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Le paysage, du projet à la réalité N° 159 - septembre 2011 trimestriel - 20 ISSN 0153-6184 www.iau-idf.fr IAU île-de-France

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Le paysage, du projet à la réalité

N° 159 - septembre 2011trimestriel - 20 €ISSN 0153-6184www.iau-idf.fr

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PrésidentM. Jean-Paul HUCHONPrésident du conseil régional d’Île-de-France

• Bureau1er vice-présidentM. Daniel CANEPAPréfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris

2e vice-présidentM. Jean-Claude BOUCHERATPrésident du conseil économique, social et environnemental de la région Île-de-France

3e vice-présidenteMme Mireille FERRI, conseillère régionale

Trésorière : Mme Françoise DESCAMPS-CROSNIER

Secrétaire : M. François LABROILLE

• Conseillers régionauxTitulaires : Suppléants : Jean-Philippe DAVIAUD Judith SHANChristine REVAULT D’ALLONNES Aurore GILLMANNFrançoise DESCAMPS-CROSNIER Halima JEMNIMuriel GUÉNOUX Daniel GUÉRINJean-Luc LAURENT Éric COQUERELFrançois LABROILLE Marie-José CAYZACAlain AMÉDRO Thibaud GUILLEMETMireille FERRI Marc LIPINSKIClaire MONOD Jean MALLETPierre-Yves BOURNAZEL Frédéric VALLETOUXJean-Pierre SPILBAUER Martine PARESYSDenis GABRIEL Sophie DESCHIENSFrançois DUROVRAY Patrick KARAM

• Le président du conseil économique, social et environnemental de la région Île-de-FranceM. Jean-Claude BOUCHERAT

• Deux membres du conseil économique, social et environnemental de la région Île-de-FranceTitulaires : Suppléants :M. Pierre MOULIÉ Mme Nicole SMADJAM. Jean-Loup FABRE M. Jean-Pierre HUBERT

• Quatre représentants de l’ÉtatM. Daniel CANEPA, préfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris ;Mme Sylvie MARCHAND, directrice régionale de l’Insee, représentant le ministrechargé du Budget ;M. Jean-Claude RUYSSCHAERT, représentant du ministre chargé de l’Urbanisme ;Monsieur le représentant du ministre chargé des Transports : N.

• Quatre membres fondateursLe gouverneur de la Banque de France, représenté par M. Bernard TEDESCO;Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations,représenté par M. Patrick FRANÇOIS, directeur interrégional ;Le gouverneur du Crédit foncier de France,représenté par M. Florent LEGUY ;Le président du directoire du Crédit de l’équipement des PMEreprésenté par M. Dominique CAIGNART.

• Le président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, représenté par Mme Valérie AILLAUD.

Composition du conseil d’administration de l’IAU îdFau 1er juillet 2011

PUBLICATION CRÉÉE EN 1964

Directeur de la publicationFrançois DUGENY

Directrice de la communication Corinne GUILLEMOT (01 77 49 76 16)[email protected]

Responsable des éditionsFrédéric THEULÉ (01 77 49 78 83) [email protected]

Rédactrice en chefSophie MARIOTTE (01 77 49 75 28) [email protected]

CoordinateursCorinne LEGENNE (01 77 49 75 61) [email protected] TRICAUD (01 77 49 79 02) [email protected] LARUELLE (01 77 49 75 69) [email protected] BARDON (01 77 49 77 82) [email protected]

Secrétaire de rédactionGermain DUGAST [email protected]

Contact presse01 77 49 79 05 - 01 77 49 78 94

FabricationTerence GBAGUIDI (01 77 49 79 43) [email protected] COULOMB (01 77 49 79 43) [email protected]

Maquette, illustrationsAgnès CHARLES (01 77 49 79 46) [email protected]

CartographieJean-Eudes TILLOY (01 77 49 75 11) [email protected]

Notes de lectureChristine ALMANZOR (01 77 49 79 20) [email protected] DRAPIER (01 77 49 79 23) [email protected] LARUELLE (01 77 49 75 69) [email protected] MARIOTTE (01 77 49 75 28) [email protected] THIBAULT (01 77 49 77 65) [email protected]

Médiathèque – photothèqueClaire GALOPIN (01 77 49 75 34) [email protected]élie LACOUCHIE (01 77 49 75 18) [email protected]

ImpressionPoint 44

CouverturePhoto : © Raymond Depardon/Magnum Photos

Crédits photographiquesp. 1 : Jean-Luc Comier/le bar Floréal photographie/Région ÎdFp. 2 : Christian Lauté

ISSN 0153-6184

© IAU île-de-FranceTous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés. Les copies, reproductions, cita-tions intégrales ou partielles, pour utilisation autre que strictement privée et individuelle, sont illicitessans autorisation formelle de l’auteur ou de l’éditeur. La contrefaçon sera sanctionnée par les articles425 et suivants du code pénal (loi du 11-3-1957, art. 40 et 41).Dépôt légal : 3e trimestre 2011

Diffusion, vente et abonnement :Olivier LANGE (01 77 49 79 38) [email protected]

France ÉtrangerLe numéro : 20 € 23 €Le numéro double : 33 € 35 €Abonnement pour 4 numéros : 79 € 89 €(Étudiants, photocopie carte de l’année en cours, tarif 2011) : remise 30 %

Sur place : Librairie ÎLE-DE-FRANCE, accueil IAU - 15, rue Falguière, Paris 15e (01 77 49 77 40)

Par correspondance :INSTITUT D’AMÉNAGEMENT ET D’URBANISME DE LA RÉGION D’ÎLE-DE-FRANCE15, rue Falguière - 75740 Paris Cedex 15Abonnement et vente au numéro : http://www.iau-idf.fr

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N° 156 - Économie (France : 18 € – Étranger : 20 €)

N° 155 - Sécurité (France : 18 € – Étranger : 20 €)www.iau-idf.fr

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Le paysage, réalité et projets

L’Île-de-France dispose d’un patrimoine bâti et paysagerriche et de grande qualité, célébré dès le XIXe siècle par des peintres tels que Sisley, Renoir, Monet, Pissaro ou Van Gogh.Le paysage rural et urbain est ainsi une composante majeurede l’identité de notre région. Il constitue le cadre de notre viequotidienne. Sa singularité est un facteur d’attractivité

qui amène l’Île-de-France à jouer un rôle de premier plan dans le tourismemondial.Le paysage, c’est ce que l’on voit, mais aussi ce que l’on perçoit… c’est «un état d’âme» comme l’écrivait Henri-Frédéric Amiel.Situé à la croisée des enjeux environnementaux, sociaux et économiques, il est un élément primordial de nos vies. Il se transforme au rythme des saisons, mais aussi des évolutions sociétales, techniques, urbaines, en fonction des formes urbaines choisies, des types d’infrastructures misesen œuvre, de la manière d’intégrer la végétation et la nature dans la réflexion globale des projets de territoire…Consciente des enjeux d’un paysage dont la valorisation favorise la croissance verte, les bienfaits sur la santé et de la nécessité de promouvoir des éléments naturels dans l’urbanisation des métropoles,dans un contexte de crises environnementale, énergétique, climatique ou économique récurrentes, la Région Île-de-France se mobilise : quartiersdurables, biodiversité, trame verte et bleue, végétalisation renforcée de la ville, récupération des eaux pluviales… à l’instar du Conseil del’Europe qui a mis en place la convention européenne du paysage en 2000.Cette mobilisation catalyse les nombreuses initiatives locales, les expérimentations citoyennes, les politiques publiques ambitieuses qui sont actuellement conduites sur le territoire régional pour améliorer les modes de vie, notamment des plus pauvres et des plus dépendants à leur environnement.Ce numéro des Cahiers aborde ces enjeux pour ouvrir la voie à une nouvellemanière de penser l’aménagement, plus compact, économe en ressources,en espace et en énergie, mais aussi plus respectueux du vivant, de l’humainet de la qualité de vie.

À l’aube d’une nouvelle révision du projet de schéma directeur régionalportée par le conseil régional, une place toute particulière devra êtreaccordée au paysage. Je souhaite que ce numéro des Cahiers, le troisièmeque l’IAU île-de-France consacre aux paysages, puisse éclairer les décisionstechniques et politiques qui permettront de mettre en dialogue paysagesnaturels et paysages urbains, et d’aider à offrir aux Franciliens comme aux Européens un cadre de vie créateur de richesses, thème des 5es assiseseuropéennes du paysage qui se tiennent à Strasbourg.

Éditorial

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Jean-Paul HuchonPrésident du conseil régional d’Île-de-FrancePrésident de l’IAU île-de-France

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Paysages, de la compréhension à l’action

Depuis la tentative du schéma directeur régional de 1976 visant à poserles principes de la composition des grands paysages urbains, tentativerestée sans effet, la prise en compte du paysage a progressé dans la législation française (1993, loi «paysage» ; 1995, loi sur la protection de la nature, incluant « l’amendement Dupont» sur les entrées de villes et l’intégration des plans de paysage aux documents d’urbanisme) et dans les conventions internationales

(1992, prise en compte des paysages culturels par la convention du patrimoinemondial de l’Unesco ; 2000, convention européenne du paysage, signée à Florence sous l’égide du Conseil de l’Europe et ratifiée par la France en 2006).

Dans le même temps, les outils de connaissance et de protection des paysages se sont largement développés (atlas de paysages, chartes paysagères communales ou intercommunales, réseau d’observatoires photographiques, sites protégés,opérations «grands sites», nouveaux parcs naturels régionaux, etc.), et les documentsd’urbanisme stratégique ont intégré des volets paysage de plus en plus déterminants.Les grands aménageurs (ONF, RFF, sociétés autoroutières, VNF, carrières…) et la profession agricole (Safer, chambres d’agriculture, syndicats…) ont désormaisune action consciente sur l’aspect des vastes territoires qu’ils impactent, gèrent ou aménagent.

On peut dès lors s’interroger sur les raisons pour lesquelles les professionnels maisaussi le grand public, et de plus en plus les élus, déplorent la dégradation continue des paysages et l’extension du «moche», comme le soulignait l’une des équipesd’architectes de la consultation sur le Grand Pari(s). Les périphéries urbaines sont notamment le lieu d’un chaos que peu s’accordent à trouver beau, mais qui sont le cadre de vie et de travail de populations toujours plus nombreuses.

Entre uniformisation productiviste et déprise agricole, les paysages ruraux perdent aussi une part de leur identité. Face à ce constat, tous les moyens développés semblent davantage servir à comprendre qu’à agir, nous rendant observateurséclairés mais acteurs impuissants.

Nous avons donc souhaité présenter dans ce numéro des Cahiers un certain nombre de clés permettant de passer de la connaissance à l’action, en reprenant la notion de projet de paysage telle que développée par plusieurs théoriciens du paysage,parfois dans des sens différents (Sébastien Marot, Pierre Donadieu, Anne Fortier-Kriegel…), de façon complémentaire et non contradictoire. Le projet de paysage donne un caractère visible et concret aux différentes dimensionsdu territoire – économique, sociale et environnementale – qui composent la démarche de développement durable. Le projet participe ainsi à la territorialisation des politiques publiques et à la redéfinition des modes de gouvernance.

Dans la continuité des Cahiers 117-118, publiés en 1997, le présent numéro est conçu dans le but de permettre aux initiatives présentées de faire école, dans l’esprit de la convention européenne du paysage, qui donne une place privilégiéeaux paysages du quotidien, favorise l’évaluation des procédures mises en œuvre dans ce domaine par les institutions publiques et les collectivités territoriales, et encourage la négociation et la participation des acteurs, notamment associatifs, à l’amélioration de la qualité des paysages.

Avant-propos

François DugenyDirecteur général de l’IAU île-de-France

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ComprendreÉVOLUTION DES REGARDS

Les trois âges du paysagePhilippe Montillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

L’élu, acteur des évolutions du paysageInterview de Alain Renault . . . . . . . . . . . . 10

L’atelier « Paysage » en Île-de-FranceJacques Deval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Nouveaux regards ?Nicolas Laruelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Le tramway, créateur de paysageInterview de Régine Charvet-Pello . . . . 16

ÉVOLUTION DES PAYSAGES

Identité des territoires et unités paysagèresPierre-Marie Tricaud, Corinne Legenne 18

Paysage métropoliséCorinne Legenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Paysage mondialiséNicolas Laruelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Paysage résidentialiséCéline Loudier-Malgouyres . . . . . . . . . . . . 26

Paysages ordinairesSerge Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

ÉVOLUTION DES ACTIONS

L’État et la préservation du paysage francilienJean-Luc Cabrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

Le paysage, dans le sillage des droits de l’hommeAnne-Marie Chavanon . . . . . . . . . . . . . . . . 33

1994-2011, les limites de la villeencore en questionInterview de Jacques Sgard . . . . . . . . . . . 35

AgirLE GÉNIE DU LIEU

Des études de paysage, pour quoi faire?Caroline Briand, Lucie Le Chaudelec,Magali Laffond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

Du plan à l’élévationPierre-Marie Tricaud, Corinne Legenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Les Brichères, un quartier aux sourcesInterview de Serge Renaudie . . . . . . . . . . 44

Dessiner (ou non) avant d’agir?Bertrand Deladerrière . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

LE TEMPS LONG

Les temps géographiques et les temps des paysagesFrançois Huart, Jacques Lorain, François Adam . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Un avenir concerté pour le paysageLaurence Renard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

La plaine de Versailles «entre projet et réalité»Marie de Naurois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

Fragments de paysages de métropoles mutantesPaul Lecroart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

LE CARACTÈRE ÉVOLUTIF

Essonne: un nouveau regard sur l’aménagement?Emmanuelle Vilarasau, Lisa Levy . . . . . . 58

Imaginer le territoire «post-carbone» à partir du paysageSylvie Blaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Au Havre, le monde est au bout du jardinAlbéric Levain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Agir durablement sur le paysageLaure de Biasi, Patrick Gautier, Nathalie Madrid . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

Le paysage, un indicateur de bien-être?Interview de Érik Orsenna . . . . . . . . . . . . . 69

AnticiperUN PAYSAGE POUR QUI?

Des architectes et des paysagistesdans les classesAnne Gaillard, Violaine Pécot . . . . . . . . . 72

Éducation au paysage: «Ville, territoire, paysage»Jaume Busquets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74

Le paysagiste, chef d’orchestreInterview de Marie Pruvost . . . . . . . . . . . . 76

Promouvoir une approchepaysagèreYves Helbert, Dimitri Liorit . . . . . . . . . . . . 78

UN PAYSAGE PAR QUI?

Les sociotopes et le paysage des habitantsAlexander Ståhle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

Les paysagistes face aux paradoxesde la concertationBrigitte Guigou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

Le paysage, ressource de la ville fertileInterview de Michel Péna et Michel Audouy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

Ressources

À retenir ColloquesLa forêt, lieu d’innovationQuel avenir pour la forêt? . . . . . . . . . . . . . . . . 90Paysages de la vie quotidienne.Regards croisés entre la recherche et l’action . . . . . . . . . . . . . 91

À lire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 913

SommaireÉditorial : Le paysage, réalité et projetsJean-Paul Huchon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Avant-propos : Paysages, de la compréhension à l’actionFrançois Dugeny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Prologue: L’approche paysagèrepour mieux se projeterChristian Thibault . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

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PrologueLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

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Le paysage, du projet à la réalité

La conception et la mise en œuvre des projets font appel à des compétences et à desjeux d’acteurs de plus en plus multiples et complexes. Il est bien difficile de les articuleret concerter pour aboutir à une synthèse cohérente, quelle que soit l’échelle d’espaceet de temps. Le paysage, quand il est abordé, l’est trop souvent comme un critère de plus.L’approche paysagère pourrait pourtant jouer un rôle précieux de lien et de liant, avecdes apports considérables en termes de médiation, de pédagogie ou de sensibilisation.Le paysage peut être un levier puissant dans les projets dès lors que chacun se sentconcerné. C’est aussi, dans les diagnostics, une clé de décryptage du fonctionnement etdes dysfonctionnements des territoires.

Donner sa place au paysage dans le développement durableLe paysage apparaît réduit à la portion congrue dans les démarches de développementdurable, y compris dans le Grenelle de l’environnement. On peut même craindre de nou-velles dégradations paysagères introduites par certains dispositifs dits « écologiques » ou« durables ». La performance énergétique d’un bâtiment ne doit pas se faire au détrimentde son agrément. Un projet vert ne consiste pas à mettre n’importe quelle végétationn’importe où (le paysage non plus !). Il y a des raisons culturelles sans doute, le paysageen France étant généralement réduit à un décor, comme le design est réduit à l’esthétique.Les actions de développement durable pâtissent aussi d‘effets de mode. Pourtant, le pay-sage s’adresse aux trois sphères du développement durable, ainsi qu’à l’enjeu transversalde la gouvernance. Bien davantage, il permet de les croiser et de les relier.

En finir avec la banalisation des paysagesChaque lieu étant par principe unique, tous les paysages devraient être extraordinaires,et considérés comme tels. En Île-de-France, les paysages sont souvent qualifiés de banals.Mon point de vue est qu’ils ne le sont pas. Ils sont peut-être moins spectaculaires qued’autres. Mais il n’est ni fortuit ni anodin que la capitale de la France soit installée là etait connu ce formidable développement. Le socle naturel est exceptionnel : au cœurd’un très grand bassin sédimentaire, avec son fleuve qui déroule ses méandres, avec seslignes de force géomorphologiques. Certes il n’y a pas la mer, mais la mer des blés desplateaux offre des horizons et des ciels comparables. Certes les reliefs sont peu prononcés,ils n’en doivent que mieux être mis en scène. Et que dire de la composition paysagère,rurale et urbaine, que l’homme a insérée ? Toute médaille a son revers. La croissanceurbaine a ajouté de la valeur paysagère d’un côté, et en a retranché d’un autre. Les tramesfoncières ont été bousculées, les reliefs ont été écrasés par des constructions massives,les formes urbaines s’entrechoquent… cependant le renouvellement urbain offre toujoursdes opportunités.

Mettre de la sensibilité dans les projetsLe paysage, c’est le reflet de l’âme d’un territoire. Sans âme, il n’y a pas de reflet. Pour lemettre en valeur, il faut connaître l’âme. Le paysage exprime l’attention qui est portée àun lieu, à un territoire. J’irais même jusqu’à dire l’amour qui lui est porté. On dit « choyerun paysage ». C’est essentiel pour l’estime de soi des habitants. L’approche paysagère apour mérite d’apporter de la sensibilité dans les projets. Or, les approches sensibles sontplus que jamais nécessaires pour contrebalancer la « technologisation » croissante dufonctionnement urbain et des modes de vie, ainsi que le caractère inhumain de la métro-polisation ou de la globalisation, dont la compréhension échappe à un grand nombrede citoyens. Le paysage permet de renforcer le lien entre les habitants et leur(s)territoire(s).Durabilité, anti-banalité, sensibilité : l’approche paysagère permet de s’appuyer sur leséléments fondamentaux et sur les éléments singuliers, sur les traces à révéler et sur lesenvies à concrétiser… pour mieux se projeter (au sens du projet).

Christian ThibaultIAU île-de-France

L’approche paysagère pour mieux se projeter

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Comprendre

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La compréhension du paysage en tant qu’objet a considérablement progressé depuis vingt à trente ans. Il ne s’agit donc pas ici de revenir sur cette connaissance,mais de dégager les nouvelles questions qu’elle pose et les enjeux qu’elle fait apparaître. Quels sont les nouveaux regards, les nouveaux paysages et les nouvelles actions menées? Dans une société plurielle, comment faire cohabiter des regards parfois contradictoires tout en ayant chacun sa légitimité? Quel paysage et quelle société voulons-nous? Quelles relations entre les lieux, entre les gens, entre les lieux et les gens? Le paysage est un fait de société ;en cela il participe d’un des trois piliers du développementdurable : le social. Le paysage comme les autres faits desociété (manières de vivre, enracinement, engagements,sexualité, famille, politique, religion…) relevant de plus en plus des choix, il importe que ceux-ci soient éclairés. L’objectif demeure la durabilité et la soutenabilité, car il ne s’agit pas de viser une société ni des paysages figés,mais bien de prendre en considération leur évolution.

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Ces trois âges ne se remplacent pas lesuns les autres mais se superposent,comme les âges de la vie. Celui des pay-

sans est le plus ancien et commence, en Île-de-France, il y a mille ans et plus. Mille ans, parceque si la civilisation agraire est beaucoup plusancienne, en revanche les éléments structurantsqui forment une grande partie du paysage fran-cilien actuel datent de l’organisation féodo-domaniale médiévale. Le temps de l’artiste(vocable englobant tant le jardinier que le pein-tre) est celui de l’époque classique où « les jar-diniers », les agronomes mais aussi les poli-tiques (Sully, les physiocrates) et les artistes,peintres notamment, vont imprimer une nou-velle marque au paysage. Cette marque n’estplus la seule conséquence de la nécessité cru-ciale de produire pour survivre, mais devientun miroir social aux multiples facettes. Enfin letroisième âge né il y a un siècle environ a vul’ancien paysage devoir composer avec l’urbainet l’industriel dans un souci de gestion de l’es-pace. Ces trois âges(1) expliquent le(s) pay-sage(s) actuel(s) de l’Île-de-France.

L’âge du paysan ou la création du paysageLa tentation serait d’en faire le paysage du« réel ». Pourtant, il n’existe pas vraiment en tantque tel. Ce paysage est la conséquence du for-midable besoin de trouver la subsistance quo-tidienne à des époques où c’est la principaleactivité humaine. Cette quête a persisté plu-sieurs siècles. Le paysage est quasi « détourné »

de la nature à des fins pragmatiques et pourune part s’y adapte, en ce sens qu’il doit tenircompte du « poids du sol(2) » (vallée, plateau,plaine) mais aussi du caractère du sous-sol(limon, sable, argile, calcaire…). Le paysage, quipeut paraître immobile, a en fait lui aussi évoluéau gré des adaptations techniques et de l’évo-lution des besoins. «L’usage ici précède l’image,quand la relation s’est inversée dans nos socié-tés urbaines(3) ».Les paysans sont les créateurs d’un paysage, enmême temps qu’ils créent des pays(4). Leuraction, dans une heureuse alchimie où le grandet le petit se mêlent, s’exerce sur une doubleéchelle. Celle du territoire à travers les grandsdomaines préfigurent l’organisation toujoursactuelle du territoire et ses grands paysages,avec la scansion entre les pleins des espacesbâtis et les vides des espaces naturels. Celle de l’échelle locale, du village, dont les différents démembrements (censives, tenures,

ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Les trois âges du paysage

« Vue d’optique du Jardin des Marchands ». Vue très parlanteillustrant les multiples fonctions du jardin avec ses métiers, ses activités.

Le paysage francilien a connu desévolutions. Ce mouvement ne s’est paseffectué de manière unique et, surtout, il a été ressenti de façons diverses selonles époques, par ceux qui l’ont façonnépeu à peu, ceux qui le conçurent ou encore ceux qui le théorisent. Lesbesoins autant que les méthodes ontévolué. Le paysage en effet, plus que denature, est affaire de culture, au doublesens du terme, celui du sol et celui de la pensée. Ainsi, il est possible dediscerner les « trois âges du paysage».

Philippe MontilletIAU île-de-France

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Coll.

Par

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Le paysage, du projet à la réalité

Évolution des regards

(1) Cette division en trois âges a déjà été pratiquée par d’au-tres. Voir Brisson Jean-Luc, dir., « Le jardinier, l’artiste et l’ingé-nieur », colloque de Besançon-Paris, Les éditions de l’Impri-meur,2000. Mais notre approche, qui reprend la méthode ets’inspire des termes, est différente sur le fond. Voir aussi Cho-marat-Ruiz Catherine, «Qu’est-ce que les artistes, les jardinierset les paysagistes nous transmettent du paysage », dans Patri-moine et Paysages, éditions Lieux dits, 2009, p.208.(2) Voir Les Cahiers de l’Iaurif, n° 129, 4e trimestre 2000, p.41et sq.(3) Lieutaghi Pierre dans la préface de la nouvelle éditiondu livre d’Olivier de Serres, Le Théâtre d’agriculture, ActesSud, 2001, p.45.(4) Sur le rapport paysage/pays/paysan, voir l’article d’HenriCueco cité en bibliogaphie, p.171.

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coutures…) recoupés avec le laniérage des par-celles, puis refaçonnés par les masses cultu-rales, générations après générations, façonnentle paysage local. Les plans d’intendance établispourtant à une époque où les choses évo-luaient(5) déjà, le montrent. Les masses y sontd’autant plus visibles que l’on s’éloigne deszones bâties alors que des terrains plus petits(jardins, vergers, enclos) enserrent le bâti. L’évo-lution paysagère du XXe siècle y trouve déjà sesorigines. En effet, le bâti s’adaptera à la fois auxpetites parcelles pour assurer la croissance desbourgs, pendant que les vastes domaines deproduction seront l’espace idéal pour les lotis-sements et les grands ensembles(6). Le paysagedes paysans franciliens imposera ses règles auxcréateurs des villes.Mais cette première époque si pragmatique aété suivie par une seconde où « l’artiste » a prisle pas du moins sur certains secteurs, sur le pay-san(7) en imposant une certaine rationalité.

L’âge de l’artiste ou l’invention du paysageLe paysage idéalisé dont les premiers exemplesremontent à la Renaissance et nous vient d’Ita-lie, devient un paysage humanisé. Paysage éli-tiste aussi, et cela selon un double point devue : de celui qui le veut (le grand seigneurnotamment) et de celui qui le fait avec tout sonsavoir-faire (les artistes-jardiniers). Paysage théo-risé aussi dans lequel les perspectives et les ali-

gnements prennent une grande importance carle « décor » prend le pas sur le seul souci deproduire. Mais ce qui marque véritablement larupture entre ces deux premiers âges est quedésormais, le paysage ne sera plus seulementl’affaire des paysans. Le paysage devient de plusen plus une affaire d’« urbains » qui vontdemander aux artistes de le représenter ou del’adapter. Les artistes sont à la fois ceux qui font,c’est-à-dire les jardiniers, et ceux qui présentent,et il s’agit alors des peintres de la nature. Lesdeux métiers étant réunis sous le même voca-ble de paysagistes. Les jardins et les parcs appor-tent une nouvelle dimension au paysage. Ilssont associés désormais intimement à lademeure dont ils forment l’extension naturelle.Cette extension s’entend au sens de l’espaceet le jardin devient une « autre pièce » danslaquelle, comme à Versailles ou dans les autresdemeures seigneuriales, on va faire du théâtre,écouter de la musique et plus tard « déjeunersur l’herbe»… Ainsi, les jardiniers(8) de l’époque

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(5) Quinze ans avant le code civil qui allait instituer la pro-priété privée.(6) Le phénomène a été bien étudié par Jean Bastié pourles grands domaines du plateau du Longboyau dans sa thèseLa croissance de la banlieue parisienne, PUF, Paris, 1964.(7) Le paysan qui, en même temps, devient agriculteur (VoirLe Théâtre d’agriculture, d’Olivier de Serres). Changementsémantique important. Le paysan a construit le paysage, l’agri-culteur limite son action à l’ager – le champ. Dès lors, il yaura dichotomie entre le paysage, la nature et l’(agri)culture.La campagne prend le pas sur le pays.(8) Voir ouvrage de Cauquelin Anne cité en bibliographie.

Occupation du sol au XIXe siècle

Cette carte de l’occupation du solmontre l’harmonie que donne la gestion rurale du sol. Ce sont les finages qui organisentl’espace en plaçant les villages ou hameaux tous les cinq à sept kilomètres.Ia

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classique furent ceux qui utilisèrent, les pre-miers, des perspectives créant de l’espace etdes harmonies entre les couleurs et les végé-taux. Ils créent un décor, «un horizon fait à sou-hait pour le plaisir des yeux(9) ».Mais parce que le jardin peut avoir d’autresfonctions que simplement ludiques, le jardinierpeut vite se transformer en horticulteur et arbo-riculteur et apporter d’autres transformationsau(x) paysage(s). La Quintinie (1626-1688) etLe Nôtre (1613-1700)(10), le père des jardins « àla française» qui prolongent l’architecture clas-sique(11), forment un tout. On doit à La Quintinie(et à ses confrères) des techniques, commecelle du palissage sur mur, qui se retrouventdans les paysages bâtis (les murs à pêches deMontreuil ou de Bagnolet, les murs à vignes deThomery), et dont l’écartement a fixé la trameurbaine d’une partie de ces communes.Âge fondateur pour le paysage francilien, carses conséquences dépassent largement parcs,jardins d’agrément et potagers où il s’exprime.Mais si les artistes-jardiniers ont été les maîtresd’œuvre des parcs et jardins (du XVIIe au XIXe siè-cle(12)), ils furent accompagnés par d’autresartistes, les peintres, qui, eux, ont largementcontribué à l’image des paysages. Deux grandes« étapes » peuvent être distinguées. Dans la pre-mière (XVIIe-XVIIIe siècles), le paysage est plus oumoins stylisé avec une nature abstraite présen-tée à travers des archétypes qui sont répétés :des vallons « profonds », des éboulis, des tor-rents, des lacs. Ce paysage sert de décor de fondet de cadre. Il n’est pas vraiment localisé maiscela évoluera au siècle suivant. Au XIXe siècle,l’attitude de l’artiste a été différente. Le peintreva représenter le paysage de façon la plus réa-liste possible du moins selon lui et selon sonépoque. Ainsi les paysages vont prendre unevaleur au sens matériel du terme. « Cet intérêtpour les paysages réels […] est […] un chan-gement fondamental » (Lacoste, 1995). Noussommes à l’âge d’or du pittoresque et des sites.Notre vision, souvent nostalgique, des paysagesdate essentiellement de ce regard, surtout enÎle-de-France où tous les peintres de l’école de

Barbizon et leurs successeurs (dans la valléede la Seine, de la Marne ou de l’Oise(13)…)jusqu’aux impressionnistes, ont marqué l’his-toire de l’art.Cet âge de l’artiste s’inscrit dans un donner àvoir qui est tout autant marque de pouvoir quedescription dans un but fonctionnel, ce quin’est pas sans danger pour le territoire. Danscette approche nouvelle, il naîtra deux mondes,celui « avec paysage » (par exemple, la forêt deFontainebleau(14)) qu’il conviendra de figer, etcelui « sans paysage» où les dégradations pour-ront s’effectuer sans émotion (banlieues, sec-teurs industriels…). Il en résultera des atteintesimportantes expliquant le revirement et la nou-velle approche du troisième âge.

L’âge de l’ingénieur ou la gestion du paysageLa société industrielle de plus en plus urbainea fait entrer, depuis la fin du XIXe siècle, le pay-sage dans un nouvel âge, celui des technicienset des ingénieurs. Plus que créer (premier âge)ou donner à voir (deuxième âge), il s’agit désormais de gérer, souvent de réparer, un pay-sage comme élément d’un territoire dont iln’est devenu qu’une des composantes(15).Le paysage devient objet de discours, de théorie(Lacoste, 1995), de classifications(16) et de péda-gogie tout autant que d’enjeux notamment entant qu’espace public. Il est confronté à de mul-tiples pressions et aux jeux d’acteurs diversdans leurs attentes : État, notamment à traversses services déconcentrés, collectivités locales,associations, professionnels allant des paysa-gistes aux agriculteurs et aux forestiers. À la foispaysage de l’aménageur, du paysagiste et dugéographe après l’avoir été du militaire qui n’en

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Évolution des regards

Les trois âges du paysage

(9) Selon le mot de Fénelon, cité dans Balade en Essonne,présentée par Marie-Noëlle Craissati, Éditions Alexandrines,nouvelle édition, Paris 2010, p.30.(10) Mais, il ne faut pas oublier qu’avant de changer l’art desjardins, Le Nôtre était contrôleur général des bâtiments duroi.(11) Pensons à tous les grands châteaux : Versailles, Sceaux,Vaux-le-Vicomte pour ne citer que quelques exemplespublics.(12) Tous les parcs romantiques (Méréville, le désert deRetz…) sont aussi à prendre en compte. Ils apportent encoreune nouvelle dimension, n’étant plus seulement réalisés« pour le plaisir des yeux », mais aussi pour celui de l’âme, àmoins que ce ne soit pour son tourment…(13) Voir Les Cahiers de l’Iaurif, n° 117-118, 1997, p.11 et sq.(14) Sur ce point, voir les articles dans Patrimoine et Paysages,éditions Lieux dits, p. 12 à 39, La forêt de Fontainebleau estle premier espace protégé au sens moderne du terme, dès1853.(15) Correspondant bien au passage entre nos deux âges,retenons la belle formule de Gerald Hanning (op. cit. p. 8) :« composer, c’est mettre un dessein en dessin ».(16) Du paysage d’exception (classé au patrimoine mondialde l’Unesco) jusqu’au paysage « ordinaire » ou du quotidien,de multiples classifications existent (paysage fluvial, agricole,urbain, côtier, de montagne, de plaine, forestier…), chacunayant ses spécialistes, ses approches et ses défenseurs.

Plan d’intendance de Courcelles(Val-d’Oise).

Le potager du roi à Versailles,expression du génie de La Quintinie, construit en creux et entouré de murs pour protéger les cultures.

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retenait que son aspect stratégique (plis de ter-rain, points hauts…), il dépend toujours du spé-cialiste. Ce troisième âge a changé l’approche,et le paysage est à la fois objet d’étude et enjeude territoire.« Le paysage est un point de vue d’intellectuel,une abstraction et une fiction » comme le ditHenri Cueco, dont la sensibilité de peintre estbien à même de comprendre le changement.L’aspect fonctionnel et utilitaire prend unegrande part au point de créer un conflit quiapparaît rapidement entre tous les usages pos-sibles souvent plus ou moins irréconciliables.Les conflits sont loin d’être anodins car leursconséquences sont importantes. Elles portentsur la définition même du paysage et sur sapérennisation. Le paysage est objet de question-nement alors que durant longtemps il est « alléde soi » tout en évoluant. Y a-t-il un paysage ?Sous-entendu un paysage type, immuable. Lalégislation de préservation de la nature et doncdu paysage y trouve sa source, notamment leslois de 1906 et 1930 sur les sites. La patrimonia-lisation est admise comme le seul remède à cequi peut paraître comme une disparition irré-médiable. En Île de France, cela se traduit parles 2 390 km2 de sites protégés ou encore parla création de parcs naturels régionaux.Les questions liées à la controverse entre figerles paysages ou accepter leur évolution pren-nent d’autant plus de sens qu’ils perdent leurcaractère de gratuité. Des objectifs et des

enjeux leur sont attachés. Il s’agit en priorité decréer ou de conserver les paysages à la foispour les « habitants » non seulement pour eux-mêmes, mais aussi dans une optique de déve-loppement durable. L’enjeu social est primor-dial, voire plus encore que l’enjeu esthétique,de part une sorte de « droit au paysage » dontchacun pourrait jouir à sa guise. Les paysagistescontemporains y trouvent une grande part deleur raison d’être. Mais leur mission est diffé-rente de celle qui faisait agir ceux qui créaientdu paysage par le passé. « Le métier de paysa-giste revient actuellement à celui de gestion-naire d’espaces publics à rénover, l’urbanisten’est pas loin, non plus que l’écologue oul’agronome… » (Cauquelin, 1989).Le cadre du paysage change. Si jusqu’à la findu XIXe siècle la notion s’est appliquée essen-tiellement au paysage naturel, même si le bâtiy trouvait aussi sa place, au XXe siècle le paysageurbain s’impose de plus en plus. Cette émer-gence correspond à une réalité, celle d’unmonde où la ville devient l’environnement pre-mier. Dans ce contexte, le paysage urbain mériteune attention toute particulière, d’autant quede nombreux paysagistes ne veulent pas sépa-rer la ville de son hinterland.Le paysage pris dans le jeu des fonctions, durapport complexe entre le fonctionnel et le gra-tuit, entre le souci de pérenniser et celui dedévelopper, entre le naturel et l’anthropisation,est à un tournant. Après ces trois premiers âges,sommes-nous à l’aube d’un quatrième ?

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Références bibliographiques

• Une version longue de cet article peutêtre consultée surhttp://www.projetsdepaysage.fr

• CAUQUELIN Anne, L’Invention du paysage,Presses Universitaires de France, 2000(1re édition 1989, Plon).

• CUECO Henri, «Approches du concept depaysage», in La Théorie du paysage enFrance (1974-1994,) sous la directiond’Alain Roger, éditions Champ Vallon,1995, pp. 168-181.

• LACOSTE Yves, «À quoi sert le paysage?Qu’est-ce qu’un beau paysage?», in LaThéorie du paysage en France (1974-1994), sous la direction d’Alain Roger,éditions Champ Vallon, 1995, pp. 42-73.

Un des emblèmes du paysage de l’aménageur moderne, la ligne à grande vitesse.

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Les Cahiers – Votre regard a-t-il changédepuis que vous êtes élu?Alain Renault – Notre regard d’élu a changédepuis que le maire est responsable des docu-ments d’urbanisme. Ils nous aident à maîtriser,délimiter nos villages. Le Pos et le PLU peuventparaître restrictifs, la charte du parc apporte descontraintes à respecter mais le parc nous aideà définir ses limites.Avant, les élus avaientun regard passif,aujourd’hui noussommes actifs, respon-sables. J’aurais pudévier pour des inté-rêts personnels en vendant mes terrains à unpromoteur. Ma famille avait dix terrainsconstructibles, aujourd’hui il n’en reste quecinq, du fait des règles plus restrictives du Pos.J’ai entendu certains maires me dire «Tant quetu es maire, tu t’en mets » – sous-entendu desterrains urbanisables. S’il n’y a avait pas eu leparc, nous aurions eu tendance à ouvrir des ter-rains à construire car la pression foncière estforte. On retrouve cette tendance dans les com-munes hors parc. Le parc nous guide, nous offredes garde-fous. Il est l’acteur du changementde ce paysage. J’espère que le prochain maire– car je ne désire pas refaire un mandat – nedira pas que j’ai « défiguré » le paysage. Commej’appartiens à une vieille famille, je réfléchisavec mon passé, avec le regard de mon enfanceet les histoires de mes parents et grands-parents.C’est le remembrement qui a le plus changé lepaysage de la plaine. On a agrandi les champs,repris les chemins pour qu’ils soient plus recti-lignes et nous en avons enlevé certains. Monpère a suivi le remembrement de la commune.Le nombre d’agriculteurs a diminué : de 30, ilest passé à 7 aujourd’hui. La plaine était tour-née vers la polyculture-élevage. Il y a avait unpeu d’élevage de moutons, de vaches, de che-vaux. Pour nourrir ce bétail, on cultivait du sain-foin, de la luzerne. Il n’y avait pas de prairie. Lesmoutons après la moisson allaient manger lesrepousses dans les champs récoltés. Les cul-tures ont changé au profit du blé, du colza etde la betterave. Il y a eu du tournesol et dumaïs. Il n’y a plus la même diversité. Puis lesmaraîchers sont arrivés, expulsés de Montesson.Ils cultivent 100 ha sur les 550 de surface agri-cole utile (SAU) que compte la commune. Il ya des problèmes avec les maraîchers : leurscamions, les horaires de travail – ils commen-cent à quatre heures du matin – , l’arrosage sansarrêt qui abîme les chemins et les routes, sans

compter les énormes dépôts de cageots quidéfigurent le paysage. Au moins, les tunnelsplastiques pas jolis ont été remplacés par desbâches au sol. Les maraîchers n’ont pas lamême approche de la terre, ce sont des gensde passage. Leur expropriation leur a permisd’acheter les terrains il y a quarante ans maisils ne les ont pas reçus en héritage. On a la sen-

sation qu’ils n’ont pasd’attache au terrain,qu’ils partiront à leursretraites. Les maraî-chers d’Arbonne sontd’anciens céréaliers.Ils se sont mis au

maraîchage car il fournissait un meilleur revenusur ces terres très sablonneuses. Ils faisaientdéjà de l’asperge. Ils se sont diversifiés pourrépondre à la demande du bio et de la vente àla ferme. Les autres maraîchers sont à uneéchelle industrielle et livrent à Rungis.

L. C. – Le parc étant dans l’aired’influence de Paris, un certain nombrede ses habitants sont de nouveauxrésidents. Ces différences engendrent-elles de l’incompréhension ou del’indifférence?A. R. – Le paysage délimite un lieu, ici la plaineest délimitée à l’ouest par le ru de Rebais, aunord par les bois que l’on nomme « rochers »(qui sont la suite des rochers de la forêt de Fon-tainebleau). Ce n’est pas une grande plainecomme la Beauce et la Brie. Elle est agréable àl’œil. La plaine de Bière c’est de la douceurdans le paysage, il n’y a aucune agressivité. Lapureté de la lumière a attiré les peintres del’école de Barbizon. D’ailleurs, un de mes ancê-tres allait fréquenter ces peintres «de mauvaisevie ». Les parisiens viennent chez nous pourcette qualité du cadre de vie. J’ai connu letemps où il y avait une vingtaine de maisonsde vacances de familles de Parisiens aisés quivenaient par la N7, puis par l’A6. Le premiertronçon s’arrêtait à Saint-Germain-sur-École. Lagare de Melun et le RER D ont permis aux Pari-siens de devenir des « rurbains ». Les maisonssecondaires ont été reprises par des Parisiensqui vivent à temps plein, augmentant la popu-lation. Cette nouvelle population amène unregard et des expériences d’ailleurs. Les per-sonnes arrivées depuis moins de dix ans ontbeaucoup d’idées mais ne sont pas toujourscapables de les mettre en valeur. Elles l’ont vuailleurs mais c’est parfois difficile à transcrire.C’est difficile de devenir un acteur responsable.

Alain Renault est issu d’unefamille installée dans le pays de Bière depuis 400 ans.Agriculteur de père en fils, ilss‘appelaient des « laboureurs ».Il reprend la ferme familialeaprès une formation agricole à Beauvais de niveau ingénieur.Ces études lui permettent devoyager et de découvrir d’autrescontrées : en 1966 au Canada,en 1968 au Mexique et auxÉtats-Unis et une autre visite en Pologne. Quand il s’installe,il était de tradition familiale de se présenter aux électionsmunicipales. Il est élu de Saint-Martin-en-Bière commeconseiller municipal depuis1977 et comme maire depuis1983. Nous l’avons rencontrécomme président de lacommission Environnement etdu comité Paysage et Territoiredu parc naturel régional du Gâtinais français.

L’élu, acteur des évolutions du paysage

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Maintenant, on gère des conflits de culture. «

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Leur manque d’attache au passé peut nouspénaliser mais leur regard sur le paysage estaiguisé, plus critique. Un décalage se creuse. Ledoyen de Moigny m’a dit dernièrement « MoiMonsieur, aujourd’hui c’est moi l’étranger ».La vie associative du village a évolué. L’écolede danse et le conservatoire de musique sonttrès appréciés des nouveaux habitants. Lecomité des fêtes n’existe plus. Certains regret-tent la fête du 14 juillet où toute la communese retrouvait. Les associations des chasseurs etdes anciens combattants n’intéressent pas lesnouveaux habitants. Avant, les enfants del’école venaient chanter aux commémorations,maintenant les parents ne les amènent plus.Les nouveaux habitants ont peu de lien avecleur territoire alors qu’ils étaient attirés par sespaysages. Ils sont dans un paysage du quotidienlié aux nouveaux modes de vie. Ils l’utilisent,en profitent sans vouloir participer à son évo-lution. Les gens sont intéressés par leur intérêtparticulier, pas par le bien public.Grâce aux nouveaux habitants, nous avons pugarder deux classes ouvertes, même si une par-tie de la population plusaisée préfère mettre sesenfants dans les écolesprivées proches de Fon-tainebleau. L’école com-munale reflète encore ladiversité de la popula-tion. Les derniers com-merces ont fermé mais lepetit artisanat se main-tient. Les nouveaux arri-vants proposent du tra-vail par la réfection des maisons anciennes. Ilsont participé à la mise en valeur du village, dupaysage architectural.Avant, au conseil municipal, on réglait desconflits de familles, des histoires liées à l’activitéagricole, à des propriétés foncières. Maintenant,on gère des conflits de culture. Je ne sens pasde successeur même au sein de mon équipemunicipale. Le prochain maire, je ne sais quice sera. Il aura une tâche ardue. Je ne révise pasmon Pos en PLU alors que je dois le mettre enconformité avec la charte du parc d’ici à 3 ans.C’est un problème complexe au niveau tech-nique et politique que je laisse à mon succes-seur, sachant que le parc propose avec leschartes paysagères, l’atlas communal et lesrecommandations pour la révision du PLU deséléments d’aide à son élaboration.

L. C. – Pourquoi le parc a-t-il mis en placele comité Paysage et Territoire? Quel estson objectif, comment fonctionne-t-il ?A. R. – La commission Environnement, que jepréside, et la commission Développement local

se retrouvent au sein du comité Paysage et Ter-ritoire car il ne s’agit pas d’avoir une vision sta-tique sur le paysage mais d’avoir une action surson évolution. On hérite d’un paysage et lesobjectifs de la charte nous orientent sur sonévolution. Le paysage est partagé par tous etchacun prend sa part de responsabilité. Je vousai déjà dit que chacun doit être un acteur responsable. On écrit l’histoire. Christian Thibault(1) parle du « génie du lieu ». C’est luiqui m’a fait penser à l’importance denos huit chartes paysagères et de nos onze uni-tés paysagères.Le parc a un rôle fédérateur qui permet de trou-ver le juste milieu entre préservation et valori-sation. Nous avons besoin d’un témoin. Il prendla forme de l’observatoire photographique despaysages aussi bien remarquables que ceux quisubissent des pressions. Des bornes en grès dupays de Bière ont été commandées à l’un desderniers tailleurs du parc pour repérer lespoints. L’observatoire est une autoévaluation.Ces points sont aussi des lieux de sensibilisa-tion du public par le biais de valorisation artis-

tique réalisée et en lienavec la commission patri-moine et culture.Il n’y a pas de cloisonne-ment entre nos commis-sions. Dans une mêmesoirée on essaye d’en réunir deux pour que les personnes puissent se croiser. La commissionEnvironnement travailleétroitement avec celle de

l’agriculture, du patrimoine, de l’énergie. C’estrare qu’un dossier soit traité dans une commis-sion unique.Les projets des aménagements communauxsont discutés au sein d’un groupe de travail quiregroupe les personnes des CAUE, de la cham-bre d’agriculture, de la chambre de commerce,du Sdap, de la DDT(2)… Le croisement desregards enrichit les projets.

