le testament de maïakovski...la prose de francisca gagnon allie le récit narra-tif à la poésie....

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LE TESTAMENT DE MAÏAKOVSKI PIERRE-LOUIS GAGNON roman Extrait de la publication

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La prose de Francisca Gagnon allie le récit narra-tif à la poésie. Les chercheurs d’aube flirte avec l’oni-risme — symboles, métaphores, allégories — dansune fusion des sens non soumis à la logique habi-tuelle ou à la cohérence en vain attendue. Vingt-cinq nouvelles. Vingt-cinq souvenances diffuses.Qui se racontent et qui se nomment.Dans une ville inconnue et fantasmagorique, uneauteure écrivante cherche à devenir écrivaine. Unhomme s’invente pêcheur de bouquet pendantqu’une mariée n’en peut plus de mourir. Deuxjeunes garçons, amoureux interdits, dansent surle pont d’Avignon, pendant qu’une jeune filleapprend à jongler sa vie. Quand les chemins de lalangue sont devenus impraticables, quand le marginaln’arrive plus à se nommer, il doit se réinventer, sedire. Dans cette cité miroir où des simulateursd’aube influencent le cours des choses, la fictiondomine, cherchant toujours à nuancer les demi-vérités déguisées en mensonges. Car cette ville, commela fiction, fait naître des jardins dans les cendresdes grands-mères.

LE TESTAMENTDE MAÏAKOVSKI

ISBN 978-2-923844-20-6

9 7 8 2 9 2 3 8 4 4 2 0 6

27 $

LE TESTAMENTDE MAÏAKOVSKI

PIERRE-LOUIS GAGNON

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Native de Trois-Pistoles, Francisca Gagnon est titulaire d’une maîtriseen lettres françaises de l’Université de Sherbrooke. Elle enseigne la littérature au Cégep de Sherbrooke et au Cégep de Thetford, en plusde travailler comme chargée de cours à la Faculté d’éducation del’Université de Sherbrooke. Elle est la lauréate du concours littéraire dela Poste restante 2010, organisé dans le cadre des Correspondancesd’Eastman, et du 1er prix (19-25 ans) de création littéraire, Salon dulivre de l’Estrie, 2006. Elle signe ici son premier ouvrage.

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La collection

est dirigée par

DANS LA MÊME COLLECTION

Aude, Éclats de lieux, nouvelles.Renald Bérubé, Les caprices du sport, roman fragmenté.Mario Boivin, L’interrogatoire Pilate, fiction historique.André Carrier, Rue Saint-Olivier, roman.Daniel Castillo Durante, Le silence obscène des miroirs, roman.Hugues Corriveau, De vieilles dames et autres histoires, nouvelles.Esther Croft, Les rendez-vous manqués, nouvelles.Jean-Paul Daoust, Sand Bar, récits.Danielle Dussault, La partition de Suzanne, roman.Francisca Gagnon, Les chercheurs d’aube, nouvelles.Fernand J. Hould, Les cavaleurs, nouvelles.Pierre Karch, Nuages, contes et nouvelles.Sergio Kokis, Amerika, roman.Sergio Kokis, Clandestino, roman.Sergio Kokis, Dissimulations, nouvelles.Henri Lamoureux, Orages d’automne, roman.Guillaume Lapierre-Desnoyers, Pour ne pas mourir ce soir,

roman.Andrée Laurier, Avant les sables, novella.Andrée Laurier, Le Romanef, roman.Stéphane Ledien, Un Parisien au pays des pingouins, récits.Marcel Moussette, La photo de famille, roman.Maurice Soudeyns, Qu’est-ce que c’est que ce bordel !, dialogues.André Thibault, Sentiers non balisés, roman.Nicolas Tremblay, L’esprit en boîte, nouvelles.Nicolas Tremblay, Une estafette chez Artaud, autogenèse

littéraire.Claude-Emmanuelle Yance, Cages, nouvelles.

