le monde - 09 01 2020

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NOUVELLE COLLECTION AGATHA CHRISTIE N° 3 EN VENTE UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE FEMMES D’EXCEPTION LE REGARD DE PLANTU LA RIPOSTE DU RÉGIME IRANIEN AUX ÉTATS-UNIS L’Iran a tiré une série de missiles, mardi 7 janvier dans la nuit, sur deux sites irakiens où sont stationnées des troupes américaines, sans faire de victimes « Des mesures propor- tionnées d’autodé- fense », a indiqué l’Iran, qui assure ne chercher ni « l’escalade ni la guerre » Les représailles de Téhéran sont pour l’heure mesurées, après les trois jours de deuil qui ont suivi l’assassinat ciblé du général Soleimani Les accusations d’es- pionnage contre la cher- cheuse franco-iranienne, en grève de la faim en Iran, ont en revanche été abandonnées PAGES 2 À 5 ET CHRONIQUE PAGE 29 Le président iranien, Hassan Rohani, le 4 janvier. PRÉSIDENCE IRANIENNE/AFP LE MONDE DES LIVRES – SUPPLÉMENT LE TROISIÈME VOLET ÉPIQUE DE PIERRE LEMAITRE Près de 30 000 directeurs ont répondu à la consultation lancée par le ministère de l’éducation PAGE 12 Education Les directeurs d’école épuisés par l’administratif LES LEÇONS DE « CHARLIE », CINQ ANS APRÈS P. 29 ET NOS INFORMATIONS P. 15 1 ÉDITORIAL JEUDI 9 JANVIER 2020 · 76 E ANNÉE · N O 23327 · 2,80 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA Le gouvernement prévoit quinze jours de débats à l’Assemblée et une seule lecture par Chambre PAGE 9 Retraites L’exécutif accélère, la CFDT inflexible sur l’âge pivot Police Le livreur Cédric Chouviat est mort par asphyxie lors de son interpellation l’autopsie du corps de Cédric Chouviat, un livreur de 42 ans, in- terpellé vendredi 3 janvier à Paris, a fait état d’une « manifestation asphyxique » avec une « fracture du larynx ». Ce père de cinq en- fants avait été interpellé brutale- ment, à l’angle du quai Branly et de l’avenue de Suffren, et plaqué à terre en raison, selon la police, d’un comportement « irrespec- tueux et agressif », alors qu’il télé- phonait en conduisant. Une vi- déo, présentée par ses avocats et sa famille, montre au contraire Cédric Chouviat, le casque sur la tête, en train de filmer à pied des policiers qui le repoussent. Sur une deuxième vidéo, on voit plusieurs policiers en train de le maîtriser au sol, en portant tout leur poids sur son torse. Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire confiée à un juge d’instruction, pour « ho- micide involontaire ». Pour les avocats de la famille, les autorités ont tenté de dissimuler une ba- vure policière. PAGE 11 Agriculture Hausse spectaculaire du recours aux pesticides PAGE 8 SNCF Le fret ferroviaire, aujourd’hui aux mains du privé, est en grand péril PAGE 14 Théâtre Les jolis contes et légendes de Joël Pommerat, aux Amandiers PAGE 20 Le chef de file socialiste a été réinvesti à la tête du gouvernement. Mais sa nouvelle coalition avec Podemos devra négocier le vote de toutes ses lois, en premier lieu celle des finances PAGE 6 Espagne Le délicat équilibre de Pedro Sanchez La Croatie a pris, au 1 er jan- vier, la présidence tour- nante de l’UE. Son premier ministre, Andrej Plenkovic, explique au « Monde » combien les départs mas- sifs de population de l’est de l’Europe le préoccupent PAGE 7 UE Entretien avec le premier ministre croate Pour James P. Rubin, l’ancien secrétaire d’Etat adjoint de Bill Clinton, les Etats-Unis n’ont pas de stratégie claire « Une guerre est aujourd’hui une réelle possibilité » Le député européen Bernard Guetta estime que la République islamique est aujourd’hui dans l’impasse IDÉES – PAGE 25 « Trump a su placer l’Iran devant une alternative impossible » Téhéran Un Boeing ukrainien s’écrase avec 176 personnes à son bord PAGE 5 Une déclaration d’amour au cinéma 10€, 96 pages « Une conversation passionnée entre le réalisateur de Coup de torchon et Thierry Frémaux » Samuel Douhaire, Télérama Photo JL Mège UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

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Page 1: Le Monde - 09 01 2020

NOUVELLE COLLECTION

AGATHA CHRISTIE N° 3 EN VENTE UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

FEMMES D’EXCEPTION

LE REGARD DE PLANTU

LA RIPOSTE DU RÉGIME IRANIEN AUX ÉTATS­UNIS▶ L’Iran a tiré une sériede missiles, mardi7 janvier dans la nuit,sur deux sites irakiensoù sont stationnéesdes troupes américaines,sans faire de victimes▶ « Des mesures propor­tionnées d’autodé­fense », a indiqué l’Iran,qui assure ne chercher ni« l’escalade ni la guerre »▶ Les représailles deTéhéran sont pour l’heuremesurées, après les troisjours de deuil qui ontsuivi l’assassinat ciblédu général Soleimani▶ Les accusations d’es­pionnage contre la cher­cheuse franco­iranienne,en grève de la faim en Iran, ont en revancheété abandonnéesPAGES 2 À 5 E T C H R O N I Q U E PAGE 29

Le président iranien, Hassan Rohani, le 4 janvier. PRÉSIDENCE IRANIENNE/AFP

LE MONDE DES LIVRES – SUPPLÉMENT  LE TROISIÈME VOLET ÉPIQUE DE PIERRE LEMAITRE

Près de 30 000 directeurs ont répondu à la consultation lancée par le ministère de l’éducation PAGE 12

EducationLes directeurs d’école épuisés par l’administratif

LES LEÇONS DE « CHARLIE », CINQ ANS APRÈS

P. 29 E TN O S I N F O R M A T I O N S P. 15

1É D I T O R I A L

JEUDI 9 JANVIER 2020 · 76E ANNÉE · NO 23327 · 2,80 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

Le gouvernement prévoit quinze jours de débats à l’Assemblée et une seule lecture par ChambrePAGE 9

RetraitesL’exécutif accélère, la CFDT inflexible sur l’âge pivot

Police Le livreur Cédric Chouviat est mortpar asphyxie lors de son interpellationl’autopsie du corps de Cédric Chouviat, un livreur de 42 ans, in­terpellé vendredi 3 janvier à Paris,a fait état d’une « manifestationasphyxique » avec une « fracture du larynx ». Ce père de cinq en­fants avait été interpellé brutale­ment, à l’angle du quai Branly et de l’avenue de Suffren, et plaqué àterre en raison, selon la police,

d’un comportement « irrespec­tueux et agressif », alors qu’il télé­phonait en conduisant. Une vi­déo, présentée par ses avocats et sa famille, montre au contraire Cédric Chouviat, le casque sur latête, en train de filmer à pied des policiers qui le repoussent.

Sur une deuxième vidéo, onvoit plusieurs policiers en train

de le maîtriser au sol, en portant tout leur poids sur son torse.

Le parquet de Paris a ouvert uneinformation judiciaire confiée à un juge d’instruction, pour « ho­micide involontaire ». Pour les avocats de la famille, les autorités ont tenté de dissimuler une ba­vure policière.

PAGE 11

AgricultureHausse spectaculairedu recoursaux pesticidesPAGE 8

SNCFLe fret ferroviaire, aujourd’hui aux mains du privé,est en grand périlPAGE 14

ThéâtreLes jolis conteset légendesde Joël Pommerat,aux AmandiersPAGE 20

Le chef de file socialiste a été réinvesti à la tête du gouvernement. Mais sa nouvelle coalition avec Podemos devra négocier le vote de toutes ses lois, en premier lieu celle des financesPAGE 6

EspagneLe délicat équilibre dePedro Sanchez

La Croatie a pris, au 1er jan­vier, la présidence tour­nante de l’UE. Son premier ministre, Andrej Plenkovic, explique au « Monde » combien les départs mas­sifs de population de l’est de l’Europe le préoccupentPAGE 7

UEEntretien avec le premier ministre croate 

Pour James P. Rubin,l’ancien secrétaire d’Etat adjoint de Bill Clinton,les Etats­Unis n’ont pasde stratégie claire

« Une guerre est aujourd’hui une réelle possibilité »

Le député européen Bernard Guetta estime que la République islamique est aujourd’hui dans l’impasseIDÉES – PAGE 25

« Trump a su placer l’Iran devant une alternative impossible »

TéhéranUn Boeing ukrainien s’écrase avec 176 personnes à son bordPAGE 5

Une déclarationd’amour

au cinéma

10€, 96 pages

« Une conversationpassionnée entrele réalisateur deCoup de torchonet Thierry Frémaux »Samuel Douhaire, Télérama

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2 | INTERNATIONAL JEUDI 9 JANVIER 20200123

D es représailles et unavertissement à demi­mot. Après avoir en­voyé dans la nuit une

volée de missiles sur deux sites ira­kiens où sont stationnées des for­ces américaines, en faisant, selon les informations connues mer­credi matin, des dégâts limités, la République islamique a déclaré, mercredi 8 janvier, avoir accompli sa riposte à l’assassinat, cinq jours plus tôt, du général Ghassem So­leimani dans une frappe améri­caine. La « vengeance » promise à laquelle le monde était suspendu s’est matérialisée sans qu’une es­calade militaire de grande am­pleur n’entraîne pour autant la ré­gion dans un cycle de destructionsaux conséquences incalculables.

« L’Iran a pris et a mené à leurterme des mesures proportionnées d’autodéfense (…) Nous ne cher­chons ni l’escalade ni la guerre, mais nous nous défendrons contre toute agression », a ainsi déclaré, sur Twitter, le chef de la diploma­tie iranienne, Javad Zarif : une ma­nière d’inviter l’adversaire améri­cain à en rester là. Mercredi, le guide de la révolution, Ali Khame­nei, a quant à lui qualifié l’attaque de « gifle au visage » de l’Amérique,se limitant à appeler une nouvellefois au retrait des Etats­Unis de la région sans proférer plus de me­naces de représailles militaires, « insuffisantes » selon lui. « Tout vabien ! », a de son côté tweeté le pré­sident Donald Trump, annonçant une déclaration mercredi.

Aux alentours de 1 h 30, heureirakienne, les gardiens de la révo­lution iraniens, qui contrôlentl’arsenal de missiles de la Républi­que islamique, avaient annoncé dans un communiqué aux ac­

cents martiaux avoir lancé « des dizaines » de projectiles vers desbases américaines, baptisant leur opération du nom du « martyr » Ghassem Soleimani.

Pas de distinctionPour faire bonne mesure, l’aileidéologique des forces armées ira­niennes avait averti qu’elle ne fe­rait pas de distinction entre Israël et le « régime criminel des Etats­Unis » si des contre­mesures étaient engagées par Washington.Les Etats de la région abritant des installations militaires des Etats­Unis subiraient alors, selon le communiqué, un sort compara­ble. « Le temps est venu de tenir la vraie promesse », avaient écrit les gardiens de la révolution.

A Washington, le départementde la défense n’a pas tardé à confir­mer, dans un premier communi­

qué, une double attaque de missi­les ayant visé la base aérienne d’Aïn Al­Assad, dans l’ouest de l’Irak, où les forces américaines ont repris leurs quartiers en 2014, dans le cadre de la lutte contre l’or­ganisation Etat islamique ainsi que près d’Erbil, la capitale du Kur­distan irakien. Sans qu’un bilan des dégâts humains et matériels n’ait été dévoilé à ce stade, la ten­sion a rapidement baissé lorsqu’il est apparu évident que le prési­dent des Etats­Unis n’allait pas s’adresser formellement à la na­tion comme il l’aurait fait dans le contexte d’une crise majeure. M. Trump, qui avait multiplié ces derniers jours, et depuis l’assassi­nat de Ghassem Soleimani, les im­précations les plus outrancières à l’égard de Téhéran, restait muet.

Au cours des jours précédents,les autorités iraniennes avaient

elles aussi multiplié les menaceslors des journées de deuil décré­tées en hommage au général So­leimani. Alors que le corps del’homme qui fut l’architecte de l’emprise iranienne dans toute la région était porté de ville en ville,soulevant des foules de millionsde personnes criant vengeance et se ralliant pour un temps au moins autour du drapeau de la République islamique, les res­ponsables militaires du régimeavaient promis l’enfer aux forces américaines présentes au Moyen­Orient. Le ton n’avait, à cet égard, pas changé mercredi matin. Con­tre toute évidence, la télévision publique iranienne faisait ainsi état de 80 morts parmi les mili­taires américains dans les atta­ques de la nuit précédente.

Les éléments qui ont commencéà filtrer côté américain et irakien pointeraient toutefois vers des dé­gâts matériels de faible ampleur. D’après des responsables améri­cains cités par l’agence Associated Press mercredi, les gardiens de la révolution auraient tiré en tout 15 missiles dont dix ont atteint la base d’Aïn Al­Assad, une des instal­

lations à Erbil, et quatre se sont montrés défectueux. Le comman­dement militaire irakien a pour sa part fait état de vingt­deux missi­les tirés, dont cinq dans la pro­vince d’Erbil, et assuré qu’aucune victime n’était à déplorer parmi lesforces irakiennes. Le ministre bri­tannique des affaires étrangères, Dominic Raab, a toutefois fait part de l’inquiétude de Londres concer­nant des rapports faisant état de blessés à la suite des frappes.

Première attaque directeMalgré sa portée militaire limitée, l’opération menée par les gardiensde la révolution iraniens est por­teuse d’une charge symbolique forte. C’est la première fois que la République s’attaque directement par des moyens conventionnels eten son nom propre à des installa­tions militaires américaines. Toute la doctrine de pression sécu­ritaire menée par Téhéran face à ses adversaires dans la région, qu’ils’agisse des Etats­Unis, d’Israël ou des monarchies du Golfe oppo­sées à Téhéran, consiste tradition­nellement à faire porter la respon­sabilité des actions hostiles à des groupes non étatiques alliés à la République islamique.

C’est ce procédé qui avait étéchoisi, après le 14 septembre 2019, lorsqu’une attaque coordonnée dedrones et de missiles avait frappé, au terme d’une opération sophis­tiquée, des installations stratégi­ques saoudiennes. Ce sont les re­belles houthistes du Yémen, sou­tenus par Téhéran, qui en avaient revendiqué la paternité alors qu’une attaque menée depuis le territoire irakien ou iranien pa­raissait plus vraisemblable.

allan kaval

Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, lors d’un meeting à Téhéran, le 8 janvier (photo transmise par les autorités iraniennes). AFP

« Nous ne cherchons ni

l’escalade ni la guerre mais nousnous défendrons

contre toute agression »

JAVAD ZARIFministre iranien des affaires

étrangères

La « vengeance » mesurée de l’IranTéhéran a riposté à l’assassinat par les Américains de Soleimani par des frappes sur deux bases militaires en Irak

L A   C R I S E   I R A N I E N N E

Aïn Al-Assad

Damas

Téhéran

Bagdad

Erbil

2Damas

Téhéran

Bagdad

ErbilAïn Al-Assad

3

31 2

ÉGYPTE ARABIESAOUDITE

OMAN

IRAN

TURQUIE

SYRIE

IRAKJORDANIE

ISRAËL

LIBAN

ÉMIRATS ARABES UNIS

QATAR

BAHREÏN

KOWEÏTÉGYPTE ARABIE

SAOUDITE

OMAN

IRAN

TURQUIE

SYRIE

IRAKJORDANIE

ISRAËL

LIBAN

ÉMIRATS ARABES UNIS

QATAR

BAHREÏN

KOWEÏT

Base américaine

Infographie Le Monde

2 JanvierFrappe américaine,mort du généraliranien G. Soleimani

8 JanvierTirs de missilesiraniens

2Nuit du 31 décembreSiège de l'ambassadeaméricaine par des miliceschiites pro-iraniennes

Dix jours d’escalade1 3

500 km

▶▶▶

LE CONTEXTE

HAUSSE DU PÉTROLELes Bourses asiatiques et euro-péennes ont souffert, mercredi 8 janvier, des tensions entre l’Iran et les Etats-Unis après les attaques menées par Téhé-ran contre des bases américai-nes en Irak, qui ont brièvement fait flamber le pétrole et le yen, valeur refuge. L’or noir a ainsi grimpé jusqu’à plus de 4,5 % en matinée en Asie, avant de ralentir ses gains. Le prix du baril de brut américain WTI prenait quand même en début de mati-née 0,83 %, à 63,22 dollars, tan-dis que celui du baril de brent de la mer du Nord gagnait 1,08 %, à 69,01 dollars.

VOLS MODIFIÉSDes compagnies aériennes, comme Lufthansa, Qantas, Sin-gapour Airlines ou Malaysia Airli-nes, ont modifié leurs plans de vol pour ne plus survoler tempo-rairement l’Iran, l’Irak et-ou les pays du Golfe. « Par mesure de précaution, et dès l’annonce de frappes aériennes, Air France a décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre tout survol des espaces aériens iranien et irakien », a fait savoir la compagnie française.

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Page 3: Le Monde - 09 01 2020

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Page 4: Le Monde - 09 01 2020

4 | international JEUDI 9 JANVIER 20200123

Téhéran, une vieille obsession de Donald TrumpLa crise des otages de 1979 et le second choc pétrolier ont durablement marqué le milliardaire devenu président

washington ­ correspondant

L a pratique du pouvoir sin­gulière de Donald Trumpa souvent nourri le procèsen inconstance. Sa ges­

tion du dossier iranien, ces derniè­res semaines, a alimenté les criti­ques au sujet des contradictions entre sa volonté assumée de reti­rer les Etats­Unis du Moyen­Orient et le risque d’être pris au piège d’une spirale incontrôlable de ripostes et de représailles.

Ce président versatile, capableen moins d’un an de menacer dedestruction la Corée du Nord, puisde couvrir d’éloges son dirigeant,Kim Jong­un, fait pourtant preuve d’une indéniable conti­nuité sur l’Iran. Il a méthodique­ment préparé le retrait des Etats­Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, conclu par son prédéces­seur démocrate, Barack Obama,en 2015, avant de mettre en placeune impitoyable politique de « pression maximale ».

Cette dernière est destinée àmettre à genoux l’économie ira­nienne et à contraindre le régime à accepter un diktat américain : des contraintes encore plus sévè­res sur le nucléaire et sur le pro­gramme balistique iraniens etune réduction drastique de l’in­fluence régionale iranienne. Téhé­ran a gagné celle­ci principale­ment à la suite de décisions des Etats­Unis, de l’invasion de l’Irak, en 2003, à la non­intervention en Syrie, dix ans plus tard.

« Manque de respect »La fidélité de Donald Trump à des idées simples a souvent été illus­trée par une publicité de campa­gne, datant de 1987, alors qu’il songeait, pour la première fois, à une candidature présidentielle. Elle contient des thèmes sur les­quels l’homme d’affaires, devenu président, ne cesse de revenir,dont « le manque de respect pourles Etats­Unis » témoigné par de nombreux pays, y compris de la part d’obligés de Washington, qui abuseraient de sa protection et desa générosité supposée.

A la suite des historiens BrendanSimms et Charlie Laderman,

auteurs d’un livre sur les origines de la vision du monde du prési­dent, Thomas Wright, directeur duprogramme Etats­Unis ­ Europe dela Brookings Institution, un cercle de réflexion de Washington, a ex­humé un autre élément témoin dela vision trumpienne à propos de l’Iran, dans un article stimulant publié le 7 janvier. Elle est tirée d’un entretien, accordé le 6 octo­bre 1980, par celui qui était alors un jeune promoteur immobilier flamboyant de 34 ans, non pas à unspécialiste des relations interna­tionales, mais à une reine des po­tins mondains, Rona Barrett, qui officiait sur la chaîne NBC.

La majeure partie de la conversa­tion est consacrée aux premiers faits d’armes à New York de Do­nald Trump et à des réflexions sur la richesse et sa signification. Au détour d’une question sur ce que devraient représenter les Etats­Unis, Donald Trump évoque, sans doute pour la première fois, « un

pays qui devrait obtenir le respect de la part des autres » avant d’évo­quer directement la crise des ota­ges américains, retenus par le ré­gime iranien à la suite de l’assaut contre l’ambassade des Etats­Unis,à Téhéran, en 1979.

« Qu’ils puissent retenir nos ota­ges est juste absolument et totale­ment ridicule. Que ce pays [les Etats­Unis] renonce et permette à un pays comme l’Iran de retenir nosotages, de mon point de vue, est une horreur, et je ne pense pas qu’ilsle feraient avec d’autres pays », poursuit Donald Trump.

Alors que Rona Barrett lui de­mande s’il est favorable à une in­tervention militaire, le promoteur immobilier répond par l’affirma­tive. « Je pense que oui, absolu­ment. La question ne se pose pas dans mon esprit. Je pense qu’en ce moment nous serions une nation riche en pétrole, et je crois que nousaurions dû le faire, et je suis très déçu qu’on ne l’ait pas fait », pour­

suit­il. « Je pense que personne ne nous l’aurait reproché, et nous avi­ons tous les droits de le faire à l’épo­que. Je pense que nous avons perdu une opportunité », conclut Donald Trump qui assure juste après qu’il ne serait pas intéressé par une aussi « piètre » fonction que cellede président des Etats­Unis.

Quarante ans plus tard, la conti­nuité est frappante, alors qu’ilcherche à se démarquer en toutescirconstances de l’action de sonprédécesseur démocrate. L’entre­

tien met ainsi au jour l’obsession pour le pétrole de Donald Trump,soulignant l’effet durable crééchez le trentenaire d’alors par lesecond choc pétrolier relatif à la révolution iranienne, et à la guerre déclenchée par l’Irak, un mois avant l’entretien accordé à Rona Barrett. Cette obsession estréapparue à de nombreuses re­prises, notamment avec le regretque les Etats­Unis n’aient pas « pris le pétrole » irakien après l’in­vasion de 2003.

L’or noir a été l’argument mani­festement agité cet automne par le Pentagone pour maintenir une présence de forces spéciales amé­ricaines dans le nord­est de la Sy­rie, afin de lutter contre une éven­tuelle résurgence de l’organisa­tion Etat islamique, en dépit des velléités de retrait exprimées parDonald Trump. « Nous gardons le pétrole », commentait ainsi avecsatisfaction le président des Etats­Unis, le 28 octobre 2019,

après l’annonce du repositionne­ment de ces forces autour des champs pétroliers syriens, même s’il s’agit potentiellement d’un crime de guerre, selon des ex­perts du droit international.

La décision d’assassiner le géné­ral Ghassem Soleimani, au lende­main d’un assaut contre l’ambas­sade des Etats­Unis, à Bagdad, par des groupes irakiens pro­Iran, sou­ligne également la persistance du sentiment d’humiliation consécu­tif à la prise de la représentation di­plomatique des Etats­Unis à Téhé­ran. Le 4 janvier, Donald Trump a d’ailleurs menacé de frapper 52 si­tes iraniens en cas de représailles de la République islamique, dans une évocation des otages améri­cains retenus pendant 444 jours, à partir du 4 novembre 1979.

Au cas où la référence auraitéchappé au public, la conseillère du président Kellyanne Conway a insisté dessus deux jours plus tard. « C’est le nombre d’otages qu’ils ont pris il y a quarante ansquand un président très faible, Jimmy Carter, était aux affaires. Ils ont pris nos otages et les ont libérésdès que le président [Ronald] Rea­gan a pris ses fonctions, bien sûr », a ajouté Mme Conway.

La hantise d’apparaître « faible »M. Trump, qui n’est tenu par aucuncadre idéologique, assurant ainsi être prêt à rencontrer les diri­geants iraniens en dépit de ce pas­sif, n’a cessé de cultiver l’image de la force depuis son entrée en politi­que, indépendamment de son dé­sir de rompre avec le rôle de « gen­darme du monde » des Etats­Unis. Ce souci recoupe la hantise d’appa­raître comme un autre président « faible », l’une des critiques favori­tes du président des Etats­Unis à l’encontre de ses adversaires.

La mort d’un ressortissantaméricain à la suite de tirs de ro­quettes par des milices irakien­nes pro­Téhéran, puis le bref siège de l’ambassade américaine à Bagdad, avaient ravivé cette idée fixe. Elle reste sans doute unélément fondamental pour com­prendre les dernières décisionsdu milliardaire.

gilles paris

Donald Trump, lors de sa visite sur la base aérienne américaine Aïn Al­Assad, en Irak, en décembre 2018. JONATHAN ERNST/REUTERS

« Que [les Iraniens]

puissent retenirnos otages est

juste absolumentridicule »

DONALD TRUMPen 1980

Les Européens dénoncent l’« escalade » et prônent le dialogueLes réunions se multiplient à Bruxelles afin de sauver l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, en dépit des tensions entre Iran et Etats­Unis

bruxelles ­ bureau européen

M ercredi 8 janvier au ma­tin, le collège de laCommission euro­

péenne a tenu une réunion d’ur­gence, après les représailles ira­niennes contre les bases militairesen Irak. Sa présidente, Ursula von der Leyen prône « la fin du recours aux armes ». Le haut représentant Josep Borrell évoque « une situa­tion extrêmement préoccupante », alors qu’il n’est « dans l’intérêt de personne de provoquer la vio­lence ». « Les dernières attaques à laroquette contre des bases aériennesen Irak utilisées par les forces amé­ricaines et de la coalition, dont des forces européennes, sont un autre exemple d’escalade et de confron­tation accrue », a déploré M. Bor­rell. A Londres, le chef de la diplo­matie, Dominic Raab, a été l’un despremiers responsables européens à réagir, mercredi matin, en invi­tant l’Iran à ne pas répéter ses atta­ques « imprudentes et dangereu­ses ». L’Allemagne condamne « le plus fermement l’agression » de l’Iran qui a tiré des missiles sur desbases abritant des soldats améri­

cains en Irak, a indiqué mercredi laministre allemande de la défense, Annegret Kramp­Karrenbauer. « Il s’avère maintenant décisif que nous ne laissions pas cette spirale croître encore », a­t­elle souligné.

La veille, les ministres des affai­res étrangères français, allemand, britannique et italien s’étaient, eux, réunis à Bruxelles. Pour par­ler, en principe, de la Libye, autre sujet de préoccupation des Vingt­Huit, qui veulent éviter un autre embrasement, mais surtout pour évoquer le conflit entre Téhéran et Washington, avant une réunion spéciale des 28 ministres des affai­res étrangères, vendredi 10 janvier.

Rares éléments positifsLes Européens n’ont, en fait, d’autre option que de prôner le dialogue, tout en s’accrochant à quelques éléments positifs pour sauver l’accord de 2015, censé ga­rantir la nature civile des activités nucléaires iraniennes : le chef de ladiplomatie à Téhéran, Moham­mad Djavad Zarif, a accepté une in­vitation à se rendre prochaine­ment à Bruxelles. Et les autorités iraniennes admettent toujours la

présence de membres de l’Agence internationale pour l’énergie ato­mique, chargés de contrôler les ac­tivités nucléaires.

La question d’une possible acti­vation du « mécanisme de règle­ment des différends », inclus dans l’accord de 2015, sera au menu des discussions de vendredi après la décision iranienne de ne plus limi­ter le développement de son pro­gramme. Paris insiste sur le fait que l’activation possible du méca­nisme nécessite une coordination préalable avec la Russie et la Chine et souligne qu’il ne s’agit pas de précipiter un retour devant le Con­seil de sécurité. Pour la France, l’ac­cord existe encore, mais il se vide de sa substance. L’activation du mécanisme permettrait d’acter formellement la non­application

par Téhéran du traité, tout en lais­sant une voie politique pour la re­cherche d’une issue.

Mardi, s’entretenant avec le pré­sident iranien Hassan Rohani, M. Macron a « rappelé l’attache­ment de la France à la souverainetéet à la sécurité de l’Irak » qui, dit­il,« doivent aussi être renforcées par la présence sur son sol de la coali­tion internationale » de lutte con­tre l’organisation Etat islamique (EI). A Téhéran, on insistait surtoutsur le fait que M. Rohani avait averti son homologue que les inté­rêts américains au Moyen­Orient étaient désormais « en danger ».

Angela Merkel à MoscouA l’OTAN, les ambassadeurs convo­qués en urgence avaient, quant à eux, écouté, lundi 6 janvier, une délégation américaine leur expli­quer que, pour Washington, la dis­suasion à l’égard de Téhéran avaitété rétablie depuis la mort de Ghassem Soleimani et que l’admi­nistration Trump privilégiait dé­sormais tant la « désescalade » que la poursuite de la lutte contre Daech. La mission de formation et d’entraînement de l’armée ira­

kienne est provisoirement sus­pendue et une partie des person­nels est repositionnée. La mission civile de l’UE, de taille plus réduite,est, elle, maintenue à ce stade.

Qu’en sera­t­il des forces de lacoalition internationale anti­EI alors que le Parlement irakien a ré­clamé dimanche la fin de leur pré­sence ? Après le spectaculaire ca­fouillage de l’envoi accidentel d’une lettre du Pentagone annon­çant le retrait des troupes, les Etats­Unis assurent que leur pré­sence (5 200 soldats) sera inchan­gée. Du côté européen, l’Allema­gne a annoncé, mardi, le retrait d’une partie de ses 120 soldats et leur transfert en Jordanie et au Koweït. La France entend, elle, maintenir son contingent de 200 hommes. Comme Londres, qui compte 400 soldats sur le ter­rain, mais a toutefois déplacé du personnel « non essentiel ». Deux vaisseaux de la Royal Navy ont été déployés pour protéger les ba­teaux naviguant sous pavillon bri­tannique dans le détroit d’Ormuz.

La dernière initiative diplomati­que de la semaine sera celle d’An­gela Merkel, qui se rendra samedi à

Moscou pour y rencontrer Vladi­mir Poutine et évoquer « les ac­tuels foyers de conflits potentiels », selon son porte­parole. Berlin voit apparemment l’intérêt qu’il y a, ence moment, à jouer la carte russe. Norbert Röttgen (CDU), président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, indique qu’« avant tout, la Russie et l’Iran sont alliés dans la guerre en Syrie. La Russie, en cela, a renforcé ses po­sitions, mais l’Iran a aussi besoin dela Russie, si bien que Poutine a de l’influence sur Téhéran. Il faut obte­nir de la Russie qu’elle pèse sur Téhé­ran afin d’éviter une escalade ».

La députée Verte allemandeFranziska Brantner s’interroge toutefois : « Pourquoi la chance­lière Merkel ne va­t­elle pas à Mos­cou avec Emmanuel Macron ? Ou, mieux encore, avec également Jo­sep Borrell ? Il faut maintenant une initiative commune ». Le quotidien Bild estime, lui, que Mme Merkel se rend en Russie « avec les mains liées », faute d’une stratégie propre de son pays et de l’Europe, sur la Syrie notamment.

jean­pierre stroobants(avec thomas wieder à berlin)

L’Allemagne a condamné « le

plus fermementl’agression »

de l’Iran

L A   C R I S E   I R A N I E N N E

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Page 5: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 international | 5

Les accusations d’espionnage tombent contre Fariba AdelkhahLa chercheuse franco­iranienne, en grève de la faim, reste détenue à Téhéran, mais a été transférée avec les prisonniers de droit commun

C’ est un rare signalpositif dans un dos­sier particulière­ment sensible où se

mêlent relations franco­iranien­nes et crise régionale. Les autori­tés judiciaires iraniennes ont levéles accusations d’espionnage quipesaient sur la chercheuse fran­co­iranienne Fariba Adelkhah.L’anthropologue, spécialiste du chiisme au Centre de recherches internationales (CERI) de Scien­ces Po, est détenue depuis le moisde juin 2019 en Iran. Son arresta­tion avait eu lieu en même tempsque celle de son collègue et amiRoland Marchal, spécialiste del’Afrique de l’Est au CERI, venu lui rendre visite à Téhéran.

Mme Adelkhah a été transféréede l’aile de la prison d’Evin quecontrôlent les gardiens de la révo­lution iraniens vers l’aile des pri­sonniers de droit commun, d’après Jean­François Bayart, pro­fesseur à l’Institut de hautes étu­des internationales et du dévelop­pement et membre de son comitéde soutien à Paris. « C’est une me­sure importante, car elle permet à Mme Adelkhah de recevoir desmembres de sa famille », dit­il. D’après M. Bayart, Mme Adelkhaha ainsi pu bénéficier d’une visite de ses proches, la seule qu’on lui ait consentie depuis le début de sadétention. La chercheuse a toute­fois décidé de poursuivre la grève de la faim qu’elle avait entamée à la veille de Noël pour exiger sa li­bération et « au nom de tous lesuniversitaires et les chercheurs enIran et au Moyen­Orient que l’onemprisonne injustement ».

Double nationalité non reconnueL’abandon du chef d’accusation d’espionnage par la justice ira­nienne évacue le risque de peine de mort. Mme Adelkhah demeure cependant poursuivie pour « pro­pagande contre le système » et« collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale », un chef d’accu­sation qui pèse aussi sur son col­lègue français. « Le dossier de Ro­land Marchal suit un calendrier lé­gèrement décalé de celui de Fariba Adelkhah, une décision le concer­nant pourrait être rendue rapide­ment », précise M. Bayart.

En revanche, la chercheuse aus­tralienne Kylie Moore­Gilbert,qui s’était déclarée en grève de lafaim en même temps que Mme

Adelkhah, dans une lettre que lesdeux femmes étaient parvenuesà faire sortir de la prison, restedétenue dans l’aile contrôlée parles gardiens de la révolution, se­lon les informations du comitéde soutien de Mme Adelkhah.Faut­il y voir un traitement de fa­veur accordé par Téhéran à la res­sortissante française dans une volonté d’évacuer un point defriction avec Paris, alors que Té­héran est engagé dans une esca­lade à l’issue incertaine face auxEtats­Unis depuis l’assassinat dugénéral iranien Ghassem Solei­mani le 2 janvier à Bagdad ? LeQuai d’Orsay reste très réservéquant à l’interprétation de ce premier geste positif.

Dans la longue conversation té­léphonique qu’il a eue avec le pré­sident iranien, Hassan Rohani, mardi, et au cours de laquelle les deux hommes ont évoqué la si­tuation régionale, le présidentfrançais a réitéré sa demande de « libération sans délai » des cher­cheurs français. Les demandes ré­pétées de la France en ce sens ont été systématiquement rejetéescomme des tentatives d’ingé­rence par les autorités iraniennes depuis le début de l’affaire. L’ar­restation de ressortissants étran­gers d’origine iranienne – dont Té­

héran ne reconnaît pas la double nationalité – est une pratique usuelle de la République islami­que. Elle se sert de ces détenuscomme de leviers vis­à­vis de ses interlocuteurs internationaux.

Deux Iraniens détenus en EuropeMme Fariba Adelkhah et M. Mar­chal ont été arrêtés en juin 2019, alors que Téhéran réclame la libé­ration de deux de ses ressortis­sants détenus respectivement en France et en Belgique. L’un d’entre eux, Jalal Rohollahnejad, a été ar­rêté à Nice en février. Cet ingénieur

iranien, recherché par la justice des Etats­Unis, est accusé d’avoir importé en Iran des matériels vi­sés par des sanctions américaines.

La justice belge détient, parailleurs, le diplomate Assadollah Assadi, qu’elle accuse d’avoir été impliqué dans la préparation d’une tentative d’attentat contre un rassemblement des Moudjahi­din du peuple. Le groupe, vérita­ble bête noire de la République is­lamique, devait être visé lors d’une rencontre publique organi­sée en juin 2018 à Villepinte.

allan kaval

L’Iran se sert de ces détenus

comme de leviersvis-à-vis de sesinterlocuteurs internationaux

Le crash d’un avion ukrainien fait 176 victimes à TéhéranUn incendie s’est déclaré sur un des moteurs du Boeing peu après le décollage

U n Boeing 737 de la com­pagnie Ukraine Inter­national Airlines effec­

tuant la liaison Téhéran­Kievs’est écrasé, mercredi 8 janvier au matin, peu après son décol­lage de l’aéroport international Imam­Khomeini, avec 176 per­sonnes à son bord. « Tous les passagers et membres d’équi­page sont morts », a annoncé le président ukrainien, Volody­myr Zelensky. S’exprimant sursa page Facebook, M. Zelensky aregretté une « terrible nouvelle »et présenté ses « sincères condo­léances aux proches et familles

de tous les passagers et mem­bres d’équipage ».

La compagnie aérienneUkraine International Airlines a indiqué, dans un communiqué, que 167 passagers et 9 membres de l’équipage se trouvaient à bord. Selon les précisions du chef de la diplomatie ukrai­nienne, Vadym Prystaïko, la listedes passagers comprenait 82 Ira­niens, 63 Canadiens, 11 Ukrai­niens (deux passagers et les neuf membres de l’équipage), dix Suédois, quatre Afghans, trois Allemands, ainsi que trois Britanniques. La plupart étaient en transit vers d’autres destina­tions, selon des responsables de la compagnie aérienne.

Un incendie s’est déclaré surl’un des moteurs du Boeing 737 quelques minutes après son dé­collage à 6 h 10 heure locale, a déclaré Ghassem Biniaz, unporte­parole du ministère des routes et des transports ira­nien. Le pilote a perdu le con­trôle de l’avion, a ajouté M. Bi­niaz, cité par l’agence officielle iranienne, Irna. Dans les der­niers instants, il n’arrivait plus àcommuniquer avec les contrô­leurs aériens à Téhéran, selon lechef de la commission d’en­quête, Hassan Razaeifar. Des équipes de secouristes du Crois­sant rouge iranien ont été dépê­chées sur les lieux du crash, àl’ouest de la métropole de Téhé­ran, pour fouiller les débris éparpillés sur un terrain vague.

« Etablir la cause du crash »Le président ukrainien Volody­myr Zelensky a écourté sa visitedans le sultanat d’Oman pour rentrer à Kiev. « Notre missionest d’établir la cause du crash duBoeing et de fournir toute l’aidenécessaire aux familles des victi­mes », a déclaré le président du Parlement ukrainien, Dmytro Razoumkov, dans une déclara­tion sur Facebook. Les autoritésukrainiennes ont offert leur aide à Téhéran pour enquêter sur les origines du crash.

Le PDG de la compagnieUkraine International Airlines,Yevhen Dykhne, a immédiate­ment commenté : « C’était l’un des meilleurs avions dont nous disposions avec un équipage in­croyable et fiable. » Dans un communiqué, la compagnie aé­rienne a précisé que le Boeing 737 avait été construit en 2016 etque son dernier contrôle techni­que datait du 6 janvier. Réagis­sant sur Twitter, le constructeuraméricain Boeing a déclaré : « Nous sommes au courant des informations de presse qui vien­nent d’Iran et nous rassemblons davantage d’informations. »

L’incident est, d’après les pre­mières constatations, sans rap­port avec les frappes de missi­les iraniennes qui ont visédeux bases militaires américai­nes en Irak, en réplique à l’as­sassinat du général iranienGhassem Soleimani dans unefrappe de drone américaine, le 2 janvier, à Bagdad.

hélène sallon

L’appareil a étéconstruit

en 2016 et sondernier contrôletechnique datait

du 6 janvier

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Page 6: Le Monde - 09 01 2020

6 | international JEUDI 9 JANVIER 20200123

En Espagne, le délicat équilibre de Pedro SanchezLe chef de file socialiste a été réinvesti à la tête du gouvernement, mais devra négocier chacune de ses réformes

madrid ­ correspondance

I l lui aura fallu deux élec­tions, s’allier avec son an­cien adversaire, et pactiseravec une formation qui con­

tinue de revendiquer la sécession de la Catalogne, mais Pedro San­chez y est arrivé. Mardi 7 janvier, le premier ministre socialiste aété reconduit de justesse à la têted’un gouvernement de coalitionavec la gauche radicale de Pode­mos. L’investiture s’est jouée à deux voix (167 oui, 165 non, 18 abstentions). Le débat, très dur,a opposé M. Sanchez à une droite qui ne lui pardonne pas d’avoir entamé un dialogue avec les indé­pendantistes catalans.

Pablo Casado, chef du Parti po­pulaire (PP, conservateur), a denouveau accusé le premier mi­nistre socialiste d’être l’« hommede paille du nationalisme » et « lecheval de Troie des forces qui veu­lent détruite l’Espagne ». SantiagoAbascal, chef de file de la forma­tion d’extrême droite Vox, a parléde « putschisme institutionnel ».

Loi sur l’euthanasieLe chef du Parti socialiste ouvrierespagnol (PSOE) devrait annon­cer la composition de son gou­vernement la semaine pro­chaine. Celui­ci comptera troisvice­premiers ministres : Car­men Calvo, l’actuelle numérodeux, Nadia Calviño, la ministrede l’économie, et surtout, PabloIglesias, le leader de Podemos quis’occupera des dossiers sociauxet de la transition écologique. Pa­blo Iglesias a versé une larme. « Jesuis très sentimental, je pleure fa­cilement, a expliqué plus tard, àune chaîne de télévision espa­gnole, le leader de la gauche radi­cale. Je me suis souvenu des mo­ments durs. »

Avec seulement 155 députés, lanouvelle coalition devra négo­cier d’arrache­pied avec d’autresforces le vote de toutes ses lois,en premier lieu celle des finan­ces, son premier grand défi. Elle aaussi promis d’abroger partielle­ment la réforme du marché dutravail des conservateurs de 2012,accusée d’avoir fait grimper enflèche la précarité.

Le salaire minimum sera pro­gressivement rehaussé pour at­teindre à la fin de la législature 60 % du salaire moyen. Les re­traites seront de nouveau in­

dexées sur l’inflation, ce quin’était plus le cas depuis 2014.L’impôt sur les revenus augmen­tera pour les contribuables les plus riches, gagnant plus de 130 000 euros par an.

Pedro Sanchez a égalementprévu d’abroger la loi de « sécu­rité citoyenne » de 2015, connue comme la « loi bâillon », qui in­terdit de nombreuses formes demouvements sociaux ; faire pas­ser une loi sur l’euthanasie « quireconnaisse le droit à un mort di­gne » et promouvoir des mesuresaccrues contre les féminicides.

Malgré sa fragilité, le nouveaugouvernement espère mettre finà la période d’instabilité politi­que que traverse l’Espagne de­puis 2015. La dernière investitureréussie s’est tenue il y a trois ans,fin octobre 2016. Le conservateurMariano Rajoy avait dû, lui aussi,convoquer deux élections (endécembre 2015 et juin 2016) poursortir du blocage provoqué parl’apparition de deux nouvellesformations, Podemos et le partide centre droit Ciudadanos, quiavait fait éclater les grandes ma­jorités du bipartisme.

M. Rajoy avait finalement été in­vesti, grâce à l’abstention du PSOE qui, quelques semainesauparavant, avait limogé manu militari son secrétaire général,un certain Pedro Sanchez, pour avoir refusé de cautionner ungouvernement du PP.

Le nouvel exécutif pourrait serévéler plus stable qu’il en a l’air.« Quatre ans ! », s’est exclamée, face aux journalistes, la socialisteCarmen Calvo, tout sourire, en sortant du Parlement. « Lagrande différence entre la mino­rité de Mariano Rajoy et celle dePedro Sanchez, c’est qu’il n’existe pas d’alternative », explique JoséLuis Ayllon, analyste de l’agencede communication politiqueLLorente & Cuenca.

La Catalogne pourrait tout fairedérailler mais, là encore, les dyna­miques sont assez complexes.L’accord conclu entre le PSOE et laGauche républicaine de Catalo­gne (ERC) en échange de l’absten­tion de ses 13 députés, prévoit la mise en place d’un processus de négociation entre le gouverne­ment de Madrid et celui de Barce­lone. Clause particulièrement po­lémique : le résultat devra être « validé démocratiquement » par les Catalans lors d’un vote.

La chute de Quim TorraEn dépit de son pacte avec les so­cialistes, ERC reste une forma­tion séparatiste et le revendique.« Personnellement, je me fous dela gouvernance de l’Espagne », alancé, mardi, lors du débat, sa dé­putée, Montserrat Bassa, sœur del’une des responsables indépen­dantistes condamnés en octobreà de lourdes peines de prisonaprès la tentative de sécession de2017. « Nous nous abstenons avec

beaucoup de scepticisme », a­t­elle ajouté en accusant les socia­listes d’être des « bourreaux de larépression ».

Mais « ERC ne pourra pas s’op­poser systématiquement à toutesles mesures de Sanchez, en parti­culier en matière sociale » pourfaire pression sur le nouvel exé­cutif, estime Astrid Barrio, car laformation indépendantiste « aaussi besoin d’un gouvernementstable à Madrid ».

D’après l’accord, les négociationsdoivent commencer « quinze joursaprès la formation du gouverne­ment ». Junts per Catalunya (En­semble pour la Catalogne), le parti séparatiste qui partage le pouvoir à Barcelone avec ERC y est hostile. Mais le président catalan, Quim Torra, a été officiellement déchu de ses fonctions de député régio­nal par la commission électorale pour avoir refusé de retirer des emblèmes indépendantistes du siège de son gouvernement. Le responsable indépendantiste a an­noncé qu’il n’avait pas l’intention d’abandonner son poste, mais sa situation ne tient qu’à un fil.

Ce dernier épisode de la saga ju­diciaire catalane et les tensionsde plus en plus grandes entre les deux formations sécessionnistespourraient entraîner la tenued’élections anticipées en Catalo­gne, ce qui risquerait de remettreen cause le début de dialogueavec Madrid.

isabelle piquer

Le chef du Parti socialiste espagnol, Pedro Sanchez, après le vote de son investiture, le 7 janvier, à Madrid. PIERRE-PHILIPPE MARCOU/AFP

En effet, les libéraux de Ciudada­nos, les conservateurs du Parti po­pulaire et l’extrême droite de Vox, les « trois droites », comme aimentà les appeler les socialistes, n’ont pas assez de voix (150) pour faire tomber l’exécutif. « Pedro Sanchez ne pourra peut­être pas mettre en place toutes ses réformes si ses al­liés l’abandonnent, mais parado­xalement, il pourra rester au pou­voir », ajoute M. Ayllon.

« M. Sanchez n’a pas d’électionsà l’horizon, ce qui lui donne unecertaine marge de manœuvre », explique Astrid Barrio, profes­seure de sciences politiques àl’université de Valence. Les scru­tins municipaux et la plupart desrégionaux se sont tenus le26 mai 2019. Ils ont donné une avance confortable au PSOE. Se­lon M. Ayllon, les prochains ren­dez­vous électoraux, en Galice etau Pays basque, cette année,« n’auront pas d’incidence au ni­veau national, car le PSOE n’estpas au pouvoir » dans ces régions.

En Chine, « dans quinze jours votre maison sera démolie »La campagne pour l’environnement lancée par Xi se traduit par des destructions arbitraires dans les provinces. Les habitants se mobilisent

shijiazhuang (chine) ­envoyé spécial

L es photos de Xi Jinping etde Mao Zedong collées à lava­vite sur les fenêtres ne

doivent pas faire illusion. Cen’est pas pour encenser leurs di­rigeants mais pour faire reculerles bulldozers que les habitantsdu lotissement « Musique célestedes montagnes et des rivières »,situé à Shijiazhuang, à environ330 kilomètres au sud­ouest de Pékin, affichent leurs portraits.

Le 13 décembre, dans la soirée,les propriétaires de ces 464 de­meures, bourgeoises sans êtreluxueuses, construites en 2004 sur la rive nord d’un joli lac, dé­couvrent en effet par voie d’affi­chage que leurs maisons, quali­fiées de « constructions illéga­les », allaient être démolies. Offi­ciellement au nom du respect del’environnement et notammentdu lac. Dès le lendemain matin,pas moins d’une centaine de vé­hicules entrent dans les ruellessinueuses de ce quartier situé ausud de la capitale sans charme de

la province du Hebei. A bord, desfonctionnaires du district deLuquan, venus expliquer les rè­gles d’indemnisation : les pro­priétaires récupéreront le prixd’achat et les intérêts versés,alors qu’en quinze ans le prix dumètre carré a triplé. Le procédéest tellement violent que cer­tains propriétaires font un ma­laise. L’occupante d’une des mai­sons explique même ne pas avoirencore osé en parler à sa belle­

mère, la véritable propriétaire.Sur son lit d’hôpital, M. Wu, un des propriétaires retraités, reçoitla visite de fonctionnaires qui luiapportent, oralement, une préci­sion qui ne figure dans aucun do­cument : « La démolition doit avoir lieu avant le 31 décembre.C’est une mission absolue. »

Mais les propriétaires n’enten­dent pas se laisser faire. Très vite,300 d’entre eux constituent un comité. Hommes d’affaires, fonc­tionnaires ou retraités, ceux­cisont convaincus d’être dans leur bon droit et entendent le faire sa­voir au plus haut niveau. Dès le18 décembre, l’un d’eux, WilliamWei, ingénieur, se rend à Pékin,au « bureau des lettres et visites »chargé de recueillir les plaintes de la population.

« C’était la première fois de mavie que j’entreprenais une telle dé­marche. Je suis allé là où les parti­culiers sont reçus. Mais il y avaittellement de monde que je suis re­parti le 19 au soir sans avoir pu dé­poser mon dossier. Heureuse­ment, le 19, d’autres propriétairessont allés au bureau qui reçoit les

demandes des groupes et ont pudéposer leur dossier », raconte­t­il. En fonction de leurs possibi­lités, ils manifestent de temps àautre devant le siège des autori­tés de la province.

Période sensibleMardi 7 janvier, jour de l’ouver­ture de la session annuelle duParlement régional, plus de170 d’entre eux ont protesté enbrandissant leur titre de pro­priété. Certains – notamment lesfonctionnaires – portaient des masques, de peur d’être recon­nus. La police les a interpellés,

leur a enjoint d’effacer les vidéosde la manifestation puis les a re­lâchés. Les propriétaires se sont également cotisés pour faire ap­pel à un avocat. « Ceux du Hebei n’ont pas accepté le dossier etceux de Pékin sont trop chers »,explique William Wei. Pour500 000 yuans (environ64 000 euros), un avocat deShanghaï s’est saisi de l’affaire.

Dans un premier temps, lesautorités provinciales ont estimé qu’un recours en justice contre la décision du district n’était pasfondé. Seule une demande de ré­vision de la décision pouvait être étudiée. Mais le 6 janvier, l’avocata appris que, finalement, il n’yaurait pas non plus de révision. Malgré tout, les propriétaires veulent y croire.

« Depuis qu’en 2017 Xi Jinping alancé sa campagne en faveur d’un ciel bleu, de montagnes vertes et d’eaux claires, chaque province doit prendre des mesures pour l’en­vironnement. Le Hebei a déjà dé­moli des maisons mais elles étaientconstruites illégalement. Nous, nous avons le droit pour nous », ex­

plique un retraité, féru de droit, qui tient à rester anonyme.

Le 19 décembre, le fonction­naire qui les a reçus à Pékinaurait affirmé que c’est la pre­mière fois qu’il voit une pétitioncontre la démolition de loge­ments légalement construits. « Siles bulldozers ne sont pas entrés en action, c’est parce que le droitde propriété les en empêche etaussi parce que les propriétaires se sont mobilisés rapidement », poursuit ce retraité.

La période est sensible : « Il y a laréunion du Parlement régional en janvier, puis le Nouvel An chinois, puis les deux sessions des Assem­blées, en mars, à Pékin. Dans ce contexte, c’est la stabilité qui est pri­vilégiée », expliquent les proprié­taires. Rappelant que Xi Jinping af­firme vouloir « gouverner par la loi » et « servir le peuple de tout cœur », ces propriétaires n’ont pas perdu tout espoir. Mais quelques jours ont suffi pour faire basculerces citoyens ordinaires en oppo­sants convaincus. Au moins aux responsables locaux.

frédéric lemaître

Pablo Iglesias, le leader

de Podemos, s’occupera des

dossiers sociauxet de la transition

écologique. Il aversé une larme

« M. Sanchez n’apas d’élections àl’horizon, ce qui

lui donne une certaine margede manœuvre »

ASTRID BARRIOprofesseure de sciences

politiques

RUSSIE

MONGOLIE

BANGLADESH

Pékin

Shijiazhuang

500 km

CHINEHebei

Les propriétairesse sont cotisés

et, pour 500 000yuans (environ64 000 euros),

un avocat de Shanghaï s’est

saisi de l’affaire

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Page 7: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 international | 7

Dans l’est de l’Europe, l’exode est une « question existentielle »Andrej Plenkovic, le premier ministre croate, défend l’entréede son pays dans l’espace Schengen

ENTRETIEN

A ndrej Plenkovic est lepremier ministre de laCroatie depuis octo­bre 2016. Dernier entré

dans l’Union européenne (UE), en 2013, son pays a pris, au 1er jan­vier, la présidence tournante de l’UE pour six mois. La formationde cet ancien eurodéputé, le HDZ (Union démocratique croate), est membre du Parti populaire euro­péen (droite).

Le Royaume­Uni sortira de l’UE le 31 janvier. Cela vous soulage­t­il ou vous attriste­t­il ?

Nous avons passé énormémentde temps sur le Brexit, trois ans et trois mois… L’Europe va perdre une grande puissance économi­que, un membre permanent au Conseil de sécurité, une puissancenucléaire, un champion du libre­échange, et cela change complète­ment la donne. C’est une perte.Aujourd’hui qu’un compromis aété trouvé, je ne suis pas soulagé mais il est bien de mettre fin à cette saga. Il faut maintenant pré­parer le cadre de négociations pour les futures relations entre l’UE et le Royaume­Uni. Nous tra­vaillons avec Michel Barnier pour que son mandat de négociateur soit adopté, si possible, fin février.Nous n’avons que onze mois pourconclure cet accord.

L’UE peut­elle se releverdu départ des Britanniques ?

On doit se relever. L’Union al’ambition d’organiser une confé­rence sur l’avenir de l’Europe, un grand débat un peu sur le modèle français tel qu’Emmanuel Macronl’a fait sur l’Europe, en évitant le piège d’un débat institutionnel. Puis, après deux ans et demi de discussions avec tous les acteurs,les experts, les Parlements natio­naux et régionaux, nous verrons les mesures à prendre, sans ex­clure, comme certains le suggè­rent, la question d’une potentiellemodification des traités euro­péens. L’UE est le club le plus déve­loppé du monde et nous sommes pourtant confrontés à une crise interne. Sur le populisme, qu’est­ce qui se passe ? Pourquoi cette fracture entre les peuples et le projet européen ? Pourquoi tantde mécontents ? Nous devons par­ler ouvertement de tout cela, maisaussi des tendances qui visent à affaiblir les mécanismes de la coo­pération européenne, de l’impact qu’a engendré la crise migratoirede 2015­2016 car, selon moi, ce phénomène a complètement changé la donne politique dans beaucoup de pays européens. Aucun autre événement depuis trente ans n’a eu un tel impact.

Est­il possible, en Europe,de parvenir à un consensussur la répartition des réfugiés entre l’Est et l’Ouest ?

Il le faut, car nous n’avons pastous la même géographie. Si vous êtes Malte, l’Italie, la Grèce, oul’Espagne, vous n’êtes pas dans la même situation que d’autres. Nous sommes sur la seule vraieroute terrestre migratoire, la route des Balkans et de l’est de laMéditerranée : 700 000 person­nes l’ont traversée en 2015. Aujourd’hui, grâce notamment à nos efforts, le nombre de passa­gers clandestins a été réduit à 2 % de ce nombre. Il faut trouver unjuste équilibre qui tienne compte de la situation économique de chacun. La seule manière d’agir consiste à renforcer les frontières extérieures. On doit trouver unarrangement avec la Turquie.Nous n’avons pas d’alternative.

La frontière entre la Croatieet la Bosnie­Herzégovineest sévèrement gardée aujourd’hui. Vous êtes même critiqué sur la méthode…

Chez nos deux voisins mem­bres de l’UE, la Slovénie a érigé desfils barbelés, à la frontière avec laCroatie, et la Hongrie a mis en place des clôtures. Ce n’est pas no­tre politique. La frontière entre la Croatie et la Bosnie­Herzégovine, c’est 1 351 kilomètres, soit une plusgrande distance que celle qui sé­pare la Russie de la Finlande. Or, en Bosnie­Herzégovine, il y a troispeuples constitutifs : Croates, Bosniaques et Serbes. On ne veut pas ériger de barrières avec la Bos­nie­Herzégovine ni entre Croates.Pour cette raison, nous avons,dans le contexte de la préparationde notre adhésion à l’espaceSchengen, recruté et formé 6 500 policiers – sur un total de 22 000policiers en Croatie – équipés de moyens techniques et entraînés pour surveiller la frontière. C’estle plus grand effectif de police desfrontières en Europe.

Certains pays, dont la France, ont émis des réserves sur votre adhésion à Schengen. Escomp­tez­vous une réponse alorsque la Roumanie et la Bulgarie attendent depuis des années ?

La Commission Juncker a ditque, techniquement, la Croatie était prête. Je ne me prononce sur aucune date, avec deux pays de­vant nous dans la salle d’attente, ce serait trop optimiste, mais il faut que vous sachiez que nous avons déjà employé 271 millionsd’euros de fonds européens pour renforcer notre capacité à inté­grer Schengen. C’est beaucoup pour un pays à notre échelle.