Propos recueillis par Corinne Legenne et Lucie Le Chaudelec(3)

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»Les nouveaux habitants ont peu de lien

avec leur territoire alors qu’ils étaient attirés

par ses paysages. […] Ils l’utilisent, en profitent

sans vouloir participer à son évolution. «

Nombre d’agriculteurs siégeant au conseil municipalEn 1977 11 conseillers dont

7 agriculteursAujourd’hui 15 conseillers dont

2 agriculteurs (1 retraité, 1 ouvrier)

Photos aériennes d’un même secteur, avant et après remembrement.

(1) Directeur du département Environnement rural et urbainde l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la régiond’Île-de-France.(2) Sdap (service départemental de l’architecture et du patri-moine).DDT (direction départemental des territoires).(3) Responsable du pôle paysage et énergie du parc naturelrégional du Gâtinais français.

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Des corridors biologiques aux monu-mentaux transports automatiques, desvéloroutes transeuropéennes aux

champs d’éoliennes, du canal Seine NordEurope et ses incidences sur les berges dufleuve, de grands projets se mettent en placeaujourd’hui.Face à la puissance de ces projets d’environ-nement, d’équipement et d’aménagement, uneréflexion s’est engagée au sein d’un atelier« Paysage » avec les directions régionales(2) del’État, s’inscrivant dans les dynamiques métro-politaines, en particulier celles du Grand Paris.Une diversité d’expertise a été rassemblée dansnotre atelier afin de concevoir et construire uneculture du projet territorial. L’objet est de révélerles figures du Grand Paris, de préfigurer des pro-menades urbaines et d’en soumettre les conclu-sions aux regards d’artistes pour transformerl’état d’esprit du travail de ces projets.L’existence d’atlas des paysages(3) développésdepuis plus de quinze ans est une source deconnaissances. Ce travail de projet s’appuie sur-tout sur les métiers du paysage : des architectes

des bâtiments de France aux inspecteurs dessites, des paysagistes-conseils et des architectes-conseils de l’État aux paysagistes indépendantset à l’ingénierie de l’aménagement et de l’en-vironnement. À travers la méthode des figureset celle des promenades urbaines, cettedémarche « Paysage » nous amène une culturedu territoire née de l’approche sensible de

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L’atelier «Paysage» en Île-de-France

«Stylites nocturnes/diurnes »,l’œuvre de Jaume Plensa, donneral’échelle au « territoire d’intérêtnational » en désignant le boulevarddes Arts de la Seine Amont dans le Val-de-Marne.

Écrire «Paysage» avec une majuscule et entre guillemets permet d’éclairercette vaste notion de paysage par la diversité des regards. Face à la puissance des projetsd’aujourd’hui, notre atelier développe in visu la méthode des figures et des promenades urbaines. In situ,le regard d’artistes opère le nécessairechangement d’état d’esprit du travail de projet. C’est ainsi imaginer, partageret construire les paysages contemporainsà venir.

Jacques Deval(1)

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Références bibliographiques

• « Le patrimoine comme dynamique du territoire : un atelier de créationartistique en Seine Amont », La Pierred’Angle, 2005.

• Atelier «Paysage» en Île-de-France 2009-2011, DRIEA, ouvrage collectif, (parutionprévue en septembre 2011).

Webographie

• www.promenades-urbaines.com• www.driea.ile-de-france• www.developpement-durable.gouv.fr

(1) Jacques Deval est architecte et chargé de mission « Pay-sage » au sein du département atelier territoires métropole,service de l’aménagement, direction régionale et interdépar-tementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France, accompagné de l’expression graphique d’Ingrid Sau-mur, paysagiste DPLG.(2) L’atelier « Paysage » en Île-de-France a été initié par ladirection régionale et interdépartementale de l’équipementet de l’aménagement en partenariat avec la direction desaffaires culturelles et la direction régionale et interdéparte-mentale de l’écologie et l’énergie, l’Institut d’aménagementet d’urbanisme de la région d’Île-de-France et le CentreGeorges-Pompidou.(3) Les atlas des paysages ont été élaborés principalementpar les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environ-nement, les conseils généraux, les directions départementalesdes territoires et les services des directions régionales del’État en Île-de-France (Drac, Driee, DRIEA). Signalons aussi,parmi les outils de connaissance, le travail sur les unités pay-sagères réalisé par l’IAU îdF, présenté dans ces Cahiers, p.18.

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l’espace et de la nécessaire recherche de nou-veaux modes d’expression. Le savoir-faire car-tographique développé par l’atelier aujourd’huiest ancré spécifiquement sur la géologie et il s’agit de révéler les figures naturelles,construites et métaphoriques. La figure ici n’estdonc pas un plan mais un outil qui suggère desperceptions, des points de vue et donne deslignes de cohérence. Le dessin est certainementle premier champ d’investissement de grandecapacité opératoire de construction des figureselles-mêmes. La figure devient alors une vérita-ble dimension culturelle qui précise, montrepour ensuite révéler la continuité d’espace denos territoires.De leur côté, les promenades urbaines, sousl’égide du Centre Pompidou, ont démontré laqualité des connaissances recueillies du terri-toire, de ses acteurs et de ses habitants, par lerepérage, les modes et outils de restitution et

les expressions créatives qu’elles mettent en œuvre (projection collaborative, dessins,coupes et perspectives d’ambiance, photogra-phie et vidéo).La richesse de cette conjonction autour del’atelier « Paysage » a ainsi favorisé la définitiondes figures du Grand Paris, en donnant à voircomme jamais auparavant les radiales,confluences et lisières urbaines de la métro-pole au sein du bassin de la Seine.Désormais, la perspective pourrait chercher àfaire émerger une confrontation entre cesfigures de paysage et des regards d’artistes, dansle même esprit que l’événement «Estuaire 2007-2009-2012 » de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, et que l’IBA Emscher park, expositioninternationale d’architecture dédiée à la Ruhr,montrant l’utilité du regard d’artistes dans letravail de projet.

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Coupe de la Bièvre d’Arcueil à la Bièvre du Montsouris,promenade urbaine de la radialesud universitaire dite « Jean-Claude Nicolas Forestier ».Ingrid Saumur, paysagiste DPLG.

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« De la gare de Choisy-le-Roi au parc des Saules, promenadeurbaine du Paris d’Amont », Ingrid Saumur, paysagiste DPLG.

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Dans son ouvrage Paysages en mouve-ment, Transports et perception de l’es-pace, XVIIIe-XXe siècle, 2005, Marc Des-

portes a montré comment la technique – etnotamment les techniques de transport – a jouéun rôle au moins aussi important que celui dela peinture dans la formation du paysage occi-dental, comment chaque mode nouveau a pro-posé et souvent imposé au voyageur de nou-velles façons de faire, de voir, de sentir, de serepérer – une nouvelle approche du paysage.Par exemple, au milieu du XIXe, le chemin de fercontraint le voyageur, livré à l’ivresse du glisse-ment, à porter son regard au loin, les abordsimmédiats de la voie défilant trop vite pourqu’il puisse les fixer. Un paysage ferroviaire, faitd’amples variations, prend alors corps.

Paysages réelsAu cours des dernières années, les techniquesde transport ont accompagné des évolutionsurbaines paradoxales. Au centre des grandesvilles, les nouveaux tramways aux habitacleslargement vitrés et les rubans cyclables, rom-pant avec le rythme haché et le point de vuesurbaissé de la voiture, offrent à l’usager un tra-velling apaisé et presque aérien sur le specta-cle, sans doute idéalisé par une certaine penséeurbanophile(1), d’une ville réconciliée avec elle-même. Plus loin, la multiplication des rocadesroutières périphériques, même si elle a pu dansquelques rares cas redonner un point de vueenglobant sur la ville, s’est accompagnée d’uneprolifération exponentielle des ronds-points

qui, bouchant l’horizon de l’automobiliste puis le lançant comme une toupie, le laissentdésorienté dans l’espace périurbain en expan-sion continue.Mais, plus que l’évolution des véhicules et desinfrastructures, c’est sans doute l’explosion desmobilités qui a modifié le regard sur le paysage.L’accroissement des déplacements quotidiensen nombre et en distance a agrandi l’étenduedes paysages traversés par habitude et souventpar contrainte, émoussant la capacité à repérerles changements à l’œuvre. À l’inverse, la démo-cratisation du transport aérien a peut-êtrerenouvelé le regard porté sur ces paysages duquotidien : « contemplé depuis une hauteur, unvaste espace de banlieue n’est-il pas aussi cap-tivant pour le regard que la plus bucolique desvallées alpestres ?(2) ». On repère le collègerécemment construit au-delà de la route quimarquait jusque-là le front urbain, ou le posteélectrique dont l’orientation rompt si manifes-tement avec la trame du parcellaire agricole.

Paysages virtuelsC’est d’ailleurs la possibilité de survol gratuitqui a fait le succès de Google Earth,désormaisdoté d’un simulateur de vol, ou de Google

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Nouveaux regards?

Jeux de miroirs dans l’espacepublic. Grille métallique du parc Serge-Gainsbourg, Paris 19e.

Les évolutions techniques récentessuscitent de nouvelles expériences de paysages – réels, virtuels ou hybrides – susceptibles tantôtd’aiguiser, tantôt d’émousser, mais toujours de modifier notre perception des paysages. Un état des lieux s’impose.

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(1) Voir la note de lecture Antiurbain dans la rubrique Res-sources p.92.(2) Briffaud Serge, « Le monde vu d’en haut. Une histoire dela vision panoramique », Paysage et aménagement, n° 31,juin 1995. Cité par Perrin Laurent, « La ville panoramique. Évo-lution des regards aériens sur Paris et sa banlieue », LesCahiers de l’Iaurif, n° 120, janvier 1998.

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Maps. Ces plateformes en ligne permettent demultiplier et de confronter les points de vuejusqu’à pouvoir, dans Google Street View,arpen-ter virtuellement (et en 3D dans certains sec-teurs) une voie urbaine comme une route decampagne. Et c’est là peut-être un fait marquantdes évolutions techniques récentes : les mondesvirtuels apparaissent moins souvent commedes alternatives ou des substituts au monde réelque comme des sources d’enrichissement duregard porté sur ce monde réel.Les progrès réalisés en matière de représenta-tion des paysages réels sont impressionnants.Ainsi, traversant une ville avec leurs parentspour la première fois, des enfants sont capablesde les guider avec aisance parce qu’ils l’ontdéjà parcourue dans des jeux vidéo tels queMidtown Madness – dont les scènes parisiennessont d’ailleurs criantes de vérité, avec leursimmeubles haussmanniens, leurs bus RATP etleurs palissades de chantier vertes et grises ! Unchroniqueur de jeu vidéo, considérant que ladernière version de Spiderman vaut surtout parla qualité des décors de Manhattan, recom-mande à ses lecteurs de sortir du mode jeu etd’arpenter simplement les rues pour préparerleur prochain week-end new-yorkais – ainsienrichi plutôt que remplacé par le New Yorkvirtuel. Les perspectives de développement desjeux vidéo semblent d’ailleurs résider engrande partie dans les serious games, jeuxsérieux à vocation principalement éducative,qui proposent des situations virtuelles pour pré-parer les joueurs à mieux appréhender dessituations réelles.À l’inverse, un monde exclusivement virtuel telque Seconde Life est, malgré l’absence de pla-teforme concurrente, en perte de vitesse depuis2009, le continent principal commençantmême à se dépeupler. L’utilisation d’extraits deSecond Life dans le film The Dubai in me n’enest d’ailleurs pas moins intéressante : en mélan-geant paysages virtuels, films de publicitéimmobilière et paysages réels, le documenta-riste allemand Christian von Borries entenddénoncer la déshumanisation du monde réelà l’œuvre dans l’émirat.

Réalité augmentéeAlors que Paul Virilio prophétisait il y a quinzeans un dangereux dédoublement du mondesensible entre le réel et le virtuel, le temps sem-ble donc être plutôt à l’hybridation du réel etdu virtuel en une réalité augmentée. Celle-cienrichit le regard porté sur le paysage tout enlimitant l’impact des panneaux indicateurs, destables d’orientation et des panneaux d’inter-prétation sur ce même paysage. On pense alorsà la citation de Paul Éluard : « Il y a un autremonde mais il est dans celui-ci ».

La prolifération des smartphones, ou terminauxde poche, a encouragé le développement d’au-dioguides thématiques (notamment ZeVisit),accompagnant par exemple la découverte despaysages du mont Blanc depuis le train ou cellede la route des vins de Bordeaux. Avec l’inven-tion de l’accéléromètre détectant l’orientationde l’écran, elle a récemment suscité le déve-loppement d’applications proposant des infor-mations en surimpression sur l’écran lorsquecelui-ci est pointé sur un paysage (Layar) oumême vers le ciel (Skypix). On accède ainsi àdes informations sur la technique de construc-tion d’un bâtiment ancien, sur l’histoire d’unarbre remarquable, sur la distance d’une étoile.Bientôt, ces informations pourront apparaîtredirectement sur des verres de lunettes ou unpare-brise de voiture, comme l’envisage le pro-jet de General Motors. Celui-ci entend intégrerau pare-brise non seulement des informationsde guidage GPS (sous la forme d’un câble vir-tuel à suivre) mais aussi, par exemple, l’équiva-lent de nos panneaux d’animation culturelleet touristique, dits «panneaux marron», person-nalisés selon les intérêts de chacun : grandesfigures du jazz, patrimoine industriel…La prophétie de Paul Virilio n’est pas pourautant caduque. Demain, avec le développe-ment des hologrammes permettant de masquerune ligne électrique ou de faire réapparaîtreun château fort depuis longtemps détruit, uneréalité trop augmentée pourrait réactiver lesfrictions entre mondes réel et virtuel.

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L’évolution des techniques de transport a souvent suscité chez le voyageur de nouvellesfaçons de faire, de voir, de sentir, de se repérer.

Module holographique ici fixé par l’utilisateur sur le guidon d’un Vélib’. (Projet Icco 4.0 réalisé par Mathieu Romain et Léo Marzolf dans le cadre d’un partenariat entre l’IAU îdF et l’Ensaama-Olivier-de-Serres).

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Les Cahiers – Comment vous est venuel’idée de considérer la ligne et le véhiculecomme un ensemble?Régine Charvet-Pello – J’avais déjà travaillésur plusieurs tramways et j’avais vu commentcela fonctionnait. À chaque fois, je n’avais euen charge que le design du matériel roulant.Mais je m’intéressais au lien avec l’espacepublic et à la mise en paysage de la ligne,même si je n’avais pas d’idées précises de ceque le tramway pouvait apporter à l’organisa-tion d’un territoire. Or, le tramway modifie d’unefaçon pérenne le territoire et la ville. On s’aper-çoit de cela après coup car, en général, ondemande aux intervenants de travailler sur uneligne par strates, politiques ou techniques, alorsque l’on devrait proposer une approche d’en-semble. À Paris, par exemple, la RATP s’occupaitde l’infrastructure, la Ville du paysage urbain,Alstom de la technique du véhicule etc. Le design des véhicules est arrivé en dernier,comme d’ailleurs les œuvres d’arts, « posées »le long de la ligne sans lecture globale préala-ble. L’ensemble est plutôt réussi mais manquepeut-être d’homogénéité. Après Paris, d’autresprojets m’ont permis d’affiner ma compréhen-sion du territoire.Toutes les histoires des tramways «de deuxièmegénération » comportaient des incohérences :des concepteurs quis’opposaient au site,des concepteurs quiétaient là pour mettreleur signature plutôtque pour servir la ville. Et puis, le projet de Toursest arrivé. J’avais très envie de mettre mon expé-rience et mes réflexions au service de ma villemais, en tant qu’élue, est-ce que je pouvaisrépondre à l’appel d’offres ? J’ai vérifié et je mesuis aperçue que je pouvais car je ne siégeaisni à la communauté d’agglomération, ni dansune commission chargée du transport. L’appeld’offre, élaboré par le groupement Cité Tram(Société d’équipement de la Touraine associéà Transamo, filiale de Transdev) en charge duprojet, proposait une idée merveilleuse : le tram-way n’était plus perçu comme un simple objetmais comme une ligne dans un ensemble. Cepremier tramway « de troisième génération »allait être un véritable déclencheur de nou-veautés et de mutations pour l’ensemble del’agglomération de Tours.Le tram, c’est l’objet qui circule. La ligne intègreles stations et ses deux terminus. L’appel d’offresdemandait de travailler sur la ligne, puis « de

façade à façade », et enfin sur la porositéurbaine dans une bande de cinq cents mètresde part et d’autre de la ligne, c’est-à-dire un cor-ridor urbain large d’un kilomètre et long dequinze, une zone d’attraction forte. On devaitpenser l’identité de la ligne au-delà de celle dutram. C’était la première fois que j’étais en pré-sence d’une vision proche de la mienne : pen-ser le design urbain très en amont et pas seu-lement comme une résultante.

L. C. – Cette approche globale a étéportée au sein d’un collectifpluridisciplinaire «Ensemble(s) la ligne».Comment êtes-vous arrivés à l’idée du«quatrième paysage»?R. C.-P. – J’ai bâti mon équipe autour de gensqui me semblaient capables d’avoir une visiond’ensemble très en amont. J’ai contacté cinqpersonnes. D’abord Daniel Buren, qui avait tra-vaillé au château de Tours. J’avais apprécié savision in situ et ma proposition de changerd’échelle pour travailler sur un territoire de15 km2 lui a plu. Puis Roger Tallon, père du design ferroviaire français (le TGV). J’avaisbesoin de son regard pour aborder la globalitédu transport, au service des gens, de leur mobi-lité dans la ville. Puis Jacques Levy, géographeet urbaniste. J’avais aimé sa réflexion sur les

liens entre urbanité etmobilité dans lesvilles d’Europe. Il s’estfait accompagner parson alter ego local,

Serge Thibault. Enfin, Patrick Rimoux, sculpteurde lumière, qui a travaillé sur les mises enlumière du Centre Pompidou de Metz ou les400 ans de Québec. Tours est une ville de patri-moine, elle avait besoin de ce regard. Et puisLouis Dandrel, un homme de l’Ircam, père desjardins musicaux et sonores, qui a travaillé surla première identité sonore de la SNCF.Aucun n’avait besoin de « planter son ego ».Tous avaient envie de se découvrir et de travail-ler ensemble, de se mettre au service d’un pro-jet. C’était pour moi un beau défi que de menercette équipe exceptionnelle, avec la volontéqu’elle fasse date en matière de réflexion surle tramway.J’ai mené en parallèle un travail très personnel.Je suis à Tours depuis 23 ans et je pense connaî-tre les qualités et les défauts de la ville. Mais j’aipris le temps, comme je le fais toujours maispeut-être plus encore cette fois, de faire des car-nets d’analyse du territoire, des parcours sensi-

Formée à l’école Boulle, Régine Charvet-Pello pratiquedès 1980 le designd’environnement et le designgraphique dans des agencesparisiennes. En 1986, elle créeà Tours sa propre agence, RCPDesign Global, devenue depuisune référence en matière dedesign ferroviaire : Transilien(2000), tramway T3 de Paris(2002), d’Alger et du Mans(2004), d’Angers (2005) et tram-train de Lyon (2006).Elle s’est, par ailleurs,beaucoup impliquée dans la promotion du design, et plus particulièrement du designsensoriel. Elle a initié la création de l’associationValesens et du centre d’étude et de recherche universitaire en ingénierie sensorielle,Certesens, en cours de création.Elle est, en outre, maire adjointà l’éducation et àl’enseignement supérieur de la ville de Tours depuis 2001, et élue à la chambre de commerce et d’industrie de Touraine en région Centre.À l’origine du collectif« Ensemble(s) la ligne », elle propose pour le tramway de Tours une immersion inéditedans le paysage de la ville.

Le tramway, créateur de paysage

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»On devait penser l’identité de la ligne au-delà de celle du tram.«

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bles dans lesquels j’inscris mes impressions, jecolle des photos. Et je me suis plongée dans lestextes inspirés par la région aux écrivains natifscomme à ceux de passage, de Ronsard à Lacla-vetine, pour y retrouver l’expression de lalumière, de l’indolence, la description des pay-sages, des gens. Je voulais m’immiscer dans« l’ADN du territoire». J’ai partagé ce travail avecmon équipe. On a commencé à échanger et,tout de suite, on s’est positionné en paysage,peut-être parce qu’on fait référence au paysagede la Loire qui est protégé par l’Unesco. Le pay-sage fait le lien entre le culturel, le construit, lagéographie, le naturel, et en même temps l’hu-main, et enfin l’époque contemporaine.Un mois après avoir gagné l’appel d’offres, j’aiembarqué dans un bus l’équipe au complet etles élus dont le maire de Tours, pour suivre letracé du tram. On s’est mis à discuter différem-ment car on était en mouvement. On a biencompris que l’on devait travailler au « vivreensemble », qui est unevraie volonté politique surce territoire, en traitant lesquartiers très sociauxaussi bien, même si diffé-remment, que les quar-tiers « nobles » du centre-ville. On a créé le collectif « Ensemble(s) laligne » – le « s » entre parenthèses reprend celuidu logo de l’agglomération de Tour(s), c’est unclin d’œil personnel au territoire et à l’immer-sion de notre équipe dans le projet.On a travaillé à un Livre blanc pour exprimernotre vision de la ligne : celle-ci allait créer unnouveau paysage qui devait s’insérer dans lepaysage existant, sans le perturber mais surtouten le valorisant, en le magnifiant. Il ne fallaitpas venir avec un cheval de fer, une modernitétapageuse, mais bien proposer une modernitéqui donne un sens à une ville patrimoniale duXXIe siècle.On a bâti une vision globale et intégrée du pay-sage, qui articule quatre composantes. Les troispremiers paysages (la Loire, les jardins, le patri-moine bâti) se sont construits au fil des sièclesselon un axe est-ouest et puis, au XXIe siècle, laligne de tram vient irriguer le territoire dans lesens nord-sud, avec la souplesse de la ligne vuecomme la Loire et les stations comme ses îles,renforçant la ville dessinée au XVIIe et XVIIIe siè-cle. Ce quatrième paysage n’est donc pas pla-qué mais se nourrit des trois premiers. Ilcherche à refléter les paysages qu’il traverse, enharmonie, comme ce miroir qui pare la carros-serie du tram, reflétant son environnement. Leconcept est simple, évident, peut-être presqueuniversel quand il s’agit d’intégrer un nouvelélément à des paysages existants : à Tours, c’estle quatrième paysage, mais ailleurs cela pour-

rait être le troisième ou le cinquième, selon leterritoire.

L. C. – Comment le nouveau regard deshabitants sur leur ville depuis le tramwaya-t-il été traité concrètement, tant auniveau de la conception du véhicule quede l’aménagement de la ligne?R. C.-P. – À Nice, on voyage dans le tramwaycomme on traverse une galerie d’art. Le tram-way permet ponctuellement d’avoir un pointde vue sur une œuvre. À Tours, grâce à DanielBuren, on a pu aller plus loin : le tram lui-mêmeest une œuvre et la ligne aussi. Les rayures deBuren, qui reprennent les éléments visuels dela ville (le tuffeau et l’ardoise, le blanc et le gris-noir) font le lien entre le tram, la ligne et la ville :elles parcourent le véhicule et se prolongentsur le sol des stations. Les rayures noires etblanches sont visibles et compréhensibles partous les usagers de la ville. Emergences de six

mètres de hauteur surchacun des quais ; ellesguident vers les stations,lieux du rituel d’échangeoù les flux se mêlent,comme les identitéssociales et culturelles, où

la « station mobile», le tram, rencontre la stationfixe, la ville. Tram et ville ne sont pas posés l’unà côté de l’autre mais s’interpénètrent dans uneœuvre de 15 km2.Cela est particulièrement vrai aux terminus. Laville commence à ses extrémités, selon JacquesLevy. Et aux deux extrémités, on a deux œuvresd’art importantes, construites par Buren autourdes objets fonctionnels que sont les parkings.Si le tram se prolonge ce n’est pas grave,puisque ces stations-parkings sont traitéescomme des entrées et le resteront.

Propos recueillis par Nicolas Laruelle et Corinne Legenne

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Références bibliographiques

• Dictionnaire des mots du sensoriel, éditions Tec&Doc,Lavoisier, 2011.

• «Le design sensoriel », lettre technologique n° 1, le Lieu duDesign, Paris île-de-France.

»Le tramway cherche à refléter les paysages qu’il traverse. «

La Loire.

Les jardins.

Le patrimoine bâti.

La ligne.

La ligne de tramway, 4e paysage de l’agglomération

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Dans le contexte actuel d’industrialisa-tion et de mondialisation, qui tend àl’uniformité, la revendication de l’iden-

tité se fait plus insistante. Cette question estposée à propos des individus, des peuples oudes territoires. C’est cette dernière dimensionqui est analysée ici, mais l’identité d’un terri-toire et celle de ceux qui l’habitent s’influen-cent réciproquement. Au départ caractère dece qui est identique, l’identité en est venue àdésigner ce qui est singulier, car ce sont lesmêmes critères qui permettent d’identifier cer-tains objets entre eux et de les différencier desautres. L’identité renvoie à l’ensemble des traitsqui font que cet individu ou ce pays est chacunlui-même et pas un autre.

Carte d’identitéCe qui permet d’identifier un individu estrésumé sur ce qu’on appelle justement sa carted’identité : un visage, que montre la photod’identité, un nom, une adresse, une date denaissance, une taille, des signes particuliers. Etl’on peut transposer au territoire les compo-santes décrites par la carte d’identité : un nomreconnu, vraiment signe d’identité lorsque leshabitants portent un nom qui en est dérivé (cequi leur permet de faire de l’identité de leurterritoire une composante de la leur) ; uneadresse, c’est-à-dire une localisation ; une taille,c’est-à-dire une étendue ; à défaut d’une datede naissance, une histoire propre ; des signesparticuliers, que lui confère sa géographie ; unvisage, c’est-à-dire des paysages ; il peut aussi

avoir des attributs symboliques – emblèmes,blason, logo, drapeau, hymne, devise, etc.

Identité et paysageLes études et les projets de paysage font large-ment appel au concept d’identité – même s’ilsne sont pas les seuls, la question de l’identitédes territoires dépassant largement celle deleurs paysages. Cette démarche est encouragéepar la convention européenne du paysage, quiinvite chaque État signataire à identifier et qua-lifier ses paysages. Sans attendre cette conven-tion, les atlas des paysages, réalisés depuis unevingtaine d’années à l’échelle de départementsou de territoires tels que les parcs naturelsrégionaux, identifient des unités paysagères eten décrivent les caractéristiques qui font leursingularité.La recherche de l’identité n’est pas toujoursexplicite, les unités paysagères étant plutôt défi-nies par leur homogénéité, selon la méthodeofficielle du ministère en charge de l’environ-nement (Luginbühl, 1997). Mais les unités y sontidentifiées, le plus souvent par un nom et parles limites que créent les changements de lagéomorphologie ou de l’occupation du sol. Lenom apparaît souvent comme le révélateur dela force ou de la faiblesse des unités ainsidécoupées : On voit dans certains atlas appa-raître des noms incongrus, décrivant le senti-ment du paysagiste le jour où il visitait les lieux,peu attachés à l’histoire de ceux-ci et pouvants’appliquer ailleurs. C’est là que se mesure lefait que l’identité ne se réduit pas à une homo-

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Identité des territoires et unités paysagères

Vue depuis la terrasse de Saint-Germain sur la vallée de la Seine.

Face au paysage, l’identité est une attente fréquente. Qu’est-ce ce qui la façonne? Permet-elle de définir des territoirescomme tentent de le faire les atlas des paysages? Les territoires ont la vielongue et leur identité ne se réduit ni à leurs paysages ni à leurs projets,mais celle-ci est dans tous les cas un facteur important de sentimentd’une appartenance commune, donc de lien social et de solidarité.

Pierre-Marie TricaudCorinne Legenne

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généité ou à ce qu’une personne, un jour, peuten ressentir, mais qu’elle se fonde sur unelongue histoire et sur une relation partagée desgens au territoire.

Des territoires identifiablesLes unités paysagères ne se définissent pas uni-quement selon des critères directement visuels.La perception des paysages est aussi liée à leurusage : ceux qui sont parcourus quotidienne-ment sont davantage ressentis comme appar-tenant à la même unité que ceux en dehors.Les bassins de vie fournissent donc eux aussiun critère pertinent d’identification des unités.Les cas le plus favorables sont ceux où le bassinde vie se superpose à une unité de relief oud’occupation du sol, voire aux deux, et le casidéal est celui où, en plus, des points hauts per-mettent d’embrasser toute l’unité d’un seulregard(1) : c’est ainsi qu’apparaissent les agglo-mérations de Mantes, Meaux, Melun ou Monte-reau, bassins géographiques autant que de vie.Cependant, un découpage d’unités paysagèresne prétend pas s’imposer aux autres décou-pages du territoire : il n’existe pas de découpageidéal. Les unités paysagères sont plutôt un outilde connaissance, à prendre en compte par lesprojets qui les recoupent. Ainsi, un schéma decohérence territoriale (Scot), même s’il ne maî-trise que ce qui se passe à l’intérieur de seslimites, doit s’intéresser à ce qui se passe au-delà, sur toute la surface des unités paysagèresqu’il affecte. Une unité de paysage fortementidentifiée, comme la plaine de Versailles, resteplus difficile à bien gérer lorsqu’elle est parta-gée entre plusieurs intercommunalités(2).Les territoires voués à une longue durée de vie,comme les intercommunalités, ont intérêt à seconstruire autour d’une identité forte – que lepaysage soit un marqueur fort de cette identitéou un élément parmi d’autres. Les « territoiresde projet » ne sont pertinents que le temps duprojet qui les porte, plus bref que la durée desdécoupages institutionnels (à ce jour, 220 anspour les départements, 150 ans pour Paris dansses limites actuelles). Dans d’autres régions, lescommunautés urbaines ou d’agglomération sesont naturellement construites sur des entitésimmédiatement identifiables. De même, dansl’espace rural, de nombreuses communautésde communes se sont bâties sur des cantons,qui, bien avant que d’être des circonscriptionspour l’élection des conseillers généraux, repré-sentent une structure très ancienne de villagesgroupés autour d’un bourg-marché.En Île-de-France, la couverture intercommunalequi se met en place, partant d’unités trop petites(parfois deux communes !), s’oriente vers desensembles beaucoup plus vastes, qui souventne sont pas polarisés autour d’une ville centre.

Même là où un centre est évident, le nom hésiteà y faire référence (Plaine Commune plutôtque Saint-Denis, Grand Parc à côté de Ver-sailles). D’autres noms n’échappent pas à labanalité (Deux Fleuves, Étangs, Boucles deSeine…). Comme le nom résume l’identité, unnom banal révèle une identité faible (collaged’entités sans rapport) ou mal assumée (refusde la prédominance d’un centre).Or, l’existence de collectivités correspondant àdes entités clairement identifiées est un enjeude démocratie locale. Le taux de participationaux élections cantonales est toujours plus élevéen milieu rural, où le canton est lisible autourde son chef-lieu (bourg-centre), qu’en ville, oùil se réduit à une circonscription. Les habitantsde ces nouveaux ensembles leur trouveront-ilsune identité témoignant de leur appartenance?

La question de l’identité des territoires peut êtreaussi passionnée que celle des peuples ou desindividus. On sait à combien de guerres et derejets de l’autre a pu conduire l’identité(3), à telpoint que le projet de définir des territoiresidentifiés peut légitimement susciter laméfiance, au profit de « territoires de projet »plus consensuels parce que plus malléables.Mais la violence est toujours venue de laconception du territoire comme une propriété.Si à l’inverse on considère que ce sont les habi-tants qui appartiennent au territoire, renforcerl’identité de celui-ci peut aider tous ses nou-veaux arrivants à s’y intégrer sans renoncer àtout ce qui fait la leur.

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Références bibliographiques

• COLLIN Michel, Atlas des paysages du Val-d’Oise, direction départementale del’équipement et de l’agriculture du Val-d’Oise, 2010.

• LUGINBÜHL Yves, BONTRON Jean-Claude,CROS Zsuzsa, Méthode pour des atlas depaysages. Identification et qualification.«Villes et territoires», ministère del’Aménagement du territoire, 1994,rééd. 2007.

• MAZAS Alain, FREYTET Alain, Atlas des payset paysages des Yvelines, CAUE desYvelines, 1992, 243 p. ; CAUE de Seine-et-Marne, Atlas des paysages de Seine-et-Marne, conseil général de Seine-et-Marne, 2007.

• TRICAUD Pierre-Marie. «De l’identité desterritoires», La Géographie,décembre 2002, pp. 34-47.

• TRICAUD Pierre-Marie, LEGENNE Corinne,FESTAL Marion, BARDON Adelaïde, Unitéspaysagères de la région d’Île-de-France.Méthodologie, notice d’utilisation de labase de données et atlas, IAU îdF, 2010.www.iau-idf.fr/detail-dune-etude/etude/unites-paysageres-de-la-region-dile-de-france.html

(1) Voir l’article de Jean-Christophe Bailly, « La ville entière »,dans le numéro éponyme des Cahiers de l’École de Blois,présenté ici p.91.(2)Voir l’article de Marie de Naurois dans ce numéro p.52.(3) Voir Lothar Baier, « Irritante identité», Études, octobre 1994,pp. 313-317.

La communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines est marquée par des symboles forts : la collégiale Notre-Dame, la centrale électrique de Porchevilleet la carrière de Mézières.

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Évolution des paysages

Identité des territoires et unités paysagères

Unités paysagères en Île-de-France

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La base de données des unités paysagères de la région d’Île-de-France s’inscrit dans les travaux visant à identifier etdécrire les paysages – comme les atlas de paysages départementaux – encouragés par la convention européenne.Il n’existe pas d’ensemble idéal qui correspondrait indiscutablement à une grande unité paysagère. Lesdépartements, dont l’origine est peu liée aux paysages, forment des territoires de référence arbitraires, mais la régionn’est pas un ensemble plus pertinent, elle-même définie par une somme de départements, et non par une entitégéographique (le Bassin parisien la dépasse largement) ni historique (l’ancienne Île-de-France s’étendant plus aunord et moins à l’est). La région présente l’avantage d’un territoire plus vaste, avec une moindre proportion d’unitésà cheval sur la frontière. La base de données n’est pas non plus un assemblage des atlas de paysagedépartementaux de la région – projet en cours des services de l’État(1), non seulement en Île-de-France mais aussisur tout le territoire national.Commencée lors de l’élaboration du projet de schéma directeur régional(2), celle des unités paysagères a fait l’objetd’une concertation avec les départements, les parcs naturels régionaux, les CAUE, les services de l’État et de laRégion. Ces échanges ont permis de confronter les découpages (il n’en existe pas d’unique), de les rapprocher ou de s’accorder sur les raisons qui en faisaient adopter de différents. La base de données, qui forme une couche du système d’information géographique régional, est présentée dans une notice(3) qui décrit la méthodologie de son élaboration et la décline en cartes selon les divers attributs des unités.À la différence des atlas, cette base de données n’est pas allée jusqu’à la description illustrée des quelque 900unités identifiées. Mais elle a davantage intégré la notion d’identité, en s’attachant à découper les unités, moinsselon une homogénéité que selon les facteurs d’identité décrits au début de cet article. L’existence d’un nomreconnu a notamment été un critère déterminant. La méthodologie a suivi les principes suivants :

Niveaux. Trois niveaux emboîtés ont été définis : celui des « petites unités » montre les lieux-dits, les terroirs, leséléments saillants du paysage ; celui des « grandes unités » correspond à des ensembles en général bien identifiés,intermédiaire entre l’échelon local et celui de la région (plateaux, vallées, agglomérations…) ; celui des « pays »découpe l’Île-de-France en quelques très grandes unités bien connues, débordant les limites de la région,structurales et-ou historiques (Brie, Beauce, Vexin…).Topologie. À chaque niveau, chaque point du territoire appartient à une unité de la base et à une seule (même sidans la réalité les limites peuvent être floues et les appartenances multiples). On s’est efforcé de n’avoir que des unités d’un seul tenant et sans enclave, mais ce principe n’a pas pu être suivi systématiquement.Limites. Ce découpage ne prétend pas fixer des frontières dans le paysage, mais identifier, en même temps que les unités, des interfaces ou transitions qui sont autant de lieux d’enjeux : lisières, écotones, crêtes, cours d’eau,voies de communication, fronts urbains…Nomenclature. Le nom étant considéré ici comme la synthèse de tous les autres attributs, l’objectif était de trouverdes noms le plus possible porteurs d’identité et le plus possible reconnus et partagés, en évitant les appellationsbanales, communes à de nombreux lieux. En l’absence d’un nom spécifique, les vallées sont en général nomméesd’après leur cours d’eau, et les unités centrées, qu’elles soient urbaines (agglomérations) ou rurales (plaines,plateaux, clairières…) par leur localité centre.Attributs. « Pays » : relief structural (plateau-plaine ou vallée) ; « grandes unités » : un seul attribut, croisant le relief(grande ou petite vallée, plaine ou plateau) et l’occupation du sol (urbain, agricole ou forestier) ; « petites unités » :relief dominant, occupation du sol dominante (qu’elle soit exclusive, majoritaire ou seulement significative), maisaussi pertinence du nom.

(1) Voir l’article de Jean-Luc Cabrit, de la Driee d’Île-de-France, dans ce numéro des Cahiers, p. 30.(2) Voir Carte des entités fonctionnelles et paysagères, pp. 118-119 dans le Sdrif adopté en 2008.(3) Voir la dernière référence bibliographique p. 19.

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Le front urbain régional s’éloigne de plusen plus du centre de l’agglomération ets’insère de plus en plus profondément

dans l’espace rural. Cet étalement continue dufront urbain entraîne le morcellement et l’en-clavement des espaces agricoles, la coupure etl’encerclement des forêts. Elle entrave les accès,appauvrit les échanges entre milieux, crée descontacts brutaux, dégrade les lisières, génèredes délaissés non gérés et non gérables.L’espace ouvert qui borde l’agglomération est,le plus souvent, perçu comme indéfiniment dis-ponible pour l’extension urbaine, plutôt quepour la transition. Il est rarement perçu commeune limite. La ville semble s’arrêter au hasard,butant seulement sur quelques espaces ouvertsprotégés. Elle échappe souvent à une démarched’aménagement globale et anticipatrice. Ceprocessus d’urbanisation répond à une logiqued’opportunité foncière ; il conduit à se couperde son site et de ses paysages ruraux, commeune ville peut tourner le dos à son fleuve.Situé entre ville et campagne, un nouveau profild’habitant se développe également, le « rur-bain » (Bauer et Roux, 1976) empruntant auxcitadins – travail, loisirs et culture – et s’ap-puyant sur les atouts de la campagne – nature,qualité de vie, liberté. Quelle que soit la raisonqui pousse à acheter plus ou moins loin descentres, le mobile le plus commun est le désird’habiter plus près de la nature. « Cet engoue-ment aboutit aujourd’hui à un paradoxe insou-tenable : la quête de « la nature » (en termes depaysage) détruit son objet même: la nature (en

termes d’écosystèmes et de biosphère). Asso-ciée à l’automobile, la maison individuelle esten effet devenue le leitmotiv d’un genre de viedont l’empreinte écologique démesuréeentraîne une surconsommation des ressourcesnaturelles insoutenable à long terme ».

La fin de de l’étalement urbain : un scénario d’avenir ?Les architectes et les urbanistes, plus rarementles paysagistes car ils n’ont pas été consultés,tentent d’enrayer l’étalement urbain en propo-sant de nouveaux « modèles d’habiter ». Dixéquipes ont répondu à l’appel à projet « LeGrand Pari(s) de l’agglomération parisienne ».Leurs regards sur cet espace de transition – tou-jours plus en proie à la métropolisation – pro-duisent une multitude de visions sans proposerd’articulations entre elles. Voici quelques mor-ceaux choisis, des plus consommatrices au pluséconomes en espace ouvert :Un premier groupe s'est focalisé sur la structu-ration de la limite de la ville en proposant le« confort spatial de l’habitat dispersé » pourtous. Deux formes principales se dégagent : ladilution dans un grand parc à l'échelle de laSeine, et la ponctuation sous forme d’archipelcomposé d’îlots « isolés et entourés de nature,telle une île en mer ».Un deuxième groupe s'intéresse à « la lisière »ou à « la rive » des espaces ouverts. Il proposela concentration des usages le long de cettelimite ou la densification des zones prochesdes espaces verts, réduisant leur surface alors

ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Paysage métropolisé

La ville avance sur les espacesagricoles en l’absence de limitetangible (Drôme).

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La région Île-de-France a été marquée,surtout depuis les années d’après-guerre, par un fort étalement urbain,dont la croissance en superficie est supérieure à celle de la population.Si le mouvement se poursuivait à ce rythme, la moitié de la régionserait urbanisée à la fin du siècle. Cette tendance va-t-elle se poursuivre ?Quel avenir se dessine pour ces espacesde transition ?

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que les collectivités peinent à en créer de nou-veaux (Legenne, 2011), fragilisant les espacesagricoles les plus contraints au contact de lamétropole et poussant à l'extrême la multifonc-tionnalité des espaces, entraînant de fait unrisque de surfréquentation puis de dégradation.Un troisième groupe sanctuarise les espacesouverts convergents sur Paris par la création desix agro-parcs de 4 000 km², soit 35 % de lasuperficie actuelle agricole. Il propose ainsi unelimite claire à la ville ou renforce « l'initiativeactuelle de la ceinture verte » par la définitiond'une politique nationale plus contraignante«en maîtrisant l’expansion urbaine et en encou-rageant une croissance compacte et, plusimportant encore, en contribuant à la régéné-ration urbaine des zones centrales et en renfor-çant le caractère de la ville ».

La ceinture verte, un atout pour une articulation durableentre préservation et urbanisationDepuis le plan d'aménagement et d'organisa-tion générale de la région parisienne (Padog)de 1960, l’Île-de-France désire contenir son éta-lement urbain. Les propositions mises en évi-dence par l’appel à projet « le Grand Pari(s) »prennent peu acte des projets à l’œuvre. Pour-tant la proposition d’une nouvelle ceinture deParis, portée par l'équipe Rogers Stirk Harbour& Partners, s’inspire d’une politique régionaleancienne, constante et volontaire : la ceintureverte d’Île-de-France. Esquissée au milieu desannées 1970, cette politique est formalisée dès1983, entérinée par le Plan vert de 1994 etconfortée par le projet de Sdrif de 2008. Elle sematérialise par un large éventail d’actionsmenées principalement par l’agence desespaces verts : acquisitions et aménagementd’importants espaces boisés et forestiers pourune ouverture au public, veille foncière sur lesespaces agricoles périurbains fragilisés, subven-tions aux départements, aux communes et auxassociations pour leur permettre de traduire, encohérence et à leur échelle, les objectifs régio-naux. Ce projet a surtout montré la capacité descollectivités territoriales à trouver, dans uncadre qui n’est pas prescriptif mais partagé, dessolutions originales et adaptées pour concilierla vision régionale et les contraintes locales,pour rapprocher la préservation et la valorisa-tion des espaces ouverts et l’offre d’espaces àurbaniser.De cette rencontre est née une démarche deville durable qui procède de réflexions et d’in-terventions portant conjointement sur l’espacebâti et sur l’espace ouvert. L’ambition est d’éta-blir entre ces deux milieux une articulation,durablement équilibrée, qui contribue à leurvalorisation réciproque, pour le bien de tous.

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Références bibliographiques

• BAUER Gérard et ROUX Jean-Michel, LaRurbanisation ou la ville éparpillée,Éditions du Seuil, Paris, 1976.

• BERQUE Augustin, «Les rurbains contre lanature», Le Monde Diplomatique,février 2008.

• L’Atlas rural et agricole de l’Île-de-France,Driaf-Iaurif, 2004.

• LEGENNE Corinne, «Les espaces vertsurbains», L’Environnement en Île-de-France, Memento 2011, IAU îdF-CRIF,2011, p. 84.

• LEGENNE Corinne et al., «Commenttraiter les fronts urbains?», Les carnetspratiques n° 3, IAU îdF, 2010.

• LEGENNE Corinne et LARUELLE Nicolas, Laceinture verte d’Île-de-France, un espace devie à réinventer, Iaurif, 2005.

• http://www.mon-grandparis.fr/le-regard-des-architectes.

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La ville prend forme par juxtaposition de lotissements, de zones d’activités, d’équipementsjusqu’à sa limite, sans lien entre ses éléments(Drôme).

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Les conditions de production des pay-sages traditionnels sont caractérisées parles difficultés de transport et de commu-

nication, qui ont longtemps imposé l’usagequasi exclusif de matériaux locaux et ralenti ladiffusion des savoir-faire artisanaux. Cescontraintes ont produit des paysages en har-monie avec le site qui les accueille, dans les-quels villes et villages, presque toujours « issusdu sol qui les porte(1) », se fondent intimement.Les paysages traditionnels sont à la fois homo-gènes – sans pour autant être uniformespuisque le caractère artisanal de leur produc-tion garantit une diversité de détails – et tousdifférents, variant selon les fonctions, les maté-riaux, les techniques et le « génie » propres àchaque lieu.

Des évolutions majeuresÀ partir du milieu du XIXe siècle, les conditionsde production des paysages ont connu des évo-lutions majeures, se succédant à des intervallesdésormais plus courts qu’une vie d’homme ets’enchaînant en spirale. Tout d’abord, une stan-dardisation des objets architecturaux (briques,tuiles, huisseries…) et paysagers (clôtures,bancs, panneaux…) liée au développement del’industrie. Puis, une diffusion nationale, conti-nentale ou mondiale de ces produits standar-disés et donc plus concurrentiels, accélérée parle développement des transports (bateaux àvapeur, chemins de fer…) et des communica-tions (poste, télégraphe…), qui permet aussi ladiffusion des références culturelles et entraîne

l’uniformisation des modes de vie. Enfin, unerégulation de la concurrence par la normalisa-tion (les anglophones parlent de standardisa-tion de droit) continentale (norme EURO) oumondiale (norme ISO), qui favorise à son tourune standardisation (de fait) des objets archi-tecturaux et paysagers, etc.Fondés sur la même spirale standardisation-dif-fusion-normalisation, la mécanisation de l’agri-culture et le développement de l’automobileont contribué massivement à cette banalisationdes paysages : standardisation des gabarits etdes matériaux des bâtiments agricoles, unifor-misation des espaces agricoles par l’arrachagequasi systématique des haies et des arbres iso-lés, standardisation des objets routiers (pan-neaux de signalisation, ronds-points, déviations,échangeurs…), prolifération périurbaine demodules urbanistiques conçus autour de l’au-tomobile (lotissement pavillonnaires, zonescommerciales…).Un autre phénomène, plus récent, doit être sou-ligné : l’explosion du transport de marchandisespar conteneur, objet emblématique de la mon-dialisation économique contemporaine(2). Enréduisant considérablement les coûts du trans-port de marchandises (moins de manutention,d’emballage, et de stockage ; moins de primesd’assurances car moins de vols et d’avaries), leconteneur a encore accéléré la diffusion des

ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Paysage mondialisé

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Au cours des dernières décennies, la standardisation des objetsarchitecturaux et paysagers qui a accompagné la mondialisationéconomique, culturelle et politique, a fortement contribué à la banalisationdes paysages. Face à cette évolutionforte et profonde, que peut-on attendreaujourd’hui du travail sur le paysage –et, plus particulièrement, de l’intervention des paysagistes au sein d’équipes désormaispluridisciplinaires qui mènent ce travail ?