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LE TESTAMENT DE MAÏAKOVSKI

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PIERRE-LOUIS GAGNON

LE TESTAMENT DE MAÏAKOVSKI

roman

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Gagnon, Pierre-LouisLe testament de Maïakovski : roman

(Réverbération)ISBN 978-2-924186-00-8

1. Maïakovski, Vladimir, 1893-1930 — Romans, nouvelles, etc. I. Titre. II. Collection : Réverbération.PS8613.A453T47 2012 C843’.6 C2012-941806-4

PS9613.A453T47 2012

Lévesque éditeur remercie le Conseil des Arts du Canada (CAC)et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC)

de leur soutien financier.

© Lévesque éditeur et Pierre-Louis Gagnon 2012

Lévesque éditeur11860, rue Guertin

Montréal (Québec) H4J 1V6Téléphone : 514.523.77.72Télécopieur : 514.523.77.33

Courriel : [email protected] Internet : www.levesqueediteur.com

Dépôt légal : 4e trimestre 2012Bibliothèque et Archives Canada

Bibliothèque et Archives nationales du QuébecISBN 978-2-924186-00-8 (édition papier)

ISBN 978-2-924186-01-5 (édition numérique)

Droits d’auteur et droits de reproductionToutes les demandes de reproduction doivent être acheminées à :Copibec (reproduction papier) • 514.288.16.64 • 800.717.20.22

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www.dimedia.qc.ca [email protected] [email protected]

Production : Jacques RicherConception graphique et mise en pages : Édiscript enr.Photographie de la couverture : Archives famille Richer

Photographie de l’auteur : Michel Thibault

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À Gabrielle, Marie et Stéphane

Remerciements à Diane Bilodeau,Louise Desforges, Pierre Lamothe

et Geneviève Laplantepour leurs précieux conseils.

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PREMIÈRE PARTIE

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En ce samedi matin du printemps 1933, de lourds nuagess’amoncelaient dans le ciel de Leningrad. Des centaines debadauds se trouvaient devant le palais d’Hiver. Parmi eux,Serge Régnier, un jeune communiste de Québec, et JosipBrac qui connaissait bien cet endroit pour y avoir amenéd’autres stagiaires du Komintern.

Les deux hommes arpentaient le pavé de la place duPalais, au milieu des visiteurs unis dans une ferveur com-mune. Comme un catholique en visite à Saint-Pierre deRome, Serge Régnier se recueillit quelques instants.

— C’est de cette place, expliqua Brac, que les bolcheviksont donné l’assaut à la résidence de la famille impériale, amor-çant le renversement du gouvernement d’Aleksandr Kerenski.

— Cette bataille a été terrible ! avança Régnier, nourri parla légende révolutionnaire.

— En fait, non ! La milice rouge a neutralisé rapidementles trois cents cosaques présents dans le palais d’Hiver. Le tsaravait quitté son palais quelques mois plus tôt, quand Kerenskiavait ordonné son exil à Ekaterinbourg.

Un coup de tonnerre déchira le ciel et la pluie commençaà tomber. Les deux hommes se hâtèrent d’entrer au muséede l’Ermitage.

— Je pense qu’on va devoir se procurer des parapluies,fit Serge.

— Ce musée est l’un des plus prestigieux du monde, com-mença Josip Brac, sans tenir compte des préoccupations terreà terre de son compagnon.

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Dès leur arrivée dans la première galerie, la splendeur deslieux intimida le néophyte.

— C’est fabuleux, constata Serge, ébloui par les trésorsdes Romanov qui s’offraient à ses yeux.

— La réputation de l’Ermitage n’est plus à faire auprèsdes amateurs, murmura Brac, en désignant de la main desœuvres de Nicolas Poussin et de Jean-Baptiste Greuze.

Comme des milliers de visiteurs ayant arpenté la mêmegalerie, Serge remarqua la statue de Voltaire commandée ausculpteur Jean-Antoine Houdon par l’impératrice Catherine,fidèle amie des arts et des lettres.

— Comment cette œuvre participe-t-elle à la constructiondu socialisme ? demanda Serge, surpris de voir la statue duphilosophe dans un musée soviétique.

— Elle y participe, sois sans crainte, répondit Brac avecaisance. Elle rappelle que Voltaire a contribué au progrès del’humanité en faisant reculer l’ignorance et la bêtise. À sonépoque, il a combattu le despotisme et ouvert la voie au siècledes Lumières. Il a été un véritable révolutionnaire.

