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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 1 LE REGARD LIBRE Journal d’opinion réalisé par des étudiants depuis 2014 Noël 2015 | Numéro spécial | www.leregardlibre.com Noël 2015 Le sens et l’histoire de Noël | Le bilan de l’année 2015 | La solitude et les suicides à la fin de l’année | La famille | La laïcité en Suisse | Les valeurs chrétiennes | 2016 | Le Regard Libre fête ses deux ans Crédits photo (de g. à d.) : http://www2.unine.ch/felix.moser, http://www.commission-bioethique.eveques.ch/notre-commission/membres/f.-x.-putallaz, https://www.bachstiftung.ch/referenten.html?page=7, http://canal9.ch/paques-en-valais-entretien-avec-labbe-michel-massy/, http://www.24heures.ch/vaud-regions/voulons-comprendre-modalites- decision-bns/story/29753052. Impression : Imprimerie Périsset (Sierre, VS) Nous sortons un numéro à la fin de chaque mois. Pour vous abonner à nos éditions papier, veuillez nous appeler au 079/645.26.87 ou nous envoyer un courriel à l’adresse [email protected] contenant votre adresse postale, ainsi que verser le montant de CHF 75.- sur notre compte bancaire (IBAN : CH69 8024 1000 0119 5685 4). Contact : Jonas Follonier | Rédacteur en chef | [email protected] Suivez votre journal mensuel sur notre page Facebook Visitez le site Web du Regard Libre www.leregardlibre.com

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 1

LE REGARD LIBRE  

Journal d’opinion réalisé par des étudiants depuis 2014  

Noël 2015 | Numéro spécial | www.leregardlibre.com

Noël 2015

Le sens et l’histoire de Noël | Le bilan de l’année 2015 | La solitude et les suicides à la fin de l’année | La famille | La laïcité en Suisse | Les valeurs chrétiennes | 2016 | Le Regard Libre fête ses deux ans

Crédits photo (de g. à d.) : http://www2.unine.ch/felix.moser, http://www.commission-bioethique.eveques.ch/notre-commission/membres/f.-x.-putallaz, https://www.bachstiftung.ch/referenten.html?page=7, http://canal9.ch/paques-en-valais-entretien-avec-labbe-michel-massy/, http://www.24heures.ch/vaud-regions/voulons-comprendre-modalites-decision-bns/story/29753052. Impression : Imprimerie Périsset (Sierre, VS)

Nous sortons un numéro à la fin de chaque mois. Pour vous abonner à nos éditions papier, veuillez nous appeler au 079/645.26.87 ou nous envoyer un courriel à l’adresse [email protected] contenant votre adresse postale, ainsi que verser le montant de CHF 75.- sur notre compte bancaire (IBAN : CH69 8024 1000 0119 5685 4).

Contact : Jonas Follonier | Rédacteur en chef | [email protected]

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 2

02 NOËL 2015  

 

JONAS FOLLONIER – Rédacteur en chef  

L’éditorial Permettons Noël

« A vous autres, hommes faibles et merveilleux, Qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu. Il faut qu’une main posée sur votre épaule Vous pousse vers la vie, Cette main tendre et légère. » Ainsi s’ouvre la meilleure chanson du monde, Quelque chose de Tennessee. Ainsi s’ouvre notre édition spéciale NOËL 2015.

Les fêtes de fin d’année constituent la période où les familles se réunissent et où l’on clôt l’année en beauté, avec un flot d’amour et d’optimisme. Or au moment où l’on expose ses projets pour l’an prochain, où l’on revient sur les grands moments que nous avons vécus, où l’on s’émerveille des récits d’autrui, il y a des personnes qui souffrent de leur faiblesse, de leur vieillesse, de leur maladie, de leur solitude surtout. C’est le moment où l’homme qui n’a rien (ou croit ne rien avoir) a le plus conscience de ce néant.

Puisse Noël 2015 être aussi celui de tous les « hommes faibles et merveilleux ». Puissent-ils chanter comme Johnny Hallyday en 1973 dans Noël interdit : « C’est mon Noël, le premier de ma vie, dont le rêve ne m’est plus interdit. » Permettons Noël.

Cette édition spéciale Noël 2015 est également l’occasion de fêter les deux ans du Regard Libre. Nous avons choisi de célébrer cet anniversaire en faisant un bilan de l’année et en cherchant le sens de Noël avec le Conseiller d’Etat Philippe Leuba, le philosophe François-Xavier Putallaz, le théologien Félix Moser, l’ancienne conseillère nationale Suzette Sandoz, les pasteurs Nathalie Liard et Giovanni Catalanotto et l’abbé Michel Massy. Au nom de toute la rédaction, joyeux Noël !

L’image du mois (Photo de Jonas Follonier)

Un accordéoniste et un saxophoniste interprétant Douce nuit à Malaga, au sud de l’Espagne

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 3

03 NOËL 2015  

 

Entretien avec PHILIPPE LEUBA  

L’heure du bilan Un article et une entrevue réalisés par Nicolas Jutzet

L’année 2015 touche à son terme. C’est l’heure du bilan et, comme le comptable, on dres-se nos colonnes, on fait notre rétrospective, actif, passif, bonus, malus tout y passe. Au fi-nal, notre inventaire dresse-t-il des chiffres noirs encourageants ou, au contraire, d’ac-cablants chiffres rouges qui classent ce millésime 2015 dans la case « Dépôt de bilan » ?

Quelle que soit la conclusion, l’avantage est que les cartes seront remises à zéro dans quelques jours, après les festivités. La cuvée 2016 est à nos portes. Elle s’annonce haute en couleur, que ce soit sur le plan politique (à l’interne : comment se passera la vie à Berne avec cette nouvelle majorité de droite ? et ailleurs : Donald Trump, président ?), sur le plan sportif (Jeux olympiques à Rio, Championnat d’Europe de football en France), ou encore dans le secteur de l’économie (ubérisation de la société, robotisation, désindustrialisation). Bref, le programme est chargé. Une question nous taraude ; et à nous, petite personne, que nous réserve la nouvelle année ? L’occasion, comme un trader malchanceux, de se refaire ? Ou alors moins rose, l’annonce d’un petit caillou dans notre chaussure qui vient gripper la machine à succès ? Nos nombreuses projections semblent rejoindre ce que Henri Bergson, philosophe français, prétendait quand il affirmait que : « l'idée de l'avenir est plus féconde que l'avenir lui-même ». L’humain est une boîte à questions, plus intéressé par la démarche introspective, l’idée d’imaginer le futur, que par le fait de le réaliser. Et tiens, en parlant de questions, Philippe Leuba, Conseiller d’Etat du canton de Vaud, chef du Département de l’économie et du sport, a gentiment répondu à celles du Regard Libre. Rencontre :

Que représentent les fêtes de fin d'année pour le citoyen Philippe Leuba ?

C'est un moment privilégié, que je con-sacre en priorité à ma femme et à mes deux jeunes enfants. J'en profite pour leur consacrer une partie du temps dont mon activité les a privés dans le courant de l'année. Pour moi, cette période est dévolue à la famille et au partage. C'est aussi un temps de réflexion et d'ex-pression de sa foi.

Et pour le Conseiller d'Etat, le politi-cien ?

Rien de plus ni de moins que pour le simple citoyen que je suis. Je réfléchis évidemment aux actions que j'ai entre-prises sur le plan politique et à celles que je dois conduire, dont certaines exigent plus que d'autres d'avoir l'esprit clair et une solide dose de courage. Je prends également un peu de repos et de recul afin de pouvoir repartir – Suite p. 4

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 4

04 NOËL 2015  

d’un bon pied en début d'année. Cette parenthèse doit aussi servir à recharger ses batteries, comme on dit, afin d'être en mesure d'assumer ses tâches au mieux de ses capacités.