La Croatie ne fait­elle paselle­même face à des départs massifs de sa population ?

Oui. La Croatie perd l’équivalentd’une petite ville de 15 000 à16 000 habitants chaque année.Pour un pays qui comptait, en 1991, 4,7 millions d’habitants,et aujourd’hui un peu plus de 4 millions, c’est même une ques­tion existentielle. En Dalmatie,nous avons moins de problèmes,grâce au tourisme. Mais dans l’est de la Croatie, le vieillissement de la population, allié au manque de nouveaux emplois, fait que les gens sont partis chercher leur avenir dans différents pays euro­péens. C’est précisément dans cette région de l’est de la Croatie que le vote populiste est le plusimportant. Avec la liberté de cir­culation, cela devient un cocktail préoccupant.

Ce problème est identique danspratiquement la moitié des mem­bres de l’Union qui perdent de la population. C’est pourquoi j’aipersonnellement insisté pour que l’UE et la Commission se sai­sissent de cette problématique. Car le mécontentement est unterreau fertile pour le développe­ment du populisme…

Que proposez­vous ? Remettre en cause la liberté de circulation ?

Non, ce serait toucher à la co­lonne vertébrale du projet euro­péen. Il faut que les nouveauxpays membres continuent de bé­néficier des aides européennespour poursuivre leur rattrapageet réduire la « fracture sociale » ausein de l’Union. Et nous devons disposer d’un catalogue de politi­ques publiques de revitalisation démographique qui ont fait leurs preuves dans les pays confrontés aux mêmes problèmes. En Croa­tie, depuis le 1er janvier, mon gou­vernement a pris la décision d’exonérer totalement de l’impôt sur le revenu les jeunes jusqu’à

25 ans, et de le réduire de 50 %pour tous ceux entre 26 et 30 ans.

Sur l’élargissement, partagez­vous les critiques sur le veto français à l’ouverture de négo­ciations avec la Macédoinedu Nord et l’Albanie ?

Cela a fait partie de ma discus­sion avec Emmanuel Macron. J’aimerais que le sommet euro­péen des 6 et 7 mai à Zagreb soit unsuccès. Notre objectif est que la dé­cision sur l’ouverture des négocia­tions d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord soit réglée avant. Parce que la Commission a déjà fait un rapport très précis sur le fait que ces deux pays méritent que l’on ouvre ces négociations. Je

rappelle que seuls une poignée de pays étaient opposés à cette ouver­ture en octobre 2019. En Macé­doine du Nord, le gouvernement de Zoran Zaev a finalement réussi à trouver un accord avec la Grèce, ils ont changé le nom du pays, mo­difié la Constitution, bref, ils ont accepté de toucher aux questions identitaires. Après avoir eu ce cou­rage, je crois qu’il faut répondre de manière adéquate. Pour l’Albanie, ce serait un coup de pouce pour sa stabilité. Par ailleurs, j’ai toujours dit qu’il fallait distinguer l’ouver­ture des négociations et la fin de celong processus. La Croatie était l’hôte du sommet de Zagreb en 2000, où les Quinze de l’époque ont rencontré les Six de la région

des Balkans. Vingt ans après, il n’y a que la Croatie qui soit entréedans l’UE avec succès. Tous les autres sont toujours de l’autre côtéde la table. C’est notre responsabi­lité de voisin de dire qu’il faut en­voyer un message positif avec la perspective d’un sommet régulier à peu près tous les deux ans. AprèsZagreb, et 2003 à Thessalonique, il y a eu une pause de quinze ans, jus­qu’à Sofia en 2018. Quinze ans ! Avec une méthodologie un peu améliorée, je le répète, je crois qu’on peut parvenir à un accord sur l’ouverture de négociations avant le sommet de Zagreb.

propos recueillis parisabelle mandraud

et philippe ricard

« La seule manière d’agir

[sur les réfugiés]consiste

à renforcerles frontières extérieures »

Le premier ministre croate, Andrej Plenkovic, à Bruxelles, le 12 décembre 2019.KENZO TRIBOUILLARD/AFP

SYRIEPoutine en visite à DamasDans un contexte de tensions régionales, le président russe, Vladimir Poutine, a rencontré, mardi 7 janvier, son homolo­gue syrien, Bachar Al­Assad, dans un centre de commande­ment de l’armée russe, à Damas. Les deux hommes ont discuté des « derniers dévelop­pements » régionaux, mais aussi des « plans pour éliminer

le terrorisme » à Idlib, une pro­vince du Nord­Ouest que Damas tente de reprendre aux rebelles, avec le soutien de l’aviation russe. – (AFP.)

VENEZUEL AJuan Guaido prête serment comme président du ParlementL’opposant vénézuélien Juan Guaido est parvenu, mardi 7 janvier, à prêter serment

comme président du Parle­ment et à se revendiquer une nouvelle fois chef de l’Etat par intérim, en forçant le passage jusqu’au perchoir qu’occupait Luis Parra, un rival de l’opposi­tion. M. Guaido a promis de continuer son « combat » contre Nicolas Maduro, resté au pouvoir en dépit des mani­festations qui ont suivi l’élection présidentielle contestée de 2018. – (AFP.)

PARIS 3e* • PARIS 7e* • PARIS 12e* • PARIS 14e* • PARIS 17e* • ATHIS-MONS • DOMUS C. CIAL • COIGNIÈRES • HERBLAY / MONTIGNY-LÈS-C.(1)

ORGEVAL • SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS • SAINT-MAXIMIN* • SURESNES • VAL D’EUROPE C. CIAL / SERRIS • VERSAILLES*. (1) Magasinfranchisé indépendant. Liste des magasins Roche Bobois de France participant à l’opération sur www.roche-bobois.com

OUVERTURES EXCEPTIONNELLES LES DIMANCHES 12, 19, 26 JANVIER ET DIMANCHE 2 FÉVRIER(sauf * ouverts uniquement les 12 et 19 janvier)

Du 8 janvier au 4 février

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Page 8: Le Monde - 09 01 2020

8 | planète JEUDI 9 JANVIER 20200123

Hausse spectaculaire du recours aux pesticidesL’utilisation des produits chimiques en agriculture a augmenté de 24 % en 2018, à rebours des objectifs

A rebours des annonceset des engagementsdes gouvernementssuccessifs depuis une

décennie, le recours aux pestici­des poursuit, inexorablement, sa croissance. Les derniers chiffres du ministère de l’agriculture, pu­bliés mardi 7 janvier, indiquent que le nombre de doses unités (NODU) de pesticides – indice de l’intensité du recours à ces pro­duits – utilisées en France en 2018 a crû de 24 % par rapport à 2017.

Une telle hausse, spectaculaire,n’avait jamais été enregistrée de­puis la mise en place de cet indica­teur, en 2008, dans le cadre du pre­mier plan Ecophyto. Instauré à l’is­sue du Grenelle de l’environne­ment, il devait permettre de réduire de moitié l’usage des pesti­cides en France en dix ans. L’objec­tif n’a pas été atteint, ni même ap­proché : loin d’avoir baissé, l’usagedes pesticides en France a, au total,grimpé de 25 % au cours de la der­nière décennie. Malgré deux nou­veaux plans (Ecophyto II en 2015,puis Ecophyto II + en 2019), la cibleintermédiaire d’une baisse de 25 %en 2020 devrait être ratée. Et celle de 50 %, malgré son report à 2025, semble toujours hors de portée.

« Gouvernement atone »« Il faut se rendre à l’évidence : la po­litique mise en œuvre depuis désor­mais plus de dix ans ne produit pasles résultats espérés, dans le secteuragricole, a réagi la ministre de latransition écologique et solidaire, Elisabeth Borne. Ceci doit nous conduire à réinterroger, en profon­deur, cette politique. »

Générations futures, associa­tion qui lutte contre les pesticides,dénonce « l’échec total du plan Eco­phyto » et demande « une évolu­tion radicale ». Son président, François Veillerette, détaille : « Le plan Ecophyto doit imposer des ob­jectifs de réduction par culture et par région, décroissants dans le temps année après année, qui soient contraignants et dont le non­respect déclenche des sanc­tions, notamment financières. Il faut un sursaut de la part du gou­

vernement pour sortir enfin l’agri­culture française de sa grande dé­pendance aux pesticides de syn­thèse. » « Alors que ces chiffres de­vraient appeler à une profonde remise en question et à un sursaut historique, le gouvernement reste atone », dénonce de son côté la Fondation Nicolas Hulot.

Selon un communiqué com­mun des quatre ministères impli­qués (santé, recherche, agriculture et environnement), « cette évolu­tion paraît liée à une anticipation des achats en fin d’année 2018, en prévision de l’augmentation de la redevance pour pollution diffuse qui [a taxé] les substances les plus préoccupantes au 1er janvier 2019 ». Le gouvernement se félicite néan­moins de la baisse, de l’ordre de 10 % entre les périodes 2009­2011 et 2016­2018, des quantités ven­dues de substances les plus préoc­cupantes, dites cancérogènes, mu­tagènes et reprotoxiques (CMR).

L’Union des industries de la pro­tection des plantes (UIPP), qui ras­semble les fabricants de produits chimiques utilisés en agriculture, a pris de vitesse la communica­tion officielle du ministère en pu­bliant ses propres statistiques, le 7 janvier en fin de matinée. Cel­les­ci diffèrent singulièrementdes chiffres officiels. L’UIPP an­nonce une hausse de seulement 8 % des tonnages de matières acti­ves vendues en 2018, par rapport à2017, alors que les chiffres du mi­nistère révèlent une hausse de21 % du même indicateur, qui ne tient compte que de la quantité depesticides utilisés.

Pourquoi une telle différence ?« Nos données sont les ventes des firmes adhérentes à l’UIPP », dé­clare Eugénia Pommaret, direc­trice générale de l’organisation, alors que les chiffres du ministère « compilent les données de vente des distributeurs ». « Il peut y avoir un décalage dans le temps, je n’ai pas d’autre explication », ajoute­t­elle. « En vingt ans, les quantités de matières actives utilisées ont baisséde façon spectaculaire, ajoute l’UIPP dans un communiqué. En 1999, environ 120 000 tonnes

ont été achetées par les distribu­teurs, contre 68 000 tonnes en 2018. » Là encore, ces estima­tions sont très différentes des chif­fres officiels, selon lesquels 85 876 tonnes de matières actives ont été vendues en France en 2018.

Nouveaux indicateursCependant les quantités brutesne tiennent pas compte, commele NODU, de l’évolution de l’effi­cacité des nouvelles molécules. Aquantité égale, les nouvelles gé­nérations d’insecticides peuventainsi être plusieurs milliers defois plus toxiques pour certainsinsectes que les anciens pestici­des organochlorés, par exemple. La directrice générale de l’UIPPexplique : « L’évolution des quan­tités de matières actives ne pré­juge pas de leur usage, mais nousmettons en avant cet indicateur car c’est celui que nous suivons de­puis les années 1990. C’est aussi

l’indicateur qui nous permet decomparer la situation en France àce qu’il se passe chez nos voisins européens. La France est en effet laseule à utiliser le NODU. »

Selon Mme Pommaret, de nou­veaux indicateurs, développés auniveau européen, pourraient êtreopportunément utilisés par les autorités françaises. « Le premier est un indicateur sur le nombre dedérogations accordées [permet­tant des usages théoriquementnon autorisés de produits phyto­sanitaires], dit Mme Pommaret. Lesecond est un indice tenantcompte non seulement du ton­nage de chaque produit, mais aussi de sa dangerosité. »

En outre, l’UIPP note que la pro­portion de produits utilisés en biocontrôle, autorisés en agricul­ture biologique, a augmenté, pas­sant de 13,4 % à 23,7 % entre 2010et 2017. Des chiffres qui recou­pent ceux annoncés par le minis­

tère de l’agriculture. Cependant, l’UIPP se dit dans l’incapacité dedéterminer la part de cette aug­mentation attribuable à l’essor de l’agriculture bio car ces pro­duits sont aussi largement utili­sés en agriculture convention­nelle. L’essor du bio, lui, ne se dé­ment pas : le gouvernement an­nonce une augmentation de 13 %du nombre d’exploitations certi­fiées « agriculture biologique »

entre 2017 et 2018. L’annonce de la hausse de l’usage des pestici­des intervient quelques joursaprès la publication, le 29 dé­cembre 2019, du nouvel arrêté ré­gissant l’usage des pesticides.Censé protéger davantage les ri­verains des épandages, il fixe desdistances minimales (trois mè­tres, cinq mètres, dix mètres, voire, très exceptionnellement,vingt mètres) que doivent désor­mais respecter les agriculteurs à proximité des habitations. Des « zones tampons » jugées « ridicu­les » par les associations de dé­fense de l’environnement et lesmaires à l’origine de multiples ar­rêtés antipesticides ces derniersmois. La hausse tendancielle du recours aux produits chimiquesdevrait les conforter dans leur vo­lonté de contester ces textes ré­glementaires en justice.

stéphane mandardet stéphane foucart

Sénégal : le plus grand parc éolien d’Afrique de l’Ouest entre en serviceQuarante­six éoliennes de 117 mètres de haut, implantées sur la côte, devront approvisionner 2 millions de personnes en électricité

REPORTAGEdakar ­ correspondance

A u bout de la route, d’im­menses mâts blancs.C’est Taïba Ndiaye, le plus

grand parc éolien d’Afrique de l’Ouest. Bientôt, ses 46 éoliennes

seront au complet, prêtes à injec­ter 15 % d’énergie supplémentaire dans le réseau du pays. Et, dès juin,ce projet phare de 200 milliards de francs CFA (342 millions d’euros) fournira 158 mégawatts.

Premier projet éolien à échelleindustrielle du Sénégal, Taïba Ndiaye confirme l’ambition du Sé­négal de se positionner en plate­forme régionale des énergies ver­tes. Depuis son élection en 2012, le président Macky Sall a déjà inau­guré quatre centrales solaires, dont la plus grande de la sous­ré­gion. A terme, les énergies renou­velables devraient composer 30 % du mix énergétique du pays, et Taïba Ndiaye en fournira la moitié.

« Dix ans pour convaincre »Mais « il aura fallu dix ans pour convaincre », se souvient Yassine Majdallah, directeur de la centrale de Taïba Ndiaye. En 2007, une pe­tite équipe de promoteurs franco­sénégalais découvre le potentiel de la région côtière de Thiès (à 86 km au nord de Dakar), balayée par l’harmattan et les vents atlan­tiques. Leur vitesse, entre 8 et 20 mètres par seconde (m/s), est idéale pour la production d’éner­gie. Alors, rapidement, sept hecta­res de champs de manioc, de maïs et d’arachide sont négociés avec les populations afin d’y implanter les turbines. En 2016, Lekela, une société spécialisée dans l’éolien,

qui a déjà bâti des parcs similaires en Afrique du Sud, en Egypte et au Ghana, signe un contrat d’achat d’énergie avec la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec).

Sous les mâts d’acier de 117 mè­tres de haut, les ouvriers de l’entre­prise danoise Vestas fixent les der­nières pales, « parmi les plus gran­des et les plus performantes du monde », assure Yassine Majdal­lah. Seize tournent depuis début décembre 2019, produisant cha­cune 3,45 MW. « Elles sont automa­tisées et pivotent leur nacelle afin d’obtenir la meilleure inclinaison par rapport au vent », poursuit­il.

Les turbines, qui tournerontvingt­quatre heures sur vingt­quatre, devraient fournir deux millions de personnes. Aujourd’hui encore, 45 % des

16 millions de Sénégalais n’ont pasaccès à l’électricité – une propor­tion qui grimpe à 60 % dans les campagnes. Mais pas ici où, sur les35 villages du parc, « presque tous sont électrifiés, relève Abdou Gueye, agriculteur. Ça a changé nos vies. On a l’éclairage le soir, la ventilation l’été, le téléphone pour joindre la famille et la télévision pour s’informer. Il ne me manque qu’un frigo, que ma bourse de re­traité ne peut pas payer ».

Abdou Gueye fait partie des in­demnisés de Taïba Ndiaye – 410 cultivateurs, dont les ter­rains ont été annexés par la cen­trale et les éoliennes. Lui a touché près de 12 millions de francs CFA (18 400 euros) pour sept champs traversés et des manguiers, citron­niers et acacias coupés. Il cultive désormais son manioc à l’ombre des turbines, trouvant même « beaux » ces géants qui toisent sesterres. « Mais certains habitants n’aiment ni leur bruit ni leur appa­rence », ajoute­t­il. De nombreux paysans s’inquiétaient que les éo­liennes, agissant comme des ven­tilateurs, arrachent les fruits et les feuilles. Ousmane Diedhiou, l’agent communautaire de liaison,a dû leur expliquer que cette éner­gie propre serait « sans impact sur les animaux ou les personnes ».

Si la plupart des craintes se sontdissipées et si le projet est plutôt bien accueilli, certains s’agacent

encore de la procédure d’indemni­sation. « Ils sont venus prendre nos terres par la force ! Le temps de dis­cuter avec les gens, ils commen­çaient déjà les travaux, observe Seny Sall, dans son atelier de mé­tallurgie, derrière la mairie du vil­lage de Taïba Ndiaye. C’est un bon projet pour le pays, mais ils n’ont pas donné un bon dédommage­ment. A 125 francs CFA le mètre carré, on a un gros manque à ga­gner. Chaque année, on peut faire 2 millions de francs sur un champ de manioc ou de pastèques. Là, on nous laisse un espace avec de la poussière, traversé par des routes etdes poteaux. Je ne peux rien y culti­ver », regrette l’homme.

« Il y a magouille »Selon la compagnie, la réglemen­tation a été respectée, avec une in­demnisation à hauteur de 1 050 000 francs CFA par hectare impacté, et 50 000 par manguier adulte arraché. Le projet serait même allé au­delà, en rembour­sant l’hectare à 3 millions et lemanguier à 118 870. « Il y a ma­gouille ! poursuit M. Gueye. Moi jen’ai touché que 350 000 francs CFApour mon hectare. Nous avons été payés en liquide, et non par chè­que… Il n’y a pas de trace. »

Pour calmer les esprits, un vasteprogramme d’investissement so­cial a été doté d’environ 12 mil­liards de francs CFA (18,4 millions

d’euros) avec un nouveau marché, une salle informatique pour le ly­cée, une bibliothèque rénovée, une ferme pilote et la formation de douze jeunes en électricité.

Mais comment le gouverne­ment a­t­il pu, fin novembre 2019, augmenter de 10 % le prix de l’élec­tricité, déjà très cher – un kilowat­theure coûte 124 francs CFA, soit 0,19 euro, contre 0,15 euro en France) – alors que la production augmente ? Afin de combler son déficit, le gouvernement a décidé de baisser les subventions de la Senelec. Celle­ci n’est par ailleurs « pas encore en mesure de recevoir toute l’énergie de nos turbines », ex­plique Yassine Majdallah.

« L’éolien est pour l’instant moinscher que les centrales à fioul ou à charbon qu’il faut importer », ajou­te­t­il. Mais, dès 2023, le Sénégal sera producteur de gaz, avec des réserves estimées à 1 400 milliardsde m3. Se tournera­t­il vers cette source énergétique afin de baisser le coût de l’électricité ? Cela n’in­quiète pas Yassine Majdallah. « Nous resterons l’énergie la moins polluante avec le solaire. Notre res­source est gratuite, elle vient du ciel ! » Et il est déjà question d’une extension du parc.

matteo maillard

En 2008,le Grenelle de

l’environnementprévoyait de

réduire de moitiél’usage des

pesticides en France en dix ans

OCÉANATLANTIQUE 200 km

MAURITANIE

GUINÉE

GUINÉE-BISSAU

GAMBIEMALI

Dakar SÉNÉGAL

Taïba NdiayeThiès

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LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont bé-néficiait la :

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Page 9: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 FRANCE | 9

Retraites : derrière les mots, le flou de l’exécutifLe gouvernement accélère le calendrier et veut un examen du texte à l’Assemblée à partir du 17 février

L e dialogue a repris sur laréforme des retraites,sans rapprocher – à cestade – les positions des

protagonistes. Mardi 7 janvier, àl’issue d’une réunion organiséeau ministère du travail, l’exécutifet les syndicats ont, de nouveau,étalé leurs divergences sur ce dossier, malgré quelques signaux d’apaisement adressés de part et d’autre. D’un côté, le chef du gou­vernement, Edouard Philippe, a réaffirmé sa volonté d’assurerl’équilibre financier de notre système de pensions, en instau­rant – au besoin – un âge pivot. Del’autre, les organisations de sala­riés ont rappelé leur hostilité à une telle mesure. Dans ce contexte, les voies de passage pour parvenir à un compromissemblent de plus en plus étroites.D’autant que le calendrier relatif àl’examen du texte s’annoncepour le moins serré.

Le projet de loi sera présenté enconseil des ministres le 24 jan­vier. Il sera ensuite débattu « en séance publique » à l’Assemblée nationale, à partir du 17 février, a précisé, mardi, M. Philippe, face aux journalistes, dans la cour du ministère du travail. Après des travaux en commission à partirde début février, les discussions dans l’Hémicycle devraient durer deux semaines, en vertu de la procédure accélérée – soit une seule lecture par Chambre. La réforme pourrait donc être adop­tée en première lecture, début

mars, au Palais­Bourbon, avant d’être transmise au Sénat.

En attendant, « un texte est partiau Conseil d’Etat », a indiqué, lundi, le ministre des relations avec le Parlement, Marc Fesneau.La section sociale de cette institu­tion a planché mardi après­midi sur le texte, dont une moutureavait été envoyée « en off » au moment de la coupure de Noël, d’après une source au cœur du dossier. Quatre rapporteurs ontété désignés, selon nos informa­tions, ce qui n’est pas de trop, compte tenu des délais et de la complexité du sujet. Une étuded’impact – probablement appeléeà être complétée dans les jours à venir – a également été envoyée au Palais­Royal.

« Volonté d’ouverture »Reste à connaître la teneur des dis­positions que les parlementaires seront amenés à discuter. Inter­rogé à l’Assemblée sur l’âge pivot, qui reste une ligne rouge, notam­ment pour la CFDT, M. Philippe a répondu que « le projet de loi qui sera soumis au conseil des minis­tres le 24 janvier prévoit cette me­sure, car il est nécessaire de garan­tir l’équilibre ». Mais si les partenai­res sociaux ont une « meilleure [solution], plus intelligente, sur la­quelle ils s’entendent, alors, je vous le dis, nous la prendrons à notre compte », a­t­il concédé.

Mardi, dans la matinée, le chefdu gouvernement a fait un gesteenvers la CFDT en qualifiant de

« bonne idée » la proposition faite,dimanche, par son numéro un,Laurent Berger, d’une « confé­rence de financement ». Les orga­nisations syndicales et patrona­les vont donc être conviées, vendredi, à Matignon pour se « mettre d’accord sur le mandat decette conférence » et sur « le délai qui lui sera accordé pour aboutirou dégager des solutions consen­suelles », a déclaré M. Philippe.

Tout en saluant « une volontéd’ouverture », M. Berger s’est montré prudent. Selon lui, « dans l’état de tension dans lequel est notre pays, ce serait de bon ton d’avoir [vendredi] une annonceque l’âge pivot est retiré du projetde loi actuel ». « Si l’objectif de cetteconférence de financement (…), c’est de recycler l’âge pivot, la ré­ponse est non », a­t­il mis en garde. « Ce que l’on demande, c’est qu’on prenne le temps de réfléchir au financement du système de retraite, au calendrier de l’équili­bre recherché et qu’on regarde tou­tes les possibilités sur la table, mais

qu’on ne s’inscrive pas dans unevolonté d’équilibre de court terme, bête et méchante, qui reposeraitsur le fait de travailler plus long­temps », a­t­il ajouté.

D’ici là, la CFDT, l’une des raresconfédérations à défendre le prin­cipe d’un système universel par points, entend continuer à met­tre la pression. Après avoir lancé,lundi, une pétition contre l’âge pi­vot, qui avait récolté mercredi, en milieu de matinée, quelque 43 000 signatures, la centrale a in­vité l’ensemble de ses adhérents et militants à « mobiliser dans les territoires, le samedi 11 janvier », sur ses revendications : suppres­sion de l’âge pivot, augmentation plus importante du minimum de pension, rétablissement des qua­tre facteurs de risque que le gou­vernement Philippe avait sous­traits en 2017 d’un dispositif de prise en compte de la pénibilité… Le même jour (samedi, donc), l’in­tersyndicale emmenée par laCGT, FO, la CFE­CGC, Solidaires etla FSU prévoit, elle aussi, des ac­tions, qui s’ajoutent à celles lan­cées jeudi, pour exiger le retrait pur et simple de la réforme.

« Guerre des chiffres »Les parties en présence parvien­dront­elles à s’entendre vendredi, lors du temps d’échange pro­grammé à Matignon sur le finan­cement du système ? Il faudrait, aupréalable, « que le gouvernement mette les chiffres sur la table », a ob­servé, mardi, Geoffroy Roux de Bé­

zieux. Le président du Medef, ainsique d’autres leaders patronaux et syndicaux, regrettent le manque cruel de données à propos des in­cidences du futur régime univer­sel. Pour les organisations d’em­ployeurs, il conviendrait d’y voir plus clair sur « le coût total de la ré­forme », entre les mesures plani­fiées de longue date (par exemple l’amélioration du minimum de retraite) et celles qui ont été arbi­trées plus récemment, en réponse à des doléances sectorielles (ensei­gnants, pilotes, policiers, etc.). « C’est assez surprenant que nous [n’]ayons pas encore [les chiffra­ges] », a renchéri Eric Chevée, vice­président de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

Du côté des syndicats, le ques­tionnement porte davantage sur les conséquences que le projetaura en matière de niveau de pen­sion. « Nous réclamons depuis deux ans une étude d’impact », a martelé François Hommeril, le président de la CFE­CGC, en met­tant en exergue « la guerre des

chiffres » qui prévaut depuis des mois « pour savoir qui avait le meilleur simulateur, qui mentait plus ou moins que l’autre » : « On en a ras le bol de ça, c’est insuppor­table, s’est­il indigné. Il faut quel’on se mette d’accord sur des para­mètres techniques, à savoir qui va payer, quoi, combien ? Qui va tou­cher ? Quoi et comment ? Et quellessont les catégories concernées ? »

A l’Elysée, on affirme que laquestion de l’équilibre financierne doit pas empêcher un accord politique d’ici au 24 janvier.Autrement dit, ce n’est pas parce que l’âge pivot figure dans le projet de loi présenté en conseildes ministres, comme l’a men­tionné, mardi, M. Philippe, qu’il y restera ad vitam aeternam.

Selon nos informations, l’exécu­tif serait prêt à ne pas détailler les aspects budgétaires du système dans le projet de loi, estimant qu’un deal avec les syndicats n’im­plique pas d’avoir réglé dès main­tenant tous les points litigieux. « Ce qui est attendu avant le 24, c’estl’esprit d’un compromis », vante unconseiller, qui dit avoir bon espoir que les choses bougent dans les prochains jours. « On va voir ven­dredi si on peut tomber d’accord sur cette question », confirme­t­on à Matignon. Si tel était le cas, sub­sisterait une gageure pour M. Phi­lippe : ne pas apparaître comme le perdant de l’histoire. raphaëlle besse desmoulières,

bertrand bissuelet cédric pietralunga

Les tirs groupés de l’opposition contre le projet de réformeLes débats parlementaires, emmenés par la droite, ont mis en difficulté le secrétaire d’Etat aux retraites, Laurent Pietraszewski

L e pays est aujourd’hui enmarche, mais en marche ar­rière (…). Depuis un mois, les

Français sont en marche, mais en marche à pied. » Le jeu de mots du sénateur Claude Malhuret (Indé­pendants) a eu le mérite de don­ner le ton, ce mardi 7 janvier, une journée où les oppositions parle­mentaires se sont déchaînées con­tre le projet de réforme des retrai­tes du gouvernement, alors que la grève entrait dans son 34e jour.

Dans une double offensive,députés et sénateurs, emmenés par la droite, ont fustigé un échec,selon eux, déjà patent. De gauche à droite, les angles d’attaque di­vergent, mais on s’accorde du moins pour critiquer l’annonce, mardi, par le premier ministre,Edouard Philippe, du calendrier du texte : présentation en conseil des ministres le 24 janvier, exa­men en procédure accélérée à l’As­semblée nationale à compter du 17 février, avant les élections mu­nicipales. « Précipitation », a dé­ploré le président du groupe LesRépublicains (LR), Damien Abad. « Après avoir maltraité le dialogue social, le gouvernement s’apprête à maltraiter le débat parlemen­taire. C’est inacceptable ! », a réagi le député socialiste Boris Vallaud.

Brouhaha de protestationsTout au long de la journée, le successeur de Jean­Paul Delevoye au secrétariat d’Etat chargé des retraites, Laurent Pietraszewski, a fait les frais de cette avalanche de critiques, au risque d’être dé­bordé. Lors des questions au gou­vernement à l’Assemblée d’abord,au côté du premier ministre, puis,seul en piste, lors d’un débat enquinze questions organisé au Sénat à la demande de la commis­sion des affaires sociales, et enfin,

dans la soirée, lors d’un nouveau débat à l’Assemblée à l’initiativedu groupe LR.

A droite, c’est le président LR dela commission des finances, Eric Woerth, qui a sonné le tocsin lors des questions au gouvernement,en déplorant la multiplication desconcessions : « Nous risquons aujourd’hui de passer d’un sys­tème universel pour tous à un sys­tème catégoriel. » Il s’est inquiété en outre de l’âge pivot, seule me­sure paramétrique dans un projet « très coûteux » dont l’abandon, a­t­il affirmé, conduirait sans fauteà une hausse des cotisations ouune baisse des pensions. Et a lancéune question, reprise ensuite abondamment, faute de réponse du premier ministre : « En quelleannée les cheminots partiront en retraite à 62 ans comme tous lesFrançais ? » Edouard Philippe a en­suite rappelé que la réforme s’ap­pliquerait à ces derniers à partir de la génération 1985. « Les règles de transition sont très claires », a­t­il assuré, mais le brouhaha des protestations était lancé. Promptsà souligner des « renoncements », Les Républicains cherchent dans le même temps à mettre en avant un nouveau profil, plus social, et présentent, mercredi, des propo­sitions en matière de « pénibilité etde justice sociale » à l’initiative no­tamment du député du Lot Auré­lien Pradié et de Damien Abad.

Mardi soir, c’est dans un Hémi­cycle quasi vide que certains de ces députés se sont relayés pour acculer le secrétaire d’Etat. « Der­rière chacune de vos imprécisions se cache une nouvelle injustice », a lancé M. Pradié. « C’est pourquoi les uns et les autres, nous allons nous succéder en vous posant des questions précises. » Les réponses de M. Pietraszewski ont parfois été évasives : « Le sujet mérite d’être abordé » (sur la rétroactivitéd’une pension minimale à 1 000 euros), « le dialogue conti­nue » quant au régime autonome des avocats.

Faute de beaucoup éclaircir leprojet, le débat a donc été l’occa­sion de formules. De la députée LaFrance insoumise (LFI) Mathilde Panot, par exemple : « Vous reste­rez dans l’histoire comme le gouvernement le plus autoritaire et le fossoyeur de la souveraineté populaire ! » Dimanche déjà, la gauche avait demandé le retraitd’un projet « porteur de régressiondes droits de chacune et chacun » par le biais d’une tribune publiéedans Le Journal du dimanche,signée notamment par les dépu­tés LFI Jean­Luc Mélenchon etClémentine Autain, et par la séna­trice communiste Eliane Assassi.

Mardi, le mot d’ordre était simi­laire. « Ne méprisez pas les Fran­çais, ne méprisez pas le Parlement,votre réforme devait rassurer, c’est déjà un échec, a ainsi déclaré lesénateur socialiste Patrick Kan­ner. Monsieur le ministre, retirez votre projet ! » Dans la bataille de l’opinion, les oppositions ont fait leur œuvre, dans l’outrance parfois, face au flou des réponses apportées. D’ici au 17 février, diffi­cile d’imaginer que le ton puisseencore monter.

julie carriat

Les discussionsdans l’Hémicycledevraient durerdeux semaines,

en vertu dela procédure

accélérée

Pour les organisations d’employeurs,il conviendrait

d’y voir plus clairsur « le coût total

de la réforme »

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Page 10: Le Monde - 09 01 2020

10 | france JEUDI 9 JANVIER 20200123

A Bordeaux, la bataille du centre entre Florian et CazenaveLe maire sortant Nicolas Florian distance pour l’instant, dans les sondages pour les municipales, Thomas Cazenave, investi par LRM

bordeaux ­ correspondante

D ans sa campagne pourles municipales à Bor­deaux, le candidat deLa République en mar­

che (LRM), Thomas Cazenave, veutinnover. Et tous les outils sont bons pour y parvenir. A l’image de Quorum, l’application mobile qui permet aux adhérents du parti présidentiel de suivre la mobilisa­tion locale. Une carte interactive offre à ceux qui le souhaitent de rejoindre un point de rassemble­ment ou un tractage, d’entrer les coordonnées des potentiels ci­toyens intéressés ou d’organiser un porte­à­porte. Mais aussi de gé­rer une véritable base de données qui permet de diffuser des infor­mations et d’analyser leur impact.

Autant d’outils modernes pourun candidat « nouveau monde », qui dit vouloir se démarquer des campagnes locales classiques. Le quadragénaire, qui a démissionné en novembre 2019 de son poste dedélégué interministériel à la trans­formation publique auprès du premier ministre, Edouard Phi­lippe, a pris ses quartiers dans un « coworking » du quartier Saint­Genès, près de la place de la Vic­toire. Une bonne alternative, « moins chère qu’un local rue Vital­Carles », ironise­t­il en référence au QG du maire sortant, Nicolas Florian, idéalement situé à quel­ques pas de l’hôtel de ville.

Cet espace de travail partagé luipermet de côtoyer des entreprises et de s’afficher au contact du ter­rain. « On est ouvert sur la ville, c’estune manière d’être accessible sans

avoir une permanence, un pas­de­porte directement visible », argu­mente­t­il. Ses journées sont con­sacrées à des déplacements et à des meetings. Ses soirées à des « réunions d’appartement », au moins deux par soir de la semaine.« Les gens invitent leurs amis, leurs voisins, on est 15 dans le salon de quelqu’un, et on discute », expli­que­t­il avec entrain.

Autour d’un apéritif, le candidatprésente son projet et ouvre le dé­bat. Le macroniste se félicite de cesévénements décontractés. Pour­tant, ces types de rassemblements ne sont pas une première en politi­que. « Il n’a pas inventé les réunions d’appartement, ça existe depuis la nuit des temps ! », ironise Ludovic Martinez, directeur de cabinet de Nicolas Florian. Celui qui fut aux côtés d’Alain Juppé de 2007 jus­qu’au départ précipité de l’ancien maire pour le Conseil constitu­tionnel, en février 2019, se sou­vient que, « en 2014, on en a fait 125 avec Juppé, jusqu’à trois par jour ! ».

Dix propositionsA Bordeaux, le successeur d’Alain Juppé, Nicolas Florian, qui ne de­vait entrer dans la course munici­pale qu’en janvier, investi par le parti Les Républicains (LR) et sou­tenu par le MoDem, a décidé de se lancer plus tôt que prévu. Bureauxflambant neufs, équipe de campa­gne, tractage, le ton a été donné dès la mi­décembre 2019. Pour sa rentrée politique, il a prévu d’orga­niser vendredi 10 janvier une soi­rée au sein de son QG de campa­gne, en annonçant la présence et lesoutien d’une invitée de marque :

Isabelle Juppé, épouse de l’ancien maire de Bordeaux.

Cette accélération des agendastémoigne de la bataille que se li­vrent M. Florian et M. Cazenave,deux adversaires qui se disputentun électorat bordelais assez simi­laire et largement acquis sur le pa­pier au macronisme. Thomas Ca­zenave s’affiche comme une al­ternative « centriste et progres­siste » pour Bordeaux, classantNicolas Florian « à droite ». Si sonprogramme devrait être finalisé àla fin du mois, il en a exposé dix propositions, mardi 7 janvier, autour des thèmes du déplace­ment, du logement, de la transi­tion écologique, de l’éducation oudes seniors.

Quant au symbolique Palais Ro­han, qui abrite l’hôtel de ville, le candidat macroniste veut qu’il soit « rendu aux Bordelais », pour être ouvert « à la culture, aux asso­ciations et aux écoles »… Les élus et leurs services déménageront, eux, vers la cité municipale.

Un sondage Ipsos­Sopra Steria,réalisé pour Sud Ouest, TV7 etFrance Bleu Gironde et publié

avant les fêtes de Noël, le 19 dé­cembre 2019, donne pour l’ins­tant un avantage au maire sor­tant, en tête avec 33 % des inten­tions de vote. M. Cazenave, lui, n’est crédité que de 16 %, en troi­sième position, quasiment dou­blé par le candidat d’Europe Ecolo­gie­Les Verts (EELV) Pierre Hur­mic, invité surprise du début de la campagne, avec 30 %.

Du côté de LRM, on veut malgrétout garder espoir. « On était à 8 % au mois d’avril, on est à 16 % aujourd’hui », tente de positi­ver Aziz Skalli, référent territorial du parti macroniste en Gironde. Ce proche de Thomas Cazenaveestime surtout que la situation politique bordelaise n’est pas en­core stabilisée. « On voit bien que l’échiquier politique est en train de bouger », explique­t­il, faisant ré­férence au départ de la vie politi­que locale début décembre du so­cialiste Matthieu Rouveyre, quiavait semé le doute sur son éven­tuelle candidature à la mairie.

Ou à l’annonce, juste avant lesfêtes de fin d’année, du retrait del’élu bordelais et ancien conseillerà l’Elysée de François HollandeVincent Feltesse. Ce dernier, qui n’a pas répondu à nos sollicita­tions, pourrait­il soutenir à termeM. Cazenave ? « Notre porte est ouverte au monde de Bordeaux métropole des quartiers [le collec­tif de M. Feltesse] qui se retrouve dans notre projet, dans notre dy­namique, il y a des gens qu’on connaît bien dans les équipes deFeltesse », souffle prudemmentThomas Cazenave.

claire mayer

L’écologiste Pierre Hurmic fait l’union des gauches bordelaises et crée la surpriseAu coude­à­coude dans les intentions de vote avec le maire sortant, Nicolas Florian, le candidat d’EELV a signé un accord d’alliance avec le PS, le PCF, le PRG et d’autres formations

bordeaux ­ correspondante

L e duel bordelais sera­t­il ce­lui qu’on croit ? Pour succé­der à Alain Juppé, on s’at­

tendait à une confrontation entre Nicolas Florian, le maire en poste, ancien adjoint de M. Juppé, investipar Les Républicains et soutenu par le MoDem, et Thomas Caze­nave, bombardé par La Républi­que en marche et ex­délégué inter­ministériel à la transformation publique auprès du premier mi­nistre, Edouard Philippe. Un match entre droite classique et centre macroniste dans une ville donnée comme largement gagna­ble par la République en marche aux municipales de mars.

Mais c’était sans compter l’invitésurprise du scrutin, l’écologiste Pierre Hurmic, au coude­à­coude dans les sondages avec le maire sortant et qui distance nettement M. Cazenave. Le candidat d’EuropeEcologie­Les Verts (EELV) dispose désormais d’un atout supplémen­taire : après plusieurs mois de dis­cussions, l’ensemble des forces de gauche bordelaises ont décidé de s’unir derrière lui. Si la surprise n’est pas de taille, un accord d’al­liance a néanmoins été officielle­ment conclu lundi 6 janvier entre EELV, le Parti socialiste (PS), le Particommuniste français (PCF), le Parti radical de gauche (PRG), ainsique Génération.s, Nouvelle Donneet Place publique.

Tout a commencé fin septem­bre 2019, lors du Forum pour l’al­ternance à Bordeaux. A l’initiative

des dix principales forces de gau­che et écologistes locales, une journée d’échanges avait alors été organisée avec les citoyens pour « donner leurs priorités, débattre des moyens pour les concrétiser et imaginer ensemble une nouvelle vi­sion pour Bordeaux ». L’occasion, aussi, pour les partis de gauche, deprendre la mesure sur la possibi­lité d’une union. Depuis, la route a été longue, avec d’interminables soirées de réunions sans issue.

Finalement, un « véritable ef­fort » de chacun a dû être réalisé, selon la socialiste Emmanuelle Ajon, vice­présidente du départe­ment de la Gironde et conseillère municipale à Bordeaux. « Le PS a choisi de ne pas présenter de liste etde suivre ce mouvement qui est unechance pour Bordeaux, explique l’élue. Je ne vois pas comment nousn’aurions pas pu suivre le sens de l’histoire. Les forces de gauche, en particulier les socialistes et les com­munistes, ont pris leurs responsabi­lités au prix de beaucoup de sacrifi­ces par rapport au nombre de per­

sonnes qu’il doit y avoir sur la liste. Cela démontre bien la volonté de gagner cette ville. »

Depuis le départ, les écologistesont annoncé leur volonté de pré­senter 50 % de personnalités is­sues de la société civile. Du côté des autres partis de gauche, ad­mettre cette condition ne fut pasune tâche aisée. « Quand le PS est crédité de 6 % et qu’il y a une possi­bilité d’apporter une politique al­ternative, ça aurait été complète­ment irresponsable de ne pas en être. Je me console en me disant qu’on va surtout participer à quel­que chose d’historique », ajoute Emmanuelle Ajon, qui aurait été lacandidate investie par le PS en cas d’échec de l’accord.

« Marges de progression »Pierre Hurmic, quant à lui, mar­tèle sa volonté d’intégrer des « pri­mo­arrivants en politique » dans la course qu’il souhaite mener jus­qu’à l’hôtel de ville. Pour cet avocatde 64 ans, conseiller municipal à Bordeaux depuis 1995, « il n’y a paseu d’accord et il n’y aura pas d’ac­cord entre des partis politiques, parcontre on a passé un accord avec des personnalités politiques qui ap­partiennent à différentes mouvan­ces de gauche ». Une lourde res­ponsabilité selon Emmanuelle Ajon, qui ne semble pas inquiéter le candidat écologiste. « Je consi­dère mon expérience politique comme étant plutôt positive, expli­que M. Hurmic. J’ai des années der­rière moi d’exercice de mandat d’opposition à Alain Juppé, j’ai vu

fonctionner de près une municipa­lité donc je peux revendiquer la place de maire. » Comme tous ses colistiers, il est convaincu que « c’est l’heure de l’écologie, c’est le moment d’amorcer la transition écologique dans cette ville et elle passe par la transition politique. »

Cette nouvelle union des gau­ches parviendra­t­elle à faire front face au maire sortant Nicolas Flo­rian, qui se revendique l’héritier légitime d’Alain Juppé ? Crédité de 33 % des intentions de vote dans ledernier sondage Ipsos­Sopra­Ste­ria, réalisé en décembre pour Sud Ouest, TV7 et France Bleu Gironde, M. Florian est talonné de près par la liste menée par Pierre Hurmic avec 30 % des intentions de vote, soit près du double du candidat deLRM Thomas Cazenave (16 %).

Pour M. Florian, rien de surpre­nant dans cet accord à gauche. « C’est la constitution d’un front quiexistait déjà en 2014 », explique­t­il. Le maire sortant admet toute­fois que cette concurrence à sa gauche a encore « sûrement des marges de progression » dans l’électorat bordelais, après l’aban­don de l’ancien socialiste Vincent Feltesse, qui a retiré sa candida­ture à la mairie avant Noël. « Effec­tivement, il y a un bloc de gauche qui est constitué et qui peut aug­menter », reconnaît M. Florian qui considère que pour l’instant, éco­logistes, socialistes et communis­tes « ont passé plus de temps à pas­ser des accords politiques qu’à tra­vailler sur un projet ».

cl. mr

Les deux hommesse disputent un électorat

bordelais assezsimilaire et

largement acquissur le papier

au macronisme

« Quand le PS estcrédité de 6 %,

ça aurait été complètement

irresponsable dene pas en être »

EMMANUELLE AJONconseillère municipale PS

Un arrêt maladie en quelques clics sur Internet

E n proposant de délivrer en ligne des arrêts de travail decourte durée sans avoir à se rendre physiquement chezun médecin, sept jours sur sept, pour le tarif d’une consul­

tation « remboursable » par la Sécu, le site Arretmaladie.fr a sus­cité, lors de son lancement mardi 7 janvier, l’indignation denombreux acteurs du système de soins en France.

MG France, le premier syndicat de médecins généralistes, a, parexemple, comparé ces arrêts accessibles « en quelques clics » à des« pizzas », ironisant sur le « dixième arrêt de travail gratuit ». Le Conseil national de l’ordre des médecins a annoncé réfléchir aux« suites déontologiques » à donner à ce dossier. Mais c’est la Caissenationale d’assurance­maladie (CNAM) qui a le plus rapidement et le plus fortement tapé du poing sur la table, son directeur gé­néral Nicolas Revel dénonçant dans Les Echos un « dévoiement del’acte de prescription de l’arrêt de travail, qui devient un produit d’appel commercial ». La CNAM a annoncé lancer « une action en référé » contre ce site afin de le « mettre en demeure immédiate­ment (…) de cesser ces activités ».

Selon la Caisse, il y a « tromperie » à promettre à l’utilisateur leremboursement des 25 euros de la consultation dans la mesure où les règles définies pour le remboursement d’une téléconsul­tation – le patient doit d’abord se tourner vers son médecin trai­tant ou s’assurer que celui­ci n’est pas disponible « dans un délai

compatible avec son état de santé » –ne sont pas respectées.

Can Ansay, le créateur allemand dusite, assure ne pas voir en quoi ces té­léconsultations ne seraient pas rem­boursées dans la mesure où « les pa­tients sont renvoyés vers les plates­for­mes de téléconsultation existantes quiont déjà des partenariats territo­riaux ». Très concrètement, pour ob­tenir son arrêt, l’utilisateur estd’abord invité à remplir une premièrefiche, dans laquelle il détaille lessymptômes liés à sa demande (coupde froid, gastro­entérite, douleur

menstruelle, stress, douleurs de dos, migraine, cystite…). Il s’en­tretient ensuite par liaison vidéo avec un médecin, qui délivre le certificat en format électronique, imprimable par le patient.

Pour Can Ansay, qui vise entre 40 000 et 50 000 arrêts délivrésen 2020 en France, le risque d’abus « n’est pas plus élevé que dans la vraie vie », avec des médecins rencontrés en chair et en os. Sur son site, il assure limiter le nombre d’arrêts délivrés à quatre par an, à chaque fois d’une durée maximum de trois jours (une du­rée trop courte pour être contrôlée par l’Assurance­maladie) et à un intervalle d’au moins trois semaines. En Allemagne, où 30 000 arrêts ont déjà été délivrés par le site, le taux de refus par les médecins en ligne était au départ de 3 %, assure Can Ansay, cequi signifie que la plupart des demandes étaient acceptées.

Hasard du calendrier, le jour même du lancement du site, lepremier ministre, Edouard Philippe, faisait part sur RTL de sa vo­lonté de durcir les contrôles sur les arrêts maladie à la SNCF et à laRATP, assurant que « ceux qui se placeraient en arrêt maladie pourfaire grève se placeraient dans une situation qui est illégale ».

françois béguin

POUR OBTENIR SON ARRÊT, L’UTILISATEUR REMPLIT UNE FICHE, PUIS S’ENTRETIENT PAR VIDÉO AVEC UN MÉDECIN QUI DÉLIVRE LE CERTIFICAT

Le directeur général de la police quitte ses fonctionsEn poste depuis août 2017, Eric Morvan, 62 ans, fait valoir ses droits à la retraite

L e bruit courait depuis desmois de mouvements à latête de la direction générale

de la police nationale (DGPN). Eric Morvan, 62 ans, a pris les devants en faisant valoir ses droits à la re­traite. « Il en a informé le ministre de l’intérieur depuis plusieurs se­maines », explique­t­on mercredi 8 janvier dans l’entourage de Christophe Castaner. Le grand pa­tron de la police nationale, à la têtede l’institution depuis le 2 août 2017, va quitter son poste dans les jours qui viennent, avant la limite des 65 ans applicable aux hauts fonctionnaires.

C’est un DGPN « lessivé », selondes sources policières, qui s’en va. La gestion de la maison police, forte de 150 000 personnels, n’est pas une mission de tout repos. Sa dernière année, marquée par des épisodes rugueux de maintien de l’ordre, aura été rythmée par les débats sur les violences policières.

Relations compliquéesEric Morvan quitte son bureau en­touré de sentiments mitigés. D’un côté, la plupart de ses interlocu­teurs salue un homme de valeur, très républicain, intelligent, ouvert au dialogue – bien que ca­pable de colères homériques. De l’autre, de nombreux policiers pointent sa difficulté à s’imposer face au ministère de l’intérieur, face à la gendarmerie, et surtout

face à la Préfecture de police de Pa­ris. Avec les syndicats de police, les relations ont été compliquées gé­nérant des conflits autour des con­ditions de travail et dernièrement sur les retraites. Une marche de lacolère avait été organisée en octo­bre à Paris, le fragilisant.

Eric Morvan, issu de la préfecto­rale, avait contre lui de ne pas être du sérail policier, contrairement à son prédécesseur, Jean­Marc Fal­cone. Ce n’est pas pour autant un gage de réussite à ce poste très ex­posé. « Le problème du DGPN c’est qu’il est à la tête d’une institution sans vraiment avoir les clés du ca­mion : d’un côté la Préfecture de po­lice fait ce qu’elle veut, de l’autre côté les directions centrales (police judiciaire, sécurité publique, CRS…) sont très autonomes », décrypte unbon connaisseur de la maison.

Sur le fond des dossiers, EricMorvan a dû gérer la mise en placede la police de sécurité du quoti­dien, voulue par Macron, ainsi quela refonte de la filière de la luttecontre les stupéfiants. Il a renou­velé la plupart des cadres de la po­lice nationale, rajeunissant, no­tamment la police judiciaire avec la nomination de Jérôme Bonet 49 ans – l’une de « ses plus grandes fiertés », assure­t­il. En revanche, à l’instar de ses prédécesseurs, il part sans avoir réussi à enrayer la vague de suicides dans la police.

nicolas chapuis

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Page 11: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 france | 11

Mort d’un livreur : l’autopsie révèle une asphyxieCédric Chouviat a fait un arrêt cardiaque lors d’un contrôle de police. L’enquête fait état d’une fracture du larynx

L es images, filmées ausmartphone, sont un peulointaines, tremblotan­tes, mais elles éclairent

d’un jour nouveau les circonstan­ces de la mort de Cédric Chouviat,à la suite d’un contrôle policier. Diffusées lors d’une conférence de presse au siège de la Ligue desdroits de l’homme par les avocats de la famille mardi 7 janvier, elles donnent à voir les conditions trèsmusclées dans lesquelles s’est dé­roulée, vendredi 3 janvier, à l’an­gle du quai Branly et de l’avenuede Suffren, à Paris, l’interpellationau cours de laquelle l’homme de 42 ans a fait un malaise cardiaque.Pris en charge par les agents, puis par les pompiers, ce père de cinqenfants avait ensuite été trans­porté en urgence à l’hôpital euro­péen Georges­Pompidou, où il estmort deux jours plus tard.

Les résultats de l’autopsie, com­muniqués par le parquet de Paris mardi, font état d’une « manifes­tation asphyxique » avec une « fracture du larynx ». L’homme était encore muni de son casque de scooter au moment de son in­terpellation et de son plaquage au sol. Par ailleurs, un « état antérieurcardiovasculaire » a été détecté chez ce coursier de profession. Sa famille assure pourtant qu’il ne souffrait d’aucune insuffisance cardiaque connue et qu’il avait étéautorisé médicalement à prati­quer le sport dix mois auparavant.

Une enquête a été ouverte par leparquet de Paris et confiée à l’ins­pection générale de la police na­tionale dès le 3 janvier. Le parquetde Paris a décidé mardi d’ouvrirune information judiciaire pour« homicide involontaire », confiée à un juge d’instruction. La fa­mille, qui avait déposé uneplainte avec constitution de par­tie civile, souhaitait que soientretenues des « violences volontai­res ayant entraîné la mort », une qualification criminelle relevantde la cour d’assises.

Pour leurs avocats, Arié Alimi,William Bourdon et VincentBrengarth, les autorités ont tenté

dès le début de l’affaire de dissi­muler une « bavure policière » àtravers leur communication, en niant tout lien de cause à effet en­tre la technique d’interpellation et le malaise cardiaque.

Selon une source policière, lesfonctionnaires avaient contrôléle conducteur du scooter parcequ’il téléphonait. Celui­ci se seraitmontré « irrespectueux et agres­sif » et aurait insulté l’équipage aumoment où il partait. Les agentsauraient alors procédé à l’inter­pellation pour outrage à laquelle M. Chouviat aurait résisté, avant de faire un malaise cardiaque.

Plusieurs vidéosSur une première vidéo obtenue par les avocats à la suite d’« un appel à témoin citoyen », on voit d’abord Cédric Chouviat filmant de près les policiers, qui le repous­sent. Sur la deuxième vidéo, on aperçoit de loin plusieurs policiersen train de maîtriser l’homme au sol, avec la technique dite du « pla­quage ventral », qui consiste à porter son poids sur le torse de l’individu. Les jambes de Cédric Chouviat, en pantalon gris, s’agi­tent en vain. L’homme qui a filmé la scène assure, selon les avocats, que les policiers ont égalementpratiqué une clé d’étranglement. Enfin, sur une dernière séquence tournée une vingtaine de minutesplus tard, on aperçoit les policiers en train de prodiguer un massage cardiaque à la victime.

Pour Arié Alimi, la fracture du la­rynx est « probablement due à unestrangulation » : « C’est une mort atroce et extrêmement violente. » William Bourdon, autre avocat de la famille, estime pour sa part quece décès est le fruit d’une « culturede l’impunité et du déni qui encou­rage et déresponsabilise les poli­ciers » : « Il n’y a aucun doute sur le fait que les modalités d’interpella­tion – la clé, le plaquage ventral, l’étouffement – étaient inappro­priées et hors de proportion. »

Lors de cette conférence depresse, Christian Chouviat, le père de la victime, a longuement

pris la parole pour dénoncer un « meurtre », couvert par « un tissu de mensonges » : « Est­ce qu’on a ledroit de faire ça ? Le mec, il se lève à 6 heures du matin, été commehiver. Il va travailler, et d’un coupon a décidé de lui couper le sifflet. Ce sont des assassins. Il y a trois assassins. Je veux aller au juge­ment, je veux qu’ils ne dorment plus, ces gens­là ! »

La famille estime que l’homme,propriétaire d’un casque avec mi­cro intégré, ne pouvait se servir deson téléphone au moment de l’in­terpellation. Sa femme assure quela première version que lui ont donnée les policiers parlait d’un contrôle routier à cause d’uneplaque d’immatriculation sale.

La justice a entre les mainsplusieurs éléments qui pour­raient permettre de faire rapide­ment la lumière sur l’ensemble

des faits. Deux caméras de vidéo­surveillance disposées sur le car­refour couvrent cette zone. Par ailleurs, M. Chouviat a lui­mêmefilmé le début de la scène avec sonsmartphone, actuellement placé sous scellés.

« Notre famille prône la paix »Un premier récit des policiers à leur hiérarchie, dont l’Agence France­Presse (AFP) a pu prendre connaissance, décrit un compor­tement « provocant » du livreur à leur égard, les amenant à l’inter­peller pour outrage. Puis ils expli­quent qu’il a trébuché, entraînantdans sa chute un des gardiens de la paix et affirment ensuite qu’une fois à terre, et après une lutte pour le menotter, ils pen­sent d’abord que l’homme « si­mule un malaise » avant de cons­tater que son visage devient bleu.

« Notre famille prône la paix, on est dans un chagrin profond qui nepartira jamais. J’aimerais que jus­tice soit faite pour l’honneur de mon père », a expliqué en conclu­sion de la conférence de presse l’une de ses filles, Sofia.

Quelques minutes plus tôt,l’épouse de Cédric Chouviat, Do­ria, avait délivré un message d’apaisement : « N’ayons pas la

haine. Même si c’est un homicide, ça reste un homicide involontaire. Je ne pense pas que les policiers quiétaient là ont voulu le tuer volon­tairement. Ce sont des êtres hu­mains, ils se sont laissé trop em­porter par la colère. »

Contactée par Le Monde, laPréfecture de police s’en est tenueà sa version initiale – un commu­niqué publié dans la soirée « rap­pelle que la présomption d’inno­cence est une garantie démocrati­que qui vaut pour tous, y compris les policiers ». Dans une déclara­tion transmise à l’AFP, Christophe Castaner et Laurent Nunez, le ministre de l’intérieur et son se­crétaire d’Etat, ont adressé leurs condoléances à la famille de lavictime, estimant que les résul­tats de l’autopsie « soulèvent desquestions légitimes ».

nicolas chapuis

Evasion de Carlos Ghosn : l’argent de DubaïLe jet privé qui a transporté, d’Osaka à Instanbul, l’ex­patron de Renault­Nissan a fait l’objet d’un contrat de 350 000 dollars établi grâce à une société des Emirats arabes unis

L a société qui a payé enpartie la fuite du Japon deCarlos Ghosn en jet privé a

opéré en Irak avant de s’établir à Dubaï. Elle s’appelle Al­Nitaq Al­Akhdhar General Trading, comme l’a révélé L’Express. Selon les informations du Monde, elle a réglé le 26 décembre 2019 la facture de 175 000 dollars à la société turque MNG Jet, pour la location du Bombardier Global Express immatriculé TC­TSR.