— Sans aucun doute, répliqua Serge. Mais n’y a-t-il pasdans ce musée des œuvres qui illustrent avec plus de forceencore le fait que l’art est au service de la révolution socialiste ?

— Oui, on en verra tout à l’heure, rétorqua Brac, surprisd’être plongé au cœur des débats agitant actuellement lemilieu culturel russe.

Dans l’immédiat, il souhaitait seulement que Régnierne lui pose aucune question sur les liens entre la révolu-tion socialiste et les œuvres de Matisse qui garnissaient lesmurs de la salle consacrée au fauvisme. C’est avec soula-gement qu’il pénétra dans une autre galerie où étaientexposés Les bateliers de la Volga, d’Ilia Repine, symbole del’oppression tsariste.

— Les œuvres des Ambulants ont donné naissance àl’école réaliste socialiste, expliqua Brac avec entrain. Au coursde la deuxième moitié du XIXe siècle, les Ambulants allaient

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de ville en ville pour peindre et exposer leurs œuvres, afin deles mettre au service des réformes sociales.

— Je vois, je vois…— Regarde ce tableau qui met en scène des ouvriers

construisant un barrage sur le Dniepr, l’un des gigantesqueschantiers du Plan quinquennal. Le chantier du Dnieprostroïrévèle clairement la dimension prolétarienne de la nouvelleesthétique soviétique, fit remarquer le Croate.

Brac et Régnier parcouraient depuis près d’une heure lesgaleries de cette immense caverne d’Ali Baba quand, audétour de l’une d’entre elles, le silence monacal fut déchirépar des coups de feu. Un homme vint choir aux pieds desdeux touristes effrayés qui reculèrent de quelques pas.

— Mais qu’est-ce qui se passe ? hurla Serge.— Je crois que nous allons avoir des ennuis, rétorqua son

compagnon.Avant que les deux visiteurs n’aient eu le temps de faire

un geste, des gardes armés s’étaient précipités sur eux pourles mettre en joue.

— Que faites-vous ici ? lança leur chef, en jetant un coupd’œil sur le cadavre gisant à leurs pieds.

— Voici mes papiers, balbutia Brac à l’officier qui luidécocha un vigoureux coup sur la mâchoire avec le revers desa main.

Serge vit le sang couler de la bouche de son mentor et serépandre dans les poils de sa barbe.

— Et toi ? cria le Soviétique en déposant son poing sous lementon de Régnier.

— Nous visitons le musée, marmonna celui-ci qui reçutaussitôt un violent coup de poing à l’estomac.

— Emmenez ces deux pourritures. On saura bien les faireparler.

Les gardes les traînèrent jusqu’à la sortie et ils furent jetésau fond d’un véhicule qui démarra en trombe. L’automobiles’arrêta dans la rue Komsomola et les deux prisonniers en

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furent extirpés sans ménagement. Relevant la tête, Brac aper-çut la prison Kresty et son corps déjà moite se couvrit de sueur.Il savait que les Romanov avaient enfermé leurs adversairespolitiques dans cette bastille. Aujourd’hui, la police stalinienne,la Guépéou, y entassait les ennemis de la classe ouvrière.

«C’est le début de la fin », pensa le Croate en jetant unregard vers Régnier qui, terrorisé, semblait l’implorer defaire quelque chose.

Les policiers ne ménagèrent pas leurs coups en les traî-nant dans les sous-sols de la sinistre forteresse. Chutant àquelques reprises, le jeune communiste de Québec fut relevéavec force par les gardes qui l’injuriaient. Dans son affole-ment, il comprenait à peine leurs qualificatifs peu flatteurs.

— Chiens de la bourgeoisie ! Merdes trotskistes ! Salescapitalistes ! lançaient les matamores qui les jetèrent finale-ment dans deux cellules voisines.

Anéanti, Serge regarda les murs noircis de sa cellule. Lesang lui coulait sur le visage et il avait l’impression que soncrâne allait exploser tant la douleur était vive. Il songea qu’ilallait peut-être mourir dans ce trou crasseux.

Dans la soirée, des hommes de la Guépéou vinrent l’in-terroger.