Quel lien existe-t-il entre le monde poli-tique et les fêtes de familles, qui sont, par définition, une affaire privée ? Au-trement dit, l'Etat est-il présent dans le Noël des citoyens ?

L'Etat est déjà présent dans de nom-breux secteurs de la société, sans que l'on ait encore à l'associer à des célébra-tions qui relèvent avant tout de convic-tions intimes et personnelles. Noël re-lève d'abord effectivement de la sphère privée, voire collective s'il est question de partager la ferveur de nos sembla-bles. Cela étant, il me paraît important que l'Etat rappelle et défende les valeurs chrétiennes qui fondent notre société.

Un grand merci pour sa disponibilité, malgré un agenda chargé. Rappelons que dans le même espace temps, le canton de Vaud, par l’intermédiaire de Guy Parmelin, a retrouvé un Conseiller fédéral, dix-sept ans après Jean-Pascal Delamuraz ! Félicitations.

Pour en revenir à ce passage de cap, 2016 sera l’occasion pour moi de continuer à parta-ger avec vous, chers lecteurs du Regard Libre, des articles, des informations, des his-toires. D’avancer, de débattre, de combattre à notre échelle pour notre liberté. En atten-dant ces moments, je mets mon amour pour les technologies disruptives, pour la libérali-sation des marchés et autres obsessions politico-économiques en tous genres, entre pa-renthèses, et me permets de vous souhaiter une merveilleuse période de fêtes ! Profitez de ces moments en famille, entre amis, déconnectez, car un jour, pour chacun de nous, une nouvelle année sera la dernière…! (J’aurais pu vous parler de transhumanisme et réfuter ma dernière phrase, mais comme je viens de vous promettre de mettre mes lubies entre parenthèses…)

A l’année prochaine, pour de nouvelles aventures.

 

25 En cette fin d’année, Adèle subjugue à nouveau le monde entier avec son troisième opus, 25, contenant le titre Hello, une bombe musicale digne de ses derniers succès tels que Skyfall, Rolling in the deep ou encore Someone like you. When we were young a également connu un immense succès sur YouTube.

Chaleur humaine Connaissez-vous Christine and the Queens ? La rédaction vous suggère de découvrir son univers esthétique saisissant et insaisissable, avec comme perle Paradis perdus, contenant le fameux couplet de Christophe.  

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 5

05 NOËL 2015  

 

Entretien avec FRANÇOIS-XAVIER PUTALLAZ  

Noël passe aussi par les symboles

Des propos recueillis par Loris S. Musumeci

François-Xavier Putallaz est professeur de philosophie à l’Université de Fribourg notamment, membre du Comité national d’éthique et membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO.

Nous approchons de la grande fête de Noël. Les rues sont illuminées, les centres commerciaux se transforment en étouffants labyrinthes desquels on ne peut sortir tant que l’on n’a pas trouvé, haletant en folie, tous les cadeaux par-faits pour nos proches. Dans cette pé-riode d’affolement, il nous plairait de comprendre le véritable sens du Noël. Pourriez-vous nous décrire ce que cette fête est originellement ? Noël est inouï ! La naissance d’un être humain, déjà, est magnifique, car c’est l’éclosion d’une vie nouvelle. Alors pen-sez : une seule fois dans l’histoire, un homme est né, dont la personne est Dieu lui-même. A Noël, Dieu est né en tant qu’homme. Celui qui n’a pas de commen-cement, Celui par qui tout a été fait, Ce-lui qui tient toute chose au-dessus du né-ant, le voici qu’il naît petit enfant : pauvre, fragile et dépouillé. Noël, c’est ce mystère de l’amour. Comment ne pas le célébrer chaque année ? C’est l’événement le plus inouï de l’histoire humaine !

Est-il, aujourd’hui, devenu un besoin de vivre Noël dans la frénésie économique ? De telles manières sont-elles néfastes pour l’homme ? Mieux vaut éviter les caricatures. Si Dieu se fait humain, il rejoint notre hu-manité dans sa totalité, aussi dans sa di-mension économique. Ce qui est criti-quable, c’est la frénésie, presque ido-lâtre, de s’accaparer des biens dans la démesure. Mais ce n’est pas l’aspect commercial comme tel qui est à récuser : il y faudrait de la modération.

Regardez en effet les yeux d’un petit en-fant devant les lumières d’un sapin, éblouis par les bougies et le papier doré d’un cadeau offert par amour : Noël passe aussi par ce canal, et aussi par la joie d’offrir un cadeau à ceux qu’on aime. Pourvu que ces signes renvoient au mys-tère d’amour et de paix.

A quoi le changement radical de la per-ception et de la manière de fêter Noël en société est-il dû ? D’abord, il n’y a pas seulement du « changement radical » (et avec – Suite p. 6

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 6

06 NOËL 2015  

un peu d’ironie mordante, je suis frappé d’un tel jugement chez des jeunes gens qui, par définition, n’ont pas pu con-naître ce « changement »). En fait, mal-gré ses évidents excès, Noël reste pour beaucoup d’abord une fête où les familles se retrouvent ; ce qui est très beau. En-suite, nombreuses sont les actions cari-tatives qui prennent occasion de cette fête pour manifester la générosité de bien des personnes.

Quant aux abus, je parie que les familles prendront conscience qu’une orgie com-merciale ou une pléthore de cadeaux fu-tiles devient indécent. De plus en plus de gens s’en rendent compte : puissent-ils, par cet excès même, réaliser peu à peu le sens véritable de la fête : c’est que nous avons tous besoin d’être sauvés, riches ou pauvres. Et Dieu-avec-nous (Emma-nuel) seul peut sauver l’humanité. N’est-ce pas d’ailleurs le début de l’année de la Miséricorde ? D’un Dieu au cœur de nos misères, également dans la misère de nos débauches commerciales.

A propos du fameux père Noël qui fait rêver tous les enfants, nous nous deman-dons si cette figure est simplement sym-pathique et inoffensive ou si elle ne de-vient pas un obstacle à un sens plus pro-fond de Noël. Quelle approche avez-vous de ce personnage ? Quels sont les enjeux et les conséquences auprès des enfants de la fable du doux, bon et généreux bar-bu de rouge vêtu ?

Il est bon de faire rêver les enfants : grâce aux histoires ou aux fables, ils se-ront émerveillés par ce qu’on leur ra-conte (pourquoi ne pas leur lire l’histoire

des santons de Provence, ou l’histoire de la naissance de Jésus : ils en seront éblouis). L’important consiste, en fonc-tion de leur âge, à les tourner vers ce qu’il y a de plus essentiel et de très simple : l’humilité de Jésus. Alors le père Noël, ce personnage rappelant Coca-Cola, n’est plus un obstacle : au mieux un aimable véhicule, au pire une figure marrante.

La lumière et les illuminations occupent une place principale pour un Noël plus païen que religieux. Comment l’expli-quez-vous ? Dans nos régions, Noël arrive au mo-ment où les nuits sont les plus longues. Or dans la nuit, les lumières sont magni-fiques. Pour qu’elles jouent leur rôle, il faut d’abord ne pas tomber dans le kitch : il est consternant d’observer le mauvais goût de bien des "décorations". Il importe ensuite qu’elles restent sym-boliques : au milieu de notre nuit, au cœur de nos violences, au sein aussi de nos moments joyeux, les illuminations de Noël disent (ou devraient dire) l’espé-rance : Dieu est lumière ! Qu’il vienne éclairer nos misères et réchauffer nos cœurs ! – Suite p. 7

« Regardez les yeux d’un petit enfant devant les lumières d’un sapin, éblouis par les bougies et le papier doré d’un cadeau offert par amour : Noël passe aussi par ce canal, et aussi par la joie d’offrir un cadeau à ceux qu’on aime. »

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 7

07 NOËL 2015  

Quelle est l’importance proprement li-turgique de Noël ?

