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7/25/2019 Le futur se rappelle à notre souvenir http://slidepdf.com/reader/full/le-futur-se-rappelle-a-notre-souvenir 1/212 Ce recueil de chroniques rédigées entre les printemps 2015 et 2016 aborde diérents thèmes économiques et sociétaux. Le lecteur n’y trouvera que de fugaces intuitions oertes à la critique. Il y a néanmoins une transversalité à ces contributions : c’est la conviction que cette crise n’est plus souveraine ni monétaire. Elle porte sur l’exercice des États, écartelés entre des entreprises mondiales et versatiles et des dettes publiques dont la stabilité de l’expression monétaire et le renancement sont les garants de l’ordre social. Nos politiques sont étatico-nationales alors que le marché est universel. Dans les prochaines années, le débat idéologique portera sur le dialogue entre l’État et le marché, entre la collectivité et l’individu, et entre la dette publique et la propriété privée. Certains exigeront une étatisation croissante, voire généralisée, de l’écono- mie, pour maintenir l’ordre social. D’autres argumenteront que cette voie conduirait à désertier toute initiative spontanée. Les insoutenables dettes publiques entraîneront la question du défaut ou de l’opposition sociale. La monnaie et la dette publique, qui représentent des passifs étatiques fondés sur la stabilité de la conguration politique, verront leur équilibre engagé. Nos temps révèlent la n d’un modèle. La n d’un modèle de complaisance, de manque de vision et de décit de perspectives. Faute de regarder le futur sans cligner des yeux, celui-ci risque de se rappeler au souvenir d’années sombres. FUTURA ISBN : 978-2-8072-0086-9 Bruno Colmant est Ingénieur et Docteur en sciences de gestion de l’École de Commerce Solvay (ULB) et titulaire d’un Master of Science de Purdue University (Krannert School of Management, États-Unis). Auteur de p lus de soixante ouvrages, il enseigne l’économie appliquée et la nance dans plusieurs universités belges et étrangères. Il est membre de l’Académie royale de Belgique.     L    e      f    u     t    u    r    s    e     r    a    p    p    e     l     l    e      à     n    o     t    r    e     s    o    u    v    e    n     i    r Le futur se rappelle à notre souvenir Notes d’un économiste 2015-2016 Bruno Colmant Notes d’un économiste 2015-2016 Le futur  se rappelle à notre  souvenir

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7/25/2019 Le futur se rappelle à notre souvenir

http://slidepdf.com/reader/full/le-futur-se-rappelle-a-notre-souvenir 1/212

Ce recueil de chroniques rédigées entre les printemps 2015 et 2016 aborde diérents

thèmes économiques et sociétaux. Le lecteur n’y trouvera que de fugaces intuitions

oertes à la critique.

Il y a néanmoins une transversalité à ces contributions : c’est la conviction que cette

crise n’est plus souveraine ni monétaire. Elle porte sur l’exercice des États, écartelés

entre des entreprises mondiales et versatiles et des dettes publiques dont la stabilité

de l’expression monétaire et le renancement sont les garants de l’ordre social. Nos

politiques sont étatico-nationales alors que le marché est universel.

Dans les prochaines années, le débat idéologique portera sur le dialogue entre l’État

et le marché, entre la collectivité et l’individu, et entre la dette publique et la propriété

privée. Certains exigeront une étatisation croissante, voire généralisée, de l’écono-

mie, pour maintenir l’ordre social. D’autres argumenteront que cette voie conduirait à

désertier toute initiative spontanée. Les insoutenables dettes publiques entraîneront

la question du défaut ou de l’opposition sociale. La monnaie et la dette publique, qui

représentent des passifs étatiques fondés sur la stabilité de la conguration politique,

verront leur équilibre engagé.

Nos temps révèlent la n d’un modèle. La n d’un modèle de complaisance, de manque

de vision et de décit de perspectives. Faute de regarder le futur sans cligner des yeux,

celui-ci risque de se rappeler au souvenir d’années sombres.

FUTURA 

ISBN : 978-2-8072-0086-9

Bruno Colmant est Ingénieur et Docteur en sciences degestion de l’École de Commerce Solvay (ULB) et titulaire d’unMaster of Science de Purdue University (Krannert School ofManagement, États-Unis). Auteur de p lus de soixante ouvrages,

il enseigne l’économie appliquée et la nance dans plusieurs universités

belges et étrangères. Il est membre de l’Académie royale de Belgique.

    L   e 

    f   u    t   u   r   s   e 

   r   a   p   p   e    l    l   e 

    à 

   n   o    t   r   e 

   s   o   u   v   e   n    i   rLe futur se rappelle

à notre souvenirNotes d’un économiste 2015-2016

Bruno Colmant

Notes d’un économiste 2015-2016

Le futur se rappelle à notre souvenir

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LE FUTUR SE RAPPELLE

À NOTRE SOUVENIR 

NOTES D’UN ÉCONOMISTE 2015-2016

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© 2015, AnthemisPlace Albert I, 9, B-1300 LimalTél. 32 (0)10 42 02 90 - [email protected] - www.anthemis.be

Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre,par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie,

réservées pour tous pays.

ISBN : 978-2-87455-964-8Dépôt légal : D/2015/10.622/70

Mise en page et couverture : Michel Raj 

La version en ligne de cet ouvrage est disponiblesur la bibliothèque digitale Jurisquare à l’adressewww.jurisquare.be.

978-2-8072-0086-9

 : Nord CompoCouverture : Vincent Steinert 

 

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Impression : CiacoImprimé en Belgique

 

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LE FUTUR SE RAPPELLE

À NOTRE SOUVENIR 

NOTES D’UN ÉCONOMISTE 2015-2016

Bruno Colmant Membre de l’Académie royale de Belgique

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Les nouveaux instruments financiers, Bruxelles, Kluwer Éditions Juridiques, 1994.Gestion du risque de taux d’intérêt , Bruxelles, Kluwer Éditions Juridiques, 1995.Le droit comptable dans la société, Bruxelles, Ced-samsom, 1996.Les nouveaux Instruments financiers, Bruxelles, Kluwer Éditions Juridiques, 1998.Le droit comptable belge applicable aux instruments financiers, Bruxelles, Larcier, 2001.Les stock-options, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2002.

Les instruments financiers optionnels, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2002.Les obligations, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2002.Efficience des marchés, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2003.La décote des holdings belges, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2003.Les normes IAS/IFRS 32 et 39, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2003.Les stock-options – Édition 2004, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2004.Les obligations – Édition 2004, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2004.Les obligations convertibles, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2005.Les Accords de Bâle II pour le secteur bancaire, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2005.Les normes IAS/IFRS 32 et 39 – 2005, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2005.Les stock-options – Édition 2006 , Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2006.Les intérêts notionnels, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2006.L’image fidèle en droit comptable belge, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2007.

Les normes IAS/IFRS 32 et 39 et IFRS 7, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2007.La suppression des titres au porteur , Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007. Accountancy tussen onderzoek en praktijk, Malines, Kluwer, 2007.Les déductions fiscales à l’impôt des sociétés, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2008.Économie européenne : l’influence des religions, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008.Les normes IFRS, Collection Synthex, Paris, Pearson, 2008.2008 : L’année du krach, Bruxelles, Larcier, 2008.Synthèses de droit bancaire et financier, Bruxelles, Bruylant, 2008.L’efficience des marchés, Cahiers Financiers, Bruxelles, Larcier, 2009.La bourse et la vie, dialogue avec l’abbé Éric de Beukelaer, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009.La crise économique et financière de 2008-2009, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2010.Les éclipses de l’économie belge, Limal, Anthemis, 2010.IFRS et la crise financière, ICCI, Anvers, Maklu, 2010.

IEC 2010, Lannoo, 2010.Le Capitalisme d’après, dialogue avec Axel Miller, Bruxelles, Larcier, 2010.2010, l’année fracturée, Anthemis, 2010.L’impôt en Belgique après la crise, dialogues avec Etienne de Callataÿ, Larcier, 2010.2011-2013 : Les prochaines conflagrations économiques, Larcier, 2010.Liber Amicorum à Jacques Autenne, Bruxelles, Bruylant, 2010.Des temps provisoires, une année imprécise, Limal, Anthemis, 2011.Les Dialogues de la fiscalité  – Édition 2011, Bruxelles, Larcier 2011.Les sentinelles de l’économie, Limal, Anthemis, 2012.La mélancolie d’une charmille, Amazon-Kindle et Anthemis, 2012.Cinquante ans de fiscalité  – Actes d’un colloque de l’ESSF, 2012.La déflagration monétaire, Limal, Anthemis, 2012.Voyage au bout de la nuit monétaire, Collection de l’Académie Royale de Belgique, 2012.

De nouvelles géométries économiques, Limal, Anthemis, 2013.Les agences de notation financière, Bruxelles, Larcier, 2013.Les normes IFRS, une nouvelle comptabilité financière, Collection Synthex, Paris, Pearson, 2013.Capitalisme européen : l’ombre de Jean Calvin, Collection de l’Académie Royale de Belgique, 2013.Dettes publiques : un piège infernal , avec Jennifer Nille, Bruxelles, Larcier, 2014.Du bon génie de l’inflation à l’ogre de la déflation, Limal, Anthemis, 2014.Seven years of economic crisis, Limal, Anthemis, 2014.Penser l’économie autrement , dialogue avec Paul Jorion, Paris, Fayard, 2014.Liber amicorum Maurice Eloy , ouvrage collectif, Limal, Anthemis, 2014.Bourse : du krach des tulipes aux robots, avec Jennifer Nille, Waterloo, Renaissance du Livre, 2014.L’économie est-elle juste – Intuitions sur la crise, Collection de l’Académie royale de Belgique, 2013.Ceci n’est pas une déflation – c’est beaucoup plus grave ! , Limal, Anthemis, 2014.Nuances d’aigris, avec Pierre Kroll, Waterloo, Renaissance du Livre, 2015.

De gigantesques soustractions socio-économiques, Limal, Anthemis, 2015.

Principaux ouvrages de l’auteur (individuels et collectifs)

 

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 À Julie.

« Notre vie vaut ce qu’elle a coûté d’efforts. »

François Mauriac (1885-1970)

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ANTHEMIS

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Aperçu

Contexte de la réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

La fin d’un modèle  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13

Histoires de monnaies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Politiques des banques centrales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Euro et Banque centrale européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Déflation, inflation ? Stagnation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Dettes publiques, taux d’intérêt et banques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

Considérations fiscales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Perspectives boursières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Économie digitale  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Prospectives sociétales  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

Terreur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

En conclusion, une dernière intuition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

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Contexte de la réflexion

Cet opuscule rassemble des textes publiés dans la presse belge au coursdes deux dernières années. Certains constituent une explication ponc-tuelle d’un phénomène économique, tandis que d’autres tentent d’élargirl’angle de la réflexion dans ses prospectives. Aucun de ces textes n’ad’autre ambition que de ressortir à l’intuition. Le lecteur n’y trouvera doncpas d’ancrage académique ou scientifique. Tout au plus ressentira-t-illa tentation de l’auteur de s’exercer à des visions imprécises en matière

de configurations monétaires, étatiques et sociales.La crise actuelle révèle une fin de modèle : la fin d’un modèle de

complaisance, de manque de vision, de déficit de perspectives. Toutse passe comme si nous n’avions, en fait, rien retenu de l’Histoire. Ilne faut pas s’y tromper, cette crise est celle de nos futures générationsauxquelles nous avons emprunté le bien-être.

Le moment est venu de poser la question des temps nouveaux et deconstater qu’un univers moderne se dresse, sans qu’on l’ait pressenti,ni conjuré. Cet univers, qui ne pourra passer que par la jeunesse, resteà réinventer.

Printemps 2016 

Bruno Colmant

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ANTHEMIS

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La fin d’un modèle

Souvent, je m’interroge sur la trajectoire de nos communautés. Nossociétés vieillissent mal. Pétries de certitudes géographiques et centréessur un tropisme européen, elles ne réalisent pas que le monde s’est étendudans les azimuts verticaux. Nous sommes imprégnés d’une suprématiecivilisationnelle des années industrielles, mais la croissance s’est encou-rue. Et comme nous vieillissons, la jeunesse n’exerce pas cette nécessaireforce de rappel.

La crise de 2008 fut un signe majeur : elle signifia la fin d’un mondede rentiers d’idées.

Mais cette crise n’est qu’une expression accessoire. De profonds chocssocio-politiques sont proches parce que nous n’arriverons plus à assurerla cohésion et la mixité sociales. En effet, la croissance économique estune échappée dans le futur. Son absence devient une prison puisqu’iln’est pas possible de se projeter dans un avenir économique meilleur.

Quels sont les murs de cette geôle ? Il s’agit de la gigantesque sous-traction des dettes que nous avons contractées et qui doivent être défal-quées de notre futur, comme un monde qui se renverserait. Il s’agit, biensûr, de la dette publique, mais aussi des autres dettes sociales, commel’accentuation des inégalités, et des dettes sociétales, dont les latencesenvironnementales et climatologiques. Les pensions relèvent de cetteproblématique : un nombre réduit de travailleurs actifs n’arrivera pasà assurer l’augmentation de l’espérance de vie, dont il faut pourtant seréjouir. L’endettement des États, aggravé par la déflation, va les priverdes moyens d’assurer la cohésion civique.

Cette déduction du futur, qui ne peut plus s’opérer sur la croissance,pourrait conduire à l’exclusion et à la prédation, d’autant que la péné-

tration dans l’économie digitale va temporairement pulvériser des pansentiers de l’économie marchande.

Nos temps ne sont pas ceux d’une crise, mais d’un bouleversementstructurel. C’est une rupture et une prise de conscience. Je veux dire une

 véritable prise de conscience, pas l’expression mondaine ou convenuede ceux qui disent que tout change en espérant que rien ne les affectera.C’est l’adieu au XXe siècle. C’est l’abandon au monde de l’inertie, de la

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

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tétanie. Cette charnière qui grince avec le siècle qui s’est refermé, c’est

aussi, malheureusement, l’oubli de tous les drames et totalitarismes quil’ont assassiné deux fois.

Cette crise n’est donc plus souveraine ni monétaire : elle porte surl’exercice des États, écartelés entre des entreprises mondiales et versatiles,et des dettes publiques dont la stabilité de l’expression monétaire et lerefinancement sont les garants de l’ordre social. Nos politiques sontétatico-nationales alors que le marché est mondial.

Dans les prochaines années, le débat idéologique portera sur le dia-logue entre l’État et le marché, entre la collectivité et l’individu, et entre

la dette publique et la propriété privée. Certains exigeront une étatisa-tion croissante, voire généralisée, de l’économie, pour maintenir l’ordresocial. D’autres argumenteront que cette voie conduirait à désertifiertoute initiative spontanée. Les insoutenables dettes publiques engagerontla question du défaut ou de l’opposition sociale.

La véritable question portera sur la représentation de l’avenir ducorps social, car les configurations sociales deviennent extrêmement vul-nérables. Les démocraties seront mises à l’épreuve dans le sillage deschocs économiques. Insidieusement, d’autres configurations politiques,plus autoritaires, risquent d’émerger.

Notre siècle sera-t-il plus apaisant ? Je ne le crois pas. Tout se meten place pour alimenter les replis identitaires, les égoïsmes, les pertes decivilités dont certains espèrent sortir gagnants, alors que tous nous enserions perdants. À moins de vérifier que l’exclusion et l’ostracisme sontdes choix démocratiques, et donc partagés, quelle société voulons-nous ?Une société d’ouverture, dans l’intelligence de la justice et de la sécurité ?Ou bien une société ostracisant qui fragmente les classes sociales, les atta-chements territoriaux, les affinités linguistiques et culturelles ?

Un de mes ancêtres était un exilé moldave, probablement victime depogroms et spolié par les soldats de Napoléon. Accueilli en Belgique, sonarrière-petit-fils devint, par son labeur et son acharnement, bourgmestrede Verviers, à l’époque l’une des plus florissantes villes du monde. Queserait-il devenu dans l’exclusion ?

Il faut résolument s’opposer à la fracturation de notre société.

Chaque jour, certains s’accommodent des outrances et des débor-dements verbaux. Pour ceux-là, la ligne rouge n’existe plus au motif de

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LA FIN D’UN MODÈLE

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leur propre survie politique. Mais quelles valeurs morales veulent-ils

montrer, au-delà d’une sombre mathématique électorale dont ils serontévidemment les victimes ?

Partout, en Europe et en Belgique, des rémanences des temps odieuxse manifestent. Mais savent-ils, tous ceux qui adhèrent en toute bonhom-mie à des idées répressives, que chaque homme commence l’humanité etque chaque homme la termine ? Savent-ils que la liberté et la tolérancesont des combats ? Savent-ils que, pendant des milliers d’années, deshommes ont relevé la tête plutôt que des fusils, des bras et des mentons ?Que des hommes ont préféré éteindre les combats plutôt que d’allumerles marches au flambeau ? Dans La reine morte, le roi Ferrante dit : « Etun jour, tout sera bouleversé par les mains hasardeuses du temps. »

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Histoires de monnaies

La monnaie et Jésus-Christ 

La monnaie est une expression symbolique qui représente le rapportd’échange de biens et des services. Mais il y a plus : elle défie les lois dela physique puisqu’elle est à la fois un flux et un stock. La monnaie ne

 vaut rien en tant que telle. Elle représente la valeur sans l’intégrer. Elle

n’est pas valeur, mais sa propre reproduction. Elle n’est pas uniquementun stock car elle ne vit que par sa propre circulation.

La monnaie est donc la projection d’un flux insaisissable. Quand onréfléchit à ce phénomène, on se perd rapidement dans son signifiant.La crédibilité monétaire ne peut pas découler d’un acte d’autorité. Lamonnaie doit s’adosser à un référent qui excède ce qu’il garantit. Il fautdonc une réciprocité entre la qualité de la confiance et la quantité demonnaie. Dans le cas d’une monnaie fiduciaire, le garant est un état deconfiance. Il faut donc donner à la monnaie une valeur morale supérieurepour que la confiance qui lui est associée soit un référent satisfaisant.

Ceci explique que le privilège de battre monnaie ait été capturé par lesÉtats au rythme de la formulation des États-nations à laquelle son éta-tisation est consubstantielle.

