Évaluation : le point de vue des praticiens

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Le dossier du mois DÉCEMBRE 2009 27 DÉCEMBRE 2015 N°433 27 RFComptable Évaluation : le point de vue des praticiens Commission Évaluation de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) Le concept de valeur d’une entreprise 29 Rachat par une société non cotée de ses actions : missions du CAC et de l’expert indépendant 31 L’analyse stratégique et la méthode des DCF 35 Les méthodes d’évaluation patrimoniales 40 L’évaluation des management packages 46 Évaluer les engagements de retraite et avantages similaires : les questions à se poser 56 L’approche de l’évaluation d’entreprise par l’administration fiscale 61 1 2 3 4 5 6 7

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Le dossier du mois

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Évaluation : le point de vue des praticiens Commission Évaluation de la Compagnie nationaledes commissaires aux comptes (CNCC)

Le concept de valeur d’une entreprise 29

Rachat par une société non cotée de ses actions : missions du CAC et de l’expert indépendant 31

L’analyse stratégique et la méthode des DCF 35

Les méthodes d’évaluation patrimoniales 40

L’évaluation des management packages 46

Évaluer les engagements de retraite et avantages similaires : les questions à se poser 56

L’approche de l’évaluation d’entreprise par l’administration fiscale 61

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« Évaluation : le point de vue des praticiens » :

un dossier préparé par les membres

de la CommissionÉvaluation de la CNCC Les membres de la Commission Évaluation de

la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ont sélectionné pour le présent dossier :– des diffi cultés techniques auxquelles ils se confrontent dans leur prati-que professionnelle. Ils proposent des pistes et analysent les solutions en fonction des situations ; – mais aussi des nouvelles missions professionnelles issues de textes de loi récents. Ils en détaillent le cadre et la démarche.

La Commission Évaluation de la CNCC a déjà traité dans RF Comptable les thèmes suivants

• Évaluation à la clôture des titres de participation dans les PME RF Comptable 413, février 2014

• IFRS 3 : de l’évaluation à l’information des marchés RF Comptable 414, mars 2014

• Tests de dépréciation des goodwills : enjeux, pratiques et recommandations RF Comptable 414, mars 2014

• Vers une normalisation internationale de l’évaluation RF Comptable 415, avril 2014

• Le DCF peut-il être normé ? RF Comptable 415, avril 2014

• Primes et décotes : normes et pratiques RF Comptable 415, avril 2014

• Évaluation financière : prendre en compte le risque en période de crise RF Comptable 415, avril 2014

• L’évaluation financière des marques RF Comptable 415, avril 2014

• Évaluation immobilière : application d’IFRS 13, les dernières pratiques RF Comptable 415, avril 2014

• La responsabilité de l’évaluateur RF Comptable 415, avril 2014

• Le commissaire aux apports et l’appréciation des avantages particuliers attachés aux actions de préférence RF Comptable 416, mai 2014

Évaluation : le point de vue des praticiens

Commission Évaluation de la Compagnie nationaledes commissaires aux comptes (CNCC)

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1 Le concept de valeur d’une entreprise

1 Le concept de valeur d’une entrepriseOlivier Arthaud, commissaire aux comptes, vice-président de la Commission Évaluation de la CNCC

Raphaël Jacquemard, commissaire aux comptes, membre de la Commission Évaluation de la CNCCL’évaluation d’une entreprise dans son ensemble nécessite la détermination d’une valeur globale de ses actifs, de ses passifs et de ses engagements. Mais comment définir une valeur appropriée, alors que l’essence même du mot « valeur » fait appel à une notion de subjectivité ?Cette problématique a fait naître, en évaluation, le « concept de valeur », afin qu’il puisse être utilisé de manière homogène et sans ambiguïté par tous les intervenants. Ce concept implique que la valeur d’une entreprise doit être caractérisée par une référence, elle-même déterminée par des éléments aussi objectifs que possible et universellement reconnus.

RÉFÉRENCE FONDAMENTALE : LE PRIXÀ la différence de la valeur, le prix n’est jamais une qualité intrinsèque d’un objet. Il résulte d’un échange et ne peut exister que par cet échange. Il dépend ainsi de toutes les circonstances qui entourent l’échange ainsi que des caractéristiques de chacun des participants à l’échange. En dépit de cette multiplicité de facteurs d’infl uence parfois aléatoires, il reste qu’un prix constaté sur un marché, résultant de la confrontation d’une offre et d’une demande librement exercées, est indépendant d’un observateur étranger à la transaction. C’est cette indépendance à l’égard de l’observateur qui est considérée comme conférant au prix le caractère d’objectivité recherché. La plupart des techniques d’évaluation se réfèrent à un « prix » qui peut être :– soit observé sur un marché, lorsque celui-ci existe et répond à des critères précis de concurrence aussi pure et parfaite que possible (multiplicité d’intervenants solvables, transparence de l’information, liquidité) ;– soit, en l’absence de marché, estimé théoriquement par des modèles de calcul qui visent à reconstituer ce que pourrait être un prix déterminé par la confrontation d’une offre et d’une demande émanant d’agents économiques agissant rationnellement sur un marché pur et parfait, en présupposant qu’un tel prix fi nirait par s’aligner sur le montant ainsi estimé.

MESURE DU PRIXLorsqu’il existe un marché susceptible d’être pris pour référence, l’évaluation ne pose pas de diffi culté majeure (par exemple, pour les biens immobiliers, les actions/obligations ou la

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valeur à la « casse »). On parle alors d’une évaluation au prix du marché, dite « marked to market ». Dans ces situations, l’évaluateur a recours à des méthodes dites analogiques.En revanche, en l’absence de marché, l’évaluateur met en œuvre un modèle de calcul qui a pour but de déterminer une valeur aussi proche que possible de celle qui serait obtenue sur un marché. On parle alors d’une évaluation « marked to model ». Dans ces situations, l’évaluateur a recours à des méthodes dites intrinsèques se basant sur la notion de revenus futurs dégagés.Il est à noter que par construction, ces méthodes ne restituent pas un prix mais une valeur, et que celle-ci est considérée, par convention, comme représentative du prix auquel devrait théoriquement aboutir la confrontation de l’offre et de la demande.

RELATIVITÉ DE LA VALEURÉvaluer une entreprise consiste à proposer une fourchette de valeur et en aucune manière à déterminer un prix, dans la mesure où ce dernier ne se calcule pas, mais se constate.Une fois constatée sur un marché ou modélisée, même selon des techniques éprouvées, la valeur ne constitue pas pour autant une référence absolue. Elle reste au contraire affectée par des facteurs de relativité :– dans le temps, puisque les références de marché, comme les hypothèses utilisées dans un modèle, sont variables par nature. La valeur n’est valable qu’à un instant déterminé, en fonction des données disponibles à cet instant et dans un contexte spécifi que ;– il advient aussi parfois que le seul fait de procéder à une mesure de la valeur d’une catégorie d’entreprises entraîne une modifi cation des prix de référence sur les marchés. C’est précisément le cas lorsque les analystes font une recommandation sur un titre coté, recommandation qui, généralement, infl uence le cours de l’action et donc son prix ;– selon les points de vue différents du vendeur et de l’acheteur, le prix peut être différent de la valeur. Le premier tend à estimer la valeur de son entreprise en extrapolant au futur les performances passées, tandis que le second, non seulement bénéfi cie des mêmes informations, mais en plus intègre, dans sa vision des revenus futurs qui constituent « sa valeur », les synergies qu’il envisage et que le vendeur n’a pas imaginées ou pu réaliser.

L’évaluation d’un bien est donc fl uctuante et le prix, résultant de la confrontation de l’offre et de la demande, peut s’éloigner d’une valeur objective. C’est pour ces raisons que l’évaluateur doit s’efforcer d’utiliser plusieurs méthodes (méthodes principales et méthodes de recoupement) ou plusieurs schémas d’hypothèses afi n de déterminer la valeur la plus objective possible.

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2 Rachat par une société non cotée de ses actions

2 Rachat par une société non cotée de ses actions : missions du CAC et de l’expert indépendantSébastien Bertrand, commissaire aux comptes, membre de la Commission Évaluation de la CNCC

Olivier Salustro, commissaire aux comptes, vice-président de la Commission Évaluation de la CNCCLe dispositif juridique du rachat, par une société non cotée, de ses actions propres, finalisé en juillet 2014, fait intervenir le commissaire aux comptes, mais aussi un expert indépendant qui peut être un commissaire aux comptes (c. com. art. L. 225-209-2,R. 225-160-1,

R. 225-160-2 et R. 225-160-3). Deux avis techniques de la CNCC publiés les 30 janvier 2015 et11 mars 2015 ont précisé leurs modalités d’intervention.

LES RÈGLES POSÉES POUR L’ACHAT PAR UNE SOCIÉTÉ NON COTÉE DE SES ACTIONSLa possibilité pour les sociétés qui ne sont cotées ni sur un marché réglementé, ni sur Alternext, de procéder au rachat de leurs actions est assortie d’obligations et de l’intervention du commissaire aux comptes, ainsi que de la désignation d’un expert indépendant pouvant être choisi sur la liste des commissaires aux comptes inscrits (c. com. art. L. 225-209-2). Ces obligations, limites et contraintes se cumulent à celles posées de manière générale à l’ensemble des opérations d’achat d’actions propres.

Les obligationsLa première obligation est de tenir un registre spécifi que des achats et ventes effectués en vertu de l’article L. 225-209-2 (c. com. art. L. 225-211, al. 1, et R. 225-160).La seconde tient aux informations devant fi gurer dans le rapport de gestion (SA, SCA et SAS) se rapportant aux transactions effectuées en vertu de l’article L. 225-209-2 (c. com. art. L. 225-211, al. 2).

Les limites et les contraintesLes quotités de capital qui peuvent être détenues sont normalement limitées à 10 % d’actions propres (c. com. art. L. 225-210, al. 1). L’article L. 225-209-2 est plus limitatif en fonction de l’intention qui sous-tend le rachat selon qu’il s’agit de les remettre :– aux salariés (pas plus de 10 % à remettre dans l’année de leur rachat) ; – aux actionnaires (pas plus de 10 % à remettre dans les 5 ans de leur rachat) ; – ou en règlement d’un actif (pas plus de 5 % à remettre dans les 2 ans de leur rachat).

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Durant toute la période de la détention des actions, le niveau de capitaux propres ne peut être inférieur au montant du capital augmenté des réserves non distribuables (c. com. art. L. 225-210, al. 2). Par ailleurs, la société doit disposer de réserves autres que la réserve légale, d’un montant au moins égal à la valeur de l’ensemble des actions qu’elle possède (c. com. art. L. 225-210, al. 3).Ces actions propres sont privées de leur droit de vote et aux dividendes. Elles doivent être inscrites au nominatif (c. com. art. L. 225-210, al. 4 et 1).

LA DOUBLE INTERVENTION DU COMMISSAIRE AUX COMPTES

Lors de l’AG statuant sur l’autorisation de rachat d’actionsLe commissaire aux comptes de la société intervient une première fois lors de la tenue de l’assemblée générale ordinaire statuant sur l’autorisation de rachat d’actions en application de l’article L. 225-209-2. Son rapport spécial fait alors connaître l’appréciation qu’il porte sur les conditions de fi xation du prix d’acquisition (CNCC, avis technique relatif à l’intervention du commissaire aux comptes lors de la réunion ordinaire annuelle de l’organe délibérant en application des dispositions de l’article L. 225-209-2 du code de commerce », § 3, 30 janvier 2015).Sa tâche, notamment sur la base du rapport de l’expert indépendant désigné en vertu de l’article L. 225-209-2, est de :– s’assurer que ledit rapport comporte toutes les informations prévues par l’alinéa 8 de l’article précité (fi nalités de l’opération, nombre maximal d’actions dont la vente l’assemblée autorise la vente, prix et ou modalités de fi xation du prix, durée de l’autorisation qui ne peut excéder 12 mois ;– vérifi er que le prix proposé est bien inscrit dans la fourchette des valeurs minimale et maximale proposée par l’expert ;– apprécier si l’égalité des actionnaires est préservée ;– apprécier dans quelles conditions et avec quels moyens l’expert a mené à bien ses travaux d’évaluation.En tout état de cause, même si le délai de mise à disposition au siège social de la société du rapport de l’expert indépendant est de 15 jours, le commissaire aux comptes a avantage à instaurer une concertation avec l’expert et la société pour qu’il puisse agir dans un laps de temps suffi sant pour produire ses propres conclusions.