Chez nous, les églises sont bondées à la messe de Minuit. Certains n’y viennent que ce soir-là, d’autres se réjouissent du vin chaud servi à l’issue de la cérémonie, d’autres encore y trouvent une ambiance festive au milieu de la nuit, ou des sou-venirs d’enfance. Il importe que la litur-gie soit particulièrement soignée (chants, lumières, encens, sermon), de manière que toutes ces motivations diverses soient redirigées vers l’essentiel : Jésus est là, si pauvre quand il naît, si délaissé quand il meurt, si splendide quand il ressuscite. Et maintenant, sous l’humble voile qui ressemble à du pain et du vin. Quelle humilité !

Il est un grand mystère : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn. 1,14). Comment Dieu, ce qu’il y a de plus parfait et absolu, peut-il se faire homme parmi les hommes ?

La question est moins « comment » que « pourquoi ». Pour nous dire jusqu’au bout de notre humaine condition à quel point inimaginable Dieu nous aime le premier.

Dans la tradition chrétienne, Dieu vient sur terre en infans – « enfant » en latin – étymologiquement : celui qui ne parle pas. Et l’on parle d’un « Verbe » qui prend cette condition d’infans. N’y a-t-il pas là un paradoxe ?

Bien sûr, car tout est paradoxal dans le mystère de Noël ! Et si vous dites que la Parole éternelle ne « parle » pas dans cet enfant, pourquoi ne reviendrait-il pas à

nous, chrétiens, de nous faire porte-pa-role, par nos voix, nos gestes et même un peu nos vies ?

Dans cette édition spéciale, nous réflé-chissons plus particulièrement à la soli-tude face à Noël et aux fêtes en général. Se vivent là de grandes souffrances et ce sont souvent les personnes âgées qui sont les plus affectées par ce phéno-mène. Quelle analyse construisez-vous de cette situation ? De plus, en rapport au Noël précisé-ment, les pauvres, les souffrants, les es-seulés ne sont-ils pas les premiers con-cernés par cette fête, où Dieu vient se faire proche de chacun ?

Noël est pour tous. La solitude est bien sûr une souffrance. Mais regardez aussi les innombrables gestes de solidarité au-thentique, même discrets, au temps de Noël. Ce sont des retombées indirectes de la Révélation chrétienne dans la so-ciété profane, laquelle est comme de sur-croît fécondée par la foi, l’espérance et la charité.

Pourquoi ne pas parier davantage sur de tels élans de solidarité ? L’un des che-mins pourrait consister à s’appuyer sur ces « bonnes volontés » et laisser y œu-vrer la grâce de Noël qui renouvelle toute chose.

La rédaction vous recom-mande La fête de l’insigni-fiance, un roman de Milan Kundera.

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 8

 

08 NOËL 2015  

Entretien avec FÉLIX MOSER  

Noël 2015 vu par un théologien protestant

Des propos recueillis par Jonas Follonier

Docteur en théologie de l’Université de Neuchâtel, Félix Moser a d’abord été pasteur et aumônier des prisons en France pendant quatre ans, puis pasteur dans le canton de Neuchâtel durant onze ans. Après avoir passé huit ans à la Faculté autonome de théologie de Genève, il est revenu à l’Université de Neuchâtel en tant que professeur. Voici notre entretien réalisé à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UniNE.

Nous allons commencer par la question la plus importante : quelle est l’histoire de Noël et quelle est sa signification, pour le théologien que vous êtes ?

Au départ, historiquement, les premiers chrétiens se sont rassemblés autour de ce qui était le noyau de la foi chrétienne, à savoir l’amour et la résurrection du Christ ainsi que le cycle festif de Pâques. La fête de Noël est vraiment tard venue puisqu’elle est intervenue au IVe siècle où elle s’est généralisée. Au niveau théologique, la fête de Noël, qui célèbre la manière dont Dieu s’est in-carné, est très liée à la fête de l’Epipha-nie, qu’on appelle la fête des rois mages. La signification théologique est donc de montrer d’une part, avec Noël, le Christ homme, et de l’autre, avec l’Epiphanie, le Christ glorieux. Au fond, la fête de Noël est née avec les premiers conciles œcuméniques, en 325 à Nicée et en 381 à Constantinople. L’idée est de montrer quelle est la nature du Dieu auquel on croit.

La fête de Noël a également une origine païenne, n’est-ce pas ?

Tout à fait. La fête de Noël s’est en fait greffée sur le culte du Soleil invaincu (dies natalis solis invicti), une fête pa-ïenne qui a été établie par l’empereur Aurélien en 274. C’est très intéressant car cela montre que le christianisme a repris certaines fêtes païennes et leur a donné une signification à la fois reli-gieuse et théologique. Dies natalis solis invicti, nous voyons bien qu’il s’agit d’une fête de la lumière au moment où les jours sont les plus courts. Il est dès lors possible de faire une interprétation chrétienne du culte du Soleil, puisque le Christ est appelé « Soleil de Justice qui porte la Cité dans ses rayons » (Mt 4,2) et « Soleil Levant qui nous a visités d’en-haut » (Lc 1,78).

Qu’en est-il de Noël dans la Bible ?

Il n’y a que deux des quatre Evangiles qui racontent l’histoire de Noël telle qu’on a l’habitude de l’entendre. – Suite p. 9

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 9

 

09 NOËL 2015  

Vous n’avez que l’Evangile selon Mat-thieu avec Bethléem et la visite des mages et l’Evangile selon Luc, qui ra-conte aussi la naissance du Christ, mais cette fois avec la visite des bergers. Ces traditions ont ensuite fusionné.

Je vois que vous avez aussi apporté un apocryphe ?

Oui, il s’agit donc d’un écrit qui ne se trouve pas dans les Ecritures. Dans les apocryphes, nous avons un texte qui s’appelle le Protévangile de Jacques. Il raconte avec moult détails non seule-ment la Visitation mais aussi « l’édit d’Auguste », « Jésus cherche une sage-femme », « l’accouchement », « Elisabeth et Zacharie », etc. Bref, nous avons un écrit qui met beaucoup plus l’accent sur le merveilleux et le fleuri. Ce texte n’a donc pas été pris dans les textes bi-bliques, mais il a été repris plus tard par l’Evangile du Pseudo-Matthieu. Ce qui fait que nos traditions de Noël du XXe siècle – qui s’effritent ; en gros, il reste le rassemblement de famille et les cadeaux – émanent de la création d’un merveil-leux éclipsant la fête de Pâques.

Et l’histoire de Noël n’est pas encore ter-minée.

