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76 ème Congrès de la Confédération Nationale des Avocats Côme, les 29 et 30 avril 2011 L’espace judiciaire européen Le renvoi préjudiciel : questions d’actualité par Caroline Naômé 1 Le renvoi préjudiciel est la « clé de voûte » du système juridictionnel de l’Union. Il est le lien entre les juridictions nationales, « juges de ‘droit commun’ de l’ordre juridique de l’Union » 2 , et la Cour de justice, unique détentrice du pouvoir de déclarer invalide une norme de l’Union et garante de l’interprétation uniforme du droit de l’Union. Par ces « questions d’actualité », nous nous efforcerons de relever les éléments récents relatifs au renvoi préjudiciel. Nous examinerons notamment l’impact de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la jurisprudence récente de la Cour relative au renvoi préjudiciel, mais également ce que la Cour dit de cette procédure dans d’autres textes. Nous aborderons enfin quelques éléments de procédure et, notamment, la procédure accélérée et la procédure préjudicielle d’urgence (« PPU »), particulièrement importante pour les affaires relatives à l’espace judiciaire européen. Cet examen se fera en gardant à l’esprit l’évolution du nombre de renvois préjudiciels, baromètre du fonctionnement de la procédure 1. Situation à la Cour en ce qui concerne les demandes préjudicielles Extrait du Rapport annuel 2011 : 1 Le présent texte n’engage que son auteur et non pas l’Institution à laquelle elle appartient. 2 Avis 1/09 du 8 mars 2011, point 80.

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76ème

Congrès de la Confédération Nationale des Avocats

Côme, les 29 et 30 avril 2011

L’espace judiciaire européen

Le renvoi préjudiciel : questions d’actualité

par Caroline Naômé1

Le renvoi préjudiciel est la « clé de voûte » du système juridictionnel de l’Union. Il est le lien

entre les juridictions nationales, « juges de ‘droit commun’ de l’ordre juridique de l’Union »2,

et la Cour de justice, unique détentrice du pouvoir de déclarer invalide une norme de l’Union

et garante de l’interprétation uniforme du droit de l’Union.

Par ces « questions d’actualité », nous nous efforcerons de relever les éléments récents relatifs

au renvoi préjudiciel. Nous examinerons notamment l’impact de l’entrée en vigueur du traité

de Lisbonne, la jurisprudence récente de la Cour relative au renvoi préjudiciel, mais

également ce que la Cour dit de cette procédure dans d’autres textes. Nous aborderons enfin

quelques éléments de procédure et, notamment, la procédure accélérée et la procédure

préjudicielle d’urgence (« PPU »), particulièrement importante pour les affaires relatives à

l’espace judiciaire européen. Cet examen se fera en gardant à l’esprit l’évolution du nombre

de renvois préjudiciels, baromètre du fonctionnement de la procédure

1. Situation à la Cour en ce qui concerne les demandes préjudicielles

Extrait du Rapport annuel 2011 :

1 Le présent texte n’engage que son auteur et non pas l’Institution à laquelle elle appartient.

2 Avis 1/09 du 8 mars 2011, point 80.

2

Le nombre de demandes préjudicielles a augmenté de façon sensible en 2010. Ce n’est pas

attribuable uniquement aux demandes provenant des nouveaux États membres. Une autre

cause est la disparition de l’article 68 CE.

2. Traité de Lisbonne : les modifications des textes donnant compétence à la Cour

Un changement important est la disparition de l’article 35 du traité sur l’Union européenne

(TUE), avec cependant des dispositions transitoires, des articles 68 et 234 du traité CE (TCE)

et de l’article 150 du traité Euratom au profit d’une disposition générale, l’article 267 du

TFUE, dont le texte correspond, en substance, à l’ancien article 234 du TCE.

a) les dispositions transitoires relatives à l’article 35 du TUE

L’article 35 faisait partie du titre VI (« Disposition relatives à la coopération policière et

judiciaire en matière pénale ») du TUE dans sa version avant le traité de Lisbonne. Il avait

pour effet de limiter la saisine de la Cour puisqu’un État membre devait, par une déclaration,

accepter la compétence de la Cour et pouvait préciser les juridictions autorisées à interroger la

Cour. D’autres limitations résultaient du fait que l’article 35 du TUE ne prévoyait pas la

compétence de la Cour pour interpréter le traité UE3 ni pour statuer sur la validité des

conventions établies en vertu du titre VI du TUE, dans sa version avant le traité de Lisbonne.

L’article 35, paragraphe 5, indiquait par ailleurs que la Cour de justice n’est pas compétente

pour vérifier la validité ou la proportionnalité d’opérations menées par la police ou d’autres

services répressifs dans un État membre, ni pour statuer sur l’exercice des responsabilités qui

incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la

sécurité intérieure4. Enfin, élément qui pouvait affecter l’intérêt d’interroger la Cour, l’article

34, paragraphe 2, sous b) du TUE prévoyait que les décisions-cadres ne peuvent entraîner

d’effet direct5.

3 Dans l'arrêt Advocaten voor de Wereld (arrêt du 3 mai 2007, C-303/05, Rec. p. I-3633, point 18), la

Cour a cependant jugé que la compétence qui lui est conférée pour statuer à titre préjudiciel sur

l'interprétation et la validité notamment des décisions-cadres implique nécessairement qu'elle puisse

interpréter des dispositions du droit primaire, même en l'absence d'une compétence à cet effet. 4 Cette limitation de la compétence de la Cour est reprise à l’article 276 du TFUE.

5 Voir cependant l’arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C-105/03, Rec. p. I-5285, points 23 à 48 relatifs à

l’interprétation conforme.

3

L’article 10 du protocole (n° 36) sur les dispositions transitoires du traité de Lisbonne6 prévoit

que les attributions de la Cour de justice en vertu du titre VI du TUE, dans sa version en

vigueur avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, restent inchangées en ce qui concerne

les actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière

pénale qui ont été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Toutefois, la

modification d’un tel acte entraîne la modification de la compétence de la Cour. En d’autres

termes, si une décision-cadre adoptée avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est

modifiée, non seulement elle devient une directive7, mais en outre son interprétation relèvera

de l’article 267 du TFUE, et non plus de l’article 35 du TUE. Enfin, l’article 10, paragraphe 3,

des dispositions transitoires prévoit que, en tout état de cause, la mesure transitoire cesse de

produire ses effets cinq ans après la date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Selon le rythme de modification des actes, l’article 35 du TUE pourrait devenir inusité avant

même l’expiration du délai de cinq ans. C’est toutefois peu probable, même si, dans une

déclaration ad article 10 du protocole sur les dispositions transitoires, la Conférence a invité le

Parlement européen, le Conseil et la Commission, dans le cadre de leurs attributions

respectives, à s’efforcer d’adopter, dans les cas appropriés et dans la mesure du possible dans

le délai de cinq ans visé à l’article 10, paragraphe 3, du protocole sur les dispositions

transitoires, des actes juridiques modifiant ou remplaçant les actes visés à l’article 10,

paragraphe 1, dudit protocole.

La disparition de l’article 35 du TUE, dans sa version avant le traité de Lisbonne, entraînera

une augmentation du nombre de demandes préjudicielles. En effet, à l’heure actuelle, la

Bulgarie, le Danemark, l'Estonie, l'Irlande, la Pologne, le Royaume-Uni et la Slovaquie n’ont

pas accepté la compétence de la Cour et l’Espagne l’a acceptée mais a limité les juridictions

qui peuvent interroger la Cour.

Dès lors que l’augmentation des questions préjudicielles sera susceptible de concerner des

personnes en détention, cela pourrait provoquer, par répercussion, une augmentation du

nombre de procédures préjudicielles d’urgence.

6 JO C 83 du 30 mars 2010, p. 322.

7 Conformément à l’article 9 du Protocole n° 36.

4

b) le bilan de l’article 68 du TCE

Entrée en vigueur en même temps que le traité d’Amsterdam, cette disposition aura eu une

brève existence. Le bilan de son application est plutôt négatif.

