le patient, copilote de la gestion de sa maladie
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“Le patient, copilote de la gestion de sa maladie : pourquoi, comment ?The patient, copilot in the disease management: why and how?
L. Gossec*, H. Nataf**
* Service de rhumatologie, hôpital Cochin, Paris.
** Rhumatologue, Mantes-la-Jolie.
Depuis quelques années, il est courant d’entendre qu’il faut faire participer les patients à la gestion de leur maladie. Est-ce un idéal théorique ou un changement réel dans nos pratiques ?
Nous sommes persuadés qu’il faut dès à présent considérer la relation entre le malade et son médecin comme un véritable partenariat. Dans un contexte de démographie médicale inquiétant et d’exigences toujours plus grandes vis-à-vis du médecin, ce n’est qu’en impliquant le patient que nous pourrons optimiser nos consultations, en termes d’organisation et de résultats. Alors, pourquoi et comment ? Nous prendrons ici l’exemple de la polyarthrite rhumatoïde (PR).
Le principe : l’implication du patient pour une décision médicale partagée
La participation du patient relève d’un glissement progressif d’attitude, de la part du médecin mais aussi du patient. D’un modèle très “descendant” où la connaissance est transférée du médecin vers le patient (information), on est passé à un échange plus approfondi (éducation) puis à une participation active du patient (implication), avec des modèles bio-psychosociaux centrés sur le patient (1). Ainsi, les recommandations annoncent clairement le besoin d’une décision médicale partagée (tableau I).
La pratique : l’amélioration de la communication entre le médecin et le malade
En pratique, décision médicale partagée signifie impliquer et faire participer le patient dans les décisions le concernant. Ce n’est pas toujours facile… Prendre une décision médicale partagée nous oblige à revoir notre façon de faire en consultation. C’est une évolution nécessaire, voire indispensable (qu’on le veuille ou non). Les moins jeunes se souviennent de la façon dont on leur a enseigné la médecine : les visites terrifiantes des “grands pontes”, les ordonnances tendues sans explication… mais que de chemin parcouru depuis ! Le tableau II donne un bref aperçu de ces changements (de société).
Références bibliographiques
1. Johns Hopkins; American Healthways. Defining the
patient-physician relationship for the 21st century.
Dis Manag 2004;7(3):161-79.
2. Smolen JS, Landewé R, Breedveld FC et al. EULAR recommendations for the
management of rheumatoid arthritis with synthetic and
biological disease-modifying antirheumatic drugs. Ann
Rheum Dis 2010;69(6):964-75.
3. Loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), Journal
officiel du 22 juillet 2009, article 85. Cité sur le site de la Haute Autorité de santé,
http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_990671/
vers-des-patients-acteurs-de-leur-sante. Consulté le
26 novembre 2011.
4. Smolen JS, Aletaha D, Bijlsma JWJ et al., for the T2T
Expert Committee. Treating rheumatoid arthritis to target:
recommendations of an international task force. Ann
Rheum Dis 2010;69:631-7.
Tableau I. Impliquer le patient : les recommandations.
Source Recommandation
Recommandations EULAR pour la prise en charge de la PR (2)
Le patient doit bénéficier du meilleur traitement le concernant, la décision doit être débattue entre le rhumatologue et son patient, en discutant des avantages et des inconvénients
Loi HPST (3) Le patient doit jouer un rôle plus actif dans sa prise en charge, et acquérir les compétences dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec sa maladie
Recommandations internationales Treat To Target (4)
Le traitement de la PR doit être basé sur une décision partagée entre le patient et le rhumatologue
© Carlosphoto
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La communication entre le médecin et son malade, véritable échange où écouter est aussi important que parler, est vraiment l’aspect de la médecine dont on peut dire qu’il reste un art.
Mais comment, dans le cadre d’une consultation bien souvent surchargée, améliorer cette communication et impliquer plus le patient ? Chacun trouvera sa solution personnelle… Notamment en proposant une ouverture : “Avez-vous d’autres questions ou y a-t-il des sujets que nous n’avons pas abordés ?” Les documents écrits (livrets, etc.) peuvent être un support complémentaire utile pour faciliter la communication. Sachez en tout cas qu’en améliorant la communication entre le médecin et le malade nous améliorons la satisfaction du patient (5).
Un avantage à attendre : une meilleure adhérence thérapeutiqueEn impliquant plus le patient, on peut espérer améliorer l’adhérence thérapeutique.
Cela est un aspect important, puisque toutes les études montrent que l’adhérence thérapeutique est basse dans la PR : autour de 50 à 60 % pour ce qui est des traitements de fond classiques, elle serait de 70 % environ pour les biothérapies sous-cutanées (6). Or, l’adhérence est associée à la satisfaction du patient et à la communication entre le médecin et le malade (7). Ainsi, impliquer les patients dans les décisions devrait améliorer l’adhérence… même si les études peinent à le démontrer.