Non, car à partir de ces éléments histo-riques s’est greffée toute une série d’autres traditions dont on a parfois peine à dire les origines et qui sont liées à la culture. Ce qui est intéressant, c’est qu’on donne à un symbole comme les couronnes de l’Avent une signification chrétienne : on allume quatre bougies, cela symbolise l’attente et les prophètes

de l’Ancien Testament qui ont annoncé la venue de Jésus. Il y a donc eu une rencontre entre la croyance populaire et les fêtes de Noël. Culte et culture sont toujours intriqués, c’est pourquoi faire un tri entre ce qui se trouve dans les Evangiles et ce qui ne s’y trouve pas n’est pas vraiment pertinent. Au fond, Noël a essayé de répondre aux difficultés du christianisme concernant la venue au monde de Jésus en manifestant le fait que pour un croyant, Jésus ne se résume pas à être un homme et qu’il est né, et pas seulement à son baptême. On a donc bataillé avec les croyances populaires pour trouver un sens théologique.

Noël 2015 a-t-il une signification par-ticulière pour vous ?

Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que nous sommes dans une compréhension cy-clique du temps. L’année est structurée d’une part par les saisons et en même temps par l’année liturgique. En 2014, on a lu les Evangiles, en 2015 on les lit et en 2016 on les relira. On est donc dans une espèce de spirale. Pour moi, Noël 2015 aura une signification toute particulière, parce qu’en 2015, je ne vis pas la même chose qu’en 2014. Cette fête sera à la fois une répétition du même, avec des traditions familiales, et en même temps on repassera à travers ces récits d’une autre façon. De la même ma-nière, vous avez surement lu Madame Bovary au gymnase, et vous la relirez peut-être en master : cela sera une lectu-re tout à fait différente ! Ainsi il en va de la liturgie. La tâche des pasteurs est de donner du neuf dans la relecture. Suite p. 10

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 10

 

10 NOËL 2015  

Quel est votre bilan de l’année écoulée ?

Ce qui m’a frappé de manière générale, c’est que nous sommes devant de très grands bouleversements, dont on peine à prendre la mesure. Des bouleversements d’une part géopolitiques, avec par exem-ple la fin en deux ans de l’idée de « prin-temps arabes », temporels d’autre part : j’ai l’impression que nous vivons une ac-célération du temps dans la perception que nous en avons. Cela est lié aux nou-velles technologies. Nous sommes dans la décennie de l’accélération du temps. Il est d’autant plus important d’avoir ces repères, ces moments rituels, parce qu’ils me permettent de m’ancrer dans un certain rythme. Le rite permet le rythme. Dans Le Petit Prince, le renard demande « qu’est-ce que le rite ? » et le Prince répond : « c'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. » Au fond, le temps se fait par contrastes ; Noël est justement l’un de ces contrastes.

« Nous vivons dans la décennie de l’accélération du temps. Il est d’autant plus important d’avoir des repères. Le rite permet le rythme. »

Certaines personnes n’ont malheureuse-ment pas la chance de vivre ce contraste en famille. Beaucoup de gens sont seuls, parfois même ils dépriment, voire pire. C’est en effet très triste. Je trouve qu’il y a beaucoup de belles initiatives, d’ail-leurs entreprises par des croyants et des non-croyants. Je pense ici notamment à

« Noël Autrement » qui est une associa-tion de Neuchâtel. Il faut surtout entrer dans l’échange. J’ai remarqué en tant que professeur que beaucoup d’étudiants venant de l’étranger n’ont pas les mo-yens de rentrer chez eux et c’est donc la période de l’année où ils se sentent le plus seuls. Il y aussi des choses qui se font avec les requérants d’asile. Il faut continuer dans cette lignée.

Quelle importance donnez-vous à la fa-mille ?

Je trouve que le concept de famille a beaucoup été instrumentalisé. Première-ment, je suis quelqu’un qui soutient la famille, car c’est le premier noyau qui permet à l’individu de faire ses – Suite p. 11

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 11

 

11 NOËL 2015  

premiers pas dans la société. Ensuite, force est de constater que le modèle fa-milial traditionnel, qui est un modèle re-lativement tardif – on le doit à la bour-geoisie du XVIIIe siècle –, a été exalté avec un syncrétisme de l’Eglise qui a as-socié ce modèle familial à celui de Jésus, Marie et Joseph. Vous savez bien que la famille est très marquée aujourd’hui par la recomposition, avec toutes les ques-tions que cela pose au niveau social notamment. Tout cela est un grand chantier de négociations et de loyauté. En même temps, si vous faites une en-quête, vous verrez que ce que les gens ont de plus sacré, c’est la famille. Il y a donc une tension assez forte entre le rêve de la famille – et je plaide pour la famille, c’est important – et la réalité so-ciologique. Quand il s’agit de la vivre concrètement, c’est toujours très difficile.

Le Regard Libre revient souvent sur la thématique de la laïcité. Vous avez der-nièrement participé à un café philo en ville de Neuchâtel lors duquel vous avez plaidé pour une séparation de l’Eglise et de l’Etat. Quelle laïcité parle au théolo-gien que vous êtes ?

Il est extrêmement important que l’on ait un Etat qui remplisse sa fonction. L’Etat est le garant des libertés indivi-duelles : à la fois des libertés de cro-yance, d’expression, mais aussi d’asso-ciation. Ensuite, et ce problème se pose moins en Suisse, l’Etat ne peut pas ac-cepter en son sein des communauta-rismes, c’est à dire des groupes de per-sonnes qui adoptent des règles qui se-raient plus importantes que les règles de la laïcité, que les règles émises en l’oc-

currence par la Constitution fédérale. Dans ce sens-là, je plaide pour un Etat laïque, mais au sein duquel il y a une information religieuse. Je crois que si on ne donne pas cette information, ce sont les plus vulnérables et les plus faibles qui tombent dans le communautarisme. C’est exactement ce qui est en train de se passer. On voit peu d’universitaires aller au djihad.

Aujourd’hui même où nous parlons, les médias relaient l’information selon la-quelle la collaboration entre l’école et les Eglises chrétiennes a été renforcée en Valais, afin de combler un « vide spiri-tuel » qui mènerait au fanatisme, à la drogue, etc. Que pensez-vous de ce genre de mesures ?

Il faut faire très attention à quel type de religion est enseigné à l’école. Il convient de distinguer l’enseignement confession-nel de l’enseignement religieux qui pré-sente les différentes formes de religion, quitte à faire des visites à la synagogue, à la mosquée, etc. C’est cet enseigne-ment-là qui doit être donné à l’école. De plus, je trouve cela incroyable que la loi valaisanne sur les écoles de 1962 stipule que l’école doit former de bons chré-tiens ! Dans la même vague « anti-laïque », le parlement valaisan a décidé récemment que les juges appartenant à la franc-maçonnerie doivent se déclarer. La liberté d’association est mise à mal.

De manière plus générale, quelle est votre vision de l’Etat et de la politique ?

Je suis pour ainsi dire un ancien radical du canton de Vaud. Je pense que chacun doit tenir son rôle. L’Etat et les – Suite p. 12

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 12

 

12 NOËL 2015  

Eglises doivent être séparés. En fait, j’ai une vision très noble de l’Etat. Quand on est ici à discuter dans cette université, on prend la mesure du rôle important que l’Etat républicain doit jouer. Les universités, les hôpitaux, la défense, tout cela ne peut fonctionner qu’avec un Etat fort. Toutes les règles qui ont gou-verné jusque dans les années 2000, c’étaient des règles qui fonctionnaient encore dans la mondialisation. Par con-séquent, le défi qui vous est adressé à vous, les jeunes, est le suivant : com-ment penser et établir des règles qui tiennent compte de la mondialisation ?

