le traitement des libertes fondamentales en france

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LE TRAITEMENT DES LIBERTES FONDAMENTALES EN FRANCE 2010 CODE D’APPLICATION DES CRITERES DE COPENHAGUE Le Club du Millénaire Rapport réalisé dans le cadre du Code d’application des critères de Copenhague élaboré par les Universités Bahçeşehir et Boğaziçi .

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Le Club du Millénaire a réalisé deux rapports dans le cadre d’un Code général d’application des critères de Copenhague, à destination de la Turquie. Réalisés sous la férule des universités de Boğaziçi (politique) et Bahçeşehir (droit), ils ont été remis à la Direction Générale de l’élargissement de la Commission Européenne.

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LE TRAITEMENT DES LIBERTES

FONDAMENTALES EN FRANCE

2010

CODE D’APPLICATION DES CRITERES DE COPENHAGUE Le Club du Millénaire

Rapport réalisé dans le cadre du Code d’application des critères de Copenhague

élaboré par les Universités Bahçeşehir et Boğaziçi .

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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Sommaire :

Titre 1 : Le régime juridique français relatif à la limitation des libertés fondamentales. p : 5

Chapitre 1 : Les dérogations aux libertés. p : 6

Section 1 : Les dérogations d’égales valeurs. p : 6

§1 Les dérogations constitutionnelles. p :7

A. Les dérogations issues de l’article 16. p :7

B) Les dérogations issues de l’article 36. p : 8

§2 Les dérogations conventionnelles.

Section 2 : Les dérogations de valeur inférieure. p : 9

§1 Les dérogations législatives. p : 9

§2 Les dérogations jurisprudentielles. p : 10

Chapitre 2 : La conciliation des libertés. p : 10

Section 1 : La conciliation avec un impératif concurrent. p : 11

§1 La conciliation avec la recherche de l’intérêt général. p : 11

A. Le droit interne. p : 11

a. La conciliation avec la recherche de l’intérêt général par le juge constitutionnel.

b. La conciliation avec la recherche de l’intérêt général par le juge administratif.

- Les composantes traditionnelles de l’ordre public.

- Les composantes additionnelles de l’ordre public.

B. Le droit international. p : 14

- La conciliation avec le respect d’un engagement international.

Section 2 : La conciliation avec une liberté concurrente. p : 15

Titre 2 : Le régime juridique français relatif à la violation des libertés fondamentales. p : 17

Chapitre 1 : Les mécanismes internes de protection abstraite résultant de la violation des

libertés fondamentales. p : 17

Section 1 : Le contrôle de constitutionnalité. p: 17

§1 Le contrôle de constitutionnalité des normes nationales. p : 17

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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A. La consécration jurisprudentielle. p : 17

B. Conséquence de la reconnaissance de la valeur constitutionnelle des droits et libertés figurant dans

le Préambule de la Constitution de 1958. p : 18

a) Le contrôle de constitutionnalité des lois opéré par le juge constitutionnel. p : 19

- Le contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires

- Le contrôle de constitutionnalité des lois organiques.

b) Le contrôle de constitutionnalité des normes non législatives opéré par le juge ordinaire. p : 20

- La condition négative d’absence de loi écran.

§2 Le contrôle de constitutionnalité des normes internationales. p : 21

A. Le contrôle effectué devant le juge constitutionnel. p : 21

B. Le contrôle effectué devant le juge ordinaire. p : 22

a) Les engagements internationaux en général.

b) Les engagements communautaires en particulier.

Section 2 : Le contrôle de conventionalité. p : 23

§1 Les conditions relatifs au contrôle de conventionalité. p : 24

A. Les conditions de forme. p : 24

B. Les conditions de fonds. p : 24

- Le principe de l’applicabilité directe.

§2 Les complications résultant du contrôle de conventionalité. p : 25

A. La compétence du contrôle de conventionalité. p : 26

B. Les limites résultant de l’autorité de contrôle. p : 27

- La position des juges nationaux.

Chapitre 2 : Les mécanismes internes de protection inhérents à la violation des libertés fondamentales. p : 28

Section 1 : Les garanties constitutionnelles. p : 28

§1 L’exception d’inconstitutionnalité de l’article 61-6 de la Constitution. p : 29

A. Un domaine de contrôle limité. p : 29

B. Les modalités du contrôle strictement encadrées. p : 30

§2 La protection de la liberté individuelle consacrée par l’article 66 de la Constitution. p : 31

A. L’identification de la notion de liberté individuelle. p : 31

B. Sanction de l’atteinte à la liberté individuelle. p : 32

Section 2 : L’indépendance du pouvoir judiciaire p : 33

§1. La consécration textuelle de l’indépendance du juge judiciaire. p : 33

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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A. Un statut constitutionnel protecteur L’article 64 de la Constitution de 1958 pose le principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire. p : 34

B. Une indépendance accrue à l’égard des magistrats du siège. p : 34

Section 3 : Le rôle du dualisme juridictionnel dans la protection des libertés fondamentales.p :35

§1 Le juge judiciaire et la protection des libertés. p : 35

A. Le juge civil et pénal contribuant à la garantie des droits. p : 36 - Le juge civil. - Le juge pénal. B. La réserve de compétence du juge judiciaire face au juge administratif. p : 37 a. La théorie de l’emprise irrégulière. b. La théorie de la voie de fait. - L’exécution de la décision - L’adoption de la décision.

§2 Le juge administratif dans la protection des libertés. p : 40

A. La création de PGD par le juge administratif. p : 40 B. Les pouvoirs de référé du juge administratif. p : 41 a. La création du référé liberté. b. Les conditions au référé liberté. - La nature de la liberté invoquée. - Les circonstances de l’atteinte. Chapitre 3 : La garantie internationale des libertés fondamentales. p : 45

Section 1 : La Convention européenne des droits de l’homme de 1950 et le contrôle de la Cour. p : 46

§1 Le contenu de la Convention EDH. p : 46

A. Les garanties procédurales. p : 47

B. Les droits substantiels. p : 47

§2 La portée de la jurisprudence de la Cour EDH. p : 48

Section 2 : La protection par la Cour de Justice des Communautés Européennes. p : 49

§1 Les étapes de la protection des libertés fondamentales par le droit communautaire. p : 49

§2 Une protection accrue des libertés fondamentales. p : 50

Conclusion : p : 51

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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Titre 1 : Le régime juridique français relatif à la limitation des

libertés fondamentales.

Le bloc de constitutionnalité comprend le terme de « droits de l’homme » mais intègre

également les «libertés publiques», citées à l’article 34 de la Constitution. Le nouvel article 61-1 de la

Constitution française protège en outre les «droits et libertés que la Constitution garantit». Ces

subtilités sémantiques sont porteuses de sens et résultent d’un choix réfléchi des auteurs, pouvant

s’expliquer par deux raisons principales.

D’une part, le rôle des libertés fondamentales a évolué dans le temps, et dans l’espace. Elles

diffèrent ainsi d’un continent, voire d’un pays à l’autre. Cette situation peut poser problème, les libertés

fondamentales étant par définition inhérentes à tous les individus. Par exemple, comment expliquer

que le droit à choisir sa religion soit considéré comme une liberté fondamentale dans certains Etats et

pas dans d’autres ? D’autre part, les notions de liberté, de caractère fondamental sont relativement

vagues. A titre d’exemple, Jean-Jacques Rousseau explique dans le Contrat social que « l’homme est

né libre et partout il est dans les fers », ce qui signifie que la liberté a besoin du droit pour être

protégée. Il faut donc définir ce qui doit être protégé. Mais la question se pose de savoir à partir de

quand l’individu est libre, ce qui permet d’expliquer l’émergence de courants qui ont défini la liberté

selon des approches différentes. Si l’on se réfère à John Locke ou Adam Smith, auteurs majeurs de la

théorie du droit naturel, la liberté est définie comme une faculté d’autodétermination. La vision

rousseauiste postule que la liberté peut également être envisagée comme une faculté de participation,

au sens politique, la liberté étant garantie par l’aliénation collective d’une part de la liberté puisque

«chacun obéissant à tous, n’obéissant qu’à lui même reste aussi libre qu’avant». La consécration

juridique la plus aboutie de la définition de la liberté est sans doute celle donnée par les

révolutionnaires de 1789, dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de

1789 (DDHC) qui dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui :

ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux

autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être

déterminées que par la loi ».

Par ailleurs, il importe de différencier les libertés positive et négative, c'est-à-dire les libertés

fondamentales des droits fondamentaux. La différence repose sur la notion positive ou négative de la

prérogative. Le droit signifie en effet la « prestation » et la liberté l’« abstention ». La liberté

entrainerait ainsi l’obligation d’abstention et le droit l’obligation de prestation. Pour un certain nombre

d’auteurs, la liberté s’exercerait donc contre l’Etat et le droit grâce à lui. Ainsi, la notion de droits

fondamentaux serait plus large que celle de liberté fondamentale parce que précisément elle inclurait

ces droits de créance dans la matière. Dans la liberté, la dimension positive est facultative ou

accessoire cependant que dans la prestation elle est consubstantielle. En effet, la prestation fait

exercer le droit alors que dans la liberté elle ne fait que la conforter, ce qui peut expliquer que seules

les libertés soient justiciables, id est qu’elles puissent faire l’objet d’une prétention devant les tribunaux

comme le relève l’ordonnance dite « Mr Michel » du 8 décembre 2005 rendue en matière de référé par

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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le Conseil d’Etat, considérant que le requérant ne pouvait se prévaloir du droit à la santé devant la

Cour suprême de l’ordre administratif car ce dernier n’est pas une liberté fondamentale mais un droit

de créance.

Le caractère fondamental peut, quant à lui, s’apprécier selon une vision formelle ou matérielle,

la première vision s’appréciant selon le rang hiérarchique de la norme qui lui est supérieure alors que

la seconde touche au contenu de la prérogative. Le Conseil d’Etat consacre des libertés

fondamentales en se référant à des dispositions législatives - comme le droit de consentir aux soins

médicaux dégagé par le juge des référés dans l’ordonnance «Mmes Feuillety» de 2002-, le critère

formel n’est donc pas seul suffisant. Par conséquent, les « libertés fondamentales » peuvent se définir

comme des prérogatives reconnues à l’individu en sa qualité d’être humain ou nécessaire à son

épanouissement faisant ainsi l’objet d’une protection particulière. Celle-ci l’est à deux égards,

puisqu’elle induit une limitation des libertés fondamentales pour pouvoir être pleinement efficace mais

s’inscrit dans le cadre d’un Etat donné.

Dans quelle mesure les limitations des libertés fondamentales sont-elles envisagées en

France ? Nous envisagerons dans un premier temps les dérogations aux libertés admises à un temps

donné et au regard de certains motifs (I). Nous verrons ensuite que, les libertés n’étant pas absolues,

elles nécessitent une certaine limitation pour protéger des intérêts supérieurs de la vie en

communauté : la conciliation des libertés (II).

Chapitre 1 : Les dérogations aux libertés.

L’idée de dérogation va plus loin que celle de restriction. Elle désigne, au sens strict, une

situation où la liberté n’est plus applicable. Relativement rare du fait de la menace pour la démocratie

qu’elle représente, elle est admise dans certaines dispositions, à un temps donné et au regard de

certain motif. Les dérogations sont généralement prévues par des normes de même valeur (section 1)

mais certaines le sont par des normes de valeur inférieure (section 2).

Section 1 : Les dérogations d’égales valeurs.

Notre système prévoit lui-même des dérogations au système des libertés. Elles sont rares en

droit constitutionnel ; le peuple rédigeant en principe la Constitution (§1), il ne permet normalement

pas aux dirigeants de restreindre ses libertés. Elles sont en revanche plus fréquentes dans les traités,

ceux-ci étant ratifiés par les Etats eux-mêmes (§2).

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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§1 Les dérogations constitutionnelles.

En France, la Constitution de 1958 a été adoptée par le Général de GAULLE et non par le

peuple. Elle s’inscrit dans le contexte de la crise algérienne, ce qui explique la présence de l’article 16

(A) et de l’article 36 (B) de la Constitution.

A. Les dérogations issues de l’article 16.

L’idée inspiratrice de l’article 16 réside dans le cas où la France devrait se retrouver un jour dans

des circonstances aussi dramatiques que celle de juin 1940. Ainsi, le président de la République doit

pouvoir se faire le garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire et des traités en

vertu de l’article 55 de la Constitution, et par ailleurs qu’il puisse disposer de pouvoirs suffisamment

étendus pour faire face à toute éventualité sans qu’on puisse lui reprocher de sortir de la légalité

constitutionnelle. L’article 16 de la Constitution dispose que « lorsque les institutions de la République,

l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements

internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier

des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures

exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des présidents des

assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la Nation par un message. Ces

mesures doivent être inspirées par la volonté de s’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans

les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à

leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. L’Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant

l’exercice des pouvoirs exceptionnels ».

Deux conditions de fonds sont donc nécessaires : d’une part, une menace grave et immédiate ;

d’autre part, l’interruption du fonctionnement régulier des institutions. En droit, rien n’empêche le

président de la République de considérer qu’il a les pleins pouvoirs si les deux conditions sont

remplies. Le Conseil d'Etat ne contrôle pas cette décision de recourir aux pleins pouvoirs, il contrôle

seulement certaines mesures prises au nom des pleins pouvoirs mais uniquement les mesures qui

correspondent au domaine du règlement en vertu de l’arrêt « Rubens de Servans » du 2 mars 1962.

Comme le soulignent les professeurs Francis Hamon et Michel Troper dans Le droit constitutionnel,

«elle autorise le président de la République à prendre des mesures qui, en temps normal, ne relèvent

absolument pas de sa compétence. Il pourrait fort bien, par exemple, s’il l’estimait nécessaire, limiter

la liberté d’expression en instituant pour la presse un régime de censure. De même, il pourrait limiter

la liberté individuelle en prévoyant des mesures d’internement administratif ou d’assignation à

résidence. Enfin, il pourrait également suspendre les garanties des fonctionnaires afin de révoquer ou

de mettre en disponibilité d’office ceux dont la loyauté ne lui paraitrait pas suffisamment garantie». La

révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a inséré un nouvel alinéa à l’article 16 qui permet de saisir

le Conseil constitutionnel après 30 jours d’exercice de plein pouvoir pour vérifier que les conditions de

recourir au plein pouvoir sont bien réunies.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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B. Les dérogations issues de l’article 36.

L’article 36 de la Constitution prévoit le régime de l’état de siège qui organise la défense de la

nation en période de guerre ou de troubles. Celui-ci est fixé par une ancienne loi du 9 août 1849

codifiée en 2004 dans le nouveau Code de la Défense. En vertu de l’article 2121-1 du Code de la

Défense, « l’état de siège ne peut être déclaré (…) qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre

étrangère ou d’une insurrection armée ». Il se différencie de l’article 16 de la Constitution en ce qu’il

vise à la sauvegarde des institutions et de l’ordre constitutionnel démocratique. Au plan formel, l’article

36 de la Constitution dispose que « l’état de siège est prononcé par décret en Conseil des ministres.

Sa prorogation au-delà de douze jours doit être autorisée par une loi ». Pierre-Henri Prelot résume

ainsi que l’état de siège emporte plusieurs conséquences « et notamment le transfert à l’autorité

militaire de pouvoirs de police et de maintient de l’ordre, l’élargissement des compétences des

tribunaux militaires en matière pénale, ou encore l’octroi à l’autorité militaire de pouvoirs de police

spécifiques (perquisitions domiciliaires de jour et de nuit ; éloignement des personnes, interdiction des

publications et des réunions de nature à menacer l’ordre public…)». Cette décision revient au

président de la République avec le contreseing du Premier ministre. Ce n’est donc pas un pouvoir

autonome du président de la République et il peut s’avérer complexe à mettre en place en cas de

cohabitation. Depuis la naissance de la Vème République en 1958, il n’a jamais utilisé.

§2 Les dérogations conventionnelles.

En vertu de l’article 15 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Convention

EDH), ce sont les Etats eux-mêmes qui ont prévu qu’ils pouvaient déroger aux obligations prévues par

ladite Convention en cas d’état d’urgence. L’alinéa 1er de l’article 15 de la Convention européenne

des droits de l’homme stipule qu’en « cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie

de la nation, toute haute partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations

prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que

ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit

international». La Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH) contrôle néanmoins les

raisons de cette dérogation, ce qu’elle a fait au début du fonctionnement de la Cour avec la question

du terrorisme en Irlande. La France étant partie à l’ensemble de la Convention EDH, cet article

s’applique de plein droit dans le droit interne, ce qui a pour conséquence que la Cour EDH pourra

contrôler les raisons et les motifs d’un éventuel recours à l’article 16 ou à l’article 36 de la Constitution.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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Section 2 : Les dérogations de valeur inférieure.

Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle une norme de valeur inférieure autorise la dérogation aux

libertés fondamentales qui, par définition, sont des normes placées au sommet de la hiérarchie. Ces

dérogations peuvent être législatives (§1) ou jurisprudentielles (§2).

§1 Les dérogations législatives.

Le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur le pouvoir d’établir des régimes d’exception

dans une décision du 25 janvier 2001, «Etat d’urgence en Nouvelle Calédonie», dans la perspective

de protéger l’ordre public en cas d’état d’urgence. Cette possibilité législative remonte en réalité à une

loi de la IVème République du 3 avril 1955, adoptée pour faire face aux événements algériens

précédant le changement de régime, c'est-à-dire avant la Constitution de 1958 et son article 16. Les

conditions en sont assez souples puisqu’il suffit aux termes de l’article 1er de la loi d’« un péril

imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur

nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » L’application de ce régime entraine une

extension considérable des pouvoirs de police. L’article 5 de ladite loi donne ainsi pouvoir aux préfets

«d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux horaires qu’ils fixent ;

d’instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de

quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics». Plus important encore, l’article 8 dispose

que «le ministre de l’Intérieur et le préfet peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de

spectacles, débits de boisson et lieux de réunion de toute nature (…) Peuvent être également

interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le

désordre».

Par ailleurs, l’article 11 prévoit la possibilité d’habiliter les autorités administratives « à prendre

toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que

celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations

théâtrales». Enfin, l’article 12 de ladite loi dans sa rédaction issue de la loi du 15 juin 2000 prévoit la

possibilité d’un transfert de compétences pénales aux autorités militaires. Cette loi a été exhumée

dans le but de valider un décret confiant au préfet des pouvoirs exceptionnels afin de maintenir l’ordre

dans les banlieues, (décret du 8 novembre 2005). Des professeurs de droit ont saisi le Conseil d'Etat

pour contester la validité de ce décret au regard des libertés fondamentales, mais ce dernier l’a validé

en s’appuyant sur la loi du 3 avril 1955 dans un arrêt d’assemblée « Rollin » du 24 mars 2006, et a

bien qualifié les émeutes en banlieue de périls imminents pour l’ordre public. La loi a été utilisée à

quatre reprises : en 1955 durant huit mois, en 1961 en même temps que l’article 16 pendant deux

ans, en 2001 en Nouvelle Calédonie, en 2005 lors des émeutes de banlieue. Cette situation peut

paraître surprenante au regard de la hiérarchie des normes mais se justifie par les circonstances

exceptionnelles auxquelles doit faire face la Nation. En outre, le juge administratif permet de contrôler

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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les mesures de police prises au titre de l’état d’urgence depuis l’arrêt « Dagostini » du Conseil d'Etat

le 25 juillet 1985.