Applicable en matière de contrôles aux frontières extérieures (visas), d’asile et d’immigration,

ainsi que de coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière

(signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires, coopération en matière

d’obtention des preuves, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et

commerciale, droit international privé), l’article 68 du TCE prévoyait que seules les

juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel

de droit interne pouvaient poser à la Cour des questions préjudicielles.

Une première conséquence a été un grand nombre d’erreurs de la part des juridictions

nationales8, soit parce qu’elles ne s’étaient pas rendu compte de l’applicabilité de l’article 68

du TCE et de la limitation que cette disposition contenait, soit parce qu’elles pensaient que le

système était similaire à celui prévu pour la convention de Bruxelles, dans lequel des

juridictions de niveau de cours d’appel pouvaient interroger la Cour9.

Mais l’article 68 du TCE a également créé des difficultés pour la Cour, contrainte de se livrer

à des vérifications de droit procédural national parfois bien plus complexes que la réponse à

donner à la question préjudicielle posée. Cela a donné lieu à des retards dans le traitement des

affaires, le temps d’interroger la juridiction nationale sur le respect de la condition prévue à

l’article 68 du TCE10

. Contrairement à l’usage, un avocat général de la même nationalité que

l’État membre d’origine de la demande préjudicielle a été désigné pour traiter une affaire,

peut-être parce que l’examen du droit procédural national nécessitait un juriste de l’ordre

8 Voir, notamment, ordonnances du 22 mars 2002, Marseille Fret, C-24/02, Rec. p. I-3383, point 14 ; du

18 mars 2004, Dem’Yanenko, C-45/03, non publiée ; du 31 mars 2004, Georgescu, C-51/03, Rec. p. I-

3203 ; du 10 juin 2004, Warbecq c/ Ryanair, C-555/03, Rec. p. I-6041, points 13-15, et du 20 novembre

2009, Martínez, C-278/09, non encore publiée au Recueil. 9 Par le Protocole du 3 juin 1971 concernant l’interprétation par la Cour de justice de la convention du 29

septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et

commerciale, ainsi que des conventions d’adhésion des 9 octobre 1978, 25 octobre 1982, 26 mai 1989

et 29 novembre 1996 (JO L 204, 1975, p. 28). 10

Arrêt du 21 janvier 2010, MG Probud Gdynia sp. z o.o, C-444/07, non encore publié au Rec. La

demande préjudicielle était parvenue à la Cour le 27 septembre 2007. Voir également l’affaire Donath

(C-387/04), qui s’est terminée par le retrait de la demande après que des éclaircissements eussent été

demandés à la juridiction nationale.

5

juridique concerné11

. Enfin, eu égard aux difficultés propres à certaines affaires, une

interprétation large de la notion de juridiction statuant en dernier instance a été défendue alors

que, en général, la Cour a une appréciation plutôt stricte de ses compétences12

.

Outre ne pas permettre un développement rapide de la jurisprudence dans les matières visées,

pour la plupart nouvelles, l’article 68 du TCE a eu l’effet paradoxal de freiner le

développement de la jurisprudence relative au règlement n° 44/200113

, successeur de la

convention de Bruxelles, puisqu’il restreignait les possibilités de saisir la Cour par rapport à la

convention de Bruxelles.

La disparition de l’article 68 aura également pour effet, de même que, après la période

transitoire, celle de l’article 35 du TUE, une augmentation du nombre de questions

préjudicielles et de procédures préjudicielles d’urgence14

.

c) le droit transitoire

Le 20 novembre 2009, soit 10 jours avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour a

adopté une ordonnance d’incompétence dans l’une des dernières affaires pendantes

introduites sur la base de cette disposition par une juridiction dont les décisions ne sont pas

susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne. À la suite de cette ordonnance, la

juridiction nationale a adopté une nouvelle décision de renvoi et a reposé ses questions à la

Cour15

.

11

Voir les conclusions de M. l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer sous l’arrêt du 25 juin 2009, Roda

Golf & Beach Resort SL, C-14/08, Rec. p. I-5439, points 28 et 29. 12

Voir les conclusions de Mme

l’avocat général Kokott sous l’ordonnance de radiation du 27 septembre

2007, Tedesco, C-175/06, Rec. p. I-7929. La question portait sur le règlement (CE) n° 1206/2001 du

Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine

de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale, JO L 174, p. 1. Mme

l’avocat général a

relevé que la limitation du droit de saisine à des juridictions statuant en dernière instance se révélait

problématique précisément dans le contexte de ce règlement, dès lors que la constatation des faits est

typiquement la mission des juridictions inférieures et non des juridictions de dernière instance. La

juridiction nationale a retiré la question préjudicielle et l’affaire a été radiée sans que la Cour ait eu à se

prononcer. La même question se pose à nouveau dans l’affaire Weryński, C-283/09. 13

Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la

reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1). 14

Plus particulièrement en matière d’asile et d’immigration et de mesures provisoires relatives aux enfants

[règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la

reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité

parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1)]. 15

Ordonnance du 20 novembre 2009, Martínez, C-278/09, Rec. p. I-11099 ; affaire Martínez, C-161/10,

pendante.

6

Dans l’affaire Werynski16

, une question relative au règlement sur l’obtention des preuves en

matière civile et commerciale avait été posée par une juridiction polonaise. La Commission

faisait valoir l’incompétence de la Cour au motif que la question était posée par une

juridiction qui n’était pas une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles

d’un recours juridictionnel de droit interne et que la décision de renvoi était arrivée à la Cour

avant le 1er

décembre 2009. L’avocat général soutenait que la Cour devait se déclarer

compétente17

. C’est ce que fait la Cour, fondant sa décision sur l’objectif poursuivi par

l’article 267 TFUE de fonder une coopération efficace entre la Cour et les juridictions

nationales et le principe de l’économie de procédure, relevant qu’un rejet pour irrecevabilité

aurait pour conséquence la présentation d’une nouvelle demande par la juridiction nationale,

« ce qui produirait un excès de formalités procédurales et un allongement inutile de la durée

de la procédure dans l’affaire au principal ». Relevons que la Cour ne se prononce pas sur le

principe de l’application immédiate des lois de procédure18

, évoqué par Mme Kokott..

3. L’avis 1/09

L’avis 1/09 du 8 mars 2011 (assemblée plénière) apporte un éclairage nouveau sur le système

juridictionnel de l’Union et le rôle du renvoi préjudiciel au sein de ce système. La Cour était

consultée sur le projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet

communautaire. Ce projet d’accord prévoyait une juridiction comprenant des divisions locales

et régionales. Un tribunal régional composé, éventuellement, pour partie de juges d’États tiers

avait la possibilité d’interroger la Cour. La Cour estime qu’un tel système est contraire au

traité.

En synthèse, le raisonnement de la Cour est le suivant :

1) le système juridictionnel de l’Union est décrit à l’article 19, paragraphe 1, du TUE (points

66, 70 et 71 de l’avis) ; il comprend la Cour de justice de l’UE et les juridictions nationales ; il

16

Arrêt du 17 février 2011, Werynski, C-283/09. 17

Dans ses conclusions du 2 septembre 2010, Weryński, C-283/09, Mme

l’avocat général Kokott soutient

que la Cour doit se déclarer compétente pour statuer sur une demande formulée par une juridiction

d’instance avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Elle invoque le principe de l’application

immédiate des règles de procédure, l’esprit et la finalité de la limitation initiale du droit de saisine à titre

préjudiciel à l’article 68 CE, l’excès de formalités procédurales et l’allongement inutile de la durée de la

procédure dans l’affaire au principal si la Cour se déclarait incompétente et si la juridiction nationale

devait envoyer une nouvelle fois la demande. 18

Àsupposer que des lois de compétence soient à considérer comme des lois de procédure.

