le journal d’aurélie laflamme - lire en série · tome 2 : sur le point de craquer ! ... disons,...

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Le Journal d’Aurélie Laflamme

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Le Journald’Aurélie Laflamme

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India Desjardins

Le Journald’Aurélie Laflamme

Tome 3 : Un été chez ma grand-mère

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DÉJÀ PARU :

Le Journal d’Aurélie Laflamme,tome 1 : Extraterrestre… ou presque !

Le Journal d’Aurélie Laflamme,tome 2 : Sur le point de craquer !

À PARAÎTRE :

Le Journal d’Aurélie Laflamme,tome 4 : Le monde à l’envers

Le Journal d’Aurélie Laflamme,tome 5 : Championne

© Les Éditions des Intouchables, Montréal, 2007Publié avec l’autorisation des Éditions des Intouchables,

Montréal, Québec, Canada.

Illustrations intérieures : Josée Tellier

© Éditions Michel Lafon, 2011, pour l’édition française,7-13, boulevard Paul-Émile-Victor – Île de la Jatte

92521 Neuilly-sur-Seine Cedex

www.michel-lafon.com

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À Jeanne et Marie-Anne,mes grands-mamans

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Mai

Laisser retomber la poussière

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Dimanche 7 mai

B onjour, je m’appelle Aurélie Laflamme, j’ai qua-torze ans, bientôt quinze, et je suis une chocoho-

lique.J’ai cherché dans le dictionnaire, et ce mot n’existepas. Le fait de devoir inventer un mot pour me définirconstitue la cent millième preuve que la race humaineet moi, ça fait deux.Je me suis récemment découvert une passion sansbornes pour le chocolat. Pas que je n’aimais pas çaavant. J’aimais ça. Mais depuis quelque temps, çadépasse l’explication rationnelle. Et manger du choco-lat est devenu une de mes nouvelles, disons, habitudes(c’est peut-être aussi une dépendance et/ou une obses-sion).C’est la faute de Pâques, aussi ! Il y a du chocolatpartout. Et on en reçoit plein (jamais trop) en cadeau.Le chocolat (et peut-être aussi un peu les lapins, dansle cas précis de la fête de Pâques) a une grande impor-tance dans notre société (et dans mon estomac, surtout– pas les lapins, le chocolat). Mmmm… le chocolat,c’est tellement bon. Et ce n’est pas dans mon estomac

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que je l’aime le plus. C’est lorsqu’il est dans ma bou-che, juste avant de l’avaler. Je n’ai qu’à me passer unbout de chocolat sous le nez et j’oublie tous messoucis. Je me perds dans l’odeur de chocolat qui emplitmes narines. Qu’est-ce que ça sent ? Je ne peux ledécrire. C’est une odeur unique. Celle du choooo-cooooolaaaaaat. Et lorsque je l’ai bien senti (jusqu’aupoint où il n’émet plus aucune odeur), je le goûte etohhhh, c’est l’extase totale ! J’ai l’impression que mespapilles gustatives dansent sur ma langue. J’ai l’impres-sion que mes papilles gustatives ont de petits brasqu’elles agitent en l’air et qu’elles crient : « Encore,encore, encoooooooore ! »

15 h 32Humaniser mes papilles gustatives me perturbe unpeu. Surtout que je n’arrive pas à les humaniser plusqu’en les imaginant comme de grosses boules rosesavec des yeux globuleux et des bras informes, égale-ment roses, sans mains, sans doigts mais avec unpouce. Je me demande ce que sœur Rose, ma prof debio, penserait de mon image des papilles gustatives.Au moins, je sais que mes papilles sont heureuses grâceau chocolat que je mange en ce moment… Miam-mioum-mioum-miam.

