le monde 6 avril 2016

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  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    MERCREDI 6 AVRIL 201672E  ANNÉE – NO 22153

    2,40 €  – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

    FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

     Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,  Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €,  Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA,  Slovénie 2,70 €,  Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF,  Tunisie 2,80 DT,  Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA

    LE REGARD DE PLANTU

    Notre-Dame-des-Landes Un projet« surdimensionné », selon les experts

    C’ est un carton rouge ou, à tout lemoins, un éclairage nouveausur le projet de construction dunouvel aéroport nantais à Notre-Dame-des-Landes. Et qui pourrait remettre enquestion le transfert de l’aéroport de Nan-tes-Atlantique vers ce petit bourg situédans le bocage à une quinzaine de ki lomè-tres au nord de l’agglomération nantaise.

    Dans un rapport très complet de plusd’une centaine de pages, rendu publicmardi 5 avril, les trois inspecteurs géné-raux des ponts, des eaux et des forêtsmissionnés par la ministre de l’environ-

    nement, Ségolène Royal, le 13 janvier,retiennent deux pos sibilités : agrandirl’actuelle plate-forme aéroportuaire ougarder le site de Notre-Dame-des-Landespour le nouvel aéroport, mais en en dimi-nuant la surface et, de fait, l’impact envi-ronnemental. Sans préconiser l’abandon,ils rejettent l’actuel projet défendu par le

    gouvernement et le chef de l’Etat – Fran-çois Hollande avait expliqué, le 11 février,qu’il s’agissait d’« un grand projet d’aéro- port pour tout l’Ouest, engagé depuis desannées » –, le jugeant « surdimensionné ».

    « L’agrandissement et la rénovation desinstallations actuelles de Nantes-Atlantique permettraient d’accompagner la croissancedu trafic. Les questions de bruit resteraienttrès prégnantes, précisent Pierre Caussade,Nicolas Forray et Michel Massoni. Le projet de nouvel aéroport de Notre-Dame-des- Landes apparaît surdimensionné. Une re-définition du projet avec une seule piste de

     2 900 m de long et 45 m de large – au lieu desdeux pistes de 3 600 m de long dont une de60 m de large – répondrait aux besoins au-delà de 9 millions de passagers, permettantde réduire les coûts et les impacts environ-nementaux et fonciers. »

    rémi barroux

    →L I R E L A S UI T E PAGE 12

    MigrantsPremiersrefoulementsvers la TurquieLes renvois de Grèceont débuté, en applicationde l’accord signéentre Bruxelles et AnkaraINTERNATIONAL – L I R E PAGE 10

    CinémaPortraitde MatthiasSchoenaerts,à l’affiche de« A Bigger Splash »L I R E PAGE 16

    SCIENCE & MÉDECINE

    ▶ Biodiversité : la malédic-tion des grenouilles

    ▶ Les troublesbipolaires au quotidien

    ▶ Portrait de CatherineTourette-Turgis

    ▶ Des reptilesdans une grotte

    ornée du Sa-hara

    SUPPLÉMENTCahier du «Monde »No22153 daté Mercredi6avril2016- Ne peut être vendu séparément

    Troismoisfermeetdeuxcachetsparjour

    Lesjugesdoiventindividualiserlespeines:la«personnalité»duprévenuestpriseencomptepourdéterminerlasanction.Ainsi,genre,situationssocialeoufamilialeou

    encoreorigineethniqueinfluentdirectement–ounon–surlasévéritédelacondamnation.Lamaladieaussi,etl’onsaitlerôlequejouentlesexpertisespsychiatriquesdanslesprocèspourdéterminerledegréderesponsabilitépénale.

    Maisilexistedenombreux«problèmesdesanté»sansexpertslorsduprocès.Cancers,diabètes,séro-positivité,alcoolisme,toxicomanie…apparaissentfréquemmentdanslesquelque300comparutionsimmédiatesétudiéesparLaraMahi(universitéParis-Ouest-Nanterre).

    Mobiliséeparlesjuges,lesavocatsetlesprévenus,lamaladiephysique,etnonmentale,estdésormaisunargumentlégitime,toutaulongduprocès,delavérificationdel’identitéàl’annonceduverdict.Etmêmeavant,lorsdel’enquêtesocialequiprécèdelacomparution. «Ah,vousêtesasthmatique?Ehbien,avectoutelacocaïnequevousconsommez,çanedoit 

     pasvousarranger!»,déclareainsiunejuge.Dansuneautreaudience,unprévenuôtesespansementspourrévélersescicatrices.

    Pourtant,commelemontreLaraMahidansunarticlerécentdela Revuefrançaisedesociologie,annoncersamaladien’apasd’effetsurlefaitd’êtreconduitendétentionàl’issueduprocès.Montrersesstigmatesn’estpasutile,bienaucontraire.C’estlesuivimédicalquiprotèged’untransfertenpri-son:unprévenufaisantétatd’unproblèmedesantésanspriseenchargemédicaleestconduitseptfoisplusfréquemmentàlaprisonfermequ’undétenuayantlesmêmescaractéristiques,maisquifaitétatd’unsuivithérapeutique.

    «Monclientseraitmieux à l’hôpital»Car«seulslesjusticiablesquisesoignentsontenme-

    sured’ apporterlapreuvequ’ilssontmalades»:lesmédecinscorroborentleurspropos,cesontdevraismalades,ilssontcrédibles.Lescontactsavecl’institu-tionmédicale,deplus,sontperçuscommesigned’in-sertionsociale,cequelesjugescherchentàmaintenir.

    Maisilssigna lentaussique lejusticiable sesoumetvolontiersàdescontraintes,qu’ilestcontrôlable.Lesjugess’appuientsurlemondesanitaire.

    Ilsnesontpaslesseuls. «Monclientseraitmieuxàl’hôpital[plutôtqu’enprison] »,affirmentlesavocats.Laprisonmettraitfinausuivimédical:«Condamnez-leplutôtàunemiseàl’épreuveetàdesobligationsdesoins»,plaident-ils.Leparquetmobi-liseunargumentinverse:laprisonpeutêtreunlieudesoincontraignantpourdesindividussanssuivimédical.Laprisonpeutsoigner.«Trentemois!C’ est longpourquelqu’unquidoitsesoigner»,protesteunprévenuquivientd’êtrecondamnéàdelaprisonferme. «Ehbien,justement!Commeça,vouspourrezvoussoigner»,rétorquelajuge.C’estainsiques’opèreuntri.

    Cetensembledeprocéduresadesconséquences:ilconduitàlasurincarcérationdesjusticiablesmaladesquinesesoignentpas,souventlesplusprécaires.La«sanitarisationdupénal»dontparleLaraMahimèneainsiàcelledel’institutionpénitentiaire.p

    Grenouille rousse.HARALD LANGE/ULLSTEIN BILD VIA GETTYIMAGES

    RENCONTRE

    CATHERINE TOURETTE-TURGISENVOIE LESPATIENTS À LA FAC

    →PAGE 7

    NUCLÉAIRE

    UN ROBOT POURDÉMANTELERLESUSINESRADIOACTIVES

    →PAGE 3

    PSYCHIATRIE

    SOIGNERLESTROUBLESBIPOLAIRESAUTREMENT

    →PAGE 2

    c art e b l an c he

    BaptisteCoulmont

    Sociologueetmaîtredeconférences àl’université

     Paris-VIII (http://coulmont. com)

     L a g r a nde c r i se de

     s a m p h i b ie n s

     Mod if ic at io nde

     s m il ie u x n a tu

     re lsetd ucl i m a

     t,c h am pigno ns

     t ue u rs… G re no

     u il les,c ra p aud

     s, sa la m a nd re s

    et tr iton s so n t

     men acé s. Ce tt

    ec la sse an im a le

    ,q  u ia v u na ît re

    etd is pa ra ît re le

     sd ino sa u re s, es

     te n p re m iè re li

    g ne face à la si xi

     èmee xt inct io n

    .

     PA G E S 4 - 5

    Il est l’un des initiateursde cette proposition.Aujourd’hui, le responsa-ble politique émet desdoutes sur sa réalisationPOLITIQUE – L I R E PAGE 13

    Cohn-Bendit « La primaireà gauche n’estplus possible »

    Panama papers

    SOCIÉTÉGÉNÉRALE :UNE BANQUEAU CŒURDE L’ÉVASION

    FISCALE

    CAHUZACLes avoirscachés de

    l’ancien ministresuivis à la trace→LIRE PAGE 4

    deux proches de Marine Le Pen, laprésidente du FN, ont imaginé destransferts financiers particulière-ment complexes à travers plusieursparadis fiscaux. Frédéric Chatillon,dont l’entreprise Riwal est devenuele principal prestataire pour la com-munication du FN, et l’expert-

    comptable Nicolas Crochet, chargéde la comptabilité des candidats,ont d’ailleurs été mis en examenpour le financement des législativesde 2012. Les « Panama papers » révè-lent aujourd’hui les méandres descircuits complexes depuis une so-ciété-écran à Hongkong jusqu’aux

    îles Vierges britanniques. Les dos-siers du cabinet panaméen MossackFonseca jettent par ailleurs une lu-mière crue sur l’argent personnelde Jany et Jean-Marie Le Pen. Un tré-sor confié à une société pana-méenne.

    →L I R E PAGES 2- 3

    ISLANDEManifestation

    contrele premier

    ministre→ LIRE PAGE 8

    ET DÉBATS PAGE 22

    ▶ Un circuit financier a été mis en place en 2012, du Panama à Singapour

    ▶ La banque françaisea créé près d’unmillier de sociétéspar l’entremise dela firme panaméenneMossack Fonseca

    ▶ Des centaines d’autresinstitutions financièresinternationales ont eurecours à ses servicesLIRE PAGES 6-7

    BALKANYLe riad

    des épouxà Marrakech

    était biendissimulé

    →LIRE PAGE 4

    É D I T I O N S P É C I A L E

    RÉARMEMENTEUROPÉEN→  LIRE P AGE 24

    1 É D I T O R I A L

    LES COMPTESOFFSHORE

    DES PROCHESDE MARINE LE PEN

    UN FILM ÉCRIT ET REALISÉ PARPABLO AGÜERO

     AU CINÉMA LE 6 AVRIL

     JACQUES BIDOU ,  MARIANNE DUMOULIN,   VANESSA RAGONE  présentent

    GAEL GARCÍA BERNAL   DENIS LAVANT   DANIEL  FANEGO   IMANOL ARIAS

    ",)%/ *-. #*!3& ' (.1* *0 .+$!6*///UN FILM FASCINANT  PREMIÈRE !!!

    UNE HISTOIRE INCROYABLE   TRANSFUGE

    FESTIVAL DE

    TORONTO 2015SÉLECTION OFFICIELLE

    FESTIVAL DESAN SEBASTIAN 2015

    COMPÉTITION OFFICIELLE

  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    Les amis de MarineLe Pen, expertsen paradis fiscauxFrédéric Chatillon, un prochede la présidente du Front national,

    et Nicolas Crochet, l’expert-comptabledes candidats FN, ont monté de complexeset ingénieux circuits jusqu’à Singapour

    Depuis des années, MarineLe Pen dénonce « le pouvoir de nuisance de la financemondialisée qui joue contrel’intér êt général ». Elle estmoins prolixe sur les prati-

    ques de ses plus proches conseillers, qui ontusé de ces circuits opaques, comme le révè-lent les « Panama papers ».

