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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS

Les ressources naturelles à la base de l’alimentation de l’homme et desanimaux sont gravement menacées : déforestation, sur exploitationdes sols, élevage intensif, pollution des océans.

C’est en constatant que ces problèmes sont liés au mode de vieadopté par les grands pays industrialisés que la grande primatologueJane Goodall a commencé à s’intéresser de près à la nourriture deshommes – une nourriture de plus en plus dénaturée.

Face à de tels enjeux, le Dr Jane Goodall propose des ré ponsesimmédiates, accessibles à tous. La grande dame des chimpanzés faitainsi bénéficier le lecteur de ses expériences de scientifique et defondatrice de l’Institut Jane Goodall, qui inscrit son action dans unedémarche globale de protection de la biodiversité, d’aide à la ges-tion durable et équitable des ressources.

Au-delà d’une synthèse des grandes questions alimentaires d’au-jourd’hui, ce livre engagé propose des éléments concrets auxconsommateurs qui veulent se réapproprier la liberté de bien senourrir.

Édition préparée

sous la direction de Martina Wachendorff

Série “QUESTIONS DE SOCIÉTÉ”

ANALYSES, ENQUÊTES ET RÉVÉLATIONS

Donner du sens au flot quotidien de l’actualité, proposer des analyses de fond et des enquêtes ori-

ginales, démasquer les grands mythes, aller au coeur des conflits, chercher des alternatives - la série

“Questions de société” offre un espace d’expression ouvert tant à l’investigation qu’à l’engagement.

Qu’ils abordent les grands enjeux géopolitiques (Inde, Iran, Russie, Afrique), les menaces pesant

sur notre santé (sur-médicamentation, génétique, sida, cancer) ou les effets collatéraux de certains

choix technologiques (nucléaire, RFID, obsession sécuritaire, addiction télévisuelle, complexe agro-

alimentaire), nos auteurs s’opposent à la pensée unique et combattent la désinformation.

Pour plus d’amples information : la navigation par mots-clé

www.actes-sud.fr/rayon/sciences-humaines-et-sociales-sciences

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JANE GOODALL

Née à Londres, le Dr Jane Goodall est une autorité scientifique reconnue àtravers le monde. En 1960, elle réalise une étude sur les chimpanzés deGombe, en Tanzanie, dans laquelle elle fait état d’une découverte scienti-fique importante : leur capacité à fabriquer et à utiliser des outils. Le DrJane Goodall ne cesse de parcourir le monde afin d’alerter l’opinionpublique sur les dangers qu’encourt notre planète, et de faire évoluer lescomportements individuels vers une meilleure prise de conscience desenjeux environnementaux. En 2004, ce fut au tour de la France d’ac-cueillir un Institut Jane Goodall regroupant des disciplines aussi diversesque la primatologie, l’anthropologie, la politique… Reconnue par les plusgrands scientifiques, l’œuvre de Jane Goodall a été couronnée de nom-breux prix, et cette dernière a reçu, en France, le titre d’officier de laLégion d’honneur. Son autorité dans le domaine de la sauvegarde de lanature lui offre la possibilité de faire entendre son plaidoyer pour une ali-mentation citoyenne.

DU MÊME AUTEUR

LES CHIMPANZÉS ET MOI, Stock, 1991.LE CRI DE L’ESPOIR, Stanké, 2000.

MA VIE AVEC LES CHIMPANZÉS, L’Ecole des loisirs, 2006.

Titre original :Harvest for Hope.

A Guide to Mindful EatingEditeur original :

Warner Books, New York© Jane Goodall, avec Gary McAvoy et Gail Hudson

© ACTES SUD, 2008pour la traduction française

ISBN 978-2-330-00631-0

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Jane GoodallGary McAvoyGail Hudson

NOUS SOMMES CEQUE NOUS MANGEONS

essai traduit de l’anglais par Philippe Abry

ACTES SUD

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Ce livre est dédié aux milliers depetits agriculteurs qui luttent vail -lamment pour survivre, et parti-culièrement à ceux qui ont adoptél’agriculture biologique ; à ceuxqui manifestent haut et fort contreles méthodes intimidatrices de l’in-dustrie agroalimentaire ; aux hom -mes et aux femmes qui travaillentsans relâche pour con vaincre lescitoyens des pays “fast-food” deretrouver une nourriture saine.

Et aux milliards d’animaux d’éle -vage du monde entier qu’on faitsouffrir.

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PRÉFACE DE L’AUTEURPOUR L’ÉDITION

FRANÇAISE

J’avais cinq ans lorsque mon père a loué une maison auTouquet pour que ma sœur Judy et moi puissions appren -dre le français. Mes parents ont donc déménagé avec unautre couple et leurs enfants, et ils ont engagé Angela commecuisinière. Elle avait été recommandée pour ses talents culi-naires et son amour des enfants. Nous ne sommes restésque quelques mois car la guerre a éclaté en Europe et nousavons dû rassembler nos affaires et retourner en Angleterre.Ce n’était pas assez pour que j’apprenne le français ni pourque ma mère Vanne et Angela cessent leur conflit au sujetde l’ail. Vanne n’a jamais aimé l’ail, elle ne pouvait pas s’yfaire. Angela, en revanche, était incapable de cuisiner sansail ! Chaque jour elle essayait d’en rapporter en douce, lecachant sous son manteau, dans sa poche ou dans son sacà main. Evidemment, à peine se mettait-elle à cuisiner quel’odeur la trahissait et maman déboulait dans la cuisinepour exiger d’Angela dans un français rudimentaire qu’elleretire l’ail. Pauvre Angela ! Impossible de demander à uneménagère française de cuisiner sans cet ingrédient si impor-tant ! Aucun chef français digne de ce nom n’aurait l’idée debannir l’ail de sa cuisine, car celui-ci non seulement donnesa saveur aux aliments mais est en plus bien connu pourses vertus.

