le sabre, le goupillon et la salle des marchÉs...

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C M J N Liberté 62 n°888 - Le 20 Novembre 2009 -2- Événement O O N aurait aimé que ce soit un canular, mais cʼest une infor- mation vérifiée : le 24 novembre pro- chain aura lieu à Paris une cérémonie dont le cas- ting est proprement ahurissant au regard de lʼactualité française et internationale. Ce jour-là, le cardinal archevêque de Tegucigalpa (notre photo ci- dessus), Oscar Rodriguez Maradiaga, et lʼancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Michel Camdessus, recevront les insignes de docteur honoris causa de lʼInstitut catholique de Paris. Et leur panégyrique (Laudatio) sera prononcé respectivement par Monseigneur Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, et Jean- Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE). Il faut vraiment croire que les puis- sances invitantes, à savoir le car- dinal André Vingt-Trois, et le rec- teur de lʼInstitut, Pierre Cahné, vivent sur une autre planète pour oser mettre en scène publique- ment cette nouvelle alliance du sabre, du goupillon… et de la salle de marchés. On ose espérer que lʼinvitation au cardinal Maradiaga reposait sur lʼimage «progressiste» que le pré- lat avait su se donner ces der- nières années, notamment lors de sa candidature à la succession de Jean-Paul II. Mais les autorités de lʼInstitut catholique auraient dû se rensei- gner et lire ses déclarations après le coup dʼEtat du 28 juin dernier au Honduras. Non seulement, comme dʼailleurs les autres membres de la Conférence épis- copale hondurienne et, dit-il, avec le plein soutien du Vatican, il nʼa pas dénoncé le putsch, mais il lʼa au contraire légitimé en déclarant que «les documents prouvent que les institutions ont correctement fonctionné et que la Constitution a été respectée». Il nʼa pas condamné ni même évo- qué les assassinats, les tortures et les arrestations massives dont sʼest rendu coupable le gouverne- ment de facto. Pas non plus un mot sur la suppression de toutes les libertés civiques, sur la ferme- ture de tous les moyens de com- munication qui nʼavaient pas fait allégeance aux putschistes, en particulier la station de radio des Jésuites, Radio Progreso. Le gou- pillon du cardinal a aspergé dʼeau bénite le sabre putschiste. Voilà le récipiendaire du doctorat honoris causa de lʼInstitut catho- lique dont lʼarchevêque de Clermont sʼapprête à célébrer les qualités. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy, qui a condamné le coup dʼEtat et continue de reconnaître officiellement le prési- dent Zelaya, devrait logiquement refuser le visa dʼentrée en France à ce prélat considéré comme put- schiste par le gouvernement légal. Caricatural Les états de service dont peut se prévaloir Michel Camdessus (photo ci-dessous) sont dʼun autre ordre : il nʼa certes jamais trempé dans une action armée, mais les politiques quʼil a impulsées à la tête du FMI, de 1987 à 2000, ont été infiniment plus coûteuses en détresse et en vies humaines que celles de la soldatesque hondu- rienne. Sa trajectoire est lʼinverse de celle du cardinal de Tegucigalpa : il pose volontiers aujourdʼhui à lʼadepte de la mon- dialisation «à visage humain», alors que pendant des années, il a imposé dʼimpitoyables plans dʼajustement structurel aux mal- heureux pays qui avaient recours à son «aide». Grâce aux «recettes» du FMI, il a à son actif, si lʼon peut dire, la création ou lʼaggravation dʼune dizaine de crises financières majeures, de celle du Mexique en 1994 à celle du Brésil en 1999. Fanatique du marché et de la libé- ralisation financière qui, pour lui, «demeure le but final correct», il sʼest toujours désintéressé des conséquences sociales des mesures quʼil imposait. Après les émeutes de la faim quʼelles provo- quèrent en 1997 en Indonésie, et la violente répression qui sʼensui- vit, ce catholique pratiquant expé- dia ainsi ses regrets aux familles des victimes : «Je nʼavais pas prévu que lʼarmée allait tirer sur la foule»… Il nʼy a certainement aucun pays du Sud où une institution universi- taire accorderait une distinction à Michel Camdessus. Tout porte même à croire que sa venue dans un établissement dʼenseignement supérieur provo- querait des troubles. Est-ce cette persévérance dans lʼerreur, à peine compensée par des bribes tardives de repentance, que va récompenser lʼInstitut catholique ? Que Jean-Claude Trichet ait été sollicité pour faire le panégyrique de lʼancien directeur général du FMI complète un tableau franche- ment caricatural. Le président de la BCE partage avec le récipien- daire une absolue certitude des bienfaits de lʼorthodoxie monétaire et un souverain mépris des ins- tances élues. Avec eux, les salles de marchés font leur entrée offi- cielle dans les hauts lieux du savoir. La finance nʼa que faire des franchises universitaires qui, pour- tant, sʼimposent encore à la poli- ce… Tout cela fait beaucoup pour une seule journée. Certainement, le 24 novembre à 19 h, on refusera du monde à la "Catho". Bernard Cassen Bernard Cassen est secrétaire général de Mémoire des luttes et président dʼhonneur dʼAttac. Source : Mémoire des luttes. HONDURAS : LE SABRE, LE GOUPILLON ET LA SALLE DES MARCHÉS A la «Catho» (Paris), le 24 novembre, hommage sera rendu au cardinal putschiste de Tegucigalpa et à lʼancien directeur général du FMI Michel Camdessus. La junte militaire hondurienne soutenue par l’Église. page 2:page 14 17/11/09 14:17 Page 1