Un avantage à attendre : une meilleure compréhension de l’état de son patient pour prendre des décisions plus adaptées
Impliquer le patient, c’est aussi l’interroger sur ses symptômes, qui apportent des informations importantes (tableau III, p. 6).
Parfois, le patient rapporte une qualité de vie altérée alors que ni l’examen clinique ni l’imagerie ne révèlent de synovite. Dans cette situation, notre rôle de médecin est de nous en préoccuper, en quantifiant tout d’abord les symptômes puis en tentant de les soulager. S’il n’y a aucun motif pour modifier le traitement de fond, on peut néanmoins faire appel à d’autres mesures, dont les traitements symptomatiques ou encore les mesures non pharmacologiques. Notez par exemple que la fatigue peut diminuer avec le sport ou des interventions psychosociales (11).
Un avantage à attendre : une meilleure gestion des effets indésirables et des comorbidités
Il nous paraît évident qu’un patient plus impliqué pourra mieux surveiller les effets indésirables du traitement. De plus, le patient peut participer à la surveillance des
5. Detmar SB, Muller MJ, Schornagel JH, Wever LD,
Aaronson NK. Health-related quality-of-life assessments
and patient-physician communication: a rando-
mized controlled trial. JAMA 2002;288(23):3027-34.
6. Van den Bemt BJ, Van den Hoogen FH, Benraad B,
Hekster YA, Van Riel PL, Van Lankveld W. Adherence
rates and associations with nonadherence in patients with
rheumatoid arthritis using disease modifying antirheu-
matic drugs. J Rheumatol 2009;36(10):2164-70.
7. Salt E, Frazier SK. Adherence to disease-modifying antirheu-
matic drugs in patients with rheumatoid arthritis: a narrative review of the literature. Orthop
Nurs 2010;29(4):260-75.
8. Nicolau G, Yogui MM, Vallochi TL, Gianini RJ,
Laurindo IM, Novaes GS. Sources of discrepancy
in patient and physician global assessments of
rheumatoid arthritis disease activity. J Rheumatol 2004;31(7):1293-6.
Tableau II. Quelques-unes des étapes qui ont bouleversé la communication avec les patients depuis 20 ans.
La désacralisation de la connaissance médicale
Les dictionnaires médicauxLes émissions de vulgarisation de la médecine à la télévisionLes revues grand public
L’humanisation du médecin (voire de la médecine)
L’évolution des hôpitauxLe médecin, héros sympathique (Urgences)La féminisation de la profession ?
L’éducation des patients Le développement des associations de maladesL’explosion d’Internet
Le transfert du pouvoir La loi Kouchner du 4 mars 2002Le Dossier médical personnelLes procès médicaux
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comorbidités. Une fois le patient motivé, instruit et éduqué, il aura en tête son calendrier vaccinal, son dernier dosage de glycémie, de cholestérol, il saura surveiller sa tension artérielle. Cela nécessite une période d’apprentissage coûteuse en temps, mais fera à terme gagner du temps au médecin et permettra sans doute d’obtenir une meilleure gestion des comorbidités.
Un avantage à attendre : un gain de tempsImpliquer le patient, c’est sans doute une perte de temps au départ, mais un gain
de temps par la suite.
Le patient impliqué et partie prenante est à même de mieux cibler ses demandes au cours de la consultation. Il peut même nous aider à optimiser nos plannings de consultation. En effet, dans le contexte du contrôle serré de la PR (tight control), il est préconisé d’évaluer les patients de façon régulière et rapprochée (2). Or, cela est difficile à organiser, faute de temps. Mais le patient averti et entraîné peut lui-même déclencher une consultation ciblée, et donc utile. Consultation ciblée sur les symptômes, voire sur le DAS28 : en effet, des études préliminaires ont montré que les patients sont capables d’évaluer eux-mêmes leurs articulations, en termes d’indice articulaire douloureux mais aussi d’indice synovial, de façon reproductible (12). Et, dans une étude parisienne, à l’issue d’un apprentissage de moins de 15 minutes, leur accord avec l’échographie était aussi bon que celui du médecin (13). Voilà qui reste à confirmer mais qui ouvre des perspectives. L’étude française multicentrique COMEDRA (14), en cours, pourrait répondre à ces questions. Si les patients étaient à même d’évaluer eux-mêmes leurs synovites, le contrôle serré en serait facilité : il ne s’agirait pas de prendre une décision de changement de traitement de fond au téléphone ou par Internet sur la base de cette auto-évaluation, mais plutôt de déclencher une alerte pour une consultation anticipée. Des systèmes de gestion du rythme des consultations par le patient ont déjà été testés avec succès (15). Le but est alors de rapprocher les consultations des patients qui en ont besoin du fait d’une activité inflammatoire, tout en espaçant éventuellement celles des patients en rémission. À la clé, une meilleure gestion de nos plannings surchargés de consultations.
Les obstacles à une décision médicale partagée Le patient
C’est vrai, tous les patients ne souhaitent pas s’impliquer ou n’y sont pas prêts. Les patients plus âgés et les patients moins éduqués ont en général plus de mal à entrer dans une relation d’échange. Et les médecins qui font de l’éducation thérapeutique savent bien que tous les patients ne sont pas prêts à se prendre en charge (16).