Pourquoi ces règles fonctionnaient-elles il n’y a pas si longtemps et ne fonc-tionnent plus maintenant ? L’une des grandes explications est le détachement de la finance par rapport à l’économie. Cela a entraîné une dérégu-lation qui nécessite de la part du poli-tique toute son attention. On le voit en France : on pleure et on veut retourner aux anciennes règles. Evidemment que cela ne marche pas. On ne peut pas réta-blir les frontières alors qu’on peut envo-yer un courriel par dessus l’Atlantique en une seconde. Il me semble qu’en ma-tière religieuse, il est extrêmement im-portant de se rendre compte que la situation a changé. Nous vivons dans une société pluriculturelle et plurireli-gieuse ; cela pose de grandes questions, car le communautarisme va loin. J’étais aumônier dans les prisons : la question se posait de servir aux detenus des repas « halal ». Or si on le fait, faut-il donner du poisson aux chrétiens le vendredi,

etc. ? On ne s’arrête jamais. C’est la même chose pour les signes religieux, c’est pourquoi il est de la plus haute im-portance que l’Etat soit vraiment laïque. Cependant, prenons garde à ne pas tom-ber dans une religion laïque comme en France, où l’on voit maintenant se faire des baptêmes républicains.

« Je suis pour ainsi dire un ancien radical du canton de Vaud. Je pense que chacun doit tenir son rôle. L’Etat et les Eglises doivent être séparés. »

Quelle sera la Suisse de 2016 ?

L’année 2016 ressemblera à notre décen-nie, avec les défis importants qui se jouent au niveau du politique. J’ai suivi avec beaucoup d’attention ce qui s’est passé au niveau du Conseil fédéral ; il faudra quand même veiller au grain, maintenant qu’on a deux UDC au pou-voir avec tout un nombre de décisions importantes que le Conseil devra pren-dre. Au niveau local maintenant, les priorités qui sont les miennes concerne-ront le maintien d’un bon niveau d’édu-cation. Le budget a heureusement pu être maintenu, mais il se manifeste de plus en plus une société de type pragma-tique : il faut être efficace, il faut qu’il y ait du rendement. L’économisme prend le pas. Maintenons de l’espace pour la culture et le débat.

C’est précisément ce que nous visons avec Le Regard Libre. Merci beaucoup pour vos réponses et joyeuses fêtes !

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 13

 

13 NOËL 2015  

Entretien avec SUZETTE SANDOZ  

Noël optimiste Des propos recueillis par Sébastien Oreiller

Tout d’abord un grand merci à Mme Suzette Sandoz, ancienne conseillère nationale vaudoise, qui a gentiment accepté de répondre aux questions du Regard Libre pour son édition de Noël ! Durant cette entrevue, les questions ont tourné autour de trois thèmes : Noël comme fête religieuse, comme fête familiale et comme fête consumériste.

Madame, que répondre à ceux qui trou-vent que le rôle de Noël est déplacé, étant donné que beaucoup de gens ne croient pas en Dieu ? Peut-on partager des valeurs chrétiennes sans être croyant ?

Tout à fait. Noël est une fête de lumière et de générosité, y compris pour une per-sonne qui n’en partage pas la raison d’être. C’est la célébration d’une nais-sance, reprise de la fête païenne de la lu-mière, la renaissance de la vie. Il s’agit donc d’une valeur tout à fait conciliable, même pour celui qui ne croit pas. Mais Noël, c’est aussi la fête de cette valeur éminemment chrétienne qu’est le don. Pour la population, cela se traduit par le fait d’offrir des cadeaux, indépendam-ment du consumérisme sur lequel nous reviendrons plus tard.

Selon vous, quelle est la place de Noël dans un Etat laïque ?

Noël est une fête ; si quelqu’un la refuse et préfère aller travailler, très bien ! Il n’y a aucun problème quant à cette célé-bration dans un Etat laïque : notre cul-ture est marquée par le christianisme de-puis deux mille ans. Les fêtes qui ont été

instaurées sont devenues des jours fériés, ce qui a contribué, comme tout ce qui est chrétien par ailleurs, à une amélioration du sort des travailleurs. Quant à la polé-mique récente sur les cantiques de Noël en Italie, celle sur le crucifix ou les crèches, par exemple, j’appelle cela le syndrome de Palmyre, en référence aux destructions de Daesh. Il s’agit de renier toute culture, et nous faisons la même chose. Aujourd’hui, nous tendons à ne re-connaître l’importance de la culture qu’à partir du moment où elle est morte.

Comment donc concilier valeurs chré-tiennes et laïcité ? Tout d’abord, il ne faut pas confondre culture et césaropapisme. La culture influence le pays où l’on vit ; cela n’a rien à voir avec un risque de ré-cupération du pouvoir par la religion ou vice versa. Pour garantir cela, l’Eglise ne devrait jamais donner un mot d’ordre sur une votation. On peut être un très bon chrétien tout en votant comme on veut. L’Eglise peut attirer l’attention sur la problématique, mais elle ne doit pas don-ner un mot d’ordre. En fait, l’Etat ne doit pas être laïque, mais neutre ; cela signifie qu’il ne peut favoriser aucune – Suite p. 14

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 14  

 

14 NOËL 2015  

religion. Dans un canton, il peut favoriser une Eglise, et non une religion, car, d’une Eglise, l’on connaît toutes les nuances. Là se situe tout le problème de reconnais-sance des communautés islamiques, étant donné que nous n’en connaissons pas tous les mécanismes… Regardez par exemple la nouvelle Constitution gene-voise : la laïcité, qui y figure expressé-ment, y devient une religion. En réalité, la neutralité est le seul principe qui per-met de respecter la liberté de croyance. Voilà pourquoi la Constitution vaudoise est bien faite : l’Etat souligne la dimen-sion spirituelle de la société et reconnaît d’utilité publique les Eglises réformée et catholique, parce qu’elles contribuent au lien social et au dialogue. Il est indispen-sable de reconnaître cette valeur cul-turelle.

« En réalité, la neutralité est le seul principe qui permet de res-pecter la liberté de croyance. » Venons-en maintenant à « Noël, fête de famille ». Cherche-t-on à imposer un mo-dèle dépassé, celui de la Sainte Famille ?

Sur le plan religieux, c’était bien une fa-mille qui se formait. Il est important, sur le plan symbolique, que Noël soit la fête d’une famille heureuse de se retrouver. Quant à la Sainte Famille, il y avait une femme, un homme, un enfant. D’ailleurs, les fanatiques des études genre diraient que comme Joseph n’est pas le père biolo-gique et que Dieu n’est ni homme ni fem-me, on pourrait imaginer qu’il y ait eu deux pères… Mais je n’apprécie pas spé-cialement les études genre… Aujourd’hui,

on dit : « Ce qui importe, c’est le senti-ment d’affection ! » mais ce ne sont pas les sentiments d’affection qui font un en-fant. On accuse le modèle traditionnel d’être un modèle dépassé. Commençons par définir ! Que ce modèle ne soit plus unique ne signifie pas qu’il soit dépassé, ni que les autres modèles soient meil-leurs. Maintenant, nous avons la préten-tion de dire que tout changement est bon. C’est faux : il va falloir juger au cas par cas.

On ne peut donc pas dire que Noël n’est qu’une fête chrétienne, défendant des valeurs chrétiennes, pour des chrétiens ?

