le salafisme en allemagne

8/12/2019 Le salafisme en Allemagne

1/27

_________________

Le salafisme en Allemagne

Un dfi pour la dmocratie

_________________

Marwan Abou-Taam

Mars 2014

NNootteedduuCCeerrffaa111100

Comit dtudes des relations franco-allemandes


2/27

LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche, dinformation etde dbat sur les grandes questions internationales. Cr en 1979 par Thierry deMontbrial, lIfri est une association reconnue dutilit publique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.

Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un des raresthink tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

Les opinions exprimes dans ce texte

nengagent que la responsabilit de lauteur.

Cette Note du Cerfa est publie dans le cadre du Dialogue davenir franco-allemand , un projet men en coopration par le

Comit dtudes des relations franco-allemandes de lInstitut franais desrelations internationales, la Deutsche Gesellschaft fr Auswrtige Politik et la

Les activits de recherche, de secrtariat de rdaction et de publicationdu Cerfa bnficient du soutien du Centre danalyse, de prvision et de stratgie

du ministre des Affaires trangres et du Frankreich-Referatde lAuswrtiges Amt.

Directeurs de collection : Yann-Sven Rittelmeyer, Hans Stark

Traduction : Stphanie Bauer-Paschotta

ISBN : 978-2-36567-254-2 Ifri2014Tous droits rservs

Site Internet :Ifri.org

Ifri-BruxellesRue Marie-Thrse, 21

1000BruxellesBELGIQUETl. :+32(0)22385110Fax:+32(0)22385115Email :[email protected]

Ifri27 rue de la Procession

75740 Paris Cedex 15FRANCETl. : +33 (0)1 40 61 60 00Fax : +33 (0)1 40 61 60 60

Email :[email protected]
http://www.ifri.org/http://www.ifri.org/http://www.ifri.org/mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]://www.ifri.org/


3/27

1 Ifri

Auteur

Marwan Abou-Taam est, depuis 2006, expert scientifique au sein delOffice rgional de police criminelle du Land de Rhnanie-Palatinat etcharg de cours luniversit de Gttingen. Il intervient par ailleursen tant que consultant et formateur auprs de la Bundeswehr.

Il a rdig sa thse sur la scurit intrieure de lAllemagne etle terrorisme international dans le cadre dune bourse dtude de laFondation Konrad Adenauer. Aujourdhui, ses recherches portent sur

la migration et la scurit intrieure, le fondamentalisme islamique etla politique de scurit de lUnion europenne.


4/27

2 Ifri

Rsum

Mme si les salafistes ne reprsentent en Allemagne quune petitepartie de la population musulmane, ils dterminent une grande partiedes dbats sur lislam. La majeure partie des salafistes se refusejusqu prsent faire usage de la violence, mais leur intolranceenvers les personnes de confession diffrente constitue un terreaufertile pour le salafisme djihadiste. Certains vnements rcents, telsque la fusillade tuant deux soldats amricains laroport de

Francfort-sur-le-Main et plusieurs autres attaques planifies, ontdmontr que certains salafistes sont prts recourir la violenceterroriste.

Le salafisme reprsente un dfi pour lAllemagne, du fait deson rejet de la dmocratie et des droits de lHomme, les partisansnacceptant aucune autorit en dehors de Dieu. Le milieu salafiste secaractrise en Allemagne par le dveloppement rapide du nombre deses rseaux et de ses regroupements dindividus, sous limpulsion dequelques prdicateurs qui diffusent leurs messages via dessminaires islamiques et Internet. Leurs discours se focalisent sur lesquestions identitaires et sadressent tout particulirement aux jeunes.Ils prennent en compte les intrts des jeunes individus se sentantrejets par la socit et leur offrent une voix de contestation.

Les stratgies de prvention devraient se concentrer sur ladradicalisation de la jeunesse. Lidal est de russir faire adhrerles jeunes aux valeurs de la dmocratie en soulignant sacompatibilit avec lislam. La coopration entre les diffrentes partiescomptentes, des autorits tatiques aux partenaires musulmans enpassant par la socit civile, est une condition pralable essentielleau succs des mesures de dradicalisation.


5/27

3 Ifri

Executive Summary

The Salafis may constitute a minority within the Muslim community inGermany, but they determine the public debate about Islam to a greatextent. The majority of Salafis have been against using violence, buttheir intolerance of people of a different religious persuasion is afertile ground for Salafi jihadism. Some recent events, like theassassination of American soldiers in Frankfurt, and several plannedattacks, illustrated the readiness of certain Salafis to make use of

terrorist violence.Salafism represents a challenge for Germany due to its

rejection of democracy and human rights. Its adherents do not acceptany authority apart from God. The Salafi milieu in Germany ischaracterized by the rapid development of networks and groups ofindividuals, incited by a number of preachers spreading theirmessage through Islamic seminaries and the Internet. Their discoursefocuses on issues of identity and is most particularly addressed toyoung people. It takes into account the interests of young individualswho feel excluded from society and offers them a voice of protest.

Prevention strategies should concentrate on the

deradicalization of the young people. The ideal would be to win themover to the values of democracy, while underlining its compatibilitywith Islam. Cooperation between the various stakeholders (stateauthorities, the Muslim community, civil society, etc) is an essentialpre-condition for the success of such deradicalization measures.


6/27

4 Ifri

Sommaire

INTRODUCTION................................................................................... 5

LE SALAFISME:UN DEFI POUR LA REPUBLIQUE FEDERALE DALLEMAGNE.......................................................................................................... 8

STRUCTURES ET COURANTS DU SALAFISME EN ALLEMAGNE............... 11

UN MOUVEMENT DE PROTESTATION DE LA JEUNESSE.......................... 15

Actions en direction de la jeunesse ........................................ 15

La problmatique identitaire et le choix dadhsion ausalafisme ................................................................................... 16

CONCLUSION:STRATEGIES DE PREVENTION ET DE DERADICALISATION20

Djouer les attaques terroristes .............................................. 20

Dradicalisation ........................................................................ 21


7/27

5 Ifri

Introduction

Le salafisme nest pas un phnomne nouveau dans lhistoire delislam. Ds le neuvime sicle, Ahmad Ibn Hanbal pose lexigencedune religion base sur une croyance orthodoxe aux textes dorigine.L o leur signification peut sembler multiple, il convient de lesinterprter selon la lecture des Salafs (les anctres).

Bien que les salafistes ne reprsentent quune petite minoritde la population musulmane en Allemagne, ils dterminent une

grande partie des dbats sur la question de lislam. Toutefois,lagitation mdiatique et publique dont ils font lobjet leur confre uneimportance dmesure par rapport au pouvoir rel quils exercent.