    L’enquête du Monde, en partenariat avec leConsortium international de journalistesd’investigation (ICIJ), a permis de mettre aujour un système de dissimulation d’avoirs fi-nanciers, organisé dans des centres offshored’Asie et des Ca raïbes par le premier cercle de

    fidèles de la présidente du Front national.Au premier rang desquels l’homme d’affai-

    res Frédéric Chatillon et l’expert-comptableNicolas Crochet. Tous deux sont aujourd’huimis en examen dans le cadre de l’enquête surle micro-parti de Marine Le Pen et le finance-ment des campagnes présidentielle et légis-latives de 2012. Un système offshore sophisti-qué a été mis en place entre Hongkong, Sin-gapour, les îles Vierges britanniques et le Pa-nama. Il a été utilisé pour sortir de l’argent deFrance, au moyen de sociétés-écrans et defausses factures avec la volonté d’échapperaux services antiblanchiment français.

    Au centre de cette ingénierie financièreoffshore : Frédéric Chatillon. Ancien dirigeantdu Groupe union défense (GUD), groupus-cule étudiant d’extrême droite, il a rencontréMarine Le Pen à l’université de droit d’Assasau début des années 1990. Une amitié solides’est forgée puisque son entreprise, Riwal, estdevenue le principal prestataire du FN pour lacommunication lors des campagnes électora-les et, en 2012, son prestataire exclusif.

    Mais la justice est venue contrarier cettefructueuse collaboration. Après avoir ouvertune enquête en avril 2014, des juges ont misen examen, en avril 2015, plusieurs cadres duFN. Frédéric Chatillon lui-même l’a été pour

    « faux et usage », « escroqueries au préjudicede l’Etat », « abus de biens sociaux « et « blan-chiment d’abus de biens sociaux » au préju-dice de Riwal. Nicolas Crochet, chargé de lacomptabilité des candidats frontistes aux lé-gislatives de 2012, est poursuivi pour « com-plicité d’escroqueries », « recel d’abus de con-fiance », « financement illégal de campagneélectorale », « blanchiment et complicitéd’abus de biens sociaux ».

    Les juges reprochent notamment à Riwald’avoir consenti au FN et à Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, des« dons déguisés » par le biais de surfacturations. Elles visaient,selon l’enquête judiciaire tout juste termi-née, à permettre au parti de gonfler le mon-tant des remboursements versés par l’Etatau titre des frais de campagne. Quant à Fré-déric Chatillon, fondateur et gérant de droitde Riwal, il est accusé d’avoir confondu lesintérêts de son entreprise avec les siens.

    FAIRE SORTIR 316 000 EUROS DE FRANCEAinsi, en 2012, juste après l’élection présiden-tielle, Frédéric Chatillon s’organise, avec leconcours de Nicolas Crochet, pour fairesortir 316 000 euros de Riwal et du territoirefrançais. Il entend réinvestir une partie decette somme dans la société à Singapour del’un de ses amis, Pascal Xatart, sans avoir às’expliquer sur l’origine des fonds.

    Un montage complexe est mis sur pied.Première étape en mai 2012 : le patron deRiwal se porte acquéreur, par l’intermédiaired’une entreprise liée à Riwal et au FN, Una-nime France, d’une société-écran, jolimentbaptisée Time Dragon, basée à Hongkong,dont la maison mère est domiciliée à plus de15 000 km de là, aux îles Vierges britanni-ques. Une de ces coquilles vides domiciliéesdans des paradis fiscaux bienveillants, cons-tituées pour quelques milliers d’euros avecforce prête-noms, que se repassent les inves-tisseurs désireux de faire des affaires dans lesecret le plus absolu. Time Dragon est une fi-

    liale à 100 % de Harson Asia Limited, domici-liée sur l’île de Tortola aux îles Vierges par lafirme panaméenne Mossack Fonseca. C’estelle qui effectuera l’investissement finaldans la société de l’ami de Frédéric Chatillonà Singapour. Mais encore faut-il que TimeDragon puisse réceptionner les fonds fran-çais. Sans attirer l’attention.

    C’est là qu’intervient Nicolas Crochet, etc’est la seconde étape. Pour brouiller davan-tage les pistes, l’expert-comptable – qui a étéchargé du programme économique de Ma-rine Le Pen en 2012 – propose d’utiliser,comme entité de portage, l’une des sociétéshongkongaises de son frère, Sébastien : EverHarvest Garments Limited. Une sociétéd’ailleurs en délicatesse avec le fisc chinois.

    Une fausse facture est émise par Ever Har-vest à l’attention d’Unanime France, afin dejustifier le transfert des fonds de France versl’Asie. Cette facture est censée régler la réali-sation des sites Internet du RassemblementBleu Marine pour les législatives, des presta-tions bel et bien effectuées… mais par untout autre prestataire. Il ne reste plus qu’àfaire un virement du compte d’Ever Harvestvers celui de Time Dragon.

    La troisième étape peut dès lors s’enclen-cher : Frédéric Chatillon récupère ses fonds àHongkong. Il les investit dans Giift, la sociétéde son ami Pascal Xatart, en rachetant la part

    d’un actionnaire luxembourgeois. L’argentvoyage à nouveau, cette fois vers sa destina-tion finale, Singapour. L’opération menée àbien, la société écran des îles Vierges est dis-soute, en octobre 2014, et Time Dragon, re-baptisée plus platement Unanime Asia.

    La correspondance entre les protagonistesde ce théâtre offshore, qui se sont appuyéssur une série d’intermédiaires (avocats, con-sultants…), a été versée au dossier judiciaire.Elle ne laisse aucun doute sur lemodus ope-randi et le soin porté au contournement desrègles. Ainsi de ce mail adressé le 24 décem-bre 2012 par  Frédéric Chatillon à HélèneKrieff, une juriste basée à Hongkong, an-cienne banquière chez Goldman Sachs, dontil sollicite le conseil : « Je reviens vers toi con-cernant le transfert des fonds vers HK   [Hon-gkong]. Après réflexion, la solution la plussimple serait qu’une société de HK facture àune de mes sociétés françaises une prestationWeb qui a été réalisée et payée pendant lacampagne des législatives.  (…)  Dans un se-

    cond temps, une entreprise de HK facturera àl’entreprise destinataire des fonds une presta-tion dont le libellé restera à déterminer. Il fautque la société finale puisse récupérer 

     275 000 euros. (…) Tout ceci est bien entenduconfidentiel. »

    Ou cet autre mail, envoyé cette fois à l’avo-cate Caroline Lherbier, une fois l’opérationenclenchée, le 15 janvier 2013 : « La liste descandidats sera à joindre à la facture. (…) Il fau-dra rajouter dans le contrat que nous utili-sons l’abréviation SIC (pour Site Internet can-didat), ça fait classe, écrit le patron de Riwal.(…) N’hésite pas à rajouter du blabla juridique

     pompeux… » Deux jours plus tard : « Ne t’in-quiète pas pour le droit électoral concernantles sites Web. Les sites ont été validés et payés

     par la CNCCFP », la Commission nationaledes comptes de campagne et des finance-ments politiques. Le 30 janvier, Frédéric Cha-tillon fait enfin savoir à l’avocate qu’il se ren-dra à Hongkong « fin février »  et demande, « si [sa] CB est prête », qu’elle lui soit« envoyée

     par DHL ».

    AGISSEMENT À TITRE « BÉNÉVOLE »Interrogé par Le Monde, le collaborateur deMarine Le Pen a expliqué « qu’ [il]  n’avai[t] 

     pas pour habitude de répondre aux journalis-tes, rarement bienveillants à son égard ».Mais il souhaitait éviter que se développe

    « l’extravagant fantasme en marge de cettetransaction très simple : à l’automne 2012, lesassociés de la société Unanime et [lui-mêmeont] décidé d’investir en Asie parce que l’Asieoffrait les perspectives de rentabilité les plusattrayantes. Au surplus, [ils ont] aussi cherchéà échapper à la pression médiatique habi-tuelle en France ». Selon lui, l’argent investin’a pas de lien avec les rémunérations per-çues au titre des campagnes de 2012.

    Le choix « de localiser le véhicule d’investis-sement à Hongkong » serait uniquement dûà sa position stratégique ainsi qu’au « carac-tère strict et clair des normes qui s’y appli-quent en matière de comptabilité, commissa-riat aux comptes et autres obligations léga-les ». Le procédé de « package offshore »,dit-il, est courant à Hongkong.

    Devant les juges, M. Chatillon avait indiquéque cette opération avait pour but de rendreservice à une amie, une dirigeante de la so-ciété Unanime. Une explication peu convain-cante, devant la complexité des chemins fi-

    nanciers. Si les magistrats ont soupçonné untemps que cet argent avait pu in fine retour-ner au FN, l’enquête ne l’a pas établi.

    Nicolas Crochet a, pour sa part, pris ses dis-tances avec ce montage devant les juges, ex-pliquant avoir agi à titre « bénévole » :« Je luiai dit  [à Frédéric Chatillon] qu’il fallait faireles choses proprement et qu’il valait mieuxqu’il rachète une société à Hongkong. Commeil m’a indiqué que le virement était urgent, jelui ai proposé, en attendant, de passer par unesociété de mon frère »,  avait-il affirmé. Lâ-chant, au sujet des fausses factures : « C’estune connerie de faire des trucs comme cela

     pour 275 000 euros. » Contacté, son avocat,Nikolai Fakiroff, n’a pas donné suite.p

    anne michel et simon piel

    Ancien dirigeantdu GUD,

    groupusculeétudiant

    d’extrême droite,Frédéric Chatillon

    a rencontréMarine Le Pen

    à l’université

    Coordonnées parle Consortium internatio-nal des journalistes d’in-vestigation (ICIJ), la rédac-tion du Monde et 106 autresdans 76 pays ont eu accèsà une masse d’informationsinédites qui mettent en lu-mière le monde opaque de lafinance offshore et des para-dis fiscaux.

    Les 11,5 millions de fichiersproviennent des archives ducabinet panaméen MossackFonseca, spécialiste de la do-miciliation de sociétés off-shore, entre 1977 et 2015.Il s’agit de la plus grossefuite d’informations jamaisexploitée par des médias.

    Les « Panama papers »

    révèlent que, outre des mil-liers d’anonymes, de nom-breux chefs d’Etat, des mil-liardaires, des grands nomsdu sport, des célébrités oudes personnalités sous lecoup de sanctions interna-tionales ont recouru à desmontages offshore pour dis-simuler leurs actifs.

    Toute la semaine,  Le Mondepubliera des révélations,expliquera en quoi elles sontimportantes et quelles sontleurs possibles conséquen-ces sur la finance mondiale.

    Ce qu’il fautsavoir

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    0123MERCREDI 6 AVRIL 2016   | 3

    Jean-Marie Le Pen devant l’Assemblée nationale,sous un parapluie tenu par Gérald Gérin. LIONEL PRÉAU/RIVA PRESS

    Marine Le Penpendant la campagnedes élections

    municipales, avecFrédéric Chatillon(en jean) en 2013.JULIEN MUGUET/HANSLUCAS

    Sur la piste du trésor de Jean-Marie Le PenL’ex-président du FN se serait servi de son homme de confiance pour dissimuler une partie de sa fortune

    U ne société cachée aux îlesVierges britanniques, uncompte secret à Guerne-sey et, à la clé, 2,2 millions d’eurosen billets de banque, lingots et piè-

    ces d’or sonnantes et trébu-chantes. Depuis juin 2015, la justices’est lancée sur la piste d’un trésorsusceptible de conduire à Jean-Ma-rie Le Pen et à sa femme, Jeanine LePen, connue sous le nom de Jany, eta ouvert une enquête pour « blan-chiment de fraude fiscale ».