C’est à bord de cet appareilacheminé de Dubaï que l’ancienPDG de l’Alliance Renault­Nis­san­Mitsubishi, Carlos Ghosn, s’est illégalement enfui le 29 dé­cembre du Japon. Il y était assi­gné à résidence depuis sa libéra­tion sous caution de prison à la fin d’avril 2019 dans l’attente de ses procès pour des malversa­tions financières.

L’expression arabe Al­NitaqAl­Akhdhar signifie littéralement« le domaine vert » et, par exten­sion, « la zone verte », du nom dece périmètre ultrasécurisé de Bagdad où se trouve le siège du gouvernement irakien et des am­bassades. Cette société apparaîtdans les registres de fournisseurs d’équipements militaires civilsreconnus par le département de la défense américain.

Si elle dispose d’une adresse àBagdad, c’est depuis Dubaï qu’ellea agi pour faciliter la fuite

de M. Ghosn. Dans la cité­Etat desEmirats arabes unis, cette discrète société s’est enregistréedans la zone franche de Jebel Ali, qui garantit les avantagespropres à un paradis fiscal et une palette de services financiers sophistiqués pour opacifier son activité.

Deux mercenairesLe contrat d’un montant total de350 000 dollars passé avec MGN Jet pour la location du jet privé aété signé le 24 décembre 2019 parun certain Dr Ross Allen, proba­ble prête­nom. Il est contresigné par l’employé de MGN Jet soup­çonné d’avoir participé active­ment à l’évasion et aujourd’huiincarcéré en Turquie. Deux joursplus tard, la société Al­Nitaq

Al­Akhdhar a réalisé un vire­ment de 175 000 dollars de son compte ouvert à la branche émiratie de la banque améri­caine Citibank. Le second verse­ment n’a jusque­là pas été réglé àMGN Jet, selon un porte­parolede l’entreprise turque.

Le 28 décembre 2019, l’avionparti d’Antananarivo, la capitalede Madagascar, se pose à Dubaïavant de s’envoler à nouveaupour l’aéroport du Kansai, près d’Osaka. C’est de là que M. Ghosn s’est envolé dans la nuit – sansque son nom figure sur la listedes passagers – pour Istanbul. Abord de l’avion, se trouvaient lesAméricains Michael Taylor etGeorge­Antoine Zayek, anciensmembres des forces spécialesreconvertis dans le privé.

Ces deux quinquagénairesprétendent entretenir des rela­tions étroites avec des acteurs du milieu de la sécurité aux Etats­Unis et au Liban, où ils ont, entre autres, servi et formé desmilices chrétiennes pendant la guerre civile (1975­1990). Puis ilsont réalisé des prestations en tantque sous­traitants de l’armée américaine par le biais de l’une des sociétés de M. Taylor – qui proposait l’exfiltration parmi sagamme de services – avant que cedernier soit accusé de fraude dansl’obtention de contrats de plu­sieurs millions de dollars avec l’armée et placé en détention en 2012. Libéré au bout d’un an, il relance son activité de sécurité enlien avec M. Zayek, qui loue ses services à des groupes privés, notamment en Irak.

Les deux mercenaires ont­ilsaussi contribué à mettre en place le schéma de financement de l’évasion de Carlos Ghosn ? Soupçonnés d’avoir pensé depuisDubaï puis d’avoir orchestré l’ex­filtration de M. Ghosn du Japon vers la Turquie, MM. Taylor et Zayek se sont évaporés avec leurs secrets. L’ancien magnat de l’automobile a, lui, rejoint Beyrouth à bord d’un second appareil opéré par MGN Jet, qui assure n’avoir reçu aucun paie­ment pour ce vol.

simon piel et joan tilouine

Images prises lors de l’interpellation de Cédric Chouviat, à Paris, le 3 janvier. DOCUMENT « LE MONDE »

L’homme qui afilmé la scène assure, selon

les avocats, queles policiers ontpratiqué une cléd’étranglement

Mandat d’arrêt contre Carole GhosnLe parquet de Tokyo a annoncé, mardi 7 janvier, avoir obtenu un mandat d’arrêt contre Carole Ghosn, soupçonnée de faux témoi-gnage dans l’enquête japonaise visant son mari, Carlos Ghosn. Selon un communiqué du parquet, Mme Ghosn, qui se trouve au Liban, est soupçonnée de fausses déclarations devant un tribunal de Tokyo, en avril 2019, quand elle avait été interrogée sur ses éventuelles rencontres avec une personne dont le nom n’a pas été cité. Dans un entretien au Parisien, mis en ligne mardi, Mme Ghosn a qualifié cette mesure de « vengeance des procureurs japonais » qui, selon elle, veulent « mettre la pression sur [son] mari et [la] punir une fois de plus ». « Je n’étais au courant de rien (…). J’étais à Bey-routh avec mes enfants pour fêter Noël, quelqu’un m’a appelée pour me dire : “J’ai une surprise pour toi” (…) », ajoute-t-elle.

JUSTICEUne dizaine de tombes juives profanées à BayonneUne dizaine de tombes du cimetière israélite de Bayonne (Pyrénées­Atlantiques) ont été dégradées, des pierres brisées et caveaux éventrés, au cours du week­end, a indiqué, mardi 7 janvier, Déborah Loupien­Suares, la présidente de la communauté israélite de l’ag­glomération de Bayonne­Biar­ritz, qui va déposer une plainte. « Il y a des dégrada­

tions très importantes sur sept à dix tombes du cimetière » : pierres tombales brisées, ca­veaux éventrés et plaque commémorative en l’hon­neur d’une petite fille dépor­tée brisée, a­t­elle détaillé, ex­primant « indignation et effroi ». « Il n’y a pas eu de tags ou d’inscriptions antisémites donc je ne veux pas enflammer le débat, je veux que l’enquête soit menée sereinement », ajoute­t­elle. Le parquet a indi­qué qu’une enquête de police était en cours. – (AFP.)

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait sa-voir que, la garantie financière dont bénéfi-ciait la :

SARLECAUS39 rue Claude Rochas38510 MORESTELRCS: 522 311 455

depuis le 01/01/2014 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devrontêtre produites dans les trois mois de cetteinsertion à l’adresse de l’Établissementgarant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’ils’agit de créances éventuelles et que le pré-sent avis ne préjuge en rien du paiementou du non-paiement des sommes dues etne peut en aucune façon mettre en causela solvabilité ou l’honorabilité de la SARLECAUS.

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Page 12: Le Monde - 09 01 2020

12 | france JEUDI 9 JANVIER 20200123

L e métier de directeurd’école est une fonction« chronophage » pour la­quelle ils demandent à

être « mieux accompagnés ». Voilà en quelques mots le résultat de la consultation de la profession, lan­cée par le ministère de l’éducation nationale, après la vive émotion provoquée en septembre par le suicide de Christine Renon, dans une école maternelle de Pantin (Seine­Saint­Denis). Les conclu­sions ont été présentées, mardi 7 janvier, aux organisations syndi­cales. Au total, 29 007 directeurs ont répondu à cette enquête, me­née en ligne entre le 13 novembre et le 1er décembre 2019, sur un ef­fectif de 45 500. Parmi eux, 75 % déclarent consacrer le plus detemps au « fonctionnement admi­nistratif » de leur établissement.

Cet investissement est en déca­lage avec les aspirations de ces en­seignants – les directeurs d’école n’ont pas de statut spécifique – quidéclarent que le « cœur de leur mé­

tier » est le « suivi collectif des élè­ves, le travail en équipe et l’élabora­tion des dispositifs d’aide », pour 83 % d’entre eux. Dans les activitésqui constituent le « cœur de mé­tier » se trouvent en deuxième po­sition le « pilotage pédagogique de l’équipe enseignante et le suivi des projets pédagogiques », pour 74 % des répondants.

« Les directeurs assurent des fonc­tions très diverses, dont certaines sont considérées comme le cœur deleur métier et d’autres, souvent moins qualifiées, sont mal vécues et considérées comme chronopha­ges », commente Edouard Geffray, directeur général de l’enseigne­ment scolaire au ministère de l’éducation. Ainsi, « l’aspect péda­gogique est plébiscité » mais, à l’in­verse, les tâches administratives etde sécurisation de l’école sont considérées comme pénibles res­pectivement par 62 % et 66 % des répondants. C’est d’ailleurs, sans surprise, sur ces deux domaines d’activité – administration et sécu­

rité – que les directeurs d’école dé­clarent avoir le plus besoin d’aide.

En outre, les enseignants inter­rogés déclarent un fort besoin de formation, en particulier – pour plus de la moitié d’entre eux – pour ce qui est de la « connaissancedu droit et de la réglementation », et pour la « gestion des conflits en­tre adultes ». Plus de la moitié dé­clarent n’avoir suivi aucun mo­dule de formation continue lié à la fonction de directeur d’école de­puis leur arrivée à ce poste.

« La feuille de route est claire,commente Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp­FSU, syndicat majoritaire dans le

1er degré. Il y a trois chantiers : la for­mation, le temps de travail et les aides humaines. Le gouvernement ne peut plus faire comme s’il ne sa­vait pas de quoi les directeurs ont besoin. » De l’aveu même du mi­nistère, les résultats de cette consultation doivent servir de « base de travail » pour améliorer les conditions d’exercice. Deux réunions avec les organisations syndicales sont prévues en janvier.

Pistes d’améliorationAu lendemain du suicide de Chris­tine Renon, les directeurs d’écoleet les organisations syndicales avaient notamment réclamé un allégement des tâches administra­tives. Le ministre de l’éducation nationale, Jean­Michel Blanquer, avait annoncé en novembre un « moratoire » jusqu’à la « fin de l’an­née civile » sur « toutes les enquêtes pour lesquelles les directeurs pour­raient être sollicités », ainsi qu’une « journée supplémentaire de dé­charge » pour la période novem­bre­décembre 2019.

« Sur le temps de travail, le minis­tère peut proposer rapidement des avancées concrètes, juge Francette Popineau, en faisant un plan plu­riannuel de créations de postes pour dégager plus de temps pour les directeurs. » Si certains sont en­tièrement déchargés d’enseigne­ment – dans les écoles élémentai­res de plus de 14 classes, les mater­nelles de plus de 13 classes, et à Pa­ris –, la plupart conservent leurs

élèves, avec un temps dévolu aux missions de direction qui varie se­lon la taille de l’école. Parmi les pis­tes d’amélioration évoquées, les sondés plébiscitent la décharge de temps de classe, à 36 %, loin devant« l’aide humaine », à 20 %.

De son côté, l’institution est res­tée évasive sur la nature des chan­gements qui seront annoncés à l’issue des concertations syndica­les. « La demande ministérielle est que certaines tâches ne doivent plus être accomplies par les direc­teurs », a insisté mardi le responsa­ble des ressources humaines de l’éducation nationale, Vincent Soetemont. « Cela doit­il se tra­duire par un temps de décharge ou une aide administrative ? C’est jus­tement ce sur quoi nous comptons travailler. » La création d’un statut des directeurs d’école, portée « spontanément » par une « mino­rité » de répondants (8 %), ne sem­ble pas à l’ordre du jour.

Mais certains comptent l’évo­quer lors des consultations qui s’ouvriront le 14 janvier. C’est le casdu SGEN­CFDT, qui voit dans les ré­sultats de cette enquête le signe d’une « transformation profonde du métier », selon son secrétaire fé­déral chargé du premier degré, Do­minique Bruneau. « Un directeur d’école n’est plus un enseignant comme les autres et cette enquête lemontre », dit le syndicaliste, qui souligne la forte envie d’autono­mie des directeurs et leur besoin de disposer de plus de temps consacré à l’échange entre pairs.

Si le ministère de l’éducationprend acte du « besoin d’alléger destâches perçues comme non essen­tielles », il refuse cependant de par­ler de « malaise » dans la profes­sion, un mot maintes fois entenduaprès le suicide de Christine Re­non mais qui ne « revient pas » dans la bouche des sondés, souli­gne Edouard Geffray.

Lorsqu’on demande aux direc­teurs d’école de qualifier sponta­nément leur fonction, les termes « surcharge de travail », « fatigue, stress » et « chronophage » arrivent derrière les mots « polyvalence » (pour un quart des répondants), « responsabilité » et « sens du rela­tionnel ». « La direction d’école est un métier polyvalent, un métier choisi, dans lequel les gens restent, et tout cela est positif », souligne le directeur général de l’enseigne­ment scolaire.

violaine morin

Marche en hommage à Christine Renon, à Pantin (Seine­Saint­Denis), le 5 octobre 2019. GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

« Certaines fonctions moinsqualifiées sont

considérées comme

chronophages »ÉDOUARD GEFFRAYdirecteur général

de l’enseignement scolaire

le syndicat auquel appartenait Christine Renon y voit un symbole fort, l’éducation na­tionale parle, elle, de procédure « coutumière » : le suicide de cette directrice d’école retrouvéemorte dans son école de Pantin (Seine­Saint­Denis) le 23 septembre a été reconnu le 11 dé­cembre comme « imputable au service » par le directeur académique de la Seine­Saint­Denis,selon le SNUipp­FSU, ce qui a été confirmé le 6 janvier par l’éducation nationale.

Le rectorat de Créteil, compétent dans cetteprocédure administrative, a fait suite à une de­mande de la famille de Christine Renon. VincentSoetemont, directeur des ressources humaines de l’éducation nationale, a précisé mardi que cette décision « coutumière et qui permet de pro­téger les ayants droit » n’était « pas une première à l’éducation nationale dans le cas d’un suicide », en citant la loi du 29 juillet 1983 portant droits etobligations des fonctionnaires. La loi précise quetout accident survenu « dans le temps et le lieu duservice » d’un fonctionnaire est « présumé impu­table au service ». Une jurisprudence du Conseil d’Etat de 2014 établit par ailleurs que le suicide peut être « assimilé à un accident de service ».

Une trentaine de courriers posthumes« Cela signifie que l’administration est reconnue responsable du décès de Christine Renon », argu­mente à l’inverse Marie­Hélène Plard, cosecré­taire départementale du SNUipp­FSU en Seine­Saint­Denis. Le juriste Bernard Toulemonde,spécialiste des questions d’éducation, précise que cette reconnaissance n’a « aucun rapport avec la responsabilité pénale, qui impliquerait que l’éducation nationale reconnaisse une faute telle qu’elle existe dans le code ».

Un rapport de l’inspection générale diligentéaprès le suicide de Christine Renon a opportuné­ment fuité lundi. S’il n’établit aucune « faute » dela part de l’institution, il étudie l’ensemble des difficultés dont se plaint la directrice dans la trentaine de courriers posthumes qu’elle a adressés à ses collègues directeurs, à la mairie, à son syndicat et à l’académie. Elle y évoquait, outre son puisement, la « succession » des ins­pecteurs de circonscription à Pantin, le poids desrythmes scolaires – la ville est l’une des derniè­res du département à avoir conservé la semaine de quatre jours et demi – et sa solitude face à un soupçon d’attouchements entre enfants pour lequel elle s’apprêtait à prévenir une famille.

L’inspection générale souligne « l’importancequ’a revêtue, pour la directrice, la succession d’af­faires d’attouchements entre enfants » entre la rentrée de septembre et sa mort. Le rapport souligne également le nombre élevé de deman­des de mutation à Pantin, de 11 points supérieurà la moyenne du département en 2019, en lien, selon les témoins interrogés, avec le maintiende la semaine de quatre jours et demi. La « crainte » de voir « la qualité du corps ensei­gnant se dégrader » est « accréditée », selon lerapport, par l’augmentation de la proportion d’enseignants débutants à Pantin.

Le rapport reconnaît enfin l’incidence du« fort turnover » à l’inspection d’académie, lié àune situation inédite : l’inspecteur de la cir­conscription, déchargé pour raisons syndicales depuis 2013, ne peut être remplacé de manièrepérenne – un « handicap pour le pilotage de la circonscription » auquel il « convient de mettre un terme », réclame l’inspection générale.

v. m.

Le suicide d’une directrice « imputable au service »

Des directeurs d’école noyés sous les tâches administrativesPrès de 30 000 directeurs ont répondu à une consultation lancée par le ministère de l’éducation

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Page 13: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 sports | 13

C’ est la vieille garde del’équipe de France dehandball, celle detoutes les campa­

gnes européennes. Victorieuses en Suisse (championnat d’Europe 2006), en Autriche (2010) et au Da­nemark (2014). Celle aussi qui a vécu la bérézina serbe de 2012 (11e) ou la retraite de Pologne en 2014 (5e). Le dernier carré : Michaël Guigou, Cédric Sorhaindo, Luc Abalo et Nikola Karabatic dispu­tent, du 9 au 26 janvier, l’Euro de handball organisé par la Suède, la Norvège et l’Autriche. Probable­ment leur dernière campagne.

A bientôt 38 ans, Guigou a déjàannoncé qu’il rendrait les armesaprès les Jeux olympiques de Tokyo, en août. Sorhaindo etAbalo, tous deux âgés de 35 ans,en sont aussi à l’heure de contem­pler les médailles et les conquêtespassées. « J’ai donné tout ce que je pouvais en équipe de France, con­fie Sorhaindo, pivot des Bleus quiévolue dans le club de Barcelone. Si on est qualifiés aux Jeux, enfin sion me sélectionne, j’irais bien sûr. Ensuite, je prendrai la décisionavec le staff, mais une chose est sûre : je prépare ma sortie. » Abalopose, quant à lui, un regard déta­ché sur l’échéance « J’ai la chanced’avoir déjà gagné beaucoup detitres, ce que je vis là ce n’est que dubonus », complète le virevoltantailier droit du PSG.

Seul Nikola Karabatic, 35 anségalement, entretient le mystère sur sa retraite sportive. « Je sais que j’approche de ma fin de carrière, mais pour l’instant, c’est

encore très loin dans ma tête », affirme le demi­centre, satisfait d’aborder l’Euro sans blessuresqui, par le passé, l’ont souvent diminué à l’approche des joutes internationales.

Plus de quinze ans au plus hautniveau pour ces fidèles grognardsdont les faits d’armes chez lesBleus ont de quoi impressionner :trois titres européens donc, à quoi ils ont ajouté quatre titresmondiaux (2009, 2011, 2015 et2017) apportés à une équipe deFrance qui en comptait déjà deux,et surtout deux sacres olympi­ques (2008 et 2012).

Ces « quatre fantastiques »Michaël Guigou se souvient de2009 et 2012, ses plus belles vic­toires : « 2009, car c’était une vic­toire magnifique en Croatie contrela Croatie, entre les deux plus bel­les équipes du moment, c’était le début de l’enchaînement des suc­cès. Et 2012, car on avait été sup­portés incroyablement par unesalle remplie de Français », se re­mémore avec bonheur l’ailier gauche du club de Nîmes.

Pour ajouter une ligne de plus aupalmarès du handball français, ces « quatre fantastiques » et leurs quatorze coéquipiers devront ba­tailler dès le tour préliminaire de l’Euro. Contre le Portugal – ven­dredi 10 janvier à 18 h 15, à Trond­heim (Norvège) –, une équipe au jeu atypique qui les avait battus enavril 2019 lors des qualifications.

« Si l’équipe de France joue à sonniveau, je pense qu’elle n’a pas àcraindre le Portugal, mais il faut

aborder cette rencontre avec hu­milité », prévient le sélectionneur Didier Dinart. Puis ce sera la Norvège, vice­championne du monde, deux jours plus tard à do­micile, et la novice Bosnie mardi 14 janvier.

Au tour principal, les Bleuspourraient retrouver, à Malmö(Suède), les redoutables équipesde Suède, vice­championne d’Eu­rope, et du Danemark, sacrée aux Jeux olympiques de Rio et audernier mondial, et qui jouera,elle aussi, quasi à domicile, seul lepont de l’Oresund séparant Suèdeet Danemark.

Bref, la campagne de Scandina­vie s’annonce terrible. L’objectif minimal assigné par Dinart, ex­tour de contrôle de la défense française (1996­2013) ? Les demi­finales de la compétition, qualifi­catives pour le Mondial 2021 en Egypte. Une victoire ou une finalecontre le Danemark, et les Bleus s’ouvriraient alors grand les portes des JO de Tokyo, le Graal decette « année charnière », selon l’ex­international.

Sinon, ils devront en passer parun tournoi de qualification olym­pique, organisé certes en Franceau printemps, mais pas idéal pourune préparation olympique opti­male. « L’équipe de France reste surdeux demi­finales perdues d’affi­lée, il serait bien de redorer notreblason sur cette compétition », avertit le sélectionneur.

Nouveaux talentsCet Euro est la première compéti­tion depuis 2008 que cette géné­ration dorée du handball français aborde sans être détentrice d’un trophée international. « On n’a pas de titre, mais on est les plus titrés », corrige Nikola Karabatic,visiblement irrité par la remar­que, promettant de « jouer cet Euro à fond, sans calculer, pour ramener une médaille ».

Depuis quelques années,l’équipe de France est par ailleurs en plein renouvellement. Seuls sept joueurs victorieux à l’Euro 2014 figurent encore chez lesBleus. Après les départs de Daniel Narcisse et du gardien ThierryOmeyer, en 2017, de nouveaux ta­lents se sont affirmés, comme lepivot Ludovic Fabregas, le demi­centre Melvyn Richardson et les arrières Dika Mem ou encore Elo­him Prandi, le benjamin de l’équipe (21 ans), très prometteur.

Cette nouvelle génération a déjàraflé de nombreuses breloques chez les jeunes et véhicule pasmal d’espoirs. « Savoir intégrer desnouveaux talents, des nouveaux joueurs, c’est ce qu’a toujours très bien fait l’équipe de France ces der­

nières années », avance Karabatic.« Ces gars­là, ils jouent à Barceloneou au PSG pour la plupart, com­plète Guigou, ils ont déjà gagné la Ligue des champions et montré de belles choses avec l’équipe deFrance, c’est tant mieux. »

Des jeunes qui voudront toutfaire pour imiter leurs illustresaînés. « Quand tu vois tout ce qu’ilsont gagné depuis quinze ans, c’est beau, ça te fait rêver, c’est desexemples pour nous », souligne Dika Mem. Quand le colosse Ludovic Fabregas, parle, lui, avecrespect teinté d’admiration, de « joueurs de grande classe qui ont marqué l’histoire de l’équipe de France et l’histoire du handball ».

La vieille garde des Bleus en­tend, dès vendredi 10 janvier,écrire une nouvelle page desBleus. « Je veux prendre un maxi­mum de plaisir, je vais bien ouvrirles yeux pendant le match pourme rendre compte de ce que jevis », assure Luc Abalo.

Ses compagnons ne disent pasautre chose. Michaël Guigou : « Jevais tout donner pour mon dernierEuro, j’ai l’envie et la déterminationde bien finir, l’apothéose seraitde gagner aux Jeux. » Cédric Sorhaindo : « Ce qui me ferait plai­sir maintenant, ce serait de gagnerdes titres avec les jeunes. Je joue enclub avec certains, je sais que cesont de grands joueurs. »

Les grognards de l’équipe deFrance ont encore « faim de ti­tres » et n’entendent pas baisser les armes pour ce qui sera leur dernière bataille continentale.

nicolas lepeltier

L’ancien Sorhaindo et le jeune Fabregas, partenaires particuliersLes deux joueurs, qui évoluent au poste de pivot, ont développé une forte complicité, en club à Barcelone, et chez les Bleus

C es deux­là sont devenusindissociables. Malgrél’écart d’âge. Ou peut­être

plutôt à cause de cet écart qui fait qu’entre eux s’est installée une re­lation mentor­disciple. Lorsque Cédric Sorhaindo remporte son premier titre avec les Bleus, au Mondial de handball en 2009, Lu­dovic Fabregas n’a que 13 ans. Il dé­couvre encore le petit ballon rond dans son club de Banyuls­sur­Mer,dans les Pyrénées­Orientales.

Onze années plus tard, désor­mais capitaine des Tricolores,Sorhaindo, 35 ans, a été rejoint parFabregas, 23 ans. Ils composent un duo complémentaire au poste de pivot au sein de la sélection na­tionale, avec laquelle ils vont dis­puter le Championnat d’Europe,du 9 au 26 janvier, en Autriche,Norvège et Suède.

Mais il n’y a pas que chez lesBleus que cette relation particu­lière peut s’observer : les deux joueurs la cultivent aussi en club depuis qu’en 2018 Ludovic Fabre­gas a rejoint son aîné à Barcelone.

De ses deux joueurs, Didier Di­nart, le sélectionneur des Bleus, ditqu’ils associent « la qualité des an­ciens » pour Sorhaindo « et l’envie de la jeune génération » pour Fa­bregas. En équipe de France depuis2005, Cédric Sorhaindo est mem­bre de la génération enchantée des Experts. En témoigne son pal­marès : quadruple champion du monde, double champion d’Eu­rope et vice­champion olympique.

Son poulain marche déjà dansses pas : présent aux Jeux olympi­ques de Rio pour la médaille d’ar­gent des Bleus en 2016, Fabregas s’est vraiment révélé au Mondial 2017, remporté à domicile par la France. Le sélectionneur des Bleus,Didier Dinart, avait érigé le qua­trième buteur français de la

compétition également en « pa­tron de la défense ».

Malgré son potentiel et sa car­rure impressionnante (1,98 m pour 100 kg), Fabregas reste ti­mide. A son arrivée, en 2018, à Bar­celone, le Catalan est entré sur lapointe des pieds, ne voulant pasdéboulonner un ancien en place depuis 2010. « Quand il est arrivé, je lui ai répété que ce ne seraitpas un problème qu’on soit tousles deux sur ce poste : c’est à lui de jouer maintenant », confieSorhaindo, qui s’est mis en retrait dans son club pour mieuxl’accompagner.

« Plus que des coéquipiers »« C’est un joueur très expérimenté avec qui j’apprends beaucoup », af­firme Fabregas. Comme chez les Bleus, il n’a pas tardé à bluffer son club. « Fabregas est déjà l’un des meilleurs pivots du monde et, dans quelques années, il sera à coup sûr le meilleur, expliquait, en février 2019, au quotidien espa­gnol Mundo Desportivo, le pivot hispanique Abel Serdio, recruté à Barcelone pour jouer aux côtés du duo français. Parvenir à ce niveau aussi jeune est incroyablement dif­ficile, et il continue de s’améliorer »

Elu meilleur pivot du champion­nat d’Espagne pour sa première saison, Fabregas a impression­né son mentor. « Ma relève ? Il l’a déjà prise !, assure Sorhaindo. En équipe de France, on parle beau­coup de transmission, de valeurs, d’échange. Ludo incarne tout ça. »

Si Sorhaindo a pris sous son aileFabregas dès son arrivée, il a tenu àinstaurer une relation d’égal à égalavec lui : « J’apprends de lui comme il apprend de moi, affirme­t­il. Ce n’est pas parce que j’ai plus d’expé­rience que j’en sais plus. Cet échange fait qu’il y a un équilibre

entre nous, que ce soit en sélection ou en club. »

Plus qu’un équilibre, une pro­fonde amitié s’est nouée entre eux. « On est plus que des coéqui­piers, on est vraiment des bonsamis », souffle Fabregas. Sur Insta­gram, nombreuses sont les pho­tos des deux sportifs réunis sous les couleurs du Barça. Sur l’une d’entre elles, Fabregas embrasse le crâne de son partenaire, qui faitune grimace. « En équipe de France, on crée des liens et, aveccertaines personnes, on ne sait paspourquoi, il y a un plus, confie So­rhaindo. C’est le cas avec Ludo. »

« On échange beaucoup sur lehandball et sur nos vies personnel­les », complète le plus jeune. « Endehors du hand, on est tout le temps ensemble : en fait, on vit car­rément ensemble ! », renchérit l’ancien en riant.

Jouer dans le même club leur aaussi permis d’harmoniser leurstactiques. Désormais, faire blocsous le maillot bleu est presqueun jeu d’enfant. « Avec “Tchouf” (surnom de Sorhaindo), on aura plus de facilités à défendre, puis­qu’on est habitués à le faire ainsi en club, confiait déjà Fabregasen 2019. C’est plus facile de trouverdes repères ensemble vu qu’on a développé ces affinités. »

En l’absence de Luka Karabatic(opéré de la main droite fin 2019,qui pourrait revenir en cours decompétition, selon le quotidien L’Equipe), Fabregas devrait plus être utilisé que Sorhaindo pour l’Euro. Ce dernier, qui jouera son dernier championnat continen­tal, espère repartir l’or au cou, sondisciple à ses côtés. « J’ai tout ga­gné !, plaisante l’Expert. Mainte­nant, j’ai envie de partager ça avec mes partenaires de club. »

chloé ripert

Les faits d’armesde ces fidèles

grognards : troistitres européens,

quatre titres mondiaux

et deux sacresolympiques

Handball : dernières conquêtes pour la vieille gardeEn équipe de France depuis quinze ans, Guigou, Sorhaindo, Abalo et Karabatic disputent l’Euro, du 9 au 26 janvier

EURO

24Pour la première fois, le championnat d’Europe masculin de handball sera disputé à 24 équipes.

3Pour la première fois également, la compétition se déroulera dans trois pays différents : Autriche, Norvège et Suède.

6Les 24 équipes seront réparties dans six groupes lors d’un premier tour préliminaire (du 9 au 15 janvier). La France figure dans le groupe D avec le Portu-gal, la Norvège et la Bosnie.

2Les deux équipes qui finiront premières de chacun des groupes du tour préliminaire accéderont au tour principal (du 16 au 22 janvier). Elles seront réparties en deux groupes de six. Les formations qui finiront aux deux premières places de ces deux groupes du tour principal disputeront les demi-finales (le 24 janvier). La finale aura lieu le 26 janvier.

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Page 14: Le Monde - 09 01 2020

14 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE JEUDI 9 JANVIER 20200123

Pour le fret, une grève qui tombe très mal Le manque à gagner pour cette filiale de la SNCF atteint un million d’euros par jour, ce qui la met en danger

C e n’est pas le moindredes paradoxes. A l’heurede l’urgence climatique,alors que la planète

brûle littéralement, le fret ferro­viaire devrait être un secteur en croissance et plein d’avenir, lors­qu’on sait qu’une tonne de mar­chandise transportée par la route émet neuf fois plus de CO2 qu’avecun train électrique. Or, en ce dé­but 2020, en France, c’est exacte­ment l’inverse. Le fret ferroviaire est dans une situation pour le moins compliquée, avec un ac­teur principal – Fret SNCF – en sé­rieuse difficulté, des entreprisesprivées de transport ferroviaire qui songent à mettre leurs effec­tifs au chômage et des clients qui se reportent vers la route.

La cause première de ce ma­rasme, ce sont d’abord les trente­cinq jours consécutifs de grève contre la réforme des retraites. « Avec l’engagement des équipes on arrive à faire circuler aujourd’hui 50 % des trains pro­grammés, explique Sylvie Charles, directrice générale de Fret SNCF. Mais la première semaine, c’était zéro. Nous abîmons en ce moment l’économie française, avec des usi­nes au ralenti, et notre secteur. Tout le transport multimodal rou­te­rail est très très durement tou­ché. » Fret SNCF qui pèse 55 % du marché perd environ 1 million d’euros par jour de conflit.

Le fret est particulièrement af­fecté par la grève des aiguilleurs.Les convois traversent de lon­gues distances nécessitant d’em­prunter de nombreux embran­chements ferroviaires. « Sur un trajet passant par dix postesd’aiguillage, il suffit qu’un seulsoit bloqué pour empêcher la cir­culation », explique un porte­pa­role de Fret SNCF. « 25 % des trainsde fret privé programmés circu­lent alors que seulement 10 % desaiguilleurs sont en grève », con­firme Franck Tuffereau délégué général de l’Association françaisedu rail, qui représente les entre­prises ferroviaires alternatives à

la SNCF dans un secteur où laconcurrence existe depuisquinze ans.

« C’est d’autant plus préjudicia­ble que nos conducteurs ne sontpas en grève, ils sont donc payés, ajoute M. Tuffereau. Dans notresecteur, les frais fixes sont élevés.L’immobilisation d’une locomo­tive coûte 2 500 euros par jour. Des

mises en chômage partiel vontcommencer chez nos adhérents. A chaque grève, vous perdez des clients parce qu’ils doutent de lafiabilité du ferroviaire, parce qu’ils trouvent des solutions de rempla­cement sur la route et qu’ils y res­tent une fois le conflit terminé. »

Pour éviter de pénaliser lesprincipaux utilisateurs du fret, la SNCF a mis en place un dispositifdonnant la priorité aux secteursindustriels, qui ne peuvent fonc­tionner sans avoir recours autransport lourd de marchandi­ses : sidérurgie, chimie, usinesautomobiles. Le pendant de ce choix c’est que d’autres activités comme le ferroutage ou les auto­routes ferroviaires (des remor­ques de camions sont placées sur des wagons) se retrouvent encoreplus touchées.

En raison du conflit, plusieursprojets emblématiques de la re­lance du fret, mis en avant par le gouvernement, comme la créa­tion de nouvelles autoroutes fer­roviaires entre le Nord de la France et l’Italie ou la frontière es­pagnole prennent du retard. Le très politique dossier du train des primeurs Perpignan­Rungis qui

devait être relancé à la mi­décem­bre 2019 par un système de fer­routage mis en place par un opé­rateur privé, Novatrans, est luiaussi à l’arrêt. « Nous avions, avant la grève, déjà du mal à trou­ver le volume nécessaire pour rem­plir ce train, explique ThibaultFruitier, directeur général de No­vatrans, mais il est évident que leconflit a aggravé les choses. »

Dans cette conjoncture compli­quée, le fret ferroviaire français connaît un bouleversement : l’autonomisation, voulue par laréforme ferroviaire de 2018, de sa principale entreprise, Fret SNCF. Cette dernière sort du giron deSNCF Mobilités et devient une so­ciété indépendante filiale de la maison mère SNCF, avec ses pro­pres comptes, ses propres respon­sabilités, et son propre risque, y compris de faire faillite.

Inverser la tendanceOr c’est une entreprise bien fra­gile qui est née le 1er janvier. Lestéed’une dette de 5 milliards d’euros,et alors que son chiffre d’affaires n’atteint pas le milliard d’euros,elle a essuyé une perte de 170 mil­lions en 2018, essentiellement à

cause de la grande grève de prin­temps contre la réforme ferro­viaire. En 2019, selon une source interne, la perte devrait à nou­veau dépasser largement les 100 millions d’euros.

Avant de sauter le pas de latransformation en société ano­nyme, Fret SNCF a bien été dotéede 170 millions d’euros de capital. Mais quand on mesure le niveau des pertes de ces deux dernièresannées, il paraît évident que la si­tuation ne pourra durer bien longtemps…

Comment Fret SNCF peut­ellese relancer ? Comment inverser

Des trains de passagers et des wagons de marchandises à la gare de triage de Sotteville­lès­Rouen (Seine­Maritime), le 12 avril 2018. PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

Fret SNCF devient

une société indépendante

avec ses proprescomptes, ses

responsabilités,et le risque

de faire faillite

une tendance de vingt ans qui avu passer la part du ferroviaire dans le transport de marchandi­ses de 20 % dans les années 2000à 9 % aujourd’hui. « La bascule va avec un plan d’affaires solide qui était la contrepartie de la capitali­sation de la société, explique Mme Charles : il consiste à être ca­pable de faire plus de sur­mesurepar lots de wagons pour nosclients, à récupérer la mainte­nance de nos activités ce qui nousfait gagner des dizaines de mil­lions d’euros, à avoir plus d’auto­nomie dans le dialogue social. »

Côté gouvernemental, on se ditaussi prêt à agir. « Un plan nationalpour le fret a vocation à être mise en place », a déclaré Jean­Baptiste Djebbari, le secrétaire d’Etat aux transports, le 7 janvier dans un courrier a dressé à la CGT Chemi­nots. Il faut persuader Bruxelles d’accepter un cantonnement de la dette de Fret SNCF dans la maison mère SNCF. « La France va tout faire pour bénéficier de la priorité donnée par la nouvelle Commis­sion européenne aux transports lesplus respectueux de l’environne­ment », souligne M. Djebbari.

eric béziat

ce sera, sauf accident, notre « M. Ré­seau ferroviaire ». Luc Lallemand, jusqu’ici patron de l’infrastructure ferroviaire belge Infrabel, a été désigné, mardi 7 janvier, par le conseil d’administration de SNCF Ré­seau pour devenir PDG de l’entreprise chargée de la gestion des 28 000 kilomè­tres de voies ferrées hexagonales, l’un des postes­clés du secteur en France.

La candidature de M. Lallemand, révéléele 4 janvier par la lettre spécialisée Mobilet­tre, doit maintenant être approuvée par l’Autorité de régulation des transports (ART, ex­Arafer) dans les trois semainessuivant sa désignation. « Au terme de ce processus, Luc Lallemand pourrait prendre ses fonctions au cours du premier trimestre 2020 », indique le communiqué de la SNCF.

Son profil ne devrait pas poser de diffi­cultés à l’ART, qui est chargée d’évaluer sonniveau d’indépendance vis­à­vis de la so­ciété mère SNCF. Citoyen belge franco­

phone de 53 ans, il a fait l’essentiel de sacarrière au sein de la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB), dans des ca­binets ministériels socialistes en Belgique et à Infrabel, dont il était directeur général depuis quinze ans.

Améliorer la compétitivitéLa candidature de ce spécialiste des che­mins de fer (il a été administrateur de Ré­seau ferré de France, l’ancien nom de SNCFRéseau) vient compléter l’organigrammede la nouvelle SNCF. L’entreprise est depuisle 1er janvier composée d’une société mère dirigée par Jean­Pierre Farandou et de six filiales dont les plus emblématiques sont SNCF Voyageurs (PDG Christophe Fani­chet), SNCF Réseau (PDG pressenti Luc Lal­lemand) et SNCF Gares & Connexions (di­rectrice générale pressentie Marlène Dol­veck), elle­même une filiale de Réseau.

L’actuel patron de l’infrastructure ferro­

viaire française, Patrick Jeantet, passedonc la main, salué au passage par la mi­nistre de la transition écologique et soli­daire, Elisabeth Borne, et son secrétaire d’Etat aux transports, Jean­Baptiste Djeb­bari, qui ont loué dans un communiqué le « travail considérable » accompli par M. Jeantet. Ce dernier va prendre, après lapériode de transition, la direction de Keo­lis (une autre filiale de la SNCF), spécialistedu transport public urbain.

M. Lallemand hérite d’une entreprise dé­lestée d’une partie de sa dette (25 milliards d’euros sur plus de 53 milliards) et dont le budget 2020, approuvé par le conseil du7 janvier, est en progression par rapport à 2019. L’Etat attend du nouveau promuqu’il accélère la campagne de régénérationdu réseau tout en améliorant la compétiti­vité de l’entreprise et en maîtrisant l’endet­tement. Un sacré programme.

e. bé.

Un expert belge du ferroviaire bientôt à la tête de SNCF Réseau

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Page 15: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 économie & entreprise | 15

Cinq ans après,la nouvelle vie de « Charlie Hebdo »Les nouveaux associés de Riss prennent leurs marques, alors que la rédaction s’est étoffée

C inq ans après la tragédiedu 7 janvier 2015, qui acoûté la vie à une partie de

sa rédaction lors d’un attentat is­lamiste, Charlie Hebdo écrit unenouvelle page de son histoire. « Cela fait cinq ans qu’on travailled’arrache­pied pour monter unerédaction renouvelée. Et on y est arrivé. Le journal n’est plus conva­lescent », explique, au Monde, son directeur Riss.

Signe de cette nouvelle vie, la ré­daction, qui travaille toujourssous haute protection dans unlieu tenu secret, commence à semontrer au grand jour. Le 7 jan­vier au soir, à l’invitation de RadioFrance, ses journalistes sont allés à la rencontre de leurs lecteurs.D’abord, à l’occasion d’une émis­sion diffusée en direct sur France Info, à laquelle ont participé Riss, Gérard Biard, le directeur de la ré­daction, Laure Daussy, recrutée en avril 2015 et la militante ukrai­nienne femen, Inna Shevchenko, arrivée en septembre 2019.

« Un engagement fort »« De nouvelles morales se sont ins­tallées, et au fond pour Charlie Hebdo, c’est une chance. On va pouvoir caricaturer de nouveaux personnages grotesques », a dé­fendu Riss à l’antenne. Pour cet an­niversaire, Charlie Hebdo a consa­cré sa dernière édition à la liberté d’expression, portant à la « une » les « Nouvelles censures, nouvel­les dictatures ». Des tables rondeset une séance de dédicaces s’éti­rant jusqu’à 23 heures ont suivi l’émission. « Nous avions déjà fait une soirée “Charlie” à Strasbourgcet automne. Les lecteurs sont con­tents de voir la nouvelle équipe, et inversement. On retrouve le lien quiexistait auparavant avec le pu­blic », se félicite le dessinateur.

Progressivement, la relève vou­lue par Riss, détenteur des deuxtiers du capital, s’installe. Trois nouveaux visages ont fait leur en­trée au tour de table : le dessina­teur Pierrick Juin, et deux chroni­queurs, l’économiste Gilles Ra­veaud et le psychanalyste Yann Diener, qui ont succédé à BernardMaris et Elsa Cayat, décédés dans l’attentat. Même s’ils ne détien­nent chacun qu’une action sym­bolique, le trio est invité à donner

son avis sur les décisions prisespour le journal.

Au départ, participer à l’aventureétait tout sauf aisé. « Riss m’a ap­pelé fin janvier 2015 pour reprendre les chroniques de Bernard. Je suis père de famille, j’avais peur. Je ne ve­nais jamais au journal. Je signais sous pseudo, pendant deux ans, j’étais un contributeur fantôme », explique Gilles Raveaud, maître deconférences à l’Institut d’études européennes. Il passe désormais lamoitié de sa semaine à la rédac­tion : « J’ai un problème avec ce lieu,où il y a des mecs armés partout, mais j’adore la variété extraordi­naire des profils et des discussions. »

Contribuer à Charlie Hebdo est« un engagement fort, un acte très politique », confirme Yann Diener, qui témoigne d’une nouvelle am­biance au sein du journal. « Cela fait un an qu’il y a de nouveaux per­manents. Plus de gens viennent àla rédaction », dit le psychanalyste.

Après une année 2018 marquéepar une baisse de 23 % du chiffre d’affaires à 8,5 millions d’euros, les ventes se stabilisent et le jour­nal devrait être proche de l’équili­bre. L’Etat a enfin commencé à contribuer aux dépenses de sécu­rité, qui coûtent chaque année à Charlie Hebdo 1,5 million d’euros.

Le journal doit encore régler ledifférend qui l’oppose avec son ex­directeur général, Eric Portheault, qui réclame 1,8 million d’euros, selon BFM­TV, pour un tiers du ca­pital. Des discussions à l’amiable ont échoué, et l’affaire devrait êtretranchée par la justice. Au cœur du litige, l’élan de solidarité de2015 qui avait permis au journalde se constituer une réserve de 15 et 20 millions d’euros. Si Riss con­sidère que les actions du journal n’ont pas de valeur financière, ce n’est pas l’avis de l’ex­associé.

sandrine cassini

Les députés font pression pour allégerla réglementation bancaire anticriseUne proposition de résolution invite le gouvernement à assouplir les accords de Bâle III

L es députés françaisauraient­ils la mémoirecourte s’agissant de la crise

financière de 2008 ? Ils ont voté (91 voix pour, 16 contre), mardi 7 janvier, un texte invitant le gou­vernement à œuvrer pour assou­plir les futures règles bancaires in­ternationales. Cette proposition de résolution, sans valeur contrai­gnante, était portée par le prési­dent de la commission des finan­ces, Eric Woerth (Les Républi­cains), et cosignée par 66 parle­mentaires issus de plusieurs groupes, dont LR, La République en marche ou le MoDem.

Le gouvernement « soutient plei­nement et globalement les orienta­tions » de la résolution, a déclaré en séance le secrétaire d’Etat Cé­dric O. Des députés, notamment du groupe La France insoumise et du groupe socialistes, se sont, en revanche, opposés au texte.

De quelles règles s’agit­il exacte­ment ? Le Comité de Bâle, qui ras­semble les superviseurs de 27 payspour renforcer la solidité du sys­tème financier mondial, a conclu, le 7 décembre 2017, un accord fina­lisant l’édifice réglementaire cons­truit progressivement aux lende­mains de la crise, dès 2009. A l’is­sue d’intenses tractations portant

sur ce dernier volet, un compro­mis a finalement été trouvé : les Américains ont dû accepter que les banques en Europe et au Japon continuent d’utiliser des « modè­les internes » pour calculer elles­mêmes les risques qu’elles pre­naient, sur la base, notamment, dedonnées historiques.

Mais les Européens et les Japo­nais ont dû dire oui à l’instaura­tion d’une limite à l’utilisation de ces modèles internes, afin que l’onpuisse mieux comparer la solidité des banques au niveau internatio­nal. Cet encadrement n’est pas anodin : les banques européennes et japonaises vont devoir augmen­ter leur capital progressivement d’ici à 2027.

Citant les études d’impact pu­bliées en 2019, notamment par l’Autorité bancaire européenne (ABE), les députés signataires de la

résolution soulignent que les nou­velles règles devraient contraindreles institutions européennes à augmenter leurs fonds propres de plus de 24 %. Or, rappellent­ils, le G20 avait donné pour mandat au Comité de Bâle de ne pas accroître de manière trop importante les exigences de capital supplémen­taire dans cette dernière salve de négociation des accords de Bâle III,estimant que les banques avaient déjà réalisé des efforts importants depuis la crise financière.

« Le meilleur compromis »« Pour augmenter leurs fonds pro­pres au niveau proposé par Bâle,les banques françaises devraientmettre en réserve l’intégralité de leur résultat non distribué pen­dant cinq ans », estiment les dépu­tés signataires de la résolution, ce qui « paralyserait la capacité des banques à financer la croissancede l’économie ».

En outre, « les banques américai­nes ne seraient touchées par ces mesures qu’à hauteur de 1,5 % », a déclaré, mardi à l’Assemblée natio­nale, Eric Woerth. Avant d’ajouter : « Ce qui est en jeu, c’est notre souve­raineté financière » vis­à­vis des marchés de capitaux asiatiques ouaméricains et de leurs banques de

financement et d’investissement. Les parlementaires demandent donc au gouvernement d’interve­nir pour amender le texte du Co­mité de Bâle, à l’occasion de sa transposition en droit européen etfrançais, la Commission euro­péenne devant présenter un pro­jet dans le courant de l’année 2020. Objectif : « Ne pas augmentersignificativement les exigences de fonds propres globales des banqueseuropéennes. »

Le gouverneur de la Banque deFrance, François Villeroy de Gal­hau, a pourtant estimé, le 26 no­vembre, sur Radio Classique, que les accords dits de Bâle III « étaient le meilleur compromis possible ». « Un certain nombre de voix s’élè­vent, des deux côtés de l’Atlantique d’ailleurs, et souvent bancaires, pour dire qu’il ne faudrait pas transposer cet accord. Prendre la responsabilité de ne pas transposerBâle III serait très grave, parce que ça serait céder à la tentation de l’oubli, dix ans après la crise finan­cière », a­t­il ajouté.

L’ONG bruxelloise FinanceWatch avait appelé les députés à nepas voter une proposition de réso­lution « reprenant fidèlement les arguments du lobby bancaire ».

véronique chocron

Les GAFA contestent la révision de la directive sur le numériqueLe lobby des géants du Web accepte toutefois que la modérationdes contenus illégaux soit supervisée par un régulateur européen

L es GAFA prennent pieddans la bataille à venir surla régulation des conte­nus en ligne au niveau

européen : Edima, le lobby bruxellois des plates­formes nu­mériques comme Google, Ama­zon, Facebook et Apple, a abattu ses premières cartes, mardi 7 jan­vier, à propos du Digital ServicesAct, ce projet de directive inscrit à l’agenda de la nouvelle Commis­sion européenne d’Ursula vonder Leyen. Les géants du Web se disent ouverts à la réforme, mais souhaitent que celle­ci soit limi­tée : ils veulent conserver le prin­cipe de responsabilité limitée des hébergeurs établi par la directive e­commerce de 2000, tout en sedisant prêts à garantir la mise en place de procédures de modéra­tion des contenus illégaux, sousla surveillance d’un régulateur.

L’offensive d’Edima vise à éviterdes dispositions contraignantes, comme celle prévue dans la pro­position de loi française de la dé­putée LRM Laetitia Avia : l’auteurede ce texte – examiné en commis­sion mixte paritaire mercredi8 janvier après de fortes modifica­tions du Sénat – souhaite imposerà Facebook, Twitter ou YouTubede supprimer en vingt­qua­tre heures les contenus haineux

« manifestement illicites » qu’onleur a signalés, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mon­dial. L’autre repoussoir, pour les GAFA, est la loi allemandeNetzDG, qui, en 2018, a imposé le même délai, assorti d’amendes jusqu’à 50 millions d’euros.

Les géants du Web souhaitentconserver la différence faite par ladirective e­commerce entre les éditeurs – qui publient des conte­nus eux­mêmes et en sont res­ponsables, à l’image des médias – et les hébergeurs – qui accueillentdes contenus publiés par des utili­sateurs et n’en sont responsablesque si on les leur a signalés. « Ce système de notification qui ac­compagne le principe de responsa­bilité limitée doit rester la règle principale », écrit Edima dans un document adressé à la Commis­sion européenne par sa directrice générale, Siada El Ramly.

« Surcensurer »Conserver ce cadre éviterait que « les fournisseurs de services soientincités de façon perverse à interfé­rer avec les droits fondamentauxdes citoyens », ajoute le lobby, dans une allusion aux critiques de la loi Avia selon lesquels les ré­seaux sociaux vont « surcensu­

rer » des contenus légaux pour éviter les sanctions. Edima rap­pelle aussi l’interdiction du fil­trage généralisé des contenus, dé­battue pendant la féroce bataille de la directive sur le droit d’auteur, dans laquelle le lobby aété très actif.

Toutefois, les GAFA semblent ré­signés à accepter des évolutions, au moment où beaucoup de voix s’élèvent pour dire que les ré­seaux sociaux, avec leurs algo­rithmes qui sélectionnent les contenus et leur taille gigantes­que dans l’écosystème de l’infor­mation, ne sont plus de simpleshébergeurs neutres. Edima pro­pose d’instaurer un nouveau « ca­dre horizontal » de « responsabi­lité » (« responsibility »), distinct dela « responsabilité légale » (« liabi­lity »). Il fixerait des « mesures sys­témiques, des processus et des pro­cédures qu’un fournisseur de servi­ces doit mettre en place pour gérerles contenus et les activités illéga­les de façon plus proactive. »

Les réseaux pourraient ainsi êtretenus à des obligations de trans­parence, sur le nombre et la na­ture des contenus retirés, le nom­bre de contestations, le taux d’er­reur, voire sur leurs algorithmes… Le lobby précise toutefois que les plates­formes pourraient « définir les mesures qui correspondent le mieux à leur situation unique ».

Enfin, Edima envisage que lerespect de ces obligations de

moyens soit supervisé par uneinstance agissant « au niveaueuropéen ».

L’approche prônée par Edimarejoint la philosophie de « smart regulation » : une « régulation in­telligente » souple, censée se pla­cer entre la loi rigide et l’autorégu­lation. L’expression est défendue par une partie de la majoritéd’Emmanuel Macron. Elle est aussi reflétée dans le rapport Lou­trel, rédigé en mai 2019 après l’en­voi par la France d’un groupe derégulateurs chez Facebook pourobserver leurs pratiques de mo­dération. La proposition de loi Avia intègre d’ailleurs aussi de tel­les obligations de moyens pour les plates­formes et en confie la surveillance au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui pourra prononcer de lourdes sanctions en cas de manquement.

Mais que pense des positionsd’Edima le gouvernement fran­çais, fervent partisan de la révi­sion de la directive e­commerce ? « Nous serons évidemment un peu plus ambitieux que les plates­for­mes, mais nous constatons qu’il y aune prise de conscience sur le sujet des contenus et du besoin d’une su­pervision », salue le cabinet de Cé­dric O, le secrétaire d’Etat au nu­mérique. Ne serait­ce pas un pro­blème de renoncer à des mesures plus répressives comme celles de la loi Avia ? « La priorité au niveau européen, ce sont les obligations demoyens », répond clairement le ca­binet. Avant de souhaiter, toute­fois, que « soit préservée une marge de manœuvre au niveau na­tional » pour des mesures visant des contenus spécifiques. Une fa­çon de tenter d’éviter que le Digi­tal Services Act sonne le glas de la loi Avia. En effet, ce texte a, fin no­vembre, fait l’objet « d’observa­tions » très critiques de la part de laCommission européenne.

alexandre piquard

Lesplates-formes

souhaitent préserver

la différence entre éditeurset hébergeurs

« Ce qui est en jeu, c’est notresouveraineté financière »

ÉRIC WOERTHprésident (LR) de

la commission des finances

MÉDIASFrance Télévisions : Delphine Ernotte veut rester à la tête du groupeLa dirigeante de France Télé­visions a annoncé, mardi 7 janvier, sa volonté de rester à la tête du groupe jus­qu’en 2022. Le Conseil supé­rieur de l’audiovisuel (CSA) procédera, au premier se­mestre, à la nomination du nouveau PDG. Delphine Er­notte est pour l’instant seule en lice. – (AFP.)

AUTOMOBILELuca De Meo, pressenti pour la direction de Renault, quitte SeatLe président du comité exécu­tif de Seat, l’Italien Luca De Meo, 52 ans, pressenti pour prendre la tête de Renault, a démissionné de son poste au sein de la filiale espagnole de Volkswagen qu’il dirigeait de­puis 2015, a annoncé, mardi 7 janvier, le constructeur alle­mand. – (Reuters.)

CONJONCTUREFrance : le déficit commercial stableen novembreLe déficit commercial de la France est resté quasi stable

pour le troisième mois d’affi­lée, à 5,4 milliards d’euros en novembre, contre 5,3 mil­liards en octobre, en raison d’exportations et d’importa­tions « atones », ont indiqué les douanes mercredi 8 jan­vier. – (AFP.)

Aux Etats-Unis, le déficit commercial au plus bas depuis trois ansLe déficit commercial des Etats­Unis est tombé à son plus bas niveau depuis octo­bre 2016, sous l’effet d’un nouveau recul des importa­tions en provenance de Chine. Le solde, publié mardi 7 janvier, s’est établi à – 43,1 milliards de dollars (38,5 milliards d’euros), soit un recul de 8,2 % comparé à octobre. – (AFP.)

Allemagne : baissede 1,3 % des commandes industriellesLes commandes passées à l’industrie allemande ont nettement reculé sur un mois en novembre, s’inscri­vant en baisse de 1,3 %, a indi­qué mercredi 8 janvier l’of­fice de statistique Destatis. Sur un an, les commandes chutent de 6,5 %. – (AFP.)

« On va pouvoircaricaturer

de nouveaux personnages grotesques »

RISSdirecteur de « Charlie Hebdo »

Facebook plus sévère avec les vidéos « deepfakes »Facebook durcit sa politique sur les « deepfakes », ces vidéos tra-fiquées pour faire prononcer à une personne des paroles qu’elle n’a pas réellement dites ou pour remplacer le visage d’une per-sonne par celui d’une autre. A l’approche de l’élection présiden-tielle américaine, le réseau social a annoncé, mardi 7 janvier, qu’il supprimerait désormais les vidéos « trompeuses » réalisées grâce à des logiciels « d’intelligence artificielle ». Mais les polémi-ques risquent de perdurer car Facebook épargne les vidéos « de satire et de parodie ». De plus, sa nouvelle politique ne couvre pas le « deepfake » le plus connu à ce jour car cette vidéo de la démocrate Nancy Pelosi faussement en état d’ébriété n’avait pas été réalisée grâce à de l’intelligence artificielle.

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Page 16: Le Monde - 09 01 2020

16 | économie & entreprise JEUDI 9 JANVIER 20200123

A utant, à la fin 2018, lesbanquiers d’affairess’avouaient soucieuxpour les mois à venir,

autant ils terminent l’année 2019 regonflés à bloc. « On a beau répé­ter que l’économie mondiale s’achemine vers la fin d’un cycle, cela n’empêche pas les entreprisesde continuer à investir. Beaucoup de groupes européens aux bilans solides sont à la manœuvre », sou­ligne Patrick Perreault, corespon­sable des fusions et acquisitions àla Société générale.