Je me souviens des disputes – et des rires – dans la cui-sine de la maison du Touquet. Et je me rappelle aussi avoirobservé des grenouilles dans le petit étang du jardin. Il nes’agissait bien sûr pas de l’espèce comestible dont les cuis -ses accommodées avec de l’ail sont un régal pour les Fran-çais ! Jusqu’à notre départ, j’ai sûrement retenu quel quesmots de français, attrapés au vol, comme le font les enfants.Quoi qu’il en soit, tous les Anglais connaissent de nombreux

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mots français car ils ont été intégrés à la langue anglaise.C’est plus que jamais le cas en ce qui concerne le vin, lanourriture et la cuisine. Un maître (d’hôtel) est en chargedu bon déroulement du dîner servi dans son restaurant. Aucafé, nous nous arrêtons pour grignoter un croissant ou unebrioche. Un repas débute par un apéritif ou des hors-d’œuvre,il peut ensuite se poursuivre par un con sommé et ses croû-tons ou encore un pâté. Nous aimons les légumes sautés, lespommes croquettes, les gratins de chou-fleur et les petitspois. Nous nous régalons d’un soufflé ou d’une quiche, etajoutons de la mayonnaise à nos salades. Nous buvons duvin rosé ou d’autres vins issus de châteaux français aux nomsenchanteurs. Au dessert nous hésitons entre une mousse ouune crème caramel. Le moindre plat se teinte d’une saveurexotique lorsqu’il est flambé et que dansent les flammesbleues. Comment ensuite ne pas finir par une liqueur et despetits fours ou pourquoi pas un marron glacé ? Choseétrange, s’il arrive aux Anglais d’aimer les escargots, ils nesongeraient pas le moins du monde à avaler un gastéro-pode ! La cuisine d’exception est une cuisine de gourmet, etceux qui ont atteint la perfection culinaire sont des cordons-bleus. Assurément, les Français sont réputés pour leur cui-sine, la mode française et ses ingrédients ont exercé uneinfluence majeure sur les habitudes dans l’Europe entière. Ilest regrettable que la cuisine française, et c’est aussi le casde tant d’autres cuisines nationales, soit en recul à cause dela mondialisation.

De nos jours, on peut trouver dans toutes les grandesvilles de Paris à Nice un nombre toujours croissant de fast-foods, qu’il s’agisse de Quick, de Kentucky Fried Chickenou de tant d’autres. Dans toute l’Europe, c’est en France queMcDonald’s a le plus grand succès. J’ai entendu dire que 2 %de la population française y mange quotidiennement ! Commedans beaucoup d’autres pays industrialisés, la France estconfrontée à une hausse inquiétante de l’obésité. Entre 1997 et2003, l’obésité aurait augmenté de 15 % et une étude récente amontré que 11,6 % des adultes et 15 % des enfants souffrentde surcharge pondérale.

Dans ce livre, j’aborde en détail les risques de l’agricultureindustrielle. A bien des égards, elle ne met pas seulement endanger l’environnement mais aussi notre santé, et surtout

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celle de nos enfants. En France, on utilise malheureusementà des fins principalement agricoles près de 100 000 tonnesd’un pesticide très répandu. Pour ne rien cacher, la Franceest le troisième plus grand consommateur de pesticides aumonde, seuls les USA et le Japon en utilisent davantage. Lesdégâts causés par l’emploi de ces pesticides sont énormes etont de graves conséquences. En 2004, des centaines d’hiron-delles ont été trouvées mortes, empoisonnées par un insecti-cide, sans parler des innombrables espèces d’oiseaux et depetits mammifères qui ont aussi été touchées. Car il va sansdire qu’en plus des nuisibles que l’agrobusiness cherche à éra-diquer, ces poisons chimiques s’attaquent à une multituded’autres espèces. En France comme ailleurs, on est presquesûr que la baisse inquiétante du nombre d’abeilles est due enpartie aux pesticides. Or les abeilles jouent, comme tout lemonde le sait, un rôle décisif dans la pollinisation des arbreset des végétaux. Personne ne s’étonnera de découvrir que lespesticides, engrais et herbicides chimiques utilisés pour l’agri-culture sont aussi toxiques pour l’homme. Le résultat est quel’industrialisation toujours croissante de l’agriculture se traduitpar des dilemmes moraux et des questions éthiques que laFrance, mais aussi le reste du monde, doivent résoudre. L’und’eux n’est autre que l’introduction dans l’environnement etdans la chaîne alimentaire humaine d’organismes génétique-ment modifiés. Jusqu’à présent, les Français ont fait de leurmieux pour résister à l’invasion de ces semences.

Par chance, il y a toujours un nombre incalculable deFrançais qui trouvent que la meilleure nourriture est locale,de saison et si possible issue de l’agriculture biologique. Jedis bien “par chance” car ce n’est qu’en encourageant cegoût pour des aliments frais et locaux que de plus en plus depersonnes choisiront d’en acheter et qu’alors il sera possiblede soutenir les petites exploitations rurales françaises. Ellessont tout aussi importantes pour l’identité nationale que leLouvre ou la tour Eiffel. A l’image des petites exploitationsfamiliales du monde entier, ces fermes françaises sont sacri-fiées à l’agrobusiness. Il y a cinquante ans, un cinquième dela population travaillait la terre ; aujourd’hui, on comptemoins de 600 000 paysans – et certains pensent que près dela moitié pourraient disparaître dans les vingt prochaines an -nées si rien n’est entrepris. Récemment, j’ai été interpellée

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par plusieurs articles soulignant l’importance du sauvetagede ces dernières petites exploitations familiales françaises.Même les candidats à l’élection présidentielle de 2007 ontinsisté sur la nécessité de protéger ces petites exploitationsrurales. J’ai compris que les subventions sont au cœur decette crise nationale, car la part du lion revient aux géantsde l’agrobusiness et aux fermes céréalières du Nord de laFrance, bien connues pour leur forte dépendance aux engraiset pesticides. Mais l’espoir ne fait que grandir car de plus enplus de petits exploitants pratiquant une agriculture biolo-gique demandent avec tous ceux qui les soutiennent queles subventions soient redistribuées pour venir en aide auxagriculteurs traditionnels soucieux de l’environnement.