Lors de l’AG délibérant sur les conditions de rachat des actions et de leur utilisationLe commissaire aux comptes intervient une seconde fois lors de la tenue de l’assemblée générale ordinaire délibérant sur les conditions de rachat et d’utilisation des actions au cours du dernier exercice. Pour émettre son rapport, il vérifi e que les modalités de réalisation du rachat des actions et de leur utilisation sont conformes avec ce qui a été prévu par l’organe compétent (conseil d’administration, directoire…), en particulier pour ce qui concerne le prix, la durée

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d’autorisation de rachat, les quotités, les fi nalités, le montant des réserves autres que la réserve légale… Il s’assure en outre du respect du principe d’égalité entre actionnaires.Ce rapport peut comporter des observations ou faire mention d’irrégularités affectant ou non la conclusion du rapport, par exemple relatives au non-respect de l’égalité entre les actionnaires ou de la fi nalité prévue des actions rachetées.

L’article L. 225-209-2 dont le décret d’application a mis quelque temps à être publié vient renforcer la protection des actionnaires minoritaires des sociétés non cotées dans des cas de rachat d’actions bien spécifi ques. Sa mise en œuvre récente ne permet pas encore de juger de son effi cacité et de sa pleine utilité.

L’EXPERT INDÉPENDANT : NOUVEL HORIZON POUR LES CAC ET LES MINORITAIRES En juillet 2014 paraissait le décret d’application de l’article L. 225-209-2. Passée inaperçue cette parution marque pourtant un changement d’importance tant pour le commissaire aux comptes que pour les sociétés non cotées. Celui-ci peut désormais revêtir l’habit d’expert indépendant et produire une évaluation de premier rang tandis que ces sociétés doivent faire appel à un évaluateur nécessairement indépendant.

La mission de l’expert indépendantPrincipe – Une entreprise non cotée, qui prévoit de racheter ses propres actions pour les remettre à ses salariés, à ses actionnaires ou en règlement d’un actif, doit désigner un expert indépendant, choisi notamment parmi les commissaires aux comptes inscrits. Celui-ci est alors chargé de déterminer la valeur minimale et la valeur maximale du prix de rachat desdites actions et de justifi er les modalités d’évaluation adoptées (c. com. art. L. 225-209-2, R. 225-260-1, R. 225-260-2 et R. 225-260-3 ; CNCC, avis technique relatif à la mission de l’expert indépendant en application des dispositions de l’article L. 225-209-2 du code de commerce », 11 mars 2015).Une double novation – D’une part, c’est l’expert qui fi xe la fourchette dans laquelle s’inscrit le prix et, d’autre part, il est qualifi é d’expert indépendant, alors que ce terme était jusqu’alors réservé aux missions relevant des articles 261-1 et suivants du règlement général de l’AMF (offre publique d’achat, retrait obligatoire… concernant des sociétés cotées).La terminologie employée n’est fi nalement pas très surprenante dès lors que les textes européens (2e directive 77/91/CEE du 19 décembre 1976) l’utilisent déjà, à l’exclusion de celle usitée en France (commissaire aux apports, à la fusion…).Pourquoi cette nouvelle mission d’un expert indépendant ? – Pourquoi introduire cette nouvelle mission alors même que la simplifi cation et l’allégement sont les objectifs aujourd’hui poursuivis dans le segment des entreprises de petite et moyenne taille ?Trois raisons la justifi ent : – tout d’abord, la tradition française de protection des actionnaires minoritaires, déjà déclinée dans la réglementation, qui ne s’appliquait jusqu’alors qu’aux entreprises cotées ;– également, la volonté de développer le tissu industriel français dont la base est constitué de sociétés familiales et patrimoniales non cotées. Ce développement réclamait de donner aux

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PME et ETI des leviers pour fl uidifi er leur capital et associer leurs salariés au développement (incitation) ;– enfi n, la nécessité, dans un contexte de concurrence mondiale, de mettre notre dispositif au même niveau que celui de nos grands voisins européens.

Modalités et conclusions de l’exercice de l’expert L’expert est nécessairement indépendant des parties en présence. Il ne peut s’agir du commissaire aux comptes de la société.L’expert réalise sa propre évaluation de la société, notamment à partir d’informations collectées lors d’une phase de prise de connaissance, d’une analyse stratégique et fi nancière de la société, d’une revue critique des données prévisionnelles éventuellement disponibles…Tout comme son « homologue AMF », l’ensemble de ses travaux fait l’objet d’un rapport détaillé dans lequel il expose le cheminement intellectuel qui le conduit à sa conclusion : description des diligences, conclusions et conséquences sur le prévisionnel des analyses préalables, justifi cation du choix des méthodes d’évaluation mises en œuvre (approche multicritère) et de celle retenue à titre principal. Le rapport conclut à la fourchette de valeurs (minimale et maximale) dans laquelle doit s’inscrire le prix de rachat. Ses travaux peuvent faire l’objet d’une revue indépendante.En aucun cas, l’expert n’est conduit à s’exprimer sur le bien-fondé de l’opération.

Délais et relations avec le commissaire aux comptes de la société évaluéeLes diffi cultés de mise en œuvre tiennent dans le délai généralement contraint – les textes prévoient simplement que le rapport de l’expert est déposé au siège social quinze jours au moins avant la date de l’assemblée générale ordinaire appelée à se prononcer sur le rachat – et la nécessité d’analyser rapidement un grand nombre de données de toutes sortes relatives à un secteur économique spécifi que tout en prenant suffi samment de recul et, dans certaines situations, faire preuve d’« autorité » pour défendre son point de vue.Par ailleurs, il est prévu que l’assemblée générale ordinaire statue (…) sur un rapport spécial des commissaires aux comptes faisant connaître leur appréciation sur les conditions de fi xation du prix d’acquisition (voir ci-avant). Dans cette perspective, une concertation doit s’instaurer entre la société, le commissaire aux comptes et l’expert indépendant, notamment pour que le commissaire aux comptes dispose de délais suffi sants pour réaliser ses travaux et présenter ses éventuelles observations à l’organe compétent, avant la convocation de l’organe délibérant appelé à statuer sur le projet d’autorisation de rachat d’actions. Cette concertation est organisée dans le respect des règles du secret professionnel qui s’appliquent aux « deux commissaires ».

En défi nitive, l’article L. 225-209-2 du code de commerce étend la protection de l’actionnaire minoritaire d’une société ne faisant pas appel public à l’épargne en instituant la désignation d’un expert indépendant et en organisant la relation entre celui-ci et le commissaire aux comptes en titre de la société. La diffi culté sera ici de trouver la bonne mesure pour faire en sorte que ce nouveau dispositif soit effi cace et non dissuasif.

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3 L’analyse stratégique et la méthode des DCFJulien Herenberg, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC, secrétaire général d’A3E-Île-de-France

Jean-Luc Loir, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC

La valorisation par les Discounted Cash Flows (DCF) correspond à l’actualisation des flux de trésorerie prévisionnels. Bien que cette approche soit sensible aux paramètres d’actualisation, la pertinence de l’évaluation d’une entreprise par l’approche DCF dépend en tout premier lieu de la fiabilité de son plan d’affaires. C’est pourquoi, avant toute mise en œuvre technique de cette méthode, il est primordial d’identifier et d’estimer au mieux les facteurs clés qui sous-tendent les prévisions.Aussi, nous exposerons, dans un premier temps, une illustration de l’incidence du contexte et de la stratégie sur la pertinence d’une évaluation.Puis, dans un second temps, une démarche pour effectuer cette analyse dans le cadre d’une approche DCF incluant :– une approche des éléments clés de l’analyse stratégique ;– les méthodes courantes d’aide à cette analyse.

APPRÉHENDER LE CONTEXTE POUR PRENDRE EN COMPTE LA STRATÉGIE DANS L’ÉVALUATIONL’exemple du fi nancement des start-up illustre particulièrement bien l’importance du contexte et de la stratégie de l’entreprise pour son évaluation. Il en est de même pour les évaluations effectuées en application de normes comptables.

L’exemple de la start-upAu démarrage d’une entreprise, on peut schématiquement observer les étapes suivantes :– à sa naissance, la jeune entreprise a un fort potentiel de croissance et sa valeur est alors portée pour l’essentiel par l’idée, le projet et ses fondateurs ;– au début de l’aventure, les premiers fi nanceurs ou business angels entrent au capital pour lui permettre de payer ses dépenses courantes et son développement, faute de recettes d’exploitation encore suffi santes. Ces business angels sont généralement très minoritaires et entrent au capital sur la base de valorisations « convenues », incluant un droit d’entrée pour accéder au projet. La valeur implicite élevée qui en découle est certes arithmétiquement incontestable, mais elle est très peu rationnalisée à ce stade et elle refl ète une prime de risque importante non extériorisée ;

3 L’analyse stratégique et la méthode des DCF

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– puis rapidement, lorsque le potentiel de la jeune entreprise se concrétise et fait naître de nouveaux besoins de fi nancement, de nouveaux investisseurs sont sollicités pour entrer au capital, sur des bases de valorisations généralement plus élevées s’expliquant par le franchissement d’étapes stratégiques. Ces évènements stratégiques vont permettre, cette fois-ci, d’étayer de façon plus précise et rigoureuse un business plan et une valorisation de la société fonction de trajectoires de fl ux potentiels que le DCF pourra traduire, donnant par là-même des informations nécessaires aux investisseurs sur le rendement escompté et aider leur prise de décision.

L’exemple de l’application de règles comptablesLes normes comptables conduisent parfois à évincer certains éléments de la stratégie à moyen et long terme, pourtant essentiels dans le cadre d’une évaluation par DCF.Il en est notamment ainsi des tests de dépréciation d’actifs (« impairment test ») qui ne doivent pas prendre en considération les décisions stratégiques non engagées à la date du test de valeur (restructurations ou investissements de croissance, par exemple). De même, lors de la comptabilisation d’une acquisition, les principes comptables internationaux (IFRS 3) ne permettent pas d’inclure les effets de la stratégie de développement de l’acquéreur dans la valorisation des actifs immatériels acquis. En effet, selon IFRS 3, la juste valeur de ces actifs est déterminée conformément à l’utilisation du vendeur, et non selon le projet de l’acquéreur, alors même que l’investisseur a généralement négocié le prix d’acquisition en fonction d’un potentiel de développement qui intègre nécessairement sa stratégie à long terme pour la cible. Ces principes ne sont pas aussi clairs en règlement CRC 99-02 applicable aux comptes consolidés de sociétés non cotées (Académie, cahier 29 « Regroupements d’entreprises : peut-on encore parler d’allocation du prix d’acquisition (PPA) ? État des lieux et diffi cultés pratiques, environnement international et français », juillet 2015).Dans ce contexte précis, les normes comptables peuvent donc contraindre à réduire la prise en compte de la stratégie lors de l’évaluation d’actifs par DCF. Pour autant, la connaissance de la stratégie par l’évaluateur reste incontournable.

Ces deux précédentes illustrations montrent qu’on ne peut pas ignorer la question de la stratégie de l’entreprise ni le contexte de l’évaluation menée.

