la rencontre. L’aller-retour du thème prin-cipal aux sous-thèmes ainsi dévoilés facilite l’apprentis-sage et la communication à l’intérieur et à l’extérieur dugroupe.

Le thème d’un voyage nécessite d’être exploré de façonlarge et diversifiée afin de ne pas occulter les diffé-rences interculturelles et de favoriser leur expression.C’est avant tout un moyen qui, replacé dans le contexteglobal des finalités du voyage, constitue un élémentdynamique, support de la rencontre, au service d’unepédagogie appropriée à l’échange international ●

76

L’interculturel en question

Décryptage interculturel

l a méthode de décryptage,théorisée par Pierre Sansot,professeur de philosophie à

l’université de Grenoble, a commencéà être appliquée dans le contexte des

échanges interculturels par l’Office fran-co-allemand pour la jeunesse au moment

de la réunification allemande. En effet,l’OFAJ cherchait un mode d’approche dif-

férent de la rencontre interculturelle suscep-tible d’aider les animateurs des nouveaux

Länder (ex-RDA) à appréhender le contextefrançais.

Le décryptage s’adresse donc essentiellement àdes personnes qui ne maîtrisent pas du tout la

langue du pays dans lequel elles se trouvent ; illeur permet d’entrer en contact et de découvrir le

pays et la culture sans utiliser la communicationverbale. Cette méthode a un sens tout particulier

dans un contexte multilingue, a fortiori lorsque mêmel’alphabet pose des problèmes de compréhension.

Cette démarche empirique consiste à appréhenderl’autre culture à travers l’approche sensorielle. Si levoyage (r)éveille naturellement et spontanément nossens (il en a été largement question dans le chapitreprécédent), le décryptage est un exercice conscient etdélibéré par lequel on s’efforce d’être particulièrementattentif à ce que l’on fait et à ce que l’on voit, ons’attache à révéler ce qui motive et éveille l’utilisationde nos sens. ll s’agit donc de se mettre soi-même enquestionnement, de s’ouvrir, tous sens à l’affût, à sonenvironnement afin d’en capter toutes les richessesvisibles et moins visibles (voir l’encadré ci-contre). La méthode demande un effort d’attention mais égale-ment du temps. On pourrait l’identifier à une sorte de«savoir de la lenteur», philosophie qui peut paraître endécalage, voire en porte-à-faux avec la tendancequ’ont nos sociétés occidentales à faire de la vitesse ungage d’efficacité.

Concrètement, dans le contexte d’un échange intercul-turel, la pratique du décryptage s’appuie sur un guided’observation préalablement déterminé par l’équiped’animation (voir l’exercice pratique présenté p. 78).

Proposrecueillis

auprès deJean-Luc

Menu

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

77

L’interculturel en question

Les participants de l’échange ont pour consigne, sur labase de ce guide, individuellement ou en petitsgroupes, de recueillir et rassembler des observationsliées à un périmètre donné. L’élaboration d’un tel guide et l’encadrement du groupedans cette démarche nécessitent de la part des anima-teurs une bonne connaissance du contexte à décrypter.Par ailleurs, la méthode présente davantage d’intérêtdans un village ou une petite ville ou bien, le caséchéant, dans un quartier.Les observations recueillies sont ensuite mises en com-mun ; ce temps collectif a pour objectif de prolongerles données empiriques pour émettre des hypothèses

sur certains aspects de la culture du pays, en particulierson histoire et sa géographie (physique, sociale,humaine).A ce stade, afin de confronter les observations à la réa-lité et d’éclairer telle ou telle facette de la culture, il estintéressant d’intégrer au programme de la rencontredes contributions locales, sous la forme de conférences,de témoignages, de spectacles folkloriques…La méthode de décryptage, aujourd’hui fréquemmentutilisée dans les échanges internationaux, présente demultiples atouts. Sans exclure la nécessité d’un interprè-te, elle transforme l’obstacle de la langue en moyen decommunication interculturelle.

L’EXPÉRIENCE DE NOS SENS

Partout, à la maison,sur le lieu de travail,dans le train, avecdes amis, tout seuldans un café, enattendant le train,quand on est triste,de bonne humeur…

➔ Qu’est-ce que jevois ?Voir intensément :couleurs, hommes,

bâtiments, espaces,ciel, figurations,nuages, mouvements,pauvreté, animaux…Voir, c’est quelquechose de passionnant! Je vois quelquechose, qu’est ce quecela signifie ?➔ Qu’est-ce quej’entends ?sons intenses : voix,musique, cris,klaxons, braillements,enfants, adultes,animaux, sirènes

d’alarme, pleurs…Quels sons ?Produits par qui ?Qu’expriment-ils ?➔ Qu’est-ce que jesens par le toucher ?Sentir intensément :vent, air frais, airchaud, rayons desoleil, sable mouillé,pierres dures. Etencore ? Avec mesmains, ma peau, moncorps ?➔ Quelles odeurs ?Odeurs intenses :

feuilles moisies, gazd’échappement, fast-food, pizzerias,boulangeries, gazindustriels, stationsd’épuration,cigarettes, boissonséventées, fleurs...Quelles odeursindéterminablesapporte le vent ?➔ Qu’est-ce que jegoûte ?Goûter intensément :une framboisecueillie, de la glace,

du chocolat, desbonbons, des repas...Qu’est-ce qu’on peutencore laisser fondresur la langue ?Les réactions de nossens évoquent dessituations antérieu-res, font le lien avecce que nous avonsdéjà vécu comme joieou terreur, rappellentdes souvenirs etouvrent un chemindans un mondemultidimensionnel.

● ● ●

APPRENDRE ÀDÉCHIFFRER

CE QUE NOUS VOYONS

Promenez-vous dans lequartier à pied ou envoiture. Retenez leparcours que vous avezchoisi et faites attention,en prenant des notes, auxéléments suivants :

• Les rues➔ revêtement, tracé,intensité du trafic,pollution sonore,usagers.

• Le quartier➔ structuration del’environnement :magasins, maisons,bureaux, zonepiétonnière, espacesverts ;➔ position(géographique)

par rapport à l’ensemblede la ville ;➔ impression générale :monotone, uniforme,vivant, varié…

• Les bâtiments➔ utilisation : bureaux,logements, entreprises ;➔ état ;➔ architecture, matériauxde construction, âge ;➔ espaces verts, parcs.

• Les hommes➔ que font-ils ?➔ origine➔ vêtements, mimiques,âge…

Et encore ? Commentvous sentez-vous dans lequartier ? Rapportezquelque chose de ce quivous a impressionné.

78

L’interculturel en question

Combinée à d’autres activités, elle permetd’intensifier l’appréhension d’un lieu et, par extension,d’un pays et d’une culture. Enfin, elle a l’avantage d’alterner des temps individuelset collectifs, et d’être applicable avec tous les publics ●

● ● ●

MO I

AT É

G NG E

79

L’interculturel en question

Ce matin, soleilchaud, calme plat.Le lac frissonne,

des mouettes se chamaillent.Dans le lointain lesbûcherons ont entamé lavalse de la Cognée. Unebonne odeur de fumée sediffuse dans l’air.

Après un petit déjeuner surla terrasse, j’ai pris mesaquarelles et je suis montésur les hauteurs.

En chemin j’ai observé unpapé qui nourrissait sescochons, en sifflotant. Audétour d’un sentier j’ai

trouvé des mûres, douces,savoureuses.

Là-haut, assis au milieu dela lavande, du thym, duromarin, je fixe le paysagesur mon papier.

En bas, dans le village jeperçois les premièresagitations matinales. Lacloche du village sonne septcoups.

Au retour, je flâne sur lemarché. Les gens blaguenten patois. Des odeurstaquinent mes narines :lavande, fruits, herbes deProvence. Tout demande àêtre goûté.

Pour encore mieuxapprécier, j’ai pris un cafésur la place du village, je mesuis «entassé» dans unfauteuil et j’ai savouré cetinstant ●

Décodage…Bauduen

en mai

“parJean-LucMenu

80

L’interculturel en question

l a plupart des autresthèmes de cet ouvrage, s’ilssont abordés à l’intérieur

d’une écriture singulière, ont auparavant toujoursfait l’objet d’une exploration collective au sein denotre groupe. Par contre, celui du rapport à ladimension linguistique d’un voyage ou d’unéchange n’a été qu’évoqué au cours du séminaired’analyse des pratiques qui a donné naissance àcet ouvrage pluriel : même si chacun s’accordait àreconnaître qu’il s’agissait là d’un aspect essentielde la rencontre interculturelle, les expériencesd’animation relatées par les uns et les autres n’yfaisaient que peu allusion.

Pourtant, plusieurs associations de notre réseauorganisent des cours de langue, soit pour préparerspécifiquement un groupe de jeunes avant unstage à l’étranger, soit pour offrir en dehors ducontexte scolaire un espace de découverte et de

pratique linguistique susceptible d’encourager oud’accompagner l’ouverture à d’autres cultures.

Pourquoi alors cette difficulté ou cette apparenteindifférence, constatée à plusieurs reprises endehors même du séminaire, vis-à-vis de la ques-tion de la langue ?

Un premier élément d’explication tient aucontexte général, marqué par un phénomène,encore puissant en France malgré la constructioneuropéenne, de fermeture ou de repli linguistique :héritage d’une tradition politique et éducative où“l’excellence” du français a été imposée de façonparfois très brutale aux dépens des langues régio-nales, survivance de plusieurs siècles d’hégémonielinguistique dans les relations internationales (àtravers des vecteurs aussi contrastés que le rayon-nement des idées et de la littérature, le colonialis-me et la diplomatie).

La langue : barrière ou tremplin

parCorinne

Baudelot

A NA L Y S E

81

L’interculturel en question

A Peuple et Culture comme ailleurs, la pratiquecourante d’autres langues étrangères n’est pas for-tement répandue, malgré le nombre de voyagesorganisés et l’importance accordée à la dynamiqueinterculturelle. Ainsi, il est significatif de constaterque si les échanges avec l’Allemagne sont les plusfréquents, rares sont les animateurs et respon-sables de nos structures qui ont éprouvé le besoinde se familiariser avec l’allemand, contrairement àleurs homologues d’outre-Rhin qui sont beaucoupplus nombreux à faire l’effort d’un apprentissagesouvent assez poussé du français. Cela signifiedonc que, côté français, la responsabilité de lacommunication linguistique est majoritairementtransférée vers des “spécialistes”, professeurs, étu-diants et/ou interprètes tout comme peut-être larédaction de ce texte est revenue à l’ancienne étu-diante, apprentie linguiste et professeur de langueque je suis.

Cependant, au-delà de l’analyse un peu négativequi précède et qui reflète à l’envers mon attache-ment familial, personnel et prosélytique au pluri-linguisme, il existe un versant tout à fait positif àcet état de fait : la revendication du droit desmonolingues à voyager et du devoir des organisa-teurs que nous sommes à leur en offrir toutes lespossibilités. Pour l’avoir parfois expérimenté poureux-mêmes, les animateurs de Peuple et Culture

sont en effet sensibles à la nécessité de ne pas fairedes monolingues «des handicapés de la rencontre»et ainsi de les dévaloriser à leurs propres yeux ;d’autant qu’en fonction de la destination ou descaractéristiques du groupe étranger accueilli, cha-cun peut se retrouver dans une situation où leslangues font obstacle.