Selon le fournisseur de donnéesRefinitiv (ex­Thomson Reuters), le marché mondial des fusions­ac­quisitions a totalisé 3 900 mil­liards de dollars (3 500 milliards d’euros) en 2019. Malgré une baisse de 3 % par rapport à 2018, cela reste un très bon millésime, laquatrième meilleure année de­puis le début de ces statistiques, en 1980. En Europe, toutefois, le marché a reculé de 25 %, attei­

gnant 751 milliards de dollars, une chute liée à la contre­performancedu Royaume­Uni à la veille de sa sortie de l’Union européenne.

De leur côté, les entreprises tri­colores ont été impliquées en 2019dans des transactions atteignant 193 milliards de dollars (+ 2 %), se­lon les chiffres dévoilés mercredi 8 janvier par Refinitiv. « Jusqu’enmai, le marché des fusions et acqui­sitions est resté plutôt calme, avantde prendre un rythme soutenu »,souligne Hubert Preschez, codiri­geant de la banque d’investisse­ment de HSBC en France. Et mêmede s’emballer en fin d’année. Le 25 novembre 2019, LVMH a an­noncé le rachat du bijoutier Tif­fany pour 16 milliards de dollars. Le 18 décembre, les instances de gouvernance de PSA et de Fiat Chrysler ont approuvé une fusion à 31 milliards de dollars.

Les marchés boursiers triom­phants ne sont pas pour rien danscette euphorie. Cette réaction

peut paraître contre­intuitive car, finalement, plus les Bourses sont fringantes, plus les cibles sont chè­res. Mais les ressorts psychologi­ques des décideurs sont ailleurs.

« Les volumes de fusions et acqui­sitions sont généralement corrélés à la confiance des patrons. Et cel­le­ci est souvent influencée par leur cours de Bourse. En outre, dans des marchés haussiers, les investisseurs

ont tendance à récompenser la prise de risque », explique Fran­çois­Xavier de Mallmann, prési­dent de la banque d’investisse­ment de Goldman Sachs. Certes, « les tensions commerciales entre les Etats­Unis et la Chine, le Moyen­Orient, le difficile accouchement duBrexit, les ratés de l’économie alle­mande sont autant de facteurs d’incertitude, mais le fait est que, malgré des hauts et des bas, la con­fiance est toujours là », ajoute Fran­çois Kayat, associé­gérant chez La­zard à Paris.

Avec en ligne de mire l’électionprésidentielle aux Etats­Unis pro­grammée en novembre 2020, beaucoup jugent que Donald Trump fera son maximum pour que l’économie américaine et lesindices boursiers restent au beau fixe. La solidité de la conjonctureaux Etats­Unis a deux conséquen­ces. La première, les multinatio­nales américaines montrent peu d’appétit pour l’Europe, moins at­

tractive compte tenu du différen­tiel de croissance entre les zones.La seconde, les grands groupesfrançais continuent à faire leurs emplettes aux Etats­Unis. LVMH bien sûr, mais aussi Publicis avec le rachat d’Epsilon (4 milliards de dollars) ou encore Dassault Systè­mes qui a repris Medidata (5,8 milliards de dollars).

« Défense contre les activistes »Autant de transactions payées en cash et refinancées grâce à de la dette afin de bénéficier des taux bas. « Au premier semestre 2019, beaucoup de nos clients ont profité des conditions de marché très favo­rables pour renforcer leur structure financière. Cela devrait favoriser de futures opérations de croissance externe », relate George Holst, res­ponsable de la clientèle entrepri­ses chez BNP Paribas CIB. Non pas que l’accès à de l’argent quasi gra­tuit apparaisse comme une fin en soi : « Les taux bas soutiennent le volontarisme stratégique des en­treprises. Nous travaillons sur des projets de rapprochement avec des logiques industrielles très fortes », insiste M. Holst.

Les candidats sont légion, entreceux qui évoluent dans des sec­teurs en pleine transformation et doivent chercher des économies d’échelle et ceux qui sont en phasede conquête. « Nous nous atten­dons à des rectifications de fron­tière au sein des institutions finan­cières. Le secteur de l’énergie est enébullition, tout comme les infras­tructures et la pharmacie. L’auto­mobile et sa sous­traitance sont en­trées dans une phase de consolida­tion en chaîne », liste M. Preschez.

A peine la fusion PSA­FCA entéri­née, l’avenir de Renault fait débat. Quant au secteur de la distribu­tion, déstabilisé par les nouveaux modes de consommation, il est entré dans une phase de recen­trage, comme Carrefour, qui cède ses activités en Chine, ou Groupe Casino, qui négocie la vente de Leader Price à l’allemand, Aldi.

Autre tendance forte, le dévelop­pement de l’activisme actionna­rial. L’irruption d’Elliott au capital

de Pernod Ricard, à la fin 2018, a convaincu nombre de PDG de fleurons tricolores que nul n’était à l’abri de ces investisseurs venus proposer une gestion, voire une stratégie alternative. « La défense contre les activistes occupe de plus en plus nos équipes », souligne Ky­ril Courboin, directeur général de JPMorgan France.

Les banquiers d’affaires appré­cient d’autant plus ce nouveau métier qu’il débouche fréquem­ment sur des transactions : « Les investisseurs activistes demandent souvent aux entreprises de se con­centrer sur leur cœur de métier pour plus de simplicité et d’effica­cité opérationnelle », souligne Augustin d’Angerville, responsa­ble des fusions­acquisitions pour la France chez JPMorgan. Sachant que certaines entreprises préfè­rent prendre les devants et céder une branche ou une filiale, avant qu’un activiste ne vienne le leur demander…

isabelle chaperon

« Le secteur de l’énergie

est en ébullition, tout comme lesinfrastructures

et la pharmacie »HUBERT PRESCHEZ

codirigeant de la banqued’investissement

de HSBC en France

en 2019, les golden globes des conseilsen fusions­acquisitions ont fait la partbelle aux grandes banques américaines etaux « boutiques ». C’est ainsi que l’on dési­gne les spécialistes de ces opérations, par opposition aux JPMorgan et autres BNP Paribas, qui proposent une large palette deproduits et services aux entreprises.

Ces « boutiques » ont décroché des rôlesde choix dans les deux principales transac­tions de l’année en France : l’américain Cen­terview a assisté son compatriote Tiffany lors de son rachat par LVMH fin novembre, tandis que la banque d’affaires Messier Ma­ris a été le principal conseil matrimonial de PSA pour son union avec Fiat­Chrysler.

« Avant l’expansion tous azimuts des ban­ques dans les années 1980, les établisse­ments financiers étaient tous très spécialisés,les uns dans le conseil en fusions et acquisi­tions, les autres dans les activités de marché et l’intermédiation, la banque de détail ou la gestion d’actifs. Depuis la crise financière de 2008, ce modèle classique revient en force. Il offre le grand avantage de limiter les conflitsd’intérêts », explique Benoît d’Angelin, un ancien de Lehman Brothers qui a créé sa

propre officine. En 2019, D’Angelin & Co a d’abord conseillé Fiat­Chrysler lors de son union ratée avec Renault avant d’épauler l’italien lors de la fusion avec PSA.

Cette montée en puissance des petitesstructures ne remet pas en cause la domi­nation des géants américains (Citigroup, Goldman Sachs, Bank of America Merrill Lynch…). « Les conseils indépendants ontpris des parts de marché aux banques inté­grées, en particulier européennes », noteFrançois Kayat, associé gérant chez Lazard.

Flopée de nouveaux acteursSi Lazard et Rothschild, les deux « bouti­ques » historiques d’origine française, s’avèrent les plus anciennes, une flopée de nouveaux acteurs a vu le jour juste avantou peu après la crise financière de 2007­2008. Evercore ou Moelis ont ainsi d’abordprospéré aux Etats­Unis, premier marché des fusions­acquisitions. Mais l’Europe les attire de plus en plus, et notamment Paris, véritable nid de multinationales.

« Avec la sortie du Royaume­Uni del’Union européenne [qui devrait être effec­tive le 31 janvier], il a fallu se doter d’une pla­

te­forme continentale. Nous avons démon­tré à nos associés qu’il y avait suffisammentà faire à Paris », témoigne David Azéma, as­socié de la banque d’affaires Perella Wein­berg Partners, qui a ouvert en décem­bre 2018 un bureau dans le triangle d’or pa­risien. « Notre ambition est d’être la pre­mière boutique internationale en France »,ajoute son bras droit, Cyrille Perard.D’autres maisons indépendantes cher­chent à se développer en France. L’améri­cain Greenhill a annoncé en septembre le recrutement d’Amélie Négrier, ex­associée gérante de Lazard, en vue d’ouvrir un bu­reau à Paris. Selon des sources internes, nombre de banquiers de Lazard ont d’ailleurs été approchés ces derniers moispar ces nouveaux concurrents.

Ce n’est certainement pas un hasard si ledépart en octobre de Matthieu Pigasse, an­cien patron de Lazard France (et action­naire à titre personnel du Monde) a été pré­cédé de rumeurs sur un éventuel transfert de ce banquier de haut vol chez Evercore etCenterview, les deux structures les plus en vue sur le marché américain.

i. ch.

Les « boutiques » en embuscade en France

Euphorie boursière et taux bas dopent les fusionsLes banquiers d’affaires estiment que le volume d’opérations devrait rester soutenu cette année

LES CHIFFRES

3 900C’est, en milliards de dollars, soit 3 500 milliards d’euros, la valeur des opérations de fusions et ac-quisitions annoncées en 2019 dans le monde, selon Refinitiv.

193,1C’est, en milliards de dollars, la valeur des 2 942 transactions ayant impliqué des entreprises françaises en 2019.

5C’est le nombre de banques américaines qui se classent aux premières places du palmarès des conseils en fusions et acqui-sitions en France (Citigroup, Goldman Sachs, Morgan Stanley, JPMorgan, Bank of America Mer-rill Lynch).

Le dîner le plus couru de l’année, celui où il fallait être pour côtoyer Leonardo DiCaprio, Brad Pitt ou Robert De Niro, s’est tenu sur les collines de Beverly Hills, diman­che 5 janvier, à l’occasion de la re­mise des Golden Globes. Au menu, soupe froide de betterave, suivie de simili de noix de Saint­Jacques réalisées à partir de pleu­rotes, sur un lit de pois et de choux de Bruxelles. Viandards texans s’abstenir. DiCaprio, lui, s’est régalé, converti depuis long­temps au régime végétarien.

Pour la première fois, la plus people des soirées américaines ne servait ni viande ni même de céréales à ses invités. Seul du poisson était disponible sur de­mande. La puissante association américaine des éleveurs de bœufs a déploré cette entorse au pays des cow­boys et du hamburger. « Si tous les Américains suivaient un régime végétarien, cela rédui­rait les émissions de gaz à effet de serre de seulement 2,6 % », s’est­elle défendue, en exhumant une étude de l’Académie des sciences.

Alors que la Maison Blanche sedésintéresse du sujet, le change­ment climatique s’invite dans tous les débats et toutes les straté­gies d’entreprise aux Etats­Unis.

Même Cargill, la plus grande en­treprise non cotée du pays, géant du négoce alimentaire et de la production de viande, le recon­naît. « Sans décisions courageuses et décisives par tout le secteur, le changement climatique va désta­biliser les systèmes alimentaires », a averti le PDG du groupe, Dave MacLennan. Le groupe fournit 20 % de la viande de bœuf con­sommée aux Etats­Unis et dis­pose d’usines de poulets géantes dans le monde entier, y compris en Chine. Il est aussi l’un des plus grands marchands mondiaux de céréales, de cacao, de soja, d’huile de palme et toutes autres cultures de masse qui révoltent tant les défenseurs de l’environnement. Pour eux, Cargill est une figure dudiable, « la pire compagnie du monde », selon l’ex­parlementaire démocrate Henry Waxman.

Montré du doigt, le groupe pro­met de réduire de 30 % les émis­sions de CO2 de son activité viande d’ici à 2030 et vante les mérites de l’accord de Paris de 2015 et une agriculture raisonnée. Il a même investi dans Beyond Meat, la star du steak végétarien. Même le diable se convertit dou­cement à la soupe de betterave et aux viandes de champignon.

PERTES & PROFITS | CARGILLpar philippe escande

Même le diablemange végétarien

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Page 17: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 économie & entreprise | 17

Le sur­mesure gagne du terrain dans l’immobilierFace à l’insistance des acquéreurs, qui tiennent de plus en plus à être associés à la conception de leur logement, l’heure est à la personnalisation chez les promoteurs. Une tendance qui ne concerne plus seulement l’immobilier de luxe

L’ acquéreur d’un lo­gement neuf quis’apprête à débour­ser plusieurs cen­taines de milliersd’euros se voit sou­

vent proposer moins d’options etde choix d’aménagement quelorsqu’il achète une voiture à10 000 euros », observe Anned’Orazio, architecte et sociologue de l’habitat. Les surfaces pudique­ment qualifiées, dans les brochu­res commerciales, de « compac­tes », sont, en réalité, mesquines :un trois­pièces mesure en moyenne 63 m2, avec des cham­bres d’au plus 10 m2… Comparéaux trois­pièces des années 1970 et 1980, le grand bond en arrièredans l’art de vivre est patent. En cause, le fait que la moitié de la production de logements par des promoteurs soit réservée à des in­vestisseurs peu exigeants.

Les normes de construction,dont celles – valides jusqu’en oc­tobre 2019 – facilitant l’accès aux personnes à mobilité réduite, consomment des mètres carrés afin de permettre la circulation pour les fauteuils roulants, no­tamment en couloirs et toilettes. Elles auraient dû avoir pour con­séquence d’augmenter la superfi­cie globale habitable, mais se sont, au contraire, conjuguées à l’augmentation des prix pour ro­gner les pièces à vivre.

« Lorsque j’ai acheté mon appar­tement neuf à Montreuil [Seine­Saint­Denis], j’ai dû, très vite aprèsavoir emménagé, débourser plu­sieurs milliers d’euros pour dépla­cer des cloisons afin d’agrandir machambre en prenant sur les toilet­tes, changer le sens des portes etcaser une bibliothèque dans l’en­trée surdimensionnée, expliqueune habitante. Mon voisin a été plus malin : il avait d’emblée de­mandé au promoteur de ne mon­ter aucune cloison. Il a payé moinscher au départ et a tout aménagélui­même. »

« La production ultrastandardi­sée génère des frustrations et tend les relations entre acquéreur et promoteur au moment de la livrai­son », analyse Rabia Enckell, qui a travaillé dix ans chez des acteursdu secteur avant de fonder, en 2012, la société Courtoisie ur­baine. Celle­ci vise à transcrire les besoins des habitants et, partant, d’inventer des solutions à suggé­rer aux promoteurs.

La personnalisation du loge­ment est devenue tendance et ré­pond à une demande insistante de la part des clients. Cela va bien au­delà des habituelles options dechoix de revêtement des murs et sols. Il s’agit de redéfinir des espa­ces, la typologie des apparte­ments et même les parties com­munes (local à vélos enfin spa­cieux, salle d’activités, espace decoworking, jardin partagé, cham­bre d’hôtes…).

« ANTICIPER LES BESOINS »« Un tiers de nos clients souhaitentparticiper à l’élaboration desplans, confie Bruno Derville, di­recteur général de l’immobilier résidentiel chez Vinci Immobi­lier. Au début, nous sommes allés très loin, en proposant de toucher jusqu’à l’enveloppe de l’immeuble, mais nous sommes un peu reve­nus là­dessus et, dans nos opéra­tions à venir, à Lyon Oasis [Rhône],

Guyancourt ou Voisins­le­Breton­neux [Yvelines], nous présentons quinze plans différents par appar­tement, avec cuisine ouverte ou fermée, petite ou grande salle d’eau, chambre d’enfant plus vasteque la suite parentale… Quant aujardin collectif, nous le livrons brutet les habitants définissent encommun ce qu’ils veulent y met­tre : plantations, jeux… »

La personnalisation des loge­ments se transforme en métier à part entière et son industrialisa­tion est permise grâce à des outilsinformatiques et à des algorith­mes. C’est ce que propose lasociété Habx, qui met à la disposi­tion des acquéreurs et des promo­teurs un configurateur en 3D. « Onpeut tout faire, de la couleur du pa­pier peint à l’enveloppe du bâti, souligne Benjamin Delaux, sonfondateur. Mais nous bridons nos programmes pour ne pas effrayer les promoteurs. Grâce à notre ex­

périence de 500 appartementsdéjà personnalisés, nous pouvons anticiper les besoins selon les ca­ractéristiques socioprofessionnel­les des acheteurs et le lieu de l’im­meuble. »

Vinci Immobilier mais aussiIcade, qui a basculé toute sa pro­duction de logements selon cemode, sont partenaires d’Habx,

laquelle s’exporte aujourd’hui aux Etats­Unis. Certains pro­grammes s’en trouvent profon­dément modifiés. Cela estnotamment le cas à Levallois­Per­ret (Hauts­de­Seine), où un im­meuble prévu pour abriter 118 ap­partements n’en comptera que92, nettement plus grands et ven­dus non pas à des investisseurs, mais à des occupants.

Le sur­mesure n’est d’ailleursplus réservé aux logements de luxe : le bailleur social 3F s’estégalement associé à Habx dans une opération d’accession socialeà Champs­sur­Marne (Seine­et­Marne), comme le Logement français dans un quartier priori­taire de Sartrouville (Yvelines), où« le promoteur avait imaginé desT1 et des T2 pour investisseurs, mais (…) a finalement vendu desappartements plus grands à deshabitants sur place », se félicite M. Delaux.

« ÉCONOMISER SUR LES FRAIS »Le concept s’applique même à la location HLM : « Le bailleur social Seine­Saint­Denis Habitat a l’habi­tude de doter tous ses logements d’un balcon mais, consultées, lamoitié des familles ont dit préférer un cellier. En outre, 70 % souhai­taient une douche plutôt qu’une baignoire. Surtout, les familles voulaient participer à l’entretien età la gestion de l’immeuble, à la sor­tie des poubelles, au ménage dans les parties communes, en contre­partie d’une baisse de leurs char­ges », raconte Guillaume Ginebre, de l’association Entreprise et pau­vreté, intermédiaire dans cette opération.

« Nos clients d’un programmedans le quartier Confluence, àLyon, nous ont étonnés par leur ca­pacité à anticiper l’usage de leur logement, note Fabrice Bonna­mour, directeur commercial de Bouygues Immobilier Rhône­Al­pes. Un couple voulait une cham­bre temporairement communi­cante avec celle de leur futur bébé, un autre des portes coulissantes pour ouvrir le séjour sur une cham­bre en cas de réception. On nous a réclamé des loggias fermées, des duplex que nous n’aurions pas spontanément proposés. »

Une douzaine de réunions ani­mées par Evariste Barré, assistant en maîtrise d’usage – un nouveau métier – a réuni les onze ménagessélectionnés parmi les nombreuxcandidats : « On perd un peu detemps en amont, mais on en gagneensuite, puisqu’il n’y a plus de sur­prises ni de revirements coûteux, se félicite­t­il. La nouvelle copro­priété entre gens qui se connais­sent et ont tissé des liens démarresur de bien meilleures bases. »

« Pris très en amont, les désirsparticuliers des clients ne coûtent pas grand­chose et, si on réunit les futurs habitants d’un immeuble neuf avant de déposer le permis deconstruire, on peut anticiper lesaménagements, prévoir des espa­ces communs généreux, économi­ser sur les frais de commercialisa­tion et de communication pour financer cette concertation et, sur­tout, satisfaire des clients enthou­siastes à l’idée de coconcevoir leur logement », conclut Rabia Enckell, qui pilote au total une quinzainede projets.

isabelle rey­lefebvre

« Un tiers de nos clients

souhaitent participer

à l’élaboration des plans »BRUNO DERVILLEdirecteur général

de l’immobilier résidentielchez Vinci Immobilier

PLEIN CADRE

dans la construction de logements, la contrainte d’accessibilité a été assouplie par l’arrêté du 11 octobre 2019, en applica­tion de la loi ELAN (évolution du logement,de l’aménagement et du numérique) datéedu 23 novembre 2018. En conséquence, il est désormais possible de déroger aux nor­mes dites PMR (personnes à mobilité ré­duite), à condition que le logement soit « évolutif », c’est­à­dire adaptable à ces per­sonnes par des « travaux simples ».

Pour tout programme de logementsneufs, le promoteur n’est ainsi plus tenu delivrer que 20 % d’appartements aux nor­mes PMR, contre 100 % auparavant, quand

ce n’est pas l’acquéreur lui­même qui re­nonce à ces normes et exonère le promo­teur de cette obligation. Y échappent aussi les appartements non desservis par un as­censeur, mais un tel équipement est doré­navant obligatoire dès le troisième étage, contre le quatrième auparavant.

Pour les 80 % restants, il faut tout demême que le logement propose un séjour accessible en fauteuil roulant et soit trans­formable. Ainsi, ses cloisons doivent pou­voir être abattues facilement, donc êtrelibres de toutes conduites d’eau, d’électri­cité ou de chauffage, réservées aux mursporteurs.

La baignoire doit, ici aussi, pouvoir êtreaisément démontée et remplacée par une douche à bac extra­plat, de quelques centi­mètres de ressaut, sans autre précision… Jusqu’au comité interministériel du handi­cap, réuni le 3 décembre 2019, qui a sou­haité un ressaut nul, c’est­à­dire une dou­che à l’italienne. Cela implique un siphon intégré au sol dès la construction, soit, en cas de baignoire, un double siphon. « La bai­gnoire n’est pas proscrite et certains la préfè­rent, mais il faut anticiper le besoin d’une douche de plain­pied », explique NicolasMérille, de l’association France Handicap.

i. r.­l.

La souplesse retrouvée des normes pour personnes à mobilité réduite

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Page 18: Le Monde - 09 01 2020

18 |management JEUDI 9 JANVIER 20200123

CARNET DE BUREAU CHRONIQUE  PAR  ANNE  RODIER

RENOUVELER LA LUTTE SOCIALE

L e titre de l’ouvrage de Fio­dor Rilov – Qui a tué vosemplois ? – est aussi laquestion que « l’avocat

rouge » pose, depuis plus de quinze ans, aux victimes des plansde licenciement économiques. « Avec eux, je cherche à dévoiler les décisions et les logiques financièresqui ont poussé au crime. Je pour­chasse les assassins qui, dans le se­cret feutré des conseils d’adminis­tration et des comités de direction, dans la langue policée des gestion­naires, scellent la mise à mort de milliers de contrats de travail en France, en toute impunité. »

Dans son ouvrage, écrit avec lajournaliste Alexia Eychenne, le défenseur de salariés de Goo­dyear, Continental, Faurecia, Samsonite, 3Suisses, UPS, Flodor,Coca­Cola, etc., revient sur ses grands dossiers. Chaque affaireest l’occasion de révéler les méca­nismes de l’injustice sociale. « Mi­ses bout à bout, toutes ces bataillesnous racontent une guerre idéolo­gique. En quinze ans, les gouverne­ments successifs n’ont pas seule­ment cherché à démolir le code du travail en réduisant les droits dessalariés, mais l’ont remodelé en ac­cordant aux entreprises une multi­tude de nouveaux pouvoirs. »

La remise en cause du principeselon lequel l’employeur ne peut licencier que s’il dispose d’un mo­tif valable en est, d’après M. Rilov, la parfaite illustration. La dernièreréforme du code du travail par or­donnances a plafonné le montant

des indemnités prud’homales ac­cordées aux salariés en cas de li­cenciement sans cause réelle et sérieuse. « Désormais, un patron est donc prévenu du tarif qu’ilpaiera s’il licencie sans justifica­tion. Mais s’il est assez riche pour assumer ce coût, qu’est­ce qui le re­tient ? »

En même temps, l’opacité pro­gresse. La directive européenne sur le secret des affaires, transpo­sée en droit français en 2018, ren­force ainsi « le paravent qui esca­mote les coulisses des entreprises. Parmi de multiples effets pervers,elle risque d’empêcher un peu plus les salariés de distinguer qui est maître de leur emploi, de leur sa­laire et de leurs conditions de tra­vail. » Comment, dans ces condi­tions, combattre les décisions decelui dont on ne connaît ni l’iden­tité ni la localisation ?

Dernière autorité étatiquePendant que les camps des entre­prises et des financiers prennent du poids, les contre­pouvoirs s’af­faiblissent. « L’organisation, ausens syndical du terme, était tradi­tionnellement faite d’une stratégieglobale de combat pour une amé­lioration immédiate et générale des conditions de travail, d’uneprésence massive dans les entre­prises, d’une formation politique solide, de réunions régulières et d’échanges permanents. Tout celas’est disloqué. »

D’après l’avocat, les juges sont ladernière autorité étatique capable

d’empêcher concrètement les puissances du capital d’accomplirleurs méfaits. « Tous les autrespouvoirs publics se contentent au mieux d’afficher leur opposition, tout en reconnaissant leur impuis­sance. Mais on ne changera pas le monde à coups de procès. »

L’aspiration à la lutte sociale estmajoritaire en France et cherche des pratiques nouvelles. Les fron­tières entre les mondes politique et syndical doivent s’estomper, es­time M. Rilov. Comment ? « Bien plus que les partis politiques qui s’affichent comme révolutionnai­res, les salariés mobilisés contre la fermeture d’une usine ont la con­viction profonde que l’Etat peut soumettre les puissances économi­ques (…). Puisons dans leur pratiquel’énergie dont nous avons besoin pour reconstruire une organisationpolitique capable de changer radi­calement la société. »

margherita nasi

QUI A TUÉ VOS EMPLOIS ?de Fiodor Rilov et Alexia Eychenne Seuil, 208 pages, 16 euros

Médecine du travail : les téléconsultationsse multiplient… et montrent leurs limitesFace à la pénurie de professionnels, des essais d’examen à distance voient le jour

C’ est une petite révo­lution pour la mé­decine du travail duLoiret. D’ici quel­

ques semaines, certains rendez­vous médicaux se feront par téléconsultation. Au côté d’une infirmière, les salariés concernéséchangeront par écran interposéavec un médecin situé à unesoixantaine de kilomètres dedistance. Chargée de cette expé­rimentation au sein du Comité interentreprise d’hygiène du Loi­ret (CIHL), la médecin du travail Isabelle Lepetit assurera ces con­sultations depuis Orléans.

« A l’origine de ce dispositif, il y abien sûr le déficit important de temps médical dans certaines zo­nes rurales du département », ex­plique­t­elle. Un déficit qui dé­coule de la diminution continue des effectifs en médecine du tra­vail, en particulier dans les terri­toires les moins peuplés. Dans de nombreuses régions à travers la France, on manque de profes­sionnels de santé, et la présence de quelques médecins retraités reprenant du service ne change guère la donne. Quant aux pro­

fessionnels étrangers, qui repré­sentent parfois la majorité des re­crutements, « ils n’ont souvent pasd’expérience de la médecine du travail et doivent donc être formés avant de pouvoir intervenir et en­cadrer des équipes pluridiscipli­naires », poursuit Mme Lepetit.

C’est donc pour tenter de luttercontre cette pénurie de médecinsque des réflexions se multiplient,dans le Loiret comme ailleurs, sur la mise en place de télé­consultations médicales. « Nous n’en sommes qu’aux balbutie­ments, mais le potentiel de déve­loppement est considérable au vu des problématiques de démogra­phie médicale », reconnaît Cathe­rine Pinchaut, chargée des ques­tions de santé au travail à laCFDT. Un développement que le rapport Lecocq sur la santé au tra­vail (août 2018) a justement ap­pelé de ses vœux, afin de « répon­dre aux disparités territoriales ».

De nombreuses interrogationsLa médecine du travail devant la caméra : c’est déjà une réalité dansl’Oise. Micro­casque sur les oreilles, Muriel Legent mène ré­gulièrement des consultations viases deux écrans. Depuis 2019, son service de santé au travail, Médi­sis, propose des visites à distance aux caristes intérimaires qui ont l’obligation de passer devant le médecin avant leur prise de poste.« S’ils n’ont pas de visite, ils n’ont pas d’emploi », résume­t­elle.

Or, comme dans le Loiret, lescentres médicaux en zone rurale ont, dans l’Oise, du mal à répon­dre à toutes les demandes. Cer­tains intérimaires doivent donc sedéplacer à Beauvais pour effec­tuer leur visite. « Mais l’expérience montre que lorsqu’on annonce qu’il faudra faire deux heures de route pour rencontrer un médecin, certains d’entre eux ne viennent pas », explique Olivier Hardouin, directeur général de Médisis.

Le centre de médecine du travaila donc fait l’acquisition de deux « chariots de téléconsultation » permettant, dans les zones où la démographie médicale pose pro­blème, d’accueillir ces intérimai­res, « avec leur consentement », précise M. Hardouin. « Une infir­mière est présente à leurs côtés. Ellea été formée à certaines pratiques, explique Mme Legent. Elle peut par ailleurs nous donner des indica­tions précieuses, par exemple que la personne boitait en arrivant. » De son poste, le médecin suit les examens (tests auditifs…), mais peut aussi intervenir à distance, notamment pour observer l’inté­rieur des oreilles à l’aide de la ca­méra présente sur l’otoscope. « Untemps est également consacré à l’échange avec l’intérimaire », poursuit la médecin du travail.

Annoncé comme une solutionefficace face aux déserts médi­caux, le recours à la téléconsulta­tion suscite dans le même temps de nombreuses interrogations dans le secteur de la médecine dutravail. « La relation via une ca­méra ne va­t­elle pas complexifier les échanges sur des sujets délicatscomme les rapports sociaux autravail ? », note ainsi Fabienne Bardot, médecin du travail dans le Loiret. D’aucuns craignent ainsi que la qualité de la discus­sion ne se dégrade et n’altère lacapacité des praticiens à détec­ter les risques psychosociaux.« De même, certaines pathologies

physiques nécessitent une pré­sence pour pouvoir être bien ob­servées », poursuit Mme Bardot. Ceque confirme une médecin dutravail impliquée dans un projet de téléconsultation : « L’impossi­bilité de pratiquer des palpations peut être un réel problème. » Jé­rôme Vivenza, chargé des ques­tions de santé au travail à la CGT, fait part, lui aussi, de ses inquié­tudes : « Les téléconsultations nefont que gérer la misère. C’est un pis­aller qui permet au médecin de maintenir un lien à moindre coût avec le salarié, mais il va se trouver inévitablement mis à dis­tance des lieux de travail qu’il doit pourtant observer. »

Face à ces inquiétudes, les pro­moteurs de la téléconsultation mettent en avant les précautions prises lors du déploiement de ces nouveaux process. De fait, la pra­tique est aujourd’hui circonscrite à certains publics. « Nous souhai­tons que les visites précédant les reprises de travail demeurent pour l’instant en conditions réel­les », indique M. Hardouin. De même, les professionnels desanté engagés dans un projet de téléconsultation précisent, com­me Mme Legent : « Au moindre doute, nous demandons à la per­sonne de réaliser une seconde vi­site en présentiel. »

La téléconsultation est un outil« utile » mais dont l’usage doitêtre réfléchi, et qui ne doit pas être « une fin en soi », prévient William Dab, professeur au CNAM. « Les télécabines ne vont pas résoudre magiquement les problèmes de santé au travail et diminuer le niveau de risque en entreprise », met­il en garde, sou­lignant l’importance pour les ac­teurs de la santé au travail de « ré­fléchir plus globalement à leur of­fre de services en direction desorganisations afin de garantir, en­fin, une meilleure prévention ».

françois desnoyers

LES CHIFFRES

5 291médecins du travail étaient en exercice en France en 2018, se-lon le ministère de la santé. Leur âge moyen atteint 55 ans.

7,9c’est la moyenne du nombrede médecins du travail enexercice en France pour 100 000 habitants. Mais ils sont 14,7 en Ile-de-France, contre 6,5 en Aquitaine comme en Bourgogne.

AVIS D’EXPERT | DROIT SOCIALLe harcèlement managérial mieux cerné

I l n’est pas étonnant, le harcèlement mana­gérial étant hiérarchiquement transmissi­ble, qu’un juge pénal soit appelé à se pro­

noncer sur la responsabilité personnelle desvéritables décideurs. Et rien de nouveau dansle constat qu’un acte managérial banal puisse constituer un délit pénal : ainsi d’une discrimi­nation sur le sexe, ou de l’appartenance syndi­cale lors d’une mobilité. Plus délicat : dans lavie des grandes entreprises soumises à une fé­roce concurrence, comment séparer, en casd’urgence, les actes managériaux indispensa­bles à la survie de l’entreprise et « l’infraction pénale de harcèlement moral, constituée parune politique d’entreprise et d’organisation dutravail », pour reprendre les termes de la procu­reure de la République ?

Le jugement du tribunal correctionnel de Pa­ris du 20 décembre 2019 condamnant pour har­cèlement moral les trois plus hauts dirigeantsde France Télécom (PDG, DG, DRH), un groupe de plus de 100 000 personnes, à une peine deprison de douze mois (dont huit avec sursis) feradonc date, même si ce contentieux ne se ter­mine véritablement que dans trois ans, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Prévenir, sensibiliser, formerD’abord, parce que le procès ne s’est pas tenu de­vant un conseil de prud’hommes, où la preuvedu harcèlement est légalement facilitée, la chambre sociale de la Cour de cassation ayant, dès le 10 novembre 2009, créé le harcèlementmanagérial « mis en œuvre par un supérieur hié­rarchique », mais devant une juridiction pénale,où doivent régner l’interprétation stricte des textes et la constitutionnelle présomption d’in­nocence. Le choix de ce terrain était donc ris­qué. Le jugement fera date par sa créativité : sor­tir d’une logique individuelle pour constater la mise en place d’une nouvelle organisation col­lective « ayant pour objet ou pour effet d’altérer

la santé physique ou mentale » (article 222­33­2du code pénal). Au­delà du contexte très spécifi­que rappelé par le jugement, le décalage réside dans la gestion du temps.

Dans une entreprise en difficulté, les diri­geants veulent aller vite, sans toujours penser àl’indispensable accompagnement de ces rudeschangements sur le plan collectif mais aussi in­dividuel, a fortiori lorsqu’il s’agit de collabora­teurs à forte identité professionnelle. Avec les conséquences humaines que l’on connaît, etdes effets de réputation dévastateurs.

Que faire ? Il faut d’abord prévenir, dans l’inté­rêt bien compris des deux parties, en négociant avec les syndicats un ac­cord sur la qualité de vie au travail : bien faire son travail et bien­être au travail sont évidemmentliés, avec des effets sur l’absentéisme, le turno­ver, etc.

A fortiori depuis la loiPacte du 22 mai 2019 (« lasociété est gérée dans sonintérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environne­mentaux de son activité »), il faut aussi mieuxformer nos étudiants futurs cadres dirigeants aux sciences sociales, et leur faire vivre uneréelle car longue expérience de travail d’exécu­tion, donc de subordination sur le terrain. Assu­rer la présence d’un RH, généraliste, dans un pé­rimètre à taille humaine (de 200 à 300 salariés), avec pour correspondant un « représentant de proximité » des salariés, créé par accord collectif.Enfin, sensibiliser chaque cadre de proximité,celui qui côtoie quotidiennement et physique­ment chacun de ses collaborateurs.

Jean­Emmanuel Ray, professeur à l’école de droit de Paris­I­Panthéon­Sorbonne

IL FAUT MIEUX FORMER NOS ÉTUDIANTS FUTURS CADRES DIRIGEANTS AUX SCIENCES SOCIALES

B évues, loupés et autres erreurs sont une intarissa­ble source d’innovation pour les entreprises. Cer­taines, comme Safran, Google ou Blablacar ont in­tégré le droit à l’erreur à leur processus de produc­

tion. Se tromper souvent, et très vite tirer les leçons de seserreurs, c’est le propre du mode itératif, cher au manage­ment dit « agile ». Une occasion de comprendre ce qui a man­qué, de découvrir des solutions inattendues.

Mais qu’en est­il des échecs cuisants qui provoquent desdrames, comme les catastrophes de Boeing, ou d’Orange ? Ces échecs­là ne sont pas de simples projets infructueux, ils ont provoqué des drames : 346 morts lors de deux crashs de 737 MAX en cinq mois chez Lion Air (29 octobre 2018) et Ethiopian Airlines (10 mars 2019) ; une série de suicides chez France Télécom, dont les ex­dirigeants ont défilé à la barre dutribunal correctionnel de Paris pour revivre publiquement un système de harcèlement moral qui aura sévi entre 2007 et2010. La justice jugera le ou les responsables avec les élé­

ments qui sont les siens, affaire par affaire.Mais en matière de leçons à tirer pour

le management, « l’erreur n’est jamais uni­quement humaine. En entreprise, elle s’ins­crit dans des logiques de pouvoir. Il y a plu­sieurs registres à analyser, dont l’organisa­tionnel et le cognitif, car les responsablesn’entendent souvent que ce qu’ils veulententendre », explique le professeur de scien­ces de gestion Yvon Pesqueux.

L’erreur peut être liée à l’individu, aucontexte de travail, à l’organisation. Il cite trois types d’er­reurs : l’erreur constante prise dans le cadre de décisionstratégique, pour réagir à la concurrence dans l’urgence ; les erreurs comportementales comme dans l’affaire Ghosn, où « il a fallu qu’il soit en prison pour qu’on envisage que le dirigeant [de Nissan et Renault] soit critiquable », et, enfin, l’erreur contextuelle, qui consiste à appliquer une solution inadaptée au problème : le drame de France Télécom illustre, entre autres, la méconnaissance des fondements concep­tuels de la « courbe de deuil » utilisée par les dirigeants pour faire accepter le changement.

Quelle que soit la gravité de la situation, l’analyse del’échec est à la fois source de prévention et d’innovation pour l’entreprise. La prise de conscience des risques psycho­sociaux par les grandes entreprises doit beaucoup au drame de France Télécom.

L’échec est « une ressource stratégique », écrivent JohnDanner et Mark Coopersmith dans leur ouvrage The Other « F » Word (John Wiley & Sons, 2015), à condition de tenircompte de la nature de l’erreur originelle, expliquent les deux professeurs d’innovation de l’université californienne de Berkeley. Car c’est elle qui permet de repenser le proces­sus de décision en prêtant une grande attention aux alertes internes. Les signaux faibles regorgent de valeur ajoutée.

LES ERREURS SONT UNE SOURCE 

D’INNOVATION POUR LES 

ENTREPRISES

Selon le docteurBardot,

l’impossibilitéde pratiquer

des palpationspeut être

un réel problème

Quelle valeur ajoutée tirer des échecs de 2019 ?

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Page 19: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 horizons | 19

Le rôle moteur de Darren WalkerLA PHILANTHROPIE, UNE HISTOIRE AMÉRICAINE 3|5 Pour cet Afro­Américain de 59 ans, responsable de la puissante Fondation Ford, les milliardaires doivent s’attaquer aux causes profondes des inégalités sociales et non se donner bonne conscience en fin de course en distribuant une partie de leur argent

new york ­ correspondant

C’ était il y a cinq ans. Cesoir­là, Darren Walkerassistait à l’un de cesgalas caritatifs new­yor­kais où se presse la hautesociété américaine : robes

du soir, smokings, champagne et carnets de chèques pour faire de généreuses donations. Pendant les agapes, le patron de la Fondationphilanthropique Ford, qui gère 12 milliards de dollars (10,8 milliards d’euros), reçoit de sasœur un SMS accompagné de photos. C’estl’enterrement de sa tante Bertha, en Loui­siane. M. Walker voit sur l’une des imagesun homme noir en tenue de prisonnier : il s’agit de son cousin, qui a été exceptionnelle­ment autorisé à sortir de prison, escorté d’unpolicier blanc, pour assister aux funérailles de sa mère. Darren Walker ressent un pro­fond malaise : « Je me sentais désespéré par la manière indigne et cruelle dont mon cousin avait été conduit à ces obsèques. »

Aujourd’hui, cet Afro­Américain de 59 ansnavigue dans les hautes sphères new­yorkai­ses, mais il est issu de l’Amérique pauvre et ségréguée. Il a vu le jour en Louisiane en 1959,à l’hôpital de charité de Lafayette, « parce que c’est là que les pauvres étaient soignés ». Pèreinconnu, trois sœurs, Darren Walker a eu la chance, dans son enfance, de bénéficier d’un programme public en faveur des Noirs lancé par le président de l’époque, Lyndon John­son. Et de réussir formidablement après avoir étudié le droit à Austin (Texas). « Il y atoujours une certaine culpabilité qui vientavec le succès, une crainte de ne plus compren­dre comment vivent les gens pauvres dontvous avez partagé la condition et de ne plus être proche d’eux », confesse­t­il.

Bien sûr, Darren Walker est en contact régu­lier avec sa mère et ses sœurs, mais il a changé de monde, comme en attestent sonsalaire annuel de 800 000 dollars et leslocaux somptueux de la Fondation Ford, qui l’a embauché en 2013, avec leur immense jardin d’hiver, où il reçoit Le Monde, à deuxpas des Nations unies. Darren Walker nerejette pas son nouvel environnement nisa rémunération. « Je suis capitaliste, pré­vient­il, mais le capitalisme doit changer, sinon il va abîmer notre démocratie. »

« NOUVEL ÉVANGILE »Le capitalisme a déraillé à force d’être inégali­taire. Et lui, le Noir homosexuel venu du Sud profond, peut avoir le sentiment d’être unalibi, la belle histoire qu’on exhibe. « Parfois, on me dit : “Voyez, c’est possible, vous avezréussi.” Regardons les chiffres ! Je ne suis pasune exception, dans ma génération. La ques­tion est de savoir si c’est encore possible. Si vous voulez le rêve américain, déménagez auCanada ! » De fait, la question noire reste ouverte : le salaire médian d’un Afro­Améri­cain est de 40 000 dollars, contre 61 000 pourl’ensemble de la population. Un tiers desNoirs âgés de 18 à 24 ans suivent des études universitaires, contre 42 % des Blancs, tandis que les Noirs représentent un tiers des condamnés dans les prisons alors qu’ils ne constituent que 12 % de la population.

En 2015, Darren Walker secoue le mondepaisible de la philanthropie à l’américaine,habitué à ronronner entre bienfaisance et bien­pensance. « Pourquoi rendre l’argent nesuffit pas », écrit­il dans une tribune publiéepar le New York Times. A la fin du XIXe siècle, le magnat de l’acier Andrew Carnegie avaitfondé la philanthropie moderne en écrivant, dans son Evangile de la richesse (1889), queles inégalités étaient inévitables et qu’il fal­lait les réduire en redistribuant sa fortune.Darren Walker, lui, appelle à agir en amont, à empêcher que les inégalités ne se créent. « Le “nouvel Evangile” devrait commencer là où le précédent a échoué : traiter les causes pro­fondes qui permettent à la souffrance hu­maine de se perpétuer », écrit­il.

Le texte est publié cinq ans après que le fon­dateur de Microsoft, Bill Gates, et l’investis­seur Warren Buffett ont appelé les milliardai­res à céder la moitié de leur fortune à des œuvres philanthropiques. Comme si cela suf­fisait. « Ceux qui ont profité d’un système iné­galitaire sont aussi ceux qui sont invités à corri­ger ces inégalités, mais ils ne veulent pas remet­tre en question un système qui a produit leur richesse, accuse Darren Walker. Les inégalitésne tombent pas du ciel, elles sont construites.

Ce système doit être déconstruit. » Interpelléepar cet appel, l’Amérique s’interroge (très) timidement. La philanthropie panse­t­elle les plaies de la société ou bien est­elle la soupape qui permet aux riches de continuer à régner sur les Etats­Unis sans que rien ne change ?

Commençons par le mode d’action des phi­lanthropes, qui prétendent faire le bien tout en nageant dans le luxe et l’argent. L’itiné­raire de M. Walker reflète cette ambiguïté. En 1995, après avoir travaillé dix ans à WallStreet dans un cabinet d’avocats, puis à la banque UBS, il rejoint l’Abyssinian BaptistChurch, « la plus vieille congrégation afro­américaine de New York », pour exercer untravail « plus aligné avec [son] désir personnel de contribuer à la justice sociale ». Il lance alors, avec son Eglise, un curieux projet àHarlem : créer un supermarché. « Ce quartier de New York était aussi peuplé qu’Atlanta etn’avait pas de supermarché. Il faisait partie des déserts alimentaires américains, souventurbains, où il n’y a pas d’accès à de la nourri­ture fraîche et de qualité, raconte DarrenWalker. Il y avait toutes sortes de préjugés :que ce ne serait pas un succès, qu’il y aurait duvol à l’étalage… » In fine, une chaîne de distri­bution tente l’aventure, et le magasindevient l’un des plus rentables du groupe.

Travailleur social, Darren Walker devientaussi un ami des puissants. « Je n’ai pas

besoin d’aller voir Bob Rubin et Roger Altman[tous deux anciens secrétaires au Trésorde Bill Clinton]. Ce sont eux qui viennent à laFondation Ford », a­t­il expliqué à l’ancienjournaliste du New York Times Anand Giridharadas. Dans ce petit milieu où tout lemonde est « ami », il reçoit un jour un appeld’Agnes Gund. Agée de 81 ans, cette fille d’unbanquier de Cleveland (Ohio) est une collec­tionneuse d’art hors pair devenue richis­sime. Elle vient d’assister à la première deTreizième, un documentaire d’Ava DuVernaysur le système carcéral. Treizième comme le13e amendement de la Constitution, quiinterdit l’esclavage.

CAVALIER SEULChoquée par tant d’injustice, la vieille damerentre chez elle, décroche une toile de RoyLichtenstein qu’elle vend 165 millions dedollars à un gestionnaire de hedge funds.Dans la foulée, elle signe un chèque de100 millions de dollars pour fonder, avec Darren Walker et la Fondation Ford, l’asso­ciation Art for Justice. Le principe : réformerla justice pour lutter contre la surpopula­tion carcérale, notamment afro­américaine.« Nous voudrions réduire de 20 % la popu­lation noire qui va en prison », annonceAgnes Gund aux côtés de Darren Walker lorsde la présentation du projet, en 2017.

Cette méthode paternaliste peut créer uncertain malaise, mais elle est parfois la plus efficace. Après tout, ce sont les milliardaires de tout bord qui ont permis d’avancer sousDonald Trump, début 2019, sur une réformecarcérale bloquée depuis des années par les politiques. Et ce n’est pas nouveau. Histori­quement, les philanthropes américains, Blancs du Nord, étaient plutôt progressistes, tandis que les électeurs et responsables politi­ques du Sud étaient réactionnaires. Ainsi en va­t­il de la Fondation Rockefeller, que DarrenWalker rejoignit dans les années 2000 pourparticiper à la reconstruction de La Nouvelle­Orléans après le passage du cyclone Katrina.

Cet intérêt des riches pour le Sud remonteau magnat du pétrole John D. Rockefeller Senior (1839­1937), homme d’affaires détestémais abolitionniste. Dès les années 1880, cebaptiste protestant se lance dans l’émancipa­tion du Sud et finance, à Atlanta, une univer­sité pour femmes noires baptistes. Au tour­nant du siècle, ses fondations jouent le rôle que refuse d’endosser la puissance publique. Les Etats ne veulent pas créer d’écoles publi­ques ? Les fondations Rockefeller se chargent de payer les professeurs. Les fermiers du Sud ne gagnent pas assez pour y envoyer leurs enfants ? Elles diffusent les techniques agri­coles modernes destinées à améliorer ren­dements et profits. Cette incursion ne plaît guère, mais le bilan est édifiant. « Uneénorme quantité de bien a été accomplie », estime à juste titre David Rockefeller Jr, arriè­re­petit­fils de John Rockefeller.

Sauf que les milliardaires ont déréglé lesystème éducatif en se lançant de la sortedans un cavalier seul contesté. Il y a l’évidentreproche : la richesse va à la richesse. Ainsi, les donateurs font assaut de générosité…pour les universités les plus riches (1 % desétablissements ont raflé, en 2017, 28 % des43 milliards de dons attribués aux universi­tés américaines). « Les écoles déjà biendotées reçoivent la plus grande part des donations, tandis que les universités histo­riquement noires touchent très peu ou pas de fonds », déplore M. Walker, qui y voit « un héritage du racisme ».

SYSTÈME MIXTEL’arbitraire semble parfois saugrenu. Lemilliardaire Stephen Schwarzman, fonda­teur du groupe d’investissement Black­stone, a défrayé la chronique en donnant25 millions de dollars à son ancien lycée, en banlieue de Philadelphie. Eva Durham, une mère d’élève qui enseigne l’anglais en cen­tre­ville, s’insurge : « Toutes les écoles ont besoin d’argent, mais elles n’ont pas d’anciensélèves pour les financer, elles ! »

Le cas le plus contesté est celui du patron deFacebook, Mark Zuckerberg, qui mobilisa 200 millions de dollars, en 2010, pour releverle niveau des écoles de Newark, ville­dortoir située en face de New York. Les élèves ont progressé en anglais, mais pas suffisammenten mathématiques. David Rockefeller Jr lui­même est très critique : « Des gens fortunés ont estimé qu’ils étaient si intelligents qu’ils étaient aussi capables de réparer le système éducatif. Quand ils dépensent 200 millions de dollars et que rien n’arrive, cela nourrit les arguments contre la philanthropie. »

Spontanément, un esprit européen rêve­rait d’une solution politique, d’un nouveau New Deal. Mais l’Amérique n’est pas l’Eu­rope. Plus que les milliardaires transformésen philanthropes, ce sont les électeurs qui bloquent : ils refusent, par opposition àl’Etat central, de porter une majorité pro­gressiste au pouvoir pour s’attaquer à cesinégalités et discriminations. « L’Etat ne lefera jamais. Les gouvernements ont unecaractéristique intrinsèque : gaspiller del’argent », cingle Linda Thorell Hills, arrière­petite­fille du magnat de l’acier Carnegie. « Sivous connaissez l’histoire des Etats­Unis, vous comprenez pourquoi souvent des Blancspauvres, qui ont beaucoup en commun avec des Noirs pauvres, ne considèrent pourtantpas que leurs intérêts sont communs. A causede la race », abonde Darren Walker.

A écouter les philanthropes, la situationidéale fut celle des années 1960, lorsquele président démocrate Lyndon Johnsonaccompagna le combat des Noirs pour lesdroits civiques contre les Etats du Sud et lasociété blanche. Ainsi Darren Walker béné­ficia­t­il du programme pilote financé par l’Etat fédéral, mais celui­ci avait été élaborésur les fonds privés de la Fondation Ford,qu’il dirige aujourd’hui. « Il est très rare de pouvoir déployer à grande échelle un pro­gramme antipauvreté sans financementgouvernemental », résume­t­il. Un systèmemixte où Etat et fondations marcheraientde concert, voilà l’idéal. Avec la sagesse des fils de vieilles familles, David Rockefeller Jrveut rêver : « J’espère qu’il y aura bientôt unprésident qui voudra travailler avec le secteurprivé pour résoudre le problème des pauvreset des minorités. »

arnaud leparmentier

Prochain épisode Paul Allen, bienfaiteur controversé de Seattle

La collectionneuse Agnes Gund et le président de la Fondation Ford, Darren Walker, ont fondé, en 2017, le fonds Art for Justice. ALLISON MICHAEL ORENSTEIN/CONTOUR/GETTY IMAGES

« JE SUIS CAPITALISTE, MAIS 

LE CAPITALISME DOIT CHANGER, 

SINON IL VA ABÎMER NOTRE 

DÉMOCRATIE »DARREN WALKER

président de la Fondation Ford

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Page 20: Le Monde - 09 01 2020

20 | CULTURE JEUDI 9 JANVIER 20200123

Joël Pommerat et « le fantasme du vrai »Le dramaturge présente à Nanterre « Contes et légendes », où dix comédiennes jouent des enfants et des robots

ENTRETIEN

J oël Pommerat revient sur lesscènes françaises, après lesuccès de Ça ira (1) Fin deLouis, son spectacle sur laRévolution française, créé

en 2015 et qui a tourné à travers lemonde pendant quatre ans. Ce re­tour a lieu avec une création en apparence aux antipodes : futu­riste, modeste dans sa forme, por­tée par d’autres comédiens queceux de sa troupe habituelle.

Après « Ça ira (1) Fin de Louis », qui couvre la période allant de 1787 à 1791, on attendait « Ça ira (2) ». Pourquoi êtes­vous parti sur un tout autre projet ?

Parce que je n’étais pas prêt à en­visager une suite. Pour des rai­sons de fatigue, d’abord. Et puis si j’envisage de faire Ça ira (2) un jour, il faudra trouver une forme totalement renouvelée. Il s’agiraitde traiter de la période mytholo­gique allant de 1791 à 1795, autre­ment dit celle de la Terreur, en­core plus compliquée à représen­ter que la précédente. Evidem­ment, je me dis que cela aurait du sens de le faire aujourd’hui. Mais je n’ai pas encore trouvé la forme.

Quand je vois la plupart desœuvres portant sur cette période, j’ai un sentiment de trahison,d’instrumentalisation. Le Danton d’Andrzej Wajda est emblémati­que à cet égard : ce film fausse complètement le réel, de manièremanichéenne, pour en faire une critique de l’idéalisme commu­niste. Je n’aimerais pas être mal­honnête intellectuellement avecla réalité historique. Je n’ai pas re­noncé à l’idée de créer Ça ira (2), dereprendre un travail à partir desarchives. J’en ressens l’intérêt pour moi et pour notre époque. Mais il faudra du temps.

Comment êtes­vous passé de « Ça ira » à la création d’un spectacle d’anticipation met­tant en scène des adolescents et des robots humanoïdes ?

Après Ça ira, je me suis de­mandé si j’avais envie de conti­nuer le théâtre. Pour la première fois, le plaisir avait disparu. Alors je suis parti faire des choses diffé­rentes, et notamment travailleravec des détenus de la maisond’arrêt d’Arles. L’expérience im­pliquait le retour aux fondamen­taux du théâtre, que j’ai tant aimés à mes débuts. J’ai travaillé àl’opéra, aussi, j’ai avancé sur ce chemin de la complicité entre théâtre et musique.

Le désir de théâtre est revenuavec celui de mettre en scène des enfants. Les robots sont arrivéscomme une digression au départ,puis ils sont devenus importants. L’écriture s’est développée autour de cette question de l’humanité artificielle. L’acte fondateur de mon théâtre, c’est le travail avec les interprètes.

Les interprètes des adolescents et des robots, dans le spectacle, sont de jeunes comédiennes inconnues. Comment les avez­vous rencontrées ?

Depuis quelques années, j’orga­nise des ateliers de recherche,avec des comédiens et des comé­diennes qui me sollicitent. J’en aimené deux pour préparer cette création, au terme desquels j’ai re­tenu dix comédiennes. Ce ne sontpas des amateures, mais des jeu­nes femmes entre 26 et 32 ans quiont déjà un parcours théâtral. Letexte n’était pas écrit au départ. Nous avons travaillé en improvi­sations dirigées, sur des thèmes qui étaient surtout là pour nour­rir une recherche d’incarnation. Comment faire exister des corps, des voix, des individus ? Une bonne part de mon écriture est un prétexte à donner de la pré­sence à des personnages.

Comment expliquez­vous cette récurrence, chez vous, du thème de l’enfance ?

Je ne sais pas… Mais, dans ce tra­vail, j’ai eu l’impression qu’un es­pace s’ouvrait. Qu’en recommen­çant du théâtre avec des person­nages adultes j’allais être enfermédans mon cirque intérieur, repro­duire ce que j’avais déjà fait. D’où

ce sentiment, qui s’est confirmé, qu’en faisant vivre des enfants en­tre eux j’allais ouvrir de nouvellescases. Dans les contes que j’ai adaptés et mis en scène (Le Petit Chaperon rouge, Pinocchio et Cen­drillon), l’enfant était toujours en­visagé par rapport à des adultes. Ici, les enfants sont des personna­ges à part entière, dans une autre réalité, ce qui a ouvert un imagi­naire qui me plaît beaucoup.

Le spectacle s’appelle « Contes et légendes », mais on n’y décèle pas de traces de contes canoniques, et il est plus directement ancré dans le réel que les contes classiques…

Il y a de l’ironie dans ce titre. Leconte est un mot­valise, qui va bien à ces formes brèves, à ces pe­tites histoires indépendantes lesunes des autres. La légende, elle, renvoie à la question de la part construite et imaginaire en cha­cun de nous, qui est vraiment au cœur du spectacle.

Dans cette question de la part construite, il y a celle du genre, de la manière dont la virilité se compose, que vous sondez en faisant jouer tous les rôles, filles comme garçons, par des actrices. Pourquoi ?

C’est justement le fait que legenre masculin soit incarné pardes femmes qui fait sens pourmoi. Même si le spectateur ne leperçoit pas directement, incons­ciemment un trouble s’installe.On est au théâtre, on fait une ex­périence. Le fait d’incarner legenre masculin quand on a étésocialisé dans un autre genredemande une vraie action deconstruction : il faut « faire » legarçon, et, du coup, « faire » lafille. Cela ne va plus de soi et ré­vèle cette construction sociale.Cette pièce n’aurait pas de senspour moi si elle était jouée pardes garçons.

Le mot de « dystopie », très à la mode, vous convient­il pour cette pièce que vous

situez dans un futur relative­ment proche ?