7

est par ailleurs constitué par un ensemble complet de voies de recours et de procédures destiné

à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions (point 70) ;

2) le mécanisme préjudiciel est le lien entre les juridictions nationales et la Cour de justice; il

est essentiel à la cohérence, à l’interprétation et à l’application uniforme du droit de l’Union

(points 83, 84) ;

3) donner à des juridictions internationales la compétence pour interpréter du droit matériel de

l’Union revient à priver les juridictions nationales de la compétence qui leur est reconnue par

le traité « de mise en œuvre du droit de l’Union, en tant que juges de ‘droit commun’ de

l’ordre juridique de l’Union » (point 80) et de la faculté/obligation prévue à l’article 267

TFUE ;

4) cela porte atteinte au mécanisme préjudiciel car cela prive la Cour de sa compétence pour

répondre aux questions préjudicielles; en effet, même si la juridiction des brevets peut

interroger la Cour, elle n’y est pas tenue de la même manière qu’une juridiction nationale

(possibilité d’action en responsabilité de l’État, de recours en manquement) ;

Conclusion : l’accord envisagé dénaturerait les compétences que les traités confèrent aux

institutions de l’Union et aux États membres.

Ce raisonnement réaffirme le lien entre le renvoi préjudiciel et la protection juridictionnelle

effective des particuliers.

4. Les conditions de la compétence de la Cour selon l’article 267 du TFUE

Les conditions habituellement citées sont au nombre de quatre. Il faut, premièrement, que la

question soit posée par une juridiction au sens de l’article 267 du TFUE, deuxièmement, que

la demande d’interprétation ou d’appréciation de validité porte sur le droit de l’Union, pour

autant qu’il soit applicable aux faits du litige, troisièmement, que la réponse à la question soit

nécessaire pour la juridiction et, quatrièmement, que la question soit posée dans le cadre d’un

litige. À ces conditions s’ajoutent diverses définitions et précisions.

a) la notion de juridiction « d’un État membre »

Après l’avis 1/09, une autre affaire importante, pendante à l’heure actuelle, est l’affaire Miles

e.a. (C-169/09). Une question préjudicielle a été posée par la Chambre de recours des Ecoles

européennes. Cette juridiction est instituée par une convention à laquelle sont parties les États

8

membres et la Communauté. Le litige porte sur le paiement d’un complément de

rémunération au profit des professeurs britanniques, afin de compenser la perte de pouvoir

d’achat résultant de la dépréciation de la livre sterling par rapport à l’euro. Le principe

d’égalité de traitement est sous-jacent dans les questions. La première question porte

cependant sur la possibilité, pour la chambre de recours, d’interroger la Cour. Dans ses

conclusions prononcées le 16 décembre 2010, l’avocat général Sharpston soutient que la Cour

devrait se déclarer compétente pour répondre aux questions posées. Selon nous, aborder le

problème sous le même angle que celui utilisé dans l’avis 1/09 reviendrait à se demander si

les États membres et la Communauté sont en droit de créer une juridiction en dehors du

système juridictionnel prévu par l’article 19, paragraphe 1, du TUE sans lui imposer le

mécanisme préjudiciel. Toutefois, même dans le cas d’une réponse négative, la Cour resterait

face au choix de combler une lacune de la convention, en accueillant les questions, ou

d’interpréter la convention strictement, avec le risque que la Chambre de recours, électron

libre, interprète ou apprécie la validité du droit de l’Union de manière indépendante.

b) la notion de « droit de l’Union » et la charte des droits fondamentaux

Selon une jurisprudence bien établie, la Cour de justice se reconnaît compétente pour

interpréter les principes généraux du droit communautaire et les droits fondamentaux lorsque

les faits du litige au principal relèvent du champ d’application du droit communautaire19

.

Cette jurisprudence n’est pas modifiée par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui

prévoit que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a la même valeur

juridique que les traités20

. En effet, l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte

prévoit que les dispositions de cette dernière s’adressent aux institutions, organes et

organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres

uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union21

.

19

Voir, par exemple, les arrêts du 29 mai 1997, Kremzow c/ Republik Österreich, C-299/95, Rec. p.

I-2629, points 16, 19 et dispositif (incompétence de la Cour), et du 18 décembre 1997, Annibaldi, C-

309/96, Rec. p. I-7493 (incompétence de la Cour). 20

Article 6, paragraphe 1, du TUE, tel que modifié par le traité de Lisbonne. Il s’agit de la charte telle

qu’adaptée le 12 décembre 2007 (JO C 83 du 30 mars 2010 ; explications relatives à la charte, JO C 303

du 14 décembre 2007, p. 17). 21

La question de la différence entre « mettre en œuvre le droit de l’Union », expression utilisée à dessein

par les rédacteurs de la charte de 2007, et « dans le champ d’application du droit de l’Union » est posée

dans l’affaire N.S., C-411/10, pendante.

9

Les questions préjudicielles relatives à la charte amèneront la Cour à interpréter également le

Protocole n° 30 sur l’application de la charte à la Pologne et au Royaume-Uni22

. Ce document

prévoit notamment que la charte n’étend pas la faculté de la Cour de justice d’estimer que les

lois, règlements ou dispositions, pratiques ou actions administratives de la Pologne ou du

Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux

qu’elle réaffirme23

.

c) l’applicabilité du droit de l’Union aux faits du litige au principal

Les adhésions de 2004 et 2007 ont permis à la Cour de développer sa jurisprudence sur

l’applicabilité des normes dont l’interprétation est demandée aux faits du litige au principal24

.

À plusieurs reprises, en effet, la Cour s’est déclarée incompétente pour répondre à des

questions relatives à des dispositions qui n’avaient pas d’effet contraignant à la date des faits

au principal25

, au motif que les faits du litige s’étaient déroulés avant l’adhésion du nouvel

État membre, confirmant ainsi sa jurisprudence relativement récente Andersson et Ynos,

également relative à des dates d’adhésion. On peut rapprocher cette jurisprudence de

l’ordonnance adoptée dans l’affaire VIS Farmaceutici, dans laquelle la question portait sur un

règlement concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les

médicaments alors que le certificat en cause dans le litige avait été délivré avant l’entrée en

vigueur dudit règlement, ainsi que de l’ordonnance adoptée dans l’affaire Condominio

Facchinei Orsini, dans laquelle la question portait sur l’interprétation d’une directive sur les

clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, prévoyant son application

aux contrats conclus après la date de sa transposition, alors que le contrat en cause dans le

litige avait été reconduit avant cette date26

.

22

Protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la

Pologne et au Royaume-Uni (JO du 30.3.2010, C 83, p. 313). 23

Voir à cet égard J.-C. Piris, The Lisbon Treaty, A Legal and Political Analysis, Cambridge University

Press 2010, pp. 160-163. Une première question a été posée à cet égard dans l’affaire pendante

C-411/10, N.S., dont l’audience aura vraisemblablement lieu en juin 2011. 24

Voir à cet égard notre ouvrage, précité, pp. 176-179. 25

Voir, notamment, les ordonnances du 9 février 2006, Lakép, C-261/05, Rec. p. I-20* ; du 25 janvier

2007, Koval’ski,C-302/06, Rec. p. I-11*, et du 6 mars 2007, Ceramika Paradyz, C-168/06, Rec. p. I-

29*, l’arrêt du 14 juin 2007, Telefónica O2 Czech Republic, C-64/06, Rec. p. I-4887, point 21 et

l’ordonnance du 17 septembre 2009, Pannon GSM Távközlési, C-143/09, non publiée. 26

Arrêts du 15 juin 1999, Andersson et Wåkerås Andersson, C-321/97, Rec. p. I-3551 ; du 10 janvier

2006, Ynos c/ Varga, C-302/04, Rec. p. I-37 ; ordonnances du 26 avril 2002, VIS Farmaceutici,

C-454/00, non publiée au Rec., et du 2 mai 2002, Condominio Facchinei Orsini, C-129/01, non publiée

au Rec.

10

Ce n’est pas seulement un problème de nécessité ou de pertinence de la question. Dans

l’ensemble de ces affaires, en effet, l’interprétation du droit de l’Union était estimée

nécessaire par la juridiction nationale, dès lors que la loi nationale applicable transposant le

droit de l’Union avait été adoptée en vue de l’adhésion ou afin de mettre en œuvre une

directive. Les questions étaient par ailleurs pertinentes car la réponse aurait éclairé le juge

quant à la décision à adopter dans le litige.

Cette jurisprudence doit être rapprochée de celle relative à l’incompétence de la Cour lorsque

tous les faits du litige au principal se situent dans un seul État membre (situation « purement

interne »)27

. En effet, la Cour se déclare incompétente pour interpréter le droit de l’Union

lorsque celui-ci n’est pas applicable ratione loci, ratione temporis, mais également ratione

materiae28

.

