le renvoi et la classification des infractions d’agression sexuelle
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7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
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Article
Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle Julian Roberts et Alvaro PiresCriminologie, vol. 25, n 1, 1992, p. 27-63.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/017314ar
DOI: 10.7202/017314arNote : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.
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LE RENVOI ET LA CLA SSIFICAT ION DES INFRACT IONS
D ' A G R E S S I O N S E X U E L L E
1
Julian R oberts
2
et Alvaro P. Pire s
3
This study is a theoretical and empirical analysis of the new
tripartite structure of sexual offences created by the Criminal
code reform of 1983 in Canada (Bill C-127). The authors
analyze the reform proposals advanced by the Law Reform
Com mission as well as the data on reports of sexual assault in
Quebec and Canada as a whole. In addition, the authors ex-
plore the actual classification practices of the criminal justice
system and some of the new symbolic effects of the legisla-
tion.
Il y a un grand nombre de questions importantes pour les femmes
concernant la rforme du systme pnal. Ces questions concernent aussi
bien les femmes victimes que les femmes justiciables. Cependant, de-
puis les annes 1970, on a particulirement vis les infractions d'agres-
sion sexuelle en raison peut-tre de leur signification dans le cadre des
rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. Dans cette tude,
nous ferons une analyse thorique et empirique de quelques aspects de
la rforme lgislative de 1983 au Canada concernant les agressions
sexuelles.
Cette tude vise plus spcifiquement attirer l'attention sur deux
aspects de cette norme question. D'une part, nous voulons prsenter et
discuter quelques donnes rcentes sur le taux de renvoi en matire
d'agression sexuelle et, d'autre part, nous voulons analyser la nouvelle
structure tripartite d'infractions cre par la rforme de 1983. Du mme
coup,
no us voulons aussi rappeler quelques ambivalences qui ont carac-
tris les divers discours et propositions de rforme. Ces ambivalences
refltent les reprsentations divergentes que l'on se fait de la valeur
symbolique et des effets pratiques du droit criminel dans la rsolution
1.
No us remercions le ministre du Solliciteur gnral du Canada pour le soutien
financier apport ce projet. Nous remercions aussi la section de recherche du ministre d e
la Justic e du Canada pour nous avoir facilit l'ac cs aux donnes et documen ts nces saires.
Enfin, nous voulons aussi remercier les lecteurs anonymes pour leurs suggestions la
prem ire version de cette tude.
2. Professeur, dpartement de crimin olog ie, Un iversit d'Otta wa , Pavillon Tab aret,
Ottawa (Ontario), K IN 6 N5 .
3.
Directeur, dpartement de crimin olog ie, Univ ersit d'Otta wa , Pavillon Tabaret,
Ottawa (Ontario), K IN 6 N5.
Criminologie, XXV, 1, 1992
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28 CRIMINOLOGIE
des problmes sociaux. Elles relvent aussi d'un dilemme de fond
concernant laplace que chaque personne ou groupe juge devoir accor-
der au droit criminel dans le cadre d'une rponse ces problmes et
concernant le type de droit (criminel) que l'on souhaite avoir (plus
rpressif ou plus ax sur la modration, etc.).
1.
LES NOUVELLES INFRACTIONS D'AGRESSION SEXUELLE
Nous ne pouvons pas donner ici une vue gnrale de la rforme de
1983.Qu 'il suffise de dire, pour notre p ropos, que le projet de loi C-127
a modifi, entre autres choses, diffrentes infractions sexuelles du
Code
criminel du Canada. Les principaux enjeux autour de cette rforme ont
dj fait l'objet d'un nombre considrable d'tudes, grce notamment
aux recherches fministes (Cohen et Backhouse, 1980 ; Pickard, 1980 ;
Macdonald, 1982a ; 1982b ; Chase, 1983 ; Boyle, 1984 ; 1985 ; Hinch,
1985 ; 1988 ; Snider, 1985 ; Boyd et Sheehy, 1986 ; Ren ne ret Sahjpaul,
1986 ; Dawso n, 1987 ; M inch, Linden et John son, 1987 ; Sheehy, 1987 ;
Los, 1990a ; 1990b). Rappelons que la rforme canadienne s'inscrit
dans le cadre d'un mouvement de porte internationale qui a pris forme
tant dans les pays du
common law
que dans les pays suivant la tradition
du droit romain. Nous nous limiterons rappeler quelques grandes
lignes de cette rforme en ce qui concerne spcifiquement quatre (an-
ciennes) infractions: les deux variantes de l 'attentat la pudeur
(art. 149 et 156), la tentative de viol (art. 145) et le viol (art. 143 et
144).
Les quatre infractions ci-haut mentionnes ont t remplaces par
t rois nouvel les infract ions: ( i ) l 'agression sexuel le (ar t . 271);
(ii) l'agression sexuelle arme, avec menaces une tierce personne ou
avec infliction de lsions corporelles ; (iii) l'agression sexuelle grave.
Le tableau 1 prsente un rsum des infractions avant et aprs la r-
forme de 1983.
Il faut garder l'esprit qu'il n'y a pas proprement parler de
correspondance juridique directe entre les comportements incrimins
par chacune des quatre infractions abolies et ceux incrimins par cha-
cune des trois nouvelles infractions. En effet, les comportements sont
distribus diffremment dans ces nouvelles infractions. Ainsi, un com-
portement qui aurait t class comme viol avant la rforme de 1983
peut tre class dans une des trois nouvelles infractions d'agression
sexuelle selon les circonstances de l'vnement (et les pratiques judi-
ciaires). Cela veut dire que l'on ne peut pas supposer, par exemple, que
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LE RENV OI ET LA CLASSIFICATION DE S INFRACTION S
29
Tableau 1
Com paraison entre quelques infractions sexuelles avant et aprs la rforme de 1983
Degrs de
gravit [du
moins au
plus grave]
(I )
(II)
(III)
Types d'infractions et peines Types d'infractions et peines
maxim ales antrieures la rforme maxim ales postrieures la
de
ATTENTAT
LA PUDEUR
D'UNE
PERSONNE DU
SEXE FMININ
[art. 149(1)]
PEINE
MAXIMALE :
5 ans
TENTATIVE DE
VIOL
[art. 145]
PEINE
MAXIMALE :
10 ans
VIOL [art. 143]
PEINE
MAXIMALE :
perptuit
1983 rforme de 1983
ATTENTAT
LA PUDEUR
D'UNE
PERSONNE DU
SEXE
MASCULIN
[art. 156]
ARTICLES ABROGS EN 1983
PEINE
MAXIMALE :
10 ans
(I)
(II)
III
ARTICLES INEXISTANTS
AVANT 1983
AGRESSIONS SEXUELLE
[art. 271 (1)]
PEINE MAXIMALE :
A) 2 000 dollars et/ou 6 mois ;
B) 10 ans
AGRESSION SEXUELLE
(arme/menaces une tierce
personne/lsions corporelles)
[art. 272]
PEINE MAXIMALE : 14 ans
AGRESSION SEXUELLE
GRAVE (blesse / mutile /
dfigure / met la vie en danger)
PEINE MAXIMALE : perptuit
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30 CRIMINOLOGIE
l'infraction de viol (avant 1983) et l'infraction d'agression sexuelle
grave (aprs 1983) comprennent,
du point de vue juridique,
un ensem-
ble comparable de comportem ents. C ependant, il semble que les deux
groupes d'infractions (les quatre infractions avant 1983 et les trois
infractions aprs 1983) gardent une certaine homologie
dans leur en-
semble.
Si les nouvelles infractions rorganisent autrement les diffrentes
formes de contentieux, il est important cependant de noter qu'elles ont
conserv, en la rendant encore plus visible, l'ancienne chelle de
gravit en trois paliers. Pour l'instant, disons qu'avant la rforme
l'image de l'chelle de gravit ressortait fondamentalement des peines
maximales. Ainsi, l'infraction d'attentat la pudeur d'une personne du
sexe fminin correspondait en termes de peine maximale (5 ans) au
premier palier de l'chelle de gravit (le moins grave ). La tentative
de viol correspondait au palier intermdiaire (10 ans) et le viol, au
troisime palier (perptuit). La classification de l'ancienne infraction
d'attentat la pudeur contre une personne du sexe masculin pose un
problme particulier. En effet, en termes de dfinition des comporte-
ments, elle est l'quivalent de l'attentat la pudeur d'une personne du
sexe fminin et on l'associe au premier palier de gravit. Cependant, la
peine maximale prvue ici est de 10 ans. Sous cet angle, cette infraction
correspond plutt au palier in term diaire. En effet, elle cre une r-
serve de pouvo ir quivalente celle cre par l'infraction de tentative
de viol (10 ans), apparemment pour compenser le fait qu'elle est la
seule infraction de ce groupe applicable une victime du sexe mascu-
lin.
Sur le plan formel et symbolique du Code criminel, nous pouvons
donc constater que la rforme de 1983 a modifi et rorganis la struc-
ture interne de chacun des trois paliers de l'chelle de gravit en fonc-
tion de
nouvelles dfinitions
et de
nouvelles peines maximales.
La
premire catgorie est devenue alors une infraction hybride
4
o la peine
maximale pour l'acte criminel est passe de 5 10 ans ; la deuxime
catgorie est passe d'un emprisonnement de 10 14 ans; puis on a
retenu la peine maximale de perptuit pour la troisime. Il n'est pas
facile de dcoder les raisons, les significations et les consquences
actuelles et futures de cette modification dans le systme de classifica-
tion et dans l'apparente lvation du seuil des peines maximales.
4.
L'infraction hybride prvo it deux mod es de poursu ite : elle peut tre poursuivie
soit par voie d'une dclaration sommaire de culpabilit, soit comme un acte criminel.
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LE RENVO I ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 3 1
2.