Nicolas LaruelleIAU île-de-France

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Le paysage, du projet à la réalité

Évolution des paysages

Le réaménagement des entrées de ville s’est souvent faite au prix d’une standardisation insipide(Pas-de-Calais).

(1) Dugeny François et Thibault Christian, « Le poids du sol »,Les Cahiers de l’Iaurif n° 129, 2000, p.62.(2) Il en circule aujourd’hui plus de 12 millions dans lemonde, deux fois plus qu’il y a dix ans.

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objets architecturaux et paysagers standardisés.Plus encore, en suscitant une normalisation pro-gressive de l’ensemble des dispositifs de trans-port de marchandises, depuis la palettejusqu’aux entrepôts en passant par les poids-lourds, le conteneur a entraîné une standardi-sation des gabarits des zones industrielles etlogistiques qui marquent aujourd’hui les pay-sages urbains et surtout périurbains (hauteursdes bâtiments, dimension des accès et deszones de retournement et de déchargementdes poids-lourds…).Deux remarques importantes. D’abord, cettebanalisation ne touche pas seulement les pay-sages ordinaires, mais aussi les paysages excep-tionnels, dans lesquels l’irruption d’objets stan-dardisés est moins fréquente, en raison de lavigilance exercée, mais souvent plus sensible.Ensuite, cette banalisation ne vient pas seule-ment de l’uniformisation, mais aussi, et à l’in-verse, de la « personnalisation » proposée pardes catalogues pléthoriques comme unecontrepartie à la standardisation. Ainsi, unebande de pavillons aux façades pastiche néo-francilien toutes identiques pourra s’orner, aufil des années, d’une porte d’entrée Chambordvert sapin, d’une véranda dorée Venise, d’uneporte de garage Wyoming bleu roi, d’un abri dejardin Chamonix en pin… avec à peu près lamême probabilité que dans n’importe quelautre village. Les paysages homogènes maistous différents d’hier ont laissé place aux pay-sages hétérogènes mais tous semblables d’au-jourd’hui.

Un double niveau de réponseFace à la puissance des forces œuvrant à labanalisation des paysages, que peut-on attendredu travail sur le paysage, et plus particulière-ment des paysagistes ?Premier niveau de réponse, celui du diagnostic.Il s’agit à ce niveau de faire appel au regardaiguisé des paysagistes pour observer, déchiffreret interpréter le paysage, pour identifier lesforces (aspirations sociales, logiques écono-miques…) souvent contradictoires, à l’œuvredans son évolution. Il faudra également distin-guer celles dont on pourra peut-être jouer, par-fois en les retournant, celles que l’on pourracanaliser, celles que l’on pourra contenir etcelles que l’on ne pourra pas. Autrement dit, ils’agit d’envisager ce que l’on pourra raisonna-blement attendre de l’intervention sur le pay-sage, en sachant qu’elle ne résoudra pas l’en-semble des maux dont le paysage n’est souventque le symptôme.Deuxième niveau de réponse, celui de l’inter-vention elle-même, dans le cadre d’un projetsusceptible d’avoir un impact sur le paysage. Ils’agit alors pour le paysagiste d’assurer, en arti-

san, soit la meilleure couture possible entre unobjet standardisé et le paysage qui l’accueille,en évitant les dissonances, les délaissés…, soit,de chercher en artiste, à dépasser, à sublimer, laconfrontation entre objet et paysage.Le travail d’artisan consistera souvent à réinter-roger l’objet standardisé. Cet objet est censéêtre moins coûteux, mais la réutilisation d’ob-jets existants, la mobilisation de savoir-faireet/ou de matériaux locaux, pour la constructioncomme pour l’entretien, ne permettraient-ellespas d’aboutir à un coût comparable, avec unsupplément d’âme lié à l’ancrage local ? Il estcensé répondre aux normes, mais à quellesnormes exactement ? Et s’agit-il de normes ousimplement d’habitudes érigées en normes parfacilité ? Et s’il s’agit bien de normes, n’existe-t-il pas d’autres moyens que cet objet standardisépour respecter ces normes ?Par exemple, alors que la mise en accessibilitéde la cathédrale de Reims pour les personnesà mobilité réduite aurait pu se traduire par lapose d’une rampe normalisée face à l’entréeprincipale, le service des monuments histo-riques a pris le temps d’observer le rapport dela cathédrale à la ville. Il a pris le parti de rouvrirdeux portes latérales anciennes, rétablissant dumême coup le tracé ancien d’une rue romainetraversant l’édifice et donnant ainsi du sens àune nouvelle circulation « à niveau » reliant àtravers la cathédrale l’office du tourisme aupalais du Tau, autrefois lieu de résidence desrois de France à l’occasion de leur couronne-ment.

Ainsi, le travail sur le paysage peut permettrede contrer la banalisation généralisée par uneréinterprétation ambitieuse de l’histoire et dela géographie.

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Les quartiers anciens, animés tout au long de la journée du fait de la mixité entre industrie et habitat, ont été remplacés par des ensembles de bureaux quine s’égayent qu’aux heures d‘entréeet de sortie des employés (Seine-Saint-Denis).

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Les ensembles d’habitats individuels grou-pés qui se construisent dans les terri-toires périurbains prennent des formes

variées. Les lotissements d’avant et d’immédiataprès-guerre ont façonné les banlieuespavillonnaires sur une trame viaire et un décou-page parcellaire réguliers. Après 1960, les opé-rations groupées, parfois de taille importante,ont été l’occasion de tester des modèles de pro-duction résidentielle (économie d’échelle parla multiplication de modèles uniques depavillons), et des formes urbaines nouvelles(aménagement en chandelier, impasses…). Lesopérations récentes sont plus petites, plusciblées, s’insèrent dans un tissu urbain consti-tué, mais sont aussi de plus en plus nombreusesdans les territoires ruraux.Ce tissu résidentiel, dans ses diverses formes,crée bien un paysage, un paysage ordinairecomme on peut le qualifier, attaché à sa condi-tion d’espace de franges, de périphérie en deve-nir.

L’enclavement résidentiel et la tentation du paysage appropriéEn observant ces secteurs pavillonnaires, ilapparaît que 40 % de leur surface est occupéepar des ensembles de forme enclavée, c’est-à-dire retournés sur eux-mêmes. Cet enclavementamène à s’interroger sur la prise en compte (oula valorisation) des paysages.Ces secteurs sont configurés à partir desmodèles viaires de l’impasse, de la boucle oude la raquette, un principe de composition et

de fonctionnement qui permet de créer unevoirie de desserte à l’usage exclusif des rési-dents. De fait, à part les résidents eux-mêmesou leurs visiteurs, aucun autre usager n’a de rai-son de se présenter ou d’arpenter ces réseauxde voiries. La taille des ensembles variant, l’en-clavement est plus ou moins prononcé. Quandils sont nombreux à se répartir sur un secteurmaillé, alors on obtient, par leur juxtaposition,des mini-quartiers à l’usage exclusif de leursrésidents. Mais quand ils sont desservis par unsystème viaire lui-même enclavé (souvent sousla forme d’une longue boucle, à laquelle se rac-crochent d’autres boucles, elles-mêmes desser-vant des dizaines d’impasses – c’est la dimen-sion fractale de l’enclavement), ils forment ungrand quartier à la perméabilité et à l’accessi-bilité très limitées, un paysage en soi, réservé etd’usage privé.Parallèlement, leur enclavement tient aussi àleur environnement immédiat. En particulier,les espaces naturels classés, protégés ou à faiblemutabilité représentent un potentiel de valori-sation en termes fonciers et immobiliers, parcequ’ils créent un écrin protecteur autour de larésidence. Dans les faits, ces espaces ouverts(quand ils sont publics) peuvent souffrir d’unedifficulté en matière de visibilité et d’accessi-bilité en raison de cette cohabitation avec desensembles de morphologies enclavées. Encause, on retient l’étendue de ces derniers, lesystème viaire difficile à lire, à pénétrer et à tra-verser pour les «étrangers » qui désirent s’y ren-dre. L’absence fréquente de traitement de l’in-

ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Paysage résidentialisé

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Le paysage se traverse, avec les yeux, à pied, en voiture ou en train. Les« lotissements » périurbains en Île-de-France sont à 40 % enclavés.D’usage privé et en dehors des axes traversant, cet enclavementrésidentiel pose-t-il question par rapport à l’idée de paysage?

Céline Loudier-MalgouyresIAU île-de-France

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Évolution des paysages

Certaines vues sur des élémentsmarquants du paysage, comme ici un clocher, peuvent être confisquées par l’implantation insuffisammentréfléchie de lotissementspavillonnaires (Yvelines).

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terface entre le tissu résidentiel et l’espaceouvert provoque, en outre, la confrontationentre ces deux paysages, où le moins ouvertempêche l’autre de l’être.

De l’utilité du paysage accessibleL’enclavement des ensembles résidentielsgénère des quartiers enclavés à l’usage exclusifde leurs résidents, donc un paysage inaccessi-ble pour les autres. Cet état apparait choquant,aujourd’hui où on revendique une ville pas-sante et ouverte, et pour l’accessibilité de tousau paysage. Pour autant, qui peut réellementdire que ces quartiers résidentiels périurbainssont comme les autres des lieux potentiels depromenade ou de flânerie (péri) urbaine ?Certes, on pourrait en attendre qu’ils permettentle passage, qu’on ne soit pas obligé d’en fairele tour, d’imaginer des détours. Mais, la volontéde n’être justement pas un lieu de passage, pourpouvoir laisser aller son enfant seul rendrevisite à son ami trois maisons plus loin (lepublic des familles avec jeunes enfants sembley trouver un milieu à son aise), pour pouvoirprofiter de son jardin au bruit familier du voi-sinage plutôt qu’à celui des voitures, est légi-time. La tranquillité résidentielle ne s’est jamaisaccommodée des nuisances d’un trafic routier.Ces formes sont donc adaptées à leur finalitérésidentielle. La vraie question concerne lataille de ces enclaves, et la proportion de terri-toire réservé et approprié par ces logiques habi-tantes.Par contre, les espaces ouverts, boisés et natu-rels, agricoles, subissent le fait d’être les cau-tions valorisantes de ces résidences, les rentesde site, et donc l’outil des intérêts résidentiels.Quand ils sont publics, leur dimension d’intérêtcommunautaire devrait les rendre visibles etaccessibles à tous.

La gestion conservatrice des intérêtsrésidentielsLa forme enclavée qui garantit l’exclusivité del’usage du quartier et la contiguïté immédiateavec des espaces naturels qui servent d’écrinà la résidence représentent une situation rela-tivement fragile. Ce paysage, s’il veut perdurer,doit être protégé. On s’aperçoit alors que c’estpresque à travers les stratégies gestionnairesque le paysage ordinaire se protège le mieux.Les associations de copropriété sont chargéesde la gestion de ces espaces résidentiels, visantprincipalement à assurer l’entretien desespaces et des équipements communs. Selonla personnalité de leur président(e), elles s’en-gagent aussi dans une action « politique » exté-rieure visant à promouvoir et à défendre lesintérêts de la résidence. Elles se prononcentnotamment sur le devenir des espaces environ-

nants : sur les projets de développement, ladéfense de l’environnement, le classement desespaces naturels, etc. C’est une gestion conser-vatrice, qui vise à maintenir le paysage que lesrésidents se sont symboliquement approprié,un paysage devenu résidentiel.Ces positions rencontrent parfois les objectifsde communes engagées dans une politique de«protection communale». Motivée par l’inquié-tude sous-jacente que des biens communscomme un paysage de valeur ou un cadre devie de qualité ne peuvent résister au nombreet à un usage collectif trop important, ellesentrent dans des logiques « malthusiennes » etsélectives. Elles cherchent ainsi à garantirl’usage exclusif de certains de leurs biens,notamment paysagers, à leur population rési-dente. C’est le phénomène de « clubbisation »des communes périurbaines (Charmes, 2011).

Équilibrer les intérêts en présenceLa question posée par ces formes périurbaineset leur gestion est celle de l’appropriation dupaysage par des intérêts résidentiels et de sonaccessibilité. Mais faut-il réellement juger ceslogiques résidentielles comme des volontés deprivatisation ou d’accaparement d’un biencommun que serait le paysage ? Il faut d’abordmesurer les conséquences réelles de ceslogiques d’appropriation, puisque finalement,tout en privant ces paysages ordinaires d’êtredes espaces traversant et traversables, elles par-ticipent néanmoins à protéger les espaces natu-rels qui les entourent. Il s’agit ensuite d’organi-ser l’action collective de production dupaysage et d’accorder les intérêts, les aspira-tions et les forces à l’œuvre – entre un modede vie axé sur la maison individuelle, une offreimmobilière produite par les logiques du mar-ché, et une politique communale dont le déve-loppement est aussi régi par des politiquessupra-communales. C’est peut-être là un desrôles du paysagiste.

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Références bibliographiques

• CHARMES Éric, La Ville émiettée. Essai sur la clubbisation de lavie urbaine, collection La Ville en débat, Puf, 2011.

• LE GOIX Renaud, CALLEN Delphine, Gated Communities. SocialSustainability in Contemporary and Historical Gateddevelopments, sous la direction de Samer Bagaeen et OlaUduku, 2010.

• LOUDIER-MALGOUYRES Céline, L’Enclavement et la fermeture desensembles d’habitat individuel. Première approche à partir desaspects morphologiques en Île-de-France, IAU îdF,octobre 2010.

Les observatoires photographiques du paysageLes séries de photographies, présentéesdans ces trois articles (p. 22 à 27), sontextraites de ces observatoires.Le ministère de l’Environnement a engagéen octobre 1991, à la suite d’unecommunication en conseil des ministresdu 22 novembre 1989, la création del’observatoire photographique du paysage.L’outil observatoire a pour objectif de« constituer un fonds de sériesphotographiques qui permette d’analyserles mécanismes et les facteurs detransformations des espaces ainsi que les rôles des différents acteurs qui en sontla cause de façon à orienter favorablementl’évolution du paysage ».Pour cela, les services de l’État associésaux collectivités territoriales et auxautorités compétentes créent, sur unterritoire donné, avec l’aide d’unprofessionnel de la photographie, unitinéraire photographique. Ce parcoursvirtuel dans le paysage naît de la rencontreentre les attentes de la maîtrise d’ouvrageet du projet artistique du photographe.Afin de constituer des sériesphotographiques, cet itinéraire va être re-photographié dans le temps. C’est la gestion du projet qui, si elle estsystématique et rigoureuse, donnera la matière nécessaire pour une mise envaleur et une exploitation de l’itinéraire.Ainsi, l’observation régulière, méthodiquedu paysage devient un précieux vecteur de discussion et d’éclairage, et un atoutdéterminant pour la prise de décision. Elledonne en effet à voir, à travers cet espaceque nous partageons, l’urgence,l’importance et quelquefois la difficultédes choix que nous devons poser.

D’après l’introduction de l’ouvrage piloté par Jean-François Seguin et Élise Soufflet-Leclerc,

Méthode de l'observatoire photographique du paysage, ministère de l'Écologie,

de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, 2008

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Paysages ordinaires et paysages remarqua-bles : cette dualité fabriquée fonde l’atti-tude vis-à-vis des paysages, en faisant

diverger l’évolution de territoires artificielle-ment séparés. Les territoires remarquables sont constitués par les parties historiques descentres-ville, les territoires protégés et labelliséstels que les parcs naturels ou les espaces àcaractère pittoresque ou mémoriel. Ils ne sontpas actuellement appelés à évoluer profondé-ment dans leur morphologie. L’action publiquevis-à-vis de ces territoires remarquables suit soncours. Leur gestion est maintenant de natureessentiellement conservatoire. Leurs habitants,leur fréquentation et leurs usages changent enmême temps que la modification structurelleet fonctionnelle des villes, mais la dynamiquede leur configuration et de leur apparence sem-ble à peu près maîtrisée.Au contraire, l’avenir des espaces ordinaires seprofile généralement sans projet affirmé, a for-tiori sans préoccupation du devenir de leurspaysages. Il s’agit de la plus grande partie duterritoire que l’on peut répartir en trois types :les alentours des centres historiques et les fau-bourgs en ville dense ; les territoires périurbainsaux franges, entre ville et campagne ; enfin, lesterritoires ruraux, souvent considérés à tortcomme vides par les urbanistes. Les dyna-miques de ces territoires ordinaires sont trèsvariées. Certains restent complètement à l’écart,comme en situation d’attente. D’autres sont bru-talement métamorphosés. On trouve aussi desespaces qui évoluent doucement, sans à-coups.

Or ces espaces ordinaires sont les principauxlieux d’habitation, de travail, de loisir. C’est aussilà que s’opèrent les mutations les plus specta-culaires. Ces changements profonds ne peuventpas se faire sans regard lucide, sans attituderéflexive, sans volonté d’infléchissement desévolutions jugées indésirables.

Le déni des paysages ordinaires : une tendance culturelle lourde?Un constat nous interpelle : les dispositions juri-diques françaises et internationales ainsi queles ouvrages issus de réflexions approfondiessur les paysages sont maintenant très nom-breux. Néanmoins, le paysage ordinaire reste leparent pauvre des préoccupations d’environ-nement. Quelques très belles réalisations loca-lisées, notamment des parcs et des jardinspublics, restent des exceptions.Un questionnement en découle. S’agit-il d’unsimple retard culturel ou d’une tendancelourde ? Ne serait-ce pas un cas effectif de nihi-lisme qui place rageusement l’utile au-dessusde l’art et de la pensée, ou d’une banalisationculturelle dans une société d’abondance oùtout se vaut s’il est consommé ? Le philosopheAlain Finkielkraut l’avait dénoncé en 1987 dansson livre La Défaite de la pensée.Ainsi, par exemple, comment ne pas s’interrogerdevant les affirmations paradoxales, régulière-ment formulées par les pouvoirs publics et les

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Paysages ordinaires

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De manière à peine simplificatrice, on peut dire que l’attitude majoritairevis-à-vis des paysages est manichéenne.D’un côté, on vénère des paysages jugésprestigieux. De l’autre, on évite de parlerdes paysages plus ordinaires,considérant qu’ils relèvent du subjectifet que les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Sur le terrain, cette dualité se traduit par une nappede paysages évoluant à vau-l’eauponctuée d’enclaves privilégiées.

Serge Martin(1)

Conservatoire national des arts et métiers

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Le paysage, du projet à la réalité

Évolution des paysages

(1) Serge Martin est professeur associé au Conservatoirenational des arts et métiers.

Ces deux photos (ci-dessus et page suivante) montrent un paysage complètementtransformé (Belgique). La disparition des peupliers adulteset du corps de ferme offre désormais au regard la vallée dans son ensemble. Certaines grandes lignes qui structurent le paysageperdurent, soulignées par de nouveaux alignements d’arbres.Un nouveau paysage se crée.

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collectivités territoriales, qui justifient lesatteintes aux paysages par des préoccupationsenvironnementales? L’implantation d’éoliennesen territoire rural en est une illustration saisis-sante. Ceux qui critiquent le bouleversementdes paysages par ces nouveaux équipementsse retrouvent accusés d’être anti-environne-ment, anti-progrès et sont comparés aux oppo-sants de jadis à la construction de la tour Eiffel.

Le paysage : une création sociale chargée de sensLe paysage est toujours porteur de sens, qu’ilsoit issu d’un projet délibéré ou seulement lerésultat d’actions disparates. Même devenu illi-sible et incompréhensible dans des situationsde dégradation extrême, un paysage reste la tra-duction visuelle d’un aménagement chaotique.« Le paysage est une réalité culturelle car il estnon seulement le résultat du labeur humain,mais aussi objet d’observation, voire deconsommation » écrivait Jean-Robert Pitte en1983 dans Histoire du paysage français. Il y aacte social de création d’un paysage non seu-lement dans sa réalisation ou sa modificationmais aussi dans le regard que l’on porte sur lui.Les paysages remarquables labellisés et proté-gés par les pouvoirs publics imposent à chacunun respect non négociable. Les paysages ordi-naires offrent, au contraire, une liberté de per-ception qui laisse les individus face à eux-mêmes.Or,qu’elles soient formulées clairement ou bienqu’elles restent tues, voire inconscientes, les sen-sations produites par les paysages ordinairesparticipent au quotidien de chacun. Ellescontribuent inévitablement à l’idée que l’on sefait de l’espace géographique et de la sociétédans lesquels on vit et de la place qu’on y tient.Les références culturelles et personnellesfaçonnent les regards portés sur les paysagesordinaires. Mais le même paysage est aussiperçu différemment par un individu selon sonfonctionnement dominant du moment. Ainsil’urbaniste et sociologue François Ascher dansson livre La société évolue, la politique aussi, aqualifié l’homme contemporain «d’hypertexte»pour exprimer sa capacité à être « de plus enplus socialement multi-appartenant ou pluriel ».Au cours d’une seule journée, l’homme hyper-texte passe à plusieurs reprises d’une logiqueà une autre. Les paysages qu’il traverse quoti-diennement peuvent alors tout aussi bienconstituer pour lui des points d’ancrage psy-chologiques que revêtir des significations fluc-tuant au gré de son état d’esprit.Ainsi aurait-on tort de renvoyer les paysagesordinaires au rang de questions secondairesn’intéressant que quelques esthètes. Ils sont par-

tie intégrante de la vie de chacun et reflet per-manent du fonctionnement de la société.

La production et l’évolution des paysages ordinairesEn dehors des catastrophes naturelles excep-tionnelles et des territoires qui, laissés à eux-mêmes, évoluent au rythme des successionsécologiques, les mutations qui affectent les pay-sages ordinaires sont le résultat, délibéré ounon, de décisions multiples relevant d’unegrande variété d’acteurs de l’aménagement del’espace : les habitants ou, d’une manière pluslarge, les personnes amenées à fréquenter leslieux, les élus, les pouvoirs publics, les agricul-teurs, les sylviculteurs, les bâtisseurs et tous lesautres opérateurs économiques qui utilisent leslieux pour y développer leurs activités.On doit se demander si dans la société actuelle,compte tenu de son organisation, des projetscollectifs de paysage peuvent émerger. En par-ticulier, les règles et les procédures actuelles del’urbanisme et de l’aménagement du territoirefavorisent-elles de telles dynamiques ? Maispeut-être le paysage bâti est-il aujourd’huiessentiellement dicté aux opérateurs immo -biliers par les injonctions des modes et du marché ? Si tel est le cas, quelles en sont les conséquences ?

Nous conclurons en nous demandant siaujourd’hui les paysages ordinaires sont plutôtsources de cohésion sociale ou inversementobjets de conflits et de clivages. Peut-être ladeuxième situation explique-t-elle en partie ledéni des paysages ordinaires par nombre d’ac-teurs de l’aménagement du territoire qui pré-fèrent éluder la question d’un projet de paysageà intégrer la gestion d’aspirations contrastées.

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Reprographier les paysages flamands en transformationLes images de cet article illustrent latransformation du paysage flamand,principalement sous l’action del’agriculture. Elles sont extraites de troisséries de photos. La première fait partie d’une centaine de photos réalisées de 1904 à 1911 par le botaniste Jean Massart de sa propre initiative dansle contexte d’une recherche scientifique,croisant biologie et esthétisme. La deuxième série de 1980, qui n’est pasprésentée ici, est l’œuvre du photographeGeorges Charlier pour le compte du jardinbotanique national de Belgique, désireusede montrer la dévalorisation progressivedes paysages naturels du pays. La dernièrephoto ci-dessous a été exécutée par le photographe Jan Kempenaers à la demande de l’Institut flamandd’architecture, sur proposition del’université de Gand, propriétaire des droitsdu fonds photographiques de JeanMassart. Le pas de temps entre lapremière et la dernière série, d’un siècle,met en lumière l’aspect temporel et évolutif des paysages.

D’après Bruno Notteboom, Uyttenhove Pieter,Reprographier les paysages flamands

en transformation, 1904-2004, Les carnets du paysage, Actes sud et ENSP, 2005

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Le paysage est inhérent à de nombreusesthématiques : patrimoine, nature, eau,aménagement. La direction régionale et

interdépartementale de l’environnement et del’énergie (Driee), en charge de la mise enœuvre de la politique de paysage de l’État enÎle-de-France, travaille avec les services dépar-tementaux des ministères en charge de cesdomaines, le réseau des paysagistes-conseils,les partenaires locaux, l’ONF, et, pour les sitesclassés et inscrits, les architectes des bâtimentsde France (ABF) du ministère de la Culture. Elledéveloppe cette politique à travers quatre axesimbriqués : la connaissance, le changement cul-turel, la protection des paysages remarquables,le paysage dans les projets et la planification.

La connaissance, vers la nécessité d’une meilleure appropriationLa connaissance passe essentiellement par lesatlas de paysage. Des études intéressantes ontégalement été réalisées par le passé sur les pay-sages de la région et de certains départements.Trois atlas départementaux(2) des paysages ontété édités, et la rédaction de celui des Hauts-de-Seine devrait démarrer dans les mois à venir.Certains restent encore réticents : l’atlas estperçu, pas forcément à tort, comme un docu-ment trop « universitaire », alors que se mani-feste le besoin d’un outil opérationnel en vuede définir des démarches concrètes (plans depaysage par exemple). Élaborés collectivement,mais bien souvent par des experts, leur appro-priation pose question. D’autant que la conven-

tion européenne du paysage le définit commeperçu par les populations. Alors, comment pren-dre en compte les «perceptions sociales»? Ellesseraient une condition sine qua non pour quetout le monde s’y reconnaisse. L’administrationcentrale du ministère de l’Écologie travailleactuellement sur ces questions. Il faut recon-naître aussi que l’utilisation des atlas de pay-sage n’est pas aisée et qu’ils sont, pour l’instant,peu diffusés. Par exemple, seul celui de la Seine-et-Marne est en ligne sur le site du conseil géné-ral. Des réflexions sont en cours pour favoriserleur valorisation et améliorer leur interactivité.Si les services de l’État en ont l’utilité dans lesprocédures d’avis et de conseils, l’apport desatlas, mais aussi d’autres éléments permettantune meilleure connaissance du paysage, auxdocuments d’urbanisme doit également pro-gresser : un mode d’emploi reste à trouver.

Un changement culturel amorcé mais à poursuivreLa prise de conscience des enjeux paysagersest très variable. La confusion est fréquenteentre paysagiste-concepteur(3) et entreprise depaysage, mais aussi entre paysage et nature. Parailleurs, la question du paysage se limite sou-

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L’État et la préservation du paysage francilien

Vallée de Chauvry (Val-d’Oise), site classé le 7 octobre 1994.

La politique du paysage menée par l’État vise à «préserver durablementla diversité des paysages français ».L’État n’est qu’un des acteurs du paysage et ne peut intervenir le plus souvent qu’indirectement.Comment peut-il alors agir efficacementface aux enjeux? Quels axes de travailprivilégier ? Un regard, un peu distancié,vous est proposé sur quatre axes de travail portés par l’État en matière de paysage francilien.

Jean-Luc Cabrit(1)

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Le paysage, du projet à la réalité

Évolution des actions

(1) Paysagiste DPLG, chef du pôle paysage et sites de la direc-tion régionale et interdépartementale de l’environnementet de l’énergie d’Île-de-France.(2) Dans les Yvelines, en Seine-et-Marne et dans le Val-d’Oise.Voir l’encadré page suivante.(3) Appelé architecte-paysagiste (landscape architect) danstous les autres pays.

Les atlas départementaux franciliensL’atlas des pays et paysages des Yvelines,premier du genre en France, a été éditépar le CAUE en 1992 et va bientôt êtreréactualisé. Celui de la Seine-et-Marne a été édité fin 2007 par le conseil général,qui a aussi réalisé avec la directionrégionale de l’environnement (Diren) un complément d’étude sur l’approchepaysagère des secteurs urbains. L’atlas despaysages du Val-d’Oise, achevé en 2010,s’appuie sur la présentation pédagogiqued’un bloc-diagramme par unité paysagère.

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vent à un rôle de plantations décoratives enaccompagnement de projets fonctionnels. Lepaysage sert aussi de caution pour faire passercertains projets… Une éducation au paysagereste nécessaire. L’État s’investit dans ce sens.Des journées d’information et de sensibilisationdu public (journées du paysage) sont organi-sées dans certains départements, avec le sou-tien financier ou la présence de l’État. Il fautencourager ces journées, et les amplifier auniveau régional. Par ailleurs, des manifestationssont consacrées au paysage et au travail despaysagistes-concepteurs dans le cadre des jour-nées du patrimoine ou des jardins, et un travailde sensibilisation considérable est fait sur leterrain par les CAUE, les PNR, les collectivités.Les services de l’État s’organisent pour une for-mation tant interne qu’à destination des agentsde l’État en région. Enfin, l’État s’entoure de pay-sagiste-conseils, professionnels libéraux. Sou-cieuse de s’investir davantage dans le domaine, la Driee a nommé récemment un chargé de mission paysage régional en charge de cesquestions.

La protection des paysagesremarquables, la mission principaleC’est la principale politique de la Driee enmatière de paysage. Souvent confondus avecles Monuments historiques ou les espaces boi-sés classés des PLU, les sites classés ou inscritsont été créés en 1906 et développés par la loide 1930. Cette loi s’attache à protéger les sites« dont la conservation ou la préservation d’unpoint de vue pittoresque, historique, scienti-fique, artistique ou légendaire présente un inté-rêt général ». Elle crée les commissions des siteset distingue, sur le modèle des Monuments his-toriques, deux niveaux de protection : le site ins-crit et le site classé. Le contrôle du respect decette réglementation s’appuie sur les inspec-teurs des sites, mais cette politique de protec-tion ne serait rien sans les architectes des bâti-ments de France (ABF), qui y sont fortementimpliqués.L’Île-de-France constitue un cas un peu à parten matière de sites. Elle comporte aujourd’hui252 sites classés et 239 sites inscrits, couvrantrespectivement 99 000 ha et 152 000 ha, soit 8 %et 13 % de la surface de la région. Ces chiffressont à comparer avec ceux du territoire natio-nal : 1,3 % du territoire est classé, et 2,7 % sontinscrits. On peut s’interroger sur les raisonsd’une telle profusion : l’Île-de-France comporteà première vue peu de sites d’exception, à partles boucles de la Seine à l’aval de Paris, ou laforêt de Fontainebleau. Mais elle abrite 20 % dela population française sur 2 % du territoire : onimagine tout de suite la pression qui s’exercesur les sites. Certains vont jusqu’à penser qu’il

y en a trop, ou souhaiteraient les considérercomme des réserves foncières pour grands projets, logements et infrastructures diverses…Notons qu’à partir de 1975 sont classés degrands ensembles paysagers, essentiellementdes vallées. Sur une centaine de sites classésdepuis, une trentaine de vallées ont été proté-gées, allant de 440 ha (vallée du Loing) àpresque 7 000 ha (vallée de l’Orvanne). Cesensembles pourraient paraître assez banals s’ilsétaient situés ailleurs qu’en Île-de-France : leConseil d’État leur reconnaît cependant unevaleur remarquable relative, du fait de leurrareté et de la pression urbaine à laquelle ilssont soumis. Mais l’Île-de-France brille par unpatrimoine majeur de parcs, domaines et pers-pectives de châteaux, ainsi que de propriétéset de jardins (105 sites sur les 252 classés). Ilreste à lancer une politique de valorisation etde découverte du patrimoine paysager. Un étatdes lieux, réalisé entre 2000 et 2003, a permisun travail considérable d’inventaire et de docu-mentation, d’une analyse critique de l’état deconservation et d’entretien des sites. La liste dessites à classer fait l’objet d’une mise à jourpériodique dans chaque région. La dernière, en2006, montre qu’il existe encore des sites trèsbeaux, à protéger pour les générations futures.En matière de gestion, on distingue le site ins-crit, sorte de mise sous surveillance (pouvantaboutir, si besoin est, au classement), et le siteclassé, qui est une protection très forte. La loiprévoit en effet que les paysages du site classéne peuvent être ni détruits, ni modifiés « dansleur état ou leur aspect», sans autorisation préa-lable. Cette mise sous cloche, pertinente auxdébuts de la loi, est aujourd’hui complexe àgérer, face à l’urbanisation croissante et audéveloppement des sites en nombre et en sur-face. La pression économique est forte sur lesinspecteurs, les ABF et les commissions dessites, parfois contraintes d’arbitrer entre protec-tion des paysages et développement, ce quin’est pas leurs rôles. Les inspecteurs des siteset ABF assermentés sont habilités à établir desconstats d’infraction, sous l’autorité du procu-reur de la République. La pratique reste néan-moins marginale en Île-de-France.Face à cette gestion dossier par dossier, l’Étatessaie de mettre en place des documents degestion partagée. Plusieurs sont réalisés ou encours de réalisation : la vallée de la Juine, laplaine de Versailles, la plaine de la Jonction, leparc Pic à Vanves, le parc Rothschild à Bou-logne, la division Théry à Vaucresson. Ils restentpeu nombreux tant la concertation est longueet lourde à mettre en place.

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Parc forestier de Sevran et ses abords (Seine-Saint-Denis),site classé le 21 avril 1994.

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Le paysage dans la législationLa politique du paysage s’appuie sur un ensemble de textes dont les principauxsont : la loi de 1930 sur les monumentsnaturels et les sites, la loi de 1976 sur la protection de la nature, la loi de 1993dite loi paysage, et la conventioneuropéenne du paysage de 2000, qui propose une définition partagée du paysage et sert aujourd’hui de cadre à l’action de l’État.

Parc et château de Chamarande(Essonne), site classé le 9 juin 1977.

Vallées des rus de la Brosse et de la Gondoire (Seine-et-Marne),site classé le 14 septembre 1990.

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Le paysage dans les projets et la planification, une intégration fractionnéeLe paysage se fabrique au quotidien. Au-delàdu regard changeant que l’on porte sur lui, ilse transforme du fait des constructions, desinfrastructures, de la végétation. Chaque projetcontribue à renforcer son identité ou à le des-tructurer. Outre la sensibilisation des différentsacteurs, l’État peut améliorer la prise en comptedu paysage dès l’élaboration des documentsd’urbanisme. Les enjeux sont portés à laconnaissance des collectivités dans le cadrede l’association de l’État aux documents d’ur-banisme, par l’intermédiaire du porter àconnaissance. Il faut aussi sensibiliser les élussur les conditions d’élaboration de ces docu-ments par des bureaux d’études souvent malpayés, et tentés de « faire du PLU à la chaîne »,faute de cahier des charges précis.L’État, par l’instauration des études d’impactpour les grands projets (loi de 1976 sur la pro-tection de l’environnement) et du volet paysa-ger du permis de construire (loi paysage de

1993), essaie de faire prendre en compte l’in-sertion paysagère des bâtiments et des infra-structures. Leurs impacts restent toutefois limi-tés, du fait d’une vision à l’échelle de « l’objet »et d’un manque de cohérence avec le territoireélargi. L’évaluation environnementale pourraitdonner une impulsion importante à la prise encompte du paysage, parmi, il est vrai, de nom-breuses autres thématiques.La maîtrise de la publicité est un enjeu impor-tant suivi par les directions départementalesdes territoires (DDT), auxquelles la Drieeapporte un appui, juridique ou ciblé sur desactions hors agglomération, sous forme d’inter-ventions groupées. La nouvelle réglementationde la publicité accroissant la responsabilité desélus locaux, des actions de sensibilisation sontà prévoir.L’apparition de «nouveaux objets » dans le pay-sage pose à nouveau le problème de leur inser-tion. Des réflexions ont été lancées à l’échellerégionale sur l’acceptabilité des éoliennes dansle paysage francilien. D’autres réflexions sonten cours, sur le photovoltaïque, sur la trameverte et bleue ou sur la problématique desdépôts de déchets inertes qui s’accumulentsous forme de « merlons paysagers ». Sur cepoint, la DDT de Seine-et-Marne et l’École dupaysage de Versailles ont apporté d’intéres-santes réflexions, encore à poursuivre.Compétence partagée entre l’État et la Région,les parcs naturels régionaux (PNR), au nombrede quatre(4) en Île-de-France, participent active-ment à la valorisation des paysages franciliens.Ils montrent l’exemple par leur politique active,selon les quatre axes portés par l’État enmatière de paysage : les chartes paysagèrescommunales et intercommunales sur laconnaissance, les conseils au quotidien poursensibiliser les élus et les particuliers, une pro-tection accrue par l’application de la charte etde nombreuses réalisations par leur soutienfinancier et technique. Ils s’engagent dans lesuivi des transformations de nos paysages enappliquant la méthode des observatoires pho-tographiques du paysage, mis en place depuis1989 par le ministère de l’Environnement. L’Île-de-France comporte cinq observatoires de pay-sages, dont deux initiés(5) par un PNR, mais uneaction coordonnée reste à lancer pour donnerplus de lisibilité à cet outil d’évaluation.

(4) Du plus ancien au plus récent : le PNR de la Haute valléede Chevreuse (1985), du Vexin français (1995), du Gâtinaisfrançais (1999) et Oise - Pays-de-France (2004).(5) Il existe un troisième observatoire des paysages dans lePNR du Gâtinais français, non référencé par le ministère encharge de l’environnement.

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ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Évolution des actions

L’État et la préservation du paysage francilien

Webographie

• http://www.driee.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/

Falaises de la Roche-Guyon et forêt de Moisson

(Val-d’Oise et Yvelines), site classé le 16 juillet 1990.

Paysage du PNR du Vexin français(Val-d’Oise et Yvelines), site inscrit le 19 juin 1972.

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Le 20 octobre 2010, le Conseil de l’Europecélébrait à Florence l’anniversaire del’ouverture à la signature de ses États

membres de la convention européenne du pay-sage. En dix ans seulement, ce texte destiné àpromouvoir la protection, la gestion et l’amé-nagement des paysages européens a su éveillerl’intérêt des gouvernements, ainsi que le rappe-lait alors Gabriella Battainai-Dragoni, directricegénérale de l’éducation, de la culture et dupatrimoine, de la jeunesse et du sport. Cetteconvention est signée par trente-huit des qua-rante-sept États membres du Conseil de l’Eu-rope, trente-trois l’ont ratifiée. Son influence afranchi les frontières de l’Europe. Elle a inspirédes pays non membres du Conseil de l’Europeet sert d’exemple sur d’autres continents. Cer-tains aspirent à reprendre ses principes auniveau mondial.

L’inscription d’un nouveau bien communLa convention européenne du paysage a modi-fié profondément la vision du territoire et desa gestion. L’approche technique et politique asubi une révolution copernicienne. À l’inversedes politiques antérieures, patrimoniales et pro-tectrices, définies par les seuls experts à lademande du seul maître d’ouvrage, le texte pro-pose une vision évolutive du paysage qui prendsa source et sa valeur dans le regard des habi-tants. Il englobe l’ensemble des composantes,matérielles et immatérielles, qui font l’espacede vie des populations. Il ne s’agit plus de jux-taposer des éléments physiques remarquables

mais d’avoir une approche holistique, qu’ellesoit d’échelle paneuropéenne ou locale, liée àl’ensemble des ressources et des besoins de lavie humaine. Il s’agit d’un « bien commun d’in-térêt collectif ».

Des actions et des mécanismes incitatifsLa convention européenne du paysage doit sonsuccès à cinq types d’éléments moteurs :1• Un engagement national solennel, à travers

la signature et la ratification du traité.2• Des outils de mise en œuvre théoriques,

méthodologiques et pratiques, contenus dansles annexes de la convention(2), qui ont pourcaractéristique première de ne pas être nor-matifs mais de laisser chaque État responsa-ble de sa propre politique, libre de définir lui-même ses objectifs de qualité paysagère.

3• Une assistance technique et scientifiquemutuelle fondée sur la constitution d’unebase de données commune, accessible surle site web du Conseil de l’Europe(3), et l’or-ganisation d’ateliers périodiques internatio-naux sur des problématiques partagées.

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Le paysage, dans le sillage des droits de l’homme

Un exemple de diversité des paysages de l’Europe(Roumanie).

Anne-Marie Chavanon(1)

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La convention européenne du paysageest le premier traité internationalconsacré à l’ensemble des dimensionsdu paysage européen. En peu de temps, elle a modifié la vision du territoire. Elle donne au paysage la valeur d’un bien public commun,d’une ressource indissociable du respect des droits humains. Elle gomme les frontières politiques et culturelles, faisant du citoyenl’acteur référent de son cadre de vie.

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Le paysage, du projet à la réalité

Évolution des actions

(1) Anne-Marie Chavanon est également présidente de lacommission du développement territorial durable de laconférence des OING du Conseil de l’Europe, et membre dujury du prix européen du paysage (éditions 2009 et 2011).(2) Orientations pour la mise en œuvre de la convention euro-péenne du paysage, recommandation CM/REC(2008)3., ducomité des ministres aux États membres.(3) http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/heritage/Land-scape/default_fr.asp. Voir aussi http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-Convention-Europeenne-du.html

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4• Une invitation permanente à l’éducation auxvaleurs du paysage. Les organes de suivi dela convention engagent les parties à sensibi-liser la société civile, les organisations privéeset les autorités publiques à la valeur des pay-sages, à leur rôle et à leur transformation.Avec l’aide conjuguée des États et des ONG,ils encouragent la formation des profession-nels et des associations. Ils souhaitent quesoient promus «des enseignements scolaireset universitaires abordant, dans les disciplinesintéressées, les valeurs attachées au paysageet les questions relatives à sa protection, à sagestion et à son aménagement ».

5• Un nouvel outil de sensibilisation efficace :le prix du paysage du Conseil de l’Europe.Institué par le traité, ce prix est, en soi, un outilpédagogique à effet multiplicateur : les Étatscréent de plus en plus des prix nationauxadossés à la convention européenne du pay-sage afin de présenter la candidature de leurlauréat au prix européen. Il en résulte unematurité croissante de la perception desdimensions du paysage, telles que les pro-meut la convention.

Un vecteur de démocratie et de protection des droits de l’hommeL’aspect novateur le plus frappant de cetteconvention est, indéniablement, la place don-née au citoyen au regard des principes défen-dus par le Conseil de l’Europe, que sont ladémocratie, les droits de l’homme et l’état dedroit.À la suite des conventions de Rio et d’Aarhus,la convention de Florence apporte une contri-bution éminente au développement de ladémocratie. De la définition du paysage à sagestion, l’habitant est, en effet, associé à chaqueétape du processus de décision.La convention est plus éloquente encore auregard des droits de l’homme. Ayant pour objetde réagir aux transformations que subissent lesterritoires, elle invite les États à « reconnaîtrejuridiquement le paysage en tant que compo-sante essentielle du cadre de vie des popula-tions, expression de la diversité de leur patri-moine commun culturel et naturel, etfondement de leur identité » (art. 5a). Ainsi au-delà de l’esthétique du cadre de vie, de l’har-monie légitimement recherchée, ce sontaujourd’hui les conditions de vie essentiellesdes habitants qui sont prises en compte, au pre-mier rang desquelles le droit à la sécurité. Laprotection et la restauration des écosystèmes,la réduction des pollutions et des menacesengendrées par les risques naturels et indus-triels, la salubrité de l’habitat sont des élémentsclé. Le paysage des experts fait place à celuides usagers.

La « demande sociale de paysage », analyséepar Yves Luginbühl, l’un des experts à l’originedes concepts de la convention, répond à cesattentes multiples, à la fois esthétiques, cultu-relles, économiques, sociales et environnemen-tales. Des attentes qui devraient être, pour laplupart, des droits inaliénables.

Un outil promoteur de cohésion socialeToutefois, ces droits humains de deuxièmegénération sont nécessairement assortis de res-ponsabilités pour chacun des acteurs du pay-sage. C’est là, paradoxalement, un ferment decohésion sociale car celle-ci n’est, en effet, pos-sible que si chacun est responsabilisé, en situa-tion d’interagir, sans culpabilité, sur un territoirenon stigmatisé.À cet égard, la convention européenne du pay-sage offre, à mes yeux, l’une des ouvertures lesplus prometteuses de l’action engagée à partirdu territoire. En effet, la mise en exergue d’unpaysage « tel que perçu par les habitants » vabien au-delà de l’écoute de « la parole habi-tante» et des principes de bonne gouvernance.Son approche, qui entend faire appel à « l’intel-ligence collective(4) », porte en germe la fusion,improbable dans d’autres secteurs, d’intérêtsparallèles, voire concurrents. Elle encourage larecherche d’une focale commune, inestimabledans un contexte multiculturel. Elle permetl’identification cohésive à un lieu acceptéparce que soudain valorisé. Ce dernier pointexplique le succès de chantiers conduits pardes paysagistes qui se veulent des «passeurs(5) »dans certaines zones urbaines sensibles. C’estnotamment le cas à Pau(6) et à Cenon, dans lesud-ouest de la France.

Enfin, cette possible fusion des énergies, mobi-lisable pour l’amélioration du cadre de vie,concourt à la création d’une «nouvelle culturedu paysage» prônée par la convention mise enplace par le Conseil de l’Europe, au nom de sesprincipes fondateurs.

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Le paysage, dans le sillage des droits de l’homme

Le prix européen du paysageBisannuel, il est remis par le secrétairegénéral du Conseil de l’Europe à descollectivités locales ou régionales, ou àune ONG proposée par un État ayant ratifiéla convention.

Règles d’attributionLe projet, un par État, doit être ouvert aupublic depuis au moins 3 ans et répondreà 4 critères :– le développement durable. Il doit

s’inscrire dans une politique globale et « faire preuve de qualitésenvironnementales, sociales,économiques, culturelles et esthétiquesdurables, s’opposer ou remédier auxdestructurations du paysage, contribuerà valoriser et développer le paysage,développer de nouvelles qualités » ;

– l’exemplarité. Il doit avoir une valeur de bonne pratique reproductible ;

– la participation du public. Il doit montrerune participation effective de tous les acteurs concernés ;

– la sensibilisation. Il doit sensibiliser lasociété civile, les organisations privéeset les autorités publiques à la valeur des paysages, à leur rôle et à leurtransformation.