    Le parquet national financiersoupçonne l’ancien président duFront national de s’être servi deson ancien majordome et hommede confiance, Gérald Gérin, ayantdroit officiel de la société offshoreBalerton Marketing Limited, poury dissimuler une partie de sa for-tune. Créée dans le secret des Ca-raïbes en 2000, Balerton Marke-ting Ltd apparaît sur les fichiers dela firme panaméenne de domici-liation de sociétés offshore Mos-sack Fonseca, et les données aux-quelles Le Monde a eu accès révè-

    lent ainsi une opacité parfaite-ment organisée. Les registres de lafirme livrent des documents-clés :l’acte de naissance de Balerton (le15 novembre 2000, sur l’île de Tor-tola, sous le numéro d’immatricu-lation 416881), le nom de son re-présentant légal (l’avocat suisseMarc Bonnant) et la mention d’uncompte en banque à Guernesey.

    Dans ces fichiers figurent aussiplusieurs documents confiden-tiels, signés de la main de Me Bon-nant. Ils montrent que cet avocatpénaliste délègue le règlement desfactures dues par Balerton à unesociété suisse spécialisée dans

    l’offshore, Figest Conseil SA.En 2013, Figest est chargée d’orga-niser le transfert de Balerton deMossack Fonseca vers un groupeconcurrent, Icaza Gonzalez - Ruiz

    & Aleman… Un domiciliateur d’en-treprises qui est actuellement dansle viseur de la cellule antiblanchi-ment Tracfin.

    Le magot de Balerton se divise enbillets (97 000 euros), en ti tres(pour l’équivalent de 854 000euros), en lingots (26) et autres piè-ces d’or. Si le mystère demeure surle véritable bénéficiaire de cesfonds, les magistrats ont entre lesmains de multiples éléments quipermettent d’établir un lien entreles époux Le Pen et les avoirs déte-nus par Balerton Marketing Ltd,dont l’existence avait été révéléepar Mediapart. Ceux-ci ont été misau jour par la cellule antiblanchi-ment française, Tracfin, qui les aversés au dossier en avril 2015 afind’éclairer la justice et dont  Le

     Monde a eu connaissance.Mis bout à bout, ils aboutissent à

    ce constat, que devront confirmerles magistrats : l’existence d’uneconfusion de patrimoines et de

    gestion entre, d’un côté, GéraldGérin, et, de l’autre, Jean-Marie etJany Le Pen. Dans une note de23 pages transmise aux juges, lesenquêteurs de Tracfin notent : « Il

    est possible que l’intéressé assume pleinement son r ôle d’homme deconfiance, jusqu’à intervenircomme prête-nom. »

    Pour établir ce diagnostic, Trac-fin s’est penché sur l’origine desfonds déposés sur le compte enbanque de Balerton, depuis quel’ex-majordome de Jean-MarieLe Pen en est devenu l’ayant droit,en 2008, en lieu et place du frèrede Jany Le Pen, Georges Paschos,premier bénéficiaire de cette so-ciété-écran, mort cette année-là.

    Or, ce qu’ont trouvé les enquê-teurs financiers les a troublés. Acommencer par deux virementsd’un montant total de506 000 euros, effectués en sep-tembre 2004 sur le compte de Ba-lerton par la banque suisse Lom-bard Odier Darier Hentsch & Cie(LODH). L’établissement, juste-

    ment, qui avait hébergé les fondsissus de la succession du riche ci-mentier Hubert Lambert, morten 1976, et dont Jean-Marie Le Pena été l’héritier controversé. Destransferts de titres provenant decette même banque ont suivi. Demême que de gros achats d’or parBalerton, en 2009, 2010 et 2011.

    L’emploi du temps des épouxLe Pen a aussi intéressé Tracfin,d’autant que leur présence enSuisse a été repérée aux dates-clésde la vie de Balerton. Ainsi, JanyLe Pen s’est rendue à Genève le7 novembre 2008, soit un moisaprès le décès de son frère ; et Jean-

    Marie Le Pen y est allé de son côtéles 7 et 8 mars 2014. Soit quelquesjours à peine avant que le compteen banque de Balerton soit trans-féré de Guernesey (HSBC) aux Ba-

    hamas (Compagnie bancaire hel-vétique). Gérald Gérin, lui, bienqu’ayant droit de Balerton, ne sem-ble pas être allé en Suisse. Sescomptes bancaires n’en portent entout cas pas la trace.

    Au-delà du cas Balerton, l’exa-men des comptes bancaires per-sonnels de M. Gérin met en lu-mière une certaine confusion en-tre ses finances et celles des épouxLe Pen. Les enquêteurs y ont ainsidécouvert des mouvements « nesemblant pas le concerner », dont,en particulier, des rentrées d’ar-gent annuelles de 135 000 euros enmoyenne entre 2010 et 2013.En 2010, l’un de ses comptes per-sonnels a même été crédité de30 560 euros pour la vente de deuxtableaux. Le virement comportaitcette mention explicite : « Avance Mme Le Pen ».

    « Flux atypiques »S’intéressant aussi aux dépensesde l’ex-majordome, Tracfin a faitd’autres trouvailles. Comme « lemaniement par M. Gérin de som-mes importantes, sans rapportavec ses revenus officiels », et « lamise à disposition de moyens de paiement rattachés au FN et auxépoux Le Pen ». En tant que tréso-rier officiel de plusieurs associa-tions de financement liées au FN(Cotelec entre avril 2011 et décem-bre 2013, puis, à compter de cettedate, de Promelec), ce proche deJean-Marie Le Pen semble en effet

    autorisé à manier d’importantessommes relevant du FN. Un partidont il serait aussi, selon Tracfin,« dépendant financièrement ».Pour preuve, souligne la celluleantiblanchiment, ces trois cartesAmerican Express en sa posses-sion, rattachées à des comptesbancaires ouverts au nom du FNmais aussi des époux Le Pen.M. Gérin a par exemple réglé558 000 euros avec la car te duparti entre août 2011 et avril 2014.

    A la lumière des éléments re-cueillis, les enquêteurs de Tracfinsoulignent que l’«on peut s’inter-roger sur le degré d’autonomie

    dont dispose M. Gérin pour les mul-tiples opérations financières qu’ilréalise ». Ils concluent par cetteformule prudente : « Les comptesde M. Gérin font apparaître, outreun certain nombre de flux atypi-ques, des liens privilégiés avec Jany Le Pen et Jean-Marie Le Pen. »

    Gérald Gérin se dit indigné.Qu’elles soient judiciaires ou jour-nalistiques, les enquêtes qui luisont consacrées depuis plus d’unan lui donnent, dit-il, le sentimentde vivre « dans une République pire que celle de Ceaucescu ».« Oui », reconnaît-il, il est bienl’ayant droit du trust Balerton

    Marketing Ltd. « Non », cet argent« n’a rien à voir avec Jean-Marie Le Pen », contrairement à ce que sup-posent les juges. « Je n’ai jamaisservi de prête-nom pour Jean-Ma-

    rie Le Pen. C’était pour mes vieux jours, je ne m’en souciais pas. C’est  Marc Bonnant qui s’en occupait »,a-t-il indiqué au Monde. D’ailleurs,il a entamé une procédure de ré-gularisation auprès du fisc le26 juin 2015, selon son avocatFrançois Wagner. Si M. Gérin dittout ignorer des mouvements surle compte de Balerton antérieurs ànovembre 2008, il explique que« les parts de la société lui ont étécédées gratuitement par Georges Paschos », sans pour autant dé-tailler les raisons de cette cession.

    Sa ligne de défense est identiqueà celle de M. Le Pen, qui affirme au Monde que « les affaires de M. Gé-rin ne concernent que M. Gérin ».S’il reconnaît aller en Suisse cha-que année depuis longtemps, il as-sure que c’était pour se rendre aucentre d’amincissement tenu par

    l’un de ses amis, Christian Cambu-zat, décédé en 2010. L’avocat MarcBonnant a, lui, refusé de répondreà « des questions portant sur sesmandats d’avocat, soumis au se-cret professionnel ». La société Fi-gest a, pour sa part, fait valoirqu’elle s’était « limitée à des servi-ces administratifs ». « Nous ig no-rons totalement dans quelle ban-que  [la société Balerton] avait uncompte,  [si cette société a été]transférée aux Bahamas, et qui estou en serait l’ayant droit… », préci-sent deux de ses dirigeants, Ge-rhard Auer et Dolorès Coulon.p

    a. mi. et s.pi.

    Le magotde Balerton(2,2 millions

    d’euros)se divise en

    billets, en titres,en lingots et

    autres pièces d’or

    « Les affaires

    de M. Gérin

    ne concernent

    que M. Gérin »

    JEAN-MARIE LE PEN

    à propos de son ancienmajordome

  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    4 |   MERCREDI 6 AVRIL 20160123

    Au Panama,trente ansd’affairesfrançaisesParcourir les 11 millionsde fichiers internes de Mossack

    Fonseca permet d’éclairer un pand’histoire judiciaire

    C’est l’une des raresfois où Mossak Fon-seca s’est laissé sur-prendre. Les fichiers

    du cabinet d’avocats-conseilprouvent que, loin d’agir en con-naissance de cause, il ne se dou-tait pas que la société qu’il avaitmontée abritait la villa Dar Gyucy,

    le riad de Marrakech d’Isabelle etPatrick Balkany, le député (Les Ré-publicains) des Hauts-de-Seine.

    Mossack Fonseca a enregistré,en juillet 2007, la société HayridgeInvestments Group Corp, proprié-taire indirect du riad, à la de-mande de la fiduciaire suisse Ges-trust, qui agissait elle-même pourle compte de Jean-Pierre Aubry –le bras droit du couple de Leval-lois-Perret. Mais la firme pana-méenne a été victime de ses pro-pres négligences et de l’opacitéstructurelle de ce paradis fiscalqu’est le Panama.

    Hayridge a en effet toujours eudes actions au porteur, un méca-nisme qui permet au véritable ac-tionnaire de ne pas apparaître. LePanama est l’un des derniers paysà avoir mis fin à ce système opa-

    que d’actionnariat, fin 2015.Quant à l’obligation pour les so-ciétés de domiciliation de con-naître la véritable identité du bé-néficiaire de la société, elle n’estpleinement entrée en vigueurqu’en février 2016.

    Mossack Fonseca n’a donc ap-pris l’identité de Jean-PierreAubry et des époux Balkany quelorsqu’elle a reçu une demanded’information du fisc panaméen,en 2015. En somme, deux ansaprès l’ouverture à Paris de l’infor-mation judiciaire pour « blanchi-

    ment de fraude fiscale », et la pa-nique a saisi la firme pana-méenne : « En raison des informa-tions que nous avons trouvées et du risque que représente la société, je suggère que nous renoncions [àson administration] », écrit ainsile 19 octobre 2015 une employéedu département « compliance »

    (vérification de conformité) – quia pris conscience du péril de la si-tuation après quelques recher-ches sur Internet. Une semaineplus tard, son conseil était suivi.