Non, je préfère ceux d’anticipa­tion et de science­fiction. En fait,ce n’est pas très différent de Ça ira, mais dans l’autre senstemporel : il s’agit d’intégrer un élément fictionnel à une sociétéqui ressemble à la nôtre.

Comment sont arrivés les robots humanoïdes dans le texte ?

Par la même nécessité que celleque j’ai éprouvée par rapport à l’enfance : me confronter à l’in­carnation de cette réalité. Com­ment représenter le faux, le vide,l’artificiel, au théâtre, royaumedu faux et de l’artificiel dans le­quel je cherche naïvement, de­puis le début, la justesse, la crédi­bilité, la vérité. Sans être dupe. Ledéfi, c’était de chercher la jus­tesse du faux, de creuser cet anta­gonisme­là. C’est une question avant tout profondément théâ­trale. Le théâtre, pour moi, c’est chercher, et donner à voir dequoi nous sommes faits, entrel’intérieur et l’extérieur. L’articu­lation entre la construction so­ciale des individus et la construc­tion de créatures inventées estintéressante, elle conduit à s’in­terroger sur le fantasme du vraichez les êtres vivants.

Le spectacle « Contes et légendes » est construit autour d’une série de petits récits. ELIZABETH CARECCHIO

« Incarner le genre masculin

quand on a étésocialisé dans un autre genredemande une vraie action

de construction »

Comment avez­vous travaillé sur l’apparence de ces robots, joués par les comédiennes ? Avez­vous songé à employer des machines ou des marionnettes ?

Non. Ce qui m’intéressait, c’étaitde mettre en scène des robots res­semblants, entre la créature vi­vante et la poupée. Un peu dans lalignée des deux Blade Runner– qui m’ont beaucoup déçu – et dela série suédoise Real Humans. Trouver le léger décalage qui faitqu’on perçoit la différence, maisavec une marge suffisamment petite pour que ça ne devienne pas effrayant, que ne se produise pas « un effet Frankenstein ».

Parmi les nombreuses recher­ches que j’ai effectuées sur la ro­botique pour préparer le specta­cle, une théorie m’a particulière­ment intéressé, celle dite de « lavallée de l’étrange », du roboticienjaponais Masahiro Mori. Selonlui, plus un robot androïde est si­milaire à un être humain, plus sesimperfections nous paraissent criantes. D’où, jusqu’à présent, l’existence de robots clairement artificiels. Ce n’est qu’au­delà d’un certain degré de réalismedans l’imitation, toujours selon Mori, que les robots humanoïdes seront mieux acceptés. Les nô­tres, en tout cas, sont le résultat d’un travail sur les costumes, lesmaquillages, les perruques, et le jeu, bien entendu.

Dans votre spectacle, les robots ont­ils des sentiments ?

Cette question m’a occupé pen­dant des mois… Je suis allé dans une direction, puis je suis revenu en arrière. Je n’ai pas l’impression que ce soit ce que je montre, au fi­nal. Ces personnages de robots sont peu actifs, ils sont surtout spectateurs. Ils servent avant toutde révélateurs, ils mettent à l’épreuve cette question que je mepose depuis le début, sur ce que c’est que de vivre. Mais ce n’est pas ma démarche, ni mon pou­voir, de me saisir de cette dimen­sion philosophique, j’essaie juste d’entrer dans des données sensi­bles, des pistes qui restent de l’or­dre de l’intuition.

propos recueillis parfabienne darge

qui est homme, qui est robot ? Joël Pommerat sème le trouble, avec un art consommé, dans cette nouvelle créa­tion, Contes et légendes. Présenté par sonauteur lui­même comme un « petit »spectacle par rapport à Ça ira (1). Fin de Louis, son grand œuvre sur la Révolution française, celui­ci n’en plonge pas moins le spectateur dans unvertige sans fond.

Rien que de très simple, pourtant, enapparence, sur le plateau nu où débou­lent deux préadolescents mâles, face àune jeune fille dont ils se demandent si elle est un robot ou si elle est « vraie ». Lascène, d’une crudité et d’une vérité sai­sissantes, notamment dans la manièrede traduire au théâtre le langage « ensau­vagé » des jeunes d’aujourd’hui, inau­gure une série de petits récits qui ont en commun de se dérouler dans un monde

légèrement futuriste, où les hommes vi­vraient, au quotidien, avec des robots humanoïdes.

Dans ce monde­là, les robots rempla­ceraient, auprès des enfants, des pa­rents absents mais néanmoins sou­cieux jusqu’à l’obsession de la réussite scolaire et sociale de leur progéniture, etatteints du fantasme de l’enfant parfait.Dans ce monde­là, les robots seraientdoux et paisibles, et les jeunes se pren­draient d’affection pour ces créatures, une affection qu’ils pourraient ressentircomme réciproque, alors que, « dans lavie, plein de gens te marchent dessus »,constate l’un d’eux.

Il n’est pas question pour JoëlPommerat, qui toujours travaille en an­thropologue, de se livrer à une quelcon­que dénonciation de l’intelligence artifi­cielle et de ses dangers. Dans Contes et lé­

gendes, le robot est un miroir, un artificequi dévoile toutes les artificialités de l’homme, créature elle­même largementfabriquée et programmée. Notamment dans la distribution des rôles entre hom­mes et femmes, comme le montre une autre scène au rasoir, dans laquelle une sorte de « coach de virilité » dresse de jeunes garçons à se comporter « en hom­mes » – c’est­à­dire en prédateurs.

Extraordinairement incarnéComme toujours chez Pommerat, c’est à la fois cruel, plein d’humour, et extraor­dinairement incarné. L’auteur et met­teur en scène a mené un travail de direc­tion d’acteurs époustouflant avec les dix jeunes comédiennes inconnues qui, dans le spectacle, jouent aussi bien les garçons, les filles que les robots, avec unevéracité rare au théâtre. Les personnages

existent dans toute leur crédibilité, etnous mènent loin, très loin, dans l’inter­rogation sur nos vies humaines, sur les frontières qui les séparent des machines.

Même la mort ici semble être remiseen cause, en tant qu’ultime frontière. Carles robots meurent aussi. Et renaissent.Comme les hommes, si l’on en croit de nombreuses légendes religieuses dans l’histoire de l’humanité. En poussantainsi les curseurs du réel et du fantasti­que, du vrai et du faux, du construit etdu naturel, Joël Pommerat signe un spectacle magistral, dans son apparente simplicité.

f. da.

Contes et légendes, de et par Joël Pommerat. Théâtre Nanterre­Amandiers, 7, avenue Pablo­Picasso, Nanterre. Du 9 janvier au 14 février.

Ados et humanoïdes, main dans la main

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Page 21: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 culture | 21

Luca Giordano, peintre caméléon, au Petit PalaisL’artiste a su manier le pinceau au gré des modes et des circonstances

ARTS

D éfinir Luca Giordano(1634­1705) en quel­ques mots est facile.Né et mort à Naples,

sa carrière fut prolifique et réus­sie. Fils d’un peintre, très viteremarqué pour sa dextérité, il séjourne longuement à Rome, Parme, Florence et surtout à Venise, étudiant les maîtres du XVIe siècle et de la première moi­tié du XVIIe, les Flamands autantque les Italiens. Avant même sesvoyages, il reçoit ses premières commandes à Naples en 1664. De ce moment jusqu’à sa mort, il enexécute d’innombrables pouréglises et palais aristocratiques et royaux, dans sa ville, puis à Venise et un peu partout en Italie,et encore en Espagne où il s’éta­blit de 1692 à 1702 et est promu premier peintre du roi Charles II.Il est réputé avoir produit autourd’un millier d’œuvres, à fresqueet à l’huile sur toile, seul ou avec l’aide d’assistants. Ainsi est­il sans doute l’artiste le plus en vue de la seconde moitié du XVIIe siè­cle dans l’Europe du Sud.

Mais définir son art est bienmoins aisé. L’exposition du Pe­tit Palais à Paris invite à faire l’ex­périence de cette difficulté. Ellene compte pourtant que moinsd’une centaine d’œuvres, ce quiest peu au regard de sa produc­tion pléthorique, mais considé­rable dans la mesure où les fresques ne peuvent être qu’évo­quées – ce que tente une salle devidéos – et parce que Giordanoest un spécialiste des grands et très grands formats, difficile­ment déplaçables.

Il y a néanmoins une vingtainede toiles, exécutées pour des égli­

ses napolitaines, et apportéespour beaucoup par le Museo di Capodimonte, qui est le musée deNaples et le partenaire du PetitPalais dans l’organisation de larétrospective. Grâce à ces prêts,que met en valeur une scéno­graphie discrète, et grâce à la pré­sence d’œuvres du premier maî­tre de Giordano, Jusepe de Ribera (1591­1652), et de son aîné Mattia Preti (1613­1699), les conditionssont réunies pour que l’on sai­sisse ce qui est l’essence même deson art : sa capacité de transfor­mation. S’il avait été anobli – l’un des rares honneurs auxquels iln’eut pas droit –, le caméléon aurait été son animal héraldique.

AccumulationCette faculté se manifeste dès sa jeunesse. Son père, Antonio, le faitd’abord peindre d’après des estampes, dont celles de Dürer. Puis il se met à pasticher : des Na­politains peu connus aujourd’hui,Raphaël, Vaccaro et, naturelle­ment, Ribera, lui­même issu de Caravage. Que la même main puisse aller de Dürer au carava­gisme est symptomatique de sontalent pour le changement à vue. Que sa Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean­Baptiste soit mo­nogrammé RSFUR, pour Raphaël Sanzio Fecit Urbinas, et ne porte pas sa signature laisse perplexe :pastiche trop poussé ou volonté de produire un faux ?

D’autres cas sont moins équivo­ques : ils portent sa marque, bienqu’ils doivent l’essentiel à Cara­vage et à Ribera. Du premier, il re­prend la composition pour unChrist à la colonne entouré de sesbourreaux. Son Apollon et Mar­syas de 1660 rivalise avec celuique Ribera a peint en 1637. Les deux œuvres étant réunies dans l’exposition, la comparai­son rend sensible ce qu’il y a d’in­sistant dans Giordano. Dans le Ribera, la souffrance du fauneMarsyas qu’Apollon écorche vifpour le punir d’avoir osé le défierest concentrée dans son visage etle hurlement jailli de sa bouche.Apollon, joliment paré d’undrapé violet, arrache le pelage ensouriant. Il jouit de la douleurqu’il inflige. Derrière lui, le ciel

ocre et bleu gris n’a rien d’inquié­tant. Dans Giordano, tout contri­bue au tragique : les ténèbres, l’effort que fait Apollon pour dé­tacher le pelage, son air appliqué,le pied qu’il appuie sur le bras ligoté du faune pour le maintenirà terre. Sa toile est efficace dans lamesure où elle emploie le plusgrand nombre possible d’effets picturaux. Ribera suggère la joiemauvaise d’Apollon. Giordano nesuggère pas : il énonce, explicite­ment. Il fait ce qu’il faut, au risqued’en faire trop.

Ce qui s’observe vers 1660 dansses drames ultra­caravagesques s’observe autant quand les tona­lités s’éclaircissent et qu’il exé­cute de vastes scènes religieuses,allégories, miracles, ascensions, bénédictions, apparitions, etc.Elles sont sans équivoque etcomplètes. Il n’y manque pas unsymbole, pas un détail narratif, pas une expression attendue.Giordano procède par accumula­tion de figures et d’accessoiressignificatifs. Il les répartit avecadresse à l’intérieur de compo­sitions organisées selon desschémas géométriques eux­mê­mes très visibles, une diagonale, une spirale ascendante, unepyramide, deux triangles orien­tés l’un vers la gauche et l’autre vers la droite. Les oppositions entre lumière et ombre et entrecouleurs – bleu et rouge parexemple – renforcent ces struc­tures dynamiques.

De loin, elles attirent le regard,ce qui est nécessaire pour la fresque d’un plafond ou untableau d’autel, qui ne seront vusque de loin en effet. De près, el­les invitent à faire l’inventairedes détails qu’elles révèlent, l’en­taille mortelle au crâne d’un ange

rebelle frappé par saint Michel archange, les cadavres gris aupremier plan de son Saint Janvierintercédant pour la cessation dela peste de 1656, les béliers na­geant dans Polyphème et Galatée,l’éléphant de l’Allégorie de la tem­pérance, l’autruche de l’Allégorie de la justice.

Stylistiquement, ces toiles sonttrès différentes, car exécutées àdes dates séparées par des dé­cennies, les unes à la Véronèse,d’autres lorgnant vers Titien oule Tintoret, toutes se souvenant de Rubens. Virtuose, Giordanoest aussi aisément vénitien que florentin, classique que baroque :c’est au gré des modes et descirconstances. Puisqu’il sait tout faire, il fait de tout. C’est sa force,qui lui a assuré son succès, ses commandes et une confor­table fortune. C’est sa limite : unparfait professionnel de la profession.

Une fois que l’on s’en est aperçu,et c’est assez vite dans l’expo­sition, il y a deux manières de visiter celle­ci. Soit on la voit en historien d’art comme un inven­taire en accéléré de deux siècles de peinture européenne, remar­quable de variété et de maîtrise.Soit on y cherche ce qui, au­delà de la facilité de la main et des ac­cumulations, pourrait indiquerquoi que ce soit de plus person­nel. Ses autoportraits ? Peut­êtrepour ceux de 1688 et 1692, car lesdeux précédents sont paradesociale. Ses figures de philoso­phes ? On aimerait, mais la part qu’y tient Ribera est trop impor­tante. Peut­être faut­il se rabattresur une conclusion décevante : cequi caractérise personnellement Giordano, c’est le plaisir que luidonne à profusion son aisance impersonnelle. Un bon peintre heureux de l’être, un peu tropheureux même.

philippe dagen

« Luca Giordano. Le triomphe de la peinture napolitaine »,Petit Palais, avenue Winston­Churchill, Paris 8e.Jusqu’au 23 février, du mardiau dimanche de 10 heuresà 18 heures, vendredi jusqu’à 21 heures. Entrée : de 11 € à 13 €.

« Vénus dormant avec cupidon et satyre » (vers 1670), de Luca Giordano. MINISTERO PER I BENI E LE ATTIVITA CULTURALI/MUSEO E REAL BOSCO DI CAPODIMONTE

Puisqu’il saittout faire, il fait

de tout. C’estsa force et sa

limite : un parfaitprofessionnel

de la profession

Luca Giordanone suggère pas :

il énonce, explicitement.

Il fait ce qu’il faut,au risque

d’en faire trop

Gabriel Matzneff lâché par Gallimard La maison d’édition a décidé de ne plus commercialiser le journal de l’écrivain

L a décision, inédite, est tom­bée comme un couperet.Les éditions Gallimard ont

annoncé, mardi 7 janvier, leur dé­cision « d’interrompre la commer­cialisation » du Journal de GabrielMatzneff, dont elles ont publié neuf tomes depuis 1990. La Table ronde, autre filiale du groupe Madrigall (la maison mère de Gallimard) a adopté la même ligneen retirant de la vente cinq autres volumes du journal de ce roman­cier publiés entre 1979 et 1992.

Le témoignage de VanessaSpringora dans Le Consentement,paru chez Grasset le 2 janvier, surles pratiques pédophiles de l’écri­vain explique ce choix. « A l’heure où le parquet de Paris ouvre uneenquête pour viol sur mineur vi­sant Gabriel Matzneff », la maisonprésidée par Antoine Gallimardestime que « la souffrance expri­mée par Vanessa Springora dans Le Consentement fait entendre une parole dont la force justifie cette mesure exceptionnelle ».

Aujourd’hui âgée de 47 ans,l’auteure raconte comment elle a été séduite à 13 ans, puis a subi l’emprise de cet écrivain alors quinquagénaire dont les prati­ques pédophiles assumées étaient tolérées par le milieu litté­raire. « A 14 ans, on n’est pas censéeêtre attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, onn’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit,sa verge dans la bouche à l’heure du goûter », raconte Vanessa Springora dans cet ouvrage.

Abondamment relayée sur Twit­ter, la quatrième de couverture de Mais la musique soudain s’est tue,de Gabriel Matzneff, publié en 2015 par Gallimard, dans la prestigieuse collection Blanche, semblait célébrer ce donjuanisme exercé auprès des préadolescents : « Avec ses journaux intimes aux ti­tres flamboyants, provocateurs, Ungalop d’enfer, Mes amours décom­posées, Calamity Gab, Gabriel Matzneff s’est depuis sa jeunesse

attiré une fâcheuse réputation de li­bertin, de mauvais sujet. Trop beau,trop libre, trop heureux, trop inso­lent, trop de lycéennes dans son lit, ça indispose les honnêtes gens »…

Beaucoup de buzz, mais peu deventes. Historiquement, les livres de Gabriel Matzneff, près d’une cinquantaine, ne se vendent guère. Le dernier, L’Amante de l’Ar­senal, publié en novembre 2019, a été mis en place à moins de 800 exemplaires selon Gallimard. Les Editions Leo Scheer, qui ont publiésix Matzneff, dont le sulfureux LesMoins de seize ans (2005) et les Car­nets noirs 2007­2008 (2009), ne lesont pas, elles, retirés de la vente.

Fin des allocationsAgé de 83 ans, l’écrivain a perçu, dela part du Centre national du livre,près de 160 000 euros depuis 2002d’aides publiques accordées aux auteurs vieillissants et dans le be­soin. Franck Riester, le ministre dela culture s’est demandé, mardi, lors d’un point presse : « Est­ce queM. Matzneff, qui revendique le ca­ractère autobiographique de ses récits, contribue à la renommée de la littérature française en se fai­sant, dans ses écrits, le chantre de lapédocriminalité ? Je considère que non. ». En ajoutant : « Est­ce que son train de vie fastueux décrit dans ses livres justifie le versement d’une telle allocation ? Je considère également que non. »

L’affaire Matzneff devrait doncmettre un terme définitif à cette allocation, appelée « à s’éteindre progressivement », a déclaré le mi­nistre. M. Riester qui juge « tropopaque et discrétionnaire » leur processus d’attribution, a de­mandé la mise en place d’une commission restreinte qui exer­cera un contrôle « plus resserré sur les revenus et les conditions de viedes allocataires ». M. Riester a de­mandé le réexamen des décora­tions – officier des Arts et des Let­tres et chevalier de l’ordre nationaldu Mérite – remises à l’écrivain.

nicole vulser

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Saül

chatelet.comJE PRENDS MA PLACE

@theatrechatelet #chateletsaul

Du21au31janvier 2020

DIRECTION MUSICALE

Laurence CummingsMISE EN SCÈNE

Barrie Kosky

Les Talens Lyriques

–Production du Festivalde Glyndebourne créée en 2015

Oratorio de G.F.Haendel

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Page 22: Le Monde - 09 01 2020

22 | culture JEUDI 9 JANVIER 20200123

Opéra en sous­sol… dans le parking de BeaubourgSous le Centre Pompidou, à Paris, un trio d’artistes invite à se déplacer dans l’espace investi par les musiciens

REPORTAGE

D epuis plus de quinzeans, le plasticienChristian Boltanski,Jean Kalman (créateur

lumières) et Franck Krawczyk(compositeur) présentent le fruit de leur travail commun dans des lieux insolites. Un entrepôt dé­saffecté (Point P, en 2003, pour O Mensch), un théâtre sous un an­gle inhabituel (de l’escalier de ser­vice à la cuisine du foyer pour Pleins jours, tétralogie donnée au Châtelet en 2004­2005), ou dansdes conditions particulières(l’Opéra­Comique en travaux pour Pleine nuit, en 2016). Riend’étonnant, donc, à ce que la nou­velle contribution du trio, Fosse, prenne place… dans un parking,au niveau – 1 du Centre Georges­Pompidou, à Paris.

Cette création, à découvrir duvendredi 10 au dimanche 12 jan­vier, repose, comme les précéden­tes, sur trois règles aussi immua­

bles que celles de la tragédie clas­sique. D’abord, que le spectateur ne soit pas « devant mais dedans »,rappelle Franck Krawczyk. Le pu­blic de Fosse pourra déambuler li­brement dans l’espace de l’œuvre. Ensuite, « ni début ni fin », expli­que le compositeur d’une parti­tion qui sera prise en cours deroute : son exécution aura com­mencé quelques minutes avantl’ouverture des portes et elle se poursuivra de même après leur fermeture. Enfin, « non pas unehistoire mais des histoires », souli­gne le musicien, qui souhaite ouvrir à tous les possibles l’imagi­nation du spectateur de cet opéra.Pour la première fois, la proposi­tion du trio se réfère à un genre.

Commande de l’Opéra­Comique,Fosse constitue aussi le premier opéra créé « hors les murs » de cette institution dont le directeur, Olivier Mantei, compte parmi les fidèles soutiens de Franck Krawc­zyk. « Travailler sur un espace sou­terrain, dit ce dernier, m’a fait pen­

ser à Orphée. » A ceci près que c’est le public qui va se retrouver dans la situation du héros grec des­cendu aux Enfers pour en rame­ner son épouse, Eurydice, avec in­terdiction de la regarder avant son retour sur terre.

Travail en aveugle« Dans la mesure où ce projet réu­nit un plasticien et un musicien, il nous faut interroger les rapports del’œil et de l’oreille », s’enflammeKrawczyk, qui voit là l’occasion de relever le défi d’une partition que les interprètes, disséminés dans un espace de plus de cent mètres de long, exécuteront sans l’assis­tance d’un chef. « Ils s’orienteront uniquement avec leur ouïe », ré­sume le compositeur, tout excité àl’idée que son partenaire Bol­tanski ne découvrira la musique que tardivement. « Aucun risque,dès lors, de tomber dans l’illustra­tion », le travail de l’un comme de l’autre découlant simplement de leur réaction à l’espace spécifique

du parking. Boltanski en relation avec la rétrospective « Faire son temps » que lui consacre le CentrePompidou, et Krawzyck « sur labase des codes de l’opéra ».

Le plasticien a prévu de disposerdans le parking quatre voitures, recouvertes de feutrine, dans les­quelles se trouveront des figu­rants. « Pour moi, ces gens sont prisonniers des limbes, ils n’ont paseu le droit d’aller dans la fosse et sont en attente de quelque chose »,

commente Krawczyk. Ils ne sont donc pas concernés par la parti­tion que le compositeur a conçue comme une « superstructure » detous les opéras, répartie en dix « modules ». Le premier, Entrée, est déclenché par une sonnerie dethéâtre annonçant le début de lareprésentation. A l’intérieur, deux percussionnistes font écho à ce signal. « Sans instruments nibaguettes, ils jouent du lieu », s’amuse le compositeur, qui a de­mandé qu’on martèle grilles et tuyaux de chauffage. Comme les six pianistes qui exécuteront en­suite un canon, les percussionnis­tes doivent procéder avec une ex­pression désincarnée.

« Monument aux vivants »« Dans sa rétrospective, Christian[Boltanski] réalise un monument aux morts, analyse Franck Krawc­zyk, moi, je fais un monument auxvivants. » Deux guitares électri­ques interviennent peu après lespianos puis un ensemble de huit violoncelles « qui se cherchent dans l’espace comme des arpen­teurs » (d’où le titre d’Accord,donné au module 2), sous la hou­lette d’un neuvième violoncelle qui tisse un fil conducteur etdans la partie suivante, Ouver­ture, revêt un rôle primordial.

« Là, il faut Sonia », s’exclameKrawczyk avant de pointer l’apti­

tude de Sonia Wieder­Atherton « à remplir l’espace avec une seule note ». Trente­deux choristes (de l’ensemble Accentus), dans le pu­blic, font leur apparition dans le Lever de rideau qui précède uneFin d’acte pendant laquelle sera égrenée une litanie d’héroïnesd’opéra, de Monteverdi (Euridice de L’Orfeo) à Verdi (Aïda). Pause(module 6), avec, de nouveau, pia­nistes et percussionnistes qui font battre le cœur du lieu.

Après cet épisode, qui corres­pond au changement de décor à l’opéra, commence une sorte de second acte, centré sur la con­frontation entre une soprano (Ka­ren Vourc’h) et la violoncelliste solo. Les modules 7 (Air, sur untexte de saint Jean de la Croix), 8 (Acte) et 9 (Scène, sur un texte de Federico Garcia Lorca) peuvent être considérés comme « un dia­logue entre Orphée et Eurydice », rapporte le compositeur. Le par­king va alors se vider pour ne lais­ser en action (Sortie) que la vio­loncelliste solo et les occupants des voitures manipulant les auto­radios. En quête de la bonne fré­quence, comme les musiciens et les visiteurs de Fosse.

pierre gervasoni

Fosse, au Centre Pompidou, les 10, 11 et 12 janvier, en soirée. Tarifs : 9 € et 18 €.

« Dans la mesureoù ce projet réunitun plasticien et un

musicien, il nousfaut interroger lesrapports de l’œil

et de l’oreille »FRANCK KRAWCZYK

compositeur

Le drôle de cirque d’Elie SemounDans un spectacle en treize sketchs, l’artiste met en scène ses nouveaux « monstres »

HUMOUR

P our parler à sa mère, ElieSemoun pose une urne fu­néraire noire sur un tabou­

ret rouge et dit : « J’avais 11 ans quand tu es morte, alors je suis de­venu comique. » Après trente an­nées de scène, le comédien tente d’en finir avec le traumatisme de son enfance qui l’a poussé à choi­sir l’humour pour conjurer le dé­sespoir. Il soulève le couvercle de l’urne, y plonge la main et en res­sort une multitude de paillettes d’or qu’il lance en direction du ciel.Cette image de lâcher­prise est sans conteste la plus forte de son nouveau seul­en­scène présenté aux Folies­Bergère, à Paris, avant une longue tournée en province.

Elie Semoun et ses monstres, sonseptième spectacle en solo, s’ins­crit dans la suite logique du précé­dent, A partager. Depuis qu’il a passé la cinquantaine, l’humo­riste a abandonné Cyprien, Ke­vina, Mikeline et Toufik (les célè­bres personnages de ses petites annonces) pour aborder des su­jets plus sombres ou plus person­nels, avec un goût prononcé pour l’humour noir et la mélancolie.

Aisance du jeuVêtu d’une veste de Monsieur Loyal, débarquant sur scène au rythme d’une musique de cirque, l’ex­comparse de Dieudonné– avec lequel il a rompu en 1997 – promet qu’il va « mettre en scène des monstres. Des monstres nonpas venus d’une autre pla­nète mais des monstres comme vous, comme moi, car tout lemonde ment, triche ». Et le monde est peuplé de gens stupides ouméchants.

La veste de cirque est rapide­ment jetée à terre. Se succèdentalors treize sketchs d’un niveau inégal. Comme au cirque, tous les numéros ne se valent pas. A causeparfois de la faiblesse du texte ou de thématiques abordées sans originalité. On s’ennuie avec l’ex­

djihadiste en phase de déradicali­sation confié à des enfants. On rit peu devant les deux racistes quise sont rencontrés grâce à l’appli­cation Hello facho ou devant la scène de ménage entre les deux papas du jeune Gabin.

Mais ce qui sauve à chaque foisElie Semoun, c’est l’aisance de sonjeu, sa présence sur scène, sa for­midable capacité à interpréter despersonnages. Qu’il s’agisse de Jean­Louis, le gros beauf infidèlequi tente de reconquérir son ex­femme, de Xavier le handicapéqui aspire au bonheur, du docteurmartiniquais qui annonce à son patient qu’il vient de sortir de trente ans de coma ou de Ga­rance, la stand­uppeuse « 100 % meuf, 100 % trash, 100 % cash », le comédien parodie avec justesse etune énergie bien dosée. Et c’est unvrai bonheur de retrouver Mapi, la quinquagénaire qui se libère et balance ses quatre vérités à son mari et à ses enfants. On pense àMaria Pacôme dans La Crise, maisen version beaucoup plus noire.

Elie Semoun a le don, comme sacomplice Muriel Robin, qui l’aide pour l’écriture, de s’énerver avectalent, de « monter dans les tours »,comme il dit. Mais, à 56 ans, c’est lorsqu’il parle de lui ou de ses pa­rents qu’il nous touche le plus. Sans doute parce que son inquié­tude majeure, aujourd’hui, c’estl’Alzheimer de son père. « Le seulmoyen que j’ai pour me libérer demes angoisses et de mes peurs, c’est de faire de l’humour avec », nous expliquait­il lors de son pré­cédent spectacle. Peu importe ce prétexte un peu artificiel du cir­que. Cela fait une belle affiche, mais le fil rouge n’est pas tenu. « Jen’ai pas tout compris à ton his­toire de monstres », pourrait lui faire remarquer son père.

sandrine blanchard

Elie Semoun et ses monstres, mise en scène Fred Hazan, en tournée en France jusqu’à fin juin.

EnpartEnariatavEc

Et

18h35IntroductIon vIdéo« Le cri d’alarmedupetit-fils de Jacques-Yves Cousteau pour les océans »

18h40KeynoteOlivierDufourneaud,directeur de la politique des océansde l’Institut océanographique deMonaco

18h50comment sauver les océansd’IcI à 2049 ?SandraBessudo,biologiste,présidentedelaFondationMalpelo,ancienneministredel’EnvironnementdeColombieGilles Bœuf,biologiste, professeurà l’université Pierre-et-Marie Curie,ancien président duMuséumnationald’Histoire naturelleLaurent Bopp,directeur de rechercheCNRSauLaboratoire des Sciences duClimat et de l’Environnement de l’IPSLJulienRochette,directeur du programmeOcéanà l’Institut duDéveloppement durableet desRelations internationales (IDDRI)AniméparFabriceRousselot, directeurdeTheConversation

19h35carte blanche pour la planète bleueErikOrsenna, romancier etmembrede l’Académie française

19h45pItch start-upDrFranckZal,président directeurgénéral deHemarinaClément Ray, cofondateurd’InnovaFeedRachidBenchaouir, président fondateurdeCoraliotech

19h55InspIratIon « vIvre l’océan »Laurent Ballesta,photographenaturaliste et réalisateur, cofondateurd’AndromèdeOcéanologie, directeurde l’expéditionGombessa

20h00l’océan comme ressource du futurPhilippe Cury,directeur derecherche de classe exceptionnelleà l’Institut deRecherche pourleDéveloppement (IRD), présidentduConseil scientifique de l’Institutocéanographique deMonacoAmbroiseWattez,BusinessDevelopmentManagerRenewables SBMOffshoreAnimé par Sylvain Courage, rédacteur en chef de « l’Obs »

L’océan,un trésoràpréserverLemardi 14 janvier à 18h30A laMaison des Océans195, rue Saint-Jacques, 75005 Paris

En partEnariat avEcEntrée gratuite sur inscription : www.nouvelobs.com/2049

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Page 23: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 télévision | 23

HORIZONTALEMENT

I. La roussette, l’ouaouaron et même le bébé y prennent leurs aises. II. Complètement bouleversée. Ou-verture des comptes. III. Plus proches des Etats-Unis que de la Russie. IV. Structure d’entreprise. Personnel. Manifestation enfantine. V. Débitent les essences et les pierres. Blanc et léger. VI. Physicien allemand. Points en opposition. Solda le passif. VII. Evitent d’oublier. Marquai en sur-face. VIII. Sortons de l’ensemble. Bien entendu. Sortie du Chaos. IX. Fait la lumière. Parfume, salade et poulet. X. Avec agitation et tourment.

VERTICALEMENT

1. Ne fait pas dans le détail, surtout chez les latinistes. 2. Refermer pro-prement après ouverture. 3. Evite des longueurs. Sacrifia à son dieu. 4. Il y a des risques à la chercher. Entretient la rumeur. 5. Cordes arabes. Distribu-tion de pains durs. 6. Arrive avec les problèmes d’épuration. Suit le vu de près. 7. Bien naturelle. Pas très ma-lins. 8. Dans le filet. A fait le trop-plein. 9. Nous a entraîné sur le pont de la rivière Kwaï. Papa d’Hector et de Cassandre. 10. Donné pour exécu-tion. Arturo chez ses proches. Le ger-manium. 11. Du jaune dans les prés. Attaché à sa plume et au Parti. 12. Stockaient pour l’hiver.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 006

HORIZONTALEMENT I. Diététiciens. II. Emménage. Hou. III. Smart. Nul. Nr. IV. Hanter. Xénon. V. Eternel. Bu. VI. Rê. Etrier. Rg. VII. Bras. Epucée. VIII. Air. Eosine. IX. Gendres. Réa. X. Eloignements.

VERTICALEMENT 1. Désherbage. 2. Immatériel. 3. Emane. Arno. 4. Ter-tres. DI. 5. Entent. Erg. 6. Ta. RER. Oen (néo). 7. IGN. Liesse. 8. Ceux. Epi. 9. Lebrun (et Le Brun). 10. Eh. Nu. CERN. 11. Nono. Ré. Et. 12. Surnageras.

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GRILLE N° 20 - 007PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­007

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4 2 9 1Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

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France 221.05 Vous avez la paroleSpécial journée de mobilisation nationale. Magazine présenté par Léa Salamé et Thomas Sotto.23.20 Vous avez la parole, la suiteMagazine présenté par Léa Salamé et Thomas Sotto.

France 321.05 La Loi du marchéFilm de Stéphane Brizé. Avec Vincent Lindon, Yves Ory, Karine De Mirbeck (Fr., 2015, 90 min).22.35 A l’école de la CGTDocumentaire d’Yves Gaonac’h(Fr., 2019, 55 min).

Canal+21.00 The Loudest VoiceSérie. Avec Russell Crowe, Sienna Miller, Naomi Watts (EU, 2019).23.30 Sicario : la guerre des cartelsFilm de Stefano Sollima. Avec Benicio Del Toro, Josh Brolin (EU-It., 2018, 120 min).

France 520.50 Terres extrêmesDocumentaires de Laurent Lichtenstein (Fr., 2017, 110 min).22.40 C dans l’airMagazine présenté par Caroline Roux.

Arte20.55 Une îleSérie. Avec Noée Abita, Laetitia Casta, Manuel Severi, Sergi Lopez (Fr., 2019).23.20 Un cœur sous la neigeTéléfilm de Katalin Gödrös. Avec Ursina Lardi (Sui., 2016, 90 min).

M621.05 FBISérie. Avec Missy Peregrym, Zeeko Zaki (EU, 2018).23.25 Esprits criminels : unité sans frontièresSérie. Avec Gary Sinise, Tyler James Williams (EU, 2016).

Laetitia Casta dans un poétique conte de sirènesJulien Trousselier transforme le mythe des femmes­poissons en une fable moderne, d’une grande beauté formelle

ARTEJEUDI 9 - 20 H 55

MINISÉRIE

C ela ressemble à la Corse(où Une île a été tourné),mais ça ne l’est pas. Cepetit bout de France

sauvage ne sera jamais nommé mais on devine qu’il se trouve loin, très loin de la métropole. Le village vit de la pêche, qui devientchaque jour de plus en plus rare.Sabine la délurée (l’excellente Alba Gaïa Bellugi, vue entreautres dans la série 3 × Manon) et Chloé (Noée Abita) la discrèteorpheline sont inséparablesdepuis l’enfance, malgré leurs différences et le mystère quientoure la découverte de Chloé, enfant sauvage recluse dans une grotte sur une plage de l’île.Depuis son arrachement à la mer,Chloé traîne sur terre un mal­être dont elle ne sait pas dire le nom.

Un soir de rave­party où l’alcoolet la drogue circulent largement, un garçon du coin tombe dans le coma, comme frappé par un étrange pouvoir, après avoir tentéd’agresser Chloé. La même nuit,deux pêcheurs qui se livrent àd’obscurs trafics disparaissent en mer, et une femme (LaetitiaCasta) est retrouvée à bord de leurbateau par Loïc (Manuel Severi), legarde­côtes, qui est aussi le frèrede Sabine. Nue, quasi muette, elle

dit s’appeler Théa. Sur le conti­nent, Bruno (Sergi Lopez), un poli­cier familier de l’île, est hanté par cette créature à forme humainequi se meut comme un poisson etsemble semer la mort partout où elle passe. Mais lorsqu’il arrive surl’île, Théa s’est déjà échappée.

Bande-son envoûtanteC’est à peu près à ce moment­là del’histoire que le téléspectateur saura s’il a envie, ou non, de croire

à ce conte de sirènes moderne. Sic’est le cas, une merveilleuse sur­prise l’attend, à condition toute­fois de suspendre toute incrédu­lité, car la proposition des scéna­ristes Aurélien Molas et Gaia Guasti, est particulièrement au­dacieuse. Il faudra non seulement croire aux sirènes, mais aussi àl’existence de cette terre ultrama­rine sans nom, à l’obsession irra­tionnelle de Bruno, aux senti­ments contradictoires de Loïc

pour Chloé, et au désarroi de cel­le­ci face à une identité qui lui échappe. Il faudra aussi accepter lesimplisme apparent d’un récit quioppose des femmes belles et dan­gereuses à des hommes rustres.

La puissance de cette minisérie,qui a reçu le Prix de la meilleure série française lors de l’édition 2019 du festival Séries mania, setrouve dans son habileté à manierles symboles. Ainsi se pose très tôt dans le récit la question de sa­

voir de quoi les sirènes d’Une île sont­elles l’allégorie : le deuil desmarins morts ? le chagrin de leursfemmes à terre ? la solitude et l’isolement ? Ce niveau de lecture, qui interroge les rapports entre l’homme et la nature qu’il habite, n’est pas le moins intéressant, et ilest formidablement servi par le regard que pose sur les acteursJulien Trousselier (notamment réalisateur de Crime Time, sériesortie en 2017 et située dans les quartiers pauvres de Sao Paulo).

D’une très grande beauté for­melle, enrichie d’une bande­son particulièrement envoûtante, la série comporte une poignée de« moments de grâce » dont l’un nous met face à un impression­nant mammifère marin. Cettesuccession de scènes magnifi­ques forme au bout du compte, etc’est suffisamment rare pour être souligné, une belle série, pro­fonde et poétique, qui échappe aux catégories pour mieux nous livrer un subtil avertissement : quand la mer se meurt, ce ne sontpas seulement sa faune et sa flore qui disparaissent, mais aussi tout l’imaginaire qui lui est lié.

audrey fournier

Une île, de Julien Trousselier. Avec Noée Abita, Laetitia Casta, Manuel Severi, Sergi Lopez,Alba Gaïa Bellugi(Fr., 2019, 6 × 45 min).

Noée Abita (Chloé)et Laetitia Casta (Théa).IMAGE ET COMPAGNIE

L’ascension et la chute de Roger Ailes, le fondateur de Fox NewsLe documentaire d’Alexis Bloom dresse le portrait du sulfureux ex­patron de la chaîne d’infos américaine

MY CANALÀ LA DEMANDE

DOCUMENTAIRE

T andis que Canal+ diffuse lamini­série The LoudestVoice (2019), créée par Tom

McCarthy et Alex Metcalf, dont Roger Ailes (1940­2017) est le per­sonnage central, la chaîne cryptée propose un documentaire consa­cré à ce personnage sulfureux, créateur de la chaîne nord­améri­caine Fox News.

Exemple archétypique d’ascen­sion sociale à l’américaine, Roger

Ailes s’est rendu indispensable d’abord auprès de l’animateur du « Mike Douglas Show » (1961­1981),puis de Richard Nixon, qu’il ren­contrera lors de l’émission et qu’il convaincra de réviser son image médiatique, alors qu’il se présenteà l’élection présidentielle.

Ronald Reagan et George H.W. Bush bénéficieront aussi de sestalents de conseiller bulldozer,adepte de la méthode forte et de ladésinformation. Conservateur, ilhait les présidents démocrates et les chaînes CBS et CNN qu’il consi­dère comme étant à leur solde.

En créant Fox News, Roger Ailesne cache pas qu’il veut en faire la contrepartie droitière au servicedu Parti républicain : s’il ne par­vient pas à contrer l’accession au pouvoir de Barack Obama, le ma­gnat aide grandement son succes­seur, Donald Trump.

Récit glaçantFox News sera aussi pour lui un terrain de chasse libidineuse : beaucoup de ses employées ont dû en passer par des relations sexuelles imposées. Il aura fallu attendre les révélations faites

en 2016 par Gretchen Carlson, l’une des vedettes de Fox News, suivies par de nombreuses autres,pour que le scandale éclate, jus­qu’à provoquer la chute de celui qu’on croyait indétrônable.

Certes, les victimes les plus « vi­sibles » sont absentes de Diviser pour mieux régner, en raison de clauses de confidentialité con­tractuelles. Mais d’autres femmesinterviennent au cours de ce récit glaçant, telle cette ancienne dan­seuse auprès de qui Roger Ailesavait fait du chantage au momentdu « Mike Douglas Show ».

Gretchen Carlson et MegynKelly – autre ancienne journaliste vedette de Fox – prendront cepen­dant la parole, par le truchement d’une nouvelle fiction, le film Bombshell (« Scandale »), de JayRoach, qui sort le 22 janvier sur lesécrans français, incarnées avec unincroyable mimétisme par Nicole Kidman et Charlize Theron.

renaud machart

Diviser pour mieux régner : la vie de Roger Ailes, documentaire d’Alexis Bloom (EU, 2019, 52 min.).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13. Tél. : 01-57-28-20-00

Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 ¤/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤

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La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037

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80, bd Auguste-Blanqui,75707 PARIS CEDEX 13

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Laurence Bonicalzi Bridier

Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées

durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

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Page 24: Le Monde - 09 01 2020

24 |styles JEUDI 9 JANVIER 20200123

michael anastassiades, l’essence de la simplicitéLe créateur chypriote, maître de la lumière, a été nommé designer de l’année 2020 par le salon Maison & Objet. Une distinction qui récompense un style épuré, sensuel et énigmatique

DESIGN

O n connaît de lui d’élé­gants luminaires géo­métriques, façon mo­biles de Calder. Le

Chypriote Michael Anastassiades,nommé designer de l’année 2020par le salon Maison & Objet de Paris­Nord­Villepinte, présenteraune installation de seize de sescréations dans une chorégraphie hypnotique, du 17 au 21 janvier.

« Ces lampes vont percer la pé­nombre des lieux et, propulséespar des moteurs, se déplaceront lentement comme des planètes, explique le créateur de 53 ans. Plu­tôt qu’une vitrine de mes objets, j’ai préféré partager avec le public une expérience, comme un bal­let. » Pour Michael Anastassiades, barbu aux faux airs de Brancusi, ilva de soi qu’un « luminaire qui n’est allumé que 20 % du temps doit être particulièrement beau éteint, en interagissant par sa pré­sence seule avec l’environne­ment ». C’est ainsi qu’il a forgé sonstyle à partir de signes et de volu­mes simples (une sphère, une li­gne, un triangle…), et créé, pour l’italien Flos, des luminaires par­ticulièrement appréciés.

Désormais, ses éclairages etautres guirlandes lumineusesparadent du Grand Hôtel, à Stoc­kholm, au Soho House de NewYork, mais aussi dans les bouti­ques du chausseur Sergio Rossi dans le monde. Mais les lampes– contrairement au magicien de

la lumière Ingo Maurer, morten 2019 – sont loin d’être son uni­que passion. Michael Anastassia­des dessine aussi, depuis peu, dumobilier épuré pour B & B Italia, Cassina ou Dansk Mobelkunst, des verres pour la cristallerie Lo­bmeyr, ou l’orfèvre Puiforcat, et des étagères pour le françaisCoEdition. « Le premier à avoir osé me demander une collectionde meubles, c’était l’Américain Herman Miller, pour qui j’ai des­siné, en 2016, des sièges hauts et effilés en bois et métal, baptisésSpot. » En 2019, il signe pour lamarque autrichienne Thonet,qui fête son deux centième anni­versaire, le fauteuil N 200, avec un sculptural piétement arrièreen forme de cercle, réalisé en boiscintré à la vapeur.

Tabouret ascétiqueDiplômé en génie civil de l’Impe­rial College of Science, Techno­logy and Medicine de Londres, puis en design industriel du RoyalCollege of Art, Michael Anastas­siades ouvre dans la capitale anglaise son studio en 1994, puis lance sa marque éponyme en 2007. « En montant ma propremarque, je suis devenu indépen­dant avec l’intention de n’accepter aucun compromis. Je veux parta­ger avec le plus grand nombre beaucoup de design et un peu depoésie. » En témoigne cette fon­taine à eau installée dans les jar­dins du Victoria and Albert Mu­seum. La Fleet Drinking Fountain semble inviter les oiseaux à se désaltérer, mais c’est au public qu’elle s’adresse, l’incitant à boire dans les fontaines publiques ouà remplir sa propre bouteille,pour réduire l’usage des flacons

en plastique.Cette fontaine – telle

une petite colonne debronze doré légère­ment creusée à sonfaîte, où se cache le jet

d’eau – oblige l’utilisateurà se pencher et y voir sonreflet pour fonctionner.Comme une version con­temporaine du mythe deNarcisse. « C’est à Chypreque j’ai grandi. Monamour d’une forme de mi­nimalisme, de géométrie,vient de ma culture, del’art grec classique.

J’aime les choses simples que je comprends et auxquelles je prête beaucoup de beauté. Il s’agit d’ailleurs plus de proportion que d’esthétique, selon moi. Le bon design n’existe pas sans un sens aigu des proportions », pré­cise le créateur.

Ses objets réduits à la plus pureessence ne manquent pas de pré­sence physique, sensuelle et sou­vent énigmatique. Michael Anas­tassiades, qui aime à méditer, a ainsi imaginé, en 2008, l’ascéti­que tabouret en marbre Medita­tion Stool, légèrement creusé, oùs’asseoir confortablement les jambes croisées. « C’est une forme abstraite dans l’espace, discrète quand on ne l’utilise pas. Des visi­teurs chez vous ne peuvent devinerque vous pratiquez la médita­tion », explique l’auteur. Autre ob­jet qui cache bien son jeu : les en­ceintes Bang & Olufsen, en 2018,rondes comme « un sou qui roule. Dans un sens, cela monte le vo­

lume et vice versa. Une abstractionintéressante », analyse­t­il. Quant à la table ronde en marbre Love me, Love me Not, pour l’italien Salvatori, elle semble jouer aux équilibristes avec ses trois pieds réunis en son centre, mais elleévoque aussi une colonne de l’An­tiquité. « Je recherche l’authenti­cité : au bout du compte, c’est cequi rend un objet désirable », lâcheMichael Anastassiades.

Ses formes primaires, fausse­ment simplistes, sont entrées

dans les collections muséales du MoMA de New York, de l’Art Insti­tute of Chicago, du Victoria and Albert Museum de Londres, ou du FRAC Centre­Val de Loire à Orléans. Elles font écho aux créa­tions de Dame Nature que le desi­gner ne cesse de photographier etde publier sur son compte per­sonnel d’instagrammeur : des ro­chers et de l’eau vive. « J’adore na­ger et je ramasse des cailloux par centaines et de toutes les tailles, notamment en Grèce », confie Mi­chael Anastassiades.

Fasciné par le suiseki, l’artjaponais de la contemplation depierres aux formes particulières(signes d’éternité), il a imaginépour Salvatori des miniaturesen basalte de trois volcans ita­liens, le Vésuve, le Stromboli etle Vulcano (édition limitée The End of the Affair). Autant desculptures, comme une nouvellecorde à son arc.

véronique lorelle

« UN LUMINAIRE QUI N’EST ALLUMÉ 

QUE 20 % DU TEMPS DOIT ÊTRE PARTICULIÈREMENT 

BEAU ÉTEINT »MICHAEL ANASTASSIADES

designer

A gauche : composition à partir des lampes Arrangements (Flos). Au centre : paravent, table et tabouret Halfway Round (Dansk Mobelkunst, 2019) de Michael Anastassiades (à droite).OSMA HARVILAHTI, FLOS

après l’italie, le Liban, la Chine et les Etats­Unis, le salon professionnelMaison & Objet met à l’honneur, pour son 25e anniversaire, de jeunes talents made in France. Les six desi­gners, ou « Rising Talent Awards », ont été nommés par un jury d’ex­perts avec le parrainage du ministèrede la culture. Le galeriste Didier Kr­zentowski, fondateur de Kreo à Paris, a adoubé la Franco­Suisse Julie Ri­choz, qu’il a découverte en 2012, alorsqu’elle remportait le Grand Prix De­sign Parade de la Villa Noailles, à Hyè­res. Depuis lors, cette diplômée de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne a ouvert son studio à Paris. La jeune trentenaire collabore avec Kreo et avec la galerie Libby Sellers, à Lon­dres, et crée des objets élégants et dé­licats pour Tectona, Alessi, Louis Poulsen ou la Manufacture Cogolin.

Les protégés de Françoise Seince,historienne d’art et directrice des Ateliers de Paris, ne sont autres que Natacha Poutoux et Sacha Hourcade,du studio Natacha & Sacha, qui, en réinventant l’électro­ménager du XXIe siècle, a remporté le Grand Prix 2019 de la Ville de Paris. L’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch a dési­gné comme étoile montante Adrien Garcia, né en 1990 et diplômé de

l’ENSCI­Les Ateliers, à Paris, et de l’Université des arts de Berlin. Après avoir travaillé pendant cinq ans dans une entreprise française de décora­tion spécialisée dans le bien­être et les spas, il a lancé, en 2019, sa propre marque de mobilier.

Coton et latex« Je trouve que la démarche est assez nouvelle », remarque René­Jacques Mayer, le directeur de l’école Ca­mondo, en référence au travail de la designer qu’il a nommée, Laureline Galliot, autre diplômée de l’ENSCI­Les Ateliers. Se qualifiant elle­même de « designer et peintre », Laureline Galliot utilise les nouvelles technolo­gies pour créer des objets où la cou­leur joue un rôle prédominant : elle s’intègre dans la nature même de l’objet et non pas en touche finale.

Mathieu Peyroulet Ghilini« n’avance pas sur des chemins qui se­raient tout tracés à l’avance », estime le designer Pierre Charpin, qui l’a dis­tingué. Ce lauréat, en 2013, du Grand Prix Design Parade à la Villa Noailles aime les objets qui surprennent, em­pruntant une forme plutôt qu’une autre. Sa création la plus intriguante est sans doute le Mur de Sèvres, comme un treillage piqué de porce­

laine, qui revisite une technique d’ac­crochage et de séparation de l’espace souvent employée par les décora­teurs français du début du XXe siècle :les murs de cordes.

Wendy Andreu, nommée parGuillaume Houzé, le président de Lafayette Anticipations, s’attache àl’exploration des matériaux. « Dans ce monde où tout est digitalisé, j’aimele poids, la texture et l’odeur des cho­ses », confie cette diplômée de l’écoleBoulle (option métal) et de la DesignAcademy d’Eindhoven. C’est là qu’elle a développé Regen (« pluie »,en néerlandais) : une série d’objets réalisés à partir de fibres de coton enduites de latex et enroulées sur une forme en acier, découpée au la­ser. Après ce textile en volume, sans couture et imperméable, qui rem­porte le Dorothy Waxman Textile Design Prize aux Etats­Unis en 2017, Wendy Andreu continue de se con­fronter à la matière, avec des tabou­rets à huit pieds en acier ou des éta­gères en aluminium. Représentéepar la galerie milanaise Nilufar, cettejeune trentenaire compte parmisa clientèle le créateur de mode Rick Owens et le studio de designlondonien Toogood.

v. l.

Les étoiles montantes « made in France » font salon

La chaise N200 pour Gebrüder Thonet Vienna (2019), en bois cintré et paille de Vienne.GEBRÜDER THONET

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Page 25: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 IDÉES | 25

Bernard Guetta Donald Trump a su placer les dirigeants iraniens devant une alternative impossibleLes Iraniens font bloc après l’assassinat du général Soleimani mais la République islamique est dans l’impasse, analyse le député européen

Les apparences comptentmais ne sont pas tout. Avecce vote du Parlement ira­kien exigeant, le 5 janvier, le

départ des troupes américaines, Donald Trump paraît avoir bien mal joué. Loin de déboucher sur un affaiblissement de l’Iran, l’as­sassinat du général Soleimani, figure essentielle de la Républiqueislamique, semble couvrir d’opprobre les Etats­Unis dans tout le Proche­Orient et leur faire perdre l’Irak au profit des mollahs.

L’Amérique est le tueur ; l’Iran, lavictime d’un terrorisme d’Etat. Alors qu’à Téhéran pragmatiques et conservateurs serrent les rangs contre Washington, la presse amé­ricaine déborde d’interrogations sur la stratégie dans laquelle Do­nald Trump aurait inscrit ce tir de drone. Le moins qu’on puisse dire est qu’on ne la voit pas et, si c’était un match, tous les buts marqués le seraient par le régime iranien.

Ce sont les faits. Ils ne sontguère discutés mais rien n’inter­dit une autre lecture de cette crisecar Donald Trump a su placer les dirigeants iraniens devant une

alternative impossible puisqu’ilest maintenant aussi risqué pour eux de venger la mort de Ghas­sem Soleimani que de refuser cet engrenage.

Prenons la première hypothèse,celle dans laquelle ils vengent bel et bien l’assassinat d’un homme qui était l’architecte de la projec­tion iranienne dans tout le Pro­che­Orient, dont le dernier carréde l’opposition syrienne fête lamort à Idlib car c’est lui qui avait permis à Bachar Al­Assad d’écra­ser son peuple et qui incarnait, avant tout, les gardiens de larévolution, cette armée du ré­gime qui avait réprimé dans le sang les manifestations iranien­nes de novembre 2019.

Cette vengeance, la Républiqueislamique l’a annoncée. Elle l’a promise mais qu’elle y procède di­rectement ou par l’intermédiaire de ses protégés libanais, syriens, yéménites ou irakiens, la réponse américaine à cette riposte ira­nienne sera immédiate et lourde. Proche de Donald Trump, le séna­teur Graham a, dès le vendredi 3 janvier, averti les dirigeants ira­

niens que leurs champs pétroliers seraient bombardés s’ils s’en pre­naient aux intérêts des Etats­Unis ou à leurs ressortissants. Donald Trump a enfoncé le clou en faisantétat de « 52 cibles » dont il pourrait ordonner la frappe.

Avertissements sérieuxLe message de la Maison Blanche était clair : « Si vous bougez, vous en paierez le prix. » Il y a peu de raisons de douter de cette me­nace que les Etats­Unis ont tousles moyens de mettre à exécu­tion. Les dirigeants Iraniens ontprocédé à des représailles appa­remment limitées. Seront­ils as­sez sages pour s’en tenir là et prendre les avertissements amé­ricains au sérieux ?

Ils éviteraient de graves destruc­tions à leurs infrastructures civi­les et militaires. Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup mais leurs alliés du Proche­Orient seraient alors fondés à en conclure qu’ils ne peuvent plus se reposer sur leur seul parrain iranien. Tout le contexte régional en serait changé, et pas à l’avantage de Té­héran. Bien des Iraniens se di­raient que leur régime n’est plus immortel. La donne iranienne en serait si profondément modifiée que la contestation sociale pour­rait reprendre souffle sans qu’il

soit éternellement possible de faire à nouveau tirer sur les cortè­ges de la misère. Tandis que conservateurs et pragmatiques se déchireraient alors à Téhéran, Bachar Al­Assad aurait à se cher­cher de nouveaux soutiens pen­dant que, déjà très affaiblis par les manifestations de Beyrouth et de Bagdad, le Hezbollah libanais et les milices et partis pro­iraniens d’Irak auraient à composer avec de nouveaux échiquiers natio­naux et régionaux.

Dans l’une et l’autre hypothèses,les dirigeants iraniens ne peuvent qu’être encore affaiblis par les sui­tes qu’ils donneront ou pas à cet assassinat, et force est de consta­ter que, consciemment ou pas, Donald Trump n’a pas mal choisi son moment. Etoile montante du Proche­Orient depuis que le ren­versement de Saddam Hussein par les Etats­Unis lui avait permis de prendre pied en Irak, la Répu­blique islamique est désormais confrontée au mécontentement social provoqué par le blocus éco­nomique américain et à un rejet du protectorat qu’elle a imposé aux Irakiens et aux Libanais. Ce ré­gime n’est plus ascendant mais descendant et, alors même que ses caisses se vident, il lui faut colmater des brèches toujours plus nombreuses et s’avouer

maintenant impuissant face aux Etats­Unis ou leur lancer un défi dont il sortirait à genoux.

Même si l’Irak en venait vrai­ment à expulser les troupes amé­ricaines, il n’est pas prouvé que l’Iran soit encore assez puissantpour prendre le contrôle de cevaste pays éclaté. Donald Trump, non, n’a pas forcément mal joué mais tout le problème est qu’ac­culé, dos au mur, le régime desmollahs peut faire s’envoler les enchères, et que son éventuel re­cul n’ouvrirait pas une ère de paix au Proche­Orient. Même re­latif, le vide qu’il laisserait alors ne préluderait qu’à un redouble­ment du chaos régional dans le­quel Turcs, Kurdes et Saoudiens chercheraient à consolider leurs positions tandis que la Russie se retrouverait seule dans unOrient compliqué où elle aurait bien du mal à savoir qui soutenir et pourquoi.

Bernard Guetta est député européen Renaissance, membre de la commission des affaires étrangères et a été journaliste, notamment à France Inter et au « Monde ».