Certes, Noël est une fête d’origine chré-tienne. Il est d’ailleurs admirable que cette religion ait été capable de transcen-der la fête de la lumière qui n’était pas chrétienne, à la base. Cela montre bien la force de ce qui dure depuis plus de deux mille ans : l’importance de la naissance et de la lumière. Ce n’est surtout pas une fête qui est fermée sur elle-même. Au contraire. En voulant systématiquement couper Noël des valeurs chrétiennes, on va supprimer toute fête. Nous aurons alors Halloween… Cela rejoint votre question sur le consumérisme. On peut comprendre, par exemple, que la fête des pères n’ait pas toujours été fêtée, le père n’étant jamais sûr (ndlr : règle de droit romain). Cette fête est une question à la fois de consumérisme et d’égalité. De toute façon, la fête des pères et celle des mères seront bientôt supprimées pour des motifs d’égalité, on fera la fête des éprouvettes… Des ventres à louer… Tout cela posera un problème. – Suite p. 15

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 15  

 

15 NOËL 2015  

La bien-pensance a-t-elle changé de bord ?

Au fond, quand on parle mariage, on en-visage non seulement un couple mais aussi la symbolique de la filiation (même s’il n’y en a pas). J’ai mis longtemps à m’en rendre compte. Quand on parle de partenariat enregistré (ndlr : l’union homo-sexuelle qui existe actuellement en Suisse), on n’envisage qu’un couple. Je remarque que cela a été d’une très grande habileté (d’ailleurs, la conférence des évêques avait soutenu le texte) et je regrette d’avoir milité contre. Le législateur a ré-ussi à mettre dans une institution seule-ment ce qui concernait le couple. C’est donc tout à fait légitime : sitôt qu’on par-le de mariage, il y a symbole de filiation. Quant à se faire qualifier de mal-pensants, même si cela n’est pas dit ex-pressément, je considère qu’il s’agit tou-jours d’un moyen totalitaire que de dé-précier par ce genre d’épithètes ceux qui ne sont pas d’accord. Il ne faut pas man-quer de le dire. "L’esprit d’ouverture", c’est la bien-pensance actuelle. Mais il ne faut pas céder : les meilleurs parents sont ceux qui osent dire non à leurs enfants, et il faut aimer plus pour oser dire non que pour dire oui.

Pouvons-nous dire que les mouvements libéraux et les mouvements radicaux (j’en suis) ont, par leur anticléricalisme, causé cette perte des valeurs ?

Voilà une question qui me tarabuste ! Avons-nous fait faux pour ne pas avoir réussi à transmettre les valeurs ? Mes petits-enfants sont-ils sensibles aux va-leurs chrétiennes ? C’est peut-être l’âge…

Comment avons-nous failli ? Ce qui me frappe le plus, c’est que mai 68 a détruit sans reconstruire. Beaucoup d’idéaux so-cialistes, radicaux, libéraux (néo-libé-raux), ont contribué à détruire. Dans le canton de Vaud, le libéralisme est lié au protestantisme, tandis qu’en Valais, le li-béralisme ne s’est développé que pour faire pièce au PDC. Ceux qui doivent transmettre des valeurs ont une respon-sabilité. Quant à l’Eglise, comme institu-tion, elle a commis beaucoup d’erreurs. L’Eglise est composée de personnes. « Il ne faut pas tirer argument contre la doc-trine des faiblesses de ses fidèles » disait Roger Caillois. J’essaye toujours de me dire : s’ils n’étaient pas chrétiens, ils se-raient sûrement pires. Pour transmettre des valeurs, il faut donner envie parce qu’on les a ! J’ai rencontré des socialistes chrétiens qui portaient le malheur du monde sur leurs épaules. Ce n’est pas leur rôle : le malheur a été porté sur la Croix. Cela m’a frappée.

« Les meilleurs parents sont ceux qui osent dire non à leurs enfants, et il faut aimer plus pour oser dire non que pour dire oui. » Venons-en maintenant à « Noël, fête con-sumériste ». Les libéraux sont-ils respon-sables de l’instrumentalisation de cette fête ?

Ah non ! Pas le libéralisme politique, en tous cas. La doctrine économique peut-être. Il y a une grande différence entre ces deux courants. Le courant politique exerce une responsabilité sociale – Suite p. 16

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 16

 

16 NOËL 2015  

alors que le courant économique n’en a pas. Il faut insister sur cette différence. Le radicalisme n’est pas le capitalisme. Bien sûr, personne au PLR n’est opposé au capitalisme : il fait partie de la liberté du marché. En revanche, la politique doit avoir une responsabilité éthique, qui a disparu tant dans le libéralisme que dans le radicalisme, et de même au PDC. Et ce à cause de la recherche du pouvoir, conféré par l’argent. Cela est d’autant plus vrai avec la globalisation : l’argent devient un moyen facile de com-paraison entre des identités, le plus petit commun multiple. Certes, on ne peut pas lutter contre la globalisation, il s’agit d’un fait technique, mais il faut lutter contre la réduction à l’argent. Et c’est le rôle de la politique.

Si les libéraux n’ont pas fait de Noël une fête consumériste, en ont-ils du moins fait une fête individualiste, comme leur doctrine est centrée sur les libertés per-sonnelles ? « Chacun fait ce qu’il veut et après moi les mouches » ?

Non. Si l’individu est libre et respon-sable, il est aussi responsable des autres. D’ailleurs, en tant que le chris-tianisme est une religion de liberté et de responsabilité, on peut dire que le libéra-lisme est une branche du christianisme (sans le côté transcendant, bien sûr). En passant, je me suis demandé dans quelle mesure l’instauration de comités d’éthique a, au fond, vidé les partis poli-tiques de leurs responsabilités éthiques. Avec eux, il n’y a besoin que de leur aval et "d’un consentement éclairé", très faci-

lement obtenu. Pour moi, ces comités ont un effet négatif. En tant que professeur à l’université, j’ai participé à des sémi-naires de bioéthique ; je n’ai jamais réus-si à faire comprendre à mes élèves qu’il faut mettre la problématique en éviden-ce pour voir comment on la traite avec le droit. C’est une démarche qui demande une certaine capacité d’abstraction.

« L’argent devient un moyen fa-cile de comparaison entre des identités, le plus petit commun multiple. Certes, on ne peut pas lutter contre la globalisation, il s’agit d’un fait technique, mais il faut lutter contre la réduction à l’argent. Et c’est le rôle de la politique. »

Finalement, quel avenir voyez-vous pour Noël ?

Je suis toujours optimiste, et je suis convaincue que l’on arrivera à faire triompher les valeurs. Nous n’avons pas encore touché le fond ; il va falloir rebondir, mais ce genre de rebondis-sement se fait toujours dans la douleur. Je crois fermement en cette capacité de rebondissement de l’être humain, parce que les valeurs existent.

Madame Sandoz, au nom du Regard Libre, je voudrais encore vous remercier pour cette entrevue et, ainsi, vous souhaiter de Joyeuses Fêtes.

 

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17 NOËL 2015  

Entretien avec NATHALIE RIARD et GIOVANNI CATALANOTTO  

Fêtons Noël ensemble Des propos recueillis par Loris S. Musumeci

Madame Nathalie Riard et Monsieur Giovanni Catalanotto sont tous deux officiers de l’Armée du Salut et font partie de l’équipe organisant l’événement « Noël Ensemble ». Rencontre.

L’Armée du Salut organise en collabora-tion avec les Restos du Cœur la fête « Noël Ensemble » le soir du réveillon pour rassembler des familles du lieu et toutes les personnes seules pour l’occa-sion qui désirent s’y joindre. Avant de nous intéresser précisément à l’événe-ment en soi, pourriez-vous nous présen-ter votre église ainsi que son action à Sierre – lieu où vous siégez – et dans la région ? Nathalie Riard : L’Armée du Salut est un mouvement international, présent dans plus de 120 pays et faisant partie de l’Eglise chrétienne universelle. Elle est une église évangélique libre au ca-ractère social prononcé. A Sierre, la pa-roisse de l’Armée du Salut se veut être une église proche des gens, accueillante et accessible. Elle désire parler de la foi chrétienne simplement et avec hu-mour. Ses activités sont motivées par un credo simple : « Aime Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ». Avec son style direct et familier, l’église montre comment une foi concrète peut rendre la vie de tous les jours en-core plus belle. Ainsi, sans prise de tête ni fioritures, l’Armée du Salut présente

les aspects pratiques que la Bible en-seigne pour améliorer le quotidien.