LES PROPOSITIONS DE LA COM MISSION DE RFORME ET
LE PROJET DE LOI C-127
La Commission de rforme du droit du Canada, cre en 1971,
constitue un point important de ce processus de rforme. Nous exami-
nerons ici ses propositions parce qu'elles ont t, entre autres choses,
moins discutes dans la littrature et parce qu'elles ont pris la forme
d'un vritable projet en ce qui concerne la dfinition des infractions et
le choix des peines maximales. Cependant, pour bien comprendre cer-
tains aspects de ce projet, il faut le situer dans le sillage des mouve-
ments fministes la fin des annes 1960 et au dbut des annes 1970
(Snider, 1985 ; Los, 1990a ; 1990b). Ces m ouvements ont mis alors sur
le tapis la question de la violence faite aux femmes et ont dnonc les
biais sexistes que l'on trouvait dans les lois et dans les pratiques de la
justice. En appliquant aux agressions sexuelles les remarques plus gn-
rales de Smart (1989, p. 21), on peut dire qu'au dbut les auteures
fministes se sont concentres sur trois questions majeures : on a criti-
qu le droit criminel pour avoir exclu les femmes du champ de la
protection juridique ; on a critiqu les biais sexistes dans la dfinition
mme du viol et on a critiqu des pratiques spcifiques de la police et
des tribunaux en cette matire.
Le document de travail de la C.R.D.C. (1978a) fait tat aussi de
trois proccupations majeures dont deux au moins ont t souleves par
le mouvement fministe. Tout d'abord, il affirme que les statistiques
pnales accusent une augmentation dans le nombre des contentieux
soumis la justice. La commission remarque que l'on ne peut pas
savoir s'il
s'agit
l d'une augmentation des actes d'agression, d'une
propension plus grande porter plainte ou d'une conjugaison de ces
deux facteurs. Quoi qu'il en soit, le message ici est le suivant : il faut
absolument que le droit criminel s'occupe de ce problme de manire
plus adquate et conforme nos valeurs ac tuelle s.
Le deuxime point fut prsent sous une double facette. D'une part,
on reconnat la ncessit de modifier la dfinition mme de viol et,
d'autre part, on propose de le considrer comme une varit de voies de
fait
pour mettre l'accent sur la dimension de violence et d'atteinte
l'intgrit de la personne (par voie d'attentat sexuel) plutt que sur
l'aspect sexuel lui-mme (C.R.D.C, 1978a, pp. 15-18).
Bref,
on veut
considrer le viol comme un acte d'agression avec une dimension
sexuelle et non pas comme un acte sexuel illgal (p. 23). Ce faisant,
la commission faisait cho aux revendications de la premire vague
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d'tudes fministes qui voulait d-sexualiser le viol (Griffin, 1971 ;
Russell , 1975; Clark et Lewis, 1977)
5
. Les anciennes infractions
taient places alors dans la partie IV du
Code
intitule infractions
d'ordre sexuel, actes contraires aux bonnes murs, inconduite. Il
s'agissait donc de les placer dans la partie appele infractions contre
la personne et la rputation .
Enfin, eu gard au troisime point, la commission indiquait claire-
ment que l'en qu te et le proc s sont devenus des sources grandis-
santes de proccupation . Le document dplore ici la situation pnible
de la femme victime de viol devant la justice criminelle.
La dfinition du viol, quant elle, faisait principalement l'objet de
deux m odifications. Afin de correspondre une conception plus gali-
taire du droit, la distinction entre les femmes et les hommes devait
tre limine (C.R.D.C, 1978a, pp. 16-17). L'agression sexuelle devait
tre dfinie de manire dsigner tant les femmes que les homm es, sans
faire la diffrence entre le sexe de la victime et celui de l'agresseur.
Puis,
afin d'largir la protection juridique l'gard des femmes, la
dfinition devait aussi pouvoir s'appliquer la femme marie pour ne
pas entriner le principe selon lequel le mari aurait des droits sexuels
sur son pouse sans le consentement de celle-ci (pp. 17-18). Elle devait
ensuite liminer l'exigence de la pntration du pnis dans le vagin
com prise dans la dfinition en vigueur l'p oq ue . On voulait ici notam-
ment inclure les cas de pntration orale ou anale.
Dans ce document, la commission (1978a) a recommand qu'il y
ait seulement
une
infraction d'agression sexuelle et n'a fait aucune
recommandation concernant la peine maximale ou la cration d'une
infraction hy brid e. Pour la com m ission , l ' infraction d 'agression
sexuelle ne devait tre alors divise ni en fonction de comportements
diffrents (viol, attentat la pudeur, etc.), ni en fonction d'une chelle
lgale de gravit
(agressions sexuelles
plus ou moins
graves). Elle a
cependant propos que le tribunal tienne compte, au niveau de la sen-
tence, de toutes les circonstances et consquences de la situation, y
compris la pntration ou la violence.
Un peu plus tard, dans son rapport au ministre de la Justice, la
commission (1978b, p. 14) a modifi sa position, suite certaines criti-
ques,
et a propos que les infractions de viol, de tentative de viol.
5.
Pour une rvision d e ce dbat da ns les crits fministes et par rapport Foucault,
voir l'excellent article de Bell (1991).
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LE RENVO I ET LA CLASSIFICATION DES INFRACT IONS
Tableau 2
Trois propositions de rforme des infractions sexuelles au C anada (1978-1983)
Premire
proposition de la
Deuxime
proposition de
Version
finale du projet
Commission
de rforme la
Commission
de rforme C-127
Docum ent de travail
Rapport
au ministre de la Rforme de 1983
(1978a) Justice (1978b)
Infraction unique
Attentat sexuel
Toute personne qui a un
contact sexuel avec autrui,
sans son consentement, est
coupable de l'infraction
d'attentat sexuel.
Peine m aximale : non
propose
Structure bipartite
I) Attouchement
sexuel
Quiconque, dans un but
sexuel, touche directement
ou indirectement une autre
personne sans le
consentement de cette
dernire est coupable :
a) d'un acte criminel et
passible d'un emprison-
nement decinq ans,ou
b)
d'une
infraction punis-
sable sur dclaration
sommaire de cu lpabilit.
[Peine maximale :six mois
et/ou 2 000 dollars
d'amende].
Structure tripartite
I) Agression sexuelle
Quiconque commet une
agression sexuelle est
coupable :
a) soit d'un acte criminel
et passible d'un emprison-
nement maximal dedix
ans
;b) soit
d'une
infraction
punissable sur dclaration
de culpabilit par proc-
dure sommaire. [Peine
maximale :six mois et/ou
2 000 dollars d'amende.]
(A) L'expression contact
sexuel dans le prsent
article comprend tout
attouchement non acci-
dentel des organes sexuels
d'autrui ou le fait non
accidentel pour une per-
sonne d'en toucher une
autre avec ses propres
organes sexuels, etd'une
faon qui porte atteinte
la dignit sexuelle de
cette personne.
(B) En imposant une
sentence une personne
condamne en vertu du
prsent article, le tribunal
doit tenir compte de toutes
les circonstances et cons-
quences de l'attentat, y
compris du fait qu'il y a eu
pntration ou violence.
II)Agression sexuelle
Quiconque emploie ou
menace d'employer la
violence dans la
perptration d'un
attouchement sexuel est
coupable d'un acte
criminel et passible d'un
emprisonnement dedix
ans.
II)Agression sexuelle
arme, menace tierce
personne ou infliction de
lsions corporelles
Est coupable d'un acte
criminel et passible d'un
emprisonnement maximal
dequatorze ans
quiconque, en commettant
une agression sexuelle,
selon le cas :
a) porte, utilise ou menace
d'utiliser une arme ou une
imitation d'arme ;
b) menace d'infliger des
lsions corporelles une
autre personne que le
plaignant ;
c) inflige des lsions au
plaignant ;
d) participe l'infraction
avec une autre personne.
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34 CRIMINOLOGIE
Premire proposition de la Deuxime proposition de Version finale du projet
Com mission de rforme la Com mission de rforme C-127
Docum ent de travail Rapport au ministre de la Rforme de 1983
(1978a) Justice (1978b)
III) Agression sexuelle
grave
Commet une agression
sexuelle grave quiconque,
en commettant une
agression sexuelle, blesse,
mutile ou dfigure le plai-
gnant ou met sa vie en
danger.
d'attentat la pudeur et de grossire indcence (art. 157) soient abolies
et remplaces par deux nouvelles infractions : l'infraction d' attouche-
ment sexuel
(sexual interference)
et celle d' agression sexuelle . La
commission voulait alors souligner, au plan mme de la dfinition de
l'infrac tion (et non seu lement au plan de la sentence), le caractre
aggravant du recours la violence (physique). En effet, la commission
distinguait le simple attouchemen t sexuel non accompagn de vio-
lence ou de menaces d'un ct ; d'un autre ct l'attentat sexuel accom-
pagn de violence ou de menaces (p. 15). En outre, elle affirmait que
cette distinction entre le simple attouchement sexuel et l'agression
sexuelle
n'est pas seulement une de degr, mais bien plus une d'es-
pce
(p. 15). C'est alors qu'elle a propos aussi pour la premire fois
que l'infraction d' attouchement sexuel soit une infraction hybride.
La peine maximale pour la procdure sommaire serait, bien sr, celle
prvue dans le Code criminel pour ce mode de poursuite (six mois
d'emp risonnem ent et/ou 2 000 dollars d'amen de) ; pour l'acte criminel,
la peine maximale propose a t de 5 ans. La deuxime infraction,
celle d' agression sexuelle, devait tre considre comme un acte
criminel et tre passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans.