Dans le cadre de séjours de courte durée, dansdes pays divers, non seulement il serait élitiste defaire de la connaissance linguistique un préalable,mais il serait également réducteur de concevoir larencontre autour de ce seul aspect. De nombreusesrecherches l’ont montré, à l’intérieur même d’unelangue la communication ne se limite pas à ce quiest dit : mimiques, postures, environnement,contexte, vécu antérieur et références implicites(individuelles, sociales ou culturelles), statut desinterlocuteurs, tous ces éléments influent sur lemessage et participent à la construction du sensque prend un échange verbal entre deux ou plu-sieurs personnes. Au quotidien, pris dans lesapparences de la communauté linguistique et lecocon rassurant de la langue maternelle, nousavons tendance à ne pas y prendre garde, à croireque rien ne vient interférer avec ce que nouscroyons être une signification préétablie et imper-turbable des mots et de leur combinaison. Aller àla rencontre d’un autre dans un contexte où a prio-ri, du fait même d’appartenances natio- ● ● ●

82

L’interculturel en question

nales différentes, la langue fait barrière, celapermet en quelque sorte de prendre conscience dela complexité des phénomènes de communication(y compris à l’intérieur de sa propre langue), d’enréhabiliter toutes les composantes, d’en (re)décou-vrir tous les modes et, entre autres, les richessessouvent perdues depuis l’enfance du non-verbal.

Aussi la présence de monolingues dans un grou-pe constitue-t-elle un atout, à condition bien évi-demment qu’elle ne soit pas occultée par le recourssystématique à la traduction, au détriment del’exploration d’autres supports/vecteurs d’appré-hension et de représentation de soi, d’autrui et dumonde, comme la photo, le dessin, la vidéo, lemime, la danse et l’approche corporelle, le théâtre,

● ● ●

LORSQUE LE THÉATRE VIENT

METTRE EN SCENE UN MESSAGE

Un échange franco-allemand-britannique a réuni pendant unesemaine des jeunes adultes, auchômage ou dans dessituations professionnellesprécaires.Les organisateurs sont partisdu principe que la majorité desparticipants ne parlerait pas dedeuxième langue, et l’inventiondramatique a donc été proposéecomme outil principal decommunication. Les membresdu groupe britannique étaienttous des chômeurs de la ville deConsett, dans le nord-est del’Angleterre, et avaientrécemment perdu leur emploilors de la fermeture subite de

l’usine sidérurgique.Pour faire comprendre auxFrançais et aux Allemands letraumatisme vécu avec cettefermeture, qui avait augmentémassivement et brutalement untaux de chômage déjà élevé,l’amenant à un niveau record enGrande-Bretagne, ils ontimprovisé une série de scènescourtes. Ayant présenté leurspectacle, ils furent choqués deconstater que ni les Français niles Allemands n’avaientcompris l’importance centralede la fermeture de l’usine.Piqués au vif, ils ont fait unénorme effort pour modifier leurmise en scène afin de fairepasser l’essentiel de leurmessage. A l’aide dediapositives projetées sur un

mur, ils ont reproduit, surpapier et en grand, l’usinesidérurgique. Des lignes et descouleurs agressives donnaientà leur dessin un caractère à lafois cru et expressif. Cette ima-ge leur a ensuite servi d’arrière-plan, occupant tout le murdevant lequel ils ont rejoué leurpièce. Comme lors de lapremière représentation, lecontremaître a sifflé pourmarquer la fin du travail en cedernier jour d’ouverture mais ila aussi posément et délibéré-ment décroché le dessin del’usine ; avec lenteur, avec révé-rence même, il l’a porté jusqu’àl’avant de la scène, le montrantavec insistance à la salle et indi-quant une froide colère. Ainsi,par ses gestes et par leur len-

teur calculée, il ne laissaitaucun doute quant au poids et àla portée de son message. Puis,avec la même froideurdélibérée, il a commisl’impensable en déchirant ledessin en plusieurs grandsmorceaux. La destruction d’unetelle création qui, de touteévidence, avait demandé denombreuses heures de travailcollectif, symbolisait avec forcela disparition de l’usinesidérurgique et exprimait bienles émotions provoquées parcet événement dramatique.

Expérience citée par TomStorrie, in L’avantage d’uneparticipation monolingue dansles échanges internationaux ,1996.

ou le “décryptage”… (voir les différents textes dece chapitre et le récit d’expérience ci-contre).

Une fois réaffirmé le fait que la communicationne se limite pas au seul canal linguistique, a fortio-ri lorsqu’elle se noue dans le cadre de rencontresinternationales, on ne peut néanmoins fairel’impasse sur le rapport singulier qu’entretiennentlangue et culture et sur ses conséquences dans unprocessus d’ouverture interculturelle.

Sans entrer dans la complexité des théoriesdéveloppées par linguistes, philosophes et neuro-logistes depuis le début du XXème siècle sur laquestion de l’acquis et de l’inné, et sur l’existence,au-delà des différences culturelles, d’universaux dulangage correspondant à des opérations mentalesidentiques, la dimension verbale des échangesentre cultures renvoie immanquablement à un cer-tain nombre de principes généraux :

• « Ce que nous donne la nature, ce n’est pas lalangue, c’est l’aptitude au langage. Ce que nousdonne une culture, c’est la possibilité d’acquérir lalangue qui caractérise celle-ci » (Marina Yaguello,Catalogue des idées reçues sur la langue, Seuil,Collection Point Virgule, 1988, p. 21) ;

• « La langue est un instrument à agencer lemonde et la société, elle s’applique à un mondeconsidéré comme “réel” et reflète un monde“réel”. Mais ici chaque langue est spéci-

83

L’interculturel en question

* On citera unseul exemple,repris parpresque tousles cours delinguistique :celui dudécoupage duspectre descouleurs quivarie d’unelangue à l’autreet qui fait mieuxcomprendre ladifficulté d’unpetit enfant às’approprier lesnoms descouleurs.● ● ●

84

L’interculturel en question

fique et confirme le monde à sa manièrepropre » (Emile Benveniste, Problèmes de linguis-tique générale, Gallimard, 1966, p. 82, cité parMarina Yaguello dans Alice au pays du langage,Seuil, 1981, p. 96).

Qu’il s’agisse du choix et de la combinaison dessons (phonétique et phonologie), de l’organisationde mots en phrases (syntaxe) ou du découpage dela réalité en unités de sens et de leur articulationen énoncés (sémantique), les langues se caractéri-sent par leur extrême diversité*. Malgré cela,l’exercice de la traduction est possible et permetdonc de rechercher des équivalences, mêmeimparfaites et approximatives, entre ces différentssystèmes conventionnels que sont les langues.Mais au-delà, tout comme la comparaison demodes de vie contrastés ou le spectacle de pay-sages jusqu’alors étrangers, le processus d’acquisi-tion d’un autre code linguistique peut ouvrir denouvelles fenêtres sur le monde et sur soi-même.Sans aspirer au bilinguisme, on peut parfois mêmese découvrir autre, libérer toute une part d’expres-sion, voire d’invention dans une nouvelle langue,et ce d’autant plus qu’on n’en maîtrise pas toutesles normes, dont l’ignorance nous fait alors retrou-ver l’audace de nos débuts dans le monde du lan-gage.

L’approche d’une autre langue, en ce qu’elle estle reflet d’un ensemble de traits culturels, peut

participer de la découverte de la culture danslaquelle elle s’inscrit et contribuer ainsi à la riches-se de l’expérience interculturelle, de même qu’enretour, la prise en compte de la culture du payscontribue à une meilleure maîtrise de la languedans son utilisation concrète. Il ne s’agit pas làd’effets automatiques mais de processus à la foislents et fragiles, à cause de la relation complexequ’entretiennent langue et culture, et des rapportsde force qui existent, de manière réelle ou suppo-sée, entre deux langues et/ou deux cultures*.

La participation ponctuelle à un voyage ou àl’accueil d’un groupe étranger ne suffit évidem-ment pas. Cependant, si la plupart des rencontresque nous organisons n’ont pas pour vocation pre-mière d’être des séjours linguistiques, il me semblequ’elles sont au moins potentiellement des espacesprivilégiés de sensibilisation, d’exposition à ladiversité des langues. En particulier, en intégrantaux échanges verbaux la chaleur des relationshumaines, en faisant toucher du doigt la réalité àlaquelle la langue étudiée renvoie, elles donnentdu sens à un apprentissage parfois vécu dansd’autres contextes - celui de l’école encore biensouvent - comme refermé sur lui-même et trop exi-geant ; les acquisitions de vocabulaire ou de gram-maire sont ainsi ramenées à leur juste place, auservice de la communication, et la peur de la fauteest peu à peu supplantée par le plaisir de la décou-

● ● ●

* Sur cesquestions, voir

«L’enseignementdes langues etdes cultures», in Educations,

n°6, décembre1995,

et JacquesDemorgon,

ouvrage cité,chapitre V,

pp. 127-160.

verte. De telles situations peuvent donc avoir uneffet déclencheur, donner ou redonner goût à lalangue ; pour peu, bien sûr, que cette dimensionne soit pas occultée et qu’il ne s’agisse pas d’uneaventure isolée, sans lendemain (voir, à ce propos,dans ce même chapitre, Le parti pris de réciprocité,continuité et répétition, pp. 69 et sq.).

Cela peut passer par un ensemble d’activités etde partis pris qui ne sont pas cités ici comme desingrédients incontournables, encore moins desrecettes clé en main, mais comme des éléments àexpérimenter en fonction des participants et desobjectifs d’un voyage ou d’un échange :

• en réservant tous les jours un ou des tempsconsacrés spécifiquement à une animation linguis-tique, sous forme ludique, avec ou sans supportsécrits, en s’appuyant sur des situations simplesvécues par le groupe ;

• en préservant des moments, dont la durée seravariable selon le public et son degré de réceptivitépar rapport à une telle expérience, d’exposition àla langue (via un spectacle, un film, une visitecommentée ou une mini-conférence, en calant latraduction pour qu’elle ne se fasse pas exclusive-ment en simultané) ;

• en ayant recours, pour des personnes ayantdéjà un début de pratique dans la langue, à laméthode “tandem” (voir encadré ci-contre).

En dehors de ces activités et temps ciblés, lacommunication verbale doit donc être rendue pos-sible par une ou plusieurs personnes qui assurentla fonction de traduction.

Le fait que les animateurs qui accompagnent unvoyage ou une rencontre pluri-nationale ne maîtri-sent pas ou pas suffisamment l’autre langue pourassumer ce rôle n’est pas en soi rédhibitoire. Onpeut même considérer, étant donné la diversité desaspects d’organisation matérielle, de suivi du pro-gramme en fonction des objectifs annon-

85

L’interculturel en question

La méthode Tandem , issue dumouvement réformateur post-soixante-huitard, est utilisée avecsuccès dans les échanges franco-allemands dès les années 70.Au sein d’un groupe binational, letandem est constitué d’un Françaiset d’un Allemand qui choisissent detravailler ensemble à la réalisationd’un objectif commun et parlentalternativement français et allemand(par exemple, une demi-heure dansune langue, une demi-heure dansl’autre). On distribue à chacun uncertain nombre d’exercices - sujet dediscussion, points grammaticaux -,en français et en allemand, commebase d’échanges de savoirs.

Les intérêts de la méthode sontmultiples :• un apprentissage autonome :chaque tandem fixe lui-même sonrythme et sa façon de travailler, lesdeux personnes ne sont pas forcéesd’avoir le même niveau de langue ;• une compétence interculturelle : le travail et la résolution des problè-mes se font en commun, l’apprentis-sage et l’utilisation de la langue ontlieu pratiquement en même temps ;• un processus d’apprentissagedémocratique : il n’y a plus de rapporthiérarchisé (du type enseignant/élè-ve) mais un rapport d’égalité, deconfiance et de solidarité entre lesdeux partenaires du tandem.

● ● ●

86

L’interculturel en question

cés, et de gestion du groupe et des relationsqui s’y jouent, qu’une telle répartition des tâchesest préférable.