§2 Les dérogations jurisprudentielles.

L’arrêt fondateur autorisant les « circonstances exceptionnelles » est l’arrêt du Conseil d'Etat

« Heyriès » du 28 juin 1918. Il s’agit d’une construction jurisprudentielle autonome, qui peut être mise

en œuvre indépendamment des cas de figure précédents. L’essentiel des décisions rendues par le

Conseil d'Etat en la matière résulte d’événements liés à la Première et à la Seconde Guerre Mondiale.

L’existence de circonstances exceptionnelles permet à l’administration de prendre dans l’urgence les

mesures qui semblent nécessaires et que le juge tiendrait pour illégales en temps ordinaire, soit parce

qu’elles dérogent à des règles de compétence ou de forme, soit parce qu’elles portent atteinte à des

droits ou libertés. L’exercice du pouvoir de police peut notamment justifier l’adoption de « mesures

plus rigoureuses » comme l’a affirmé le Conseil d'Etat le 28 février 1919 dans l’arrêt « Dol et Laurent

», « les limites des pouvoirs de police (…) ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et

pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l’ordre

public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses. »

Le Conseil d'Etat exerce néanmoins un contrôle des circonstances invoquées. Il en va par exemple de

la Première Guerre Mondiale ou de la rupture d’un volcan. Les événements de mai 1968 n’ont ainsi

pas été considérés comme des évènements exceptionnels. De plus, le juge administratif apprécie le

caractère nécessaire et proportionné des mesures prises au regard des circonstances. Ainsi, en vertu

de l’arrêt « Rodes » du Conseil d'Etat le 18 mai 1983, le risque d’éruption d’un volcan peut justifier «eu

égard aux circonstances exceptionnelles de temps et de lieu» une interdiction de naviguer et

l’évacuation de la zone menacée. Le second aspect du contrôle repose sur l’atteinte portée aux

libertés. Ces dérogations ne doivent pas aller jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de maintenir l’ordre selon

une décision du 19 octobre 1962 « Canal, Robin et Godot » rendue à propos de l’instauration d’une

Cour militaire de justice en raison de la guerre d’Algérie.

Chapitre 2 : La conciliation des libertés.

A l’approche strictement hiérarchique se superpose une approche dite de conciliation (et plus

de dérogation) lorsque les libertés sont confrontées à des impératifs de même valeur. L’un des

impératifs va donc se superposer par rapport à l’autre, mais les décisions seront prises au cas par

cas. En outre, l’issue de ce type d’affaires n’est pas connue d’avance. Ces deux impératifs peuvent

être la conciliation avec un impératif concurrent (section 1) ou avec une liberté concurrente (section 2),

qui serait de nature à limiter l’applicabilité des libertés fondamentales.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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Section 1 : La conciliation avec un impératif concurrent.

Deux hypothèses existent : d’une part la conciliation avec l’intérêt général (§1) qui se retrouve

au niveau national, d’autre part la conciliation avec le respect d’un engagement international (§2).

§1 La conciliation avec la recherche de l’intérêt général.

La conciliation avec la recherche de l’intérêt général impose de distinguer la situation dans le

droit interne (A) de celle du droit international (B).

A. Le droit interne.

a. La conciliation avec la recherche de l’intérêt général par le juge constitutionnel.

Pour le Conseil constitutionnel, l’intérêt général est en soi une norme constitutionnelle. La

poursuite de l’intérêt général est un objectif de valeur constitutionnelle susceptible de limiter des

libertés elles-mêmes constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel doit donc pouvoir permettre la

conciliation entre la liberté et la poursuite de l’intérêt général. L’absence d’une telle alternative

impliquerait en effet que la liberté l’emporterait automatiquement. On retrouve cette idée de

conciliation dans la décision du 8 janvier 1991 portant sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme

et l’alcoolisme, lors de laquelle les auteurs de la saisine dénonçaient une limite à la liberté

d’entreprendre, en matière de publicité relative au tabagisme et à l’alcool. Un autre exemple figure

dans la décision du 20 janvier 1993 relative à la loi portant sur la prévention de la corruption et à la

transparence de la vie économique et des procédures publiques.

De par l’autorité absolue des décisions du Conseil constitutionnel fondée sur l’article 62 de la

Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel « s’imposent aux pouvoirs publics

et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles », le Conseil d'Etat a repris ce

raisonnement. Dans ces hypothèses, le juge raisonne au moyen d’une technique dite « de la

proportionnalité ». On a bien deux objectifs de même valeur qu’il importe de concilier en s‘assurant

que la mesure est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif. Il s’agit d’une appréciation délicate

et relativement subjective. Par exemple, la mise en place d’un service minimum au nom du principe de

continuité du service public porte atteinte au droit de grève et cette atteinte est disproportionnée si le

service minimum mis en place est très proche d’un service normal. La décision du Conseil

constitutionnel du 25 juillet 1979 relative au droit de grève à la radio stipule donc que la mise en place

d’un tel service revient à nier le droit de grève ou à réduire sa portée de manière trop importante.

L’idée maîtresse est que la restriction ne puisse porter atteinte à la préservation de la liberté même.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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b. La conciliation avec la recherche de l’intérêt général par le juge administratif.

La notion d’ordre public est une notion fluctuante dans le temps et dans l’espace et est

synonyme d’intérêt général. C’est néanmoins la notion d’ordre public qui caractérise les finalités de la

police administrative qui sont de nature à limiter certaines libertés fondamentales. Il n’y a pas de

définition exacte de la définition de l’ordre public. Elle peut être définie à partir de ses composantes

mais celles-ci sont elles mêmes variables. Certaines sont traditionnelles, tandis que d’autres sont

venues s’ajouter plus récemment. On distingue donc les composantes traditionnelles, des

composantes additionnelles, plus variables.

- Les composantes traditionnelles de l’ordre public.

Les composantes traditionnelles de l’ordre public se trouvent énumérées dans la première

grande loi qui date de 1884 codifiée à l’article L 2112-2 du Code général des collectivités territoriales

qui dispose que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sureté, la sécurité et la

salubrité publique ». Le même article précise que la sécurité publique est le fait d’éviter les accidents

ou d’assurer la commodité de passage dans les rues, ou encore l’interdiction de ne rien exposer aux

fenêtres qui puisent nuire à sa chute, etc. Aujourd’hui, la question du bon ordre moral est récurrente

de même que la question de savoir si l’ordre public peut justifier la protection des individus contre eux

mêmes.

- Les composantes additionnelles de l’ordre public.

La moralité peut elle justifier l’édiction de mesures de police ? En dépit du caractère subjectif

des questions d’ordre moral, la jurisprudence admet que des considérations relatives à la moralité

publique justifient des mesures de police. Il s’agit d’une jurisprudence datant du milieu du 20ème

siècle, lors de laquelle le juge administratif a admis l’interdiction d’un combat de boxe contraire à

l’hygiène morale, le refus d’autoriser un spectacle forain dans l’intérêt de la moralité publique ou

encore la fermeture de lieu de débauche du bon ordre moral comme l’illustre l’arrêt « Jaufret » du

Conseil d'Etat du 30 septembre 1960.

Ce problème de bon ordre moral a pris une tournure nouvelle avec de la décision de certains

maires d’interdire la projection de films dans des salles de cinéma de leur territoire, en dépit d’un visa

d’exploitation en règle. Cette décision a été justifiée par les maires par l’invocation de circonstances

locales particulières, et le juge administratif a admis qu’un maire pouvait interdire la projection de ces

films au nom de ces dernières. Parmi les circonstances locales particulières, les maires ont pu

invoquer le caractère immoral du film admis dans un arrêt de principe du 18 décembre 1959 « Société

des Films Lutecia », au sein de laquelle le Conseil d'Etat a considéré qu’un maire, responsable de

l’ordre dans sa commune, pouvait interdire la représentation d’un film sur son territoire en cas de

risques de troubles sérieux ou du caractère immoral du film et des circonstances locales

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Le traitement des libertés fondamentales en France

13

préjudiciables à l’ordre public. La menace de troubles sérieux rappelle les composantes traditionnelles

de l’ordre public, par exemple le désordre matériel provoqué par la projection d’un film. Le caractère

immoral du film ne peut en revanche s’apprécier qu’au regard des circonstances locales particulières.

Autrement dit, il faut que le maire ait des raisons particulières d’interdire la projection du film. La

jurisprudence est très stricte et il existe très peu de cas pour lesquels le juge administratif ait admis la

légalité de l’interdiction de la projection de film dans une commune. Le plus souvent, les interdictions

sont annulées.

La question du bon ordre moral a connu un nouveau retentissement lors d’une attraction

foraine de lancer de nain. En l’espèce, le maire de Morsang-sur-Orge prend, dans le cadre de son

pouvoir de police générale, un arrêté le 25 octobre 1991 par lequel il interdit le spectacle du « lancer

de nain » qui devait se dérouler dans une discothèque de la commune. La société productrice du

spectacle et le nain qu’elle employait ont saisi le Tribunal administratif de Versailles pour contester

l’arrêté. La juridiction a fait droit à la demande des requérants en annulant l’arrêté et en condamnant

la commune à verser une indemnité à ladite société et à son employé aux motifs que l’interdiction d’un

spectacle, en dehors des circonstances locales exceptionnelles, n’est pas légale, à même supposer

qu’il porte atteinte à la dignité humaine. Les juges ont donc dû apprécier la légalité de l'arrêté du 25

octobre 1991. La société et son employé ont invoqué la violation de l’arrêté comme contraire à la

liberté du travail et à la liberté du commerce et de l’industrie. Or, les mesures générales de police

administratives ne sont régulières que si elles sont prises pour maintenir l'ordre public. Il existe tout de

même une trilogie au sein de l'ordre public : la sécurité, la sûreté et la salubrité publiques. Le Conseil

constitutionnel considère que «la sauvegarde de l'ordre public est un objectif de valeur

constitutionnelle». En l'espèce, la notion centrale de l'arrêt est le respect de la dignité de la personne

humaine. Or, cette notion a une valeur constitutionnelle. Ainsi, le respect de la dignité humaine

autorise-t-il le maire à interdire un spectacle qui y porte atteinte, même en l'absence de circonstances

locales particulières? Le Conseil d'Etat a affirmé d'une part, que le respect de la dignité de la

personne humaine était une nouvelle composante de l'ordre public et que, d'autre part, l'autorité

administrative investie du pouvoir de police municipale pouvait interdire une attraction qu'elle estimait

porter atteinte à ce principe, et ce même en l'absence de circonstances locales particulières. De plus,

le Conseil d'Etat affirme que « la liberté du travail, du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à

ce que l’autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle

mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l’ordre public». Or, si les mesures

de police peuvent se traduire par des interdictions d’activités qui sont par hypothèse licites, il est donc

logique que l’atteinte portée à la liberté ne soit légale que si elle est nécessaire. La mesure doit donc

être adaptée et proportionnée au risque de trouble à l’ordre public.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

14

C’est le contrôle de l’adéquation du dispositif au motif dégagé dans l’arrêt « Benjamin » du

Conseil d'Etat du 19 mai 1933. La juridiction suprême de l’ordre administratif affirme dans un

considérant de principe que « s’il incombe au maire de prendre des mesures qui exigent le maintient

de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion garantie

par la loi ». Ainsi, en présence d’une atteinte potentielle à l’ordre public, l’autorité de police doit choisir

parmi les mesures susceptibles d’y parer, la moins contraignante pour l’exercice des libertés.

L’autorité de police ne doit pas prendre une mesure excessivement restrictive de liberté. Depuis lors,

le Conseil d'Etat a toujours maintenu le principe de cette jurisprudence suivant laquelle le souci du

maintient de l’ordre public doit être mis en balance avec le nécessaire respect de l’exercice des

libertés.

B. Le droit international.

Nous retrouvons le même problème puisqu’en matière conventionnelle la technique utilisée

par la Convention EDH est la même, avec la spécificité que certaines dispositions de la Convention

EDH sont insusceptibles de limitation : les libertés dites « intangibles », comme seraient par exemple

les interdictions de la torture, de l’esclavage et du travail forcé, de même que la non-rétroactivité de la

loi pénale. En revanche, pour les autres cela est possible, notamment pour celles figurant aux articles

8, 9, 10 et 11 qui comportent un §2 prévoyant expressément que l’autorité publique peut limiter ces

libertés au nom d’un impératif supérieur comme le maintien de la sécurité publique. Cet article est une

longue liste limitative. Pour que ces libertés puissent faire l’objet d’une limitation, on retrouve la

nécessaire conciliation entre ces libertés.

La Cour EDH raisonne ici en trois temps : il faut tout d’abord que l’ingérence dans la liberté

soit prévue par la loi, au sens de la Convention, c’est à dire prévue au sens du droit. Il faut ensuite

une légitimité du but poursuivi ; et là encore, la Cour EDH est très souple puisqu’il suffit que la mesure

poursuive un des objectifs de cette longue liste limitative pour admettre une limitation. Dans un arrêt

de la Cour EDH, au regard de l’article 18 de la Convention EDH précisant que « les restrictions qui,

aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être

appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues », la Cour EDH considère donc qu’il n’est

pas possible d’invoquer un autre but. Jusqu’en 2004, la Cour EDH ne l’avait jamais fait sauf à cette

date où elle opère un revirement de jurisprudence en raison de l’emprisonnement de journalistes en

Russie. Ici, elle s’est assurée de la réalité du but poursuivi qui ne constituait pas en l’espèce un but

légitime. Il faut que l’ingérence soit nécessaire dans une société démocratique, c’est donc la

conciliation et le problème de proportionnalité.

Est-il pour autant nécessaire dans une société démocratique d’interdire un parti politique anti-

démocratique ? Il est en un sens anti-démocratique de ne pas tolérer un parti anti-démocratique. Par

un arrêt « Refah Partisi c/ Turquie » du 31 juillet 2001, la Cour EDH, au regard du contexte particulier

de la Turquie et notamment de l’importance du mouvement islamiste lui-même dangereux pour la

démocratie, a estimé que l’interdiction de ce parti fondamentaliste n’était pas disproportionnée. Il

s’agissait donc d’une atteinte grave à la liberté d’association. Quels sont dès lors les critères qui

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Le traitement des libertés fondamentales en France

15

permettent de mesurer cette proportionnalité ? Le premier est l’importance du droit en cause. En effet,

s’il s’agit d’un droit physique lié à l’intégrité physique, la Cour aura une position stricte. En revanche, il

en va différemment si la liberté en cause est un droit économique ou social. Le deuxième critère est

l’importance du but poursuivi, qui peut être légitime mais moins qu’un autre. Le troisième est

l’existence ou non d’un consensus européen sur la question. Tel est le cas sur le droit de l’embryon la

faculté d’ingérence de l’Etat se trouve élargie. Dans le cas contraire, et comme l’illustre notamment la

question sur le mariage transsexuel, la Cour constate une évolution de l’état du droit des pays

membres et considère qu’il y a un opinio juris, c’est à dire un consensus ayant pour conséquence une

faculté d’ingérence plus faible de l’Etat.

a. La conciliation avec le respect d’un engagement international.

En vertu de l’article 55 de la Constitution, les deux normes ont en théorie la même valeur,

mais en pratique c’est la liberté qui va l’emporter. L’hypothèse est assez rare mais elle a pu donner

lieu à une jurisprudence. C’est le cas à propos d’un accord bilatéral entre la France et le Maroc et d’un

autre accord bilatéral entre la France et l’Algérie en matière du droit de la famille, plus particulièrement

du droit de répudiation. Selon ces accords, la France s’engageait à reconnaître par l’exequatur les

jugements de répudiation rendus au Maroc et en Algérie à certaines conditions mais ici, c’est

seulement le mari qui pouvait faire cette répudiation. Une requérante a soulevé à l’encontre de ces

traités bilatéraux la Convention EDH, notamment l’article 5 du protocole n°7 prônant l’égalité entre

époux. Une requête a été déposée contre la France devant la Cour EDH et la requérante a obtenu

gain de cause par l’arrêt « Dédé c/ France » du 8 novembre 2005. La Cour EDH a donc fait prévaloir

la Convention EDH par rapport aux traités bilatéraux qui étaient postérieurs à la Convention EDH.

Ainsi, les éventuelles limitations apportées aux libertés fondamentales contenues dans un traité ne

doivent pas porter atteinte aux normes contenues dans une autre convention, notamment à celle de la

Convention EDH.

Section 2 : La conciliation avec une liberté concurrente.

La conciliation avec une liberté concurrente présente un des cas les plus délicats. Le droit

positif tel qu’il est proposé est incapable de donner la solution du litige puisque le juge doit faire appel

à des principes supérieurs. La question qui se pose est donc de savoir si l’on peut limiter l’effectivité

d’une liberté fondamentale au nom d’un autre principe fondamental. C’est le fameux exemple de la

décision « IVG » du Conseil constitutionnel de 1975 où l’on était en présence d’un conflit de libertés,

puisqu’était en cause l’intégrité de l’embryon contre la liberté de la femme qui découlent chacun de

deux articles de la Convention EDH. De même, il existe bien souvent un conflit entre la liberté

d’entreprendre proclamée par l’article 4 de la DDHC de 1789 et le droit au travail consacré par le

Préambule de 1946 dont la première confère la possibilité de licenciement et le deuxième qui l’interdit

comme l’illustre par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 relative à la loi

de modernisation sur le licenciement économique.

Page 16: Le traitement des libertes fondamentales en france

Le traitement des libertés fondamentales en France

16

En outre, c’est l’exemple de l’arrêt « Von Hannover c/ Allemagne » de la Cour EDH rendu le

24 juin 2004 où était en conflit la liberté d’expression face au respect du droit à la vie privée. En

l’espèce, des photos avaient été prises à l’encontre de la princesse de Monaco, qui relevaient de son

intimité privée. Elle a alors attaqué un magazine pour atteinte à la vie privée. Les juges allemands ont

considéré que cela relevait de la liberté d’expression, ce qui réduisait sa sphère privée. Cependant,

pour la Cour EDH, l’Etat avait une obligation positive de condamner les journalistes pour atteinte à la

vie privée. La Cour EDH a donc donné raison à la princesse de Monaco. Mais que faire puisque dans

les deux cas il y un risque de condamnation, soit de la part de la Cour EDH pour atteinte à la vie

privée, soit de la part des juges allemands pour atteinte à la libre expression ? C’est aussi l’exemple

de l’arrêt de la Cour EDH « Evans c/ Royaume Unis » du 10 avril 2007 qui oppose le droit à la vie

privée de procréer face au droit à la vie privée de ne pas procréer.