À la différence de l’inapplicabilité ratione loci et de l’inapplicabilité ratione temporis,

l’incompétence de la Cour en raison de l’inapplicabilité ratione materiae du droit de l’Union

n’est pas fondée sur l’absence de caractère contraignant du droit de l’Union, – et donc de

l’arrêt de la Cour relatif à son interprétation –, mais plutôt sur le défaut de pertinence de la

question.

d) le défaut de pertinence de la question

Le problème de la pertinence de la question préjudicielle posée par une juridiction nationale

est celui de la limite à tracer entre la compétence de la Cour de justice et celle des juridictions

nationales. L’article 267 TFUE ne donne en effet compétence à la Cour que lorsque sa

réponse est nécessaire pour permettre à la juridiction nationale de rendre son jugement. Or, si

une question n’est pas pertinente au regard des faits du litige au principal, la réponse n’est pas

nécessaire. Dès lors que de nombreuses parties ou États membres tentent d’éviter un arrêt de

la Cour qui serait préjudiciable à leurs intérêts, le défaut de pertinence de la question est

invoqué dans un grand nombre d’affaires.

L’examen de la pertinence d’une question peut amener à dire, au stade de la vérification de la

compétence, ce qui relève du fond, notamment lorsque la question porte sur le champ

27

Voir, par exemple, l’ordonnance du 19 juin 2008, Kurt, C-104/08, Rec. p. I-97*. 28

Les libertés du traité ne sont pas applicables à une situation purement interne.

11

d’application d’une disposition. Ainsi la Cour peut, dans le cadre du contrôle de sa

compétence, examiner si l’interprétation de la notion d’aide étatique est pertinente pour

répondre à une question alors que la demande préjudicielle porte précisément sur la question

de savoir si une mesure nationale déterminée constitue une aide29

. Dans un certain nombre

d’arrêts, la Cour répond aux arguments, à juste titre selon nous, qu'il s'agit d'un problème de

fond, qui ne saurait avoir une incidence sur la recevabilité de la question30

.

Répondre à cette exception d’incompétence impose à la Cour d’enquêter sur les faits31, la

réglementation nationale32 ou la nature de la procédure33, de demander des éclaircissements à

la juridiction nationale34 ou encore d’interroger ceux-là mêmes qui invoquent l’exception35

,

avec les risques que cela comporte.

La jurisprudence de la Cour n’est pas uniforme. La Cour utilise actuellement une présomption

de pertinence de la question. Dans certains cas, pour justifier le fait qu’elle répond aux

questions, elle formule elle-même des hypothèses36

ou utilise la jurisprudence Guimont37

,

selon laquelle « une telle réponse peut être utile à la juridiction de renvoi dans l'hypothèse où

son droit national imposerait de faire bénéficier un ressortissant [national] des mêmes droits

que ceux qu'un ressortissant d'un autre État membre tirerait du droit communautaire dans la

même situation » ou encore, pour répondre à une question posée dans le cadre d’une action en

cessation, la jurisprudence Inter-environnement Wallonie38

, selon laquelle, pendant le délai de

transposition d'une directive, les États membres destinataires de celle-ci doivent s'abstenir de

prendre des dispositions de nature à compromettre la réalisation du résultat prescrit par cette

directive.

29

Voir, par exemple, le raisonnement figurant aux points 43 à 47 de l’arrêt du 1er

octobre 2009,

Woningstichting Sint Servatius, C-567/07, Rec. p. I-9021. 30

Arrêts du 28 juin 2007, Albert Reiss, C-466/03, Rec. p. I-5357, points 33-36; du 10 septembre 2009,

Severi, C-446/07, Rec. p. I-8041, points 56-57; du 27 octobre 2009, ČEZ, C-115/08, Rec. p. I-10265,

points 66-67. 31 Arrêt du 2 avril 2009, Pedro IV Servicios, C-260/07, Rec. p. I-2437, point 38. 32 Voir l’arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak, C-314/08, Rec. p. I-11049, points 27-46. Le gouvernement

polonais soutenait que la réponse à la question n’était pas nécessaire en raison du prononcé d’un arrêt

de la Cour constitutionnelle polonaise déclarant les dispositions nationales litigieuses contraires à la

Constitution. 33 Ordonnance du 12 février 2009, Bild Digital, C-39/08 et C-43/08, non publiée, points 20-25. 34 Arrêt du 11 mars 2010, Attanasio Group, C-384/08, non encore publié au Rec., points 22-30. 35

Arrêt du 1er

octobre 2009, Gottwald, C-103/08, Rec. p. I-9117, points 13-21. 36

Voir l’arrêt Attanasio Group, précité, points 22-24. 37

Arrêts du 5 décembre 2000, Guimont C-448/98, Rec. p. I-10663, point 23 ; du 3l janvier 2008, Centro

Europa 7, C-380/05, Rec. p. I-349, point 69. 38

Arrêt du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea, C-261/07 et C-299/07, Rec. p. I-2949, points 29-41 ;

arrêt de la Cour du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie, C-129/96, Rec. p. I-7411.

12

e) la nécessité de la question

Si, le plus souvent, c’est le défaut de pertinence de la question qui est soulevé, il y a des

hypothèses dans lesquelles la réponse à une question peut être considérée comme inutile,

même si elle est pertinente. Ainsi, dans l’affaire Gouvernement de la Communauté

française39

, le gouvernement flamand contestait l’utilité de la question au motif, notamment,

que la Cour d’arbitrage aurait déjà répondu elle-même à la question dans sa décision de

renvoi.

C’est à ce niveau de la nécessité de la réponse à la question qu’apparaissent certains thèmes

actuels, notamment celui de l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des

droits de l’homme et celui des relations entre la Cour de justice et les cours constitutionnelles

des États membres.

S’agissant des discussions relatives à l’adhésion, la question essentielle qui se pose, à ce

stade, est celle de savoir comment éviter que l’Union européenne soit attraite devant la Cour

européenne des droits de l’homme pour violation des droits fondamentaux alors que la Cour

de justice n’aurait jamais eu l’occasion de se prononcer sur la validité ou, éventuellement,

l’interprétation de la disposition contestée du droit de l’Union40

. Or, pour que la Cour puisse

se prononcer sur la validité d’une disposition contestée, encore faut-il qu’une question soit

posée et que la réponse reste nécessaire pour la juridiction de renvoi.

Saisie, par la Cour de cassation française, d’une demande d’interprétation de l’article 267 du

TFUE afin de savoir si cette disposition s’oppose à une procédure incidente de contrôle de

constitutionalité des lois nationales telle que celle organisée par les articles 23-2, alinéa 2, de

l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 créés par la loi organique n° 2009-1523 du 10

décembre 2009 (« question prioritaire de constitutionnalité »), la Cour a interrogé les

39

Arrêt du 1er

avril 2008, Gouvernement de la Communauté française, C-212/06, Rec. p. I-1683, point 27. 40

Voir notamment l’exposé de M. le juge Ch. Timmermans lors de son audition, le 18 mars 2010, devant

la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, disponible sur le site de

Parlement européen, de même que les textes des autres intervenants. Voir également le Document de

réflexion de la Cour de justice de l'Union européenne sur certains aspects de l'adhésion de l'Union

européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales, du 5 mai 2010, disponible sur le site de la Cour

http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2010-05/convention_fr_2010-05-21_12-10-

16_11.pdf (accédé 15.9.2010).

13

intervenants à l’audience sur les conséquences d’une déclaration d’invalidité, par le Conseil

constitutionnel, d’une loi nationale transposant une directive avant que la Cour ait pu se

prononcer sur la validité de la disposition de l’Union. Il ressortait des réponses des

intervenants qu’une déclaration d’invalidité de la loi nationale pourrait faire perdre tout objet

au litige et, dès lors, rendre la réponse à la question non nécessaire.

La Cour a tenu compte de ces éléments dans son arrêt Melki et Abdeli du 22 juin 201041

.