Le jury international, composé de7 membres, adresse sa proposition au comité des ministres, organe exécutifdu Conseil de l’Europe. Lors de la premièreattribution du prix, en 2009,8 candidatures ont été soumises au jury(Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie,Slovénie, République Tchèque et Turquie).La France a vu sa proposition (le parc de la Deûle) primée. En 2011,14 candidatures ont été proposées.

(4) Jean-François Seguin, président de la conférence de laconvention européenne du paysage, représentant de laFrance.(5) Association Passeurs (Antoine Luginbühl et Rémy Ber-covitz), http://assopasseurs.blogspot.com/(6) Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru),agence Péna et Peña, projet parc-en-ciel, Pau, quartier duHameau.http://www.anru.fr/Pau-Quartier-du-Hameau-Les.html

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Le parc de la Deûle.

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Les Cahiers – C’est d’une lecture critiquedu Sdrif de 1994 que partait l’étude Les grands paysages d’Île-de-France.Que pensez-vous de l’évolution de ces paysages, en particulier celle desespaces-clés?Jacques Sgard – Les problèmes qui se posaientil y a 15 ans se posent toujours. La maréepavillonnaire continue de s’étendre, les zonesd’activités de se développer, les réseaux dedécouper l’espace. On peut trouver desréponses urbanistiques : un pavillonnaire quiconsomme moins d’espace, avec davantage delien social, des zones d’activités mieux traitées,des placards publicitaires moins agressifs, untraitement des coupures occasionnées par lesréseaux de communication. Mais ces réponsesne ménagent pas pour autant les grands ensem-bles paysagers qui constituent l’environnementde la ville, les continuités vertes si importantesparce qu’elles corrigent le morcellement duterritoire, donnent un sentiment de liberté etrendent la ville plus vivable.Ceci pose évidemment le problème récurrentdes limites de la ville. En 1930, Amsterdam sedotait d’un plan d’urbanisme qui fixait leslimites de son propre développement, et ceslimites n’ont pas tenu. On peut conduire ledéveloppement, mais difficilement le stopper,sauf obstacles naturels forts : mer, montagne, oureliefs infranchissables– obstacles que neconnaît pas la régionparisienne. Il faut doncque les grands espacespaysagers que l’onveut sauvegarderacquièrent cette force et que celle-ci soitdémontrée, en particulier dans la perspectivedu développement. Il faut aussi que le contactentre ces paysages et la ville soit traité. Parexemple, sur la plaine de Versailles, il y a telle-ment de protections qu’on réussit à délimiterla ville. Sur les hauteurs de l’Hautil, ultime avan-cée du Vexin dans l’ouest de l’agglomérationparisienne, il faut prendre en compte l’espacedans son ensemble, non seulement la forêt del’Hautil, mais aussi ses abords, les pentes, leslisières face à la ville nouvelle de Cergy. Parfoisles limites sont plus difficiles à définir, commedans le secteur des Trois Forêts, où les nappespavillonnaires s’étalent aux dépens des grandescultures. Limites également difficiles à argu-menter : entre Mantes et Rosny-sur-Seine, unefriche issue en particulier de l’exploitation des

sables semble dans l’esprit des élus promise àl’urbanisation, son aspect actuel ne militant pasen faveur de sa conservation… Une fois amé-nagée, elle peut constituer un espace de loisiret une coupure verte transversale par rapportà la vallée de la Seine, très remarquable dansune optique d’avenir.

L. C. – Certaines régions ont despolitiques de paysage. Peut-on avoir un projet sur le paysage à l’échellefrancilienne? Lequel?J. S. – Toutes les échelles sont pertinentes, etdans mon esprit, l’échelle régionale est essen-tielle. Un projet à l’échelle de la région c’est cequi a été amorcé de façon intéressante dans leprojet du Sdrif de 2008. De même, le travail faiten 1996, avec la définition des grands espacespaysagers ouverts pénétrant au cœur de l’ag-glomération, allait déjà dans ce sens. J’ai per-sonnellement mené un certain nombred’études à l’échelle de régions, dont certainesont débouché sur des orientations et directivesque l’on peut considérer comme formant unepolitique du paysage, en particulier dans lemassif vosgien, l’Alsace, et plus récemment enCausses-Cévennes dans le cadre de lademande d’inscription au patrimoine mondialde l’Unesco. En Seine-Saint-Denis, on m’avaitdemandé un atlas des paysages sur le départe-

ment, et j’ai proposéun projet. Trop d’atlasdes paysages sont plu-tôt des travaux de géo-graphie, très biendocumentés commeles grandes monogra-

phies régionales de géographes, mais ne débou-chant pas sur des projets. Un travail de paysa-giste doit être orienté vers le projet. Unpaysagiste a des convictions. Si on fait appel àlui, c’est pour qu’il donne son avis. On ne peutpas exiger de lui qu’il soit neutre.

L. C. – Le projet du Sdrif de 2008 a faitdes avancées dans le sens de vospréconisations. Pensez-vous qu’unepolitique régionale puisse influer sur ledevenir des paysages d’Île-de-France?J. S. – Mes travaux à l’échelon régional et leurdébouché me donnent à penser qu’une poli-tique régionale est possible, et qu’elle peut réel-lement influer sur le devenir des paysages d’Île-de-France. Mais il faut convaincre – et par-ticulièrement les élus –, puis engager à des

Jacques Sgard est architecte-paysagiste et urbaniste. Il estreconnu pour ses nombreuxparcs urbains et périurbains,dont le plus important reste leparc André Malraux à Nanterre.Il fut surtout un des pionniersdu grand paysage en France,par sa connaissance acquiseaux Pays-Bas dans les années1950. Ses nombreuses étudesde paysage régional couvrentdes domaines très différents :schémas directeurs,réaménagement de carrière,parcs naturels régionaux,aménagements routiers, frichesindustrielles, étude d’impactpour EDF, et tout récemmentdossier de candidature des Causses et des Cévennesau patrimoine mondial de l’Unesco. En 1996, il réalisepour le conseil régional l’étudeLes grands paysages d’Île-de-France : Document d’appui auxdémarches d’aménagement.Un regard à la fois rétrospectifsur ce travail et prospectif sur l’évolution des paysagesfranciliens lui a été demandé.

Vigny Annette, Jacques Sgard, paysagisteet urbaniste, Mardaga, 1995.

1994-2011, les limites de la ville encore en question

Interview

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Le paysage, du projet à la réalité

Évolution des actions

»On peut conduire le développement,mais pas le stopper, sauf obstacles

naturels forts : mer, montagne, qu’on n’a pas dans le Bassin parisien.

Il faut se les inventer soi-même. «

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échelles de plus en plus précises les processusde concertation. Il faut surtout révéler, démon-trer le potentiel des lieux en se projetant dansl’avenir, par exemple montrer la valeur « straté-gique » d’une continuité naturelle à ne pas sec-tionner ou d’un terrain à ne pas construire. Il ya là, pour les paysagistes, un défi important àrelever. La visite sur place des lieux avec lemaire et son équipe municipale est à ce pointde vue essentielle.

L. C. – Le champ d’étude des «grandspaysages d’Île-de-France» s’arrêtait auseuil de l’agglomération. Les travaux quevous avez menés vous ont-ils donné unautre regard sur le paysage urbain?J. S.– Je pense que les grands espaces paysa-gers qui forment le cadre de l’agglomérationdoivent trouver leur prolongement naturel danscelle-ci. Ceci n’est pas une démarche nouvelle ;je me souviens que lors de l’élaboration desSdau (schéma directeur d’aménagement etd’urbanisme), quelques schémas montraientcette préoccupation : par exemple le Sdaud’Angers, grâce au travail d’Yves Luginbühl etde Szuza Cros. J’en ai personnellement réaliséquelques-uns, par exemple dans le cadre duSdau de Lyon. La question posée était celle del’avenir des vallons de l’ouest lyonnais qui, enfriche avec quelques prairies et fermes, péné-traient profondément dans le tissu urbain,jusqu’à la Saône. Ils pouvaient constituer unlien remarquable, devenir supports de cheminsdesservant toutes les communes traversées,reliant les espaces ouverts au cœur de la ville.

Autre échelle, la Seine-Saint-Denis, où j’ai pro-posé, pour désenclaver les nombreux sites d’ha-bitation et lutter contre l’extraordinaire morcel-lement de l’espace par les réseaux divers, lacréation à l’échelle du département d’unetrame de circulations douces mettant en rela-tion les lieux de vie et les parcs, et les ouvrantsur les zones agricoles ou boisées à l’est. Dansce cas, il ne s’agit plus d’une « trame verte » ausens strict du mot mais de la mise en réseaudes lieux où peut s’exprimer sous différentesformes la vie de la collectivité hors descontraintes et nuisances habituelles.Contre-exemple, dans le secteur Masséna àParis, où je dirige un autre diplôme de l’ENSP.Malgré une belle architecture, rien n’est prévupour le piéton, pas de parvis, pas de placepublique ; simplement quelques espaces vertsséparés, et des espaces verts privés rendus inac-cessibles par une résidentialisation excessive.La maman avec sa poussette doit partout lon-ger la circulation. Le bord de la Seine, seulespace de respiration, est occupé par descimenteries et la cohabitation entre l’activité etla promenade, qui a fait l’objet d’études, n’estpas encore bien assurée. Les idées passent mal.Les architectes, les promoteurs, tout le mondereste dans ses schémas de pensée.Pour que les gens se sentent bien en ville, il fautqu’ils puissent, en sortant de chez eux, trouverdes lieux de promenade, de rencontre, decalme, des oasis. Les trames vertes et bleues doi-vent servir à cela.

Propos recueillis par Corinne Legenne et Pierre-Marie Tricaud

ComprendreLes Cahiers de l’IAU îdF

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Évolution des actions

1996-2011, les limites de la ville encore en question

Des enseignements, toujours d’actualitéEn 1996, Jacques Sgard a réalisé pourl’Iaurif l’étude Les grands paysages d’Île-de-France : Document d’appui auxdémarches d’aménagement. L’objectifétait de constituer un document deréférence des paysages d’Île-de-France, qui puisse servir d’appui aux démarchesd’aménagement, et plus spécialement auxdémarches locales dans le prolongementdu Sdrif de 1994. Il s’appuyait surl’identification de grandes unitéspaysagères et d’espaces-clés. Ces derniersconstituaient et constituent encore lapointe avancée des grands paysagesrégionaux pénétrant dans l’agglomération.Ils restent particulièrement menacés enraison des pressions qui s’exercent sur eux. L’étude de 1996 mettait en avantdeux principes :- pénétration des grands espaces ruraux

régionaux au cœur de l’agglomération ;- respiration de la ville ;et quatre pressions :- ruptures de continuité ;- asphyxie du domaine forestier

par la construction sur les lisières ;- consommation désordonnée

de l’espace ;- coupure par les équipements linéaires.Ces principes et pressions sont toujoursd’actualité.

Les paysages dans le projet du Sdrif 2008 : cohérence, patrimoine et identité régionale

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Si l’on veut rendre les études de paysage plus efficaces par rapport à leurs objectifs, il est utile de connaître les conditions du «passage à l’acte » : comment les outils de connaissance sont-ils mobilisés? Quel impact concret a eu chaque outil ? Comment passe-t-on de la réflexion à l’action, du dessin à la réalité?Des projets font apparaître ce lien. De dimensionssuffisamment vastes pour avoir un effet sur le paysage au-delà du lieu, ils peuvent être réalisés par un maîtred’ouvrage unique, mais aussi être gérés par des acteursmultiples, qui doivent trouver les moyens d’une gestioncommune.Ces projets doivent être considérés comme des lieuxd’expérimentation, porteurs d’enseignement pour d’autresterritoires, et non comme des lieux d’exception, mêmelorsqu’ils bénéficient d’une attention et de moyensparticuliers (parcs naturels régionaux, sites stratégiques,ceinture verte, espaces de forte valeur patrimoniale comme la plaine de Versailles…).Comment dépasser le périmètre du projet ? Une des manières est de révéler les caractères singuliersqu’on regroupe sous le nom de génie du lieu, de prendre en compte le temps long et le caractère évolutifd’un territoire, de mener une démarche paysagère qui intègre et fédère des projets épars antérieurs ou postérieurs.

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Le conseil général de Seine-et-Marne etles parcs naturels régionaux (PNR) duGâtinais français et du Vexin français ont

ressenti le besoin d’élaborer des études de pay-sage, un atlas pour le premier et des chartespaysagères pour les seconds, en vue de mieuxconnaître les éléments qui fondent la spécifi-cité de leur paysage et les partager avec lesacteurs. Dès leur conception, ces ouvragesdevaient être des références pour la connais-sance de ces territoires mais aussi pour la réa-lisation de projets concrets. Cela s’est traduitpar une exploration exhaustive de l’ensemblede leur périmètre d’actions, avec la même atten-tion quels que soient les statuts des différentspaysages rencontrés : pour le département enune seule fois pour élaborer l’atlas, et pour lesPNR un travail de longue haleine pour couvrirleur périmètre d’un pavage complet de chartespaysagères. Des éléments de description et desrecommandations pour l’intervention sur le ter-ritoire ont offert un éclairage sur les principauxenjeux, une indication sur les vigilances àobserver… Ces prescriptions sont reprises, pré-cisées et développées aussi bien dans des poli-tiques de paysage de grande échelle que dansdes projets d’aménagements destinés à faireévoluer le paysage pour de nouveaux usages.

L’atlas des paysages, nouveau socle de réflexions pour la direction des routesEn Seine-et-Marne, l’atlas des paysages, approu -vé en décembre 2007, a été réalisé conjointe-

ment par la direction des routes du conseilgénéral et le conseil d’architecture d’urba-nisme et de l’environnement (CAUE). Cettesituation pourrait sembler singulière ; elle révèletout simplement une réalité opérationnelle : ladirection des routes avait besoin d’un tel outil,elle s’est donc attelée à son élaboration. Aprèsquatre ans d’expériences, l’atlas des paysagesest bien le socle qui fonde la politique du pay-sage de la direction des routes, tant pour la réa-lisation d’aménagements routiers que pour laquestion plus stricte des seules dépendancesvertes, au premier chef desquelles une politiquevolontariste en faveur des alignements d’arbresen bord de route. L’atlas a établi très clairementcette structure végétale comme un motifmajeur des paysages. À ce titre, il conforte l’in-térêt et la nécessité d’une action ambitieusedans ce domaine et pose les principes tech-niques. Ainsi, le schéma des arbres d’aligne-ment est construit comme une déclinaisonlinéaire de l’atlas des paysages ; les routesconstituent autant de transects au travers desunités paysagères dont la connaissance permetd’affiner au plus juste l’implantation des aligne-ments. La visualisation des passages de la routed’un type de paysage à l’autre offre une pre-mière lecture des séquences de l’itinéraire. Celafait ainsi apparaître les grands axes aux carac-téristiques les plus constantes qui autoriserontla plantation de longues lignes d’arbres, imageemblématique du département et d’une grandepartie du Bassin parisien. À l’échelle de l’entitépaysagère, c’est l’intérêt local de l’alignement

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Des études de paysage, pour quoi faire?

Capsule d’observation des paysages, mise à la dispositiondes habitants sur le plateau de Mondeville-Videlles (Essonne).

Les études de paysage offrent à voirnos paysages, et posent les basesd’une culture commune pourcomprendre leur essence profonde.Pour que ces études ne restent paslettre morte, elles doivent être relayéespar des politiques de paysage et des actions. Un conseil général et deux parcs naturels régionauxprésentent leur savoir-faire dans la valorisation de la connaissancepar l’action.

Caroline BriandConseil général de Seine-et-Marne

Lucie Le ChaudelecPNR du Gâtinais français

Magali LaffondPNR du Vexin français

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Le paysage, du projet à la réalité

Le génie du lieu

Références bibliographiques

• Atlas des paysages de Seine-et-Marne,CG77, 2007.

• L’étude des paysages urbains, conseilgénéral de Seine-et-Marne, directionrégionale et interdépartementale del’environnement et de l’énergie d’Île deFrance – Équipe d’étude : Michèle Elsaïr,Michel Collin, Vue d’Ici, juin 2011

• Guide d’intégration des nouvellesconstructions dans les paysages duGâtinais français, PNR, Gâtinais français,2010.

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d’arbres qui est révélé : fait-il partie de l’identitédes lieux, peut-il ou doit-il en devenir un motifstructurant, quel rapport entretient-il avec le pla-teau agricole ou les lisières ? Ce sont ces infor-mations, délivrées à chaque échelle deréflexion, qui rendent l’atlas des paysages per-tinent pour une démarche qui s’attache à uneprogrammation d’actions spatialisées.Pour la création de nouvelles infrastructures,l’atlas est tout aussi performant. L’analyse com-parée de plusieurs tracés potentiels est facilitéepar la confrontation des fuseaux à la carte despaysages : la mise en évidence du nombre d’en-tités traversées, la position du tracé au sein del’entité (sur ses marges ou bien en position cen-trale) indiquent très rapidement l’impact de laroute sur le territoire. Sont ainsi discriminéesobjectivement les variantes envisagées. Puis,pour la définition d’un parti d’aménagement,la connaissance des entités concernées guidele paysagiste en lui indiquant les motifs paysa-gers en présence, lui livrant ainsi les clefs pourconstruire un projet équilibré.

L’atlas des paysages, comme médiateurpour l’élaboration de principesd’aménagements transversauxPour les espaces qui bénéficient d’une protec-tion réglementaire, tout projet d’aménagementest soumis à un examen très attentif de sesconséquences sur le territoire, poussant lesrequérants, alertés par le statut du site, à conce-voir dès le départ un projet plus soigné. Enrevanche, les paysages du quotidien, sans statut

particulier, sont livrés à la merci des porteursde projets. Pour ces lieux, l’atlas des paysagesest souvent le seul levier pour obtenir des pro-jets bien implantés et bien conçus. Cette ques-tion est particulièrement sensible en Seine-et-Marne où l’on voit se multiplier les Installationsde déchets inertes (Isdi) et les carrières. L’atlasdes paysages permet d’analyser le choix dessites avant d’agir. Il sert à dissuader l’autorisa-tion d’installer une Isdi en présence de l’échelleintime d’une clairière ou de la délicatesse d’unmouvement de sol par exemple. À l’inverse, onprivilégiera une entité dont l’identité est déjàcaractérisée par l’exploitation d’un gisementpour implanter une nouvelle carrière, plutôtque de bouleverser un paysage agricole lisibleet pérenne ailleurs.L’atlas renseigne donc sur la capacité du paysage à accueillir un nouveau projet. Enrevanche, il ne se substitue évidemment pas auconcepteur qui doit dessiner l’aménagement.Il livre des indications et surtout il incite àl’adaptation des propositions d’aménagementà chaque situation. Ainsi ne faut-il pas systéma-tiquement, pour intégrer un projet, le border surtoutes ses limites d’un écran boisé mais plutôtréfléchir aux nouvelles façades, aux nouvelleslignes, qu’il va proposer dans le paysage. Demême, la réhabilitation d’une gravière en zonehumide ne doit pas être la réponse unique etsystématique ; il est impératif de recomposer unpaysage qui conjugue prairies, bosquets, etespaces agricoles selon les règles d’organisa-tion de l’entité paysagère considérée.

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Extrait de la carte des paysages - Données paysagères 2000

Ozouer-le-Repos. Les vieux poiriersde Carisi signalent et ombragent la route départementale.

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La charte paysagère, outil pour des aménagements paysagersdans l’esprit des lieux.

La réhabilitation de la perspective du GrandRocher à Fleury-en-BièreLe parti d’aménagement s’est inspiré desrecommandations des chartes paysagères dela plaine de Bière et de la vallée de l’École :« Reconnaître les parcs et châteaux dans lesdocuments d’urbanisme, et les protéger en clas-sant les murs d’enceinte des grands domainesrepérés dans les cartes des entités paysagères.Sensibiliser les propriétaires, les informerlorsque l’enceinte est perceptible depuis le

domaine public. Respecter et restaurer autantque possible les perspectives extérieures desanciens domaines, lors de l’aménagement d’es-paces publics » (L 123-1§7).Le parc a contribué financièrement à la réali-sation des études et des travaux, pour une partmodeste, au regard de l’investissement global(10 %). Cependant, les éléments techniquescontenus dans les chartes et l’incitation àrecourir à un paysagiste, ont fortement aidé àl’émergence du projet. La concertation et l’in-vestissement des partenaires tels que le CAUEet le service territorial de l’architecture et dupatrimoine de la Seine-et-Marne ont été déter-minants pour sa qualité finale.

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Le génie du lieu

Des études de paysage, pour quoi faire?

Aménagement d’une aire de stationnement à proximité de la gare à SanteuilSuite à la charte paysagère réalisée sur la com-mune, plusieurs actions ont été mise en place,certaines réalisées dans le cadre d’un contratrural : valorisation du cœur de bourg, aména-gement d’un cimetière paysager et créationd’une aire de stationnement proche de la gare.Pour ce dernier projet, la charte paysagère aprécisé plusieurs points : la création d’un pointde stationnement proche de la gare pour inciterau quotidien les déplacements en train, l’intérêtde faciliter l’accès au parc naturel régional duVexin français par ce mode de transport (pointde départ de randonnée, signalisation), la miseen relation de la vallée de la Viosne et du villagepar un espace de promenade actuellement enprojet au-delà du parking.

La continuité de la maîtrise d’œuvre pour lacharte et les projets par le même bureaud’études a participé à la qualité du projet. Cettequalité tient dans la composition, la sobriétédes matériaux notamment par l’utilisation dubois pour délimiter les matériaux (stabilisé,engazonnement, plantations), la noue quiapporte une diversité de végétaux et fait échoà la rivière, le banc qui s’inscrit dans le carac-tère champêtre du lieu et invite à la rêverie enécoutant la Viosne.Les recommandations issues de ces étudesconfortent les paysages d’aujourd’hui tout enrendant explicite leur ancrage dans l’histoiredes paysages locaux, et permettent d’envisagerleur évolution dans un cadre cohérent qui res-pecte le caractère des lieux qu’il soit urbain ourural.

La charte paysagère de la plaine de Bière pointait (flèche verte) la valorisation de l’axe de perspective à Fleury.

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L’axe de perspective cadre à nouveau la vue vers le Grand Rocher, ainsi que des jeux pour enfants.

Le parking aménagé discrètement, offre un point d’accès à la gare et à la promenade le long de la Viosne.

Le plan d’action de la charte de Santeuil préconisait de mettre en relation le village et la Viosne au droit de la gare (point n°4 sur la carte).

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Depuis quelques millions d’années,l’homme est un bipède. Il regardedevant lui ou autour de lui et voit les

autres bipèdes, les murs de sa demeure, lesfaçades des autres demeures, les lisières et lesreliefs à l’horizon. Tous ces éléments verticauxtiennent plus de place dans son champ visuelque le sol de sa maison, de sa cour ou de sonpays, même jusqu’à l’horizon. Depuis quelquessiècles, au mieux quelques millénaires, il sepenche aussi sur le sol ou sur des tables pourtracer le plan de ses projets. C’est ainsi qu’ilconçoit ce qu’il veut fabriquer, à tel point qu’unplan est devenu au sens figuré synonyme deprojet. Mais tandis que certains conçoivent lemonde de demain en plan, tous continuent devoir celui d’aujourd’hui en élévation.Même ceux qui conçoivent le monde dedemain n’utilisent pas que le plan : la maquette,le dessin en élévation sont aussi anciens quece dernier ; la vue perspective se pratiquedepuis au moins cinq siècles ; et depuisquelques années, l’image de synthèse permetde créer des maquettes virtuelles et des pers-pectives sous tous les angles. Mais surtout, unprojet de bâtiment, de jardin, de ville, a toujoursété conçu d’abord in situ, les outils de repré-sentation n’étant que des auxiliaires. C’est ceque pratiquait Le Nôtre, discutant avec le roi,depuis la terrasse du château de Versailles, demême que les auteurs de jardins anglais, quivoulaient les faire ressembler à des tableaux.C’est cette méthode qu’employait JacquesSimon au début des années 1970, lorsqu’il pre-

nait lui-même les commandes d’un engin deterrassement pour modeler le parc Saint-JohnPerse à Reims ; c’est celle que retrouventaujourd’hui les disciples de ces grands paysa-gistes dont rend compte Bertrand Deladerrièredans ce numéro des Cahiers.Rien ne remplace la confrontation au réel pourpermettre au projet d’imaginer ce que l’onverra, en élévation et à distance. Inversement,pour les projets complexes qui sont souventceux d’aujourd’hui, cette confrontation ne dis-pense pas des outils de représentation, maiselle impose de les utiliser à bon escient. Lesnouveaux outils n’assurent pas automatique-ment cette confrontation. L’image de synthèsedonne des vues en trois dimensions, mais ellene gère pas encore bien la distance. Et mêmequand c’est le cas, encore faut-il créer lesimages qui montrent les points de vue perti-nents, savoir les observer et en tirer les ensei-gnements.Cette nécessaire prise en compte de ce quel’on voit dans la réalité, au-delà du plan seraillustrée ici par quatre thèmes : la ligne droiteet la tour, le merlon et le belvédère.

Une ligne droite sur un plan, c’est une perspective dans la réalitéPoursuivant une tradition attribuée à leur pays,les paysagistes et les urbanistes français aimenttracer des lignes droites. Mais, soit par igno-rance, soit par peur de ne pas paraîtremodernes, ils négligent souvent deux caracté-ristiques qui ont toujours accompagné les com-

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n° 159 - septembre 2011

Du plan à l’élévation

À Bordeaux, l’aménagement des quais de Garonne met en valeur, par un miroir d’eau et la perspective d’une allée, un point de repère de la ville, la basilique Saint-Michel.

Pierre-Marie TricaudCorinne Legenne

IAU Île-de-France

Le plan est utile pour avoir une visionsynthétique d’un projet, et ce d’autantplus que l’étendue de ce projet est grande. Mais il ne rend pas comptede ce que les usagers verront dans la réalité. D’où l’importanced’anticiper cette vision en élévation,que les nouveaux outils de visualisation peuvent faciliter, à condition toutefois de le leur demander.

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positions droites : la mise en perspective et lasymétrie. Non seulement dans le jardin à la fran-çaise, mais déjà dans les villas italiennes, et dujardin persan au Taj Mahal, d’Angkor à la Citéinterdite, l’axe rectiligne en perspective sur unmonument ou sur l’infini, a toujours impres-sionné, fasciné ou séduit. La symétrie est ren-forcée par la focalisation sur un point qui sem-ble à l’infini et par l’emboîtement des planssuccessifs. Quant à la symétrie, qu’elle soit celled’un bâtiment, d’un jardin ou d’une avenue, elleest un moyen efficace de faire exister cetteligne imaginaire bien plus puissante que n’im-porte quelle ligne matérielle : l’axe de symétrie.Tout objet placé dans cet axe (entrée, monu-ment) attire l’attention et règne sur l’ensemblede la composition. La symétrie n’est qu’unmoyen et, croyant qu’un certain académismeen avait fait une fin, le mouvement moderne ajugé bon de s’en affranchir.

L’oubli que la ligne droite fournit une perspec-tive conduit à des compositions magistrales enplan mais qui vont de nulle part à nulle part,où se trouve par hasard mis en valeur un objetqui ne le mérite pas, ou qui butent sur des obs-tacles imprévus, ou bien à la fermeture de pers-pectives existantes.

Une tour, c’est un point de repère qui n’est pas vu que des endroits prévusLe problème des immeubles de grande hauteurn’est pas lié à un défaut de conception en élé-vation: au contraire, c’est ainsi qu’ils sont le plusreprésentés avant d’être construits. Mais cesreprésentations sont le plus souvent celles dubâtiment isolé, ou dans son environnementimmédiat. Le souci de visualiser le projet dansson contexte devrait ici être étendu à un terri-toire beaucoup plus vaste. La tour Montpar-nasse a été étudiée pour être vue de la rue deRennes et du boulevard Edgar-Quinet, mais sasilhouette désaxée fait boiter la perspective duChamp-de-Mars.Il conviendrait aussi de s’interroger sur la signi-fication de la grande hauteur, et plus générale-ment de la mise en point de repère d’un bâti-ment. Dans la ville médiévale de la Chrétientéeuropéenne, ce sont les clochers qui sortent duvelum; de même les minarets et les dômes dansl’Orient musulman ; dans les États-nationsdepuis la Révolution française, les bâtimentspublics dominent la composition urbaine, soitpar la hauteur soit par la mise en perspective.Qu’est-ce qui domine la ville contemporaine ?Tantôt des tours d’habitat qui singularisent auhasard certains logements (et la mise en point

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n° 159 - septembre 2011

Le génie du lieu

Du plan à l’élévation

La tour proposée par l’agence Arep pour la future gare du Bourget

signale un bâtiment public, nœud de communications,

interface entre la ville et les réseaux, et s’installe

de la façon la plus classique à l’intersection d’axes droits

qui la mettent en perspective. Arep

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Les compositions contemporainesqui cherchent à mettre en valeur

un axe et une vue lointaineretrouvent naturellement

les principes de focalisation,d’emboîtement et de symétrie :

ainsi l’axe majeur à Cergy, ponctué par les sculptures

de Dani Karavan met en valeur la vue sur la boucle de l’Oise

et vers Paris.

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de repère n’a plus de sens), tantôt et surtoutdes tours de bureaux dont les plus visibles sontcelles des compagnies les plus influentes (etle sens est celui de la prise de pouvoir d’uneoligarchie marchande sur la chose publique).

Un mur ou un merlon sur un plan, c’est un horizon bouché dans la réalitéQue ce soit pour protéger du bruit, pour mas-quer volontairement une vue à des fins de sécu-rité, ou simplement pour disposer des terres enexcès, les murs, merlons, buttes et autres rem-blais envahissent le paysage, et surtout ses pre-miers plans. Petites causes, grands effets : untalus est si facile à tracer sur un plan, et il bou-leverse toute la perception d’un site. Les routesen remblai ferment la vue dans l’axe des val-lons ; celles en déblai en privent leurs usagers.Les buttes qui ornent le terre-plein central desronds-points empêchent d’appréhender l’en-semble du carrefour et d’anticiper les sorties.Et même « paysagés », les merlons confisquentle paysage ; celui-ci se ferme, l’horizon dispa-raît.La cause de cette fermeture n’est pas seule-ment la paresse du plan sans élévation : la plu-part des chantiers, d’infrastructure comme deconstruction, produisent plus de déblais quede remblais, et transporter la terre coûte cher.Mais la mise en dépôt sur place n’est pas tou-jours synonyme d’horizon bouché. Un projetconçu en trois dimensions – au lieu d’une zonehachurée sur un plan – peut permettre deménager les vues importantes, d’en restituerpar des belvédères, de relier les formes créées,de limiter les talus raides difficiles à entretenir.Ainsi les franchissements des infrastructuressont-ils de plus en plus accompagnés de talusadoucis, qui occupent toute l’emprise desdélaissés, notamment à l’intérieur des boucles.

Un belvédère ouvert, c’est un paysage reconquisVoir, c’est posséder. Yves Lacoste rappelle queles premiers à s’intéresser à la vision panora-mique ont été les militaires et que les points devue prisés aujourd’hui pour aménager des bel-védères touristiques l’ont été longtemps pourdes batteries, des forts ou des postes de surveil-lance. Donc donner à voir un espace au public,c’est permettre à celui-ci de se l’approprier. Unespace vu depuis un point fréquenté et appré-cié sera protégé par la vox populi plus sûrementque par bien des règlements – ou il le sera viades règlements efficaces dans la mesure où ilss’appuient sur une demande sociale.La relation avec les autres sujets traités ici, c’estque les projets d’ouverture au public de belvé-dères sont de ceux où le plan est du moindresecours. Ils ne sont pas non plus les plus diffi-

ciles à mettre en œuvre : on peut considérerque l’identification du point de vue et la déci-sion de l’ouvrir représentent la moitié du travail.Encore faut-il la décision de le réaliser, d’ôterles obstacles visuels (après avoir ôté les obsta-cles fonciers et financiers), et de l’aménagerpar un projet qui ne se contente pas de donnerà voir mais accomplisse l’autre moitié de latâche : la mise en valeur, l’encadrement desvues, l’aménagement d’un cadre immédiat quidonne envie de s’y arrêter.Plusieurs dizaines de points de vue, répartis surl’ensemble du territoire de l’agglomération,principalement situés sur les rebords des pla-teaux, aux cotes 100 mètres (Seine amont, rivegauche de la Marne, buttes de l’Aulnay et deRomainville, coteau d’Issy à Suresnes…) et150 mètres (plateaux de Marly, Clamart, Saclay),permettent de voir la métropole ou de largesparties et de saisir son ampleur. Ces belvédèresse répartissent sur plusieurs lignes de crêtecontinues, dont certaines font déjà l’objet deprojets de mise en valeur (Corniche des Fortsde l’est, parc des Hauteurs d’Issy à Suresnes, jar-din panoramique à Cachan…), notammentdans le cadre de Paris Métropole. La mise envaleur de ces belvédères et leur mise en réseauà l’échelle de la métropole pourraient être unvecteur d’identité commune.

Chacun de ces quatre sujets montre de mauvaiset de bons exemples de l’effet obtenu dans laréalité, par une vue en élévation, à partir de pro-jets conçus en plan : bons ou mauvais selonque le projet s’est contenté du plan ou a anti-cipé cette vue réelle.

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À la demande de la région Île-de-France, les remblais de la ligne à grande vitesseEst européenne ont été modelés de façon à raccorder en douceur la plateforme et ses franchissementsau terrain naturel.

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L’attachement aux belvédères peut se mesurer à l’émotionsuscitée par le projet de fairepasser l’A14 au pied de la terrassede Saint-Germain et à l’effacementde cette autoroute qui en a résulté.

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Un projet plus modeste, comme le jardin Serge-Gainsbourg, sur le Boulevard périphérique, a mis en valeur la vue lointaine offerte par cette ouverture.

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MichelAudouy –Quelle était lacommande?Serge Renaudie – Le maire d’Auxerre m’a dit :« Faites la ville à la campagne ». Derrière cettedemande, il y avait une volonté de faire mieux,différemment, de proposer un quartier où lanature serait très présente.

M. A. – Quels sont les grands principes duprojet? Comment appréhendez-vous lesite?S. R. – Je pensais qu’il était essentiel de préser-ver le terrain. Je suis parti de là avant de définirles zones où l’on pourrait bâtir. Il fallait exami-ner la morphologie du site, ses arbres et sesplantes, le tracé des chemins, les jardins déjà là,l’eau. Nous avions la volonté de garder des sen-tiers, de terrasser le moins possible. La situationdes bâtiments s’est effectuée selon ces critères.Ces principes ont permis d’asseoir le nouveauquartier autour d’un « vide » composé d’es-paces naturels et de jardins.L’eau a beaucoup guidé le projet : récupérer,restituer le fond du talweg, mettre en scène…Un document ancien nous informa qu’unesource, présente sur le site, avait alimentéAuxerre en eau potable depuis le XVIIe siècle, etque les canalisations avaient été détruites dansles années 1970. L’eau était omniprésente. J’ima-ginais qu’un ruisseau coulait à l’origine dansle creux du talweg. Il y avait aussi deux chê-naies, les restes d’une ancienne forêt, des élé-ments importants du paysage.

M. A. – La conception d’un nouveauquartier, c’est le travail d’une équipe.Comment se met-elle en place? Quelle a été votre mission?S. R. – Nous avons eu le soutien du maire etdu directeur de l’urbanisme. La premièreéquipe, c’est la mienne, enrichie par l’hydro-logue Christian Piel et un bureau d’études tech-niques. Des missions successives ont abouti àun schéma de référence. Quatre concours d’ar-chitectes ont été organisés par l’OPHLM sur labase de nos préconisations : un habitat indivi-duel superposé, des typologies intermédiairesentre le collectif et l’individuel. Parmi les règles,chaque maison ou immeuble doit récupérerles eaux pluviales sur sa parcelle.

M. A. – La mise en œuvre d’unécoquartier nécessite-t-elle une approchespécifique du chantier?S. R. – Nous avons tout calculé et dessiné, c’estla garantie du bon déroulement du chantier,mais les circonstances ont modifié le projet. Ila fallu s’adapter. La gestion des eaux de pluiea nécessité des études précises sur leur par-cours, la renaissance d’un ruisseau, et la réali-sation d’un étang, selon des approches fines.Les meilleures études techniques sont cellesqui permettent de réaliser des travaux avec desmatériaux et des mises en œuvre simples.L’eau surgit quelquefois là où on ne l’attendpas. Le passage des engins de chantier et lesterrassements ont provoqué des déplacementsdans l’écoulement des eaux de sous-sol. Endéviant provisoirement les écoulements pourpréparer les sols, les entreprises ont provoquéune nouvelle zone humide. Lors d’une visite,nous avons découvert des poules d’eau et descanards ; les engins ne les gênaient pas, ilss’étaient déjà approprié les lieux. Nous avonsmodifié nos plans pour la conserver.

M. A. – Comment abordez-vous la question du temps, du devenir des différents milieux créés?S. R. – Le projet a intégré la notion d’évolutiondès le début du chantier, notamment en asso-ciant les services des parcs et jardins. Nousavons restauré, ou créé des écosystèmes diffé-rents, en utilisant l’eau, en s’appuyant sur ladiversité de la végétation. Cela rend l’approchetrès différente de celles pratiquées dans lesespaces verts traditionnels. Les jardiniers sontdes gens compétents, mais formés à l’horticul-ture. Comme disait l’un d’entre eux : «vous nousdemandez d’entretenir ce que nous avonsappris à éradiquer pendant 30 ans». Il faut doncréussir à entraîner les jardiniers dans un travaild’enrichissement de leurs connaissances et deleur savoir-faire. […] Comment demander à unjardinier qui trône sur son énorme tondeused’en descendre pour faucher à la faux ? L’en-tretien du végétal est réalisé sur la base d’unegestion différenciée stricte, en fonction destypes d’usage et des fréquentations.

Serge Renaudie a appris àdépasser l’objet d’architecturepour concevoir le bâtiment dansun ensemble plus vaste que lui auprès de Jean Renaudieson père (connu notammentpour les « étoiles » d’Ivry et de Givors). En 1986, il créel’atelier d’architecture urbaine,la nécessité d’intervenir sur lessecteurs d’habitat social denses’impose à lui. À Saint-Dizier(Haute-Marne), il est nomméurbaniste chef de projet de laconvention Ville-Habitat, puis ilanime l’ensemble des actionsdu Grand projet de ville, de 1990 à 1999. À partir de1998, son activité se tourneprincipalement vers l’urbanismeet le paysage. En 2001, lacommunauté d’agglomérationPlaine Commune lui confie uneétude pour la programmation et la faisabilité d’un schémadirecteur pour le parc-canal. En 2004, il étudie, pourl’établissement public Plaine deFrance, le rôle de l’eau commeélément structurant de la trameurbaine. Son attachement à réunir paysage et urbanismele conduira à réaliser un écoquartier à Auxerre de 2002 à 2010. En 2007,l’atelier change d’appellation et devient : Ville paysage,concrétisant son engagement.

Les Brichères, un quartier aux sources

Interview

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Le rôle des jardiniers est transformé, élargi à lagestion des plantations spontanées. Leur pré-sence sur l’ensemble du site les met en situa-tion d’intervenir auprès des habitants pour leurapporter conseils dans la gestion de leurs pro-pres jardins, souvent dans les interfaces avecles espaces publics.Ce qui est frustrant, c’est que nous n’avons pasde mission pour poursuivre. Mais je garde unœil sur les lieux.Les phasages de travaux nécessitent parfoisplus de temps que celui des échéances finan-cières. Les engagements auprès de l’Anru com-portent des dates de déroulement des travauxqu’il est difficile de faire bouger. La continuitédans l’étude nécessite parfois, et même sou-vent, de passer de nouveaux contrats de maî-trise d’œuvre sur des sujets que l’étude en coursa fait apparaître. Les marchés publics l’interdi-sent […]. Que de temps perdu mais aussi quede complications. Il est impossible de détermi-ner exactement toutes les études qu’une maî-trise d’œuvre devra réaliser sur dix ans. Onretrouve les mêmes difficultés avec les marchéspassés avec les entreprises…

M. A. – Peut-on concevoir un écoquartiersans avoir recours à un vocabulaire vert,forcément «naturel»?S. R. – Je préfère le terme de quartier ; écoquar-tier c’est l’affichage d’une intention écologique,qu’on ne peut réduire au vert… Il y a le siteavec ses particularités – l’eau, les jardins fami-liaux, certaines pratiques – puis une interven-tion qui crée les conditions de l’installation etde la préservation d’un milieu naturel. La ques-tion du vert va avec cet ensemble. C’est un pro-jet du vivre ensemble qui instaure des relationsaux lieux et aux milieux, à travers les espacespublics, les parcours quotidien, le voisinage.L’idée d’une intégration de la nature dans laville n’est pas forcément la même pour tout lemonde et, au milieu de l’enthousiasme, appa-raissent parfois certaines réticences. Certainssouhaitent des prairies de plantes sauvages,d’autres rêvent d’un jardin parfait tiré au cor-deau, d’aucuns rejettent les insectes ou les ron-geurs […]. Quand la biodiversité est urbaine,les usages et les pratiques interfèrent fortement

sur les végétaux et la faune qui leur est asso-ciée. Le mélange nature-ville est complexe etdoit être utilisé avec subtilité, loin des déclara-tions puristes et sectaires.

M. A. – Quel bilan faites-vous de cette expérience? Y a-t-il une approchespécifique au paysage?S. R. – On nous demande de travailler dans ladentelle avec des budgets de grosse maille. Untel projet impose aux entreprises de respecterles arbres, les sols… alors qu’elles travaillentprincipalement sur les grandes infrastructuresavec un mode d’évaluation des coûts des tra-vaux qui repose sur la réduction de la massesalariale, ce qui nécessite que le chantierconcentre et réalise le plus vite possible les tra-vaux en utilisant les engins les plus lourds pourêtre le plus efficace. Or nous cherchons à utili-ser le moins possible des engins de chantier, àêtre le plus doux possible pour l’existant et àentretenir le geste du cantonnier qui travailleavec ce qu’il a sous la main : des cailloux, del’eau, du bois… et du temps […] Nous cher-chons à lier les interventions de manière à com-biner le terrassement, la mise en forme, l’amé-nagement puis les plantations et cela enavançant progressivement.

La nature en ville est un projet à inventer. Je faiscela pour que les gens puissent vivre ensemble,grâce à l’installation d’un milieu, d’un patri-moine naturel et paysager pour le long terme.Le paysage dépasse les échéances, tout com-mence à vivre dès la fin du chantier – contrai-rement à l’architecture. Pour les Brichères, onva plus loin que répondre à des besoins éner-gétiques, écologiques… Faire avec le paysage,c’est introduire l’aléatoire, initier des tempora-lités différentes ; c’est plus intéressant que l’ar-chitecture à cause de ça. Par exemple, nousavons créé des lieux différents, les gens redé-couvrent (inconsciemment) le contact à lanature, à l’histoire, ils le ressentent sans le for-muler, il n’y a pas ou peu d’équipements, ladiversité crée les usages.

Entretien réalisé par Michel Audouy(Fédération française du paysage)

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»Comment demander à un jardinier qui trône sur son énorme tondeused’en descendre pour faucherà la faux?«

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Photomontages d’une vue sur le vallon.

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Il y a le paysage que l’on voit à l’horizon etcelui où l’on vit, les espaces du quotidien.Les parcs et jardins publics sont de ceux-là,

indispensables dans la ville densifiée du piéton,du déplacement « lent ». Ces jardins peuventêtre un héritage, d’anciennes propriété privées,ou des opportunités foncières, occasionsoffertes par les délaissés de la ville, de l’indus-trie, des infrastructures. Quelle que soit l’origine,ces espaces ont des caractéristiques, des qua-lités ou des défauts par rapport aux usages pré-vus. Ils nécessitent un projet, qui sera suivi d’unchantier.

Dessiner le projet sur le terrainOn distingue plusieurs manières de faire : l’uneoù le travail en plan, avec dessins, montagesphotos, images numériques tient une placeimportante, primordiale même dans la prise dedécision et sa communication. Ces documentsaideront à élaborer le projet dans tous sesdétails d’exécution, à rester fidèle à l’imagedécidée en plan sur le terrain, images ensuitediffusées dans les revues de paysage.Et puis il y a l’autre manière, traditionnelle,ancienne, «naturelle », où l’on «dessine» le pro-jet sur le terrain, sans crayon, sans papier, endécidant, au fur et à mesure de leur découverte,du devenir de chacun des éléments rencontréssur le site. Un dessin « improvisé» : les outils sontceux du jardinier. Des vides sont créés en reti-rant, des pleins en ajoutant. L’anticipation duprojet se fait à l’œil, avec l’imaginaire, auquelon fait à nouveau confiance. C’est évidemment

un métier à acquérir par l’expérience. On peutse tromper, le résultat ne correspondantpresque jamais à l’effet espéré, soit en deçà soitau-delà.Le jardinage permet de changer, corriger le pro-jet jusqu’à sa forme définitive. Les retouchespeuvent durer des années, des décennies, peuimporte. L’idéal sera peut être atteint, mais ils’agit surtout de parvenir tout d’abord à uneforme acceptable, d’essayer de ne pas faire tropd’erreurs afin d’éviter de faire des choix « irré-versibles » (à échelle humaine…).Tout cela se montre mal, n’est pas «graphique»,est difficile à expliquer, à communiquer. Être honnête dans ce domaine, c’est évidem-ment se passer des belles images, c’est plutôtfaire appel à l’imagination, au courage, à laconfiance de la maîtrise d’ouvrage.Toute l’énergie sert à la réalisation, le temps estdonné au jardinage, à la réflexion « collée » àun modelé de sol, une nappe phréatique, desrochers affleurants, et non à la page blanche.

Jardiner, s’imprégner, partager…redécouvrir les savoir-faire du jardinDes étudiants de 4e année de l’École nationalesupérieure du paysage de Versailles, SamuelAuray, Geoffroy Burin, Antoine Ginesty, MaximeMaurice, ont voulu redessiner ainsi le parc dela mairie de Poigny, propriété aménagée au

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n° 159 - septembre 2011

Dessiner (ou non) avant d’agir?

Apprendre à regarder et à comprendre avant d’agir. Une petite leçon pour ces premiersvisiteurs, décembre 2010.