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CMJN

Liberté 62 n°888 - Le 20 Novembre 2009- 2 -

Événement

OONN aurait aimé quece soit un canular,mais cʼest une infor-mation vérifiée : le24 novembre pro-chain aura lieu à

Paris une cérémonie dont le cas-

ting est proprement ahurissant auregard de lʼactualité française etinternationale.Ce jour-là, le cardinal archevêquede Tegucigalpa (notre photo ci-dessus), Oscar RodriguezMaradiaga, et lʼancien directeur

général du Fonds monétaireinternational (FMI), MichelCamdessus, recevront lesinsignes de docteur honoris causade lʼInstitut catholique de Paris. Etleur panégyrique (Laudatio) seraprononcé respectivement parMonseigneur Hippolyte Simon,archevêque de Clermont, et Jean-Claude Trichet, président de laBanque centrale européenne(BCE).Il faut vraiment croire que les puis-sances invitantes, à savoir le car-dinal André Vingt-Trois, et le rec-teur de lʼInstitut, Pierre Cahné,vivent sur une autre planète pouroser mettre en scène publique-ment cette nouvelle alliance dusabre, du goupillon… et de la sallede marchés.On ose espérer que lʼinvitation aucardinal Maradiaga reposait surlʼimage «progressiste» que le pré-lat avait su se donner ces der-nières années, notamment lors desa candidature à la succession deJean-Paul II.Mais les autorités de lʼInstitutcatholique auraient dû se rensei-gner et lire ses déclarations aprèsle coup dʼEtat du 28 juin dernier auHonduras. Non seulement,comme dʼailleurs les autresmembres de la Conférence épis-copale hondurienne et, dit-il, avecle plein soutien du Vatican, il nʼapas dénoncé le putsch, mais il lʼaau contraire légitimé en déclarantque «les documents prouvent queles institutions ont correctementfonctionné et que la Constitution aété respectée».Il nʼa pas condamné ni même évo-qué les assassinats, les tortures etles arrestations massives dontsʼest rendu coupable le gouverne-ment de facto. Pas non plus unmot sur la suppression de toutesles libertés civiques, sur la ferme-ture de tous les moyens de com-

munication qui nʼavaient pas faitallégeance aux putschistes, enparticulier la station de radio desJésuites, Radio Progreso. Le gou-pillon du cardinal a aspergé dʼeaubénite le sabre putschiste.Voilà le récipiendaire du doctorathonoris causa de lʼInstitut catho-lique dont lʼarchevêque deClermont sʼapprête à célébrer lesqualités. Le gouvernement deNicolas Sarkozy, qui a condamnéle coup dʼEtat et continue dereconnaître officiellement le prési-dent Zelaya, devrait logiquementrefuser le visa dʼentrée en Franceà ce prélat considéré comme put-schiste par le gouvernement légal.

CaricaturalLes états de service dont peut seprévaloir Michel Camdessus(photo ci-dessous) sont dʼun autreordre : il nʼa certes jamais trempédans une action armée, mais lespolitiques quʼil a impulsées à latête du FMI, de 1987 à 2000, ontété infiniment plus coûteuses endétresse et en vies humaines quecelles de la soldatesque hondu-rienne. Sa trajectoire est lʼinverse

de celle du cardinal deTegucigalpa : il pose volontiersaujourdʼhui à lʼadepte de la mon-dialisation «à visage humain»,alors que pendant des années, il aimposé dʼimpitoyables plansdʼajustement structurel aux mal-heureux pays qui avaient recoursà son «aide».Grâce aux «recettes» du FMI, il aà son actif, si lʼon peut dire, lacréation ou lʼaggravation dʼunedizaine de crises financièresmajeures, de celle du Mexique en1994 à celle du Brésil en 1999.Fanatique du marché et de la libé-ralisation financière qui, pour lui,«demeure le but final correct», il

sʼest toujours désintéressé desconséquences sociales desmesures quʼil imposait. Après lesémeutes de la faim quʼelles provo-quèrent en 1997 en Indonésie, etla violente répression qui sʼensui-vit, ce catholique pratiquant expé-dia ainsi ses regrets aux famillesdes victimes : «Je nʼavais pasprévu que lʼarmée allait tirer sur lafoule»…Il nʼy a certainement aucun paysdu Sud où une institution universi-taire accorderait une distinction àMichel Camdessus.Tout porte même à croire que savenue dans un établissementdʼenseignement supérieur provo-querait des troubles. Est-ce cettepersévérance dans lʼerreur, àpeine compensée par des bribestardives de repentance, que varécompenser lʼInstitut catholique ?Que Jean-Claude Trichet ait étésollicité pour faire le panégyriquede lʼancien directeur général duFMI complète un tableau franche-ment caricatural. Le président dela BCE partage avec le récipien-daire une absolue certitude desbienfaits de lʼorthodoxie monétaireet un souverain mépris des ins-

tances élues. Avec eux, les sallesde marchés font leur entrée offi-cielle dans les hauts lieux dusavoir. La finance nʼa que faire desfranchises universitaires qui, pour-tant, sʼimposent encore à la poli-ce…Tout cela fait beaucoup pour uneseule journée. Certainement, le24 novembre à 19 h, on refuseradu monde à la "Catho".

Bernard CassenBernard Cassen est secrétairegénéral de Mémoire des luttes etprésident dʼhonneur dʼAttac.Source : Mémoire des luttes.

HONDURAS : LE SABRE, LE GOUPILLONET LA SALLE DES MARCHÉS

A la «Catho» (Paris), le 24 novembre, hommage sera rendu au cardinal putschiste deTegucigalpa et à lʼancien directeur général du FMI Michel Camdessus.

La junte militaire hondurienne soutenue par l’Église.

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