Dans un développement obiter dictum, la Cour expose la nécessité, pour elle, de pouvoir

statuer sur la validité de l’acte de l’Union et souligne l’obligation, pour les juridictions dont

les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours de droit interne, de poser une question

préjudicielle avant que puisse s’effectuer, par rapport aux mêmes motifs que ceux mettant en

cause la validité d’une directive de l’Union, le contrôle incident de constitutionnalité d’une loi

dont le contenu se limite à transposer les dispositions impératives de cette directive. La Cour

considère que, s’agissant d’une loi nationale de transposition du contenu d’une directive, la

question de savoir si la directive est valide revêt un caractère préalable.

5. Les droits et les obligations des juridictions nationales

Les droits et obligations des juridictions nationales prévus par l’article 267 du TFUE sont les

mêmes que ceux qui étaient prévus par l’article 234 du TCE et, auparavant, par l’article 177

du traité CEE.

Selon l’article 267, deuxième alinéa, du TFUE, lorsqu’une question d’interprétation ou

d’appréciation de validité du droit de l’Union est soulevée devant une juridiction d’un des

États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire

pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. La jurisprudence

Foto-Frost42

constitue une exception à cette pure faculté en ce qu’elle impose aux juridictions

nationales de formuler une demande préjudicielle en appréciation de validité, plutôt que de

constater elles-mêmes l’invalidité d’un acte de l’Union.

41

Arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, non encore publié au Recueil, points 55

et 56. 42

Arrêt du 22 octobre 1987, Foto Frost / Hauptzollamt Lübeck Ost, 314/85, Rec. p. 4199

14

L’article 267, troisième alinéa, du TFUE prévoit, en revanche, que lorsqu’une telle question

est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne

sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de

saisir la Cour. La jurisprudence CILFIT43

prévoit trois exceptions à cette obligation : lorsque

la question n'est pas pertinente, lorsqu’elle est matériellement identique à une question ayant

déjà fait l'objet d'une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue ou que le point de

droit en cause a été résolu par une jurisprudence établie de la Cour, et lorsque l'application

correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à

aucun doute raisonnable. La violation de l’obligation de poser une question préjudicielle

pourrait donner lieu, notamment, à un recours en manquement44

ou à un recours d’un

particulier pour responsabilité de l’État45

.

Dans l’avis 1/09, la Cour a tenu compte de l’existence des sanctions lorsqu’elle a souligné

l’importance du mécanisme préjudiciel dans le système juridictionnel de l’Union en

considérant qu’un accord « attribuant compétence exclusive pour connaître un important

nombre d’actions intentées par des particuliers […] ainsi que pour interpréter et appliquer le

droit de l’Union à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel

et juridictionnel de l’Union priverait les juridictions des États membres de leurs compétences

concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union ainsi que la Cour de la sienne

pour répondre, à titre préjudiciel, aux questions posées par lesdites juridictions et, de ce fait,

dénaturerait les compétences que les traités confèrent aux institutions de l’Union et aux États

membres qui sont essentielles à la préservation de la nature même du droit de l’Union ».

a) le droit de poser une question

Alors que l’article 267, deuxième alinéa, du TFUE (ou plutôt, son prédécesseur, l’article 234

du TCE) ne prêtait pas à discussion depuis de nombreuses années, plusieurs questions ont

récemment été posées à la Cour à ce sujet.

43

Arrêt du 6 octobre 1982, CILFIT / Ministero della Sanità, 283/81, Rec. p. 3415, points 10 et 11. 44

Arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie, C-129/00, Rec. p. I-4637. 45

Arrêt du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I-10239.

15

Dans l’affaire Cartesio46

, la Cour a notamment réaffirmé la jurisprudence Rheinmühlen-

Düsseldorf47

, selon laquelle une règle de droit national, liant les juridictions ne statuant pas en

dernière instance à des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, ne saurait

enlever à ces juridictions la faculté de saisir la Cour de justice de questions d’interprétation du

droit communautaire concerné par de telles appréciations en droit. Dans cette affaire, une loi

hongroise était en cause, selon laquelle un appel distinct peut être formé contre une décision

ordonnant un renvoi préjudiciel devant la Cour. Selon cette loi, l’intégralité de l’affaire au

principal reste pendante devant la juridiction dont émane cette décision, la procédure étant

suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour. La juridiction d’appel ainsi saisie a, selon

le droit hongrois, le pouvoir de réformer la décision de renvoi, d’écarter le renvoi préjudiciel

et d’enjoindre au premier juge de poursuivre la procédure de droit interne suspendue. La Cour

a jugé que, dans un tel cas, la compétence autonome de saisir la Cour que l’article [267 du

TFUE] confère au premier juge serait remise en cause si, en réformant la décision ordonnant

le renvoi préjudiciel, en l’écartant et en enjoignant à la juridiction ayant rendu cette décision

de poursuivre la procédure suspendue, la juridiction d’appel pouvait empêcher la juridiction

de renvoi d’exercer la faculté de saisir la Cour qui lui est conférée par le traité.

Dans l’affaire Melki et Abdeli, dont il a déjà été question ci-dessus, la question portait sur le

droit d’interroger la Cour malgré la loi française prévoyant la question prioritaire de

constitutionnalité. La réglementation en cause était très proche de celle dont il était question

dans l’affaire Mecanarte48

, jugée à l’époque par une chambre à trois juges. Statuant en grande

chambre, la Cour a rappelé la jurisprudence Rheinmühlen-Düsseldorf, Cartesio et Mecanarte,

selon laquelle les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles

considèrent qu’une affaire pendante devant elle soulève des questions comportant une

interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessitant

une décision de leur part49

.

Une question similaire était posée dans une affaire Chartry50

, dans laquelle c’était la loi

spéciale belge du 12 juillet 2009 modifiant l’article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur

46

Arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, Rec. p. I-9641, spécialement points 88 à 98. 47

Arrêt du 16 janvier 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, 166-73, Rec. p. 33, point 4. L’arrêt Cartesio a

donné une nouvelle vie à cette jurisprudence qui, sauf erreur de notre part, n’avait été citée que dans

quatre arrêts prononcés en 1974, 1991, 2000 et 2008. 48

Arrêt du 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89, Rec. p. I-3277. 49

Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 41. 50

Affaire Chartry, C-457/09.

16

la Cour d’arbitrage qui était en cause. Cette affaire a été réglée par une ordonnance du 1er

mars 2011 reprenant les principes rappelés dans l’arrêt Melki et Abdeli..

La jurisprudence Rheinmühlen-Düsseldorf a été remise en cause par M. l’avocat général Cruz

Villalón dans une affaire Elchinov51

. La Cour était interrogée par une juridiction bulgare sur

l’obligation, pour une juridiction, de se conformer aux indications contraignantes données par

l’instance juridictionnelle supérieure, alors qu’il y a des raisons de supposer que ces

indications sont contraires au droit communautaire. Dans ses conclusions, M. Cruz Villalón

considère que la jurisprudence Rheinmühlen-Düsseldorf était liée à des circonstances

procédurales et historiques différentes de celles du cas présent. Il invoque notamment la

responsabilisation plus grande des juridictions suprêmes des États membres52

, le fait que les

cours constitutionnelles de plusieurs États membres interrogent elles-mêmes la Cour de

justice53

, le principe de sécurité juridique développé par la Cour dans sa jurisprudence et,

enfin, l’augmentation de la charge de travail de la Cour (augmentation du nombre de

questions préjudicielles, création des procédures préjudicielles d’urgence).

De tels développements relatifs à la charge de travail rappellent les discussions des années

quatre-vingt dix et, plus particulièrement, les conclusions de M. l’avocat général Jacobs dans

l’affaire Wiener54

.

La Cour ne suivra pas son avocat général mais confirmera la jurisprudence Rheinmühlen-

Düsseldorf, Cartesio et Mecanarte55

. Il n’empêche que ces conclusions font prendre

conscience de la modification du paysage juridictionnel, notamment en ce qui concerne les

relations entre la Cour de justice et les juridictions suprêmes des États membres.

b) l’obligation, pour les juridictions suprêmes, de poser une question

Certaines cours constitutionnelles ont, sans difficulté, interrogé la Cour conformément à

l’article 267, troisième alinéa, du TFUE. Il en est ainsi de la Cour constitutionnelle belge, qui

51

Conclusions du 10 juin 2010, Elchinov, C-173/09, non encore publiées au Recueil. 52

Notamment par les arrêts Köbler et Commission/Italie, précités. 53

Voir ci-après. 54

Arrêt du 20 novembre 1997, Wiener SI, C-338/95, Rec. p. I-6495. La question portait sur le classement

tarifaire des chemises de nuit alors que la Cour avait déjà répondu à une question similaire sur le

classement tarifaire des pyjamas. L’avocat général Jacobs défendait l’idée d’une démarche

d’autolimitation de la part des juridictions nationales. 55

Arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, non encore publié au Recueil.