Mais cela crée aussi une forme de dépendancevis-à-vis du ou des interprètes pour mesurer ce quidans la traduction, peut faire écran à la compré-hension et à la découverte interculturelle, y com-pris lors des phases de préparation et d’évaluationavec les partenaires d’un projet.

Car traduire revient souvent à établir des équi-valences entre des mots et des concepts, équiva-lences qui ne sont en fait que des approximationsauxquelles on se livre pour faciliter la transmissiondu message. Cette difficulté tient aussi bien à ladifférence des réalités signifiées - qu’il s’agisse dumilieu naturel, de l’histoire ou de l’organisationpolitique, économique, sociale et culturelle - qu’àcelle des systèmes linguistiques qui organisentnotre perception du réel et notre pensée : S’il existeen malgache plusieurs mots correspondant à un nousfrançais ou aux pronoms celui-ci, celui-là (prenant encompte l’éloignement relatif, la visibilité...) il n’existepar contre qu’un seul mot désignant tous les alimentsmangeables avec du riz ou encore tous les types d’abri,de récipient, de maison, de contenant, sans considéra-tion de taille ou de destination et sans distinction decontenu animé ou inanimé, humain ou non humain.Bref, un seul mot retenant l’idée centrale de «lieu ouobjet susceptible de contenir quelque chose ou

quelqu’un». Idée abstraite qui ne peut être rendue enfrançais qu’au prix de longues explications (exemplecité par Marina Yaguello dans Alice au pays du lan-gage, p. 97).

Pour ceux qui trouveraient cet exemple troplointain et sans référence à leurs pratiquesd’échanges internationaux, j’évoquerai simple-ment les complications auxquelles donne lieu lemot «animateur» lorsque l’on s’adresse, à l’inté-rieur même de l’Europe, à des Britanniques, desAllemands…

Selon le thème traité et la composition du grou-pe, selon aussi la personnalité de l’interprète et laconscience qu’il a des enjeux de la rencontre, selonsa formation et son expérience, selon le moment dela journée enfin et son état de fatigue, ces approxi-mations pourront être facilitatrices ou dissimulerau contraire une différence fondamentale qu’ilaurait été précieux d’identifier. En outre, il fautpouvoir décoder pour les participants ce qui dansl’échange relève de l’implicite, de conventions cul-turelles non dites. Sans compter les jeux de pou-voir, entre individus, entre groupes, que la traduc-tion va relayer, voire décupler de façon plus oumoins consciente. Ou les occasions où l’interprète,qu’il soit ou non professionnel, aura tendance àgommer délibérément certains propos, à les adou-cir pour ne pas heurter les étrangers que l’on

● ● ●

87

L’interculturel en question

accueille, en fonction de la connaissance qu’il a dela culture de ses hôtes.

Bien sûr, être conscient de tels obstacles ne signi-fie pas pour autant qu’il faille alourdir la traduc-tion de commentaires constants sur ses méca-nismes et ses difficultés intrinsèques. Mais certainsphénomènes méritent cette prise de distance cri-tique (qui n’intervient pas forcément à chaud maispeut au contraire être différée dans le temps,jusqu’à un moment plus propice, comme celuiqu’offre une discussion en groupes restreints).Leur sélection dépend alors de la sensibilité del’interprète à la dimension interculturelle - non pasau sens diplomatique d’amitié superficielle entreles peuples, mais au sens exigeant de découverte etde confrontation à l’autre culture.

Or, les personnes auxquelles des structurescomme les nôtres font appel dans le cadre de leurséchanges et voyages à l’étranger, si elles sont toutà fait compétentes sur le plan strictement linguis-tique, n’ont pas toujours été préparées à ce voletde leur mission. D’où l’importance qu’il y a à ins-taurer avec elles une collaboration durable et à lesencourager à suivre une formation complémentai-re, qui les arme davantage sur ce point. Parailleurs, la présence lors d’une rencontre plurina-tionale de deux interprètes ou plus - chacun tra-duisant en priorité une autre langue dans sa

langue maternelle - constitue également un atout :leurs réactions et leurs divergences sont autantd’indicateurs potentiels, pour peu que les anima-teurs responsables prennent la peine de les analy-ser avec eux, de façon à distinguer ce qui relèvebien de différences culturelles, de ce qui tient àd’autres caractéristiques (sociales, personnelles...).

On le voit, la dimension linguistique, tout enétant au cœur de la relation humaine est d’unmaniement complexe lorsque l’on met en présenceplusieurs cultures, et ce d’autant plus que l’usagede la langue dépend de toute une série devariables : l’origine régionale et sociale, l’âge, lesexe, le milieu professionnel, l’histoire familiale etindividuelle. Il serait par conséquent illusoire deprétendre maîtriser tous les ressorts de la commu-nication verbale dans une stratégie d’apprentissa-ge interculturel. Mais il ne faudrait pas, à l’inverse,nier la place du linguistique dans un voyage ou unéchange et renoncer à en élucider certains aspectsqui peuvent être éclairants. L’essentiel, ici commedans d’autres contextes, est sans doute de ne pass’enfermer dans un seul registre, mais de combinerplusieurs approches, de façon à jouer sur toute lapalette de la communication verbale et non verba-le, en fonction des individus qui composent legroupe et des moments de la rencontre ●

88

L’interculturel en question

l es échanges stimulent par le faceà face qu’ils provoquent entrel’individu et lui-même.

L’identité et l’altérité se chevauchentsans arrêt tout au long d’un voyage, c’est

pourquoi tant de choses se font et sedéfont pendant ce temps privilégié. Les

événements vécus ne sont pas toujours maî-trisés, mais sont toujours ressentis comme

une transformation des idées et des êtres. Jeparlerais d’un phénomène «iceberg», l’essen-

tiel de la transformation étant submergé parnotre nature profonde faite d’émotions et d’ima-

ginaire. Les voyages provoquent des chocs, desbouleversements sur chaque individu, ces transfor-

mations sont d’autant plus profondes quand elless’appuient sur une démarche de création culturelle.

Le voyage déclenche, la création stimule. Ces deuxéléments forment un couple où l’émotion et l’être pas-

sent souvent avant le goût de l’art et du savoir.

Quand je parle ici de voyage à vocation culturelle ils’agit de placer «l’acte de création» au centre de ladynamique voyage. Les participants ne feront pas quevoyager, ils concrétiseront ensemble une métamorpho-se, un acte de création pluriel où chacun puisera en lui-même pour trouver une expression artistique.

Mettre en situation de jeunes créateurs, d’identités etde pays différents fera exploser la carcan propre àchaque appartenance culturelle. Les codes, les procé-dés seront transgressés, par l’acte de création. La pré-sence d’un ar tiste est indispensable dans cettedémarche, chacun doit pouvoir l’interpeller en fonctionde ses besoins, rapprocher l’art de son quotidien.Dans ce cas, l’animateur aura aussi une vocation demédiateur, il aura la charge de faire dialoguer le grou-pe avec le ou les artistes.Contrairement à des idées trop souvent reçues, la rela-tion à l’art ne dépend pas d’une connaissance de l’his-toire de l’art ou d’une compétence technique pointue,

Quand l’interculturelse confronte à la création

parCatherine

Ballin

AP

PR

OC

HE

DA

GO

GI Q

UE

89

L’interculturel en question

mais avant tout de la façon dont le participant seconfronte à l’œuvre et prend conscience de sa nécessi-té. A lui de découvrir dans l’acte de sculpter, de photo-graphier... ce qui peut donner forme et sens à ce qu’ilvit ou peut l’aider à vivre. De ce fait il participe à latransformation des contextes dans lesquels se situel’acte de création.

Le voyage comme la création sont basés sur le désir etla motivation, ils provoquent chacun des bouleverse-ments qui contribuent à la construction de la personna-lité. C’est pourquoi les échanges entre jeunes créateursou avec des artistes sont très riches en relationshumaines. Les participants ne font pas que «consom-mer». Ils se mettent en scène avec tous les risques quecela comporte.Quelle que soit la discipline, l’acte de création se par-tage avec l’autre. La création s’expose mais l’individuégalement. Cette confrontation renforce les regards desuns vis-à-vis des autres.L’acte sert de communication au sens propre du terme,on peut être d’accord ou pas d’accord, l’importantc’est de pouvoir le dire, d’avoir une idée et de pouvoirl’expliquer, de la faire comprendre aux autres.La communication linguistique a moins d’importancependant les échanges culturels parce que l’essentielrepose sur le faire et non pas sur le dire, ce qui estimportant c’est de pouvoir penser «le faire» et de «ledire» ensuite.

Un échange se vit par les émotions qui le traversent, orcelles-ci sont transcendées par la création.Une envie d’aller plus loin dans sa recherche avecl’autre, de vivre une expérience intense en peu detemps. Un esprit d’aventure, de performance, quelquechose de magique se dégage lors de ces rencontres.

● ● ●

90

L’interculturel en question

Des inconnus se retrouvent dans un espacetemps donné pour définir ensemble un sens à leur créa-tion : ces moments resteront gravés longtemps dansleur mémoire.

Ces échanges culturels peuvent s’adresser à des jeunescréateurs mais également à d’autres types de jeunes oude publics.L’acte de créer reste le leitmotiv, et des jeunes en inser-tion ou en difficulté sociale peuvent tout à fait trouverleur place dans un échange culturel.Les artistes et créateurs qui travaillent sur de tels projetsdoivent comprendre leur intervention et la situer dansun projet global de développement. Le contexte prendtoujours le pas sur la situation, c’est pourquoi il est pré-férable en amont d’un projet de voyage culturel, desensibiliser le public et de travailler sur la significationdu travail artistique et culturel, qui n’a de sens que s’iltrouve sa légitimité dans le contexte social dans lequelil évolue.

Le voyage c’est avant tout un moyen d’ouvrir les yeuxsur ce qui est différent, de se mettre en situation afind’aller vers l’ailleurs. La création et les espaces qui luisont réservés sont souvent pour la majorité des gensdes ailleurs réservés aux nantis ; rentrer dans cesespaces, c’est se mettre soi-même en situation, c’estdéjà voyager un peu.L’important est de pouvoir articuler le langage artis-

tique avec les autres langages. Faire se rencontrer desindividus qui a priori n’ont rien en commun, des jeunesen insertion avec des artistes, mais aussi des artistesavec des jeunes en insertion. Ce type de voyage pro-voque des changements de part et d’autre, les jeunescomme les artistes évolueront en travaillant ensemble.

L’animation et la médiation sont en permanence deséquilibres à trouver afin que plusieurs expressions sin-gulières prennent un sens dans une création plurielle ●

● ● ●

Du point de vue de l’animateur

Troi

sièm

e pa

rtie

92

Du point de vue de l’animateur

Cette partie a pour objectif de clarifierle rôle et les fonctions d’un(e) anima-teur(trice) en charge de responsabili-tés internationales. En effet, dès le début de notre travaild’écriture, il nous est apparu indispen-sable de mettre à plat un certainnombre de réflexions émanant de nosexpériences de terrain.

Cette dernière partie est donc consti-tuée d’éclairages particuliers sur lepositionnement de l’animateur(trice),militant(e) et/ou professionnel(le).

De l’émergence du “projet voyage”jusqu’à la restitution, nous avons dres-sé sous forme d’une grille d’analyseles différentes étapes liées à la fonc-tion d’animation, en tentant de déter-miner à chaque fois :• la situation et le contexte tels qu’ilsse présentent,

• les acteurs en jeu,• les difficultés rencontrées,• les préconisations suggérées.

Cette grille n’est pas exhaustive, bienau contraire, elle a la modeste voca-tion de clarifier les “nœuds” ou “inter-férences” propres aux statuts multiplesd’un animateur organisateur de ren-contres interculturelles.Les textes qui suivent sont une illustra-tion de quelques uns des aspects évo-qués dans la grille.