Mais quand cela ne suffit pas, on y ajoute un peu de divinité. Dans cetimmense dédale conceptuel, l’origine étymologique du terme « monnaie »est un indice intéressant. La monnaie ramène au Palais de la Moneta oùles pièces romaines étaient frappées. La légende veut que ce bâtiment futconstruit à l’endroit où les oies du Capitole étaient parquées. Le Palais dela Moneta abritait aussi le culte de la déesse Junon, l’archétype de la déesse

cosmique, qui promet prospérité et fécondité. Cela rappelle ce que Marx(1812-1883) énonçait dans sa théorie du Capital, à savoir que le seul but dela circulation monétaire est d’assurer sa propre « ovulation ». Junon étaitincidemment appelée Junon Moneta (ce qui signifie « Junon qui prévient »)car la déesse aurait averti les Romains d’un tremblement de terre imminent.

De nos jours, on retrouve toujours Dieu dans l’expression monétaire.Il a bien sûr le « in God we trust  » qui est une mention obligatoire sur

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

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les billets en dollars depuis 1957. Il s’agit d’ailleurs d’une expression

collective, puisqu’il est inscrit « in God we trust » et non « I trust  », cequi est logique puisque la monnaie, comme la divinité, n’existent quesi elles fédèrent un nombre suffisant d’adeptes.

Mais tout près de chez nous, Dieu est encore très présent dans lesmatières monétaires. Sur la tranche des pièces hollandaises d’euro, il estinscrit « God zij met ons ». Dans ce pays, les banquiers doivent d’ailleursfaire serment de leur probité… sur la Bible. D’aucuns argumenterontque ces expressions religieuses sont propres aux pays protestants, au seindesquels la monnaie, comme le taux d’intérêt, furent mieux acceptésque dans les pays catholiques qui subordonnent toujours la monnaie àDieu. Dans les pays protestants, la Réforme « dé-spiritualisa » le temps,nécessaire pour calculer l’intérêt de la monnaie. Il n’empêche : quelsingulier et schizophrénique métissage !

La Bible rappelle aussi l’inanité des choses monétaires. Selon les Évan-giles, le Christ aurait été trahi par Judas l’Iscariote pour trente deniersd’argent. De nombreux historiens se sont interrogés sur ce montant. Ils’agissait d’environ 120 grammes d’argent, un faible montant sachant quela solde d’un soldat romain était de l’ordre de 500 deniers par an, soit750 euros. Mais imaginons que Judas (avant son suicide) ou ses héritiers

aient placé ces 750 euros dans une hypothétique banque millénaire à untaux composé de 2,5 %.

Que valent 750 euros placés pendant 2.000 ans au taux annuel de2,5 % ? Un calcul élémentaire conduit à un chiffre arrondi saisissant :2.000.000.000.000.000.000.000.000 euros, ce qui représente 37 milliardsde fois le PIB mondial. Les Évangiles résolvent cette incongruité en ran-geant la monnaie parmi les puissances qui asservissent l’homme. Unnom démoniaque est donné dans l’Évangile de Matthieu à la monnaie :Mammon. Jésus avance que « Nul ne peut servir deux maîtres… Vousne pouvez servir Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24).

Mais alors, pourquoi faire référence à Dieu sur les billets et pièces ?Pour confesser les péchés d’argent ou pour crédibiliser la monnaie ? Cecirappellerait-il que Dieu et la monnaie sont peut-être de fragiles équivalentssociologiques ou, au contraire, des formulations antagonistes ? La monnaieserait-elle alors la déclinaison humaine indispensable à la divinité, puisquetoute religion est fondée sur la charité et le don… de monnaie ? Dieu etla monnaie ne seraient-ils finalement que deux artefacts ?

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HISTOIRES DE MONNAIES

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En conclusion de ces quelques lignes, le sujet du phénomène moné-

taire est obscur. Il est même ténébreux. La monnaie est un phénomènemonétaire circonstanciel mais elle permet (très temporairement) l’accu-mulation de pouvoir et une hiérarchisation sociale. Parfois, je suis saisipar l’effroi de sa vacuité. Qu’y a-t-il derrière ce dernier ? Le pâle refletd’imparfaites et éphémères conventions humaines ? Une tentative demesure dégradée du temps ? Une hallucination collective choisie ? Lenéant, une plongée dans son côté sombre ou plutôt une tentative demaquillage de ses ténèbres ? Avec un peu d’intuition, nous savons que desphénomènes monétaires inattendus se préparent. Il y aura d’immensesajustements puisque nous vivons à crédit d’une dette publique dont le

remboursement est repoussé d’année en année. Il faut donc réfléchirau sens de la monnaie car je crains qu’un jour la monnaie ne perde« sa » valeur. Ce jour-là, ce sera un profond aggiornamento. C’est parceque j’ai peur de découvrir l’inanité du phénomène monétaire que je medis que les monnaies ressemblaient aux dieux : elles n’existent que letemps de rassembler des adeptes. Et qu’il faut mourir assez tard avantde savoir que Dieu n’existe peut-être pas, et assez tôt avant de savoirque la monnaie ne vaut peut-être rien.

 Avril 2016 

Comprendre la monnaie… avec le temps

Depuis des années, je m’exerce à appréhender le phénomène moné-taire… sans y parvenir.

Les mots me manquent pour transcrire une explication qui s’envoleau moment où je crois l’avoir fugacement (et en vain) capturée.

Le signifiant de la monnaie est insaisissable.La monnaie est un artefact, c’est-à-dire un phénomène créé de toutespièces par les conditions expérimentales, dépourvu de toute significationthéorique. Cela expliquerait incidemment la subordination de l’ordremonétaire à l’ordre social.

Par ailleurs, la monnaie renvoie à ce qui la garantit. Elle doit s’adosserà un niveau de confiance qui excède ce qu’elle garantit.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

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Il faut une réciprocité entre la qualité de la confiance et la quantité

de monnaie.C’est donc un concept en lévitation.

La monnaie sert de modèle au temps, dont la réalité est, elle aussiinsaisissable.

Pour le sociologue, la monnaie est un moyen de rendre impersonnellel’association entre des personnes inconciliables, et donc de sublimer lesrapports sociaux.

Pour l’économiste, la monnaie est un phénomène monétaire éphé-mère et circonstanciel. C’est une formulation simplifiée de l’utilité du

temps, ou plutôt de « l’ombre du temps ».Pourtant, le temps nous échappe… à chaque moment.

Et nous croyons nous en protéger par la monnaie que nous disonsêtre l’égal du temps.

Le temps est métaphysique.

La monnaie est sa traduction humaine.

Tant de choses nous dépassent…

Octobre 2015

La monnaie et la mesure du temps :deux fragiles nécessités

La monnaie et le temps sont des concepts insaisissables mais compa-rables. La monnaie est un flux aux vitesses et accélérations complexes,tandis que le temps est en expansion.

Tant la monnaie que notre conception d’un temps linéaire sont desartefacts qui disciplinent les agencements humains. Ils assurent l’ordre social.

La monnaie est un phénomène monétaire éphémère et circonstan-ciel. C’est une formulation simplifiée de l’utilité du temps, ou plutôt de« l’ombre du temps » ou du « voile » de Jean-Baptiste Say. La monnaieest l’enfant matériel d’un temps qui ne peut être que de compréhensionspirituelle.

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HISTOIRES DE MONNAIES

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Du reste, la monnaie porte en elle son caractère intermittent : elle

se déprécie, se remplace, se confisque et se nationalise au gré des chocsde l’évolution des communautés humaines.

Elle s’écoule comme le temps.

Elle ne protège de l’avenir que de manière temporaire, c’est-à-dire aussilongtemps que les hommes décident eux-mêmes de la stabilité de leur futur.

La monnaie s’exproprie parfois, lorsqu’elle ne répond plus aux réalitéssocio-politiques.

Cela arrive aussi aux mesures du temps : outre le fait qu’elles se décalentselon les fuseaux horaires, ses expressions élémentaires ont fluctué au rythme

des mêmes objections socio-politiques qui ont révolutionné la monnaie.Il suffit de penser que les pays réformés réfutèrent le calendrier gré-

gorien et que la Révolution française introduisit un nouveau calendrier,tentant de recommencer le temps à zéro au même rythme que la monnaierévolutionnaire – les assignats – revenait au même point, c’est-à-dire àla valeur zéro.

Certains pays, d’essence révolutionnaire, continuent d’ailleurs à conser- ver leur propre calendrier : Afghanistan, Éthiopie, Iran, Viêt Nam, etc.

Finalement, à l’aune d’un cosmos en expansion et d’un temps non

conceptualisable, nos symboliques monétaires sont de petites mais néces-saires fragilités.

 Août 2015

La monnaie est impatiente…

Le temps est insaisissable.

Nous le croyons linéaire et avons essayé de le mesurer pour nousdomestiquer. Pourtant, il s’inscrit dans une dimension cosmique quenous ne pouvons conceptualiser : l’expansion. La monnaie tente, quantà elle, de valoriser le temps, en le fragmentant. Elle épouse l’impossibilitéde son immobilité, puisqu’elle se déprécie ou s’accroît d’intérêts.

Elle n’est jamais stable.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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Le temps est abstrait et insaisissable, tandis que la monnaie est une

formulation conventionnelle. Le temps n’a pas de valeur car on ne peutni le vendre ni le donner. Par contre, l’usage du temps a une valeur.Il s’agit du temps de fabriquer un bien et de produire un service oudu temps de déconstruire un bien. Benjamin Franklin avance d’ailleursque le seul intérêt de la monnaie, c’est son emploi. On pourrait alorsenvisager la monnaie comme un étalon du temps dont la valeur relativeserait fixée par un état temporaire de confiance. Sous cette orientation,la monnaie serait un gradient du temps, ou plutôt une régression de lagratuité du temps qui permet un échange d’utilités.

Mais la monnaie est vaniteuse : elle essaie d’accélérer le temps, maisce dernier la ramène au présent. La monnaie ne dure pas dans le temps.Elle tente d’emprisonner le temps, en mesurant son prix par le tauxd’intérêt, mais c’est vain : le temps domestique la monnaie.

La monnaie est trop empressée. Elle tente d’éreinter le temps. Maisle temps est indomptable.

 Août 2015

Le danger de saborder une monnaie

Depuis qu’elle représente la monnaie plutôt qu’elle ne la véhicule demanière sui generis, son signifiant est la confiance. La monnaie ne vautdonc que par sa capacité à agréger – par adhésion ou coercition – lacroyance qu’un symbole traverse le temps et l’espace. La monnaie est doncun fait social, ou plutôt un fait socio-étatique. Ses pulsations épousentles attributs des sociétés : la démographie, la productivité des facteurs deproduction, l’innovation, la complétude d’un marché financier, etc.

C’est ainsi que certaines monnaies sont librement convertibles, offrantleur faculté d’échange aux autres pays tandis que d’autres monnaiesreflètent un degré d’étatisme et de nationalisme plus prononcé en limi-tant leur convertibilité.

La convertibilité d’une monnaie est d’ailleurs, à mon intuition, unsigne de démocratie ou, à tout le moins, de vulnérabilité dans l’appré-ciation de l’économie.

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HISTOIRES DE MONNAIES

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Un choix monétaire est un engagement sociétal fondamental.

Il en est l’émergence.C’est pour cette raison qu’il est indispensable de repenser la gouver-

nance de l’euro afin que cette monnaie repose sur une représentationpolitique, budgétaire et fiscale fédérale plutôt que sur une juxtapositiond’influences nationales, c’est-çà-dire un régime confédéral.

C’est aussi la raison pour laquelle l’entretien politique d’un Grexitest dangereux, car si la monnaie est à risque, c’est un pays qui le devientet risque de sombrer.

 Août 2015

Quelques réflexions disparates sur la monnaie

Il n’y a pas de monnaie absolue. La monnaie est un rapport d’échangerelatif qui exprime une relation entre la valeur des biens et services. Paressence, une monnaie est instable puisqu’elle constitue un « super-objet »par rapport auquel la valeur des autres biens et services (formulés en

signes monétaires !) est exprimée. Un rapport d’échange ne peut pasêtre absolu. Même des biens considérés (à tort) comme supérieurs et denature monétaire, comme l’or ou l’argent, voient leur expression moné-taire varier au-delà de leur rareté instantanée.

Les monnaies ne sont pas, dans l’absolu, faibles ou fortes. Elles le sontpar rapport à d’autres monnaies. Une monnaie est donc doublementrelative : par rapport au taux d’échange des biens et services qu’elleexprime, mais aussi par rapport à d’autres étalons monétaires qui sonteux aussi relatifs.

La dépréciation monétaire est un phénomène séculaire et permanent.

Toute communauté emprunte à son futur. Mais la représentation de cetemprunt du futur se dilue dans la dépréciation monétaire, qui affectele financement de cet emprunt de ce même futur, c’est-à-dire la dettepublique. La monnaie déprécie donc l’expression de son propre empruntdans le futur.

 Août 2015

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Politiques des banques centrales

Les banques centrales dirigent l’économie !

Jadis, les banques centrales étaient destinées à assurer un rôle résiduel.Celui-ci se limitait à donner une indication du prix de la monnaie, c’est-à-dire le taux d’intérêt, et donc à gérer son effritement face à l’inflation.Depuis la crise, tout a changé : les canaux bancaires sont devenus vis-

queux, les dettes publiques engorgent les bilans des institutions finan-cières et le flux monétaire se tarit. Ce sont donc les banques centralesqui alimentent le stock de monnaie, tout en contrôlant les banques quipossèdent les dettes publiques, dont une partie est désormais monétiséeauprès de ces mêmes banques centrales. Les taux d’intérêt sont maintenusartificiellement bas, car toute hausse pulvériserait les finances publiques.

Nous revenons à des temps oubliés, ceux de Constantin, de Philippele Bel et de la Terreur, au cours desquels la monnaie servit de variabled’ajustement au fonctionnement de l’État. Nous croyions que le privi-lège de battre monnaie avait été ôté de nos pouvoirs publics. Ce n’est

pas vrai : les banques centrales, au service des États, en sont devenuesleurs auxiliaires.

Octobre 2015

Politique monétaire : rien ne dure, rien n’existe

Depuis des mois, je m’interroge sur l’aboutissement des politiques

monétaires des banques centrales, et plus spécifiquement sur celui de laBanque centrale européenne (BCE). Cette dernière injecte des quantitésde monnaie inouïes au bénéfice principal des États membres de la zoneeuro dont les dettes enflent inéluctablement, à tout le moins dans lespays du Sud. Ces injections monétaires devraient normalement servirl’économie réelle en soulageant les banques privées du financement desdettes publiques, puisque celles-ci sont désormais en partie financées par

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la création monétaire. Les banques privées pourraient donc théorique-

ment augmenter l’offre de crédit à l’économie productive, pour autant,bien sûr, que la demande soit suffisante. La création monétaire permetd’esquiver un effet d’éviction (ou crowding out ) qui est constaté lorsqueles bilans bancaires sont essentiellement exploités pour le financementdes dettes publiques plutôt que pour le crédit privé.

Mais quel sera le point d’atterrissage de cette injection monétairesans précédent : une inflation (et donc des taux d’intérêt) finalementembrasée par un afflux de liquidité dont la volumétrie dépasse la capacitéd’absorption par l’économie réelle ? Une remontée des taux d’intérêtentraînée par un déphasage graduel de ces politiques monétaires expan-

sionnistes singulières ? Une augmentation des taux d’intérêt qui seraitdéclenchée par une perte de la confiance dans la monnaie elle-même ou,plus généralement, par une augmentation de la prime de risque, c’est-à-dire de la perception du risque associé au futur ? Personne n’en a lamoindre idée, sauf d’éphémères gourous autoproclamés qui évoquentla fin d’une civilisation.

Pourtant, cette question doit être posée et sa réponse clarifiée. Eneffet, un arrêt prématuré de l’expansion monétaire précipiterait l’éco-nomie réelle et les marchés financiers dans la récession, tandis qu’uneprolongation conduirait à un dévoiement inévitable de la monnaie.

Ce qui apparaît néanmoins, c’est que l’effet de ces politiques monétairesest, contre toute logique friedmanienne, déclinant. Leur efficacité sembles’émousser. À ce stade, les afflux de liquidité ne créent pas d’inflation, cequi conduit d’ailleurs de nombreuses banques centrales à imposer des tauxd’intérêt négatifs, ce qui s’apparente à une inflation imposée plutôt quesuscitée. Au Japon, il n’y a aucune inflation malgré des afflux de liquidités.

Certains, dont l’économiste français Patrick Artus, postulent désor-mais l’irréversibilité des politiques monétaires. En langage simple : iln’est pas possible de s’arrêter et les assouplissements quantitatifs doivent

se perpétuer. Peter Praet, l’économiste en chef de la BCE, fait le mêmeconstat en affirmant l’infaillibilité de la BCE au travers du fait qu’il n’ya pas de plan B.

Je garde néanmoins l’intuition que l’affirmation de l’irréversibilitédes politiques monétaires est inaboutie, et pour une simple raison : il estinsensé de poursuivre une politique monétaire au rendement décroissant,c’est-à-dire qui devient inopérante. Inversement, si l’irréversibilité était

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POLITIQUES DES BANQUES CENTRALES

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constatée, cela conduirait à une précarisation de la monnaie dont la cré-

dibilité s’estomperait. L’irréversibilité conduirait, comme Jacques Attalil’avait évoqué, à un Weimar planétaire (en référence à l’hyperinflationallemande de 1923), c’est-à-dire une impression monétaire illimitée afinde monétiser les dettes publiques et de les rembourser avec de l’argentdéprécié. Or ce cas de figure n’a aucune validité.

Si les politiques monétaires étaient irréversibles, cela conduiraitaussi à l’abandon de toute indépendance des banques centrales et à la

 juxtaposition financière des États et des banques centrales, puisque lesÉtats imprimeraient des dettes publiques qui seraient immédiatementtransformées en monnaie imprimée. En termes conceptuels, leurs bilansse fonderaient et l’émission monétaire serait rythmée par le niveau del’endettement public. Les banques privées seraient donc progressivementprivées de leur rôle de créateur de monnaie, sans compter l’érosion deleur rentabilité, grevée par des taux d’intérêt négatifs.