17

a, à plusieurs reprises, posé des questions dans le cadre de recours directs56

et l’a fait dans le

cadre d'un recours où elle est elle-même saisie à titre préjudiciel57

. Le Verfassungsgerichtshof

autrichien58

et la Konstitucinis teismas (Cour constitutionnelle) de Lituanie59

ont également

posé des questions préjudicielles. Les juridictions constitutionnelles allemande et italienne

semblaient rebelles à l'idée de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice.

Cependant, la Corte costituzionale italienne a récemment modifié sa jurisprudence selon

laquelle elle ne se considérait pas comme une juridiction nationale au sens de l'article 267 du

TFUE60

, et a posé une question à la Cour par l'ordonnance n° 103 de 200861

. Quant au

Bunderverfassungsgericht, il ressort de sa décision du 2 mars 201062

relative à la conservation

des données téléphoniques qu'il ne semble pas exclure de poser une question préjudicielle si la

validité d'une directive est en cause.

6. L’adhésion à la CEDH

Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, l’un des soucis de la Cour dans le cadre de l’adhésion de

l’Union européenne à la CEDH est que l’Union pourrait être attraite devant la Cour

européenne des droits de l’homme alors que la Cour de justice n’aurait pas eu l’occasion de se

prononcer sur la validité ou l’interprétation de la disposition contestée du droit de l’Union63

.

La Cour précise, dans son document de réflexion, que « l’enjeu […] est l’aménagement du

système juridictionnel de l’Union de telle manière que, lorsqu’un acte de l’Union est mis en

56

Voir notamment les arrêts du 16 juillet 1998, Fédération belge des chambres syndicales de médecins, C-

93/97, Rec. p. I-4837; du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld, C-303/05, Rec. p. I-3633 ; du 26 juin

2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, Rec. p. I-5305, et du 1er

avril

2008, Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon, C-212/06, Rec. p. I-1683. 57

Arrêt du 21 octobre 2010, C-306/09, I.B. contre Conseil des ministres, non encore publié au Recueil. La

question est posée par arrêt 128/2009 de la Cour constitutionnelle du 24 juillet 2009. 58

Arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C-

143/99, Rec. p. I-8365 ; du 8 mai 2003, Wählergruppe Gemeinsam, C-171/01, Rec. p. I-4301, et du 20

mai 2003, Österreichischer Rundfunk e.a., C-465/00, C-138/01 et C-139/01, Rec. p. I-4989. 59

Arrêt du 9 octobre 2008, Sabatauskas e.a., C-239/07, Rec. p. I-7523. 60

Corte costituzionale, ordonnance n° 536, des 15-29 décembre 1995, Messaggero Servizi srl ed altri /

Ufficio del Registro di Padova, Il Foro Italiano, 1996 I, p. 783; résumé en français: Cahiers de droit

européen 2000 p.460-462. 61

La nécessité de la question résulte de l’ordonnance n° 102 de 2008. La demande a donné lieu à l’arrêt

du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri, C-169/08, Rec. p. I-10821. 62

Arrêt du 2 mars 2010, 1 BvR 256/08, 1 BvR 263/08, 1 BvR 586/08, disponible sur le site du BverfG.

Selon la juridiction, ce n’est pas la directive qui est contraire aux droits fondamentaux, mais la loi

allemande qui la transpose. Il n'y avait dès lors pas lieu à question préjudicielle. 63

Voir le document de réflexion de la Cour, point 9.

18

cause, ce soit une juridiction de l’Union64

qui puisse être saisie afin d’effectuer un contrôle

interne avant que le contrôle externe n’intervienne ».

Parmi les options envisagées par M. Timmermans lors de son audition au Parlement européen

figuraient la possibilité de définir l’épuisement des voies de recours au sens de l’article 35 de

la CEDH en ce sens qu’une plainte devant la Cour de Strasbourg serait seulement possible

après que la Cour de Luxembourg ait pu se prononcer par voie préjudicielle ainsi que la

possibilité, pour la Cour de Strasbourg, de déclarer une plainte irrecevable à cause du non

épuisement des voies de recours dans un cas dans lequel elle estime que le juge national aurait

dû adresser une demande préjudicielle à la Cour de Luxembourg.

L’une et l’autre options ont des inconvénients. Le plus important est que c’est le particulier

qui initie la procédure à Strasbourg par le dépôt d’une plainte, tandis que c’est la juridiction

nationale qui a la maîtrise du renvoi préjudiciel dans l’esprit du dialogue de juge à juge. Il

serait dès lors difficile de faire subir au particulier les conséquences négatives du refus de

poser une question préjudicielle par la juridiction nationale. D’un autre côté, une appréciation,

par la Cour de Strasbourg, de la nécessité d’une question préjudicielle imposerait à cette

juridiction d’analyser la décision nationale au regard des critères de la jurisprudence CILFIT,

ce qui ne serait pas aisé, et risquerait « de toucher au cœur même du mécanisme préjudiciel,

‘clé de voûte’ du droit de l’Union, dont il appartient par nature à la Cour de Luxembourg de

déterminer les principes »65

.

Ces options ont été écartées au cours des discussions. Lors d’une visite d’une délégation de la

Cour EDH à la Cour de justice, le 17 janvier 2011, les présidents des deux juridictions, MM.

Costa et Skouris, ont publié une communication commune d’où il ressort que « le renvoi

64

Selon nous, cette expression n’est pas heureuse, En effet, si un juge national décide de ne pas poser une

question préjudicielle, c’est non seulement en tant que juridiction d’un État membre qu’il statue, mais

également en tant que juridiction de droit commun de l’Union européenne. En application de la

jurisprudence Foto-Frost, la Cour de justice se réserve l’exclusivité de la déclaration d’invalidité, mais

elle n’a pas remis en cause le droit des juridictions nationales d’examiner la validité d’un acte de

l’Union, et, si elles n’estiment pas fondés les moyens d’invalidité que les parties invoquent devant elles,

de rejeter ces moyens en concluant que l’acte est pleinement valide. Quant aux juridictions dont les

décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, la jurisprudence leur

reconnaît la possibilité de ne pas poser une question préjudicielle lorsque les conditions de l’arrêt

CILFIT sont réunies. L’épuisement des voies de recours dans un État membre sans qu’une question

préjudicielle ait été posée voudra dire que la juridiction de dernière instance a apprécié la situation et

considéré que les critères de l’arrêt CILFIT étaient satisfaits. S’il est considéré que le juge national est

un juge de l’Union, il faut en conclure qu’un contrôle interne aura été effectué, même si ce n’est pas

celui de la Cour de justice, avant que le contrôle externe soit demandé auprès de la Cour de Strasbourg. 65

Déclaration de M. le juge Timmermans précitée, point 8, sous b).

19

préjudiciel n’est normalement pas une voie de recours à épuiser par le requérant avant de

saisir la Cour EDH », puisque cette procédure ne peut être déclenchée que par les juridictions.

Une autre solution décrite par M. Timmermans était la création d’un mécanisme procédural

permettant à la Cour de justice de statuer sur la validité d’une norme du droit de l’Union avant

que la Cour de Strasbourg ne statue66

. C’est vers cette solution que l’on s’oriente

actuellement, ainsi que cela ressort des derniers documents disponibles67

. Le texte du projet

d’accord prévoit que la Cour « doit avoir l’opportunité, si elle ne l’a pas encore fait, de statuer

sur la [validité/conformité] de l’acte de l’Union européenne [si la question de la

validité/conformité a été soulevée par le requérant] à l’égard des droits fondamentaux

indiqués dans la notification de la requête aux parties ». La Cour devrait statuer rapidement et

la procédure de la Cour EDH devrait tenir compte du processus devant la Cour de justice.