Ltude publie en 2009 pour le compte de la Confrenceallemande sur lislam (Deutsche Islam Konferenz, DIK)1, La Viemusulmane en Allemagne voque pour la premire fois la diversitde la communaut musulmane de la Rpublique fdrale. Selon cettetude, entre 3,8 et 4,3 millions de personnes sont de confessionmusulmane en Allemagne. Ces personnes sont originaires dequelque 49 pays diffrents, tradition musulmane. Par rapport auxprcdentes estimations, la part de la population musulmane est

donc juge plus leve. Ltude en conclut que, face la diversitdes origines rgionales des communauts musulmanes enAllemagne, cette population est particulirement htrogne. Commeattendu, la population musulmane dorigine turque forme le groupe leplus important.

Le phnomne de radicalisation chez les jeunes musulmanset les convertis lislam constitue une menace grandissante. Lacellule terroriste du Sauerland2, tout comme Arid Uka, auteur dunattentat terroriste3, sont autant dexemples dindividus qui, en

1La Confrence allemande sur lislam a t initie en 2006 par Wolfgang Schuble,

alors ministre de lIntrieur. Elle vise instaurer et favoriser de meilleurs rapportsentre lEtat allemand et la communaut musulmane d'Allemagne et favoriser ladynamique de lintgration. Les interlocuteurs de lEtat sont les reprsentants desorganisations islamiques officielles mais aussi des reprsentants non institutionnelsde lislam.2 La cellule terroriste du Sauerland est la branche allemande de lUnion du djihadislamique (UDI), base la frontire entre le Pakistan et lAfghanistan. En 2007, lesservices de police russirent djouer un attentat la bombe que lorganisationavait planifi.3Arid Uka est lauteur de lassassinat de deux soldats amricains le 2 mars 2011 laroport de Francfort-sur-le-Main. Il commit ainsi le premier attentat islamiste ayantentran des morts en Allemagne.


8/27

M. Abou-Taam / Le salafisme en Allemagne

6 Ifri

Allemagne, se sont lancs sur la voie de la radicalisation, et sontfinalement passs lacte.Les musulmans radicaliss peuvent trerpartis en diffrents groupes :

Les musulmans dj radicaliss avant leur arrive en

Allemagne. Les musulmans motionnellement attachs leur

socit dorigine, ragissant des actes et desvnements quils peroivent comme dirigs contrelislam.

Des jeunes qui voient dans lislam une culture deprotestation de la jeunesse.

Ce dernier groupe reprsente un dfi particulirementimportant. Il comprend aussi bien des jeunes musulmans ns enAllemagne que des citoyens allemands convertis lislam. Le nombre

de musulmans, qui, en Allemagne, vivent lislam comme uneidologie politique est pass de 38 080 en 2011 42 550 en 2012.Parmi eux, 4 500 individus sont considrs comme appartenant lamouvance salafiste4. Les services de scurit allemands dcrivent lesalafisme comme le courant connaissant la plus rapide expansion surlventail des communauts musulmanes. La propagande desacteurs du salafisme vise directement les jeunes musulmans ainsique les convertis potentiels. Bien que la lecture salafiste de lislamsoit puritaine, elle trouve de plus en plus dadeptes parmi ces deuxgroupes cibles. La radicalisation salafiste revt ainsi des formes etdes degrs varis, allant du proslytisme linstruction salafiste, voire la participation au djihad5.

Le prsent article sattachera dans un premier tempsexpliquer pourquoi le salafisme constitue un dfi pour la Rpubliquefdrale dAllemagne et pourquoi les aspirations salafistesreprsentent une menace srieuse pour la dmocratie. Il sagiraensuite danalyser les diffrentes structures et courants du salafismeen Allemagne. Les diverses structures, formelles comme informelles,seront voques, de mme que le culte de la personnalit ainsi queles aspirations djihadistes qui connaissent actuellement unrenforcement certain. Nous considrerons ici le salafisme avant toutcomme un mouvement de jeunesse, essentiellement parce que lediscours salafiste en Allemagne, simprgnant de thmes identitaires,

trouve un cho particulier chez les jeunes. Sappuyant sur ce constat,nous conclurons sur la ncessit de dvelopper, paralllement auxmthodes rpressives qui ont permis de djouer plusieurs tentatives

4Voir le Rapport relatif la protection de la Constitution (2012), dit par le Ministrefdral de lIntrieur (BMI), septembre 2013, p. 230 et suivantes,.5 La publication proche de lorganisation Al-Qaida, Les 39 voies pour soutenir ledjihad , dcrit lventail dactions prnes par lidologie islamique.
http://www.verfassungsschutz.de/de/download-manager/_vsbericht-2012.pdfhttp://www.verfassungsschutz.de/de/download-manager/_vsbericht-2012.pdf


9/27


7 Ifri

dattentat en Allemagne, de nouveaux concepts de dradicalisationpermettant aux jeunes de trouver une voie de sortie du salafisme.


10/27

8 Ifri

Le salafisme : un dfi pour laRpublique fdrale dAllemagne

Le salafisme se prtend unique dtenteur de vrits absolues. Sabase idologique est hermtiquement close. Dans les faits, celasexprime par une vision duale du monde, fonde sur une distinctionrigide entre le bien et le mal. Adhrer cette idologie signifie doncleffacement de lindividu au profit de la soumission lentit close

du collectif

6

.Les normes religieuses et les rgles divines imposes par le

salafisme saccompagnent dun fort repli moralisateur sur les mystres insondables et les prtendus fondements [de la foi] 7sattachant empcher la pntration de lesprit des Lumires dansla religion. En somme, il sagit ici dune sorte de minorit, auto-constitue ou rsultat dun certain contexte social, que ce repliementmoralisateur permet de surpasser et qui offre des rponses face auxsituations particulirement complexes des socits modernes. Lavrit divine absolue, revendique par les partisans de cette doctrine,est place au-dessus de toute critique et ne peut tre subordonneaux rgles de la dmocratie.