Les banques centrales créent de la monnaie mais, en temps normaux,uniquement à titre supplétif. D’ailleurs, la création monétaire de cesbanques est infime par rapport à celle des banques privées. Cette monnaies’appelle la « monnaie de base ». Cette multiplication des opérations decrédit crée un flux monétaire instantané dont la vitesse peut augmenter

ou ralentir en fonction de différentes exigences réglementaires.La création monétaire des banques privées fonctionne grâce à ce queles économistes qualifient de « multiplicateur des crédits » ou de ce queles Anglais désignent par l’adage « loans make deposits ». L’octroi d’unprêt exige de récolter un dépôt. Ce même prêt suscitera d’autres dépôtsqui entraîneront de nouveaux octrois de prêts, etc. En d’autres termes,les banques privées créent la monnaie qui s’assimile à un flux. On parlealors de monnaie scripturale. Leur rôle consiste d’ailleurs, de manièrecontre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie qui leurest confiée. La monnaie dépend de la variation de la thésaurisation/

déthésaurisation des banques privées, et elle est créée par l’accélérationdu flux. En d’autres termes, les banques privées sont des entreprises quifabriquent elles-mêmes leur matière première.

Si les politiques monétaires devenaient vraiment irréversibles, cela nousconduirait, sous une forme extrême, à une idée que l’économiste améri-cain Irving Fisher (1867-1947) avait imaginée dans les années 1930 sous lasymbolique du « plan de Chicago ». Selon ce plan, qui relève de l’alchimie

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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monétaire, tous les dépôts bancaires seraient inscrits au bilan de la banque

centrale. À charge, pour cette dernière, de prêter ces dépôts aux banques pri- vées. Ces dernières ne pourraient donc pas prêter plus que les dépôts reçus,ce qui s’assimilerait à une étatisation bancaire. Ce plan séparerait la fonctionmonétaire des banques de leur fonction de crédit. Ce serait un retour illusoireà ce que Keynes appelait une « économie de Robinson Crusoé ».

Si la politique monétaire devenait irréversible, les banques privéesen seraient donc réduites à un simple rôle d’intermédiation. Seule lamonnaie de base, créée à la discrétion de la banque centrale pourrait êtreutilisée au travers du réescompte des dettes publiques ou d’autres actifs.

En conclusion de cette réflexion, le point d’atterrissage des politiquesmonétaires sera un retrait progressif du soutien monétaire, dont il fautespérer qu’il soit coordonné et synchronisé par les banques centrales etsurtout communiqué de manière graduelle aux marchés. Le seul facteurqui pourrait justifier l’irréversibilité temporaire des politiques monétairesserait l’impécuniosité des États qui seraient accablés par la déflationet la récession. Mais, à un moment, la réalité reprendrait ses droits etles créanciers demanderaient une protection accrue sous forme de tauxd’intérêt plus élevés. C’est pour cela que Mario Draghi répète sans cesseque la BCE ne peut pas tout faire. Pour les dirigeants de la BCE, le cau-chemar serait d’assister à une débandade des finances publiques et uneimpression monétaire débridée, comparable au scénario des années 1970.À l’époque, des États désemparés par une récession manufacturière etdeux chocs pétroliers avaient fait appel à l’endettement public et donc auxbanques centrales, elles-mêmes désorientées par l’abandon des accordsmonétaires de Bretton Woods. L’endettement public s’embrasa et desdévaluations désordonnées furent imposées en rafale dans un contextede stagflation. Il en avait résulté un chaos économique sans précédent.

L’histoire économique exige d’adopter une posture de prudence :l’économie est entrée dans des territoires inconnus. Si un arrêt rapide

des politiques d’expansion monétaire est improbable, leur irréversibi-lité le semble tout autant. Il faut espérer que la croissance et l’inflationreviennent rapidement et que la politique budgétaire renforce, dès àprésent, la politique monétaire. Mauriac écrivait : « Rien ne dure, rienn’existe. » L’irréversibilité n’existe pas.

Février 2016 

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POLITIQUES DES BANQUES CENTRALES

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Les banques centrales ont raison !

Selon la théorie de l’économiste français Jean-Baptiste Say, la monnaiene serait qu’un voile posé sur la réalité des échanges.

En effet, les biens et les services ne s’échangent finalement que contredes biens et des services. Ainsi, l’économie réelle serait dissociée de lasphère monétaire. À certains égards, la monnaie serait exogène à l’éco-nomie réelle, ce qui fut incidemment théorisé par l’École quantitativedont les économistes Fisher et Friedman sont les figures de proue.

Ceci étant, les banques centrales sont chargées de respecter un équi-

libre entre le niveau des prix et le plein-emploi, en écho lointain à lacourbe de Phillips qui établit une relation empirique décroissante entrele niveau de l’inflation et du chômage.

Si le chômage augmente, il convient d’augmenter l’offre de monnaie.

Par contre, si le niveau des prix augmente, il faut restreindre cettemême offre de monnaie.

Aujourd’hui, les prix sont bas et le chômage va structurellement aug-menter dans le sillage du contexte déflationniste, lui-même entretenupar le vieillissement de la population et le choc digital.

Ceci justifie parfaitement les politiques des banques centrales.Selon les aficionados de l’École quantitative, cela devrait ré-inflater l’écono-

mie, mais sans pour autant créer la moindre richesse, sauf pour les débiteurs(essentiellement publics) dont le niveau des obligations est devenu excessif.

Novembre 2015

Tout repose sur les banques centrales

S’il y a un phénomène qui transforme profondément la sphère finan-cière, c’est l’émergence du rôle décisif des banques centrales.

En effet, en temps normaux, les banques centrales jouent un rôleaccessoire, se bornant à fournir une indication en matière de tauxd’intérêt à court terme et à refinancer des institutions bancaires, raisonpour laquelle elles sont qualifiées de prêteurs en dernier ressort.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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Aujourd’hui, les banques centrales procèdent à d’inimaginables (mais jus-

tifiées) créations monétaires, essentiellement gagées par des dettes publiques.Elles procèdent donc à une « monétisation » de la crise des dettes

publiques, c’est-à-dire à la résolution de l’excès d’endettement publicpar la création monétaire.

out repose désormais sur les banques centrales. L’autorégulation finan-cière et le flux monétaire sont désormais subordonnés à des institutionspubliques qui doivent subsister leurs actions à une faiblesse de la demande.

Certains s’étaient inquiétés du manque de reprise en main du secteurfinancier par les autorités publiques, après le krach de 2008.

C’est pourtant arrivé, mais pas comme d’aucuns l’imaginaient : lesbanques centrales sont aujourd’hui au service des marchés.

Étrange retour des choses.

Novembre 2015

Guerre des monnaies : les règles de l’engagement 

La devise chinoise vient d’être brutalement dépréciée. Faut-il s’enétonner ?

Aucunement.

Les plaques monétaires tectoniques sont toutes en train de s’inonderd’une dévaluation qui n’en porte pas le nom : c’est le recul de l’augmen-tation des taux d’intérêt américains par la Banque centrale américaine(Federal Reserve System, ci-après « FED »), l’assouplissement quantitatifmis en œuvre par la BCE et la Banque centrale du Japon (BoJ), etc.

Une dévaluation vise à affaiblir son propre cours de change afin de

retrouver un certain pouvoir concurrentiel sur les marchés extérieurs,tout en contractant ses importations. Il s’agit donc de promouvoir lesentreprises domestiques exportatrices. Les dévaluations sont souventqualifiées de concurrentielles si elles s’inscrivent dans un mouvement encascade où chaque zone monétaire tente de prendre les autres de vitesse.

Les dévaluations concurrentielles ont bien sûr un coût, puisque lafinance est un jeu à somme nulle : c’est l’inflation. L’Histoire recense

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POLITIQUES DES BANQUES CENTRALES

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quelques exemples de dévaluations concurrentielles, dont celle des années

1930 : la plupart des pays ont tenté de s’extraire de la récession endépréciant frénétiquement leur monnaie.

J’en tire quelques intuitions :

1. Tout d’abord, les grandes zones monétaires se sont évidemmentlancées dans de feutrées dévaluations concurrentielles.

2. Le véritable risque d’une guerre des monnaies est de ne pas y être enrôlé.

3. Le problème central de nos économies est l’envergure des dettespubliques et il est directement lié à celui des dévaluations concurren-tielles, puisque le remboursement de la dette publique et la faiblesse

d’une monnaie ont un point commun : la planche à billets.4. On argumentera qu’une dette publique ne doit jamais être rem-

boursée. Il n’empêche : plus les dettes publiques s’accumulent, moinsleur remboursement avec une monnaie stable devient crédible.

5. Pour faciliter le remboursement de ces dettes, il faut augmenterl’offre de monnaie, c’est-à-dire faire tourner la planche à billets, en espé-rant que les taux d’intérêt ne reflètent pas trop rapidement les anticipa-tions d’inflation entraînées par cette offre accrue de monnaie.

6. Cela signifie qu’au mieux, la vitesse des planches à billets va être syn-

chronisée afin d’imprimer les monnaies au même rythme et qu’au pire,une guerre des monnaies sera déclarée. Son vainqueur en sera le pays quiaura suffisamment réduit le pouvoir d’achat de sa propre monnaie afin derelancer ses exportations et qui aura diminué concomitamment le poidsrelatif de sa dette publique, qui sera refinancée avec une devise plus faible.

 Août 2015

Politique monétaire : la divergence s’installeDepuis quelques années, la théorie monétaire classique ne s’ap-

plique plus. En effet, le stock de monnaie injecté dans l’économie s’estsignificativement accru pour compenser la viscosité des circuits ban-caires, mais l’inflation reste basse. La demande reste, quant à elle, ané-mique malgré une augmentation des déficits et des dettes publiques.

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Que se passe-t-il dans l’économie ?

Il semblerait que le courant froid déflationniste soit lié à plusieurscauses, dont il est complexe de mesurer l’importance relative. Il y a incon-testablement le ressac du choc de 2008, au terme duquel l’épargne publiquea été fragilisée. Cet événement inattendu a creusé un piège de la liquidité,c’est-à-dire une tétanie économique qui rend la politique monétaire par-tiellement inopérante. Il y a aussi les plans de rigueur et d’austérité, quiont été mis en œuvre à contretemps. Il y a également le vieillissement de lapopulation qui éreinte la croissance. Enfin, la digitalisation de l’économiediminue inexorablement la quantité de travail disponible en escamotantdes gains de productivité qui, dans le passé, auraient été mis en œuvrepar des humains et qui le sont désormais par des machines. C’est inci-demment cela, le véritable risque de déflation structurelle, accompagné deson corollaire de fissuration de l’équilibre social, à savoir qu’un gain deproductivité du travail, associé à sa contribution sous forme d’impôts, soitcapturé par des entreprises étrangères, au contenu capitalistique important,qui soient dissociées du tropisme de nos économies.

Face à cette déflation dans l’économie réelle, les banques centrales –et, au premier chef, la BCE – tentent de réinsuffler de l’inflation au tra-

 vers de plans d’assouplissements quantitatifs, c’est-à-dire d’une création

monétaire essentiellement gagée par des obligations d’État. Ceci constitueune modification complète de la géométrie financière. En effet, en tempsnormaux, les banques centrales jouent un rôle accessoire, se bornant àfournir une indication en matière de taux d’intérêt à court terme et àrefinancer des institutions bancaires, raison pour laquelle elles sont qua-lifiées de prêteurs en dernier ressort. Aujourd’hui, les banques centralesprocèdent donc à une « monétisation » de la crise des dettes publiques,c’est-à-dire à la résolution de l’excès d’endettement public par la créationmonétaire. Au reste, tout repose désormais sur elles. L’autorégulationfinancière et le flux monétaire sont désormais subordonnés à des insti-

tutions publiques qui doivent subsister leurs actions à une faiblesse dela demande. Nous ne sommes plus en économie de marché.

Ceci étant, l’action des banques centrales, et surtout celle de la BCE,transporte un danger, à savoir celui de l’accommodement avec une penséedominante qui conduirait à se convaincre qu’elle rencontrera toujoursles anticipations de marché. On appelle cela un biais cognitif, ou pluscommunément la « pensée magique », c’est-à-dire une forme de pensée

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qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs. Il

y a exactement cinquante ans, en octobre 1966, de Gaulle avait dit quela politique de la France ne se faisait pas à la corbeille (c’est-à-dire à labourse). Mario Draghi a donné le même avertissement par des mesuresd’assouplissement monétaire qui ont déçu les marchés. Mais le Présidentde la BCE n’a pas à agrémenter les marchés, mais à s’assurer que les agré-gats économiques se normalisent pour atteindre un taux d’inflation prochede l’objectif stabilisé de 2 %. Je crois que les marchés financiers créentleur propre dynamique d’anticipations dont ils attendent la concrétisationpar les banques centrales. L’anticipation et l’intuition sont, bien sûr, à labase de la science économique, mais il faut être extrêmement prudent. En

effet, les anticipations des marchés financiers ne peuvent pas constituer unfacteur explicatif d’une politique monétaire dont l’aboutissement résideessentiellement dans la traction de la demande de l’économie réelle autravers d’une politique accommodante. Au reste, une politique monétairene peut pas exclusivement régler un problème de demande : la politiquebudgétaire doit aussi stimuler l’économie par un assouplissement fiscalet une flexibilisation de marché de l’emploi, ce qui avait incidemmentfait dire à Benoît Coeuré, l’un des membres du directoire de la BCE, que« [s]i toute la politique de croissance en zone euro repose sur les épaulesde la BCE, cela va mal se terminer ! ».

Dans ce cadre, je livre deux réflexions.

Il est désormais acquis que la Banque centrale américaine, la FED, vamodiquement augmenter son taux directeur au cours de l’année 2016.Pourtant, une analyse paisible des agrégats économiques américains nele justifie que faiblement : les États-Unis ne subissent aucune inflation nide pression à la hausse en matière salariale, la croissance est modérée et,surtout, les autorités américaines veulent maintenir un dollar structurel-lement faible (même si leur économie fermée autorise temporairementun dollar fort), ce qui avait d’ailleurs conduit au sabordage, par leurs

soins, des accords de Bretton Woods en 1971. Le but d’une éventuellehausse des taux d’intérêt est d’une nature purement informationnelle : ils’agit de donner un signe d’anticipation de la bonne santé de l’économieaméricaine, au même titre qu’un dividende signale la capacité d’uneentreprise à poursuivre sa distribution au cours des années suivantes.La hausse des taux américains rappelle que les États-Unis ont gagné lacrise mais il ne faut donc pas miser sur un dollar fort trop longtemps.

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La seconde réflexion concerne l’euro. La BCE a récemment étendu

son programme d’assouplissement quantitatif jusqu’en mars 2017 mais ilfaut rester prudent quant à sa perpétuation au-delà de ce printemps 2017,d’autant qu’une dissociation persistante avec la politique de la FED sembleimprobable. Il y a incontestablement des éléments qui plaident pour saprolongation, tels la déflation technologique, le caractère anémique del’inflation, les risques inhérents à la situation en Grèce, etc. Néanmoins,il y a de manifestes et nombreuses dissensions au sein du directoire de laBCE et l’Allemagne est très réticente à abandonner la symbolique d’unemonnaie forte et désinflatée. Par ailleurs, bien qu’elle en ait largementbénéficié, l’Allemagne n’a jamais aimé l’euro, qui lui fut imposé comme

dernier dommage de guerre pour recouvrer sa souveraineté territoriale. Ilne faut donc pas tabler sur un euro faible trop longtemps.

La désynchronisation des politiques monétaires américaine et euro-péenne sera donc le sujet de l’année 2016. Depuis près de huit ans,les banques centrales influencent lourdement les marchés au travers demoyens conventionnels… ou moins traditionnels : réescompte de dettespubliques et privées, baisses en rafale de taux d’intérêt, imposition detaux d’intérêt négatifs sur les dépôts qui leur sont confiés. Or ce n’est pasleur fonction originelle. Ces institutions ont dû injecter des liquidités afin

d’éviter l’erreur fatale des années 1930, au cours desquelles on a erroné-ment cru qu’une contraction de la politique monétaire disciplinerait lescircuits bancaires et boursiers. Mais la prudence étant la mère des vertus,il ne faut pas exclure une confrontation à la réalité, spécifique à la zoneeuro : chaque jour qui s’égrène nous rapproche de la fin inéluctable del’assouplissement quantitatif, qui pourrait survenir avant la constatationd’une croissance et d’une inflation suffisante.

Mais c’est bien sûr le caractère périlleux de cet aboutissement : siles autorités monétaires européennes mettaient fin prématurément àcette création monétaire, il en résulterait un choc déflationniste lié à

une augmentation immédiate des taux d’intérêt, que nos États endettésne peuvent incidemment pas se permettre. Mais si un assouplissementquantitatif permanent s’installait, il en résulterait une hausse d’infla-tion, qui, elle aussi, entraînerait une augmentation des taux d’intérêt,certes absorbable par les États qui pourront continuer à utiliser lesservices de réescompte des banques centrales au rythme de l’émis-sion de leurs propres emprunts. Le scénario idéal serait que les taux

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d’intérêt européens restent bas malgré une poussée d’inflation et que

l’assouplissement quantitatif se prolonge de manière décroissante enfonction de la reprise de la croissance. C’est sans doute le cheminemprunté par les États-Unis. Il reste à espérer que l’Europe puisse lesuivre avec quelques années de retard.

Décembre 2015

D’une dévaluation chinoise à une déflation

européenne ?

La chute de la devise chinoise est un événement économique impor-tant. La Chine ne pouvait pas soutenir son rythme de croissance. Elledévalue donc sa devise pour s’octroyer un avantage concurrentiel àl’exportation. Aux États-Unis, cela va constituer un argument décisifpour reporter une hausse des taux d’intérêt qui entrainerait un ren-chérissement du dollar. Mais les conséquences ne seront pas anodinespour la zone euro, déjà confrontée à un contexte déflationniste que laBCE tente de combattre par une politique monétaire très accommo-

dante (création monétaire et taux d’intérêt très bas). Cette politique devraêtre maintenue, voire amplifiée, afin d’éviter que l’euro redevienne unemonnaie trop forte. Cela suscitera un vif débat politique car les paysdu Nord européen s’accommodent mieux d’une monnaie forte que lespays du Sud. Mais une chose est certaine : si une rafale de dévaluationsconcurrentielles est tirée, la BCE devra suivre, sauf à prendre le risquede conforter le contexte déflationniste que la BCE a trop longtemps nié.

 Août 2015

Le dollar ? En dépréciation structurelle

Depuis l’abandon des accords de Bretton Woods en 1971, quireliaient le cours de change des principales devises au travers d’unefixité de parité par rapport à l’or, le dollar américain est une monnaie

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 structurellement dévaluationiste (à l’exception de deux épisodes au

milieu des années 1980 et au début des années 2000). Comme les États-Unis possèdent l’incontestable monnaie de réserve, ils peuvent exporterleur inflation.