Dans ce livre, il est beaucoup question de la cruauté quesuppose l’élevage intensif. Les rapports que j’ai lus au sujetdes conditions d’élevage du bétail et des volailles dans lesfermes industrielles françaises laissaient entendre que lasituation n’était pas pire que dans la plupart des autres paysindustrialisés. Mais le problème de la production de foiegras à grande échelle demeure. Tout le monde sait que lesFrançais vouent presque un culte au foie gras. Un chef fran-çais de Chicago était outré par la nouvelle législation améri-caine interdisant de vendre du foie gras ou d’en servir dansles restaurants. Il y voyait un affront aux traditions cultu-relles françaises. Bien sûr, ce n’est pas le produit en soi quiindigne ceux qui s’inquiètent du bien-être des animaux maisplutôt la façon dont on l’obtient. Je me demande combiende Français savent au juste ce que les canards et les oiesdoivent endurer pour que cette nourriture de gourmet puisseexister. J’ai décrit dans le chapitre V le procédé barbare quiconsiste à gaver de force les bêtes à l’aide d’un tube en caou -tchouc ou en métal introduit dans la gorge du volatile pourque son foie ait une plus grande taille. Rien n’oblige à agirde la sorte. Il y a peu, j’ai été ravie d’appren dre qu’au moinsune grande ferme avicole française avait décidé de mettrefin au gavage de force et laissait simplement ses canardsmanger une nourriture riche. On parlera donc de foie grasde canard élevé en plein air, de même qu’il existe des œufsde volailles qui ne sont pas confinées dans des élevages enbatterie et de la viande de porcs ou de vaches élevés dansdes pâturages et qui ont de la place pour bouger.

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Heureusement, les Français peuvent faire des choix quipermettront des changements positifs et affecteront la façondont la nourriture est produite et préparée dans leur pays – cesoptions sont proposées à la fin de chaque chapitre du livre.Vous pouvez par exemple refuser d’acheter ou de manger deslégumes ou de la viande dont la production cause des dégâtsà l’environnement, aux animaux ou à la santé humaine. Vouspouvez soutenir les paysans, vendeurs et restaurateurs quicontribuent à protéger la planète, ses animaux et notresanté. Vous pouvez faire vos achats au marché des produc-teurs. Vous pouvez acheter des produits issus de l’agricul-ture biologique. Si vous objectez que tout cela entraînerades dépenses supplémentaires, reportez-vous au chapitre XVoù sont exposés tous les bienfaits pour la santé qui contre-balancent le surcoût. Je suis sûre que vous êtes prêts àdébourser un peu plus pour le bien-être de vos enfants.

Il existe encore une autre possibilité : vous pouvez dînerdans une auberge paysanne comme Les Truffières, qui esttenue par Yanick et Lyzianne Le Goff. Ces derniers ontacheté une ferme de 5 hectares près de Trémolat en Dor-dogne, où ils produisent environ 800 canards chaque année.Ils pratiquent un élevage à visage humain, de sorte quechaque volatile se nourrit dans un pâturage où il peut semouvoir sans contrainte et reçoit une alimentation saine. Lefoie gras des Truffières vient de ces canards. Tout ce qui estproduit dans cette ferme est 100 % bio et bien connu poursa délicieuse saveur – en mangeant aux Truffières, vouscontribuez au maintien des méthodes d’élevage tradition-nelles tout en savourant un repas délicieux et sain !

Dans le chapitre XI, il est question du domaine Comte-Cathare en Languedoc, dans le Sud-Ouest de la France. Leviticulteur Robert Eden applique à la lettre les principes dela biodynamie, il tient compte de la lunaison et a déve-loppé une relation pleine de respect envers la terre, quidonne à réfléchir.

Son domaine fonctionne grâce à l’énergie naturelle desmoulins à vent et des panneaux solaires. Un attelage de che-vaux sert à labourer les vignes pour que le sol ne soit passouillé par l’essence ou le gazole. Robert a produit un vin spé-cialement pour l’Institut Jane Goodall France. Un pourcentagede chaque bouteille de Grands Singes vendue est versé au

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programme pour la protection des chimpanzés. Je m’y con -nais en vin et je peux vous dire que cette cuvée est excellente.

Pour finir, je dirais qu’en ce début de nouveau millénaire,le monde est en ébullition : de plus en plus de personness’inquiètent pour l’avenir des enfants nés en ces temps incer-tains. Quand je regarde mes trois petits-enfants et que jepense combien nous avons détruit le monde depuis l’épo -que où j’avais leur âge, je suis persuadée qu’il n’y a pas uneminute à perdre. Il suffit de penser au réchauffement clima-tique, à la pollution, à la baisse des réserves en eau, à ladésertification, à la disparition d’espèces, mais aussi à l’avi-dité des hommes, à leur cruauté, aux guerres et au terrorisme.Comment nos enfants s’en sortiront-ils ? Ils ont besoin detoute notre aide, ce qui suppose que nous leur apprenionsce qui se passe et les encouragions à faire quelque chose.Leur permettre de saisir l’importance que revêt une alimen-tation équilibrée n’est sûrement pas le moindre de nosdevoirs, car c’est ainsi qu’ils pourront acquérir la force men-tale et physique dont ils auront besoin pour initier un chan-gement.