La Cour EDH a considéré qu’il y avait absence de consensus en matière de valeur du

consentement à procréer et que le Royaume Unis avait donc une marge d’appréciation sur la valeur

du consentement. Dans ce cas, le juge se retranche le plus souvent derrière la volonté du législateur

et des autorités nationales. Le juge n’a pas un pouvoir d’appréciation identique à celui du législateur,

c’est donc à ce dernier de trancher. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel se contente de vérifier que

la conciliation des libertés n’est entachée d’aucune erreur manifeste, action que l’on désigne sous le

terme de « contrôle restreint ». Ce contrôle de l’erreur manifeste se traduit par une certaine

inconstance au gré des changements de majorité au sein des Cours suprêmes, notamment dans un

arrêt récent de la Cour suprême des Etats- Unis de 2007 qui est revenue sur sa position concernant

les discriminations positives à l’université. La majorité républicaine est ainsi revenue sur l’application

des quotas, aujourd’hui interdits. Lorsqu’une liberté est invoquée pour faire obstacle à une autre mais

dans une perspective contraire aux libertés en général, le juge peut se retrancher derrière l’abus de

droit, prévu notamment à l’article 17 de la Convention EDH, qui est également une notion autonome

en droit français. L’hypothèse principale est celle de la liberté d’expression utilisée pour exprimer des

propos racistes. Ici, la Cour EDH va considérer sa position au regard de la liberté d’expression mais

également au regard du principe d’égalité. La Cour va ainsi faire jouer le principe d’égalité et l’abus de

droit pourra être utilisé lorsque la violation de la liberté invoquée est contraire à l’esprit démocratique

des libertés, en application de l’arrêt « Garaudy c/ France » du 24 juin 2003.

Deux critères sont néanmoins nécessaires : un critère matériel -il faut une atteinte au droit

d’autrui, en l’occurrence au principe d’égalité- ; un critère intentionnel -plus délicat puisqu’il correspond

à la volonté de détruire des droits et libertés reconnus par la Convention EDH. Les conciliations de

libertés et entre libertés laissent une assez marge de manœuvre aux juges, voire aux autorités

nationales, pour limiter l’effectivité des libertés fondamentales. Cependant, dans le modèle français,

ces dérogations et limitations ne peuvent qu’intervenir qu’à des conditions strictes et nécessaires dont

le non-respect est sanctionné aussi bien par le juge (national et européen) que par le Parlement, qui

permettent de contribuer au modèle français d’un état de droit.

Page 17: Le traitement des libertes fondamentales en france

Le traitement des libertés fondamentales en France

17

Titre 2 : Le régime juridique français relatif à la violation des libertés

fondamentales.

Le nouvel article 66-1 issu de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit en droit

français l’exception d’inconstitutionnalité pour « les droits et libertés que la Constitution garantis ». Le

constituant a ainsi voulu renforcer la protection juridictionnelle des citoyens en cas de violation à une

liberté fondamentale, volonté qui se retrouve dans l’introduction du référé liberté par le juge

administratif, née de la loi du 30 juin 2000. Aussi, parallèlement à l’existence de voie de recours

spécifique à la violation d’une liberté fondamentale (II), le droit français conçoit des mécanismes

abstraits qui favorisent l’effectivité de la protection des libertés fondamentales en cas de violation (I),

que cette dernière résulte du législateur, du gouvernement ou des particuliers eux-mêmes.

Cependant, le juge international et notamment le juge européen, à travers des textes contraignants,

concourent à la protection des citoyens français en cas d’atteinte ou violation aux libertés

fondamentales (III). Il s’agira donc d’étudier sont les différentes voies de recours du système juridique

français applicables en cas de violation des libertés fondamentales et qui peuvent constituer un

modèle de protection.

Chapitre 1 : Les mécanismes internes de protection abstraite résultant de la

violation des libertés fondamentales.

Il importe d’envisager les voies de droit incluant également une protection en cas de violation

des libertés fondamentales. A ce titre, nous distinguerons le contrôle de constitutionnalité (section 1)

du contrôle de conventionalité (section 2).

Section 1 : Le contrôle de constitutionnalité.

A travers le contrôle de constitutionnalité des normes nationales (§1) et des traités (§2), le

juge constitutionnel et le juge ordinaire œuvrent à la protection des libertés fondamentales en cas de

violation.

§1 Le contrôle de constitutionnalité des normes nationales.

A. La consécration jurisprudentielle.

Les Constitutions de 1946 et 1958 ont en commun leur référence directe aux libertés, notamment

dans leurs Préambules. Néanmoins, alors que la 4ème République met en place un contrôle très

limité, la 5ème République innove en instaurant pour la première fois un véritable contrôle de

constitutionnalité des lois. Apparaît alors l’idée que la loi ne peut tout faire, voire qu’elle peut mal faire.

Mais dans l’esprit des rédacteurs des Constitutions de 1946 et de 1958 et plus particulièrement de

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Le traitement des libertés fondamentales en France

18

notre Constitution actuelle, ce sont des questions de formes, c’est à dire de respect du droit

parlementaire. Ces conditions de procédure respectées, le législateur reste en principe souverain.

Néanmoins, la jurisprudence a progressivement récusé cette position. Dans les premiers temps,

le juge constitutionnel est resté très prudent du fait de l’arrivée pour la première fois dans l’histoire

constitutionnelle française d’un contrôle constitutionnel autorisé par certaines autorités comme le

Président de la République, le Premier ministre ou les Présidents des deux assemblées. Il faut

attendre 1970 pour que le juge aborde enfin la question de savoir si la loi doit respecter le Préambule

de la Constitution, en sus du corps même de la Constitution. En 1970, apparaît une première

référence au Préambule à propos du contrôle des engagements internationaux - le Conseil

constitutionnel exerçant conjointement le contrôle de la constitutionnalité des lois et celle des traités,

selon l’article 54 de la Constitution. Dans le cadre de la décision du 19 juin 1970, le Conseil

constitutionnel fait référence à l’alinéa 15 du Préambule de 1946, lui-même cité par le Préambule de

1958.

Le Préambule de 1958 acquiert donc la même valeur que la Constitution : l’ensemble des droits et

libertés qui y sont cités indirectement ont dès lors valeur constitutionnelle. Le pas est clairement

franchi dans la décision « Liberté d’association » du 16 juillet 1971. En l’espèce, le Parlement voulait

réviser la loi de 1901 pour soumettre à autorisation la création d’association. Le Conseil

constitutionnel a estimé cette loi contraire aux Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la

République (PFRLR). Le Conseil constitutionnel va donc à l’encontre de la volonté de ses géniteurs

constituants qui, en 1958, avaient expressément réclamé que la compétence du Conseil

constitutionnel ne vaille que pour le corps de la Constitution. L’erreur du Général de GAULLE est de

n’avoir pas expressément limité ce contrôle, à l’instar des constituants de 1946, dans le corps même

de la Constitution. Quoi qu’il en soit, la décision du 16 juillet 1971 est fondatrice et sera rapidement

suivie d’autres décisions jurisprudentielles allant dans son sens. La décision « Taxation d’office » de

19173 reconnaît ainsi la valeur constitutionnelle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

les Principes Particulièrement Nécessaires à Notre Temps (PPNT) consacrés par le Préambule de la

Constitution de 1946 étant, eux, consacrés par la décision du 15 janvier 1975 relative à l’IVG.

Concernant la Charte de l’environnement, c’est la décision relative aux OGM du 19 juin 2008 qui

confère valeur constitutionnelle à l’ensemble des droits et devoirs contenus dans ladite Charte.

L’absolutisme du législateur prend donc fin au profit d’une participation du juge constitutionnel à

ce que Dominique Rousseau qualifie de « démocratie continue », qui s’exerce au-delà des opinions

majoritaires pour encadrer ces décisions et s’oppose à « la démocratie majoritaire ».

B. Conséquence de la reconnaissance de la valeur constitutionnelle des droits et

libertés figurant dans le Préambule de la Constitution de 1958.

Le fait que les libertés soient reconnues comme ayant valeur constitutionnelle a pour

conséquence d’habiliter le juge à en contrôler le respect, ces deux étapes étant fusionnées dans la

pratique. Ce contrôle s’exerce non seulement à l’égard des normes nationales mais aussi à l’égard

des normes internationales, ce qui va poser un certain nombre de questions dans les deux cas.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

19

Néanmoins, le contrôle de constitutionnalité diffère selon qu’il soit effectué par le juge constitutionnel

(a) ou par le juge ordinaire (b).

a) Le contrôle de constitutionnalité des lois opéré par le juge constitutionnel.

- Le contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires

Cette compétence du Conseil constitutionnel est fondée sur l’article 61 alinéa 2 de la

Constitution disposant que « les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur

promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée

nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ». En vertu de cet article,

la saisine du Conseil constitutionnel n’est qu’une faculté des autorités compétentes, non un devoir. Il

s’agit d’un contrôle très limité dans un premier temps puisqu’initialement c’est un contrôle a priori,

avant l’adoption de la loi en vertu de l’article 61 de la Constitution. Une fois adoptée, la loi ne peut

donc plus être remise en cause au regard des libertés constitutionnelles, du moins jusqu’en 2008 où

la réforme du 23 juillet introduit pour la première fois, à l’article 61-1, un contrôle a posteriori, c'est-à-

dire postérieur à l’adoption et qui s’établit uniquement à l’aune des libertés.

Ce contrôle était aussi limité rationae personae puisque seules certaines autorités pouvaient

l’actionner avant 1974, notamment le Président de la République et le Premier ministre. Désormais,

depuis la réforme constitutionnelle du 29 octobre 1974, la saisine du Conseil constitutionnel dans le

cadre du contrôle de constitutionnalité des lois est ouverte à soixante députés et/ou soixante

sénateurs, ce qui permet d’accroitre le pouvoir de l’opposition en période de fait majoritaire.

L’opposition parlementaire joue alors pleinement un rôle de défenseur des libertés. Le contrôle n’est

ici qu’abstrait puisque le contrôle de constitutionnalité des lois ne s’opère pas qu’à l’aune des droits et

libertés mais au regard de toutes les dispositions constitutionnelles. En effet, le juge constitutionnel est

garant du respect de la Constitution dans son ensemble : le contrôle de constitutionnalité effectué en

cas de violation des libertés fondamentales n’est donc qu’un aspect de sa compétence.

- Le contrôle de constitutionnalité des lois organiques.

L’article 61 alinéa 1er dispose que « les lois organiques, avant leur promulgation, et les

règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au

Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. » Le Conseil

constitutionnel se voit donc automatiquement saisi pour les lois organiques, ce qui permet ainsi de

censurer celles qui ne seraient pas conforme à la Constitution, notamment aux droits et libertés qu’elle

garantit. L’avantage d’une telle disposition est qu’en principe, aucune loi organique ne contient de lois

portant atteintes aux libertés fondamentales, ce qui n’est pas le cas des lois ordinaires : une

disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 de la Constitution ne peut, en

vertu de l’article 62 de la Constitution, être ni promulguée ni mise en application. Il importe enfin de

souligner que depuis une décision du Conseil constitutionnel du 6 novembre 1962, celui-ci se refuse à

vérifier de la constitutionnalité des lois référendaires. Par conséquent, le peuple reste toujours

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Le traitement des libertés fondamentales en France

20

souverain et le Conseil constitutionnel ne pourrait censurer une loi référendaire qui violerait

manifestement les droits et libertés fondamentales.

b) Le contrôle de constitutionnalité des normes non législatives opéré par le juge ordinaire.

Comme conséquence de cette reconnaissance de la valeur constitutionnelle des libertés les

libertés constitutionnelles s’imposent à l’égard des normes nationales non législatives puisque seul le

Conseil constitutionnel procède à ce contrôle. En ce qui concerne les autres normes, le juge ordinaire

s’est retrouvé compétent pour effectuer ce contrôle mais à deux conditions. La condition positive qu’a

posé le Conseil d'Etat notamment l’exigence, contrairement au Conseil constitutionnel, d’un effet

direct de la norme invoquée, c‘est à dire qu’elle doit être suffisamment précise pour servir de base à

une action en justice. Il rejoint en cela la position de juge ordinaire de certains Etats -notamment le

Portugal et l’Allemagne- qui prévoient, au sein des droits et libertés de leur Constitution, que certaines

d’entre elles puisse faire l’objet d’un recours. Les droits et libertés dits « de la première génération »

sont particulièrement concernés. La difficulté en France est que rien n’est dit sur les dispositions

pouvant ou non faire l’objet d’un contrôle puisque c’est au juge qu’il revient d’apprécier l’effet direct de

la norme. Dans son arrêt du 27 septembre 1985 « France Terre d’asile », le Conseil d'Etat refuse ainsi

de se prononcer sur la compatibilité d’un acte administratif au regard de l’alinéa 4 du Préambule de

1946 relatif au droit d’asile, estimant que cette disposition n’est pas autosuffisante en elle-même. Il

s’agit d’une démarche inverse de celle du Conseil constitutionnel, qui ne fait pas de différence entre

les droits et libertés et accepte d’effectuer un contrôle au regard du même alinéa.

- La condition négative d’absence de loi écran.

Dès 1936, dans l’arrêt « Arrighi », le Conseil d'Etat a estimé qu’il était incompétent pour

contrôler la constitutionnalité des lois lorsqu’il était saisi de l’application d’un acte administratif par

rapport à cette loi. Sous la Vème république, la décision du Conseil constitutionnel de 1971 a alors

posé la question de savoir si le Conseil d'Etat pouvait vérifier qu’un acte administratif soit conforme à

la Constitution, même si cet acte administratif avait été adopté en vertu d’une loi pour pouvoir

l’appliquer. Le Conseil d'Etat a réitéré sa position de principe dans l’arrêt « Roujansky » du 20 octobre

1989 et, plus récemment, dans l’arrêt « Depretz et Paillard » du 5 janvier 2005. Ainsi, en cas

d’allégation de la violation de la Constitution par un acte administratif, le juge n’effectue pas le contrôle

puisqu’il s’estime incompétent si cet acte administratif est pris en application d’une loi car cela

reviendrait à contrôler sa constitutionnalité, qui reste de la compétence du juge constitutionnel. La

Cour de cassation conserve une position similaire depuis l’arrêt de la Chambre criminelle du 24 juillet

1946. Quoique logique, cette alternative est de plus en plus difficile à mettre en œuvre, notamment

depuis les arrêts « Jacques Vabres » de la Cour de cassation en 1975 et « Nicolo » du Conseil d'Etat

en 1989 puisque, dans ces deux décisions, le juge ordinaire a accepté d’écarter la loi au profit d’une

convention internationale : non seulement la loi n’est plus souveraine au regard du juge constitutionnel

mais elle ne l’est plus non plus à l’égard du juge ordinaire qui peut décider de faire primer un

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Le traitement des libertés fondamentales en France

21

engagement international. La loi est de fait mieux protégée à l’égard des conventions internationales

puisqu’au regard de la Constitution elle ne peut être remise en cause qu’a priori alors qu’à l’égard des

conventions la loi peut être remise en cause à tout moment par le juge ordinaire.

Il est donc paradoxal que les conventions internationales soit, en droit, inférieures à la

Constitution puisque le traité est inférieur à la Constitution et s’impose à la loi alors que la Constitution

ne s’impose pas à la loi dans le contrôle a posteriori -le juge constitutionnel n’étant compétent qu’a

priori. Il faudra attendre la loi organique de mise en œuvre de la réforme constitutionnelle du 23 juillet

2008 pour qu’existe un tel contrôle a posteriori. Il y aurait donc plus de lois potentiellement contraires

à la Constitution que de lois contraires aux conventions internationales. Intervient alors le problème de

la conformité des normes internationales à la Constitution.

§2 Le contrôle de constitutionnalité des normes internationales.

A. Le contrôle effectué devant le juge constitutionnel.

Les traités que la France ratifie doivent respecter les libertés constitutionnelles. L’article 55 de la

Constitution parle de la valeur supra-législative des traités mais ne dit rien quand à la valeur des

traités par rapport à la Constitution. Les problèmes de compatibilité entre les traités et la Constitution

sont censés être résolus en amont dans l’article 54 de la Constitution, prévoyant que c’est le juge

constitutionnel, toujours dans un contrôle a priori, qui doit vérifier la conformité du traité à la

Constitution, avant que celui-ci ne soit ratifié. L’article 54 de la Constitution dispose en effet que « si le

Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le

Président de l’une ou l’autre Assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré

qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de le

ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de

la Constitution. » Le Conseil constitutionnel s’assure donc que ce traité respecte les dispositions

constitutionnelles, comprenant notamment les droits et libertés prévus par la Constitution.

Ce schéma particulier découle de deux jurisprudences du Conseil constitutionnel, la première

découlant d’une décision du 10 juin 2004 relative à la « Loi sur l’économie numérique » effectuée sur

le fondement de l’article 88-1 de la Constitution qui consacre le principe de l’immunité des lois de

transposition des directives communautaires. La seconde remonte à la décision du 30 novembre 2006

issue de la « Loi relative au secteur d’énergie », affirmant que les directives cèdent uniquement, et

sont donc contrôlées exclusivement, à l’aune des règles ou principes inhérents à l’identité

constitutionnelle de la France. Cette posture « ajoute » un étage à la pyramide des normes, contenant

des règles ou principes plus importants que les autres puisqu’eux seuls peuvent faire obstacle à un

traité.

Page 22: Le traitement des libertes fondamentales en france

Le traitement des libertés fondamentales en France

22

B. Le contrôle effectué devant le juge ordinaire.

Il importe de distinguer ici un engagement international classique (a) d’un engagement

communautaire (b).

a) Les engagements internationaux en général.

On pouvait douter du fait que le Conseil d'Etat accepte de contrôler qu’un traité soit conforme

à la Constitution. Il s’est reconnu compétent dans un arrêt « Moussa Koné » du 3 juillet 1996 dans

lequel le juge administratif était saisi afin de savoir si un traité bilatéral (donc une norme supra-

législative) était conforme aux libertés fondamentales, notamment en matière d’extradition. Le juge a

écarté le traité et l’a déclaré contraire à un « principe fondamental reconnu par les lois de la

République » (PFRLR). Deux innovations ont entraîné ce choix. Tout d’abord, le Conseil d’Etat s’est

reconnu compétent, ce qui peut surprendre puisque le juge ordinaire s’est toujours refusé à ce que la

loi respecte la Constitution et qu’il acceptait ici qu’un traité soit conforme à la Constitution. In concreto,

la loi et le traité l’emportent en cas de conflit avec la Constitution. Cela reflète donc un paradoxe

puisque le traité est censé être supérieur à la loi. La seconde innovation est que le Conseil d'Etat

considère que les traités ont une valeur infra-constitutionnelle : une liberté posée par la Constitution

l’emportera toujours sur un traité et c’est, en cela, la solution de principe. La solution est différente

dans le cas des engagements communautaires. Quid en effet lorsqu’une norme communautaire est

contraire à une liberté fondamentale ?

b) Les engagements communautaires en particulier.