Deux façons de faire un jardin, travailleren plan, ou plus traditionnellement et naturellement, « dessiner » le projetsur le terrain, au gré des découvertes,des idées suggérées par l’existant. Des étudiants ont ainsi voulu redessinerle parc de la mairie de Poigny. Une telle économie de moyens tend à prouver que les coûts deconception, de travaux et d’entretiensur de nouveaux terrains, ne rendentpas ces projets chimériques.

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Le génie du lieu

(1) Bertrand Deladerrière est paysagiste au conseil d’archi-tecture, d’urbanisme et de l’environnement de Seine-et-Marne.

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XIXe siècle. Ils étaient solidement encadrés parOlivier Jacqmin, paysagiste DPLG(2) installé enSeine-et-Marne, enseignant, entrepreneur, et icijardinier, chef de chantier, la tronçonneuse enmain pour initier des ouvertures, des respira-tions… Ils ont fait quelques croquis, coupes,relevés de terrain, des documents de travailpour initiés. Ils ont surtout regardé, et jardiné ànouveau ce parc, abandonné dans les années1960. Le maire et son conseil municipal ont faitconfiance à l’équipe, en rappelant l’objectifvisé : « Il s’agit de créer un lieu de découverte,d’initiation à la faune et à la flore, à la préser-vation de notre environnement naturel où l’ar-bre joue un rôle majeur. L’arbre doit être misen valeur, l’arbre remarquable mais aussi l’arbreséculaire, témoin des générations, refuge, pro-tecteur, source d’énergie et de vie. Le parc per-mettra cette pédagogie ».Beaucoup de décisions ont façonné l’opéra-tion : des arbres à abattre, de la lumière à intro-duire, des éléments maçonnés à restaurer, unegrotte à dégager, des sentiers à ouvrir, des sous-bois à conforter, des lisières à construire, desclôtures à définir, et… à chaque fois desréponses précises, argumentées, et aussitôt réa-lisées. Des classes d’enfants ont été invitées àvoir ce qu’un arbre abattu raconte de sa vie.Les élus ont discuté sur le chantier, pris desoptions, vu la réalisation concrète de leurschoix. En quelques semaines, un parc, avecmobilier, a été ouvert au public. Il manque évi-demment ce que la vie apporte toujours, la sur-prise, l’imprévu, les désirs des habitants aprèsquelques saisons d’usage, les effets d’une tem-pête… Mais l’essentiel est là, pour longtemps,l’ombre, les lumières, le sol, des allées, deslimites, l’eau, une grotte, etc.Cette économie de moyens, cette facilité exem-plaire… Pour quoi faire et dans quel but ? laréponse est toute simple : démontrer qu’il fautcontinuer à acquérir des terrains, des proprié-tés, sans avoir la crainte que les budgets de tra-vaux et d’entretien ne rendent les projets irréa-listes… S’assurer que la ville dense aura lesmoyens d’être suffisamment verte, aérée. Toutcela n’a rien de nouveau, on a toujours su lefaire. Encore faut-il ne pas l’oublier au profitd’une lourdeur qui décourage de faire, etennuie souvent quand elle parvient à s’expri-mer.Dessiner en même temps que l’on fait… oudessiner et ne jamais faire (parce que lesmoyens ne le permettront pas). Les choix impo-sés par les budgets donneront la réponse à ce(faux) dilemme. Il restera alors la question del’enseignement, beaucoup plus difficile à régler.Il faudra que le dessin, l’image, redevienne cequ’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, uneaide, une prise de note, une intention, mais pas

une finalité. Quant à l’expérience du terrain, dif-ficile à acquérir, il lui faudra des occasions. Lacommune de Poigny l’a saisie et donnée. Sonparc peut aujourd’hui servir d’exemple en Île-de-France, donner l’envie de faire, préparer lesjardins de la ville habitable et proche. Plus loin,l’herbe n’est pas forcément plus verte… La sim-plicité des moyens permet et permettra la proxi-mité.

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Pour en savoir plus

Un film restitue ce chantier, disponiblegratuitement, ainsi qu’un documentintitulé Le jardin de nature et sestemporalités, publié en 2006. Les thèmesabordés sont : protéger, clore, parcourir,s’arrêter, comprendre, s’orienter, prévoir,attendre, durer.http://www.jardindenature-caue77.org/rubrique,sommaire,495567.html.

(2) Ce titre correspond à la formation en France à l’Écolenationale supérieure du paysage (Versailles, Bordeaux ouLille).

Quelques mois, de la bonne volonté, une observation aiguisée et des outils adaptés auront permis de redonner la vie à la nature et de montrer ce qu’il est possible de créerdurablement avec peu de moyens.

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En aval de Paris et jusqu’à l’embouchurede la Seine, de pinacles en falaises, lablancheur éblouissante de la craie à

silex émaille les coteaux. Elle caractérise cespaysages qui trouvent écho dans d’autrescontrées : falaises du pays de Caux, abrupts del’île de Wight et du Sussex, escarpements côtiersau Danemark. Cette formation géologique offre,dans le bassin anglo-parisien, un paysage rareà l’échelle planétaire.

Du territoire au paysageLe temps géologique est primordial : la sédi-mentation marine commencée à l’ère des pre-miers micro-organismes à coquille s’est accom-plie au long de centaines de millions d’années.Puis, pendant des millions d’années, lescontraintes tectoniques ont soulevé le plancherocéanique et formé des continents. Au coursde centaines de milliers d’années, ce socle aété sculpté par l’érosion hydraulique ou gla-ciaire au gré des fluctuations climatiques. Dansle Bassin parisien, en érodant la roche, la Seinea fait apparaître des falaises et a ainsi marquél’écoulement du temps, telle une colossale clep-sydre.Dès l’époque préhistorique, puis au cours destemps historiques, l’homme aborde le territoiresous un mode éminemment utilitaire. Il y ouvredes sentiers et prélève des ressources sylvestreset lithiques. Il le transforme par un travailagraire : champs semés sur les plateaux fertileset les plaines alluviales, pâtures et parcelles cul-tivées en lanière dans les coteaux. Il le marque

d’un sceau martial, dans la vallée de la Seinepar exemple, en creusant au XIe siècle une placeforte troglodytique dans la falaise de La Roche-Guyon puis, dès le siècle suivant, en y bâtissantun château rival de Château Gaillard édifié enaval, au seuil de la Normandie : la pierre tailléeen blocs de construction et élevée en litsordonnés transforme l’aspect de la vallée et lesens qui lui est attaché.En Occident, c’est à la Renaissance que leregard porté sur le territoire évolue et que lepaysage émerge(1). Le pays devient sujet picturalet est métamorphosé en paysage sous le pin-ceau des peintres : c’est ce qu’Alain Rogernomme artialisation. Au-delà du tableau, le ter-ritoire est transformé en retour. La création desparcs confiée aux jardiniers-paysagistes duXVIIIe siècle lui confère une nouvelle dimension:« le paysage est en même temps réalité et appa-rence de la réalité » comme le souligne Augus-tin Berque. Dès cette époque, des travaux suc-cessifs civilisent le château de La Roche-Guyonet un parc pittoresque comportant fabriques etgrottes de rocailles y est créé. Les pierres dudonjon écimé lors de la Révolution servent degisement de matériaux au village qui se trans-forme jusqu’à devenir, depuis un siècle et demi,un lieu de villégiature prisé par les bourgeoisde Paris. À la fin du XIXe siècle, les peintres quisortent des ateliers pour se rendre sur le motif,notamment les impressionnistes, cherchentardemment à restituer les couleurs des pay-

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Les temps géographiques et les temps des paysages

Succession de pinacles de craie qui ponctuent les coteaux de la Roche-Guyon.

Les falaises blanches de Møn au Danemark,

à l’autre extrémité du même massif de craie.

Nous vivons au présent, peu conscientsde l’épaisseur du temps écoulé qui a formé nos territoires, notre cadrede vie et le regard que nous portonssur eux. Or, ils sont en perpétuelleévolution. Celle-ci a commencé en des temps reculés et s’est exercéeau cours de périodes de longueursinégales. Un des enjeux actuels de la mise en valeur des paysages est de conjuguer ces temporalités. La vallée de la Seine aval illustre la réflexion.

François HuartJacques Lorain

Agence des espaces vertsFrançois Adam

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(1) Voir dans ce numéro l’article de Philippe Montillet, p.6.P.-M

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sages. La vallée de la Seine exerce sur eux uneattraction particulière. La lumière s’y réfléchitnon seulement sur la surface de l’eau maisaussi sur le blanc de la craie à vif : les couleurss’y révèlent intenses.

Les temps du paysage d’aujourd’huiAu XXe siècle, les dépôts de sable accumulés parla Seine dans sa vallée commencent à êtreexploités industriellement par des carriers. Leszones d’extraction ouvertes le long de ses rivesjusqu’alors agricoles les déstructurent. Le sitede La Roche-Guyon est classé au titre de la loidu 2 mai 1930 : le plateau à Chérence en 1978,puis l’ensemble des coteaux ainsi qu’une partiede la boucle alluviale de Moisson sur la riveopposée en 1990. La charte de paysage du parcnaturel du Vexin français (PNR), créé rive droiteen 1995, confirme ces orientations protectrices.L’agence des espaces verts intervient, au nomet pour le compte de la Région Île-de-France,par acquisition dans la boucle de Moisson dès1982 puis sur le plateau de La Roche-Guyon,dans les coteaux et leur cordon rivulaire à par-tir de 1987, en forêt de Rosny deux ans plus tardet dans la boucle de Guernes et l’île de Saint-Martin-la-Garenne depuis 1993. Plus de 3 700hectares sont couverts par des périmètres régio-naux d’intervention foncière (Prif) répartis surces deux boucles alluviales accouplées et, envis-à-vis, leurs coteaux et leurs plateaux boisés.Près de 2 300 hectares ont été acquis à ce jour.Il s’agit d’ouvrir ces forêts au public tout en met-tant en valeur le patrimoine témoignant de l’ex-traction de la pierre de Chérence (carrièresanciennes, loges de carriers, boves(2)) utiliséedans la construction de certains monumentsde Paris. Les pratiques agricoles modernes étantincompatibles avec une propriété foncière trèsmorcelée(3), un des enjeux est d’enrayer la fer-meture des paysages résultant de l’enfriche-ment spontané des coteaux et des boucles allu-viales. Un mode de gestion du lit majeur dufleuve par pâturage ou arrachage périodiquedes ligneux (tel qu’instauré dans le Prif de Mois-son) est nécessaire. Dans le cadre de conven-tions signées avec des propriétaires fonciers etd’un financement européen (programme Life),le PNR s’est engagé depuis 2003 dans une expé-rimentation de pâturage par un troupeau d’unecentaine d’ovins. Le site Natura 2000 des « bou-cles de Moisson, Guernes et forêt de Rosny » aété institué en 2006(4). La réserve naturelle natio-nale des « coteaux de la Seine », établie enmars 2009, sur 268 hectares de pelouses cal-caires presque entièrement contenus dans lePrif, vise des motifs de préservation de la bio-diversité(5). Il en est de même de la réserve natu-relle régionale de Moisson créée fin 2009 sur316 hectares.

En raison de la morphologie en méandres dela vallée de la Seine, une palette de tendancesclimatiques (océanique, continentale et médi-terranéenne) persiste, nécessitant une gestionadaptée pour mettre en valeur ces mésoclimatset leurs milieux associés. Pour l’AEV, l’enjeu dela biodiversité est à conjuguer à une réflexionpaysagère renouant avec l’histoire géologique.

Espace-temps, paysage-tempsLa fixation des paysages ne peut pas être unefinalité. Du reste, elle vacille dans un contextedu changement climatique. Or, les évolutionspaysagères redoutées ne signifient pas néces-sairement destruction mais ajout ou nouvellespratiques, c’est-à-dire « palimpseste » comme lesuggère Michel Conan notamment.Aujourd’hui, la pratique des paysages est mul-tiple. Elle est brève et récurrente lors dequelques heures de promenades de ressource-ment le week-end en forêt ou plus ample pen-dant quelques jours de randonnée à travers lacampagne. Elle peut être statique et contem-plative au gré d’une halte de quelques minutesau square de quartier ou à l’arrêt de l’autobus.Elle est cinétique depuis le train ou la voiture(6).Cette pluralité invite à concevoir dans les qua-tre dimensions l’action sur les paysages en sorteque les êtres humains retrouvent des repèrestemporels : les temps géologiques et les his-toires des sociétés humaines, le rythme circa-dien de l’obscurité nocturne et ses ciels étoilésalternant avec les heures diurnes, les saisonssuccessives, les temps de la croissance, de lamaturité et de la sénescence que manifestentherbes et arbres.

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Références bibliographiques

• BERQUE Augustin, Les raisons du paysage :de la Chine antique aux environnementsde synthèse, Hazan, 1995.

• CONAN Michel, «Éloge du palimpseste»,in Hypothèse pour une troisième nature,Bernard Lassus (dir.), Paris-Londres,Cercle Rivière-Dufresny/Coracle Press,1992.

• DUMONT-FILLON Nathalie, Les politiquespubliques de paysage et de patrimoine : unoutil de gestion des territoires. Le cas dumarais Vernier (Eure) et des coteaux de LaRoche-Guyon (Val d’Oise), thèse dedoctorat, ENGREF Paris/ENSP Versailles,2002.

• KALAORA Bernard, Le Musée vert ou letourisme en forêt : Naissance etdéveloppement d’un loisir urbain, le cas dela forêt de Fontainebleau, Anthropos &CNRS, 1981.

• ROGER Alain, Court traité du paysage,Gallimard, Bibliothèque des scienceshumaines, 1997.

(2) Caves troglodytiques.(3) 3 000 parcelles des coteaux appartiennent à environ 700propriétaires. Faute de droit de préemption des espaces natu-rels sensibles (ENS), l’AEV acquiert uniquement à l’amiable,donc lentement et de façon dispersée.(4) Créée à titre de zone de protection spéciale (ZPS). L’AEVen est l’opérateur. Son documents d’objectifs (Docob) a étéapprouvé en 2010.(5) Le PNR du Vexin français en a été désigné gestionnaire(6) Voir dans ce numéro l’article de Nicolas Laruelle, p.24.

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Coupe transversale de la vallée de Seine montrant les effets de l’ensoleillement sur la végétation.

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Lors de la révision de la charte du parcnaturel régional de la Haute Vallée deChevreuse, de nouveaux outils sont pré-

vus : des plans paysage et biodiversité. Ils ontpour objectifs d’aider les communes à intégrerla dimension paysagère et les enjeux de la bio-diversité dans leurs documents d’urbanisme etdans leurs aménagements.

Un outil né de l’expérience des partenairesL’expérience d’autres parcs révéla l’associationindispensable de la problématique paysagèreet environnementale avec un portage transver-sal entre les différentes missions du parc. Samise en œuvre demanda de définir des entitéspaysagères. Un atelier « paysage » réunit, en2008, le parc, le CAUE et la Diren autour dudécoupage des entités. Soucieux de proposerune méthode adaptée au territoire et à la trans-versalité entre paysage et biodiversité, le parccommanda en 2009 à l’École nationale supé-rieure du paysage de Versailles, un plan paysageet biodiversité expérimental sur le plateau deLimours. Cette expérience identifia trois grandsaxes d’amélioration : une meilleure articulationentre approche paysagère et environnemen-tale, un travail de sensibilisation sur les notionsde paysage et de biodiversité et une concerta-tion globale et soutenue à mettre en place. Pourla méthode de concertation, ce fut l’expériencedu parc du Livradois-Forez qui permit deconstruire une approche concrète de la concer-tation paysagère.

Un suivi partagé entre élus, techniciens et scientifiquesDès lors, avant le lancement d’une étude surl’entité paysagère des vallées de l’Yvette (et deses affluents), le président de la commissionurbanisme, habitat, paysage du parc présentala démarche aux élus et aux partenaires. À lasuite de cet échange, deux élus se sont portésvolontaires pour être porte-parole du territoiredes vallées de l’Yvette en suivant toutes lesétapes de l’étude. Ces élus référents participentà tous les niveaux de réunions et à toutes lesétapes décisionnelles. Cette implication aorienté l’étude vers un travail très opérationnelbasé sur la mise en place de plans-guides surdes secteurs clefs. Pour chaque plan-guide, deuxréunions avec les élus et les acteurs concernésont été nécessaires : une au démarrage pour semettre d’accord sur les enjeux du territoirezoomé, et une avant la formalisation pour vali-der les orientations du projet.Pour le suivi de l’étude, un Copil (comité depilotage) spécifique a été mis en place réunis-sant les élus des 16 communes concernées ettous les partenaires en lien avec les théma-tiques abordées. Différents appels au Copil ontété lancés pour faire adhérer chaque membreà la démarche. Ainsi, le Copil a proposé des sec-teurs clefs à étudier sous la forme de plans-guides et des thématiques sensibles qui ferontl’objet de réunions de travail spécifique. Afin

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Un avenir concerté pour le paysage

Animation avec une classe de CM1sur la lecture d’un paysage de leur commune.

Le paysage est l’affaire de tous. Élus, agriculteurs, artistes, enfants,randonneurs, habitants, gestionnaires,touristes… tous participent à sa construction par leur activité ou par leur mode de vie. La réussited’un projet de paysage repose donc sur l’implication de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur un territoire. Comment impliquerchacun des acteurs? Comment fédérer autour d’un projet de paysage?Comment aboutir à un projet partagé?

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(1) Laurence Renard est chargée de mission paysage au parcnaturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse.

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d’impliquer au mieux les membres du Copil,tous les éléments produits sont consultables surle site internet du parc.Parallèlement, le cahier des charges a été sou-mis au conseil scientifique. Deux chercheurs,en environnement et en paysage, ont été mis-sionnés pour analyser la validité scientifiquedes recommandations alliant la prise encompte du paysage et de la biodiversité, pourdégager les éléments transférables, identifier lesfaiblesses d’une telle méthode et proposer dessolutions pour y remédier.

Une écoute des acteurs du territoireSur le terrain, les missions paysage et environ-nement font le tour des communes. Il s’agit delocaliser, avec les élus, les points noirs paysa-gers, les secteurs stratégiques et les paysagesremarquables à préserver. Les enjeux commu-naux sont directement pris en compte dans leplan paysage et biodiversité. Parallèlement, lebureau d’études mène des interviews d’unedizaine de personnes ressources. Celles-ci doi-vent avoir une bonne connaissance du terri-toire tout en en ayant une certaine distance. Ils’agit de scientifiques naturalistes, d’artistes,d’historiens, d’agriculteurs, « d’anciens » et departenaires dans le domaine de l’aménage-ment. L’objectif de cette démarche est derecueillir une vision de « leur » paysage, de sesatouts, de ses faiblesses, des processus de trans-formation en cours, des opportunités, desrisques et des problèmes qu’elles y voient, desprojets d’aménagement portés ou désirés (ousubis) sur ce territoire. Lors de la finalisationdu plan paysage et biodiversité, le bureaud’études rencontrera les équipes municipalespour soumettre au débat les orientations spé-cifiques à chaque commune. Ces déclinaisonscommunales auront pour application l’alimen-tation des PLU et des opérations d’aménage-ment des communes.Afin de soutenir la démarche du plan paysageet biodiversité, le Parc et ses partenaires ont axéleur programmation culturelle sur le thème dupaysage sous l’intitulé « les saisons du paysage»,identifiable par un logo dans les différents supports de communication. Cette programma-tion réunit les différentes missions du parc, leCAUE 78, des associations, des écoles, desartistes, des agriculteurs, Saint-Quentin-en-Yve-lines… Il s’agit de randonnées, de projectionsde films, d’interventions artistiques, de sortiesdessin, de concours photographiques, d’expo-sitions, d’ateliers d’écriture, de débats… ayantpour ambition de faire naître une culture par-tagée du paysage. Deux milliers de personnesdevraient ainsi bénéficier de cette approcheconcrète du paysage au cours de l’année 2011.Un outil « Connaître, lire et dessiner son pay-

sage» a été créé et validé par l’Éducation natio-nale afin de permettre aux enseignants du pri-maire de monter un programme sur le paysagede leur commune. Dans ce cadre, une anima-tion d’une demi-journée est menée par le parcsur le terrain avec les dix classes volontaires.En complément, un article est écrit sur laméthode de lecture du paysage dans le journal,l’Écho du Parc, distribué à 51 000 foyers. Cettelarge sensibilisation a aussi pour objectif denourrir l’étude. Une sélection des productionsissues de ces animations sera intégrée dans leplan paysage et biodiversité ; dessins, peintures,poèmes, photographies… une façon de retrans-crire le regard de l’habitant.

Cet effort de concertation vise à définir un pro-jet de territoire partagé. L’intitulé de l’étudeannonçait déjà l’ambition d’un partage des cul-tures entre paysage et environnement. C’est àtravers cette concertation menée conjointe-ment entre les missions paysage et environne-ment du parc que le vocabulaire, les préoccu-pations, les orientations et les propositions sesont, petit à petit, adaptés. Les deux regards por-tés sur le territoire se complètent et définissent,à présent, un projet commun.

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Outil pour les enseignants du primaire pour un programme pédagogique sur le paysage.

Réunion avec les élus pour releversur carte les points noirs, les secteurs clefs et les paysages à préserver.

Soirée paysage organisée au débutde l’étude pour mettre en place

un dialogue et un regard critique.

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Cette vallée orientée vers l’ouest, choisieau XVIIe siècle comme le cadre natureld’un projet architectural exceptionnel,

est encore aujourd’hui un espace agricolecontinu entouré par l’urbanisation au nord, àl’est et au sud. Si les politiques de protectionont stoppé l’urbanisation galopante, la situationse dégrade néanmoins du fait du grignotageinsidieux des terres agricoles. Les réglementa-tions sont, de plus, souvent impuissantes faceaux tricheries. Le mitage prend le relais de l’ur-banisation. Les villes rejettent à leur périphérietout ce dont elles ne veulent pas : zones d’acti-vités, gens du voyage, stations d’épuration,dépôts d’ordures… La plaine de Versailles estface à un paradoxe. La partie non classée de laplaine est mieux préservée et mise en valeurpar la volonté des petites communes et deshabitants, que la partie classée proche de l’ag-glomération.

De la préservation stricte à une politique de gestionLes élus ont demandé que le classement dusite s’accompagne d’un document de gestion.Celui-ci a été élaboré par un cabinet d’étudeen près de dix ans. S’il donne des éléments deconnaissance approfondis, il présente cepen-dant la vision d’un expert sur la reconstitutiondu patrimoine sur le territoire. De fait, il consti-tue davantage un élément de référence qu’unprogramme opérationnel.Pendant ce temps, soutenus par le conseil régio-nal, les agriculteurs ont lancé une initiative de

consultation large afin de construire une stra-tégie de coopération entre agriculture et citépour la gestion de la qualité du vivant. Cet« audit patrimonial(2) » a fait émerger le besoinde reconnaissance d’un patrimoine communet le désir de se rencontrer. Une association aainsi été créée en 2004, composée de trois col-lèges (élus, agriculteurs et société civile) : l’as-sociation patrimoniale de la plaine de Versailleset du plateau des Alluets (APPVPA). Elle béné-ficie, depuis 2008, du programme d’appui auxterritoires agriurbains porté par le conseil régio-nal.Les projets Leader ont fait leur apparition enÎle-de-France en 2007. Leader est un outil euro-péen de développement rural fondé sur unestratégie de territoire ascendante et sur unereprésentation publique-privée par un comitélocal. Le projet Leader de la plaine de Versailles,dont le groupe d’action locale (GAL) est portépar l’APPVPA, a permis de définir une stratégiede développement, de recruter des perma-nents, puis de financer des actions proposéespar le collège des associatifs : guide de randon-nées, carte patrimoniale, signalétique d’entréede village… Plusieurs projets agricoles sont encours, fruit de la rencontre d’agriculteurs : farinede la plaine de Versailles, actions en faveur dela faune sauvage, signalétique d’interprétation

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n° 159 - septembre 2011

La plaine de Versailles «entre projet et réalité»

L’allée royale de Villepreux dans le prolongement de l’axehistorique du château, nouvel emblème de la plaine de Versailles?

La plaine de Versailles est un espaceintimement lié au château et à son parc,depuis le Grand Parc de Louis XIVjusqu’au classement d’un site de 2600 hectares dans les années 2000.Face à la volonté conservatrice de l’État, les agriculteurs ont lancé une initiative de développement durablefondée sur une stratégie alliant les élus et les habitants. Une association est néeen 2004 sur une plaine étendue jusqu’au plateau des Alluets et à la vallée de la Mauldre.

Marie de Naurois(1)

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(1) Marie de Naurois est animatrice du groupe d’actionlocale de la plaine de Versailles.(2) Selon la méthodologie définie par Henry Ollagnon, pro-fesseur et directeur de l’institut de stratégie patrimoniale àAgroParisTech.

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agricole, mise en réseau des producteurs devente directe, offre de services aux communes,charte paysagère, etc. Récemment, un grouped’élus s’est « attelé » à la promotion de « l’iden-tité de la plaine », par le biais d’une brochuredistribuée dans les boîtes aux lettres. Ces élussont convaincus qu’il ne pourra y avoir de ter-ritoire réel que si celui-ci est vécu par ses habi-tants. Une lente alchimie est à l’œuvre, alimen-tée par les rencontres des gens, permettant demieux se connaître pour monter des projetsensemble, et développer le sentiment d’appar-tenance à un territoire et à une même commu-nauté patrimoniale.Cette dynamique se heurte, néanmoins, àd‘autres tendances lourdes. La réforme des col-lectivités territoriales impose une logique« fonctionnelle» de territoire centrée autour desvilles. L’entité naturelle de la plaine de Versaillessera divisée en quatre ou cinq intercommuna-lités urbaines (en dehors d’une intercommu-nalité rurale en formation), et les efforts pour yconstruire une identité risquent d’être anéantis.Par ailleurs, les intercommunalités vont adopterle mode de gouvernance en vigueur en France,fondé sur une gestion collective, où la respon-sabilité de l’action est confiée à un tiers, consti-tué par la « collectivité ». Le mode participatifdes collectivités s’arrête souvent à la simpleconsultation sur la base d’un projet établi parla collectivité elle-même ou par un expert. Onest loin d’une action en commun construitepar tous les acteurs concernés.

Entre projet et réalité, les clefs du passage à l’actionLa difficulté est d’agir dans un espace aux mul-tiples enjeux. Un patrimoine a été reconnu pardes acteurs, allant de l’international au local.Comment le gérer ensemble de façon efficace?Plusieurs conditions peuvent être avancées :- reconnaître sur un espace donné l’existence

d’un « patrimoine local d’intérêt général » ;- engager une démarche stratégique impli-

quant tous les acteurs (notion de co-construc-tion) ;

- procurer des moyens d’animation.Comment orchestrer tout cela ? Aujourd’hui,une « institution patrimoniale » serait néces-saire, dans laquelle se retrouveraient tous cesacteurs. C’est pourquoi, l’APPVPA réfléchit à lacréation d’un groupement d’intérêt public(Gip), ce qui permettrait une implication plusforte des acteurs publics aux différents éche-lons concernés, tout en conservant celle desacteurs locaux. La réponse à la question poséepar l’IAU : « comment passer du projet à la réa-lité ?» pourrait ainsi être de passer «de la réalitéau projet » par le biais d’une politique facilita-trice.

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La réhabilitation de l’allée royale, menace ou projet commun ?L’allée royale de Villepreux est classée avec le château et le parc au « patrimoine mondial de l’humanité » parl’Unesco. Un projet de réhabilitation est en cours, piloté par la communauté d’agglomération de Versailles GrandParc. À l’ouest de l’autoroute A12, cette allée traverse des terres agricoles où elle n’est plus qu’un chemin rural. Leprojet de réhabilitation est perçu comme une menace pour des agriculteurs dont les terres s’amenuisent commepeau de chagrin. Pour devenir réalité, le projet aurait avantage à être construit par eux et avec d’éventuellesinnovations ou transformations(3). Ainsi, plutôt que de négocier une expropriation pour un projet prédéfini,pourquoi ne pas laisser les terres aux agriculteurs et leur donner le temps de trouver des solutions qui aient dusens pour eux (en lien avec l’agroforesterie par exemple) ? Et ce d’autant plus qu’il existe un groupementd’agriculteurs actif, qui innove pour une meilleure gestion des terres agricoles, de la faune sauvage et de l’éducation des promeneurs.Le but de la réhabilitation de l’allée serait alors de retrouver l’esprit d’un lien de la société à la nature (quesymbolisait le parc de Versailles), non pas en tant que loisir (et pouvoir) du roi, mais en signe de temps nouveauxde « gestion en patrimoine commun ».

(3) Tricaud Pierre-Marie, Conservation et transformation du patrimoine vivant, Institut d’urbanisme de Paris, 2010.

Le paysage du Grand Parc sous Louis XIV (XVIIe siècle).

Le même paysage aujourd’hui.

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Lors de l’atelier grands projets urbainsParis-Londres organisé par l’IAU îdF en2008, les experts anglais ont interpelé les

professionnels français présents au cours d’unevisite à pied de la Plaine Saint-Denis : « Vousavez des élus qui ont une vision à long terme,vous avez des outils d’aménagement publicque nous n’avons pas, comment pouvez-vousfaire des quartiers aussi mornes, sans repères,sans espaces majeurs autour desquels pourraits’organiser la vie civique ?(1)». L’année suivante, lors de l’atelier Paris-Rhin-Ruhr, les urbanistes allemands ont été frappéspar le caractère décousu de la banlieue deParis (« on va d’île en île, sans repères »), par lesdifficultés de coordination des projets et l’ab-sence de vision fédératrice(2).Ces remarques spontanées mettent le doigt surdes questions trop rarement au centre desdébats en Île-de-France : quelle forme de villeest-elle en train d’émerger des mutationsurbaines à l’œuvre dans la métropole, sur lesanciens territoires industriels ou le long descorridors routiers par exemple ? Peut-on tisserces morceaux de ville en un tout cohérent ?Comment travailler collectivement à la mise enforme du paysage métropolitain dans sesdimensions économiques, sociales, environne-mentales, culturelles ? Sur quels leviers agirpour un plus grand impact à l’échelle de lamétropole, faut-il réguler les constructions degrande hauteur à l’échelle métropolitaine? Har-moniser les règles d’urbanisme le long desgrandes voies ? Imaginer un programme de

requalification paysagère des axes routiers etferroviaires ? Coordonner la mise en valeur desberges de la Seine ? Mettre en œuvre une véri-table trame verte métropolitaine ? Améliorer laqualité des espaces du quotidien? Il y a matièreà débat, que des petits détours par l’étrangerpeuvent éclairer.La plupart des métropoles ont fait face dans ladernière décennie à des transformations plusou moins rapides, plus ou moins voulues, liéesà la globalisation de l’économie et à l’évolutiondes besoins sociaux. Quelles sont les formesqui émergent de ces mutations ? Qu’est-ce quiest détruit, construit, transformé ? Quels débatssuscitent ces changements ? Y-a-t-il ailleursvolonté d’agir sur la forme urbaine au-delà del’échelle des nouveaux quartiers ? Quels sontles instruments pour agir sur le paysage ? Pourrépondre à ces questions, un travail de fondserait indispensable. Ce court article se proposeseulement d’illustrer, par fragments, des ten-dances et des tensions qui peuvent trouver unécho dans les changements observés dans lamétropole parisienne.

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n° 159 - septembre 2011

Fragments de paysages de métropoles mutantes

Le quartier central d’affaires de Dubaï vu du 124e étage de la tour Burj Khalifa donnel’impression d’une sculpture de pierre géante qui émergerait du désert. Le bâtiment au centre de l’image ne fait «que» 88 étages.

Les paysages de la métropoleparisienne se transforment par fragments et par à-coups : une tour de bureaux par-ci, un nouveau quartier par-là, une avenuerequalifiée par un tramway plus loin, et un centre commercial dernier cri par là-bas. Mais qui se soucie du résultat global ? Qu’en est-il ailleursdans d’autres métropoles? Fragments de réponse en neuf tableaux.

Paul LecroartIAU île-de-France

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Le paysage, du projet à la réalité

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(1) Voir Lecroart Paul, Leçons de l’Atelier « grands projetsurbains Paris-Londres », IAU îdF, novembre 2008. www.iau-idf.fr/debats-enjeux/limpact-des-grands-projets-urbains/ate-lier-paris-londres-9-10-juin-2008.html(2) Bilan et perspectives. Que retenir des IBA et des Regionalesallemandes? IAU IdF. www.iau-idf.fr/debats-enjeux/limpact-des-grands-projets-urbains/atelier-paris-rhin-ruhr-5-10-juillet-2009/bilan-et-perspectives.html.

Une ville insoutenable jaillie du désert :DubaïDe par le monde jaillissent, du désert ou des tropiques, des villes devenues tropriches trop vite. Largement artificielles,spéculatives, elles manquent d’épaisseurhistorique et de patine, mais ont soif de se doter des signes apparents de lamodernité urbaine (autoroutes, gratte-ciels, emblèmes architecturaux) qu’ellesdéveloppent luxueusement à très grandeéchelle. Dubaï, qui se proclame « la ville laplus emblématique du monde », a hérisséson skyline de tours-signaux, depuis la tourBurj al-Arab jusqu’aux fameuses tours desÉmirats qui ferment l’avenue Sheik Zayed(à l’arrière-plan de la photo ci-dessus).Dans le quartier central de Dubaï, dont les tours sont pour partie occupéespar des bureaux, des rues restentinachevées, sans trottoirs, ni mêmechaussée parfois.

Shadrach Pilip-Florea, architecte-urbaniste

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Le début et la fin d’un modèle urbain?VancouverAvec son image de ville créative à l’urbanismedense tourné vers la marche à pied et les trans-ports publics, Vancouver est devenue une réfé-rence mondiale : Dallas, Abu Dhabi, les villeschinoises ont succombé aux charmes du van-couverisme. Depuis 1991, le centre-ville a étéradicalement transformé par la constructiond’ensembles de logements en minces toursd’une trentaine de niveaux assises sur un soclede petits immeubles qui établissent un lienavec la rue. Si Vancouver a pu développer unhabitat vertical sur d’anciens sites ferroviaireset industriels c’est parce que – comme Man-hattan à New York – c’est une presqu’île : lesimmeubles prennent leurs vues sur la baie. Sur-tout, elle a bénéficié de l’apport de capitaux deHong-Kong, de Chine et des retraités canadiens.

Cet urbanisme, en partie spéculatif, estaujourd’hui critiqué pour le déficit de bureauxet de vie urbaine qu’engendre une juxtaposi-tion répétitive de tours uniformes destinées àune population elle-même homogène. Unenjeu pour la ville et pour Metro Vancouver, l’as-sociation régionale qui porte le concept de« métropole vivable » sur laquelle la ville afondé sa stratégie.

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Gare de triage de la CanadianPacific Railroad, opération de reconversion résidentielle.

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En dix ans, les tours de logementpour ménages aisés ont poussédans le quartier de Beltown à Seattle. Chaque nouvelle tourdiminue la vue des précédentessur le lac.

Apprendre des favelas? RioSi l’on accepte de regarder autrement l’habitatinformel, omniprésent dans les métropoles duSud, on s’aperçoit qu’il n’a pas seulement desgraves déficiences, il a aussi des qualités qu’onaimerait trouver dans nos quartiers dits dura-bles. L’urbanisme organique des favelas de Rios’inscrit dans la trame du paysage, l’implanta-tion et l’étagement des constructions selon lerelief, avec la préservation de talwegs pourl’écoulement de l’eau, et des architectures quicombinent de manière remarquable singula-rité, diversité et unité d’ensemble. Les favelas

sont des quartiers denses, économes en éner-gie, où l’essentiel des déplacements est fait àpied ; ce sont aussi des lieux d’intense viesociale dans l’espace public. Depuis les années1990, la ville de Rio a changé de stratégie parson programme d’intégration urbaine des fave-las de Rio à l’horizon 2020. Avec l’appui du gou-vernement fédéral, elle régularise et améliorele quotidien dans les favelas, les habitants réin-vestissant à leur tour dans leur logement. Maisc’est à l’échelle métropolitaine que la questionse pose, avec l’apparition de nouvelles favelasen périphérie, à laquelle Rio Metropole n’estpas encore en mesure de répondre.

Transfert de droits à construire : à Seattle, le paysage urbain est un marchéComme beaucoup de villes américaines, Seat-tle a développé un système complexe de trans-fert de droits à construire, officiellement pourlimiter l’étalement et inciter à la densificationde son downtown. Principe de base : un amé-nageur privé achète auprès d’un propriétairefoncier ses droits à construire non utilisés.D’abord limité au même îlot, puis élargi à toutle centre-ville et à une zone d’activité limi-trophe pour augmenter le volume de droits, cesystème soumet directement la forme urbaineau marché. Les droits s’acquièrent aujourd’huiauprès d’une banque de transfert de droits àconstruire. Un principe de « bonus » permet dedoubler le coefficient d’occupation du sol(Cos) autorisé (jusqu’à un Cos de 14, sans limi-tation de hauteur dans l’hypercentre) enréponse à des objectifs de plus en plus larges :

« préservation » du patrimoine bâti, requalifica-tion de logements sociaux, création d’une amé-nité publique, et depuis peu, mise en valeurd’un espace naturel en dehors de la ville, enpartenariat avec le Comté. Cette politique a per-mis de redynamiser le centre-ville, mais ellerend l’évolution du paysage urbain de plus enplus aléatoire, les rues de plus en plus sombres.

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Programme développé dans la favela Mangueria située en zone de protection naturelle.

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La ville automobile : peut-on réinventer Los Angeles?Los Angeles, l’archétype de la ville étalée,déconcentrée, façonnée par et pour la voiture :une nappe infinie de pavillons et de zones com-merciales d’où émergent quelques gratte-ciels.Les parkings-silos camouflés en immeublessont des figures du paysage urbain au mêmetitre que les malls (centres commerciaux). Letout est régulé par un carroyage de rues quedouble une maille serrée de freeways (auto-routes). Consciente de ses déséquilibres, la villeessaie, sans trop y croire, de devenir «normale» :en partenariat avec un secteur privé omnipré-sent, elle tente de faire revivre son downtown(le centre, qui était à l’abandon), densifie lesabords de ses rares stations de métro (à l’excèsparfois), et double ses autoroutes par des voiesde bus et de covoiturage (fort impact paysager,pour un résultat discutable). Titillée par les asso-ciations locales, elle se lance (à reculons) dansun projet de renaturation des cinquante kilo-mètres de la rivière de Los Angeles. Densifica-tion et lutte contre l’étalement urbain sont aussiau menu des actions du SCAG, l’associationrégionale des 6 comtés et des 190 communesdu Grand Los Angeles (18 millions d’habitants).

Sous l’autoroute, la rivière : SéoulDans les années 1960-1970, Séoul a connu unecroissance urbaine brutale, au détriment del’environnement et de la qualité de vie. Au cœurde la ville, la rivière Cheonggyecheon, devenueun égout à ciel ouvert, a été recouverte sur sixkilomètres par un boulevard de 2x5 voies, lui-même surmonté d’une voie express à 2x2 voies.En 1991, deux universitaires lancent l’idée derestaurer le cours d’eau et parviennent à sus-citer un débat sur la question. En 2002, le projetdevient l’enjeu de l’élection municipale et, unan plus tard, le nouveau maire préside à ladémolition du couvercle de béton. Depuis soninauguration en 2005, la restauration de larivière, pour artificielle qu’elle soit, a retissé lelien des habitants avec leur ville, leur histoire,leur identité : la Cheonggyecheon est l’espacede promenade majeur de la métropole et unlevier de revitalisation du centre-ville. Cette opé-ration marque un tournant dans les modes degestion de l’environnement et du trafic routieret inspire aujourd’hui des dizaines de villesdans le monde, de Los Angeles à l’Île-de-France.Elle est à l’origine d’un programme national derestauration des rivières coréennes.

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n° 159 - septembre 2011

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Fragments de paysages de métropoles mutantes

La nappe urbaine de Los Angelesest indifférente aux autoroutes qui la traversent. L’échangeur

entre les freeways I-110 et I-405est doublé au centre par les rampesréservées aux bus et au car pooling

(covoiturage). Perdue au milieu, une station de métro !

Los Angeles est essentiellement vueau travers d’un pare-brise :

les enseignes doivent attirerl’attention. Les abords des grands

axes tendent à se densifier de toute manière,

avec ou sans métro.

Renaissance de la rivièreCheonggye (Séoul) autrefois

recouverte par des tonnes de béton.Les piliers de l’autoroute,

aujourd’hui disparus, en étaient les témoins.

Un tournant dans la gestion urbainedes métropoles.

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Des espaces publics pour le plaisir :Hambourg et San FranciscoDepuis quinze ans, la mutation des espacespublics tend à transformer certaines villes ensalons de plein air, avec une attention plusgrande aux espaces du quotidien, au confortdes piétons et aux multiples usages qui se révè-lent lorsque la voiture n’est plus dominante. Lesimple plaisir d’être là, de jouir du paysage etde la vie urbaine, sans consommer. Deux exem-ples illustrent cette tendance, avec desapproches radicalement différentes. À Ham-bourg, des sculptures-bancs coûteuses, propicesà la sieste (lorsqu’il fait beau), ont été installéessur les quais du nouveau waterfront futuristede HafenCity pour attirer les promeneurs : ungrand succès ! À San Francisco, avec des maté-riaux de récupération peu coûteux (conte-neurs, poutrelles en béton) ou naturels, un col-lectif d’artistes crée, avec la complicité de laville, une placette provisoire au milieu d’unezone d’activités qui sert aujourd’hui de lieu dedétente aux employés du quartier. Depuis, ce type d’action se multiplie dans la ville dansle cadre d’un programme de reconquête de l’espace-rue.

L’écriture verticale de la rue : AmsterdamL’espace urbain est rare, surtout le long descanaux d’Amsterdam. Depuis le Moyen Âge, laville s’est développée verticalement avec desmaisons hautes sur un parcellaire étroit. Aprèsavoir tenté d’autres modèles plus massifs, Ams-terdam explore, depuis les années 1990, les pos-sibilités esthétiques et pratiques offertes par desformes urbaines et architecturales qui réinven-tent la verticalité traditionnelle : maisons deville sur lots libres de 3 à 4 niveaux dans le quar-tier d’IJburg, immeubles mitoyens de 6 à 8niveaux sur les docks, et tours de bureaux et delogements de près de 30 étages dans le quartierde Zuidas, futur « centre » de la métropole. Lesbâtiments étroits aux ouvertures verticalesoffrent une dynamique visuelle à la rue, unrythme et une diversité de fonctions propice àla vie urbaine. Les maisons de ville permettentd’associer densité et habitat familial. Les contre-parties : la contrainte des circulations verticaleset, dans le cas des tours, des prospects très ser-rés qui limitent l’éclairement naturel de la rue.

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L’écriture verticale contemporaine des nouveaux quartiers renouvelle la tradition

amstellodamoise de la maison de ville (île de Java sur les Docks), à la tour de bureaux

(quartier Zuidas) en passant par l’immeublecollectif (Java sur les Docks).

Les métropoles se transforment au travers d’espaces publics conçuspour le plaisir des usagers :sculptures-bancs sur les quais de Hambourg, placette provisoire au coin d’une rue d’un quartierlatino de San Francisco (le «Play»remplace le «Stop»).

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Département de grande couronne d’Île-de-France, l’Essonne est caractériséeaussi bien par un tissu urbain dense

que par des espaces périurbains et ruraux.

Le paysage, un enjeu fort pour le développement durable de l’EssonneLe territoire essonnien est riche et diversifié,tant en matière de paysages exceptionnels quequotidiens. Pourtant cette richesse est insuffi-samment connue, souvent uniquement repré-sentée par les grandes entités urbaines et éco-nomiques, les infrastructures routières et ferréesqui le traversent. En outre, il est fragilisé par unesurconsommation et un mitage de l’espace, unétalement urbain qui fragilise et fragmente lespaysages.Fort de ce constat, le conseil général a souhaitéreplacer le paysage au cœur des stratégiesd’aménagement de son territoire, en amont desréflexions. Il l’a ainsi intégré aux critères deschoix techniques et politiques, lui donnant unelégitimité d’être une condition d’attractivité duterritoire départemental tant au niveau social,économique, touristique qu’environnemental(biodiversité, comme une ressource en faveurdu développement durable).Dans son projet stratégique « Essonne 2020 », leconseil général a renforcé son positionnementen tant qu’acteur du paysage par la mise enplace d’une politique paysagère volontaristereposant entre autres sur la valorisation de noscadres de vie et sur la maîtrise de l’étalement

urbain. La première action forte fut la réalisa-tion du schéma départemental des paysages.

Un schéma départemental des paysagescomme cadre de référenceL’objectif était d’élaborer un outil stratégiqueen matière de paysage, incitant et accompa-gnant un développement harmonieux, respec-tueux et durable du territoire essonnien, plutôtqu’un document de connaissance paysagèrefigé à un instant donné.Le conseil général a ainsi conçu le schémacomme un outil dynamique, révélateur de larichesse paysagère de l’Essonne, proposant unevision volontairement globale et transversaledes actions et outils possibles pour agir sur lepaysage. Il s’est appuyé sur une cartographiepermettant une compréhension et une visuali-sation simple du territoire et de la diversité despaysages. Le schéma ne définit pas une poli-tique départementale de paysage mais se posi-tionne comme un outil de lecture et d’analyse,un cadre de référence, une aide à la décision.Interface entre des échelles d’actions variées,le conseil général dispose de plusieurs biais

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n° 159 - septembre 2011

Essonne : un nouveau regard sur l’aménagement?

Rare vue sur l’aéroport depuis le parc de la coulée verte à Paray-Vieille-Poste.

Remarquables ou quotidiens, les paysages essonniens se sont façonnés au fur et à mesure des mutations que le territoire a subies, perdant peu à peu lesanciens repères structurants. La connaissance et la compréhensiondu paysage sont deux conditionsessentielles à la valorisation des cadres de vie, à l’aménagement et au développement maîtrisé et durable du territoire essonnien. Comment se traduisent-elles?

Emmanuelle Vilarasau(1)

Lisa LevyConseil général

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Le caractère évolutif

(1) Emmanuelle Vilarasau est chargée d’études au conseilgénéral de l’Essonne, direction de l’aménagement et du déve-loppement, et en charge du pilotage du schéma départe-mental des paysages. Lisa Levy est chargée de mission pôled’Orly également à la direction de l’aménagement et dudéveloppement, et doctorante à l’université de Grenoble,laboratoire Pacte et université Paris-Est, lab’Urba. Cet articlea été réalisé avec le concours d’Anne Chobert, chargée demission au sein du service stratégie et planification, ainsi quede Sébastien Beaudet, chef de projet Orly.