L’Institut Jane Goodall France a entamé une nouvelle étapede notre mouvement mondial de jeunes Roots & Shoots, pré-senté dans le chapitre VI. Je ne cesse d’être impressionnéepar la force de la jeunesse lorsqu’il s’agit de mettre enœuvre un changement et j’espère que les jeunes Français sejoindront à nos efforts pour que ce monde soit meilleurpour ses habitants, ses animaux et son environnement. C’està nous autres, adultes responsables, de guider nos enfantssur ce chemin vers un avenir meilleur.

DR JANE GOODALL,PhD, DBE,

fondatrice de l’Institut Jane Goodall,messager de la Paix des Nations unies,

présidente d’honneurde l’Institut Jane Goodall France.

Institut Jane Goodall France1, rue du Général-Bertrand

75007 Paris01 47 34 50 54

www.janegoodall.fr

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CHAPITRE I

DES ANIMAUX ET DES HOMMES

Dans le cosmos il n’y a que ceux

qui mangent et ceux qui sont man -

gés. En somme, tout est nourriture.

Hindu Upanishad

Un vieux dicton anglais nous apprend que ce sont lesmanières qui font l’homme. En fait, c’est plutôt la nourriturequi fait l’homme. Pour peu que l’on considère notre physio-logie, notre anatomie ainsi que les comportements transmispar nos gènes, nous sommes bel et bien ce que nous man-geons. Impossible de survivre sans nourriture, quand bienmême certains individus ont pu prétendre le contraire. Dansla seconde moitié du XIXe siècle, des jeunes filles se privantde nourriture exercèrent une singulière fascination sur lepeuple britannique, et notamment Sarah Jacobs, une enfantde douze ans qui déconcerta les médecins en refusant demanger ou de boire durant deux ans. Elle devint un mon s -tre de foire mais, à la fin, ses parents acceptèrent qu’elle soitplacée sous surveillance médicale. Son état général s’étaittrès vite détérioré et elle en vint rapidement à mourir. Sonpère, qui avait refusé de la nourrir, fut condamné ainsi quesa mère pour homicide par négligence. Il n’a jamais étépossible d’établir qui lui avait fourni de quoi survivre durantles deux années précédant son décès.

Plus récemment, Ellen Greve s’autoproclama, en 1999,grande prêtresse des régimes new age en prétendant ne pasavoir mangé durant cinq ans, attribuant sa survie à d’invi-sibles cristaux présents dans l’air. Elle préconisait un jeûnecomplet de vingt et un jours doublé d’exercices spirituelsdont elle vendit la recette détaillée à plus de 5 000 adeptes– certains d’entre eux tombèrent gravement malades, trois

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sont morts. Finalement, on en vint à douter de son talent et,mettant sa réputation en jeu, elle accepta de rester dans unechambre d’hôtel où tous ses faits et gestes étaient placéssous surveillance vidéo. Au bout de trois ou quatre jours dejeûne effectif, elle perdit conscience et fut admise à l’hôpital.Contrairement à la pauvre Sarah, elle put s’en remettre et,afin de sauver la face, elle accusa l’air de la chambre d’hôtelde ne pas être assez frais pour l’alimenter comme l’air del’arrière-pays en Australie. Elle s’y est d’ailleurs réfugiée et,depuis, je n’ai plus entendu parler d’elle !

Il ne fait aucun doute que l’être humain peut jeûner pen-dant des durées inattendues mais, à la fin, tout le monde abesoin d’une forme d’alimentation pour rester en vie, mêmesi la quantité nécessaire est étonnamment restreinte. Toutecréature a besoin de nourriture de quelque sorte que ce soit,même si certaines espèces peuvent jeûner plus longtempsque l’homme. Les hivernants comme les ours entrent dansun processus de ralentissement des fonctions physiologiqueset peuvent survivre durant tout un hiver très rude sans senourrir du tout. En Afrique, les poissons de la famille desdipneustes s’enterrent dans la boue des flaques asséchéeset attendent la prochaine pluie, ce qui peut parfois prendreplusieurs années. J’ai pu observer une tique toujours en vieaprès six années passées dans un verre sans nourriture nieau. Lorsqu’on approchait la main, elle s’animait et agitaitdésespérément ses pattes antérieures et ses antennes, jesuppose qu’elle devait sentir le sang et je m’en suis voulu.Mais ce sont là des exceptions. La plupart des animaux,comme nous, ont besoin de nourriture, et encore plus d’eau,et ce de façon régulière. La planète Terre propose une gammevariée d’ingrédients au menu, si bien que presque tout estnourriture pour quelqu’un ou quelque chose. Dans la nature,il y a des milliers d’histoires fascinantes, de stratagèmes etde ripostes qui tournent autour de ce besoin élémentaire denourriture.

LA NATURE NE MANQUE PAS DE RESSOURCES

Certaines espèces animales ont su développer les aptitudesles plus incroyables pour trouver, attraper, préparer ou encore

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digérer les substances, plantes ou autres animaux qui leurpermettent de rester en vie. Les proies sont chassées, tra-quées, empoisonnées, attrapées. Les araignées ont des donssurprenants pour chasser leurs proies et les prendre aupiège. Il en existe même une espèce qui dépose une matièrecollante au bout d’un morceau de fil et le fait tournoyer au-dessus d’elle comme un cow-boy miniature avec son lassopour attraper les mouches. Le poisson-archer attend poursa part qu’une mouche se pose sur une branche située au-dessus du courant et lui envoie ensuite une gorgée d’eaufatale, faisant tomber son dîner jusqu’à lui. La larve du four-milion creuse des trous en forme d’entonnoir dans le sablemou, elle se tapit à l’affût au fond de ceux-ci et catapultedes grains de sable lorsqu’elle sent un malheureux insectese débattre au bord du trou, la victime perd alors prise etdévale la pente pour être saisie par de féroces mandibules.De nombreuses créatures, une fois qu’elles se sont empa-rées de leur proie, leur injectent un poison qui les paralyse.Ceci leur permet de manger des créatures plus grandes etplus fortes qu’elles. Il existe même une famille de plantesqui se nourrit d’animaux. Certaines plantes carnivores atti-rent les insectes dans des feuilles évasées remplies d’unliquide alléchant bourré d’enzymes, qui digère peu à peu laproie pour finalement l’absorber. Le droséra a des feuillescollantes qui se referment sur les insectes imprudents seposant là pour déguster quelques gouttes du nectar tenta-teur ; ils seront ensuite progressivement digérés.