La situation a longtemps été la même que pour les engagements internationaux classique, la

norme communautaire devant respecter la norme de valeur constitutionnelle. Par exemple, dans un

arrêt « Olziibat » du 3 juin 2005, le Conseil d'Etat a subordonné l’application d’un règlement

communautaire au respect de la Constitution en matière de droit d’asile. Il a donc consacré la

suprématie de la Constitution sur les normes communautaires. S’est alors posé la question des

directives communautaires, dont le Conseil d'Etat a pris en considération la position du juge

constitutionnel afin de singulariser le conflit entre une liberté issue de la Constitution et une directive

communautaire. L’arrêt « Arcelor » du 8 février 2007 entérine cette particularité des directives

communautaires. Cette affaire mettait en cause un acte administratif de transposition d’une directive

en matière de quota de gaz à effet de serre. La société Arcelor a attaqué l’acte administratif,

transposant lui-même une directive qui a valeur de traité et qui soulève une contradiction entre trois

libertés proclamées par la Constitution, en l’espèce le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et le

principe d’égalité. Conformément à la jurisprudence « Moussa Koné », le Conseil d'Etat a estimé que

le traité contrairement à la loi ne faisait pas écran, et il a accepté de vérifier que l’acte administratif

(donc indirectement la directive) était conforme à la Constitution mais uniquement (et c’est là la

spécificité de cet arrêt) à l’aune de certaines normes de la Constitution, celles qui n’ont pas

Page 23: Le traitement des libertes fondamentales en france

Le traitement des libertés fondamentales en France

23

d’équivalent en droit communautaire ; ceci afin de tenir compte du fait que la Cour des Justices des

Communautés Européennes (CJCE) protège également les libertés fondamentales. L’examen de

savoir si cette liberté fondamentale a un équivalent en droit communautaire se fera donc au cas par

cas, le Conseil d'Etat renvoyant à la CJCE ou opérant un contrôle de constitutionnalité. En

l’occurrence, au regard du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et du principe d’égalité, le

Conseil d'Etat vérifie bien qu’il s’agit de normes constitutionnelles, ce qui est le cas en l’espèce. Ainsi,

si elles ont un équivalent communautaire c’est la CJCE qui est compétente, à la condition qu’il y a it un

doute manifeste (ce qui est le cas pour le principe d’égalité). En revanche s’il n’y a pas d’équivalent

(par exemple pour le principe de laïcité ou la liberté des enseignants chercheurs), le Conseil d'Etat

s’assure que l’acte administratif (et donc la directive) est bien conforme à ce type de norme.

Nous pouvons alors remarquer ici l’importance que revêt la valeur constitutionnelle des

libertés, notamment par rapport à ses conséquences, dans la protection conférée aux justiciables en

cas d’atteinte ou de violation. A ces libertés constitutionnelles placées au sommet de la hiérarchie des

normes s’en ajoutent d’autres découlant de traités, notamment de la Convention EDH. Il apparaît donc

que le contrôle de constitutionnalité participe à la protection des justiciables en cas d’atteinte aux

libertés fondamentales par le contrôle de constitutionnalité des lois -effectués par le seul juge

constitutionnel- ou la ratification d’une convention internationale -ce qui relève de la compétence du

juge constitutionnel a priori et du juge ordinaire a posteriori. Enfin, lorsqu’un acte réglementaire est

pris en violation de la Constitution et dans les conditions posées par la jurisprudence du Conseil

d'Etat, seul le juge administratif est compétent pour sanctionner cette violation. Il importe également

de préciser que ce contrôle est de nature abstraite et ne porte pas uniquement sur la violation des

libertés fondamentales : il en va de même pour le contrôle de conventionalité.

Section 2 : Le contrôle de conventionalité.

Depuis le Préambule de 1946 et son alinéa 14, ainsi que l’article 26 de la Constitution de

1946, le droit international est intégré à la pyramide des normes internes. Il devient d’une certaine

manière une forme de droit interne, traduit dans le Titre 6 de la Constitution actuelle, dont il en résulte

les articles 52 à 55. L’article 52 fait relever de la compétence du Président de la République la

négociation et la ratification des traités tandis que l’article 53 traite de la forme et de l’effet de la

ratification d’une norme internationale dans l’ordre interne français. Les articles 53-1 et 53-2 résultent

d’une révision de la Constitution, rendue nécessaire pour ratifier un traité notamment en matière de

protection des libertés. L’article 53-1 est relatif à l’asile et l’article 53-2 concerne la ratification des

traités relatifs à la Cour Pénale Internationale, notamment le fait que ce traité prévoit que le Président

de la République puisse faire l’objet de poursuite, ce qui était initialement interdit par la Constitution.

Enfin, les articles 54 et 55 de la Constitution introduisent respectivement le contrôle de

constitutionnalité des traités et des précisions sur l’autorité des traités dans le droit interne par rapport

à la loi. La Convention EDH et les Pactes de 1966 font partis du droit conventionnel. Mais ce contrôle

des libertés conventionnelles est néanmoins soumis à certaines conditions (§1) qui impliquent une

action spécifique (§2).

Page 24: Le traitement des libertes fondamentales en france

Le traitement des libertés fondamentales en France

24

§1 Les conditions relatifs au contrôle de conventionalité.

Ces conditions sont essentiellement regroupées dans l’article 55 de la Constitution, disposant

que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication une autorité

supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre

partie. » On distingue donc dans cet article les conditions de fonds (A) des conditions de forme (B).

A. Les conditions de forme.

C’est d’abord la forme du texte lui-même, sa nature précisément, qui conditionne son contrôle

en droit national et les questions relatives à sa publication. L’article 55 précise ainsi « seuls les traités

ou accords régulièrement ratifiés (…) ». Cette formulation exclut donc les actes unilatéraux des

organisations internationales classiques, qui ne sont pas formellement des traités, ainsi que la

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (DUDH) qui est une résolution de l’Assemblée

générale de l’ONU et se situe de facto hors du champ d’application de l’article 55, en vertu de l’arrêt

«Roujansky» du Conseil d'Etat du 23 novembre 1984. La Charte des droits fondamentaux de l’Union

Européenne est elle aussi exclue de l’application de l’article 55 de la Constitution du fait de l’arrêt

«Mlle Deprez» rendu le 5 janvier 2005, dont le Conseil d’Etat considère « qu’en l’état actuel du droit »

ladite Charte est dépourvue de la force juridique. Mais, de par la récente ratification irlandaise au

Traité de Lisbonne, le Conseil d'Etat risque d’effectuer un revirement de jurisprudence. Il faut préciser

que le droit dérivé des communautés européennes est assimilé aux traités. La publication du texte est

une deuxième condition qui tient à la publication officielle du traité dans un Journal officiel.

a. Les conditions de fonds.

Pour que l’article 55 de la Constitution soit applicable, la norme invoquée doit être d’effet direct et

d’application réciproque.

- Le principe de l’applicabilité directe.

Les normes internationales ne sont pas dotées en principe d’effet direct, mais l’exception est

que les normes internationales dont le contenu est relatif aux libertés fondamentales sont quant à elle

d’effet direct puisque par définition elles s’adressent aux individus. Cependant, le juge national

contrôle quand même cette position et refuse l’effet direct aux normes internationales qui ne

s’adressent pas aux individus en tant que tels mais destinées aux Etats. Ici repose tout le problème du

Pacte International relatif aux Droits Economiques Sociaux et Culturels (PIDESC) de 1966 puisque

celui-ci n’est pas considéré comme disposant d’effet direct. Par exemple, le droit au travail affirmé

dans le PIDESC de 1966 n’est pas invocable devant le Conseil d'Etat comme l’illustre l’arrêt «Zheng»

du 8 février 2002. Il en est de même pour la Charte Sociale Européenne en vertu de l’arrêt «Valton»

du Conseil d'Etat du 20 avril 1984. Est-ce que la norme internationale doit être suffisamment

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Le traitement des libertés fondamentales en France

25

conditionnelle ? C’est ce qui explique tout du moins une certaine divergence en matière de protection

des droits de l’enfant de la Convention de New York et notamment de son article 3-1. Le Conseil

d'Etat reconnaît son effet direct depuis un arrêt « Cinar » de 1987 alors que la Cour de cassation le

refusait jusqu’à un revirement de jurisprudence effectué par la 1ère Chambre civile dans un arrêt de

cassation du 18 mai 2005 dont elle déclare, au visa de l’article 3-1 de la Convention de New York que

« dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une

considération primordiale. »

- Le principe de l’application réciproque.

Pour que l’article 55 de la Constitution soit applicable, une condition de réciprocité de la norme

internationale est nécessaire : elle découle du fait qu’un traité est un contrat, pouvant appeler une

réserve de réciprocité. En principe, pour les traités relatifs aux droits de l’homme et aux libertés

fondamentales, cette condition ne devrait pas être exigée, c’est ce que du moins pense la doctrine

puisque dans ses contrats internationaux, l’objet cause de l’obligation est la protection de l’individu.

Néanmoins, les juridictions internes sont loin d’être claires sur cette situation. Le Conseil

constitutionnel a estimé dans sa décision du 22 janvier 1999 « Statut de la CPI » que la réserve de

réciprocité était inapplicable au statut de cette Cour au regard de l’objet du traité qui est ici de protéger

les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine. La Cour de cassation ne fait pas

jouer la condition de réciprocité de l’article 55 de la Constitution, mais cette position est au bénéfice

exclusif du droit communautaire puisqu’en l’état actuel de la jurisprudence celle-ci ne s’est pas

réellement prononcée concernant le reste des traités. Néanmoins, ce contrôle doit être exercé par le

juge ordinaire et bénéficie du rang « sujet à polémique ».

§2 Les complications résultant du contrôle de conventionalité.

Trois hypothèses peuvent se présenter :

- Il peut arriver que la coexistence d’une source constitutionnelle et d’une source conventionnelle soit

complémentaire, par exemple dans le cas où la convention ajoute une liberté qui ne figure pas dans la

Constitution, tel le droit à la vie. Il y a donc ici complémentarité entre les deux sources, ce qui ne pose

aucune difficulté.

- L’autre hypothèse est celle d’un regroupement entre les niveaux constitutionnel et conventionnel.

Une liberté est ainsi protégée à ces deux niveaux, comme l’illustre par exemple la liberté d’expression

qui figure à la fois dans le bloc de constitutionnalité et dans la Convention EDH. Il s’agit de l’hypothèse

la plus fréquente et une concurrence peut avoir lieu entre les deux normes, notamment si elles sont

interprétées de manière différente par les juges ordinaires et internationaux. Le choix de la primauté

d’une source par rapport à l’autre se fera selon le juge. Par exemple, si une loi est en cause, en

fonction du litige et du moment, le conflit sera porté devant soit le juge constitutionnel soit devant le

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Le traitement des libertés fondamentales en France

26

juge ordinaire. L’hypothèse la plus délicate est celle d’une contradiction entre des libertés figurant

dans un traité avec d’autres normes de droit interne comme la Constitution, ou d’autres normes du

droit international comme le droit communautaire. Deux questions se posent au regard de cette

situation intermédiaire, à savoir celle de l’autorité compétente pour apprécier le contrôle de

conventionalité (A), et celle des limites à ce contrôle (B).

A. La compétence du contrôle de conventionalité.

Ces normes contenues dans le traité tirent leur autorité dans le droit interne de l’article 55 de la

Constitution, mais le juge compétent pour faire respecter cet article de la Constitution n’est pas le juge

constitutionnel mais le juge ordinaire, du fait de la non-acceptation de sa compétence par le Conseil

constitutionnel. En effet, c’est dans la décision « IVG » du 15 janvier 1975 du Conseil constitutionnel

dont les requérants soulèvent l’incompatibilité de la loi avec l’article 2 de la Convention EDH qui est ici

applicable à l’embryon que le Conseil constitutionnel, au lieu de se prononcer sur la question, s’estime

incompétent pour opérer le contrôle de conventionalité de la loi. Le juge constitutionnel se désengage

de la question, ce qui a pour conséquence une compétence du juge ordinaire. A partir de cette

décision s’effectue une distinction entre ce qui relève du contrôle de constitutionnalité des lois et ce

qui touche au contrôle de conventionalité. Le juge ordinaire n’a pas accepté tout de suite d’exercer ce

contrôle au nom de la séparation des pouvoirs. En effet, n’effectuant pas un tel contrôle sur le

fondement de la Constitution, il envisageait difficilement de le faire sur le fondement de la

Convention? Le juge ordinaire va pourtant s’ériger en protecteur de la loi dans un souci de veiller à ce

que la loi respecte les droits et libertés contenues dans les conventions internationales.

La Cour de cassation, accepte facilement dans les mois qui suivent la décision «IVG» de contrôler

la conformité d’une loi à un traité par l’arrêt «Société des cafés Jacques Vabres» du 24 mai 1975. Le

Conseil d'Etat va adopter une position plus nuancée. Il n’accepte en effet ce contrôle qu’en 1989 avec

l’arrêt «Nicolo». Dans la foulée, un an après, le Conseil d'Etat est saisi de la question à laquelle le

Conseil constitutionnel avait refusé de répondre en 1975 à propos de la compatibilité de loi avec

l’article 2 de la Convention EDH. Le 21 décembre 1990, par l’arrêt « Confédération nationale des

associations familiales catholiques » rendu à propos d’un décret portant sur la loi IVG dont le Conseil

d'Etat constate que ce décret est pris en application de la loi IVG, le juge administratif va devoir se

prononcer sur la question de savoir si l’avortement constitue une atteinte au droit à la vie. Ainsi appelé

à apprécier si la même loi ne méconnaissait pas les stipulations de la Convention EDH aux termes

desquelles « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi », le Conseil d'Etat s’est

prononcé par la négative en s’appuyant sur les dispositions législatives qui garantissent le respect de

tout être humain dès le commencement de la vie et qui spécifient qu’il ne saurait être porté atteinte à

ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limites définies par la loi.

A partir de 1989, le juge ordinaire devient également le juge des libertés à l’encontre de la loi

et peut alors contrôler la volonté du législateur, notamment ses conceptions politiques des droits

fondamentaux, au regard des traités et de la Convention EDH. Par l’arrêt « Gardedieu » du 8 février

2007, le Conseil d'Etat a pour la première fois prononcé la responsabilité de l’Etat du fait d’une loi

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Le traitement des libertés fondamentales en France

27

contraire à un traité et en l’occurrence contraire à la Convention EDH. Auparavant, la responsabilité

du fait des lois ne se faisait que sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges

publiques. Désormais, cette responsabilité peut se faire pour « manquement à une obligation

internationale » dont découle alors un nouveau régime de responsabilité. Le juge devient donc

gardien de la loi en cas de violation des traités. Dans ce schéma, la loi doit donc respecter les libertés

constitutionnelles a priori c’est à dire avant son adoption mais c’est ici le juge constitutionnel qui est

seul compétent. Ensuite, la loi doit respecter les libertés conventionnelles a posteriori et c’est alors le

juge ordinaire qui est seul compétent. Deux juges opèrent donc des contrôles différents à des

moments différents. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ajoute un élément, puisque les lois

doivent à présent respecter les libertés constitutionnelles a posteriori. Ces deux contrôles de

conventionalité et de constitutionnalité, au fondement du système juridique français de vérification des

lois, entretiennent donc une concurrence assurant pour le citoyen une protection accrue des libertés

fondamentales.

B. Les limites résultant de l’autorité de contrôle.

La liberté contenue dans un traité doit elle-même être conforme à la Constitution et la Constitution

l’emporte en cas de conflit. Cette position est celle des juges nationaux (1) mais en ce qui concerne

les libertés fondamentales et notamment la Convention EDH, le juge supranational a une conception

différente puisqu’il considère qu’en cas de conflit la norme internationale doit s’imposer (2).

La position des juges nationaux.

Concernant la position des juges nationaux, c’est le Conseil d'Etat qui a le premier estimé que

les traités devaient respecter la Constitution et qu’en cas de conflit entre une liberté contenue dans un

traité international, en l’occurrence dans le PIDCP de 1966, et la Constitution, c’est la Constitution qui

l’emporte en vertu de l’arrêt « Sarran et Levacher » du 30 octobre 1998 rendu à propos des modalités

de consultation électorale en Nouvelle Calédonie. Le décret qui met en oeuvre cette consultation en

Nouvelle Calédonie est « l’exacte application de l’article 76 de la Constitution » selon le Conseil d'Etat

dont on ne peut alors par conséquent pas invoquer le PIDCP de 1966. Ainsi, la norme

constitutionnelle s’impose. La Cour de cassation, pour des faits similaires, adopte la même position

dans l’arrêt « Melle Fresse » du 2 juin 2000. Cette position va à l’encontre des juges européens.

Le juge interne protège la norme dont il tire sa propre existence. Il protège la Constitution

puisque c’est elle qui fonde son existence. Le juge européen va en faire de même et la Cour EDH est

claire puisqu’elle privilégie la norme européenne, comme l’illustre l’arrêt « Zielinski, Pradal et

Gonzales c/ France » du 28 octobre 1999, où la Cour EDH a récusé la position du Conseil

constitutionnel français à propos des lois de validation : ce dernier avait autorisé ces lois de validation

de par leur conformité à la Constitution, la Cour EDH considérant qu’elles étaient contraire à la

Convention EDH. L’hypothèse ne s’est pas encore présentée d’un conflit entre une disposition

constitutionnelle et une disposition de la Convention EDH mais pourrait survenir au regard de l’article

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Le traitement des libertés fondamentales en France

28

1er de la Constitution de 1958, eu égard au principe de laïcité et notamment à la réforme de 2004 sur

le port des signes religieux ostensibles. La CJCE a adopté la même position puisqu’elle considère que

le droit communautaire l’emporte sur le droit national. On peut citer comme exemple l’article 12 de la

Constitution allemande qui interdisait aux femmes l’accès à certaines fonctions militaires. Dans un

arrêt du 11 juillet 2000, la CJCE a déclaré qu’il était contraire au principe d’égalité des sexes protégé

par une loi communautaire : un dialogue se noue donc entre les juges européens et le juge national

sur les interprétations des libertés fondamentales, comme le montre l’arrêt « Arcelor » du Conseil

d'Etat du 8 février 2007 et plus particulièrement sur le renvoi préjudiciel à la CJCE. Ainsi, le contrôle

de conventionalité participe, à l’instar du contrôle de constitutionnalité, à la protection des libertés

fondamentales en cas de violation, protection accrue par la concurrence des deux contrôles et par

celle existant entre jurisprudence interne et jurisprudence de la Cour EDH.

Chapitre 2 : Les mécanismes internes de protection inhérents à la violation des

libertés fondamentales.