    Prête-noms locaux

    L’empressement de la fiduciairesuisse Gestrust à couper tous sesliens avec Hayridge aurait pour-tant pu mettre la puce à l’oreillede Mossack Fonseca. Dès le30 janvier 2014, un mois après lajudiciarisation de l’affaireBalkany, Gestrust demande en ef-fet en urgence à la firme pana-méenne de lui fournir des prête-noms locaux pour remplacer sesemployés qui apparaissaientcomme administrateurs de la so-ciété. « Nous ne voulons plus avoiraucun lien avec cette société dans

    le futur », explique Gestrust, qui atoujours nié avoir eu connais-sance que les Balkany étaient lesvéritables propriétaires du riad.

    La fiduciaire a aussi tenté defaire disparaître le nom de DianaBrush, l’un de ses employées, ducapital de la SCI Dar Gyucy, pro-priétaire du riad de Marrakech.Mme Brush était censée transférerses 1 % d’actions de la société ci-vile immobilière vers une fonda-tion panaméenne que proposait

    Mossack Fonseca comme prête-nom. Le projet ne s’est jamais con-crétisé, Jean-Pierre Aubry n’ayantpas fourni à Gestrust les docu-ments nécessaires au transfert.

    Pendant près de deux ans, dejanvier 2014 à octobre 2015, la cor-respondance entre Gestrust etMossack Fonseca atteste que la fi-duciaire suisse a tenté de se dé-barrasser du boulet qu’était de-venu Hayridge en renvoyant ledossier vers le cabinet de Me Ar-naud Claude, l’associé historiquede Nicolas Sarkozy.

    Si Me Claude n’a jamais réponduà ces courriers, un échange internedu 19 octobre 2015 entre Gestrustet Mossack Fonseca confirme qu’ila, « par le passé », « téléphoné » à lafiduciaire suisse pour lui « donnerdes instructions » au sujet de Hay-

    ridge. De quoi corroborer les soup-çons de la justice sur le rôle actifque l’avocat aurait joué dans l’éva-sion fiscale du couple Balkany. Ar-naud Claude a fait savoir au Monde, par l’intermédiaire de sonavocat, Me Cyril Gosset, qu’« il nerépondra pas sur une pièce qui n’a pas encore été produite dans l’ins-truction », et a renvoyé la responsa-bilité sur la f iduciaire Gestrust. Lesavocats des époux Balkany et deM. Aubry n’ont pas souhaité fairede commentaires. p

    maxime vaudano

    Patrick et IsabelleBalkany,le 3 juillet 2015,à Paris. CHARLESPLATIAU/REUTERS

    Les époux Balkany Le riad deMarrakech était bien dissimulé

    N

    om : « Jér ôme Cahuzac ».Qualité : « bénéficiaire de lasociété Cerman Group Limi-

    ted, immatriculée aux Seychelles ». Lemontage complexe mis en place parl’ancien ministre du budget pour dis-simuler son argent au fisc françaistient tout entier dans les « Panama pa-pers ». Depuis les Seychelles, Panama,les îles Samoa jusqu’à son numéro decompte caché à Singapour, en 2009,avec la complicité de la banque suisseJulius Baer.

    Les avoirs cachés de Jérôme Cahuzacdans la banque suisse UBS, dissimulésdepuis le début des années 1990, sonttransférés en Asie à la mi-2009 : enpleine ascension politique, le futurministre socialiste entend les mettre àl’abri des regards indiscrets. Manda-tée par un cabinet suisse, MossackFonseca s’occupe de la « logistique ».Le 27 octobre 2009, deux sociétés sontinterposées entre Jérôme Cahuzac etson compte bancaire, viré à Singa-

    pour grâce à la banque Julius Baer : lecompte est rattaché à une sociétéécran immatriculée au Panama, Pen-derley Corp., contrôlée par une autrecoquille vide aux Seychelles, CermanGroup Limited.

    Jérôme Cahuzac n’a pas à intervenir.Les factures de la société Cerman sontréglées par l’ancien avocat et con-seiller financier Philippe Houman,comme en attestent des mails de no-vembre 2009. Précaution supplémen-taire, Cerman est doté d’une gouver-nance fictive : la société Pimura Con-sultancy Limited, domiciliée aux Sey-

    chelles avec des ramifications auPanama et aux Samoa, en est le « di-recteur » ; une autre coquille vide,Talway International Corporation, enest « actionnaire ».

    Lorsque les autorités françaises selancent en 2013 dans l’enquête sur lasituation de Jérôme Cahuzac, les Sey-chelles s’interrogent et questionnentMossack Fonseca. Des documentsmontrant que Jérôme Cahuzac est lebénéficiaire réel du compte sont alorsportés à la connaissance de la firme,qui met fin, le 3 mai 2013, à sa collabo-

    ration avec Cerman Group. L’ex-mi-nistre français est désormais une« personnalité politiquement expo-sée ». Cerman Group Limited est fer-mée en janvier 2015.

    L’avocat de Jérôme Cahuzac, JeanVeil, a fait savoir au  Monde  que sonclient réservait ses explications auxjuges, pour la réouverture de son pro-cès le 5 septembre. L’entourage de Jé-rôme Cahuzac a toujours fait valoirqu’il n’avait jamais été associé auxmontages financiers conçus par sesconseillers financiers.p

    anne michel.

    Jérôme Cahuzac Les avoirs cachésde l’ancien ministre suivis à la trace

    E

    ncalminée par de multi-ples recours, exercés parplusieurs mis en cause, la

    tentaculaire affaire Guérini, qui afait trembler le tout-Marseille cesdernières années, a elle aussi faitétape au Panama, dans les pré-cieux livres de comptes de la so-ciété Mossack Fonseca.

    Le juge d’instruction CharlesDuchaine, aujourd’hui chargé del’Agence de gestion et de recouvre-ment des avoirs saisis et confis-qués (Agrasc), avait déjà mis aujour l’essentiel des circuits finan-ciers offshore empruntés par lesdifférents protagonistes autourdes deux frères Guérini, Alexan-dre, l’homme d’affaires, et Jean-Noël, l’homme politique, séna-

    teur, ancien président (PS) desBouches-du-Rhône, contraint dequitter le Parti socialiste en 2014.

    Il s’agissait alors pour les inté-ressés de faire sortir des fonds, is-sus de marchés de projets immo-biliers truqués surfacturés, demarchés de gardiennage, de mai-sons de retraite médicalisées, dela gestion de décharges ou de cellede ports de plaisance. Une opacitéorganisée pour mieux dissimulerautant d’infractions, révélatricedes liens entre le grand bandi-tisme local et la classe politique.Cet argent détourné était ensuiteréinvesti dans d’autres projets.

    Nombre de protagonistes de l’af-faire apparaissent dans les « Pa-nama papers ». C’est le cas de l’ex-

    Le clan Guérini Le détail des montages qui font trembler le tout-Marseilledirigeant de la société ABT, PatrickBoudemaghe, proche d’AlexandreGuérini, qui a fait fortune dans la

    gestion des déchets, et de BernardBarresi, qui a réussi dans le grandbanditisme. Selon les donnéesauxquelles Le Monde a eu accès etqui viennent confirmer l’enquêtejudiciaire, Patrick Boudemaghedétenait un mandat de gestion surcinq sociétés, enregistrées entre le7 décembre 2006 et le 23 avril2007 : Delta Real Estate Group, Ke-nos, Islington Associates, Lam-balle et Tarlac Business – qui onttoutes été liquidées à partir de jan-vier 2010, un mois après les révéla-tions par la presse de l’existenced’une enquête judiciaire sur le sys-tème Guérini. Depuis, les deux frè-

    res ont été mis en examen notam-ment pour trafic d’influence et as-sociation de malfaiteurs dans

    deux dossiers de marchés publicsprésumés frauduleux.

    Circuits efficaces

    Dans la société Tarlac, crééecomme les autres par le cabinetd’avocats luxembourgeois DeMeester, M. Boudemaghe n’est pasle seul à avoir un mandat de ges-tion. C’est aussi le cas de DamienAmoretti, le deuxième dirigeantde la société marseillaise ABT, parailleurs actionnaire à 49 % de laSMA Vautubière, présidée parAlexandre Guérini. Le 23 jan-vier 2014, dans une note transmiseaux magistrats, le service national

    des douanes judiciaires notait que« les relations particulières entre lesdécideurs publics et Patrick Boude-

    maghe, Bernard Barresi et Alexan-dre Guérini sur d’autres dossiers pourraient expliquer la capacité dela SARL ABT à remporter des mar-chés publics au sein d’autres collec-tivités territoriales ».

    On retrouve encore dans les« Panama papers » quelques so-ciétés dont la justice a établi qu’el-les étaient liées à Alexandre Gué-rini. C’est le cas par exemple deFarman Inc., immatriculée au Pa-nama en mars 2006, et dont lecompte aux îles Vierges britanni-ques a reçu de l’argent avant qu’ilne soit ventilé auprès de ceux quiavaient truqué les marchés. Une

    autre société, baptisée Deliboz,créée elle aussi en mars 2006, etdont l’enquête judiciaire a établi

    qu’elle remontait à Bernard Bar-resi, apparaît également dans lesfichiers du cabinet Mossack Fon-seca. L’avocate luxembourgeoiseVéronique de Meester en avaitégalement le mandat de gestion.Devant les enquêteurs, elle a indi-qué ne pas avoir connaissance dudessous des montages financiers.

    Preuve ultime de l’efficacité deces circuits financiers, ni le nomde Barresi ni celui de Guérini nefigurent dans les documents.Tous sont aujourd’hui mis enexamen pour « blanchiment enbande organisée ».p

    simon piel

    La fiduciaire

    suisse a toujours

    nié savoir que les

    Balkany étaient

    les propriétaires

    du riad

    M. Cahuzac réserve

    ses explications

    aux juges pourson procès

    en septembre, a fait

    savoir son avocat

  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    0123MERCREDI 6 AVRIL 2016   | 5

    L’ex-ministredu budget,Jérôme Cahuzac(en haut, à droite),à l’Assemblée,en février 2013. CHARLES PLATIAU/REUTERS

    Pour échapper à l’impôt,blanchir de l’argent saleou mener des investisse-ments en toute discré-

    tion, les sociétés offshore sontune bénédiction. Evidemment, ily a des frais.

    Niveau 0 : le compte en Suisse IIest révolu, le bon vieux temps oùil vous suffisait d’ouvrir uncompte dans une banque gene-voise pour être assuré d’un parfait

    anonymat. Depuis 2005, la direc-tive européenne sur la fiscalité del’épargne (European Union Sa-vings Directive, EUSD) vous im-pose de déclarer l’argent qui dortsur votre compte suisse au fiscfrançais ou, à défaut, de vous ac-quitter d’une retenue à la sourcede 35 % sur les revenus générés parle compte – un « prix du péché »pour les clients soucieux, commevous, de protéger leurs avoirs.

    En outre, la Suisse a assouplison secret bancaire en 2009 etperdra définitivement de son at-trait en 2018, avec l’entrée en vi-gueur de l’accord d’échange auto-

    matique de données avec l’Unioneuropéenne. Dès lors, votre nomsera automatiquement transmisau fisc français – adieu la confi-dentialité.

    Niveau 1 : monter une société-écran Le plus efficace n’est pour-tant pas de domicilier ses comp-tes sous des cieux plus ac-cueillants. Les banques des para-dis fiscaux sont lointaines, peusûres et offrent beaucoup moins

    de services que les accueillantsétablissements suisses ou luxem-bourgeois. Gardez donc voscomptes en Europe, mais dissi-mulez votre vraie identité !Comme la directive EUSD ne s’ap-plique qu’aux personnes physi-ques, il suffit de passer par une so-ciété offshore dans un paradis fis-cal pour lui transférer la propriétéde votre compte bancaire.