Aujourd’hui, le cours de change effectif du dollar s’est apprécié. Cettesituation résulte d’une combinaison de facteurs : reprise économiqueet de la croissance américaine, stagnation déflationniste de la zone euroassociée à un assouplissement quantitatif sans précédent, dépréciationmassive du yen et modérée de la devise chinoise, etc.

Cette appréciation du dollar est une préoccupation pour les autorités

américaines qui craignent que cela ne pénalise leurs exportations aubénéfice d’autres pays qui sont leurs contreparties commerciales. C’estla raison essentielle pour laquelle les États-Unis repoussent une augmen-tation des taux d’intérêt, qui pourrait altérer leur croissance et affecternégativement les économies émergentes qui verraient les capitaux quiy sont investis refluer vers les États-Unis. Cette hausse de taux auraprobablement lieu cette année, mais elle sera homéopathique.

Nous sommes entrés dans une guerre des monnaies. Le premier paysqui s’en extrait est le perdant. Les États-Unis ne capituleront donc pasfacilement.

Septembre 2015

Un dollar en suspension ?

Depuis le sabordage des accords de Bretton Woods, le dollar est unedevise structurellement en dépréciation. C’est la monnaie de réserve : unaffaiblissement du dollar permet aux États-Unis d’exporter leur inflation.

Depuis 1967, le cours de change effectif du dollar baisse d’environ 0,5 %par an. C’est énorme.

Aujourd’hui, les États-Unis ont apparemment surmonté la crise (touten aggravant néanmoins les inégalités sociales). Certains plaident doncpour une normalisation de la politique monétaire mais, fondamentale-ment, les États-Unis n’y sont pas favorables, alors que la planche à billetstourne dans le monde entier jusqu’à en devenir rouge vif.

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Il est donc peu probable que le resserrement monétaire américain soit

spectaculaire, d’autant que cela risquerait de déclencher des retraits decapitaux en provenance des pays émergents alors que ces derniers sontdéjà affectés par la chute du prix des matières premières.

Octobre 2015

La situation monétaire ne peut être que temporaire

Depuis des siècles – si ce n’est fugacement après les guerres –, lestaux d’intérêt n’ont été si faibles. Au même moment, les dettes publiquess’élèvent au rythme de l’impression monétaire, qui gagne tous les paysdéveloppés. Partout, la monnaie se crée, partout les dettes publiquesenflent et partout, la tendance déflationniste semble persistante.

Nous devons changer de grille de lecture économique. L’étalon n’estplus celui des années 1970 et 1980. Aujourd’hui, l’État est plus présentque jamais et commence à utiliser la presse à billets pour tenter desolder les gigantesques engagements qu’il a pris sur la base de postulatsdémographiques et économiques devenus caducs.

En bonne logique, la situation doit être temporaire : il est inconce- vable qu’une impression monétaire d’envergure historique ne conduisepas à une étincelle d’inflation. Il est peu probable – sauf à envisager unerépression financière digne de l’après-guerre –, que des États trop endet-tés ne doivent pas s’acquitter de taux d’intérêt plus élevés, eux-mêmesinflatés par des perspectives d’inflation accrue.

Septembre 2015

Une baignoire de mousse avec un grammede savon ?

Depuis des mois, la presse anglo-saxonne s’émeut de la possibledécision de la FED d’augmenter les taux d’intérêt à court terme… d’unquart de pourcent.

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Cette éventuelle augmentation signifierait que les États-Unis consi-

dèrent que leur économie est en voie de normalisation. Il s’en suivraitune légère appréciation du dollar et un reflux des capitaux actuellementinvestis dans les marchés émergents au profit des États-Unis.

Mais ne fait-on pas une baignoire de mousse avec un gramme desavon ?

Selon le site Zerohedge, au cours des 110 derniers mois, les banquescentrales des pays développés ont baissé leurs taux directeurs 697 fois,ramené leurs taux d’intérêt à zéro et acheté des actifs pour 15.000 mil-liards de dollars, soit près de 20 % du PIB mondial.

Face au gigantisme de cette évolution, je crois que l’éventuelle aug-mentation des taux d’intérêt américains n’est pas le problème.

En effet, toute la morphologie de l’économie monétaire est modifiée.

Les banques centrales avaient un rôle résiduel dans la gestion del’économie. Aujourd’hui, elles fournissent la liquidité et sont chargées demonétiser des dettes privées et publiques, c’est-à-dire de les transformeren monnaie créée ex nihilo.

Au mieux, comme aux États-Unis, la croissance permettra aux circuitsfinanciers de fonctionner normalement, et les rachats d’actifs par la FEDse dilueront dans une croissance retrouvée. Au pire, comme en Europe,la croissance de l’endettement public dans un contexte déflationnisteconduira la BCE à financer l’État-providence.

Dans les deux cas, les banques centrales contribuent à annihilerl’endettement en rendant la monnaie plus abondante, et donc moinschère et dévoyée.

Il en résulte une inconnue : quand l’inflation va-t-elle à nouveau semanifester ?

C’est à ce moment que la fin de la crise sera signalée.

Le reste n’est que distractions.

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La Suisse et le « plan de Chicago »

pour nationaliser la monnaie

La Suisse votera cette année au sujet d’une matière étonnante.

Il s’agirait, si cette votation aboutit (ce qui est improbable), d’ôterdes banques privées la création monétaire. Il s’agit d’une vieille idéeque l’économiste Fisher avait imaginée dans les années 1930 sous lasymbolique du « plan de Chicago ».

C’est une proposition très étrange qui se résumerait, selon ma lec-ture, à exiger que tous les dépôts bancaires suisses soient inscrits au

bilan de la Banque centrale suisse, soit la Banque nationale suisse (ouBNS), à charge, pour cette dernière, de prêter ces dépôts aux banquescommerciales.

Les banques commerciales ne pourraient donc pas prêter plus queles dépôts reçus, ce qui s’assimilerait à une étatisation bancaire.

Ce plan séparerait la fonction monétaire des banques de leur fonc-tion de crédit.

Pourquoi envisager cette démarche singulière ? Les avantages théo-riques semblent être un meilleur contrôle des phases de crédit et unebaisse du crédit privé, un renforcement de la stabilité financière parl’évitement des bank runs et autres paniques, une annulation des dettespubliques détenues par les banques commerciales en contrepartie de leurdette vis-à-vis de la banque centrale et un contrôle étatique de l’inflation.

À moins que je ne sois complètement dans l’erreur et qu’une subtilitém’ait échappé, la seule manière d’éviter que des banques commercialescréent de la monnaie est… de les fondre en une seule banque, c’est-à-dire de juxtaposer les banques commerciales sur la banque centrale.

En effet, contrairement à une opinion largement répandue, ce ne sontpas les banques centrales qui créent la monnaie, mais bien les banques

commerciales. Bien sûr, la monnaie n’est pas un phénomène spontanéet il faut l’amorce des banques centrales. Ces dernières fournissent uneindication en matière de taux d’intérêt et permettent aux banques com-merciales de se refinancer auprès d’elles, raison pour laquelle elles sontqualifiées de « prêteurs en dernier ressort ».

Les banques centrales créent donc de la monnaie, mais uniquement àtitre supplétif. D’ailleurs, la création monétaire de ces banques est infime

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par rapport à celle des banques commerciales. Cette monnaie s’appelle

la monnaie de base.La création monétaire des banques commerciales fonctionne grâce à

ce que les économistes qualifient de « multiplicateur des crédits » ou dece que les Anglais désignent par l’adage « loans make deposits ». L’octroid’un prêt exige de récolter un dépôt. Ce même prêt suscitera d’autresdépôts qui entraîneront de nouveaux octrois de prêts, etc. En d’autrestermes, les banques privées créent la monnaie qui s’assimile à un flux.On parle alors de monnaie scripturale. Leur rôle consiste d’ailleurs, demanière contre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie quileur est confiée. La monnaie dépend de la variation de la thésaurisation/

déthésaurisation des banques privées, et elle est créée par l’accélération duflux. En d’autres termes, les banques commerciales sont des entreprisesqui fabriquent elles-mêmes leur matière première.

Cette multiplication des opérations de crédit crée un flux monétaireinstantané dont la vitesse peut augmenter ou ralentir en fonction dedifférentes exigences réglementaires.

Si la Suisse adoptait cette option, les banques en seraient réduites àun simple rôle d’intermédiation. Seule la monnaie de base, créée à ladiscrétion de la BNS, pourrait être utilisée. Mais c’est à ce niveau que je

ne vois pas clairement comment la BNS pourrait créer de la monnaie debase ex nihilo, sauf à réescompter des dettes publiques ou d’autres actifs.Un « plan de Chicago » suisse serait incidemment impossible à mettreen œuvre dans une économie globalisée. Ce serait un retour illusoire àce qu’appelait Keynes une « économie de Robinson Crusoé ».

Incidemment, aujourd’hui, nous sommes en déflation. La demande decrédit est extrêmement faible. Les prêts ne suscitent pas d’exigences dedépôts, d’autant que ces derniers s’accumulent dans les banques, mêmeau prix d’une rémunération dérisoire. L’adage « loans make deposits »n’est plus vérifié. On devrait plutôt écrire « deposits do not make loans ».

La pompe bancaire refoule. C’est un indice de récession et de déflation.Et c’est aussi l’illustration du fait que l’apport de liquidités à l’économieest une condition nécessaire, mais insuffisante pour une reprise qui estdésormais celle de la demande.

C’est pour cette raison qu’il me semblerait plus intelligent de stimulerla création de monnaie scripturale par les banques commerciales plutôtque de nationaliser la monnaie, tel que c’est envisagé en Suisse.

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Euro et Banque centraleeuropéenne

2016 : une année monétaire décisive

En Europe, l’année 2015 aura été le témoin d’un basculement moné-taire sans précédent. Et pourtant, ce n’est que le début d’une révolu-

tion financière. En effet, l’euro, monnaie encore adolescente à l’aune del’histoire numismatique, vient de subir un gigantesque assouplissementquantitatif. Après la crise grecque, qui dévoila le risque du sabordagemonétaire, la BCE doit désormais purger l’excédent de dettes publiquespar un réescompte de ces dernières. Il s’agit, entre autres, de créer de lamonnaie pour éviter que ces dettes publiques en croissance n’assèchentl’épargne européenne. Cette approche monétaire aurait été impensableau moment de la création de l’euro, alors qu’Helmut Kohl avait promisque l’abandon du Deutsche Mark se ferait dans une discipline allemande,c’est-à-dire dans le respect d’une monnaie désinflatée et forte. Malheu-

reusement, la réalité a rattrapé les faucons monétaires : les politiquesbudgétaires ont contribué à contracter l’économie jusqu’à frôler en per-manence la déflation que la BCE tente de combattre désormais. À cetégard, la différence avec les États-Unis est flagrante : retenant les leçonsde 1929, ce pays s’est engagé dans des politiques monétaires extrême-ment laxistes qui ont contribué à redresser rapidement cette économie,désormais en plein-emploi.

Le problème de la zone euro est consubstantiel à la formulation del’euro lui-même. Si tant est qu’un euro regroupant les pays du Nordeuropéen fut robuste, il était hasardeux de s’engager dans un projet

politique géographiquement trop vaste et aux fondements économiquesinexistants. Le défaut originel de l’euro est donc d’avoir découlé d’unedécision institutionnelle plutôt que d’une adhésion monétaire naturelleauxquelles des économies convergentes souhaitaient s’associer.

Les fragilités de conception de la monnaie unique apparaissentaujourd’hui avec une évidence cinglante : la zone monétaire est tropétendue et ses économies dissemblables, les fondements budgétaires et

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fiscaux sont absents tandis que les dettes publiques, trop importantes,

n’ont pas fait l’objet d’une minime mutualisation (à savoir des euro-bonds), sauf désormais au travers du rachat d’obligations publiques parla BCE. Dans un ouvrage récent, l’ancien Ministre des Finances PhilippeMaystadt le reconnaît lui-même.

Mais, au-delà de ces vices de conception, nous devons assurer, à toutprix, la cohésion de notre monnaie. Un retour en arrière serait catas-trophique. ardivement, la BCE s’est donc engagée dans des mesuresmonétaires non conventionnelles (qualifiées d’assouplissement quanti-tatif) qui consistent à acheter des obligations souveraines pour un mon-tant global de 60 milliards d’euros jusqu’en mars 2017. Les statuts dela BCE interdisent de financer directement des États, ce qui l’amèneraità en devenir le comptoir d’escompte, mais, en réalité, les obligationssouveraines concernées ne transitent que fugacement dans des bilansbancaires avant d’être achetées par la BCE. Parallèlement à ces mesures,la BCE impose un taux d’intérêt négatif (de moins 0,30 %) sur les dépôtsbancaires qui lui sont confiés afin de décourager que la monnaie crééealimente la thésaurisation au passif de son propre bilan.

Les mesures prises par la BCE ont donc permis de fluidifier les cir-cuits monétaires. Pourtant, elles restent temporairement sans effet sur

la croissance, et ce pour trois raisons.out d’abord, le réescompte d’obligations d’État ne crée aucune

croissance puisqu’il s’agit de soulager les taux d’intérêt souverains etd’éviter l’assèchement de l’épargne domestique. On ne voit donc paspourquoi refinancer un État qui n’a pas de plans d’investissements pro-ductifs conduirait à tracter la croissance. L’excédent de dettes publiques,elles-mêmes en croissance, sera partiellement transformé en offre demonnaie. La création monétaire sera donc alimentée par l’endettementpublic. Dans l’hypothèse où l’assouplissement monétaire serait amplifiéau-delà de 2017, le bilan de la BCE croîtra au rythme du refinancement

des États eux-mêmes. Le pire serait évidemment que l’économie euro-péenne ne reprenne pas et que les dettes publiques continuent inexora-blement à s’élever en proportion du PIB (ce qui est mon scénario avecl’embrasement du coût des pensions). La BCE serait alors sollicitée demanière inéluctable pour refinancer des États, incapable d’en assurer lefinancement auprès des institutions financières locales ou étrangères. Lerisque d’insolvabilité des États migrerait alors vers la BCE dont le bilan

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EURO ET BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE

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servirait à consolider une part croissante de l’endettement public. Ce

serait évidemment un pas vers une étatisation insidieuse des banquescommerciales dont le contrôle prudentiel a d’ailleurs été transféré à laBCE. On remarque d’ailleurs que l’interdépendance de la gestion desÉtats, des banques commerciales et de la BCE s’est accrue dans desproportions qui auraient été inconcevables, il y a quelques années.

Ensuite, la création monétaire reste momentanément coagulée dansles bilans bancaires sans transmission suffisamment rapide à l’économieréelle sous forme de crédits. En effet, l’économie souffre d’une crisede la demande : la consommation et l’investissement sont insuffisantspour tracter la demande de crédits alors que des facteurs objectifs sontfavorables (un euro plus faible, des produits pétroliers moins onéreux,des taux d’intérêt bas, etc.).

Enfin, l’assouplissement quantitatif européen est, par nature, moinsefficace que celui qui fut mis en œuvre par la FED, car, aux États-Unis,le financement des autorités publiques et des entreprises s’effectue direc-tement au travers des marchés financiers, sans passer par les bilans ban-caires. La transmission d’un assouplissement à l’économie réelle y estdonc plus rapide et efficace.

L’action de la BCE est fondée et légitime. Elle est néanmoins aux

antipodes de la conviction allemande qui repose sur le financement del’endettement public par de l’épargne déjà constituée, et non pas autravers de la création de monnaie. C’est incidemment à ce niveau que sesitue le cœur de la crise de la zone euro, à savoir le manque de consen-sus sur les modalités de la politique monétaire entre les pays dont lesdevises ont été unifiées. On distingue, au niveau européen, deux courantsde pensée. Pour certains, une politique d’inflation minimale devient unobjectif de référence, avec son corollaire de politique léthargique, voiredéflationniste, caractérisée par un chômage élevé. Pour d’autres, l’infla-tion ne devrait pas être un obstacle tant qu’elle n’atteint pas des niveaux

inquiétants.Mais, pour les marchés financiers, la véritable question de l’année

2016 résidera dans l’anticipation des mesures de la BCE. En effet, si uneconviction de taux d’intérêt bas peut être légitimement justifiée par uncontexte économique morose et déflationniste, la nécessité d’affaiblirl’euro sur les marchés financiers et l’impossibilité, pour les États euro-péens, de soutenir des taux d’intérêt plus élevés sur leurs dettes publiques,

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il est incontestable que l’assouplissement quantitatif de la BCE ne sera

pas perpétuel (sauf à s’engager dans la voie de l’hyperinflation). À uncertain moment, qui reste à définir, le rythme de la croissance monétairese ralentira. Cette étape coïncidera avec une normalisation légitime dela politique monétaire. La BCE y sera évidemment attentive, mais celan’escamotera pas une confrontation d’anticipations. Et ceci ramène àune réalité singulière : les marchés relèvent désormais plus de l’économiepublique (c’est-à-dire de ma BCE ou de la FED) que d’une économietraditionnelle.

L’autre question concerne l’adhésion de certains pays du Nord à lapolitique de la BCE. Les dernières semaines ont révélé des dissensionsentre les États membres dans la gestion de l’assouplissement quanti-tatif. Même si l’Allemagne est le grand bénéficiaire de l’euro grâce àune monnaie affaiblie à l’exportation, la stabilité monétaire relève, dansce pays, de l’ordre du sacré, voire du divin luthérien. Et la crainte del’Allemagne, c’est que la BCE ne soit plus la gardienne de la monnaiemais bien la responsable du financement des dettes publiques. Cettesituation serait inacceptable pour l’Allemagne qui mettrait son véto àune politique monétaire de plus en plus accommodante. Cette situationsignifierait inéluctablement une rupture d’adhésion de certains pays du

nord à la monnaie unique. L’optimisme des marchés repose donc, in fine,sur la cohérence politique qui présidera à la gestion de la BCE. En 2016,l’euro va donc passer un test ultime de crédibilité : celui du consensuspolitique au sein de la BCE.

 Janvier 2016 

Une réflexion sur l’euro

La crise grecque a révélé la difficulté des gouvernements de la zoneeuro à résoudre un problème souverain, mineur par son envergure maismajeur par sa symbolique.