15 h 37Moi : Mamaaaaaaaan !!! Téléphooooooone !Ma mère arrive dans la cuisine. Elle prend le télé-phone, met sa main sur le combiné et chuchote :– Aurélie, ne crie pas dans les oreilles des gens quiappellent, c’est impoli. Appuie sur la touche « mise en

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attente ». (Elle enlève sa main du combiné.) Oui, allô ?Allô ? Allô ? AAAAALLLLLÔÔÔÔ ?!?Moi : J’avais appuyé sur la touche « mise en attente »,tu sauras.Ma mère (qui ne le laisse pas paraître, mais qui se sentsûrement super mal de m’avoir sermonnée pourRIEN) appuie sur la touche et commence à parler àma tante Louise, sa sœur. Sa conversation donne ça :« Mik mik mik mik mik mik mik, mik mik mik mikmik mik mik. » Et je retourne dans ma chambre.

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Il y a une phrase que je ne suis plus capable d’entendre(et qui devrait être bannie de la surface de la planèteselon mon opinion personnelle) et que ma tante m’alancée, juste avant que j’appuie sur la fameuse touche« mise en attente » : « Un de perdu, dix de retrouvés. »Depuis que c’est fini avec Nicolas, je ne compte plusle nombre d’adultes qui m’ont dit ça. Comme si çaallait me faire du bien. Comme si ça allait vraimentme consoler. Comme s’ils pensaient que la peine queje vis est totalement vide de sens et que cette phraseallait tout arranger. Comme si, quand ils la pronon-cent, je me disais : « Ah, ben oui ! je n’avais pas penséà ça ! Maintenant que Nicolas m’a laissée, ça laisse laplace à dix débiles d’entrer dans ma vie. Je vais sortiravec dix mecs qui ne sont pas Nicolas et je vais êtreteeeeeeeeeeelleeeeeeeeemeeeeeeeeeeeeent plus heureuseavec les dix nouveaux mecs ! » Donc, si je me fie àleur réflexion, j’en conclus que pour me consoler dema peine, les adultes veulent que je sorte avec DIX

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GARÇONS !!!!!!! Quelle idée stupide/énervante/pasrapport !Heureusement, Kat ne m’a jamais dit cette phrase.Ç’aurait été vraiment indigne de la part d’une meil-leure amie. Et elle, qui a aussi vécu un chagrind’amour (je ne comprends pas trop pourquoi, parceque c’était avec Jean-David Truchon, alias Truch, unmec vraiment craignos – P-S : Ne pas le lui dire, pasà Truch mais à Kat. Hum… ne le dire finalement nià l’un ni à l’autre), sait à quel point les adultes quinous disent « un de perdu, dix de retrouvés », on auraitseulement envie de les fracasser contre le mur.Bon. Évidemment, je suis une fille pacifique, je nefracasserais personne contre le mur. Ce serait un peuexagéré que quelqu’un me dise une simple petitephrase (sans conséquence si je me bouche les oreillesou si je mange une barre de chocolat avec des caca-huètes et que le croquant m’empêche d’entendre) etque, soudainement envahie d’une force surhumaine (àcause de toute la colère et la frustration que cettephrase me fait ressentir), j’envoie valser dans le murla personne qui aurait osé la dire.En plus, il y a une semaine, j’ai décidé qu’il était tempsque je devienne plus mature. Alors, fracasser quelqu’uncontre le mur ne serait pas, disons, raccord avec marésolution. Donc, depuis une semaine, je regarde lesinfos à la télé pour me renseigner sur ce qui se passedans le monde (rien de trop réjouissant), j’étudie (pasle choix, mes notes sont en chute libre), j’essaie dedire des choses très spirituelles du genre : « La planètea grandement besoin qu’on s’en occupe » (quand je

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dis cette phrase –une fois, cette semaine –, je m’ima-gine porter des lunettes, car ça fait plus sérieux).Être mature, ce n’est pas si cool que ça en a l’air. Alors,je mange du chocolat. Ça, c’est vraiment, vraiment,vraiment, vraiment cool ! C’est mon petit plaisir per-sonnel.J’ai rangé tout le chocolat que j’ai reçu à Pâques dansma chambre et, chaque fois que j’en ai l’occasion, jeviens ici (ma chambre, nouvellement peinte en rougecerise et rose) et je mange mon chocolat compulsive-ment. Ce qui me permet une perpétuelle euphorieintempestive (voilà le genre de phrase très mature queje dis maintenant, car le chocolat stimule mes neu-rones !) et un bonheur sans nom (ha ! ha ! ha ! « bon-heur sans nom », quelle expression bizarre, quandmême ! Ha ! ha ! ha !). C’est grâce au chocolat que jeris de petites choses simples de la vie comme l’expres-sion « bonheur sans nom ». Ha ! ha ! ha !