Cette peine maximale de 10 ans propose par la commission refl-
tait sa proccupation avec le principe de modration mais, en termes
pratiques, elle n'tait pas proprement parler trs avant-gardiste. En
effet, comme la structure des peines de notre code date au moins du
xixe sicle, les peines perptuit sont devenues anachroniques et
trompeuses, puisqu'elles ne correspondent plus la pratique effective
des tribunaux (voir C.C.D.P., 1987, pp. 68-70, 214-231). Ainsi, une
recherche faite Montral nous indique que 96 pour cent des cas
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LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACT IONS 3 5
d'agression sexuelle que sanctionne une peine d'emprisonnement ont
une dure de moins de 10 ans, et ce autant avant la rforme (1981 et
1982) qu'aprs (1984 et 1985) (Baril, Bettez et Viau, 1988, p . 184)
6
. On
peut donc dire que la proposition de la commission actualisait tout
simplement le code par rapport aux pratiques actuelles. Cependant,
cette proposition impliquait un choix difficile pour certaines personnes.
C'est qu'il existe un nombre norme de peines maximales anachroni-
ques dans le code et l'acceptation de cette proposition provoquerait un
contraste avec les autres peines. Par exemple, le vol qualifi et l'intro-
duction par effraction dans une maison d'habitation sont aussi encore
frapps d'une peine maximale d'emprisonnement perptuit. Si l'on
modifie alors la peine maximale pour les agressions sexuelles, un
moment o l'on veut exprimer une rprobation morale l'gard de ces
situations,
sans modifier en mme temps
les autres peines maximales
dsutes ou aberrantes, le message symbolique de la loi serait, de l'avis
de certains, ambigu. Voil donc le dilemm e : si l'on tient la cohrence
ou si l'on insiste sur les effets symboliques supposs de la peine, on
sacrifie la modration ; si l'on privilgie la modration, on doit faire
des concessions sur l'importance que nous attribuons la cohrence et
aux effets symboliques supposs des peines.
Comme nous pouvons le voir au tableau 1, le projet de loi C-127 a
modifi considrablement les propositions de la commission. D'abord,
les recommandations de celle-ci touchant les peines maximales n'ont
pas survcu au processus de rforme. Les peines ont t clairement
augmentes par rapport aux propositions qu'a faites la commission.
Certes, il y a cependant un doute sur la manire d'interprter ces chan-
gements par rapport aux anciennes peines maximales, particulirement
celle de l'attentat la pudeur d'une personne du sexe fminin (5 ans).
Deuximement, on a cr trois niveaux d'infractions au lieu de deux.
Troisimement, on a dcid de donner la mme appellation d' agres-
sion sexuelle aux trois infractions et de ne pas faire de dis tinction
conceptuelle entre ces infractions. L'une des consquences de ce choix
est que la distinction d'espce entre l'attouchement sexuel et l'agres-
sion sexuelle disparat sur le plan de la classification et de la clarifica-
tion juridique des situations. Quatrimement, on dcide de ne pas
dfinir explicitement la premire infraction d'agression sexuelle (voir
6. Selon les auteures, la dure des peines d'empriso nnem ent est demeure la mme
avant et aprs la rforme pour les annes considres. Toutefois, le nombre de sentences
d'emprisonnement a augment (p. 184).
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36 CRIMINOLOGIE
tableau 2)
7
. L'appellation agression sexuelle au premier niveau
semble prendre alors une acception plus large et plus vague que celle
donne par la deuxime proposition de la Commission de rforme. Car,
premire vue, ce premier niveau peut inclure certaines formes moin-
dres de violence physique. Le deuxime niveau vaut pour les situations
o l 'agresseur: ( i) porte, uti l ise ou menace d 'uti l iser une arme;
(ii) menace d'infliger des lsions corporelles une tierce personne ;
(iii) inflige des lsions corporelles sa v ictime ; (iv) ou participe
l 'infraction avec une autre personne. Le troisime niveau, appel
agression sexuelle grave , s'applique aux cas o l'agresseur
blesse,
mutile ou dfigure sa victime ou met sa vie en danger. On peroit alors
d'emble trois difficults d'interprtation, tout particulirement pour le
sens commun : celles relies au manque de dfinition du premier ni-
veau, la notion de lsions corporelles au deuxime niveau (C.R.D.C,
1984) et la notion de blessure au troisime niveau.
Voyons sommairement l'exercice que les tribunaux sont appels
faire. La notion de lsions corporelles est l'un des critres pour
classifier certaines situations avec une composante de violence physi-
que dans la deuxime catgorie. L'article 267 (2) du
Code criminel
dit
que cette expression doit dsigner une blessure qui nuit la sant ou
au bien-tre du plaignant et qui n'est pas de nature passagre ou sans
importance . Les tribunaux doivent donc sparer la violence physique
qui appartient au premier niveau des lsions corporelles qui appartien-
nent au deuxime niveau et ces dernires de la blessure et de la mutila-
tion qui font partie du troisime niveau. Tout se passe alors comme si
on avait voulu diviser en trois la violence physique des agressions
sexuelles, sans lucider les critres de ce partage. L'utilisation d'une
arme apparat alors comme le seul critre de tout repos dans ce nouveau
systme de classification. On peut dire que la rforme de 1983 a cr
une certaine confusion d'interprtation autour de ces trois niveaux d'in-
fractions.
Enfin, remarquons aussi que dans l'ensemble on a mis encore plus
en vidence l'image selon laquelle ces infractions dsignent fondamen-
talemen t une chelle de gravit . U ne autre confusion s'est glisse
alors.
En effet, que mesure cette chelle exactement ? Est-elle une
chelle de violence physique ou, au contraire, une chelle purement
7. L'art icle 2 65 (1) et (2) donne une so rte de dfinition gnrale de voies de fait
et d' agression qui sert de toile de fond, en tre autre s, aux articles 266 (premier niveau de
voies de fait) et 271 (1 ) (premier niveau d 'agre ssio n sexue lle) o une dfinition explicite fait
clairement dfaut.
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LE RENV OI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 3 7
symbolique de rprobation morale ? Autrement dit, quelle est la fonc-
tion premire de cette chelle ? Doit-elle servir avant tout de guide
l'intention des juges pour punir plus svrement les situations les plus
violentes, ou doit-elle servir plutt indiquer grossirement au grand
public la gravit relative de ces infractions par rapport d'autres ?
C'est la dernire hypothse qui parat la plus vraisemblable. Car il est
difficile de supposer qu'en prvoyant une peine aussi leve (10 ans)
pour le niveau le moins grave, le lgisla teur ait voulu pousser les
tribunaux augmenter aussi dramatiquement leurs sentences. Il est plus
ra isonnable de croire que le lgis la teur a i t tout s implement
voulu exprimer par l l'imp ortan ce sym bolique relative de ces in-
fractions dans le code actuel. Bien sr, ce choix risque, entre autres
choses, de crer un quiproquo au niveau des attentes cres par la loi et
des diffrentes perceptions que l'on peut avoir de ce changement. De
plus,
en prvoyant une peine maximale aussi leve pour le premier
niveau, on donne aux tribunaux la possibilit d'y traiter confortable-
ment (du point de vue de la dtermination des peines) de la quasi-
totalit des cas d'agression sexuelle.
3. QUESTIONS OUVERTES SUR LES AM BIVALENCES DANS
L'ORIENTATION DE LA RFORME
II convient maintenant d'indiquer, titre exploratoire, quelques
tendances contradictoires et ambivalences qui existaient dans les orien-
tations philosophiques et sociales de la rforme de 1983 par rapport au
caractre plus ou m oins rpressif ou, au contra ire, plus ou moins
modr que devrait prendre la nouvelle loi.
Particulirement dans les documents publis au cours des annes
1970,
la Commission de rforme du droit demandait l'adoption d'une
politique de rforme axe sur le
principe de la modration
dans le
recours aux tribunaux, dans l'imposition des sanctions, voire dans le
recours au droit criminel tout court comme mthode pour ragir aux
problmes sociaux. L'orientation philosophiqu e gnrale de la comm is-
sion tendait alors un droit criminel minimal qui, en principe, n'inter-
viendrait dans la vie des gens que dans la mesure o cela s'avrerait
absolument ncessaire. Elle recommandait de restreindre la porte de la
notion d' infraction criminelle, de rduire le nombre d'infractions,
de rduire l'chelle globale des peines maximales d'emprisonnement
prvues par le Code criminel, etc. Elle demandait aussi de rnover le
langage utilis et de dfinir de faon claire les infractions afin de rendre
le droit comprhensible et accessible au public en gnral (C.R.D.C.,
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38 CRIMINOLOGIE
1978a, p. 6), au lieu de donner l'impression que les rgles de droit
s'adressent principalement au personnel de la justice. Comme nous
l'avons vu, la peine maximale de 10 ans propose par la commission
(1978b) pour l'infraction d'agression sexuelle reflte cette proccupa-
tion avec modration, car elle rduit l'ancienne peine maximale pour
viol (perptuit). En revanche, la peine de 5 ans pour l'infraction d'at-
touchement sexuel (sans menace et sans violence physique) parat
moins marque au coin de la modration. En effet, rappelons que l'an-
cienne infraction hybride pour voies de fait
avec lsions corporelles
(art. 245 (2), C.cr. 1975) avait justement une peine maximale de cinq
ans.
Il
s'agit
donc d'une peine relativement svre.