Une modification de gouvernance est indispensable dans la zone euro :nous ne pourrons pas perpétuer un système de change fixe qui recouvreprès de vingt nations différentes sans assises politiques, budgétaires et

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fiscales solides, sans capacité d’endettement public commune et sans

différentiation des politiques budgétaires des États membres.L’euro est une décision politique, et elle est louable.

Mais les paramètres économiques n’ont pas suivi.

En effet, la pérennité de la monnaie unique fut postulée sur une flui-dité totale des facteurs de production, c’est-à-dire le travail et le capital.Le capital devait s’investir dans les pays faibles de la zone euro tandisque le travail devait migrer dans les pays forts, sous la coupole d’unepolitique industrielle cohérente.

Ce mouvement est inabouti et la rupture entre le Nord et le Sud de

la zone euro reste profonde : le Nord de la zone euro (et cela se résumeessentiellement à l’Allemagne) présente un surplus commercial (c’est-à-dire qu’il exporte plus qu’il n’importe) et fonde insuffisamment sa crois-sance sur la consommation interne tandis qu’on expurge les économiesdu Sud de la zone par des dévaluations internes.

Sans modification de gouvernance endéans les cinq à dix prochainesannées, plusieurs pays du Sud auront succombé sous une monnaie tropforte, tandis que l’Allemagne aura bénéficié d’une capacité exportatriceexcessive au détriment de sa consommation intérieure.

Cette réflexion sur l’euro doit aussi tenir compte du véritable pro-blème qui affecte les économies européennes, à savoir l’endettementpublic existant et futur (c’est-à-dire le déficit de financement constituépour les pensions et les soins de santé des personnes âgées). Sauf à croireque cet endettement peut être autoritairement financé par l’épargnedomestique ou par la création monétaire, il devra l’être partiellementpar des créanciers étrangers. Ceux-ci nous financeront si l’euro resteune devise crédible. Ne fut-ce que pour cette raison, il faut réfléchir àla formulation de la politique monétaire et budgétaire européenne baséesur la solidarité.

Il est impossible de conserver une coupole monétaire fédérale avecdes politiques fiscales et budgétaires qui restent domestiques, c’est-à-direconfédérales.

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Un faux calme avant une vraie tempête ?

Au risque d’entretenir un propos qui s’assimile à de l’obstination,chaque jour me conforte dans l’idée que l’euro souffre de vices de concep-tion irrémédiables et qu’une autre géométrie politique doit être imaginéepour assurer la stabilité institutionnelle de cette monnaie. Car, ne nousleurrons pas : la convergence des taux d’intérêt et l’apparent alignementdes économies des pays de la zone euro n’est que le produit éphémèrede l’action de la BCE. Dès que les forces du marché se déchaîneront ouque la BCE sera confrontée à l’inaboutissement de son action, les forcesbudgétaires et monétaires centrifuges se manifesteront très violemment.

Le défaut originel de l’euro est d’avoir découlé d’une décision poli-tique plutôt que d’une adhésion monétaire naturelle auxquelles des éco-nomies convergentes souhaitaient s’associer. Projet utopiste, l’euro fut leprix payé par l’Allemagne pour sa réunification géographique. Sa sou-

 veraineté monétaire fut donc troquée contre sa souveraineté territorialesous l’impulsion des anciennes puissances alliées qui craignaient unegravitation économique allemande trop puissante. Arracher un symbolemonétaire, qui est l’expression ultime de l’État au sens d’Hegel, n’est pasun acte anodin. Je crois qu’on peut affirmer que l’euro était la dernière

clause, écrite à l’encre sympathique, des accords de Yalta.Cette décision politique fut cristallisée dans le Traité de Maastrichtqui s’essaya à des normes d’économies convergentes sans mettre enplace d’union politique, fiscale et budgétaire et encore moins une poli-tique industrielle, qui a incidemment échoué dans tous les domaines,des télécommunications à l’énergie. On comprend d’ailleurs aisémentque l’euro est intrinsèquement inadapté à des économies asynchroneset indépendantes les unes des autres.

Le choc de 2008 révéla l’ampleur du désastre des erreurs de fabrica-tions de l’euro qui devint rapidement une monnaie unique plutôt que

commune. Les tensions nationales prirent immédiatement le pas sur uneréponse harmonisée à la crise souveraine tandis que la BCE s’enferradans une succession d’erreurs impardonnables. Il y eut la période de laprésidence de Jean-Claude Trichet qui était frappé par la hantise d’uneinflation ectoplasmique tandis que Mario Draghi perdit deux ans avantde réaliser la pente de la déflation dans laquelle toute l’économie euro-péenne glissait.

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Aujourd’hui, la BCE a décidé de refinancer l’économie européenne

par un assouplissement quantitatif. C’est une démarche intelligente,« hygiéniquement » indispensable, mais tardive. Son échec (que je n’es-père pas) sera peut-être la conséquence du délai avec lequel elle a étémise en œuvre. L’économie européenne est affectée de taux d’intérêtproches de zéro sur des durées très longues : la BCE achètera donc desactifs au plus haut prix à des vendeurs qui n’auront pas d’affectationimmédiate pour les sommes reçues de la BCE. Il en résultera une baissede taux d’intérêt prolongée avant d’espérer l’inflation que, dès le débutde la crise, la BCE aurait dû accueillir comme une solution organique àl’excès d’endettement public. Ce dernier est incidemment un problème

consubstantiel à la gestion monétaire : les dettes publiques et la monnaiesont deux expressions régaliennes.

Il reste donc quelques trimestres pour démonter l’euro. Cela passerapar une hypothétique refonte de la gouvernance européenne, l’espoirdu succès de l’action tardive de la BCE et l’expectative d’une reprise dela demande, qui devra immanquablement être alimentée par le secteurpublic.

 Avril 2015

L’étrange alchimie monétaire de la BCE

La problématique de la zone euro réside dans l’ambiguïté suivante :pour sauver l’euro, la BCE dut, dans un premier temps, faire de l’euroune monnaie trop forte afin d’en assurer la crédibilité internationale, auprix d’un désastre socio-économique et d’un taux de chômage effarantqui embrasa le Sud de l’Europe. ous les pays du Sud s’effondrèrent donc

devant cette monnaie trop forte, qui ne reflétait en rien leur typologie.La BCE aligna donc sa politique monétaire sur celle du Deutsche

Mark afin de lui en adosser les attributs, c’est-à-dire ceux d’une écono-mie exportatrice qui est capable de surmonter la force de sa monnaiepar des gains de productivité encore plus importants. Malheureuse-ment, une monnaie trop forte entraîne un phénomène récessionnaireet déflationniste qui conduisit finalement la BCE à déposer les armes de

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la contraction monétaire et à mettre en œuvre un immense programme

de création monétaire (ou assouplissement quantitatif).Depuis les années 1970, les banques centrales ne peuvent plus escomp-

ter directement des dettes émises par des États, car cela s’assimile à unemonétisation de la dette, constituant elle-même le prélude à l’inflation,

 voire à l’hyperinflation. C’est intuitif : si l’État émet un papier qu’il qua-lifie d’obligation et que ce même papier se transforme immédiatementen billets émis par une banque centrale, le pouvoir d’achat unitaire dechaque billet diminue, ce qui reflète l’inflation. Cette pratique est biensûr interdite par le fonctionnement de la BCE, mais l’interdiction estdésormais contournée. Il suffit qu’une obligation souveraine soit « miseen pension » quelques jours auprès d’une banque commerciale pourqu’elle soit éligible à un réescompte auprès de la BCE.

Mais il se passe un phénomène inouï sur les marchés financiers !Malgré cet assouplissement quantitatif, les taux d’intérêt sont plus hautsqu’il y a six mois, c’est-à-dire avant la mise en place. Ce programme avaitpour objectif de faire baisser les taux d’intérêt… alors qu’ils remontentdésormais.

Est-ce le signe d’une réussite ou d’un échec complet de la gestionmonétaire de la BCE ?

On peut voir cette hausse de taux d’intérêt comme le résultat de lacréation monétaire elle-même. Sous cet angle, les marchés avaliseraientle bien-fondé de l’assouplissement quantitatif de la BCE en exprimantdes anticipations de croissance et d’inflation qui se reflètent dans lestaux d’intérêt.

Mais je reste extrêmement prudent : si les marchés sont affectés decyclothymie, il est peu probable qu’ils migrent, en quelques semaines,sur la base d’effets d’annonces incertains, d’une réalité déflationniste àune anticipation d’inflation. Une robuste « ré-inflation » ou « réflation »

de nos économies reste donc à démontrer. Au reste, si des anticipationsd’inflation se concrétisaient, on pourrait alors s’inquiéter du fait que lacréation monétaire de la BCE accélère cette perspective d’inflation etqu’elle ne soit donc plus nécessaire.

Inversement, il semble que ce soit l’assouplissement quantitatif dela BCE lui-même qui soit à l’origine de la hausse des taux d’intérêt. Eneffet, la BCE exerce une telle oppression à l’achat d’obligations publiques

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que la liquidité obligataire baisse en entraînant une hausse des taux

d’intérêt. Ce phénomène reste confus mais l’assouplissement quantitatifse bornerait alors à déplacer des actifs tout en augmentant les frictionset les distorsions sur les marchés.

Les adeptes de cette lecture de la hausse des taux d’intérêt plaidentd’ailleurs pour un QExit, c’est-à-dire un arrêt prématuré de cet assouplis-sement quantitatif, qualifié de « Quantitative Easing  » aux États-Unis, soitl’acronyme « QE », lui-même transformé en « QE Exit », soit « QExit »sous une forme contractée. Pourtant, un arrêt prématuré du QE entraîne-rait lui-même une hausse des taux d’intérêt. Les taux d’intérêt pourraient

brusquement se tendre.Une chose reste certaine : si le stock de monnaie est accru par laBCE, le flux monétaire qui transite par les circuits bancaires reste vis-queux, reflétant un manque de la demande. Il fallait augmenter l’offrede monnaie, mais c’est l’augmentation de la demande de biens et deservices qui nous extraira de la crise.

Sous l’angle budgétaire, l’Union européenne s’inscrivit dans unemême logique restrictive que la BCE, imposant, sous l’impulsion alle-mande et ses relais de la Commission Barroso, un pacte de stabilité etde croissance destiné à expurger les déficits et les dettes publiques. Ceplan est une erreur circonstancielle. Nonobstant le fait que la réalitécontredira son postulat et que les forces démocratiques le réfuteront,c’est une erreur de contracter le rôle de l’État en période de récession.Bien sûr, il s’en trouvera pour affirmer que la faiblesse de l’économieest un moment de vulnérabilité appropriée pour affaiblir les forcesproductives, mais ceux-là sont peu imprégnés des réalités sociales etsurtout de l’idéal collectif.

En résumé, nous entrons dans un monde monétaire inconnu. La BCEs’est engagée dans une gigantesque création monétaire destinée à ré-infla-

ter l’économie et à faire baisser les taux d’intérêt. Malheureusement, cesderniers remontent, ce qui place la BCE dans un dilemme schizophré-nique : si cette institution poursuit le rythme de son programme d’achatd’obligations, elle risque de faire monter les taux d’intérêt. Inversement,si elle y met fin prématurément, elle poussera aussi les taux d’intérêt à lahausse. Or, dans les deux cas, des taux d’intérêt relevés contrarieront lareprise économique. Les taux d’intérêt monteront de toute manière, au

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plus tard à l’automne 2016, lorsque l’assouplissement quantitatif arrivera

à son terme.En fait, l’action de la BCE fut tardive et est probablement excessive.

La BCE a dû agir de manière massive pour gommer sa propre erreurde ne pas avoir correctement établi le diagnostic de déflation. Au lieud’augmenter la masse monétaire de 60 milliards sur 18 mois, il eut fallule faire pour 30 milliards par mois depuis deux ans. L’autre volet degestion de la crise concerne la rigueur budgétaire, qui est incompatibleavec une modeste reprise économique. Il faudrait surseoir à l’applicationdu pacte de stabilité et de croissance pendant quelques années. Celarelève d’un débat politique.

 Mai 2015

Un bâtiment en feu sans sortie de secours ?

En 1998, William Hague, un conservateur anglais qui fut Secrétaired’État sous le précédent gouvernement Cameron qualifia l’euro de « bâti-

ment en feu sans sorties de secours », tel que rappelé cette semaine parTe Economist .

Il qualifia même la monnaie unique de « monument historique dela folie collective ».

Il n’avait sans doute pas tort, puisqu’il s’agit de regrouper des éco-nomies dissemblables et asymétriques sous une monnaie commune sanspossibilité de sortie ordonnée, ainsi que la Grèce l’illustre.

La monnaie unique traverse aujourd’hui une crise de légitimité etde démocratie.

La crise, aggravée par des mesures d’austérité excessives, a exercé uneffet de poulie sur les forces sociales, qui sont elles-mêmes écarteléesentre leur réalité et leur expression monétaire.

Il faut donc trouver une solution structurelle pour assurer la solidaritébudgétaire et fiscale des pays de la zone euro, parce que l’économie n’estpas suffisamment autorégulatrice que pour assurer des bases cohérentesà l’euro.

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Ou bien il faut admettre que Marx avait raison, quand il disait que

la monnaie était un capital fictif, se limitant à représenter une certaineconfiguration sociale.

Mais alors, la seule sortie de l’euro, c’est la révolution.

Et là, c’est autre chose…

 Juillet 2015

L’édifiant constat de l’ancien Président de la FEDBen Bernanke, l’ancien Président de la FED, a émis une récente tri-

bune au sujet de l’euro.

Son constat est accablant : la zone euro souffre d’une croissance ané-mique, mais surtout mal partagée entre un Nord européen qui bénéficied’une monnaie trop faible et un Sud européen qui est accablé par unemonnaie trop forte.

Selon Ben Bernanke, le gagnant de l’euro est l’Allemagne qui tire

profit d’un avantage monétaire à l’exportation, tant au sein qu’à l’exté-rieur de la zone euro, alors qu’un Deutsche Mark aurait subi une forteappréciation qui aurait tempéré cet avantage concurrentiel.

L’euro pose donc un problème insoluble, conduisant certains paysdu Nord européen à accumuler des surplus commerciaux (c’est-à-direun excédent d’exportations sur les importations) liés, entre autres, aufait que la monnaie est trop faible pour eux, tandis que des pays du Sud,peu exportateurs, accumulent un déficit commercial structurel.

En bonne logique, il faudrait que les pays du Nord – et l’Allemagne aupremier chef – tirent leur croissance d’un déploiement de leur consom-mation intérieure plutôt que de l’exportation, tandis que les pays du Suden ont été réduits à subir une dévaluation interne, c’est-à-dire une aug-mentation de compétitivité par l’appauvrissement salarial, ce qui a entre-tenu une gigantesque récession assortie d’un chômage eschatologique.

Ben Bernanke suggère donc que le pacte de stabilité et de croissance,qui exige un retour à l’équilibre budgétaire et un désendettement public

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structurel, soit assorti de modalités différenciées selon la situation du

commerce extérieur de chaque pays de la zone euro.C’est une idée intelligente.

 Juillet 2015

La confusion des sentiments monétaires

Un comité de « sages économistes » allemands vient d’émettre unavis qui ne peut pas ne pas avoir reçu l’acquiescement du gouvernementde Berlin.

L’idée est simple : si un pays trop endetté ne peut pas être aux normesde l’euro, il doit quitter la zone monétaire. Il s’agit donc de renoncer àl’impossibilité institutionnelle de quitter la monnaie unique.

Les choses ont désormais le mérite d’être claires : la cohésion etl’homogénéité de la monnaie unique sont reléguées derrière des normesd’endettement public.

On est loin des utopistes euro-obligations et autres unions fiscales

et budgétaires. On est encore plus loin des mécanismes de subsidiaritéque la monnaie unique avait implicitement établis.

Faut-il blâmer ces économistes ?

Aucunement : ils confessent l’incongruité de l’euro.

Mais, en même temps, ils oublient que la cohésion politique, fondéesur la solidarité sociale, est le ciment qu’il faut préserver.

Si les fondateurs de l’euro, qui appartiennent à une époque définitive-ment révolue, ont fait une erreur de jugement sous l’angle de l’économieet de l’Histoire puisqu’ils ont créé une monnaie sans les mécanismes qui

en garantissaient la pérennité, ils nous ont entraînés dans une réalitéde solidarité croissante. C’est cette solidarité qui doit être maintenue.

Sans elle, ce serait un retour aux États-nations du XIXe siècle.

 Juillet 2015

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Euro : il faudra un aggiornamento 

La plupart des dirigeants européens sont désormais convaincus quel’euro ne subsistera pas sous sa forme actuelle.

La crise grecque a révélé les tortures politiques découlant de l’absenced’union budgétaire et fiscale. Pourtant, je reste très sceptique quant àune avancée majeure rapide en termes de mutualisation des financespubliques des différents États membres de la zone euro.

La raison de cette incrédulité est fondée sur les différences organiquesentre les économies européennes.

Celles-ci sont très différentes et probablement trop divergentes pourpouvoir envisager une quelconque union fiscale.

De surcroît, une union fiscale est infondée si elle n’est pas associéeà une union sociale ou parafiscale, rendue elle-même hypothétique parles différences caractérisant les systèmes sociaux, les dynamiques démo-graphiques, les politiques d’immigrations, etc.

L’erreur de jugement des concepteurs de l’euro est d’avoir naïvementcru que les paramètres sociaux et capitalistiques s’ajusteraient à unemonnaie qui serait elle-même la moyenne pondérée des forces relativesdes économies des États membres. Cela ne s’est évidemment pas passé,d’autant qu’une moyenne pondérée conduit, en termes monétaires, àfavoriser les pays forts et à accabler les pays faibles.

Mais il y a une autre erreur d’appréciation, plus fondamentale, qui aété commise : c’est celle de ne pas avoir fait converger les systèmes sociauxdomestiques, dont les réalités sont les soubassements d’une monnaie.

À la décharge de ces pères fondateurs, il n’était peut-être pas possibled’envisager des convergences avec des pays tellement différents que lesconstituants de l’euro.

Quel que soit l’angle d’approche, on en arrive à l’implacable constat que

l’euro ne survivra qu’à condition qu’un réel aggiornamento soit envisagé.Et je ne suis pas certain que la volonté politique soit présente pour

le concevoir.

Elle devrait pourtant nous interpeller.