L’ÉTUDE STRATÉGIQUE EN LIEN AVEC L’APPROCHE DCF

Objet et éléments clés de l’analyse stratégiqueUne analyse stratégique en vue d’une évaluation fi nancière par les DCF se conduit généralement en trois phases portant sur le ou les secteurs de l’entreprise, sur l’entreprise elle-même et, enfi n, sur son positionnement par rapport à ses secteurs d’activité. Cet examen permet la mise en évidence des éléments différenciant l’entreprise, lesquels sont supposés se traduire dans son business plan.

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ANALYSE EXTERNE

L’analyse externe s’opère par une prise de connaissance approfondie du marché de l’entreprise, de ses perspectives, des innovations attendues, des acteurs et concurrents, de la réglementation, etc.Il s’agit d’identifi er ce que l’on qualifi e en général d’opportunités et de menaces, c’est-à-dire des éléments exogènes qui ne relèvent pas directement des décisions de l’entreprise.Ce diagnostic doit toujours avoir une dimension prospective, puisqu’il vise à apprécier des prévisions avec un horizon lointain, voire qualifi é d’infi ni dans la méthode DCF.À titre indicatif, et dans la mesure où ces paramètres peuvent concerner l’activité de l’entreprise, une attention particulière doit notamment porter sur l’évolution potentielle des facteurs suivants :– évolution concurrentielle, regroupements, disparition ou apparition d’acteurs sur le marché ;– évolutions légales ou réglementaires sur le périmètre d’intervention de l’entreprise ;– évolution des politiques d’aides publiques et de subventions ;– évolutions technologiques ;– évolution des ressources naturelles ;– démographie...Cette analyse à long terme de la stratégie de l’entreprise permet d’apprécier sa faculté d’adaptation aux facteurs exogènes et d’en apporter la meilleure traduction dans le business plan.Le diagnostic externe doit permettre d’estimer le chiffre d’affaires prévisionnel de l’entreprise qui constitue le paramètre structurant de tout business plan, la « top line » de laquelle découlent les fl ux de trésorerie.

ANALYSE INTERNE

Le diagnostic interne est orienté vers la recherche des forces et des faiblesses intrinsèques de l’entreprise. À titre indicatif, on peut lister les quelques points d’attention non exhaustifs suivants. Le positionnement des produits et des services sur divers plans :– la notoriété ;– la technologie ;– la propriété intellectuelle (marques et brevets) et l’échéance des protections ;– le profi l de la clientèle (dispersion, fi délité, âge, potentiel, etc.). Les moyens :– les moyens humains, incluant notamment l’identifi cation des « hommes clés de l’entreprise », la pyramide des âges des effectifs, les savoir-faire en matière d’innovation, en production ou bien au plan commercial ;– les moyens de production (outils disponibles, implantation géographique, niveau d’obsolescence, performance, etc.) ;– la qualité des fournisseurs, le niveau de dépendance vis-à-vis d’eux ;– les moyens de distributions, le réseau, les enseignes, l’image de marque… Les autres facteurs :– l’actionnariat et la gouvernance ;– la qualité des relations sociales ;– l’exposition aux risques sociaux et environnementaux ;

3 L’analyse stratégique et la méthode des DCF

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– l’exposition aux fl uctuations des cours des matières ou des devises…Au regard de l’objectif prévisionnel poursuivi, il y aura lieu d’apprécier la pérennité et l’évolution probable des atouts et des faiblesses ainsi recensés à moyen et long terme.

Les méthodes d’analyse courantesL’analyse stratégique peut découler de réfl exions purement intuitives, notamment pour les évaluations dont les problématiques prévisionnelles sont minimes, mais il est aussi possible de s’appuyer sur des méthodes ou des outils plus élaborés.On peut notamment citer les méthodes et modèles suivants qui permettent d’orienter les analyses qualitatives en vue d’aboutir à leur traduction quantitative dans le business plan ainsi que dans les paramètres actuariels.

OUTILS D’AIDE À L’ANALYSE STRATÉGIQUE

L’analyse externe ou sectorielle doit répondre au type de questions suivantes :– la rentabilité de l’industrie est-elle forte ou faible ?– va-t-elle s’améliorer ou se détériorer ?– quels sont les facteurs externes qui conditionnent cette rentabilité ?– quelles sont les règles du jeu de l’activité (facteurs clés de succès) ?L’outil PESTEL ainsi que les 5 (+ 1) forces de PORTER sont pertinents pour répondre à ces questions.Le modèle PESTEL (Politique, Économie, Sociologie, Technologie, Environnement, Légalité) est tourné sur l’analyse de l’environnement de l’entreprise et présente l’avantage de constater le présent (via la description du macroenvironnement et ses principales composantes), tout en prenant en considération les évènements futurs (changements prévisibles, évolution économique, démographique, etc.).Le modèle de Porter complète très bien cette première analyse avec un double objectif :– l’évaluation de l’attractivité du secteur, c’est-à-dire du potentiel de rentabilité de l’industrie à long terme ;– l’identifi cation et la compréhension des 5 forces structurelles identifi ées qui pèsent sur cette rentabilité, à savoir les produits de substitution, l’intensité concurrentielle, les nouveaux entrants, le pouvoir de négociation des clients et le pouvoir de négociation avec les fournisseurs. À ces 5 forces s’ajoute la force publique.

LA MATRICE SWOT

La matrice SWOT est fréquemment utilisée, car elle propose une vision synthétique de l’analyse menée, chacun des points relevés dans la matrice devant trouver sa traduction dans le modèle d’évaluation retenu.L’analyse SWOT est un outil de stratégie d’entreprise qui est un acronyme issu de l’anglais signifi ant : Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités), Threats (menaces).Elle est défi nie par les services de la Commission européenne comme « un outil d’analyse stratégique. Il combine l’étude des forces et des faiblesses d’une organisation, d’un territoire, d’un secteur, etc. avec celle des opportunités et des menaces de son environnement, afi n d’aider à la défi nition d’une stratégie de développement. »

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L’analyse SWOT fait ainsi partie des outils qui contribuent à l’étude de la pertinence et de la cohérence d’une action future, qu’il s’agisse d’une action ponctuelle ou d’une stratégie d’ensemble.

Exemple de synthèse par la matrice SWOT

Orig

ine in

terne

S - Strengths (Forces) W - Weaknesses (Faiblesses)

Santé financière de l’entrepriseContrats commerciaux longs et sécurisés

Cohésion socialeSavoir-faire breveté

Dispersion des activitésVariation de BFR et de trésorerie d’ampleur et erratiques

Dépendance aux fournisseurs

Orig

ine ex

terne

O - Opportunities (Opportunités) T - Threats (Menaces)

Marché en forte croissanceConcurrents en difficulté

Potentiel de développement géographique élevé

Modèle économique duplicablePérennité des subventions incertaine

Secteur rentable et convoité par la concurrence

LE LIEN AVEC LA MÉTHODE DES DCF

Une fois ces forces et faiblesses identifi ées, l’évaluateur analysera la stratégie mise en place par l’entreprise pour les maîtriser.Au cas particulier des forces de Porter, l’évaluateur analysera le niveau de maîtrise de ces forces à l’issue de son analyse stratégique : ainsi, plus les cinq forces seront intenses et mal maîtrisées, plus la rentabilité économique, mesurable notamment par les prévisions de fl ux futurs, pourrait se trouver inférieure au coût du capital (taux d’actualisation correspondant à l’exigence minimale de rémunération des capitaux investis) et destructrices de valeur (ou inversement).Les analyses stratégiques permettront ainsi à l’évaluateur de se faire un avis sur la vraisemblance des prévisions de l’entreprise, sur sa rentabilité économique potentielle par rapport au coût du capital investi et donc sur son potentiel de création de valeur. Les paramètres de sensibilité de la valeur seront également identifi és.

Le diagnostic qui découle de l’analyse stratégique, complété d’une analyse fi nancière des performances historiques, permet d’établir et de fi abiliser le business plan de l’entreprise et ses prévisions d’évolution et de croissance à long terme.

Avec ou sans l’aide de modèles tels ceux de PESTEL ou de Porter décrits ci-avant, l’analyse stratégique ne doit jamais être éludée, car elle constitue le préalable à toute évaluation pertinente en évitant d’aboutir à des valorisations certes arithmétiquement justes, mais fondées sur un plan d’affaires prévisionnel incohérent et/ou sur des taux d’actualisation et de croissance inappropriés.

3 L’analyse stratégique et la méthode des DCF

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4 Les méthodes d’évaluation patrimonialesDidier Arias, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC

Christophe Velut, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC, président d’A3EAprès une présentation de l’intérêt d’utiliser les méthodes patrimoniales, nous développons, à partir d’une étude de l’Association des experts en évaluation d’entreprises (A3E), la méthode de l’actif net réévalué avec rente de goodwill, en précisant, pour chaque point délicat de mise en œuvre, les bonnes pratiques des praticiens.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES MÉTHODES PATRIMONIALES

Des méthodes intrinsèques reposant sur une logique additive Il existe trois grandes familles de méthodes d’évaluation : les méthodes analogiques (comparables boursiers, transactions comparables…), les méthodes intrinsèques (méthodes patrimoniales, méthodes par les revenus – DCF…), et les autres méthodes (capacités de remboursement, coutumes sectorielles, méthodes optionnelles…).Les méthodes patrimoniales sont des méthodes additives : la valeur déterminée selon ces méthodes s’obtient en additionnant / déduisant les valeurs réelles des actifs et passifs pris individuellement. En cela, elles s’opposent aux méthodes globales (par exemple, méthode des DCF, méthode des multiples). Les méthodes patrimoniales sont, par simplifi cation, regroupées en deux familles.• La méthode de l’actif net réévalué sans calcul de rente de goodwill, également appelée « actif net comptable corrigé » correspond à la réévaluation des actifs et passifs identifi ables, comptabilisés ou non (par exemple, immobilier, engagements de retraite), pour ceux qui ont une valeur séparable de la société (ainsi, par exemple, les marques ne seront pas systématiquement évaluées).• La méthode de l’actif net réévalué avec calcul d’une rente de goodwill conduit à déterminer la valeur du goodwill, correspondant aux actifs non identifi és, mais qui sont représentatifs d’un capital immatériel (par exemple, qualité du dirigeant et de l’équipe dirigeante, du portefeuille clientèle…) au travers de l’écart entre la rentabilité attendue par un investisseur et la rentabilité constatée. Les méthodes patrimoniales sont beaucoup moins utilisées depuis 20 ans. La 9e enquête réalisée par l’association A3E (Association des experts en évaluation d’entreprises) a mis en évidence, sur la base d’un échantillon d’environ 300 transactions, que les méthodes patrimoniales ont été utilisées dans 13 % des cas en 2014, contre 55 % il y a 20 ans.

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Les méthodes patrimoniales sont souvent considérées comme des valeurs planchers, ce qui, en pratique, n’est pourtant pas toujours le cas (par exemple, activité défi citaire, capitaux permanents nécessaires à l’exploitation sous-utilisés, conditions de cession en une seule fois d’un parc de machines très différentes du prix de marché unitaire…).

Dans quel contexte les utiliser ? Ces méthodes sont peu utilisées par les grands groupes pour différentes raisons (lourdeur de mise en œuvre, poids des incorporels de plus en plus signifi catifs, expertises spécifi ques nécessaires – immobilier…), sauf dans le cadre des affectations de prix d’acquisition (Purchase price allocation/PPA).Par ailleurs, elles sont généralement peu adaptées aux évaluations dans certains secteurs d’activité (services, start-up, négoce…). Ces méthodes sont habituellement mises en œuvre dans deux contextes d’évaluation :– d’une part, pour les holdings fi nancières ou immobilières ;– d’autre part, pour les sociétés industrielles.Les méthodes patrimoniales ont l’avantage de faire se poser des questions sur la consistance d’un patrimoine, sur la rentabilité des capitaux engagés et sur l’écart entre la rentabilité générée et la rentabilité attendue, ce que ne font pas les méthodes globales telles que les DCF et les méthodes par les multiples. En effet, dans le contexte actuel, les performances sont appréciées plus sur la base des capitaux engagés que du chiffre d’affaires.