Les salafistes/ahl-al-salaf (les partisans des anctres pieux)se conoivent avant tout comme un mouvement dont lobjectif est defaire renatre lislam pur et originel dans les formes quil revtait selonle tmoignage des reprsentants des trois premires gnrations delislam8. Les salafistes sopposent donc toute volution desmessages de lislam et refusent de les adapter au contexte actuel.Lislam doit tre purifi de tous les ajouts (Bida) et modificationspostrieurs pour tre pratiqu selon ses formes originelles. Ainsi, lavie quotidienne des croyants doit tre ordonne selon les prceptesde la charia et suivre lexemple des trois premires gnrationsbnies9. Le dogme exige de la part des fidles la plus stricte

observation du droit musulman et des rgles de vie traditionnelles de

6Thomas Meyer, Fundamentalismus: Aufstand gegen die Moderne, Reinbek, 1989,p. 46.7Manfred Prisching, Fundamentalismus aus der Sicht der Sozialwissenschaften ,in Kurt Salamun, (d.),Fundamentalismus interdisziplinr , Vienne, 2005, p. 245.8Voir Mohammad Ali-Juma, Le concept et le problme de sa mise en uvre (enlangue arabe), 2edition, 2010, Beyrouth.9Cf. Ahmad Dallal, Appropriating the Past : Twentieth-Century Reconstruction ofPre-Modern Islamic Thought , in : Islamic Law and Society 7, no 1, Leiden, 2000,p. 347.
http://books.google.de/books?id=LTSGRR_T63EC&pg=PA245&dq=http://books.google.de/books?id=LTSGRR_T63EC&pg=PA245&dq=http://books.google.de/books?id=LTSGRR_T63EC&pg=PA245&dq=


11/27


9 Ifri

lislam en matire de comportement, dhabillement, de sgrgationdes sexes, etc. Une grande partie du discours salafiste en Allemagnepropose un tel schma. Les salafistes cherchent par-l sedistinguer nettement des non-croyants, mais aussi des autresmusulmans. Tandis que les femmes doivent tre entirement voiles,les hommes portent la barbe longue, la moustache taille et destuniques longues sarrtant au-dessus des chevilles.

La formule al walawal bara (lamour et la haine au nomdAllah) est un principe prconis par les salafistes, selon lequel lesfidles doivent se tenir lcart des non-salafistes et se rapprocherles uns des autres. Les rapports amicaux avec les non-musulmansne sont autoriss que si ces derniers sont susceptibles de seconvertir lislam. Si cela nest pas le cas, i l est alors du devoir du vrai croyant de har les individus appartenant dautresreligions10. Cest ce quenseigne par exemple le matriel du Centreculturel islamique de Brme (IKZ) appartenant la mouvance

salafiste : le musulman pieux doit tmoigner des sentiments de haineet dinimiti aux individus qui modifient les lois divines ou quisloignent de la parole dAllah11. La cohsion interne des groupessalafistes, fonctionnant comme des sectes religieuses, sen trouverenforce.

Lexigence dune interprtation littrale du Coran estcaractristique du dogme salafiste. Toute interprtation allgoriqueest considre comme parjure. Les salafistes excommunient lesmusulmans nappartenant pas cette obdience et les dclarent non-croyants. Cette mthode, dnomme takfir, est une de leurs armesles plus efficaces. Au mme titre que les athistes, juifs et chrtiens,

les musulmans non-salafistes sont ainsi mis au rang des infidles.Tous rapports avec ces derniers sont limiter, voire vitertotalement, puisquils pourraient nuire aux vrais musulmans en lesdiscriminant. Ces sentiments de discrimination sont aliments etinstrumentaliss dans le but de recruter de nouveaux fidles au seinde la mouvance salafiste.

On interprte souvent le comportement des salafistes commeun soulvement face ce que lon peroit comme la destruction des cultures islamiques. Lanalyse de la pense salafiste montretoutefois quils rejettent la philosophie, la musique, la littrature et laposie de la civilisation musulmane, considres comme uvres du

Diable, ainsi que toute forme de religiosit populaire, quils qualifientde mcrante. Cette lecture de lislam relve donc bien moins dunetradition islamique que dune construction contemporaine dote dunagenda politique bien dfini.

10 Salih ibn Fawzan ibn 'Abdullah al-Fawzan, membre du Comit saoudien auxquestions juridiques et auteur trs lu par les salafistes en Allemagne, dfend cetteposition qui pse dun poids important dans le discours salafiste. 11Voir le rapport relatif la protection de la Constitution, Brme, 2010.


12/27


10 Ifri

Les salafistes veulent transformer en profondeur la socit.Les concepts occidentaux de dmocratie et de droits de lHommesont rejets car jugs non islamiques. Cette animosit trouve sesracines dans lun des piliers de la pense salafiste, qui veut quelOccident soit un agresseur cherchant empcher le projet salafistedtablir un nouvel ordre islamique. Lislamisation quils appellent deleurs vux moyen terme tend son emprise aux domaines privscomme publics. Il sagit ici dune idologie radicale, antithse absoluede la dmocratie librale. Les salafistes suivent une interprtationradicale du concept musulman de la Dawa, le proslytisme en faveurde lislam. Cest dans ce contexte que lon doit interprter lacampagne de distribution de corans en Allemagne au printemps2012, mene par des groupes salafistes, au cours de laquelleplusieurs milliers de corans furent distribus dans les zonespitonnes de plusieurs villes allemandes.

Le fait quune partie seulement des partisans du salafisme

considre la violence comme un moyen lgitime pour arriver cettetransformation en profondeur de la socit ne la rend pas moinsdangereuse pour autant. Leurs actes suivent les logiques clivantesdun amalgame de reprsentations traditionnelles et dambitionspolitiques. Les convictions inhrentes lidologie salafiste font le litdes militants djihadistes. Autrement dit, si tous les fidles salafistesne sont pas des criminels, il reste que la doctrine salafiste lgitime etinvite, en dernier ressort, la violence du djihad. Pour les penseursdu mouvement, proslytisme et combat militant sont ainsi enseignscomme tant les deux revers dune mme mdaille, lis au djihad. Legroupe salafiste, quil soit combattant ou proslyte dans sesmthodes, sappuie en Allemagne sur certaines structures lgales quilui permettent de se maintenir.

Aucune autorit, en dehors de Dieu, ne doit tre accepte.Toute lgislation ntant pas fonde sur la volont divine est donc,selon le dogme salafiste, non valable, voire considre comme uneidoltrie menant lapostasie. Le projet politique des salafistessoppose donc catgoriquement au systme dmocratique et estinconciliable avec les valeurs occidentales. Leur incompatibilit avecle principe dmocratique ainsi que leur stratgie de dpassement dela constitution font des courants salafistes une menace de premierordre aux yeux des services de scurit allemands. Par consquent,ils ont t placs sous troite surveillance.


13/27

11 Ifri

Structures et courantsdu salafisme en Allemagne

Lanalyse de la communaut salafiste en Allemagne rvle quil nesagit nullement dun phnomne li la pauvret. Les salafistesallemands se considrent eux-mmes comme lavant-garde delislam. Les groupes salafistes tablissent un lien entre lesexpriences que peuvent vivre les jeunes au quotidien,

discriminations, islamophobie, et les conflits internationaux,notamment la guerre en Irak, en Afghanistan ou encore en Syrie. Lesstructures utilises par les salafistes en Allemagne sont difficilementidentifiables. La doctrine est toutefois entretenue au travers decertaines associations ou mosques, mais aussi sur Internet et autravers de regroupements dindividus ou de particuliers. La scnesalafiste allemande repose donc la fois sur des structures formelleset informelles.