 Juillet 2015

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Une sortie temporaire de la zone euro

n’a aucun sens

L’idée d’une sortie temporaire de la Grèce fut apparemment fugace-ment évoquée. Conceptuellement, l’idée repose sur des fondations incon-testables : cela permettrait de procéder à une dévaluation qui, une foisqu’elle est stabilisée, lui permettrait de rejoindre la zone euro. Mais à yréfléchir deux fois, l’idée est très complexe et s’apparente à une sortiedéfinitive de la zone euro précédant un éventuel (et hypothétique) retourdans la zone monétaire. ous les inconvénients d’un Grexit seraientassociés à un départ temporaire : confiscation et conversion forcée deseuros, contrôle des capitaux, inflation importée voire hyperinflation, etc.

De surcroît, il serait illusoire qu’une sortie de la zone euro ne s’accom-pagne pas d’un défaut puisque ce qui est intolérable, c’est justement ladette publique grecque. Imaginer son remboursement en euros alors quela Grèce décroche de cette même monnaie relève de la plus profondenaïveté.

Mais si une sortie temporaire a été évoquée, c’est l’illustration par-faite du fait que la Grèce n’aurait pas dû adopter l’euro. Au reste, lesprogrammes d’austérité qui lui ont été imposés au titre de « dévaluation

interne » (c’est-à-dire de réduction des coûts salariaux pour doper lesexportations par les prix plutôt que par une dévaluation monétaire) sesont avérés parfaitement inutiles : les exportations grecques n’ont pas crû.

La crise grecque rappelle sans cesse qu’une zone monétaire n’est opti-male que si elle regroupe des pays dont les économies sont juxtaposéeset similaires.

 Juillet 2015

De Bonn à Paris, de Paris à Berlin

À partir du moment où l’euro est une monnaie continentale, sa fon-dation repose sur un équilibre de forces contradictoires ressortissant à lanuit de l’Histoire. Car, si on exclut l’épisode communiste, toute l’Europeest fondée sur l’opposition entre, d’une part, la France et, d’autre part,

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l’Allemagne, auxquels il faut ajouter leurs pays satellites (la Belgique,

pays artificiel s’il en est, est plutôt dans le magnétisme germanique, àtout le moins au niveau de sa dynamique économique).

Cette opposition est ancestrale : elle confronte les empires aus-tro-hongrois et allemand au Royaume de France, prolongé par lesRépubliques, l’artisan à l’agriculteur, le réformé au catholique, Luther àLéon X, le Germain au Latin, etc. La France est centralisatrice tandis quel’Allemagne est un équilibre politique régional, hérité des nombreusesprincipautés qui la composaient.

L’Allemagne et la France sont d’ailleurs des ennemis historiques dontla paix est rendue compliquée par leur frontière commune. Au termede la guerre 40-45, les Américains avaient même imaginé de créer unpays-tampon entre la France et l’Allemagne, du nom de Wallonie, quise serait étendu du Pas-de-Calais à l’Alsace-Lorraine.

En deux siècles, ces deux pays se sont affrontés à de multiplesreprises : les guerres napoléoniennes, l’absurde attaque de Napoléon IIIqui s’échoua dans un désastre tel que l’Empire allemand fut signé auSalon des glaces de Versailles, la Première Guerre mondiale qui solidifiales frontières et la seconde qui détruisit et sépara l’Allemagne de manièretelle qu’elle dut abandonner sa souveraineté monétaire afin de recouvrer

sa souveraineté territoriale lors du basculement à l’euro. L’Alsace et laLorraine changèrent de camp et le mois de mai 68 s’embrasa à cause d’unAllemand, Cohn-Bendit, alors que de Gaulle s’éclipsa à Baden-Baden,en Allemagne, pour assurer son retour plébiscité.

Aujourd’hui, la force de l’Allemagne entretient sa dominance éco-nomique tandis que la France permet de conserver une monnaie plusfaible. Ces deux pays sont dans des dynamiques de fait complémentaires.Ils constituent même une dyarchie. Le futur de la monnaie unique seformulera entre Berlin et Paris, comme son avènement avait été négociéentre Paris et Bonn.

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Podemos et Syriza sont des enfants de l’euro

La création de l’euro fut une décision strictement politique. Il ne fautpas s’en étonner : l’assujettissement d’une population à une monnaierelève des privilèges régaliens. La monnaie doit d’ailleurs s’adosser à unegarantie de confiance que seul l’État peut fournir. Tout se passe commesi la monnaie était garantie par des unités « psychiques » de confiancesindividuelles en l’État qui, assemblées, en assurent la pérennité. La mon-naie est donc fondée sur l’adhésion collective.

Mais si la monnaie est un fait politique, encore faut-il qu’elle repose

sur des fondements économiques robustes. Or les économies sont toujoursasynchrones, c’est-à-dire qu’elles évoluent à des rythmes différents. Si cen’était pas le cas, il n’existerait d’ailleurs qu’une seule monnaie mondiale.La monnaie ne peut donc s’étendre géographiquement sur un certain péri-mètre qu’à l’unique condition que les zones couvertes subissent la mêmepulsation économique. Il existe donc une limite territoriale à une monnaiecommune. En d’autres termes, une monnaie ne peut couvrir des pays dif-férents que si des mécanismes permettent de résoudre des chocs asymé-triques, c’est-à-dire des événements négatifs qui affecteraient une partie desterritoires sans toucher les autres. À titre d’exemple, Jean-Luc Dehaene avait

lié le franc belge au florin hollandais et au Deutsche Mark allemand, sanscompter le Grand-Duché de Luxembourg, dans les années 1990 car c’étaientnos principaux partenaires économiques. Il n’avait jamais considéré d’autresnations. Inversement, rien ne dit qu’un franc wallon et flamand seraient àparité, eu égard aux dynamiques régionales différentes.

L’euro fut et reste un postulat de mobilité des facteurs de produc-tion. À partir du moment où des États sont contraints par une mon-naie unique, c’est aux facteurs de production « travail » et « capital », àsavoir aux hommes et à l’investissement, de se mouvoir vers les zonesd’emploi et de croissance. Or, c’est exactement l’inverse qui s’est passé :

l’emprise nationale des États sur le capital et le travail s’est resserrée.En ce qui concerne le marché du travail, les choses sont nettement plusgraves. L’Europe est menacée d’un chômage structurel, lié notamment aumanque d’intégration des jeunes, à l’absence de stimulations au recyclage,à l’hémorragie de l’emploi industriel, etc. Dans le domaine financier, ily a aussi eu un repli identitaire : les dettes publiques ont re-migré versleurs pays d’émission au détriment d’un marché intégré des capitaux.

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On en arrive donc à la faiblesse génétique de l’euro : la zone au sein

de laquelle cette monnaie s’est imposée est trop large et fut constituéetrop vite. L’euro aurait dû être limité à un nombre restreint de paysdont les économies sont imbriquées. L’euro n’aurait donc dû engloberque les pays du Nord de l’Europe et par « marcottage », c’est-à-dire parassimilation progressive, s’étendre aux économies du Sud, comme cefut le cas pour la Slovénie, Chypre et Malte, la Slovaquie, l’Estonie, laLettonie et la Lituanie. Préalablement à l’introduction de l’euro, les paysdu Nord européen avaient d’ailleurs assuré une stabilité de leurs coursde change, tandis que les pays du Sud européen avaient structurellementdévalué leurs monnaies. Dans les années 1990, ces pays avaient organisé

de gigantesques dévaluations en cascade pour entrer dans l’euro à uncours de change déprécié, reflétant les faiblesses de leurs économies.L’euro n’a évidemment pas escamoté ces dernières.

La crise de l’euro a d’ailleurs révélé une hétérogénéité croissante entreles pays qui ont adopté la monnaie unique. Auparavant, un pays endécrochage pouvait dévaluer sa monnaie et stimuler ses exportationsau prix d’une inflation importée. La dévaluation permettait de juxtapo-ser la monnaie à la faiblesse d’une économie. Mais aujourd’hui, l’outilde la dévaluation n’est plus accessible : seule la dévaluation interne est

possible, c’est-à-dire une baisse du pouvoir d’achat destinée à augmen-ter la compétitivité extérieure. Cette politique de rigueur et d’austérité,dont on reconnaît aujourd’hui l’inadéquation et l’effet destructeur, a faitbasculer les économies du Sud européen dans la récession en moins dedeux ans, alors qu’une dévaluation aurait pu les épargner. Ces politiquesd’alignements budgétaires ont conduit à un accroissement du chômageet à des inégalités qui peuvent se traduire dans des glissements sociaux,dont les élections grecques et espagnoles sont la parfaite illustration.Podemos et Syriza sont peut-être des enfants de l’euro.

Deux risques apparaissent donc sous-estimés. Le premier est d’ordre

monétaire. La monnaie unique a été adoptée sans que la zone euro soitpréparée à être un espace monétaire optimal, caractérisé par une harmo-nisation budgétaire et fiscale et une mobilité des travailleurs. Le secondrisque est de nature politique. L’euro n’est plus un projet socialementfédérateur et il est même source de ressentiments sociaux dans les paysdu Sud, dont la Grèce est la malheureuse illustration. En rigidifiant lamonnaie, on doit, en effet, accepter que d’autres paramètres deviennent

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mobiles. Il est donc théoriquement possible que l’euro se transforme

en un facteur de déstabilisation. Ce risque conduit à l’idée que si l’euroa cours légal, ce dernier n’est plus sociétal. La devise est unique, maisplus commune.

Mais ce qui est accompli est irréversible. Il n’est pas possible de reve-nir aux monnaies préalables. En même temps, il n’y a malheureusementaujourd’hui aucun désir actuel de poursuivre une intégration budgétaire,fiscale et financière qui déposséderait les États membres de leurs attributssouverains. Il y a donc un risque que l’euro entraîne des mouvementscentrifuges si cette monnaie n’est pas bâtie sur une plus grande solidaritéfinancière, qui relève elle-même de valeurs morales. Sans un sursautpolitique, l’euro est donc peut-être destiné à rester une devise inaboutieet orpheline d’un projet explicite.

Si la zone euro veut véritablement fonder une union monétaire, cettedernière doit être subordonnée à une fédéralisation budgétaire et fis-cale, comme aux États-Unis. Il faudra aussi admettre que la politique del’Union Européenne ne peut pas être homogène : il est insensé de sou-mettre tous les pays de la zone euro aux mêmes contraintes aveugles d’undésendettement structurel et d’un retour à l’équilibre budgétaire selon lepacte de stabilité et de croissance, alors que les économies du Nord et du

Sud montrent des dynamiques différentes. Il s’imposera aussi de mettre enœuvre une véritable intégration industrielle. Il conviendra également demodifier fondamentalement le fonctionnement de la BCE, dont la seulecontrainte de respect de l’inflation la résume à un institut monétaire aminima, loin de toute réalité d’intégration économique. On l’a constaté :la BCE n’est indépendante que dans la dépendance de certains pays. Cen’est pas acceptable : la BCE n’existe que par une adhésion démocratiquequi lui fait aujourd’hui défaut. Et même s’il faut se féliciter du fait que laBCE a finalement décidé de faire tourner la planche à billets, c’est qu’ellea eu tort d’exprimer, pendant deux ans, un déni de déflation lié à un euro

trop fort et une politique monétaire restrictive.Si la décision de créer l’euro fut une décision politique, et non éco-

nomique, il faut donc aller au bout des choses, c’est-à-dire assumer ladécision politique dans le sens d’une unité européenne. Le prix Nobeld’économie Milton Friedman avait prédit en 1997 que l’absence d’unitépolitique serait exacerbée par la création de la monnaie unique. Il n’avaitprobablement (et tristement) pas tort. En effet, la monnaie n’est plus,

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aujourd’hui, portée par un élan politique commun. Sans volonté affirmée

et sans politique monétaire reflétant une politique économique modu-laire, le signal de l’Histoire pourrait être la lente érosion d’une confianceen un projet européen qu’une monnaie seule ne peut assurer.

À l’aune de l’Histoire, l’Europe est une merveilleuse exception d’en-tente entre les peuples, et l’euro est une utopie devenue réalité. Mais laformulation actuelle de l’euro s’est limitée à créer un artifice monétairedépourvu de soubassements économiques robustes. Sans modification degouvernance, cet euro ne subsistera pas à long terme, sauf au prix d’unétouffement des pays faibles. Le véritable défi, c’est l’intégration euro-péenne et la modularité des politiques budgétaires et industrielles. Toutpeut être accompli avec l’assentiment des gouvernements qui choisiraientun élan communautaire. Du reste, Mario Draghi vient de lancer l’idéede réformes structurelles fondées sur un véritable marché des capitauxintégré, ce qui supposera, à terme, une mutualisation des dettes publiquesafin de converger vers une réelle fédéralisation européenne. Mais il fau-dra aussi des politiques budgétaires plus souples afin de respecter lescycles économiques différents. Ce serait alors l’euro 2.0, un euro de laseconde génération.

 Mai 2015

Le cauchemar de Mario Draghi

Alors que l’économie américaine a repris sa croissance et que la FEDenvisage une normalisation des taux d’intérêt, une rafale de statistiques etde prévisions émanant du FMI et de la BCE nous confronte à une incon-tournable réalité : l’économie ne reprend pas suffisamment vite. Certes,

les taux de croissance sont positifs, mais médiocres. Et l’indice principalde la reprise économique, à savoir l’anticipation des achats et des inves-tissements, c’est-à-dire le taux l’inflation, est revu à la baisse, malgré lesgigantesques injections de liquidités opérées en Europe par la BCE.

ardivement, la BCE s’est engagée dans des mesures monétairesnon conventionnelles (qualifiées d’assouplissement quantitatif) quiconsistent à acheter des obligations souveraines pour un montant global

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de 60 milliards d’euros jusqu’en septembre 2016. Les statuts de la BCE

interdisent de financer directement des États, ce qui l’amènerait à endevenir le comptoir d’escompte. Mais, en réalité, les obligations souve-raines concernées ne transitent que fugacement dans des bilans bancairesavant d’être achetées par la BCE. Parallèlement à ces mesures, la BCEimpose un taux d’intérêt négatif sur les dépôts bancaires qui lui sontconfiés afin de décourager la thésaurisation.

Pour comprendre ces mesures, il faut savoir que la monnaie est à lafois un stock et un flux. La BCE fournit un stock de monnaie, tandis queles banques commerciales créent un flux monétaire par la mécaniquedes dépôts et des crédits. Quand la vélocité de ce flux diminue, la BCEdoit la compenser par la création d’un stock de monnaie additionnel.

La BCE va devoir prolonger ou amplifier cette monumentale créationmonétaire. L’excédent de dettes publiques, elles-mêmes en croissance, serapartiellement transformé en offre de monnaie. La création monétaire seradonc alimentée par l’endettement public. Dans l’hypothèse probable oùl’assouplissement monétaire est amplifié, le bilan de la BCE croîtra aurythme du refinancement des États eux-mêmes.

C’est le contraire de la conviction allemande qui repose sur le finan-cement de l’endettement public par de l’épargne déjà constituée, et non

pas au travers de la création de monnaie. La logique allemande est quela création monétaire déprécie cette dernière et qu’il n’est pas cohérentd’altérer ce signe de confiance. C’est incidemment à ce niveau que sesitue le cœur de la crise de la zone euro, à savoir le manque de consen-sus sur les modalités de la politique monétaire entre les pays dont lesdevises ont été unifiées. On distingue, au niveau européen, deux courantsde pensée. Pour certains, une politique d’inflation minimale devient unobjectif de référence, avec son corollaire de politique léthargique, voiredéflationniste, caractérisée par un chômage élevé. Pour d’autres, l’infla-tion ne devrait pas être un obstacle tant qu’elle n’atteint pas des niveaux

inquiétants.Mais la véritable question est de savoir comment on s’extrait de cette

création monétaire : sans reprise d’une croissance vigoureuse, on nepeut aucunement imaginer un relâchement de l’assouplissement moné-taire. En d’autres termes, lorsque la BCE sera arrivée au terme de cetassouplissement quantitatif, il est peu probable qu’elle demande le rem-boursement des obligations souveraines qu’elle aura accumulées. Ces

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obligations seront remplacées par d’autres titres qui seront émis à ce

moment. Si on transpose l’opération américaine à l’Europe, ce refinan-cement permanent durera 5 ans, jusqu’en 2020.

Dans le cas inverse, il en découlerait une immédiate hausse des tauxd’intérêt. Or une hausse des taux d’intérêt contrarierait la croissance et,surtout, pénaliserait les finances publiques au travers de charges d’intérêtplus lourdes. C’est pour cette raison que l’aboutissement de l’assouplisse-ment quantitatif ne peut se concevoir qu’exclusivement dans un contexted’une hausse de la croissance et de l’inflation. Mais cette simultanéité detaux d’intérêt bas et d’inflation est hasardeuse car les taux d’intérêt, telsqu’établis par les marchés, incorporent une prime destinée à compenserl’inflation anticipée.

Il est donc plausible que les prochaines années soient caractériséespar une « répression financière », c’est-à-dire des mesures coercitivesdestinées à obliger les banques de détail et les entreprises d’assurances-

 vie à financer les États à un taux d’intérêt artificiellement bas. Au reste,c’est déjà le cas au travers de réglementations qui exonèrent les insti-tutions financières à couvrir la détention d’obligations souveraines pardes charges en capitaux actionnariaux (Bâle III, Solvency II). D’ailleurs,de manière cynique, on peut se demander si les États n’ont pas fait un

calcul en deux, voire trois temps, qui consiste à baisser les taux d’intérêtau plus bas, afin de refinancer leurs dettes à des conditions exorbitantestout en pouvant les escompter auprès des banques centrales, avant de voirl’inflation déprécier ces mêmes dettes et/ou permettre leur rachat à desconditions avantageuses, et d’appauvrir ses citoyens par un impôt infla-tionniste lancinant. Est-ce un scénario improbable ? Non, il ne faut pasl’exclure, d’un point de vue strictement théorique. Et lorsque l’inflationsurgira, elle causera un appauvrissement insidieux mais aussi un défi àsurmonter pour la population. Ce sera une sorte d’impôt implicite dontl’État pourra rejeter la responsabilité politique de la cause.

Le pire serait évidemment que l’économie européenne ne reprennepas et que les dettes publiques continuent inexorablement à s’élever enproportion du PIB. La BCE serait alors sollicitée de manière inéluctablepour refinancer des États, incapable d’en assurer le financement auprèsdes institutions financières locales ou étrangères. Le risque d’insolvabilitédes États migrerait alors vers la BCE dont le bilan servirait à consoliderune part croissante de l’endettement public. Ce serait évidemment un

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pas vers une étatisation insidieuse des banques commerciales dont le

contrôle prudentiel a d’ailleurs été transféré à la BCE. On remarqued’ailleurs que l’interdépendance de la gestion des États, des banquescommerciales et de la BCE s’est accrue dans des proportions qui auraientété impensables, il y a quelques années.