La Cour aurait ainsi la possibilité de statuer, éventuellement par procédure accélérée,

« uniquement sur demande, vraisemblablement de la Commission et/ou du défendeur

originaire »68

. Le rapport explicatif indique que tous les participants aux procédures devant la

Cour EDH, et notamment les défendeurs et le requérant, devraient avoir le droit de formuler

des observations dans le cadre de la procédure devant la Cour de justice.

Le projet d’accord prévoit également un mécanisme de codéfendeur lorsque la violation

alléguée de la CEDH « semble avoir un lien matériel avec des actes ou mesures de l’Union

européenne ». L’objectif est, notamment, de permettre à l’Union d’être présente devant la

Cour EDH lorsque la requête n’a été dirigée que contre un ou plusieurs États membres. Le

projet de rapport explicatif indique qu’il est entendu que la Cour EDH « devrait rester libre de

développer sa pratique judiciaire en ce qui concerne l’allocation de la responsabilité entre les

défendeurs ». C’est donc à la Cour EDH, sans consultation de la Cour de justice, que

reviendrait la tâche de délimiter le champ d’application du droit de l’Union et les

compétences respectives de l’Union et des États membres.

66

Déclaration de M. le juge Timmermans précitée, point 9, sous b). Document de réflexion de la Cour,

point 12. 67

Projet d’accord d’adhésion de l’Union Européenne à la CEDH, 6ème réunion du groupe de travail,

documents CDDH-UE(2011)04 et CDDH-UE(2011)05 (projet de rapport explicatif). 68

Projet de rapport explicatif, point 62.

20

7. La jurisprudence TWD Textilwerke Deggendorf

Il résulte de l’arrêt TWD Textilwerke Deggendorf69

, prononcé dans une affaire relative à la

récupération d’une aide déclarée illégale, qu’une juridiction nationale est liée par une décision

de la Commission lorsque, eu égard à l’exécution de cette décision par les autorités

nationales, cette juridiction est saisie par le bénéficiaire des aides, destinataire des mesures

d’exécution, d’un recours à l’appui duquel ce dernier invoque l’illégalité de la décision de la

Commission et lorsque ledit destinataire, bien que l’État membre l’ait informé par écrit de la

décision de la Commission, n’a pas formé de recours en annulation contre cette décision ou ne

l’a pas formé dans les délais impartis. Selon cette jurisprudence fondée sur la nécessité de

préserver la sécurité juridique, celui qui dispose du recours en annulation devant les

juridictions de Luxembourg doit exercer ce recours et ne pas attendre de se trouver devant une

juridiction nationale pour contester, par voie d’exception d’illégalité, la légalité d’un acte de

l’Union. Actuellement, le critère est la recevabilité « sans aucun doute »70

du recours en

annulation qu’aurait pu introduire celui qui conteste la légalité d’une disposition du droit de

l’Union dans le cadre d’une question préjudicielle.

Deux éléments pourraient modifier ou préciser cette jurisprudence: les nouvelles conditions

du recours en annulation et l’évolution du droit de l’Union en matière pénale.

a) la modification des conditions du recours en annulation

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la recevabilité des recours en annulation est

légèrement étendue. Alors qu’il n’existait aucune possibilité, pour une personne physique ou

morale, de former, devant le Tribunal de première instance des CE, un recours en annulation

contre les actes de portée générale, mais que la seule possibilité de recours concernait

essentiellement les décisions individuelles71

, l'article 263, quatrième alinéa in fine, du TFUE

ajoute la possibilité de former un recours contre les actes réglementaires qui concernent

directement le requérant et qui ne comportent pas de mesure d’exécution.

69

Arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C-188/92, Rec. p. I-833. 70

Arrêt du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C-343/07, Rec. p. I-5491, point 40. 71

Selon l’article 230, quatrième alinéa, CE, toute personne physique ou morale peut former […] un

recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous

l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement

et individuellement. La substance de cette disposition est reprise à l’article 263, quatrième alinea,

TFUE.

21

On peut se demander si la jurisprudence TWD Textilwerke Deggendorf pourra également être

étendue afin de couvrir cette hypothèse. On pourrait l’imaginer, mais pour autant que la

personne qui aurait pu introduire le recours en annulation y ait eu intérêt pendant le délai

prévu pour le recours en annulation. Cela ne semble guère possible pour une personne qui ne

subit les effets négatifs d’un règlement que postérieurement au délai de recours72

.

b) le développement du droit de l’Union en matière pénale

Un argument nouveau relatif à la jurisprudence TWD Textilwerke Deggendorf peut être lu

dans la prise de position prononcée par M. l’avocat général Mengozzi dans l’affaire C-550/09

relative au Generalbundesanwalt beim Bundesgerichtshof (Procureur général fédéral auprès

de la Cour suprême fédérale) c. E. et F73

. Ces personnes étaient poursuivies en application

d’une loi allemande prévoyant des sanctions pénales en cas d’infractions à un acte juridique

des Communautés européennes servant à la mise en œuvre d’une mesure de sanction

économique arrêtée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. En l’espèce, il était allégué

que E. et F. faisaient partie du DHKP-C, un groupe terroriste, et avaient récolté des fonds

pour celui-ci. La question de posait de savoir si E. et F. pouvaient invoquer l’illégalité de la

décision inscrivant le DHKP-C sur la liste des entités terroristes auxquelles s’applique le

règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant l’adoption de

mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de

la lutte contre le terrorisme74

.

Outre le fait que ce n’était pas E. et F. dont le nom figurait dans la liste et qu’il n’était pas

certain qu’ils eussent pu introduire un recours au nom du DHKP-C75

, M. l’avocat général

Mengozzi s’est demandé si la forclusion prévue par la jurisprudence TWD Textilwerke

Deggendorf est applicable lorsqu’elle limite les possibilités d’un prévenu de se défendre des

accusations pénales retenues à sa charge, d’autant plus dans un cas où il est excipé de

72

Par exemple, une personne physique qui commence à exercer une activité liée à la pêche ne subit les

effets négatifs d’un règlement relatif à la pêche qu’à partir de ce moment, qui peut être postérieur à

l’expiration du délai de recours contre le règlement. 73

Arrêt du 29 juin 2010, E. et F., C-550/09, non encore publié au Recueil. 74

JO L 344, p. 70. 75

Prise de position, points 88 à 90. Cet argument sera retenu par la Cour pour écarter l’application de la

jurisprudence TWD Textilwerke Deggendorf.

22

l’illégalité d’actes de l’Union qui, par le biais du mécanisme de l’incrimination par renvoi,

concourent à déterminer le contenu de la norme pénale appliquée76

.

Même si la Cour ne fait pas allusion à cet élément de réflexion dans son arrêt, l’évolution du

droit de l’Union n’exclut pas qu’une situation similaire à celle de la procédure pénale contre

E. et F. se présente à nouveau.

8. Les propositions de modifications du statut de la Cour de justice de l’UE

La Cour a soumis au Conseil et au Parlement un projet de modifications du statut77

. Ces

propositions concernent :

- la Cour de justice : création d’une vice président, modification du nombre de juges siégeant

dans la grande chambre, du quorum de la grande chambre, de la composition de la grande

chambre ;

- le Tribunal : augmentation du nombre de juges

- le Tribunal de la fonction publique : création des « juges par intérim ».

Dans la partie relative au Tribunal, la Cour examine l’option de créer une juridiction

spécialisée en matière de propriété intellectuelle, dont les décisions seraient soumises au

contrôle du Tribunal par pourvoi. Pour des raisons de cohérence, il était envisagé de

transférer au Tribunal les questions préjudicielles en matière de marques. La Cour relève

qu’un tel transfert aurait des répercussions négatives sur d’autres matières, telles que le

marché intérieur, ou « les principes applicables au renvoi préjudiciel en tant que tel, matière

délicate se situant à la limite entre les compétences de la Cour et celles des juridictions

nationales, c’est-à-dire entre les compétences de l’UE et celles des États membres ».

9. La refonte du règlement de procédure

Très prochainement, la Cour va communiquer au Conseil un projet de refonte du règlement de

procédure78

.