Les animaux ont recours à des moyens et méthodes dif-férents pour atteindre le même but. Pour accéder au nectarsitué au fond d’une fleur, les papillons ou les abeilles utili-sent une longue trompe, les colibris ont un bec très fin. Pourse régaler des délicieux termites ou fourmis cachés sousterre, les tatous et les fourmiliers ont développé de puis-santes griffes, leur langue ressemble à un long ver collantcapable de serpenter dans une fourmilière ; quant aux chim-panzés, ils pêchent les fourmis à l’aide de pailles. Grâce àleur trompe, les éléphants arrivent à attraper leur nourrituresur les branches les plus hautes des arbres, les girafes seservent de leur long cou, d’autres espèces grimpent ouvolent. Des animaux aussi différents que le lion ou l’arai-gnée ont recours à la ruse, ils se cachent et bondissent

I. – DES ANIMAUX ET DES HOMMES 17

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ensuite sur leur proie. D’autres comme le guépard et le fau-con misent tout sur de courtes pointes de vitesse, les hyè -nes, par contre, disposent d’une remarquable endurance. Lavue, l’ouïe, l’odorat, les vibrations, l’écho peuvent servir àlocaliser une proie.

Par conséquent, de nombreux animaux et plantes ontpris des mesures tout aussi ingénieuses pour se protéger etéviter de finir comme nourriture. Selon leur espèce, lesinsectes s’appliquent à ressembler à l’écorce des arbres, auxfeuilles mortes, fleurs et autres brindilles. A Gombe en Tan-zanie, il existe une chenille qui ressemble à s’y méprendreà une déjection d’oiseau. Certaines larves de mouches commeles trichoptères se construisent de petits tubes qu’elles ca -mouflent en y collant de petits morceaux de végétation trou-vés dans les environs. Les mygales fouisseuses utilisent lamême technique pour masquer l’ouverture amovible quidonne accès à leur trou. Certains insectes ont de superbescouleurs mais un goût écœurant. Une tentative suffit pourque l’éventuel dîneur évite une espèce pour de bon. D’au -tres insectes encore peuvent être délicieux, mais leur res-semblance avec une espèce vénéneuse est telle qu’ils sontsoigneusement évités !

Nombreux sont les grands herbivores présentant destaches ou des rayures qui brouillent leurs contours et les ren-dent difficiles à distinguer. Les pieuvres peuvent même changerde couleur pour mieux se confondre avec leur environne-ment. Toute une série d’animaux différents allant des porcs-épics, hérissons, rascasses aux chenilles, en passant par lesoursins de mer, se protègent grâce à des aiguilles, piquants,épines ou poils acérés. D’autres ont une robuste armureexterne, comme les tortues, tatous et d’innombrables insec -tes. Certaines créatures administrent leur poison par les dentscomme les serpents ou par un dard comme certains coquil -lages (Conus bullatus) ou le poisson-pierre. Si la fonction pre-mière du poison est d’immobiliser la proie, il se révèleencore plus efficace lorsqu’il s’agit de repousser d’éventuelsprédateurs. Il en va de même pour les chocs électriquesdispensés par certaines raies et anguilles, ainsi que pour lesplantes et leurs graines qui se protègent grâce à d’innom-brables parades : épines, piquants, poils urticants, toxinespuantes et autres solides enveloppes. Et pourtant, la plupart

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des végétaux sont destinés à être mangés. Les fruits les plusalléchants constituent une nourriture de très grande qualité,de sorte que les animaux qui s’en nourrissent jouent avecbonheur un rôle décisif dans la dispersion des graines enles transportant dans leur estomac pour une excrétion ulté-rieure. Certaines graines ne peuvent germer sans être pas-sées par l’estomac et les entrailles d’un animal. On necompte pas les plantes générant un parfum qui attire lesinsectes, certains oiseaux et même une espèce bien particu-lière de chauves-souris, et les incite à se régaler du nectarsucré sécrété par leurs fleurs. Ces gourmets de toutes sortestransporteront le pollen d’une plante ou d’un arbre à l’autreet sont ainsi investis d’un rôle vital dans la propagation desespèces.

Les organes internes et autres systèmes digestifs se sontpour leur part adaptés à toutes les formes de nourriture :viande crue, matière végétale fibreuse, feuilles empoison-nées ou couvertes d’épines, carcasse en décomposition oumême os. Selon leur taille et leur force, les mâchoires et lesdents permettent à ceux qui en sont pourvus de rompre,déchirer ou mastiquer tout ce que la nature a mis à leurmenu. Les oiseaux disposent d’une gamme fascinante debecs, chacun étant adapté à la nourriture caractérisant l’es-pèce. Les hyènes ont des dents et des mâchoires si puis-santes qu’elles peuvent venir à bout de grands os et ensuiteles digérer, parvenant à extraire des substances nutritives devieilles carcasses.

Le plus souvent, les animaux ne peuvent manger que ceà quoi leur naissance les destine. Une girafe ne pourrait sur-vivre avec de la viande, pas plus qu’un aigle ne saurait secontenter de feuilles. De nombreuses espèces sont dépen-dantes de leurs besoins alimentaires : le koala ne peut sepasser de feuilles d’eucalyptus, le panda géant a pour sapart besoin de bambou, les larves de certaines guêpes nepeuvent survivre si elles ne sont pas nourries d’insectesparalysés comme les araignées ou les chenilles. D’autres ontdes goûts plus éclectiques, beaucoup sont omnivores etsurvivent grâce à un régime mixte de végétaux et de chairanimale.