15 h 48

Le bonheur ne s’appelle pas Robert, il ne s’appelle pasGilles, ni Jean-Guy : il ne porte pas de nom ! HA !HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA !(Soupir.) Je dois m’essuyer un début de larme sur lebord de l’œil droit tellement je ris !

16 heures

Ma mère a raccroché. Elle me dit :– Loulou m’a dit que tu lui avais raccroché au nez.Moi (après avoir levé les yeux au ciel) : Je ne lui aipas raccroché au nez, j’ai simplement appuyé sur la

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touche « mise en attente », comme tu me l’as toujoursdemandé. Tu devrais être contente !Ma mère : Oui, mais tu l’as fait avant de lui dire « uninstant ».Moi : J’imagine que si elle remarque que ça ne parleplus à l’autre bout du fil, elle peut deviner quequelqu’un recommencera à parler dans « un instant »,et que, si jamais la ligne a été coupée, à cause d’un,disons, problème technique, elle n’aura qu’à rappeler.Donc, elle n’a qu’à attendre « un instant » sans quequelqu’un soit obligé de lui préciser que c’est ce qu’elledoit faire. Elle ne connaît pas la logique ? (Évidem-ment pas, puisqu’elle croit que ça me consolerait demon chagrin d’amour de sortir avec dix garçons enmême temps… Tsss !)Ma mère : Aurélie, franchement ! Je ne sais pas ce quetu as ces temps-ci, mais je te trouve un peu à cran.Et c’est ma mère qui dit ça. Ma mère qui, lorsquemon père est décédé, est entrée dans une léthargie dezombie qui a duré cinq ans, et qui s’est terminéequand elle a décidé de faire le tri dans sa garde-robeet de repeindre la maison. Sans oublier qu’après cegrand ménage (que ma mère appelle « changementd’énergie ») elle est sortie avec François Blais, une despersonnes qui m’énervent le plus sur cette planète.Sans compter que ma mère s’appelle France et queson petit ami s’appelle François. Pfff ! C’est comme sije sortais avec un… Aurélien ! Ça n’a pas de sens ! Etce n’est pas le pire du pire du pire. Le pire du pire dupire, c’est que ma mère (France) et son petit ami(François) partent un mois cet été en… France ! Une

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chance que le chocolat existe, sinon je trouverais la viecarrément absurde !

16 h 32D’ailleurs, si je peux me permettre un tel, disons,excès, c’est que ma mère ne se souvient plus que j’aireçu tout ce chocolat (totale Alzheimer) et qu’elle nesait pas qu’il est dans ma chambre. Elle croit quemanger des cochonneries m’empêche d’avoir de bonsrésultats scolaires ! Pfff ! C’est totalement faux ! Lasemaine dernière, le chocolat (et l’attente de) m’apermis de rester éveillée pendant mes cours. Les profsétaient tellement ennuyeux que je dormais les yeuxouverts pendant qu’ils parlaient (eh oui, ça se peut,surtout en maths) !

16 h 34Si je tape « chocoholique » dans Google, 111 000 résul-tats s’affichent. Je suis émue. C’est la première fois queje me sens vraiment faire partie d’un groupe.

20 h 1« Bonheur sans nom. » HA ! HA ! HA ! HA ! HA !HA ! L’expression à elle seule m’en procure un ! Lavie est si belle quand elle est agrémentée de chocolatet d’expressions bizarres !