Dans son document de travail, la commission (1978a) a d'abord
rappel que le droit pnal devrait favoriser au maximum la libert des
personnes et rduire au minimum l'intervention de l'tat, cause de ses
effets possibles sur la personne et sur l'tat, en cas d'usage abusif ou
imm odr (p. 4). Ds lors le recours au dro it pnal comme moyen de
contrle social est un recours de dernier ressort (p. 4). Elle a soutenu
que le droit pnal a ses propres limites com me m thode de contrle
social et qu'il ne doit pas tre envisag comme le seul moyen qu'a
la socit pour ragir aux problmes sociaux (p. 7). Pour la commis-
sion, qu'il ait t rigoureux ou clment, le droit pnal n'a jamais
russi liminer le crime et l'important n'est pas ce que dit la loi,
mais ce qu 'el le fait aux gens et ce q u'e lle fait pour eux (p. 7). En
outre, aux yeux de la com mission , le fait de pun ir le dlinquant ne
comporte aucun ou peu d'avantages pour la victime (p. 7). Ds lors, la
commission souligne la ncessit de prendre en ligne de compte diff-
rentes faons de rsoudre ce p roblme : ces solutions de rechange
n'entre nt pas ncessairement en conflit avec le systme de justice crimi-
nelle, et peuvent intervenir soit avant, soit en mme temps que le re-
cours au pro cessus pnal (p. 8). Elle rappe lle que les buts des
sanctions pnales sont la manifestation d'u ne dsapprobation sociale,
la rparation du tort caus, la restauration de la paix, de l'ordre et de la
confiance, et l'application d'un certain degr de contrle, puis elle
remarque que les sanctions traditionnelles (amende et emprisonnement)
ne sont pas ncessairement les plus appropries pour certaines infrac-
tions sexuelles (p. 47). Elle indique ensuite plusieurs problmes qui
dcoulent du recours l'incarcration .
Par ailleurs, comme le rappelle Pitch (1985b, p. 257), la violence
sexuelle venait d'accder au statut de problme social l'initiative
du mouvement de femmes qui dnonait, juste titre, les biais sexistes
de la loi et l'exclusion des femmes du champ de la protection juridique.
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LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 39
II
y
avait donc
des
demandes
spc i f iques
des
groupes soc iaux
au sys-
t me de just ice (Pi tch , 1985 b, p. 257).C o m m e il n ' t a i t pas ques t ion
d 'une rforme globale du code, toute rforme par t ie l le se heur ta i t a lors
au problme symbol ique de la compara i son en t re les n o u v e l l e s p e i n e s
maximales p roposes et l ' anc ienne s t ruc tu re g loba le desp e i n e s .Si l'on
veu t redonner auxfemmes lap lace quileur revient da nsla s t ruc tu re
s y m b o l i q u e
d'un
vieux code cr iminel , c 'es t --di re
fa ire l ' g al i t
sans envisager ,
cour t
ou
long terme,
une
mo dif ica t ion
de
l ' e n s e m b l e
de
la
logique puni t ive ,
on
do it r enon cer
en
par t ie
un
p la idoyer pour
la
m o d r a t i o n , et ce, m m e si l'on ne veu t pas un d u r c i s s e m e n t de la
r press ion .
En prsentant le proje t de r f o r m e du m o u v e m e n t de f e m m e s en
I tal ie , Pi tch (1985a, pp.42-43) r em arque que :
the Women's Bill does not [...] take into consideration the earlier
critiques ofthe criminal justice systemashighly selectiveand structural-
ly unjust. Interviews with
the
promoters
of the
bill
on
this topic reveal
the following types
of
responses
: (a) we are not
concerned with harsher
penalties, that
is not
what
we
necessarily want
: we
want only
the
same
kind of justice which hasbeen given to other victimsfor other crimes ;
(b) thisisman's justice ,we are notresponsiblefor it : weonly ask for
it to beapplied consistently, against othermen ; (c) we are not interested
in thedetailsofthe Bill,wewanta fewprinciples to beestablished, e.g.
wom en's dignity as people, therecognition of violence tothemas a major
crime
and (d) we
know that
a
different
law
will
not
diminish crimes
and
that harsher penalties willnotalter thegeneral picture : theBill,how-
ever,
is an
occasion
for
extensive
and
public debate
on
these topics
and
will increase cultural
and
political awareness about them.
Pitch signale alors qu'il est la fois comprhensible et assez para-
doxal que cette demande sociale de justice ait t formule travers les
prsupposs du discours dominant traditionnel sur le
Code criminel
et
que cette demande appears to privilege its retributive and symbolic
aspects, in line with a discourse which tended to be de-emphasized in
the 1960s and 1970s even within the agencies of social control them-
selves (Pitch, 1985a, p. 43). Los (1990a ; 1990b) a, quant elle, fait
une analyse trs fine des dilemmes auxquels les groupes de femmes au
Canada ont d faire face dans le feu de l'action et compte tenu de l'tat
prcdent des lois et surtout duprocs en matire de viol. Outre les
piges poss par le discours juridique lui-mme, ces groupes taient
confronts aux reprsentations sociales dominantes de la justice crimi-
nelle. Or, en reprenant les termes de Pitch (1985b, p. 262), ces reprsen-
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40 CRIMINOLOGIE
tations transforment le dsir de justice en dsir de punition , de
rtribution . On pntre alors dans un terrain g lissant o l'quation
crime-droit criminel signifie aussi peine-emprisonnement . Et ce
terrain est d'autant plus glissant que la rforme du droit vers la fin des
annes 1970 tendait abandonner l'ide de rducation
8
et faisait un
tournant vers les vises symboliques de la justice criminelle (Pitch,
1985b, pp. 262-265). Certains voulaient que le droit criminel prenne la
forme d'une dnonciation caractrise fondamentalement par un mes-
sage thique de modration ; d'autres voulaient un droit criminel mus-
cl et marqu par un message clairement rtributiviste ; d'autres encore
voulaient surtout un droit pnal symboliquement galitaire, dans une
direction ou dans l'autre. Los constate alors que certains groupes d'int-
rt des femm es, par rappo rt certaines revendications, ont t
trapped
in the same myopie perspective which m ost victim's groups seem to
adopt : the victimizers were perceived as an enemy to be crushed
.
Comme elle le souligne, the desire to put rapists behind bars is more
than understandable. It does not make it less myopic, however
(Los,
1990a, pp. 167-168).Bref, the thinking about crime and punishment
that permea tes dom inant (man-m ade) images of justice was thus accep-
ted by these wom en w ho were caught between the escalating fear of
rape and the paucity of alternative, non-legal avenues for action
(Los,
1990a, p. 168).
Dans ce contexte gnral, il n'est pas tonnant de constater que la
commission n'a pas chapp non plus certaines ambivalences et ambi-
guts. Nous allons nous interroger ici sur les raisons pour recomman-
der la fois la cration d'une infraction bipartite et une infraction
hybride.
En apparence, ces recommandations semblent particulirement
lies au principe de modration, mais en ralit cela n'est pas aussi
vident. En effet, la commission affirme explicitement, en renvoyant
l'une de ses recommandations, qu'elle a t dicte par un point de vue
pratique. Ces recommandations n'taient pas comprises dans le docu-
ment de travail (1978a) et semblent avoir t ajoutes suite quelques
critiques faites ce document. Ces critiques visaient, selon toute vrai-
semblance, faciliter l'intervention du droit criminel (et non le limi-
ter).
En effet, l'objectif aurait t d'adapter le systme pnal la
rception d'un plus grand nombre de situations et d'augmenter le nom-
8. Le docum ent de travail de la Com mission de rforme du droit a pressenti par
ailleurs la ncess it d'affirmer la valeur des thrapies externes la prison et mme des
ordonnances d'hospitalisation pour certains cas relevant de ces infractions.
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LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 1
bre de condamnations en gnral. On redoutait que
si
on avait une seule
infraction et que si la peine pour cette infraction tait trs leve, on
aurait de la difficult obtenir une condamnation dans les situations
d'agression juges physiquem ent moins g raves par les reprsenta-
tions sociales dominantes
9
. L'enjeu ici est de savoir jusqu' quel point
on veut faire jouer le systme pna l pour affirmer les valeurs auxquelles
nous tenons dans le cadre d'un projet de socit. Il s'agissait alors de
prendre position face la question (brlante) de l'inclusion ou non de
certaines formes d'agression dans le registre de la loi criminelle, d'une
loi criminelle encore axe sur la rtribution et la prison, etc.
La commission semble avoir choisi, et par rapport aux agressions
sexuelles, et par rapport aux voies de fait, une politique d'inclusion
maximale tout en comptant sur le bon sens des gens e t des opra-
teurs du systme pour filtrer les cas les p lus triviaux . Cette option
est plus claire dans le document plus tardif sur les voies de fait
(C.R.D.C., 1984) que dans celui sur l'agression sexuelle. Selon la com-
mission, cette option correspond en fait la situation qui tait dj en
vigueur. Le dilemme philosophique (et politique) est alors le suivant.
Afin de justifier cette position d'inclusion maximale, la commission
(1984, p. 49) soutient que si le droit criminel ne considrait pas comme
un crime l'acte de toucher intentionnellement une autre personne sans
son consentement [...] ceci signifierait abandonner la notion selon la-
quelle les atteintes la personne sont une valeur fondamentale . Le
dilemme est donc le suivant. Les docu ments de la commission affir-
ment, d'une part, que la libert et l'intgrit de la personne sont des
valeurs si importantes que l'on doit tablir clairement les limites de
l'intervention tatique et particulirement celle du droit criminel. Mais,
d'autre part, ces documents soutiennent aussi que ces mmes valeurs
sont tellement importantes que, pour les dfendre convenablement, il
faut faire appel au droit criminel pour ragir contre toutes les formes de
torts susceptibles de leur porter atteinte.
notre avis, il est important de bien comprendre ces positions
contradictoires et ambivalentes pour saisir la porte et les limites des
aspects de la rforme de 1983 qui sont lis aux peines maximales et au
systme de classification des infractions.
9. La recherche de Los (1990 a) sur le projet de loi C-127 sem ble confirmer cette
hypothse.
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42 CRIMINOLOGIE
4.
LES VISEES DE LA REFORM E
II est trs difficile de prciser, de manire non quivoque, les ob-
jectifs d'un projet de rforme. En effet, ce projet fut investi par diff-
rents acteurs sociaux avec des intentionnalits et des projets diffrents,
voire opposs (groupes fministes, Commission de rforme, reprsen-
tants des procureurs, de la police, du barreau, des avocats de la dfense,
gouvernement lui-mme, etc.) (Los, 1990, p. 163). Mme les groupes
de femmes ont prsent des ides et des propositions diffrentes (Los,
1990,
p. 163). Compte tenu de cette diversit, il serait plus juste de
s'interroger sparment sur les objectifs de chacun de ces acteurs.