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pour favoriser la prise en compte du paysagedans un projet et en anticiper les conditions.Le diagnostic, réalisé par l’agence de paysa-gistes-urbanistes Folléa-Gautier a permis dedéfinir sept grands types de paysages, afin decomprendre sa construction, ses mutationsactuelles et ainsi envisager son devenir. Cetteanalyse a mis en évidence des enjeux majeursde préservation et de valorisation : gestion desespaces de nature, organisation et hiérarchisa-tion des espaces de vie, pérennisation desespaces agricoles, diversification et réhabilita-tion des réseaux de transport et d’énergie.Sur la base de ce constat, le schéma s’organiseensuite autour de quatre orientations straté-giques : paysages bâtis, paysages de nature, pay-sages agricoles et paysages de déplacements.La volonté affirmée est bien de renforcer l’arti-culation et les relations entre ces paysages afinde créer de la cohésion entre les espaces, ledéveloppement et l’aménagement du territoire.Enfin, pour disposer d’exemples concrets d’ap-plication du schéma et d’offrir un véritable outilpédagogique, des zooms sur trois secteurs àenjeux ont été élaborés sous la forme de «plansguides » : le pôle d’Orly, le Sud Essonne et laRN7.

Pôle d’Orly : des espaces ouverts en cœur d’agglomération fédérateurs du projet urbainLe pôle d’Orly, territoire de 17 communes enEssonne et dans le Val-de-Marne, compte320000 habitants et 173000 emplois. Il apparaît,tout d’abord, comme un vaste espace fonction-nel au service de la Capitale, marqué par l’em-prise de l’aéroport et d’importantes zones d’activités logistiques et tertiaires (le marchéd’intérêt national de Rungis (MIN), le parc d’activités Silic, le centre commercial BelleÉpine… ). Premier pôle économique du Sudfrancilien, il est aussi un « pôle de vie », marquépar une grande diversité des quartiers d’habi-tat : caractère villageois de certaines com-munes, tissus pavillonnaires denses et centresanciens actifs… D’une superficie équivalenteà Paris intra-muros, il compte également desterres agricoles, des parcs urbains, la prairie del’aéroport et des vallées (la Seine, la Bièvre etl’Yvette), offrant un espace de respiration auxportes de Paris.Considérer cette mosaïque d’espaces hétéro-gènes, juxtaposés et découpés par de grandesinfrastructures de transport (trois lignes de RER,un réseau autoroutier et un aéroport) sous l’an-gle du grand paysage pose d’emblée le doubleenjeu de l’articulation de ses diverses compo-santes et de la mise en valeur de ses qualitéspaysagères. Ces enjeux sont renforcés par lepotentiel de développement du territoire et la

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Les grands ensembles paysagers de l’Essonne

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Paysage agricole autour de l’aéroport d’Orly.

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pression foncière importante qu’il connaîtradans les prochaines années.Largement mobilisés sous l’impulsion des deuxconseils généraux de l’Essonne et du Val-de-Marne, les acteurs du territoire (collectivités,associations, acteurs économiques…) ontengagé depuis 2005 une réflexion collective surl’avenir du pôle d’Orly, avec notamment la réa-lisation d’un premier schéma d’aménagementen 2007(2). Le schéma départemental des pay-sages et ses zooms territoriaux ont été des outilspermettant de poursuivre la réflexion enancrant le pôle dans son territoire, et en inter-rogeant la vocation des espaces ouverts. Pource faire, dans une volonté de démarche parte-nariale, un groupe de travail « paysage etusages » a été constitué, regroupant tous cesacteurs, afin d’élaborer un guide, posant lesgrandes valeurs paysagères et offrant des pistespour l’action des divers acteurs de l’aménage-ment du pôle.En donnant à voir le territoire dans toute sacomplexité et sa richesse, le guide avait pourobjectif de construire une vision qui permettede faire des futurs développements les vecteursd’une cohérence et d’une qualité paysagèrequi font aujourd’hui largement défaut. L’entréepar le paysage donne ainsi un nouveau souffleà l’action des différents acteurs qui participentà son aménagement. En croisant les regards surles usages des différents espaces, le diagnostica mis en évidence les pratiques des habitantset des salariés du pôle, les fonctions inattenduesde certains espaces (appropriation des espacesouverts et agricoles comme espaces publics etde loisirs) mais aussi les conflits d’usage. Il apermis de dégager les atouts et les grandes

dynamiques paysagères tout en posant le pôlecomme une « pièce » cohérente dans le pay-sage du Sud francilien. L’ambition généralepour le guide est de devenir un outil d’aide àla décision, à destination de l’ensemble desacteurs, pour permettre un aménagement pay-sager de qualité du pôle et de ses espaces sin-guliers. Trois grandes orientations paysagèresont été identifiées autour de deux composantesmajeures du pôle (voir encadré). Les lisièresurbaines, qui peuvent sembler mineures entermes d’emprises foncières, sont posées aucentre des enjeux paysagers. La qualité de vieet des échanges au sein du pôle repose, en effet,largement sur leur capacité à jouer un rôle d’in-terface, en favorisant les liens entre les différentstissus (urbains et zones d’activités, terrains agri-coles et aéroport). Pour ce faire, des solutionsconcrètes sont imaginées, telles qu’une prome-nade aéroportuaire reliant les communes rive-raines.L’objectif de pérennisation des terrains agri-coles les plus pertinents permet d’envisager cesespaces sous un angle, non plus seulement fon-cier (réserves) ou environnemental, mais aussisocial, insérés et en interaction avec l’urbain.En outre, penser la multifonctionnalité et la per-méabilité des espaces à vocation économique(agricoles et zones d’activités) est égalementapparu comme un enjeu essentiel pour remé-dier au manque de cohérence entre lesespaces et à la fragmentation du territoire.La question du paysage a ainsi permis une véri-table prise de conscience par les acteurs duterritoire et entraîné un changement de regard,en révélant la diversité et les interactions – exis-tantes ou potentielles – entre des espaces consi-dérés comme monofonctionnels et cloisonnés.

À l’issue du travail consacré au guide, le pay-sage apparaît comme un vecteur de reconfigu-ration des relations entre acteurs, à la fois fédérateur et révélateur de nouvelles problé-matiques. Le guide contribue ainsi à ancrer ladémarche du pôle dans le territoire, à mettreen évidence les acteurs concernés, leurschamps d’action et leurs marges de manœuvreet à envisager de nouvelles collaborations etdes projets à plus ou moins long terme.

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AgirLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Le caractère évolutif

Essonne : un nouveau regard sur l’aménagement?

Trois grandes orientations paysagères1. Pérenniser les espaces agricoles les plus pertinents et promouvoir une agriculture de proximité diversifiée ; 2. Aménager les lisières urbaines autour del’espace ouvert et développer des usagesurbains de loisirs ; 3. Relier les espaces de lisières aux cœursde villes, au moyen d’une trame de circulations douces et donner accèsaux espaces ouverts des vallées.

Carte globale des paysages

Plan-guide pôle d’Orly, schéma départemental des paysages de l’Essonne, conseil général de l’Essonne, agence Folléa-Gautier

(2) L.Bécard et G.Abadia, Schéma d’aménagement du pôled’Orly.

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Avec la remise en cause du modèle dedéveloppement urbain qui a prévaluces quarante dernières années, à

l’heure des enjeux climatiques et des évolu-tions des modes de vie, se pose la question dudéveloppement d’un territoire post-carbone.Une question qui ne traite pas seulement dedisponibilité de ressources d’énergies maisbien d’organisation territoriale, et qui intègreles problématiques de cohésion sociale et dedynamiques économiques.

Le socle naturel, une clé d’entrée pour construire un territoire durableLe paysage, en s’appuyant sur le socle naturel,permet d’imaginer le territoire autrement.Il a la vertu de repositionner les questions del’eau, du climat, de l’agriculture, de la nature enville, au cœur des réflexions et débats. Il s’at-tache à la valeur de permanence du territoire,

dans un contexte où l’urbain est en constanteévolution, à la recherche de repères. Il renforceson identité et sa spécificité, facteur d’attracti-vité et moteur pour le développement écono-mique et social, alors que les effets de la mon-dialisation banalisent le territoire, et que lamaîtrise des techniques opère une distancia-tion au socle naturel. Enfin, il introduit le rap-port au sensoriel, indispensable à la construc-tion du « vivre ensemble ».

Construire l’alliance ville-natureOptimiser les ressources naturelles (eau, sol,biodiversité, énergie…), lutter contre le réchauf-fement climatique, préserver les terres agricoles,offrir une alimentation saine en développantl’agriculture de proximité, répondre auxbesoins de nature en ville, nous amène à repen-ser l’organisation du territoire dans un autrerapport ville-nature.Les trames vertes pourraient alors devenir lesnouvelles infrastructures du territoire, associéesà l’eau présente partout dans le fossé rhénan.Réservoir naturel avec son importante nappephréatique, élément de réseau en surface à tra-vers la multitude des cours d’eau, l’eau a engen-dré une armature importante d’espaces natu-rels. Elle donne une cohérence d’ensemble quifédère déjà l’espace urbain, agricole et naturel.

AgirLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Imaginer le territoire «post-carbone» à partir du paysage

Vers une alliance ville-natureà Strasbourg.

Sylvie Blaison(1)

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Organiser la métropole de demain etl’adapter aux changements prévisiblesexigent de penser le territoireautrement. Une vision globale fondéesur le paysage pourrait être une clépour construire le territoire d’une société post-carbone. De quellemanière peut-on alors envisager unealliance ville-nature durable, cristalliséepar le paysage et conçue comme socledes installations humaines? Retour surle jardin des Deux Rives à Strasbourg,première terre expérimentale.

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Le paysage, du projet à la réalité

Le caractère évolutif

(1) Sylvie Blaison est architecte-paysagiste à l’agence dedéveloppement et d’urbanisme de l’agglomération strasbour-geoise (Adeus), en charge du référentiel paysager du Bas-Rhin et du schéma fonctionnel métropolitain transfrontalierde Strasbourg.

S’appuyer sur le socle naturel pour imaginer et pratiquer

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L’eau, par les vallées, permet d’appréhendertoutes les échelles du territoire, en s’inscrivanttant dans la dimension métropolitaine quedans celle du local. Elle redonne au Rhin sonrôle de colonne vertébrale. Elle construit uneidentité commune de la diversité de l’espacebâti (villes, bourgs, villages) et des modes devie. Elle offre une dimension sensible, supportd’imaginaire, qui développe une proximité à lanature particulièrement recherchée en milieuurbain.Faire de la trame verte et bleue l’acteur princi-pal de ce nouveau rapport ville-nature néces-site de préserver et de valoriser l’armature desespaces naturels mais aussi agricoles. Cela sup-pose également de la spatialiser pour lui don-ner une forme et pour organiser son articula-tion à l’espace bâti, de la rendre accessible, d’ydévelopper des usages. Son organisation en sys-tème constitue un potentiel pour intégrer ladiversité des fonctions qu’elle représente (bio-diversité, gestion des risques, déplacement, res-piration, attractivité ; fonctions climatique,sociale et ludique), répondant ainsi aux nom-breux objectifs des collectivités et attentes deshabitants.

L’espace public et la mobilité pour tisser du lienDans l’évolution du rapport ville-nature, la miseen réseau des différentes parties du territoireet la mobilité (dont les modes actifs : déplace-ments piétons et cycles) sont des éléments fon-damentaux, mis en exergue par le contextesocio-économique actuel. En effet, l’augmenta-tion des coûts de déplacements, la limite desfinances publiques à développer et à gérer desréseaux d’infrastructures lourds, les questions

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AgirLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Le caractère évolutif

Imaginer le territoire «post-carbone» à partir du paysage

Les trames vertes et bleues peuvent fédérer

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Lier ville et nature grâce aux trames vertes.

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S’appuyer sur les vallées pour construire l’infrastructure

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Faire des lisières entre bâti et non bâti

des vitrines du territoire.Architecte : Art & Build - Architect Bruxelles,

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La passerelle Mimram, symbole du lien transfrontalier.Marc Mimram, architecte DPLG, ingénieur ENPC

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de santé publique, la nécessité de limiter lesgaz à effet de serre, la demande d’une plusgrande qualité de vie valorisant la nature et lesloisirs, conduisent à repenser les rapports auterritoire dans une recherche de proximité etd’intensité. Le tressage du territoire urbain etpériurbain par les modes actifs associés auréseau de la trame verte et bleue dépasse laseule fonction de maillage. Il amène la natureen ville à travers le développement d’un réseaucyclable planté, support de biodiversité. Il tissede nouveaux liens avec les espaces naturels etagricoles, et invente une nouvelle forme deproximité générant des espaces attractifs quine se limitent pas aux polarités mais concer-nent aussi les « entre-ville ».Cette mise en réseau joue également sur ladynamique sociale et économique, ainsi quesur la représentation mentale du territoire enarticulant ces nouveaux liens avec les centresde vies, les lieux et services de proximité, et enrendant lisible les spécificités du paysage.

Une nouvelle relation ville-nature qui réinterroge la silhouette urbaineL’évolution de la société qui se profile, redessi-nant les enjeux urbains autour du développe-ment durable, pose la question de la morpho-logie urbaine que traduira cette dynamique.Imaginer faire du réseau d’espaces naturels l’os-sature d’une nouvelle organisation urbaine,composant le territoire à partir de ses vides(naturels mais aussi urbains) plutôt que de sespleins, invite à inverser le regard et à réinterro-ger l’image de la silhouette urbaine produite.Quelle lisibilité du socle naturel, quelle scéno-graphie de l’espace bâti se dessine à partir decette nouvelle armature verte et bleue ?

Tisser l’espace bâti à son socle naturel impliquede retourner la ville sur l’eau, de faire deslisières, lieux de valorisation réciproque entreville et nature, les vitrines d’une nouvelle métro-pole attractive et dynamique. C’est égalementdensifier aux abords des trames vertes, y loca-liser les équipements publics, imaginer unetypologie architecturale et urbaine adaptée àces nouveaux enjeux.

Le jardin des Deux Rives, un premier pas pour modifier le rapportau socle naturel et au RhinLe jardin des Deux Rives(2), en basculant leregard d’un territoire marginalisé à un territoireattractif, a joué un rôle de levier pour la trans-formation de tout un morceau de ville. Avecl’aménagement de l’axe Strasbourg-Kehl, situéde part et d’autre du boulevard du Rhin (RN4),c’est aujourd’hui la réhabilitation urbaine detout un secteur qui se dessine, alliant équipe-ments publics, commerces de proximité, habitatautour d’espaces publics en lien avec l’eau.Dans le cadre de cette vision de constructiondu développement de demain, le jardin desDeux Rives représente une des premièresétapes de cette relation ville-nature. Par soncaractère transfrontalier de part et d’autre duRhin, il a constitué une référence nouvelle dansl’agglomération strasbourgeoise. Cette premièremanifestation d’un retournement de la villevers le Rhin a apporté une toute autre identitéau fleuve, le réinscrivant dans l’inconscient col-lectif et lui donnant le rôle de vitrine d’un nou-veau lieu de vie.C’est le jardin qui articule le fleuve à la ville etnon le réseau viaire ou l’espace bâti. En repo-sitionnant le Rhin au centre du territoire franco-allemand, le fleuve, frontière, change de natureet devient lieu de rencontres et d’échanges,avec la passerelle symbolique sur le Rhin réa-lisée par l’architecte Marc Mimram.

Au-delà de son articulation transfrontalière mar-quant l’axe Strasbourg-Kehl, le jardin des DeuxRives représente aussi le premier jalon de laconstruction d’un lien euro-régional. Cette fenê-tre sur le Rhin, c’est l’accroche de la métropolestrasbourgeoise à l’Europe, de la mer du Nordaux Alpes. Un horizon que nous donnent à ima-giner les multiples embarcations qui vont etviennent incessamment sur le fleuve.

(2) Le jardin des Deux Rives est une réalisation transfronta-lière, issue du festival de l’art et du paysage (Landesgarten-schau) développé en coopération par les villes de Strasbourget de Kehl am Rhein de 1998 à 2004. Fruit d’un concourseuropéen, dont le lauréat fut Rüdiger Brosk, architecte-paysagiste allemand, l’aménagement du jardin des DeuxRives, d’une cinquantaine d’hectares, devint le projet pharede l’axe Strasbourg-Kehl.

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L’inversion du regard, construire le territoire à partir de son armature d’espaces naturels et agricoles.

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Jardin modifié.

Projet lauréat.

Principes de composition.

Le jardin des Deux Rives

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En 2000, la ville du Havre acquiert le fortde Sainte-Adresse, sur les hauteurs de laville. L’ensemble du site, comprenant

l’ancien fort du XIXe siècle et ses abords, s’étendsur 17 hectares, dont près de 9 hectares pourle fort intra-muros.L’ambition était de créer un lieu d’un genrenouveau, invitant les visiteurs à rêver, où lessens, autant que l’esprit, seraient sollicités. Il fal-lut apprécier l’existant pour proposer un nouveléquipement allant à l’encontre des représenta-tions du lieu, à savoir une gigantesque friche,un patrimoine historique en déprise, oublié,devenu verrue paysagère. Ce postulat servit debase pour aboutir à un programme définitifd’aménagement, qui vit progressivement le jour,au cours de 6 mois d’échanges fructueux dansle cadre d’un marché public de définition. Por-tée par la maîtrise d’ouvrage, et en particulierpar Daniel Leclercq, directeur des espacesverts, cette procédure atteignit son but en pré-cisant et en étoffant considérablement le projet.Aventure humaine et paysagère, elle associaittrois équipes de maîtrise d’œuvre présélection-nées et la ville, notamment au travers de ladirection des espaces verts, future gestionnaireet pilote de l’opération.Au sortir de cette enrichissante émulation, lefort de Sainte-Adresse s’est transformé en jar-dins suspendus, un lieu où l’onirisme est invitéà la promenade, où les paysages que l’on ren-contre renvoient à des contrées lointaines etparfois inconnues, où les vues vers la ville et lamer rappellent à chaque instant le lien intime

entre l’océan, les hommes et les plantes.Sélectionnée à la suite de la procédure présen-tée, l’équipe de maîtrise d’œuvre était compo-sée de Samuel Craquelin, architecte-paysagistemandataire, de l’architecte Olivier Bressac etdu botaniste Jean-Pierre Demoly. La volonté dela ville du Havre de confier le projet à un archi-tecte-paysagiste reflétait son souhait de propo-ser un aménagement où le paysage assureraitla traduction du programme. Une fois celui-ciétabli, la réflexion paysagère s’est inscrite, avecjustesse, dans l’imposant cadre militaire du fort,notamment par la réalisation de quatre jardinsthématiques dans les bastions, dont trois évo-quent les régions du monde qui se sont, aucours de siècles révélées pourvoyeuses de nou-velles plantes : l’Amérique du Nord, l’Asie orien-tale et les terres australes. L’aménagement pay-sager de ces trois jardins s’inspire de cesterritoires en tirant parti des microreliefs et del’esthétique des végétaux plantés, originairesde ces régions, mais aussi de la végétation déjàprésente. La conservation d’une partie de celle-ci a su immédiatement imposer une ambiance,laissant le temps aux végétaux plantés d’expri-mer leur potentiel. Le quatrième bastion, tournévers la mer, abrite désormais le jardin des explo-rateurs contemporains, dont la forme amphi-théâtrale provient du comblement des block-haus allemands.

AgirLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Au Havre, le monde est au bout du jardin

Dans la cour, le tapis vert et lesmassifs de plantes de senteursdialoguent avec l’architecturemilitaire des casemates restaurées.

Les jardiniers expriment tout leur savoir-faire dans le jardind’essai et les serres de collection.

Lovés dans les remparts de l’ancienfort de Sainte-Adresse, les jardinssuspendus dominent la baie de Seineet la ville basse havraise. En dévoilant ces vues grandioses sur l’océan, ils se sont imposés commel’incarnation de l’ambition paysagèrede la ville.

Albéric Levain(1)

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Le caractère évolutif

(1) Albéric Levain est ingénieur à la direction des espacesverts de la ville du Havre.

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La cour accueille trois serres (de 1 500 m2 cha-cune), dont la simplicité des formes dialogueavec la rigueur de l’architecture militaire. Ellesabritent les collections végétales d’intérieur dela ville et des opérations de maintenance hor-ticole. Dans certaines d’entre elles, se déploientdes saynètes paysagères de milieux tropicaux(forêts humides), secs (Afrique du Sud, Cana-ries, Mexique)… Ce choix de représenter desmilieux fait écho aux jardins extérieurs, sollici-tant ainsi tous les sens du visiteur. Ce passeportgratuit pour les terres lointaines est aussidevenu un outil pédagogique de premier ordre.Enfin, toute une partie technique accueille, àdemeure, une trentaine d’agents. Leur activitécontribue à donner quotidiennement vie ausite. Cette présence au plus près du public estdevenue un attrait d’importance pour le site.Par ailleurs, et selon le souhait de la maîtrised’ouvrage, l’aménagement paysager est aussi lerésultat de la prise en compte, très en amont,des opérations ultérieures de maintenance.Inaugurés en 2008, à la suite de trois ans de tra-vaux, les jardins suspendus offrent aujourd’huiun paysage vivant et sont devenus une nouvellevitrine touristique, culturelle et botanique pourla ville. Un espace où le geste du jardinier, et lepas du visiteur se complètent pour créer unlieu de vie commune et de rencontres, contri-buant à écrire, ensemble, les pages de l’histoiredes jardins suspendus.

Au Havre, plus que jamais, le monde est au boutdu jardin.

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Forts et paysage

Quelques réhabilitations notoires comme celle du fort de Sainte-Adresse par la municipalité du Havre redonnentson actualité à la valorisation des forts de l’Île-de-France, dont plusieurs sont en péril.La situation n’est pas simple pour la capitale et il est difficile de comparer avec ce que se passe en province, oùleur dimension patrimoniale est plus facilement reconnue. Le nombre de forts est très important, notamment sil’on y ajoute divers éléments comme les redoutes, qui, à l’origine, participaient du même plan d’ensemble ; et,surtout, leur situation est très différente d’un lieu à un autre : situation administrative… et situation géographique.Certains sont encore la propriété de l’État ou celle de grands services publics ; d’autres sont la propriété decollectivités locales qui y ont, parfois, déjà fait d’importants travaux de valorisation, comme à Saint-Quentin-en-Yvelines. D’autres enfin sont dans une plus ou moins grande déshérence, avec des problèmes de pérennité. Ainsiles forts ne sont pas égaux devant la question de la valorisation, du fait de situations géographiques diverses.Telle est la conséquence de la création des forts à différentes époques et pour des stratégies qui ont évolué(1).Bien que séparés de seulement trente ans, les forts de la ceinture de Thiers et ceux de celle initiée par le généralSéré de Rivières après la défaite de 1870, se trouvent dans des situations difficilement comparables. Certainssont encaissés (par exemple : Vanves, Montrouge, Charenton…) alors que d’autres se trouvent en limite deplateaux comme ceux de la corniche est, dite « corniche des forts », offrant des vues dégagées. Les fortspostérieurs à 1870 s’inscrivent plus dans cette logique, comme à Villeneuve-Saint-Georges, Sucy-en-Brie, maisaussi Cormeilles ou encore avec la redoute des Hautes-Bruyères à Villejuif. Enfin, certains forts sont établis sur desplateaux, comme Villeras à Saclay par exemple.

Il ressort de ce bref panorama que le traitement des forts ne peut ressortir d’un modèle unique. Pourtant, sauf àles voir progressivement disparaître par perte de fonction, il convient de s’en préoccuper pour eux-mêmes et pourleur espace, qui, par nature, s’inscrit dans le paysage puisque leur positionnement découlait de la nature duterrain. Cette dimension spatiale doit être redécouverte, notamment dans le cadre des opérations derequalification. En effet, la plupart se trouvent désormais en zone dense et ceux qui ne le sont pas sont àproximité. Les bâtiments en eux-mêmes n’étant guère facile à valoriser, sans doute est-ce plutôt sur l’espace qu’ilfaut porter les efforts. Après avoir été le symbole d’une certaine infranchissabilité par leur bâti massif tout autantque par les règles de sécurité qui rendaient leur accès interdit, les forts pourraient devenir des lieux ouverts où lanature aurait la première place. Les forts, en effet, présentent, avec leur vaste cour, leurs fossés, leur anciennezone non aedificandi, des superficies relativement importantes, de l’ordre de plusieurs hectares, que lesservitudes ont plus ou moins préservées. Les expériences de jardins ouvriers, comme à Ivry, vont dans ce sens,mais ne sont pas intégrées au paysage urbain. Ainsi de réelles possibilités peuvent être trouvées pour desaménagements au cœur des anciennes limites des forts en jouant des différents niveaux entre la cour centrale,les fossés et les escarpements. Dans le cas de forts offrant des vues (rebords de plateaux, corniches), letraitement paysager doit être recherché du côté des percées qui peuvent s’offrir à la vue. Ces forts sont desbelvédères naturels dont on voit tout l’intérêt dans le cadre du Grand Paris pour donner à voir la métropole, àl’instar de ce qui existe déjà au Mont-Valérien par exemple.Une nouvelle stratégie s’impose aux forts franciliens : celle de la conquête paysagère !

(1) Cf. Les Fortifications en Île-de-France, 1792-1944, Iaurif, 3e édition, 2008 (1re édition 1993).

Philippe Montillet, IAU île-de-France

Dans le bastion sud-est, le jardin austral est une évocation des paysages de Tasmanie et de Nouvelle-Zélande.

Depuis les hauteurs, le fort réhabilité domine Le Havre et la baie de Seine.

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L’analyse fonctionnelle propose, en com-plément des réflexions menées sur leslogiques urbaines, de s’attacher au fonc-

tionnement des espaces ouverts – circulationsagricoles, connexions biologiques, circulationsdouces… – et d’associer le plus grand nombre :techniciens, élus, habitants.

Une méthodologie pour comprendre et penser ensemble le fonctionnementdu territoireMalgré une prise en compte croissante desespaces ouverts ces dernières décennies dansde nombreux documents législatifs et de pla-nification, la destructuration des espaces sepoursuit en Île-de-France – consommation, frag-mentation, altérations diverses –, avec des inci-dences fortes sur le fonctionnement desespaces et sur le paysage : multiplication demodèles urbains standardisés consommateursd’espace (lotissements, zones d’activités…),délaissés agricoles des nœuds routiers… Alorscomment concilier l’indispensable développe-ment de logements et d’activités économiquesavec la préservation des espaces ouverts ? Laprise en compte des espaces ouverts se limitesouvent à la seule préservation du foncier. Celane suffit pas à assurer leur pérennité : il fautgarantir les conditions permettant un dévelop-pement économiquement viable des activitésagricoles, forestières, un fonctionnement dura-ble des écosystèmes et une appropriation deslieux en résonnance avec les territoires.

L’objectif de l’analyse fonctionnelle est d’inciterà la concertation le plus en amont possible, etde poursuivre cette démarche bien au-delà dudiagnostic. Elle nécessite l’adhésion de tousainsi qu’un portage politique fort et elle permetde faire des choix en connaissance de cause :comprendre et partager la réflexion, conscien-tiser les projets.

Dans cette méthodologie, le paysage a avanttout été considéré comme la résultante desactivités agricoles, forestières, naturelles eturbaines, partant de l’hypothèse que le bon oule mauvais fonctionnement d’un territoire pou-vait se lire dans le paysage. Si l’entrée purementesthétique a donc été écartée, pour autant lesliens entre observation du territoire etréflexions paysagères sont étroits.L’analyse fonctionnelle s’adresse à toutes leséchelles ; les préconisations auront un impacttant au niveau du « grand paysage » qu’à desaménagements ponctuels :- elle permet de mettre en évidence des ensem-

bles agricoles fonctionnels ou des espacesmenacés à préserver, ce qui intéresse directe-ment les documents d’urbanisme ;

- elle concourt à la définition d’actionsconcrètes (créer une circulation douce à tra-

AgirLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Agir durablement sur le paysage

L’analyse fonctionnelle a un rôle pédagogique pour expliquer le fonctionnementdes espaces ouverts.

Les espaces agricoles, forestiers et naturels composent des paysagesparticulièrement prisés par lesFranciliens. De nombreuses activitéséconomiques continuent de faire évoluerces paysages. L’analyse fonctionnelleoffre un cadre pour les accompagnerdans un contexte aujourd’hui mondialiséen visant la viabilité économique des activités, le respect des usagessociaux et la durabilité écologique des écosystèmes.

Laure de BiasiIAU île-de-France

Patrick Gautier(1)

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Le paysage, du projet à la réalité

Le caractère évolutif

L’analyse fonctionnelle, une méthodologie concertéeL’analyse fonctionnelle est le fruit d’untravail initié en Île-de-France en 2008 parl’Institut d’aménagement et d’urbanismede la Région d’Île-de-France (IAU îdF) et ladirection régionale et interdépartementalede l’alimentation, de l’agriculture, et la forêt (Driaaf), en collaboration avec la direction régionale de l’environnement(Diren) et les acteurs des sphèresagricoles, forestières et des milieuxnaturels (chambres d’agriculture,directions départementales del’équipement et de l’agriculture, centrerégional de la propriété forestière, officenational des forêts, conseil régional…).Le conseil régional, qui soutient avec l’Étatcette démarche depuis l’origine, favorisesa mise en application en accompagnantfinancièrement les collectivités qui appliquent cette méthode.

(1) Patrick Gautier est chargé de l’urbanisme et responsabledu pôle aménagement au parc naturel régional du Vexinfrançais.(2) Nathalie Madrid est responsable du service de la pros-pective territoriale au sein de la direction de l’aménagementdes territoires à l’agence des espaces verts d’Île-de-France.

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vers ville, champs et forêt, aménager un corri-dor écologique, revoir un rond-point pour faci-liter le passage des tracteurs, traiter une lisièreforestière, intégrer un silo…).

Si l’on se réfère à la définition de la conventioneuropéenne du paysage(3), les composantesphysiques d’un territoire et d’un paysage sontde fait les mêmes… En ce sens, des élémentspaysagers sont évidemment pris en comptedans l’approche fonctionnelle : type d’espace(champs, vergers, bois, rivières…), élémentsstructurants (haies, arbres isolés…), topogra-phie (vallée, plateau…). La valeur des espaces(les sites classés ou inscrits) et la perceptionsont également des éléments d’analyse (pointsde vue) et alimentent en particulier la réflexionsur la fonction sociale des espaces ouverts.Dans cet esprit, si une analyse paysagère a étéfaite sur le secteur étudié, l’analyse fonction-nelle la prendra bien sûr en compte.

Une des forces de l’analyse fonctionnelle estjustement de s’adapter aux situations, c’est-à-dire partir de secteurs ayant déjà consciencede « faire territoire », de « faire paysage» ou non.La méthode part des données, des réflexionset du ressenti disponibles et amène les acteursensemble et plus loin. Au final, peu importe l’en-trée choisie, territoire ou paysage, l’essentielétant l’esprit de la démarche : comprendre lefonctionnement et les valeurs du territoire,engager un dialogue durable et agir à diffé-rentes échelles pour obtenir un projet de terri-toire cohérent, assumé et conscient.

D’une appropriation du paysage à un projet de territoire partagéLes collectivités franciliennes s’emparent deplus en plus de la question des espaces ouvertscomme partie intégrante de leur projet de ter-ritoire. Certaines se sont même construitesautour de cette question. Quelle place joue lepaysage pour rendre les choix plus conscients,tant en termes de valeur identitaire que d’usageet de symbolique ? Comment la mise en placed’analyses fonctionnelles contribue-t-elle à l’ap-propriation du paysage ? Les communautésd’agglomération de Marne-et-Gondoire et deMarne-et-Chantereine ont mis en place des ana-lyses fonctionnelles. Leurs expériences nouséclairent sur ces questions.La communauté d’agglomération (CA) deMarne-et-Gondoire s’inscrit depuis plus dequinze ans dans une réflexion paysagère. Ici lepaysage, véritable élément de cohérence terri-toriale, révèle et relève l’identité du territoire.L’intercommunalité s’est de fait construite surle maintien d’une agriculture viable et sur lavalorisation des espaces naturels, notamment

par la mise en place d’un site classé. Ceci aconduit à la création d’un socle identitairecommun ancré avant tout sur le paysage pro-duit par les espaces ouverts. L’analyse fonction-nelle initiée dans le cadre de la mise en placed’un schéma de cohérence territoriale (Scot)et d’un périmètre de protection des espacesagricoles et naturels périurbains (PPEANP),amène à enraciner le paysage comme un élé-ment du projet de territoire. Du fait de l’appro-priation et de la conscience de l’identité pay-sagère sur ce territoire, l’analyse fonctionnelledevient ici un outil de projet, qui permet d’allerplus loin, en passant de l’appropriation symbo-lique à l’action concrète : la caractérisation dela fonctionnalité des espaces et les projectionssur l’avenir structurent l’action sur les espacesouverts et par conséquent sur les paysages quien découlent.Aujourd’hui la CA de Marne-et-Gondoire estreconnue comme l’un des territoires les plusdynamiques en matière de projets structurantspour les espaces ouverts. L’analyse fonction-nelle accompagne la concrétisation du projetpour préserver et valoriser durablement lavaleur de ces espaces. Ici cette méthodologierépond aux besoins de poursuivre l’inscriptionde ce projet dans les documents d’urbanismelocaux (Scot) et de préserver définitivementces espaces ouverts. Le PPAENP offre unegrande stabilité à cette protection foncière, laréduction du périmètre ne pouvant intervenirque par décret en Conseil d’État.

Sur le territoire limitrophe de Marne-et-Chante-reine, le paysage n’est pas un élément structu-rant de l’action territoriale et constitue encoremoins un élément identitaire. L’émergence del’intercommunalité s’est surtout centrée sur desquestions de gestion, d’économie d’échelle, dedéveloppement urbain et économique. Dansce contexte, l’analyse fonctionnelle a dans unpremier temps un rôle pédagogique, explicitantle rôle et le fonctionnement des espacesouverts. Sur ce territoire, le besoin de faire émer-ger un projet partagé autour des questions surles espaces ouverts, ramène directement auprojet de territoire et à son identité. La questiondes paysages produits par les espaces ouvertss’impose alors. Cela permet de faire avancer lacompréhension de l’identité du territoire etd’inscrire cette question comme structurantedans le débat afin de préparer le socle du pro-chain Scot.Pour ces deux intercommunalités, même si lesniveaux de conscience et d’appropriation du

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(3) « Paysage » désigne une partie de territoire telle que per-çue par les populations, dont le caractère résulte de l’actionde facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations,Convention européenne du paysage, Florence, 2000, article 1.

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Circulations agricoles,

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Synthèse.

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paysage sont différents, il apparaît toutefois lanécessité d’aller plus loin dans la constructiond’un projet prenant pleinement en compte lesespaces ouverts. L’analyse fonctionnelle appa-raît comme une méthode permettant de définirl’action sur les espaces ouverts sous toutes leursformes. Elle facilite l’émergence d’un projet surles espaces ouverts et le paysage pouvant êtreinscrit dans les documents de planification. Àterme, cette inscription garanti un cadre pourla préservation des espaces et la définition d’ac-tions concrètes.

Pour une planification consciente des paysages dans les PLUDans les territoires à forte valeur patrimoniale,les espaces ouverts sont souvent perçuscomme des éléments de permanence qu’il fau-drait préserver de toute évolution. C’est notam-ment le cas dans les secteurs protégés de lacouronne rurale francilienne. Pourtant, face auxdéfis d’adaptation et de diversification auxquelsl’agriculture régionale est confrontée, il faut s’at-tendre dans les prochaines décennies à uneévolution significative de nos paysages. Le déve-loppement souhaité de circuits courts, defilières locales de transformation, de maraî-chage biologique, etc. peut rapidementconduire au développement d’équipementstels que des serres, des ateliers de transforma-tion ou autres bâtiments de stockage. Dès lors,comment garantir la préservation d’une iden-tité revendiquée et à laquelle tous (élus, habi-tants, acteurs économiques, visiteurs) sont atta-chés, tout en permettant une évolutionraisonnable et raisonnée de l’activité qui les afaçonnés ?

Lors de l’élaboration des plans locaux d’urba-nisme (PLU) dans les communes du parc natu-rel régional du Vexin français, dont la majeurepartie est couverte par le plus grand site inscritde France et par de vastes sites classés, la ques-tion de la construction de nouveaux équipe-ments et bâtiments agricoles a toujours soulevéde vives confrontations. Entre les tenants d’uneprotection absolue et les partisans d’une libertétout aussi absolue d’exploiter l’espace rural,même au détriment du paysage collectif, lespositions ont toujours semblé inconciliables.

C’est pour essayer de sortir de cette situationstérile, pour permettre l’implication des com-munes dans les décisions qui les concernenten premier lieu, pour favoriser l’appropriationdes éléments de vocabulaire et des clés decompréhension par l’ensemble des acteurslocaux que le parc et les services de l’État ontproposé depuis 2008 de nouveaux outils etméthodes inspirés de l’analyse fonctionnelle.Deux outils ont ainsi été progressivement testéset formalisés : d’une part une carte d’analysede la sensibilité paysagère, dans le sens de lacapacité des paysages d’une commune àaccueillir de nouveaux équipements, et unecarte d’analyse de la fonctionnalité des exploi-tations agricoles, élaborée en collaborationavec la chambre d’agriculture interdéparte-mentale. Ces deux outils, transmis par l’Étatdans le « porter à connaissance », constituentune base de réflexion qui permet à la com-mune d’engager le dialogue avec les représen-tants locaux de la profession agricole. Ils favo-risent la prise de conscience de la sensibilitédu paysage aux évolutions futures, et donc l’ap-propriation de la question de la constructibilitédes zones agricoles. Les acteurs locaux peuventainsi faire émerger une planification cohérentequi est le reflet d’une position choisie, assumée,consciente. La détermination des zones agri-coles, la question de leur constructibilité, nesont plus traitées « au hasard » ou « par défaut »mais deviennent véritablement l’expressiond’un projet de paysage. Ce projet se traduit alorsdans le PLU par un zonage différencié, avec deszones agricoles « classiques » (constructiblespour les usages agricoles) et des secteurs agri-coles « non constructibles » pour préserver lespaysages ouverts les plus sensibles. Le zonagenaturel est, quant à lui, réservé à la délimitationd’espaces présentant de véritables enjeux debiodiversité et de continuités écologiques,qu’ils soient réellement naturels (bois et forêts,zones humides) ou d’origine agricole (ensem-bles prairiaux).

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Agir durablement sur le paysage

Vers une réelle prise en compte de la fonctionnalité des espaces ouvertsL’enrichissement des PLU dans leurdimension naturelle, agricole et forestièreest une des conséquences directe des orientations récentes, tant du Sdrif quedes lois Grenelle, et qui rejoint en ce sensl’analyse fonctionnelle. La distinction entredes zonages agricoles constructibles etnon constructibles (appelés par exempleAa ou Ap) traduit ainsi la diversité despaysages ouverts. Elle est le pendant, pour le paysage, des zonages « corridorsécologiques » (souvent appelés Aco ou Nco) qui tendent à se multiplier dansles PLU comme autant de tentatives de traduction de la Trame Verte et Bleue(TVB).

Carte de sensibilité paysagère

Moisson dans le Vexin.

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Les Cahiers – Vous conseillez les assiseseuropéennes du paysage, sur le thème« le paysage, créateur de richesses».Pensez-vous que l’on puisse quantifier lepaysage comme on mesure la richesse,en unités monétaires?Érik Orsenna – Je suis économiste de forma-tion et je constate que l’économie est en trainde redevenir intelligente. Pendant longtemps,l’économie a été une science humaine, liée àl’histoire, à la géographie, à l’anthropologie, àla sociologie. Quand on relit les grands écono-mistes classiques (Smith, Ricardo, jusqu’àMarx), on voit qu’ils avaient une vision globalede la société. Puis, on a voulu faire de l’écono-mie une science, et pour cela la réduire à desmathématiques. Cela allait aussi avec l’hégé-monie de la pensée libérale, qui réduit l’éco-nomie au marché, lequel est mesurable.Or cela ne marche pas. On a atteint les limites.On l’a vu récemment, avec la crise financière.D’où de nouvelles mesures de la richesse, avecla commission sur la mesure de la performanceéconomique et du progrès social (Stiglitz, Sen,Fitoussi). On ne mesure plus la croissance, maisle développement. On mesure autrement, enintroduisant des éléments de bien-être, desanté, « d’accomplissement » à la richesse.Dans ces nouveaux mécanismes, le paysage etle végétal ont leur place. Comme le dit très bienMichel Péna(1), certains éléments du paysageentrent dans le marché (un appartement avecvue) mais beaucoup yéchappent, notammentles biens publics. Com-ment donner de la valeurau long terme, invisible ?Le développement soute-nable donne la priorité à l’invisible et au longterme. Le paysage montre le lien entre l’hommeet la nature sous la forme d’un enrichissementet non comme un prédateur. Il s’agit doncd’élargir la mesure, même au prix d’une mathé-matisation compliquée.L’évolution récente de l’économie montre aussiune autre tendance très intéressante, où l’onretrouve le végétal. Je fais un livre sur le papieret la forêt. Le papier fait du recyclage depuisl’origine (chiffons). Au lieu d’une économielinéaire (on produit, on jette), on rentre dansune économie circulaire. Ce qu’on jette est éga-lement une matière première. De fait, onallonge le cycle de vie du produit, on repoussel’échéance de la rareté.Les réponses aux questions que nous pose le

paysage devraient nous servir à bien d’autrechose. C’est drôle, mais au fond le taux de végé-tation dans une ville est un bon indicateur dutaux d’humanité dans cette ville. La nature etl’homme sont mêlés, il n’y a pas d’oppositionentre eux.

L. C. – Pourquoi le Grenelle de l’environnement n’a-t-il pas su parlerde paysage?É. O. – Le Grenelle a été très utile pour décou-per : c’est l’illusion de la maîtrise du réel depuisDescartes. Or le fondement du paysage, c’est saglobalité. Comment appréhender ce qui est glo-bal ? Le paysage gênait cette pensée par sa glo-balité même.

L. C. – Michel Péna, président de lafédération française du paysage, ditsouvent que le paysage ne va plus de soi.Faut-il une pensée paysagère pour avoirde beaux paysages?É. O. – Oui, il faut une pensée, et une penséede la globalité. En Afrique, l’univers n’est pasmorcelé comme ici. Pourquoi n’y a-t-il pas dejardins là-bas ? Parce que la nature est partout,la nature n’est pas d’un côté et la ville de l’au-tre. Nous sommes les rois de la spécialisation,les spécialistes sont partout.D’autre part, nous voulons faire des paysagesen cinq ans ; or les paysages que nous admironsse sont faits en cinq siècles. L’admiration est

venue après la constitu-tion de ces paysages : lapensée du paysage a étérétrospective. Nousn’avons pas décidé defaire le paysage de Tos-

cane. Ce qui me passionne, au-delà du paysage,c’est une attitude vis-à-vis du monde ; ce qui neva pas de soi.

L. C. – Que peut dire le paysage par rapport aux grands enjeux mondiauxd’environnement ?É. O. – Je découvre la différence entre unchamp d’arbres et une forêt. On a besoin dechamps d’arbres, mais ce ne sont pas des forêts.Pourquoi faire pousser une forêt de feuillusdans le nord de l’Europe en 40 ans quand onpeut avoir une plantation d’eucalyptus dans lesud de l’Europe en 5 ans ? Il y a là un paradoxeintéressant : prendre une décision signifie accé-

Érik Orsenna, connu commeécrivain, prix Goncourt en 1988avec L’Exposition coloniale, et académicien depuis 1998, ad’autres fleurs dans son jardin.Il a toujours voulu avoir unautre métier que l’écriture, pour être libre, dit-il, de donnerle temps qu’il faut au livre, lieude la liberté. Il s’est d’abordlongtemps intéressé àl’économie, comme enseignantet chercheur, avant de devenirconseiller auprès d’hommespolitiques de premier plan. Il s’est aussi plongé dans le paysage, en écrivant unebiographie de Le Nôtre et en présidant l’École nationalesupérieure du paysage deVersailles. Son nom de plume– emprunté à la ville évoquéedans le Rivage des Syrtes deJulien Gracq –, rend hommage à un auteur dont l’œuvre parled’horizons, de limites, de lieux…Il accompagne, par ailleurs,l’interprofession del’horticulture et du paysage, en présidant le cercle Cité Verte et en participant à laprogrammation des assiseseuropéennes du paysage(Strasbourg, du 10 au 12 octobre 2011).

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Interview

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»Dans un modèle, on s’émerveille de ce qu’on découvre,

alors que c’est ce qu’on y a mis. «

(1) Voir notamment interview p.87.

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lérer le temps, la question se pose quant à lamanière de décider en laissant la place autemps. La pensée paysagère est une réponse.Autre exemple d’enjeu global du paysage : onest en train de tuer nos producteurs horticoles,nos pépiniéristes, avec la fiscalité des stocks, laréglementation des appels d’offres, la distorsionde concurrence avec les pays voisins… on nelaisse pas une municipalité donner la préfé-rence à un approvisionnement local. La ques-tion du paysage concentre les problèmes glo-baux telles que l’homogénéisation, la perte dulien au territoire…

L. C. – Nous, paysagistes, avons le sentiment d’être démunis…É. O.– Il y a quand même eu de grands progrèsdepuis 20 ou 30 ans. Les maires font davantageattention. Le renouveau est d’abord venu parl’architecture, le paysage a eu un peu de retard.Chaque parc est un paysage… La France est entrain de rattraper son retard. On ne le voit pasencore parce que les nouveaux jardins sontencore des enfants, ils ont la vie devant eux.Mais, même les paysagistes ont du mal avec letemps !

L. C. – Le paysage peut-il améliorer notrevie? De quelle manière?É. O. – Bien sûr, il améliore le niveau, la qualitéet la richesse de la vie. La raison est claire : levégétal est un partenaire irremplaçable àl’image des êtres vivants qui ne peuvent pasvivre sans d’autres êtres vivants. L’homme abesoin du vivant, de dialogue avec le vivant, dedialogue entre vivants.

Avec les professionnels de l’horticulture et dupaysage, nous réfléchissons aux incidences desnouvelles conditions de vie sur la santé phy-sique. Le problème de l’allergie, déjà préoccu-pant, est aggravé par la pollution. Mais si on veutsupprimer toute allergie, il faut supprimer lepollen, donc les plantes. Deux choses meparaissent folles dans notre civilisation : le refusdu temps et le refus du risque.

Propos recueillis par Pierre-Marie Tricaudet Corinne Legenne

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Références bibliographiques

• ORSENNA Érik, L’Avenir de l’eau : Petit précisde mondialisation II, Fayard, 2008.