D’une façon générale, les thèmes trai-tés dans cette partie vont dans le sensd’une meilleure appréciation du rôlede l’animateur dans son institution etrendent compte de l’énergie qu’il doitdévelopper en permanence pour valo-riser l’échange interculturel commeune pratique pédagogique forte au ser-vice du projet global ●

La grille du positionnement de l’animateur

La grille, en un coup d’œil

Emergence du projet 93

Positionnement professionnel 94• Thème du voyage, finalités• Organisations, moyens• Equipe, répartition des rôles• Préparation et constitution du groupe

Projet personnel 96• Initiative, implication, intérêt

Positionnement institutionnel 97• Statut de l’animateur• Responsabilités, délégation

Animation et encadrement 98• Composition de l’équipe, répartition des rôles et des tâches• Communication verbale et non-verbale• La rencontre avec l’autre

Régulation 99

Restitution et évaluation 100• Au sein de l’équipe• Au sein de la structure• Par rapport au groupe• Par rapport aux partenaires institutionnels• Par rapport à soi

Préparer et exploiter un voyage 102Temps choisi, temps imposé 104Temps professionnel, personnel, militant 106Entre le pouvoir l’autorité et le charme 107

93

Du point de vue de l’animateurE

ME

RG

EN

CE D

U P

RO

JET

PROBLEMES

Il est parfois difficile d’articuler unedemande extérieure et une conceptionou une ambition interne plus ou moinsclairement définie, d’articuler desexigences pédagogiques et une logiqueéconomique.

Le fonctionnement est souvent fondé surl’affectif, l’interpersonnel, l’implicite.

De plus, les attentes - du commanditaire,de l’animateur responsable, del’institution, de l’équipe d’organisation etdes participants - ne sont pas toujourssuffisamment clarifiées.

On a parfois tendance à concevoir levoyage en dehors du projet global de lastructure.

PRÉCONISATIONS

Fonder l’activité internationale del’institution non pas sur une simpleimage de marque, mais sur un projetcollectif identifié.Accepter la multiplicité des types devoyage, les caractériser, maîtriser leurco-existence.

Prendre en compte, au sein d’un projet,la pluralité des demandes et desattentes, veiller à les expliciter et à lesarticuler entre elles, afin de repérerd’éventuels écarts. Notion de contrat.

Penser le voyage en fonction desstratégies et des orientations qui sontcelles de la structure.S’interroger sur les liens qui existentavec les autres activités mises en placeen son sein.

ACTEURS

PartenairesInstitutionsEquipeAnimateur

CONTEXTE

La structure à laquellel’animateur appartient (ou pourlaquelle il travaille) peut être àl’initiative d’un projet, partenaired’un projet ou mandataire. L’animateur, qu’il soit créateurdu projet, co-concepteur ouinterlocuteur, est une pièce-maîtresse du jeu dans cettephase en tant que médiateur.

94

Du point de vue de l’animateur

Thème du voyage et finalités*

PROBLEMES

Une dérive est possible : celle de laprégnance du thème qui tend à gommerou à faire oublier les finalités.

Sur ce point comme sur d’autres, unproblème est posé par la relation quipréexiste ou se noue entre les différentsanimateurs, en fonction des enjeuxpersonnels ou professionnels de chacun.

Il existe une influence forte et pastoujours bien reconnue du/des paysd’accueil.

On a parfois tendance à laisser lescontraintes matérielles et financièresprendre le dessus. La combinaison de plusieurs objectifs/finalités dans un même dispositif ajouteencore des difficultés supplémentaires.

Il faut être vigilant au problème de lanégociation financière et du degré detransparence, vis-à-vis des différentsacteurs.

PRÉCONISATIONS

Favoriser un cadrage écrit auquel on seréfère régulièrement afin de mesurerles écarts ou les évolutions (formulationindividuelle ou collective selon les cas).Clarifier et bien distinguer objectifs (lapartie visible de l’iceberg) et enjeux(personnels ou collectifs).Faire en sorte que les règles du jeusoient négociées au départ.

Mettre l’accent sur le processusessentiel de négociation etd’explicitation entre les partenaires.

Insister sur la recherche de cohérenceentre finalités et dispositifs. Construireune dynamique entre les différentsniveaux de cadrage (pédagogique,financier).

Veiller au contrat et à la formalisationécrite. Evaluer les effets d’unetransparence financière.Intégrer les objectifs de gestion au-delàdu seul voyage. Maîtriser / mesurerl’impact des choix de transport etd’hébergement sur le dispositif et lesfinalités.

ACTEURS

PartenairesinstitutionnelsInstitutionsEquipeAnimateur

AnimateurEquipePartenairesCommanditaire

Organisationet moyens

PO

SIT

ION

NE

ME

NT P

RO

FESS

ION

NE

L

CONTEXTE

On a ici deux types de scénario :soit un thème est choisi et lesfinalités sont précisées ensuite,soit le thème est choisi enfonction de finalités reconnues au préalable. L’intérêt d’un fonctionnement en équipe oblige le “père“ oula “mère“ d’un projet à enexpliciter les objectifs. Mais leprocessus d’explicitation secomplique lorsque l’on travailleen bi- ou trinational.

Le dispositif (pédagogique etlogistique) mis en place doitêtre adapté aux finalités etpensé en cohérence avec lesobjectifs. Ainsi, il faut peser lesdécalages entre objectifs, publicet cadre financier qu’induisentles dispositifs et la situationéconomique de la structure.

De même il faut prendre encompte le choix du transport, de l’hébergement, en fonctiondes contraintesorganisationnelles etfinancières.

* Voir aussi, p. 74, Le thème au service de la rencontre.

95

Du point de vue de l’animateur

Equipe,répartitiondes rôles

PROBLEMES

Quand les membres de l’équipe seconnaissent déjà, on a tendance à fairel’économie des séances de cadrage etd’explicitation.Les rôles ne sont pas toujours clairementdéfinis lorsque les moyens sont limités(la même personne doit alors assumerplusieurs fonctions).

Des défaillances peuvent se produireavant la réalisation.

Dans un perpétuel fonctionnement àl’urgence, la priorité est trop souventdonnée aux seuls aspectsorganisationnels.

Le degré de «directivité» de l’animateur est lié aux attentes et aux craintes de chacun.

PRÉCONISATIONS

Veiller, quelle que soit la compositionde l’équipe, à la répartition des rôles.Favoriser la confrontation et les regardsextérieurs sur le projet.

Prévoir des solutions de remplacement/réorganisation de l’équipe en cas dedéfaillance.

Se préparer au sein de l’équipe à cecontexte très particulier que constitue levoyage, d’exacerbation des conflits, ycompris au sein d’un groupemononational.

Mesurer la part des peurs et despréjugés, exprimés ou non-dits.Valoriser le projet vis-à-vis del’environnement du groupe(reconnaissance, soutien financier).

ACTEURS

AnimateursInterprètes

AnimateurEquipePartenairesCommanditaire

Constitutiondu groupe etpréparation*

PO

SIT

ION

NE

ME

NT P

RO

FESS

ION

NE

L

CONTEXTE

Les équipes présentent unegrande hétérogénéité. Elles sont constituées autourdu porteur de projet - parcooptation le plus souvent - à l’intérieur de réseauxpersonnels ou collectifs.L’équipe de base se composed’un(e) animateur et d’un(e)interprète.

Le groupe peut être déjàconstitué ou être formé autourdu voyage. La préparation consiste à faireconnaissance avec lesparticipants, avec le thème etavec le pays.

* Voir aussi, p. 102, Préparer et exploiter un voyage.

96

Du point de vue de l’animateur

Initiative,implication,intérêt*

PROBLEMES

La création de territoires et de liensaffectifs ou interpersonnels avec despartenaires pose le problème du partageou du transfert des projets.

Ce qui joue comme un moteur essentielpeut aussi fonctionner comme un frein,surtout lorsqu’il y a superposition desenjeux et des implications (de l’équipe etdes participants).Pour l’animateur, il n’est pas toujoursfacile d’établir des limites, valables dansles deux sens, entre vie professionnelle et sphère du privé.

Face à un tel degré d’implication, le travailde questionnement et de théorisationpeut poser problème.

PRÉCONISATIONS

Reconnaître la place des intérêtspersonnels et, plutôt que de les passersous silence, les confronter aux finalités du voyage afin de repérer d’éventuellescontradictions.S’appuyer sur le contrat et les règles dujeu fixées au sein d’une équipe.

Utiliser la distanciation, comme pendantà l’implication.

ACTEURS

AnimateurresponsableAutresmembres de l’équipeParticipants

PR

OJET P

ER

SO

NN

EL

CONTEXTE

C’est souvent une initiativeindividuelle qui est à l’origined’un échange ou d’un voyage.Si l’initiative est en généralouvertement revendiquée, la dimension d’implicationpersonnelle de l’animateurdans un voyage est moinssouvent explicitée ; elle jouepourtant un rôle essentiel, tanten termes de disponibilitéqu’en ce qui concerne le jeudes affinités (avec un pays, unthème, un groupe…)

* A propos de l’articulation entre le projet professionnel et le projet personnel, voir aussi p. 106.

97

Du point de vue de l’animateur

Statut del’animateur

PROBLEMES

La préparation donnée aux vacatairesn’intègre pas assez la dimension dustatut. On est ici face au flouinstitutionnel, à l’absence d’écritsactualisés, au manque d’explicitation et à beaucoup d’interprétations. La formation d’animateur de voyage oud’échange se fait souvent sur le tas.

Il n’y a souvent pas de système établid’évaluation, voire de sanction, maisplutôt un retour d’image négatif (réel oufantasmé), dans un système affectif quiconduit à la culpabilisation et/ou aublocage institutionnel.

PRÉCONISATIONS

S’efforcer de situer les enjeux d’uneaction internationale à plusieursniveaux :• par rapport aux objectifs d’uneimplantation locale,• par rapport aux objectifs et finalités dela structure,• par rapport à un contexte departenariat avec l’étranger.

Favoriser un fonctionnement entandem d’animation (ancien +nouveau).

Penser la place d’un animateur dansl’équipe, le secteur ou la structure, entermes d’interdépendance (paropposition à dépendance,indépendance, contre-dépendance).

Créer un fonctionnement pluscontractuel, organisant la préparation dutravail en amont, l’explicitation desrègles et des finalités, la délégationclaire et les conditions de l’évaluation.

ACTEURS

AnimateurMembres de l’équipe

AnimateurMembres de l’équipe

Respon-sabilités,délégation*

PO

SIT

ION

NE

ME

NT I

NSTIT

UTIO

NN

EL

CONTEXTE

Le statut de l’animateur au seinde la structure est variable : ilpeut être permanent, bénévole,vacataire ou stagiaire. Selon lescas, l’animateur ne dispose pastoujours de l’information ou dela légitimité lui permettantd’assumer un rôle dereprésentation de la structure àl’étranger et auprès despartenaires institutionnels.

Elles dépendent à la fois dudegré de maîtrise del’animateur et de l’existence, ounon, d’un secteur internationalstructuré (auquel cas il y auracadrage pédagogique etfinancier).En règle générale, lesanimateurs ont une grandeautonomie dans l’action, sansque leur capacité à l’exercersoit toujours vérifiée aupréalable.

* Voir aussi Temps choisi, temps imposé, pp. 104-105.

98

Du point de vue de l’animateur

Compositionde l’équipe,répartitiondes rôles etdes tâches

PROBLEMES

Les rôles et ce qu’ils recouvrent ne sont,là encore, souvent pas assez clarifiés.Le mélange des genres est fréquent, enparticulier pour ce qui est des interprètes,personnes bilingues qu’on fait intervenirsans préciser suffisamment avec elles lescontenus ou le registre de leur travail.

