le lapin blanc

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Jan Jan avait du mal à se réveiller. Lorsqu’il ouvrit les yeux, le noir était total. Où était-il ? Pas dans un lit, en tout cas. Allongé par terre, peut-être. Il ne se souvenait de rien. Pas même de s’être évanoui. La panique le gagna. Il essaya de se redresser. Sa tête heurta un plafond. Il retomba en arrière, décrochant au passage des débris de terre. Il n’osa plus bouger. L’air était lourd et humide comme celui d’une vieille cave. L’angoisse montait inexorablement. Ses bras étaient immobiles. La main gauche posée sur son ventre, la droite contre sa hanche. Ses jambes… Impossible de les bouger. Elles étaient bloquées. Écrasées par une masse énorme, réalisa-t-il alors. Sa main droite descendit le long de sa cuisse, avant de buter contre un amas de pierres et de terre. Ses jambes étaient ensevelies. Sa respiration s’accéléra. Il essaya de se calmer, de comprendre. À tâtons, il entreprit d’explorer son envi- ronnement immédiat. Il y avait un espace d’une dizaine de centimètres de chaque côté de son corps, puis un mur de terre, identique à celui qui lui écra- sait les jambes. Le plafond était à environ cinquante centimètres. Deux planches l’avaient protégé, lui évi- tant d’être entièrement enseveli. De sa main gauche, 7

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polars sur les enjeux de la technologie

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Page 1: Le lapin blanc

Jan

Jan avait du mal à se réveiller.Lorsqu’il ouvrit les yeux, le noir était total. Où

était- il ? Pas dans un lit, en tout cas. Allongé par terre, peut- être. Il ne se souvenait de rien. Pas même de s’être évanoui. La panique le gagna.

Il essaya de se redresser. Sa tête heurta un plafond. Il retomba en arrière, décrochant au passage des débris de terre. Il n’osa plus bouger. L’air était lourd et humide comme celui d’une vieille cave. L’angoisse montait inexorablement. Ses bras étaient immobiles. La main gauche posée sur son ventre, la droite contre sa hanche. Ses jambes… Impossible de les bouger. Elles étaient bloquées. Écrasées par une masse énorme, réalisa- t-il alors. Sa main droite descendit le long de sa cuisse, avant de buter contre un amas de pierres et de terre. Ses jambes étaient ensevelies.

Sa respiration s’accéléra. Il essaya de se calmer, de comprendre. À tâtons, il entreprit d’explorer son envi-ronnement immédiat. Il y avait un espace d’une dizaine de centimètres de chaque côté de son corps, puis un mur de terre, identique à celui qui lui écra-sait les jambes. Le plafond était à environ cinquante centimètres. Deux planches l’avaient protégé, lui évi-tant d’être entièrement enseveli. De sa main gauche,

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il réussit à enlever la terre tombée sur son visage quand il avait tenté de se redresser. Il rouvrit les yeux. Il ne pouvait qu’imaginer les parois que ses doigts avaient touchées. Il se rendit compte qu’il avait la nuque trempée, comme si sa tête reposait dans une flaque d’eau. Il se toucha les cheveux. Ce n’était pas de l’eau. Trop visqueux. Le goût lui confirma que c’était du sang. Alors, seulement, il commença à res-sentir la douleur.

Que s’était- il passé ?Il se revit en train de marcher. Il faisait nuit. Il vou-

lait faire des photos avec son portable.Le téléphone…Il tapota les poches de son pantalon. Vides. Même

son portefeuille avait disparu. On lui avait tout pris.Sauf son briquet. Dans la poche de sa chemise.Il l’alluma.Et la panique s’accrut. Il était bel et bien enterré

vivant.La douleur, qui s’était jusque- là timidement mani-

festée, explosa brusquement. Dans la tête, dans les jambes. Il se mit à gémir.

Il avait du mal à respirer et eut envie de vomir.Il tourna la tête juste à temps.Et fondit en larmes.Il n’avait aucun doute sur l’identité du salaud qui

l’avait mis dans cette situation. Mais pourquoi ?Jan ne savait rien, n’avait rien fait, n’était personne.

Les larmes ruisselaient sur ses joues.Il ralluma son briquet.L’air était chargé d’odeurs nauséabondes.En forçant sur ses abdominaux, il réussit à se redres-

ser de quelques centimètres pour mieux distinguer l’endroit où ses jambes disparaissaient sous la terre. Par précaution, il décida de creuser loin de son visage. Il n’était peut- être pas très loin de la surface. Une lueur d’espoir naquit en lui. Il commença à racler le plafond.

La terre tombait sur ses jambes. Il essayait de gratter le plus délicatement possible.

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Il fit une pause. Alluma le briquet. Le trou faisait une vingtaine de centimètres. Pas le moindre rayon de lumière, pas le moindre souffle d’air. Il déblaya la terre qui était tombée sur lui, éteignit le briquet et se remit au travail. Il sentit une pierre plus volumineuse que les autres. Il ne fallait pas qu’elle lui tombe dessus. Il la bloqua d’une main tout en continuant à creuser de l’autre.

Il parvint à la déloger. La posa sur sa droite, contre sa cuisse. Il sentit qu’elle était très grosse.

Il alluma le briquet. Le trou formait un petit dôme. Il n’avait plus qu’à continuer.

Il appela à l’aide. Peut- être cette cavité pouvait- elle propager un écho salvateur.

Il s’arrêta un instant. Il était en nage, les élance-ments à la tête et aux jambes étaient devenus intolé-rables. Il se remit à creuser. La terre tomba d’abord lentement, puis s’effondra d’un coup, l’ensevelissant du haut des cuisses jusqu’au ventre. Il hurla de dou-leur. Le poids était insupportable. Il ne pouvait plus respirer. Il libéra sa main droite et se frotta le visage. Jamais il n’avait autant pleuré de sa vie.

Son bras gauche était bloqué sous l’éboulement.Sa tête était sur le point d’exploser, il n’y avait plus

d’air.Jan avait souvent pensé à la mort et s’était juré que,

le moment venu, il l’affronterait avec dignité et cou-rage. Il ne l’attendrait pas dans un lit d’hôpital, il ne serait un poids pour personne ; il s’épargnerait les regards fuyants de ses proches, il avalerait ce qu’il fal-lait pour en finir. Le problème, c’est qu’il y avait trop de façons de mourir, et qu’aucune n’était jamais satis-faisante. Mais comment accepter de disparaître ainsi, sans aucune échappatoire, sans la moindre possibilité de faire autrement ?

Il ne pouvait pratiquement plus bouger. Il pensa alors à sa famille. Sa fille, son fils. Julia. Qui allait s’oc-cuper d’eux ? Bon sang ! Il ne les verrait pas grandir, il ne pourrait pas les aider. Un jour, quelqu’un entrerait peut- être dans la vie de Julia et prendrait sa place. Il

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poussa un cri, puis un autre, qui l’étourdirent, faute d’oxygène.

Il avait envie de rire. De rire et de pleurer. Il imagi-nait son chien en train de creuser pour le sortir de là. Il y avait aussi sa femme, et ses enfants. Et tout le monde riait.

Il allait s’évanouir lorsqu’il entendit des bruits.Mais ce n’était peut- être que l’effet de son imagination.