76

Prise de position précitée, points 85 et 86. 77

Voir document du Conseil 8787/11 du 7 avril 2011, disponible sur le site du Conseil. 78

Àla date du présent Congrès, le document est en cours de traduction.

23

Au contraire du règlement actuel, qui ne contient que quelques articles relatifs au renvoi

préjudiciel, un titre entier du projet de nouveau règlement y sera consacré. L’un des objectifs

est d’intégrer dans le règlement de procédure la jurisprudence et les règles pratiques relatives

au renvoi préjudiciel parfois inconnues des plaideurs, avec pour conséquence des incidents de

procédure devant être réglés par voie d’ordonnance.

On relèvera une définition de la « partie au litige au principal » (celle déterminée comme telle

par la juridiction de renvoi), ce qui se passe lorsqu’une nouvelle partie est admise au litige79

,

la précision que la réponse à une demande d’éclaircissements est signifiée à tous les intéressés

ou le fait qu’il n’est pas possible de demander l’interprétation d’un arrêt préjudiciel autrement

que par un nouveau renvoi préjudiciel80

.

Un article est également consacré à l’anonymat c’est-à-dire l’omission, dans les informations

accessibles au public, du nom d’une ou de plusieurs personnes ou des données permettant de

les identifier. Cette question est particulièrement importante dans les affaires relatives à

l’espace de liberté, sécurité et justice. Àl’heure actuelle, selon les instructions données au

greffe, l’anonymat peut être accordé lorsque la juridiction nationale le demande. Lorsque

l’anonymat n’est pas demandé dans une affaire qui s’y prête (mandat d’arrêt, enfants…), le

greffe prend contact avec la juridiction nationale. Pour être efficace, l’anonymisation doit

intervenir très tôt, avant la publication de la communication au JO (et sur Internet). Pour

attirer l’attention des juridictions nationales sur cette question, une modification de la « Note

informative aux juridictions nationales » vient d’être adoptée par la Cour81

.

10. La procédure accélérée et la procédure préjudicielle d’urgence82

La Cour a maintenant quelques années d’expérience de ces procédures.

79

En espérant éviter des demandes d’intervention formulées directement devant la Cour et déclarées

irrecevables conformément à une jurisprudence constante. 80

Trois ordonnances ont été rendues récemment sur cette question. 81

Dans une affaire où un demandeur d’asile motivait sa demande par son homosexualité, aucun anonymat

n’avait été demandé. Après une tentative de contact avec la juridiction nationale, contact aurait été pris

avec l’avocat du requérant, qui aurait déclaré que l’anonymat n’était pas nécessaire. Après la diffusion

de la communication au JO, la juridiction nationale a retiré la question au motif semble-t-il que, vu les

circonstances, elle n’avait pas d’autre solution que d’octroyer l’asile au requérant. 82

Pour des développements plus complets, nous renvoyons à notre ouvrage C. Naômé, le renvoi

préjudiciel en droit européen, Guide pratique, 2ème

édition, Larcier, juin 2010, 377 pp. ; voir également

C. Naômé, « La procédure accélérée et la procédure préjudicielle d’urgence devant la Cour de justice

des Communautés européennes », Journal de droit européen, 2009, pp. 237-247.

24

Procédures accélérées (extrait du Rapport annuel 2011) :

Procédures préjudicielles d’urgence (extrait du Rapport annuel 2011) :

Un tableau permettra de mieux voir les différences entre ces procédures :

Procédure accélérée PPU

Dispositions

applicables

Article 104 bis du RP Article 104 ter du RP

Domaine d'application Tous Titre V de la 3ème

partie du TFUE,

relatif à l'espace de liberté, de

sécurité et de justice

Condition de mise en

œuvre

Urgence extraordinaire Urgence

Nécessité d'une

demande de la

juridiction nationale

Oui Oui, en principe. Mais possibilité

de soumettre d'office un renvoi à

la PPU.

Décision sur l'urgence Le président de la Cour, sur

proposition du juge rapporteur,

l'avocat général entendu

La chambre désignée (5 juges)

25

Motivation de la

décision sur l'urgence

Oui, pratique adoptée par M. le

président Skouris (ordonnance

motivée)

Non

Formation de jugement Décision de la réunion générale En principe la chambre désignée,

mais possibilité de siéger à 3

juges ou de renvoyer l'affaire à la

réunion générale pour attribution

à une formation plus importante

Procédure écrite Oui - peut être omise (extrême

urgence)

- participation restreinte (parties

au principal, État membre du

renvoi, institutions)

Délai pour observations 15 jours minimum (+ délai de

distance + délai pour le dépôt des

documents originaux)

Pas de délai, mais souhait des

États membres de disposer de 10

jours ouvrables (déclaration du

Conseil)

Dépôt de documents et

notifications

Moyens ordinaires prévus par le

RP

Télécopieur ou moyen technique

de communication

Audience de plaidoiries Oui Oui

Avocat général "L'avocat général entendu" "L'avocat général entendu"

Le gain de temps de la PPU par rapport à la procédure accélérée se situe à plusieurs niveaux :

- au moment de la décision d’octroi ;

- suppression de certaines étapes de traduction grâce à l’absence de procédure écrite

générale ;

- absence de délai prévu au règlement de procédure (et donc absence de délai de

distance car ces délais ne sont pas d’application pour les délais fixés par la Cour) et

technique de dépôt des documents ;

- traitement de l’affaire en principe par la chambre désignée.

La refonte du règlement de procédure contient plusieurs modifications qui affecteront la

procédure accélérée et la procédure préjudicielle d’urgence :

- la suppression des délais de distance (gain de 10 jours dans la procédure accélérée) ;

26

- l’utilisation des mêmes moyens de dépôt des documents dans la procédure accélérée

que dans la PPU (gain de temps pouvant aller jusqu’à 10 jours de transmission de

l’original dans la procédure accélérée) ;

- la possibilité de décider d’office de soumettre une affaire à la procédure accélérée ;

- la possibilité de demander à un État membre autre que l’État de la juridiction de renvoi

d’apporter des précisions par écrit83

;

- la possibilité, pour raison de connexité, d’attribuer une affaire à un juge rapporteur ne

faisant pas partie de la chambre désignée ; la chambre à cinq juges dont il fait partie

fera fonction de chambre désignée pour traiter l’affaire84

.

Si elles sont acceptées, ces modifications permettront un assouplissement bienvenu. Elles ne

résoudront cependant pas tous les problèmes liés à la coexistence des deux procédures,

notamment, le double travail effectué lorsqu’une juridiction nationale demande l’un et/ou

l’autre type de procédure (ex : Pontini e.a., C-375/08). Tout dépendrait également de la

manière dont la Cour utiliserait les nouvelles possibilités à sa disposition. Ainsi, il n’est pas

certain que la Cour, en général plutôt soucieuse de ne pas excéder ses compétences,

accorderait d’office le bénéfice de la procédure accélérée dans un affaire où la juridiction de

renvoi a demandé la PPU, même si l’affaire est d’une importance telle qu’elle justifierait la

possibilité, pour tous les intéressés visés à l’article 23 du statut de déposer des observations

écrites et que l’urgence le permet.

83

Les affaires relatives au mandat d’arrêt ou à la reconnaissance et à l’exécution de décisions impliquent

un ou plusieurs États membres autres que celui d’où provient la demande préjudicielle. La Cour a déjà

utilisé la possibilité de demander des renseignements pour inviter un autre État membre concerné par

l’affaire à présenter des observations écrites. 84

Dans la deuxième affaire Purrucker, introduite alors que la première était toujours pendante, la

juridiction de renvoi demandait une PPU, tout en visant dans son courrier la disposition du règlement de

procédure relative à la procédure accélérée, et suggérait que l’affaire soit confiée à la même formation

que celle qui devait statuer dans la première affaire, puisqu’il s’agissait de la continuation du même

litige. Or, le juge rapporteur de l’affaire Purrucker I ne faisait pas partie de la chambre PPU. Le juge

national a été contacté afin qu’il précise s’il souhaitait une procédure accélérée ou une PPU. Eclairé sur

les possibilités de l’une et l’autre procédures, il a rectifié sa demande et sollicité une procédure

accélérée.