James P. Rubin Une guerre entre les Etats-Unis et l’Iranest aujourd’hui une réelle possibilitéL’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani était justifié mais pas judicieux. Pour l’ancien secrétaire d’Etat adjoint de Bill Clinton, les Etats­Unis sont aujourd’hui isolés diplomatiquement et n’ont pas de stratégie claire, même si leur capacité de dissuasion est rétablie

Les tirs de drones américains de lasemaine dernière, qui ont causé lamort du général iranien GhassemSoleimani, suscitent de fiévreuses

spéculations quant à la possibilité d’une nouvelle guerre au Moyen­Orient, une guerre entre les Etats­Unis et l’Iran. Con­trairement à l’Irak, qui était l’adversaire des Américains lors des deux guerres du Golfe de 1991 et 2003, l’Iran a réellement la capacité de développer des armes nu­cléaires et a relancé des programmes à cette fin. Et, contrairement à Saddam Hussein, qui était peu ou pas impliqué dans le terrorisme international, la Répu­blique islamique d’Iran est le premier Etatà soutenir le terrorisme au Moyen­Orient et possiblement dans le monde.

Ce qui fait dire à beaucoup que, en 2003,le président George W. Bush s’est trompé de cible s’il s’inquiétait réellement d’em­pêcher que des armements nucléaires ne tombent entre les mains d’un groupe ter­roriste ou d’un Etat voyou. Car l’Iran est leseul pays au monde à mener un pro­gramme de développement d’armes nu­cléaires viable, à massacrer des civils enorchestrant des actions terroristes san­glantes par dizaines et, lors de la crise desotages de 1979, à s’être montré prêt à vio­ler toutes les règles internationales en matière de civilité.

Téhéran étant ces dernières annéesmonté en puissance sur la scène géopoli­tique, une guerre entre les Etats­Unis et l’Iran est aujourd’hui une réelle possibi­lité. Mais, malheureusement pour les

Etats­Unis et leurs amis, le contexte d’uneéventuelle troisième guerre du Golfe est très différent de celui des deux premières.

Car, cette fois, ce sont les Américainsqui se trouvent isolés sur la scène inter­nationale, et non leurs adversaires.Cette fois, ils n’ont pas d’autre objectifmilitaire clair que celui, flou, de réaliserune démonstration de force pour dis­suader Téhéran de mener des repré­sailles. Et, cette fois, aussi héroïque que soit la diplomatie, il ne sera pas possiblede la synchroniser avec l’action mili­taire. Souvenez­vous de 1991 et de 2003 :à ces époques, le recours à la force arméeétait légitimé, car il venait soutenir lesrésolutions du Conseil de sécurité del’ONU sur l’invasion du Koweït, puis surle refus de l’Irak de se plier au contrôle de ses armements – condition qui faisait

partie du cessez­le­feu qui avait mis unterme à la première guerre.

Ce sont ces trois facteurs – l’isolementdes Américains, un objectif militaire va­gue et l’absence de stratégie diplomati­que – qui font que cette opération mili­taire, autrement louable, visant à élimi­ner le chef militaire le plus impitoyable d’Iran, celui dont les mains sont le plustachées de sang, est en réalité une opéra­tion extrêmement dangereuse pour l’Oc­cident et irritante pour les alliés tradi­tionnels des Américains.

Mort de 600 soldats américainsDe fait, le général Soleimani conduisaitdepuis plus de dix ans une campagne mi­litaire brutale contre les Etats­Unis et leurs alliés au Moyen­Orient. Ses unités paramilitaires ont armé et entraîné en Irak des milices qui, selon les estimationsde l’armée américaine, ont causé la mort de quelque 600 soldats américains. Sescellules terroristes sont responsables de la disparition de centaines de civils enIran, mais aussi de dissidents établis dans des capitales européennes. Et, poli­tique la plus pernicieuse dans tout cela, peut­être, Soleimani a personnellement mené sur le terrain la campagne qui a permis à Bachar Al­Assad de faire bascu­ler la situation en sa faveur (avec l’aideprécieuse des attaques aériennes russes) et de vaincre la rébellion, dans une guerre civile qui fait des ravages depuis maintenant huit ans en Syrie.

Outre le déplacement de plusieurs mil­lions de civils, la violence des campagnesde massacres systématiques menées par Assad et ses alliés a fait entrer la guerre civile syrienne dans l’histoire. Soleimani et son allié Bachar Al­Assad méritent leurplace de criminels de guerre dans le même cercle de l’enfer que le chef cam­bodgien Pol Pot, les responsables hutuau Rwanda et la hiérarchie nazie qui a or­

ganisé l’Holocauste. Et pour cette simple raison, son assassinat est indubitable­ment justifié. La question est de savoir s’il est judicieux.

Comme pour beaucoup d’actions entre­prises par l’administration américaine, le problème n’est pas le résultat, mais le con­texte et la méthode. En matière d’affaires internationales, la manière de procéder etla préparation des choses ont leur impor­tance. Avant l’assassinat de Soleimani, il n’y a pas eu de campagne diplomatique visant à isoler Téhéran au motif des agres­sions qu’il a commises contre les Améri­cains au Moyen­Orient, en Irak, au Liban et en Syrie. Il n’y a pas eu non plus d’offen­sive diplomatique coordonnée qui aurait explicité la responsabilité de Soleimani dans divers crimes de guerre et actes ter­roristes. Au contraire, ces frappes aérien­nes semblent constituer un (compréhen­sible) geste d’exaspération de la part de Washington, las de la détermination de Téhéran à s’en prendre aux intérêts et auxressortissants américains.

Le fait est que toutes les mesures de dis­suasion ont échoué. Il est bien possible que, à terme, ces tirs de drones contribue­ront à redonner du poids aux politiques de dissuasion américaines. Alors que l’Iran s’est vu imposer une ribambelle desanctions économiques douloureuses, le pays a continué de mener des attaques terroristes et militaires en toute impunitémilitaire. Cette époque est désormais ré­volue. Et maintenant ?

Même s’il n’y a guère de chances quel’administration Trump entende ce con­seil venant d’un démocrate, la voie de la sagesse est très simple. Après avoir tué l’artisan de nombre des politiques que Trump et son équipe invoquent lorsqu’ils s’opposent à un accord nucléaire, de promptes tentatives de négocier un re­tour des Américains dans cet accord con­tribueraient largement à mettre fin à

l’isolement des Etats­Unis et à rediriger la pression diplomatique internationale sur Téhéran, comme il se doit.

Si le gouvernement Reagan, qui a dé­noncé l’Union soviétique lorsqu’elle enva­hissait l’Afghanistan et soutenait les rebel­les communistes d’Amérique latine et d’Afrique, a pu parallèlement négocieravec Moscou des accords sur le contrôle des armes, alors l’administration Trumppourrait elle aussi mener de front deux politiques avec Téhéran. Cela signifie s’op­poser par tous les moyens appropriés auxtentatives iraniennes d’asseoir une hégé­monie régionale, et ce, en exerçant une influence sur les gouvernements et terri­toires du Liban, d’Irak et de Syrie (autre­ment dit, une bande de terre allant de la Méditerranée au golfe Persique), tout en retournant à la table des négociations pour rapidement revoir l’accord nucléaireiranien et définir un nouveau calendrier.

Si l’Amérique sort de son isolement,Washington pourra bénéficier d’un sou­tien en Europe et au Moyen­Orient afin de mettre en place des mesures de plus enplus fortes pour contrer l’agressivité ira­nienne dans la région. Le fait que tant de pays arabes applaudissent le décès de So­leimani signifie qu’un tel objectif diplo­matique ne serait pas très difficile à at­teindre – à condition que la position ab­surde de Washington sur l’accord nucléaire ne bloque pas toute avancée.

Traduit de l’anglais parValentine Morizot

James P. Rubin a été secrétaire d’Etat adjoint aux affaires publiques de Bill Clinton. Il est aujourd’hui conseiller stratégique à Washington et collabore au site Politico

SI L’AMÉRIQUE SORT DE SON ISOLEMENT, WASHINGTON POURRA BÉNÉFICIER D’UN SOUTIENEN EUROPE ETAU MOYEN-ORIENT

FORCE EST DE CONSTATER QUE, CONSCIEMMENTOU PAS,DONALD TRUMP N’A PAS MAL CHOISISON MOMENT

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Page 26: Le Monde - 09 01 2020

26 | idées JEUDI 9 JANVIER 20200123

Laure Murat Les femmes passent enfin d’objets à sujetsL’essayiste revient sur le témoignage de Vanessa Springora et sur la notion de victime consentante, trop longtemps « plébiscitée » par la société. Elle propose que ceux qui « hier célébraient » Gabriel Matzneff rendent des comptes

Gabriel Matzneff est passé, depuisquelques jours, de sujet à objet. Lui,le sujet, le sujet désirant, tout­puis­sant, sulfureux, le sujet écrivain,

admiré, l’invité de l’émission « Apostro­phes », récompensé, adoubé par leprésident de la République (François Mitterrand, à l’époque), gratifié de12 000 euros puis de 6 000 euros par an par le Centre national du livre [le CNL, qui lui accordait une aide de l’Etat réservée auxécrivains en difficulté financière], décoré

par Jacques Toubon (en 1995), logé par la Ville de Paris, est tombé de l’autre côté. Ducôté de l’opprobre. De la chosification. Objet de la vindicte populaire, objet dehaine, d’abjection. Il est tombé du côté de sa proie, du mauvais côté du manche : il est devenu la victime. Autrement dit, de prédateur, il est devenu l’objet d’une pré­dation. Le loup pris à son propre piège.

Faut­il s’en réjouir ? La réponse est non.Tomber à bras raccourcis sur un homme qui n’a jamais caché ses préférences et lesa publiées noir sur blanc avec l’assenti­ment ravi et vaguement excité de sespairs confine à la plus pure hypocrisie. Plutôt que de vouloir retirer à Matzneff sa pension du CNL ou l’insigne des Arts etLettres qu’il reçut du gouvernement, jepropose plus logiquement qu’on de­mande des comptes aux instances offi­cielles qui l’accablent aujourd’hui et le cé­lébraient hier. Je propose le procès du mi­nistère de la culture, l’examen deconscience de la société tout entière, et leprocès de la complicité de l’intelligentsia, mieux que celui d’un homme seul et aux abois, si détestable soit­il.

L’époque, qui aime la polarisation etporte aux nues le couple infernal du bour­reau et de la victime, se divise en deux : d’une part, ceux qui le défendent ou l’excu­sent au nom d’une contextualisation qui menace de tout relativiser, de l’autre ceux qui l’accablent et le vouent aux gémonies

au risque de l’anachronisme. Double myo­pie anhistorique. Résultat ? La curée, l’épu­ration, les hurlements. Les deux camps ont tort, en ce qu’ils sont enfermés dans le juge­ment moral, libéral ou conservateur, dans une forme d’inquisition qui ne sert personne, et certainement pas la principaleintéressée : Vanessa Springora, auteure duConsentement (Grasset, 216 p., 18 euros), récit de sa relation avec « G. M. » alors qu’elleavait à peine 14 ans et lui 50.

La lente emprise de l’« ogre »Or ce que ce récit sans afféteries évite, pré­cisément, c’est le manichéisme. Ce qu’il décrit, ce sont les manœuvres d’encercle­ment, l’emprise lente de celui qu’elle nomme bien un « ogre » tout en détaillant un système qui fait d’elle une proie « con­sentante ». La question que ce livre poseest celle de son titre : qu’est­ce que le « con­sentement », a fortiori lorsque celui­ci est non pas donné spontanément, mais sup­posé, subodoré, entendu, extorqué, exigé et, finalement, dénaturé ? « Victime con­sentante », voilà l’oxymore, si commodé­ment accepté et même plébiscité par la so­ciété, qui rapporte les femmes à leur ac­ception élémentaire : des putes quiveulent réussir.

Ce que dénonce Vanessa Springora ré­sonne de façon troublante avec les proposd’Adèle Haenel, harcelée adolescente par le metteur en scène Christophe Ruggia : la

violence d’un « système » qui oblige l’en­fant ou la très jeune fille à penser qu’elle désire ce qu’on lui impose. C’est unsystème très pervers et subtil, parfaite­ment huilé, celui de l’abus de pouvoir,dont la compréhension exige des annéesd’analyse, d’introspection et de bonne foide chaque partie.

Le mouvement #metoo a ouvert ledébat. Tant mieux. Les femmes parlent, on les écoute, c’est bien. Elles s’expriment,expliquent, témoignent. Elles passent, en­fin, d’objets à sujets. Mais aucun homme n’a, jusqu’ici, en France, fait amendehonorable. Et dit : « Oui, j’ai violé/agressé/harcelé/untel, unetelle. » Commentest­ce possible ? Polanski s’enferre,Matzneff persiste et signe, Besson fait legros dos. Des millions de menteuses con­tre des artistes intouchables et inno­cents ? Allons donc.

Laure Murat, essayiste et historienne, enseigne la littérature à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Elle a notamment publié « L’Homme qui se prenait pour Napoléon » (Galli-mard, prix Femina 2011) et « Une révolu-tion sexuelle ? Réflexions sur l’après-Weinstein » (Stock, 2018)

Marc Weitzmann Les écrivains sont responsables de la vague de discrédit populiste qui les frappe

Avec l’affaire Matzneff, « l’illettrisme » de Saint­Germain­des­Prés, son incapacité à donner le moindre sens aux mot, apparaît au grand jour, souligne l’écrivain. Il se demande quand le milieu a perdu ses boussoles éthiques et littérairesP

aradoxe n° 1 : un monde littéraire déjàexsangue est en train de s’autodé­truire à propos de Gabriel Matzneff,écrivain que, à l’exception d’un petit

groupe d’amateurs, personne ne lit.Paradoxe n° 2 : il aura fallu la publication

d’un témoignage – Le Consentement, de Va­nessa Springora (Grasset, 216 p., 18 euros),texte circonstancié et nuancé s’il en est – pour que les amateurs en question pren­nent soudain conscience de faits dont ils lisaient pourtant jusque­là le compte rendu dans les livres de Matzneff, c’est­à­dire sous forme littéraire.

Un premier constat, bizarre, ressort de cesdeux paradoxes : même ignoré, l’objet litté­raire conserve en France un potentiel explo­sif, sauf chez ceux dont c’est le métier de lire.

Quarante ans durant, Matzneff a séduitdes jeunes filles mineures ; il s’est autorisé,au moins un temps, de régulières plongéesdans le monde de la prostitution enfantineà Manille ; il a écrit tout cela de façon dé­taillée, l’a théorisé, s’est même fait le pro­sélyte de la pédophilie dans certains de seslivres. Mais, disent les écrivains, jurés et critiques qui le soutiennent ou l’ont sou­tenu, puisque « tout le monde savait », ce n’était donc pas important ; et, puisque« Matzneff a du style », ce que ce style décritdans ses livres n’existe pas.

Voie ouverte à la censureEn d’autres termes, affirment les écrivains eux­mêmes, les mots portés par la littéra­ture que nous produisons n’ont aucun poids, aucune valeur – c’est juste du style.Faut­il s’étonner, dès lors, si les mots destémoignages ont pris leur place ? Qui fait lejeu de la vague de discrédit populiste frap­pant les écrivains aujourd’hui, sinon lesécrivains eux­mêmes ?

C’est Franz­Olivier Giesbert expliquantsur BFM que la pédophilie était courante« au temps des Grecs », avant d’affirmer sonsoutien « au combat de Springora ». C’est Frédéric Beigbeder, qui, après avoir écrit sur Matzneff (c’était lors de la parution du dernier volume du journal de ce dernier) les phrases suivantes : « Il faut que cethomme sache qu’il a appris la liberté, la joie,et la poésie à des milliers de lecteurs et delectrices. Tatiana, Francesca, Vanessa, Ma­rie­Elisabeth sont devenues des icônes, transfigurées par son style vif et limpide »,prétend désormais avoir toujours vu en Matzneff un « mythomane » se glorifiant « de faits qu’il n’avait pas commis ». C’est

Bernard Pivot ouvrant sans le voir la voie àla censure, en affirmant que l’on privilé­giait autrefois la littérature, quand on favo­rise aujourd’hui la morale.

Il y a un terme pour décrire ce qui sepasse quand quelqu’un qui sait lire s’avère incapable de donner le moindre sens aux mots qu’il a sous les yeux, on appelle ça del’illettrisme. La panique soufflant sur Saint­Germain­des­Prés en ce moment tient sans doute à la conscience confuseque cet illettrisme apparaît pour la pre­mière fois ou presque au grand jour.

Et la question qui se pose est de savoirquand et comment cet illettrisme est né, quand et comment des notions complexestelles que l’ambiguïté, le jeu conscient avecla tentation, l’exploration imaginaire des abîmes intérieures, la suspension provi­soire du jugement, qui constituaient autre­fois le travail de l’écrivain, ont laissé place àdes considérations telles que celle­ci : « Il y a un truc qui s’appelle la littérature et quand quelqu’un parle de cet endroit­là il n’arrive pas toujours à se maîtriser » (Chris­tine Angot, lundi 6 janvier, dans son inter­view à Léa Salamé sur France Inter). Quandet comment, en d’autres termes, le milieu a perdu, avec sa boussole éthique, sa bous­sole littéraire.

Le rôle joué dans le parcours de Matzneffpar les mouvements de libération des an­nées 1970 est d’autant moins discutable qu’il en parle lui­même très précisément dans Séraphin, c’est la fin !, le livre qui lui a valu le Renaudot en 2013. C’est au début desannées 1970, dit­il, dans l’appartement de Paul et Carole Roussopoulos, deux docu­mentaristes féministes de l’époque, qu’il rencontre « Jean Genet, des membres desBlack Panthers, de l’extrême gauche alle­mande et italienne et tant d’autres » et qu’il est subjugué par ce « mouvement incessant, cette liberté d’esprit et de ton qui de nos joursne sont même plus imaginables. S’[il a] oséécrire et surtout publier des livres tels que (…)Les Moins de seize ans, c’est assurément grâce à ce lyrisme qui [les] soulevait, [leur] donnait le courage d’accomplir des actes ju­gés soit délictueux, soit scandaleux. »

Mais ce renversement des valeursn’aurait pas suffi à faire de Matzneff l’écri­vain culte qu’il est devenu par la suite.Comme l’ont montré Raphaëlle Bacqué etAriane Chemin dans les colonnes du Monde (daté 7 janvier), c’est de la droite que sont venus les soutiens les plus actifs àpartir des années 1990. « Cette fois­ci en­core on est rassurés », écrit ainsi, patelin,l’un des plus modérés, Jean d’Ormesson, chroniquant dans Le Point La Prunelle demes yeux (Gallimard, 1993) – le livre dans lequel Matzneff donne une version idylli­que de sa liaison avec Vanessa Springora. « Dès les premières pages, l’auteur coucheou a couché ou envisagé de coucher avec Marie­Elisabeth, avec Diane, avec Anne, avec Vanessa (…). C’est un hamburger decorps empilés à faire pâlir Jean­Marie Rouart », ajoute le fin académicien.

C’est dans ces années 1990 puis 2000 queva se former dans le milieu littéraire un pe­tit monde presque exclusivement mascu­lin en quête de transgression. On y arbore des positions antiglobalistes « de gauche »,tout en affichant une attitude aristocrate, on célèbre « la décadence » en lisant les clas­siques et l’on encense les écrivains préten­dument « sulfureux » tels Marc­Edouard Nabe et Matzneff, le séducteur de vierges.

Baudelaire, le premier à l’avoir identifié,

appelait « satanisme badin » cet alliaged’insouciance faussement galante et d’or­dure. Nous sommes là dans une traditiontrès française, qui transcende les clivages politiques. Plus que la transgression, la fri­volité – une frivolité masculine – y est si­gne de pouvoir apparent.

Pour mieux dissimuler l’impuissance ?Matzneff, qui se dit tour à tour Don Juan etMéphistophélès, se veut aussi un pygma­lion. « Je suis le contraire d’un macho, insis­te­t­il, je ne force jamais personne. » Les vierges qu’il séduit, il les « initie », leur ap­porte « la lumière » – c’est­à­dire le sexe,bien sûr, mais aussi la culture, la vraie,celle de l’Europe condamnée par « la civili­sation américano­sioniste », ainsi qu’ill’écrit dans Séraphin, c’est la fin ! A le lire, lesfilles en question, devenues femmes, luisont redevables.

Dans Le Consentement, en deux paragra­phes, Vanessa Springora a écrit ce qu’il fal­lait penser de ces initiations sexuelles. Faut­il le rappeler ? Pygmalion, écrit Ovide, déteste et fuit le sexe féminin. La statue d’ivoire qu’il se construit est sa seule jouis­sance possible. C’est ainsi que l’on en revientà la question posée au début de cet article.

Le problème littéraire de toute cette his­toire n’est pas que Matzneff ait écrit ses ex­périences pédophiles ou ses conquêtes de filles trop jeunes, ni même qu’il ait eu unprix pour cela : si la littérature se doit d’êtretoujours éthique – contrairement à ce qu’a écrit Pivot –, elle n’est pas nécessairement sociale, et n’a que faire des bonnes mœurs.Le problème est le manque de vérité. Tout obsédés par leur frivolité et leur narcis­sisme masculins, ni Matzneff ni le milieu n’ont été capables de voir la transgression dont ils se réclamaient.

Pourquoi un document non littéraire serévèle­t­il au bout du compte plus vrai,dans ses descriptions, que l’œuvre d’unécrivain ? Parce que l’écrivain, idolâtré parses admirateurs, est devenu à lui­mêmesa statue d’ivoire. N’est pas Oscar Wilde quiveut.

Marc Weitzmann est journalisteet écrivain. Il a publié, en 2018, un essai intitulé « Un temps pour haïr » (Grasset).Il produit sur France Culture l’émission « Signes des temps »

C’EST DANS CES ANNÉES 1990-2000 QUE VA SE FORMER DANS LE MILIEU LITTÉRAIRE UN PETIT MONDE PRESQUE EXCLUSIVEMENT MASCULIN EN QUÊTE DE TRANSGRESSION

POLANSKI S’ENFERRE, MATZNEFF PERSISTE ET SIGNE, BESSON FAIT LE GROS DOS

Le contexteLa polémique suscitée par

la publication de l’ouvrage

de Vanessa Springora

Le Consentement (Grasset,

126 p., 18 euros) ne cesse

d’enfler. Dans ce livre auto-

biographique, l’auteure

accuse l’écrivain Gabriel

Matzneff de pédocriminalité

à son encontre. Mardi 7 jan-

vier, les éditions Gallimard

ont annoncé qu’elles arrê-

taient la commercialisation

du journal de Gabriel

Matzneff, qu’elles éditent

depuis 1990. « La souffrance

exprimée par madame

Vanessa Springora dans

Le Consentement fait enten-

dre une parole dont la force

justifie cette mesure excep-

tionnelle », a fait savoir la

maison d’édition. Vendredi

3 janvier, le parquet de Paris

avait ouvert une enquête

pour viols sur mineur.

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Page 27: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 idées | 27

HISTOIRE D’UNE NOTION

L e 23 octobre, Google n’a pas seule­ment franchi une étape technologi­que majeure en annonçant avoirconstruit une machine des plus

innovantes, capable de battre n’importe quel superordinateur actuel. L’entreprise a aussi popularisé un mot nouveau pour caractériser ce saut technologique : la suprématie quanti­que. Notion aussitôt contestée.

Commençons par l’incontestable, l’adjectif« quantique », plus que centenaire. Au début du XXe siècle, pour expliquer certains phéno­mènes, les physiciens décident d’abandonner, à l’échelle des constituants de la matière, la notion classique de continuité, pour celle, pluscomplexe, de quantification. Un électron autour d’un noyau atomique n’oscille pas tranquillement comme un enfant sur une balançoire. Il bouge par sauts discontinus et, s’il était sur une balançoire, certaines hau­teurs lui seraient interdites. D’où ce terme de « quantique », synonyme de discontinuité.

Ces découvertes expérimentales et théori­ques, souvent contre­intuitives, ont débouché sur des applications dites de la première révo­lution quantique : les transistors et toute la microélectronique, le laser, les disques durs, lagéolocalisation par satellite… Mais ce n’était pas terminé. Une deuxième révolution était en même temps en préparation à la suite de ladécouverte de nouvelles bizarreries quanti­ques. En simplifiant, les objets quantiques sont à la fois des ondes et des particules. Ils peuvent être dans deux états à la fois, ou pas­ser par deux endroits simultanément. Des pai­res d’objets même très éloignés l’un de l’autre se comportent comme un seul objet ; toucher à l’un modifie l’autre instantanément.

Course aux qubitsDans les années 1980, certains ont pensé tirer profit de ces étonnantes propriétés pour de nouvelles applications, notamment pour le calcul. Au lieu de manipuler des bits d’infor­mations qui valent soit 0, soit 1, on pourrait utiliser des objets quantiques nommés

qubits, à la fois 0 et 1, ce qui permettrait de cal­culer plus vite. Une course aux qubits s’est donc lancée, débouchant sur une concurrenceentre géants de l’informatique, au tournant des années 2000, IBM, Google, Microsoft…, oudes start­up : 7 qubits en 2001, 17 en 2017 et 53 en 2019 pour l’ordinateur de Google.

Pendant ce temps­là, en 2011, lors d’une con­férence à Bruxelles, publiée en 2012, le physi­cien John Preskill, de l’université Caltech (Cali­fornie), a défini un jalon qu’il a baptisé « supré­matie quantique ». Il marque le moment où l’ordinateur quantique réalise un calcul infai­sable en un temps raisonnable pour les machi­nes à bases de 0 et de 1. Google a repris à son compte cette notion pour en faire son objectif tant scientifique que de communication. La promesse d’y parvenir avait été faite pour fin 2017, puis fin 2018, avant finalement de se réa­liser… sous forme d’une fuite un mois avant lapublication scientifique du 23 octobre. L’ordi­nateur, Sycamore, calcule en trois minutes et vingt secondes ce qui aurait pris dix mille ans au meilleur des supercalculateurs.

Le concurrent IBM a rétorqué en déclarantque, sur le papier, de meilleurs algorithmes classiques feraient le calcul en deux jours et demi, mais sans le prouver sur de vraies machines. Surtout, il fait valoir que la notionpertinente n’est pas la suprématie, mais le « volume quantique », un paramètre qui tient compte du nombre de qubits mais aussi de leur qualité. Les qubits sont fragiles et ne conservent leurs propriétés magiques que peude temps, limitant les possibilités de calcul.

Pire, si tout le monde a salué la prouessetechnologique consistant à assembler autant de composants complexes, beaucoup consi­dèrent que la machine a fait un calcul assez inutile. La véritable suprématie serait de dé­

montrer la supériorité des ordinateurs quanti­ques sur des problèmes concrets en mathé­matiques ou en chimie. Et là on parle plutôt de100 000 à 1 million de qubits.

Le 10 décembre 2019, seize chercheurs ontaussi protesté, dans la revue Nature, contre le choix du mot « suprématie ». Ils soulignent les relents nauséabonds de « violence, néoco­lonialisme et racisme » portés par ce vocable. Ces contestataires trouvent le mot trop guerrier, comparable à ceux déjà utilisés dansd’autres domaines comme la « conquête » spatiale ou la « colonisation » de Mars. Ils pré­fèrent parler d’« avantage quantique ». Mot que John Preskill ne trouvait pas assez mar­quant. « Dans une course de chevaux, l’avan­tage tient parfois à un naseau. A l’inverse, un ordinateur quantique surpasse largement l’or­dinateur classique », expliquait­il dans le jour­nal en ligne Quanta le 2 octobre. John Preskill explique au Monde qu’il utilise aussi parfois le terme de « prééminence quantique », mais« ça n’a pas pris ». Il suggère aussi d’être plusprécis en parlant de « suprématie du calcul quantique », afin de rappeler le contexte tech­nologique, même si pour lui il n’y a pas d’am­biguïté. Le mot quantique ne désigne pas unecommunauté particulière de chercheurs.

Ce physicien répond aussi à l’argument del’inutilité des machines actuelles par l’inven­tion en 2018 d’une nouvelle notion, qui ne de­vrait pas choquer grand monde : le noisy inter­mediate­scale quantum (NISQ) ou système quantique bruité d’échelle intermédiaire. A sa­voir des machines avec un peu plus de qubits que Sycamore mais pas forcément meilleures qui pourraient déjà résoudre quelques problè­mes utiles. Faire avec ce qu’on a est le dernier credo de la suprématie quantique.

david larousserie

SI TOUT LE MONDE A SALUÉ LA PROUESSE 

TECHNOLOGIQUE, BEAUCOUP 

CONSIDÈRENT QUE LA MACHINE A FAIT UN CALCUL 

ASSEZ INUTILE

SUPRÉMATIE QUANTIQUE Ce concept, contesté pour ses connotations trop guerrières, renvoie à une seconde révolution quantique avec supercalculateurs à même de réaliser un calcul infaisable en un temps raisonnable par les machines traditionnelles

AGATHA CHRISTIECollection « Femmes d’exception »,« Le Monde », volume 3, 9,99 euros. En kiosque

L’Australie brûle-t-elle ? | par serguei

AGATHA CHRISTIE, UNE PLUME TREMPÉE AU CRIME

FEMMES D’EXCEPTION

L a vie, en réalité, est une rue àsens unique », déclara l’im­prévisible Agatha Christie,

dont l’étrange et rocambolesque histoire ressemble à celle de ses héros. Le troisième opus de la collection du Monde « Femmes d’exception » éclaire le parcours de cette figure de renommée pla­nétaire qui fut tour à tour infir­mière, chimiste, globe­trotteuse, surfeuse, archéologue… et sacrée « reine du crime ».

Dans sa riche expérience person­nelle et affective, dans ses juge­ments radicaux et son inextingui­ble soif de liberté, Agatha Christie a puisé l’élan et le rythme de ses in­trigues, la densité de ses personna­ges. Indépendante, curieuse, ob­servatrice et armée d’une belle opiniâtreté, elle incarne à la fois une femme et une héroïne. Car sesparents aisés, lettrés, aimants et fantasques lui ont offert un choix précieux, la laissant, enfant, courir dans les bois, se former en autodi­dacte à la lecture et au piano, sans école ni précepteur. Dès l’âge de 16 ans, ses premiers voyages en

France et en Egypte affûtent son assurance, son sens de la repartie et son humour so british dans les milieux mondains et les bals de la haute société victorienne. Désar­gentée mais pleine d’esprit, Aga­tha Miller observe et séduit, comme si chaque expérience vé­cue lui ouvrait un nouveau chapi­tre à écrire. Fervente admiratrice de Sherlock Holmes, de Conan Doyle, du personnage d’Arsène Lu­pin et de Gaston Leroux – dont sa sœur, qui se destinait à la littéra­ture, lui a fait découvrir Le Mystèrede la chambre jaune –, l’auteure en herbe mettra longtemps avant de convaincre son premier éditeur.

Pour l’heure, la Grande Guerre,les soins aux blessés et l’amour d’Archibald Christie, aviateur, s’imposent dans sa vie. Mariée à lahâte en bousculant les convenan­ces, elle donnera naissance à sa fille, Rosalind, puis à son premier succès, La Mystérieuse affaire de Styles, où Hercule Poirot fait son apparition. Ici, vie et écriture ne font qu’une, et la même énergie pousse Agatha et Archibald à ar­penter le monde, accompagnant la luxueuse mission pour l’exposi­

tion de l’Empire britannique. Mais bientôt, tout bascule.

En 1926, le couple se désunit.Agatha est affectée par la mort de sa mère alors qu’elle connaît, avecLe Meurtre de Roger Ackroyd, son premier grand succès de librairie. A l’image d’un personnage de ro­man, elle disparaît plusieurs jours,créant autour de sa personne une hystérie médiatique. Une vie s’achève, une autre s’annonce ? Sa liberté prend corps dans ses voya­ges. D’Europe en Asie, elle s’aven­ture aux sources des grandes civi­lisations et se lie avec l’archéolo­gue Max Mallowan, qu’elle épouse.

Dès lors, celle qui sera nomméepar la Couronne dame de l’Empirebritannique, qui enchaîne succès et fouilles, est devenue un maîtredu suspens. La radio et le théâtre célèbrent son œuvre. Et comme achevant un périple où vraie vieet fiction se confondent, Agatha Christie rendra mortel son célè­bre Hercule Poirot un an avant qu’elle­même ne s’éteigne, lais­sant une œuvre et une plume trempées au crime, au mythe et aux finesses du mystère.

christophe averty

L ors de ses vœux pour l’année2020, le président de la Républi­que s’est félicité de la création

de 500 000 emplois depuis son élec­tion. Ce chiffre correspond à l’évolu­tion de l’emploi salarié du deuxièmetrimestre (T2) 2017 au troisième tri­mestre 2019, issue des compilations de données administratives par l’Insee, l’Acoss (Sécurité sociale) et la Dares (ministère du travail). L’autre grande source disponible est l’enquêteEmplo i, où l’Insee interroge en con­tinu un échantillon représentatif de lapopulation en âge de travailler sur sa situation d’emploi. Là, le portrait estbien moins reluisant : entre les deux dates, seulement 200 000 personnes supplémentaires seraient « occu­pées » au sens d’Eurostat (ni chômeurni inactif au moment de l’enquête).

S’il est habituel que les deux sourcesne coïncident pas, notamment en rai­son d’effets de calendrier, la diver­gence des estimations est specta­culaire pour la seconde année du quin­quennat. Du T2 2018 au T2 2019, l’éco­nomie française aurait créé près de 250 000 emplois salariés selon les données administratives, et au plus 75 000 emplois tous statuts confondusselon l’enquête Emploi traitée par Eurostat. La divergence est même pire si on se concentre sur le nombre de tra­vailleurs dont l’activité principale est salariée : il aurait baissé de l’ordre de 40 000 sur la même période d’après les chiffres bruts fournis par Eurostat. Les deux séries apportent ainsi des vi­sions antithétiques, l’une cohérente avec la satisfaction du pouvoir, l’autre avec le malaise social persistant.

SurestimationLes administrations économiques n’ont pour l’instant pas publié d’ana­lyse de cette divergence récente. Les chercheurs n’auront accès que dansde très long mois aux fichiers dé­taillés. On en est donc réduit à émettredes hypothèses.

1. L’enquête Emploi aurait subite­ment perdu en pertinence, potentiel­

lement minée par le contentieux en­tre les enquêteurs de l’Insee et leur di­rection (in fine résolu cet automne parla création d’une prime de collecte).Mais alors que vaudraient les chiffres officiels du chômage calculés à partir de cette enquête ?

2. L’enquête Emploi, administrée àdomicile ordinaire et par téléphone, ne couvre pas ou mal les travailleurs résidant à l’étranger, ceux clandestins, ceux vivant en logement précaire (hô­tel, caravane) ou en communauté (foyers, cités universitaires). Les em­plois seraient­ils de plus en plus occu­pés par ces catégories de travailleurs ?

3. La multiactivité se serait accélérée,mettant en défaut les décomptes ad­ministratifs, qui ne corrigent le cumuld’emplois que sur la base de statisti­ques de 2017. Si un équipier à temps partiel d’un fast­food a un second tra­vail dans un autre franchisé de la même chaîne, il risque transitoire­ment d’être compté administrative­ment deux fois, tout en déclarant oc­cuper un temps plein dans l’enquête Emploi (d’ailleurs, la part des temps partiels décline selon cette enquête).Un professeur d’université rémunéré pour ses enseignements complémen­taires par une fondation de droit privécomptera pendant un temps deux fois, au titre de son emploi public et d’un emploi privé. Si de plus en plus de travailleurs deviennent autoentre­preneurs tout en conservant un em­ploi salarié, là aussi, les données admi­nistratives pourraient surestimer les créations d’emplois.

4. Le prélèvement à la source aurait« créé » des emplois. De fin T4 2018 à fin T1 2019, les chiffres administratifscorrigés des variations saisonnièresindiquent 100 000 emplois salariés de plus, soit un record pour la décen­nie. On ne peut exclure que la mise enœuvre du prélèvement à la source aitobligé les entreprises à améliorer la fiabilité de leur système de déclara­tion d’embauche et d’emploi aux ad­ministrations.

Les chiffres de l’emploi et du chô­mage sont très sensibles. Il serait utile que, lors de ses prochaines publica­tions, la statistique publique s’attelle àexplorer ou à lever ces hypothèses, et à conclure sur de « vrais » chiffres de l’emploi en France.

Philippe Askenazy est professeur d’économie à l’ENS­Ecole d’économie de Paris et chercheur au CNRS­Centre Maurice Halbwachs.

CHRONIQUE  | PAR PHILIPPE ASKENAZY

500 000 emplois créésdepuis 2017, vraiment ?

LA DIVERGENCE DES ESTIMATIONS 

EST SPECTACULAIRE POUR LA SECONDE ANNÉE 

DU QUINQUENNAT

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Page 28: Le Monde - 09 01 2020

28 |carnet JEUDI 9 JANVIER 20200123

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publicationLouis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de lapublication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactionsFrançoise TovoDirection adjointe de la rédactionPhilippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,Franck Johannes, Marie-Pierre Lannelongue,Caroline Monnot, Cécile PrieurDirectrice éditoriale Sylvie KauffmannRédaction en chef numériqueHélène Bekmezian, Emmanuelle ChevallereauRédaction en chef quotidienMichel Guerrin, Christian Massol, Camille SeeuwsDirecteur délégué au développement du groupeGilles van KoteDirecteur du numérique Julien Laroche-JoubertRédacteur en chef chargé des diversificationséditoriales Emmanuel DavidenkoffChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design Mélina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinMédiateur Franck NouchiDirectrice des ressources humaines du groupeEmilie ConteSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,Sébastien Carganico, vice-président

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Marseille.

Ondine et Pascal Bourrigaudet leurs filles Julia et Lola,

Marion et Hervé Grihangneet leurs enfants, Zoé, Martin, Emileet Aurélie

Claude Bonzon,son frère,

ont la tristesse de faire part du décèsde

François BONZON,capitaine au long cours,

survenu à Lasalle, le 6 janvier 2020.

Jean-Pierre Bordaz,son époux,

Olivia Bordaz,sa fille,

Nigel et Helen Edwards,son frère et sa belle-sœur,

Johanna Edwards,sa sœur,

Rémi et Corinne Bordaz,Marie-Claire Bordaz,

ses belles-sœurs et son beau-frèreAinsi que toute la familleEt ses amis,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Mme Natasha BORDAZ,née EDWARDS,

survenu à Paris 13e,le lundi 30 décembre 2019,à l’âge de cinquante-sept ans.

La cérémonie religieuse seracélébrée le vendredi 10 janvier 2020,à 10 heures, en l’église Saint-Étienne-du-Mont, 1, place Sainte-Geneviève,Paris 5e, suivie de l’inhumationau cimetière du Montparnasse,Paris 14e, dans la sépulture de famille.

Anne et Florence Castagneyrol,ses filles,

Nicole et Jacques Restoin,sa sœur et son beau-frère,

Toute sa familleEt ses proches,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Jean-Claude CASTAGNEYROL,

survenu à Paris, le 4 janvier 2020,à l’âge de soixante-quatorze ans.

La célébration religieuse auralieu le mardi 14 janvier, à 11 heures,en l’église Saint-Joseph-des-Nations,Paris 11e, suivie d’une cérémonie aucrématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, à 15 h 30.

Les Scouts et Guides de France

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

Mme Marie-ThérèseCHEROUTRE,

officier de la Légion d’honneur,officier

de l’ordre national du Mérite,

à l’âge de quatre-vingt-quinze ans,le samedi 4 janvier 2020.

Les obsèques ont lieu à Sète,le mercredi 8 janvier, dans l’intimitéfamiliale.

Ma r i e - Th é r è s e Che r ou t r e,personnalité de la vie associativefrançaise, devient en 1953, à vingt-neufans, commissaire générale des Guidesde France. Elle le restera jusqu’en 1979.Son approche du guidisme commeoutil d’émancipation de la jeunesseféminine est à l’origine d’autresresponsabilités sur les plans nationalet international. En 1968, elle co-fondele Conseil national des associationsde jeunesse et d’éducation populaire(CNAJEP). En 1983, elle devientprésidente du Conseil nationalde la vie associative. En 1984, elle estélue au Conseil économique socialet environnemental. Elle y préside legroupe des associations de 1985 à 1993et rédige deux rapports centréssur la vie associative et le bénévolat.Co-fondatrice de la ConférenceInternationale Catholique duGuidisme reconnue en 1963 par leSaint-Siège, Marie-Thérèse Cheroutreen est la première secrétaire générale.Restée proche des Scouts et Guidesde France, elle n’aura eu de cessede défendre la place des femmes dansla société. Aujourd’hui encore, lemouvement s’inspire de son approcheconcertée de l’inter-éducation des filleset des garçons.

Le présidentde l’université Paris II Panthéon-Assas,

Ses collègues,L’ensemble du personnel,

ont la tristesse de faire part du décèsde

André DECOCQ,professeur émérite de l’université.

Ils s’associent à la douleurde sa famille et de ses prochesauxquels ils présentent leurs plussincères condoléances.

Marie-Odile Ducrest,son épouse,

Frank, Marc, Olivier, Pierre-Jean,ses enfantset leurs épouses,

Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,Jean-Pierre,

son frère,Marie Pinton,

sa sœur,Ses neveux,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Francis DUCREST,École de l’air, à Salon-de-Provence

(promotion 1951),pilote de chasse,

croix de la Valeur militaires (AFN),pilote de ligne, à Air France,

écrivain,médaille de l’aéronautique,

survenu le dimanche 5 janvier 2020,à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

La cérémonie religieuse auralieu le samedi 11 janvier, à 14 h 45,en l’église de La Tour-d’Aigues(Vaucluse) et sera suivie del’inhumation au cimetière de LaBastidonne, vers 16 h 15.

Ni fleurs ni plaques, à la place,des dons à SOS Villages et les Petitsfrères des Pauvres.

Château de Rafinel,1400, route de La Bastidonne,84240 La Tour-d’[email protected]

Mme Françoise Ferrier,Pascal, Nicolas et Julie,

ses enfants,Luca, Siméon, Adèle, Jules, Paul,

Laura et Rose,ses petits-enfants

Et toute la famille,

font part du décès de

M. Didier FERRIER,professeur émériteà la Faculté de droit

de l’université de Montpellier,

survenu le 5 janvier 2020,à l’âge soixante-quatorze ans.

Les obsèques seront célébréesle vendredi 10 janvier, à 15 heures, enl’église Sainte-Eulalie, de Montpellier,suivies de l’inhumation au cimetièrede Sanary-sur-Mer.

Isabelle et Antoine Vannière,Serge Gadbois et Caty Garozzo,Nathalie et Stéphane Anjuère,

ses enfants,Ulysse, Emma,Mathieu, Toussaint,Armèle, Baptiste, Sofiane et Ilias,

ses petits-enfantsEt toute la famille,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Mme Geneviève GADBOIS,née HOËTTICK KRETZ,

agrégée d’histoire-géographie,docteure en Histoire,

survenu le 4 janvier 2020,à l’âge de quatre-vingt-un ans.

La cérémonie religieuse seracélébrée le vendredi 10 janvier,à 11 heures, en l’église Saint-Matthieude Bures-sur-Yvette.

Nous avons une pensée pour sonépoux,

Charles GADBOIS.

Kuniko Griolet,son épouse,

Frédéric Griolet et Elodie Lapras,son fils et sa belle-fille,

Olivia et Hermès,ses petits-enfants,

Sa famille,Ses amis,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès de

Pascal GRIOLET,maître de conférences émérite

de langue et civilisation japonaisesINALCO,

survenu à Chatou, le 1er janvier 2020,à l’âge de soixante-treize ans.

Une cérémonie aura lieu levendredi 10 janvier, à 10 h 30,au crématorium de Nanterre, rue duCalvaire.

Suivie de l’inhumation aucimetière du Montparnasse, Paris 14e,le lendemain.

Anne-Marie Hackett,son épouse,

Ses enfants, petits-enfantset arrière-petits-enfants de cœur,

Sa famille,Ses amisEt ses aides,

ont la tristesse de faire part du décèsde

John W. HACKETT,Companion

of the Most Distinguished Orderof Saint Michael and Saint George,Fellow of the Royal Society of Arts,

docteur en économie,

survenu le 6 janvier 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.

La célébration religieuse aura lieule vendredi 10 janvier, à 14 h 30,en l’église Saint-Augustin, Paris 8e,suivie de l’inhumation au cimetièredu Père-Lachaise, Paris 20e.

« Reste avec nous car le soir vient. »Luc, 24, 29.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Philippe Heilbronner,sonmari,

Philippe, Ugo, Nicolas Merlin,ses fils et leurs conjointes,

Claire, Léa, Madrine, Téo Merlin,David et SarahMerlin-Dufey,ses petits-enfantset leurs conjoints,

Jade, Luca, Marla, Hugo, Nour,Louise, Alan, Mélinée,ses arrière-petits-enfants,

Les famillesHeilbronner, Desportes,Clement,Merlino,

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

Marie-José AlietteHEILBRONNER,née GOBIN-DAUDÉ,

psychologue clinicienne,

survenu le 31 décembre 2019,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.

La cérémonie religieuse aura lieule jeudi 9 janvier, à 10 h 30, en l’égliseSaint-Etiernne-du-Mont, place duPanthéon, Paris 5e et l’inhumationà 13 heures, au cimetière anciende Charenton, avenue de Gravelle,Paris 12e.

Sonia Timsit,sa compagne,

Nathan Lelièvre,son fils,leurs enfants,leurs familles

Et ses amis,

ont la douleur d’annoncer le décèsde

Pierre LELIEVRE,

survenu le 4 janvier 2020.

Les obsèques auront lieu aucimetière de Vaugirard, Paris 15e,le samedi 11 janvier, à 14 h 30.

Sabine, Lydie, Fabien, Ange, Patricia,Armel

ont la tristesse de faire part du décèsde leur père

AloïseMOUDILENO-MASSENGO,

ancien avocat au barreau de Nancy,ancien avocat

au barreau de Brazzaville,ancienministre de la Justice,

ancien vice-présidentde la République du Congo,

survenu à Nancy, le 6 janvier 2020,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.

Un service religieux aura lieule vendredi 10 janvier, à 14 heures,en l’église Saint-Léon, à Nancy,24, rue Saint-Léon.

L’inhumation aura lieu à 15 h 30,au cimetière de Préville, à Nancy.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Famille Moudileno,80, rue Raymond-Poincaré,54000 Nancy.

M. Jean-François Bordron,son époux,

Marguerite,sa fille,

Ses petits-enfantsAinsi que toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Mme Sylvie POISSON-QUINTON,maître de conférencesà l’université Paris 8,

survenu le 4 janvier 2020.

Les obsèques civiles auront lieule jeudi 9 janvier, à 15 heures,au cimetière de Loches-sur-Ource.

Clément et Diego Villalba,ses fils,

Etienne et Magali Dubs,son frère et sa belle-sœur,

David Peyceré et Véronique Lalot,MathieuPeyceré et José Inzaurralde,Josquin et Hélène Peyceré,Aurélia Dubs et Jean-François

Dhôte,Emmanuel Dubs, Clélia et Laurent

Huet,ses neveux et ses nièceset leurs enfants,

Les familles Gallo, Romano,Bonnerot, Gerrer,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Laurence VILLALBA,

survenu à Paris, le 4 janvier 2020.

L’inhumation aura lieu le samedi11 janvier, à 15 h 30, au cimetière duPère-Lachaise, Paris 20e, division 24.

Communication diverse

Samedi 18 janvier 2020

Une journée particulièreà la Société de Médecineet Psychanalyse (SMP),

« Pouvoir de la science /Pouvoir de l’imagination »

Intervenants :Jean-Claude Ameisen,

Danièle Brun,Franck Dugravier, Eric Fiat,

René Frydman,Michèle Lévy-Soussan,

Stanislas Lyonnet, Michelle Perrot,Mathieu Simonet,NathanWrobel…

de 9 heures à 17 h 45,270, rue Saint-Jacques,

Paris 5e.

100 € en un clic surwww.medpsycha.org

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Gilles Bloch,président-directeur généralde l’Inserm,

Christine Clerici,présidente université de Paris,

Martin Hirsch,directeur général de l’AP-HP,

Antoine Petit,président-directeur généraldu CNRS,

ont eu la tristesse d’apprendrela disparition de

Pierre MAROTEAUX.

Ils s’associent à la peinede ses proches, de ses collaborateurset de tous ceux qui l’ont connu.

Docteur en médecine, pédiatreet directeur de recherche au CNRS,Pierre Maroteaux est un pionnierde la recherche sur les maladiesosseuses constitutionnelles del’enfant. Sa carrière scientifiques’est toute entière déroulée à l’hôpitalNecker-Enfants malades, d’aborddans le service de médecinepédiatrique de Maurice Lamy,puis avec Jean Frézal dans la cliniqueMaurice-Lamy, édifiée avec le soutiende l’Inserm et l’université Paris-Descartes (aujourd’hui université deParis) pour rassembler dans unmêmelieu des laboratoires de recherche,des locaux d’enseignement et desconsultations spécialisées degénétique médicale, préfigurantl’Institut des maladies génétiquesImagine où il a terminé sa carrièreentouré de ses élèves.

Recruté au CNRS en 1953,Pierre Maroteaux a été nommédirecteur de recherche en 1976et il dirigea l’équipe CNRS 202« Physiopathologie des tissusconjonctifs durant la croissance » de1978 à 1985. Il succéda à Jean Frézalà la tête de l’unité de rechercheInserm 12 de génétique médicalede 1986 à 1989.

Pierre Maroteaux a, par sesobservations cliniques, clarifié legroupe jadis confus des maladiesosseuses constitutionnelles(ostéochondrodysplasies) et desmaladies de surcharge(mucopolysaccharidoses). La génétiquemoléculaire devait plus tard validerpleinement ses descriptions. Figureemblématique de la génétiquemédicale française de l’après-guerre,Pierre Maroteaux était également unhomme de conviction, animé devaleurs fortes, totalement investidans ses recherches et surtoutprofondément attaché à ses jeunespatients.

C’est avec une immense tristesseque

L’Office allemand d’échangesuniversitaires (DAAD)

Et l’université Sorbonne Nouvelle

ont appris la disparition de

Hansgerd SCHULTE,

survenue le mardi 31 décembre 2019.

Ancien directeur de l’institutallemand d’Asnières, professeurémérite de l’université SorbonneNouvelle, fondateur du bureauparisien du DAAD, puis présidentdu DAAD, intellectuel engagéet humaniste, Hansgerd Schultea œuvré toute sa vie aurapprochement et à la coopérationentre la France, l’Allemagneet l’Europe notamment dans ledomaine universitaire. Il avait étéélevé au grade de grand-croix dumérite de la République fédéraled’Allemagne et d’officier de la Légiond’honneur de la Républiquefrançaise.

En ce moment extrêmementdifficile, le DAAD et l’universitéSorbonne Nouvelle souhaitenttransmettre leurs sincèrescondoléances à sa famille ainsiqu’à ses proches.

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Page 29: Le Monde - 09 01 2020

0123JEUDI 9 JANVIER 2020 0123 | 29

Q ui peut s’étonnerque les alliés euro­péens des Etats­Unis aient été tenusà l’écart de l’assassi­

nat du général Ghassem Solei­mani ? Le contraire aurait été sur­prenant. Dans ce genre d’opéra­tion, les Américains jouent rare­ment collectif, même avec lesBritanniques ; ils n’ont besoin depersonne. Nul besoin non plusd’aller quémander la bénédic­tion de leurs partenaires euro­péens, qui auraient très certaine­ment refusé de la leur accorder.

Pourquoi, alors, ces Européens –en particulier les trois pays en première ligne sur ce dossier, la France, le Royaume­Uni et l’Alle­magne – ont­ils évité de condam­ner cette action retentissante ?D’abord, parce que, comme on l’a dit à Bruxelles, personne, parmi eux, « n’a pleuré Soleimani ». En­suite parce qu’ils font partied’une alliance – une alliance do­minée par les Etats­Unis.

Ces trois pays, rappelons­le, nonseulement sont membres de l’OTAN, mais ils participent, sous le leadership des Etats­Unis, de­puis 2014, à une coalition interna­tionale qui a pour mission de combattre l’organisation Etat isla­mique (EI). Ils savent que l’assis­tance militaire de ce puissant alliéleur est indispensable. Et là réside l’une de leurs divergences sur la situation actuelle en Syrie et en Irak : pour les Européens, la lutte contre l’EI est loin d’être achevée. La poursuite de ce combat – qu’ils ne peuvent mener seuls – est même qualifiée de « prioritaire » par les trois dirigeants, Emma­nuel Macron, Angela Merkel etBoris Johnson, dans leur déclara­tion commune, publiée le 5 jan­vier. Or, quelques heures plus tôt, le commandement militaire américain avait annoncé la sus­pension de la lutte contre l’EI :pour Washington, face à la pers­pective de représailles iraniennes,la priorité des troupes américai­nes en Irak est de s’occuper de leurpropre protection.

Le fiasco de 2003L’affaire Soleimani constitue la troisième étape du divorce tran­satlantique sur le Moyen­Orient. La première a été la décision de l’administration Bush d’envahir l’Irak, en 2003, pour en délogerSaddam Hussein. Cette décision divisa profondément l’Europe. La France et l’Allemagne refusèrent de suivre l’allié américain ; trèsvite après les attentats du 11­Sep­tembre, le président Chirac avait décelé l’obsession irakienne de George W. Bush et de son équipe et avait tenté, en vain, de les met­tre en garde. Plusieurs autres payseuropéens, en revanche, dont leRoyaume­Uni, acceptèrent de participer à l’expédition. L’opéra­tion tourna au fiasco, dont on paie encore les conséquences.

Le deuxième divorce est celui del’accord sur le nucléaire iranien. Conclu en 2015, sous la présidenceObama, pour conjurer la prolifé­ration dans la région, cet accord multilatéral était la quintessence de la diplomatie européenne. Par­tenaire difficile, Téhéran y voyaitmalgré tout son intérêt et rem­plissait sa partie du contrat. Mais, pour Donald Trump, c’était un mauvais accord, qui faisait la part

trop belle aux Iraniens ; balayant les objections des Européens, il l’a dénoncé en 2018. Pour Paris, Lon­dres et Berlin, particulièrement investis dans cet effort, le coupétait rude. Une autre obsession, iranienne celle­là, s’était emparée de la Maison Blanche.

Le raid américain du 3 janvier,dans un contexte d’escalade, in­tensifié par l’Iran, a pétrifié les Européens, déjà confrontés à la guerre sans fin en Syrie et à l’internationalisation du conflit li­byen. Si la région explose, l’Europeest en première ligne. Sans comp­ter ce clou supplémentaire dans lecercueil de l’accord sur le nu­cléaire, qu’ils espéraient sauver.

S’attendait­on, à Washington, àune salve d’applaudissements del’autre côté de l’Atlantique ? Sic’était le cas, elle n’est jamais ve­nue. Les responsables allemands,pourtant très attachés à l’allianceavec les Etats­Unis, ont eul’audace – polie, à demi­mot – de ne pas approuver. « Les Etats­Unissont de retour au Moyen­Orient, mais pas comme on le souhai­tait », a tweeté Norbert Röttgen,président (CDU) de la commis­sion des affaires étrangères duBundestag. Le chef de la diploma­tie allemande, Heiko Maas (SPD),a jugé que « l’action américainene facilitait pas la réduction destensions ». Ingrats ! « Les Euro­péens ne nous aident pas beau­coup, a riposté le secrétaire d’Etataméricain, Mike Pompeo, sur FoxNews. Les Britanniques, les Fran­çais, les Allemands, tout le mondedevrait comprendre que ce que nous avons fait, ça sauve des viesen Europe aussi. »

Visiblement, « tout le monde »ne comprend pas. Pas même l’ami Boris Johnson, pourtant dans une position inconfortable àla veille du Brexit, en équilibre instable entre Europe et Etats­Unis ; pas même le président Ma­cron, pourtant très soucieux de lacoopération antiterroriste avec les militaires américains. Derrièrele devoir de solidarité, les diver­gences se multiplient, révélant unfossé politique et stratégique en­tre la Maison Blanche et les diri­geants européens, qui ranime les mauvais souvenirs de la guerre d’Irak. Lorsque le chef de la diplo­matie européenne, Josep Borrell, invite le ministre iranien des af­faires étrangères, Mohammad Ja­vad Zarif, à venir parler à Bruxel­les, les Etats­Unis, eux, annoncentqu’ils lui interdiront l’entrée sur leur territoire pour venir à l’ONU. Les fanfaronnades intempestives trumpiennes, la menace de frap­per des cibles culturelles iranien­nes, les questions sur la légalité del’opération américaine, rien de cela ne colle avec l’état d’esprit etde droit européen.

Mardi, Norbert Röttgen a in­sisté : l’affaire Soleimani « a causé la crise la plus grave au Moyen­Orient depuis des décennies, a­t­il dit sur la radio américaine NPR. Maintenant, nous allons aider à gérer les conséquences. » Angela Merkel part pour Moscou en par­ler à Vladimir Poutine, les minis­tres des affaires étrangères de l’Union européenne se réunis­sent d’urgence vendredi. Lucidemais sans instruments de puis­sance, l’Europe est de nouveau face à ses contradictions.