L’ensemble d’un séjour repose souventsur l’animateur chargé de l’organiser dansle pays d’accueil.Une lacune ou démission au sein d’uneéquipe pose alors problème, notammentlorsque des animateurs ou interprètes,considérant avoir fait «leur journée», neveulent plus à certains moments êtredisponibles professionnellement.

On a parfois tendance à occulterl’importance d’une découvertelinguistique, même minimale, dansl’appréhension d’une autre culture.

Des blocages et des difficultéslinguistiques émergent qu’il faut trouverles moyens de surmonter.

PRÉCONISATIONS

Faire systématiquement le lien entre lesobjectifs, le dispositif et les rôles.Décliner chaque fonction liée àl’animation et à l’encadrement entermes de choix pédagogiques ouorganisationnels reconnus par toutel’équipe.

Répartir les responsabilités :- gestion du ou des groupes,- climat, communication,- organisation, programme,- démarche pédagogique.

Permettre, à défaut d’une pratique,l’écoute d’une autre langue en n’ayantpas recours systématiquement à latraduction simultanée.

Utiliser des outils et des approchesadaptés : décryptage, photo, vidéo,musique, mime…

ACTEURS

Animateur Membres de l’équipePartenaires

AnimateurInterprète

Commu-nicationverbale etnon verbale

AN

IMA

TIO

N E

T E

NC

AD

RE

ME

NT

CONTEXTE

L’équipe est composéed’animateur(s), d’interprète(s),de partenaire(s) français et/ouétranger(s), auxquels s’ajoutentselon les cas, un/des comman-ditaire(s) ou acteur(s) duprogramme dans lequel levoyage s’inscrit, et desintervenants. Une équipe à géométrievariable selon les moyensfinanciers et les caractéristiques de l’opération.

La présence d’un interprète,qu’un travail linguistique dansle temps du voyage ait lieu ounon, implique la gestion de sesinterventions et de son rôle :facilitateur d’écoute et decompréhension, traducteursimultané… En dehors du linguistique, letravail sur la perception, autravers du regard, de l’odorat,de l’écoute des sons…, révèled’immenses richesses.

99

Du point de vue de l’animateur

La rencontreavec l’autre

PROBLEMES

La surcharge de certains programmes nepermet pas toujours que des rencontresse fassent de façon inopinée.Quand de telles rencontres se produisent(cf. la rencontre avec Tamara), il estparfois difficile de décoder les attentes etles demandes des personnes ou desinstitutions rencontrées, et de sepositionner ensuite en fonction de cesdemandes et attentes.

On a parfois tendance à vouloir dénier ouocculter le conflit ou l’exacerbation desdifférences ou, à l’inverse, à se livrer à laformalisation systématique.

On a parfois tendance à tomber dans lejugement de valeur, notammentlorsqu’un esprit de concurrence existeentre deux individus ou deux nationalités.

Il y a, là aussi, le risque de s’enfermerdans la gestion des seuls problèmesorganisationnels.

PRÉCONISATIONS

Faire la place au hasard, dans le choixdes moyens de transport sur place, etpréserver des moments de découverteindividuelle ou en petits groupes.Ne pas hésiter à provoquer uneexplicitation pour et par le groupe, faireen sorte qu’il y ait un décodage et uneréappropriation collective mêmelorsque les rencontres sont individuelleset/ou fortuites.

Repérer les modes de confrontation desidentités, avoir des repères théoriqueset des outils d’animation pour lesintégrer au voyage, dans une stratégiepédagogique.

Veiller à établir des temps de régulationinterne, y créer un esprit d’écoute et lesconditions d’une expression individuelleet d’une analyse collective.

Ramener régulièrement la question duprojet et de sa/ses finalité(s), car c’estsur cette dimension que doit reposer leconsensus ou le débat au sein del’équipe.Raisonner en termes d’ajustement parrapport au projet initial. Mesurer la partd’implication du groupe dans ledéroulement du projet et veiller, unefois encore, à la cohérence du dispositif,des objectifs et du public.

ACTEURS

PartenaireorganisateurParticipantsEquipe

ParticipantsEquipe

Au sein del’équipe etpar rapportau groupe*

RÉG

ULA

TIO

NA

NIM

ATIO

N

CONTEXTE

La rencontre avec l’autre peutêtre vécue individuellement oucollectivement, elle peut seproduire de manière fortuite ouprogrammée, formelle ouinformelle. Dans tous les cas, le rapport autemps est présent. Il s’agitd’observer, d’analyser et d’ac-compagner les phénomènesinterculturels qui émergent, tantà l’intérieur du groupe qu’ausein de l’équipe d’animationet/ou d’organisation.

La façon dont la fonctiond’animation est assurée parl’équipe mérite une interro-gation collective. Dans uncertain nombre de cas, celle-cia une fonction de soupape quipermet d’éviter que d’éventuelsconflits au sein de l’équipe serèglent devant le groupe. L’animateur ou l’équiped’encadrement assurent enoutre un suivi desphénomènes qui se produisentavec le groupe : climat,attitudes, peurs et projections,attentes et évolutions.* Voir aussi Entre le pouvoir, l’autorité

et le charme, pp. 107-108.

100

Du point de vue de l’animateur

Au sein del’équipe

PROBLEMES

La rédaction, individuelle ou collective,d’un compte rendu est souvent difficile àinstituer autrement qu’en termes dejustification d’un soutien financier.

Le dialogue ne s’établit pas toujoursfacilement avec ceux qui sont restés dansleurs bureaux et univers quotidiens. Deux cultures coexistent : celle dessédentaires et celle des nomades.

La présence d’espace institué dans lastructure pour une telle restitution estrare. La répercussion vers les “politiques” ainsique le transfert vers d’autres équipes sontsouvent insuffisants.

L’évaluation est trop souvent ressentiecomme une formalité à laquelle il estinutile de se soumettre une fois revenude voyage.

PRÉCONISATIONS

Rendre la rédaction du compte renduaccessible : sérier les questions, évaluertelle ou telle dimension de façonprioritaire, en faisant l’impasse surd’autres.

Prévoir un processus en deux tempsafin de passer du récit à chaud àl’évaluation.Permettre aux “sédentaires” de faireune expérience similaire.

Formaliser temps et espace de partagecomme des enjeux à la fois relationnels,professionnels et institutionnels.Créer des lieux de circulationhorizontale et verticale.

Annoncer l’évaluation collective dès ledépart, au moment où le contrat estpassé avec le groupe.Repartir des attentes initiales pourengager un tel travail.Réfléchir à la meilleure période (ni trop tôt, ni trop tard).

ACTEURS

Membres de l’équipe

Membres de la structure

EquipeParticipants

Au sein de la structure

Par rapportau groupe*

RESTIT

UTIO

N E

T É

VA

LU

ATIO

N

CONTEXTE

La restitution se nourrit desimpressions et expériences duvoyage mais permet dedépasser le stade de l’anecdotepour envisager lesenseignements à tirer.

Au sein de la structure, il s’agitde faire partager par ceux quin’y ont pas participé les apportsdu voyage tout comme lesdifficultés rencontrées. La fonction d’écoute est alorsessentielle pour permettre àl’animateur de décompresseret de retrouver sa place.

Les cas de figure sont différentsselon qu’il s’agissait au départd’un groupe déjà constitué ounon.Dans tous les cas, l’évaluationpeut prendre des formes trèsdiverses.

* Voir aussi, p. 102, Préparer et exploiter un voyage.

101

Du point de vue de l’animateur

Par rapportauxpartenairesinstitu-tionnels

PROBLEMES

Ces comptes rendus ont tendance à selimiter aux seuls aspects financiers etquantitatifs.

Cette étape est souvent négligée, faceaux dossiers restés en instance et à lanécessité de s’atteler à de nouveauxprojets pour “faire tourner la boutique”.

PRÉCONISATIONS

Favoriser une évaluation pédagogiqueplus qualitative qui permet de mesurerl’efficacité des dispositifs et d’alimenterune réflexion plus politique tendant àfaire évoluer ceux-ci et les cadres depensée de leurs concepteurs. D’où la nécessité d’un relaisinstitutionnel organisé.

Se donner un certain nombre decritères permettant d’objectiverl’expérience, de l’argumenter (parrapport à l’acquisition de nouvellescompétences professionnelles ou àl’affinement d’une démarche…).

Faire reconnaître le caractère essentielde cette étape au sein de l’institutionpour qu’elle soit respectée commefaisant partie intégrante d’un parcoursprofessionnel.

ACTEURS

EquipeStructure

Par rapportà soi

RESTIT

UTIO

N E

T É

VA

LU

ATIO

N

CONTEXTE

Il s’agit ici des comptes rendusétablis à l’intention desfinanceurs de l’opération.

L’évaluation par rapport à soiconstitue une forme derégulation de l’expérience, eninteraction avec les autresniveaux d’évaluation.C’est un processus essentielafin de se ressourcer et de nepas s’enfermer dans uncréneau professionnel.

102

Du point de vue de l’animateur

Extrait del’exposition

L’internationalen images et

en chiffresréalisée pour

l’Universitéd’été 1993 de Peuple et Culture.

Avec les participants, un voyage se prépare

Pourquoi ?➔ Lever les peurs : atténuer le degré d’étrangeté du

voyage, surmonter les inquiétudes, créer une sécuri-sation et construire un certain nombre de repères.

➔ Installer la perspective du voyage dans le quoti-dien : projeter les participants dans l’espace temps duvoyage, prévoir et présenter le contenu et le déroule-ment du séjour.

➔ Comprendre les attentes des participants :recueillir et confronter les objectifs et les envies dechacun, tenter de satisfaire l’ensemble du groupe.

➔ Autonomiser les participants : les rendre acteursde leur voyage en accompagnant leur projet person-nel.

Comment ?➔ Par une présentation générale du voyage : infor-

mations sur l’institution organisatrice, l’origine du pro-jet, l’équipe d’animation, le rôle de chacun, les objec-

tifs du voyage, offrir un aperçu du pays d’accueil (sonhistoire, son système politico-économique, sa langue,son mode de vie…) ainsi que de la structure parte-naire.

➔ Par des cours de langue.➔ Par un travail sur le thème du séjour.➔ Par un travail sur l’imaginaire lié au voyage et/ou

au pays.➔ Par l’appropriation du voyage par les partici-

pants : élaborat ion col lect ive du programme,recherche de financements, promotion du voyage.Bonheur pour les uns, inquiétude pour les autresceux pour qui il faut cadrer le temps.

Avec les participants, un voyage s’exploite

Pourquoi ?➔ Pour créer un questionnement : - mesurer la satisfaction des participants par rapport

à leurs attentes initiales ; - analyser les apports du voyage ;

Préparer et exploiter un voyage

103

Du point de vue de l’animateur

- tenter d’expliquer les éventuels conflits ; - mesurer et approfondir la connaissance des phé-

nomènes interculturels.

➔ Pour installer le voyage dans la durée : - prolonger les contacts au sein du groupe ;- consolider les liens sociaux ; - faire en sorte que le voyage devienne un outil au

service d’un contexte local, d’une dynamique socialeou d’un projet pédagogique.

Comment ?➔ Par une rencontre organisée➔ Par des publications diverses : compte rendu,

témoignages, récits de voyage➔ Par des productions artistiques issues du voya-

ge : expositions de dessins, de photos, film…➔ Par des articles de presse ➔ Par des réunions informelles ou festives, la circu-

lation de photos, des contacts personnels ●

104

Du point de vue de l’animateur

parCatherine

Ballin

pour mieux comprendre,voire analyser le passagethéorie/pratique par rap-

port au temps personnel/temps professionnel, jeplace comme idée de base la motivation et donc leplaisir qui l’accompagne.