— Qui es-tu ? gueula leur chef qui multiplia les coups.Du sang plein la bouche, Serge peinait à trouver les mots

de russe qui lui auraient permis de s’expliquer distinctement.Il sentit une dent rouler sur sa langue et la cracha par terre.

— Quels sont tes liens avec les groupes d’opposition ?hurla l’officier aux traits mongols.

— Je suis membre du Parti communiste. Je n’appuieaucune opposition.

— Que faisais-tu au musée de l’Ermitage aujourd’hui ?demanda l’homme qui pointait son revolver sur la tempe dudétenu.

Des phrases marmonnées en français accentuèrent lacolère de ses agresseurs qui le frappèrent sans retenue.

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— Je vous l’ai dit, brailla Régnier, terrifié.— Pourquoi n’es-tu pas à Moscou ? Pourquoi n’es-tu pas

à ta base d’affectation ?— Je vous ai déjà tout raconté, répéta le prisonnier.— Serais-tu un agent des services secrets français ?— Je vous en conjure, camarades, faites-moi confiance.Régnier, qui avait appris le russe sur les genoux de sa

mère, fit de nouveau le récit des événements et de son emploidu temps des derniers jours. Il répéta la même version,exhortant ses geôliers à effectuer des vérifications auprès duKomintern. Au bout d’une heure, il s’effondra sur le plan-cher crasseux, à moitié inconscient. Ses soixante kilos n’avaientpu résister à cette furieuse inquisition. Les yeux exorbités,l’officier stoppa l’interrogatoire.

— Allons voir maintenant ce chien de Yougoslave, cracha-t-il avec dédain.

Dans la cellule voisine, Brac tenta d’amadouer les poli-ciers.

— On visitait simplement le musée. Appelez mes supé-rieurs à Moscou.

— Yougoslave de merde ! Tu vas nous dire ce que vous fai-siez à l’Ermitage ce matin, rugit l’officier en colère. Pour quoin’étiez-vous pas à Moscou ?

— Je vous ai dit que je suis un agent du Komintern. Faitesles vérifications, affirma-t-il de nouveau.

Bombardé de questions et roué de coups, Brac avait lacertitude que son statut d’agent de l’Internationale commu-niste ne pouvait plus le protéger contre les pires déborde-ments. Leurs coups de pieds dans ses couilles le firent se tordre de douleur.

— Je vous en supplie…, vous faites erreur…, les implora-t-il, à bout de souffle.

— On veut la vérité. La prochaine fois, on t’arrache lesongles et on te casse les côtes. Réfléchis.

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Deux jours plus tard, Régnier fut sorti de sa cellule.— Allez, suis-nous, mauviette. Tiens-toi sur tes pieds.— Je fais ce que je peux, marmonna le prisonnier à bout

de forces. Où m’emmenez-vous ?— Tu verras bien. Avance !Serge songea à son père dont les exhortations lui reve-

naient à l’esprit. Combien de fois celui-ci lui avait-il répétéque cette aventure au pays des Soviets se terminerait mal ?Il se dit que, s’il sortait de là, il reprendrait le bateau sur-le-champ à destination de Québec.

Après avoir grimpé d’interminables escaliers, le prison-nier et ses gardiens firent irruption dans un bureau bienéclairé. Écarquillant les yeux, Serge vit un homme au crânerasé qui le dévisageait. À sa surprise, il aperçut en retrait JosipBrac dont la présence le rassura.

Grigori Malakoff, le responsable de la brigade antiterro-riste, leur expliqua que le secrétaire général du Comité central de Leningrad, Sergueï Kirov, avait échappé de peu àun attentat lors de sa visite à l’Ermitage, et que la Guépéourecherchait les responsables.

— Quant à vous deux, les contrôles ont été effectués etvous êtes libérés, avança-t-il d’une voix déplaisante.

— Merci, merci beaucoup, répondit Brac sur un ton obsé-quieux.

— Nous avons fait les vérifications d’usage. Cela ademandé quarante-huit heures, argua Malakoff, faisant mined’ignorer que ses hôtes avaient été tabassés pendant tout cetemps. Gagnez immédiatement Moscou car Leningrad estsens dessus dessous.