Quelle précaution générale à prendre dans le cadre de leur utilisation ?Il est important de rappeler que la mise en œuvre des méthodes patrimoniales, comme toute autre méthode, doit s’inscrire, conformément à la bonne pratique défi nie par les associations professionnelles, dans une approche multicritères. Il est ainsi nécessaire :– de ne pas avoir d’a priori, et de justifi er le choix des méthodes retenues… et non retenues ;– de mettre en œuvre plusieurs méthodes ;– de tenir compte du niveau d’expertise nécessaire (cas de l’immobilier ou des actifs incorporels…). C’est en effet une méthode qui peut rapidement devenir une méthode dite d’experts ;– et de chercher à comprendre et justifi er, en cas d’écarts signifi catifs entre les différentes méthodes.Ainsi, même si les méthodes globales sont utilisées à titre principal, il est généralement intéressant de vérifi er la cohérence avec une méthode patrimoniale. Par exemple, est-il logique que la valeur déterminée selon une méthode globale soit inférieure à son actif net comptable réévalué ? Dans certains contextes (offres publiques…), la valeur déterminée selon une méthode patrimoniale est présumée être une valeur plancher.Nous présentons ci-après la méthode la méthode de l’actif net réévalué avec calcul d’une rente de goodwill, qui a l’avantage d’intégrer à la fois des données historiques et prévisionnelles.

4 Les méthodes d’évaluation patrimoniales

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LA MÉTHODE DE LA RENTE DU GOODWILL

Présentation générale de la méthode

PRINCIPE

La valeur des fonds propres l’entreprise correspond à la somme de l’actif net réévalué (intégrant les éléments hors exploitation) et de la rente de goodwill.Cette méthode de valorisation consiste, dans un premier temps, à calculer une rente de goodwill puis, dans un deuxième temps, à évaluer le goodwill par une somme actualisée de rentes de goodwill prévisionnelles. La rente est généralement abrégée, c’est-à-dire qu’elle est calculée sur une période donnée, sans adjonction d’une valeur terminale.Le goodwill se défi nit comme une valeur d’incorporel participant à la valeur globale de l’entreprise. Il trouve son origine dans une rentabilité de l’entreprise supérieure à ce que l’on serait en droit d’attendre de ces actifs.Cet écart de rentabilité est appréhendé au travers de la « rente de goodwill » qui est censée représenter le supplément de rentabilité qui provient des éléments incorporels de l’entreprise, qu’ils fi gurent au bilan ou non. Cette rente peut être appréciée sur un horizon explicite en s’appuyant sur des prévisions détaillées (somme actualisée), c’est le cas de la rente abrégée du goodwill. Elle pourra être calculée, à condition de le justifi er, et dans des cas exceptionnels, sur une durée infi nie, soit en actualisant une durée à l’infi ni, soit en prenant en compte une valeur terminale.

DÉTERMINATION DE LA RENTE DE GOODWILL

Formule utilisée par les évaluateurs. Dans les ouvrages, la rente de goodwill peut être calculée en prenant en compte différents éléments (l’actif net comptable corrigé, la valeur substantielle brute…). La méthode décrite ci-après correspondant à la bonne pratique des évaluateurs.La rente de goodwill (RGW) se mesure par : RGW = RE – k CPNE, où – RE représente le résultat d’exploitation après impôt,– k la rémunération attendue des CPNE,– CPNE les capitaux permanents nécessaires à l’exploitation, soit l’actif immobilisé nécessaire à l’exploitation et le besoin en fonds de roulement lié à l’exploitation.REMARQUE Ne sont pas intégrés dans le calcul, ni au niveau du résultat ni au niveau des capitaux, l’impact des actifs hors exploitation. Ceux-ci sont valorisés au niveau de l’actif net réévalué. Le choix des CPNE au détriment des capitaux propres permet un calcul de rente de goodwill qui soit peu sensible au choix d’une politique fi nancière. Une méthode fondée sur les capitaux propres serait en effet particulièrement sensible à la politique de distribution de dividendes.Les CPNE comprennent :– les incorporels amortissables tels que les programmes informatiques ;– les incorporels qui doivent ou peuvent faire l’objet d’une évaluation par une méthode spécifi que, tels que droit au bail, brevets, licences, marques (la liste n’est pas exhaustive) ;– les immobilisations corporelles réévaluées dont la société a la propriété économique (intégrant les actifs détenus en crédit-bail) ;– le besoin en fonds de roulement d’exploitation structurel, généralement non réévalué ;– les provisions pour risques, intégrant les engagements de retraite.

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Il convient également de ne pas inclure dans les capitaux engagés la trésorerie excédentaire de l’entreprise. En effet, le BFR pris en compte dans les capitaux permanents nécessaires à l’exploitation correspond au BFR structurel, qui peut différer du BFR comptable à la date de clôture annuelle des comptes (saisonnalité, élément inhabituel, fi nancement déconsolidant du BFR tel qu’escompte, cessions Dailly…). Les résultats d’exploitation après impôt utilisés sont des résultats retraités. Les retraitements portent généralement sur les postes suivants : rémunérations des dirigeants, management fees, loyers de crédit-bail, éléments d’exploitation non courants, éléments non récurrents. Une vigilance particulière doit être accordée à la prise en compte dans les prévisions de certains avantages fi scaux temporaires pouvant, sur option, être constatés en résultat d’exploitation (par exemple, CICE).

ACTUALISATION DE LA RENTE ABRÉGÉE DU GOODWILL

Dans cette perspective, il est présumé que :– les incorporels ont une durée limitée ;– la rente est variable sur la période de temps envisagée pour le calcul ;– la rente est nulle en fi n de période.Ce modèle est adapté à une entreprise dont les paramètres de marché indiquent clairement qu’elle ne peut maintenir une position de « sur-rentabilité » par rapport à sa concurrence.Dans ce contexte, la valeur du goodwill s’exprime comme suit : L’obtention d’une rente nulle en fi n de période implique que la rentabilité des capitaux investis dans l’entreprise rejoigne progressivement le niveau de la rémunération attendu par les investisseurs. Pour aboutir à ce résultat, il faut prévoir un « amortissement » du taux de rentabilité sur capitaux engagés dans l’entreprise sur la période de calcul. La mise en place d’un système d’amortissement linéaire permet dans la plupart des cas d’atteindre cet objectif.

ACTIF NET COMPTABLE CORRIGÉ À AJOUTER AU GOODWILL

La valeur des fonds propres de l’entreprise est appréhendée comme étant égale à la somme de l’actif net comptable corrigé et du goodwill : La détermination de l’ANCC suppose une réévaluation de certains actifs composant le patrimoine de l’entité :– la détermination des valeurs réévaluées des immobilisations corporelles peut se faire à partir d’une logique de valeur vénale (cotations disponibles sur le marché, par exemple argus), ou de valeur d’usage, notamment si la durée d’amortissement est très inférieure aux durées d’utilisation économiques. Une plus-value ne peut être retenue que dans l’hypothèse où des transactions sont susceptibles d’intervenir pour l’actif concerné et pour des valeurs supérieures à sa valeur d’utilité ;– pour les éléments incorporels, on peut distinguer :- les actifs individuels ou sous-ensembles homogènes, cessibles séparément ou pouvant générer des fl ux de trésorerie indépendamment des autres actifs de l’entité. Pour ceux-ci,

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l’évaluation se fait à partir de la capitalisation d’une redevance d’usage théorique, mais qui peut être souvent diffi cile à évaluer objectivement ;- les autres éléments incorporels (en général, non cessibles séparément) sont évalués par la méthode de la rente du goodwill.La pratique de nombreux évaluateurs est de tenir compte de la fi scalité latente sur les plus-values potentielles ou de l’impossibilité de récupérer l’économie d’impôt qui résulterait de l’amortissement des immobilisations sur la base de valeurs plus élevées.

Points d’attention et bonnes pratiquesForce est de constater, à la lecture des ouvrages spécialisés et par entretien avec les évaluateurs, que les pratiques peuvent être très différentes. Nous reprenons ci-après certaines pratiques que nous considérons comme des bonnes pratiques sur certains points sensibles.

COHÉRENCE DE LA RENTE CALCULÉE AVEC LE DIAGNOSTIC : QUALIFICATION DE LA FORCE DU GOODWILL

Comme dans toute méthode d’évaluation, l’évaluateur doit réaliser un diagnostic approfondi de la société et, notamment, de son capital immatériel. Soulignons que le capital immatériel recouvre non seulement celui qui correspond à des actifs identifi ables et séparables (marques, brevets…), mais aussi tous les autres pour lesquels il n’existe pas de méthode arithmétique de valorisation spécifi que (qualité du dirigeant et de l’équipe dirigeante, pertinence de la stratégie, qualité de la clientèle, qualité du portefeuille produit, innovation…).Cette analyse, qui repose sur l’expérience et le savoir-faire de l’évaluateur, est essentielle ; elle permet de déterminer la capacité de l’entreprise à soutenir durablement une rente (pérennité) et de justifi er, au moins dans son principe, le montant du goodwill calculé globalement.Que penser en effet, d’une rente signifi cative reposant sur un niveau de rentabilité élevé, alors que le diagnostic n’a pas mis en évidence de capital immatériel signifi catif et différenciant ?

RENTE ABRÉGÉE VERSUS RENTE À L’INFINI

La méthode des DCF est calculée dans la plupart des cas en retenant une hypothèse de génération de fl ux à l’infi ni par le biais de la valeur terminale. Se pose ainsi la logique de retenir une rente de goodwill sur une durée limitée : ces deux positions sont-elles cohérentes ? La pratique conduit généralement à calculer une rente sur une durée limitée (rente abrégée), car, dans cette méthode, le point important n’est pas la capacité de la société de maintenir un fl ux à l’infi ni, mais sa capacité à maintenir à l’infi ni une rentabilité supérieure à la rémunération attendue. L’hypothèse retenue pour la durée de la rente résultera du diagnostic et, notamment, d’une analyse précise du capital immatériel (voir ci-avant).

TAUX DE RENTABILITÉ DES CPNE ET ACTUALISATION

Il existe un consensus pour considérer que retenir des taux différents, l’un pour la détermination du résultat minimal, plutôt sans risque, et l’autre, risqué, pour l’actualisation de la rente, ne repose sur aucun fondement théorique.

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De même, un consensus se dégage sur le fait que le taux de rémunération des CPNE doit correspondre au coût moyen des fonds propres.En revanche, il est nécessaire de se poser la question du taux d’actualisation à utiliser : dans la plupart des cas, le taux retenu sera identique au taux de rémunération des capitaux propres. Dans certains cas, le taux pourra être plus élevé, voire se rapprocher du coût des fonds propres, pour intégrer un risque spécifi que lié aux composantes identifi ées du goodwill ; dans des cas plus rares, il pourra être inférieur.

RENTE DE GOODWILL NÉGATIVE

Une rente de goodwill négative ne signifi e pas que la société est défi citaire, elle traduit le fait que la société a soit une rentabilité insuffi sante, soit des capitaux sous-utilisés. Elle peut également mettre en évidence un objectif de rentabilité trop ambitieux de l’acquéreur. Dans le contexte actuel de crise durable, les cas de rente de goodwill négative peuvent être fréquents.L’acquéreur sera généralement amené à identifi er différents scenarii qui auront un impact structurant sur la valeur, tels que, par exemple, la cession des actifs non stratégiques, la cession de l’immobilier…. Il sera nécessaire dans ce cas de ne pas oublier d’intégrer, d’une part, les coûts de restructuration et, d’autre part, l’effet timing (délai nécessaire pour la mise en œuvre de ces scenarii).