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Lundi 8 mai

L' avantage d’aller dans une école de filles, c’est queje ne suis pas obligée de croiser mon ex. D’ail-

leurs, si je ne vais qu’à l’école et chez moi (après tout,je dois y être plusieurs heures par jour parce que j’ysuis obligée : à l’école, ça doit être une loi quelconque,et à la maison, car j’y habite), j’ai, selon des statistiquesabsolument mathématiques, 0 % de chance de lerevoir. Et c’est vraiment bien comme ça.Ça fait un mois aujourd’hui que je ne sors plus avecNicolas, le mec que j’aimais P.Q.T.M. C’était son idée(mauvaise, selon moi). Parce que mon voisin, Tommy,m’a embrassée. Franchement, ce n’était vraiment rien.Et totalement contre mon gré ! Mais… c’était devantles grandes fenêtres de MusiquePlus et la scène a étéfilmée et diffusée, coupée au moment où je repoussaisTommy. J’ai pardonné à Tommy. Mais Nicolas nem’a pas pardonnée. Il se sentait un peu trop « humi-lié » que tout le monde lui rappelle cette scène vue àla télé…

But de ma vie : Devenir une grande scientifique afind’inventer la machine à voyager dans le temps pourempêcher l’inventeur de la télé d’inventer la télé.

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Rectification dans but de ma vie : Devenir unegrande scientifique afin d’inventer la machine à voya-ger dans le temps pour empêcher Tommy dem’embrasser (empêcher d’inventer la télé étant un peuexcessif après mûre réflexion).

8 h 17J’arrive à l’école. Kat est devant son casier et cherchequelque chose. Il y a plein de livres et de papierschiffonnés autour d’elle.Quand je lui ai annoncé que j’allais passer l’été chezma grand-mère, elle n’a pas trop réagi, même si ellereviendra de son camp équestre avant mon retour. Jecrois qu’elle est un peu trop dans sa bulle « campd’équitation » depuis qu’elle sait qu’elle y passera unmois en juillet. Par contre, quand je l’ai dit à Tommy,il m’a répondu que, de son côté, il allait passer l’étéchez sa mère et qu’il présumait que j’allais me sentirseule sans lui (pfff ! il n’a pas de problème d’estimede lui, en tout cas !). Nous serons tous les trois à l’autrebout du monde, loin les uns des autres. J’espère quema grand-mère a Internet pour que je puisse leurécrire ! Je vais tellement m’ennuyer de mes amis (dansle fond, Tommy a un peu raison)…

8 h 18En train de prendre mes livres pour l’avant-midi dansmon casier tout en regardant Kat et son bordel.Moi : Qu’est-ce que tu cherches ?Kat : Mon livre de géo.Moi : Tu veux le mien ?Kat : C’est aujourd’hui ?

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Moi : Ben… oui, j’ai un cours de géo aujourd’hui,mais tu n’as qu’à me donner ton livre après ton cours,ce n’est pas grave.Kat : Non, mais… c’est aujourd’hui que ça fait unmois avec Nicolas ?Moi : Oui.Kat : Tu veux qu’on fasse quelque chose après l’école ?Moi : Hmmm… C’est que… ma mère ne veut plusque je sorte la semaine, pour que j’étudie. Je suiscomme sous un régime militaire.Kat : T’sais, on s’en sort.Moi : De l’armée ?Kat : Non. Moi, je ne pense plus vraiment à Truch.Il était temps !

8 h 21

Je sors mon livre de géo et je le lui tends. Puis je sorsmon livre de français et je le mets dans mon sac.Kat : En plus, avec ta mère qui part en France cet été,tu dois vraiment être déprimée.Moi : Je suis SUPER contente que ma mère aille enFrance.Kat lève les yeux au ciel.Moi : Quoi ?Kat : Tu fais toujours ça !Moi : Quoi ?Kat : Dire que les choses ne te dérangent pas quandelles te dérangent.Moi : Ma mère a droit au bonheur, je suis contentepour elle.Kat : Huhum. (Elle se penche dans son casier.) Hé !