Selon Los (1990a, pp. 163-164), une des raisons principales qui ont
pouss le gouvernement instaurer au plus tt une rforme a t l'inclu-
sion, en 1982, de la
Charte canadienne des droits et liberts
dans la
Constitution. On voulait ainsi viter un long contentieux constitutionnel
l'gard de certains articles du
Code criminel
qui auraient de la diffi-
cult passer le test de l'galit des droits. Cependant, ceci n'empche
pas qu'on ait aussi cr certaines attentes par rapport la nouvelle loi.
Un point, au moins, a fait l'objet d'un consensus parmi les groupes
uvrant directement dans le processus de rforme : la rforme devait
entraner une augmentation du nombre de plaintes et de condamnations
dans le cadre des infractions sexuelles. Ce consensus tait, certes, fra-
gile,
car il a t bti, selon toute vraisemblance, sur des motivations fort
diffrentes. Pour les groupes de femmes, par exemple, cet objectif de-
vait s'accompagner fondamentalement d'un traitement moins pnible et
stigmatisant pour les femmes pendant l'enqute et le jugement (Snider,
1985, pp. 343, 352; Los, 1990a). Nous allons examiner maintenant
cette question du nom bre de renvo is au systme de justice criminelle.
5. LES EFFETS DE LA RFORM E SUR LE NOMBRE DE
RENVOIS
La figure 1 prsente un graphique de la frquence des plaintes ou
des situations d'agression sexuelle qui ont t renvoyes la justice
criminelle (au Qubec et au Canada comme un tout) pendant les
13 annes entourant le passage de la rforme de la loi. Il s'agit de
situations dont la police a t saisie, la suite de plaintes ou autre-
ment
10
. Ces chiffres correspondent ce que Statistique Canada appelle
10.
Ces chiffres sont tirs du DUC (systme de la dclaration uniforme de la crimina-
lit) du Centre canadien de la statistique juridique.
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LE REN VO I ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4
les infractions dclares , par opposition ce que Statistique Canada
appelle les infractions relles , c'est--dire les infractions dclares
moins celles considres par la police comm e non fondes . Nous
avons choisi de prsenter ici le nombre (plus lev) de situations qui ont
t renvoyes, mais la tendance l'augmentation est la mme dans les
deux sries de donnes. Aussi est-il vrai que cette tendance ne se modi-
fie pas si l'on considre plutt le taux par cent mille habitants. Comme
nous pouvons l'observer, il y a une augmentation norme et soutenue
depuis 1983. Les chiffres servant de base la construc tion de ce graphi-
que se trouvent dans le tableau 3.
Tableau 3
Nombre des renvois en matire d'agressions sexuelles au Qubec et au Canada et
taux de changement (en pourcentage), 1977-1989
Annes
1977
1978
1979
1980
1981
1982
1977-1982
1983
(Rforme)
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1983-1989
Qubec
(nombre)
2 161
1 982
2 320
2 3 1 3
2 248
2 130
2 090
2 495
2 810
3 267
3 476
3 778
3 976
Qubec
(% )
Avant la
rforme
- 8
+ 17
0
- 3
- 5
(- 3 )
Aprs la
rforme
+ 19 %
+ 13 %
+ 1 6 %
+ 6 %
+ 9 %
+ 5 %
(+ 90 % )
Canada
(nombre)
10 285
10 687
11 557
12 077
12 376
12 848
13 851
17 323
2 1 2 6 4
24 114
26 443
29 111
3 1 7 5 6
Canada
(% )
Avant la
rforme
+ 4
+ 8
+ 4
+ 2
+ 4
(+ 25 )
Aprs la
rforme
+ 25 %
+ 23 %
+ 13 %
+ 1 0 %
+ 1 0 %
+ 9 %
(+ 129 % )
N.B. : Les donnes avant 1983 comprennent l 'en sem ble des infractions de viol, de
tentative de viol et d'attentat la pudeur d'une personne du sexe fminin et mascu-
lin ; les donnes partir de 1983 comprennent les trois niveaux d' infractions pour
les agressions sexuelles.
Examinons d'abord la situation du Qubec telle que prsente dans
le tableau 3. Nous constatons qu'entre 1977 et 1983, il y a eu une
certaine fluctuation dans le nombre de renvo is d'ag ression sexuelle. Les
-
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44 CRIMINOLOGIE
colonnes avec les pourcentages indiquent les variations par rapport
l'anne prcdente. Ainsi, au Qubec, le nombre de renvois a diminu
de 8 pour cent en 1978 par rapport 1977 et a augment de 17 pour cent
en 1979 par rapport 1978 pour diminuer encore un peu par la suite.
Cependant, non seulement la fluctuation disparat-elle aprs 1984 mais
les augmentations deviennent beaucoup plus marques. Si l'on compare
l'ensemble des deux priodes, il y a eu une baisse de 3 pour cent entre
1977 et 1982 et une augmentation de 90 pour cent entre 1983 et 1989.
Ce dernier rsultat a t sans doute exacerb par le fait que l'anne
1983 constitue la deuxime anne o le nombre de renvois tait son
plus bas niveau pendant toute la priode observe. Mais si l'on refait les
calculs en fonction de l'anne 1979 (celle o le chiffre de renvoi tait
son plus haut niveau avant la rforme), nous constatons quand mme
une augmentation de 71 pour cent entre les annes 1979 et 1989. Quoi
qu'il en soit, l'augmentation demeure frappante. Ces rsultats conci-
dent d'ailleurs avec ceux de Baril, B ette ze t Viau (1988, p. 58)
11
qui ont
trouv, pour la rgion de Montral, une augmentation de 23 pour cent
entre 1981 et 1985 (nos donnes pour cette priode sont les mmes:
25 pour cent).
L'augmentation au Canada comme un tout est encore plus mar-
que. Il y a eu 25 pour cent d'augmentation entre 1977 et 1982, mais
cette augmentation a t dramatique entre 1983 et 1989 : 129 pour cent
(voir tableau 3). Il n'y a eu aucune diminution dans les taux avant la
rforme par rapport l'anne 1977, mais les augmentations ont t,
toutes proportions gardes, plutt modestes. En effet, on peut observer
que le taux le plus lev avant la rforme a t de 8 pour cent et ce
pendant une seule anne (1979). En revanche, le taux
le plus bas
aprs
la rforme a t de 9 pour cent dans la dernire annes (1989) et aprs
une trs forte augmentation immdiatement aprs la rforme.
Certes, il n'est pas facile d'interprter et d'expliquer les change-
ments observs dans une distribution d'vnements dans le temps
(Campbell, 1969). Cependant, lorsque ces changements dbutent au
moment attendu et sont marqus et soutenus, nous avons de bonnes
raisons pour conserver l'hypothse selon laquelle on peut les attribuer
dans une certaine mesure la rforme comme telle. Par contre, il est
particulirement hasardeux de vouloir attribuer ces changements une
11 .
Il
s'agit,
notre av is, de Tu ne des me illeures recherches empiriques faites dans le
cadre du program me d 'valu ation mis sur pied par le ministre de la Justice du Canada.
-
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LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 5
dimension isole et spcifique de la rforme (par exemple l'abolition de
l'infraction de viol et son remplacem ent par une autre infraction).
En fait, le caractre soutenu de ces augmentations semble difficile-
ment dissociable d'un ensemble d'autres facteurs entourant et accompa-
gnant la rforme. Pensons, par exemple, au rle jou par les directives
adresses la police et aux procureurs, par l'action ventuelle des
groupes de femmes et des centres d'aide, par les tables de concertation
entre les diffrents intervenants sociaux pour faire face la violence
faite aux femmes (Laplante, 1991, p. 8), ou encore par les mdias et par
la campagne provinciale d'information et de sensibilisation sur la vio-
lence (plus tardive). En effet, au Qubec, par exem ple, le gouvernem ent
a mis sur pied des tables de concertation travers toutes les rgions
administratives de la province. Dans la rgion de l'Outaouais, cette
table se composait de 22 membres recruts dans diffrents milieux,
depuis les salles d'urgence des centres hospitaliers jusqu'aux services
d'action communautaire et aux directrices de maison d'hbergement en
passant par la Sret provinciale, les polices municipales, la Couronne,
les C.S.S., les C.L.S.C, le service de probation, etc. (Laplante, 1991,
pp.
20-21). Les renseignements disponibles pour le Qubec semblent
suggrer que la rforme a t appuye par la mise en place d'un ensem-
ble de dispositifs. Il faut aussi se rappeler que la mmoire collective
des rformes est relativement courte. Il y a donc peu de chances qu'une
simple modification lgislative provoque de tels effets soutenus s'il n'y
a pas de mcanismes visant l'actualiser.
Par contre, il nous parat peu vraisemblable de croire que ces ap-
puis auraient t mis en place et que cette mme augmentation aurait
t obtenue sans la rforme de 1983. Car, elle a
au moins
donn, en
surface, un visage modifi du droit criminel en matire d'infractions
sexuelles. Lorsque nous parlons ici d'effets ou de consquences de la
rforme, nous ne faisons donc pas exclusivement allusion aux modifica-
tions lgislatives de 1983. Nous considrons plutt l'ensemble des di-
mensions et des actions entreprises pour soutenir la rforme. Notre
pari est cependant que la rforme fait partie intgrante de ce processus
global. Or, ces rsultats sont en quelque sorte surprenants compte tenu
du fait que l'on a sous-estim jusqu' prsent les effets de la rforme
sur le nombre de condamnations et de renvois la justice criminelle
(voir Los, 1990a, p. 171 ; 1990b, pp. 33-34).