Jusqu prsent, elle sest principalement regroupe enpetites associations locales. En Allemagne, le vritable culte de lapersonnalit que les partisans entretiennent tourne autour dequelques individus issus de leurs rangs. Ceux-ci prnent unestructure organisationnelle faiblement hirarchise entre les fidles etentretiennent des relations troites les uns envers les autres. Cefonctionnement est notamment cultiv lors des sminairesislamiques . Bien quinformels, ces sminaires sont ce jour lecanal principal sur lequel sappuient les salafistes. Dans lensemble,les mouvances salafistes sont trs rarement organises au sein destructures formelles. Cest lune des raisons pour lesquelles lesrelations enseignants-lves y sont si importantes.

Certes, il est possible dobserver, au travers des relationsformelles quils entretiennent, une interconnexion transnationale entreles groupes salafistes allemands et certaines organisations bases

en Arabie Saoudite. Paralllement cela, il existe cependant desrseaux informels, tels que les rseaux ducatifs, financiers ouencore de propagande. Le milieu salafiste se caractrise galementpar le dveloppement rapide du nombre de ses rseaux et de sesregroupements dindividus qui se construisent selon une logiqueprdicateur-disciples. Les figures clefs de ces rseaux sontnotamment Muhamed Ciftci, Pierre Vogel, Hassan Dabbagh, RedaSeyam, Ibrahim Abou-Nagie et Abu Dujana. En Allemagne, ondnombre environ 60 prdicateurs lchelle supra-rgionale,particulirement actifs dans les grandes villes telles que Bonn,Francfort-sur-le-Main, Berlin et Hambourg.


14/27


12 Ifri

En rfrence aux crits dAl-Maqdisi, Mohamed Mahmoud afond en 2011 lassociation salafiste Millatu Ibrahim . Al-Maqdisircuse tous les rgimes non-croyants ds lors quils sont fonds surdes principes sculaires. Son interprtation du concept du shirk (littralement adopter des partenaires ) lamne considrer touteobissance politique et/ou lacceptation des lois mises par leshommes comme une idoltrie. Dans la ligne dautres penseurssalafistes, Al-Maqdisi se base donc sur un monothisme qui ne laisseaucune place dautres autorits que celle de Dieu, excluant ladmocratie. Dans cette logique, lopposition aux dirigeants politiquesdevient un devoir12. Sur ce point, Al-Maqdisi sloigne de seshomologues, qui eux, considrent lautorit du pouvoir en placecomme inviolable. Pour ce faire, il a recours au concept du al-Walawa-l-Bara (Loyaut et Reniement), essentiel dans son interprtationdu Takfir (Excommunication), quil politise en le convertissant enidologie rvolutionnaire, sparant le monde en deux camps

irrconciliables. Les fidles dIbrahim (Millatu Ibrahim ) appellent une absolue loyaut dans leurs rangs, reniant le reste du mondecomme autant de Kfir (non-croyants). Al-Maqdisi mle ainsi lesconcepts du Bara et du djihad, les comprenant comme le modevident de relation entretenir avec les infidles. Il cre un courantsalafiste djihadiste, qui, selon ses mthodes et ses postulats,senracine dans une tradition quitiste. Si cette forme de djihadquitiste ne manque pas de faire lobjet de controverses, elle estlargement reprise par Al-Qaida et dautres organisations djihadistes.Mohamed Mahmoud et Denis Mamadou Cuspert (dj connu pourses textes violents et sexistes avant davoir adopt les thsessalafistes) se sont fait lcho de cette pense. Au nom de Millatu

Ibrahim et de la dfense de la religion, ils prchent en faveur dundjihad dirig contre ltat de droit dmocratique et ses institutions.

Le 29 mai 2012, le ministre de lIntrieur allemand a prononclinterdiction de lassociation Millatu Ibrahim . Des perquisitions ontt lances dans tout le pays dans les salles associatives et lesappartements privs des membres de lorganisation. Suite cesperquisitions, un phnomne dmigration a commenc et denombreux salafistes ont quitt lAllemagne. Le leader de MillatuIbrahim , lAutrichien Mohamed Mahmoud, avait quant lui djquitt le pays. Il est aujourdhui emprisonn en Turquie.

Lislamologue et expert de lislamisme, Guido Steinberg,

constate que la plupart des salafistes en Allemagne [...]appartiennent aux mouvances politiques des salafistes 13. Cescellules politiques salafistes reprsentent cependant un foyerdalimentation du djihad. En effet, tous les principaux terroristes

12 Voir Joas Wagemakers, A Quietist Jihadi : The Ideology and Influence of AbuMuhammad al-Maqdisi, Cambridge, 2012, p. 29 et suivantes.13 Guido Steinberg, Wer sind die Salafisten? Zum Umgang mit einer schnellwachsenden und sich politisierenden Bewegung , SWP-Aktuell, 28 mai 2012, p. 6.


15/27


13 Ifri

salafistes venus dAllemagne ont frquent les bancs des sminairesislamiques des prdicateurs en question.

En 2013, les autorits ont pu constater une augmentation desmouvements dmigration des individus issus des milieux salafistes

en direction de lgypte et de la Syrie. Cela reflte une nouvelletendance, puisque ces mouvements se faisaient dans les derniresannes en priorit en direction de la rgion frontalire entrelAfghanistan et le Pakistan. Le jugement de la cour dappel deCoblence lencontre du citoyen allemand dorigine pakistanaise,Aleem Nasir, en est un exemple. Ce dernier a t condamn unepeine de huit ans demprisonnement en raison de son appartenance une association terroriste base ltranger et de plusieursviolations de la loi allemande relative aux changes extrieurs14.Nasir avait notamment recrut quatre individus se disant prts recevoir une formation de combattants du djihad. Le plus connudentre eux tait Bekkay Harrach, dorigine marocaine et dj dcd.

Il avait rapidement gravi les chelons au sein dAl-Qaida, ce qui luiavait valu les louanges, plusieurs occasions, du leader delorganisation, Al-Zawahiri. lpoque, de trs nombreuses menacesterroristes contre la Rpublique fdrale allemande avaient tattribues B. Harrach.

Parmi les figures marquantes des salafistes ayant fait le choixdmigrer en Syrie, on trouve lancien rappeur, mentionn ci-dessus,Denis Mamadou Cuspert, alias Deso Dogg. Fin 2010, il met un terme sa carrire musicale, quil considre comme incompatible avec sapense salafiste. Il se met alors prcher activement, sous le nomdAbou Maleeq. Dans lune de ses dclarations suivant sa

conversion, il dcrit sa vie, et notamment son succs en tant querappeur, comme creuse et vide de sens . Largumentation dePierre Vogel, le prdicateur le plus connu de la communaut salafisteen Allemagne, est trs similaire15. Ce nest quune fois streconvertis et avoir dcouvert l islam pur quils auraient trouv lapaix et le salut et pris la dcision de partager activement cetteexprience.