PRISE EN COMPTE DE L’IMMOBILIER

Les CPNE peuvent être très signifi catifs du fait du poids élevé de l’immobilier, actif sur lequel le niveau de risque peut être très inférieur au coût moyen pondéré du capital (WACC/CMPC) de la société (si l’actif n‘est pas spécifi que, il est bien placé…). Il pourra donc être pertinent de traiter l’immobilier comme un actif hors exploitation, ce qui revient à sortir l’impact de l’immobilier actuel des CPNE, et de l’intégrer dans le bénéfi ce sur la base d’une valeur de marché du loyer.

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5 L’évaluation des management packagesClaude Jacquart, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC, membre de la CCEF

Marie-Christine Raymond, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC, membre de la CCEF

Dans le cadre de sa mission légale, le commissaire aux comptes est souvent concerné par la problématique d’évaluation des produits optionnels : nous présentons les modèles d’évaluation des outils complexes de management package en fonction de leurs caractéristiques et des enjeux de la valorisation.Nous avons souhaité par ailleurs alerter sur la vigilance de l’administration fiscale en ce domaine.Enfin, nous récapitulons en synthèse les points d’attention de l’évaluateur en proposant au professionnel des réponses méthodologiques.

LE MANAGEMENT PACKAGE : DE QUOI S’AGIT-IL ?Le management package est un instrument d’intéressement du management, soit au moyen de titres de capital (actions ordinaires, actions de préférence), soit également via des titres donnant accès au capital (BSA, OC...).

E X E M P L E S D ’ O U T I L S

Promesses de vente, actions gratuites, stock options, Value Shares, Carried Interest, actions de préférence, BSPCE, BSA, OC.

Les objectifs poursuivis sont divers et parfois contradictoires :– motiver les managers (top management, « middle » management et, dans certains cas, l’ensemble des salariés) ; – faire converger les intérêts des managers avec ceux des actionnaires ; – prise de contrôle future d’une partie du management. Le contexte est également varié : – levée de fonds ;– opérations de capital-investissement. Les management packages donnent aux managers la possibilité de bénéfi cier d’un effet de levier supérieur à celui des investisseurs fi nanciers ; – transmission patrimoniale, qui correspond à la transmission future d’une partie des fonds propres d’une entreprise des actionnaires vers le top management.

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Les enjeux de la valorisation des management packages sont d’ordre :– transactionnel. Il s’agit de garantir l’équité entre le management et les actionnaires fi nanciers : - pour le dirigeant, pouvoir mesurer la valeur des actifs qu’on lui propose comme outil de rémunération ; - pour l’émetteur, mesurer le coût des outils de rémunération et réaliser des arbitrages ; – fi scal, puisqu’il faut sécuriser l’opération vis-à-vis de l’administration fi scale, en redoublant de vigilance dans le contexte actuel (voir ci-après) ; – comptable, dès lors que, selon IFRS 2, les instruments de capitaux propres doivent être comptabilisés à leur juste valeur à l’émission.Cette évaluation est rendue complexe par les caractéristiques inhérentes à ces instruments contractuels : l’incessibilité, les périodes d’exercice, les clauses événementielles (forçage, suspension), les clauses conditionnelles (présence, performance-sortie).Mais la complexité provient aussi des caractéristiques propres aux détenteurs des instruments : non-diversifi cation, barrière psychologique, capacité d’arbitrage, probabilité de sortie.

UN CONTEXTE FISCAL ACTUEL SOUS HAUTE SURVEILLANCE

La position récente de l’administration fi scale sur les schémas de management packageLa DGFiP a publié sur son portail « la carte des pratiques et montages abusifs » qu’elle complétera régulièrement avec des exemples de montages révélés lors de contrôles fi scaux et contraires à la loi.En tête de cette liste fi gurent les schémas de « management package » qui ne sont pas spécifi quement encadrés par des dispositions légales.L’administration rappelle que les options sur titres (stock options) et les actions gratuites sont encadrées par des dispositions légales et que le gain qui en résulte est soumis à un régime fi scal et social spécifi que.En revanche, les montages réalisés « dans le cas d’opérations à fort effet de levier de type LBO » peuvent être remis en cause et donner lieu à un rehaussement. L’administration pourrait requalifi er le gain réalisé par le bénéfi ciaire à l’issue de l’opération en complément de salaire, et non pas en plus-values sur valeurs mobilières. Elle fait référence à un arrêt du Conseil d’État qui confi rme la position d’une cour d’appel selon laquelle la requalifi cation en salaires de la plus-value était justifi ée par l’attribution de promesses de vente accordées eu égard à la qualité de dirigeant du bénéfi ciaire, sans prise de risque fi nancière ou en contrepartie d’un investissement modeste (CE 26 septembre 2014, n° 365573).De plus, la procédure d’abus de droit peut être mise en œuvre lorsque les cadres-dirigeants ont eu recours à un montage destiné à effacer toute imposition (inscription des titres dans un PEA, interposition d’une structure) et, dans ce cas, les rappels sont assortis d’une majoration de 80 %.

5 L’évaluation des management packages

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Évolution législative récente : la loi MacronLa loi Macron du 6 août 2015 contient des dispositions qui pourront favoriser le recours à ces outils dans le cadre des management packages, puisqu’elle allège le régimes fi scal des actions attribuées gratuitement (AGA) et des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE).Le gain d’acquisition réalisé par le salarié ou le mandataire social bénéfi ciaire d’un plan d’attribution d’actions gratuites sera désormais considéré non plus comme un complément de salaire, mais comme une plus-value de cession de valeurs mobilières avec un abattement pour une durée de détention (50 % après deux ans et 65 % après huit ans).Ces dispositions législatives vont à contre-courant de la position récente de l’administration rappelée ci-dessus ; en effet, les actions gratuites sont attribuées sans mise de fonds, sans prise de risque et sont liées à la qualité de salarié ou de mandataire de la société.

Dans ce contexte, l’évaluateur doit impérativement bien appréhender les dimensions de la valorisation du manager : dimensions fi nancière, dimension psychologique et la dimension fi scale et sociale.

Dans le cadre de cet article, nous n’aborderons que la dimension fi nancière.

LES MÉTHODES DE VALORISATION DES OUTILS OPTIONNELSLes avantages fi nanciers issus d’un management package sont souvent comparables à ceux procurés par les produits dérivés rencontrés sur les marchés fi nanciers. Les techniques de valorisation retenues par les évaluateurs sont ainsi souvent identiques à celles utilisées par les arbitragistes de marché, notamment à travers l’option.

Rappel sur les optionsLa valeur d’une option est composée d’une valeur intrinsèque et d’une valeur temps :– la valeur intrinsèque est la différence, si elle est positive, entre le cours de l’actif sous-jacent et le prix d’exercice de l’option d’achat ;– la valeur temps correspond à l’anticipation d’une valeur intrinsèque plus forte.

Valeur d’une option d’achat

Valeur de l’option

Valeur du sous-jacentPrix d’exercice

Valeur temps

Valeur intrinsèque

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Les principales clauses qui accompagnent les options sont les suivantes. Vesting period : période pendant laquelle un salarié détenteur de produits constitutifs du management packages ne peut exercer ses titres. Clauses de performance : rétrocession aux bénéfi ciaires du management package d’une part de la plus-value réalisée indexée sur le TRI des investisseurs et/ou un multiple d’investissement des investisseurs. Clauses de Bad/Medium/Good Leaver. Ces clauses ont pour objet d’organiser les conditions de rachat par les autres investisseurs (fonds) de la participation des managers lors du départ anticipé de ces derniers selon les circonstances dans lesquelles ils cessent d’exercer leur activité au sein de la société commune : – Bad Leavers : si dans les années suivant immédiatement le coinvestissement avec les fonds, ils sont démissionnaires, révoqués ou licenciés pour faute lourde ou grave, le pacte prévoira que ce rachat soit effectué avec une décote ;– Good Leavers : démission agréée, décès, invalidité ;– Départ neutre : démission agréée. Clauses de Tag along ou droit de sortie conjointe : possibilité de vendre ses titres en cas de changement de contrôle de la société. Clauses de Drag along ou obligation de sortie conjointe : faciliter la cession de 100 % des titres, empêchant le blocage des minoritaires.

À quel modèle d’évaluation recourir selon l’enjeu ?

DEUX GRANDES FAMILLE DE MODÈLES

Pour déterminer le prix d’une option, les modèles font des hypothèses quant à l’évolution du cours de l’action pendant la période de vie de l’option.Il existe deux grandes familles de modèle d’évaluation :➞ les modèles d’arbitrage : Black-Scholes et ses dérivés, arbre binomial et ses dérivés ;➞ les modèles basés sur des simulations : Monte-Carlo et ses dérivés.

LE MODÈLE DE BLACK AND SCHOLES OU BSM (BLACK-SCHOLES-MERTON)

Utilisation – Le modèle Black-Scholes ou modèle Black-Scholes-Merton qui est un modèle mathématique du marché pour une action, dans lequel le prix de l’action est un processus stochastique en temps continu (par opposition au modèle Cox-Ross-Rubinstein qui suit un processus stochastique en temps discret). Ce modèle a été développé dans un environnement où le temps est censé s’écouler de manière continue. Le postulat est que les acteurs du marché sont aussi sensibles au risque de hausse qu’au risque de baisse de l’action. Ils nécessitent aussi de chiffrer la volatilité attendue (volatilité refl étant les anticipations futures de la valeur du sous-jacent). La formule de Black & Scholes permet d’évaluer un call (ou un put) européen avec un prix d’exercice fi xé. Elle correspond à la solution d’une équation différentielle. Formule du modèle de Black & Scholes (sans dividendes)c = S

0Nd

1 – Ke–rTN(d

2)

S0 : cours de l’action à la date 0

K : prix d’exercice

5 L’évaluation des management packages

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D É C E M B R E 2 0 1 5N°433 RFComptable50

r : taux sans risqueT : terme (exprimé en années)N(x) : fonction de répartition de la loi normale centrée réduite = volatilitéAvec :

E X E M P L E

Calcul. Avec les paramètres :• Prix du sous-jacent (S) 100 ¤• Prix d’exercice (K) 110 ¤• Maturité en jours (365) (T) 365• Volatilité en % (100 ) 30• Taux d’intérêt continu en % 4,00• Taux de dividende en % 0,00Valeur du call = 9,63 ¤ Interprétation. Je paie 9,63 ¤ le droit d’acheter dans 1 an au prix de 110 ¤ une action qui vaut aujourd’hui 100 ¤ et qui vaudra dans 1 an entre 0 et l’infi ni.L’option sera donc exercée si le prix de l’action est supérieure à 110 ¤ dans 1 an.Si le prix de l’action est inférieur à 110 ¤ dans 1 an, l’option ne sera pas exercée et le porteur de l’option aura perdu 9,63 ¤ par action.Si le prix de l’action est supérieur à 110 ¤ dans 1 an (supposons qu’il soit de 130 ¤), l’option sera exercée et le porteur de l’option aura gagné 130 – 110 – 9,63 ¤ par action = 10,37 ¤.L’acheteur d’une option a donc un gain illimité et une perte limitée à la prime payée (9,63 ¤).