Au cours de l’évolution, la physiologie et le comportementdes animaux ont été déterminés en grande partie par le

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besoin de trouver une nourriture appropriée. Il ne fait pres -que aucun doute que la nourriture, ou plutôt la façon dontelle est obtenue, préparée et consommée, a joué un rôledans l’évolution de notre propre espèce. Comme beaucoupde nos ancêtres parmi les primates, nous autres humainssommes omnivores. C’est le cas des chimpanzés dont nousne différons d’un point de vue génétique que de 1 %. Leschercheurs sont nombreux à s’intéresser à l’alimentation deschimpanzés, celle-ci pourrait en effet nous donner un aperçudes habitudes alimentaires de nos ancêtres à l’âge de pierre.Les chimpanzés sont d’abord des frugivores, ils ont des lèvresallongées et agiles, et l’intérieur de leurs joues est creusé afinde sucer et presser le jus de leur nourriture. Mais ils mangentaussi des feuilles, des fleurs et des trognons ou encore desbourgeons, des graines et des noix elles-mêmes riches enprotéines végétales. Ils n’ont rien contre les protéines ani-males et, à certains moments de l’année, n’hésitent pas àconsommer des insectes, surtout des fourmis, des termiteset des chenilles. Il leur arrive parfois de chasser des mammi-fères pouvant atteindre une taille moyenne – à Gombe, laviande constitue 2 % de leur régime annuel.

DES OUTILS POUR CHASSER

Pour les anthropologues comme Louis Leakey qui s’intéres-sent à l’évolution de l’espèce humaine, les observations lesplus marquantes que j’ai pu faire à Gombe au début desannées 1960 sont celles qui, pour la première fois, faisaientétat de l’usage d’outils et du caractère chasseur des chim-panzés. Jamais je n’oublierai la première fois où j’ai vu unchimpanzé se servir d’un outil. Je peinais à avancer à traversune végétation humide, la matinée avait été frustrante, car laplupart des chimpanzés restaient peureux et prenaient lafuite dès qu’ils m’apercevaient. Soudain, j’aperçus une sil-houette noire accroupie devant une termitière. En guettantà travers les feuilles, je vis qu’il s’agissait de David Grey-beard, le mâle qui commençait tout juste à avoir un peumoins peur de l’étrange bipède blanc que j’étais. Je le viscueillir une tige d’herbe, la piquer dans le tas, atten dre unmoment puis la retirer couverte de termites qu’il attrapa

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avec ses lèvres. Je distinguais ses mâchoires en pleine actionet j’entendais le bruit de la mastication. J’avais vu un chim-panzé se servir d’un outil !

Cette découverte était si excitante qu’après coup, je crusl’avoir rêvée. Mais quelques jours après, je pus voir DavidGreybeard, cette fois avec son compère Goliath, se servirde tiges d’herbe pour se régaler de termites. J’observai éga-lement comment David Greybeard arracha une branchefeuillue d’un buisson voisin pour ensuite l’effeuiller et enfaire un objet adapté à son dessein. Je n’avais donc pas seu-lement vu un chimpanzé se servir d’un outil, j’en avais mêmevu un se fabriquer un outil ! Jusque-là, les scientifiques pen-saient que seuls les êtres humains étaient capables de fabri-quer des outils et de s’en servir. Et ceci passait plus que touteautre chose pour le critère qui nous différenciait du reste dumonde animal. L’homme faiseur d’outils, c’est ainsi quenous étions décrits dans les manuels d’anthropologie del’époque. J’envoyai un télégramme à Louis Leakey. “Bien,me répondit-il, à présent nous devons redéfinir ce qu’est unhomme et ce qu’est un outil, ou alors accepter que leschimpanzés fassent partie des humains !” Par la suite, j’ai puobserver des chimpanzés qui se servaient de longues ba -guettes écorcées pour manger toutes sortes de fourmis, defeuilles comme d’éponges pour absorber l’eau des cavitésdes troncs d’arbres et de nombreux autres objets à des finsvariées, le plus souvent pour trouver de la nourriture.

David Greybeard me fournit la première preuve que leschimpanzés mangent parfois de la viande. Jusque-là, onconsidérait communément que les chimpanzés étaient végé-tariens. A cette occasion, je vis donc David Greybeard senourrir d’un jeune potamochère (cochon de brousse). Il par-tageait la chair avec une femelle plus âgée assise tout prèset quémandant, alors que son petit essayait sans succèsd’obtenir un bout de ses aînés et faisait des tentatives répé-tées pour attraper des restes tombés à terre. A plusieursreprises, la femelle subissait les assauts des porcs adultes encolère et elle dut finalement détaler et regagner son arbreen poussant des hurlements. Quelques semaines plus tard,j’observai une chasse fructueuse. Un petit groupe de colo -bes roux avait trouvé refuge tout en haut de la cime d’unarbre fort élevé surplombant la canopée. Quelle ne fut pas

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leur erreur : cette position rendait leur capture plus aisée.Quel ques chimpanzés mâles se postèrent dans les branchesalentour, barrant ainsi la route aux petits singes. Puis unchimpanzé adolescent grimpa lentement le long du tronc,bondit vers une femelle qui portait un petit à son cou, s’em-para du jeune et s’enfuit avec sa proie. L’un des chimpan-zés mâles lui arracha ensuite le trophée et, en un rien detemps, la carcasse fut déchirée en morceaux par trois grosmâles dans un élan joyeux et bruyant. Le jeune chasseurrejoignit les femelles afin de quémander quelques restes.