Nathalie Riard et Giovanni Catalanotto lors de leur installation à Sierre avec leurs enfants

En quoi consiste exactement la fête « Noël Ensemble » ? Et qu’évoque pour vous, en lien avec l’événement, l’adverbe « ensemble » ?

NR : « Noël Ensemble » est une fête po-pulaire de Noël pour toutes les familles de Sierre organisée avec les Restos du Cœur. Cette soirée est constituée d'un repas festif ainsi que d'une série d'ani-mations. Il s’agit d’une initiative qui vise à lutter contre la solitude.

« Ensemble » évoque en moi l’idée que l’être humain n’a pas été créé pour vivre dans la solitude. « Ensemble » – Suite p. 18

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 18

 

18 NOËL 2015  

signifie aussi que nous pouvons nous en-traider, unir nos forces, nos capacités, nos « petit peu » qui « ensemble » for-ment beaucoup. « Ensemble » me rap-pelle également que Dieu est venu nous rejoindre dans notre humanité, par la naissance de Jésus sur cette terre, pour mieux nous aimer, mieux nous com-prendre, pour nous sauver et cheminer avec nous, ensemble.

Beaucoup de personnes seules se joi-gnent-elles à vous en plus des familles ?

Giovanni Catalanotto : Oui, il s’agit à peu près de moitié-moitié.

Pourquoi est-il important pour vous d’ac-cueillir celui qui est pauvre, seul, aban-donné ? Et pourquoi spécifiquement à Noël ?

NR : Parce que j’ai envie d’être géné-reuse, comme Dieu l’a été avec moi. Et parce que j’ai envie de partager autour de moi que Noël, c’est une Bonne Nou-velle ! Dieu s’est fait homme, il s’est pen-ché jusqu’à nous et nous dit : « N’aie pas peur, je ne t’abandonne pas, je viens à ton secours. »

Je crois que Noël est un temps particu-lier pour partager l’amour de Dieu, de manière simple et concrète. Lors de « Noël Ensemble », on le fait en offrant un bon repas, une belle soirée, de l’atten-tion et de l’amitié à ceux qui ne rece-vront peut-être pas d’autres cadeaux.

Selon vous, qu’est-ce qui pousse les per-sonnes seules à participer à l’événe-ment ?

NR : La solitude est quelque chose de difficile. Et je pense qu’à Noël, alors que les rues sont vides, les magasins fermés et que la plupart des gens se retrouvent en famille pour fêter, la solitude se fait encore plus ressentir. Donc, cet événe-ment permet de sortir de cette solitude. La notion de se sentir utile en s’enga-geant comme bénévole est aussi quelque chose qui pousse les gens à participer à l’événement.

Il y a certainement aussi le bouche-à-oreille qui joue un rôle. Les personnes qui viennent apprécient beaucoup cette soirée et en parlent autour d’elles.

Quelles sont les diverses réactions des personnes seules qui sont accueillies parmi vous pour l’occasion ? Flotte-t-il, dans leur regard, mêlé à la joie d’être re-çu avec amour, un regret de ne pouvoir être avec leur propre famille ?

GC : L’impression qu’on a, c’est que durant la soirée, les gens oublient le re-gret de ne pouvoir être avec leur propre famille.

On a aussi remarqué que le principe de bénévolat était quelque chose de très im-portant. Les gens peuvent s’inscrire comme bénévoles pour installer et déco-rer la salle, pour les nettoyages, le ser-vice, etc. Ils se sentent ainsi valorisés et fiers, et oublient d’autant plus qu’ils sont seuls. – Suite p. 19

« Ensemble évoque pour moi l’idée que l’être humain n’a pas été créé pour vivre dans la solitude. »

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 19

 

19 NOËL 2015  

Pourriez-vous nous raconter une ex-périence touchante que vous avez vécue, en tant que pasteur, lors d’une précé-dente édition de « Noël Ensemble » ou d’une fête de pareil principe ?

GC : Je peux vous raconter l’histoire de Charly. Il est venu pour la première fois à « Noël Ensemble » en disant : « je suis seul, mais je ne veux pas profiter, j’aime-rais aider ». Il a donc décidé de s’occuper du nettoyage des toilettes. C’est devenu son travail chaque année. On devait presque le forcer à manger, tellement il ne voulait pas profiter !

Par la suite, l’ambiance et la motivation qu’il ressentait l’ont motivé à devenir membre de la communauté de l’Armée du Salut de Sierre. Nous l’avons accom-pagné jusqu’à son décès récent et subit.

« Noël Ensemble » avec M. Catalanotto devant le sapin à droite

Quelle analyse réalisez-vous du phéno-mène de solitude à Noël et durant les fêtes plus généralement?

GC : Durant les fêtes, les gens vivent la situation dans laquelle ils se trouvent d’une manière amplifiée. Leurs occupa-tions habituelles et les traditionnelles

rencontres ne peuvent pas avoir lieu le 25 décembre puisque tout est fermé.

C’est pourquoi les appels à la main ten-due, que ce soit à l’Armée du Salut ou dans les cabinets psychiatriques, sont plus nombreux durant cette période.

Et très souvent, il s’agit d’une solitude subtile et cachée. Dans une région où tout le monde se connaît et où les fa-milles sont très fortes, il est socialement incorrect d’être seul. Ainsi les gens pré-fèrent cacher leur solitude.

D’ailleurs, plusieurs personnes m’ont avoué que la première fois qu’elles sont venues à « Noël Ensemble », elles sont arrivées jusque devant la porte, elles ont fait un petit tour dehors puis sont repar-ties. Et cela plusieurs fois de suite pour certains. Jusqu’à ce qu’ils croisent quel-qu’un de l’Armée du Salut qui les a invités à rentrer et venir « juste » pour boire l’apéro ! Elles sont alors entrées et sont restées toute la soirée.

Quel message aimeriez-vous livrer à nos lectrices et lecteurs pour Noël ?

NR : Je vous souhaite de vivre un « vrai » Noël ! Il est assez facile de prépa-rer une belle fête de Noël. Un beau sa-pin, des bougies, une crèche, des ca-deaux, un bon repas avec un somptueux dessert et le tour est joué. Par contre, je vous invite à remplir ce décor d’une au-thentique célébration de la naissance de Jésus.

Merci inifiment d’avoir répondu à nos questions et tout de bon pour votre événement. – Illustrations à la page suivante

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20 NOËL 2015  

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21 NOËL 2015  

Entretien avec MICHEL MASSY  

« Durez enthousiastes ! » Des propos recueillis par Jonas Follonier

Noël est avant tout une fête religieuse. L’abbé valaisan Michel Massy a répondu à nos questions à l’hôpital de Sierre, où il fait profiter les patients de son humanité. L’abbé Massy travaille aussi dans les deux homes pour personnes âgées de la ville de Sierre ainsi qu’à Notre-Dame de Lourdes pour les personnes handicapées. Il se rend également à Sion quand il est de garde.

Quel sens donnez-vous à Noël ?