— Nous allons prendre le premier train pour la capitale,soyez-en assuré, rétorqua Brac soulagé.

— Passez d’abord par l’infirmerie. Je pense que ce ne serapas inutile, ajouta Malakoff, en ajustant son monocle. On

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vous donnera des vêtements propres et vous pourrez prendreune douche.

— Nous vous remercions de cette attention, fit Brac.— Je vous remercie, bégaya Régnier.À l’extérieur de la prison Kresty, un sévère couvre-feu

avait été imposé. Les musées et les anciens palais impériauxavaient fermé temporairement leurs portes. Les maisonsbourgeoises de la rue Millionnaïa — transformées en insti-tuts spécialisés ou en résidences de service destinées au personnel gouvernemental —, ainsi que tout ce que la villecomptait d’immeubles importants, se trouvaient sous la sur-veillance de la Guépéou ou de l’Armée rouge. À la suite decette agression ratée contre le numéro deux du régime, unerépression féroce s’était abattue sur la ville dont la quiétuden’avait pas été troublée par un événement aussi grave depuisl’attentat contre Lénine en 1918.

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Un an plus tôt : Québec, mai 1932.Serge Régnier s’éveilla. Ses yeux embrouillés distinguaient

mal les lieux.— Où suis-je ? marmonna-t-il.— À l’hôpital Saint-François-d’Assise, répondit l’homme

qui occupait le lit voisin.Serge sentit une brûlure au milieu du visage et porta sa

main sur le pansement qui lui couvrait le nez. Il appela àl’aide. Rapidement, une sœur hospitalière arriva à ses côtés.

— Comment allez-vous, monsieur Régnier ?— Qu’est-ce que je fais ici ? demanda-t-il, hésitant.— L’ambulance vous a amené hier matin, laissa tomber

l’infirmière sur un ton réconfortant.— J’ai une grosse douleur au visage.— Vous avez le nez cassé. Vous ne pourrez quitter l’hôpi-

tal avant plusieurs jours.— A-t-on prévenu ma famille ?— Oui ! Votre père est venu ce matin, mais vous dormiez.

Buvez un peu d’eau, ça vous fera du bien.Serge Régnier reprenait lentement ses esprits. Il se rappela

la bousculade à l’entrée de l’usine de papier de Limoilou, l’in-tervention des policiers, puis les coups qui s’étaient mis àpleuvoir. Après en avoir esquivé quelques-uns, il s’était effon-dré, victime d’un solide uppercut. Inerte, seul sur le pavéaprès la fuite de ses camarades, il avait été ramassé et trans-porté à l’hôpital de la 1re Avenue.

— Auriez-vous des calmants ?

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« [Serge Régnier] était fasciné par la révolutionbolchevique. En dépit des récits contradictoiresvéhi culés sur la Russie, il avait choisi le parti destravailleurs, déterminé à changer les choses. Lesvilles de Montréal et de Québec n’avaient paséchappé à la crise économique qui avait laminél’Amérique. “Les travailleurs ne peuvent que setourner vers Moscou et rejeter le capitalisme”, pen-saient Régnier et ses camarades. »

Sous l’influence du poète Vladimir Maïakovski, unjeune idéaliste de Québec, Serge Régnier, rêve derefaire le monde. Au début des années 1930, il serend dans la capitale soviétique pour travailler aujournal Les Nouvelles de Moscou. Cette expériencelui fait découvrir diverses facettes de la sociétérusse jusqu’à ce que des événements hors de soncontrôle l’obligent à fuir l’URSS. De retour auQuébec, il collabore à l’élection de Paul Gouin, lechef de l’Action libérale nationale, avant de s’en-gager avec Norman Bethune auprès des républi-cains espagnols. Au cours de ce second périple,Serge comprend que les hommes de Moscou nel’ont pas oublié et que son ardoise soviétique esttoujours en souffrance.

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Pierre-Louis Gagnon, né à Québec en 1950, a fait carrière dans l’ad-ministration publique québécoise, entre autres au Conseil du trésoret au ministère des Finances. Il s’intéresse à l’œuvre de Victor-LévyBeaulieu, de Sergio Kokis et de Milan Kundera. Il signe ici son pre-mier roman.

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