• ORSENNA Érik, Voyage aux pays du coton :Petit précis de mondialisation, Le Livre dePoche, 2007.

• ORSENNA Érik, Portrait d’un hommeheureux : André Le Nôtre (1613-1700),Fayard, 2000.

• BARBAULT Robert et WEBER Jacques, La vie,quelle entreprise ! Pour une révolutionécologique de l’économie, Éditions duSeuil, 2010.

• FORUM POUR DE NOUVEAUX INDICATEURS DE

RICHESSE, La richesse autrement,Alternatives Économiques, Poche n° 48,mars 2011.

• Val’hor, les professionnels du paysage(interprofession de l’horticulture et dupaysage) : www.valhor.com

• Assises européennes du paysage : www.lesassises.eu, www.f-f-p.org/fr/actualites/10/448.

Quand une vision économique à court terme fait disparaître un paysage ancré dans l’histoire des hommes : en haut, paysage agraire associantcéréales et chêne liège, remplacé, en bas, par une culture d’eucalyptus pour la pâte à papierdans la région de l'Alentejo au Portugal.

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«Paysage» désigne une partie de territoire telle que perçuepar les populations, précise la convention européenne dupaysage, ajoutant que son caractère résulte de l’interactionentre facteurs naturels et humains. Le paysage n’est doncpas une simple image : il est un lieu de vie, et au-delà de la mise en exergue de bons exemples, il s’agit de se demander « un paysage, pour qui ? » ; il est façonnépar des gens, et au-delà de ce qu’on en voit, il s’agit de se demander « un paysage, par qui ? ».Cette rubrique repère quelques exemples de nouvellespratiques qui donnent des pistes d’action pour l’avenir, enrépondant soit au «pour qui », avec l’attention aux habitantset usagers, soit au «par qui », avec les projets des acteurs de l’aménagement rural et urbain, et avec la sensibilisationet la formation des acteurs de demain.On ne peut préserver un paysage sans préserver les activitésqui l’ont produit et les personnes qui les pratiquent. On ne peut faire évoluer un paysage de façon satisfaisantesi ces activités sont en crise. Au-delà des professionnels etdes décideurs, c’est donc toute la société qui est concernée.

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Depuis trente ans, les conseils d’architec-ture, d’urbanisme et de l’environne-ment (CAUE) interviennent en milieu

scolaire pour sensibiliser les jeunes publics àl’architecture, à l’urbanisme et à l’environne-ment, comme le définissent leurs missions, ins-crites dans la loi de 1977.

Les missions pédagogiques des CAUES’approprier la ville d’aujourd’hui pour mieuximaginer celle de demain, tel est l’enjeu dumessage à faire passer auprès des enfants, afinqu’ils puissent être, plus tard, des acteurs avertis.La compréhension et le respect de leur envi-ronnement et de ses évolutions nécessitent latransmission de quelques clés de lecture.Dans cette optique, le CAUE 94 a initié, il y adéjà douze ans, avec la participation du rectoratde Créteil et de l’inspection académique dudépartement, une action intitulée « des archi-tectes et des paysagistes dans les classes», visantla sensibilisation des élèves, du CP à la termi-nale. Le principe est de mettre en contact desarchitectes ou des paysagistes professionnelsen exercice avec des enseignants désireux deles accueillir au sein de leur classe, pour uneintervention ponctuelle, une collaboration surun projet de classe, une visite du quartier… Uneoccasion, pour ces professionnels intéressés,d’échanger sur les différentes façons de « vivrela ville » et de dialoguer avec leurs futurs utili-sateurs. Aujourd’hui, environ 150 architectes etpaysagistes libéraux du Val-de-Marne et de l’estparisien ont répondu à l’appel du CAUE et sont

volontaires pour intervenir gratuitement dansun établissement scolaire (écoles élémentaires,collèges ou lycées).Les interventions de paysagistes peuvent pren-dre des formes variées, en fonction desdemandes des enseignants : certains profession-nels présentent leur métier, d’autres initient lesenfants au jardinage ou à la botanique, d’autresencore accompagnent un projet de créationde jardin sur une parcelle de l’établissement.Mais leur mission principale est d’apprendreaux enfants à lire, à observer, à décrypter lespaysages, et à en comprendre les enjeux. Autourde cet apprentissage, plusieurs outils pédago-giques existent et peuvent être proposés.

«Un jardin dans ma main», une expérience ludique et créatriceLe CAUE 94, pour sa part, a mis en place, en col-laboration avec l’artiste paysagiste Anne-SophiePerrot-Nani(2), des ateliers ludiques et pédago-giques, intitulés « un jardin dans ma main ». Sepromener, apprendre à regarder, inciter à inter-roger et décrypter ce qui est sous nos yeux,fabriquer avec ce qui est à portée de main, uti-liser ce que l’on voit pour imaginer et rêver…telles sont les ambitions de ces ateliers. Tousconçus sur un même principe, autour d’un parc

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Des architectes et des paysagistesdans les classes

S’approprier la ville d’aujourd’huipour mieux imaginer celle de demain,une sensibilisation spécifique des architectes et des paysagistesauprès de citoyens en herbe.

Une action a été initiée en 1999 par le conseil d’architecture,d’urbanisme et de l’environnement du Val-de-Marne, fruit de partenariatsentre professionnels de l’architecture,du paysage et de l’éducation. Elle permet aux élèves du départementde mieux appréhender leur environnement.

Anne Gaillard(1)

Violaine PécotCAUE 94

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Un paysage pour qui ?

(1) Anne Gaillard est paysagiste et Violaine Pécot est chargéede communication au conseil d’architecture, d’urbanismeet de l’environnement du Val-de-Marne.(2) Focalisée sur le paysage et ses représentations tridimen-sionnelles, son activité s’est orientée vers un travail plastiqueque l’on pourrait qualifier d’assemblage, à mi-chemin entrela sculpture et la maquette.

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ou d’un jardin existant, ils se déclinent diffé-remment selon les lieux, puisqu’ils s’appliquentà révéler les spécificités des contextes d’im-plantation et de réalisation de chaque paysage.Le premier temps de la séance consiste en unevisite commentée du parc ou du jardin, aucours de laquelle il est demandé aux enfantsde collecter des matériaux (branchages,pommes de pin, écorces…), dans le respect desplantations et des usagers, bien évidemment.Puis, autour d’une table où une matériauthèquedéjà constituée est mise à leur disposition, ilssont invités à créer des univers miniatures, àexprimer leur propre vision des choses en fabri-quant des « maquettes » de jardins, de parcs, decoins de nature ou de morceaux de ville, ima-ginaires ou bien réels, inspirés par la prome-nade qu’ils auront faite et par le fruit de leurcollecte. Toutes les réalisations photographiéesen vue d’une exposition future dans l’établis-sement, chaque participant repart chez lui avecson « jardin dans sa main ». Dans le courant de l’année 2010, une école pri-maire de Fontenay-sous-Bois, ayant mené toutau long de l’année un programme pédago-gique autour du thème «nature en ville », a sou-haité organiser une journée d’échanges entreun paysagiste professionnel et des élèves deCM1 et de CM2. Le paysagiste qui est intervenus’est inspiré des ateliers « un jardin dans mamain». Les enfants ont parcouru parcs et jardinsde la ville, puis de retour en classe, ils se sontréunis en petits groupes pour réfléchir autourde notions élémentaires de paysage : les boiset les clairières, le vocabulaire de l’eau dans les jardins, les activités dans un parc, la naturedans la rue… Chaque enfant a produit unemaquette, puis elles ont été classées et exposéespar thématiques. Un débat s’est engagé, aucours duquel tous les enfants pouvaient parta-ger leurs points de vue sur l’importance de laplace accordée à la nature dans leur ville.Sur le département du Val-de-Marne, 60 à 80classes bénéficient chaque année d’une inter-vention de spécialistes (visite, conférence, ate-lier, travail photographique, réalisation demaquettes, etc.). Même si cette opération restelimitée, elle est très bien accueillie, car au-delàd’une sensibilisation au paysage, elle sensibiliseaussi les enfants aux métiers liés à l’environne-ment.En 2011, un partenariat a été mis en place avecl’ordre des architectes d’Île-de-France et les aca-démies de Paris et de Créteil. Les CAUE deSeine-Saint-Denis, de Paris et de Seine-et-Marnenous ont rejoints et participent désormais àl’opération. Nous espérons que ce développe-ment à une échelle régionale nous permettrade susciter l’intérêt et la curiosité d’un plusgrand nombre d’élèves.

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« Utiliser des éléments naturels que l’on a ramassés pour créer des couleurs et des formes, c’est génial ! »

«Moi, la ville de demain, je la vois avec beaucoup de nature,de l’eau, des arbres. »

« Il faut penser aux animaux aussi. »

« Il faut garder l’arbre mort, c’est écolo ! »

«On peut manger des fruits dans les parcs. »

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Le projet «Ville, territoire, paysage» s’insèredans les objectifs éducatifs et de sensi-bilisation fixés par la convention euro-

péenne du paysage (CEP), laquelle a été inté-grée dans la loi de protection, gestion etaménagement du paysage de la Catalogne,région autonome disposant de pleines attribu-tions en matière de paysage.

Les objectifs du projetLe projet a trois objectifs principaux : dévelop-per une nouvelle culture du territoire fondéesur les principes de la durabilité environnemen-tale, promouvoir la connaissance des valeursdu paysage en tant que partie du patrimoinecommun et mettre à jour les programmesd’études relatifs à l’occupation du territoire età la construction du paysage. Le projet a étésoutenu conjointement par le département duTerritoire et du développement durable(2), ledépartement de l’Enseignement(3) et l’observa-toire du paysage de la Catalogne, et il est enaccord avec les objectifs de sensibilisation aupaysage de la CEP ainsi qu’avec les pro-grammes d’études des 12-16 ans.

Les caractéristiques formellesLe projet «Ville, territoire, paysage » utilise deuxsupports : 1) un portfolio avec douze planchesdépliables en papier, emblématiques de la diver-sité des paysages de la Catalogne et de leurstendances évolutives ; 2) un site internet « Ville,territoire, paysage » avec une large panoplie deressources numériques, d’activités pédago-

giques interactives pour les élèves et d’orienta-tions pédagogiques pour les enseignants.Chaque planche présente une photographiepanoramique d’un paysage et la carte de sasituation, l’orthophotoplan et la carte topogra-phique correspondante, ainsi qu’un texte d’in-troduction et quatre petites photographies révé-latrices des tendances évolutives du milieu,accompagnées d’un bref commentaire. Le siteinternet « Ville, territoire, paysage » permet detélécharger les douze planches, il contient desdocuments d’information de différentes natures(photographies historiques, cartographies, sta-tistiques, textes, etc.) et offre des liens vers d’au-tres sites. Il propose également des outils desti-nés aux élèves, afin de leur permettre deréaliser les activités pédagogiques proposéespour chaque paysage et d’élaborer les rapportsd’avancement de leurs travaux. Les enseignantspeuvent accéder à ces derniers ainsi qu’auxorientations pédagogiques et aux solutions.Les deux supports s’adaptent aux différentessituations de l’apprentissage (la classe et la salleinformatique ; les travaux individuels et engroupe ; le travail sur place et en ligne), alorsque la multiplicité des documents d’informa-tion vise à diversifier les compétences de baseque doivent développer les élèves.

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Éducation au paysage: «Ville, territoire, paysage»

Les rizières, qui s’étendent dans le parc naturel du delta de l'Ebre, sont un paysage récentformé par la main de l’homme.Leurs études dans les écolesdevraient aider à surmonter les préjugés et à éveiller la curiositépour ce type de paysage méconnu.

Ce projet d’innovation pédagogiques’adresse aux élèves de 12 à 16 ans del’enseignement secondaire obligatoire.Il est composé de douze planchespédagogiques représentatives de la diversité des paysages de la Catalogne, destinées au travaildans la classe. Le site internet quil’accompagne propose des matériauxcomplémentaires et des activitésinteractives, dont l’objectif est de promouvoir l’apprentissage et la réflexion personnelle.

Jaume Busquets(1)

Ministère du Territoire etdu développement durable

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Un paysage pour qui ?

(1) La direction et la coordination générale du projet ontété menées par Jaume Busquets, Conxita Mayós et Pere Sala.Les textes ont été rédigés par Roser Batllori et Joan M. Serra.(2) Au moment de l’élaboration du projet, département dePolitique du territoire et des Travaux publics.(3) Au moment de l’élaboration du projet, département del’Éducation.

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L’approche pédagogiqueLe paysage est l’un des contenus traditionnelsde l’éducation scolaire. Son enseignement etson apprentissage ont été particulièrement liésaux programmes d’études de la géographie etde l’environnement. Le projet « Ville, territoire,paysage » s’inscrit dans cette tradition scolaireet cherche en même temps à renouveler l’en-seignement du paysage d’un point de vueconceptuel et méthodologique.Du point de vue conceptuel, le projet favorisel’adoption par l’école du nouveau paradigmedu paysage issu de la CEP, lequel met en avantles aspects dynamiques et le caractère socialdu paysage, tout en attribuant une dimensionéthique au rôle des individus et des groupessociaux en tant qu’acteurs sur le paysage.Du point de vue méthodologique, le projet pro-meut les procédés pédagogiques actuels fon-dés sur l’application des nouvelles technologieset des méthodes spécifiques de lecture, d’inter-prétation et de représentation du paysage.« Ville, territoire, paysage » permet aux élèvesd’approfondir leurs connaissances sur cetteréalité complexe qu’est le paysage, au moyend’une séquence cohérente d’activités interdis-ciplinaires, qui respecte leur autonomie d’ac-tion et exige de la rigueur scientifique au tra-vail, sans exclure pour autant la dimensionpersonnelle et subjective inhérente à touteapproche du paysage.Bien que l’approche pédagogique de «Ville, ter-ritoire, paysage » soit essentiellement géogra-phique, le projet intègre différents domaines deconnaissance (histoire, économie, art, sciencesnaturelles, etc.), il renforce les compétences debase et développe les lignes transversales desprogrammes d’études.

Les paysages ordinaires, centres d’intérêtet questions à étudierLes douze paysages choisis sont un exemplede la diversité des paysages de la Catalogne(4)

et des tendances différentes auxquelles ils sontsoumis. On a sciemment évité de choisir despaysages d’une grande beauté ou à prédomi-nance naturelle ou rurale. On a ainsi voulu don-ner du poids à l’idée, exprimée par la CEP, que

« tout est paysage », y compris les paysages« ordinaires », dépourvus de valeurs exception-nelles.Chacun des paysages permet de développerun centre d’intérêt et de poser une question àétudier. Afin d’aider les élèves à trouver labonne réponse, on présente une série d’activi-tés permettant d’établir des liens entre les dif-férents concepts, de susciter une réflexion intel-lectuelle personnelle et de prendre desdécisions permettant d’arriver à la résolutionfinale.

Un projet vivantLe bon accueil que le projet « Ville, territoire,paysage » a reçu de la part du milieu éducatif,sa mise en application dans les établissementsscolaires et son évaluation positive par lesélèves et les enseignants ont contribué à l’essorde l’éducation au paysage en Catalogne et enEspagne. Il trouve une prolongation dans le pro-jet « Une fenêtre ouverte au paysage », en coursd’élaboration et adressé aux élèves de l’ensei-gnement primaire.

Traduit de l’espagnol par José Ruiz Funes

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(4) La carte récemment dressée a établi 135 unités de pay-sage en Catalogne.

Le processus d’élaboration du projetLes éléments qui composent « Ville,paysage, territoire » ont été réaliséspendant l’année scolaire 2005-2006. Aucours de l’année 2006-2007, ces élémentsont été utilisés à titre expérimental par dixétablissements d’enseignement secondairedans différentes régions de la Catalogne.Pendant l’année scolaire 2007-2008, etaprès avoir tenu compte des remarques,critiques et suggestions des enseignantsexpérimentateurs, des améliorations ontété apportées aux planches pédagogiqueset au site internet ; des séances deformation ont alors été organisées auprèsdes enseignants pour faciliter la mise enœuvre du projet. Depuis l’année scolaire2008-2009, celui-ci est à la dispositiondes établissements publics et privésconventionnés de l’enseignementsecondaire obligatoire, qui ont eu lapossibilité de l’utiliser de manièreoptionnelle.

Le tableau suivant résume les centres d’intérêts et les questions à étudier pour chacun des douze paysages :

Centre d’intérêt Question à étudier

1 Le renouvellement du paysage urbain à Barcelone

Comment le paysage urbain change-t-il lorsqu’on passe d’un quartier industriel à un district technologique ?

2 L’influence de la métropole Quels sont les effets provoqués dans le paysage par l’expansion d’une aire métropolitaine ?

3 Les espaces ruraux dans les zones urbaines Doit-on conserver les espaces ruraux dans les zones urbaines ?

4 Le paysage comme ressource touristique Comment rendre compatibles la conservation du paysage et son exploitation touristique ?

5 Une ville à l’intérieur d’un parc naturel Comment rendre compatibles une ville et un parc naturel ?

6 Le renouvellement du paysage rural Est-il possible de préserver une zone d’agriculture traditionnelle en sol aride et d’y vivre ?

7 Un paysage industriel actif L’industrie est-elle compatible avec le logement, le tourisme et l’agriculture ?

8 Ville compacte versus ville diffuse Blocs d’immeubles collectifs ou zones de maisons jumelées ? Quel type de construction est plus compatible avec le développement durable ?

9 Paysage fluvial et production d’énergie Le paysage fluvial et le paysage agricole traditionnel peuvent-ils cohabiter avec les industries à risque ?

10 Paysage de terres irriguées dans un territoire aride Quel est l’impact de l’irrigation dans l’aménagement et l’exploitation du territoire ?

11 Un paysage frontalier Les frontières changent-elles le paysage ?

12 Le paysage en tant qu’espace touristique Le paysage peut-il être banalisé jusqu’à devenir un parc d’attractions ?

Le site « Ville, territoire, paysage».

Le projet « Ville, territoire, paysage»comprend 12 planches montrantchacune un paysage représentatifde la Catalogne.

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Les Cahiers – Le paysage est pris encompte dans tous projets qui donnentlieu à des objets uniques. De grandesdifficultés persistent dans la mise enœuvre de projets fédérateurs. Commentl’expliquez-vous?Marie Pruvost – Cette question est ambiguë,car s’il y a une chose que ne fait pas le paysa-giste, c’est l’objet unique. Le terme d’objet neme convient pas : veut-on parler du paysagistequi vient après le projet d’architecture pourrecoller les morceaux, et donner un peu de vertpour accompagner l’objet architectural ?Les projets fédérateurs concernent le plus sou-vent de vastes échelles, parce qu’ils impliquentpar leur complexité la nécessité de créer deséquipes pluridisciplinaires. Le paysagiste est deplus en plus apprécié et légitime dans ceséquipes. De nombreux paysagistes sont main-tenant mandataires pourdes opérations d‘aménage-ment de grande envergure.Le paysagiste a toute saplace, celle de chef d’or-chestre.C’est la maîtrise d’ouvragequi est déterminante ; plus les paysagistes serontsollicités, plus l’impulsion sur les politiques pay-sagères sera forte, à toutes les échelles. La com-mande a changé non seulement en échellemais en thèmes d’interventions, avec des sitesfragiles à protéger, la reconversion de frichesindustrielles, la réhabilitation de quartiers d’ha-bitat collectif. Les projets impliquent différem-ment les paysagistes, qui sont obligés d’adopterune posture adaptée : paysagiste économiste,paysagiste sociologue, paysagiste philosophe.Dans les écoles qui forment les paysagistes, onpeut constater qu’il y a eu une évolution dessujets et des échelles abordés depuis une ving-taine d’année. Les projets de diplôme choisisparmi des problématiques réelles proposéespar des collectivités publiques, des entreprisesou des bureaux d’étude sont de bons indica-teurs. Les projets circonscrits à l’échelle d’unparc ou d‘une place ont été remplacés par desprojets sur de plus larges territoires.Le paysagiste a certes de plus en plus de cas-quettes, mais il ne faudrait pas pour autant qu’ilperde l’essence de sa formation. On trouve desétudiants brillants sur le territoire qui ont dumal à concevoir un jardin. Le paysagiste maîtred’œuvre ne peut pas rester en amont du projet,il doit pouvoir le construire, jusque dans sondétail. On sait bien créer dans les grandeslignes, donner des concepts, mais il faut aussi

savoir mettre au point. Le paysagiste dans lamaîtrise d’ouvrage a un tout autre rôle, quiconsiste à insuffler aux politiques des pistesd’aménagement du territoire à petite ou grandeéchelle, à court, moyen et long terme. Il doit êtrecapable d’établir un programme pour consulterensuite des paysagistes maîtres d’œuvre, seulsou constitués en équipe pluridisciplinaire.

L. C. – Deux étudiants sur dix de l’Écolede Blois se dirigent vers les collectivitéslocales et les services de l’État. Est-cesuffisant pour «prêcher la bonneparole»?M. P. – La formation à l’École du paysage deBlois ne sensibilise sans doute pas assez les étu-diants sur le rôle de paysagiste dans la maîtrised’ouvrage car, « tout neufs» sortis de cette école,les « bébés paysagistes » veulent en découdre

avec le projet. Néanmoins,au cours de la scolarité, lesétudiants travaillent en ate-lier de paysage sur desconventions passées avecdes collectivités locales, etils peuvent apprécier le

rôle des élus mais aussi des techniciens ouchargés d’étude qui travaillent dans ces collec-tivités. Avec l’intercommunalité, de nouvellesopportunités et de nouveaux types de postesse créent.

L. C. – Les formations de paysagistes,voire en paysage, se multiplient. Y a-t-ilpour vous un seul métier de paysagisteconcepteur, ou doit-il y avoir différentesformations?M. P. – Les formations de paysagistes (bac +5et bac +6) ne se multiplient pas, sans doute parl’absence de lisibilité dans un avenir proche dela profession. La création d’un observatoire desmétiers est à l’étude. Il est demandé par les septécoles françaises qui forment aujourd’hui despaysagistes concepteurs.Les formations universitaires en paysage se mul-tiplient ; elles proposent souvent d’aborder lepaysage non pas sous l’angle du projet maisplutôt comme fédérateur d’un territoire, d’uncontexte, d’un usage. Ces formations, d’un anou deux parlent de paysage mais ne formentpas des paysagistes. Elles sont souvent des com-pléments de formation.Il y aurait sans doute la place pour d’autresécoles de paysagisme en région. L’École deBlois draine des élèves des régions Île-de-France, Centre, ainsi que de l’agglomération de

Marie Pruvost fait partie des rares paysagistesurbanistes. Elle a obtenu undiplôme d’architecte-paysagisteà l’École supérieured’architecture des jardins(ESAJ), et un DESSd’aménagement et d’urbanismeà l’université Paris-Val-de-Marne (IUP). Son activité s’estpartagée durant les années1986-2001 entre le conseild’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de l’Essonne (CAUE 91), le syndicat intercommunald’assainissement etd’aménagement de la vallée de l’Orge, l’agence Laverne et l’ESAJ comme enseignante et coordinatrice des études. Àpartir de 2002, elle se consacreexclusivement à cette activitépédagogique et devientdirectrice de l’ESAJ en 2004.Elle est nommée directrice de l’École nationale supérieurede la nature et du paysage(ENSNP) de Blois en 2010.Cette double compétenced’architecte-paysagiste et d’urbaniste, son passageaussi bien en agence privéequ’au sein de collectivitéslocales, et enfin son expérienced’enseignante, nous ont pousséà l’interroger sur la place du paysagiste et son devenir.

Le paysagiste, chef d’orchestre

Interview

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Le paysage, du projet à la réalité

Un paysage pour qui ?

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du développement durable. «

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Lyon. On voit, dans cette agglomération, unmanque d’offre de formation.L’école de paysage de Blois jouit d’une implan-tation privilégiée, dans la vallée de la Loire ins-crite au patrimoine mondial de l’Unesco, dansla vallée des châteaux, véritable livre ouvert del’histoire de l’art des jardins, et à proximité deChaumont et de son festival des jardins contem-porains.Malgré ces atouts indéniables, il y a peu de pay-sagistes installés en région Centre, peu de com-mande, encore peu d’élus sensibilisés.

L. C. – Pouvez-vous imaginer le travailque feront dans trente ans les étudiantsque vous formez?M. P. – C’est impossible d’imaginer cela. J’es-père que les élèves seront toujours paysagisteset qu’ils accèderont à une commande de pay-sage enrichie, renouvelée et toujours passion-nante. Celle-ci s’est énormément diversifiéedepuis 25 ans. Il faudra que le paysagiste s’yretrouve, qu’il ne soit pas seulement un assem-bleur, un généraliste, mais qu’il conserve lesavoir-faire qui fait son âme. De nouveauxmétiers sont en train de se greffer autour dupaysagiste, liés à l’écologie urbaine, l’environ-nement, au recyclage, à l’énergie. Finalement,le paysagiste a été le premier à faire et à parti-ciper au développement durable.Le paysagiste du futur pourra-t-il être ensei-gnant-chercheur en même temps que prati-cien ? Le paysage sera-t-il reconnu comme unematière de recherche à part entière sans êtrecautionné par la géographie, l’aménagementdu territoire ou l’urbanisme ? Je l’espère.Par ailleurs, étant plus nombreux, les paysa-gistes se feront mieux entendre, seront uneforce de proposition, d’opposition, d’influence.

Propos recueillis par Corinne Legenne et Pierre-Marie Tricaud

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Référence bibliographique

• L’ENSNP édite une fois par an Les Cahiers de l’École de Blois.Au côté de rédacteurs chevronnés, ces Cahiers ont laparticularité de donner la parole aux élèves au travers deleurs travaux de diplômes, montrant la diversité et larichesse des enseignements de l’École, depuis sa création ily a dix ans. Une note de lecture (p. 91, infra) présente lesderniers numéros de cette revue.

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Le cursus jongle avec techniques et arts plastiques pour forger la sensibilité des étudiants.

Vous avez dit « paysagiste » ?Paysagiste, architecte-paysagiste, jardinierpaysagiste ou paysagiste urbaniste ? Il estdifficile de s’y retrouver, de savoir qui faitquoi, de repérer les intitulés synonymes,car aucune de ces appellations n’estprotégée légalement, comme l’est le titred’architecte. Pour désigner celui quiconçoit, planifie ou gère des espacesextérieurs, du jardin au territoire, le termede paysagiste étant trop générique(puisqu’il peut aussi bien s’appliquer à unpeintre qu’à un jardinier), on ajoute unsecond terme qui le précise : les autrespays francophones emploient « architecte-paysagiste », qui traduit l’anglais landscapearchitect. En France, le terme architecteétant réservé, même dans un nomcomposé, l’usage oscille entre l’emploi depaysagiste seul et celui de paysagisteconcepteur, en attendant une évolution dela loi. Cette compétence correspond àplusieurs diplômes :- celui de paysagiste DPLG (délivré par

l’École nationale supérieure du paysagede Versailles-Marseille et les écolesnationales d’architecture et de paysagede Bordeaux et de Lille),

- celui d’ingénieur-paysagiste (délivré parAgrocampus ouest à Angers et à Rennes,et l’École nationale supérieure de lanature et du paysage de Blois),

- ainsi que celui de l’École supérieured’architecture des jardins et despaysages à Paris, établissement privé quiforme des paysagistes concepteurs.

D’autres termes indiquent quant à eux nonune précision mais une qualificationsupplémentaire ; ainsi un paysagisteurbaniste est un architecte-paysagiste quiest en plus qualifié en urbanisme.

Pierre-Marie Tricaud, IAU îdFVice-président de la

Fédération française du paysage

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Le terme de paysage se décline à l’envi :quotidien ou exceptionnel, rural oupériurbain, en déprise ou fruit de convoi-

tises, il dépeint dans tous les cas l’organisationdes différents espaces, leurs interactions, leurhistoire et les regards qu’on porte sur eux. Dansces trois exemples et dans dix-sept autres réper-toriés en 2010 par le collectif Paysage(s), cettenotion a servi d’entrée pour concevoir enconcertation un projet de territoire. Le22 novembre 2010, les porteurs de ces vingt pro-jets échangeaient devant une assemblée dedeux cents personnes, réunie à Paris au Conseiléconomique, social et environnemental. Pourle collectif, cet événement avait valeur dedémonstration : l’entrée « paysage » pouvait demanière très concrète servir de fil conducteurà un aménagement du territoire plus cohérent,plus harmonieux et moins négligent des res-sources naturelles… et ce à des échelles trèsdiverses. Une démonstration, fruit d’une prisede conscience beaucoup plus ancienne.

Le gaspillage des paysages : un constat unanime mais sans transcriptions règlementairesLa Fédération nationale des Sociétés d’aména-gement foncier et d’établissement rural (FNSa-fer), dans son Livre blanc paru en 2004 s’est lapremière interrogée sur La fin des paysages,avant de lancer, en 2005, un manifeste pour lespaysages signé par trois cents associations,réseaux nationaux, professionnels et particu-liers. Le signal d’alarme était tiré : banalisation

des territoires et du bâti, consommation effré-née des terres agricoles par l’extension desvilles et des infrastructures, mitage de l’espacepar l’habitat diffus. En bref un énorme gaspil-lage foncier, alors que les terres agricoles etforestières – au titre de la demande croissanteen aliments et en biomasse, de la lutte contrele réchauffement climatique et de la préserva-tion de la biodiversité – devraient faire l’objetd’une même scrupuleuse protection. La mêmeannée, la France ratifiait la convention euro-péenne du paysage. Au-delà de cette prise deconscience générale, un certain nombre de res-ponsables de réseau se sont réunis, autour dela FNSafer, pour organiser les États généraux dupaysage, le 8 février 2007 à Paris, et proposerdes axes de réflexion : « créer des paysagescontemporains de qualité », « coordonner lesinterventions des acteurs du paysage », « proté-ger, gérer et valoriser le patrimoine paysager »,« être plus économe de nos ressources natu-relles»… Il en est résulté des recommandationsdestinées particulièrement aux élus locaux,dont la responsabilité en matière d’aménage-ment du territoire est prépondérante.

Sur cette lancée, le collectif organisateur de cesÉtats généraux a décidé de poursuivre ses tra-vaux en faveur d’une meilleure prise en

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Promouvoir une approche paysagère

La charte paysagère du Pays de Loiron a permis à ce territoired’affirmer son identité rurale.

Une friche industrielle textile en Alsace, une intercommunalité rurale en Mayenne, une exploitation agricolebovine dans la Loire… A priori aucun filconducteur entre ces trois territoires,d’échelles différentes et aux enjeuxcontrastés. Ils ont pourtant en commund’avoir fondé leur projet de territoire sur une approche paysagère. Le collectif Paysage(s)(2) vise à sensibiliser sur l’évolution des paysages et à partager l’expériencede ces territoires moteurs.

Yves Helbert(1)

Dimitri LioritCollectif Paysage(s)

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Le paysage, du projet à la réalité

Un paysage pour qui ?

(1) Yves Helbert, chargé de mission FNCAUE et Dimitri Liorit,ingénieur d’études FNsafer/Terres d’Europe SCAFR ont écritcet article au nom du collectif Paysage(s).(2) Anciennement appelé « collectif des États généraux dupaysage ».

Webographie

• La liste des membres du collectifPaysage(s) et ses travaux récents sontdisponibles sur les sites :

- www.collectifpaysages.org- http://fncaue.fr/spip.php?rubrique279- www.safer.fr/paysage-developpement-

territoires.asp

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compte des dimensions paysagères dans laréglementation. Les débats du Grenelle de l’en-vironnement étaient notamment l’occasion deremettre le paysage en bonne place dans lesoutils d’urbanisme et les procédures de déci-sion locales, comme le soulignait le secrétaired’État à l’aménagement du territoire HubertFalco en novembre 2008 : «Le paysage est la clépour faire le lien entre le territoire et le déve-loppement durable. Si nous voulons réussir leGrenelle de l’environnement, il faut remettredu sensible, du visuel au cœur de nos actionsd’aménagement du territoire. […]. Nous devonsdévelopper une réelle “intelligence de l’es-pace”. C’est toute une ingénierie du dévelop-pement durable qui doit se mettre en place,dans laquelle l’approche par le paysage est toutà fait structurante». Une injonction restée lettremorte, le terme « paysage » ne devant être citéque dans les marges du texte final du Gre-nelle 2, grâce à des amendements de dernièreminute. Une mise en retrait de la vision systé-mique, quand les approches plus sectorielles(biodiversité, énergie, circuits courts…) se pour-suivent seules.

Mais des initiatives locales existent…Devant ces maigres avancées, restait à porterl’attention sur les expériences de terrain, néesici ou là, au gré des initiatives d’associations,d’agriculteurs ou de collectivités locales. L’op-portunité a été donnée en 2010 par le réseaurural français, qui a soutenu le recensement etla mise en valeur d’expériences paysagèresdans toute la France. Exemple en Mayenne :lorsque la communauté de communes du Paysde Loiron, entreprend de mettre en place unecharte paysagère, des habitants et des élus ras-semblés ont eu l’occasion d’examiner d’un œilneuf leur propre territoire. Le paysage debocage s’avère être un élément hautementstructurant, aussi bien sur les plans écono-mique et environnemental que culturel. Unecharte reste un document sans grande portéejuridique. Mais l’élaboration progressive d’une« culture commune » sur le paysage laisse pré-sager une meilleure prise en compte desespaces agricoles naturels par les nouvelleséquipes municipales lors de la révision desdocuments d’urbanisme.

… pour passer d’un paysage subi à un paysage choisiQu’il s’agisse d’espaces en arrière-plan degrands sites, de communes périurbaines sousforte pression foncière, ou de vallées de mon-tagne en déprise agricole, l’approche paysagèrepermet de dresser un état des lieux concertédu territoire, d’en déceler la singularité et d’eninventorier les richesses. Parmi les vingt

démarches analysées par le collectif émergeun cadre territorial privilégié – celui de l’inter-communalité – et une synergie entre compé-tences complémentaires – agronomes, urba-nistes, paysagistes, architectes… Il s’agit biendans chaque cas d’opérer un retournementd’un paysage subi vers un paysage choisi. L’ap-proche paysagère oblige à une démarche sys-témique qui décloisonne les espaces et lesusages qui en sont faits. Comme le soulignaitRoger Jumel(3) en introduction des échangesdu 22 novembre, « l’approche paysagère se veutglobale. La valeur esthétique du paysage estinterrogée, ainsi que sa valeur fonctionnelle, enterme notamment de préservation de la biodi-versité. Cette approche holistique est d’autantplus intéressante qu’elle permet de rencontrerl’ensemble des acteurs locaux, dont les agricul-teurs. Elle devrait conduire à imaginer de nou-veaux paysages, reconnus du plus grand nom-bre et adaptés à une grande diversité d’usages».Dans cette optique, l’approche paysagère vientlever les barrières, réputées peu poreuses, quiisolent les différents volets des politiqueslocales (aménagement du territoire, environne-ment, agriculture, tourisme, industrie, habitat… )pour les traiter de manière transversale. Celapour un aménagement du territoire plus cohé-rent, mieux accepté par l’ensemble des citoyenset plus respectueux des générations futures.

Le collectif Pay-sage(s) entendbien poursui-vre son travailde conviction, demise en lien des por-teurs de projets locaux, desensibilisation du grand publicet surtout des élus sur la plus-valuede ces démarches paysagères dans le dévelop-pement du territoire.

(3) Bureau du foncier et de la biodiversité au ministère del’Agriculture.

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Composition du collectif Paysage(s)Le collectif Paysage(s) est constitué, en2011, des structures suivantes :- Assemblée permanente des chambres

d’agriculture.- Fédération des conservatoires d’espaces

naturels.- Fédération des parcs naturels régionaux.- Fédération française du paysage.- Fédération patrimoine environnement.- Fédération nationale des CAUE.- Fédération nationale des Safer- Fédération nationale des syndicats

d’exploitants agricoles.- Mairie-conseils (Caisse des dépôts).- Réseau des Grands sites de France.- Maisons paysannes de France.- Société pour la protection des paysages

et de l’esthétique de la France.- Icomos France.Avec le concours technique du ministèrede l’Alimentation, de l’Agriculture, de laPêche, de la Ruralité et de l’Aménagementdu Territoire. La coordination technique ducollectif est assurée depuis 2008 par laFNCAUE.Ce collectif a organisé, le 7 février 2007,les premiers États généraux du paysage à Paris au Conseil économique et social, et le 22 novembre 2010, les rencontres« Paysage, fil conducteur dudéveloppement durable des territoires ».

Friches agricoles et industrielles :même combat.Après la reconquête pastorale des versants, la communauté de communes de la vallée de Saint-Amarin (Haut-Rhin) s’est employée à valoriser une ancienne usine textile. Le parc patrimonial et économiquede Wesserling doit redevenir le sitemoteur de la vie locale.Communauté de communes de la vallée

de Saint-Amarin

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Stockholm est, aujourd’hui, considéréecomme l’une des régions métropolitainesles plus attractives. Le principal défi pour

la planification urbaine est de poursuivre ledéveloppement, tout en préservant l’attractivité.Ce défi est relevé différemment et avec un suc-cès inégal aux différentes échelles de planifi-cation. À l’échelle régionale (2 millions d’habi-tants), le plan régional (2001) identifie despôles de développement et une solide structureverte fondée sur des pénétrantes vertes reliantla campagne au centre-ville. Mais ce conceptde pénétrante se heurte clairement aux projetsautoroutiers portés par le plan régional. Àl’échelle de la commune-centre (800 000 habi-tants), le plan communal de Stockholm (2010)entend, sous le slogan « la ville-promenade »,«bâtir la ville piétonne vers l’intérieur» par unestratégie générale de reconquête des frichesurbaines, et des pôles de transports proches ducentre-ville, qui s’accompagne d’une mise envaleur du paysage urbain caractéristique etd’une préservation de la « structure verte » exis-tante. Mais ce plan ne dit rien de la façon dontcette structure devra évoluer, en même tempsque les tissus urbains. Enfin, à l’échelle d’îlotsou de parcelles constituant des dents creuses,des plans de détail sont élaborés par des pro-moteurs, mais sans une réelle compréhensiondes pratiques et des attentes des habitants.Ce qui manque aujourd’hui à la planificationurbaine, c’est une interface entre le niveau communal et le niveau local, et un dialogueconstructif entre les acteurs de la planification

urbaine et les habitants, notamment au sujet dela structure verte. Pour combler ce manque, laville de Stockholm propose dans son récentPark program (2011), de nouvelles orientationsen matière de prise en compte des habitants,fondées sur la notion de « sociotopes». La cartedes sociotopes, qui s’appuie sur un dialogueavec les habitants, s’adresse à la planificationurbaine au niveau de l’arrondissement, articu-lant le niveau communal et le niveau local.

Créer et utiliser la carte des sociotopesLa notion de sociotope a été inventée par moncollègue Anders Sandberg et moi-même audépartement de planification stratégique de laville de Stockholm, comme complément à lanotion mieux connue de « biotope ». Nous défi-nissons un sociotope comme « un espaceouvert ayant une qualité de lieu de vie dans unenvironnement culturel donné » – dans le casprésent, celui des habitants de Stockholm. Lacarte des sociotopes d’un arrondissementdécrit les qualités des espaces ouverts – «verts »,« gris » ou « bleus » – pour la vie quotidienne.Elle est élaborée de la façon suivante.Premièrement, les espaces ouverts de plus de0,5 ha sont définis et dénommés, selon des caté-gories simples telles que parcs, places, nature,rivages, quais…

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Les sociotopes et le paysage des habitants

Créer une ville dense de qualité, qui offre des environnementsdiversifiés pour des modes de viediversifiés. Ponton au centre de Stockholm.

En utilisant la méthode des sociotopespour mieux comprendre les besoinsdes habitants actuels et futurs, le nouveau Park program deStockholm privilégie une approcherésolument dynamique de la « structureverte », autant que du paysage urbain,caractéristique de la capitale suédoise.

Alexander Ståhle(1)

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Le paysage, du projet à la réalité

Un paysage par qui ?

(1) Alexander Ståhle est architecte-paysagiste, docteur enurbanisme et directeur de l’agence Spacescape.

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Deuxièmement, des professionnels (architectes-paysagistes) évaluent les espaces ouverts parl’observation, selon des protocoles développésà partir de travaux de recherche et d’évaluationnationaux et internationaux sur les espacesouverts. Des experts tels que des historiens desparcs et jardins sont également mobilisés.Troisièmement, les habitants ont l’occasiond’évaluer leurs espaces ouverts et d’influencerla carte des sociotopes à travers plusieurscadres de dialogue, animés par des agents dechaque arrondissement. Par des questionnairesconcernant les «espaces de plein air préférés »,adressés aux parents et personnels des crècheset des écoles maternelles, publiés dans la presselocale ou proposés sur le site internet de l’ar-rondissement, par des entretiens et des focus-groupes avec des jeunes, des adultes et des per-sonnes âgées, les différentes valeurs desespaces ouverts pour les habitants sont recueil-lies. La psychologue environnementale Maria

Nordström de l’université de Stockholm a misau point les questionnaires et guides d’entre-tien. Depuis 1996, la ville de Stockholm a ainsiréalisé une série d’enquêtes sur les qualités etles usages des espaces verts, qui ont confirméle rôle des parcs, de la nature dans la vie des habi-tants, et donc dans l’attractivité de Stockholm.Quatrièmement, les informations tirées de cedialogue sont croisées avec celles observéespar les professionnels pour aboutir à vingt qualités-types ou «valeurs de sociotopes», expri-mées volontairement dans un vocabulaire cou-rant (jeu, pique-nique, tranquilité, nage…) pourservir de socle commun aux acteurs de l’amé-nagement et aux habitants. Puis chaque espaceest reporté, avec sa combinaison spécifique devaleurs, sur la carte des sociotopes. Cette cartegéoréférencée peut désormais être utiliséepour des analyses de structure verte dans diversprojets de planification urbaine.

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Carte de la structure verte : « Stockholms grönkarta »

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Accepter de ne pas tout conserverL’attractivité d’une ville crée une pressionurbaine sur les espaces ouverts. La réponse laplus fréquente à cette pression est la préserva-tion des espaces ouverts, qui est l’expressionde la grande importance accordée à cesespaces. Mais il n’est ni possible, ni souhaitablede « tout » conserver dans une ville, puisqu’elleévolue constamment. Les opérations de renou-vellement urbain et d’extension urbaine doi-vent être conditionnées à la qualité des espacesouverts existants ou potentiels à proximité desopérations, comme à l’échelle de l’arrondisse-ment. Les acteurs de l’aménagement (urba-nistes, paysagistes…) doivent considérer lesespaces ouverts comme susceptibles d’êtremodifiés, déplacés ou réaménagés. En modi-fiant et en étendant la structure verte à mesureque de nouveaux bâtiments et routes sontconstruits, l’environnement urbain peut gagneren qualité, même si la quantité d’espacesouverts est réduite. L’enjeu est de créer une villedense de qualité, qui offre des environnementsdiversifiés pour des modes de vie diversifiés. Laproximité d’espaces ouverts est un atout pourles nouveaux bâtiments qui en retour, s’ils sontbien implantés, peuvent préserver ces espacesdu bruit du trafic. En outre, les espaces ouvertsde centre-ville sont une réponse à l’étalementurbain qui affecte de nombreuses villes euro-péennes.Le Park program de Stockholm s’articule autourd’une stratégie et d’une politique de dévelop-pement des espaces ouverts, pour partie fon-dées sur la carte des sociotopes, et destinées àconstituer un outil intégré d’aménagement etd’urbanisme. Par des orientations dynamiques,qualitatives et quantitatives, il entend promou-voir une offre adaptée, mais également une ges-tion durable et une véritable « culture desparcs ».Les orientations qualitatives sont extraites de lacarte des sociotopes, c’est-à-dire du dialogueavec les habitants sur les valeurs des espacesouverts à Stockholm, et donc adaptées aucontexte communal :- à moins de 200 m : oasis de verdure, jeux,

calme et détente, bain de soleil, marche ;- à moins de 500 m : fleurs, vie sociale, pique-

nique, jeux de ballon ;- à moins d’1 km : nage, agriculture, événe-

ments, pêche, luge, patinage, forêt, histoire,point de vue, contact avec l’eau, vie sauvage.

L’expérience montre que certaines valeurs,telles que la nage ou le point de vue, nécessi-tent des lieux spécifiques. Des valeurs telles quela tranquillité ou les jeux pour enfants sont dif-ficiles à combiner dans un parc et demandentdes espaces spécifiques. À l’inverse, le bain desoleil et la marche peuvent être associés dans

l’aménagement d’un parc. Lorsque des parcsintenses en valeurs deviennent attractifs, celaaccroît la fréquentation et donc les dégrada-tions. La durabilité dépend donc de la taille etde l’entretien des parcs. Si les espaces verts doi-vent rester verts et conserver leurs qualités, ilsdoivent être suffisamment grands. Ils doiventégalement faire partie d’une structure vertebien connectée pour être à la fois accessibleset fonctionner comme des écosystèmes dura-bles. Une gestion adaptée est cruciale.Les orientations quantitatives résument les poli-tiques et les recommandations du groupe d’ex-perts sur l’environnement urbain de la Com-mission européenne, du Conseil nordique, dubureau national du logement, de la construc-tion et de la planification, et du service de laplanification régionale et des transports urbainsde Stockholm :- à moins de 200 mètres : un parc de proximité,

de 1 à 5 hectares ;- à moins de 500 mètres : un parc d’arrondisse-

ment, de 5 à 50 hectares ;- à moins de 1 kilomètre : une réserve naturelle,

de plus de 50 hectares ;- des espaces ouverts complémentaires, de

moins de 1 hectare.Ces orientations encouragent la discussion,dans le processus de planification urbaine, surles moyens de proposer une offre adaptée d’es-paces verts. Trois grandes stratégies sontdécrites dans le Park program pour atteindrece but. La première est l’extension des espacesouverts, dans les cas où il manque des espacesouverts pour développer des qualités. Ladeuxième est la concentration, qui signifierequalifier les espaces ouverts existants et/ouréduire la quantité d’espaces ouverts tout enaméliorant les espaces restants. La concentra-tion implique aussi l’amélioration de l’accessi-bilité, c’est-à-dire à la fois la possbilité d’attein-dre un espace (par exemple pour les enfants),le caractère public d’un espace, et la possibilitéde traverser un espace (par exemple pour lespersonnes handicapées). La troisième est la ges-tion, qui permet de conserver des espaces etdes structures fonctionnant bien. Il ne sert àrien de créer un « bon » parc s’il n’est pas bienentretenu, et il ne sert à rien de continuer àentretenir un «mauvais » parc. Et, c’est aux habi-tants de décider ce qui est « mauvais » ou« bon ».