    L’un des nombreux cabinetsspécialisés qui pullulent à Genève,Luxembourg et même Paris sauravous y aider. Il montera pour vousune offshore en passant par unagent de domiciliation comme

    Mossack Fonseca au Panama, quis’occupe de ces agaçantes formali-tés. Pour une société aux îles Vier-ges, par exemple, il vous en coû-tera 650 dollars (570 euros), aux-quels vous ajouterez chaque an-née 765 dollars de frais de gestion.Vous devrez également fournir lecapital de départ, généralement50 000 dollars (44 000 euros).Cette société-écran deviendra ti-tulaire de votre compte en Suisseà votre place. Vous serez ainsi

    exempté de la retenue de 35 %dans une discrétion de bon aloi.

    Niveau 2 : les prête-noms  L’opa-cité optimale n’est cependant pasgarantie. Avec les registres en lignede sociétés, n’importe qui peutconnaître l’identité d’un conseild’administration. Le plus simpleest de recourir aux prête-noms.Pour 450 dollars par an, MossackFonseca fournit les administra-teurs de votre société basée à Hon-gkong, qui géreront la paperassepour ouvrir un compte, transférerdes fonds, changer les statuts…

    Cela ne suffit pas toujours. Par

    exemple, les autorités seychelloi-ses peuvent accéder à la liste desactionnaires de votre société et latransmettre au fisc français. Leplus sûr est donc de ne pas appa-raître nommément parmi les ac-tionnaires. Jusqu’à la fin des an-nées 2000, rien de plus facile : ilsuffisait d’émettre des actions auporteur. Mais sous la pression del’Organisation de coopération etde développement économiques(OCDE), les juridictions offshore

    ont progressivement imposé desactions nominatives.

    Heureusement, Mossack Fon-seca veille. Pour 750 dollars paran, la firme nomme pour vous defaux actionnaires locaux. Seulsses employés et votre intermé-diaire sauront que vous êtes le vé-ritable ayant-droit de votre so-ciété. Astucieux, non ?

    Niveau 3 : multiplier les sociétésVous n’êtes toutefois pas assuréque, pour éviter d’importantssoucis, Mossack Fonseca ne lâchepas votre nom à l’administration.Pour brouiller les pistes, il faut

    donc multiplier le nombre de so-ciétés qui gèrent vos actifs, en nemettant pas tous vos œufs dansle même panier.

    Mieux, vous pouvez déciderque l’unique actionnaire d’unede vos sociétés est une autre so-ciété, elle-même détenue par unetroisième – chacune dans un pa-radis fiscal différent, avec ses ré-glementations propres. Unmoyen élégant pour compliquerle travail du fisc qui va passer des

    nuits blanches à saisir le mon-tage. Surtout si vous optez pourdes prête-noms sur chacune devos sociétés. Avec un peu dechance, l’enquête prendra des an-nées : le temps de filer à l’anglaisedans une juridiction plus sûre.

    Comment dissimuler son argent sans peineCréer une société offshore est une technique éprouvée, mais il faut parfois savoir investir pour échapper au fisc

    Niveau 4 : Utiliser une fonda-tion Le nec plus ultra reste toute-fois la fondation privée de droitpanaméen : elle n’a pas besoind’actionnaires. Mossack Fonsecapeut nommer pour vous des prê-te-noms au conseil d’administra-tion et vous désigner comme bé-néficiaire réel dans un documentconfidentiel que le cabinet-con-seil n’a même pas le droit de révé-ler à l’administration, sous peinede six mois d’emprisonnement et

    50 000 dollars d’amende.Vous pourrez donc gérer votre

    compte avec l’esprit d’autant plustranquille que l’imposition de cesactifs se résumera à un forfait an-nuel de 300 dollars pour le fisc pa-naméen. Pour une solution en bé-ton comme celle-ci, il vous faudradébourser 1 350 dollars à la créa-tion, puis entre 800 et 1 300 dol-lars de frais annuels. Attention ce-pendant, les réglementationsévoluent vite. Mais le petit mondede la finance offshore a toujourssu faire preuve de créativité.p

    jérémie baruch

    et m. va.

    A ndré Guelfi a toujoursaimé les sociétés off-shore, mais elles ne le luiont guère rendu. L’histoire desdifférentes sociétés gravitantautour de lui qu’a pu reconstituer Le Monde  à partir des « Panamapapers » ressemble en effet à unesuccession de déconvenues.

    L’aventure commençait pour-tant bien. En 1994, l’homme d’af-faires, né au Maroc, est l’un despersonnages incontournablespour les Français qui souhaitentprofiter de l’ouverture économi-que de l’ex-URSS. « Dédé la Sar-dine » joue les intermédiaires en-tre le pétrolier français Technip etle président ouzbek Islam Kari-mov pour le gigantesque contrat

    de la raffinerie de Boukhara. Pourencaisser la commission de18 millions de dollars promise parTechnip, il crée à l’aide de son avo-cat Me Eric Duret la société Collis-ter Overseas Corp. aux îles Viergesbritanniques. C’est par elle quecirculeront les rétrocommissionsde 3 millions de dollars reverséessur les comptes offshore des an-ciens directeur général de Tech-nip et directeur des affaires géné-rales d’Elf, respectivement Geor-ges Krammer et Alfred Sirven– qui vaudront au premier troisans de prison et 200 000 eurosd’amende en 2010, le second estmort avant le procès.

    Partager le pactole

    Ce sont ces soupçons de rétro-commissions qui valent à AndréGuelfi son bref séjour à la prison

    de la Santé, en 1997, où il se lied’amitié avec Bernard Tapie. Aleur sortie de prison, les deuxhommes sce llent un pacte : ilss’aideront mutuellement à « récu-pérer leur argent » (celui d’Elf pourGuelfi, celui d’Adidas pour Tapie)et le partageront dans un potcommun, baptisé Superior Ventu-res Capital Ltd (SVCL), une discrètesociété britannique chapeautéepar une holding malaisienne.

    Dans l’actionnariat de SVCL, onretrouve trois nouvelles sociétésoffshore basées aux îles Vierges :49 % pour Umbrella International

    Ltd (André Guelfi), 49 % pourPacesetter Investments Ltd (Ber-nard Tapie) et les 2 % restants pourRidgetop Investments Ltd, la so-ciété de l’avocat Eric Duret, chargéde trancher leurs différends en casde brouille. Les trois hommes ontmême prévu un système de com-missions pour permettre à leur

    société commune, SVCL, d’empo-cher 5 % sur les contrats concluspar chacun d’entre eux.

    Mais le plan parfait se fissure àmesure que les affaires des deuxcompères tombent à l’eau, ettourne carrément au vinaigrequand Bernard Tapie empochedans un arbitrage 405 millionsd’euros en 2008 – il solde ainsiprovisoirement son litige avec leCrédit Lyonnais – et refuse nonseulement de partager le pactole,mais aussi de rembourser les gé-néreuses avances consenties par« Dédé la sardine » pendant desannées. Alors que Tapie exulte,André Guelfi est embourbé dansl’affaire Elf, et sa condamnation àtrois ans de prison ferme vientd’être confirmée.

    Son grand âge lui permet toute-fois d’échapper à l’incarcération

    et, une fois son ultime boulet judi-ciaire enterré avec sa relaxeen 2010 par la cour d’appel deParis dans l’affaire Technip, AndréGuelfi, toujours vaillant à 91 ans,repart à l’attaque avec son insépa-rable avocat Eric Duret.

    L’avocat use de sa vieille camara-derie avec Ramon Fonseca pourconvaincre le cabinet panaméenMossack Fonseca de l’aider à ré-veiller Collister et Ridgetop, leursdeux sociétés offshore en som-meil depuis près de dix ans, mal-gré les réticences du service« compliance » (vérification de la

    André Guelfi Le pacte secret conclu entre

    « Dédé la Sardine » et Bernard Tapieconformité) du cabinet à s’encom-brer d’un client au pedigree em-barrassant.

    Leur première cible : Bernard Ta-pie. « Réactiver Ridgetop me per-mettait de peser dans la négocia-tion avec Bernard Tapie, afin de faire valoir mes 2 % dans SuperiorVentures Capital », explique au Monde Me Duret. Finalement, Ber-nard Tapie a accepté, au termed’une médiation, en 2012, de ver-ser un peu plus de 4 millionsd’euros sur les 110 réclamés parAndré Guelfi.

    Jamais à court d’idées

    Mais « la Sardine » vise plus haut :en redonnant vie à Collister, il en-tend obtenir, lui aussi, « son » arbi-

    trage, en réclamant 45 millions dedollars d’indemnités à Technippour les contrats pétroliers annu-lés dans les années 1990 à cause del’affaire Elf. Las ! Les dix-huit moisd’efforts juridiques mobilisés parson avocat pour réactiver Collisterseront vains : entre- temps, l’af-faire a été prescrite, empêchanttout recours à l’arbitrage.

    Le vieil homme, presque cente-naire, a alors dû quitter Maltepour Saint-Barthélémy, pour fuirson assignation à résidence enFrance. Jamais à court d’idées, ilse met en tête de financer la cons-truction de la digue du port deGustavia et ses yachts de milliar-daires. Et, bien sûr, il monte chezMossack Fonseca en février 2011une nouvelle société offshore,baptisée Darlen International SA,à laquelle il associe sa femme et

    sa fille.« C’était plus avantageux pour la

     fiscalité », reconnaît sans ambagesson avocat Me Duret, qui rappelleque son client avait déjà à ce mo-ment la nationalité maltaise. Maiscomme si l’histoire balbutiait, leprojet échoue et Darlen est liqui-dée deux ans plus tard.

    Les structures offshore d’AndréGuelfi ne lui auront au total passervi à grand-chose. Mais il a dûpayer au passage plusieurs dizai-nes de milliers de dollars de fraispour ces montages…p

    m. va.

    André Guelfi, dit« Dédé la Sardine »,le 1er juin 2004,à Paris. JACK GUEZ/AFP

    Pour brouiller

    les pistes, il faut

    multiplier

    les sociétés qui

    gèrent vos actifs

    Les structures

    offshore d’André

    Guelfi ne lui

    auront au total

    pas servi à

    grand-chose

  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    La Sociétégénérale,client choyéde MossackLa banque française a créé prèsd’un millier de sociétés offshore parl’entremise de la firme panaméenne,dont une centaine restent actives

    Ce jeudi 30 septem-bre 2010, Sandro Han-gartner, l’un des diri-geants de Mossack Fon-

    seca au Luxembourg, joue gros. Ildoit convaincre la Société géné-rale Private Banking, filiale suissede la banque française, de déve-lopper ses activités offshore. LaSociété générale compte déjàparmi ses bons clients, avec descentaines de sociétés créées auPanama, aux îles Vierges britan-niques et aux Seychelles, pour deriches clients, dans les années2000. Mais la firme panaméenne

    veut encore pousser les feux.Sandro Hangartner s’est donc

    entouré de ses meilleurs ven-deurs. Mossack Fonseca Panamaa dépêché sa « star maison » de ladomiciliation offshore, RamsesOwens. Confidentielle, la rencon-tre a lieu dans les bureaux de la SGPrivate Banking, à Genève. Nico-las Hars, le « M. Grandes Fortu-nes » de la banque, a prévenuMossack : il leur accordera uneheure, pas plus. L’opération est unsuccès, comme en atteste cet e-mail issu des « Panama papers »,envoyé par Mossack, au sortir dela rencontre :« Ce fut un plaisir. (…)

     Je viens d’envoyer vos nouveauxcodes d’accès  (…) et m’assureraique vous ayez désormais d’un in-terlocuteur unique chez nous. »

    Chez Mossack Fonseca, la ban-que française est un client choyé.Une offre « promo » a même étéadressée à une autre de ses filia-les, Société générale Bank & TrustLuxembourg : « 660 dollars seule-ment pour une société au Panama,

     frais de mise à disposition de direc-teurs (prête-noms) inclus ! Et 10 %de réduction spéciale sur toutes lesautres juridictions », vante le mailadressé à la banque le

    19 mars 2010 par Mossack –« offre garantie quatre ans ».