Cette motivation est elle-même évaluée sur lanotion de choix et d’implication.

“L’individu fait le choix d’être animateur, celui-ci faitle choix d’organiser des voyages”. Sans choix, pas demotivations, sans motivation, pas de plaisir.

Pourtant, animer est un acte basé a priori surdavantage de contraintes que de plaisirs. Comment,de l’idée, parvenir à l’action (je pense, donc je suis)...du verbe être au verbe suivre !

Cette remarque pour relever un élément détermi-nant chez chaque individu, le fait d’être soi etd’accomplir un acte qui implique une connaissanceminimum de ses propres limites (résistance nerveuse,physique, affective...) et de ses propres envies.

Or ce qui caractérise l’animateur en termes profes-sionnels, c’est le contexte dans lequel il évolue et cecontexte renvoie inévitablement à des contraintes.

Je pars donc du principe que pour un animateurqui préalablement a mis en place ce “projet (projec-tion) voyage” et qui sait, outre le fait de vouloir fairedécouvrir d’autres réalités, dans quel processus seplace le voyage, alors inévitablement, son voyage à luisera à la fois l’aboutissement d’un premier niveau detravail, mais surtout lui renverra un nombre plusimportant de contraintes que de plaisirs.

Ce postulat pour dire que psychologiquement, l’ani-mateur n’a pas beaucoup de choix et son temps per-sonnel sera réduit à de courts moments d’intimitéentremêlés de petites angoisses liées à d’hypothé-tiques (ou à de réels) problèmes. Psychologi-quement, il doit être prêt. D’où la nécessité d’unemotivation forte, soutenue par un projet lui-mêmesoutenu si possible par une équipe. Nous sommes làdans un domaine où l’acteur doit aussi être le pen-seur et vice-versa.

Comment penser nos pratiques et prendre plaisir àles organiser sans cesse d’une façon différente. Cettenotion de choix est donc fondamentale car elle règle-ra et régulera d’autant les besoins de temps indivi-duels et de temps collectifs.

Temps choisi, temps imposé

105

Du point de vue de l’animateur

En effet, plus le praticien est loin de l’idée qui génè-re le sens de son action, moins il a de repères et plusil aura de temps individuel pour ne pas s’exposer auxautres (question d’ordre professionnel voire person-nel...). Inversement, voir un animateur qui s’exposeraittrop aux autres pourrait cacher son manque d’implica-tion réelle dans le projet.

Ce rôle de vitrine est très important, car il joue enpermanence sur l’image de soi, l’image des autres. Enétant conscient des limites professionnelles et privées,c’est l’animateur qui s’expose. C’est lui qui induiraexplicitement ou implicitement les clefs des portesinvisibles entre les temps collectifs et les temps indivi-duels. C’est grâce aux éléments qu’il fournira que legroupe pourra ou non se faire une opinion sur lui. Ense sentant suffisamment responsable, il fera “passer”cette notion de responsabilité individuelle et collective.

L’accoutumance pour l’animateur voyageur s’oppo-se à l’aventure pour les participants. En effet, plus unanimateur voyage et plus il s’éloigne du nouveau, dudernier inscrit au voyage, d’où la necessité de vigilan-ce à l’égard de l’accoutumance et des lassitudes avecles travers que cela génère.

Pour l’animateur, le temps voyage est la fin d’unprocessus dans lequel il a parcouru les différentesétapes.

Pour le participant, c’est le début d’un processus quiva s’installer dans un temps très court où l’appropria-

tion se fera souvent après le temps voyage.Nous sommes donc en présence d’un même

“espace-temps” vécu de façon très différente selonqu’on se place du point de vue de l’animateur ou duparticipant.

L’animateur est à la fois le mieux outillé et le plusvulnérable ne serait-ce que par son isolement par rap-port au groupe. L’équilibre est donc de l’ordre ducompromis implicite.

Se confronter aux contraintes pour avancer, c’est unplus pour l’animateur ●

106

Du point de vue de l’animateur

l e temps permet ce quenous sommes, il façonne ceque nous devenons. Ce

capital “temps”, ce temps “capital”, il va se construire àpartir d’orientations professionnelles, personnelles,militantes.

Ce temps peut être parfois facilement séparé, déli-mité, quantifié, pesé, équilibré.

Le travail se déroule de telle à telle heure, militer sesitue dans un autre cadre, prendre son temps person-nel utilise le reste.

Hélas ou heureusement (tout dépend de quelpoint de vue on se place), il existe des situations oùle temps ainsi défini dans ces trois phases ne peuts’exprimer aussi facilement.

Le temps du voyage est une situation où le temps“panique”, nous sommes ce que le temps a construitde nous par un savant mélange d’exigence profes-sionnelle, de sensibilité personnelle et d’implication.

Hélas le temps-voyage se passerait-il dans untemps extraordinaire de confusion totale ?

Bonheur pour les uns, inquiétude pour les autresceux pour qui il faut cadrer le temps.

Je fais partie des gens pour qui la confusion dutemps est un bonheur car elle crée des situationsinconfortables, passage obligé d’une progression per-sonnelle et collective.

Ce temps du voyage provoque l’ordre établi, désta-bilise le déroulement des choses.

Où s’arrête le temps professionnel ? Quand com-mence le temps militant ? Le temps personnel ne seperd-il pas dans les deux ?

Le temps passe, il mélange tout, plus de comptabili-té possible. Mais en fait, le problème n’est-il pas plu-tôt qu’il faut rendre compte de son temps ?

Quantifier et justifier son temps pour un salaire,quoi de plus normal, mais jamais on ne pourra esti-mer la valeur ajoutée grâce au temps militant et per-sonnel.

Voyageur professionnel, découvre ton temps, il estprécieux, ses facettes sont multiples et généreuses.Peut-il en être autrement ? ●

parHélèneGisbert-

Demaret

Temps professionnel,personnel, militant

107

Du point de vue de l’animateur

Entre le pouvoir, l’autorité et le charme

l e contexte créé par un grou-pe qui part en voyage seraen rupture avec le quoti-

dien, sera porteur d’autres normes, les individus tousdifférents créeront des rapports propices aux situa-tions conflictuelles.

L’animateur doit être conscient de ce phénomèneafin de pouvoir l’appréhender avec le plus de luciditépossible. Il a un rôle de compréhension et d’écoutemais surtout de développement chez la personne desfacultés qu’elle possède en elle et dont elle n’a pasforcément conscience. Le voyage est un bon moyende mettre en place ce processus.

Nous pointons là un des objectifs principaux duvoyage qui est de réactiver les participants en régulantles éventuelles tensions.

Le problème de l’animateur sera d’harmoniser lesattentes des uns et des autres, entre les temps indivi-duels et les temps collectifs, entre plusieurs systèmesde valeurs culturelles ; la coexistence des règles dujeu se posera en permanence.

Entre le pouvoir, l’autorité et le charme, l’animateurse trouve tiraillé, pris dans les mailles de relationshumaines fortes. Il peut parfois se sentir démuni dansses fonctions. Certains dysfonctionnements peuventêtre dus au manque de repères institutionnels, auxmandats flous et aux délégations de pouvoirs peuexplicites. Le travail d’équipe est à ce niveau fonda-mental car la complémentarité des encadrants et leursens commun d’appropriation du projet leur renver-ront l’énergie nécessaire.

Le message essentiel que l’animateur doit alorsfaire passer pourrait être résumé comme suit : rendrepositif ce qui ne l’est pas a priori, tirer en avant lescapacités humaines cachées en chaque individu,rendre perceptible l’imperceptible.

Ce processus passe souvent par l’extériorisation dechacun et par conséquent par le risque de provoquerdes conflits.

Le “contexte voyage” est porteur d’autres normes,de valeurs, de rapports propices aux situa-

parCatherineBallin

● ● ●

108

Du point de vue de l’animateur

tions conflictuelles. Le mot conflit se trouvesouvent marqué par une connotation négative, or dupoint de vue pédagogique, le conflit fait partie inté-grante des éléments qui concourent à la constructionde la personne.

Le voyage provoque des fractures, des zonesd’ombre, des peurs chez chaque individu. Il renvoie àsa propre vulnérabilité, un conflit sous-entend une

relation de pouvoir. En se construisant, l’individus’ouvre aux autres, il prend le risque de s’exposer, derivaliser avec l’autre tout en voulant préserver sapropre identité.

Le voyage est par définition déstabilisant. Les équi-libres sont rompus et les rapports entre les individussont différents, la communication interculturelle mêlele passé au présent, le réel à l’imaginaire, l’objectivitédes codes à la subjectivité des regards. Les individuschercheront sans cesse des ressemblances et des dif-férences, voulant au rythme du déplacement trouverce qui leur est familier et ce qui leur est inconnu, leréel et le rêve.

Ces complémentarités et ces contraires provoquentdes réactions propres au voyage et il n’est pas tou-jours facile d’en assumer les manques qu’ils soientd’ordre culturel, affectif…, afin de bien les vivre engroupe.

On peut avoir tendance, avec des publics particuliè-rement fragiles, à vouloir évacuer les conflits. Ceux-cin’auront pas les mêmes origines pendant un voyagemais existeront de toute façon. De plus, gommer lesconflits, cela reviendrait à gommer les différences ; lesuns comme les autres font partie des rapportshumains.

Par exemple : • Une minorité maghrébine pourrait vouloir installer

des jeux-conflits au sein d’un groupe sous prétexte

● ● ●

109

Du point de vue de l’animateur

d’appartenance ethnique différente. Ce serait unefaçon indirecte de vouloir ré-équilibrer les différencesdans le groupe en créant des tensions (peur) : lesmoins nombreux seraient alors en apparence les pluspuissants, une apparence qui masque en réalité unecertaine forme de vulnérabilité.

• Avec des jeunes, un conflit sera plus souventsous-jacent ; une certaine rivalité entre adultes enprenant l’animateur pour cible sera une manièred’introduire le conflit pour s’assumer et/ou assumerses peurs.

Or un conflit peut être lui aussi un jeu, l’animateurqui y rentrerait trop facilement se laisserait vite dépas-ser par les événements, perdant certains repèresindispensables à la compréhension des règles. L’ani-mateur est toujours exposé et il est là pour cela, saforce sera de savoir faire la part des choses en cer-nant l’origine des tensions (qui peuvent engendrerdes conflits). Le pouvoir de l’animateur et l’exagéra-tion de son rôle peuvent également générer desconflits, à vouloir trop jouer son rôle de médiateur-temporisateur, l’effet contraire peut se produire. L’ani-mateur-tampon a ses limites.

Un animateur doit savoir prendre posit ion,quelqu’un de trop conciliant serait vulnérable, quel-qu’un de trop autoritaire le serait également par lemanque de confiance qu’il renverrait au groupe.

L’équilibre est en permanence à trouver. Si l’anima-teur ne peut régler un conflit, il doit pouvoir le rendreplus lisible, le travailler au sein du groupe pour enfaire émerger les demandes implicites, afin de lesrendre plus explicites. Le groupe en tant que tel estrégulateur de conflits.

Très souvent, son rôle est mythifié et la tendanceprouve qu’inconsciemment, l’animateur et les partici-pants reproduisent les schémas traditionnels protec-tionnistes du type “rendre service”, “assister”, “confor-ter dans l’image des uns ou des autres”. Le groupecrée son propre univers dans un espace-temps déter-miné, où les choses se font et se défont sans arrêt.

Pour l’animateur, l’essentiel sera de rester le pluslucide possible et de ne pas rentrer trop facilementdans les jeux de relations humaines qui font les parti-cularités d’une vie en société et plus spécifiquementen voyage.