L e 7 janvier 2015, la société françaisebasculait dans le terrorisme isla­miste sans vraiment prendre cons­

cience qu’elle devrait désormais vivre avec cette menace dans la durée. Le massacre dela rédaction de Charlie Hebdo, puis, quel­ques jours plus tard, les attaques de Mon­trouge contre la police et du magasin Hy­per Cacher, dans le 20e arrondissement,contre des juifs, ont provoqué un puissant électrochoc, auquel a répondu, le 11 janvier,une mobilisation populaire sans précé­dent depuis la Libération, avec quatre mil­lions de personnes dans les rues et un slo­gan : « Je suis Charlie ».

Cinq ans après, les plaies sont toujours vi­ves. La société française a, certes, tenu bon ;sa résilience face aux attentats islamistes

qui se sont multipliés depuis, en particulierceux du 13 novembre 2015, à Paris (130morts), puis celui de Nice, le 14 juillet sui­vant (86 morts), mais aussi les attaques au couteau, qui paraissent aujourd’hui fairepartie de notre quotidien, est remarquable.Sous des formes qui évoluent, la pression djihadiste reste constante, malgré un arse­nal législatif encore durci et le travail desforces de sécurité, grâce auxquelles denombreuses tentatives d’attaque ont été déjouées. Les terroristes qui voulaient« creuser un fossé de haine entre les commu­nautés qui composent la République fran­çaise », pour reprendre les mots de l’ancien ministre de la justice Robert Badinter, n’ysont pas parvenus.

D’autres failles, cependant, se sont creu­sées. Les manifestations d’antisémitisme, dont la mesure avait été sous­estimée au moment des attentats commis par Moha­med Merah, en 2012, à Toulouse, se multi­plient. En 2018, le nombre d’actes antisémi­tes a ainsi augmenté de 74 %. Antisémi­tisme, islamophobie, racisme et, de manière générale, l’intolérance sont inten­sifiés par l’écho infini des réseaux sociaux. La liberté d’expression si chère aux mani­festants du 11 janvier 2015 est malmenée : les postures se sont raidies, les suscepti­bilités se sont exacerbées, enfermant les in­dividus dans leur identité ou leurs convic­tions. Les dessinateurs doivent lutter con­tre l’autocensure. « Hier, on disait merde à

Dieu, à l’armée, à l’Eglise, à l’Etat. Aujourd’hui, il faut apprendre à dire merdeaux associations tyranniques, aux minoritésnombrilistes, aux blogueurs et blogueuses qui nous tapent sur les doigts comme des pe­tits maîtres d’école », écrit Riss, le directeurde la rédaction de Charlie Hebdo, dans le numéro paru ce 7 janvier.

Avec un temps de retard en 2015, il est ap­paru que toute la France n’avait pas été « Charlie » le 11 janvier. Le contre­slogan « Je ne suis pas Charlie », enfoui sous le trauma­tisme des attentats, n’a sans doute pas étésuffisamment analysé.

D’autres fractures au sein de la sociétéfrançaise, d’une tout autre nature, ont étémises en évidence en 2019 par le mouve­ment des « gilets jaunes » et ont relégué au second rang les malaises liées à la ghettoï­sation des banlieues, sans que des solu­tions décisives leur soient apportées.

La longue et violente crise des « giletsjaunes » a aussi complètement renversé l’image des forces de police. Acclamées par la foule le 11 janvier 2015, chaleureusementremerciées au moment le plus fort des at­tentats, les forces de l’ordre, notammentlors des manifestations, sont devenues lacible d’une France en colère et se retrou­vent au centre d’une grave controverse sur les violences policières. Cette fracture­là est tout aussi dangereuse. Le fameux « es­prit du 11 janvier » voudrait qu’on ne lalaisse pas se creuser.

L’ASSASSINAT DU GÉNÉRAL GHASSEM 

SOLEIMANI A PÉTRIFIÉ

LES EUROPÉENS

LES LEÇONS DE « CHARLIE »

GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUEpar sylvie kauffmann

Le troisièmedivorce transatlantique

LES FANFARONNADES TRUMPIENNES NE 

COLLENT PAS AVEC L’ÉTAT D’ESPRIT 

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Page 30: Le Monde - 09 01 2020

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Page 31: Le Monde - 09 01 2020

Cahier du « Monde » No 23327 daté Jeudi 9 janvier 2020 ­ Ne peut être vendu séparément

2LA « UNE », SUITEv Entretien avec PierreLemaitre : « Aborder l’Histoire de biais pour donner de l’air aux personnages »

3|4|5LITTÉRATUREv Gary Shteyngart,Eloïse Cohen de Timary, Constance Debré, Charles Sitzenstuhl, Joseph O’Connor, Mamdouh Azzam

6HISTOIRE D’UN LIVREv « Les services compétents », de Iegor Gran

7ENTRETIENv Taner Akçam, auteur d’« Ordres de tuer » : « Le déni du génocide des Arméniens est une politique d’Etat »

8CHRONIQUESv LE FEUILLETONCamille Laurens apprend la langue d’Anne Serre

9ESSAISv Pierre Rosanvallon se saisit de la questionpopuliste

10RENCONTREv Elif Shafak, nostalgique d’Istanbul

macha séry

E n 1940, des soldats massésdans un fort de l’est de laFrance s’ennuient et s’eni­vrent. Ils jouent au bonne­teau ou filent au bordel en at­tendant l’offensive, qui les

surprendra dans les Ardennes. Après unacte de sabotage aussi héroïque qu’inu­tile, le sergent­chef Gabriel, intègre pro­fesseur de mathématiques, et son capo­ral, Raoul Landrade, un combinard sans scrupule, perdent leur régiment. Lesvoilà jetés sur les routes embouteillées de charrettes, de voitures et de véhicules militaires. A Paris, un mystérieux étu­diant en langues orientales, Désiré Mi­gault, est embauché à l’hôtel Continen­tal, où se pressent des journalistes, tandisque l’institutrice Louise Belmont mènel’enquête sur le douloureux secret qui abrisé sa mère. Avec Miroir de nos peines,consacré à la « drôle de guerre » et à l’exode, Pierre Lemaitre conclut sa trilo­gie, Les Enfants du désastre, débutée par Au revoir là­haut, prix Goncourt 2013 auplus d’un million de lecteurs (c’est dans ce roman qu’apparaît Louise Belmont, âgée de 10 ans, lire l’entretien page 2).

Si anarchiques soient­ils dans uneFrance plongée en plein chaos, les itiné­

raires picaresques de ces quatre protago­nistes – deux militaires, Gabriel et Lan­drade, deux civils, Migault et Belmont – vont converger vers une chapelle conver­tie en hébergement d’urgence, quelquepart au centre du pays.

Pierre Lemaitre est un homme qui payeses dettes avec grand intérêt. Il sait ren­dre en abondance ce que la littérature lui a donné : ce plaisir de lecture qui prend parfois des allures de chevauchée fantas­tique. Outre des références habilementdissimulées et révélées à chaque fin de volume, son œuvre garde trace des livres qui l’ont accompagné au fil de son exis­tence – depuis son premier roman,Travail soigné (Le Masque, 2006), où untueur en série copie les assassinats dé­crits dans de célèbres romans, notam­ment Le Crime d’Orcival, d’Emile Gabo­riau (1867), jusqu’à Couleurs de l’incendie (Albin Michel, 2018), qui emprunte sa structure à celle du Comte de Monte­Cristo, d’Alexandre Dumas (1846).

Au revoir là­haut inaugurait une fres­que d’une dizaine de livres qui couvri­ront à terme la période 1920­2020, sur le modèle d’un puzzle balzacien. Les tomes liminaires de cette série peuvent se lire isolément. Si Les Enfants du désastre for­ment un triptyque, c’est parce qu’ils sont traversés de résonances et d’échos qu’on s’amusera à débusquer, en premier lieul’incipit de Miroir de nos peines, quasi­ment identique à celui d’Au revoir là­haut. Aussi dissemblables au physique qu’au moral, Gabriel et Landrade sont les

petits­cousins de débrouille du tandem formé, dans Au revoir là­haut, par Albert Maillard et Edouard Péricourt, ces resca­pés de la Grande Guerre qui furent com­pagnons de hasard associés, à la démobi­lisation, dans une arnaque grandioseaux monuments aux morts.

Pierre Lemaitre n’a jamais caché sadilection pour le roman­feuilleton. Decette esthétique populaire, il possède,

comme en témoigne Miroir de nos pei­nes, l’art du découpage, la science de tres­ser plusieurs intrigues sans en négliger aucune, le rythme bondissant ainsi quedes personnages dotés d’un charisme fou : l’esthète flamboyant à la gueule cas­sée d’Au revoir là­haut, la diva italienne etla nurse polonaise de Couleurs de l’incen­die et, ici, l’usurpateur Désiré Migault. TelFantômas, celui­ci apparaît et disparaît au moment opportun. Il rappelle maints héros aux multiples identités : Vautrin chez Balzac, Rodolphe des Mystères de Paris, Jean Valjean des Misérables, Lecoq,

né sous la plume d’Emile Gaboriau, et toujours Monte­Cristo.

Tour à tour instituteur, chirurgien,pilote d’avion, avocat et porte­parole duministère de l’information, Désiré Mi­gault s’introduit, sans diplôme ni licence,dans des milieux auxquels il n’appar­tient pas et où il fait montre d’une auto­rité naturelle, servie par son imparable éloquence. Il traduit la presse en langue

turque – idiome qu’il ignore –,mitonne un latin qui étonne lespuristes et bonimente pour labonne cause lorsque, sous la dé­froque d’un prêtre, il s’improvisesauveur d’un camp de réfugiéspeuplé pour la plupart de Belgeset de Luxembourgeois. « Au furet à mesure que les troupes alle­mandes avançaient, déchirant lepays, les solidarités entre Fran­çais avaient fondu (…), l’égoïsmeet le court terme avaient pris le

dessus et personne n’était mieux placé quedes étrangers pour en faire l’incessanteet douloureuse expérience. » Il y a de la cruauté et de l’enjouement, de la noir­ceur et de l’entrain dans Miroir de nospeines, reflet de terreurs rémanentes.Avec sa trilogie, Pierre Lemaitre aura fait de l’entre­deux­guerres une fresque puissamment émouvante et saisissantede vérité.

L’exode épique de Pierre LemaitreAvec « Miroir de nos peines », le Prix Goncourt 2013 clôt sa trilogie de l’entre­deux­guerres en 1940, à l’heure de la débâcle. En bonne compagnie et sur un rythme bondissant

Juin 1940 : des Français fuyant l’avancée allemande. RUE DES ARCHIVES/TALLANDIER

miroir de nos peines, de Pierre Lemaitre, Albin Michel, 544 p., 22,90 €.

De l’esthétique populaire du roman­feuilleton, l’auteur possède l’art du découpage, la science de tresser plusieurs intrigues sans en négliger aucune et des personnages dotés d’un charisme fou

André Siniavski.

Pierre Rosanvallon. BERTRAND GUAY/AFP

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Page 32: Le Monde - 09 01 2020

2 | ... à la « une » Jeudi 9 janvier 20200123

EXTRAIT

« Le pont à peine effondré, Gabriel et Landrade s’étaient mis à courir. La mi­traille derrière eux s’était intensifiée. Ils rejoignirent quelques camarades qui couraient moins vite, dépassèrent un camion qui brûlait. Autour, tous les arbres étaient décapités, déchiquetés à hauteur d’homme, des cratères trouaient le chemin forestier à perte de vue. Ils arrivèrent à l’endroit où avaient stationné les éléments de la 55e division qu’ils étaient venus soute­nir et d’où on les avait envoyés sur le pont de Tréguière. Il n’y avait plus personne. Plus trace du lieutenant­colonel qui pestait contre le manque d’effectifs, ni de son état­major, ni des unités qui avaient campé là quelques heures plus tôt, plus rien que des tentes effondrées, des cantines éventrées,

des bardas abandonnés, des documents épars qui s’envolaient, des fusils­mi­trailleurs détruits dont les restes s’enfon­çaient dans la boue. Un camion portant uncanon brûlait, la fumée vous prenait à la gorge, ce désert militaire puait l’abdica­tion. Gabriel se précipita sur le poste de transmission. Ce qu’il en restait, c’était deux radios réduites en miettes, les com­munications étaient coupées, le petit groupe était seul au monde. Gabriel s’essuya le front, moite de sueur. Tous se retournèrent et virent alors, à cinq cents mètres de là, déboucher les premiers panzers qui s’étaient frayé un chemin dans les Ardennes (…). »

miroir de nos peines, pages 161­162

Repères

1951 Pierre Lemaitre naît à Paris.

1977 Diplomé en psychologie, il fonde une petite société de formation à la pédagogie et à lacommunication tournée vers les collectivités locales.

2006 Il publie son premier roman, un polar, Travail soigné(Le Masque).

2009 Robe de marié (Calmann­Lévy).

2010 Cadres noirs (Calmann­Lévy).

2011 Alex (Albin Michel).

2012 Sacrifices (Albin Michel) met fin à la série consacrée à l’enquêteur Camille Verhœven.

2013 Au revoir là­haut, premiertome de la trilogie des Enfants du désastre, reçoit le prix Goncourt. L’adaptation au cinéma, par Albert Dupontel, se verra décerner le César de la meilleure adaptation en 2018.

2016 Trois jours et une vie (Albin Michel).

2018 Couleurs de l’incendie (Albin Michel), suite des Enfantsdu désastre.

« Aborder l’Histoire de biais pour donner de l’air aux personnages »Pierre Lemaitre évoque la genèse de « Miroir de nos peines », sa façon de reconstituer avec véracité une période historique et ce qu’il doit aux romans­feuilletons

Pierre Lemaitre, à Paris, le 4 janvier. CHRISTOPHE MAOUT POUR « LE MONDE »

propos recueillis par macha séry

A deux pas de chez lui,dans le 18e arrondisse­ment de Paris, non loinde la butte Montmar­

tre, le café choisi par Pierre Lemai­tre porte un nom opportun : Le Refuge. Tel un clin d’œil au campde réfugiés de Miroir de nos pei­nes, son nouveau roman. Volu­bile, affairé de gestes, le rire prompt, le romancier ressemble àses livres. Grave et drôle à la fois.

Dans l’épilogue d’« Au revoir là­haut » (2013), vous écriviez que Louise Belmont, la fillette qui s’était entichée de la gueule cassée Edouard Péricourt, n’« eut pas de destin remarqua­ble jusqu’à ce qu’on la retrouve en 1940 ». Vous aviez donc déjà en germe l’idée de « Miroir de nos peines » ?

En réalité, je n’en avais pas lamoindre idée. En feuilletonisteun peu aguerri, on laisse des por­tes ouvertes au cas où on aurait besoin d’emprunter le couloir. Au terme de la rédaction d’Au revoir là­haut, j’ai commencé à concep­tualiser une trilogie possédant pour unité temporelle l’entre­deux­guerres, avec un projet bal­zacien : prendre comme protago­niste un personnage ancienne­ment secondaire. J’ai abandonné les figures qui avaient épuisé leur potentiel narratif. La petite Louiseayant 10 ans en 1920 serait en1940 une « femme de 30 ans », un profil toujours intéressant enlittérature.

Vous exhumez des épisodes historiques souvent méconnus du grand public : la corruption à grande échelle du marché mortuaire, dans « Au revoir là­haut », la commission de la lutte contre la fraude fiscale présidée par un député véreux dans « Couleurs de l’incendie » (2018) et, aujourd’hui, l’exode d’une colonne pénitentiaire entre la prison de la Santé et le camp de Gurs, ainsi que la des­truction d’une partie des ri­chesses de la Banque de France. Est­ce par goût des révélations ou par intérêt dramatique ?

Mon ambition n’est pas de leverle voile sur une vérité oubliée,mais de travailler la représenta­tion des événements et les clichés

qui y sont attachés. Pour faire court, le principal intérêt de la lit­térature réside dans l’originalité du point de vue. Je cherche à mon­trer autre chose, non pour culti­ver une singularité à tout prix, mais parce que j’écris sur des peti­tes gens et que ceux­ci n’obser­vent pas l’histoire frontalement. Dans mes livres, vous ne trouve­rez jamais un chirurgien esthéti­que prénommé Howard, mais despersonnages modestes – employéde banque, sergent­chef des gar­des mobiles – pris dans les rets de l’Histoire. Il faut débusquer un épisode peu connu et malgré toutsignificatif, de sorte que le lecteur ne soit pas embarrassé par lesouvenir qu’il garde d’un grand événement, un souvenir qui for­merait un filtre ou un écran à lalecture. Ainsi, personne n’en aura d’autre image que celle que vous proposez. L’épisode où deséboueurs sont chargés par l’Etat de brûler l’équivalent de 3 mil­liards d’euros en liasses de billets n’était évoqué qu’en quatre lignes dans Le Peuple du désastre, d’Henri Amouroux [Robert Laf­font, 1976]. J’ai consulté les archi­ves de la Banque de France, vu les photos des incinérateurs, non pour être vrai, mais éviter à tout le moins les approximations etobserver une certaine logique dans le récit.

J’aime aborder l’histoire de biaispour donner de l’air aux person­nages, afin qu’ils puissent se déve­lopper : l’après­guerre et le retour des soldats dans Au revoir là­haut,puis la fraude fiscale, moins atten­due que la montée du fascisme, pour les années 1930, dans Cou­leurs de l’incendie, et aujourd’hui l’exode et la débâcle de 1940. Com­parativement à l’Occupation, à la Résistance et à l’épuration, cette période a inspiré maints récits de témoignages, mais très peu deromans.

L’impasse Pers, où vit Louise Belmont, est située près de votre domicile parisien. Mais, vérification faite, le n° 9 n’existe pas. Quelles sont les libertés que vous vous accordez avec les faits ?

J’ai travaillé sur plan à partird’un atlas de Paris datant des an­nées 1930. Je voulais que l’intriguese situe dans le 18e arrondisse­ment, soit un quartier ouvrier et artisan. J’aimais le nom de cetteimpasse, son emplacement pro­che des rues Ordener et Damré­mont.

Avant ce livre, je ne m’étais ja­mais rendu sur les lieux où sontcensés se dérouler mes romans

car je suis plus soucieux de la véracité que de l’exactitude histo­rique. Pour la première fois, j’ai été confronté à un problème. J’avais beau voir des films, desphotos sur la ligne Maginot, ce que j’écrivais tournait à vide. J’ai donc pris une voiture et j’ai passé deux jours près de son tracé. Je suis revenu avec les idées en place.

Par ailleurs, depuis Couleurs del’incendie, je fais appel à une his­torienne, Camille Cléret, qui mefournit des synthèses, me signaledes détails dignes d’intérêt etpointe à l’occasion quelqueserreurs dans mon texte. Après, jefais des choix en connaissance de cause. Je suis fidèle à l’esprit,moins à la lettre. Car, par défi­nition, le roman travaille sur l’illusion.

En quoi le roman­feuilleton du XIXe siècle a­t­il influencé l’écriture de « Miroir de nos peines » ?

Les deux précédents tomes de latrilogie débutaient par une scènepermettant de présenter tous lespersonnages. Ici, l’histoire ne s’y prêtait pas. Je disposais de quatre lignes narratives censées conver­ger à la fin. Ma grande terreurétait qu’il y en ait une plus faible que les autres. Alors j’ai puisé chez mes maîtres les moyens demon récit : des chapitres pluscourts, grosso modo d’égale lon­gueur, et à l’intérieur de chacun d’eux un découpage en trois ac­tes. Soit une progression drama­tique telle que le lecteur n’ait pas la tentation de sauter des pages. Le roman­feuilleton m’a aussi ap­pris la brièveté, la densité émo­tionnelle, le suspense alternant avec la surprise.

A vos yeux, en quoi ce roman est­il politique – comme l’étaient les précédents ?

L’une des métaphores du livreest explicitée page 377, au cours du discours que prononce, dans un camp de réfugiés, mon per­sonnage de Désiré Migault, sortede Fantômas ou de Fregoli, à pro­pos des étrangers. Pour lui, lesépreuves, les cataclysmes disent qui nous sommes et ce que noussommes. C’est dans ces moments de grandes difficultés que nousdevons être meilleurs, montrer nos qualités humaines. Dans une période où règne la panique (cequi, je pense, fait écho à ce que nous vivons aujourd’hui), tout ceà quoi l’on croit s’écroule : en 1940,l’invincibilité de l’armée portée par la foi dans les chefs. Les personnages réagissent en fonc­tion de ce qu’ils voient, non en fonction de considérationshistoriques. Dans l’actualité, les tempéraments se révèlent. Il était intéressant de travailler sur uneépoque où le pays perd ses repèreset n’est plus guidé par ses valeurs, mais par ses peurs et par sesterreurs.

J’incline à penser que le conceptanalytique de « classes sociales »est relativement opérant pour rendre compte d’un pan de la réalité sociale qui est, de surcroît,une réalité de nature émotion­nelle. La puissance d’une intriguerésulte du fait qu’elle est portéepar l’émotion des personnages et parle à la chair. Et la rencontre des classes sociales se traduittoujours par des considérations d’ordre égotique, narcissique, af­fectif : vous blessez l’autre, vous levexez, vous l’enviez, vous le mé­prisez, ce qui est fort sur le plan romanesque.

E N T R E T I E N

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Page 33: Le Monde - 09 01 2020

0123Jeudi 9 janvier 2020 Critiques | Littérature | 3

Un ultra­riche new­yorkais en crise embarque pour une inconfortable traversée des Etats­Unis à bord d’un autocar. « Lake Success », éblouissant de drôlerie et de profondeur

L’envers de l’Amérique selon Gary Shteyngart

Un autocar Greyhound, à Lordsburg (Nouveau­Mexique), en 2019. TODD HEISLER/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

raphaëlle leyris

L ake Success est le nom d’une villequi a beaucoup fait rêver BarryCohen, enfant. Il figurait sur unecarte de Long Island (New York)

donnée dans une station­service. Cetteobsession, Barry l’avait oubliée, jusqu’àce qu’il se retrouve, âgé de 43 ans, débous­solé, dans la chambre d’un petit garçonpassionné de cartographie.

C’est que, entre­temps, le protagonistedu nouveau roman de Gary Shteyngart,éblouissant d’humour et de profondeur,a largement dépassé l’étape « Lake Suc­cess » de son territoire personnel. Ce filsd’un nettoyeur de piscines est à la tête d’un fonds spéculatif, vit à Manhattandans une tour pour multimillionnaires,et ne met plus les pieds dans les stations­service, voyageant en jets privés etautres yachts. Il est marié à la brillante etsomptueuse Seema, avec qui il a un filsde 3 ans, Shiva.

Et pourtant, quand le lecteur de LakeSuccess fait sa connaissance, Barry est oc­cupé à fuir sa vie, une nuit de juin 2016. Ivre, il se démène pour acheter un billet d’autocar, avec un objectif absurde : tra­verser les Etats­Unis par ce moyen de locomotion que seuls empruntent les Américains pauvres (et qu’a pris l’auteur, durant l’été 2016, en suivant le même trajet que son héros), afin de retrouver son amour de jeunesse.

Jack Kerouac, Francis Scott Fitzgerald etbien sûr le Tom Wolfe du Bûcher des vani­tés (Sylvie Messinger, 1988)… Les repères de Gary Shteyngart sur la carte littéraire américaine sont ici évidents, et souvent soulignés par Barry lui­même, qui ne manque jamais une occasion de rappeler que, à Princeton, il a aussi étudié la litté­rature. Mais qu’en a­t­il conservé ? Essen­tiellement, un nom pour son fonds, « L’envers du capital », piqué à L’Envers du

paradis, de Fitzgerald (1920) – auteurdont il voudrait faire mentir la fameusecitation : « Il n’y a pas de deuxième acte dans les vies américaines. »

« Républicain fiscal modéré »A part ça, Barry n’est pas du genre à rete­

nir les leçons. On ne retirera rien au sus­pense en révélant que, de son voyage à tra­vers l’Amérique, avec pour seul bagage sesmontres de luxe, il ne va pas revenir plussage. Il sera en revanche plus au fait des chances qu’a Donald Trump de remporterles élections à venir. Cela ne pose de pro­blème à cet autoproclamé « républicain fiscal modéré » que pour une raison : l’ad­versaire d’Hillary Clinton s’est moqué en public d’une femme handicapée. Et le fils de Barry est autiste, quels que soient les euphémismes employés par son père, le­quel a quitté son appartement après une soirée où il avait été confronté de trop prèsà cette réalité. Les chapitres consacrés auvoyage de Barry alternent avec ceux où, à Manhattan, Seema s’occupe de Shiva et entame une liaison avec un écrivain.

Si son protagoniste n’apprend aucuneleçon, Gary Shteyngart, lui, a tiré certai­nes conclusions après avoir écrit deux

satires (Traité de savoir­vivre à l’usage desjeunes Russes et Absurdistan, L’Olivier,2005 et 2008), et une dystopie (Supertriste histoire d’amour, L’Olivier, 2012) sur les limites de ces genres et les potentiali­tés du roman réaliste, dans un monde quin’a aucun besoin d’exagération ou d’anti­cipation pour laisser pantois. Il a aussi ap­pris à réaliser de grandes choses. Commeréussir, dans le même paragraphe, à faire rire aux éclats le lecteur et à lui briser le cœur. A transcrire avec une redoutable causticité le regard naïf que peut porterun ultrariche comme Barry sur ses conci­toyens désargentés. Même, il parvient à rendre attachant son milliardaire auto­centré, au fil de ce roman qui ne manque pas de mordant mais fait preuve de pitié à l’égard de ses créatures. Celle­ci lui évitel’écueil de l’amertume. En réalité, il y a quelque chose de miraculeux dans LakeSuccess : ce livre peuplé de personnages habités par la colère parvient à dégager, derrière son inconfort et son immense drôlerie, une surprenante douceur.

Sans doute cette dimension tient­elle àla part qu’y prend souterrainement la question de la réparation. Un hommecomme Barry a contribué à détraquer le

monde, afin de devenir richissime et depouvoir construire un univers « parfait » pour la famille « parfaite » que, orphelin de mère à 5 ans, il s’est rêvé. De toute évi­dence, il a échoué dans cette quête, ce quile jette sur la route. Tout au long de la­quelle il promène l’obsession de faire quelque chose de bien. Pas forcémentpour se racheter, mais enfin… Cepen­dant, toutes les idées philanthropiques qui lui viennent sont délirantes. Et ceuxqu’il a envie d’aider n’ont pas besoin de lui, ou moins que son fils, cet enfant qu’ilestime être, « à sa terrible façon, cassé ». Alors il en revient à sa passion pour les montres, objets complexes mais répara­bles, qui lui donnent l’impression de maîtriser quelque chose. A son person­nage ainsi qu’à son roman, Gary Shteyn­gart a la bonté d’offrir un « happy end »qui voudrait croire à une possibilité de rafistoler quelque chose en Barry, sinondans le monde.

lake success, de Gary Shteyngart, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Stéphane Roques, L’Olivier, 384 p., 24 €.

EXTRAIT

« Il avait quitté le Holiday Inn Express au saut du lit, était passé à pied devant l’immense casino du Fer à Cheval qui, même à cette heure très matinale balançait You’re Only Human de Billy Joel dans ses haut­parleurs extérieurs puis traversa une cité HLM aux bâtiments bas où, contrairement à la série préférée de Seema sur Baltimore, personne ne vendait de drogue. Quel régal de se laisser porter à travers le monde sans téléphone qui fait ding chaque fois que le cours de l’action Valupro s’effondre. Quel plaisir de voir un jeune homme en âge de dealer assis sur un perron à 7 heures du matin avec une simple bouteille de Gatorade à côté de lui, sa casquette des Ravens à l’envers. “Bonjour”, lui avait dit Barry, récompensé d’un brusque hochement de tête. »

lake success, page 73

L’évidence d’une rencontre amoureuse sans lendemainQuel beau roman d’amour a évité d’écrire Eloïse Cohen de Timary avec « Les Amants météores » ! Ce en quoi réside la puissance du livre

zoé courtois

C’ est l’histoire d’unrendez­vous man­qué. Un entretieninespéré dans une

gargote parisienne avec un écri­vain réputé discret, que celui­ci expédie en dix minutes et dontMarianne, journaliste culturelle et narratrice de ce roman, ne pourra rien tirer. Elle reste alorsprendre un verre et rencontre lelumineux Virgile. Il est paysa­giste et très doué, alors c’est sonportrait qu’elle fera pour le jour­nal ; il est homosexuel, et ils s’aiment tout de suite.

Déjà, dans son premier roman(Babylone underground, Serge Safran, 2015), Eloïse Cohen de Timary abordait la fluidité desidentités sexuelles et de genre.Elle racontait un homme qui si­mulait sa mort pour toucher son assurance­vie et se cachait sous un nom d’emprunt féminin. Dans Les Amants météores, son deuxième roman, c’est sous l’évi­dence de la rencontre amoureusepuis celle du désir d’enfant queles identités ploient. Et, chose trop rare pour ne pas être notée,les personnes queer ne sont pas le sujet de Cohen de Timary,comme c’est souvent le cas lors­que la fiction s’y intéresse. Mais des personnages romanesques à part entière qui s’aiment, souf­frent et meurent ; en bref, qui sont traversés par les drames

les plus tragiquement communs.Car, très vite – mauvais augure,

sans doute, que le rendez­vous raté qui permit leur rencontre –, Virgile et Marianne sont séparés par la force des choses. Et ce que l’on avait pris pour un roman d’amour tremble, bascule,

s’éteint quasiment – se révèle nepas en avoir été tout à fait un.C’est d’ailleurs en vain queMarianne, tout juste revenue de sa première nuit avec Virgile,

s’assied devant son ordinateur et tente pour elle­même de « dire la rencontre, l’air qui vibre, les batte­ments cardiaques qui saturent, lespeaux vanillées. (…) Après plu­sieurs essais, elle mit le texte en surbrillance, effaça tout, garda juste ces deux phrases pour plus

tard – “Impossibilité dedécrire le cœur nucléairedu sentiment amoureux.Ne jamais écrire de ro­man d’amour.” » Une re­commandation qu’EloïseCohen de Timory faitsienne dans ses Amantsmétéores.

Bientôt il ne reste queMarianne avec son vœu d’un en­fant de Virgile, épaulée en ce senspar Florence, une médecin qui par hasard a croisé leur route.S’ensuit presque un autre roman,

un déroutant récit de l’après quiprolonge la réflexion sur l’iden­tité, mais porte aussi d’autres questionnements, plus socié­taux, et éminemment contem­porains. Ce sont par exemple les différents visages de la filiation, la parentalité et la banalité de ses affres, la conciliation d’une éthi­que personnelle et de la déonto­logie, notamment lorsque l’on a, comme Florence, prêté le ser­ment d’Hippocrate. Et surtout, le fait que la loi n’est pas grand­chose face à la conviction, née des échos qu’éveille en chacun des personnages l’histoire deVirgile et Marianne, de ce qu’il estjuste de faire.

Voilà une gravité à laquelle onne soupçonnait pas arriver. La ro­mancière y amène son lecteur tout en douceur, sur la pointe des

pieds. Certes, cela tranche résolu­ment avec la première partie du roman dont, aussi belle et brève qu’elle fût, résonnent longtempsla fête, la gaieté, la légèreté. Maistoute la force de ce texte tient justement à l’incandescence éphémère d’un couple « mé­téore » dont on peut d’abord (et finalement à tort) regretter quel’écriture ne fouille pas davantagela passion, et précisément dans lefait que l’écrivaine n’esquisse l’amour fou que pour brusque­ment l’effacer et lui suppléer laréalité. C’est là, dans cette incom­plétude brutale, que réside l’étonnante puissance émotive des Amants météores.

les amants météores, d’Eloïse Cohen de Timary, JC Lattès, 336 p., 20 €.

Des personnages romanesques à part entière traversés par les drames les plus tragiquement communs

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Page 34: Le Monde - 09 01 2020

4 | Littérature | Critiques Jeudi 9 janvier 20200123

La fête au villageDans le village de Ségurian, tousles drames se jouent à la Saint­Bar­thélemy. C’est à ce moment­là queGuillaume décide de rouvrir la ber­gerie du village. Très exactementl’année suivante, le ton monte avecles chasseurs, dont le terrain de jeus’en est trouvé rétréci. Un an plustard, c’est aussi à la Saint­Barthé­lemy qu’« on » jette des clous surles sentiers que Guillaume par­coure à moto. Personne n’a rien vu,personne ne veut rien dire ; et pourtant, rien ne se fait à Séguriansans que l’« on » en soit témoin.L’efficacité de l’atmosphère anxio­gène que Jérôme Bonnetto met enplace tient en partie à l’écriture decette entité collective et anonymede banals villageois, qu’il parvientà rendre admirablement noire etpesante. Toujours complice (sinoncoupable) de la mise en échec du

rêve pastoral dujeune berger, ellecontribue à fairede ce huis clos enplein air une jolieréussite. zoé courtoisLa Certitude despierres, de JérômeBonnetto, Inculte,190 p., 16,90 €.

Devenue lesbienne, une femme largue tout et lutte pour la garde de son jeune garçon. « Love me tender » sonne juste

Constance Debré :l’amour maternelen vaut bien un autre

laurent goumarre

E lle aura tout largué : mari,enfant, travail, famille, ap­partement. « Finito, vousne pouvez pas savoir

comme c’est bon. » Dans son nou­veau roman, Love me tender, Cons­tance Debré, 47 ans, s’avance seule,« le dos et les épaules musclés, les cheveux courts, bruns un peu gris devant, le détail d’un Caravage ta­toué sur le bras gauche, et Fils de Pute, calligraphie soignée, sur le ventre ». Et vous ne pouvez pas sa­voir comme c’est bon : retrouver cette écriture nerveuse, la violenceaussi, quelque chose que la litté­rature oublie quand elle ressasse la vie des autres dans des néo­bio­graphies qui, à force, révèlent un déni de soi.

Heureusement, on tientConstance Debré, et on ne va pas la lâcher. D’autant qu’elle pose les bonnes questions. Ça com­mence comme ça : « Je ne vois paspourquoi l’amour entre une mèreet son fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s’aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pass’en foutre une bonne fois pour toutes, de l’amour, de l’amourprétendu, de toutes les formesd’amour, même de celui­là (…).Pourquoi on ne pourrait pas ? Il faudrait que je sache. »

Son roman est l’histoire decette réponse, l’histoire d’un amour entre une mère qui perd ses droits et un fils, Paul, qui vit avec son père, Laurent. Un fils de 9 ans qui « dit que je le fais chier », qui « me fait un doigt d’honneur »,puis « un long câlin » quelquespages plus loin dans « l’espace rencontre », où sa mère en est ré­duite à exercer son droit de visite.Love me tender raconte une rup­ture amoureuse, et le choix de la littérature, sous le regard d’une juge qui « fixe le tatouage qui dé­passe de ma manche, me de­mande pourquoi j’écris un livre et sur quoi, pourquoi j’ai parlé de mon homosexualité à mon fils… »

Les livres, l’homosexualité, c’estlié bien sûr. Suspicion générale.

Au tribunal, l’avocat de Laurent,qui demande la garde exclusive,cite à charge la bibliothèque de l’ex­épouse : Bataille, Duvert, Guibert. On pourrait y ajouter Guillaume Dustan et Christine Angot pour la splendide fronta­lité d’un style qui bande, ne cher­che pas la belle phrase, mais la justesse afin de dire toute la vé­rité. C’est un combat – Constance

Debré le sait, elle est avocate –, uncombat qui se fait avec les mots, seule contre tous : « On me dit dene pas publier le livre, on me dit dene pas parler des filles, on me dit de ne pas parler de cul, on me dit qu’il ne faut pas blesser Laurent, on me dit qu’il ne faut pas choquerles juges… » En une page, la 67, tout est dit de ce qui pèse encore sur l’écriture, la lâcheté de ceux

qui voudraient une littérature sans blessure, sans coupable. Raté. Constance Debré, coupable, aligne tout sans hiérarchie en une cinquantaine de courts cha­pitres, parfois de la longueur d’unparagraphe, comme des déflagra­tions, à l’image de ce qui s’écrit : ici le détail de ses plans sexe, pagesuivante un selfie avec Paul.

La juxtaposition n’est pas inno­cente ; un amour en vaut bien un autre, donc. C’est violent d’en arri­ver là. La littérature a le droit et le devoir d’énoncer l’impensable.

Constance Debré en fait l’expé­rience, elle revient de loin : la dynastie Debré, les secrets de fa­mille, le grand­père premier mi­nistre, le père dépressif, légende du journalisme, prix Albert­Lon­dres, qui n’en finit pas de ne pas mourir, la mère droguée, une famille maternelle aristo ruinée, frappée d’indignité nationale en 1946, une famille paternelle qui a renoncé à sa judéité par idéalrépublicain, « tous là à se regarder les uns les autres s’enfoncer dans les sables mouvants. Incapables d’un geste ». Mais c’est une autre histoire, qu’on a lue dans Play boy,son premier roman (Stock, 2018).

Pour celui­ci, l’enjeu est clair.Page 118, partie II, chapitre 9 : « Mon programme, c’est le moins de propriété privée. Avec les cho­ses, avec les lieux, avec les êtres,avec mes maîtresses, mon fils, mesamis. » Reste la littérature. Ellen’appartient à personne.

Constance Debré, à Paris, en 2017. MATHIEU ZAZZO/PASCO

love me tender, de Constance Debré, Flammarion, 192 p., 18 €. Signalons, de la même auteure, la parution en poche de Play boy, 10/18, 166 p., 6,60 € (en librairie le 16 janvier).

Abécédaire années 1970En dépit des deux annonces terri­bles qu’il lui a fallu digérer – un : lePère Noël n’existe pas, deux : lesparents divorcent –, le petit Milana vécu son enfance lyonnaise,dans les années 1970, comme uninfini terrain d’observation où lesstations­service, la télé et les my­thologies romanesques ont jouéun rôle majeur. S’il n’aime pas lesjeux de mots, il s’interroge sur ceque c’est qu’être un homme (en li­sant clandestinement Lui…) ou surles rébus, règle ses comptes avecles Shadocks et le « y ». Comme na­guère dans Le Club des caméléons(Le Dilettante, 2010), autobiogra­phie déguisée en portraits de pro­ches, Milan Dargent revisite, danscet abécédaire nostalgique et pi­

quant, une èrerévolue où le bur­lesque n’élude pasles mi­drames decet âge pas quetendre. philippe­jean catinchiPopcorn, de Milan Dargent, La Fosse aux ours, 144 p., 16 €.

Enquête sur une mèreSur le sable d’une plage déserte, unenfant court : ivre de liberté ouéperdu dans sa fuite. Eblouisse­ment ou brûlure ? Légèrementfloue, la photo de couverture nepermet pas d’en décider. Mais, parson intensité émotionnelle, elleattire irrésistiblement vers un livrehors du commun. Terre brûlée, pre­mier roman de Paula Vézac, quisemble proche d’un récit autobio­graphique, s’ouvre sur la dispari­tion d’une mère « absente, imprévi­sible, délirante », dont la narratrice,pour se protéger, s’est tenue à dis­tance. Incendie. Autopsie. Contratobsèques. Etat des lieux. Tout estévoqué presque brutalement. Maisà ces formalités succède une « en­quête » intime sur cette femme,née dans une famille de paysanspauvres en Normandie. Une mère« toxicomane, sorcière, folle », maisaussi intelligente, cultivée, pas­sionnée, que la narratrice se sentcoupable d’avoir abandonnée. Decette plongée dans sa propre en­fance traversée de cauchemars, elle

se libérera enIslande, par unesorte de baininitiatique, aucœur d’un vol­can. moniquepetillonTerre brûlée, de Paula Vézac, Le Rouergue, 206 p., 18,80 €.

Une tyrannie paternelleLa violence et le mystère d’un père sont au cœur de « La Golf blanche », premier roman de Charles Sitzenstuhl

fabrice gabriel

I l n’y a guère de rapport, a priori, en­tre le premier roman de CharlesSitzenstuhl, La Golf blanche, et lapoésie de René Char (1907­1988).

C’est pourtant à un texte de ce dernier,Déclarer son nom (dans La Parole en ar­chipel, Gallimard, 1963), que l’on a pensé en découvrant le livre, de toute évidence autobiographique, de ce jeune auteur au patronyme germanique. Le poème de Char s’ouvre par ces mots : « J’avaisdix ans », qui pourraient fixer un peu du décor d’enfance d’un récit strictementchronologique, simplement terrible. C’est un roman du père, dont le nom figure en héritage sur la couverture, avecson poids de violence et de mystère, ses sonorités dures à dire, son étrangeté de frontière.

Déclarer son nom, c’est donc racontercet apprentissage d’une vie en Alsace,dans de courts chapitres qui font commeles épisodes d’un suspense sans issue,sinon cet incertain « âge d’homme » de­vant lequel se dresse tel un obstacle le père honni, ou son fantôme encore proche, dont peut­être le livre délivrera. Peu de choses se passent, ici : Char­les Sitzenstuhl raconte le quotidien d’une famille de la classe moyenne à Sélestat, à la fin du XXe siècle… Un père allemand, donc, venu tra­vailler dans la région, où il a épousé une jeune Française, institutrice ; une petite mai­son, une sœur cadette, des habitudes de sorties, des activités sporti­ves et cette voiture, la Golf blanche, ins­trument dérisoire de la puissance d’un homme qui règne sur les siens, de plus en plus tyrannique, de plus en plus fou sans doute, enfermé dans une sorte de misanthropie sans mots, sinon quelques

jurons franco­germaniques, des insultes crues, un mépris de chaque instant.

Il y a la peur, surtout, que diffuse lepatriarche quand il roule trop vite, tou­jours, ou fait claquer ses Birkenstock dans l’escalier… Sans effet rhétorique,

avec une sorte de parfaitesimplicité descriptive, Char­les Sitzenstuhl maintient latension de cette terreur quimonte à travers les petitsfaits, la crainte des coupslongtemps retenus, le détailparfois infime des humilia­tions. Qui est cet homme, aufond, ce père opaque et ma­nipulateur ? Il n’y a pas de clé,mais la force du récit est derapporter pareille aporie à

une sorte de réalité frontalière, sans ja­mais se perdre en explicitations ou théo­ries : « déclarer son nom », assumer lapart du père en soi, c’est s’interroger aussi sur l’absolue bizarrerie de l’Allema­gne voisine, l’origine de ce « Sitzens­tuhl ». Les passages évoquant des séjours

chez la grand­mère paternelle, pianiste glaciale qui interdit tout dans sa maison (« Nein Charles ! Verboten ! Absolut verbo­ten ! ») sont ainsi des merveilles de mi­niatures sans réponses : que dit­elle, dans sa langue étrangère, à l’enfant ? Quepense­t­elle ? Qui sont­ils donc, l’un à l’autre, séparés au­delà des mots parcette frontière d’incompréhension que n’a jamais fait céder l’idée possible d’une« famille » ?

Comme une voiture lancée vers l’acci­dent, le récit de Charles Sitzenstuhl fait peur quand il emprunte ces virages de doutes et fonce droit vers l’inconnu, condamné à l’énigme d’un homme – detout père, peut­être. Extrêmement contextualisé, presque trop méticuleuxparfois dans sa restitution sociologique, La Golf blanche réussit pourtant à attein­dre là une forme d’universalité laconi­que, assez remarquable.

la golf blanche, de Charles Sitzenstuhl, Gallimard, 216 p., 18 €

Au tribunal, l’avocat de Laurent, qui demande la garde exclusive, cite à charge la bibliothèque de l’ex­épouse : Bataille, Duvert, Guibert

Crainte des coups longtemps retenus, détail parfois infime des humiliations

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0123Jeudi 9 janvier 2020 Critiques | Littérature | 5

L’Irlandais Joseph O’Connor réveille la Londres victorienne, sa vie théâtrale et ses personnages fantasques dans un envoûtant « Bal des ombres »

Comment « Dracula » vint à Bram Stoker

françois angelier

V erlaine écrivait : « Dansle vieux parc solitaire etglacé/ Deux spectresont évoqué le passé ».

C’est à semblable « colloque sen­timental » (poème de 1868) que nous convie de nuit, une nuit go­thique, pouacre et hantée, le ro­mancier, dramaturge et nouvel­liste irlandais Joseph O’Connor, suscitant dans son nouveau livre,Le Bal des ombres, un angoissant concert spectral – récompensé par l’Irish Book Award. Mais aumorne duo verlainien et à son parc désolé, O’Connor substitue un trio électrique et vibrionnant, celui que formèrent, sur les plan­ches comme à la ville, l’IrlandaisBram Stoker (1847­1912), auteur de Dracula (1897), sir Henry Irving (1838­1905), acteur­pharede la scène shakespearienne – premier comédien anglais à se voir anobli et dont Stoker fut, pendant près de trente ans, de 1876 à 1902, au Lyceum Theater de Londres, l’âme sœur et

l’impitoyable intendant – et Ellen Terry (1847­1928), prima donna assoluta de la scène victorienne, intime des deux hommes et par­tenaire du tragédien.

Pour dompter cette chimèretricéphale, la grande figure de lalittérature irlandaise qu’est Jo­seph O’Connor (A l’Irlandaise, Robert Laffont, 1999 ; L’Etoiledes mers, Phébus, 2003) use dumême procédé que Stoker dans son monument vampirique : nonun récit linéaire et architecturé, mais une ample liasse de docu­ments intimes fictifs (journaux, lettres, transcription d’entre­tiens) que Stoker adresserait en 1908 à une Ellen Terry parve­nue à l’heure des souvenirs et de la nostalgie.

Se met alors en branle uneenvoûtante sarabande mémo­rielle où alternent vraies­faussesconfessions solitaires, empoigna­des hystériques et dialogues àfleurets démouchetés, scènes decoulisses et visions lyriques (su­blime description de l’incendiede l’entrepôt des décors).O’Connor immerge à plein sonlecteur dans le monde théâtral londonien, décrivant les étapes de la réfection et la grisante réou­verture d’un Lyceum auparavant

en pleine désolation : univers grouillant, en ébullition perma­nente, où se coudoient décora­teurs et seconds rôles, se percu­tent figurants et maquilleurs, un cyclone baroque dont Henry Ir­ving, imbibé, chancelant et cha­rismatique, maître de son public, figure l’œil brûlant et écarquillé.

Liens fusionnelsAu sein de cet univers convul­

sif, le gestionnaire Stoker (dit « Tatie ») impose son esprit mé­thodique, son pragmatisme et sa pondération. Une apparente rai­deur, car, au­dedans, l’homme brûle. Les liens qui unissent Sto­ker et Irving, mariés et pères de

famille par ailleurs, sont en effet passionnels et fusionnels : « Je n’ai jamais vu (…) une vie à ce point absorbée dans celle d’unautre », a pu écrire le journaliste Harry Hall Craine à propos de lavéritable « possession » de Stoker par un Irving aux pouvoirs quasi hypnotiques. Un lien dont onnous narre les pics émotifs et les crises soudaines dues aux intem­pérances affectives d’Irving à Londres, en tournée provinciale ou internationale (notamment aux Etats­Unis, où Stoker fait laconnaissance d’une de ses idoles,Walt Whitman).

Cette évocation permet àO’Connor, au travers de scènes

dramatiques, de décrire la socia­bilité homosexuelle victorienne et son quotidien périlleux : im­mersion nocturne dans l’univers des docks londoniens, fréquenta­tion de bars interlopes et d’adres­ses secrètes, tentative de chan­tage et apparition soudaine et ébouriffante d’Oscar Wilde au vif d’une répétition ; Wilde dont lacondamnation pour « grossière indécence », en 1895, suscited’ailleurs mariages hâtifs et des­truction urgente de correspon­dances. Dans cette histoire d’uncouple, Ellen Terry apparaît comme la sœur stellaire et la con­fidente élue. Mais ce qui se trameau profond du Bal des ombres est sans doute moins l’évocationd’un monde révolu et de ses figu­res mythiques que la genèse de Dracula, dont l’élaboration, de l’enquête érudite à la frappe dac­tylographique du texte, nous est contée par le menu.

Joseph O’Connor truffe en effetson récit de citations draculéen­nes : un décorateur du nom de Jonathan Harker, la terre d’une caisse se révélant grouillante d’asticots, un interné psychiatri­que zoophage, autant d’allusions,claires ou déviées, au principalnarrateur de l’histoire du comte vampire, à la figure de Renfield,son disciple, ou aux caisses de terre transylvanienne du Maître. Henry Irving, quant à lui, n’a de cesse d’apparaître tel un dandyautocratique et fastueux, vorace et envoûtant, dont l’habitude dene se lever qu’au coucher dusoleil est le moindre indice de son essentiel vampirisme. Uneenquête imaginaire aux sources historiques et érotiques d’un livre­monstre. Fascinant.

Christopher Lee joue Dracula dans « Dracula et les femmes », de Freddie Francis (1968). MPTV/BUREAU233

le bal des ombres (Shadowplay), de Joseph O’Connor, traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau, Rivages, 550 p., 23 €.

Les amours empêchées de Salma et d’Abdelkarim, et leur fin cruelleAvec « L’Echelle de la mort », l’écrivain syrien Mamdouh Azzam actualise avec talent un thème classique de la littérature arabe

eglal errera

D ans les cloaques de lamort où le célibat lesavait enterrées depuissi longtemps, elles

s’étaient redressées, la sève de lavie circulait à nouveau dans leurs veines et, telles des lionnes, elles s’étaient à nouveau élancées dans le monde. » « Elles », ce sont les protagonistes de L’Echelle de la mort, le bref roman de l’écrivain syrien Mamdouh Azzam,concentré de passions humaines. « Elles », deux vieilles filles qui se sont lavées, épouillées, peignées,puis ont revêtu leurs plus bellesrobes pour accueillir Salma, leurnièce. Et qui prouvent que l’exercice de la cruauté peut redonnervie aux cœurs frustrés.

Pour les deux fem­mes, c’est un jour lumi­neux. Elles ont planté de la menthe à l’entrée de la cave obscure où leur famille a condamné Salma à pé­rir d’une mort lente et atroce. Pour Salma, ce jour est le premier d’une longue agonie, punition de l’inexpiablecrime dont elle s’est rendue cou­pable : s’être livrée à un amour illicite, avoir souillé l’honneur de sa famille. Mariée toute jeune à un homme fruste, qui a quitté leur village du djebel druze pro­che de Damas pour chercher for­tune en Amérique latine, Salma a en effet connu les premiers em­brasements de l’amour vrai avec Abdelkarim, le maître d’école, et tous deux ont fui ensemble. Un amour d’une fraîcheur adoles­

cente que les jeunes gens, rattra­pés dès la première nuit, n’avaient pas encore consommé.

L’histoire de Salma et de ce« crime d’honneur » s’inscrit dansla lignée des textes que la littéra­ture arabe a dédiés aux amours empêchées, depuis le temps de la poésie antéislamique de la pénin­sule Arabique. Ainsi, Abdelkarim– absent lors de l’arrestation de Salma, ignorant du sort qui lui a été réservé, délirant d’amour et de douleur dans les rues du vil­lage, avec pour seul mot entre les lèvres le prénom de son aimée –fait­il penser à Majnoun, le héros légendaire du sublime poèmefleuve Majnoun, le fou de Layla, de Qays Ibn Al­Mulawah (646­688), lorsque, errant dans le dé­sert, Majnoun hurle ses vers à Layla, qui lui est interdite.

Certes, L’Echelle de la mort, bienque magnifiquementtraduit par Rania Sa­mara, n’a pas le souffledu poème de Qays, lepoète bédouin. Maisson écriture concise, al­liée à une rare connais­sance des passions hu­maines et à la hautefacture de ses choixlittéraires, en font untexte intemporel. Al’instar de deux figures

de proue de la littérature arabe moderne – le poète palestinien Mahmoud Darwich (1941­2008) et le romancier libanais Elias Khoury (né en 1948) –, Azzam sonde et travaille inlassablement la complexe langue arabe classi­que, parvenant à une simplicité épurée qui fait de son texte une réplique remarquable des grandesépopées poétiques d’autrefois.

Né en 1950, Mamdouh Azzam ahuit romans et recueils de nou­velles à son actif ; L’Echelle de la mort est son premier livre traduit

en français. Tous questionnent la culture et les traditions druzes dont ils dénoncent la barbariecomme ils en exaltent les vertus.

Ainsi du personnage d’AbouNayef, l’homme qui a accueilli les fugitifs sous son toit et qui refusede livrer Salma car l’hospitalité

lui est un devoir suprême. La police attendra donc la jeune femme au seuil de sa demeure. Dans l’ultime et saisissant dialo­

gue du roman, Abou Nayef de­mande à Salma : « Tu sais où ils t’emmènent ?/ Je sais… à la mort./Dépêche­toi, alors ! »

l’échelle de la mort (Miraj al mout), de Mamdouh Azzam, traduit de l’arabe (Syrie) par Rania Samara, Actes Sud, « Sindbad », 102 p., 12,80 €.

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PALAIS GARNIERDU 26 FÉVRIERAU 8 MARS 2020

OPERADEPARIS.FR08 92 89 90 90 (0,35 € TTC/MIN)

DIRECTION MUSICALESUSANNA MÄLKKIMISE EN SCÈNELUC BONDYCHEF DES CHŒURSJOSÉ LUIS BASSOORCHESTRE ET CHŒURSDE L’OPÉRA NATIONALDE PARIS

AVECDÖRTE LYSSEWSKILAURENT NAOURIBÉATRICE URIA MONZONJULIEN BEHRJEAN TEITGENANTOINETTE DENNEFELD

Yvonne, princessede Bourgogne

Parce qu’il était une fois, une princessepas comme les autres.

Philippe Boesmans

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Page 36: Le Monde - 09 01 2020

6 | Histoire d’un livre Jeudi 9 janvier 20200123

COMME AIME LE PRÉ­CISER IEGOR GRAN, lacitation la plus célèbrede son père, l’écrivainAndré Siniavski (1925­1997), est la suivante :« Je n’ai, avec le pouvoirsoviétique, que des di­

vergences esthétiques. » L’enjeu du débat : le réalisme socialiste. C’est dire combien Siniavski n’était en rien prédestiné à devenir le premier « dis­sident » soviétique. Aucune volonté de sa part d’abattre le « rideau de fer ». Seulement le désir de pouvoir écrire des livres de science­fiction ou des aventures fantastiques, et de

Un ratéLes biographies d’artistes imagi­naires relèvent d’un genre bienconnu, depuis le Wilhelm Meister,de Goethe (1795) – on songe aussiau Docteur Faustus, de ThomasMann (1947). Dans le dernier romanparu de son vivant, l’écrivain sué­dois Torgny Lindgren (1938­2017),auteur d’une dizaine d’ouvragestraduits chez Actes Sud, dont Beth­sabée (prix Femina étranger 1986),en propose une variation singu­lière : tandis que les artistes fictifssont d’habitude des personnageshors du commun, son protago­niste, lui, est un peintre raté qui aconsacré sa vie à la représentationobsessionnelle d’un seul et mêmemotif. On est impressionné par lesavoir­faire de l’auteur, qui réussit

à raconter l’histoired’un être insigni­fiant, d’un artisteauquel manque l’es­sentiel : le talent. elena balzamoKlingsor, de Torgny Lindgren,traduit du suédois par Esther Sermage,Actes Sud, 208 p., 21 €.

Ce que Iegor Gran doit au KGBAvec « Les Services compétents », l’écrivain rend un hommage malicieux à ses parents, les dissidents soviétiques André Siniavski et Maria Rozanova

réfléchir, dans un article, au pouvoir de la littérature.

Grotesque, le motif qui lui valut d’être déporté au goulag l’est tout autant que l’amateurisme du KGB, qui mit six ans à identifier l’auteur de l’article scandaleux, publié anonyme­ment dans la revue Esprit par Jean­Ma­rie Domenach, en 1959. Les « services compétents » rament, et Iegor Gran s’en donne à cœur joie pour le faire savoir dans son quatorzième roman.

Mais Les Services compétents, malgréle caractère évidemment antiphrasti­que de son titre, n’a rien d’une satire gratuite, encore moins d’une critique facile. Si le KGB pédale dans la

semoule, c’est justement que ses officiers sont humains. Idéologique­ment convaincus, mais pas foncière­ment plus sadiques que d’autres. Dépassés par les mutations d’une épo­que où se développent le désir de liberté, l’envie de consommer et le marché noir, ils se heurtent, qui plus est, au génie loufoque de Maria Roza­nova, la mère de Iegor Gran, laquelle ne cesse de les désarçonner par ses réactions atypiques et ses questions farfelues. Du grand art. fl. b.