    Aucune comptabilité précise

    Championne de l’offshore, la So-ciété générale ? L’information a dequoi surprendre, tant cette acti-vité ne fait l’objet d’aucune publi-cité ou communication finan-cière. Tant, au contraire, depuis lacrise financière de 2008, les ban-ques défendent leur recentragesur le financement de l’économieréelle et la fin des activités opa-ques et risquées.

    Loin des projecteurs, le businessoffshore ne figure dans aucun rap-

    port annuel. Ne donne lieu àaucune comptabilité précise. Ils’exerce à bonne distance du su-perviseur bancaire français, dansle secret des départements de ban-que privée, jaloux de leur indépen-dance vis-à-vis de leur directiongénérale. Et souvent méfiants en-vers les contrôles internes.

    Ce n’est pas au siège parisien dela banque que s’organise ce busi-ness offshore, mais dans ses filia-les en Suisse, au Luxembourg,aux Bahamas. Des territoires où

    jusqu’à présent, le secret bancairea prévalu. L’analyse des donnéesde Mossack Fonseca place la So-ciété générale dans le « top 5 » desbanques qui ont créé le plus grandnombre de sociétés offshore parson entremise, entre 1977, date dela création de Mossack, et 2015.

    Au total, elle compte à son actif 979 sociétés, derrière la britanni-que HSBC (2 300 sociétés), lessuisses UBS (1 100 sociétés) etCredit Suisse (1 105 sociétés), tou-tes trois citées dans des scanda-

    les de fraude fiscale avérée ouprésumée.

    Deux tiers de ces entités offshoreont été créées par SG Bank & TrustLuxembourg, qui a choisi d’en do-micilier une bonne partie aux Sey-chelles et aux îles Vierges. Le tiersrestant a été commandé par la SGPrivate Banking de Genève, qui apréféré les enregistrer au Panama,et par la filiale à Nassau (Bahamas),SG Hambros Bank & Trust.

    Si le flux de création de sociétéssemble s’être fortement ralenti

    « 660 dollars

    seulement pour

    une société

    au Panama,

    frais de mise

    à disposition de

    directeurs inclus »

    offre promotionnelle deMossack Fonseca à une filiale

    de la Société générale

    Les grandes banques, carburant et actrices du système offshore365 groupes bancaires ont fait appel aux services de Mossack Fonseca, dont des poids lourds comme HSBC, UBS et Credit Suisse

    L es grandes banques sontplus que jamais au cœur dusystème offshore. Malgrél’offensive contre les paradis fis-caux lancée en 2009 par le G20(les vingt pays les plus riches de laplanète), malgré les scandales àrépétition, le secteur bancairereste un partenaire privilégié etactif des centres financiers offs-hore. Y compris des plus opaques,comme le Panama.

    Sans elles, ces Etats et territoiresà fiscalité zéro, mal régulés et ré-fractaires à la coopération inter-nationale contre la fraude fiscale,perdraient de leur vitali té ; l’ar-

    gent des sociétés offshore nepourrait se recycler dans l’écono-mie ; cette « finance de l’ombre »ne saurait prospérer.

    Sur les 214 488 sociétés offshoreimmatriculées par la société pana-méenne Mossack Fonseca depuissa création en 1977, 15 579 ont étécommandées directement par desbanques pour leurs riches clients,le reste l’ayant été par d’autresprestataires (cabinets d’avocats, so-ciétés de gestion de patrimoine…).La majeure partie de ces entités ontété créées après les années 2000.Début 2016, plus de 2 000 étaienttoujours actives, selon l’enquête

    conduite par le Consortium inter-national de journalistes d’investi-gation (ICIJ) avec Le Monde.

    Au total, ce sont 365 groupesbancaires de toutes nationalitésqui ont fait appel aux services dela firme panaméenne. Parmi elles,des poids lourds comme la britan-nique HSBC, les suisses UBS etCredit Suisse, l’allemande Deuts-che Bank, la scandinave Nordeaou encore la française Société gé-nérale. Et de très nombreux éta-blissements plus petits, pour l’es-sentiel en Suisse, au Luxembourg,à Jersey et Monaco.

    Les « Panama papers » révèlent

    que ces banques mondialisées sesont, pour certaines, renduescomplices d’infractions  ou qu’el-les ont, pour d’autres, pris d’évi-dentes libertés avec l’obligation lé-gale de connaître leurs clients etde contrôler leurs transactions,s’exposant ainsi à des risques in-considérés. Et ce malgré le « know

     your customer » (« connais tonclient »), un principe du GAFI (leGroupe d’action financière, l’orga-nisme de référence en matière delutte antiblanchiment, placé sousl’égide des Nations unies) large-ment appliqué dans le monde.

    Des sociétés offshore ont, en ef-

    fet, pu servir à blanchir de l’argentde crimes ou de délits, allant de lafraude fiscale à la grande délin-quance financière. Parmi lesclients de la filiale d’UBS à Miami,en Floride, se trouve par exempleune entité créée par Mossack Fon-seca, nommée Chayofa Corp. Sonpropriétaire n’est autre que Giu-seppe Donaldo Nicosia, unhomme d’affaires gravitant dansl’entourage de l’ex-premier minis-tre italien Silvio Berlusconi et in-culpé dans un scandale de fraudeà la TVA en Italie, impliquant lamafia. Sous le coup d’un mandatd’arrêt, il est en fuite et recherché

    par Interpol depuis 2014.De son côté, HSBC compte

    parmi ses clients Rami Makhlouf,

    le cousin et l’homme de con-fiance du président syrien BacharAl-Assad. Cet homme d’affaires, àla tête d’un empire industriel opa-que, est considéré comme legrand argentier de Damas. Sa so-ciété Drex Technologies SA est en-registrée chez Mossack Fonsecadepuis 2000. Bien qu’il soit visépar des sanctions américaines dès2008, il faut attendre le déclen-chement de la guerre civile en Sy-rie pour que la firme pana-méenne se décide, en septem-bre 2011, à rompre avec cet hom-me-clé du régime. Une série demails confidentiels montre que

    les filiales de HSBC à Londres etGenève ne voyaient « aucun pro-blème » à travailler avec ce client.

    Si les données secrètes de Mos-sack Fonseca permettent rare-ment d’accéder aux fortunes ca-chées sur les comptes bancairesde ces sociétés, elles donnent àvoir d’importantes sommes d’ar-gent transitant, par rebond, depays en pays. Des transactionsdont la complexité rend difficilesles vérifications pourtant obliga-toires sur l’origine ou la destina-tion finale des fonds.

    Les « Panama papers » dévoilentaussi, et pour la première fois,

    l’extraordinaire propension deces grandes banques à se jouerdes changements réglementai-res. Qu’un pays durcisse sa légis-lation antiblanchiment sous lapression internationale, qu’illance des contrôles pour vérifierl’identité des bénéficiaires réelsdes sociétés offshore, et voilà lestock de sociétés offshore desbanques qui se déplace dans unpays plus accueillant.

    La mode des îles Vierges

    Ainsi, jusqu’au début des années2000, la mode est aux îles Viergesbritanniques, havre fiscal et régle-

    mentaire des Caraïbes où les struc-tures écrans s’ouvrent ou se fer-ment en 24 heures, sans contrôlesérieux. Tout change en 2004,quand Tortola, l’une des îles Vier-ges, donne un premier tour de vis,en restreignant l’anonymat dansces sociétés offshore, avant de l’in-terdire, sept ans plus tard.

    Les Seychelles deviennent alorsla destination phare. Jusqu’en 2011,au moment où ce petit archipel del’Océan indien, membre du Com-monwealth, déstabilisé par la crisede 2008 et un secteur offshore hy-pertrophié, décide à son tour denettoyer son économie.

    Les banques se tournent alorsvers les pays restés souples, quijouent à fond la carte de la mon-dialisation : Panama, Hongkonget Dubaï, ces gros centres finan-ciers de transit entre Nord et Sud,Orient et Occident.

    Si les banques surfent la plupartdu temps sur les lois sans lestransgresser, il arrive qu’elles fran-chissent la ligne rouge et soientrattrapées par les autorités ban-caires, fiscales ou judiciaires. Ellesbataillent alors ferme pour s’exo-nérer de leurs responsabilités.

    Ainsi de la banque suisse UBS,qui, fin 2010, dix-huit mois après

    avoir été sanctionnée par lesEtats-Unis, à une amende de780 millions de dollars, pouravoir aidé de riches Américains àfrauder le fisc, cherche à se débar-rasser des sociétés créées avecMossack Fonseca. Elle tente derenvoyer la responsabilité des ir-régularités passées sur son pres-tataire offshore. Lors d’une réu-nion de crise au siège de la ban-que à Zurich, un dirigeant d’UBSaccuse la firme d’avoir « violé leslois antiblanchiment suisses ». Etmenace de la « dénoncer (…) auxautorités compétentes ». p

    a. mi.

    Si les banques

    surfent la plupart

    du temps sur

    les lois sans

    les transgresser,

    il arrive qu’elles

    franchissent

    la ligne rouge

  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    0123MERCREDI 6 AVRIL 2016   | 7

    Les bureaux dela Société générale,dans le quartierde la Défense,près de Paris.JACKY NAEGELE/REUTERS

    Les « Panama papers » for-ment le dernier d’unelongue série de scandalesqui ont chacun levé une

    partie du voile sur le monde opa-que des paradis fiscaux.

    2008 UBSQui en était à l’origine ? Les autori-tés américaines, grâce au témoi-gnage du lanceur d’alerte BradleyBirkenfeld.Que s’est-il passé ? La justice amé-ricaine a accusé la banque suisseUBS d’avoir, entre 2000 et 2007,démarché plusieurs dizaines demilliers d’Américains fortunéspour placer chez elle quelque20 milliards de dollars (14,7 mil-liards d’euros). UBS les a aidés àfrauder le fisc et son démarchagetransfrontalier de banque privéeétait illégal, car sans licence etsans déclaration fiscale.Qu’a-t-on appris ?  Que la Suisserestait un gigantesque paradisbancaire grâce auquel de nom-breux clients fraudaient le fisc. Etque les banques les démarchaientactivement dans ce sens.

    Quelles conséquences ? UBS a ac-cepté en 2009 de payer 780 mil-lions de dollars (696 millionsd’euros) d’amende et de trans-mettre les noms de 4 450 clientsaméricains afin d’éviter une in-culpation. En France, la justices’est saisie de l’affaire en 2012, et amis en examen UBS l’année sui-vante pour avoir démarché desclients en leur proposant d’ouvrirdes comptes non déclarés enSuisse. En juillet 2015, la justice al-lemande a remis au fisc françaisune liste de 38 330 comptes declients français.