Un voyage sans régulation de tensions, voire deconflits, serait un voyage trop bien réussi en apparen-ce. En réalité, après en avoir relevé les principauxeffets, nous pouvons dire que le voyage sert de “sti-mulateur” où l’élément “acteur” du participant doit semettre en éveil. La fonction de l’animateur sera de lerendre “acteur positif” et non de le laisser dans la pas-sivité, le silence, voire l’attentisme ●

110

111

P o s t f a c ede Jacques Demorgon

112

Le voyage mondialisé et ses coordonnées

Mondialisation du voyage…

Le voyage s’est mondialisé. Partout, la planète tou-ristique est mise en vente. Mais cette planète est celledu spectacle où l’on peut aller jusqu’à payer desautochtones pour mettre en scène leur folklore, letemps du passage des touristes. Le voyage touristique,par définition, ne peut pas vraiment sortir du marchémondial dans lequel il s’insère. Il nous fait croire qu’ilnous vend directement l’originalité des autres et deleur culture. Elle est censée s’exprimer dans leurs acti-vités quotidiennes que nous côtoyons et dans leursproduits que l’on peut emporter. On achètera aussi,avant ou sur place, un guide, un ouvrage plus détaillésur le pays, voire un roman. Ce temps du tourisme esten retard. On ne peut plus se situer seulement parrapport à des pays, des nations, des peuples et descultures. Car, en même temps, le nuage deTchernobyl se promène sur toute l’Europe. L’écologienous habitue à considérer l’interdépendance planétai-

re. Par les satellites, les radios, les télévisions, Internet,nous sommes reliés, dans une quasi immédiateté, àde multiples lieux de la terre. Et pourtant, noussommes incontestablement dans un déficit extrêmede possibilités de connaissance et d’action. Un déficittel, qu’il n’est pas loin de venir définitivement à boutd’un idéal démocratique de plus en plus utopique.

C’est qu’il y a deux sortes d’informations. L’une quipeut décrire et comparer tout ce qu’on lui présentemais nous offre des explications limitées des faits etdes évènements, et des compréhensions insuffisantesdes personnes et des stratégies.

Il y a une autre information qui se construit à traversdes recherches fondamentales, particulières puis plusgénérales et interdisciplinaires. Non pour tout expli-quer et tout comprendre mais pour commencer àvoyager avec ce désir de comprendre et de mieuxpenser les réactions et les actions, les nôtres, cellesdes autres, bref, leur destin et le nôtre.

Le voyage mondialisé et ses coordonnées

parJacques

Demorgon

113

Le voyage mondialisé et ses coordonnées

On nous fait croire que tout cela est hors de portée.On dit, par exemple, qu’aujoud’hui, les grandes entre-prises sont enfermées, dans le court terme de leurbilan financier voire dans la fluctuation au jour le jourde leurs actions. Mais, en même temps, dix-huit desplus grandes entreprises mondiales ont commandéune étude sur l’année 2025. En France, précédem-ment, Thierry Gaudin avait réalisé un projet semblableet nous avait offert un voyage anticipateur dans leXXIème siècle. Mais avant d’être anticipateur, le voya-ge peut-il vraiment s’effectuer dans le temps réel ?Celui de la mondialisation en cours ? Comment per-mettre au voyageur, aujourd’hui et demain, de partici-per à l’information qui se construit ?

Temps de l’histoire…

Le paradoxe, c’est qu’avant de pouvoir rejoindre, surla planète, l’espace des stratégies mondiales, il fautune profonde connaissance des stratégies d’hier et deleurs conséquences qui ont composé l’histoire.

Contrairement à une myopie contemporaine quis’entretient trop facilement, nous avons besoin d’unevision historique à long terme pour comprendre notreactualité. De très nombreux ouvrages d’historiens, desociologues, de géographes, d’économistes etd’anthropologues ont largement fourni les matériauxpour constituer aujourd’hui une meilleure vue

d’ensemble.Le temps de l’histoire s’est construit à travers les

stratégies humaines et les contraintes qu’ellesdevaient résoudre. Trois grandes «formes culturelleshistoriques» se sont successivement imposées : com-munautaires, royales-impériales, nationales-mar-chandes. Aucune n’a disparu. Elles sont devenues,partiellement, des «courants culturels» qui se sont fon-dus et enchevêtrés au fur et à mesure des évolutions.En ce sens, selon la juste expression de Régis Debray,«nous vivons trois âges en même temps».

Pour mieux comprendre les développements, équi-libres ou paralysies engendrés par les interactions deces courants culturels, selon les régions du monde, ilfaut se rendre compte qu’à leur origine on peut trou-ver les stratégies des multiples acteurs participantdiversement aux grands secteurs d’activités : le reli-gieux, le politique, l’économique et l’informationnel.

Hier, en Europe, l’association du religieux et du poli-tique dominait dans les cultures royales. Cette asso-ciation s’est peu à peu défaite. Elle a été marginaliséepar le développement du secteur économique. C’estici que s’enracinerait utilement, par exemple, unregard sur les trois Europe : catholique, orthodoxe etprotestante. Les deux premières sont nées et se sontdéveloppées dans les cultures royales et impériales.La troisième, au contraire, est profondément liée à lalibération du secteur économique. ● ● ●

114

Le voyage mondialisé et ses coordonnées

Ainsi, chaque pays dans lequel nous voya-geons nous offre à comprendre sa propre génèse his-torique sur laquelle reposent, pour une large part, saconjoncture actuelle et les stratégies toujours en partielibres de ses acteurs. Au cœur du défi actuel de lamondialisation, l’aventure profonde de chaque pays etde chaque peuple reste ouverte même si des pesan-teurs jouent déjà dans un sens ou dans l’autre. S’il acette conscience et cette connaissance, le voyageuréchappe de plus en plus au statut du voyeur. Ildevient conjointement participant de l’aventure deson pays et de son peuple comme de l’aventure dupays et du peuple où pour le moment il se trouve envoyage.

Espace des stratégies, des tragédies…

Notre culture ou plutôt notre culte du progrès nousa longtemps fait croire que la dernière étape de notreévolution, la nôtre, était forcément la meilleure et quetous ne pouvaient que désirer l’atteindre.

Si l’Afrique connaît tant de difficultés, c’est aussiparce que ses «colonisateurs» d’hier et d’aujourd’hui,n’ont pas été en mesure de reconnaître la prégnanceet les conditions d’évolution du courant culturel com-munautaire. Ils ont cru prétentieusement possible dedécalquer leur propre forme sociétale et culturelle surl’Afrique, sans lui permettre en aucune façon de

l’inventer par elle-même. Ce qui, par contre, a pu êtreeffectué, par exemple au Japon à partir de l’ère Meiji.Certes, non sans que ce pays ne soit par là mêmeentraîné dans une histoire dramatique pour les autreset pour lui-même.

Les médias se sont aujourd’hui largement emparésde la question de la Chine. Or ce pays s’est construit àtravers une culture impériale millénaire. Le communis-me maoïste lui a permis de reconstituer son unité. Etla Chine s’est maintenant engagée dans une perspec-tive marchande internationale. Dans cet esprit, on croitque la Chine va devenir simplement une nation mar-chande. Ce qui ne nous empêche pas par ailleurs detrouver que nombre de nations et d’Etats sontaujourd’hui dépassés par de grandes entreprises inter-nationales. Les courants culturels historiques - le com-munautaire, l’impérial, le marchand - entreront diver-sement à la fois en coopération et en conflit et consti-tueront, demain, une nouvelle Chine singulière.

L’ensemble des évolutions mondiales ne serahomogène que pour une part et sera hétérogène,pour une autre. Aujourd’hui, le jeu des acteurs desquatre grands secteurs (religieux, politique, écono-mique et informationnel) a changé. Les acteurs plusliés au secteur économique maintiennent une empri-se sur les secteurs religieux et politique et l’étendentsur le secteur de l’information. Mais le développement

● ● ●

115

Le voyage mondialisé et ses coordonnées

de l’information est nécessaire à tous les autres déve-loppements. En fait, aujourd’hui, se constitue unenouvelle forme culturelle historique, la culture infor-mationnelle mondiale qui représente un quatrièmecourant.

Il y a des synergies qu’il faudrait pouvoir penser etvivre entre voyages, rencontres, informations. Car toutcela se déroule différemment, selon les pays, lesentreprises, les groupes sociaux et les personnes.Chaque pays, dans lequel on voyage, nous emporteet vibre dans sa propre conjoncture.

Lors d’un voyage en Russie, Jean-Luc Menu écrit :«histoire démente et atroce, présent difficile, aveniratomique, nos angoisses et notre mémoire collectivesont en Russie». Voyager, c’est aussi se rendre comptede cette conjoncture et de la façon dont les acteursde ce pays et de ce peuple s’y prennent pour suppor-ter, pour en sortir, pour améliorer leur sort. C’est tenterde reconnaître les incompréhensions qui se maintien-nent ou se dissolvent, les possibilités que l’on gaspilleou que l’on saisit, les coopérations que l’on engageou que l’on écarte, les conflits que l’on entretient ouque l’on travaille.

C’est cela qui rend si émouvante la lettre de Tamaraqu’Isabelle, après son retour, reçoit de Russie :«Isabelle, si tu as le temps, essaye d’aller dans uneagence matrimoniale, peut-être que quelqu’un sou-

haite faire la connaissance d’une femme russe ! Jepourrais aussi faire des ménages, ranger , faire la lessi-ve, m’occuper des petits enfants… qu’est-ce que tupenses de ma demande ? C’est peut-être mal de fairece que je fais !».

On peut commencer à comprendre ici que l’inter-culturel c’est autre chose et plus que de seulementdécoder les gestes, les conduites, le cadre et les sym-boles spécifiques d’une culture. C’est découvrir com-ment nous sommes concernés ensemble dans nosdestins différents par une aventure humaine faite demultiples aspects. Que nous en ayons conscience ounon, que nous le voulions ou non, tous les aspects decette aventure sont producteurs d’une culture quidevient elle-même aujourd’hui et nous fait devenir.Seul le voyage peut nous faire entrevoir à ce pointque notre conscience n’est jamais suffisante, quenotre engagement est toujours déficient. S’il s’agit denous entraîner au-delà de nos réalités et de nos possi-bilités, il nous faut continuer à voyager mais à lacondition bien sûr que ces voyages soient des occa-sions de véritables rencontres comportant par làmême aussi, c’est-à-dire n’éludant pas, l’abord de nosincertitudes, de nos désaccords, de nos conflits ●

116

117

A n n e x e s

118

Annexes

Eléments bibliographiques

Ouvrages théoriques

• Emile Benveniste, Problèmes de linguistiquegénérale, Gallimard, 1966.• Marc Guillaume, La Contagion des passions, Plon,1989.• Edward T. Hall, Au-delà de la culture, Seuil, coll.Points Essais n°191, 1979.• Edward T. Hall, La Dimension cachée, Seuil, coll.Points Essais n°89, 1978.• Edward T. Hall, La Danse de la vie - temps culturel,temps vécu, Seuil, 1984.• Julia Kristeva, Etrangers à nous-mêmes, Fayard/Folio Essais 156, 1988.• Claude Levi-Strauss, Tristes Tropiques, Plon, coll.Terre Humaine, 1955.• Claude Ollier, Marrakech Medine, Flammarion,1989.• Victor Segalen, Essai sur l’exotisme, une esthétiquedu divers, le Livre de Poche, n°4042, 1986.• Michel Serres, Le Tiers instruit, Ed. François Bourin,1991.• Tzvetan Todorov, Nous et les autres, Seuil, 1992.

• Paul Virilio, Esthétique de la disparition, Galilée,1980, réédition 1989.• Paul Virilio, L’Horizon négatif, Galilée, 1984.• Marina Yaguello, Alice au pays du langage, Seuil,1981.• Marina Yaguello, Catalogue des idées reçues sur lalangue, Seuil, collection Point Virgule, 1988.