Nous assistons aujourd’hui à une judiciarisation des rapports sociaux, la figure du juge dans

notre démocratie contemporaine apparaissant de manière croissante comme plus à même de

résoudre un conflit. Bien souvent, le juge dicte sa volonté au législateur, particulièrement dans le cas

des libertés, qu’il s’agisse du juge constitutionnel depuis 1971 ou du juge ordinaire depuis qu’il s’est

reconnu compétent pour contrôler le respect de la loi aux conventions internationales. Le juge occupe

donc une place particulière parmi les organes de protection et apparaît comme le gardien des libertés.

Ce personnage n’est pourtant pas l’unique moyen de protection des libertés dans la mesure où, selon

l’article 4 de la DDHC, les bornes de la liberté sont fixées par le législateur. De même, l’article 34 de la

Constitution de 1958 prévoit bien que le législateur est une source de protection des droits

fondamentaux puisqu’il dispose que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les

garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. » En outre, un

bouleversement du rôle des juges internes a eu lieu en matière de protection des libertés. Avant 1958,

seul le juge ordinaire protégeait les libertés, particulièrement le juge judiciaire puisqu’une certaine

méfiance régnait à l’égard du juge administratif, soupçonné d’être a priori favorable à l’administration

puisqu’il était à l’origine le conseiller du gouvernement. Nous envisagerons dans un premier temps les

garanties constitutionnelles (section 1) et analyserons ensuite le rôle du dualisme juridictionnel

(section 2), notions qui permettent de sanctionner et réparer les violations des libertés fondamentales.

Section 1 : Les garanties constitutionnelles.

Des dispositions du corps de la Constitution prévoient des mesures spécifiques permettant de

renforcer la garantie des droits des citoyens en cas de violation. L’article 66 prévoit ainsi que seul le

juge judiciaire est compétent pour la protection de la liberté individuelle (§2) qu’elle provienne d’une

personne privée ou de l’administration, tandis que le nouvel article 61-1 issue de la réforme

constitutionnelle de 2008 introduisant dans le droit français l’exception d’inconstitutionnalité (§1).

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Le traitement des libertés fondamentales en France

29

§1 L’exception d’inconstitutionnalité de l’article 61-6 de la Constitution.

La réforme du 23 juillet 2008 vient mettre fin à la prééminence de la loi en adjoignant l’article

61-1 introduisant le contrôle de constitutionnalité a posteriori, sans toutefois en préciser les modalités.

L’article 61-1 dispose que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est

soutenu qu’une disposition législative promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur de la

présente Constitution porte atteinte aux droits et libertés que celle-ci garantit, le Conseil constitutionnel

peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, dans les

conditions et sous les réserves fixées par une loi organique. » La rédaction de la loi organique relative

à cet article est intéressante et a donné lieu à de vives réactions. Il ne s’agit donc pas d’un contrôle de

constitutionnalité a posteriori puisqu’il n’est autorisé qu’à l’égard de certaines dispositions et après

avoir franchi certaines étapes. Non seulement le domaine du contrôle est limité (A) mais les modalités

mêmes de ce contrôle sont assez strictement encadrées (B).

A. Un domaine de contrôle limité.

Le Conseil constitutionnel pourra juger a posteriori qu’une disposition législative porte atteinte aux

droits et libertés que la Constitution garantit. En revanche, si le Conseil en a déjà contrôlé la

constitutionalité il n’est plus possible de déférer la loi, en application du principe d’autorité de la chose

jugée, au regard notamment de l’article 23-2 2° du projet de loi organique. L’objet du contrôle est

l’ensemble de la Constitution, ce qui comprend également les droits et libertés figurant dans le

Préambule. Il intègre également les droits et libertés rattachés à la Constitution par le juge comme les

PFRLR et les principes à valeur constitutionnelle, comme l’illustre par exemple le principe de dignité.

Plus généralement, ce sont l’ensemble des normes constitutionnelles dégagées par le juge dans son

pouvoir d’interprétation, tel le droit à la vie privée et familiale résultant de l’interprétation faite par le

Conseil constitutionnel comme se rattachant à l’article 2 de la DDHC de 1789. De même, les objectifs

à valeur constitutionnelle pourraient faire l’objet d’un contrôle a posteriori au même titre que les

grandes libertés, à condition que la disposition prévoie un droit ou une liberté. Lorsque le constituant

affirme que sont protégés par cette procédure les droits et libertés que la Constitution garantit, il exclut

nécessairement les libertés conventionnelles, ce qui rend plus délicates les modalités du contrôle.

Ainsi, les droits et libertés de la Convention EDH ne pourront pas faire l’objet de cette procédure

puisqu’ils ne sont pas garantis par la Constitution. Le contrôle a posteriori porte bien sur la

constitutionnalité de ces libertés et non pas sur la conventionalité. Se pose alors la question de

l’articulation de ces normes qui suppose un risque de concurrence entre ces deux contrôles pouvant

réduire la portée de cette réforme. Le requérant aura en effet plus d’intérêt à invoquer la violation de la

loi à la Convention EDH que d’invoquer la violation de la loi à la Constitution, eu égard aux conditions

et aux modalités de ce contrôle.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

30

B. Les modalités du contrôle strictement encadrées.

L’article 61-1 de la Constitution ne prévoit pas la faculté de saisir directement le Conseil

constitutionnel pour le justiciable comme c’est le cas en Allemagne ou en Espagne. L’action prévue

est la « question incidente », aussi appelée « renvoi préjudiciel ». Dans la mesure où il ne s’ahit pas

d’une voie de recours directe, le mythe de la loi est donc préservé. « Seules les juridictions suprêmes

peuvent saisir le Conseil constitutionnel a posteriori. » Ces juridictions suprêmes, la Cour de cassation

et le Conseil d'Etat, jouent un rôle de « filtre ». Des conditions de forme sont donc à remplir, dès lors

la question préjudicielle doit, selon la loi organique, faire l’objet d’un moyen à part, motivé et distinct.

Sur le fonds, la question doit être importante pour la solution du litige et ne pas être dépourvue de

caractère sérieux. Ainsi, le juge va devoir apprécier le caractère sérieux pour pouvoir renvoyer devant

le Conseil constitutionnel, ce qui pose des problèmes, eu égard à la concurrence des juges en matière

de protection des libertés fondamentales. La question ne doit en outre pas avoir fait l’objet d’un

contrôle a priori, sauf changement de circonstance en fait ou en droit. Ces conditions sont appréciées

par la juridiction ordinaire. C’est même parfois un double filtre puisque le juge d’instance ou d’appel va

vérifier que ces conditions sont remplies pour saisir le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation qui

décideront eux même du renvoi devant le Conseil constitutionnel.

Il existe donc prolongement des procédures, qui dissuade le requérant de soulever le Conseil

constitutionnel, d’autant plus qu’il peut trouver dans les conventions internationales des supports

similaires dont le juge ordinaire est compétent. Le juge ne peut pas soulever d’office la question de la

violation de la Constitution. Ce n’est pas un moyen d’ordre public. C’est une procédure qui est laissée

à l’arbitraire de l’individu et qui n’est donc pas instituée pour assurer la suprématie de la Constitution.

Cette nuance dans la finalité de la procédure a donc toute son importance. En effet, il marque bien la

volonté du constituant de protéger l’individu dans l’exercice de ses libertés fondamentales. Désormais,

le Conseil constitutionnel passe également d’un contrôle in abstracto à un contrôle in concreto. Le

contrôle de constitutionnalité des lois est opéré a priori par le juge constitutionnel et le contrôle de

conventionalité des lois est effectué par le juge ordinaire a posteriori mais le problème en définitive est

que le second contrôle semble plus efficace que le premier. Finalement, les conventions

internationales sont mieux protégées que la Constitution. Le seul avantage du contrôle de

constitutionnalité par rapport à celui du contrôle de conventionalité tient à ce que la loi est purement et

simplement annulée. Ainsi, dans le contrôle de conventionalité, la loi est simplement écartée dans le

cas d’espèce et celle-ci continue d’exister dans l’ordonnancement juridique, mais cette distinction

reste accessoire en pratique. La conséquence immédiate de la réforme de 2008 est qu’un choix

s’impose désormais au requérant : lorsqu’il estime sa liberté bafouée, il a le choix entre invoquer une

convention telle que la Convention EDH et invoquer la Constitution, voie ouverte par l’article 61-1.

Le projet de loi organique débattu à l’Assemblée nationale tranche le problème clairement

puisqu’il propose un droit de priorité du contrôle de constitutionnalité. Cette priorité s’explique par la

supériorité de la Constitution sur les traités. C’est donc la conformité à la Constitution qui doit

l’emporter face au contrôle de conventionalité. Mais est-ce vraiment l’objet de la réforme ? Quelle a

été l’esprit dans lequel la réforme a été pensée ? S’agit-il de conférer la suprématie de la Constitution

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Le traitement des libertés fondamentales en France

31

en assurant une meilleure protection qu’elle ne l’ait été avant ou de mieux protéger les droits du

justiciable ? Cette dernière perspective est très différente. A la lecture du texte, beaucoup d’indices

montrent que ce n’est pas la supériorité de la hiérarchie des normes qui a guidé cette réforme mais

bien une meilleure protection des droits et libertés des justiciables. Seules les libertés peuvent ainsi

faire l’objet d’un contrôle a posteriori et non l’ensemble des dispositions constitutionnelles. Aussi, le

fait que l’exception d’inconstitutionnalité ne puisse être soulevée d’office par le juge et seulement par

le justiciable montre bien cet aspect.

§2 La protection de la liberté individuelle consacrée par l’article 66 de la Constitution.

Elle provient de l’article 66 de la Constitution qui prévoit que « nul ne peut être arbitrairement

détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle assure le respect de ce principe dans

les conditions prévues par la loi. » Cette disposition, confirmée par l’article 136 du Code de procédure

pénale, fait que seul le juge judiciaire est compétent pour la protection de la liberté individuelle qu’elle

provienne d’une personne privée ou de l’administration. Mais que recouvre la notion de liberté

individuelle ? Sur ce point, la jurisprudence n’est pas claire, particulièrement celle du Conseil

constitutionnel qui a d’abord interprété l’article 66 de la Constitution d’une manière très large, avant de

privilégier une perception plus étroite. A cette apparente imprécision s’ajoute la jurisprudence du

Tribunal des conflits qui a distingué dans la sanction des atteintes à la liberté individuelle le

contentieux de leur réparation, de la compétence exclusive du juge judiciaire, du contentieux de

l’annulation, qui peut relever du juge administratif.

A. L’identification de la notion de liberté individuelle.

Le juge constitutionnel a dû traiter cette question à travers une série de décisions et l’idée maîtresse

de ses jurisprudences était de savoir si la liberté individuelle se limite ou va au-delà du droit à la

sûreté. L’article 66 de la Constitution comporte en effet deux alinéas, le second alinéa devant être lu à

la lumière du 1er. Est-ce une référence au principe de l’alinéa 1er, qui se confondrait alors avec le

droit à la sûreté ? La notion de liberté individuelle se limite-t-elle ou va-t-elle au delà du droit à la

sûreté de l’article 66 de la Constitution ? Dans un premier temps, le juge constitutionnel a choisi la

seconde hypothèse, considérant que la liberté individuelle recouvre le droit à la sûreté mais comporte

aussi la référence à d’autres libertés, comme l’illustre la décision « Fouille des véhicules » du 12

janvier 1977. De même, la liberté d’aller et venir et la liberté du mariage sont considérées comme

relevant de la liberté individuelle, notamment à l’égard des étrangers et en application de la décision «

Loi relative à la maitrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des

étrangers en France » du 13 août 1993. De même le droit au respect de la vie privée est confondu

avec la liberté individuelle dans la décision du 18 janvier 1995 portant sur la « loi relative à la

sécurité». Dans un premier temps, la liberté individuelle semble donc se rapporter à tout ce qui

concerne la personne ou la sphère de liberté personnelle. La compétence du juge judiciaire est donc

très étendue. Dans la décision « Bioéthique » du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, celui-ci a

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Le traitement des libertés fondamentales en France

32

même confondu la notion de liberté en général avec la notion de liberté individuelle en énonçant que «

la liberté individuelle est proclamée aux articles 1, 2 et 4 de la DDHC de 1789 » qui pose la notion

générale de liberté. De cette solution naît un risque d’hypertrophie de la notion de liberté individuelle

qui pourrait rendre toujours compétent le juge judiciaire en cas d’atteinte à une liberté. Mais cette

situation verrait le concept de liberté individuelle perdre son sens.

Cette issue a poussé le Conseil constitutionnel à revenir sur sa jurisprudence et s’employer à

restreindre le champ d’application de l’article 66 de la Constitution en excluant du champ de la liberté

individuelle certaine liberté qu’il avait rattachée auparavant. Deux fondements de la loi ont été

modifiés. C’est le cas d’une part de la vie privée qui ne relève plus de l’article 66 de la Constitution

mais de l’article 2 de la DDHC : la liberté individuelle est donc distinguée donc de la vie privée. D’autre

part, la liberté d’aller et venir est désormais rattachée à l’article 4 de la DDHC de 1789 et plus à

l’article 66 de la Constitution. De manière plus ambiguë, le droit au mariage n’est plus visé comme

composante de l’article 66 de la Constitution mais résulte de la combinaison des articles 2 et 4 de la

DDHC de 1789. Ces évolutions découlent de plusieurs décisions datant de 2003. Par conséquent,

toutes les questions de la vie privée relèvent de certains articles de la DDHC, et plus de l’article 66 de

la Constitution. Enfin, la protection du domicile semble elle aussi ne plus relever de la notion de liberté

individuelle depuis une décision « Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité »

du 2 mars 2004. Ce resserrement de la question est le bienvenu mais se confond-il avec le droit à la

sûreté ? Cela n’est toujours pas explicite en jurisprudence mais l’idée qui semble dominer est que

qu’une atteinte à la liberté individuelle doit impliquer un emprisonnement, donc une privation totale

des libertés, ou une atteinte particulièrement grave à la sphère d’autonomie personnelle de l’individu.

B. Sanction de l’atteinte à la liberté individuelle.

Le Tribunal des conflits a adopté une solution en apparence plus complexe sur la question de

la compétence du juge judicaire en cas d’atteinte à la liberté individuelle. Il considère notamment que

cette compétence du juge judiciaire n’est automatique que dans le contentieux de la réparation, c'est-

à-dire quand l’objet de la requête est d’obtenir des dommages et intérêts qui découlent d’une atteinte

à la liberté individuelle. C’est donc dans ce contentieux de la réparation que le juge judiciaire est

compétent, non pour celui de l’annulation, c’est à dire lorsque l’objet de la requête a pour but de

mettre fin à une mesure contraire à la liberté individuelle. L’idée émise par le Tribunal des conflits

dans sa décision « Clément » du 16 novembre 1964 est que le juge judiciaire est seul compétent pour

octroyer la réparation, l’idée sous-jacente étant est que le juge administratif remplit bien son travail de

respect de la légalité c’est à dire du contentieux de l’annulation mais qu’il est plus nuancé et soucieux

des deniers publics au moment de statuer sur la réparation. Il n’y a donc pas cohérence au regard de

la protection des libertés puisque l’intervention du juge judiciaire se fait uniquement dans le cadre de

la réparation. Cette disposition constitutionnelle est pourtant un moyen efficace d’éviter toute violation

de la liberté individuelle.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

33

Section 2 : L’indépendance du pouvoir judiciaire

En Italie, le Premier ministre a déclaré en 2005 que "les juges sont mentalement dérangés,

pour faire un travail de juge, il faut avoir des troubles psychiques, et si les juges font ce travail, c'est

parce qu'ils sont anthropologiquement différents du reste de la race humaine". Il ne se limitait

d'ailleurs pas aux seuls magistrats italiens. Des réformes de procédure pénale ont été votées, pour

permettre à des membres de la majorité d'échapper à certains risques judiciaires. L'indépendance des

magistrats du parquet est remise en cause. En France, une loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a

été l'occasion de réaffirmer la subordination hiérarchique des membres du parquet au ministre de la

justice. La Déclaration des droits de l'homme de 1789 dispose que "toute société dans laquelle la

garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de

constitution". Cet article rappelle la nécessité de l’existence d’un équilibre entre les pouvoirs législatif,

exécutif et judiciaire. L’indépendance du juge judiciaire bien qu’elle soit en apparence consacrée n’est

pas toujours une évidence comme l’illustre tout récemment les polémiques issues de l’Affaire

Clearstream ou du rapport de la Commission Léger relatif à la réforme des Codes pénal et de

procédure pénale préconisant, à la demande du Président de la République, la suppression du juge

d’instruction.

L’intérêt ici n’est pas d’étudier l’indépendance de la puissance judiciaire en général mais

l’indépendance de ses membres, à savoir les juges, qui participent à l’effectivité de la protection des

libertés fondamentales. Nous entendons par juges judiciaires l’ensemble des magistrats qui forment

l’unité du corps judiciaire. Ce sont d’une part, les magistrats du siège qui exercent la fonction même

de juger et, d’autre part, les magistrats du parquet dont la fonction est de requérir, c’est à dire de

demander l’application de la loi. Poser la question de l’indépendance du juge, c’est s’interroger sur

l’éventuelle autorité, pouvoir voire souveraineté dont dispose ce dernier de nos jours. Ce problème

sémantique trouve son origine dans la tradition française caractérisée par une crainte historique à

l’égard du juge. Depuis la Révolution française, on accorde de plus en plus d’indépendance à la

puissance judiciaire et donc par conséquent à ses membres. Aujourd’hui encore, on hésite à

reconnaître une souveraineté aux juges, la preuve même en est le titre VIII de la Constitution du 4

octobre 1958 qui parle « de l’autorité judiciaire » et non pas du « pouvoir judiciaire ». L’indépendance

du pouvoir judiciaire fait l’objet d’une consécration textuelle et notamment constitutionnelle (I) qui doit

également s’avérer effective à l’égard des justiciables (II).

§1. La consécration textuelle de l’indépendance du juge judiciaire.

Si l’indépendance du juge judiciaire est un principe garanti par la Constitution du 4 octobre

1958 (A) en réalité, les garanties de cette indépendance sont plus fortes à l’égard des magistrats du

siège qu’à l’égard des magistrats du Parquet (B).

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Le traitement des libertés fondamentales en France

34

A. Un statut constitutionnel protecteur L’article 64 de la Constitution de 1958 pose le

principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Il dispose que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité

judiciaire. Il est assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Une loi organique porte

statut des magistrats. Les magistrats du siège sont inamovibles ». La formulation retenue par l’article

64 ne manque pas de surprendre puisque c’est le Président de la République qui est désigné comme

le garant de l’autorité judiciaire. Nous pouvons donc fortement s’étonner de cette disposition qui confie

une telle mission au chef de l’exécutif. Néanmoins, cela participe de l’idée que le chef de l’Etat est un

arbitre constitutionnel et non un acteur du jeu politique. Mais si cette approche était acceptable dans

l’esprit des constituants de 1958, elle devient contestable avec l’évolution de la pratique

constitutionnelle qui a conduit à faire du chef de l’Etat le principal décideur publique. Or, sauf durant

les périodes de cohabitation, le Président de la République apparaît en fait, sinon en droit, comme le

véritable chef du gouvernement. Comme le relève Francis Hamon et Michel Troper, « on peut donc se

demander s’il n’est pas lui même trop profondément engagé dans la vie politique pour jouer un rôle

d’arbitre entre l’autorité judiciaire et les autres pouvoirs de l’Etat ». En effet, on assiste au phénomène

de la présidentialisation du régime de la Vème République comme en témoigne les propos de l’ancien

Président de la République Jacques Chirac à son ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy : « je décide,

il exécute ».