Au fil des ans, nous avons pu observer de nombreuxexemples de coopérations raffinées durant la chasse maisaussi concernant le partage de la nourriture. Nous savons àprésent que les chimpanzés mangent de la viande partout oùils sont répartis en Afrique, ou du moins dans tous les en -droits où ils ont été observés.

UN NOUVEL ÉCLAIRAGE SUR L’ÉVOLUTION HUMAINE

Louis Leakey m’avait envoyée étudier les chimpanzés dansla nature car il espérait établir de nouvelles connaissancessur le comportement de nos ancêtres les plus anciens, maisaussi sur celui des chimpanzés. Il prétendait que, s’il y avaitdes similitudes entre le comportement des chimpanzés etcelui des humains actuels, ces comportements se retrou-vaient sûrement chez la créature anthropoïde aux caracté-ristiques d’hominidé dont descendent aussi bien l’hommeque le chimpanzé et qui vivait il y a quelque 7 millionsd’années. S’il en était ainsi, les hommes préhistoriques de -vaient probablement avoir également hérité de ces caracté-ristiques.

Les observations faites à Gombe laissaient penser pour lapremière fois que les hommes préhistoriques chassaient déjàde la viande et se servaient d’outils rudimentaires faits defeuilles et de branches longtemps avant que n’apparaissentles premiers marteaux et haches en pierre. Je me plais àimaginer ces lointains ancêtres en train de s’embrasser, de setenir la main, j’aime évoquer leur excitation après avoirattrapé une proie, je me les représente se servant des plussimples outils pour rassembler et préparer leur nourriture.

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Louis représentait l’avant-garde de cette pensée et sa visiona fait école : à présent, la plupart des manuels évoquent lecomportement des chimpanzés lorsqu’il s’agit d’émettre unehypothèse sur le comportement de nos ancêtres préhisto-riques.

De nos jours, on admet généralement que, même si les pre-miers êtres humains mangeaient probablement de la viande,celle-ci est loin d’avoir joué un rôle prépondérant dans leuralimentation. Les plantes représentaient une source de nour-riture bien plus importante. Il en va de même pour la plu-part des peuplades de chasseurs-cueilleurs dont le mode devie est resté le même jusqu’au siècle dernier. Une exceptionpeut se produire lorsqu’un groupe s’est déplacé vers unenvironnement où, pour une partie de l’année, la végéta-tion ne peut proliférer. C’est le cas des Inuits canadiensmais aussi de toutes les peuplades des plaines arides. Quoique nos ancêtres préhistoriques aient pu manger ou ne pasmanger, on peut néanmoins avancer avec certitude que larecherche de nourriture et la lutte avec les autres créaturespréhistoriques ont joué un rôle-clé dans l’évolution humaine.C’est notamment le fait qu’ils n’aient pas eu de régime spé-cialisé qui a permis à nos ancêtres anthropoïdes de quitterles forêts dont ils étaient originaires.

Les premiers hommes partageaient la savane africaineavec d’énormes créatures, dont certains babouins géants dela taille d’un gorille. Il est probable qu’il y a eu une compé-tition acharnée entre eux, tout comme c’est le cas aujour-d’hui à Gombe entre les chimpanzés et les babouins, dontl’alimentation est plus ou moins commune. Prenons le casd’un fruit de la famille des Loganiacées, le Strychnos, qui ala taille d’une balle de tennis et une enveloppe très résis-tante. Avec leurs puissantes dents et leurs mâchoires, lesbabouins n’ont aucun mal à les ouvrir, ce qui n’est pas le casdes chimpanzés. Néanmoins, ces derniers ont appris à briserle fruit contre une pierre pour en retirer la chair. En Afriqueoccidentale, les chimpanzés ont même développé une tech-nique de marteau et d’enclume pour ouvrir des noix à lacoquille très résistante en les plaçant sur des pierres ou desracines faisant office d’enclume et en les écrasant avec unepierre ou un os. Cette trouvaille leur donne accès à touteune gamme de nourriture qui reste hors de portée de la

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plupart des autres créatures. On peut donc à juste titre sup-poser que les hominidés préhistoriques se servaient depierres, non seulement comme d’armes, mais aussi pourouvrir des fruits ou des noix aux écorces résistantes.

A Gombe, chimpanzés et babouins sont friands de ter-mites. Les babouins, comme la plupart des autres singes,oiseaux, etc., doivent attendre que les termites ouvrent lesnids pour permettre aux princes et princesses fertiles de s’en-voler pour former de nouvelles colonies. C’est à ce momentque les insatiables amateurs d’insectes attrapent tant qu’ilspeuvent les succulents termites. Les chimpanzés font demême. Mais, comme nous l’avons vu, ces derniers peuventse régaler de termites même lorsqu’ils ne volent pas. Voilàqui met à leur disposition une source de nourriture abon-dante à laquelle les babouins et d’autres compétiteurs n’ontpas accès.

Il est surprenant de voir que les chimpanzés volent souventde la viande aux babouins, le plus souvent de très jeunesantilopes. Et ce, malgré les puissantes canines des babouinsmâles qui se rapprochent de celles des léopards et qui sontau moins deux fois plus grandes que celles des chimpanzés.Ce qui est encore plus surprenant, c’est que le voleur estsouvent une femelle chimpanzé dont les dents sont encoreplus petites. Je pense que tout cela est possible car le chim-panzé se tient debout, adopte une posture très intimidanteet attaque son adversaire en brandissant une branche, par-fois en lui jetant des pierres, tout en poussant d’effroyableshurlements. Au regard de ce scénario, on peut facilementimaginer comment les premiers hommes parvenaient àconserver leurs biens contre nombre d’adversaires bien plusgrands. Ensuite, alors que leur cerveau gagnait en com-plexité, ils réussirent peu à peu à développer des outils etdes armes de plus en plus sophistiqués pour finalementarriver à dominer ce monde préhistorique si sauvage.