Il faut noter aussi, mme si nous ne pouvons pas prsenter ici les
donnes pertinentes (voir Roberts, 1990), que cette augmentation dans
le nombre de renvois d'agression sexuelle est beaucoup plus accentue
-
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46 CRIMINOLOGIE
que celle qu'on observe pour les autres infractions contre la personne
pour la mme priode pour le Canada
12
.
Le contexte et les particularits de cette augmentation nous permet-
tent donc d'carter l'hypothse selon laquelle cette augmentation statis-
t ique serait due une augmentation dans l ' incidence mme des
agressions sexuelles. En effet, nous savons aujourd'hui que les statisti-
ques pnales ne constituent pas, en rgle gnrale, un bon indicateur
empirique de la frquence des comportements. Elles illustrent plutt la
forme de prise en charge des problmes sociaux. Or, si cette hypothse
est dj trop forte concernant d'autres infractions, elle nous parat parti-
culirement abusive en ce qui regarde les agressions sexuelles. Car le
procs judiciaire est connu ici pour tre particulirement dissuasif pour
les victimes. Plus important encore : l'extension, l'intensit et le mo-
ment de cette augmentation indiquent ju sq u'o il est possible d'indi-
quer en l 'absence d 'autres raisons galement plausibles en sens
contraire que l'on aurait tort de sous-estimer les effets de la rforme
dans son ensemble sur le nombre des renvois.
6. AUTRES QUESTIONS RELATIVES L'IM PAC T DE LA
RFORME
II y a deux types de statistiques globales relatives aux cas connus
par la police : celles relatives aux contentieux considrs comme fon-
ds ou non fonds et celles concernant le taux d'lucidation par
mise en accusation (Cen tre canad ien de la statistique juridiqu e,
1988).
Les plaintes dclares par la police comme non fondes sont
celles dont la validit est m ise en cause (avant ou aprs une en-
qute). L'infraction est suppose ne pas avoir exist. Le taux d'lucida-
tion par mise en accusation dsigne, par dfinition, le pourcentage de
cas pour lesque ls une personne a t officiellement inculpe mme si la
police n'a pas apprhend l'accus.
D'aprs les statistiques globales, la rforme n'a pas eu premire
vue vraiment d'impact sur aucun de ces deux indicateurs statistiques.
Le pourcentage moyen des cas classs comme non fonds pour le Qu-
bec dans la priode en amont de la rforme est de 6 pour cent et de
7 pour cent pour celle en aval. Pour des raisons que nous ignorons, le
12 .Notons, par ailleurs, qu'au Qubec l'augmentation des plaintes pour l'ensemble
des voies de fait a surpass (121 % entre 1983 et 1989) celle pour les agressions sexuelles
(90 %). Rappelons que les voies de fait ont bnfici, en ce qui concerne la violence faite
aux femmes, de certains dispositifs mis en place pour les agressions sexuelles.
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
22/38
LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 7
pourcentage de cas classs comme non fonds est significativement
plus bas au Qubec qu'ailleurs au Canada, et cela est vrai ds 1977,
alors que ce pourcentage tait de 6 pour cent en comparaison de 17 pour
cent pour le reste du Canada
13
.
En ce qui concerne le taux de mises en accusation pour le Qubec
dans la priode antrieure la rforme, un tiers des infractions retenues
comme fondes sont classes par mises en accusation. Ce pourcen-
tage monte 49 pour cent dans la post-rforme. Ces deux types de
donnes sont plus leves que celles trouves par Baril, Bettez et Viau
(1988,
p. 96), mais il n'y a pas ncessairement de contradiction, puis-
que nos donnes sont pour l'ensemble de la province et pour une p-
riode plus longue
14
. Quoi qu'il en soit, il nous semble prsent que
cette augmentation ne peut pas tre attribue la rforme, car il y a eu
une augmentation similaire dans le taux d'lucidation de toutes les
infractions de violence (Roberts, 1990).
Par rapport aux condamnations, il n'existe pas de banque de don-
nes pour le Canada. Les estimations reposent donc uniquement sur les
donnes des recherches sur le terrain. Baril, Bettez et Viau (1988,
p.174) constatent pour Montral (1982-1985) qu'en gnral 67 % des
causes se rendant procs donnent lieu une condamnation et qu'en
20 % des cas l'accus est acquitt. Dans 7 pour cent des cas, un
accus a t libr, pour diffrentes raisons, sans avoir t pour autant
acquitt
15
. Les auteurs ont par ailleurs trouv une diffrence dans le
taux de condamnations selon la priode : il y a eu 74 pour cent de
condamnations (plaidoyers et verdicts de culpabilit) pour la priode
antrieure la rforme et 58 pour cent pour la priode post rieure. T ant
les plaidoyers que les verdicts de culpabilit ont diminu. En outre, les
acquittements
16
et les retraits de plaintes ont augment. Selon leurs
donnes, il n'est pas possible d'attribuer cette dcroissance dans le taux
des condamnations une moindre gravit des contentieux, car ceux-ci
13 .
En ralit, cette statistique n'est pas la seule par laquelle les donnes du Qubec
se distinguent d'autres juridictions au Canada. Le taux de renvoi au Qubec est aussi plus
bas qu'ailleurs. Par exemple, en 1988, le taux de renvoi ( infractions relles ) pour les
agressions sexuelles au Qubec par cent mille habitants tait de 57 contre 206 en C olo m bie -
Britannique. Les raisons de ces diffrences n'o nt p as encore t lucide s.
14.La recherche de Bariltal, porte sur les annes 1981 et 1982 (avant la rforme ) et
sur les annes 1984 et 1985 (aprs la rforme).
15.
Ajoutons qu e la plainte est retire dans env iron 5 po ur cent des ca s.
16 .
Montral, les acquittements sont passs d e 18 2 4 pour cent pour la priode
tudie (B aril, Bettez et Viau, 1989, p. 176).
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
23/38
48 CRIMINOLOGIE
prsentent peu de changements d'une priode l'autre (p. 176). La
question reste donc ouverte.
Malgr l'absence explicite d'une dclaration d'objectifs de la r-
forme, il est clair qu'un d'eux rsidait dans l'augmentation du taux de
condamnations (Begin, 1989 ; Chappell, 1984, pp. 73-75 ; Ministre de
la Justice, 1990, p. 52). En effet, comme la rforme avait modifi aussi
les critres de la preuve, cette augmentation tait attendue. Les
recherches valuatives ont prsent des rsultats diffrents pour chaque
ville tudie, mais on ne trouve, dans l'ensemble, aucune diffrence
importante dans le taux global de condamnations (Ministre de la Jus-
tice,
1991, p. 53).
Quoi qu'il en soit, il est important de ne pas confondre ici la
rduction ou l'augmentation du taux de condamnations (plaidoyers et
verdicts de culpabilit) parmi les causes traduites en procs avec l'aug-
mentation ou la rduction du nombre absolu des condamnations. En
effet, l'norme augmentation dans le nombre de renvois au Canada et
au Qubec nous permet de penser que le nombre absolu de condamna-
tions a aussi augment. En outre, nous savons par les tudes sur le
terrain que les taux d'acquittements n'ont pas augment partout (Minis-
tre de la Justice, 1990) et que lorsqu'ils ont augment, ils n'arrivent
pas neutraliser l'augmentation dans le nombre des renvois.
Une dernire remarque concernant
Veffet de slection
de la justice
criminelle. Baril, Bettez et Viau (1988, pp. 82-83) constatent partir
des renseignements disponibles dans les dossiers de police que plus de
85 pour cent des accuss sont sans emploi (46 pour cent) ou sont des
ouvriers non spcialiss (39 pour cent). Les auteures soulignent soi-
gneusement que les valeurs manquantes sont de l'ordre de 60 pour cent,
mais leur constat comme tel n'est pas par ailleurs tonnant. En ralit,
elles veulent empcher que l'on pense que les agressions sexuelles sont
pratiques surtout par les hommes des couches sociales dfavorises.
Enfin, elles ne trouvent pas de diffrence statistiquement significative
d'une priode l'autre. Le systme pnal continue donc toucher
fondamentalement les gens des couches dfavorises.
7. LA DISTRIBUTION DES AGRESSIONS SEXUELLES DANS
LES TROIS NIVEAUX DE GRAVIT
Nous avons constat ci-dessus que le nombre de renvois la justice
criminelle a augment normment depuis 1983. Nous allons examiner
maintenant comment cette augmentation a t ventile parmi les trois
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
24/38
LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 9
niveaux de gravit au fil des sept annes qui ont suivi la mise en place
de la rforme.
Tableau 4
La classification des plaintes d'agression sexuelle a u Qubec (1983-1989)
Annes
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
Niveau I
(moins grave)
1 692
2 105
2 4 1 6
2 907
3 125
3 473
3 632
(81 %)
(84 %)
(86 %)
(89 %)
(90 %)
(92 %)
(91 %)
Niveaux de gravit
Niveau II
227
204
216
215
209
194
209
(11%)
(8%)
(8%)
(7%)
(6%)
(5%)
(5%)
Niveau III
(plus grave)
171
18 6
17 8
145
142
111
135
(8%)
(7%)
(6%)
(4%)
(4%)
(3%)
(3%)
Total
2 090
2 495
2 810
3 267
3 476
3 778
3 976
(100 %)
(100 %)
(100 %)
(100 %)
(100 %)
(100 %)
(100 %)
Source : Donnes de Statistique Canada.
Un total de 2 090 plaintes d'agression sexuelle a t enregistr au
Qubec en 1983. On constate que 81 pour cent de ce total a t classifi
au premier niveau de gravit, 11 pour cent au deuxime niveau et
8 pour cent au troisime niveau. Cependant, cette distribution se modi-
fie progressivement : le premier niveau augmente tellement qu'il repr-
sente 90 pour cent (ou plus) de tous les dossiers de leur anne
respective depuis 1987. On voit aussi que pour le Qubec l'augmenta-
tion des plaintes a t entirement absorbe par le premier niveau. En
effet, ces contentieux ont augment de 115 pour cent entre 1983 et 1989
(soit de 1 692 3 632), tandis qu'on accuse une dcroissance de 8 pour
cent pour le deuxime (soit de 227 209) et de 21 pour cent pour le
troisime (soit de 171 135) niveaux.