Il faut néanmoins se rassurer car le Président de la République est assisté dans cette mission

d’un organe, le Conseil Supérieur de la Magistrature. C’est un organe essentiellement composé de

magistrat et, depuis la révision du 23 juillet 2008, le Président de la République et le Garde des

Sceaux n’en sont plus membres de droit.

B. Une indépendance accrue à l’égard des magistrats du siège

L’autorité judiciaire comprend deux sortes de magistrats. Il y a d’une part, les magistrats du

siège qui rendent les jugements ou les arrêts, et qui détiennent donc le pouvoir de décision au sein de

l’ordre judiciaire. D’autre part, il existe les magistrats du parquet qui représentent, auprès des

tribunaux, l’intérêt collectif de la société, et dont le rôle consiste notamment à prendre des réquisitions

en matière pénale. Ils ne participent pas au jugement des affaires, et la décision judiciaire appartient

exclusivement aux magistrats du siège. Comme le relève les professeurs Hamon et Troper, « d’un

point de vue constitutionnel, c’est surtout l’indépendance des magistrats du siège qu’il convient de

garantir, car c’est d’eux que dépend en dernier ressort la liberté des personnes. Ainsi, l’article 64 de la

Constitution vient préciser que « les magistrats su siège sont inamovibles ». Par conséquent, cela

signifie qu’ils ne peuvent être déplacés sans leur consentement, même si c’est en avancement. Nous

assistons là à une garantie « relativement » importante puisqu’un magistrat du siège ne peut pas faire

l’objet d’une mutation d’office qui serait destinée à l’empêcher de participer au jugement d’une affaire.

Cependant, l’inamovibilité n’est pas une garantie suffisante pour assurer l’indépendance des

magistrats. En effet, selon F.Hamon et M.Troper « ceux‐ci, comme les autres fonctionnaires, ont

vocation à faire une carrière, c’est à dire à occuper des postes de plus en plus élevés à l’intérieur de la

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Le traitement des libertés fondamentales en France

35

hiérarchie judiciaire. Pour toutes ces raisons, les pouvoirs du CSM ont été considérablement renforcés

surtout en ce qui concerne les magistrats du siège.

Pour ces derniers, il dispose désormais d’un véritable pour de décision tel que les

nominations, les promotions qui doivent être faites tantôt sur proposition, tantôt sur avis conforme, ce

qui signifie donc que son accord est toujours indispensable. Quant aux magistrats du parquet, son

rôle demeure assez limité puisque le CSM ne donne que des avis sur les nominations ou les

promotions et, lorsqu’il s’agit d’un emploi auquel il est pourvu en Conseil des ministres, il n’est même

pas consulté. De même que le pouvoir de nomination, le pouvoir disciplinaire ne s’exerce pas de la

même manière selon qu’il s’agit des magistrats du siège ou du parquet. A l’égard des premiers, le

pouvoir disciplinaire est juridictionnalisé, c’est à dire que les sanctions ne peuvent être prononcées

que par la formation compétente du CSM. En ce qui concerne les seconds, le pouvoir disciplinaire

reste entre les mains du ministre de la Justice et la formation du CSM n’a alors qu’un rôle consultatif.

Section 3 : Le rôle du dualisme juridictionnel dans la protection des libertés fondamentales.

Le dualisme juridictionnel est une particularité du modèle français, soit une distinction claire

entre contentieux administratif et judiciaire, chacun bénéficiant d’une autonomie propre et de leur juge

suprême. Les questions de compétence respective sont résolues par le Tribunal des conflits.

Plusieurs critères ont été dégagés, notamment celui de service public ou la prérogative de puissance

publique qui permettent, au cas par cas, de confier le litige à la juridiction administrative ou à la

juridiction judiciaire. La question des libertés bouscule cette distinction du fait d’une conception faisant

du juge judiciaire l’autorité prioritaire lorsqu’une liberté fondamentale est en cause. Ce présupposé se

retrouve dans la jurisprudence même du Conseil constitutionnel, considérant que certains contentieux

relèvent « par nature » du juge judiciaire, dérogeant ainsi à la règle traditionnelle inspirée de la

séparation des pouvoirs selon laquelle le juge administratif est compétent pour juger des actes

administratifs, comme l’illustre la décision « Conseil de la concurrence » du 23 janvier 1987. Le juge

constitutionnel y a consacré le raisonnement tenu par le juge administratif dans l’arrêt « Blanco » en y

admettant des exceptions par nature, notamment dans le domaine des libertés fondamentales. Le

juge judiciaire bénéficie donc d’une réserve de compétence, dans la mesure où il est a priori plus

compétent que le juge administratif : le litige aurait dû être déféré au juge administratif mais comme il

s’agissait d’une liberté fondamentale, le juge judicaire a été désigné comme compétent. Cette

situation est néanmoins contrebalancée par la montée en puissance des juridictions administratives

en la matière, qui essayent d’apparaître aussi protectrices que le juge judiciaire.

§1 Le juge judiciaire et la protection des libertés.

Le juge civil et le juge pénal contribue individuellement à la garantie des droits (a) mais elle s’exerce

aussi contre l’administration (b).

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Le traitement des libertés fondamentales en France

36

A. Le juge civil et pénal contribuant à la garantie des droits.

- Le juge civil.

« L’existence d’une liberté fondamentale entraine la reconnaissance au profit des individus de

droits subjectifs qui en sont la réalisation effective ». Nous pouvons citer à titre d’exemple la garantie

du droit de propriété comme droit fondamental, qui implique que chacun puisse y accéder et que les

prérogatives du propriétaire soient efficacement protégées par le juge, en vertu de l’article 544 du

Code civil affirmant « le droit de jouir et de disposer des choses de manière la plus absolue ». La

théorie des droits fondamentaux, inscrits dans le mouvement de constitutionnalisation du droit, aboutit

à ce que l’invocation d’un droit subjectif devant le juge mette en cause l’exercice d’une ou de plusieurs

libertés fondamentales même si nous pouvons relever que celles-ci ne soient pas toujours sollicitées

directement.

Ainsi, lorsque le Conseil des prud’hommes sera chargé de statuer sur le licenciement d’un

délégué syndical à raison des faits liés à une grève, le juge sera appelé à se prononcer sur le

fondement des dispositions légales qui sont la mise en œuvre de principes constitutionnels comme le

droit de grève, la liberté syndicale, la liberté d’entreprendre ou la liberté contractuelle. Le juge

judiciaire est ainsi, pour reprendre l’expression de Pierre-Henri Prelot, « le gardien de la liberté parce

qu’il est le gardien du droit ». Par ailleurs, une des conséquences de l’arrêt Jacques Vabres du 24 mai

1975 rendu par la Cour de cassation et qui se différencie du contentieux administratif, est l’étendue

des obligations découlant des droits de la Convention EDH, celles-ci ne concernant désormais l’Etat

exclusivement. Un « effet horizontal » des droits consacrés survient, dans la mesure où ceux-ci

s’appliquent également aux rapports de droit privé, que la Cour de cassation doit ainsi appliquer.

Enfin, c’est pour l’essentiel l’action visant à faire cesser le trouble qui permet d’assurer la garantie des

droits devant le juge civil, qui dispose à cet égard des pouvoirs d’injonction et d’astreinte. Le juge civil

peut également être saisi, en vertu de l’article 809 du Code civil, par la voie du référé afin de remplir

une fonction préventive de l’atteinte aux libertés indispensables dans certaine matière, notamment en

matière de protection de la vie privée. L’article 9 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17

juillet 1970 permet au juge judiciaire de « prescrire toutes mesures (…) propres à empêcher ou à faire

cesser une atteinte à la vie privée. » Mais l’action en réparation du préjudice subi, notamment sur le

fondement de l’article 1382, remplit également une fonction essentielle de protection.

- Le juge pénal.

« En veillant au respect de la loi dans son sens le plus fort, à savoir sous le risque non

seulement de la réparation mais également de la sanction, le juge pénal apparaît ainsi comme la

figure emblématique de la protection juridictionnelle des libertés. » Ainsi, des libertés telles que la

liberté d’expression, de travail, d’association, de réunion ou de manifestation sur la voie publique sont

protégées par le Code pénal, qui réprime le fait d’entraver leur libre exercice en vertu de l’article 431-

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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1. Nous apercevons le rôle essentiel de la répression pénale en matière de protection des droits et

libertés à un double égard. D’une part, par la pénalisation renforcée d’un certain nombre d’atteintes

aux personnes, notamment dans le domaine des discriminations. D’autre part, à travers la possibilité

d’exercer l’action civile en lieu et place des victimes, donnée dans un certain nombre de cas aux

associations de défense.

B. La réserve de compétence du juge judiciaire face au juge administratif.

La conséquence en est que le juge judiciaire est non seulement compétent pour les litiges

entre particuliers mais également pour des litiges à l’égard de l’administration dérogeant de cette

manière aux règles traditionnelles de la répartition des contentieux instituée par la loi du 16 et 24 août

1790. Le problème principal pour les requérants est que même si le juge judiciaire doit être plus

compétent que le juge administratif en cas d’atteinte à une liberté, il ne sera totalement compétent

qu’en cas d’atteintes graves aux libertés. Il importe donc d’identifier les hypothèses d’une atteinte de

l’administration devant le juge judiciaire et non devant le juge administratif. Outre la réserve

constitutionnelle découlant de l’article 66 de la Constitution, deux grandes théories construites par la

jurisprudence ont pour objet de réserver certain contentieux au juge judicaire en cas d’atteinte aux

libertés. La première s’attache à la nature de la liberté en cause, à savoir le droit de propriété :

l’emprise irrégulière (a). La seconde privilégie le degré de violation d’une liberté et non la nature de la

liberté : la voie de fait (b).

a. La théorie de l’emprise irrégulière.

L’emprise irrégulière est constituée lorsque l’administration dépossède un particulier de sa

propriété immobilière sans titre juridique valide. Dans le cadre de cette violation du droit de propriété,

la jurisprudence estime que le juge judicaire est seul compétent pour fixer le montant de la réparation

et que le juge administratif reste compétent pour statuer sur la validité de la mesure en vertu d’un arrêt

« Consort Perrin » du Tribunal des conflits du 17 février 1947. A côté du principe existent des

conditions pour relever de cette emprise irrégulière : une condition d’effet et une condition d’objet.

La condition d’effet implique que la mesure ne porte pas seulement au droit de propriété mais

doit le nier et le supprimer complètement. Une restriction à l’usage de la propriété ne suffit pas, cette

condition réclame une totale dépossession du droit de propriété par l’administration sans titre. En

outre, la condition d’objet est que seule la propriété immobilière puisse déclencher l’application de la

théorie et de la compétence du juge judiciaire. Le juge judiciaire compétent qu’en cas d’emprise

irrégulière alors qu’il n’est pas compétent pour juger de la régularité : ce paradoxe est la principale

critique adressée à cette théorie. Par exemple, si le juge judiciaire est directement saisi sans savoir si

la dépossession est régulière ou non, celui-ci ne peut pas se prononcer et doit alors renvoyer

l’appréciation de la régularité de l’emprise au juge administratif par question préjudicielle et c’est en

fonction de l’appréciation du juge administratif que le juge judiciaire pourra ou non statuer et être

compétent pour fixer les dommages et intérêts. Nous pouvons citer ici les arrêts « Werquin » du

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Le traitement des libertés fondamentales en France

38

Conseil d'Etat du 15 février 1961 et « Préfet de Saône et Loire » du Tribunal des conflits du 29 octobre

1990.

b. La théorie de la voie de fait.

La théorie de la voie de fait a plus d’influence que celle de l’emprise irrégulière et a longtemps

constitué une justification à l’idée d’un droit autonome des libertés fondamentales. Elle ne porte pas

sur une liberté particulière comme l’emprise irrégulière mais concerne l’ensemble des libertés. Dans

cette hypothèse, les pouvoirs du juge judiciaire sont très étendus. Ils couvrent notamment le

contentieux de la réparation mais aussi, et contrairement aux deux acceptions précédentes (la liberté

individuelle de l’article 66 de la Constitution et la théorie de l’emprise irrégulière), le contentieux de

l’annulation, donc celui de la légalité. Il s’agit d’un des rare cas où le juge judiciaire peut contrôler la

légalité d’une décision administrative. C’est ce qu’a exprimé le Tribunal des conflits dans l’arrêt

«Epoux Barinstein» du 30 octobre 1947 où le juge judiciaire s’est vu reconnaître la compétence de

prononcer des injonctions à l’égard de l’administration, en vertu de l’arrêt «Veuve Puget» du Tribunal

des conflits du 28 février 1948. Cette plénitude de juridiction accordée au juge judiciaire s’explique par

le contentieux quitte le domaine administratif. L’atteinte à la liberté est en effet tellement grave que

l’administration perd son statut spécifique et est alors considérée comme un particulier : elle est

déchue du privilège de juridiction conféré au juge administratif. Le contentieux devient alors privé. Il

s’agit donc d’une dérogation importante à la règle de séparation des contentieux. L’administration a

agi hors du droit d’où l’intitulé de la « voie de fait ». De facto, s’agissant d’un litige entre personnes

privées, c’est le juge judiciaire qui est pleinement compétent.

Quelles sont les conditions de la voie de fait ? Il faut tout d’abord être en présence d’une

liberté fondamentale, concept resté longtemps mal défini. Le juge judiciaire a eu tendance à

considérer de manière très large la notion de liberté fondamentale. Par exemple, il a estimé que

suspendre un abonnement téléphonique portait atteinte à une liberté fondamentale mais le Tribunal

des conflits a refusé une telle interprétation dans un arrêt du 15 avril 1991. Aussi, un refus de permis

de chasse n’atteint pas à une liberté fondamentale. La deuxième condition tient au fait que l’atteinte

soit particulièrement grave. Cela ne pose pas de problème lorsqu’il y a privation totale de la liberté.

Cette deuxième condition s’évalue au regard des pouvoirs dont dispose l’administration. A l’aune de

ses pouvoirs, il est possible d’identifier deux formes de voie de fait. La première concerne l’exécution

d’une décision, qui serait constitutive d’une voie de fait. La seconde forme concerne l’adoption de la

décision.

- L’exécution de la décision.

C’est l’hypothèse où l’administration procède à l’exécution forcée alors qu’elle n’en avait pas

le droit. Cette hypothèse est posée dans l’affaire « Action française » de 1935. L’administration a

interdit la publication du journal « Action française », engendrant une atteinte grave à la liberté

d’expression. La voie de fait est entendue car l’administration a saisi les journaux alors qu’elle n’avait

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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pas droit à l’exécution forcée. Par un arrêt « Société immobilière Saint Juste » du 2 décembre 1902, le

Tribunal des conflits considère qu’il peut être procédé à l’exécution forcée d’une décision sous trois

conditions cumulatives, à savoir si la loi le permet, si aucune autre voie de droit n’est permise et s’il y

a urgence. Si ces trois conditions ne sont pas réunies l’administration ne peut pas procéder à

l’exécution forcée et celle-ci devient irrégulière. De plus, si cette exécution forcée porte gravement

atteinte à une liberté fondamentale, il s’agit d’une voie de fait puisque l’administration a agi hors du

droit, dès lors qu’on ne lui permettait pas d’exécuter sa décision.

- L’adoption de la décision.

La deuxième forme est liée à l’adoption même de la décision et non à son exécution. Ici,

l’administration n’a même pas le pouvoir d’adopter cette décision. C’est donc l’hypothèse de l’acte «

manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration. »

Ce sera le cas lorsque l’administration aura agi sans en avoir le droit, par exemple en détruisant des

biens, en exhumant un cadavre, en confisquant des passeports, etc. Qu’est-ce qu’une mesure

insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration ? Deux hypothèses existent où

l’administration agit au delà de ses pouvoirs. La première est lorsque l’administration agit sans

pouvoir. La seconde hypothèse est celle d’une administration agissant en vertu de l’un de ses

pouvoirs mais dans une fin autre que celle en vue de laquelle ils lui ont été confiés.

Dans cette hypothèse, peut-on considérer que l’acte est constitutif d’une voie de fait ?

Instinctivement, il ne s’agirait pas d’une voie de fait puisqu’il y a bien un pouvoir et simplement

détournement. Dans un premier temps, dans l’affaire « Eucat » du 9 juin 1986, le Tribunal des conflits

estime que constitue une voie de fait, et relève donc de la compétence exclusive du juge judiciaire, le

fait de retirer le passeport d’un contribuable afin de le retenir sur le sol français pour éviter qu’il s’en

aille. Il y a là une atteinte grave à la liberté de circulation. Pour autant, est-ce que la mesure est

manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration ? L’administration a bien

le pouvoir de retirer les passeports mais uniquement en cas d’infraction pénale ou d’atteinte à l’ordre

public, non en raison de circonstance fiscale. Le Tribunal des conflits juge que dans cette hypothèse,

l’acte est manifestement insusceptible de se rattacher au pouvoir de l’administration et n’est donc plus

susceptible de fonder la mesure. Notion assez large que retient le Tribunal des conflits pour constituer

la voie de fait. De nombreuses critiques ont conduit à infléchir sa position du Tribunal des conflits dans

la décision « Préfet de Paris » du 12 mai 1997. En outre, la particularité de cet arrêt est que la

décision a été adoptée par la voie prépondérante du Ministre de la justice rendue à propos de la

rétention à bord d’un navire de deux étrangers. Le Tribunal des conflits considère qu’il n’y a pas voie

de fait parce que l’administration disposait bien d’un pouvoir de rétention la mesure n’étant

manifestement pas insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration. L’autre particularité

de cette décision est qu’elle a conduit à la démission de l’un des juges, celui-ci considérant qu’il était

inadmissible de ne pas qualifier une telle hypothèse de constitutive d’une voie de fait. La dernière

décision date du 19 novembre 2001 dans un arrêt « Mlle M. » où le Tribunal des conflits semble

revenir à la jurisprudence Eucat pour des faits similaires de confiscation de passeport envers une

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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personne soupçonnée cette fois de fraude afin d’éviter son évasion. Cependant, contrairement à

l’affaire Eucat, le Tribunal des conflits juge qu’il n’y a pas voie de fait car l’administration n’a pas fait un

usage manifestement excessif de son pouvoir. A contrario, si le pouvoir avait été utilisé de manière

manifestement excessive, la mesure était manifestement insusceptible de s’y rattacher. La mauvaise

utilisation d’un pouvoir existant entraîne donc voie de fait. Nous revenons a contrario à la

jurisprudence Eucat, avec la condition supplémentaire du critère d’excessivité. Cette décision du

Tribunal des conflits du 19 novembre 2001 s’inscrit ainsi dans un contexte de revalorisation du juge

administratif comme organe de protection juridictionnel des libertés.