Des kagébistes tellement humains

les services compétents, de Iegor Gran, P.O.L, 302 p., 19 €.

florence bouchy

S on projet, Iegor Gran lerésume en une phrase. Ils’agissait pour lui, toutsimplement, de « raconter

l’Union soviétique comme on ne l’avait jamais racontée ». Force est de constater qu’il y est tout à fait parvenu. La fin de la période ditedu « dégel », sous Khrouchtchev puis au début de l’ère Brejnev, estrestituée avec un humour et un sens du grotesque auxquels les li­vres d’histoire ne nous avaientpas habitués. Pas plus que lesbornes choisies par l’écrivain pour situer son récit ne pouvaientle laisser attendre : en 1959, larevue Esprit, en France, publie unarticle anonyme discutant les principes du « réalisme socia­liste ». Il affole le KGB et préoccupeles « services compétents », quitraquent son auteur durant six ans. En février 1966, André Siniav­ski (1924­1997), le père de IegorGran (né, lui, deux ans plus tôt, endécembre 1964, à Moscou), estcondamné à la déportation pour cet écrit et pour l’ensemble de sonœuvre, aux côtés du poète Iouli Daniel. Il passera près de sept ans dans les camps, d’où il reviendrale dos cassé, plié en deux, édentéet le crâne rasé.

Physiquement brisé, mais intel­lectuellement comblé, tant ces années de camps ont été humai­nement intenses, André Siniavski ira jusqu’à affirmer que ce furentles « plus belles de sa vie ». Quant àsa femme, Maria Rozanova, dansla bataille qu’elle a menée contrele KGB, « elle s’est éclatée », dit son fils. Comment faire comprendre cet apparent paradoxe, le rendre sensible et crédible ? « Cela fait vingt ans que je fantasme sur cettehistoire, explique Iegor Gran. J’avais, je crois, le devoir de la ra­conter, parce que mon père est mort en 1997, l’année où je suis de­venu écrivain, sans savoir que

j’étais devenu écrivain. » En 1973, lafamille avait en effet négocié avec le KGB son passage à l’Ouest et s’était installée en France, où a grandi un Iegor Gran trop fâchéavec l’orthographe pour osers’aventurer vers des études litté­raires. « Mon père est mort en pen­sant que j’étais devenu ingénieur, puisque j’avais fait l’Ecole centrale. Il était scandalisé, outré que je n’écrive pas, alors que je le faisais

en cachette. Je devais raconter son histoire et celle de ma famille, maisje n’arrivais pas à avoir la bonne distance, le bon ton, la bonne cou­leur pour le faire. »

L’auteur d’ONG ! (P.O.L, commetous ses livres, 2003), de L’Ecologieen bas de chez moi (2011) ou de La Revanche de Kevin (2015) s’ac­quitte de sa dette avec force et briodans Les Services compétents. Et nous embarque dans cette pé­riode d’incertitude où le pouvoir hésite sur la conduite à tenir faceaux aspirations à la liberté. « Tout est interdit, sans être clairement réprimé, résume Iegor Gran. C’est une époque foisonnante, les gens commencent à avoir des audaces, ils se mettent à dealer du Docteur Jivago [de Boris Pasternak, paru en Italie en 1957 et interdit en URSS] et des enregistrements dejazz. On ne sait jamais quand on franchira la ligne jaune. » C’estprécisément cette hésitation du pouvoir qui offre à l’écrivainl’éclairage qu’il cherchait pour rendre compte de cette période « dramatique et bordélique, où l’onpeut prendre six ans ou un simple blâme pour un même crime, parce que le pouvoir soviétique se de­mande s’il faut être plus ou moins répressif, au moment où le com­munisme veut se montrer “à vi­sage humain” ».

Dans les archives de son père,Iegor Gran retrouve l’ordre de per­quisition du 8­9 novembre 1965 émis lors de l’arrestation d’André Siniavski. Et s’aperçoit qu’il est

signé, notamment, par le lieute­nant Ivanov, très jeune encore, qui commandera plus tard la 5e section chargée de la lutte contre la dissidence. Ce jeune idéologue inexpérimenté, tout juste sorti de l’école du KGB, de­vient ainsi le personnage central du roman. Celui à travers les yeuxduquel toutes les scènes majeuresvont être décrites. « Le déclic a eulieu quand j’ai compris qu’il fallait que je dise “nous” en parlant duKGB, explique Iegor Gran, et non pas en parlant de ma famille. J’ai multiplié les angles de vue, mais encherchant toujours à donner la sensation que tout était filtré par les “services compétents”, un peu

comme si tout était discuté à la cantine du KGB. »

L’astuce, ajoute­t­il, était d’in­verser le propos et de ne pas être du côté des victimes, mais de « rendre les victimes un peu vicieu­ses ». Sans doute la meilleure fa­çon de se montrer juste à l’égard de sa mère et de son incroyable audace. « Elle a été absolument stupéfiante. Elle a trouvé le ton juste pour s’adresser à eux et les dé­sarçonner, comprenant vite qu’ils étaient d’abord des humains ordi­naires. C’est une femme incroya­blement extravertie, qui n’a peur de rien, limite inconsciente, et qui va jouer avec les agents du KGB, enleur posant notamment des ques­tions complètement farfelues. » Quand le lieutenant Ivanov veut savoir, par exemple, où elle cache les manuscrits de son mari, elle lui demande ingénument à quel âge il a commencé à perdre sescheveux. « Ma mère a brillam­ment joué la comédie, conclutl’écrivain, parce qu’elle n’a aucun tabou. » La mémoire familiale a d’ailleurs retenu cette phrase d’anthologie de Maria Rozanova,face aux agents chargés de négo­cier les termes de son passage à l’Ouest : « Je ne vous laisserai pas une serpillière. » Ce qui a permisaux Siniavski d’être les seuls dissi­dents, avec Soljenitsyne, à pou­voir partir en emportant toutesleurs affaires. Et qui explique d’où l’écrivain tire son incroyable gra­vité loufoque.

« Le déclic a eu lieu quand j’ai compris qu’il fallait que je dise “nous” en parlant du KGB, dit l’auteur, et non pas en parlant de ma famille »

EXTRAIT

« Les services – système immunitaire de la patrie. L’image est belle. En plus d’être assez juste. Comme des enzymes digestifs, le lieutenant Ivanov et ses camarades sont des gardiens invisibles et efficaces. Ils défendent l’orga­nisme au bouclier, ils éradiquent ses ennemis à l’épée. Le corps sain ne se doute même pas qu’il y a ces sentinelles dévouées qui veillent sur lui jour et nuit. Le citoyen vaque à ses occupations – protégé. Il fait les courses – protégé. Il va au cinéma en sifflotant, la conscience tranquille – protégé. Dans l’ombre, le système immunitaire, lui, est toujours en alerte.Une rencontre avec un étranger ? Un livre antisoviétique ? Une blague de mauvais goût ? Autant de portes d’entrée potentielles pour un dangereux microbe. C’est là que les services compétents interviennent. L’intrus est re­péré, suivi, étudié. On assimile sa tactique. Puis on l’élimine. Tout en sur­veillant les métastases, toujours possibles. Dieu sait ce que peuvent donner les cellules saines qui ont été en contact avec le virus. »

les services compétents, pages 91­92

André Siniavski, père de Iegor Gran, en 1988. SOPHIE BASSOULS/LEEMAGE

Grinçant Jaume CabréLa mort violente est le motif com­mun à la douzaine de nouvelles quicomposent ce nouveau recueil deJaume Cabré. Un garçon finit partuer le père qui l’a envoyé en pen­sion après le suicide de sa mère. Untueur à gages se confesse sur sonpassé auprès du prêtre qu’il estchargé d’assassiner. Un homme serepent de vouloir faire exécuter safemme qui lui refuse le divorce,mais il est trop tard pour faire an­nuler son ordre… De ces situations,le romancier sait extraire le pi­quant et l’ironie pour composerune fresque grinçante sur la facilitéavec laquelle l’homme cède à sesplus bas instincts. Cabré, auteur duremarqué Confiteor (Actes Sud,2013), confirme par ailleurs ici sacapacité à faire résonner les différentes nouvelles entre elles,comme il l’avait déjà réussi dansVoyage d’hiver (Actes Sud, 2017), parde plaisants jeux d’échos, et à fairedes œuvres d’art qu’il met en scène

de passionnantsprolongements de la vie terrestre. ariane singerQuand arrive lapénombre (Quanarriba la penombra), de Jaume Cabré, traduitdu catalan par EdmondRaillard, Actes Sud, 264 p., 22 €.

Saint Gustave de ConcarneauIl faut imaginer Flaubert en tenuede bain. C’est à cela, en tout cas, ques’est entre autres astreint AlexandrePostel pour son quatrième roman.Un automne de Flaubert couvre ce­lui de l’année 1875, que l’écrivain,miné par des soucis pécuniaires,incapable d’écrire, passe à Concar­neau (Finistère). Il s’ébroue dansl’Atlantique, se goberge de fruits demer, dort, observe l’anatomiste etnaturaliste Georges Pouchet tra­vailler… Et bientôt commence àimaginer « La Légende de saint Ju­lien l’Hospitalier », l’un des TroisContes (1877). Faire du grand Gus­tave un personnage de roman, ledéfi n’est pas peu « hénaurme »pour un jeune écrivain. AlexandrePostel s’y attelle, avec sérieux et hu­milité. La phrase souvent tentée parle rythme flaubertien, il offre de jo­lies scènes, de très justes évocationsde l’œuvre et de la « cérémonie du

style ». Et donneune envie folle dese replonger dansla correspondancedu saint patrondes écrivains. raphaëlle leyrisUn automne de Flaubert,d’Alexandre Postel,Gallimard, 144 p., 15 €.

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Page 37: Le Monde - 09 01 2020

0123Jeudi 9 janvier 2020 Entretien | 7

propos recueillis par gaïdz minassian

T aner Akçam est un sociolo­gue et historien turc, profes­seur au Centre pour l’étudede l’Holocauste et des géno­cides de l’université du Min­nesota, aux Etats­Unis, et

auteur de plusieurs livres importants surl’histoire turque contemporaine, en par­ticulier Un acte honteux. Le génocidearménien et la question de la responsabi­lité turque (Denoël, 2008). Dans son nou­vel essai, Ordres de tuer. Arménie, 1915, il établit l’authenticité des télégrammes controversés par lesquels les plus hautes autorités ottomanes ordonnèrent, entre 1915 et 1917, la déportation et le massacre des Arméniens – on estime le nombre devictimes à 1,5 million. Sa parution, alorsque le sujet continue de faire l’objet d’un déni officiel dans la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, est un événement.

Quel but avez­vous poursuivi en écrivant ce nouveau livre sur le génocide des Arméniens ?

Avant sa publication de ce travail, le gé­nocide des Arméniens était déjà un faitétabli, non seulement dans le monde universitaire, mais aussi au sein de la communauté internationale au sens large. De nombreuses publications ont montré l’intention génocidaire des auto­rités ottomanes. Pourtant, les gouverne­ments turcs successifs ont continué de nier ce génocide. C’est pourquoi mon li­vre est surtout destiné à démanteler les arguments négationnistes.

Quelles ont été les réactions à la paru­tion du livre en Turquie, en 2016 ?

Il a été bien accueilli par les historienset les médias progressistes. Les milieuxnégationnistes ont, quant à eux, préféré le passer sous silence. Un seul site Inter­net, celui du Centre pour les études eura­siennes, un institut parrainé par le gou­vernement, a tenté de contester mesconclusions. Mais il s’agissait essentielle­ment d’attaques ad hominem.

En quoi votre enquête marque­t­elle un progrès dans l’étude du génocide ?

Les arguments négationnistes repo­sent essentiellement sur l’idée qu’onmanquerait de sources directes : per­sonne n’aurait découvert un seul docu­ment ottoman montrant clairement l’intention génocidaire du gouverne­ment ottoman au moment où il a com­mencé à déporter les Arméniens. Sur cette base, les négationnistes, tout en re­connaissant des pillages et même desmassacres à l’encontre des convois dedéportés, nient qu’ils aient correspondu à une volonté du gouvernement.

Au contraire, disent­ils, celui­ci a faittout ce qui était en son pouvoir pourempêcher ces atrocités, lesquelles, selon eux, se seraient produites dans des zonesmontagneuses reculées, que le pouvoir ne contrôlait pas totalement. Ils affir­ment aussi que si un grand nombre d’Ar­méniens mouraient de faim, de soif ou d’épidémies et à cause de conditions mé­téorologiques extrêmes, c’était du fait de la précarité créée par la guerre, et non d’une politique intentionnelle. Ordres de tuer balaye tout cela. Il montre l’exis­tence d’ordres de mise à mort directs et prouve leur authenticité.

Celle­ci est régulièrement contestée…Dans un livre sur le dossier arménien

publié en 1983 par la Société historiqueturque, contrôlée par le gouvernement, douze « thèses » sont avancées qui, en ef­fet, sont censées invalider l’authenticité des télégrammes attribués au ministrede l’intérieur ottoman Talaat Pacha [1874­

1921]. Je réfute toutes ces allégations. La plus importante porte sur le fait que le gouvernement ottoman n’aurait jamais utilisé un système de cryptage à 2 et3 chiffres, mais seulement à 4 ou 5 chif­fres. Or je publie plusieurs télégrammes contenant des systèmes de cryptage à 2 et 3 chiffres et je montre que le gouverne­ment ottoman avait recours à plusieurs systèmes de cryptage simultanément.Différents services utilisaient différentssystèmes, de sorte que, dans une même période, le gouvernement pouvait utili­ser à la fois le cryptage à 2, 3, 4 ou 5 chif­fres. Il n’y a pas de périodisation claire dans l’utilisation de ces systèmes.

Pensez­vous que le courant de l’histoire dissidente en Turquie, dont vous faites partie, soit en mesure de briser le négationnisme d’Etat à Ankara ?

Non, je ne le crois pas. Le pouvoir modi­fiera peut­être sa rhétorique, mais il ne sortira pas du déni. Cela n’a rien à voir avec le travail académique. Le déni estune politique, une idéologie profondé­ment enracinée au sein de l’appareil d’Etat. En ce sens, il peut être comparéavec le régime d’apartheid qui a existé enAfrique du Sud. L’apartheid ne pouvait pas être détruit par la réfutation mesu­rée et savante des théories raciales.

Le déni ne peut être vaincu que politi­quement et, à ce titre, cette lutte doit êtreconsidérée comme faisant partie de la lutte plus large pour la démocratisation en Turquie. Seul un changement de ré­gime de ce pays entraînera la possibilité d’un changement dans le récit officiel. Mes conclusions aideront ceux qui se battent pour une Turquie démocratique. Elles fourniront de nouvelles armes à leur arsenal.

Le 12 décembre 2019, le Congrès américain a reconnu le génocide des Arméniens et insisté pour rejeter les efforts visant à nier la réalité de ce crime. Qu’en pensez­vous ?

Quels que soient les motifs de cette ré­solution, c’est une décision historique.C’est la fin d’une ère et le début d’une

nouvelle. J’y vois une victoire morale pour le peuple arménien, mais aussi,bien qu’il puisse être difficile pour lui de l’accepter à ce stade, pour le peuple turc. Cela ne se fera pas tout de suite, ni mêmebientôt, mais cette décision devrait faire avancer la lutte des Turcs et de Kurdes pour les droits de l’homme et la démo­cratie en Turquie.

Il y a d’ailleurs une différence impor­tante entre la reconnaissance améri­caine du génocide et celles qui ont eulieu en France et en Allemagne. La déci­sion du Congrès américain peut avoir unpoids juridique favorisant l’ouverture de procédures judiciaires contre la Turquie. Les plaignants arméniens pourraient s’inspirer du modèle des litiges concer­nant la Shoah. Désormais, ceux qui s’in­vestissent dans cette lutte ont un poidsmoral et juridique accru.

Est­ce aux parlements de juger l’histoire ?

Les décisions qu’ils prennent sontd’une nature différente de la recherchehistorique. Je ne pense pas que les luttes des Arméniens pour la reconnaissance politique du génocide aient vraiment un rôle à jouer pour décrire les événements de 1915­1917, même si le débat publictend à confondre les deux plans. Mon li­vre cherche à établir des faits avec le plusde précision possible ; il ne se fonde passur un discours politique. De son côté, la campagne menée pour obtenir des déci­sions de législatures nationales s’inscrit dans le cadre de la lutte politique des Ar­méniens – et d’autres parties intéressées – contre le régime négationniste de la Turquie, et cette démarche, dans son or­dre, est parfaitement légitime. C’est uninstrument destiné à faire pression pour obtenir une reconnaissance de ce fait historique.

Nous pouvons certainement débattredes méthodes les plus efficaces pour y parvenir, mais je n’ai pas encore vu de solutions de rechange raisonnables. Que devraient faire les Arméniens, sinon ce qu’ils font ? De quel autre levier dispo­sent­ils ? Le défi consiste à trouverd’autres moyens encore pour faire

pression sur la Turquie à l’échelle inter­nationale. De tels efforts doivent être affinés et pris en accord avec la lutte inté­rieure pour la démocratisation du pays. Seule une harmonisation entre la lutte à l’extérieur et la lutte à l’intérieur pourra mettre un terme au déni en Turquie, comme ce fut le cas en Afrique du Sud après l’apartheid.

Un mois après la reconnaissance du génocide de 1915 par le Congrès américain paraît « Ordres de tuer », dans lequel l’historien turc, accumulant les preuves, démantèle les arguments négationnistes

Taner Akçam : « Le déni du génocide des Arméniens est une politique d’Etat »

Commémoration du génocide des Arméniens, à Beyrouth (Liban), en 2000. ANTOINE AGOUDJIAN

Une implacable démonstrationORDRES DE TUER, ENQUÊTE APPROFONDIE SUR L’AUTHEN­TICITÉ DES TÉLÉGRAMMES DU GOUVERNEMENT JEUNE­TURC – du nom du mouvement révo­lutionnaire ottoman au pou­voir en Turquie entre 1908 et 1918 – ordonnant la déporta­tion et l’extermination des Arméniens de l’Empire otto­man pendant la première guerre mondiale, repose sur un travail de recherche impres­sionnant, dont les résultats sont appelés à faire date.

Durant des années, Taner Akçam a parcouru trois conti­nents à la recherche de la vérité sur ces documents officiels cri­tiqués ou niés par les autorités turques depuis un siècle. En se fondant notamment sur une comparaison des archives qui étaient depuis longtemps à la disposition des chercheurs avec celles qui ont été déclassi­fiées au début des années 2010, il démonte une à une les thèsessur lesquelles repose le men­songe officiel de l’Etat turc. Son analyse des codages (chiffrages et mots­clés), de la nature du papier, de l’encre, des sceaux et signatures des documents aboutit à une vision rigoureuse de la planification des marches de la mort (1,5 million d’hom­mes, de femmes et d’enfants périssent dans ce génocide).

Avec cet ouvrage­clé sur l’orga­nisation du crime par les plus hautes instances de l’Etat otto­man, Taner Akçam met en lumière la bureaucratisation des plans d’extermination d’un peu­ple, dont il apporte toutes les preuves. Une réponse implacable au discours négationniste qui continue de prévaloir à Ankara. ga. m.

ordres de tuer. arménie 1915. les télégrammes de talaat pacha et le génocide des arméniens (Killing Orders. Talat Pasha’s Telegrams and The Armenian Genocide), de Taner Akçam, traduit de l’anglais par Gilles Berton, préface d’Annette Becker, CNRS Editions, 324 p., 24 €.

Envoyez vos manuscrits :Éditions Amalthée8-10 rue Louis Marin, 44200 Nantes

Tél. 02 40 75 60 78www.editions-amalthee.com

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8 | Chroniques Jeudi 9 janvier 20200123

IL EST DOUX DE COMMENCER L’ANNÉE AVEC QUELQU’UN QU’ON AIME – et que les arcanes de l’édition vous permettent de retrouver : Les Amis de Bernhard, pre­mier roman d’Annemarie Schwarzenbach (1908­1942), vient d’être repris en poche.Un texte de jeunesse, publié en 1931, alors que l’auteure suisse a tout juste 23 ans. Unroman d’apprentissage et d’amitié, d’ami­tiés artistiques, autour de Bernhard dit« Berchen », 17 ans, pianiste débutant, qui a quitté sa ville natale pour suivre sonprofesseur à Paris. Gert le peintre, Ferdi­nand le musicien, la splendide Inès, tous sont à l’aube de leur vie d’adulte – commeécrit Inès à Berchen : « Nous avons toute lavie devant nous. » Il faut néanmoins se dé­faire du carcan de la bourgeoisie, étouf­fante, étriquée, conventionnelle, de leur

ville de province.Christina, sculp­

trice à Paris, est labelle figure de la li­berté, artistique etsexuelle ; on esttenté d’ailleurs de sedemander où setrouve AnnemarieSchwarzenbach elle­même dans ce ro­man, sous quel amide Bernhard se ca­

che­t­elle – l’auteure apparaît en trois pe­tites touches, puis elle prend la parole à la toute fin du texte : « Je n’ai aucune raison de m’arrêter ici, les destins du jeune Bern­hard et de ses amis (…) sont loin d’être épuisés, ils n’en sont même qu’à leurs dé­buts. (…) Les revoir ensemble, c’est conso­lant pour moi, et cela me donne du cou­rage pour terminer mon livre ici, à cetendroit… » Du courage pour affronter la vie, voilà ce que cherche Annemarie Schwarzenbach dans la littérature. La gé­nération de Bernhard et de ses amis aura besoin (comme Annemarie elle­même) de bravoure pour quitter le confort bour­geois et se lancer dans la lutte contre le nazisme, dont ces splendides annéesfolles ne sont que le prélude.

L’HISTORIENNE MICHELLE PERROT N’APAS ÉCRIT SUR ANNEMARIE SCHWAR­ZENBACH, que je sache, mais elle auraitpu, pourquoi pas – j’ai passé Noël avecelle, pour ainsi dire, plongé dans Le Chemin des femmes, l’anthologie que la collection « Bouquins » lui consacre. Quel livre. Les recueils de travaux d’historiens sont passionnants car, dans leur diversité,ils permettent à la fois de retracer le che­min d’une carrière et de découvrir des dizaines de sujets dont on ignore tout. Michelle Perrot est certes « l’historienne des femmes », mais aussi une historienne du monde ouvrier et des marges de la société.

On pourrait dire que ses œuvres selisent comme des romans, mais ce ne se­rait pas assez. Il faudrait dire : les articlesde Michelle Perrot, à l’écriture d’une

inimitable simpli­cité, sont bien pluspassionnants qu’unefoultitude de ro­mans. Par exemple,sa communicationsur la révolution de1848 et la prison,l’article « Les che­veux des femmes »,l’extraordinaire syn­thèse Pratique de lamémoire féminine, le

très émouvant La Chambre des dames ou le chapitre « Autour de George Sand » sontautant de mondes fascinants que seuls le talent et le travail de l’historienne peu­vent dévoiler. « Dans ma jeunesse, livre­t­elle, j’ignorais George Sand. L’œuvre me paraissait surannée et la femme, en­nuyeuse. » Puis ce sont les lieux, et no­tamment la maison de Nohant, qui l’ontamenée à changer d’avis. La passion vient avec la fréquentation du sujet. Qu’on en soit donc convaincu : il vous suffira d’ouvrir ce volume pour être immédiate­ment emporté.

Les Amis de Bernhard (Freunde um Bernhard), d’Annemarie Schwarzenbach, traduit de l’allemand par Nicole Le Bris et Dominique­Laure Miermont­Grente, Libretto, 176 p., 8,10 €.Le Chemin des femmes, de Michelle Perrot, préface de Josyane Savigneau, Robert Laffont, « Bouquins », 1 184 p., 32 €.

Afrique pensante et créatriceUN SIÈCLE D’HISTOIRE MÉCON­NUE ET COMPLIQUÉE… Tel pour­rait être le sous­titre de ce cours exceptionnel donné au Collège deFrance, en 2016, par l’écrivain Alain Mabanckou. Il y a une cen­taine d’années, dans la France sortant de la Grande Guerre, se juxtaposaient le « Y a bon ! » de Banania, infâme caricature pater­naliste des tirailleurs sénégalais morts au front, et le premier congrès panafricain, tenu en même temps que le congrès de Versailles, à l’initiative du député du Sénégal Blaise Diagne. Aujourd’hui, le chemin parcouru est évidemment considérable,mais le décompte est loin d’êtreachevé. Quantité d’esquives et de

pièges subsistent, qu’il faut dé­crire et lever, pas à pas, sans relâ­che, si l’on veut avancer et conti­nuer à créer un autre monde. C’est à ce déminage et à cette ouverture d’horizon que contri­buent ces huit leçons de haut vol.

Au commencement était l’in­fini mépris. Il niche dans leregard condescendant descolons, qui veulent parler aunom de gens jugés inca­pables de penser et de s’ex­primer, tout comme ilsauraient été incapables, au

fil des siècles, de construire quoi que ce soit. Aimé Césaire sut ex­primer avec une infinie justessele prétendu néant qui définissait alors les Noirs : ils étaient ceux

qui n’avaient « inventé ni la pou­dre ni la boussole, ceux quin’avaient jamais su dompter la vapeur ni l’électricité, ceux quin’avaient exploré ni la mer ni le ciel ». Vint ensuite le temps des déstabilisations : découvertes de Harlem et du jazz, premières créa­tions politiques noires en Haïti, dénonciations de l’oppression par André Gide ou Albert Lon­dres… Jusqu’au tournant marqué, en 1956, par la création de la revuePrésence africaine et par le « Congrès des écrivains et artistes noirs », autour notamment de Senghor et de Césaire. Ce dernier rappelait cette évidence toujours à revivifier : « Aucune race ne pos­sède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force. »

Dans ces leçons au Collège deFrance, qui furent un événement, Alain Mabanckou éclaire leslignes de force de l’épopée que constitue la création intellectuelleafricaine de langue française. Il in­siste notamment sur le rôle oubliédes femmes artistes et écrivaines, suit le remplacement des colonsblancs par les dictateurs noirs, quifut décrit par Yambo Ouologuem, en 1968, dans Le Devoir de violence(Seuil). Il retrace les tensions,

effervescences, explorations desauteurs de sa propre génération, jusqu’au génocide des Tutsi au Rwanda et aux enfants­soldatsdes guerres en cours. Avec préci­sion, mais aussi avec fougue. Car ce n’est pas en historien que parle l’écrivain, mais en penseur atten­tif et fier, qui ne craint pas de choquer, d’où qu’ils soient, ceux qui croient toujours le monde trop simple et les contours dumalheur trop vite fixés.

Car rien n’est moins figé quel’aventure d’écriture et de pensée de l’Afrique. Son visage s’invente à mesure – tout comme l’œuvre de cet auteur, forte aujourd’hui d’une douzaine de romans, d’une dizaine d’essais, de plusieurs re­cueils de poèmes, sans oublierquelques volumes d’images etdisques d’expériences musicales. Alain Mabanckou a beau ne plus compter les honneurs et les prix,le poids de la notoriété ne l’empê­che pas de frayer un chemin deliberté. Une phrase, prononcée à cette chaire de création artistique du Collège de France, le dit exacte­ment : « Créer, c’est recomposer l’univers, lui donner (ou redonner) une géographie, une histoire,des langues. »

IL EST TENTANT, POUR UN ÉCRIVAIN DISPOSÉ À ÉLARGIR LES RESSOURCES DESON MATÉRIAU et à s’évader ainsi de la langue commune, d’en inventer une. Desparoles gelées de Rabelais au sindarin de Tolkien, des pièces de Dubillard à cellesde Novarina, nombreuses sont les uglossies, ces utopies linguistiques, mul­tiples leurs visées, et toujours puissantsleurs effets poétiques ou subversifs. Ellespeuvent être construites selon des règlesprécises de grammaire – on trouvemême sur Internet des kits de créationde langues imaginaires qui occupent le temps aussi sûrement que les Lego de l’enfance – ou prendre simplement,

pour citer un titre de Jean Tar­dieu, « un mot pour un autre ».Comme dirait Anne Serre,« l’eau devient huile et là­de­dans vertiguerons bien ».

Mais si l’écrivaine a composé GrandeTiqueté dans une langue « comme archaï­que », c’est moins par choix que par évi­dente nécessité. Dans un sublime avant­propos, elle explique qu’à la fin de sa vie, son père, atteint d’un cancer buccal, s’ex­primait dans « une sorte de sabir » qu’elle était seule à comprendre et qui semblait être « la langue de la mort ». C’est pour­tant joyeusement qu’elle­même, ou plu­tôt le narrateur en elle, avide de « ra­conter des choses terribles », en a usé sanseffort pour écrire le conte guilleret où il

nous embarque, flanqué de ses deux compagnons, Elem et Tom. Suivant l’er­rance propre au genre, les trois vaga­bonds font des rencontres décisives avec la Vierge, le marin de Poinsec ou Alistair le Pendu, entre autres, et l’on s’attached’autant plus à eux qu’on ne les entendpas toujours. Ils s’en inquiètent, d’ailleurs : « Veux­tu que nous parlions français, demanda poliment Elem. Non ?Alors anglais, franglois, sirois, pitois, rus­dil, occipote, marin, ottote ? Veux­tu que nous suçions ta bouche, intervegda Elem. Ou ta souche, ou ta louche… ? »

Il y a plusieurs façons de lire GrandeTiqueté et toutes sont réjouissantes. La plus intellectuelle consiste à essayer de comprendre selon quelles lois l’auteure acréé son lexique et sa grammaire. On n’a guère de chances de sortir victorieux du jeu de piste mais à coup sûr on se sera bien amusé. Car la démiurge nous mène en bateau. Comme les Esquimaux ont trente mots distincts pour dire « neige », elle en a dix pour désigner le même réfé­rent. On laisse vite tomber son vieux Saussure pour suivre la Vierge, la Cierge, la Guergue, la Berge, la grande Grège, bref « la bigame », et entrer gaiement dans l’arbitraire du signe, mais alorsvraiment, « à tire l’harocot » ! Parfois une seule lettre change, parfois les sylla­bes s’inversent en contrepets, notre conteuse fait ce qui lui plaît, « un toin

c’est pou ». Elle se rit des liaisons – « N’eût tété sa bouche goulue (…), il nous aurait plutôt tui », glisse des allusions litté­raires – « puisque c’était eux et puisque c’était moi » –, crée des mots­valise quinous prennent au cœur, tel un « Amourintencessant » ou des verbes pour « ce quijamais n’aétait », revoit avec humour lesconjugaisons – « nous perdûmes », « nous restîmes », « je vintai » –, pourquoi secompliquer la vie, en effet, avec un passé qui s’appelle simple ? L’auteure s’invitemême dans le tableau bucolique, qu’elle signe de son nom : « On voyait passer des cerfs et des ânes, et quand ils étaient accouplés, des ânes­cerfs, en somme. »

On peut aussi – elle nous le suggère –s’abandonner à la seule mélodie dutexte, « comme on entendait et disaitautrefois les prières en latin, sans bien en percevoir le sens mais suivant la musi­que ». Anne Serre a prévu d’en faire deslectures scéniques et l’écoute en sera cer­tainement magnifique tant les sonorités douces ou tranchantes, les rimes inté­rieures, le rythme pour ainsi dire affectif des phrases nous plongent tantôt dansune comptine au pouvoir conjuratoire,tantôt dans un étrange poème aux accents médiévaux.

Pourtant, contre toute attente, cettelangue obscure a aussi et d’abord unsens, elle nous dit des « chozezin­connues » dont la clarté nous éblouit, quand bien même nous aurions « d’autres ravènes à fureter ». Elle nous parle des paysages qui font monter les larmes aux yeux, de la mort et du man­que : « Nous on connaît l’absence comme d’autres leur poche. C’est notre moelleuse iridité (…). L’absence ? Hi hi. On trame des roses, des poses, des choses, on s’entre­croise le tucsédent, on s’enroulâtre la fau­cille et on vaingue ». Elle nous donne à éprouver sensiblement ce qu’est l’amitié,ce que nous fait l’amour : « Il suffit qu’ildéploie son dran corps d’astrobèle pourqu’on ait le cœur enverté. » L’auteure dePetite table, sois mise ! (Verdier, 2012) n’asurtout pas son pareil pour évoquer le désir, celui qui fait mal mais dont on ne saurait se passer, le « grand appel qui

écortise les bronches, pénètre dans votrepatenôtre, frise et fridule, garince vos errois, et là incendie ouvrant les chevêchesà toute volée ».

« Les beaux livres, disait Proust dansContre Sainte­Beuve, sont écrits dans une sorte de langue étrangère. » Au bout du compte – « au loup du conte » – si Grande Tiqueté nous saisit en joie et en mélanco­lie, nous étreint et nous ravit si fort, c’est qu’Anne Serre parle cette langue de la mort et de la vie qu’est la littérature, « et boustiquette à tout ce qui ne va pas là » !

FRANCESCA CAPELLINI

Si Anne Serre a composé « Grande Tiqueté » dans une langue « comme archaïque », c’est moins par choix que par évidente nécessité

grande tiqueté, d’Anne Serre, Champ Vallon, 96 p., 16 €.

huit leçons sur l’afrique, d’Alain Mabanckou, Grasset, 220 p., 19 €.

Chozezinconnues

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LE FEUILLETON

CAMILLE LAURENS DES POCHESSOUS LES YEUXMATHIAS ÉNARD

FIGURES LIBRESROGER-POLDROIT

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Page 39: Le Monde - 09 01 2020

0123Jeudi 9 janvier 2020 Critiques | Essais | 9

Dans « Le Siècle du populisme », Pierre Rosanvallon dessine les contours d’un concept politique instable et propose des pistes pour éviter le pire

Relever le défi populiste

BERNARD DEMENGE/HANS LUCAS

florent georgesco

I l y a bien des manières d’êtrepiégé par le mot « popu­lisme », cet attrape­toutnotoirement instable. L’une

d’elles est justement de croire que, faute d’un concept mieux ajusté, il faudrait, renonçant à en faire usage, revenir à des catégo­ries politiques plus éprouvées.L’une des grandes forces de PierreRosanvallon, dans Le Siècle du po­pulisme, est, à rebours, de ne pascontourner l’obstacle, et d’affron­ter la nature spécifique d’un objetaussi incertain, dans lequel il voit une « culture politique originale ».

Aussi bien, avance le professeurhonoraire au Collège de France,peut­être le populisme ne pa­raît­il insaisissable que parce qu’ilrelève d’un « nouveau langage », lequel est indispensable « pour qualifier une dimension inédite du cycle politique qui s’est ouvert au tournant du XXIe siècle ». Il s’em­ploie ainsi à repérer quelques­unsdes traits caractéristiques du phénomène, davantage qu’il ne cherche à désigner une essence invariable : le populisme relèved’abord d’une dynamique plus oumoins fantasmée, selon les pays, de reprise du pouvoir sur une élitesupposée corrompue par un peu­ple supposé vertueux ; une dyna­mique qu’il faut attraper en quel­que sorte au vol, sans perdre de vue ses mutations, ses tendances, les perspectives qu’elle dessine.

Dans la masse de textes et dediscours étudiés, issus du monde intellectuel comme de la sphèrepolitique, de la philosophe Chan­tal Mouffe à Donald Trump, en passant par Jean­Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou Viktor Orban, cette dynamique apparaît à cha­que fois liée à des mutations anté­rieures. Elle est, chez tous, d’une manière bien sûr différenciée, corrélée aux évolutions sociales récentes. Au premier chef, la « dis­location » de la société de classes, et l’effacement de liens religieux ou idéologiques qui semblaient aller de soi. Dans un monde passéd’un « capitalisme d’organisa­tion » à un « capitalisme d’innova­tion », fondé sur l’apport singulierdes individus, et alors que, du fait de la nette élévation du niveau de formation, une exigence nouvellede reconnaissance s’est faitjour, l’autonomie devient la règle,et avec elle une versatilité des

appartenances jusque­là inconnue.Comment gouverner des sables

mouvants ? L’ensemble des traits que Rosanvallon retient pour des­siner un « idéal­type » du popu­lisme trouvent leur cohésion dans un sentiment d’impuis­sance. Mythologie du « peu­ple­Un » (et pur) ; croyance dans l’efficacité (et la justice) sans mé­lange d’une démocratie directe ; recherche d’un leader charis­matique, « homme­Peuple » qui

rassemble en incarnant ; natio­nal­protectionnisme ; exacerba­tion des émotions : tout converge vers une même tentative pour surmonter l’angoisse d’une perte irréparable. Celle d’une figure antérieure du monde, qu’aucune autre n’est venue remplacer. Ilfaudrait s’habituer à vivre dansl’incertitude. Il ne semble pas qu’on y parvienne.

Ce qui converge en outre, ce sont

les positions respectives des po­pulistes de droite et de gauche, confrontés au même trouble, etdès lors embarqués dans un même processus. Parce qu’il ne perd jamais de vue la mobilité de son objet, l’historien rend compteavec finesse de ces rapproche­ments progressifs, sans les figerni gommer les divergences, comme celles, radicales, sur la question de l’immigration. Mais, tandis que tout remue et que, même sur ce point, des proximi­tés s’esquissent, combien detemps cela durera­t­il ?

Cependant, l’apport du Siècledu populisme va bien au­delàd’un constat, fût­il l’un des pluséclairants que l’on connaisse surce sujet touffu. Ayant isolé la dy­namique propre au populisme etl’ayant, par ailleurs, situé dansl’histoire des formes démocra­tiques, Rosanvallon s’est donnéles moyens de proposer in finequelques pistes d’action. Il re­prend pour cela certaines des analyses développées dans ses li­vres précédents, tel La Démocra­tie inachevée (Gallimard, 2000), mais avec un sentiment d’ur­gence inédit face au risque dontest grosse la tentation populiste :celui d’une dérive autoritaire,qu’on observe déjà, par exemple,en Hongrie ou en Pologne.

La démocratie, écrit­il, « est par

nature expérimentale ». Elle reste àce titre le meilleur instrument pour permettre aux sociétés d’ap­prendre à vivre dans le change­ment perpétuel. Mais à condition de progresser encore, de se « dé­multiplier » en accroissant sa ca­pacité de représentation de la réalité des vies et en donnant aux individus davantage de prise surses procédures, qu’il s’agit dès lorsd’enrichir, à côté de l’exercice élec­toral, de « dispositifs permanents de consultation, d’information, de reddition des comptes ».

Des questions mal formulées,comme celles que porte le populisme, n’en attendent pas moins leurs réponses. Un monde contesté au nom d’une forme depensée magique doit pour autant être transformé, rendu plus habi­table. Il est temps, conclut Pierre Rosanvallon, de « passer d’une in­vocation mystique du peuple à unereconnaissance de celui­ci dans sestensions internes et sa diversité ».La tâche est immense, et son issueincertaine. C’est sans doute lesigne qu’elle est à la hauteur desdéfis d’un siècle de désarroi et de vertige.

le siècle du populisme. histoire, théorie, critique,de Pierre Rosanvallon,Seuil, « Les livres du nouveau monde », 280 p., 22 €.

Kafka appartient à tousDans « Le Dernier Procès de Kafka », Benjamin Balint revient sur le destin, évidemment kafkaïen, des archives de l’auteur du « Procès »

nicolas weill

F ranz Kafka (1883­1924) exerça, du­rant sa brève existence, la profes­sion de juriste en même tempsqu’il était écrivain. Qu’aurait

pensé l’auteur du Procès de l’incroyableimbroglio juridique qui devait accompa­gner sa gloire posthume ? Celui­ci n’atrouvé sa conclusion qu’en 2016, quand,au terme de nombreuses controverses,ses archives ont été récupérées par la Bibliothèque nationale d’Israël.

Une telle issue laisse insatisfait l’es­sayiste Benjamin Balint, qui vit à Jérusa­lem et collabore au New Yorker. En quoi,

demande­t­il, un homme, né sujet de l’Empire austro­hongrois, écrivain ger­manophone au cœur d’une ville tchè­que, juif assimilé quoique intéressé par le sionisme, avec lequel il entretint desrelations ambivalentes, doit­il figurer au patrimoine d’Israël ? Pour lui, Kafka n’ap­partient à personne, en tout cas sûre­ment pas à l’Etat israélien, qui n’avaitque peu de titres à récupérer l’essentiel des documents jusque­là en possession d’Eva Hoffe (1934­2018), l’ultime héritièrede l’écrivain Max Brod (1884­1968), lesauveur des manuscrits de Kafka, puis­qu’il avait refusé d’accéder à la demande de l’écrivain, qui les vouait au feu.

La thèse est recevable et le livre, dont letitre vise apparemment à se placer sous l’inspiration de L’Autre Procès, d’Elias Canetti (Gallimard, 1972), consacré aux amours tumultueuses entre Kafka et sa

fiancée Felice Bauer, distille sur le mode du reportage les épisodes judiciaires qui jalonnent le long et passionnant itiné­raire de ces archives, de Prague à Jérusa­lem. Pourtant, si Balint les résume utile­ment, la démonstration n’atteint pas vraiment son but.

On peut certes partager sa compassionpour la solitaire Eva Hoffe, ancienne hô­tesse de l’air solitaire et excentrique, mal­menée par les institutions et les médias au long d’un processus qui la laissa déshé­ritée. Mais comment déplorer que ces ar­chives aboutissent dans une institution officielle, où elles seront mises à la dispo­sition des chercheurs et numérisées, plu­tôt que de rester à l’abandon dans un ap­partement de la rue Spinoza, à Tel­Aviv, envahi de cafards, à la garde d’une per­sonne privée dont les liens avec Kafka étaient lointains ? L’essayiste en convient

de mauvaise grâce quand il se voit forcé de reconnaître à quel point les ventes àl’encan (notamment celle, en 1988, du manuscrit du Procès), auxquelles se li­vrait la mère d’Eva, Ilse Hoffe, menaçaientces pièces précieuses entre toutes de dis­parition dans des collections privées et le fonds, de dispersion anarchique.

Cela n’empêche pas l’ouvrage de serévéler subtil dans sa description d’uncombat international. Balint démonteastucieusement le mécanisme mémo­riel et pénitentiel qui a poussé les Alle­mands à réintégrer un auteur juif, vir­tuose de la honte, à la littérature germa­nique, en revendiquant son legs pour les archives littéraires de Marbach, ville na­tale de Schiller : « C’est une autre ironie à laquelle l’histoire du dernier procès de Kafka n’échappe pas : tenter d’utiliser l’écrivain qui a fait de l’autocondam­

nation un art en un moyen d’auto­excuse. »On en regrettera d’autant plus les er­

reurs factuelles, bévues et inexactitudes de la version française : Leah Goldbergest une poétesse, et non un poète ; Ephraim Urbach n’est pas un « professeurd’hébreu », mais un savant, spécialiste dujudaïsme médiéval et du Talmud ; on ne pouvait fêter en 1983 que le centenaire de la naissance de Kafka, et non sa mort, etc. Ces coquilles ne doivent pas nous gâ­cher le plaisir d’une enquête sommetoute enrichissante.

le dernier procès de kafka. le sionisme et l’héritage de la diaspora (Kafka’s Last Trial), de Benjamin Balint, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Philippe Pignarre, La Découverte, « Cahiers libres », 312 p., 20 €.

La densité de Jérémy Liron« Peintre en bâtiment » : ainsi Gilles Altieri présentait­il JérémyLiron dans le catalogue d’une expo­sition à l’Hôtel des arts de Toulon,en 2011. Il y a bien quelques arbres,et des buissons, mais, de fait, l’ar­chitecture contemporaine, de LeCorbusier aux cités en apparenceles plus banales, domine la sérieprincipale du peintre, Paysages. Pasd’humains en ces lieux – ils ferontdes apparitions fugitives plus tard,dans une nouvelle série, Archivesdu désastre – et pourtant la densitédu regard est telle qu’elle imprimecomme une présence vibrante surces toiles figuratives élégantes,d’une simplicité et d’un calmetrompeurs. Multipliant les angleset les registres, de l’autobiogra­phique au savant, inventant à me­sure la forme de sa rencontre aveccet univers singulier, l’écrivain etcritique Armand Dupuy se livre àune passionnante exploration,dans une somme richement

illustrée quecomplète unesérie d’entretiensavec JérémyLiron. fl. go Jérémy Liron.Récits, pensées,dérives et chutes,d’Armand Dupuy,L’Atelier contem­porain, 300 p., 35 €.

Intuitions antiquesPas de révolution sans bibliothè­que. C’est Nicolas Copernic (1473­1543) lui­même qui l’affirme, audébut de ses Révolutions des orbescélestes, quand il raconte commentla découverte, chez Cicéron et Plu­tarque, de philosophes grecs te­nants de l’héliocentrisme, tel Aris­tarque de Samos (IIIe siècle av. J.­C.),lui a donné l’occasion de « songer »,à son tour, « à mettre la Terre enmouvement ». Que les avancéesscientifiques aient bouleversé no­tre représentation du monde, lemathématicien italien Lucio Russol’admet sans difficulté. Mais ellesont régulièrement pris source,jusqu’au XIXe siècle, dans les intui­tions et les méthodes de la scienceantique, rappelle­t­il en citant maints exemples de cette in­fluence tardive. Mieux encore, àl’heure de l’éclatement des savoirs,le modèle grec d’unité des huma­nités et des sciences est un recoursselon lui indispensable face à l’« abaissement » de la « culture par­tagée », que ce petit livre vigoureuxentend contrecarrer. fl. goNotre culture scientifique.

Le monde antiqueen héritage (Perché la culturaclassica. La rispostadi un non classicista),de Lucio Russo,traduit de l’italienpar Antoine Houlou­Garcia, Les Belles Lettres, 236 p., 17,50 €.

Comment gouverner des sables mouvants ? L’ensemble des traits que l’historien retient pour dessiner un « idéal­type » du populisme trouvent leur cohésion dans un sentiment d’impuissance

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10 | Rencontre Jeudi 9 janvier 20200123

Elif Shafak

Elif Shafak, en 2017. ED ALCOCK/M.Y.O.P.

EXTRAIT

« Tequila Leila, c’était le nom qu’on lui donnait chez elle et au travail, dans cette maison couleur bois de rose au fond d’un cul­de­sac pavé près du front de mer, (…) la rue qui abritait les bordels les plus anciens d’Istanbul. (…)C’est, chéri, pas c’était… Mon nom c’est Tequila Leila.Jamais, au grand jamais, elle n’accepterait qu’on parle d’elle au passé. Rien que d’y penser, elle se sentait minus­cule et vaincue, un senti­ment que pour rien au monde elle ne voulait éprou­ver. Non, elle insisterait sur l’usage du présent – même si elle s’avisait maintenant avec désarroi que son cœur venait tout juste de cesser de battre, que sa respiration s’était brutalement arrêtée, et qu’elle avait beau envisa­ger la chose sous tous ses angles, il lui fallait bien ad­mettre qu’elle était morte. »

10 minutes…, page 11

florence noiville

L’ écrivain s’efforce de porterune œuvre, il n’est pas làpour représenter son pays.Pourquoi faut­il qu’on l’yrenvoie sans cesse ? Telleest la question muette qui

passe, ce jour­là, dans le regard de l’écri­vaine turque Elif Shafak. Nous sommes en décembre, à Paris, quelques semaines après l’offensive d’Ankara contre les Kur­des au nord­est de la Syrie. Voudrait­elle faire un commentaire ? « Non, aucun… S’ilvous plaît… »

Une telle réserve est inhabituelle de sapart. Si une femme a su dire son opposi­tion au gouvernement du président Re­cep Tayyip Erdogan, c’est bien elle, Elif Shafak, pilier de tous les combats en fa­veur des droits humains, de l’émancipa­tion féminine, de la liberté d’expression, de la justice. Depuis Londres, où elle s’est installée il y a onze ans, l’auteure de Crime d’honneur (Phébus, 2013) et de Trois filles d’Eve (Flammarion, 2018) necesse d’alerter sur la difficulté d’êtrekurde, homosexuel, alévi (membre

d’une communauté musulmane hétéro­doxe) ou simplement écrivain, aujour­d’hui, au pays de Yasar Kemal et deNazim Hikmet.

« Some woman… » Sacrée trempe,dit­on d’elle en Grande­Bretagne. Née en 1971, à Strasbourg, de parents turcs, la

petite Elif Shafak, après leur divorce, est élevée par sa mère, diplomate, ainsi que par sa grand­mère. Turquie, Espagne, Jor­danie, sa jeunesse cosmopolite la pré­pare à ce qu’elle deviendra plus tard, une citoyenne du monde attachée aux « identités multiples », à la circulation des

cultures, aux « histoires humainesqui voyagent sans visas ni passe­ports ». Après des études sur le genreet une thèse de science et philoso­phie politique, Shafak enseigne, mi­lite, écrit, ne se laissant enfermer parrien, sautant d’une langue à l’autre,du turc à l’anglais, de l’Orient à l’Occi­dent, mélangeant avec jubilation leréel, le mythe, la mystique, enjam­bant les époques et les faisant dialo­

guer dans ses romans, passant d’un arti­cle engagé pour le Guardian ou le New York Times à un récit sur le soufisme (Soufi mon amour, Phébus, 2010), ou d’une réflexion sur la maternité (Lait noir, Phébus, 2009) à des paroles dechansons pour des musiciens rock.

Pourquoi revendique­t­elle, ce jour­là,le droit de se taire ? « La Toile, ses trolls…, soupire­t­elle un peu lasse. La mal­veillance et le sexisme qui s’abattent sur vous lorsque vous êtes une romancière, une journaliste ou une universitaire et qu’ils vous prennent pour cible… » Unenouvelle fois, elle revient sur un épisode de son parcours – cicatrice mal refermée,toujours douloureuse –, lorsque, en 2006, son roman La Bâtarde d’Istanbul (Phébus, 2007) lui a valu d’être traînée enjustice pour « insulte à l’identité turque ». « Turkishness… Comme si qui ce soit sa­vait ce que cela veut dire », ajoute­t­elle enlevant les yeux au ciel. Mêlant la comé­die au drame et le passé au présent, le livre contait l’histoire de deux familles, l’une turque, l’autre arménienne émi­grée aux Etats­Unis au début du XXe siè­cle, et évoquait les atrocités du génocide des Arméniens de 1915 (lire l’entretien avec Taner Akçam, page 7). « Jamais je n’aurais pensé me retrouver devant un tribunal pour un roman, s’étonne encore Shafak. C’était la première fois en Turquie qu’on reprochait à une œuvre de fiction d’insulter l’identité nationale. Vous ima­ginez ? Mon avocat a dû défendre despersonnages de roman ! »

Rire jaune. Le procès, retentissant enTurquie, s’est soldé par un non­lieu. « Mais ça a duré un an. J’étais enceinte, ce n’était pas facile. Voir des gens cracher surma photo… J’aimerais pouvoir vous direque ça va mieux maintenant, mais c’est l’inverse. » Récemment encore, la police turque a fait une descente chez son édi­teur et saisi ses ouvrages. « Une nouvelle enquête est en cours. Cette fois, c’est de crime d’obscénité qu’on m’accuse. Parceque j’ai décrit des sévices sexuels surun enfant. La société turque est frappée d’amnésie collective. Sans compter les sujets dont elle ne veut absolument pas entendre parler. »

Elif Shafak regrette le pays de son en­fance, celui qui mélangeait « les couleurs du passé ottoman, islamique et oriental »,et acceptait de s’être « enrichi de la cultureoccidentale ». « C’était une terre de grandesynthèse », dit­elle. Aujourd’hui, soncœur reste attaché au Moyen­Orient. Ellese sent « instinctivement chez [elle] au Liban, dans les Balkans, en Syrie… », mais ne met plus les pieds en Turquie. Même pour les obsèques de sa « nine », sa grand­mère, qui l’a élevée et dont elle était si proche, elle n’a pas fait le voyage. Raisons

diseurs de bonne aventure et de batteursde tapis qui « n’existe, écrit­elle, que dans l’esprit des mangeurs de haschich ». En vé­rité, note Elif Shafak, « il n’y a pas d’Is­tanbul. Ou plutôt il en existe de multiples, en collision, chacune sachant qu’à la fin,une seule pourra survivre ». L’Istanbul impériale contre l’Istanbul plébéienne ; la cosmopolite contre la chauvine ; lamécréante contre la pieuse… « Toutes ces Istanbul vivent et respirent les unes à l’in­térieur des autres, comme des poupées russes animées. »

Et les femmes ? Comme souvent, cesont les laissées pour compte, les invisi­bles qui intéressent Shafak. « Savez­vousque, jusqu’en 1990, un article du code pé­nal turc permettait de réduire d’un tiers lasanction d’un violeur si sa victime étaitune prostituée ? Sous prétexte que la santémentale d’une prostituée ne pouvait pas vraiment être affectée par un viol ! » En 1990, face au nombre croissant d’agressions, de nombreuses manifesta­tions ont eu lieu dans le pays et l’article afinalement été abrogé. Mais les exac­tions n’ont pas cessé pour autant, comme en témoigne le destin de son hé­roïne, Tequila Leila, qu’on retrouve assas­sinée au fond d’une benne à ordures, dans un faubourg « autrefois couvertd’oliveraies et de figuiers, tous passés aubulldozer pour faire place à davantage de bâtiments et de parkings ».

Il ne faut pas dévoiler l’intrigue de ceroman. Disons seulement qu’au bout des 10 minutes et 38 secondes du titre, l’amour triomphe, transcendé par une démarche mystique qui ne dit pas sonnom. On pense à nouveau au soufisme et au poète persan Rumi, tant aimé d’Elif Shafak, lorsque, dans le paradis de la merbleue, immense, lumineuse « comme lanaissance d’une flamme neuve », la peur se dissout, la douleur s’évapore et l’âme se sent « enfin libre ».

Est­ce cela que veut nous dire Shafak ?Qu’on peut être mort avant la mort ter­restre, et que c’est après elle qu’on com­mence à vivre ? Au fond de la mer, son héroïne retrouve, parmi les canons im­périaux et les carcasses rouillées, une ri­bambelle de « poètes, écrivains, rebelles des règnes ottoman et byzantin, tous jetésdans les profondeurs pour leurs propos déloyaux ou leurs convictions critiques ». Tout change, rien ne change : cela, elle l’a toujours su, mais elle peut enfin en rire. A la 39e seconde.

Parcours

1971 Elif Shafak naît à Strasbourg.

ANNÉES 2000 Elle enseigne dans diverses universités américaines.

2007 La Bâtarde d’Istanbul (Phébus)est son premier roman publié en France.

2010 Soufi mon amour (Phébus).

2015 L’Architecte du sultan (Flammarion).

2018 Trois filles d’Eve (Flammarion).

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange(10 Minutes 38 Seconds in This Strange World),d’Elif Shafak,traduit de l’anglais par Dominique Goy­Blanquet, Flammarion, 400 p., 22 €.

Ses pages embaument les « börek » et le café à la cardamome, la Corne d’or et la mer de Marmara y « luisent comme du verre »

Tequila Leila de vie à trépas10 MINUTES ET 38 SECONDES. C’est, selon des neuroscientifi­ques cités par Elif Shafak, la durée pendant laquelle « on peut encore noter des signes d’activité céré­brale chez une personne qui vient de mourir » – en l’occurrence son héroïne, Tequila Leila, une pros­tituée qui, même morte, n’a pas sa langue dans sa poche et qui, du fond de la benne à ordures où son meurtrier l’a jetée, relate ce qu’elle vit pendant ce laps de temps.

Sa naissance non désirée en Anatolie, l’odeur d’un ragoût de cabri épicé, les tambours d’un mariage, le bordel stambouliote où elle a échoué, le cimetière des Abandonnés où, sous le nu­méro 7063, elle se décomposera bientôt : Tequila Leila revoit défi­ler sa vie dans tous ses détails, factuels et sensoriels. Une exis­tence qui en croise et recroise d’autres, tout aussi minuscules, celles d’une naine arabe, d’une transsexuelle turque, d’une réfu­giée somalienne… : l’occasion

pour Elif Shafak de brosser une ga­lerie de portraits hauts en couleurs, de femmes surtout, les réprouvées d’Istanbul, parias indésirables, mais ô combien soudées et déterminées.

Seconde après seconde, alors quela clepsydre se vide et que l’héroïne glisse de vie à trépas, le lecteur, lui, est emporté dans un tourbillon bouillonnant d’anecdotes, de contes, de superstitions orientales. Pourquoi bouder son plaisir ? Elif Shafak est une conteuse née et l’on s’abandonne avec joie à ces flots de romanesque pur. Avec en toile de fond Istanbul, « cette vieille cité démentielle », vibrante, chaotique, où l’ancien et le nouveau s’amalga­ment dans un brouhaha existentiel qui n’a ni fin ni sens. fl. n.

politiques, toujours. « Je supportais mal l’idée de me rendre dans mon pays alorsque tant d’écrivains, de journalistes, de collègues et amis se faisaient arrêter »,écrit­elle dans les remerciements de 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, son nouveau roman. Elle n’y va plus, sauf dans ses livres. Ses pages em­baument les börek (pâtisseries fourrées)et le café à la cardamome, la Corne d’or etla mer de Marmara y « luisent comme du verre ». C’est fou comme sa Turquie est palpable, ensorcelante même, lorsqu’elle la décrit depuis Londres !

10 minutes… est dédié « aux femmesd’Istanbul » et à cette « ville qui a toujoursété une ville féminine ». Une cité « li­quide » où « rien n’est permanent, rien ne semble établi ». Il y a une page superbesur cette vieille cité de derviches, de

Nostalgique d’IstanbulLa romancière turque vit à Londres et écrit en anglais. Pourtant son œuvre, et son nouveau roman, sont imprégnés de la grande cité des rives du Bosphore, où elle ne peut plus retourner en raison de ses prises de positions sociales et politiques

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