Traduit de l’anglais par Nicolas Laruelle

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n° 159 - septembre 2011

Un paysage par qui ?

Les sociotopes et le paysage des habitants

Nage, pêche, calme et détente :multiples valeurs de l'eau à Stockholm.

Observation sur site et travail sur carte à Stockholm.

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Jean-Pierre Ferrand, conseil en environnement, est depuisquelques années le principal passeur en France de la méthodedes sociotopes, inventée et développée en Suède par AlexanderStåhle et Anders Sandberg. En lien avec l’agence d’urbanismede Lorient (AudeLor), il a notamment organisé des voyaged’études en Suède, invité Alexander Ståhle pour uneconférence en France, encadré des travaux d’étudiants françaiset initié la traduction française du manuel des sociotopes. Enoutre, il anime depuis quelques mois le blog « Sociotopes enFrance ».Une quinzaine d’urbanistes, sociologues, architectes,agronomes, géographes et paysagistes de l’IAU île-de-France,de l’agence des espaces verts de la Région île-de-France et deNatureparif, curieux des apports possibles de la méthode auxtravaux qu’ils mènent, ont invité Jean-Pierre Ferrand à unaprès-midi d’échanges, le 1er mars dernier à Paris. Quelquesenseignements de cette rencontre vous sont livrés.

Une base commune pour le professionnel et l’habitantPar l’efficacité de son vocabulaire, à la fois simple et précis,comme par la clarté de ses étapes permettant de croiser lesregards du professionnel et de l’habitant, la méthode dessociotopes est apparue aux participants comme un cadreprometteur d’articulation entre des outils d’expertise technique

AnticiperLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Le paysage, du projet à la réalité

Un paysage par qui ?

éprouvés (rendant compte de l’accessibilité, de lamultifonctionnalité, de la vulnérabilité des espaces ouverts) et unintérêt croissant de l’IAU îdF pour la « parole habitante ». Cettearticulation est particulièrement appréciable dans un organismecomme l’IAU îdF ou l’AEV, dont les professionnels ont la chanced’être aussi des habitants de leur aire d’intervention.

Une grille de lectureÀ partir du commentaire détaillé d’un article de Ouest-Franceconsacré à l’usage des espaces ouverts par des personnes nepouvant partir en vacances, Jean-Pierre Ferrand a démontré quela méthode des sociotopes offrait une grille intéressante pourdéchiffrer les représentations et les pratiques des espacesouverts au travers de supports accessibles à tous. Son blog faitd’ailleurs la part belle aux exercices de déchiffrage d’articles depresse, mais aussi de textes de chansons, de souvenirsd’enfance, de brochures de promoteurs, de photos de vacances…

Une chance pour l’environnementAlors que la préservation de la biodiversité apparaît de plus enplus souvent, dans certains discours caricaturaux, comme laseule fonction des espaces ouverts, la méthode des sociotopespermet de réhabiliter la fonction sociale de ces espaces et, plusencore, de montrer que fonction sociale et fonctionenvironnementale sont le plus souvent conciliables. C’estnotamment le cas pour la gestion des dunes littorales, dont lesprogrès ont permis d’articuler accueil du public et protection desmilieux. Un participant a d’ailleurs fait remarquer que l’ouvertureau public est souvent une façon de le sensibiliser aux enjeux depréservation de la biodiversité et que, parfois, l’invocation d’unconflit supposé entre public et environnement cache simplementun conflit entre environnement et environnement.

Une approche pratique du paysageInterrogé sur l’absence de mention explicite du paysage parmi les« valeurs » des espaces ouverts, Jean-Pierre Ferrand a montrécomment une approche indirecte du paysage, au travers devaleurs exprimées en termes très concrets dans lesquestionnaires (point de vue, calme/détente, fleurs…), permettaità la méthode des sociotopes d’éviter la perplexité esthétisantesouvent engendrée par une approche plus directe (« aimez-vousle paysage de ce parc ? »).

Un potentiel d’analyse des espaces agricolesPeu présents aux abords de Stockholm où la méthode dessociotopes a été inventée et développée, les espaces agricolesont pourtant, selon certains participants, de nombreuses« valeurs » de sociotopes, effectives ou potentielles, quimériteraient d’être plus systématiquement recensées, notammentdans l’espace périurbain francilien. En outre, la fonctionéconomique des espaces agricoles demeurant souvent la plusimportante, devant les fonctions environnementale et sociale, il aété proposé que la notion d’« écotope » soit ajoutée à celles debiotope et de sociotope, en référence aux trois piliers dudéveloppement durable.

De premières applications en FranceJean-Pierre Ferrand a présenté les premières expériencesprometteuses menées actuellement en Bretagne à Plœmeur,Lanester et Brest et mentionné des utilisations plus ponctuellesde la méthode des sociotopes, à Questembert pour un espacenaturel ou à Mellac pour la gestion d’un périmètre de captage.En guise de conclusion, il s’est risqué à envisager les chances desuccès en France de cette méthode simple et efficace. Ce succèssemble conditionné principalement au courage des élus – quipourraient craindre d’ouvrir le « cahier des réclamations » – et àl’implication des services techniques des collectivités – quipourraient redouter une remise en cause de leurs pratiques.

Nicolas Laruelle, IAU îdF

Webographie

http://sociotopes.eklablog.com/

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Les sociotopes en France : récit d’une rencontre

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Quelques exemples de sociotopes en Île-de-France.

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Si, dans le principe, tous les paysagistess’accordent pour souligner l’intérêt desdémarches de concertation, les points de

vue sont partagés dès qu’il s’agit d’en identifierconcrètement les apports et les limites. Lesarguments les plus fréquents soulignent l’intérêtde la concertation pour prendre en compte ladiversité des usages et, dans un autre registre,pour contribuer à la démocratie participative.À l’inverse, d’autres acteurs insistent sur lecaractère chronophage de démarches dont lesrésultats seraient somme toute mitigés… Lesujet, souvent traité de manière idéologique,voire polémique, divise. Et pourtant, les termesdu débat et les attentes vis-à-vis de la concerta-tion demeurent flous, les objectifs, méthodes etsavoir-faire à mobiliser sont loin d’être stabiliséset une culture partagée de la concertation resteà construire.

Cet article a pour but d’y contribuer en mettanten perspective les points de vue de concep-teurs impliqués dans des processus de concer-tation menés dans le cadre de projets d’amé-nagements paysagers (espaces publics, parcs,promenades…) avec les expérimentations etévaluations menées depuis les années 1970 enmatière de concertation.La place des méthodesdes sciences sociales dans ces démarches deconcertation est aussi interrogée.

La concertation favorise-t-ellenécessairement une meilleure prise en compte des usages et une plus grandesatisfaction des usagers?Les retours sur expériences répondent de façonnégative à ces deux questions et montrent, aucontraire, l’absence d’impact de la concertationsur le plan fonctionnel de la qualité desespaces (Conan, 1997). Dans un ouvrage desynthèse, Florent Champy dresse un constatmitigé sur la prise en compte des usages dansla conception et constate que «beaucoup resteà faire pour comprendre quels mécanismespeuvent aider à améliorer la prise en comptedes usages » (Champy, 1997). À l’évidence, « laperspective d’adapter l’espace à des usages pré-définis, en s’appuyant sur une analyse fine etexhaustive des pratiques constitue de toute évi-dence une impasse » (Guigou, Lefeuvre, 2003).Plusieurs difficultés justifient ces constats pes-simistes : le caractère divers, changeant, contra-dictoire, voir conflictuel des usages ; la com-plexité de la démarche de conception de

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n° 159 - septembre 2011

Les paysagistes face aux paradoxes de la concertation

Aménagement de la porte d’Ivry(Val-de-Marne), élaboré dans le cadre d’une concertation.

Les paysagistes sont aujourd’hui de plus en plus sollicités pour accompagner ou mettre en œuvredes dispositifs de concertation avec les usagers. Que peut-on attendrede ces dispositifs ? Quels rôles les paysagistes y jouent-ils, en partenariat avec les maîtresd’ouvrage? Quelles sont les méthodesqu’ils mobilisent pour mieux connaîtreles usages et mener à bien la concertation?

Brigitte GuigouIAU île-de-France

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Le paysage, du projet à la réalité

Un paysage par qui ?

Cet article s’appuie sur une dizained’entretiens menés en mai 2011

auprès d’Alain Costes (architecte urbaniste,élu municipal), Sébastien Giorgis (architecte-

paysagiste, paysagiste conseil de l’État),Isabelle Grudet (architecte, chercheure),

Jean-Marc L’Anton (architecte-paysagiste,enseignant), Théodora Manola (architecte

urbaniste, doctorante), Alain Marguerit(architecte-paysagiste, enseignant),

Nathalie Melin (architecte-paysagiste,urbaniste), Yann Renaud (sociologue, chargé

de mission concertation), Armelle Varcin(architecte-paysagiste, enseignante).

Nous les en remercions.Les jardins partagés, fruit d’une forte implicationdes habitants.

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projet, très éloignée d’une « traduction» spatialeet mécanique d’une liste d’usages prédéfinis ;la complexité de l’observation, qui suppose aminima des méthodes et des hypothèses sur lefonctionnement du social. Sans oublier les réti-cences et les craintes des concepteurs et desmaîtres d’ouvrages…

Quelles sont alors les méthodes sur lesquelles s’appuient les paysagistespour prendre en compte les usages?En dépit de l’intérêt qu’ils accordent auxusages, ces derniers formalisent peu leursméthodes d’observation et d’enquête. Bien sûr,ils lisent les enquêtes sociales disponibles,lorsqu’elles existent. Mais il est rare qu’ils expli-citent la façon dont ils les utilisent, demandentdes compléments et, plus généralement, s’ap-puient sur les acquis importants des sciencessociales en matière d’observation et d’analysedes pratiques ou collaborent, au sein d’uneéquipe mixte conception/sciences sociales àla conception d’un projet d’aménagement. Unrapide tour d’horizon montre que perdure unclivage entre :- les méthodes des concepteurs-paysagistes,

fondées sur une appréhension sensible et sin-gulière du site par l’immersion, l’intuition,l’échange informel, en un mot des référentscaractéristiques de la sphère artistique,

- et les méthodes des sciences sociales, qui, àl’opposé, positionnent le chercheur commeun observateur impartial, extérieur à sonobjet, croisant les points de vue sur le site enrecourant à des techniques formalisées (parexemple, entretien qualitatif, carte mentale,enquête topo-réputationnelle, parcours com-menté, observation récurrente…).

Des tentatives existent pourtant, même si ellesrestent marginales, pour mettre les sciencessociales au service de la conception. C’est lecas, par exemple, lorsque des habitants sont sol-licités pour produire des photographies, écritset enregistrements sonores à partir d’un itiné-raire choisi. Synthétisés par le sociologue puiscroisés avec ceux d’autres usagers, ils serontensuite livrés au paysagiste concepteur pourl’élaboration d’un avant-projet (Amphoux inJolé, 2002). Dans un registre proche, ThéodoraManola conçoit des méthodes pour mieuxprendre en compte le caractère multisensorieldu paysage urbain dans la conception. Elleinsiste sur la nécessité de penser en termes «dedémarches intégrant des méthodes différentesmais complémentaires pour favoriser le croise-ment des points de vue », et regrette que « leurapplication, à des fins d’action, reste peu exploi-tée » (Manola, 2008).Interpellés sur le sujet, les paysagistes rappel-lent, à juste titre d’ailleurs, que la capacité à

prendre en compte la diversité des usages estau cœur de leur pratique professionnelle.« Nous serions de bien mauvais professionnels,si nous ne tenions pas compte des usages desespaces sur lesquels nous intervenons » (Giorgis). « La capacité à lire le site en profon-deur, dans ses dimensions physiques (morpho-logiques, géographiques…) mais aussi cultu-relles (historiques notamment…) constitueaujourd’hui un des “noyaux durs” du métier »(L’Anton).

Comment hiérarchisent-ils ces usages et en font-ils des matériaux pour leur projet ?Là encore il est utile de s’interroger sur lesméthodes des paysagistes. L’espace urbain etrural étant traversé de contradictions entre unemultiplicité d’usages passés, présents et futurs,arbitrer, hiérarchiser et prioriser sont des enjeuxstratégiques. Mais qui doit arbitrer ? Le concep-teur paysagiste, la maîtrise d’ouvrage qui éla-bore le programme et/ou les usagers au traversde processus de concertation? Cette hiérarchi-sation relève-t-elle d’un processus de travailindividuel fondé sur les savoir-faire des paysa-gistes? Ou d’un processus collectif, itératif, impli-quant la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvreet ce que certains appellent la « maîtrised’usage » et qui consiste à introduire, dans leprocessus, les habitants et les gestionnaires del’espace. Comment organiser ces processus ?Ces questions sont souvent esquivées au profitd’un discours un peu convenu (même s’il n’estpas faux) sur la polyvalence des espacesconçus par les paysagistes, polyvalence qui per-mettraient une multiplicité de pratiques, unerégulation des conflits et ménagerait des pos-sibilités d’adaptation (Traits urbains, 2011).Certains pourtant font le choix du processuscollectif et expérimentent des méthodes origi-nales. Pour l’aménagement du square Averroèsà Lyon-Duchère, Alain Marguerit s’est impliqué,comme maître d’œuvre, dans une démarchede coproduction portée par les élus et la maî-trise d’ouvrage (l’équipe du Grand projet deville de la Duchère). Cinq réunions ont rassem-blé, dans la phase amont du projet, une ving-taine d’usagers, le maître d’ouvrage et le maîtred’œuvre. L’objectif était de débattre des choixde conception, de hiérarchiser les usages puisde parvenir à un consensus sur le projet. Leschoix ont été faits par les usagers sur la based’éléments de programme (budget, grandesorientations de la maîtrise d’ouvrage, faisabilitétechnique, gestion ultérieure…). Ce processusne s’appuie donc pas sur l’expression d’attentesmais sur une coproduction concepteur-usa-gers : «Mon problème n’est pas de savoir ce queveulent les usagers mais de les amener à réagir

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La concertation : retours sur expériencesLa littérature sur la concertation en matière de projets d’aménagement et d’urbanisme est foisonnante. De façonschématique, on peut identifier uneopposition récurrente entre :- un courant fonctionnaliste et

rationaliste, fondé sur un rapportabstrait au site, dont Le Corbusier serait le représentant emblématique ;

- un courant prônant au contraire,l’ancrage géographique, historique et culturaliste dans le site, dont RobertAuzelle serait le représentant en France,alors que Jane Jacobs en serait la représentante outre-Atlantique.

Les démarches de concertation surl’habitat, les espaces publics et, plus tard,les grands paysages ou les infrastructuresde transport, sont ancrées dans ce secondcourant. C’est en Amérique du Nord,souvent autour de revendications des communautés culturelles ou de genre,qu’elles ont été expérimentées. Les atelierspublics d’urbanisme, nés au Canada dansce contexte politique et social des années1960-1970, ont contribué à diffuser ces méthodes en France.La politique de la ville a été un domaineprivilégié d’expérimentation de la participation des habitants, termegénérique englobant l’information, la concertation (qui suppose que les décideurs s’engagent à négocier avecles habitants), et la coopération ou co-production (qui suppose une associationétroite et continue des usagers àl’élaboration du projet) (Bonetti, Conan,Allen, 1991). Parallèlement, c’est dans le logement social qu’ont été développées,au cours des années 1980-1990 et à lademande de l’État, des expérimentationssur la prise en compte des usages dans la conception de l’habitat. Ces démarchesse sont appuyées sur les sciences socialespour guider l’action programmatique,l’accompagner, l’évaluer (Champy, 1997).

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Dans le jardin d’Éole à Paris, une concertation menée avec l’appui des sociologues.

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sur la base d’éléments d’informations contex-tuels ou de projet et des possibilités d’aména-gement qui émergent. Mon rôle est pédago-gique ; je leur explique comment je travaille etje les accompagne » (Marguerit). Le résultat dela démarche est jugé satisfaisant : les espacessont appropriés, différentes générations y sontprésentes, des aménagements originaux (parexemple un bassin peu profond) permettentl’expression de nouveaux usages (jeux d’en-fants) et animent l’espace…Mais, comme le fait remarquer le concepteur,des questions d’usage non prises en compteresurgissent : deux mois après la livraison, desmères de famille non impliquées dans laconcertation demandent des aires de jeux plusconformes à l’image qu’elles s’en font (clôtu-rées), ce qui va à l’encontre des orientationsélaborées durant la concertation. Cet exempleillustre, comme d’autres cités dans les évalua-tions des années 1980 et 1990, la fragilité desaccords élaborés dans le processus de concer-tation. L’accord, faisait remarquer Michel Conanau milieu des années 1990, n’engage que lesmembres du groupe physiquement présentsdans la concertation. Il les engage davantagesur des valeurs autour d’un idéal de vie en com-mun que sur des objectifs pratiques ou desmodalités concrètes d’aménagement de l’es-pace.Les retours d’expériences comme les entretiensréalisés pour cet article insistent en revanche

sur les apports politiques d’une concertationbien menée, c’est à dire portée par les élus etintégrée dans une démarche pérenne de démo-cratie participative. Celle-ci ouvre au groupe lapossibilité d’imaginer un devenir commun,d’élaborer un « bien commun ». Cela supposeune forte volonté politique et une maîtrise d’ou-vrage structurée, garantissant l’existence d’uncadre d’échanges et donnant des orientationsclaires et pérennes sur les valeurs qu’elledéfend (les choix apparemment techniques,par exemple sur la mobilité, renvoient à deschoix entre valeurs). «Dans un contexte généralde déficit démocratique local, une concertationbien menée sur un projet d’espace public rap-proche les habitants des institutions et des éluset a un impact positif sur la démocratie. Àl’échelle d’un quartier, elle peut mobiliserdavantage de participants que les élections »(Costes).Sans doute est-elle encore plus nécessaire dansles quartiers où le déficit démocratique estimportant et où les régulations ont du mal à sefaire, faute de référents communs. Là encore,les méthodes des sciences sociales sont utilespour mieux comprendre le sens des pratiques(par exemple celle d’adolescents qui envahis-sent des terrains de jeux avant leur livraison),analyser les logiques d’acteurs (adolescents,municipalité, club de prévention, associationsportive…), tisser des liens avec les associationslocales et trouver une solution au problème(par exemple, ouvrir des aires de jeux en libreaccès durant un chantier), ou monter un projetde buvette d’insertion sociale, biologique etbon marché, gérée par une régie de quartier,comme cela a été fait dans les jardins d’Eole(Paris 18e). Une fois encore on peut soulignerque ces compétences issues des sciencessociales sont rarement mobilisées par lesconcepteurs et la maîtrise d’ouvrage, ouqu’elles le sont dans l’urgence « lorsque le quar-tier se rappelle brutalement au maître d’ou-vrage et au maître d’œuvre» (Renaud, Tonnelat,2008). Articuler les méthodes des sciencessociales et celles de la conception, les mettreau service d’un processus de concertationétroitement lié à la vie du projet d’aménage-ment paysager, depuis sa conception jusqu’à sagestion, faciliterait pourtant son appropriationpar le quartier.

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n° 159 - septembre 2011

Un paysage par qui ?

Les paysagistes face aux paradoxes de la concertation

Références bibliographiques

• BONETTI Michel, CONAN Michel, ALLEN

Barbara, Développement social urbain.Stratégies et méthodes, L’Harmattan,Paris, 1991.

• CHAMPY Florent, L’Architecte, la sociologieet l’habitant, La prise en compte desusages dans la conception du logementsocial, Plan construction et architecture,Paris, 1997.

• CONAN Michel, L’invention des lieux,Théétète éditions, 1997.

• GUIGOU Brigitte, LEFEUVRE Marie-Pierre,« Réflexions sur l’apport de la sociologieà la pédagogie du projet », dans LesCahiers du LAU, n° 7, 2003, 85-100.

• JOLÉ Michèle (sous la dir. de), Espacespublics et cultures urbaines. Actes duséminaire du CIFP de Paris, Certu 2000,2001, 2002.

• MANOLA Théodora, Paysage urbainmultisensoriel : quelques éléments pour saprise en compte dans l’action urbaine,Intervention aux journées doctorales enpaysage, 3 et 4 décembre 2008 àAngers, 23 p.

• RENAUD Yann, TONNELAT Stéphane, «Lamaîtrise d’œuvre sociologique desJardins d’Éole», dans Les Annales de larecherche urbaine, n° 105, 2008, p. 55-65.

• Traits urbains, dossier «L’espace publicpour tous», n° 46, avril-mai 2011, p. 16-29.

Dans le square Averroès à Lyon, une concertation menée

avec l’appui du paysagiste, maître d’œuvre. La

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Les Cahiers – On parle aujourd’huibeaucoup de nature en ville. Vous avezpréféré parler de ville fertile. Qu’impliquece changement de regard?Michel Péna – Pour nous, la notion de fertilitéparaît plus riche et plus pertinente, car elle asso-cie de manière positive la nature et la culture.La nature ne va pas d’elle-même. Une terre estrendue fertile par le travail. La fertilité s’exprimeaussi dans les échanges sociaux. Et puis pournous paysagistes, la question de la nature sepose depuis quarante ans. Nous voulions poserd’une manière différente cette question de l’en-richissement du milieu par la vie, par le travail,par le savoir-faire.Michel Audouy – Ce titre, longtemps provisoire,a eu du mal à emporter les cœurs. Quant ausous-titre, c’était au départ « la fabrique de laville fertile » ; mais nous avons introduit le motpaysage pour englober la notion de ville fertileet renvoyer à ceux qui fabriquent cette fertilité.M. P. – La demande au départ était « montrez-nous du vert ». Sans chercher à faire du corpo-ratisme, nous avons introduit le travail des pay-sagistes.

L. C. – La structure de l’exposition donnetout son poids au substrat, au contexte,et tout particulièrement au sol, quisemble pour vous l’élément fondateur du paysage. Trouvez-vous la demande,en matière de cadre de vie urbain, tropcentrée sur le vivant, voire sur le végétal?M. P. – Nous ne voulions pas nous limiter à lathématique végétale, faire du verdissement« accroché avec des bre-telles ». On ne peut pas par-ler du milieu vivant sans lesautres thèmes. Nous n’avonspas mis le milieu vivant endernier mais en conclusion.Mais chacune des sept alcôves témoigne d’uncombat en soi. Le ciel par exemple, ou l’air : lepremier travail du paysagiste, c’est de « donnerde l’air », de l’ouverture, du vide. Il s’agissait ausside montrer la transversalité des questions : Celledu sol par exemple est complètement urbaine ;il faut libérer du sol pour tout projet de pay-sage.M. A. – Il s’agissait aussi de revenir sur les idéesreçues où l’on associe toujours nature et pay-sage à vert. Les sept thèmes traités relèvent tousde la nature. Nous voulions montrer ce qui nousparaissait être des constituants indispensablespour la qualité environnementale.

M. P. – Pour moi, l’excellence environnemen-tale est traduite par la notion de paysage, quiva d’une notion très scientifique de l’environ-nement à une vision poétique, de l’utilitaire ausymbolique. La fertilité se situe dans ce mou-vement qui va de la géologie à Francis Ponge.D’où ce mélange de données scientifiques etd’expressions poétiques. Le paysagiste doitdéfendre une relation sensible à notre environ-nement pour ne pas devenir comme les fonc-tionnalistes dans l’architecture.

L. C. – Le titre de votre section del’exposition, « la fabrique du paysage»renvoie à la production de celui-ci. Qui sont et qui doivent être pour vous les acteurs de cette production?M. P. – Ce que l’on n’a pas problématisé demanière explicite, c’est la question politique del’aménagement de la ville, avec le choix de nonoccupation de certains terrains. Cette exposi-tion sert aussi à rendre sensible la question dupaysage auprès du public, et à le rendre plusexigeant. De nombreux travaux issus d’une exi-gence environnementale et paysagère de villesont créé des références, une exigence. Les élussont techniquement incompétents – heureuse-ment, sinon ce serait une dictature technique– mais ils sont sensibles. François de Mazières,président de la Cité, a toujours exigé que noussoyons « grand public ». Nous y avons adhéré,mais c’est difficile ; en simplifiant, nous avionsl’impression de trahir le sujet. Mais c’était indis-pensable : les paysagistes restent trop dans leurbulle. C’est aussi ce que nous avons fait avec la

Fédération française du pay-sage. Si on ne sort pas de sabulle, on végète.M. A. – Dans le choix desimages, des textes, ce fut par-fois un combat avec certains

paysagistes, qui ne comprenaient pas que leurlangage ne passe pas.

L. C. – Pensiez-vous que les paysagistesavaient besoin de cela?M. P. – Après la création de l’ENSP, les paysa-gistes ont été dans une logique de conquête,s’ouvrant du végétal à l’ensemble de l’espace.Une fois acquise cette reconnaissance, l’élar-gissement de notre territoire que nous n’étionsmême pas assez nombreux pour occuper toutseuls a eu tendance à engendrer, dans unedeuxième phase, la perte de notre noyau dur.Nous sommes donc dans une troisième phase,

Michel Péna et Michel Audouysont architectes-paysagistes,diplômés de l’École nationalesupérieure du paysage (ENSP) de Versailles. Michel et Christine Péna ont conçu le jardin Atlantique, le plan de réhabilitation du bois deBoulogne, la plage des Basquesà Biarritz, le parc du Vert de Maisons à Maisons-Alfort, le parc-promenade sur le tracédu Paillon à Nice… Forts de ces créations, ils continuent à s’inspirer du lieu pour offrirdes réponses en résonanceavec la terre, le temps et lesgens. Michel Audouy mène defront une carrière d’enseignantà l’ENSP et une activité libérale.Il a notamment réalisé la chartepaysagère pour le « Var des plaines et des collines », le jardin de la fondation Picassoà Malaga, le jardin de la médiathèque d’Amilly(Loiret). Président et secrétairegénéral de la Fédérationfrançaise du paysage, ils œuvrent pour la transmissionet la promotion du métier de paysagiste. En tant quecommissaire de l’exposition « La ville fertile, vers une natureurbaine », Michel Péna, épaulépar Michel Audouy, offre au grand public des clefs de lecture de nos paysagescontemporains.

Le paysage, ressource de la ville fertile

Interview

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Le paysage, du projet à la réalité

Un paysage par qui ?

»Le développement ne sera durable

que s’il est partagé. «IAU île

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de recentrage, de reconstitution d’un savoir-faire qui tienne compte de toutes ces avancées.Nous devons nous montrer, accepter la contra-diction. Comme dit Érik Orsenna, « j’adore avoirtort », c’est la meilleure manière de progresser.L’exposition était pour nous paysagistes unemanière de s’exposer, de se mettre en danger.M. A. – C’est aussi la première exposition surle paysage en général, pas sur un créateur. Nousvoulions montrer la variété des approches plusque poser les grands problèmes.

L. C. – Votre réflexion porte sur le tempsdu projet. La demande des citadins et deleurs représentants est en général celled’un espace immédiatement utilisable.Comment concilier cette demande avecl’évolution d’un paysage?M. P. – Le paysage est en mouvement, mais ilexiste à chaque étape. Le temps du végétal estlong, mais un chêne est beau à tous les âges desa vie, déjà quand il fait 30 cm de haut. Le tempsne sous-entend pas qu’il faille attendre un siè-cle avant d’ouvrir le jardin. Le travail du paysa-giste est d’orchestrer cette transformation pourqu’on puisse en jouir, et s’en réjouir, dès ledébut. L’architecte construit un objet définitif ;pas nous, et pas seulement avec le végétal : unespace se transforme aussi, s’infléchit, dirait Las-sus, avec les gens qui y vivent. Mais nous n’ysommes pas autorisés, notre rémunération étantbasée non sur cette orchestration de l’évolutionmais sur la tonne de matière remuée dans l’im-médiat, voire sur la tonne de CO2 que nousenvoyons dans l’atmosphère.M. A. – Cela est aussi un argument de l’exposi-tion, qui montre que voir pousser un arbre, unjardin, est aussi beau que l’image de l’arbreadulte.

L. C. – La fabrique du paysage est lerésultat d’une relation souventcompliquée entre le paysagiste et soncommanditaire. Suffit-il de réinterpréterla commande pour la faire progresser surle long terme?M. P. – Il y a un vrai sujet de la compétence dela maîtrise d’ouvrage. La programmation doitprogresser. On a en ce domaine un déficit théo-rique. Sur un parc, on n’a quasiment riencomme programme. On peut souvent aisémentredéfinir la commande mais cela ne suffit pas.Aujourd’hui, personne ne sait aborder la ques-tion du sens de la transformation d’un lieu. Il ya une grosse différence d’un commanditaire àl’autre. Le rôle de l’élu est déterminant. Il nedoit pas être compétent techniquement maiscultivé, sincère, vraiment représentant de sesélecteurs, et à l’écoute des professionnels.Quant aux services techniques, la compétencey est croissante, ce qui ne facilite pas forcémentle travail du maître d’œuvre.M. A. – Un élu qui a bien compris son rôle s’en-toure des compétences nécessaires. Les exem-ples de Lyon, Nantes ou Bordeaux le montrent.Cela pourrait aussi se faire sur des villes pluspetites.

L. C. – Vous êtes respectivementprésident et secrétaire général de laFédération française du paysage, quiorganise les assises européennes dupaysage. Qu’est-ce que votre professionpeut dire dans ce contexte à tous ceuxqui font la ville?M. P. – La question du paysage est devenue dif-fuse, donc inopérante. Le paysage ne va pas desoi, la qualité environnementale ne se fera pastoute seule. Nous n’avons pas voulu être alar-mistes, mais nous pourrions l’être sur ce point.Le discours écologiste est souvent pessimiste,voire catastrophiste. Nous voulons dire qu’il fautagir, mais qu’on peut le faire. Nous n’avons pasmontré « la France moche » mais la carte del’Île-de-France disant : « allez voir ces lieux, ilsle méritent ». Nous voulions montrer que l’ordi-naire est merveilleux.M. A. – Et c’est important de montrer que nousavons des grands sites, notamment le fleuve, etque nous sommes capables aussi de fabriquerde beaux lieux.

Propos recueillis par Pierre-Marie Tricaudet Corinne Legenne

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AnticiperLes Cahiers de l’IAU îdF

n° 159 - septembre 2011

Un paysage par qui ?

Le paysage, ressource de la ville fertile

Pour en savoir plus

• La ville fertile, vers une nature urbaine,Le Moniteur, Cité de l’architecture et du patrimoine, Hors-série, PaysageActualités, Paris, catalogue officiel del’exposition, 2011.

Exposition «La ville fertile vers une nature urbaine» présentéeà la Cité de l'architecture & du patrimoine du 23 mars au 24 juillet 2011.

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Ressources

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L’agence des espaces verts a tenu son col-loque annuel le mercredi 27 avril 2011au Muséum national d’histoire naturelle,

dans le cadre de l’année internationale desforêts. La forêt est un des domaines d’interven-tion privilégié de l’AEV, qui gère déjà plus de10 000 ha de forêts régionales, une spécificitéfrançaise, et qui poursuit les acquisitions deforêts périurbaines ; l’État en Île-de-France seconcentrant sur les grands massifs de Ram-bouillet et de Fontainebleau.De prime abord, la forêt n’évoque guère l’inno-vation, mais plutôt un milieu immuable, le plusnaturel qu’il nous reste en Île-de-France, consti-tué d’arbres à croissance lente. Pourtant, ce sontdes forestiers français et allemands qui ontinventé le concept de gestion soutenable dansla seconde moitié du XIXe siècle, ce que l’onappelle aujourd’hui le développement durable.On ferait sans doute bien de s’inspirer de ceque peut nous enseigner l’école de la forêtpour l’appliquer à d’autres domaines (longterme voire très long terme, slow attitude…). Laforêt est aussi une source d’innovation.L’innovation – et l’avenir – c’est dans un nou-veau partage de la forêt que nous étions invitésà les imaginer, autrement dit en langage tech-nique dans une nouvelle multifonctionnalitéde l’espace forestier. Plus que jamais, la forêtcristallise des attentes multiples et parfoiscontradictoires. Les gestionnaires forestiers pré-sents, privés et publics, ont bien rappelé aucours du débat qu’il fallait raison garder et quel’on ne pouvait pas tout demander à une forêten même temps et dans un temps très court(du bois, de l’énergie, de la chimie verte, du pay-sage, de la promenade, des nouveaux usages,de la biodiversité, de la protection de l’eau etdes sols, de l’agro-foresterie…).La matinée autour d’une table ronde « La forêtcomme biotope humain » a consisté à revisiterle caractère ambivalent de la forêt, à la foiscreuset de l’humanité et lieu de refuge/de per-dition pour ses marginalités. Le parrain du col-loque, le paysagiste Gilles Clément a illustré lesaspects universels et bienfaisants de la forêt ;Nicolas Métro de l’association Kinomé a rap-pelé que la forêt est une ressource naturelleindispensable à la survie de nombreuses popu-lations pauvres sur la planète. Franck Mazereeldu Gerame et Cécile Dardignac de l’ONF, ontrévélé l’intérêt archéologique des forêts (enl’occurrence la forêt de Rougeau), grâce à lasurface du sol restée beaucoup plus intacteque celle des autres utilisations du sol (urba-nisation, agriculture). Michaël Rimbaud a expli-qué son expérience personnelle de retour à la

vie en forêt, et l’association Fuck for Forest sadémarche de Porn Aid alliant sexe et écologie.L’après-midi était composée de deux tablesrondes réciproques « L’homme au service dubiotope forestier » et « La forêt au service del’homme ».Au cours de la première table ronde, ChristopheMohni de la fondation Silviva a montré que laforêt pouvait être un lieu privilégié d’appren-tissage. Claude Lagarde de l’ONF a racontél’aventure de la réintroduction d’une plantequasi disparue de l’Île-de-France, l’Arenariagrandiflora en forêt de Fontainebleau. OlivierThomas, président de l’AEV, a présenté un flo-rilège du savoir-faire de l’AEV en matière degestion forestière dans la plus grande des forêtsrégionales, la forêt de Ferrières.Au cours de la deuxième table ronde, PatrickCastera, chercheur au CNRS, a présenté l’étatde l’art des différentes techniques de boismodifiés et composites en aménagement inté-rieur. Stéphane Grelier, chercheur au CNRS, aesquissé les perspectives de la bioraffinerie dela biomasse pour produire de l’énergie et desproduits chimiques. Nicolas Metro est revenuprésenter des initiatives locales de développe-ment de ressources forestières pour luttercontre la déforestation. Pierre de Montlivaultde Dalkia a présenté les initiatives de son entre-prise pour le développement de la filière bois-énergie. Robert Golja du FCBA a évoqué plu-sieurs projets visant à mieux mobiliser laressource bois et à développer la filière bois enFrance. Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre en chargede l’environnement, a conclu le colloque enrappelant l’attachement de l’Etat à une poli-tique forestière équilibrée entre les différentesdimensions et fonctions de la forêt. La ministrea insisté sur la concentration des enjeux fores-tiers en Île-de-France qui doit être un territoired’excellence pour la forêt et pour le bois. Lesforêts périurbaines portent une lourde respon-sabilité car elles portent l’image de la forêt pourla plupart des gens qui n’iront pas dans uneforêt profonde. La gestion forestière y mériteune attention particulière : explications auprèsdu grand public, prise en compte des modifi-cations du paysage, évitement de la coupe rase,régénération progressive, préservation desmonuments végétaux que sont les très vieuxarbres, préservation d’habitats naturels mena-cés par la fréquentation voire par la dynamiqueforestière de reboisement, etc. L’innovation pourtoutes ces actions en Île-de-France nécessiteune gouvernance partagée.

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La forêt, lieu d’innovation Quelle forêt pour demain ?

À retenir

Crédits photographiques p. 89C. Legenne/IAU îdFP.-M. Tricaud/IAU îdF© Arnaud Bouissou – MEDDTL© Thierry Degen - MEDDTLJean-Pierre FerrandJean-Marie Hébert/Ville du Havre

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www.colloque-aev-foret.fr

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Paysages de la vie quotidienneRegards croisés entre la recherche et l’action

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À retenir, à lire

La ville entièreLes Cahiers de l’École de Blois, n° 8mars 2010

Terres cultivéesLes Cahiers de l’École de Blois, n° 9mars 2011

DEUX NUMÉROS RÉCENTS DES CAHIERS DE

l’École de Blois proposent des contribu-tions divergentes sur la ville, la nature et

le paysage urbain en l’Île-de-France.Dans le cahier n° 8, Claude Eveno (« GrandPari(s) : le poids des images ») revient sur lesprojets présentés par les dix équipes d’archi-tectes lors de la consultation internationale surle Grand Paris. Il veut montrer quelle idée de lamétropole se dégage de ces projets et il s’ap-puie pour cela sur les images numériques.L’auteur pense les projets archaïques et vieillis,inspirés par des aménageurs et théoriciens denaguère. La vision proposée est celle d’une villedense axée sur l’activité économique. Y figurentdes tours, des downtowns, des hubs, inspirés dumodèle américain, ou des villes modernesd’Asie. Une ville représentative de l’économie,de la mondialisation dans laquelle la politiquede développement durable est très présente.Les équipes revendiquent une métropole post-Kyoto, durable, économe en énergie, limitant lesgaz à effet de serre et les pollutions. Des espacesverts de tous types atténuent la densité et lacompacité de la cité.L’auteur s’interroge sur le pourquoi de cesespaces verts qui sont plaqués sur la ville audétriment de l’espace public, essence de laville. Cette abondance d’espaces verts, de pou-mons de verdure ne semble pas pour ClaudeEveno avoir bénéficié de concertation. Il sequestionne sur l’absence de réflexion quant àla proposition de création et d’aménagementdes espaces verts ; il prend pour exemple l’idéede transformer les voies ferrées des gares duNord et de l’Est en parcs ou coulées vertes. Pour-quoi chasser le paysage urbain ? Est-ce que lefait de créer des parcs, des coulées vertes, des

toitures et murs végétaux change la ville ? Cettenature en ville se ferait au détriment de l’espacepublic, symbole de la cité et mènerait à la dis-parition de la notion de paysage urbain.Marie Gallienne, dans le Cahier n° 9 (« La plainedu Parisis entre champs, vergers et ville… Unparc naturel d’agglomération »), propose defaire de la plaine du Parisis un paysage fédéra-teur réconciliant la ville et la nature.La plaine du Parisis est située à une dizaine dekilomètres au nord-ouest de Paris. Cet espacequi appartient à la ceinture verte francilienneétait renommé pour ses cultures maraîchères,fruitières et viticoles. Il fait partie du périmètreprotégé par l’agence des espaces verts (AEV).Depuis les années 1970, il est rongé par l’urba-nisation, dont le quartier d’habitat collectif duVal d’Argent est le symbole. Une zone indus-trielle, des lotissements sans identité, une car-rière, contribuent à ternir l’image de la plainedu Parisis. L’auteur propose de requalifier ceterritoire, de lui rendre son attractivité en utili-sant les ressources agricoles, paysagères qui ontfait sa réputation. Elle suggère de réinsérer lavocation maraîchère dans ces quartiers demixité fonctionnelle en développant l’agricul-ture de proximité, en créant une ferme péda-gogique, en insérant des cultures vivrières dansles jardins… Les essences forestières retrouve-raient également leur place au sein de la ville,tout comme les arbres fruitiers. Marie Gallienneinsiste sur la pédagogie destinée tant auxenfants qu’aux adultes, sur le respect de l’envi-ronnement, sur le plaisir que génère la nature.Le patrimoine paysager ainsi restauré, le site dela plaine du Parisis serait un modèle de nou-velles relations ville paysage.

Colloque

Les résultats des travaux du programme derecherche « Paysage et Développementdurable » du ministère de l’Écologie, du

Développement durable, des Transports et duLogement (MEDDTL) ont été présentés lors ducolloque international, organisé du 16 au18 mars 2011 à Perpignan et à Gérone. Ce pro-gramme, lancé en 2005, a vocation à mieuxappréhender les questions liées à la durabilitédes processus d’évolution des paysages au tra-vers d’une approche territoriale et comparative,et vise à appuyer les politiques publiquesconduites par le MEDDTL et les collectivitéslocales. Il succède au programme « PolitiquesPubliques et Paysage», initié en 1998, et s’inscritdans la perspective de mise en œuvre du Gre-nelle de l’environnement et de la stratégienationale de développement durable.

Les 16 projets de recherche retenus ont permisde développer plus particulièrement trois axesthématiques : paysages, durabilité des processusd’évolution des paysages et des actions paysa-gères ; adéquation des actions paysagères auxobjectifs de la convention européenne du pay-sage ; et économie du paysage. Ces travaux fontécho aux initiatives prises par les pays membresdu Conseil de l’Europe et concrétisées parl’adoption de la convention européenne dupaysage qui donne une place privilégiée auxpaysages du quotidien, favorise l’évaluation desprocédures mises en œuvre, et encourage lanégociation et la participation des acteurs,notamment associatifs, à l’amélioration de laqualité des paysages.

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À lire

S’INSCRIVANT DANS LE PROLONGEMENT DU COL-loque «Ville mal-aimée, ville à aimer»organisé au château de Cerisy-la-Salle

en juin 2007, cet ouvrage propose, à travers unevingtaine de contributions originales s’ap-puyant chacune sur l’analyse d’œuvres artis-tiques, de textes législatifs ou de discours poli-tiques, une réflexion approfondie sur lesrelations souvent difficiles entre villes et cam-pagnes.La première partie entreprend de remonter«aux sources de l’urbaphobie», qu’elle décou-vre aux quatre coins du monde et principale-ment au XIXe siècle, sous des formes explicitesmais souvent ambivalentes, comme en Alle-magne où le proverbe populaire «grandesvilles, grands péchés» n’a pu faire complète-ment oublier que, depuis le Moyen Âge, «l’airde la ville rend libre».La seconde partie s’intéresse à «l’urbaphobieen pratique» dans le monde contemporain. Lessentiments antiurbains sont désormais moinsexplicites et plus insidieux : une contributiontente de montrer comment, en prétendant réin-venter la grande ville, la théorie de l’urbanismeportée par le mouvement moderne contient«des éléments remarquables qui ont contribué

à la destruction de ce qui caractérise la ville,et particulièrement de l’espace public», tandisqu’une autre contribution prétend débusquer« le graviérisme aujourd’hui » (du nom de Jean-François Gravier, auteur de Paris et le désert fran-çais, 1947).La troisième et dernière partie explore «leslimites de l’urbaphobie» et cherche notammentà démêler les ressorts d’une certaine urbaphilieactuelle, sans doute minoritaire mais trèsinfluente dans la pensée et la pratique urbanis-tiques, qui prête à la ville de grandes vertussociales, économiques ou environnementales.En mobilisant une connaissance étendue desfigures de rhétorique pour analyser un corpusde discours gouvernementaux et de pages«débats-horizons» du journal Le Monde de 1998à 2002, une contribution met en évidence l’al-liance objective de plusieurs courants urba-philes : néomarxiste, social-démocrate et néo-libéral – on pourrait ajouter écologiste. Unedernière contribution esquisse une méthodeoriginale d’examen du rapport affectif à la ville(amour/désamour), qui semble également pou-voir s’appliquer au paysage, sans doute insuffi-samment considéré ces dernières années.

AntiurbainOrigines et conséquences de l’urbaphobieSous la direction de Joëlle Salomon Cavin et Bernard Marchand, presses polytechniqueset universitaires romandes, Lausanne, 2010,329 p.

Cartographies Les carnets du paysage n° 20Actes sud et l’École nationale supérieure du paysage. 2010

L’OBJECTIF DE CE CARNET DU PAYSAGE EST DE REN-dre compte des différents types d’utili-sation de la cartographie que font ou

pourraient faire les paysagistes dans leur pra-tique professionnelle, et de témoigner de la vita-lité des réflexions sur la cartographie dans unemultitude de domaines et de pratiques. La car-tographie n’est pas une vision objective dumonde mais une entreprise de représentation.Entre imagination subjective, production scien-tifique ou démarche projet des paysagistes, ilexiste un rapport social et culturel à la carto-graphie. Les cartes révèlent le sens que lessociétés donnent à leur environnement. Elless’interprètent en relation aux intentions de sesauteurs, en fonction de leurs représentations,de leurs intérêts et de leurs projets, mais iln’existe pas non plus un seul type de carte. Auvu de la multitude de représentations demondes spatiaux, ce carnet cherche à éclairerles différents types d’objets cartographiques etles pratiques dont ils sont les supports et lesaboutissements. Il veut témoigner que les cartesd’artistes en disent tout autant sur l’imaginationgéographique d’une culture que les produc-tions scientifiques ou les propositions des pay-sagistes.

Les articles de ce carnet portent tant sur lesméthodes, les différentes facettes de son utili-sation et de son utilité, les éventuelles difficultésrencontrées comme celles par exemple à repré-senter un paysage pensé comme une vue hori-zontale… que sur les cartes de mobilité despratiques artistiques, intègrant les émotions res-senties, la narration, les usages du territoire, etdans lesquelles corps et territoire ne se diffé-rencient plus et révèlent un événement… ouencore sur la carte radar.Ainsi, la cartographie résulte d’un choix straté-gique d’un point de vue basé sur la positioncentrale du regardeur et met en évidence l’im-pact des objets dans l’espace en rendantcompte du proche et du lointain. Elle livre lesidées et idéologies concernant le rapport entreville et villages à Hanoï, qui se lit à travers lesplans historiques de la période précoloniale àl’heure actuelle, ou se découvre à travers leregard de Jacques Sgard sur la pratique du pro-jet de paysage à grande échelle, démontre larelation complémentaire qu’elle entretient avecle texte pour exprimer des sensations, ou lamanière dont elle peut être un outil de partageet devenir déclencheur d’imaginaire…

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L’environnement en Île-de-FranceMémento 2011

Une publication IAU îdF-Région Île-de-France

À télécharger gratuitement sur :

www.iau-idf.fr

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Et demain ?juin 2011France : 33 €Étranger : 35 €

Équipements et services :la métropole au quotidienjanvier 2011France : 20 €Étranger : 23 €

L’économie en mode actifseptembre 2010France : 18 €Étranger : 20 €

Les villes face à l’insécuritéjuin 2010France : 18 €Étranger : 20 €

le Maroc s’ouvre au XXIe sièclemai 2010France : 30 €Étranger : 32 €

Le Bassin parisien,une méga-région ?février 2010France : 18 €Étranger : 20 €

En vente à l’IAU île-de-France15, rue Falguière, 75740, Paris Cedex 15 - Tél. : 01 77 49 79 38 - www.iau-idf.fr

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