Les donnes pour le Canada sont encore plus loquentes : en 1983,
88 pour cent des contentieux sont classs au prem ier niveau , 7 pour cent
au deuxime et 5 pour cent au troisime ; en 1989, 96 pour cent sont au
premier, 3 pour cent au deuxime et 1 pour cent seulement au troisime
niveau. L'augmentation a t absorbe entirement par le premier ni-
veau. En effet, il y a eu 12 241 plaintes enregistres en 1983 et 30 340
en 1989, soit une augmentation de 148 pour cent. On observe aussi une
dcroissance progressive du nombre et du taux des contentieux au troi-
sime niveau : on compte 685 cas en 1983 et 445 en 1989, soit 35 pour
cent de mo ins. La seule diffrence apparente avec le Qubec rside dans
le deuxime niveau : les chiffres accusent une lgre augmentation de
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
25/38
5
CRIMINOLOGIE
5 pour cent pour
le
Canada entre
1983 et 1989
(soit
de 925 971).
Cependant, cette augm entation
est
compense
par la
chute
du
troisime
niveau.
On
accuse alors
une
dcroissance dans l'ensemble
des
niveaux
II
et III.
Tableau 5
La classification des plaintes d agression sexuelle au Canada (1983-1989)
Annes
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
Niveau I
(moins grave)
12 241
15 805
19 756
22 623
24 949
27 655
30 340
(88 )
(91 )
(93 )
(93 )
(94 )
(95 )
(96 )
Niveaux de gravit
Niveau 11
92 5
878
9 1 8
1 001
1 034
1 041
971
(7%)
(5%)
(4%)
(4%)
(4%)
(4%)
(3%)
Niveau III
(plus grave)
685
640
590
490
46 0
415
445
(5%)
(4%)
(3%)
(3%)
(2%)
(1%)
(1%)
Total
13 851
17 323
21 264
24 114
26 443
29 111
31 756
(100 )
(100 )
(100 )
(100 )
(100 )
(100 )
(100 )
Source : Donnes de Statistique Canada.
Comment peut-on expliquer cette augmentation dans
le
nombre
de
classifications
au
premier niveau
de
gravit
? Le
lecteur doit garder
l'esprit
que les
explications proposes
ici ont le
statut d'interprtations
post factum. C'est dire qu'il s'agit d'interprtations
qui
s'ajustent bien
aux donnes mais
qui ne
dcoulent
pas
proprement parler directement
d'elles (Merton, 1949). Elles
ne
nous permettent donc
pas de
trancher,
de manire claire
et
avec
un
argument empirique supplmentaire, entre
diverses autres interprtations rivales pouvant aussi
se
conformer
ces
rsultats.Lesinterpr tations sont donc, pour ainsi dire, exploratoires.
premire
vue, on
pourrait penser qu'il
y a eu
tout simplement
une augmentation dans
le
nombre
de cas
moins graves
qui ont t
rapports
la
police. Ceci serait d'ailleurs l'une
des
consquences
possibles
de la
rforme lgislative
: l'un des
objectifs attribus
au
projet
de
loi C-127
tait celui
de
stimuler
le
renvoi
la
police
d'un
plus grand
nombre
de cas, et il est
raisonnable d'assumer
que,
dans
le
pass,
la
gravit
de
l'agression tait positivement corrle
aux
chances
que la
victime porte plainte
la
police.
Il
faut
se
rappeler
que les
procs pour
viol
ont
toujours
t
hautement
dissuasifs
pour
les
victimes.
On
peut
aussi supposer
que les
situations d'agression les plus violentes
soient aussi les moins rpandues et qu'une augmentation importante
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
26/38
LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRAC TIONS 5 1
dans le nombre des plaintes va chercher ncessairement dans le bassin
des cas m oins graves.
M ais il y a au moins deux problmes avec cette h ypothse. P remi-
rement, elle est insuffisante puisqu'elle n'explique pas le dclin dans le
nombre de cas classifies au troisime niveau de gravit au Qubec et au
Canada. Deuximement, cette hypothse est au moins en partie mise en
cause par les donnes (plus restreintes mais plus dtailles) de la re-
cherche de Baril, Bettez et Viau (1988, pp. 61-69). En comparant deux
annes avant la rforme (1981 et 1983) avec deux annes aprs la
rforme (1984 et 1985) Montral, ces auteures n'ont trouv aucune
diffrence remarquable dans la nature des agressions dnonces la
police.
On peut aussi vouloir expliquer l'augmentation des classifications
au premier niveau par une tendance du personnel de la justice faire
une classification la baisse des agressions sex ue lles. En effet, on a
dit que, par rapport* aux agressions sexuelles, la po lice a tendance
dlaisser les plaintes, les classer comme non-fondes ou encore
rendre dissuasif pour les victimes le recours une enqute. Il est donc
possible que la police soit en train d'enregistrer et de donner suite un
plus grand nombre de contentieux mais qu'elle soit en train de privil-
gier le premier niveau de gravit alors qu'elle aurait d utiliser les
autres. Cette pratique aurait pu d'ailleurs tre renforce par le fait que
la peine maximale ici est dj tellement leve que l'utilisation de cette
catgorie laisse quand mme une marge de manuvre assez confortable
pour les peines et donc pour la ngociation des plaidoyers. Cependant,
cette hypothse ne trouve pas non plus de support dans la recherche de
Baril, Bettez et Viau (1988, p. 69). Selon les auteures, la classifica-
tion de la police correspond d'assez prs aux descriptions contenues
dans les rapports . Certes, elles ont pu constater certains carts la
baisse. En effet, certaines agressions armes ont t classifies au pre-
mier niveau (p. 69) plutt qu'au deuxime. Mais ces carts sont trop
petits pour expliquer l'augmentation observe dans les tableaux 4 et 5.
En outre, les renseignements statistiques sur les infractions de
voies de fait ne semblent pas non plus appuyer facilement cette hypo-
thse d'une classification la baisse par la police. Il faut se rappeler ici
que la rforme des infractions de voies de fait a accompagn celle des
agressions sexuelles et que l'on a cr aussi trois niveaux de voies de
fait: le premier niveau n'a pas non plus de dfinition explicite
1 7
; le
17.Voir note 7 ci-dessus.
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
27/38
52 CRIMINOLOGIE
deuxime ( agression arme ou infliction de lsions corporelles ) est
dfini quasiment de la mme faon que le deuxime niveau d'agression
sexuelle et le troisime niveau, appel ainsi par analogie aux voies de
fait graves , reprend mot mot la mme dfinition du troisime niveau
d'agression sexuelle. La seule diffrence notable entre ces deux
groupes d'infractions rside dans les pein es m aximales. En effet, celles-
ci sont systmatiquement infrieures pour chaque niveau des voies de
fait (5 ans ; 10 ans ; 14 ans). Nous attirons particulirement l'attention
sur le fait que la peine maximale du premier niveau est de 5 et non de
10 ans comme pour l'agression sexuelle. Cette peine de cinq ans peut
stimuler la classification de certains cas au deuxime niveau afin de
favoriser la ngociation des plaidoyers ou de justifier la demande pour
une peine plus leve. Le tableau 6 prsente les donnes pour le
Qubec.
Tableau 6
La classification des plaintes de voies de fait au Q ubec (1983-1989)
Annes
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
Niveau I
(moins grave)
9 883
11 854
13 616
15 836
19 392
21 837
23 688
(75 %)
(76 %)
(78 %)
(78 %)
(80
%)
(80 %)
(81%)
Niveaux de gravit
Niveau II
2 624
3 056
3 289
3 867
4 323
4 842
4 859
(20 %)
(20 %)
(19%)
(19 %)
(18%)
(18%)
(17%)
Niveau
(plus grave)
707
617
483
512
499
606
681
(5%)
(4%)
(3%)
(3%)
(2%)
(2%)
(2%)
13
15
17
20
24
27
29
Total
214
527
388
215
214
285
228
(100 %)
(100 %)
(100 %)
(100%)
(100%)
(100%)
(100 %)
Source : Donnes de Statistique Canada.
Si l'on compare les tableaux 4 et 6, on remarque qu'ils se ressem-
blent sur au moins deux points importants. Tout d'abord, le nombre de
plaintes classes au troisime niveau est, toutes proportions gardes,
trs rduit dans les deux cas. Ensuite, on observe aussi dans les deux
tableaux une dcroissance dans le nombre absolu de cas classifies au
troisime niveau, bien que cette dcroissance commence plus tard
(1986) pour les agressions sexuelles. On constate aussi une lgre re-
monte vers la fin de la priode. Ceci semble suggrer que ce qui arrive
certains gards aux agressions sexuelles sur le plan de la classification
arrive aussi en partie aux voies de fait. Cette question reste cependant
ouverte.
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
28/38
LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRA CTION S 5 3
On voit que les voies de fait sont aussi, dans la majorit des cas,
classes au premier niveau de gravit. En 1983, seulement 5 pour cent
de toutes les plaintes pour voies de fait ont t classes au troisime
niveau, contre 8 pour cent pour les agressions sexuelles. En 1989,
seulement 2 pour cent de toutes ces plaintes sont au troisime niveau,
contre 3 pour cent pour les agressions sexuelles. Et les voies de fait
classes au troisime niveau sont passes de 707 en 1983 681 en
1989, soit une dcroissance de 4 pour cent. La diffrence la plus remar-
quable est que les voies de fait ont t classes ds 1983 dans une
proportion plus rduite au troisime niveau. Tout se passe comme si les
voies de fait avaient t amnages d'em ble plu s facilement la
nouvelle structure tripartite.