LE MODÈLE BINOMIAL OU MODÈLE DE COX-ROSS-RUBINSTEIN (CRR)

Principe et intérêt – En fi nance, le modèle binomial (ou modèle Cox-Ross-Rubinstein, CRR du nom de ses auteurs) fournit une méthode numérique pour l’évaluation des options. Il a été proposé pour la première fois par Cox, Ross et Rubinstein en 1979. Le modèle est un modèle discret pour la dynamique du sous-jacent. Déterminer la valeur des options par la méthode binomiale représente simplement un processus de résolution des arbres de décision. On commence à une date future et on revient progressivement vers le présent. Pour les options comportant plusieurs sources d’incertitudes (par exemple, les options réelles) ou pour les options complexes (par exemple, les options asiatiques), l’application de la méthode binomiale en « arbre » présente des diffi cultés et n’est pas pratique. Dans ces cas-là, il vaut mieux utiliser la méthode de Monte-Carlo (voir ci-après). Enfi n, contrairement aux modèles de Black & Scholes, les arbres recombinants présentent de manière discrète et visuelle les évolutions probables du sous-jacent et les plus-values

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associées provenant de l’exercice des outils optionnels. Plus le nombre de nœuds dans l’arbre est important, plus l’estimation de la valeur actuelle de l’outil est fi ne. Processus de calcul – La méthode binomiale utilise un « cadre à temps discret » pour retracer l’évolution de l’actif sous-jacent, via un arbre, pour un nombre donné de « pas » qui correspond au temps entre la date d’évaluation et celle de l’expiration de l’option. Chaque nœud de l’arbre (intersection entre deux branches de l’arbre) est un prix possible du sous-jacent à un moment précis dans le temps. Cette évolution des prix constitue la base de l’évaluation des options. En effet, le principe d’un arbre recombinant est de décrire l’évolution du prix de l’achat du sous-jacent (par exemple, une action) par une suite de variation à la hausse ou à la baisse. Si l’on répète ces variations dans le temps, il en résulte un grand nombre de valeurs possibles. Le processus d’évaluation est itératif. On part du nœud fi nal de chaque branche et ensuite on « remonte » jusqu’au premier nœud (date d’évaluation), où le résultat du calcul est la valeur de l’option. Cette méthode utilise donc le processus suivant :– 1. création de l’arbre,– 2. calcul de la valeur de l’option au nœud fi nal de chaque branche,– 3. calcul progressif de la valeur de l’option à partir du nœud précédent, la valeur du premier nœud étant la valeur de l’option.On suppose que le cours peut, à la suite d’un petit intervalle de temps, atteindre 2 ou 3 valeurs possibles :• Modèle binomial (avec u = « up » / augmentation et d = « down » / diminution) • Modèle trinomial (développé par Phelim Boyle en 1986, il s’agit d’une extension du modèle binomial d’évaluation d’options, conceptuellement similaire)

E X E M P L E

En reprenant les paramètres de calcul du modèle de Black and Scholes : S = Prix du sous-jacent, soit 100 ¤r = Taux sans risque (4 %) = volatilité (30 %)X (Prix d’exercice ou « strike ») = 110 ¤ T (maturité de l’option) = 1 an et t (durée de la période) = T/n

5 L’évaluation des management packages

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Je paie 9,85 ¤ le droit d’acheter dans 12 mois au prix de 110 ¤ une action qui vaut aujourd’hui 100 ¤ et qui vaudra dans 12 mois entre 35,4 ¤ et 282,7 ¤.L’option sera donc exercée si le prix de l’action est supérieur à 110 ¤ dans 12 mois.Si le prix de l’action est inférieur à 110 ¤ dans 12 mois, l’option ne sera pas exercée et le porteur de l’option aura perdu 9,85 ¤ par action.Si le prix de l’action est supérieur à 110 ¤ dans 12 mois (supposons qu’il soit de 130 ¤). l’option sera exercée et le porteur de l’option aura gagné : 130 – 110 – 9,85 ¤ par action = 10,15 ¤.L’acheteur d’une option a donc un gain illimité et une perte limitée à la prime payée (9,85 ¤).

LES SIMULATIONS DE MONTE-CARLO

Les approches méthodologiques face au hasard – Face à l’incertitude, la première approche consiste à ignorer les éléments aléatoires dans la mesure où on ne sait pas comment les intégrer. Il s’agit de la « méthode des scénarios ». Une seconde approche envisageable est celle de la « théorie des jeux » lorsque l’on ne sait pas associer des probabilités précises aux futurs événements aléatoires. Enfi n, il reste les cas où l’on peut affecter des probabilités aux événements aléatoires, soit que ces probabilités découlent de calculs ou de mesures, antérieures de même nature que la situation actuelle. Dans ce dernier cas, on parle de probabilités subjectives car elles dépendent de la personne qui les estime. Deux approches peuvent dès lors être envisagées : la « théorie de la décision » et la « simulation probabiliste », aussi appelée « simulation stochastique » ou « simulation de Monte-Carlo ».

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Il existe bien d’autres types de modèles possibles tels que les processus markoviens, la programmation dynamique, l’approche « value at risk », les approches systémiques ou les modèles d’options réelles. En résumé, une simulation déterministe ne fait pas intervenir le hasard (par exemple, les modèles développés sur tableur). Une simulation stochastique (probabiliste ou Monte-Carlo) fait intervenir le hasard qui peut être réalisé sur tableur directement ou sur un add-in de simulation tel que Chrystal Ball, Matlab…

Principe – Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, l’analyse de sensibilité et la construction de scénarios constitue un premier genre d’approche. Il se caractérise par l’indépendance logique entre chaque futur évoqué.Le calcul de trois scénarios (hypothèse haute, basse et médiane), par exemple, peut s’effectuer en parallèle sur trois machines déconnectées entre elles. Lorsqu’on fait des statistiques sur un grand nombre de simulations, plus de 100, on parle de méthodes d’ensembles. Lorsque les paramètres de l’ensemble sont tirés au hasard en fonction d’une distribution de probabilité (et non systématiquement en suivant un plan d’expérience), on parle de « méthode de Monte Carlo ».L’évaluation du parcours possible du prix futur du sous-jacent est réalisée par le calcul de nombreuses trajectoires aléatoires.Le terme « méthode de Monte-Carlo » désigne toute méthode visant à calculer une valeur numérique en utilisant des procédés aléatoires, c’est-à-dire des techniques probabilistes.Cette approche consiste à isoler les variables clés de la valeur de l’outil optionnel et à les décrire sous forme de lois de distribution qui vont suivre leur évolution. En respectant ces lois d’évolution, des milliers de scénarios sont simulés par ordinateur afi n de déterminer les valeurs et les probabilités associés à chaque cas possible.Il est également possible de travailler beaucoup plus fi nement et d’affecter une distribution de probabilités à des variables plus précises telles que le prix de vente, le cours des achats de matières premières, etc. dans un business plan. Pour chacun de ces facteurs,

5 L’évaluation des management packages

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un grand nombre de tirages aléatoires est effectué selon les distributions de probabilités prédéterminées. Puis l’on peut indirectement en déduire la valeur de l’action sous-jacente.La modélisation retenue pour présenter la dynamique de prix de l’actif ou de la variable sous-jacents s’appuie sur l’utilisation d’un mouvement brownien géométrique à l’instar du modèle BSM décrit précédemment.Ainsi, le modèle de Monte-Carlo a quasiment les mêmes paramètres que ceux du modèle BSM, à l’exception du nombre de pas temporels. Via ce mécanisme discret, ce modèle permet d’intégrer une évolution temporelle de différents paramètres du modèle BSM (par exemple, volatilité stochastique, taux d’intérêt évolutif, différenciation de la rentabilité du sous-jacent selon les périodes du plan d’affaires) et d’allouer des probabilités d’occurrence à chacun des scenarii identifi és.On ne retient que les scénarios de prix du sous-jacent qui s’inscrivent dans une distribution statistique du type log normal. On calcule le pay-off du package pour chaque scénario (application du waterfall, c’est-à-dire qu’en cas de pay-off inférieur à 0, alors la valeur de l’option est mécaniquement mise à 0 pour le scénario en question). La valeur de l’option est égale à la somme probabilisée des pay-off, pondérée par la probabilité d’occurrence de chaque horizon de sortie des investisseurs. Il convient enfi n d’actualiser la valeur de l’option en fonction du taux d’intérêt sans risque et d’appliquer des décotes pour incessibilité, Good / Bad leaving et risque de moindre diversifi cation du portefeuille d’options.

SynthèseLes trois méthodes décrites ci-dessous sont des approches de référence pour l’évaluation des outils optionnels. Elles donnent le même résultat lorsque les mêmes hypothèses et contraintes sont prises en comptes. En fonction du contexte, les professionnels de l’évaluation choisissent la méthode la plus adaptée.L’utilisation de Black and Scholes est limitée car :– ce modèle est peu adapté aux longues maturités ;– la volatilité doit être corrigée ;– dans la pratique, il n’y a jamais d’options simples ;– les 6 paramètres ne doivent pas varier dans le temps.L’avantage principal de la formule de Black & Scholes est de permettre d’obtenir aisément une bonne approximation de la valeur d’un instrument optionnel peu complexe lorsque certaines conditions sont réunies (liquidité du sous-jacent, possibilité d’arbitrage…).Les autres modèles sont donc souvent plus adaptés.La valeur d’un BSA proche de 10 % de la valeur d’un sous-jacent n’est pas une vérité absolue. En effet, elle ne tient pas compte des différentes caractéristiques spécifi ques de chaque outil optionnel et de l’entreprise concernée. Pour éviter tout risque fi scal, l’évaluation doit être documentée et « démontrable ». Les rapports d’évaluation doivent faire preuve d’un minimum de transparence et de pédagogie.

MÉTHODOLOGIE PROPOSÉE

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POUR LES PRODUITS COMPLEXESLe tableau ci-dessous liste les points d’attention lors d’une évaluation de produits complexes au sein de management packages et propose en regard les méthodes adoptées.

Évaluation de produits complexes au sein de management packages

Points d’attention Méthodologie proposée

1. Justification du caractère risqué du management package • Évaluation multicritère pour répondre aux exigences de l’admi-nistration fiscale• Rapport détaillé et pédagogique : réduction du risque de requa-lification par l’administration fiscale des gains engendrés par ces produits complexes en salaires

2. Produits optionnels et conditions d’exerçabilité complexes, donc très difficiles à évaluer avec des modèles de valorisation d’options classiques

• Modèle Black & Scholes jugé non pertinent pour des conditions d’exerçabilité complexes• Méthode interne permettant de prendre en compte tout type de critères spécifiques d’exerçabilité des produits complexes de type BSA.

3. Hypersensibilité aux paramètres de l’évaluation • Étude de la sensibilité de la valorisation à différents paramètres (volatilité du sous-jacent, seuil d’activation des produits, durée potentielle d’investissement, taux d’actualisation et décotes, etc.)

4. Volatilité future : problématique majeure des modèles d’évaluation de management packages

• L’estimation délicate de la volatilité est source de sensibilité trop importante : éviter d’utiliser des modèles de type Black & Scholes• Dans les modèles de type arbres recombinants, retenir, lorsque cela est possible, la volatilité du sous-jacent inhérente au plan d’affaires fourni par la société

5. Prise en compte du caractère spécifique du manager dans l’évaluation des management packages (situation personnelle)

• Prise en compte au moyen de différentes décotes explicitées et argumentées (incessibilité, illiquidité...)

6. Analyse des contrats définissant l’opération • Analyse des différents contrats de l’opération préalablement à l’évaluation• Construction d’un jugement et prise en compte des risques associés dans l’évaluation (décotes et primes considérées)

7. Analyse fine de l’évolution du sous-jacent • Estimation ou analyse critique de l’évolution du sous-jacent préalablement à l’évaluation du management package• Retranscription de manière la plus fine possible des seuils d’exerçabilité des options (réduire l’impact de la sensibilité de la valorisation des options à l’évolution du sous-jacent)

8. Le taux d’actualisation doit refléter le risque afférent à l’investissement et le rendement attendu par les investisseurs

• Justification précise des différentes hypothèses constituant ce taux d’actualisation (déterminé sur la base du modèle MEDAF)

9. Évaluation des décotes (illiquidité, Bad Leaver, Good Leaver)

5 L’évaluation des management packages

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6 Évaluer les engagements de retraite et avantages similaires : les questions à se poserClaude Jacquart, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC, membre de la CCEF

Jean-Baptiste Verdier, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC

La problématique de l’identification et de l’évaluation des engagements de retraite et avantages similaires se pose quel que soit le référentiel comptable. En effet, même s’ils ne sont pas comptabilisés, ces engagements figurent dans l’annexe et affectent toujours la valeur de l’entreprise.Le plus souvent, dans les grandes entreprises, en raison de la complexité de l’évaluation de ces engagements, l’entreprise fait appel à des actuaires. Le commissaire aux comptes ou le commissaire aux apports ou à la fusion peut donc être conduit à utiliser les travaux et le rapport de l’actuaire pour apprécier cette évaluation quant aux hypothèses actuarielles retenues et aux calculs effectués.