    2013 « OffshoreLeaks »Qui en était à l’origine ?  Le Con-sortium international des journa-listes d’investigation (ICIJ) et

    36 médias internationaux, dont Le Monde.Que s’est-il passé ?  Une « fuite »(leak) a permis d’analyser 2,5 mil-lions de documents de122 000 sociétés offshore, géréespar les firmes de domiciliationPortcullis TrustNet (Singapour) etCommonwealth Trust Limited(îles Vierges britanniques).Qu’a-t-on appris ? OffshoreLeaksa, pour la première fois, permis decomprendre de l’intérieur les mé-canismes de la finance offshore etde l’évasion fiscale. L’opération apermis de mettre en évidence lerôle crucial de certaines banquesfrançaises, comme BNP Paribas etle Crédit agricole. Cent trente par-ticuliers avaient des actifs dansces sociétés offshore – principale-ment des entrepreneurs et des no-tables, mais aussi le trésorier de

    campagne de François Hollande,Jean-Jacques Augier.Quelles conséquences ? Le direc-teur général du groupe autrichienRaiffeisen Bank International(RBI) a démissionné après l’an-nonce de l’ouverture d’une en-quête sur ses placements person-nels dans des paradis fiscaux. Unmois plus tard, les Etats-Unis, leRoyaume-Uni et l’Australie ontmis la main sur des données com-parables. Les OffshoreLeaks ontjoué un rôle important dans l’of-fensive contre les paradis fiscauxpour généraliser l’échange auto-matique de données.

    2014 « ChinaLeaks »

    Qui en était à l’origine ? L’ICIJ etune équipe restreinte de médias,dont Le Monde.De quoi parlait-on ? D’un pan en-tier du dossier « OffshoreLeaks »,qu’il a fallu traduire du chinois.

    Qu’a-t-on appris ?  L’opération arévélé que plus de 20 000 clientsde Chine ou de Hongkong étaientliés à des compagnies offshore si-tuées dans des paradis fiscaux,dont plusieurs proches du Particommuniste.Quelles conséquences ? Les auto-rités chinoises ont censuré la ma-jorité des informations et bloquéles sites Internet étrangers.

    2014 « LuxLeaks »Qui en était à l’origine ? Des lan-ceurs d’alerte, dont Antoine Del-tour, ancien employé du cabinetd’audit PricewaterhouseCoopers,et le journaliste français EdouardPerrin, confient à l’ICIJ et à qua-rante médias, dont  Le Monde, 28 000 pages d’accords f iscauxconclus entre 2002 et 2010 entre

    le fisc luxembourgeois et desmultinationales comme Apple,Pepsi ou Ikea.De quoi parlait-on ? De l’« optimi-sation fiscale » de 340 multinatio-nales avec la complicité des auto-rités luxembourgeoises.Qu’a-t-on appris ? Ces accords fis-caux permettent à ces entreprisesde déroger au régime fiscal dedroit commun. Ils émanent ducabinet d’audit et de conseilPricewaterhouseCoopers, qui en anégocié les termes avec l’adminis-tration luxembourgeoise.Quelles conséquences ?  LesLuxLeaks ont fragilisé le tout nou-veau président de la Commissioneuropéenne Jean-Claude Juncker,qui était premier ministre duGrand-Duché lorsque les accordsfiscaux (tax rulings) ont été con-

    clus. Les Etats européens ont va-lidé, en octobre 2015, la directivesur la transmission automatiquedes rulings entre administrations.

    2015 « SwissLeaks »Qui en était à l’origine ?  Des docu-ments volés par l’ancien informa-ticien de HSBC Hervé Falciani, ré-cupérés par la France. Le Monde ya eu accès et les a partagés avecl’ICIJ et 55 médias.

    De quoi parlait-on ? De listingsétablis par le fisc et la justice, quicontenaient environ 3 000 nomsde Français ayant détenu uncompte à la banque suisse HSBCen 2005-2006. Pour le reste despays, les données obtenues par Le Monde renfermaient les nomsde plus de 100 000 clients et de20 000 sociétés offshore.

    Qu’a-t-on appris ? HSBC a aidé ac-tivement ses clients à échapper àl’impôt, en leur proposant deconstituer une société offshore.Plus de 5,7 milliards d’eurosauraient ainsi été cachés par descontribuables français.Quelles conséquences ?  HSBCPrivate Bank a été mise en exa-men en France pour complicité deblanchiment aggravé de fraudefiscale et de démarchage illégal.Dans plusieurs pays, la banque anégocié une amende plutôt quede risquer un procès.p

    mathilde damgé

    et maxime vaudano

    Des scandalesfinanciers

    en cascadeLes documents panaméenss’ajoutent à une longue listede révélations, qui ont contribuéà modifier les législations

    depuis 2012, et si des structuresont été fermées, une centaine desentités ouvertes par la Société gé-nérale chez Mossack restent acti-ves. D’autres ont été transférées àd’autres gestionnaires. Et pour-suivent leurs activités ailleurs.

    L’état-major de la banquen’avait-il pas affirmé vouloir ces-ser toutes ses activités avec le Pa-nama dès 2010, en annonçant lafermeture de sa filiale locale, lors-que le pays s’était retrouvé fichépar la France comme paradis fis-cal non coopératif ? Et commentassumer ce partenariat de plus devingt ans avec Mossack Fonseca,une firme à la réputation sulfu-reuse, citée dans de nombreuses

    affaires de blanchiment, dont lescandale de corruption brésilienPetrobras ? Quid enfin de l’opacitécaractérisant les sociétés-écrans,combattues par les experts del’OCDE, le G20 et les magistratsanticorruption, au motif qu’ellesfacilitent le blanchiment de lafraude et l’évasion fiscales oud’autres activités criminelles ?

    Des revenus « marginaux »

    « Nous avons fermé notre implan-tation au Panama il y a plusieursannées, et ni nos filiales au Luxem-bourg ni nos filiales en Suisse nedétiennent d’établissements ou de filiales dans des Etats ou territoiresnon coopératifs, déclare la Sociétégénérale. Mais l’absence d’implan-tation n’impose pas une absencede relations commerciales ou d’af- faires avec des clients ou distribu-

    teurs situés dans ces pays, dans lerespect des standards applicablesen matière de lutte anti-blanchi-ment. » La banque précise qu’ellerestera « attentive aux évolutionsconcernant la société Mossack Fonseca, notamment dans le cadrede l’affaire Petrobras, et [prendra] ,le cas échéant, toute décision pou-vant s’imposer quant à l’avenir dela relation avec ce prestataire ».

    Sur le fond, la Société généralene voit aucun problème à faire del’offshore, une activité qui « repré-sente des revenus marginaux àl’échelle de la banque privée ». « Cessociétés dites offshore sont utili-

    sées dans un cadre international pour la détention d’avoirs et re-cherchées pour leur facilité de mise

    en place et leur coût modéré decréation et de fonctionnement , ex-plique la banque. Nous encadronsstrictement l’usage que nos clients peuvent en faire. »

    La banque affirme procéder àtoutes les vérifications d’identité,dans le cadre d’une politique anti-blanchiment active : « Nous maî-trisons systématiquement l’iden-tité de nos clients et des bénéficiai-res économiques ayant recours, par notre intermédiaire, à ces so-ciétés ainsi que le fonctionnementdes comptes bancaires de ces so-ciétés. »  Des renseignements quela banque tient « à la dispositiondes régulateurs et des autorités ju-diciaires et fiscales compétentes ».

    Des données issues de MossackFonseca, pourtant, ressort la plusgrande opacité. Toutes bâties surle même modèle, les entités

    créées font appel à des prête-noms (dirigeants et actionnairesfictifs), allant parfois jusqu’à lesempiler à tous les étages de res-ponsabilité.

    La volonté d’opacifier au maxi-mum les montages, afin qu’il soitcompliqué, voire impossible, deremonter à l’identité des vraispropriétaires, y est manifeste.On est loin des simples trustsanglo-saxons, où la gestion desavoirs est confiée, par délégation,à un trustee  (un gestionnaire).Loin de la simple volonté de pro-téger les avoirs et d’organiser sasuccession.

    Ainsi, en 2009, alors que les îlesVierges s’apprêtent à lever l’ano-nymat des sociétés offshore, SGBank & Trust Luxembourg s’orga-nise pour maintenir le secret. Ellecommande deux fondations,avec prête-noms, à Mossack Fon-seca (Rousseau et Valvert). Puis lesenregistre comme actionnairesdes 200 sociétés ouvertes pourses clients aux Caraïbes. Un piedde nez aux autorités locales, quela firme panaméenne lui factureau prix fort : « C’est une situationtrès spéciale et plus risquée pournous », justifie cette dernière dansun mail daté du 23 avril 2009.

    Pis, l’opacité chez SG Bank& Trust Luxembourg semble telle

    que même Mossack Fonseca ytrouve à redire. De nombreuxcourriels montrent ainsi que labanque fait obstruction aux de-mandes d’information des autori-tés de contrôle des îles Vierges bri-tanniques sur les bénéficiairesréels des sociétés. Ainsi, quelquesjours avant un audit de la com-mission des services financiersdes îles Vierges prévu dans les bu-reaux de Mossack sur l’île de Tor-tola, du 10 au 13 juin 2014, le ser-vice du contrôle des risques deMossack au Panama presse sescollègues du Luxembourg : « Ladernière fois qu’on a été audités,c’est une société de SG Bank& Trust qui a posé problème.  (…) Assure-toi qu’ils envoient [les do-cuments]  dûment signés », écrit« Sandra » à « Kate », le 2 juin.

    A nouveau, en mars 2015, Mos-

    sack se plaint de ne pas obtenirces informations pourtantobligatoires. La banque continuede traîner les pieds et se retran-che derrière le secret bancaireluxembourgeois :« Nous compre-nons que vous devez obtenir l’avaldes bénéficiaires ultimes, couverts par le secret banca ire  (…),mais nous comptons sur votrecoopération sur cette question primordiale », met en garde lafirme panaméenne dans un mailadressé à la banque. Le messageest daté du 18 mars, il y a toutjuste un an. p

    anne michel

    Ce n’est pas

    au siège parisien

    de la banque

    que s’organise

    ce business, mais

    dans ses filiales

    en Suisse,

    au Luxembourg,

    aux Bahamas

    Les sièges du CreditSuisse, Zurich,et d'UBS, Genève.NIELS ACKERMANN/LUNDI13

  • 8/18/2019 Le Monde 6 Avril 2016

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    8 |   MERCREDI 6 AVRIL 20160123

    Les Islandaisen colère contre

    leur premierministreDes milliers de manifestantsréclament la démission deM. Gunnlaugsson, accusé d’avoirdétenu une société offshore

    REPORTAGEreykjavik - envoyé spécial

    L

    es casseroles ont bruyam-ment fait leur retour dansles rues de Reykjavik.

    Comme en 2008 aprèsl’effondrement en quelques joursde leur économie, des milliersd’Islandais ont manifesté devantle Parlement, lundi 4 avril, pourdemander la démission du pre-mier ministre et de l’ensemble dugouvernement. La police a estiméla foule à 8 000 personnes, les or-ganisateurs à 22 000 : des chiffresconsidérables pour une île quicompte à peine 329 000 habitants.