Ouvrages de chercheurs publiés avec le concoursde l’Office franco-allemand pour la Jeunesse• Lucette Colin, Burkhard Müller, La Pédagogie desrencontres interculturelles, Anthropos, 1996.• Jacques Demorgon, L’Exploration interculturelle :pour une pédagogie internationale, Armand Colin,1989.• Jacques Demorgon, Complexité des cultures et del’interculturel, Anthropos, 1996.• Jean-René Ladmiral, Edmond-Marc Lipianski, LaCommunication interculturelle, Armand Colin, 1991.

Voir aussi la série des Textes de travail «Apprentis-sages internationaux et interculturels» publiés parl’Office franco-allemand pour la Jeunesse*.

* OFAJ 51 rue de

l’Amiral-Mouchez75013 Paris Téléphone :

01 40 78 18 18

119

Annexes

Articles, études

• Jean Baudrillard, «Le voyage sidéral», in Figures del’altérité, Editions Descartes, 1994.• Pascal Bruckner, «Faut-il être cosmopolite ?», inEsprit, n°187, décembre 1992.• Umberto Ecco, «La condition minoritaire», in Courrierde l’Unesco, juin 1993.• Erving Goffman, «Les territoires du moi», in La Miseen scène de la vie quotidienne, volume 2 : LesRelations en public, Editions de Minuit, 1973.• Edmond-Marc Lipianski, «Les dessous de la commu-nication interculturelle», in Sciences Humaines, n°16,avril 1992.• Deidre Meintel, «Qu’est ce qu’une minorité ?», inCourrier de l’Unesco, juin 1993.• Mauro Peressini, «Les deux visages de l’identité», inCourrier de l’Unesco, juin 1993.• Tom Storrie, «L’avantage d’une participation mono-lingue dans les échanges internationaux», communi-cation au colloque L’invention de la société, Evora,juillet 1996.• Michael Walzer, «Le nouveau tribalisme», in Esprit,n°186, novembre 1992.• «L’enseignement des langues et des cultures», inEducations, n°6, Villeneuve d’Asq, décembre 1995.• Projet communautaire d’élaboration de modules deformation pour animateurs, Agence nationale duprogramme Jeunesse pour l’Europe, décembre 1994.

Récits de voyageurs, littérature etouvrages humoristiques

• Michel Butor, La Modification, Ed. de Minuit 1957,rééd. 1980.• Michel Butor, L’Emploi du temps, Ed. de Minuit, 1954.• Pierre Desproges, Les étrangers sont nuls, Seuil,collection Point Virgule, 1992.• Alain Finkielkraut, Ralentir : mots-valises !, Seuil,1979.• Joseph Arthur de Gobineau, Adélaïde, MademoiselleIrnois, Souvenirs de voyage, U.G.E. 1982 et 10/18n°1514.• Joseph Arthur de Gobineau, Trois Ans en Asie :voyage en Perse, A.M. Métailié, 1980.• Jean-Claude Guillebaud, Un Voyage en Océanie : leGrand reportage du Monde, Seuil, 1980 et 1982.• Jean-Claude Guillebaud, Un Voyage vers l’Asie,Seuil, 1980.• Jean-Claude Guillebaud, Un Voyage à Kéren, Arléa,1988.• J.M.G. Le Clézio, Le Chercheur d’or, Gallimard, 1988.• Michel Leiris, Afrique fantôme, Gallimard, 1988.• Henri Michaux, Un Barbare en Asie, Gallimard, coll.L’Imaginaire, 1986.• Michel de Montaigne, Les Essais, Arléa, 1996.• Paul Morand, L’Homme pressé, Gallimard, 1990.• Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Paci-fique, Gallimard, 1977, Folio n°959.

120

Annexes

Présentation des auteurs

Catherine Ballin est «tombée» dans l’éduca-tion populaire à l’âge de 22 ans par le biais desMaisons de Jeunes et de la Culture. Titulaire duDEFA, responsable des échanges internationaux àPeuple et Culture Languedoc-Roussillon, son par-cours d’animatrice se structure autour du voyagecomme démarche pédagogique forte, comme expé-rience de vie au sens d’apprentissage des valeursculturelles et universelles, comme élément dyna-mique de citoyenneté.

Corinne Baudelot a, de par ses origines russeset tchèques et sa mère professeur d’anglais, très tôtété confrontée à la diversité et au métissage culturels.Elle a poursuivi des études de langue (licence d’alle-mand) et de linguistique, a enseigné cinq annéesdurant le français «langue étrangère» à l’Université deLondres et à la BBC, avant de plonger en 1989 dansle monde jusqu’alors inconnu de l’éducation populai-re, en tant que chargée de mission puis directrice àPeuple et Culture.

Joëlle Cleret est animatrice d’échanges inter-nationaux à Peuple et Culture Puy-de-Dôme depuis1985. Au-delà de son implication professionnelle, elleconsidère le voyage comme un outil d’autoformationpermanente et comme un élément de réponse à larecherche sur soi et sur les autres cultures.

Geneviève Dahan-Seltzer est sociologue,maître de conférences associé à l’Institut d’EtudesPolitiques de Paris et, dans le cadre de ses inter-ventions en tant que consultante, elle accompagne leschangements dans les entreprises ou intervient dansl’analyse des pratiques comme cela a été le cas pourle séminaire sur la pédagogie du voyage qu’elle aanimé à Peuple et Culture. Cette immersion dans desunivers à chaque fois différents est, pour elle, l’occa-sion d’un nouveau «voyage».

Hélène Gisbert-Demaret, née au Maroc etd’origine espagnole, considère le voyage comme par-tie intégrante de la formation de l’individu et élément

121

Annexes

fondamental de la construction de l’identité. Dansl’espace d’ouverture et d’innovation qu’est pour ellePeuple et Culture Puy-de-Dôme, où el le estaujourd’hui animatrice d’échanges internationaux, sarecherche personnelle a pu rencontrer une démarchecollective : une confrontation indipensable dans l’ani-mation de groupes.

Jean-Luc Menu a passé des années à «déambu-ler» dans des contrées lointaines, de la Scandinavie enAmérique centrale en passant par les Etats-Unis et leCanada. Sa route s’arrête à Berlin où pendant six ans,à côté de son métier de technicien du film, il s’engagedans le vie associative. De retour en France, en 1981,il fonde avec d’autres Peuple et Culture Languedoc-Roussillon dont il développe et anime le secteur inter-national. Depuis 1991, i l est responsable deséchanges internationaux au sein de l’Union Peuple etCulture.

Françoise Navel-Brugnon est depuis 14ans responsable de Tashunka, une structure d’anima-tion centrée sur la découverte de la civilisation amé-rindienne et de la vie équestre. Sa route a croisé cellede Peuple et Culture en 1989 lors de sa formationDEFA. Attirée par l’Allemagne - son pays natal - etplus généralement par l’aventure et la remise en

question inhérentes au voyage, elle s’est intéressée àl’activité interculturelle de Peuple et Culture. Dès1991, el le développe son propre secteur deséchanges internationaux.

Jean-Louis Saïz est photographe et a été anima-teur d’échanges internationaux à Peuple et CultureHaute-Savoie jusqu’en 1993. Il conçoit la photogra-phie comme un voyage à l’intérieur du voyage : unemanière de vivre le voyage et, dans le même temps,d’en être le témoin, d’en retracer la mémoire et la dis-tance, d’en susciter le décryptage et le questionne-ment.

122

Annexes

Table des illustrations

• Page 11 : Benjamin Coirier, Peuple et Culture Languedoc-Roussillon - Rencontre théâtrale européenne.• Page 15 : Jean-Louis Saïz.• Pages 23, 30, 36 et 42 : Jean-Louis Saïz - Volgograd, 1993.• Page 28 : Jean-Louis Saïz - Bordeaux, 1991.• Page 33 : Jean-Louis Saïz - Paris, 1994.• Page 38 : Jean-Louis Saïz - Volgograd, 1993.• Page 45 : Jean-Louis Saïz - Volgograd, 1993.• Pages 53, 54 et 68 : Jean-Louis Saïz - Volgograd, 1993.• Page 61 : Jean-Louis Saïz - Berlin, 1992.• Page 65 : Jean-Louis Saïz - Belfast, 1989.• Page 71 : Peuple et Culture Puy-de-Dôme - Création réalisée par des jeunes dans le cadre d’un échange sur lethème de la photographie.• Page 75 : Joaquim Pinheiro, Peuple et Culture Languedoc-Roussillon - Echange international sur la musique.• Page 78 : Jean-Luc Menu - Suède, 1972.• Page 83 : Benjamin Coirier, Peuple et Culture Languedoc-Roussillon - Rencontre théâtrale européenne.• Page 89 : Ifad Paillade, Peuple et Culture Languedoc-Roussillon - Pratique artistique vécue par des jeunes dans lecadre d’un échange sur le thème du théâtre.• Page 91 : Peuple et Culture Languedoc-Roussillon - Rencontre interculturelle de jeunes sur le multi-média. • Page 108 : Patrick Fabre - Atelier d’Allemand, Université d’été 1995 de Peuple et Culture à Grenoble.

En guise d’ouverture

Peup

leet

Cul

ture

Itin

éra

ire

sLe

voya

geen

tre

expé

rien

ceet

form

atio

n

108, rue Saint Maur75011 Paris

Tél. : 01 49 29 42 80Fax : 01 43 57 62 42

Conception etréalisation maquette

Cathy Vivodtzev

ISBN : 2-909674-04-5

Pe

up

le e

t C

ult

ure

Le voyage est un processus aux aspects multiples : il rompt avec le quotidien et bouscule lesreprésentations. L’expérience du voyage, quelle qu’elle soit, ne laisse pas indemne.

A travers le déplacement - propre et figuré -, la confrontation à un espace-temps différent et l’expositionà l’autre, il contribue de manière privilégiée à la construction de l’identité individuelle et collective.

Le voyage et la rencontre d’individus d’appartenances nationales différentes constituent également dessupports de l’exploration interculturelle : ce sont des espaces de dialogue et d’enrichissement mutuelsavec tout ce que cela implique quant à l’ouverture à l’autre culture et à la gestion des relations qui secréent ou se défont au sein d’un groupe plurinational.

Lorsqu’on conçoit et anime des voyages, créer les conditions d’émergence d’une telle dynamique et enprolonger les effets reposent sur des savoir-faire spécifiques. Ce sont ces savoir-faire que des animateursd’échanges internationaux de Peuple et Culture ont entrepris de capitaliser dans le cadre d’un séminaired’analyse des pratiques : ils ont décortiqué, défriché, déchiffré, confronté leurs expériences en matièred’organisation et d’encadrement pédagogique de voyages afin de dessiner des itinéraires possibles pourceux qui cherchent à contribuer à l’aventure interculturelle.

La singularité du voyage s’exprime ici au travers de regards pluriels : pluralité des perceptions - enfonction des sensibilités différentes des auteurs -, pluralité des approches - à partir de témoignages,d’analyses, de récits d’expériences, de points de méthode -, pluralité des facettes du voyage - sous l’angledu rapport au temps et à l’espace, de la construction identitaire, des apprentissages interculturels et deschoix pédagogiques liés à la conception et à l’animation d’échanges internationaux.

La lecture en sera elle aussi plurielle : le voyageur - que chacun a en soi - trouvera, au fil de sadéambulation dans les pages de ce livre, un écho à ses propres expériences, sensations ouquestionnements ; l’animateur de voyages - en herbe ou confirmé - pourra sélectionner certains desoutils proposés afin de cerner les objectifs d’un projet et de mieux en maîtriser la réalisation.

Avec le soutien de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse et du programme Jeunesse pour l’Europe

I t i n é r a i r e sLe voyage entre expérience et formation