QUELLE EST LA MISSION DE L’ACTUAIRE ?La mission de l’actuaire est défi nie dans sa lettre de mission. Il en rend compte dans un rapport destiné à son mandant.Le plus souvent, l’actuaire n’est pas là pour vérifi er les données qui lui sont fournies, mais pour les traiter. Il ne va donc pas s’intéresser, d’une façon générale, à l’exhaustivité des passifs qu’on lui demande d’évaluer. Dans ce cadre, le commissaire aux comptes doit s’assurer des éléments de cadrage du calcul entre l’exercice N et l’exercice N – 1, notamment sur sa substance, à savoir la population. L’actuaire précise, dans sa lettre de mission et dans son rapport, l’étendue et les limites de ses travaux, notamment en précisant sa démarche (modèle analytique, modèle stochastique et comportement humain). Il indique ainsi :– s’il a procédé à des contrôles de cohérence sur les caractéristiques de la population qui lui a été transmise, notamment s’il ne s’agit pas d’une première évaluation puisqu’il dispose dans ces cas-là de références ;– s’il a arrêté lui-même le taux d’actualisation retenu ou s’il a utilisé celui fourni par l’entreprise ;– dans quelle mesure il a vérifi é la pertinence des hypothèses de croissance des salaires ou de rotation du personnel (turn-over) faites par l’entreprise.

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En France, l’actuaire ne s’engage pas sur la pertinence de l’ensemble des hypothèses actuarielles retenues, celles-ci restant de la responsabilité du management.Il est important que les responsables de l’entité puissent dialoguer avec l’actuaire sur les résultats qu’il a obtenus et afi n de vérifi er que les informations qu’ils lui ont transmises ont été bien comprises et traitées de façon satisfaisante.L’actuaire peut établir un état des anomalies qui ressortent le cas échéant de ses travaux, telles que des variations supérieures à un certain seuil, et pour lesquelles une information de l’entité serait utile notamment afi n de vérifi er que les données transmises ne comportaient pas elles-mêmes des anomalies.Il semble pertinent que le commissaire aux comptes puisse avoir un échange avec l’actuaire pour valider sa démarche de travail et discuter des hypothèses actuarielles retenues.

COMMENT VÉRIFIER L’EXHAUSTIVITÉ DES DONNÉES ?Pour pouvoir apprécier que, pour une catégorie de passifs sociaux donnée, la population retenue est exhaustive et que l’ensemble des contrats ou des conventions y afférents ont bien été pris en compte, il peut être nécessaire :– d’avoir des entretiens avec la direction et les différents services de l’entreprise concernés par ces problématiques, à savoir la direction des ressources humaines, la direction juridique et sociale ;– de s’entretenir également avec ceux qui sont en charge de la gestion des plans, notamment pour les retraites chapeaux, ou qui les assurent ;– d’obtenir toute documentation utile telle que : - accords d’entreprise, procès-verbaux des réunions du comité d’entreprise, conventions collectives… ; - contrats de travail types par catégories de personnel, contrats de travail pour les salariés clés ; - notes internes émises par la direction des ressources humaines, informations sur les litiges prud’homaux éventuels ;– d’analyser le détail des charges de personnel pour comprendre les versements effectués par l’entreprise sur les différents régimes ;– d’opérer des rapprochements entre ces différentes informations et s’enquérir de toute différence éventuelle.Dans le cadre d’une mission consistant à apprécier l’évaluation des avantages sociaux au niveau d’un groupe, les mêmes informations devront être obtenues pour les fi liales consolidées et, plus particulièrement, pour les plus signifi catives d’entre elles.

COMMENT VÉRIFIER LA COHÉRENCE DE L’ÉVALUATION ET QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER ?Une des premières façons de vérifi er la cohérence de l’évaluation proposée est d’analyser l’évolution de l’estimation de l’année N par rapport à celle retenue pour l’année N – 1.

6 Évaluer les engagements de retraite

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Cette analyse doit permettre d’identifi er les éléments qui, s’ils sont jugés signifi catifs, nécessiteront des investigations plus approfondies :– modifi cations intervenues dans la population retenue (par exemple, exclusion des mandataires sociaux qui, en tant que tels, ne peuvent pas prétendre aux IFC) ;– modifi cations dans les règles d’attribution des indemnités de départ à la retraite, des retraites ou autres avantages ;– désengagement d’un régime ;– modifi cations législatives affectant les comportements ou les droits ;– modifi cations dans les paramètres de calcul (taux d’actualisation, taux de croissance des salaires, taux de rotation du personnel, table de mortalité, etc.) ;– comparaison entre les coûts en N – 1 pour N et les coûts supportés en N.Le commissaire aux comptes formalisera ses contrôles de cohérence afi n de justifi er de sa compréhension quant à la nature des évolutions des engagements.

COMMENT APPRÉCIER LE TAUX D’ACTUALISATION ?Comme pour toutes les estimations pour lesquelles ce paramètre intervient, l’appréciation du taux d’actualisation reste délicate. En France, l’actuaire ne s’engage pas sur les hypothèses et n’a aucune obligation de jouer le rôle de garde-fou. C’est d’ailleurs rarement le cas. Une comparaison avec les taux d’actualisation retenus par d’autres entreprises peut être intéressante, mais risque de n’être réalisable que postérieurement à la réalisation de l’évaluation, à la lecture des annexes aux comptes annuels ou consolidés. Nature de l’indice – Selon le référentiel IFRS, le taux à retenir doit être le taux d’émission des obligations du secteur privé en euros de « grande qualité » pour des durations équivalentes à celles des engagements.La norme IAS 19 ne précise pas ce que sont ces titres de « grande qualité ». Toutefois, selon les normes américaines et la pratique communément admise en IFRS, les titres de sociétés cotées « AA » ou plus seront retenus. PRATIQUE Les indices les plus souvent utilisés sont les indices Iboxx Corporate, ainsi que, dans une moindre mesure, les indices Bloomberg ZC en euros. Les taux Iboxx de référence utilisés sont les taux Iboxx Corporate AA, en fonction de la duration des engagements : Iboxx Corporate AA10+, Iboxx Corporate AA5-7… zone euro. Cependant, compte tenu de la très forte baisse des taux depuis la fi n 2012 et du faible nombre des titres « AA » et « AAA » dû à de nombreuses dégradations par les agences de notation, la communauté fi nancière s’interroge sur la pertinence de cette référence dans la détermination du taux d’actualisation. Le Comité d’interprétation des IFRS a été saisi du dossier, mais n’a pas pour l’instant apporté de réponse offi cielle. Il ressort néanmoins des discussions que le Comité se dirige vers une position consistant à dire en substance que, si le marché des « AA » n’est pas assez consistant, le taux peut être défi ni par référence au marché plus large des émissions de sociétés notées « A », mais corrigé de la prime de risque inhérente à la différence de notation. Cela reviendrait sensiblement à conserver les « AA » comme référence. En France, l’AMF, s’est prononcée pour dire qu’aucune raison ne justifi ait de changer de référence (AMF, rec. 2012-16) et 2013 (AMF, rec. 2013-19).

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Durations à retenir – Il est à noter que dans de nombreux cas, les durations (voir défi nition ci-après) sont plus proches d’une fourchette de 12 à 15 ans que de 10 ans. Il conviendra alors de déterminer un taux d’actualisation en tenant compte des informations disponibles. En pratique, un taux moyen pondéré refl étant les dates de paiement des avantages procurés par le régime est utilisé. En l’absence de marché d’obligations de maturités suffi samment longues, les taux à utiliser sont extrapolés à partir de la courbe des taux (une source sur les taux d’actualisation peut être, par exemple, le fl ash info Mercer trimestriel sur la zone euro, Royaume-Uni, États-Unis ou le blog Towers Watson).Les taux à retenir doivent tenir compte de la duration des engagements. Il est rappelé que la duration est la durée de vie moyenne (durée entre la date actuelle et la date de paiement) des fl ux fi nanciers pondérée par leur valeur probable actualisée. À SAVOIR Il convient de bien distinguer duration et maturité. La maturité est la durée moyenne résiduelle de vie active des salariés (durée restante avant le départ, tenant compte des probabilités).La duration correspond à durée moyenne résiduelle de vie active des salariés, mais pondérée par les prestations à payer, en général plus courte que la maturité (mais pas toujours).

À QUELLE DATE SONT FOURNIES LES DONNÉES DE BASE ?Dans le cadre d’établissement des comptes annuels et afi n de permettre la sortie rapide des comptes après la clôture de l’exercice, il arrive que les évaluations se fassent sur des données sociales arrêtées un ou deux mois avant la date de clôture des comptes.Se pose alors la question de savoir comment sont prises en compte les variations qui peuvent toucher les données entre la date où elles sont produites et la date de clôture des comptes, notamment sur l’évolution de l’effectif. Il convient en conséquence de valider qu’aucune variation signifi cative n’est intervenue sur les données pendant la période (mouvements d’effectifs, valeur des actifs, décaissements, modifi cation de plans). Il est à noter que l’impact des salariés embauchés en fi n d’année est en général marginal, sauf cas particuliers tels que la reprise d’ancienneté.Il convient aussi de s’interroger sur la masse salariale retenue : s’agit-il de 12 mois arrêtés à la date de prise en compte des données et donc avec un décalage par rapport à la clôture de l’exercice, ou le réel pour la partie connue depuis le début de l’exercice et la charge estimée pour les mois restant à venir ?

QUEL SALAIRE DE FIN DE CARRIÈRE RETENIR ?Pour déterminer le salaire de fi n de carrière, l’entreprise doit tenir compte des augmentations de salaires futures estimées. Pour l’ANC, ces dernières doivent prendre en compte l’infl ation, l’ancienneté, la promotion et divers autres facteurs comme l’offre et la demande sur le marché de l’emploi (ANC, rec. 2013-02, § 6252).De même, il conviendra de s’interroger sur les modalités de prise en compte de la partie variable du salaire, afi n d’éviter les trop fortes variations dans les hypothèses actuarielles d’un exercice sur l’autre.

6 Évaluer les engagements de retraite

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Dans tous les cas, sauf accords collectifs plus avantageux, le salaire de référence pour le calcul de l’indemnité légale de licenciement et de l’indemnité de départ volontaire à la retraite est le même, à savoir :– 12e de la rémunération des 12 douze derniers mois précédant le licenciement ou le départ volontaire ;– ou, le 1/3 de la rémunération des 3 derniers mois (les éléments annuels exceptionnels versés sur cette période sont repris prorata temporis).

QUELLE TABLE DE MORTALITÉ UTILISER ?La mortalité en période d’activité est approchée par les tables de mortalité éditées par l’INSEE. C’est une donnée exogène. Ni la recommandation de l’ANC ni la norme IAS 19 ne précisent le type de table à utiliser.En présence de risque viager (prestations versées jusqu’au décès comme, par exemple, le régime de retraite chapeau), une table générationnelle doit être retenue, qui tienne compte des évolutions de la mortalité. En France, la table la plus communément utilisée est la table TGH/TGF la plus récente.Pour les engagements en cas de vie (indemnités de départ en retraite, médailles du travail), une table par génération n’est pas nécessaire. En France, la table de mortalité généralement utilisée est la table TH/TF la plus récente.