9. Barton JL, Imboden J, Graf J, Glidden D, Yelin EH, Schil-linger D. Patient-physician
discordance in assessments of global disease severity
in rheumatoid arthritis. Arthritis Care Res (Hoboken)
2010;62(6):857-64.
10. Dougados M, Nataf H, Steinberg G, Martineau G,
Rouanet S, Falissard B. Rela-tive importance of patient’s
opinion and physician’s criteria of disease activity
versus information of disease duration and rheumatologist
type of exercise for treat-ment decision in rheumatoid
arthritis: DUO Study. Arthritis Rheum 2010;62(Suppl.):S33
(abstract 82).
11. Cramp F, Hewlett S, Almeida C et al. Non-phar-
macological interventions for fatigue in rheumatoid arthritis:
a Cochrane review. Arthritis Rheum 2011;63(Suppl.):S608
(abstract 1557).
12. Barton JL, Criswell LA, Kaiser R, Chen YH, Schil-
linger D. Systematic review and metaanalysis of patient
self-report versus trained assessor joint counts in rheu-matoid arthritis. J Rheumatol
2009;36(12):2635-41.
Tableau III. Les symptômes du patient, pourquoi ?
Les symptômes du patient donnent des informations complémentaires et non redondantes
Il y a des discordances entre l’évaluation du médecin et celle du patient (8, 9). Ces discordances, qui concernent environ un tiers des patients, vont le plus souvent (mais pas toujours) dans le sens d’une plus grande activité ressentie par le patient de sa maladie rhumatismale
Les symptômes du patient jouent dans le choix des traitements de fond
L’étude française DUO (10) a bien montré que l’évaluation du patient est prise en compte par les rhumatologues. La décision de changer de traitement de fond était en effet, pour une même valeur du DAS28, 2 à 3 fois plus fréquente quand le patient jugeait son état inacceptable (Patient Acceptable Symptom State [PASS])
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13. Cheung PP, Ruyssen-Witrand A, Gossec L et al. Reliability of patient self-evaluation of swollen and
tender joints in rheumatoid arthritis: A comparison study with ultrasonography, physi-cian, and nurse assessments. Arthritis Care Res (Hoboken)
2010;62(8):1112-9.
14. COMEDRA, étude Comorbidities and Educa-tion in RA coordonnée par
le Pr Dougados, sponsorisée par l’APHP, la SFR et Roche France. Identifiant clinical-trials.gov : NCT01315652.
15. Hewlett S, Mitchell K, Haynes J, Paine T, Koren-
dowych E, Kirwan JR. Patient-initiated hospital follow-up
for rheumatoid arthritis. Rheumatology (Oxford)
2000;39(9):990-7.
16. Riemsma RP, Kirwan JR, Taal E, Rasker JJ. Patient
education for adults with rheumatoid arthritis.
Cochrane Database Syst Rev 2003;(2):CD003688. ”
Le médecin
Il y a bien sûr l’obstacle de l’horloge qui réduit matériellement nos capacités d’écoute. Mais il y a aussi la nécessité d’un véritable changement dans nos mentalités. Le malade instruit, qui pose des questions, désireux de comprendre sa maladie et son traitement est parfois perçu comme un frein au déroulement de la consultation, voire comme un inquisiteur à l’affût de nos faiblesses. Il n’est pas simple d’accepter de partager le pouvoir, même pour un médecin ! C’est encore plus vrai en médecine de ville, où chaque médecin est seul maître à bord de son dossier, du moins pour le moment, car cela pourrait très vite évoluer avec le développement du Dossier médical personnel du patient dont le contenu pourra être lu par tout médecin autorisé.
Et le futur ?La place du patient dans sa prise en charge a beaucoup évolué depuis quelques années.
Mieux expliquer, mieux communiquer, mais aussi prendre les décisions de façon partagée, n’est-ce pas enrichissant pour notre pratique ? Et, comme nous l’avons vu, il y a d’autres avantages, avec, même, à la clé, une meilleure organisation de nos consultations et un gain de temps !
Si nous ne pouvons pas encore appliquer pour tous nos malades le principe de la décision médicale partagée, il faut essayer, systématiquement.
Certes, il reste du chemin à parcourir, mais rêvons un peu : en 2020, le patient pourrait être encore plus central, dans la pratique mais aussi dans la recherche et dans l’enseignement. Déjà, avec les programmes Patient-Partenaire, certains patients sont acteurs dans l’enseignement de la médecine : ils enseignent à nos étudiants de second cycle, et ces cours sont très appréciés ! De même, en recherche, impliquer des patients comme partenaires dans l’écriture des protocoles devient une obligation pour obtenir certains financements – et apporte une réelle valeur ajoutée aux projets de recherche clinique.
Alors, le patient copilote de sa maladie dans les rhumatismes chroniques : OUI, NOUS LE POUVONS ! Bon vol !
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