14Voir le jugement du tribunal rgional suprieur (cour dAppel) du Land de Coblenceen date du 13/07/2009,http://www.mjv.rlp.de : Nasir tait li au commandement de

lorganisation Al-Qaida depuis juin 2004. Sa tche tait de collecter de largent ainsique des quipements pour le combat arm, de promouvoir lidologie dAl-Qaida enAllemagne et de recruter de nouveaux membres et sympathisants qui seraient prts recevoir une formation militaire dans un camp dAl-Qaida et disposs participer des attaques terroristes .15Sur sa page Internet (), P. Vogel sadresse directement auxnon-musulmans. Il leur adresse des messages vido dans lesquels il parleexactement de ces mmes expriences et cherche rapprocher les non-musulmansde la religion islamique en argumentant sur la pauvret dune existence loin de lacroyance islamique,.
http://www.mjv.rlp.de/http://www.pierrevogel.de/http://www.pierrevogel.co/index.php?option=com_hwdvideoshare&task=viewcategory&Itemid=63&cat_id=24http://www.pierrevogel.co/index.php?option=com_hwdvideoshare&task=viewcategory&Itemid=63&cat_id=24http://www.pierrevogel.co/index.php?option=com_hwdvideoshare&task=viewcategory&Itemid=63&cat_id=24http://www.pierrevogel.co/index.php?option=com_hwdvideoshare&task=viewcategory&Itemid=63&cat_id=24http://www.pierrevogel.de/http://www.mjv.rlp.de/


16/27


14 Ifri

Tandis que P. Vogel se consacre au Dawa (la Mission), D. M.Cuspert se radicalise davantage. Sous le nom de guerre Abu Talhaal-Almani, il lance des appels au djihad, ce qui lui vaut dtre reprpar les autorits charges de la scurit. En 2012, afin dchapperun mandat darrt, il senfuit ltranger, et y poursuit ses activits depropagande djihadiste. Une vido est diffuse en novembre 2013rvlant des images de D. M. Cuspert grivement bless.

En raction, un mouvement islamophobe se dveloppe etprend de lampleur en Allemagne. Ce mouvement, baptis Pro estun mouvement patchwork, o se mlent des individus dus par laclasse politique et qui trouvent en lislam un ennemi commun, sourcede tous les maux. Les activistes salafistes saisissent leur tour cettehostilit pour affirmer leur contre-identit. lorigine, le mouvement Pro est un mouvement dextrme droite qui sest form loccasion des lections. On y instrumentalise la haine desmusulmans pour en faire un cachet de modernit. Les activits de

propagande de lextrmedroite allemande sont aujourdhui marquesdune islamophobie populiste teinte de discours racistes16. Onretrouve ici un phnomne touchant lensemble de lEurope.

Ces tendances populistes se forment en raction face auxmouvements salafistes et le nourrissent son tour. Provocations etcontre-ractions crispent les deux fronts, consolidant et entrinantprjugs et reproches rciproques. Cette confrontation a atteint untriste point dorgue en mai 2012 Bonn. Les manifestants dumouvement Pro-NRW ont brandi des caricatures islamophobes.Des extrmistes salafistes leur ont jet des pierres pour sen prendreensuite aux forces de lordre venues sinterposer. Un jeune salafiste

de 25 ans a bless deux officiers de police coups de couteau. Lorsde son jugement, il expliqua quil rejette le systme juridiqueallemand en bloc car il mane de lhumanit. Il justifia ses paroles etses actes en dclarant que personne ne peut sattendre ce quunmusulman reste calme lorsque lon insulte le Prophte17.

Cet pisode de violence a offert aux islamophobes lesarguments dont ils avaient besoin pour enflammer lopinion publiquecontre lislam et consolider leur position. Ils ont organis une sriedactions similaires en se munissant de caricatures brandies lasortie des mosques. La grande majorit des musulmans ne ragitpas face ces provocations. Mais les salafistes y voient loccasion de

prouver la puret de leur croyance. Des menaces de mort contre lesactivistes du mouvement Pro ont alors t prononces.

16 Alexander Husler, Die PRO-Bewegung und der antimuslimischeKulturrassismus von Rechtsauen , Expertisen fr die Demokratie, FondationFriedrich-Ebert, 1/2011, p. 3.17Sddeutsche Zeitung, Prozess in Bonn mit Gewalt fr den Islam , 10 octobre2012.


17/27

15 Ifri

Un mouvement de protestationde la jeunesse

Ac tions en direct ion de la jeunesse

La majeure partie des actions salafistes en Allemagne visesciemment les jeunes. Paralllement aux services religieux habituels,les salafistes mnent de nombreuses actions sociales, notamment enfaveur de lemploi chez les jeunes, afin datteindre au mieux leurprincipal groupe cible.

Lors de sminaires islamiques , ou encore dans le cadredactivits de loisirs ddies la jeunesse, les grandes figures duprche salafiste endoctrinent immdiatement ceux des croyants dontils peroivent les prdispositions sengager dans leur voie. Lopinionpublique allemande est sensible ce proslytisme salafiste, car ilrevt des formes trs visibles, notamment avec lorganisation desminaires islamiques et de confrences ou encore linstallation de

stands dinformation dans les zones pitonnes urbaines. Lors deconfrences et de cours organiss sur plusieurs jours, lesprdicateurs salafistes transmettent une part importante de leursavoir afin de pouvoir conduire jeunes musulmans et non-musulmanstmoignant un intrt certain pour cette doctrine vers unecomprhension salafiste des textes religieux.

Si le message quils entendent faire passer leur jeune publicest bien dordre religieux, ce sont avant tout lendoctrinementpolitique ainsi que la notion de rseau qui sont au cur desintentions. Assister lun de ces sminaires peut ainsi tre, pour cesjeunes, la premire tape dune drive vers les milieux salafistes.

Les groupes salafistes distribuent gratuitement dans toutelAllemagne du matriel dinformation, des DVD et des livres. MaisInternet et surtout le Web 2.0 restent les instruments de prdilection,paralllement aux sminaires islamiques, lesquels sont leur tourfilms et posts sur YouTube. Leurs actions de communicationpermettent aux salafistes de dissminer leur message et deconstruire des rseaux dchanges entre fidles. Le prdicateurIbrahim Abou Nagie est depuis 2005 lauteur dun site, La Vraie


18/27


16 Ifri

Religion ( Die Wahre Religion )18, qui coopre au niveau nationalavec de nombreux salafistes et coordonne des sminairesislamiques. Les principaux articles et vidos peuvent tre tlchargsdepuis ce site. Le site La Vraie Religion et le portail pierrevogel.de 19, sont, parmi des centaines de pages Internet, lessites de propagande salafiste les plus connus. Muslimtube et DawaNews diffusent aussi des vidos de la scne salafiste, dlivrant encontinu des nouvelles de la communaut salafiste, allemande etinternationale.