COMMENT ÉTABLIR DES HYPOTHÈSES DÉMOGRAPHIQUES ET AUTRES HYPOTHÈSES ACTUARIELLES ?Les hypothèses démographiques retenues (comme les augmentations salariales et le taux de départ) doivent être confrontées aux évolutions effectivement constatées, aux orientations de la politique menée par la société en matière de ressources humaines ainsi qu’aux statistiques historiques observées.S’agissant du taux de départ, celui-ci n’est normalisé ni par la recommandation de l’ANC, ni par IAS 19.De plus, en l’absence d’exploitation de données historiques, le commissaire aux comptes pourra se reporter à la dernière enquête sur les mouvements de main-d’œuvre du DARES pour confronter les hypothèses retenues avec celles du secteur étudié. Plusieurs taux de départ pourront être utilisés en présence de particularités liées aux catégories socioprofessionnelles ou à l’âge. Le taux de départ se mesure en comparant les départs d’une année par le nombre de salariés. Il est nécessaire d’analyser l’évolution des hypothèses, et de vérifi er que les éléments exceptionnels sont bien exclus dans le calcul des départs : exclusion du calcul des effets d’un plan social, des décès et des départs en retraite.Les autres hypothèses actuarielles doivent faire l’objet d’une revue par rapport aux pratiques actuarielles de place, au régime évalué, et à la population concernée.

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7 L’approche de l’évaluation d’entreprise par l’administration fi scaleChristine Cormerais, commissaire aux comptes, membre de la commission Évaluation de la CNCC

Thierry Saint-Bonnet, commissaire aux comptes, expert près la Cour d’appel de Paris, membre de la commission Évaluation de la CNCC

L’objectif est de présenter les grandes lignes de l’approche de l’administration fiscale en matière d’évaluation des entreprises et de droits sociaux. Cette dernière repose sur les principes posés par la jurisprudence et sur sa propre doctrine qui n’est pas toujours en accord avec la pratique des évaluateurs.

PRINCIPE : VALEUR « RÉELLE » OU VÉNALELe principe fondamental des contestations en matière fi scale repose sur le fait que les opérations doivent être réalisées à la valeur « réelle » ou « vénale ». En effet, contrairement aux biens et services, il n’est pas possible, même au sein des groupes, de retenir en matière de cession d’immobilisations, notamment fi nancières, une valeur conventionnelle différente du prix du marché.À SAVOIR Pour éviter ou limiter les éventuelles contestations de la part de l’administration fi scale, il est prudent d’entourer les opérations envisagées d’une certaine sécurité que peuvent conférer les expertises. Encore faut-il qu’il s’agisse de véritables expertises, et non de travaux de complaisance. Le fi sc ayant, en principe, la charge de la preuve, il lui est plus diffi cile de s’opposer à une expertise que de notifi er un désaccord.

POSITION DE LA JURISPRUDENCE

Titres cotésLa loi ne traite que de certaines situations : droits de donations, ISF, titres de placement.Le Conseil constitutionnel a imposé, lors des nationalisations-privatisations de 1982-1986, une approche multicritère qu’il a jugé plus pertinente que le cours de bourse.Le Conseil d’État (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés) considère que des dérogations sont possibles.En revanche, la Cour de cassation (droits de donation, droits de succession, ISF) n’admet aucune dérogation.

7 L’approche de l’administration fi scale

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Titres non cotésEn l’absence de textes généraux, il convient d’examiner la jurisprudence. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de titres cotés s’applique également à la valorisation des titres non cotés. Elle repose sur une approche multicritère. Pour le Conseil d’État, le critère principal d’évaluation repose sur les transactions (antérieures) comparables. Encore faut-il qu’elles soient réellement « comparables ».Les critères secondaires s’appuient sur la combinaison de méthodes et leur pondération. Ces méthodes sont multiples : actif net réévalué, valeur de productivité, valeur de rendement…Selon les situations, le juge reconnaît l’existence de primes (contrôle) et de décotes (holding, illiquidité, minorité…). Selon la Cour de cassation, le principe de base est la recherche de la valeur vénale qui s’apprécie en tenant compte de tous les éléments permettant d’obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande.Le juge doit vérifi er que l’administration fi scale a utilisé l’ensemble des méthodes pertinentes.

Les jurisprudences civiles et administratives retiennent une approche similaire, ce qui est réconfortant.

LA DOCTRINE ADMINISTRATIVEBref historique – Avant 1982, il n’y avait pas de doctrine offi cielle sur l’évaluation des droits sociaux. Le fi sc se basait sur la valeur mathématique (actif net réévalué) sur laquelle il appliquait une décote.Avec l’instauration de l’IGF (impôt sur les grandes fortunes) en 1982, la DGI a publié un guide (vert) réédité en 1989 (bleu). Ces guides ont été fortement critiqués à l’époque par la doctrine et le patronat (CNPF, ancêtre du MEDEF). En réalité, il s’agissait de guides sur les évaluations en général qui ne comportaient que peu de chapitres consacrés aux entreprises, fonds de commerce et fonds libéraux.Le guide de l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés – Un guide a été publié fi n 2006 par la DGI (devenue DGFiP). Il a permis de moderniser les méthodes retenues jusque-là par les vérifi cateurs, d’harmoniser leurs pratiques, d’apporter une plus grande sécurité juridique aux contribuables et d’améliorer les garanties offertes aux entreprises.Il est cependant revêtu d’une ambiguïté car il n’a, selon les tribunaux, aucune valeur juridique, mais il est souvent considéré par les vérifi cateurs comme une « bible ».Démarche de l’administration fi scale – Le guide recommande aux contrôleurs de vérifi er les valeurs qui ont été retenues par les contribuables selon la démarche suivante :– procéder à l’analyse de l’entreprise par une démarche incontournable, qualifi ée de préalable et d’essentielle ;– analyser son mode de fonctionnement ;– prendre en considération les perspectives d’avenir (mais seulement à court terme) ;– retenir une approche « plurielle ».Il reste que l’approche patrimoniale demeure privilégiée.

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Originalité du contentieux fi scal – En dehors de la double compétence juridictionnelle (tribunaux de l’ordre administratif – tribunaux de l’ordre judiciaire) déjà évoquée, il faut retenir que les délais du contentieux fi scal peuvent s’étendre sur 10 ans. Les coûts correspondants sont importants et les soucis toujours prégnants. L’administration fi scale a le temps, les moyens, le contribuable moins ! Cela conduit souvent à une transaction.

LA PRATIQUE ACTUELLE DES VÉRIFICATEURS

Les points de diffi cultéLe guide de l’évaluation, établi par l’administration fi scale, répond au souci de faire évoluer sa pratique, en accord avec les techniques actuelles des experts en évaluation.Sans vouloir généraliser l’ensemble de la conduite des vérifi cateurs, on rappellera simplement ci-après les principales diffi cultés dues, notamment, au manque de pratique des agents du fi sc, en matière de valorisation des entreprises.Les points délicats sont examinés dans l’ordre des méthodes proposées par le guide qui peut sous-entendre un ordre préférentiel.Valeur patrimoniale ou mathématique – Le guide pose un a priori, à savoir l’existence d’immobilisations incorporelles (fonds de commerce, goodwill). Cette démarche est inverse de celle des praticiens, lesquels considèrent que le goodwill se détermine à partir de la rentabilité de l’entreprise, et non par un postulat initial basé sur un barème ou une formule mathématique, combinant chiffre d’affaires et bénéfi ce.Valeur(s) de rentabilité Valeur de productivité. La valeur d’une entreprise est déterminée en capitalisant un résultat courant et récurrent. Le taux de capitalisation pose, en pratique, des diffi cultés qu’on retrouvera dans la méthode des cash fl ows actualisés.La diffi culté majeure tient à la distinction fondamentale à faire entre valeur d’entreprise (valeur de l’actif économique) et valeur de l’entreprise (c’est-à-dire valeur des actions), qui tient compte de l’incidence de l’endettement. Cette notion est souvent mal comprise. Marge brute d’autofi nancement (MBA). La valeur d’entreprise est déterminée par application d’un multiple de 4 à 10 à la MBA. Le choix du vérifi cateur est le plus souvent empirique et tend vers l’excellence. Valeur de rendement. La valeur de l’entreprise est déterminée en capitalisant un dividende réputé récurrent. En pratique, dans les PME, il y a lieu d’examiner la politique de distribution et d’être attentif au rapport rémunération des dirigeants/revenus distribués.Flux futurs de trésorerie actualisés (méthode DCF) – Cette approche n’est pas mise en œuvre par l’administration fi scale qui peut toutefois l’examiner pour apprécier la cohérence des résultats obtenus avec ceux résultant des autres méthodes.On peut observer que le fi sc écarte la méthode la plus usitée par les évaluateurs. Cependant, lorsqu’elle est utilisée, on constate de grandes divergences dans la construction des taux d’actualisation, les vérifi cateurs utilisant systématiquement des taux bas sans corrélation avec la réalité économique.

7 L’approche de l’administration fi scale

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Évaluation fi scale : la combinaison des méthodesAprès valorisation de la société par application des différentes méthodes, celle-ci est ensuite classée dans une grille de formules qui est fonction de :– sa taille (petite, moyenne, importante) ;– son activité (civile, commerciale, industrielle, holding) ;– l’importance de la participation détenue (majoritaire, minoritaire).La valeur des titres est alors déterminée par rapport à la valeur globale calculée par moyenne ou pondération et du nombre de titres détenus.

Bilan après dix ans d’application du guideLe guide publié fi n 2006 était déjà dans les cartons du fi sc depuis quelques années. Aussi, pouvons-nous faire un premier bilan.La pratique de l’administration fi scale ne s’est pas sensiblement rapprochée de la démarche des experts fi nanciers, du moins dans les PME. Méthodes prospectives et méthodes rétrospectives s’opposent. Ainsi, certaines divergences perdurent :– vocabulaire différent entraînant des confusions ;– prépondérance injustifi ée de la valeur mathématique ;– circonspection persistante vis-à-vis des méthodes prospectives ou comparatives,– manque de doctrine en matière d’évaluation des actifs incorporels ;– retraitements économiques (loyers, rémunérations…), pas toujours pris en compte ;– manque de réalisme dans l’appréciation du risque et dans la détermination des taux d’actualisation ou de capitalisation.

Évolution de la jurisprudenceEn raison des délais de procédure, la jurisprudence est peu abondante à ce jour en matière de référence au guide de l’évaluation. Elle n’est pas toujours défavorable au point de vue des contribuables, même si elle reste assez protectrice à l’égard de l’administration fi scale. Plusieurs arrêts peuvent être cités :– CE 3 juillet 2009, n° 306363 : reconnaissance de l’expertise ;– Cass. com. 7 juillet 2009, n° 08-14855 : prépondérance de la méthode comparative par rapport à la combinaison de méthodes ;– CE 1er juillet 2010, n° 304673 : incidence sur la valeur des obligations convertibles ;– CE 10 décembre 2010, n° 308050 : prise en compte d’un prix supérieur à la valeur en raison de l’élimination d’un concurrent, d’où une prime ;– CE 20 décembre 2011, n° 313435 : acceptation d’une prime (survaleur) et ouverture (timide) vers des comparables « extérieurs » ;– CE 20 juin 2012, n° 343033 : non-incidence sur la valorisation d’une société interposée ;– Cass. com. 6 novembre 2012, n° 11-25.878 : lorsqu’une seule méthode s’impose, elle doit être retenue, la combinaison de méthodes n’est pas toujours pertinente.

La jurisprudence récente va vers la prise en compte d’un plus grand réalisme économique, qu’il soit en faveur des contribuables ou du fi sc. On peut s’en féliciter. Il n’en demeure pas moins qu’il serait judicieux d’actualiser le guide de la DGFiP, principalement destiné aux PME, en se concertant avec les institutions regroupant les praticiens de l’évaluation des entreprises.