    Pris pour cible par les manifes-tants, Sigmundur David Gunn-laugsson est accusé d’avoir dé-tenu une société offshore baséeaux îles Vierges britanniques sansl’avoir jamais déclaré publique-ment. L’existence de cette société,baptisée Wintris et désormaispropriété exclusive de sa femme− une riche héritière −, a été révé-lée dans le cadre des « Panama pa-

    pers ». Deux de ses ministres, ce-lui des finances et celle de l’inté-rieur, apparaissent aussi dans lesdonnées connectées à des socié-tés offshore.

    La révélation de ce scandale a étéun choc pour de nombreux Islan-dais qui pensaient que leur paysen avait fini avec les mauvaisespratiques financières des an-nées 2000. A cette époque, l’ar-gent coulait à flots sur la petite île

    grâce à un secteur bancaire en ap-parence florissant. Mais celui-ciprospérait en fait sur des prêtsdouteux entre banques, passantsouvent par des paradis fiscaux.En 2008, cette bulle avait brutale-

    ment explosé en quelques jours,mettant l’économie du pays au ta-pis. Les Islandais avaient obtenula tête de leur premier ministre endescendant massivement dans larue. Plusieurs banquiers avaientensuite été condamnés.

    Sept ans plus tard, Lilja Magnus-dottir, 42 ans, a le sentiment querien n’a changé. « Apr ès le krachde 2008, on a parlé d’une Islandemeilleure, mais on voit que tout va

     plus mal. Nous avons été trahis par tous ceux qui nous ont dit que çaallait mieux »,  assure cette assis-tante maternelle, qui a fait deuxheures et demie de route depuisson village de 850 habitants pourvenir manifester lundi soir. Il y adix jours, elle avait déjà lancé unepétition pour réclamer la démis-sion du gouvernement, après quela femme du premier ministre

    avait publié un communiqué surFacebook pour tenter de protégerson mari. Cette pétition a connuun succès foudroyant après la dif-fusion du reportage sur les « Pa-nama papers », dimanche soir à latélévision publique.

    Lundi, les milliers de manifes-tants ont brandi des bananes,censées symboliser les dérivesd’une « république bananière », etlancé du fromage blanc contre la

    ma femme, et elle a toujours payédes impôts. Ce n’est pas une fraude

     fiscale »,  a-t-il répété. Pourquoin’a-t-il pas mentionné Wintris

    dans sa déclaration d’intérêt alorsqu’elle était créancière de plu-sieurs banques sur lesquelles legouvernement devait prendredes décisions ? « Il n’est pas obliga-toire de déclarer les propriétés deson épouse »,  a assuré le chef dugouvernement islandais.

    Tout au long de la séance desquestions au gouvernement, ils’est montré impassible, dessi-nant sur une feuille de papier sans

    un regard pour ses adversaires.Tout juste a-t-il admis « ne pasavoir été très clair » lors de l’entre-tien avec les reporters du Consor-tium international des journalis-tes d’investigation. Devant les ca-méras, il avait alors préféré mettrefin à l’interview plutôt que de ré-pondre aux questions sur Wintris.

    Lundi soir, les députés d’opposi-tion ont déposé une motion decensure et une demande de disso-lution du Parlement, qui devraitêtre examinée dans les prochainsjours. « Tout est choquant dans cedossier, il est impossible de le lais-

    ser continuer à gérer les intérêts dela nation »,  fustige auprès du

     Monde  Birgitta Jónsdóttir, la lea-der du Parti pirate. Créé en 2012 enpromettant de faire le ménagedans la finance islandaise et dechanger la Constitution, ce parti ale vent en poupe dans les sonda-ges, avec plus de 30 % des inten-tions de vote.

    Si la majorité de droite reste con-fortable au Parlement, avec sept

    sièges d’avance, le camp du pre-mier ministre montre des pre-miers signes de division. Son allié,le Parti de l’indépendance (con-servateur), n’hésite plus à le criti-quer ouvertement. « Avec sa

     femme, ils ont été des créanciersdes banques alors qu’il a dû menerdes négociations sur ce sujet. Cen’est pas une situation convenable.Seuls ses proches prennent sa dé-

     fense »,  lâche un de ses députés,Vilhjálmur Bjarnason. Ministredes finances et leader de ce parti,Bjarni Benediktsson a expliqué,pour sa part, que le premier minis-

    tre était « dans une position vulné-rable ». Une réunion entre lesdeux alliés doit avoir lieu mardimatin et pourrait déboucher surune mise à l’écart de M. Gunn-laugsson. Mais il demeure une dif-ficulté de taille : Bjarni Benedikts-son, qui détient dans ses mainsl’avenir de la coalition, est lui aussiaccusé d’avoir eu une société offs-hore sans l’avoir déclaré.p

    jean-baptiste chastand

    Manifestation contre le premier ministre à Reykjavik, lundi 4 avril. HÖRDUR SVEINSSON POUR « LE MONDE »

    Démentis, enquêtes et silences après les révélationsLes « Panama papers » ont suscité un gigantesque flot de réactions dans de nombreux pays

    Une avalanche de démen-tis, de protestations, desilences convenus mais

    aussi d’enquêtes officielles ontsuivi les révélations, depuis di-manche 3 avril, des « Panama pa-pers » dans la presse mondiale.

    En Russie La réaction la plus viveest venue du Kremlin, qui a ac-cusé les Etats-Unis d’être derrièrel’opération. Le porte-parole deVladimir Poutine a affirmé que laRussie était « la cible principale »de ces révélations pleines d’« in-ventions », pour « déstabiliser » lepays à l’approche des élections.L’enquête aurait été conduitepour Moscou par « d’anciens em-

     ployés du département d’Etat, dela CIA et des services secrets ».

    En Ukraine Le président Petro Po-rochenko n’a pas nié avoir ouvertde compte aux îles Vierges britan-niques en août 2014, en pleineguerre avec les séparatistes pro-russes, mais, selon lui, cela a étéfait « dans le respect total du droit

     privé ukrainien et international ».

    Aux Etats-Unis Prudente, l’admi-nistration s’est contentée de dé-clarer qu’elle examinait les révéla-tions des « Panama papers ».

    Au Panama  Le gouvernement apromis de « coopérer vigoureuse-ment »  avec la justice en casd’ouverture d’une procédure judi-ciaire. Le cabinet d’avocats Mos-sack Fonseca a lui estimé que lapublication des « Panama pa-pers » était un « crime ».

    En France François Hollande a as-suré dès lundi que ces révélations

    donneraient lieu en France à des« enquêtes » fiscales et des« procé-dures judiciaires ». Le chef de l’Etata par ailleurs remercié les « lan-ceurs d’alerte et la presse »  pources révélations qui vont permet-tre de nouvelles « rentrées fisca-les ». Le parquet national finan-cier a aussitôt ouvert une enquêtepour « blanchiment de fraudes fis-cales aggravées».

    En Suisse Le Crédit suisse et HSBCont démenti avoir eu recours àdes structures offshore pour aiderleurs clients à se soustraire à l’im-pôt. Selon la Süddeutsche Zeitung,près d’une trentaine de banquesallemandes ont eu recours auxsociétés offshore.

    En Grande-Bretagne  Les révéla-

    tions sur Ian Cameron, le père dupremier ministre, ont placé legouvernement dans une situa-tion difficile. Le fonds d’investis-sement Blairmore de Ian Came-ron a utilisé des dizaines de prête-noms au Bahamas et n’a jamaispayé d’impôt au Royaume-Uni. Lepremier ministre a refusé d’indi-quer si sa famille possédait en-core de l’argent dans les paradisfiscaux. « Il s’agit d’une affaire pri-vée », a répondu sa porte-parole.

    En Espagne  Des enquêtes ontdéjà été lancées à Madrid. C’est lecompte de la sœur de l’ancien roi

    façade du Parlement – un geste decolère traditionnel sur l’île. Cer-tains orateurs ont carrément ap-pelé l’Europe à l’aide. « Nous avonsbesoin de votre assistance pour dé-

     fendre notre démocratie »,  a pro-clamé, en anglais, l’un d’entreeux. Un geste très fort alors que lepremier ministre, nationaliste fa-rouche, a choisi de fermer le dos-sier de l’adhésion à l’Union euro-péenne en 2015. Les manifestantsont surtout reproché à M. Gunn-laugsson d’avoir trahi ses idéauxen ayant recours à des paradis fis-caux, tout en surfant sur le res-

    sentiment des Islandais contre lescréanciers étrangers.

     « Tout est choquant »

    Cette colère suffira-t-elle à fairetomber le gouvernement ? Sig-mundur David Gunnlaugsson aen tout cas choisi de l’ignorer.Dans un entretien télévisé, puisdevant le Parlement, il a répétéqu’il ne démissionnerait pas.« Cette compagnie appartenait à

    « Nous avons

    été trahis

    par ceux qui nous

    ont dit que ça

    allait mieux »

    LILJA MAGNUSDOTTIR

    une manifestante

    Juan Carlos au Panama, ou la so-ciété du cinéaste Pedro Almodo-var qui font scandale.

    En Argentine. Le footballeur Lio-nel Messi a démenti que la sociétépanaméenne détenue par sa fa-mille ait servi pour de l’évasionfiscale. Quant au président Mauri-cio Macri, cité comme directeurd’une entreprise des Bahamas, il alui aussi nié toute irrégularité etprécisé que la société avait étécréée par son père pour investirau Brésil, mais a été dissouteen 2008. « Tout est parfait, il n’y arien d’étrange », a dit le président.

    Au Mexique Les noms d’hommesd’affaires proches du président En-rique Peña Nieto et de son Parti ré-volutionnaire institutionnel (PRI,

    centre) ont été mis en cause, ainsique quelques narcotrafiquants. Legouvernement s’est contentéd’annoncer des enquêtes pour la« révision des cas pertinents ».

    Dans le Golfe Aucune mentionn’a été faite du roi saoudien ni deson fils le prince héritier. Pas demention non plus du présidentdes Emirats arabes unis, de l’an-cien émir du Qatar, de l’ancienpremier ministre du même émi-rat ou des fils de l’ancien prési-dent égyptien Hosni Moubarak.Le site en arabe d’Al-Jazira a trèspeu traité des « Panama papers ».

    En Chine  Les révélations, tom-bées en pleine fête des morts, ontété accueillies en République po-pulaire par un silence assourdis-sant : aucun média n’y consacresa « une » et tous omettent de ci-ter les cas liés à des dirigeants chi-nois. Le quotidien nationalisteGlobal Times a publié le 5 avril unéditorial sur les « forces puissantesà l’œuvre derrière les Panama pa-

     pers », il y voit la main deWashington. Huit membres ducollectif dirigeant du Parti com-muniste chinois, le PCC, sont citésdans les documents panaméens.

    En Inde  Près de 500 personnesapparaissent dans les « Panamapapers », dont de grandes stars deBollywood et plusieurs dirigeantsd’entreprises. Le premier minis-

    tre Narendra Modi a demandél’ouverture d’une enquête. « Il n’ya pour nous aucune vache sa-crée », a expliqué le ministre del’économie, Arun Jaitley.

    Au Pakistan Les trois enfants dupremier ministre Nawaz Sharif fi-gurent dans les « Panama pa-pers », ainsi que 200 autres entre-preneurs et politiques dont feuBenazir Bhutto. Un sénateur, Os-man Saifullah, a détenu 34 entre-prises dans des paradi