Lorsquon lanalyse, la propagande salafiste allemandeimpressionne par son professionnalisme mais frappe par la faiblessede son niveau intellectuel. Ces sites Internet sadressent en effet enpremier lieu aux jeunes musulmans et convertis. Ils sont multilingueset modernes dans leur graphisme. Mais le corps du message estsimple : la plupart du temps, il sagit de se barricader face linfluence nfaste des non-salafistes20.

En Allemagne, le discours salafiste est imprgn de thmesrelevant de lidentit. Ces sujets, qui concernent particulirement lapopulation jeune issue de limmigration, structurent les prches et lessminaires salafistes. Lislam et les devoirs religieux des musulmans,habituellement critiqus dans la socit, sont ici activement dfendus.Les ambitions politiques du salafisme ne jouent ici quun rle mineur.Le point central de ces discours est le renouveau islamique et lachance quil reprsente pour la jeunesse musulmane ou la jeunessetmoignant dun intrt certain pour lislam. Le salafisme sidentifieaux intrts des jeunes individus se sentant rejets par la socit etleur offre une voix de contestation.

La problmatiq ue ident itair eet le choix dadhsion au s alaf isme

Celui qui dcide dentrer dans un groupe salafiste apporte par l lapreuve de son acceptation dune idologie, dune structure et dansles cas les plus extrmes, de lusage de la violence comme modedaction. Son choix tmoigne galement de sapropension passer laction pour servir la ralisation des objectifs de la formation quil a

choisie. Les individus entrant dans cette logique visent unetransformation radicale des cadres sociaux, politiques et

1819 Cette page a t cre par P. Vogel, considr par les services de scuritcomme lindividu le plus influent de la communaut des convertis en Allemagne. 20 Der Ruf zu GottFormen salafistischer Propaganda , Office de protection dela Constitution de Rhnanie-du-Nord-Westphalie, novembre 2011,.
http://www.mik.nrw.de/uploads/media/Der_Ruf_zu_Gott_-_Formen_salafistischer_Propaganda_01.pdfhttp://www.mik.nrw.de/uploads/media/Der_Ruf_zu_Gott_-_Formen_salafistischer_Propaganda_01.pdfhttp://www.mik.nrw.de/uploads/media/Der_Ruf_zu_Gott_-_Formen_salafistischer_Propaganda_01.pdfhttp://www.mik.nrw.de/uploads/media/Der_Ruf_zu_Gott_-_Formen_salafistischer_Propaganda_01.pdf


19/27


17 Ifri

conomiques. Les buts quils se fixent sont universels, et pourraientmme, premire vue, paratre assez altruistes.

Lorganisation salafiste offre un forum des individuspartageant des opinions identiques, ou du moins trs semblables. Se

faonne alors une identit de groupe qui clipse lidentit individuelleet ses faiblesses. La survie du groupe prend la mme valeur, pour lesmembres qui le constituent, que leur propre existence. Unedynamique solide, auto-entretenue, en dcoule, laquelle garantie laprennit du groupe. Dynamique interne et valeurs socioculturellesdes groupes salafistes nexpliquent pas seulement la forcedendoctrinement de ces mouvances. Elles dmontrent aussi leurcapacit garder leurs membres dans leurs rangs en sassurant deleur loyaut dans et envers le groupe.

La communaut salafiste possde sa propre culture degroupe, mettant en uvre des traditions et des valeurs par essence

totalitaires, tant elles exigent de la part de leurs membres unesolidarit absolue envers lentit du collectif , mais pas forcmentavec chacun des individus constituant ce groupe. Le contact verslextrieur est radicalement rfut et sanctionn. Il reste rserv desmembres dsigns du groupe, dont la foi idologique est assez fortepour en faire un usage stratgique, qui leur est par ailleurs dict.Lorsque le groupe sexprime, que ce soit par la violence ou par laparole, il ne sagit en ralit que dune tape du combat plus large quile motive.

Lentre dans un groupe salafiste isole trs souvent lindividu,de faon idologique autant que physique, de son entourage normal . Les relations de confiance nexistent quavec les autresmembres de la communaut. Il sagit ici des mmes dynamiques quelon observe gnralement dans les sectes. Au fur et mesure quunindividu se fond dans un groupe, il sloigne toujours davantage deson milieu dorigine. Lintgration au sein de la communaut setraduit par leffacement complet de lindividualit au profit de lidentitde groupe et du contrle par le groupe, qui, ultra-hirarchis, nelaisse aucune voie de sortie lindividu. On sait que dans les sectesreligieuses, non seulement les contacts sociaux, mais aussi lesmariages sont dicts par les membres du groupe. Ces procds seretrouvent au sein de la communaut salafiste. Les contacts aveclextrieur sont perus comme autant de failles dans le dispositif de

scurisation du groupe.Lidentification totale des individus au groupe ne se voit

cependant pas en retour rcompense par une confiance rciproquedu groupe en chacun des individus qui le composent, car il ne peutjamais tre totalement exclu que ceux-ci ne le trahissent, de faonconsciente ou inconsciente. Le groupe accepte cependant de prendrece risque fondamental, certain quil est de la capacit de ses leaders,jugs dignes de confiance , garder une vue densemble et dfinir, tant pour le groupe dans son ensemble que pour sesmembres en particulier, les lments permettant dassurer la scurit


20/27


18 Ifri

de tous. ceci sajoute la conscience, chez les membres dun groupesalafiste, de navoir eu, en dehors de ce groupe auquel ilsappartiennent dsormais, aucune autre vritable perspective. Au fildu temps, des liens existentiels se tissent entre les fidles. Limage etla rputation dont un individu jouit au sein du groupe, tout comme lamonte progressive des marches hirarchiques et la reconnaissanceinterne revtent ainsi beaucoup plus dimportance que la simplereconnaissance sociale extrieure. Pour le groupe salafiste, lestextes religieux sont dune importance cruciale. Lendoctrinementreligieux est ainsi la fois une fin et un moyen. Le fidle se sentfinalement valoris dans sa propre reprsentation de soi, ce qui lerend dautant plus oprationnel au sein du systme de groupesalafiste .

De faon gnrale, on constate donc quen Allemagne, lesalafisme tire plutt profit dun dbat sur lintgration qui se focalisesur lislam et le discours scuritaire concernant les musulmans. Le

terrorisme salafiste conforte lmergence dun climat islamophobe.Wilhelm Heitmeyer, sociologue et spcialiste des conflits, constatedans son tude Faits et ralits allemandes que lislamophobiefait consensus, mme chez les personnes chez qui lon ne syattendait pas 21.