§2 Le juge administratif dans la protection des libertés.

Le juge administratif devient au fil des réformes, notamment par la reforme du référé liberté,

un protecteur important des droits et libertés fondamentaux. Le Conseil d'Etat a probablement mal

vécu le fait d’être considéré comme moins protecteur des libertés que le juge judiciaire. L’arrêt «

Blanco » affirme en effet que l’administration ne peut être jugée, ce principe étant au fondement de la

séparation des juges administratif et judiciaire. Le Conseil d'Etat s’est donc érigé en institution

protectrice, alors que rien ne l’y obligeait et a récusé les accusations de protection inférieure à celle

que garantissait le juge judiciaire et qui justifiait sa compétence exclusive. Le tournant majeur, outre

l’arrêt « Benjamin » de 1993, est la création des principes généraux du droit (A) ainsi que la réforme

du 30 juin 2000 qui introduit plusieurs nouvelles voies de droit en urgence, c'est-à-dire des référés (B).

A. La création de PGD par le juge administratif.

Les principes généraux du droit (PGD) ont été définis par BOUFFANDEAU comme des «

règles de droit non écrites (…) qui (…) s’imposent au pouvoir réglementaire et à l’autorité

administrative (…),oeuvre constructive de la jurisprudence, réalisée pour des motifs supérieurs

d’équité, afin d’assurer la sauvegarde des droits individuels des citoyens. » Jean RIVERO soulignait

en outre que « le juge a fait triompher cette idée qu’au dessus des volontés changeantes des

gouvernements et des administrations, un corps de principe existe, stables, permanentes, liés à

l’existence même de notre conception de l’homme et de la société. La décision de l’exécutif qui les

violera est, par là même, irrégulière. » Ces principes apparus dès 1944 se sont progressivement

intégrés au contrôle de légalité de l’action administrative. On peut citer le respect des droits de la

défense, premier PGD dégagé par le Conseil d'Etat le 5 mai 1944 dans l’arrêt « Dame Veuve

Trompier Gravier », celui de non-rétroactivité des actes administratifs (Conseil d'Etat, Ass, 25 juin

1948, « Société du journal l’Aurore »), la liberté de conscience (Conseil d'Etat, Ass, 1er avril 1949, «

Chaveneau »), la liberté du commerce et de l’industrie (Conseil d'Etat, Ass, 22 juin 1951), le droit au

recours pour excès de pouvoir (Conseil d'Etat, Ass, 17 février 1950, « Dame Lamotte »), l’égalité dans

le fonctionnement des services publics (Conseil d'Etat, 9 mars 1951, « Société des concerts du

conservatoire »), le respect du caractère contradictoire de la procédure (Conseil d'Etat, 12 mai 1961, «

Société La Huta »), le respect des principes généraux du droit pénal (Conseil d'Etat, Ass, 19 octobre

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Le traitement des libertés fondamentales en France

41

1962, « Canal, Robin, et Godot »). C’est également à travers la qualification de PGD que le Conseil

d'Etat s’est référé, après 1946 aux principes inscrits dans le Préambule de 1946 ou la DDHC avant

que le Conseil constitutionnel ne leur confère valeur constitutionnelle dans la décision « Liberté

d’association » du 16 juillet 1971. On y trouve ainsi l’arrêt « Barrel » du 24 mai 1954 qui consacre le

principe de l’égalité de l’accès aux emplois et fonctions publics ou celui du 26 juin 1959 « Syndicat

général des ingénieurs conseils » où le Conseil d'Etat affirme que « les règlements autonomes doivent

respecter les PGD résultant notamment du Préambule de la Constitution. »

Plus récemment, le Conseil d'Etat a inscrit le principe de sécurité juridique comme PGD dans

l’arrêt « KPMG » du 24 mars 2006. De même, il a rattaché aux « principes généraux qui gouvernent le

fonctionnement des juridictions administratives » le droit à être jugé dans un délai raisonnable présent

dans l’article 6§1 de la Convention EDH (Conseil d'Etat, 25 janvier 2006, « SARL Potchou »).

Aujourd’hui encore le Conseil d'Etat se réfère régulièrement aux PGD qu’il a lui même dégagés. A

partir des années 1970, il en a d’ailleurs étendu le champ en créant des PGD à caractère social

comme l’interdiction pour un employeur de licencier, sauf dans certains cas, une salariée enceinte

(Conseil d'Etat, Ass, 8 juin 1973, « Dame Peynet ») ou le droit à une vie familiale normale (Conseil

d'Etat, 8 décembre 1978, « GISTI ») ainsi que le droit des agents non titulaires à un rémunération au

moins égale au SMIC (Conseil d'Etat, 23 février 1982, « Ville de Toulouse »). On peut noter

récemment le principe d’accord des parties pour toute modification des éléments essentiels du contrat

de travail (Conseil d'Etat, Ass, 29 juin 2001, « Berton »). Comme le relève Pierre-Henri PRELOT, « il

est significatif que le Conseil d'Etat soit particulièrement attaché à sa jurisprudence des PDG, et qu’il

préfère manifestement, antériorité oblige, s’en tenir à sa propre production prétorienne plutôt que de

se référer aux principes constitutionnels que le Conseil constitutionnel tient à sa disposition, et dont il

pourrait parfaitement faire usage. A titre d’exemple, le droit à la sécurité juridique a été consacré par le

Conseil d'Etat en tant que principe alors que le Conseil constitutionnel l’avait quant à lui rattaché à

l’article 16 de la DDHC. »

B. Les pouvoirs de référé du juge administratif.

Ces procédures de référés introduisent une nouvelle voie de droit qu’est le référé liberté, dont

l’unique objet est la protection des libertés fondamentales. Celui-ci est crucial puisqu’il induit

désormais un indice matériel de singularisation de ces libertés fondamentales, soulignant la nécessité

d’une meilleure protection de ces prérogatives, par la création de procédures spécifiques. Il ne s’agit

en revanche pas de faire concurrence au juge judiciaire, puisque l’idée qui préside à l’instauration de

cette procédure n’est pas d’établir une concurrence entre le juge judiciaire et le juge administratif. Les

libertés fondamentales permettent de substituer son appréciation aux autorités administratives,

judiciaires, voire législatives. L’idée de la réforme est plutôt d’instaurer une complémentarité entre la

protection qu’offre le juge judiciaire et celle que pouvait offrir désormais le juge administratif.

Cette complémentarité se dégage notamment des circonstances qui ont entrainé la création

du référé liberté mais aussi et surtout des conditions nécessaires à son utilisation. Dans le GAJA, le

commentaire classique de l’arrêt « Benjamin » soulignait que les décisions d’annulation du Conseil

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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d'Etat dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir « perdent une grande partie de leur valeur,

lorsqu’elles interviennent plusieurs années après la mesure d’interdiction (…) seule une décision

ordonnant qu’il soit sursis à l’exécution de la décision attaquée pourrait renforcer efficacement le

contrôle de la légalité : mais jamais une telle décision n’a été prise en cette matière. » Une des

conséquences de cette situation était la sollicitation accrue du juge civil des référés au bénéficie de la

théorie de la voie de fait. C’est la loi du 30 juin 2000 qui est venu remédier à cette situation, en

édictant deux dispositions essentielles du point de vue des libertés. En premier lieu, la création de la

procédure du référé suspension, codifié à l’article L 521-1 du Code de justice administrative, qui

autorise le juge administratif à suspendre l’exécution de toute décision, « même de rejet », contestée

devant lui, si l’urgence le justifie et si le requérant fait état d’un moyen propre à créer « un doute

sérieux quant à la légalité de la décision ». Autrement dit, l’inexécution de la décision suspendue dans

l’attente du jugement au fond préserve la liberté du requérant. En second lieu, en matière de

protection des libertés fondamentales, l’originalité de la loi du 30 juin 2000 réside dans la création du

référé liberté (a) dont il sera nécessaire d’étudier les conditions (b) pour pouvoir mettre la procédure

en œuvre.

a. La création du référé liberté.

La réforme du 30 juin 2000 établit une réforme en profondeur du contentieux administratif, qui

permet au juge administratif de statuer à juge unique en situation d’urgence à propos d’une violation

manifeste des droits. Deux critères sont donc nécessaires, l’urgence de la violation d’une part, la

violation manifeste de ce droit d’autre part. En principe, le juge rend une ordonnance qui est, par

principe, provisoire. Cette procédure induit donc un pré-procès qui, en théorie, n’influence pas le fonds

de la solution mais désamorce le conflit dans la pratique. Concernant les libertés, elle fait l’objet d’un

nouvel article, à savoir l’article L 521-2 du Code de justice administrative, qui oblige le juge saisi à

statuer dans un délai de 48 heures sur la violation d’une liberté émanent de l’administration. A cette

fin, le juge bénéficie pour la première fois d’un véritable pouvoir d’injonction permettant de mettre un

terme à la violation ou au risque de violation qu’il constate. Dans ce cas, le juge peut alors imposer

certain comportement à l’administration : il fait presque oeuvre d’administrateur, ce qui avait toujours

été refusé auparavant. En pratique, ces mesures d’injonction peuvent devenir définitives. A titre

d’exemple, une association se plaignait d’avoir été interdite de réunion par le maire dans une

ordonnance du 30 mars 2007, « Ville de Lyon ». Le juge a constaté une violation de la liberté de

réunion et enjoint au maire d’autoriser la réunion. C’est donc une décision en théorie provisoire mais

le temps de la saisie au fonds, la réunion a eu lieu : de facto, l’ordonnance est devenue définitive.

Plusieurs conditions sont néanmoins nécessaires pour introduire un référé liberté devant le juge

administratif.

b. Les conditions au référé liberté.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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Celles-ci sont précisées à l’article L 521-2 du Code de justice administrative, qui dispose que « saisi

d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures

nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit

public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans

l’exercice de l’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. » Six conditions vont

donc subordonner la possibilité d’introduire le référé et laisseront au juge le rôle de statuer. Ces

conditions sont d’inégale importance, l’une d’entre elle tenant à la nécessaire invocation d’une liberté

fondamentale tandis que les autres sont relatives aux circonstances de l’atteinte à la liberté invoquée.

- La nature de la liberté invoquée.

Il importe ici que le droit revendiqué par la personne soit une liberté fondamentale, celle-ci

n’ayant pas de définition claire et précise. Dans le cadre du référé liberté, le Conseil d'Etat a été

amené à délimiter ce qu’il entendait par liberté fondamentale, mais ne l’a pas fait de manière

conceptuelle en livrant son propre concept de liberté fondamentale. Il a adopté une démarche

casuistique, laissant une large marge de manœuvre à l’appréciation du juge mais induisant une

certaine insécurité juridique. La doctrine s’est alors efforcée d’en dégager les indices en identifiant un

critère formel et en a conclu que la qualification de liberté fondamentale ne s’effectue pas au regard

du rang hiérarchique de la norme.

Un critère matériel est nécessaire, la connaissance du contenu de la prérogative. Ce critère

concourt à exclure les droits de créances des libertés fondamentales, c’est à dire ceux qui imposent

une prestation de la part de l’Etat, comme le droit au travail, à la santé, etc. On s’est cependant rendu

compte par la suite que le Conseil d'Etat n’avait pas réservé la qualification de liberté fondamentale

aux normes figurant dans la Constitution. Il a admis logiquement que des libertés fondamentales

figurant dans une convention puissent être invoquées et a même affirmé qu’une liberté fondamentale

figurant dans une loi pouvait servir de fondement à un référé. C’est l’ordonnance du 16 août 2002, «

Mmes Feuillety » rendue à propos du droit de consentir aux soins qui résultait alors de la loi du 4 mars

2002. Le Conseil d'Etat a alors considéré que, bien que ce droit soit consacré par une loi, il n’en

demeurait pas moins une liberté fondamentale. Le Conseil d'Etat a également restreint la notion de

libertés fondamentales aux seules libertés d’abstentions, c’est à dire aux obligations de ne pas faire à

l’égard des pouvoirs publics. Il a refusé cette qualification aux droits de créance ou de prestations

imposant des obligations de faire parce qu’il refusait une utilisation trop fréquente son pouvoir

d’injonction reconnu pour des droits de créance. Tous les droits sociaux ont donc été écartés

presqu’immanquablement de la qualification de liberté fondamentale. L’arrêt du 31 janvier 2001, «

Commune de Saint Laurent du Var » a ainsi affirmé que le principe d’égalité n’était pas considéré

comme liberté fondamentale, décision pouvant apparaître surprenante puisque le principe d’égalité

peut requérir, voire établir, la liberté et peut incorporer une obligation de faire mais aussi une

obligation de ne pas faire, comme le principe de non-discrimination. Dans une ordonnance du 3 mai

2002 « Association de réinsertion du Limousin et autres », le Conseil d'Etat a également considéré

que le droit au logement n’est pas une liberté fondamentale. Il en est de même dans une ordonnance

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Le traitement des libertés fondamentales en France

44

« Mr Michel » du 8 septembre 2005 rendue à propos du droit à la santé, stipulant qu’un détenu ne

peut s’en prévaloir pour obtenir un changement de cellule dans le cadre de la procédure du référé

liberté. La frontière entre liberté d’abstention et droit de prestation est parfois ambiguë. C’est ce que la

doctrine a essayé de dégager depuis les séries de décisions rendues depuis 2001. Par exemple, le

droit d’asile est considéré comme une liberté fondamentale, alors qu’il est à la frontière des droits

sociaux et politiques. L’essence même de ce droit est une obligation de faire puisqu’il s’agit en

l’occurrence d’octroyer la nationalité. Le droit d’asile est donc à la frontière entre libertés politiques et

droit de créance. Il n’y a donc pas de définition claire et nette d’une liberté fondamentale.

- Les circonstances de l’atteinte.

Les cinq autres conditions peuvent être regroupées en deux catégories : d’une part, l’origine

de l’atteinte à la liberté, d’autre part la gravité de cette atteinte. L’origine de l’atteinte doit émaner de

l’administration ou d’une personne privée chargée d’un service public ou disposant de prérogative de

puissance publique. Pour l’identification de ces critères, il est nécessaire de se reporter à l’arrêt «

APREI » du Conseil d'Etat du 22 février 2007. L’article L 521-2 du Code de justice administrative

ajoute en outre une condition, celle que l’administration ait agi en vertu d’un de ses pouvoirs. Cette

exigence permet en réalité l’articulation entre la théorie de la voie de fait, qui est maintenue, et la

création du référé liberté. A travers cette mention apparaît la preuve d’une conservation de la théorie

de la voie de fait. En revanche, si la personne publique a agi dans le cadre de ses pouvoirs, il n’y aura

pas voie de fait mais le référé liberté pourra s’appliquer : cette condition est donc nécessaire. Il n’y a

donc pas concurrence des deux voies de droit puisqu’elles s’excluent l’une de l’autre.

La gravité de l’atteinte concerne la gravité au sens strict, à savoir le préjudice, mais comporte

également le caractère manifestement illégal et la gravité temporelle, c’est à dire l’urgence.

L’appréciation de cette gravité au sens de l’évidence et de l’urgence n’obéit pas à des critères

prédéfinis et repose sur une interprétation du magistrat. Généralement, le caractère de

proportionnalité permet d’établir le caractère grave et manifestement illégal. En revanche, pour

l’urgence, le critère est plus objectif puisque c’est la situation qui est jugée irréversible. Cette

distinction peut apparaître ambigüe puisqu’est rajouté aux conditions la mention « ou immédiatement

préjudiciable », qui renvoie à l’appréciation de la gravité. Cependant le caractère irréversible permet

d’exclure le critère d’urgence. Ainsi, la négligence de la victime peut participer à l’appréciation

d’urgence. A de nombreux égards, les libertés font donc l’objet d’une protection spécifique renforcée

par le juge judiciaire mais aussi par les pouvoirs du juge, ce qu’illustre le référé liberté. Mais cette

ambigüité relative à l’identification des libertés fondamentales constitue une menace pour la sécurité

juridique des particuliers, sentiment renforcé par l’irruption d’un troisième juge en matière de liberté

fondamentale, à savoir le juge constitutionnel.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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Chapitre 3 : La garantie internationale des libertés fondamentales.

L’après-Seconde guerre mondiale s’est caractérisé par une prolifération de textes

internationaux en matière de droit de l’homme -vision objectiviste qui s’impose aux Etats. On y trouve

des textes à vocation générale ou spéciale comme la Convention des Nations Unies de 1965 relative

à la discrimination raciale ou celle de 1979 relative aux discriminations à l’égard des femmes, la

Convention européenne de 1984 traitant de la question de la torture la Convention de New York de

1989 relative aux droits de l’enfant, de même que la Convention de l’Organisation Internationale du

Travail (OIT). Comme toute norme internationale, les effets de ces sources sont variables certaines

n’étant que déclaratoires et seules un petit nombre ayant une valeur contraignante. Nous nous

concentrerons ici sur les sources contraignantes assurées par un mécanisme juridictionnel de

protection en cas de violation. Dans le cadre du droit applicable à la France, ces mécanismes se

retrouvent uniquement dans le droit de source régionale, plus précisément celui de l’Europe. Cette «

superposition » de catalogues régionaux de protection des libertés s’explique par le fait que les

libertés fondamentales sont le fruit d’un consensus sur des valeurs fondatrices et premières censées

irriguer tout l’ordre juridique. Il est plus efficace d’édicter de telles normes à des échelles réduites,

dans la mesure où elles reflètent elles-mêmes un patrimoine commun, religieux ou historique. Les

sources juridiques régionales sont donc plus faciles à faire accepter par les Etats et d’application plus

aisée.

Parmi tous les systèmes internationaux, les organisations européennes adoptent une

démarche spécifique, du fait de leur approche supranationale. Elles ambitionnent de dépasser la

souveraineté des Etats pour les soumettre à des obligations, en mettant en place un mécanisme de

contrôle juridictionnel comme le Conseil de l’Europe. La particularité des ordres juridiques européens

est qu’ils sont dotés de juges entendant imposer le respect de cet ordre juridique aux Etats en

s’adressant directement aux ressortissants de ces Etats, individus qui vont agir en vecteurs

d’exécution des normes européennes. Ces deux ordres juridiques, aujourd’hui, par la voie de leur juge

entendent revêtir une dimension constitutionnelle comme l’illustre l’arrêt « Parti politique les Verts c/

Parlement européen » de la CJCE du 23 avril 1986, déclarant que « les actes du Parlement peuvent

faire l’objet d’un recours en annulation. » D’autre part, s’agissant de la Cour EDH, elle déclare

solennellement dans un arrêt « Loizidu c/ Turquie » du 23 mars 1995 qu’elle est un « instrument

constitutionnel de l’ordre public européen. » Ce sont, en l’espèce, des formules rhétoriques au pouvoir

symbolique très fort. Concernant la Convention EDH, la protection des droits fondamentaux est chose

naturelle, démarche qui a rencontré plus de réticences dans le cas de la CJCE. L’incorporation des

droits fondamentaux dans le droit communautaire s’est faite progressivement, par étape successive,

jusqu’à l’adoption en 2000 de la Charte européenne des droits fondamentaux, devenue contraignante

après l’adoption du Traité de Lisbonne par l’ensemble des Etats membres de l’Union Européenne.