Il est aussi probable que les hommes préhistoriques ontappris en observant les autres animaux. Leurs peinturesrupestres nous révèlent à quel point ils étaient de finsobservateurs de la vie sauvage autour d’eux. Peut-être ont-ilspensé pour la première fois à badigeonner de poison lapointe de leurs flèches ou de leurs lances après avoir observél’agonie fatale des victimes des araignées ou des serpents.

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Et il se peut que le premier pot en glaise ait été le produitd’un observateur humain ayant vu les dons extraordinairesde la guêpe maçonne qui modèle la boue en la mâchantpour en faire ensuite un refuge en glaise parfaitement sphé-rique où elle pourra installer un nid pour sa progéniture.

LE FEU – AUX ORIGINES DE LA CUISSON

On a émis l’hypothèse que l’introduction de la nourriturecuite aurait contribué de façon déterminante à l’évolutionhumaine. Cette théorie est due aux anthropologues RichardWrangham (qui a étudié les habitudes alimentaires des chim-panzés à Gombe) et David Pilbeam, ainsi qu’à d’autres mem -bres de cette équipe de recherche de l’université de Harvard.Charles Darwin lui-même, comme nous le rappelle Wrangham,précise que la cuisson est un moyen de rendre digestiblesdes racines trop dures ou trop filandreuses, et inoffensivesles herbes ou racines empoisonnées. Il est aussi possibled’extraire plus de calories d’une nourriture cuite. Wranghamavance que la cuisson a eu un rôle essentiel dans le déve-loppement de mâchoires et de dents plus petites, réduisantaussi la taille des viscères et de la cage thoracique, et quecette nourriture plus apte à la digestion aurait permis uneaugmentation de l’énergie nécessaire à l’alimentation d’uncerveau plus grand. On constate donc que la préférencepour une nourriture cuite a pu se développer chez les pre-miers hommes. Il arrive aussi bien aux babouins qu’auxchimpanzés de fouiller les terres brûlées et noircies aprèsqu’un feu de brousse a sévi. On dirait qu’ils apprécient legoût des insectes grillés et de certaines plantes. A n’en pasdouter, ils trouvent des animaux morts, tués et peut-êtremême partiellement cuits par les flammes. A la saison sèche,les feux de brousse sont souvent provoqués par des éclairset, leur cerveau se complexifiant, les premiers hommes ontpeut-être commencé à entretenir les flammes pour la cuis-son. J’ai même vu une mangouste domestique qui préféraitla viande cuite et allait jusqu’à approcher des morceaux desteak crus de la plaque de cuisson.

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A L’AUBE DE LA CULTURE HUMAINE

Nos recherches sur les chimpanzés apportent un nouveléclairage sur les origines de la culture humaine. Libérés ducarcan de l’instinct, les chimpanzés sont en effet capablesde transmettre des informations d’une génération à l’autregrâce à l’observation, l’imitation et la pratique. Parfois, unanimal seul acquiert une nouvelle habitude en tirant profitd’une expérience due au hasard, parfois cela se produit enregardant, puis en copiant l’autre. Et c’est ainsi que ces habi-tudes peuvent ensuite être acquises par les autres membresdu groupe. Et même s’il est plus facile pour eux d’assimilerde nouveaux comportements durant l’enfance lorsque lecerveau est plus malléable, ils peuvent continuer d’acquérirde nouvelles facultés tout au long de leur vie, à moins qu’ilsne vivent assez longtemps pour devenir séniles !

Partout où les chimpanzés sauvages ont été étudiés, defortes preuves allant dans le sens de comportements cultu-rels ont été rassemblées. Le parc national de Mahale estsitué sur les rives du lac Tanganyika, à une centaine dekilomètres au sud de Gombe. Nombreuses sont les espècesd’arbres et de plantes que l’on trouve aux deux endroits.Pourtant, une bonne partie des espèces mangées avec avi-dité par les chimpanzés de Gombe sont ignorées par ceuxde Mahale, et inversement. A Gombe, j’ai vu des membresplus âgés d’une famille “protéger” leurs enfants en détrui-sant de la nourriture qui n’entrait pas dans leur régime habi-tuel, alors qu’elle était consommée ailleurs.

Lorsqu’une même plante est mangée par des chimpanzésde différentes contrées, elle sera préparée ou cueillie diffé-remment. A Gombe, les chimpanzés mangent les fruits, lasève, la fleur mâle et le bois mort du palmier à huile. En Côte-d’Ivoire, ils ne mangent que la sève. En Guinée, les chim-panzés se servent de pierres pour ouvrir les noix les plusdures et en extraire les graines. Les chimpanzés de Mahale,eux, ignorent tout bonnement le palmier à huile. Les four-mis sont capturées à Gombe grâce à de longues tiges peléesqui sont enfoncées dans les nids ouverts. Lors que la tige estretirée, grouillante de fourmis dont la morsure peut être fé-roce, le chimpanzé passe la tige dans une main, puis écrasela poignée d’insectes. En Côte-d’Ivoire, le chimpanzé passe

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avec une courte tige dans une colonne de fourmis qui sedéplace, soulève rapidement son outil lorsqu’un ou deuxinsectes grimpent dessus et les cueille ensuite avec ses lèvres.Il existe quantité d’exemples de différences culturelles dansles comportements des chimpanzés sauvages.

Ainsi, il est manifeste que les chimpanzés empruntent lechemin de l’évolution culturelle, un chemin que nous autreshumains avons parcouru jusque-là en un laps de temps assezrestreint. Un chemin qui a conduit à la diversité fascinantedes nourritures consommées au sein des différentes cultureshumaines ainsi qu’aux milliers de manières que l’homme adécouvertes pour les accommoder.

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