Du rôle de gardien de la monnaie, la BCE endosserait la responsa-bilité de la stabilité des dettes publiques. Ce serait la BCE qui devraitabsorber, de manière résiduelle, les effets de la crise économique dansson bilan, au travers du refinancement des États. La BCE deviendraitmême l’outil essentiel de sortie de la crise des dettes souveraines. Etc’est le cauchemar de Mario Draghi car cette situation signifierait iné-luctablement une rupture d’adhésion de certains pays du Nord à lamonnaie unique.

Septembre 2015

Le « Perma QE  » : un assouplissementmonétaire infini ?

On le sait : « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin », comme l’avaitrappelé le regretté Pierre Desproges.

En économie aussi, la création monétaire infinie, c’est dangereux…surtout quand on n’en voit pas la fin.

Depuis des mois, les principales banques centrales augmentent l’offrede monnaie, en réescomptant des dettes publiques, et parfois privées.

Ce réescompte injecte de l’argent qui n’est pas la contrepartie d’uneépargne préalablement constituée.

La question se pose de savoir que faire si la croissance n’est pas, àterme, stimulée par cet afflux de monnaie. L’assouplissement quanti-tatif, ou quantitative easing   (restitué par l’acronyme « QE »), selon satraduction anglaise, ne va-t-il pas devenir un assouplissement monétairepermanent, ou « Perma QE » ?

En effet, si les autorités monétaires mettent fin prématurément àcette création monétaire, il en résulterait un choc déflationniste lié à

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une augmentation immédiate des taux d’intérêt, que nos États endettés

ne peuvent incidemment pas se permettre.Mais si le « Perma QE » s’installe, il en résultera une hausse d’infla-

tion, qui va, elle aussi, entraîner une augmentation des taux d’intérêt,certes absorbable par les États qui pourront continuer à utiliser les ser-

 vices de réescompte des banques centrales au rythme de l’émission deleurs propres emprunts.

Entre inflation et dettes publiques, il faudra choisir le moindre mal.

Le scénario idéal serait que les taux d’intérêt restent bas malgré unepoussée d’inflation et que l’assouplissement quantitatif se prolonge de

manière décroissante en fonction de la reprise de la croissance.Est-ce envisageable ? Oui, avec une dose de répression financière, c’est-à-

dire une combinaison de capture volontaire d’épargne et de taux d’intérêt bas.

Et, comme Pierre Desproges le disait aussi : « out dans la vie est uneaffaire de choix, […] ça se termine par le chêne ou le sapin. »

Octobre 2015

De l’inflation… À tout prix !

Le Président de la BCE vient d’annoncer qu’une réévaluation duprogramme d’assouplissement monétaire pourrait être envisagée endécembre. La raison en est limpide : l’inflation reste trop basse, lademande est stagnante et l’euro (dont la baisse était un des objectifsde la politique monétaire de la BCE) s’est apprécié au cours des der-niers mois. Partout – je dis bien partout –, les presses à billets tournent

 jusqu’à en devenir rouge vif. Le refinancement de l’économie par lesbanques centrales atteint des proportions qui auraient été impensables,il y a quelques années. Le stock de monnaie créé par ces banques cen-trales compense le tarissement du flux monétaire bancaire. La monnaiepublique se substitue à la monnaie privée.

Et, sauf à penser que l’Histoire soit déloyale, une injection monétairemassive conduira à initier l’inflation.

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Au reste, il faut de l’inflation, à tout prix, sans mauvais jeu de mots.

En effet, lorsque l’économie croule sous les dettes, c’est le symbole moné-taire d’expression de ces mêmes dettes qui doit être mis en cause.

Notre monde est plus endetté qu’en 2008, la croissance est plusbasse tandis que les taux d’intérêt atteignent des niveaux inconnusde l’histoire et de la science économique. La création monétaire estcoagulée dans des circuits bancaires qui sont utilisés pour refinancerles dettes passées (et futures) des États. On oublie trop souvent qu’unedette ne repose pas du tout sur la solvabilité du débiteur mais sur lesigne fiduciaire qui lui donne vie, c’est-à-dire la monnaie qui lui est

consubstantielle.Le grand désendettement devra passer par le décalage de la monnaie.Car si ce n’est pas le cas, ce sera pire : des dettes ne seront pas honorées.

Octobre 2015

Parfois, la lumière au fond du tunnel,c’est un train…

Annoncé en fanfare et avec allégresse et reconnu comme un succèsfoudroyant, l’assouplissement quantitatif de la BCE semble dériver versun constat d’échec. our à tour, les responsables de la BCE laissententendre que des mesures additionnelles devront être prises pour relan-cer l’inflation, dont les perspectives baissières s’assombrissent. La raisonde cet échec sera, un jour, éclaircie par des études académiques, maisune chose me semble intuitive : la BCE a réfuté le constat de déflationpendant trop longtemps. Or, Keynes l’avait prédit : si l’inflation est undésagrément, une déflation est une catastrophe.

Que va-t-il se passer ?

Lorsqu’on se lance dans un réescompte des dettes publiques (audemeurant mal conçu, puisque l’Allemagne en est le premier bénéficiairealors que son économie est la plus forte), c’est qu’il n’y a pas de fin.

Il faut créer de la monnaie, même si la reprise de l’inflation semble loin-taine. Dans le cas contraire, les taux d’intérêt remonteraient immédiatement

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et l’euro s’apprécierait par rapport au dollar, ce qui susciterait un choc de

décroissance que la zone euro ne peut pas se permettre.Il faut donc espérer que l’on finisse par distinguer la lumière de

l’inflation au bout du tunnel.

En espérant que ce ne soit pas un train de déflation qui arrive…

Novembre 2015

La schizophrénie monétaire !

Les prochaines semaines vont être extrêmement délicates pour la BCE.

En effet, devant des marchés boursiers fébriles et des valorisationsd’institutions financières en dérive, la BCE est face à un dilemme.

Le contexte déflationniste et récessionnaire exige des injections moné-taires supplémentaires afin de réinsuffler de l’inflation.

Malheureusement, des contraintes politiques et de réalismesconduisent à stabiliser ces injections monétaires au bénéfice d’unebaisse des taux d’intérêt. Ces taux sont historiquement faibles et lar-gement négatifs pour les dépôts des banques auprès de la BCE quidisperse leur négativité par capillarité à tout le système financier. Inci-demment, la BCE n’a pas d’autre choix que de ne pas baisser ses tauxd’intérêt : toutes les banques centrales s’engouffrent dans cette voiequi représente une forme inconnue de guerre des monnaies vers ladévaluation concurrentielle.

Mais une baisse des taux d’intérêt est défavorable aux banques etaux compagnies d’assurances qui voient leur marge d’intermédiationse réduire, sauf, bien sûr, à imaginer une plausible imposition de taux

d’intérêt négatifs sur les comptes bancaires et réserves d’assurances-vie.Cela souligne la dualité – je devrais dire la schizophrénie – du rôlede la BCE : elle doit réinsuffler de l’inflation, mais cela s’effectue audétriment des institutions financières… dont elle est la prêteuse en der-nier ressort.

En d’autres termes, la BCE devra apporter des liquidités à des banquesqui sont elles-mêmes pénalisées par la politique de cette même BCE.

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Mais, au-delà de ces péripéties de l’Histoire, la question doit être posée

de savoir comment et pourquoi nous en sommes arrivés là, alors que lesautorités publiques avaient repris la main du secteur financier depuis 2008.

Je vois deux causes : la BCE a sous-estimé la tendance déflationniste,tandis que les autorités européennes ont imposé un pacte de stabilité etde croissance destiné à réduire les déficits et les endettements publics. Cesdeux erreurs se sont conjuguées pour contracter l’économie européenne.

Quelle est la solution ? Il faudrait temporairement suspendre ce pacteet autoriser une stimulation budgétaire plus importante, d’autant queles États se financent à taux d’intérêt négatifs.

Le temps de la lucidité politique est arrivé.

Février 2016 

La magie s’estompe

Dans les milieux financiers, l’inquiétude par rapport à la BCE devientpalpable.

Adulée il y a un an par les marchés financiers qui accueillirent par uneclameur optimiste les injections monétaires, la BCE interpelle désormais.

Les injections de liquidités ne semblent avoir aucun effet positif pourles économies européennes, à part celui de faciliter le refinancement desdettes publiques à des taux d’intérêt historiquement bas et d’affaiblirl’euro.

En effet, l’inflation et la demande restent basses.

Ce n’est pas étonnant : les injections monétaires ne sont qu’indirecte-ment efficaces au travers de l’évitement de l’obligation qui incombe aux

banques et aux entreprises d’assurances de financer les États.La BCE libère donc les bilans de ces institutions financières maissans demande de crédit, la monnaie finit par revenir auprès de la BCEau sein de laquelle elle est affectée d’un taux d’intérêt négatif.

La semaine prochaine, ce taux d’intérêt négatif sera encore abaisséavec un probable système de taux d’intérêt à deux étages pour éviter unetrop grande érosion de la rentabilité des banques.

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Mais après ?

Personne ne sait.Seuls les États-Unis semblent apercevoir un frémissement d’inflation.

La BCE a raison de dire que la politique budgétaire doit prendre lerelais de la politique monétaire.

Mais cette exigence s’oppose à l’endettement des États et auxcontraintes de réductions du déficit budgétaire, alors qu’une dettepublique financée à un taux d’intérêt négatif ne coûte rien.

Mais la BCE me semble ne plus être entendue.

La magie s’estompe.

 Mars 2016 

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Déflation, inflation ? Stagnation ?

La déflation est la dernière défaite de l’euro

Le piège économique se referme inexorablement dans la zone euro.Le scénario de la déflation japonaise était connu. Il était même dénoncécomme le pire danger économique. Et pourtant, par manque de visionet par obstinations politiques, la zone euro s’engage dans cette voie

mortifère. Cette plongée dans des abysses économiques sera longue eteffrayante car l’Europe a vécu sur un postulat de croissance depuis prèsde sept décennies.

Une déflation est plus grave qu’une inflation. En effet, une inflationpeut être combattue par une augmentation autoritaire des taux d’inté-rêt et des contrôles des prix, au prix d’un tassement économique. Parcontre, une déflation est une résignation parce que la politique monétaireclassique devient inopérante. Elle entraîne le chômage, un marasme éco-nomique et une augmentation du taux d’intérêt réel (c’est-à-dire aprèsdéduction de l’inflation) des emprunts (publics et privés) qui contrarie

les investissements. Une déflation s’accompagne d’ailleurs souvent d’unpiège de la liquidité, qui est une situation caractérisée par l’accumulationd’épargnes de précaution malgré des taux d’intérêt très bas.

Les causes de cette déflation sont multiples : il y a bien sûr unedésindustrialisation et l’onéreux État-providence dont il faudra solderl’endettement. Pendant trop longtemps, l’Europe a cru pouvoir pro-longer un modèle d’économie industriel alors que l’économie de mar-ché est désormais fondée sur la flexibilité des facteurs de production etsurtout la versatilité des foyers de croissance. L’État ne peut donc plus

 jouer le même rôle redistributif que la reconstruction d’après-guerre etle modèle manufacturier avaient autorisé. Il y a aussi le vieillissement dela population qui joue un rôle indéniable, ainsi que les premières étudesacadémiques le laissent pressentir.

Pourtant, il y a deux autres causes.

La première erreur relève d’une grave myopie politique. Dès la crise de2008, il était évident qu’un terrible choc allait affecter l’économie réelle.

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Ce choc de 2008 activa les stabilisateurs économiques des États qui durent,

de surcroît, recapitaliser ou nationaliser les banques. La croissance de leurendettement était donc inéluctable, d’autant que le choc de vieillissementde la population commença à embraser les dépenses de retraites.

Face à la croissance de l’endettement public, dont les modalités furentd’ailleurs différentes selon les États membres de la zone euro, les autori-tés européennes décidèrent d’imposer de violentes politiques d’austérité.C’était évidemment une erreur totale, comme si la théorie keynésienneavait été lue avec dyslexie. Dans les années 1930, Keynes exhorta les paysen déflation des années 1930 à ne pas aggraver cette dernière par despolitiques de rigueur. Il ne fut pas écouté alors que toutes les politiques

déflationnistes échouèrent (Laval en France, Hoover aux États-Unis,Brüning en Allemagne, etc.) jusqu’à en devenir des ferments de violencemilitaire. On le constate d’ailleurs aujourd’hui, les pays qui ont subi lespires politiques d’austérité sont les mêmes que ceux dont l’inflation estdevenue négative.

La contraction budgétaire est aujourd’hui scellée dans un pacteeuropéen qui va inévitablement catalyser la contorsion économique.Ce pacte exige de diminuer l’excédent d’endettement public de 5 % paran afin d’atteindre un rapport de la dette publique sur le PIB de 60 %.Le pourcentage de 60 % n’est pas neuf puisqu’il fondait l’un des critèresd’accession à la zone euro en 1999. Cette règle se conjugue désormais àce qu’on appelle la « règle d’or » qui exige de ne pas dépasser un déficit« structurel », c’est-à-dire compte non tenu des aléas conjoncturels, égalà 0,5 % du produit intérieur brut (PIB). Faute de pouvoir réaliser unedévaluation monétaire « externe », l’Europe a imposé une dévaluation« interne », c’est-à-dire une contraction budgétaire et des modérationssalariales, traduites sous l’exigence de programmes d’austérité, désormaisconsacrés par le pacte budgétaire.

L’autre cause de la déflation est l’euro dont les erreurs de conception

apparaissaient désormais, provoquant l’effarement. C’est ainsi que lalogique des pays du Nord, qui était fondée sur une désinflation compé-titive se transforme en déflation récessionnaire. L’euro est devenu unemonnaie génétiquement déflationniste. C’est le piège japonais d’unemonnaie forte assortie d’un manque d’inflation et d’une croissance.

 Août 2014

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La déflation s’installe

L’information est passée presque inaperçue. Elle est pourtant essen-tielle : les taux d’inflation allemand et espagnol seraient négatifs au moisde septembre. Les messages d’espoir que la BCE avait émis au début del’année quant à l’effet positif de son plan d’assouplissement quantitatif,destiné, entre autres, à ré-inflater l’économie, sont contrariés.

Nous stagnons donc dans un contexte déflationniste, dont les causessont probablement structurelles (vieillissement de la population, numé-risation et digitalisation de nombreux emplois, etc.) et circonstancielles

(politique monétaire et budgétaire trop restrictive pendant les années2011-2014).

Certains envisagent que la BCE amplifie sa création monétaire, enprolongeant son programme de rachat d’actifs au-delà de septembre 2016.C’est possible. Mais ce n’est aucunement une garantie de succès car ilfaut une reprise de la demande, dont le déclenchement semble lointain.

En mars 2015, Mario Draghi avait dit « ça marche ». Je l’écris pai-siblement : quand les taux d’intérêt à court terme deviennent négatifs,que les taux à long terme sont au plus bas depuis plusieurs siècles, queles dettes publiques atteignent des sommets inconnus dans l’histoire

économique, que l’inflation est négative et que la croissance est introu- vable : cela ne marche pas… encore.

Septembre 2015

Quelles sont les sources de la déflation ?

Depuis quelques années, la théorie monétaire classique ne s’applique

plus. En effet, le stock de monnaie injecté dans l’économie s’est signi-ficativement accru pour compenser la viscosité des circuits bancaires,mais l’inflation reste basse (à tout le moins dans son expression entermes de flux de consommation, contrairement au re-métrage scalairede la valeur des actifs mobiliers et immobiliers). La demande reste,quant à elle, anémique malgré une augmentation des déficits et desdettes publiques.

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Que se passe-t-il dans l’économie ?

Il semblerait que le courant froid déflationniste soit lié à plusieurscauses, dont il est complexe de mesurer l’importance relative. Il y aincontestablement le ressac du choc de 2008, au terme duquel l’épargnepublique a été fragilisée. Cet événement inattendu a creusé un piège dela liquidité, c’est-à-dire une tétanie économique qui rend la politiquemonétaire inopérante. Il y a aussi les plans de rigueur et d’austérité,qui ont été mis en œuvre à contretemps. Il y a également le vieillisse-ment de la population qui éreinte la croissance. Enfin, la digitalisation del’économie diminue inexorablement la quantité de travail disponible enescamotant des gains de productivité qui, dans le passé, auraient été misen œuvre par des humains et qui le sont désormais par des machines.C’est cela, le véritable risque de déflation, accompagné de son corollairede fissuration de l’équilibre social, à savoir qu’un gain de productivitédu travail, associé à sa contribution sous forme d’impôts, soit capturépar des entreprises étrangères, au contenu capitalistique important, quisoient dissociées du tropisme de nos économies.

Novembre 2015

La croissance s’enfuit, c’est la fin d’un monde

Mois après mois, les institutions économiques internationales révisentà la baisse les perspectives de croissance du monde.

C’est la fin… d’un monde.

Un monde, certes, non conclu, mais une époque révolue.

Le XXe siècle a duré trop longtemps.

D’autres déséquilibres, d’une nature amplifiée, s’avancent vers nous :l’épuisement des ressources naturelles, la surpopulation assortie de pul-sions belliqueuses et militaires, la versatilité de l’innovation et des zonesde croissance qui y seront fugacement associées.

Sous l’angle économique, le monde doit solder ses dettes.

Pas les dettes privées, mais les dettes publiques, c’est-à-dire celles quisont gagées sur cet avenir qui s’enfuit.

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Pour solder ces acomptes de prospérité, il faudra dévoyer la monnaie,

qui est la représentation humaine du temps, c’est-à-dire de ce même avenir.« L’avenir, fantôme aux mains vides, qui promet tout et qui n’a rien »,

comme écrivait Victor Hugo.

Septembre 2015

Quel horizon économique ?

Le contexte économique est déflationniste. Un grand nombre d’indicesconvergent dans le sens d’une croissance atone : prix des matières pre-mières (et, au premier chef, du pétrole), moindre croissance en Chine,amplification modeste aux États-Unis et tassement en Europe. Cettedéflation est d’ailleurs singulière : malgré les injections monétaires desprincipales banques centrales, elles-mêmes accompagnées de dévalua-tions compétitives, et d’une démographie expansive, l’économie mondialepeine à retrouver un rythme soutenu. Concomitamment, les taux d’inté-rêt restent homéopathiques, au grand bénéfice des États surendettés. Cephénomène est sans doute lié à l’abondance de monnaie (dont le prix,c’est-à-dire le taux d’intérêt, reste bas) et à la contraction de la demande.