Les crises identitaires, qui en ressortent renforces, amnentcertains jeunes se rfugier dans une identit ngative 22, o lesentiment de leur infriorit sociale, profondment intrioris,alimente une image ngative de soi. Lun des signes de cette identitngative est le manque de confiance en leur entourage23. Face cephnomne, une partie de ces jeunes ragissent en idalisant leur

propre identit musulmane. Ils projettent alors leurs problmes sur un Occident conspirateur , qui diabolise lislam et plus globalement lanotion dtranger. Cette raction est lexpression dun sentimentdimpuissance profondment ressenti par les jeunes, et qui nat dedfaillances sociales majeures. Les jeunes sont particulirementsensibles lorsquils se trouvent confronts aux sables mouvants delthique. Sans cadre bien dfini, ils ont tendance se tourner versdes mouvements culturels, en qute de nouvelles formes identitairesqui leur permettent de mieux comprendre leur propre existence. Lescrises identitaires que certains jeunes traversent augmentent leschances quils se tournent vers des groupes et des mouvements

21Wilhelm Heitmeyer (d.), Deutsche Zustnde,vol. 9, Berlin, 2010, p. 69.22 Naika Foroutan et Isabel Schfer, Hybride Identitten muslimischeMigrantinnen und Migranten in Deutschland und Europa , Aus Politik undZeitgeschichte, no5, 2009, p. 12 et suivantes.23 Les identits ngatives sont des modes de comportements considrs commesocialement indsirables ou jugs dviants par rapport la norme sociale. Uneidentit ngative se dfinie par un esprit de contradiction systmatique et un rejetdes rgles sociales. Il est improbable que dans ce contexte, il soit possible de nouerdes relations sociales normales avec les personnes concernes, tant il est vraiquune culture instable et contradictoire rend pour le moins problmatique laconstruction dune personnalit stable.


21/27


19 Ifri

autoritaires, qui leur offrent finalement une grille normative et desvaleurs dtermines. Cest ce qui explique, en partie, le nombreimportant de jeunes au sein des groupes salafistes.


22/27

20 Ifri

Conclusion : Stratgies deprvention et de dradicalisation

Djouer les attaq ues ter ro ris tes

Au cours des dix dernires annes, du fait de la menace directe queconstitue lune de ses formes pour la scurit publique, le salafismefait lobjet dun examen et dune analyse toujours plus pousss, quirevtent une importance cruciale tant en matire de protectionconstitutionnelle quen matire daction des services de police. Si lamajeure partie des salafistes se refuse jusqu prsent faire usagede la violence, et notamment de la violence terroriste, pour lapropagation de leurs reprsentations religieuses, ils ne cachent pasleur intolrance envers les personnes de confession diffrente. Cetteposition favorise les conversions ventuelles au salafisme djihadiste.Les salafistes non violents sympathisent eux-mmes avec lesactivistes djihadistes, crant par l mme un contexte qui facilite le

recrutement en faveur du djihad.En Allemagne, plusieurs occasions, ce danger est devenu

ralit, bien que jusqu prsent, les services de police aient pudjouer temps la plupart des attaques terroristes planifies. Le pointculminant de ces tentatives dattentat a sans doute t atteint enjuillet 2006, lorsque deux tudiants ont dpos deux valisesdexplosifs lintrieur de trains rgionaux, mme si lexplosion afinalement chou cause de dfaillances techniques. Les auteursde cette tentative dattentat ont t identifis et condamns. Lors deleurs interrogatoires, ils ont fait des caricatures de Mohammed lemotif principal de leur acte. Un deuxime fait marquant est survenuen septembre 2007, lors de larrestation du groupe islamique du

Sauerland. Les auteurs du complot ont avou au cours de leur procsavoir prvu de dposer des bombes dans des discothques, desaroports et des installations amricaines en Allemagne. Ils ont tcondamns en 2010 des peines demprisonnement qui selon lescas, atteignent les 12 ans de rtention. Un jeune homme doriginealbano-kosovare a poursuivi cette srie noire, en fusillant enmai 2011 deux soldats amricains et blessant gravement deux autressoldats laroport de Francfort-sur-le-Main. Lauteur a t identifi


23/27


21 Ifri

comme un extrmiste isol24. Tous ceux qui prirent part laplanification de ces attaques faisaient partie de mouvementssalafistes. Cest le cas par ailleurs de tous les compagnons 25 etautres personnes cibles 26 placs sous surveillance par lesservices de scurit allemands.

Drad ic al is at io n

Face ce phnomne de radicalisation des milieux salafistes, lesautorits responsables de la scurit ragissent diffrentschelons. Paralllement aux mthodes rpressives bases sur lesenqutes, diffrents concepts de dradicalisation sont labors. Lebut est de dvelopper une plateforme dchange dexpriences etdinformations sur les bonnes pratiques et les approches

permettant de lutter contre la radicalisation.Mi-2010, un groupe de travail a t fond en Basse-Saxe,

avec la participation active de lOffice rgional de protection de laConstitution (Landesamt fr Verfassungsschutz - LfV) et lOfficergional de police criminelle (Landeskriminalamt - LKA), qui a pourmission de dvelopper une stratgie d anti-radicalisation . Cetravail de coopration est men sous lgide du LfV. En Hesse, leLKA a confi cette mme mission au groupe de recherche rgional etau dpartement pour la protection de ltat. Le Bade-Wurtemberg,quant lui, met dj en pratique un projet de dradicalisation. Lesservices de scurit de ce Land travaillent en troite coopration

avec le centre rgional pour lducation civique (Landeszentrale frpolitische Bildung LpB) du Bade-Wurtemberg. Ce centre offre denombreuses formations continues et coordonne tout un ensemble demesures de sensibilisation. Le concept dvelopp par le LKA deHambourg, Comprendre Rapprocher Prvenir , se base surune mise en rseau pour lutter contre lextrmisme islamique.

24Autres exemples dattaques islamistes planifies :-Avril 2011 : Les enquteurs arrtent trois membres prsums dAl-Qaida,

souponns davoir planifi des attentats la bombe en Allemagne dans la rgion dela Rhnanie-du-Nord-Westphalie.

-Dcembre 2004 : Les membres de lorganisation islamique kurdo-irakienne

Ansar al-Islam planifient lassassinat du Premier ministre irakien par intrim IyadAllaoui lors de lune de ses visites en Allemagne.

-Mars 2003 : Un Tunisien qui planifiait des attentats contre des installationsamricaines et juives est arrt.

-Avril 2002 : Les services de police arrtent des sympathisants du groupeterroriste Al-Tawhid qui planifiaient dattaquer le Centre de la communaut juive deBerlin ainsi que des restaurants juifs de Dsseldorf.25Un compagnon est un individu dont tout semble indiquer quil serait capable dese livrer des activits criminelles graves pour des motifs politiques.26Les personnes cibles sont des individus qui occupent une position de directionou de soutien au sein de la communaut extrmiste, et dont on peut supposer quilspourraient encourager, soutenir ou se livrer des activits criminelles graves.