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regarde ce que j’ai trouvé ! (Elle me montre un vieuxsachet de Dragibus poussiéreux.) Tu le veux ?Moi : Aaaark !!!Kat pense que je suis désespérée, mais je ne le suis pas.Et même si je l’étais (parce que ça fait un moisaujourd’hui, ce serait normal), je ne le serais jamais àce point-là, quand même !

8 h 31

Cours de français.Impossible de me concentrer sur ce que dit Marie-Claude, qui est pourtant habituellement une de mesprofs préférées. Et ce n’est pas le fait d’être dans lemeilleur groupe de français qui est en cause, car c’estla matière où je fais le plus de progrès.Il faut par contre que j’essaie de me concentrer, car ily a une semaine, Marie-Claude m’a avertie qu’ellem’aurait à l’œil. Je l’ai un peu, disons, cherché. Aprèsavoir récité un poème en classe, je me suis sauvée del’école. À ma défense, j’avais une bonne raison ! J’avaisdit à ma mère que je ne voulais pas qu’elle aille passerl’été en France avec François Blais. Et je le regrettais.Après mon poème, que j’avais composé moi-même, jesuis sortie pour aller voir ma mère à son travail et luidire de faire son voyage. Même si je ne suis pas fande François Blais, j’ai pensé que ma mère avait droità une nouvelle vie et au « bonheur ». Ma mère a toutexpliqué à Denis Beaulieu, mon directeur, mais Marie-Claude a tenu à me donner une retenue quand même.J’ai dû recopier mon poème cent fois. Ce que j’aitrouvé un peu craignos (et très peu écologique). Et

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c’est après ça qu’elle m’a avertie qu’elle m’aurait àl’œil. (Pfff, totalement insensible à ma cause !)

8 h 34Marie-Claude parle d’un livre qu’on devra lire afin defaire une analyse de lecture. Mais comme mon pupitreest près de la fenêtre, je regarde dehors et mon espritdivague vers Nicolas au lieu de focaliser sur ce que ditma prof. Un peu de focus. Focus.

8 h 35Les gens avaient raison de dire que le temps arrangeaitles choses. Le temps a tout arrangé. Je ne pense pres-que plus à Nicolas. Je dirais même que tout ce qui leconcerne est un souvenir flou, vague.

8 h 36Je plonge la main discrètement dans mon sac pourprendre un petit morceau de chocolat et je dirige lemorceau tout droit vers ma bouche. Hum… Je vais lelaisser fondre, ça va durer plus longtemps. Et ça mepermettra de me concentrer sur ce que dit Marie-Claude.

8 h 37Je pense à Nicolas aujourd’hui, mais c’est seulementparce que ça fait un mois, sinon, les autres jours, c’estcomme s’il n’avait jamais existé.

8 h 38Évidemment, si ça arrive par hasard que je pense à lui,je ne me rappelle que de beaux souvenirs. Comme

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toutes les fois où on s’est embrassés. Ou sa bonneodeur d’assouplissant et son haleine de chewing-gumau melon. Après tout, on est mature ou on ne l’estpas.

8 h 39Aïe ! l’image de l’oiseau qui m’a fait caca sur la têtependant que Nicolas me disait qu’il voulait qu’on cassea soudainement surgi dans mon esprit.

8 h 40Pas grave. Je suis mature. Et zen. Ha-houm. Ha-houm.

8 h 41Je suis certaine que Nicolas rit de moi, en ce moment.Je suis certaine qu’il revoit la scène où le caca estapparu de façon inopinée sur ma tête ! Il doit dire àses amis : « Et là, j’ai cassé et HA ! HA ! HA ! HA !HA ! HA ! HA ! HA ! un oiseau a fait caca sur sa têteHA ! HA ! HA ! HA HA ! HA ! HA ! et ça coulaitHA ! HA ! HA ! HA ! HA ! sur sa figure ! »

8 h 42Évidemment, il ne peut rire de moi en ce momentmême parce qu’il a un cours. Mais je suis certaine qu’ilrit de moi en général, avec ses amis. À moins qu’ilpense à ça dans sa tête en ce moment et qu’il rit demoi en silence ? Ooooooh noooooooon !