Nous observons d'ailleurs, grosso modo, cette mme tendance
l'chelle du Canada. En 1983, seulement 3 pour cent de tous les dos-
siers de voies de fait sont classs au troisime niveau, contre 5 pour
cent pour les agressions sexuelles. En 1989, les voies de fait du troi-
sime niveau comptent seulement pour 2 pour cent de l'ensemble des
contentieux contre 1 pour cent pour les agr essio ns sexu elles
18
. De
mme, les voies de fait classes au troisime niveau sont passes de
3 641 3 383, soit une dcroissance de l'ordre de 7 pour cent entre
1983 et 1989 (par opposition 35 % pour les agressions sexuelles). Ces
donnes ne nous semblent donc pas appuyer l'hypothse selon laquelle
l'augmentation du premier niveau des agressions sexuelles et l'utilisa-
tion limite du troisime niveau s'expliquerait surtout par une tendance
de la police (ou de la justice) classifier la baisse ces infractions.
Ceci nous amne envisager une dernire hypothse qui vise
expliquer surtout la dcroissance dans le taux et dans le nombre absolu
de cas d'agressions sexuelles classifies au troisime niveau entre 1983
et 1989. Selon cette hypothse, les agences de contrle auraient pris un
certain temps pour rorganiser leurs pratiques en fonction des nouvelles
infractions sexuelles. Rappelons que le projet de loi C-127 a modifi les
critres de classification des infractions sexuelles, car auparavant elle
se faisait particulirement en fonction du critre de la pntration. Les
nouveaux critres de classification ne portent maintenant que sur le
degr de violence, la menace, l'utilisation d'armes, etc. On peut donc
s'attendre une certaine priode d'ajustement ces critres et d'inter-
action entre les diffrents paliers de la justice criminelle. Il faut se
18.
En ralit, si l'on n'arrond it pas les chiffres, cette diffrence est encore plus
ngligeable en 1989 : 1, 8 pour cent pour les voies de fait et 1,4 p our c ent po ur les agressions
sexuelles. Notons que le groupe des voies de fait est bea uco up volu min eux .
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
29/38
54 CRIMINOLOGIE
rappeler cet gard que les dfinitions des deux derniers niveaux ne
sont pas des plus limpides
19
.
Les donnes de la recherche de Baril, Bettez et Viau (1988) ne
semblent pas mettre en doute cette dernire hypothse. Les auteures
notent que la plupart (70 p our cent) des agressions rapportes la
police sont de peu de gravit si l'on considre objectivement la nature
des actes subis par la victime et dcrits au prcis de police (p. 68).
L'utilisation d'armes est aussi peu frquente (10 pour cent) et ce, mme
si les auteures constatent diffrentes formes de violence physique
comme moyen de contrainte dans environ la moiti des cas (p. 69). Il est
donc possible que la grande partie de cette violence visible puisse
entrer adquatement dans les deux premires catgories d'agression
selon la nouvelle logique du systme. C'est dire que les oprateurs ont
peut-tre de bonnes raisons (selon les rgles du jeu) pour faire une
telle classification. Quoi qu'il en soit, la comprhension plus approfon-
die de cette question rclam e d'au tres types de recherches.
8. UNE VALUATION PRLIMINAIRE DES EFFETS
PRATIQUES DE LA STRU CTUR E TRIPARTITE
Nous pouvons maintenant nous interroger, dans un autre ordre
d'ides, sur la valeur pratique de cette structure tripartite. En effet,
peut-on dire que cette structure a t
utile
ou a contribu cette aug-
mentation observe dans le nombre de renvois et, indirectement, dans le
nombre absolu de condamnations ?
Nos donnes ne nous pe rm ettent pas d'apporter une rponse directe
cette question. Cep endant, nou s inclinons penser que cette augmen-
tation doit tre plutt attribue la rforme dans son ensemble qu' la
structure tripartite elle-mme. Rappelons cet gard que le
taux
des
condamnations par rapport au nombre de mises en accusation est de-
meur, en gnral, sensiblement le mme (Ministre de la Justice,
1990). Au Qubec, ce taux a mme accus une dcroissance (Baril,
Bettez et Viau, 1988). Certes, il y a fort probablement eu une augmenta-
tion du nombre absolu de condamnations, mais cela dcoule de l'aug-
mentation marque dans le nombre de renvois au systme. En outre, les
autres statistiques disponibles sur les plaintes fondes et non fon-
des , sur les taux de mise en accusation, etc., n'ont pas subi non plus
19.
Dans le pass , la classification des infractions pour voies de fait se faisait dj en
fonction du degr de violence. La modification dans les critres est donc un peu moins
marque dans ces cas-ci.
-
7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
30/38
LE RENVOIETLA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 5 5
de modifications significatives aprs la rforme. De plus, il est fort
probable que les trois nouvelles infractions, avec leurs dfinitions
confuses (ou leur absence de dfinition), aient plutt contribu crer
un imbroglio pour les tribunaux. Il est donc fort probable que mme la
premire proposition de la Commission de rforme visant crer une
seule infraction aurait pratiquement eu le mme rsultat.
9. L'AMB IGUT SYMBOLIQUE DE LA NOUV ELLE
STRUCTURE TRIPARTITE
Que cette nouvelle structure ait eu ou non des effets pratiques sur
le nombre de renvois et de condamnations, une chose est certaine : elle
a cr une norme ambigut symbolique autour de ces infractions, et
cette ambigut peut, son tour, avoir des consquences sociales nga-
tives. Pour comprendre cette ambigut et ses consquences pratiques
possibles, il faut rcapituler le cheminement conceptuel de la rforme.
Comme nous l'avons soulign, les trois ou quatre anciennes infrac-
tions de viol, tentative de viol et attentat la pudeur ne vhiculaient que
discrtement l'ide d'une chelle de gravit. La raison en est que cette
image ne pouvait tre saisie que par les peines maximales, car chaque
infraction tait conue comme relevant d'un type diffrent (voir sec-
tions 1 et 2). Une autre cara ctristique de l'ancien ne structure est
qu'elle dsignait, toutes proportions gardes, d'une manire moins
confuse ce qui devait entrer dans chaque catgorie. Bien sr, on pou-
vait, par exemple, critiquer la notion de viol parce qu'elle ne protgeait
pas les femmes maries contre leurs conjoints ou parce qu'elle se limi-
tait la pntration vaginale (C.R.D.C., 1978b, p. 14). Mais on pouvait
au moins savoir grosso modo ce que la loi considrait comme un viol,
une tentative de viol et (moins clairement) un attentat la pudeur.
Illustrons le problme l'aide d'un autre exemple. Supposons qu'il
y ait dans le code une infraction de vol et une autre de vol main
arme . On peut sans doute mettre en doute la pertinence de l'une ou
l'autre de ces catgories et soutenir qu'elles devraient tre fusionnes
dans une seule infraction ou que le vol main arme devrait avoir
une dfinition plus restrictive pour exclure, par exemple, le cas des
armes simules. On peut aussi dnoncer les cas de vols main ar-
me qui sont classs comm e vol et vice versa. Mais l'n onc ou la
demande suivante ne ferait aucun sens : il faut classer plus de cas de
vol dans la catgorie des vols main arme pour montrer que nous
rprouvons moralement le vol .
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7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle
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56 CRIMINOLOGIE
De mm e, avant la rforme de 1983 , trs peu de chercheurs seraient
tents de comparer le nombre de contentieux classifies dans chacune
des trois anciennes ca tgories et dire ceci : il y a trs peu de cas
classifies comme viols ; il serait souhaitable que l'on classifie comme
viols un certain nombre d'attentats la pudeur pour montrer symboli-
quement que nous dsapprouvons fortement cet ensemble de comporte-
ments . Bien sr, on pouvait dire, mais cela est un nonc diffrent,
que la notion de viol a t dfinie de faon excessivement troite ,
puisqu'elle mettait l'accent sur la pntration vaginale et excluait les
femmes maries. Le chercheur pouvait aussi dnoncer une classifica-
tion injustifie : par exem ple, un ca s de viol qui aurait t class comm e
attentat la pudeur, etc. Mais la com munication symbolique entre
ces diverses catgories n'tait pas aussi ouverte qu'elle l'est mainte-
nant. Aujourd'hui, les critres de classification ne sont plus aussi vi-
dents et nous pouvons dsormais tenir un discours qui regrette le fait
qu'il y ait trs peu de cas classifies aux niveaux II et III .
Bien sr, la premire proposition de la Commission de rforme
pour crer une infraction unique aurait eu pour rsultat d'liminer radi-
calement ce problme de classification, puisqu'il n'y aurait qu'une
seule catgorie d'agression sexuelle. La gravit ne serait prise en ligne
de compte qu'au moment de la dtermination de la peine.
La deuxime proposition de la Commission de rforme rintroduit
explicitement la reprsentation d'u ne chelle de gravit, mais elle le fait
la manire ancienne, c'est--dire sous la forme de deux es-
pces de comportem ents diffrents : une infraction d'attouchemen t
sexuel (sans menace et sans violence physique) et l'autre d'agression
sexuelle (avec menace et violence physique). Ces deux catgories sem-
blent alors moins ouvertes symboliquement, et peut-tre aussi plus clai-
rement dfinies, que celles en vigueur.
Mais qu'est-ce qui se passe dans le cas de la nouvelle structure
tripartite retenue par la loi ? Cette structure projette la pleine image
d'une chelle de gravit o les critres d'inclusion et d'exclusion dans
chaque niveau ne sont pas tout fait clairs. La caractristique principale
de cette structure est qu'elle a
sap
fondamentalement la
reprsentation
d'un cloisonnement
entre les trois (niveaux d')infractions, maximali-
sant la communication symbolique et, ventuellement, la possibilit
d'un flux de dossiers entre celles-ci. Elle a transform alors, du point de
vue des reprsentations, les trois anciennes infractions en une seule
infractiondivise en trois niveaux de gravit tous trs mal dfinis. C'est
seulement dans un sens strictement technique qu