24/27


22 Ifri

Partant du constat que la prvention dans ce domaine reprsenteune tche requrant laction experte de forces spciales, diffrentsorganes scientifiques et scuritaires ainsi que plusieurs acteurs de lasocit musulmane conjuguent leurs efforts sur ce projet. Dans lapratique, le projet se droule essentiellement lchelle microsociale.Les campagnes de sensibilisation ainsi mises en uvre sadressentprioritairement aux employs des institutions rgulirement encontact avec les adolescents et les jeunes adultes des diffrentsquartiers de la ville concerne.

Au niveau national, le Bureau de consultation contre laradicalisation a t mis en place par lOffice fdral pour lamigration et les rfugis (Bundesamt fr Migration und Flchtlinge),vers lequel les citoyens peuvent se tourner lorsquils sinquitent de laradicalisation de lun de leurs proches ou dune connaissance et pourtrouver des rponses aux questions quils auraient ce sujet27. Le Bureau de consultation contre la radicalisation constitue un

premier point daccueil pour les personnes concernes, informe lescitoyens sur ce thme et leur prsente les possibilits de soutienoffertes au niveau rgional.

La dradicalisation relve certes dune dcision individuelle:une personne radicalise abandonne sa confession et sonengagement en faveur dune idologie et dun mode dactionextrmes, en particulier en ce qui concerne lutilisation de la violencecomme moyen pour atteindre ses fins. Mais la notion fait galementrfrence tout un ensemble de mesures directement adresses auxindividus ou groupes dindividus, afin de les soutenir dans leurvolont de sloigner du milieu extrmiste dans lequel ils voluent et

dans leur tentative pour sortir la fois du mode de comportementextrmiste ( Disengagement ) et de la logique qui le sous-tend. Laforme la plus aboutie de dradicalisation est sans doute celle quirussit gagner, ou reconqurir les jeunes aux valeurs de ladmocratie. La tolrance, le respect envers les autres modes depense ainsi que la capacit ragir de faon civique aux situationsde conflit sont autant de rfrences cls de la socit moderne. Ilsagit donc de montrer aux jeunes que ces valeurs offrent un cadresuffisant leur panouissement personnel, sans entrer en conflitavec leurs convictions religieuses. tre musulman et dmocrate nestpas une contradiction. Il est donc ncessaire de dconstruire lesreprsentations communes quant une rpartition des rles

idologise et de reconstruire le concept de citoyennet en lereplaant dans son acception juridique, qui en fait un principe garantipar la loi. lvidence, cela ne pourra se rgler par une simpledirective politique, mais bien grce lengagement dorganisations dela socit civile capables dinfluencer le discours politique poursoutenir les dynamiques de changement dans la socit.

27
http://www.bamf.de/DE/DasBAMF/Beratung/beratung-node.htmlhttp://www.bamf.de/DE/DasBAMF/Beratung/beratung-node.html


25/27


23 Ifri

La coopration entre les diffrentes parties comptentes(services de police, office de protection de la jeunesse, services delimmigration, ministre de lIntgration, etc.) est une conditionpralable essentielle au succs des mesures de dradicalisation.Cette coopration doit galement inclure les partenaires musulmans.Dans une telle constellation, chacun des acteurs impliqus pourrapartager ses expriences individuelles avec les diffrents milieuxislamiques et dvelopper des synergies.


26/27

24 Ifri

Notes du Cerfa

Publie depuis 2003 un rythme mensuel, cette collection estconsacre lanalyse de lvolution politique, conomique et socialede lAllemagne contemporaine: politique trangre, politique int-rieure, politique conomique et questions de socit. Les Notes duCerfa sont des textes concis, caractre scientifique et de naturepolicy oriented. linstar des Visions franco-allemandes , les Notes du Cerfa sont accessibles sur le site Internet du Cerfa, o

elles peuvent tre consultes et tlcharges gratuitement.

Dernires pub lications du Cerfa

Dominik Tolksdorf,UE, Russie et Partenariat oriental : quellesdynamiques sous le nouveau gouvernement allemand ?, Note duCerfa , n 109, fvrier 2014.

Patrick Allard,De lAllemagne et de son conomie, Note duCerfa , n 108, janvier 2014.

Ulrich Eith, LAllemagne aprs les lections fdrales du 22septembre 2013 : Entre continuit et changements structurels, Notedu Cerfa , n 107, dcembre 2013.

Yves Pascouau, Le paquet gouvernance Schengen : lesquilibres subtils entre mthode communautaire et logiqueintergouvernementale, Note du Cerfa , n 106, dcembre 2013.

Henrik Uterwedde,La fin des divergences ? Perspectives despolitiques conomiques franaises et allemandes, Visions franco-allemandes , n 23, octobre 2013.
http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8000http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8000http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8000http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8000http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7987http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7987http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7987http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7944&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7944&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7944&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7891&id_provenance=103&provenance_context_id=21http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7891&id_provenance=103&provenance_context_id=21http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7891&id_provenance=103&provenance_context_id=21http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7891&id_provenance=103&provenance_context_id=21http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7891&id_provenance=103&provenance_context_id=21http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7891&id_provenance=103&provenance_context_id=21http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7934&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7944&id_provenance=97http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=7944&id_provenance=97http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=7987http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8000http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8000


27/27

Le Cerfa

Le Comit dtudes des relations franco-allemandes (Cerfa) a tcr en 1954 par un accord gouvernemental entre la Rpubliquefdrale dAllemagne et la France. Le Cerfa bnficie dunfinancement paritaire assur par le ministre des Affaires trangreset europennes et lAuswrtiges Amt ; son conseil de direction estconstitu dun nombre gal de personnalits franaises etallemandes.

Le Cerfa a pour mission danalyser les principes, lesconditions et ltat des relations franco-allemandes sur le planpolitique, conomique et international ; de mettre en lumire lesquestions et les problmes concrets que posent ces relations lchelle gouvernementale; de trouver et de prsenter despropositions et des suggestions pratiques pour approfondir etharmoniser les relations entre les deux pays. Cette mission se traduitpar lorganisation rgulire de rencontres et de sminaires runissanthauts fonctionnaires, experts et journalistes, ainsi que par destravaux de recherche mens dans des domaines dintrt commun.

Hans Stark assure le secrtariat gnral du Cerfa depuis

1991. Yann-Sven Rittelmeyer est chercheur au Cerfa et responsablede la publication des Notes du Cerfa et des Visions franco-allemandes . Nele Wissmann est charge de mission dans le cadredu projet Dialogue davenir.

le salafisme en allemagne

Documents