8 h 45Franchement, je trouve Nicolas pas très gentil de rirede moi comme ça, auprès de ses amis et dans sa tête !

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Ce n’est vraiment pas gentleman ! Et ce n’est vraimentpas cool !

8 h 47J’ai les jambes croisées et je commence à faire trem-bloter mon pied droit.

8 h 48Non mais c’est vraiment hyper pas cool et hyper pasrapport de rire comme ça dans le dos des autres !

8 h 49JE VAIS LUI DIRE, MOI, QUE, SELON CER-TAINES CROYANCES, UN OISEAU QUI VOUSFAIT CACA SUR LA TÊTE, ÇA PORTE BON-HEUR, NON MAIS !

9 h 2Marie-Claude : Je vous laisse le reste du cours pourréviser. Je sais qu’avec la fin de l’année, vous en avezbeaucoup sur les épaules.Elle est gentille, Marie-Claude. Vraiment ma prof pré-férée, avec sœur Rose ! Je suis capable de faire du travailpersonnel sans penser à… toutes sortes de choses. Beau-coup plus facile que d’écouter un prof parler.

9 h 3J’ouvre mon livre de français.

9 h 5Mon pied, que je faisais toujours trembloter, a raflé lemur, ce qui a fait un drôle de son (bruit de pet, pour

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être plus précise), et toutes les filles de la classe se sontretournées vers moi. J’ai dit :– Euh… c’était mon pied… sur le mur. Comme ça.Et là, j’ai tenté de refaire le son en frottant mon piedsur le mur, mais ça ne l’a pas refait. Alors quelquesfilles ont replongé la tête dans leur cahier et d’autresont ri d’un petit rire sourd. Puis Marie-Claude a dit :– Bon, les filles, péter, c’est humain. Concentrez-vous,maintenant.Si j’avais le pouvoir de mettre le feu avec mes yeux,comme dans le film Carrie, c’est Marie-Claude quibrûlerait en ce moment (je garderais peut-être un peude feu pour les oiseaux). Mais bon, comme je n’ai quedu chocolat, je m’en prends un gros morceau. Oh ! çasoulage !

Note à moi-même : Tenter de contrôler mes excès deviolence inappropriés.

Note à moi-même no 2 : Très facile. Miam, miam.Avec le chocolat. Dans le fond, dans le film Carrie,ils n’auraient eu qu’à donner du chocolat à la fille quimettait le feu. Dommage qu’ils n’y aient pas pensé.Très bonne solution. Miam, miam. N’ai plus envie,miam, miam, de brûler, miam, miam, quoi que cesoit, miam, miam.

18 heures

Au dîner.Ma mère : Comment s’est passée ta journée ?Moi : Bof… Normal.

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Ma mère : Moi, j’ai passé une belle journée. Les gensau bureau commencent à savoir que je sors avec leboss.Moi : Ah.Ma mère : Surtout depuis que tu es venue au bureau.Ça potine…Moi : Ah.Ma mère : Mais au travail on ne se témoigne pasd’affection.Moi (dans ma tête seulement) : Ce serait cool que cesoit comme ça ici…Ma mère : Tu reveux des lasagnes ?Moi : Hu-hum.Ma mère : Alors, dans ta journée, il n’y a pas eud’anecdote marquante ?Moi : Ben… si, une. Mon pied a raflé le mur et toutle monde a pensé que j’avais pété.Ma mère : HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA !HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! HA !Moi : Finalement, je ne reveux pas de lasagnes, je vaisaller dans ma chambre.Ma mère : Ah bon ? Pourquoi ?Moi : C’est la seule chose qui me retient de devenirpyromane.

19 h 10Ma mère frappe à ma porte et l’ouvre sans mêmeattendre que je lui dise d’entrer. Heureusement, j’aidéveloppé une certaine rapidité à cacher mon chocolat.Ma mère : Ça va, ma puce ?Moi (en levant le pouce et en forçant un sourire) :Super.