L’idée-maîtresse du mode de protection de ces droits devant la Cour EDH et devant la CJCE est qu’ils

diffèrent entre eux, ce qui milite pour la complémentarité des deux systèmes plus que pour leur

concurrence. Il demeure néanmoins un rapport d’autorité entre les Cours. Deux grands textes ont été

adoptés à cet égard, dans le cadre de deux institutions européennes. Le premier est la Convention

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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EDH de 1950 issue du Conseil de l’Europe (section 1) et le second est la Charte des droits

fondamentaux de l’Union Européenne adoptée en 2000, issue de l’Union Européenne (section 2). Le

premier texte est pleinement contraignant avec un mécanisme élaboré de contrôle alors que le second

texte ne l’a été que récemment, après la ratification irlandaise du traité de Lisbonne dont les contours

seront à déterminer par la CJCE et par le juge national.

Section 1 : La Convention européenne des droits de l’homme de 1950 et le contrôle de la Cour.

La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés

Fondamentales est un traité international en apparence classique, conclu par dix Etats dans le cadre

du Conseil de l’Europe, organisation qui découle elle-même du traité de Londres du 5 mai 1949. Il

s’agit d’un texte fondamental du Conseil de l’Europe, puisqu’il contient des droits mais institue

également une Cour spécialisée dans leur protection. Cette Convention est entrée en vigueur en 1953

et la Cour EDH en 1959, une fois que huit Etats ont accepté sa juridiction de cette Cour. Initialement,

les Etats pouvaient ratifier le traité et accepter ou non l’autorité de la Cour.

Le caractère innovant de ce texte est l’intégration d’un droit de recours individuel, les

juridictions de droit international n’étant traditionnellement compétentes que pour des litiges entre

Etats. Un Etat assigné devra donc faire face aux griefs de n’importe quel individu, ce qui aboutit à

brouiller la frontière entre le droit international, relevant des relations entre Etats, et le droit interne,

c'est-à-dire la relation entre un Etat et son ressortissant. La Cour EDH peut donc condamner un Etat

sur demande de l’un de ses ressortissants pour ne pas avoir respecté telle ou telle obligation. Cette

originalité et ce caractère coercitif pour l’Etat expliquent notamment que la France n’ait accepté le droit

au recours individuel devant la Cour EDH qu’en 1981, notamment sous la pression du juge français à

la Cour René Cassin, et au regard de la légitimité de l’objectif. Comment un Etat pourrait-il en effet

justifier de ne pas se soumettre au respect des droits fondamentaux ? Nous étudierons dans un

premier temps le contenu de la Convention (§1) avant de nous pencher sur la portée des arrêts

rendus par la Cour EDH (§2).

§1 Le contenu de la Convention EDH.

Il s’agit essentiellement d’un texte de droits civils et politiques, puisqu’il n’était pas

envisageable d’y insérer des droits économiques et sociaux : aucun Etat n’aurait accepté aussi tôt

cette démarche supranationale. Les droits sociaux font l’objet d’un texte séparé, à savoir la Charte

sociale du 18 octobre 1961. Au texte de la Convention EDH s’ajoute l’œuvre de la jurisprudence, qui a

élargi le contenu du texte au-delà de la lettre et lui a donné une autorité supérieure. Ce texte

comprend 13 droits et libertés, compris aux articles 2 à 14, auxquels s’ajoutent des protocoles qui

enrichissent progressivement le texte de nouveaux droits, tels le droit de propriété ou le droit à

l’instruction. On peut les regrouper en deux grandes catégories : les droits dits procéduraux (A) et les

droits substantiels (B).

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Le traitement des libertés fondamentales en France

47

A. Les garanties procédurales.

Elles revêtent une importance essentielle. La principale garantie procédurale est l’article 6§1

consacrant le droit à un procès équitable et insistant sur le devoir d’impartialité du juge, son

indépendance, l’égalité des armes ainsi que la rapidité de la procédure, c’est à dire le droit à un délai

raisonnable. Les articles 6§2 et 6§3 posent les principes de la présomption d’innocence et du respect

des droits de la défense, notamment en matière pénale ; l’article 7 consacre les principes de légalité

des délits et des peines et de la non rétroactivité de la loi pénale ; l’article 13 affirme le droit au recours

effectif. L’article 2 du protocole n°7 érige le droit à un double degré de juridiction en matière pénale

tandis que l’article 4 du protocole n°7 proclame le principe de non bis in idem. Elles ont donc comme

objet la protection de la procédure, de l’accès au juge ou à des organes capables d’assurer la

protection des libertés.

B. Les droits substantiels.

Ces droits entendent conférer une sphère d’autonomie ou de protection, comme l’illustre

l’article 2 qui consacre le droit au respect de la vie et interdit, par exemple, le recours de l’Etat à la

force meurtrière sans nécessité. A ce titre, cet article a été complété par le protocole n°6 qui vient

interdire la peine de mort, complété en plus par l’article 13 qui proscrit la peine de mort même en

temps de guerre. L’article 3 stipule l’interdiction de la torture, des traitements inhumains et des

traitements dégradants, plus particulièrement pour les personnes privées de liberté et les détenus.

L’article 4 vient lui, compléter ce principe en prohibant l’esclavage, la servitude et le travail forcé.

L’article 5 affirme l’interdiction des emprisonnements arbitraires ou droit à la sureté ; l’article 8 protège

le droit au respect de la vie privée et familiale, ce qui comprend en particulier le droit au secret des

correspondances, le droit à l’intimité, à la vie de famille, à l’adoption ou à l’autorité parentale. L’article

9 consacre la liberté religieuse, l’article 10 pose le principe de la liberté d’expression. L’article 11

énonce la liberté d’association et l’article 12 proclame le droit au mariage. Parmi les protocoles

additionnels, l’article 1er du protocole n°1 protège le droit au respect des biens (de la propriété) ;

l’article 2 du protocole n°1 consacre le droit à l’instruction et l’article 3 du protocole n°1 consacre le

droit de vote et le droit à des élections libres. Aussi, l’article 14 affirme le principe d’égalité et de non-

discrimination, principe un peu particulier puisqu’il ne peut être invoqué qu’avec une autre liberté.

C’est par exemple le cas de la discrimination dans le respect du droit à la vie. S’ajoute enfin un

protocole n°12 qui interdit toutes les discriminations, même si elles ne sont pas rattachables avec les

autres libertés (comme un licenciement discriminatoire). Il s’agit donc d’un système assez complet, qui

s’est enrichi par l’action de la jurisprudence.

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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§2 La portée de la jurisprudence de la Cour EDH.

L’idée qui anime la Cour de Strasbourg est qu’elle doit protéger des « droits concrets et

effectifs et non théoriques ou illusoires. » Elle seule peut se le permettre par rapport aux autres

juridictions internationales, puisque suite à l’accord des Etats, ils ne peuvent plus refuser l’autorité de

la Cour EDH, ce qui constitue un avantage. Politiquement, il est d’ailleurs devenu difficile de s’écarter

de l’autorité de celle-ci. Elle développe sans cesse sa jurisprudence et obtient ainsi la sympathie de

l’opinion publique, ce qui lui permet de dépasser la volonté des Etats. Elle développe le contenu de la

Convention, souvent favorable aux victimes par le biais d’une part de l’interprétation, mais aussi par le

biais de véritables constructions jurisprudentielles. Depuis 1998, et après ratification de la Convention,

un Etat est obligatoirement partie à l’autorité de la Cour, qui n’a pas à ménager les susceptibilités.

La Cour EDH a développé des notions autonomes, interprétant le texte de la Convention

indépendamment des qualifications nationales. C’est par exemple le cas de l’article 6§1 qui consacre

le droit à un procès équitable et qui ne vaut, si on suit la lettre de l’article, qu’en matière civile et

pénale, ce qui exclut en principe le contentieux administratif. La Cour EDH considère que tout ce qui

est civil est patrimonial, donc que la responsabilité administrative pour la Cour EDH relève du

contentieux civil. Elle considère également que la matière pénale touche tout ce qui est sanction.

Ainsi, une sanction administrative relève de la compétence pénale. Il en est de même pour l’article 8

qui consacre le droit au respect de la vie privée. Progressivement, la Cour EDH a étendu le droit au

Dans un arrêt du 12 novembre 2008 « Demir Baykara c/ Turquie », la Cour EDH a considéré que

l’article 11 qui consacre la liberté d’association protège un droit de négociation collective. Le juge

européen arrive donc à intégrer à son contrôle des droits qui en étaient exclus à la base et c’est en

cela, qu’il permet une protection des droits au-delà des textes qui lui sont applicables.

Ces interprétations extensives s’expliquent par le caractère figé du texte de la Convention

EDH, qui rend nécessaire son adaptation aux circonstances actuelles. Les juges européens arguent

de cette spécificité pour l’adapter à l’évolutivité des mentalités et anticipent, contredisent même parfois

ouvertement le texte de la Convention comme l’illustre par exemple l’arrêt « Ozalan c/ Turquie » du 12

mars 2003. Cela amène également la Cour EDH à opérer de véritables revirements de jurisprudence,

donc à aboutir à des contradictions dans sa propre jurisprudence. Un des revirements les plus

spectaculaires, effectués en à peine 10 ans d’écart, est celui de l’affaire Christine Goodwin du 11

juillet 2002 où 10 ans plutôt, les juges de Strasbourg jugeaient que les transsexuels, sous le visa de

l’article 8 n’avaient pas le droit au changement d’état civil. Dans l’affaire Christine Goodwin, la Cour

EDH, sous l’angle désormais des articles 10 et 12 leur a reconnu ce droit, allant jusqu’à leur adjoindre

le droit au mariage. Ce système du droit de recours individuel et d’interprétation aboutit donc à une

influence de la Cour EDH sur l’ensemble du droit national. En outre, la Cour EDH a opéré de

véritables constructions jurisprudentielles qui ont approfondi, alourdi encore les obligations des Etats.

Non seulement l’Etat doit s’abstenir de violer les droits de la Convention mais il doit aussi s’imposer de

tout mettre en oeuvre pour les rendre effectifs. L’Etat a donc une obligation d’action, à défaut de

laquelle il est condamné alors même qu’il n’est pas à l’origine de la violation de la liberté. Par

exemple, dans l’Affaire « Renolde c/ France » du 16 octobre 2008, la France s’est vue condamnée du

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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fait du suicide d’un prisonnier, la Cour EDH considérant que si les personnels administratif et social

avaient bien fait leur travail, le suicide aurait pu être évité. La France a donc été condamnée

puisqu’elle n’a pas mis les moyens nécessaires pour protéger ce droit à la vie alors même que la

personne est responsable de l’atteinte portée à son propre droit.

Par ailleurs, en ouvrant l’accès de son prétoire aux individus, le système européen dépossède

les Etats de la maîtrise de l’interprétation et de l’application du droit. C’est pour cette raison que ce

recours du droit individuel constitue, selon l’arrêt « Mamatkulov c/ Turquie » du 6 février 2003 rendu à

propos des mesures provisoires, « la clé de voute du mécanisme de sauvegarde des droits. » Si l’Etat

ne suspend pas la mesure déférée à la Cour pendant le temps qu’elle se prononce, il met donc en

cause l’effectivité du droit de recours individuel. Ce mécanisme connaît donc un succès relatif, ayant

encouragé l’Europe à se doter de son propre catalogue de droits et libertés, qui rend progressivement

bicéphale la protection européenne des libertés fondamentales.

Section 2 : La protection par la Cour de Justice des Communautés Européennes.

A l’origine, rien ne prédisposait la CJCE à connaître des droits fondamentaux. Il s’agit d’une Cour

chargée de faire respecter le droit communautaire, lui-même conçu comme projet d’intégration

économique dans un marché intérieur aussi proche que possible de celui d’un marché national. En

1950 se distinguaient clairement le Conseil de l’Europe, chargé du respect des libertés, et la

Communauté européenne, chargée de l’intégration économique qui poursuivait la paix par une

intégration économique. Progressivement, la Communauté européenne et l’Union Européenne sont

devenues les gardiennes des libertés fondamentales, évolution ayant abouti à la signature de la

Charte des droits fondamentaux, le 7 décembre 2000. Cette intrusion de la CJCE dans la protection

des libertés créée naturellement de nouvelles questions, concernant notamment l’articulation de son

contrôle et des rapports qui peuvent exister avec la Cour EDH. Nous étudierons donc les étapes

successives de cette protection (§1), qui s’est achevée par l’adoption de la Charte des droits

fondamentaux du 7 décembre 2000 mais permet d’accroître la protection des droits des citoyens

puisqu’il s’agit d’un contrôle complémentaire à celui de la Cour EDH (§2).

§1 Les étapes de la protection des libertés fondamentales par le droit communautaire.

Il importe de souligner que l’attribution de la protection des droits fondamentaux à la CJCE ne

découle pas de l’importance qui leur est accordée, mais bien en raison de la primauté du droit

communautaire sur les ordres internes. En outre, si cette protection s’est élargie progressivement, elle

ne l’est pas totalement puisqu’elle ne protège les libertés que dans les situations relevant du droit

communautaire. A l’origine, la protection des droits fondamentaux par la CJCE répond à un ultimatum

posé par les juridictions nationales sur la question de la primauté du droit communautaire.

Le premier stade de cette évolution est l’arrêt « Costa c/ ENEL » de 1964, dans lequel la CJCE

affirme la primauté du droit communautaire sur le droit interne. Elle la confirmera à l’égard des

Constitutions nationales dans l’arrêt « Internationale Handelgesselschaft » du 17 décembre 1970. La

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Le traitement des libertés fondamentales en France

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CJCE entend donc imposer la primauté absolue du droit communautaire, mais ce dernier n’est pas

censé respecter les droits fondamentaux puisque rien ne le prévoit dans les traités communautaires.

Or, certaines Constitutions prévoient un noyau dur supra-constitutionnel indérogeable dont fait partie

la protection des droits de l’homme, notamment en Allemagne et en Italie où ils sont inviolables par

n’importe quel pouvoir. Les juges nationaux sont donc face à un problème puisqu’en toute hypothèse,

les droits fondamentaux doivent l’emporter. Les juges nationaux, notamment par la voie des Cours

constitutionnelles vont donc déclarer qu’ils n’accepteront pas la primauté du droit communautaire,

aussi longtemps que n’existera pas une protection des droits fondamentaux à l’échelle communautaire

équivalente à celle de la Constitution nationale. Cette posture est celle de la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle allemande « Soleingueeiz (Solange) » du 29 mai 1974. La CJCE considère alors

qu’elle s’assurera, en tant que juge communautaire, que les normes communautaires respectent bien

les droits fondamentaux. Dès lors, il n’y aura plus de raison de ne pas respecter la primauté du droit

communautaire. La CJCE va donc créer son propre catalogue en ayant recours aux normes non

écrites, à savoir les principes généraux du droit (PGD). Ainsi, au même niveau hiérarchique existent

des PGD qui s’imposent à l’ensemble du droit communautaire et qui contiennent le respect des droits

fondamentaux. Les droits fondamentaux sont donc des PGD et la CJCE est compétente pour faire

respecter ce principe. Ainsi, les jurisprudences nationales n’auront plus de raison de ne pas respecter

le droit communautaire.

La CJCE a recours à deux sources d’inspirations. D’une part, les traditions communes

constitutionnelles, qui réincorporent donc les droits constitutionnels nationaux, et la Convention EDH,

l’ensemble des Etats-membres de la communauté étant membres du Conseil de l’Europe, ce qui évite

une condamnation indirecte à travers les Etats membres si ces derniers sont condamnés par la Cour

EDH en raison d’une norme communautaire. Cette démarche a été consacrée par la jurisprudence «

Rutili » du 28 octobre 1975 et sera codifiée dans le traité de Maastricht de 1992, avant de devenir

l’article 6§2 du Traité sur l’Union Européenne de 1997, qui stipule que « l’Union respecte les droits

fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention EDH et tels qu’ils résultent des traditions

constitutionnelles communes des Etats membres en tant que PGD communautaire. » Les droits

fondamentaux ont donc pénétré les normes communautaires et ont été incorporés aux traités

communautaires en 1992 et 1997, ce qui a abouti à un catalogue commun des Etats membres de

l’Union Européenne et à la ratification de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

§2 Une protection accrue des libertés fondamentales.

Il existe désormais une protection européenne bicéphale des droits fondamentaux, offrant une

garantie supplémentaire en cas d’atteinte ou de violation des libertés fondamentales, qui risque

d’entraîner une concurrence des pouvoirs au détriment du justiciable, notamment en cas de

divergence d’interprétation entre ces deux Cours. Par exemple, la CJCE estimait que le local

professionnel n’est pas un domicile au sens de l’article 8 de la Convention EDH. Les perquisitions du

local professionnel étaient donc possibles sans autorisation judicaire. En revanche, la Cour EDH a

jugé le contraire puisque le local professionnel est considéré comme un domicile, ce qui nécessitait

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l’autorisation d’un juge pour effectuer une perquisition. Le risque est donc que l’Etat choisisse sa

propre intervention puisqu’il s’exposera dans les deux cas à une condamnation.

Cette double protection est donc problématique, situation à laquelle le Traité de Lisbonne a

tenté de remédier par deux moyens. Le premier est d’affirmer que l’Union Européenne a sa propre

protection autonome des droits fondamentaux, son propre catalogue, ce qui implique de rendre la

Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne contraignante, donc de la conventionnaliser.

Cette proposition a été retenue, et la charte a été ratifiée par l’ensemble des Etats-membres. Le

second moyen est de considérer que la CJCE doit respecter la jurisprudence de la Cour EDH,

notamment en faisant adhérer l’Union Européenne au système de la Convention EDH, ce qui ferait

participer l’Union européenne en tant que telle au Conseil de l’Europe.

Conclusion :

De nouvelles voies de droit sont donc constamment créées, afin d’assurer la protection des

droits fondamentaux par le juge. Cette démarche peut être positive, tant que la multiplication des

procédures spéciales (référé liberté, voie de fait, exception d’inconstitutionnalité, protection par la Cour

EDH et protection par la CJCE,…) ne pose pas un problème de cohérence et fait de la protection des

libertés fondamentales un terrain de lutte d’influence entre juridictions, aux dépends du justiciables.

Néanmoins, les procédures instituées pour prévenir ou faire cesser la violation des libertés

fondamentales sont une garantie de l’effectivité de leur protection et confirment l’intérêt du modèle

français de protection des droits fondamentaux.

Club du Millénaire : Laurent Bonin.