Noël, c’est le cadeau inestimable que Jésus nous fait en prenant notre con-dition d’homme. Comme le disait saint Augustin, « le Fils de Dieu se fait hom-me pour que l’homme devienne fils de Dieu. » La devise de l’Hôpital du Valais est « L’être humain au centre ». Il est très important que Dieu devienne hu-main en Jésus. Noël, c’est donc avant tout la fête de l’humain.

Quel bilan faites-vous de l’année 2015 ?

En tout premier lieu, il y a l’ouverture de l’année sainte de la Miséricorde. C’est un mot qui pour moi a été lontemps piégé, de même que le mot « pitié ». « Miséri-corde » vient du latin et signifie un cœur attentif au malheur. C’est donc un beau cadeau que le Pape nous invite à redé-couvrir la Miséricorde dans un monde malade, un monde où il y a beaucoup trop de malheureux.

Il y a eu très récemment les attentats. Mais il existe aussi ce qu’on oublie sou-vent, à savoir des gens qui ont froid, qui ont faim, qui ont soif ; il y a les réfugiés.

Le 8 décembre, jour de l’ouverture de l’année sainte de la Miséricorde, j’ai invi-té les gens à commencer à chaque fois la journée par écouter la parole de Jésus – « Soyez miséricordieux comme votre Père du Ciel est miséricordieux » et de terminer la journée en écoutant cette pa-role de bonheur : « Heureux les miséri-cordieux car ils obtiendront miséri-corde. »

Un autre événement marquant est le grand rassemblement à Paris sur le cli-mat. J’ai été très touché par la mobilisa-tion des jeunes. L’écologie est très impor-tante car il en va de l’avenir de la pla-nète. Cette cause m’est d’autant plus chère que j’étais paysan, puis scout et que je cultive encore un jardin. La terre m’a énormément appris. Je trouve qu’il y a une sagesse dans le contact avec la Terre, la Nature, la Création, qui est magnifique.

Je me suis aussi beaucoup réjoui du sy-node à Rome sur la famille, où des repré-sentants des évêchés du monde entier étaient présents. La famille est impor-tante face au danger de la solitude. – Suite p. 22

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 22

 

22 NOËL 2015  

A Noël, justement, nombre de personnes ne sont pas en famille, mais seules. Est-ce la raison pour laquelle la fin de l’année est la période où il y a le plus de suicides ?

Oui, tout à fait. Pour moi, il y a deux sortes de solitude : une solitude tragique et une solitude habitée. La première, c’est celle des gens seuls à Noël. J’ai ren-contré cette semaine encore deux fa-milles qui appréhendaient les fêtes de Noël car ces personnes sont seules. J’ai aussi rencontré dernièrement un anima-teur spirituel de Cité Printemps. Il m’a dit que beaucoup de jeunes souffrent en ce moment du fait qu’ils doivent rester à l’orphelinat. La solitude habitée, elle, est celle de Marie et de Joseph, des bergers, des mages, qui ouvrent leur cœur et attendent une présence. Il s’agit de la so-litude que chacun de nous a en lui.

« Il y a deux sortes de solitude : une solitude tragique et une solitude habitée. La deuxième est celle que chacun de nous a en lui. »

Quel est le meilleur moyen d’aider ces personnes tragiquement seules ?

Pour ma part, j’essaie avec les deux fa-milles que je connais de voir comment je peux les mettre en relation avec d’autres familles. Pour ceux qui restent à l’hô-pital, je vais passer un moment auprès d’eux, surtout auprès de ceux qui ne re-çoivent aucune visite. Pour que je puisse apporter un peu plus d’humanité dans ce

monde, j’essaie de faire silence et d’écou-ter la Parole qui habite parmi nous.

Vous faites partie de Pars pas. Pouvez-vous nous décrire cette association ?

Pars pas existe depuis une dizaine d’an-nées. Nos principaux buts consistent à accompagner des personnes qui sont ten-tées par le suicide, à rencontrer des gens qui ont vécu le suicide d’un proche et à informer surtout les gens du cycle d’orientation (ndlr : école secondaire I en Valais) pour qu’ils trouvent des raisons de vivre. Notre tâche est donc d’être à l’écoute de ces gens.

A partir de votre expérience, pouvez-vous identifier les motifs récurrents du suicide ?

La solitude, la non-reconnaissance, le manque de sens dans la vie sont généra-lement les raisons poussant à mettre un terme à son existence. Il y aussi beau-coup de gens qui sont en recherche de travail, des jeunes homosexuels ainsi que des gens qui ont vécu des atrocités tout au long de leur vie et qui ont eu honte de le dire à quelqu’un. – Suite p. 23

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 23

 

23 NOËL 2015  

Estimez-vous que l’Eglise assure suffi-samment son rôle social ?

Avec notre Pape François et notre évêque Jean-Marie, je trouve que le res-pect de l’humain est extrêmement fort. Le Pape emploie le terme de « périphé-rie » et ainsi il se fait proche de ceux qui sont dans le malheur. Il y a eu un élan de générosité par rapport aux réfugiés, un appel à la solidarité face au terro-risme ainsi qu’une réflexion pour cher-cher à comprendre comment des jeunes peuvent en arriver là. Je trouve très beau que le Pape François lie le respect de la nature au respect des plus pauvres.

Le rôle social de l’Eglise dépend de chaque chrétien. Personnellement, je m’efforce de devenir chaque jour plus humain.

Quels sont vos souhaits pour l’année 2016 ? Je souhaite de tout mon cœur que le monde devienne de plus en plus humain, et que je devienne de plus en plus humain, car Dieu s’est fait homme en la personne de Jésus.

Pour finir, quel message souhaitez-vous faire passer aux jeunes ? Je tiens à leur dire bravo, et tenez bon. Je suis très touché par leur prise de conscience, leur élan et leur engage-ment. Je trouve qu’une jeunesse comme la vôtre est un beau cadeau pour l’avenir de la planète et pour le respect de l’être humain. Durez dans l’enthousiasme (en grec cela signifie « Dieu en soi »).

Merci pour ces paroles et joyeux Noël !

La crèche de l’Hôpital de Sierre faite par Tony Gallardo, de Bramois (VS).

 

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Le Regard Libre | Noël 2015 | Numéro spécial 24

« Peu d’hommes s’aperçoivent de ce qu’est la solitude, et combien elle s’entend ; car une foule n’est pas une compagnie, et des figures ne sont qu’une galerie de portraits, et la conversation, une cymbale résonnante, là où il n’y a point d’amour. »  

Francis Bacon

« Cela me paraît physiologique, la solitude… On n’en finit jamais avec le problème de la solitude et le désir d’y échapper… Personne ne peut admettre, quand il refléchit, ce terrible chemin quotidien vers la mort… Cette conscience d’un soi immuable, assez perdu et incommunicable à la fois. »  

Françoise Sagan

« Y a pas d’soleil dans ma misère

L’homme en rouge ne me réchauffera pas. »

Michel Polnareff « L’intégrisme est un refuge pour la misère parce qu’il offre un  sursaut d’espérance à ceux qui n’ont rien. Que leur mal disparaisse, et l’intégrisme perdra ses troupes. »

Abbé Pierre

24 CITATIONS À vous autres  

« Pour le pape que l'on sacre et le tyran qui crève Pour rassembler les hommes et appeler au feu Pour la vie qui paraît et celle qui s'achève Pour Pâques, pour Noël, pour honorer les dieux Sonnez les cloches et clochetons Au théâtre des religions Chacun de nous, chacun son tour Les entendra tinter un jour Après la vie, après la mort Elles raisonneront encore Pour glorifier l’éternité Au jour du jugement dernier. »

Charles Aznavour