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Ma mère : Tu peux me parler, si tu veux.Moi : Pas besoin.Ma mère : Mais… ça va, t’es sûre ?Moi : Oui, bon !

Mardi 9 mai

J ' ai décidé (hier soir, pendant que je mangeais duchocolat) de prendre les choses avec philosophie.

Je suis obligée d’aller passer une partie de l’été chezma grand-mère Laflamme parce que ma mère a unnouveau petit ami et qu’elle a décidé de faire unvoyage avec lui en France sans m’emmener. Mais cen’est pas grave, ça me permettra 1) de découvrir unautre coin du Québec plus en profondeur et 2) depasser plus de temps avec ma grand-mère. (Note àmoi-même : trouver d’autres raisons plus réjouis-santes.) Au moins, ma grand-mère m’a dit que jepouvais emmener Sybil. Elle n’avait pas le choix. J’aiaverti ma mère que je n’irais nulle part sans elle. Pasquestion de me séparer de ma belle minoune préféréependant deux mois !Au début, ma mère voulait m’envoyer en campingavec mes grands-parents Charbonneau qui passent

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tous leurs étés à parcourir le Québec dans leurcamping-car (je déteste le camping). Mais ils ne vou-laient pas que j’emmène Sybil. Moi, sans Sybil ?!?Jamais ! Alors, finalement, elle a décidé d’appeler magrand-mère Laflamme, qui a accepté de me prendrechez elle tout l’été, avec ma chatte (yes ! congé de cam-ping !). Elle a tellement hâte qu’elle m’appelle presquetous les deux jours pour me demander ce que j’ai enviede manger cet été, ce dont Sybil a besoin, etc., etc. Jelui réponds (pas avec ces mots-là, car je reste polie) dese relaxer, car si elle fait les courses maintenant, labouffe sera périmée quand je vais arriver en juillet. (Jecrois que les adultes qui m’entourent ont des petitsproblèmes avec la logique des choses…) Et je n’aibesoin de rien d’autre que d’une connexion Internet.Depuis que mon père est décédé, je n’ai pas vu magrand-mère Laflamme souvent. Aux funérailles, elle aoffert son aide à ma mère, mais ma mère s’est plutôttournée vers sa propre famille. Par contre, elle a tou-jours trouvé important qu’on visite ma grand-mère aumoins une ou deux fois par an. Parce que je suis laseule personne qui puisse rappeler mon père à magrand-mère, qui n’a pas de mari ni d’autres enfants.À part pour ses crêpes qui sont les meilleures del’univers, je ne me suis jamais sentie très proche d’elle.Je ne sais jamais quoi lui dire. Quand ma mère est là,ça va. Mais presque tout un été toute seule avec elle,je n’ose pas l’imaginer. Ça me stresse solide.

13 h 15Malgré ce léger stress, je trouve ça super que ma mèreparte en voyage. Pour l’été. Avec son petit ami. Son

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boss, en fait. Ils s’en vont rencontrer des futurs clients,entre autres. Donc, c’est super pour sa carrière et tout.

13 h 16OK. Je ne trouve pas ça si « super ». Je trouve ça,disons, bien.

13 h 17« Bien », je ne sais pas si c’est vraiment le bon mot.Disons que je trouve ça… un-synonyme-de-bien-qui-serait-un-peu-moins-positif (si un tel mot existe).

13 h 18Épouvantable ?

Note à moi-même ultra top-secrète : Il me restequand même presque deux mois avant le voyage dema mère pour découvrir que François Blais est le Dia-bolo-Man que je crois qu’il est. Et faire annuler levoyage. Et passer l’été avec ma mère. Peut-être mêmelouer un chalet, au bord d’un lac, ou quelque chosedu genre.

Note à moi-même no 2 : En plus, il serait vraimentpratique que le voyage soit annulé de façon impromp-tue, car je suis un peu en danger de mort chez magrand-mère… À cause de la fumée secondaire. Magrand-mère fume comme Lucky Luke avant qu’il nedécouvre les vertus des brindilles de paille !

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