Pourtant, mon intuition me pousse à espérer ce marécage déflation-niste comme une situation temporaire.

Le scénario intuitif de l’économie européenne que je retiens pourl’horizon du moyen terme est celui de la stagflation, c’est-à-dire unecombinaison de stagnation économique, affectée d’un chômage persistant(estimé à près de 10 % par le FMI), et d’inflation. Même non formuléecomme choix politique, la stagflation serait un mélange dérivé de mesureséconomiques et monétaires, à savoir respectivement des plans d’austérité

et de l’inflation. Dans certains pays, cette stagflation sera conjuguée à unecrise étatique dont les prémisses sont déjà visibles. Cet élément aggra- vant diffère des années 1970, ce qui laisse subodorer que la stagflationdes prochaines années sera aggravée et entrera en résonnance avec desproblèmes de solvabilité de certains États.

Quels seraient les attributs de cette empreinte de stagflation ? Outreles aspects de solvabilité étatique, ils sont les mêmes que le constat des

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années 1970 : un taux de croissance faible de l’économie, combiné à une

décroissance marginale, des gains de productivité, un chômage structurelélevé (caractéristique des dislocations structurelles de l’économie), unesous-utilisation des capacités de production, des anticipations de bénéficesdes entreprises faibles (à tout le moins dans une perspective de moyenterme), des dépenses d’investissement faibles à modérées, des déficitspublics importants entraînant des taux d’intérêt élevés ainsi qu’une raré-faction du crédit bancaire pour des investissements privés, des déficits de labalance commerciale et un phénomène généralisé de désindustrialisation.

L’inflation n’est aucunement une solution souhaitable puisqu’elle faitpeser un risque d’auto-alimentation et d’augmentation nominale desdépenses de l’État. Mais elle parait s’imposer comme une conséquence,

 voire un débouché, inéluctable de l’endettement public.

Bien sûr, l’inflation appauvrit le rentier d’autant que l’épargne estinvestie en titres à revenus fixes. Mais, comme l’avançait Keynes (1883-1946), il est « plus grave, dans un monde appauvri, de provoquer lechômage que de décevoir le rentier ». Les années à venir combinerontles deux maux.

 Août 2015

La courbe de Phillips n’apporte pas la lumière !

Olivier Blanchard, l’ancien économiste en chef du FMI et LarrySummers, qui fut un conseiller économique du Président Obama,

 viennent de sortir une passionnante étude sur la relation entre le chô-mage et l’inflation.

Le contexte du travail est intéressant : depuis des décennies, on

esquisse une relation inverse entre le niveau d’inflation et de chômage.Un chômage important élimine les pressions à la hausse sur les salaireset contribue ainsi à abaisser l’inflation. Cette relation s’appelle la courbede Phillips, du nom de l’économiste néo-zélandais (1914-1975) qui l’aétablie.

Les deux économistes ont examiné l’application de la courbe de Phillipset arrivent à la conclusion que, depuis 1990, elle est moins pertinente.

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Ceci ne m’étonne pas du tout.

Cette courbe est établie sur des échantillons statistiques relevantd’une économie manufacturière. Depuis 30 ans, nous sommes entrésdans l’ère des services, c’est-à-dire d’une économie tertiaire dominante.Dans ce contexte, la relation entre l’inflation et le chômage est moinsclaire, puisque les métiers sont décentralisés et relèvent d’une organisa-tion du travail plus atomisée. Cette tendance s’accentuera dans le cadrede l’économie digitalisée, puisque les travailleurs seront progressivementremplacés par des processus numériques ou robotiques sur lesquels lapression salariale est étrangère.

Quelles sont les recommandations d’Olivier Blanchard et de LarrySummers en matière de politique monétaire ?

Les deux hommes sont prudents, mais leurs orientations sontconnues : il faut assouplir à la hausse les objectifs d’inflation pour s’ex-traire de la crise de la dette, sachant que cette inflation, que je qualifiede monétaire, est découplée du niveau de chômage, donc des abaques dela courbe de Phillips, qu’il est temps de ranger dans les vieux manuelsd’économie du siècle passé.

Novembre 2015

Déflation et vieillissement : une relationtrès dérangeante

Depuis plusieurs mois, diverses études académiques s’intéressent àla juxtaposition de deux phénomènes : le vieillissement de la populationet l’incontestable tendance déflationniste qui engloutit la plupart deséconomies.

À cet égard – et cette expression pourrait relever d’un parfait cynisme, voire d’une formulation injurieuse, ce qu’elle n’est pas –, on imagineraitque le travail est une variable qui perd sa valeur avec le temps, et doncsa productivité.

Intuitivement, le capital doit subir la même affection, car le capitaln’existe pas en tant que tel : il n’est que l’expression de sa mise « autravail » futur.

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Or, toute mise « au travail » du capital suppose justement qu’elle soit

gagée par un travail humain futur.Un capital stérile de sa validation future ne vaut, en effet, pas grand-

chose (cette formulation est simpliste et les lecteurs du capital de Marxtrouveront mon propos d’une simplicité enfantine).

Pour combattre la déflation, les autorités monétaires augmententl’offre de monnaie, dans l’espoir de susciter une inflation qui devraitamoindrir la valeur du capital. Cette inflation serait proche de l’eutha-nasie des rentiers préconisée par Keynes.

Mais en même temps, cette inflation qui appauvrit le capital ne serait

peut-être que la confrontation avec une réalité désagréable : le capital vaut peut-être moins qu’on ne le pense, puisqu’il n’est pas possible dele mettre « au travail » avec une population vieillissante.

Que de questions…

Novembre 2015

Tirer sur le choke  du moteur économique

Une crise chassant l’autre à la vitesse de l’émotion médiatique, unenouvelle question interpelle les économistes : et si nous entrions dansune nouvelle chute récessionnaire, à l’instar d’un moteur qui ne démarrepas, malgré qu’on ait tiré sur le choke (qui permettait, du temps de monadolescence, d’enrichir en essence le mélange qui était envoyé dans lecarburateur des moteurs à explosion) ?

Quand on tirait trop sur le choke, le moteur était noyé, et il fallaitattendre quelques minutes.

Aujourd’hui, on a tiré sur le choke  de la création monétaire, maisl’économie ne reprend pas. Il faudra peut-être continuer à gonfler lemoteur ce que, de manière peu prudente, on faisait avec les moteursdeux-temps des années 1970, dont on coupait le mélange huile et essenceavec un peu d’éther… au travers d’une création monétaire encore plusimportante ?

Personne ne sait.

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La monnaie créée reste engluée dans les circuits bancaires sans être

aspirée par une augmentation de la demande. Au reste, la chute du prixdes matières premières constitue peut-être le présage d’un ralentisse-ment économique. Aux États-Unis, on remarque une contraction de lamasse monétaire depuis la stabilisation des programmes d’assouplisse-ment quantitatifs.

Il faudra peut-être attendre quelques années avant d’embrayer et depasser la première.

 Juillet 2015

Et c’est le temps qui court 

Depuis des mois, toutes les banques centrales (à part la FED) aug-mentent l’offre de monnaie, au travers de moyens conventionnels… oumoins traditionnels : réescompte de dettes publiques et privées, baissesen rafale de taux d’intérêt, imposition de taux d’intérêt négatifs sur lesdépôts qui leur sont confiés.

Le secteur financier frôle la nationalisation, les taux d’intérêt deviennentnégatifs, l’inflation est absente, au même titre que la croissance.

Nous sommes dans un monde inconnu, ce qui prouve incidem-ment que la science économique est orpheline de capacités de pros-pectives !

Mais, imaginons que tout cela n’aboutisse pas et que l’inflation nesoit pas le dénouement ?

Ce serait alors une déflation qui conduirait à un abattement dedettes.

Cette solution n’étant pas envisageable, l’assouplissement monétairedoit fonctionner.

Il sera donc poursuivi, à tout prix.

Partout.

Et le temps qu’il faudra.

Parfois, je ressens un sentiment de malaise qui précède les grandes crises.

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Et c’est le temps qui court.

Et le manque de monnaie nous fait vieillir…

Novembre 2015

Comment sortir de cette crise ?

Le véritable défi des prochaines années est d’éviter un naufrage del’économie de la zone euro dans une déflation qu’on assimile souventà un scénario à la japonaise… alimenté par la décélération chinoise.Ce scénario semble de plus en plus plausible : les prix stagnent depuisdeux ans et le taux d’inflation reste désespérément bas. Bien sûr, onpourrait techniquement parler de désinflation plutôt que de déflation, oud’inflation tendanciellement basse pour éviter de stigmatiser une baissegénéralisée des prix. On pourrait aussi, à juste titre, distinguer la bonnede la mauvaise déflation : la baisse du prix du pétrole entraîne une bonnedéflation, tandis qu’une baisse de la demande et des salaires entraîne unemauvaise déflation. On peut aussi s’agripper à des définitions techniques :pour parler de déflation, il faut qu’au moins 60 % des prix de l’indiced’inflation (hors produits pétroliers) baissent, ce qui n’est pas le cas.

Mais ces subtiles distinctions académiques sont accessoires. Nous tra- versons une crise de la demande. Cette dernière est trop faible et conduità un taux de croissance insuffisant pour assurer un financement correctde nos engagements collectifs. De nombreux facteurs, qui sont autantde tendances lourdes de l’économie, ont aussi un pouvoir d’influence :

 vieillissement de la population, digitalisation de l’économie de services,déplacement des centres de croissance vers d’autres continents, manquede politique industrielle visionnaire, incapacité à moderniser nos écono-

mies au travers d’un dialogue social sans confrontation, maintien d’unÉtat providence partiellement inefficace, état d’esprit insuffisammententrepreneurial, etc.

Comment s’extraire de ce scénario déflationniste ? Il n’y a pas derecette unique, mais plutôt une superposition de solutions qui font inter-

 venir les politiques budgétaires et monétaires qu’il faut simultanémentrelâcher.

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En économie, on distingue souvent la politique de l’offre de celle de

la demande. Stimuler la politique de l’offre vise à flexibiliser les coûtsde production et à assouplir les contraintes qui portent sur l’offre debiens et de services. La politique de la demande concerne, quant à elle,une orientation keynésienne. Il s’agit de stimuler la demande de biens etde services par une augmentation des investissements et de la consom-mation publics, destinée à entraîner une augmentation de la demandeprivée (également au travers de transferts sociaux et de moindres pré-lèvements fiscaux).

La gestion d’une économie exige d’équilibrer les politiques dedemande et d’offre, mais une chose est certaine : en période de trèsfaible croissance et de déflation, il faut absolument stimuler la demandeintérieure et l’exportation. Si les agents économiques sont tétanisés parde sombres perspectives économiques, ils refreinent leur consomma-tion et leurs investissements. Il importe dès lors qu’un être supérieur,représentant la collectivité, dépasse les inquiétudes individuelles par desinvestissements collectifs d’envergure destinés à fournir de la traction àla consommation et à l’investissement privés. Le plan Juncker s’inscritdans cette logique, mais son envergure est beaucoup trop limitée.

Certes, au début de la crise, les stabilisateurs automatiques se sont

activés, conduisant au constat de moindres recettes fiscales et de dépensessociales plus importantes. Mais, probablement effrayés par l’augmenta-tion des dettes publiques et la nécessité d’une homogénéité des seuilsd’endettement public, les États sont trop vite revenus à des contraintesde réduction de déficit.

Et c’est à ce niveau qu’on réalise l’incongruité d’avoir imposé si rapi-dement un pacte de stabilité et (cyniquement) de croissance. Ce pacteexige de diminuer l’excédent d’endettement public de 5 % par an afind’atteindre un rapport de la dette publique sur le PIB de 60 %. Cette règlese conjugue désormais à ce qu’on appelle la « règle d’or » qui exige de ne

pas dépasser un déficit « structurel », c’est-à-dire compte non tenu desaléas conjoncturels, égal à 0,5 % du produit intérieur brut (PIB). Ce pacteempêche une politique de la demande et contribue donc à alimenter larécession et la déflation.

Depuis le début de cette crise, j’ai partagé une conviction de la néces-sité d’une inflation. Il fallait immédiatement « monétiser » la crise parune dilution des dettes. Certains pays (États-Unis, Royaume-Uni et

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Japon) l’ont fait très rapidement. Cette propension intellectuelle découlait

de l’intuition que l’inflation permet de diluer silencieusement les dettespassées dans un contexte récessionnaire qui voit les taux d’intérêt bais-ser. Il s’agissait donc de refinancer les dettes publiques au travers d’unecréation monétaire mise en œuvre par la BCE. Cette dernière s’est fina-lement résolue à faire tourner la planche à billets, mais trop tard. Ainsique les années 1930 l’ont instruit, deux années d’erreurs peuvent coûterdix ans de déflation. Or nous avons épuisé ces deux années d’erreurs.Pourquoi la BCE a-t-elle trop traîné ? Il y avait bien sûr les réticencesallemandes, mais surtout la nécessité d’assurer l’existence de l’euro enen faisant une devise forte, donc trop chère. L’euro a traversé la tempête

monétaire, mais au prix d’une déflation.Pour extraire la zone euro de la tendance déflationniste, il faudrait

donc aligner deux objectifs. Il conviendrait de repousser la mise enplace du pacte de stabilité et de croissance afin que chaque pays puisseindividuellement mettre en œuvre des programmes d’investissementsd’envergure, sans que l’accroissement des dettes qui en résulte conduiseà une quelconque pénalité. Ces emprunts ne coûteraient quasiment rieneu égard au faible niveau des taux d’intérêt. Concomitamment, il faudraimpérativement continuer à assouplir la politique monétaire au traversd’une injection de monnaie permanente qui, même si elle n’est pas déci-

sive, oxygénera l’économie. L’assouplissement quantitatif existant devraêtre prolongé au-delà de son terme prévu.

En conclusion, l’austérité monétaire et budgétaire a, a minima, contri-bué à la situation déflationniste et récessionnaire. out ceci reflète l’incom-plétude de la zone euro et la singularité des autorités monétaires qui ontdû s’aligner sur une logique monétaire déflationniste. Mais, singulièrement,peu de voix publiques s’élèvent pour s’inquiéter de cette situation. Eneffet, une déflation s’accompagne de taux d’intérêt très bas. Or les États,engorgés de dettes publiques et bientôt submergés par le financementdes pensions, savent qu’une hausse des taux d’intérêt révélerait leur vul-nérabilité financière. Les autorités monétaires de la zone euro ont doncpeut-être implicitement arbitré leur propre endettement au détriment de lacroissance et de l’emploi. À terme, ce ne sera pas tenable, sauf à envisagerune impensable nationalisation complète de l’économie.

Septembre 2015

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DÉFLATION, INFLATION ? STAGNATION ?

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Déflation dans les vieux pays, inflation

dans les économies émergentes ?

L’univers économique se fracture.

Non pas entre le Nord ou le Sud, l’Est ou l’Ouest, mais bien par lesigne monétaire.

Le monde développé, exténué, frôle la déflation.

Par contre, certains pays mal gérés, comme le Brésil et le Venezuela,souvent minés par la corruption et éreintés par la dépendance à unnombre limité de matières premières, subissent cette déflation et y

répondent par une inflation monétaire.Cette dernière va immanquablement s’étendre à tous les pays jeunes

qui dépendent du prix des hydrocarbures et dont les gouvernements ontpu, en des temps de prospérité pétrolière, apaiser les revendications dela jeunesse par des recettes d’exportation. Dans certains pays, ce seradonc l’inflation avant la révolution et le défaut sur la dette souveraine.

Dans nos économies, les prix refroidissent. Pourtant, la presse à bil-let est rouge vif. Malheureusement, le vieillissement de la population,combiné à la révolution digitale, coagule la monnaie dans des circuitsbancaires visqueux.

Cela rappelle que les seules variables sur lesquelles la croissance etla valeur de la monnaie sont fondées à long terme constituent la démo-graphie et la productivité.

Le reste est circonstanciel.

Février 2016 

L’insoutenable légèreté de l’inflation

La crise grecque est riche d’enseignements. L’un de ceux-ci concernela dette publique. Celle-ci a déjà fait l’objet de nombreux abattements.Une nouvelle restructuration est donc temporairement écartée, malgrél’insistance du FMI dont les projections conduisent à ce que cette detteaugmente en proportion du PIB grec. Les économistes du FMI arrivent

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donc à la conclusion qu’au-delà de l’aide financière apportée à la Grèce,

les mesures d’austérité qui lui sont imposées vont conduire à une aug-mentation relative du poids de cette dette par rapport au PIB.

Je reste convaincu que cette dette grecque fera finalement l’objet d’uneextension de maturité, de l’ordre de 30 à 40 ans, voire d’une perpétua-tion afin de la transformer en dette infinie, sans plus aucune maturité.

Mais, au-delà du cas particulier de la Grèce, je crains que l’augmen-tation des dettes publiques se généralise dans les pays du Sud européen.

En saine logique, ces pays vont, à des degrés divers, être confrontésà l’insoutenabilité de la dette. Si une restructuration est écartée, alors la

seule manière de diluer ces dettes dans une croissance atone est l’infla-tion.

L’enjeu de la reprise est donc de susciter une poussée d’inflation, ceque la BCE est occupée, à juste titre, à alimenter.

 Juillet 2015

Et si le scénario économique était finalement

une stagflation ?

Si la déflation s’installe en Europe, rien ne dit qu’elle perdurera,d’autant que la plupart des États inondent leurs économies d’une offrede monnaie gagée par leurs propres dettes publiques. On voit d’ailleursl’inflation remonter doucement dans certains pays.

Je partage une intuition qui m’avait traversée en 2010 : et si le scénariode l’économie européenne était celui de la stagflation, c’est-à-dire unecombinaison de stagnation économique, affectée d’un chômage persistant

et d’inflation modérée ? C’est une idée que j’offre à la critique.En ce qui concerne l’effet de stagnation, il sera essentiellement déce-

lable par un chômage structurel, déjà bien établi dans certaines régions.Au-delà de l’effet d’optique du départ à la retraite d’une partie importantedes baby-boomers (qui ne fait que reporter le problème de leurs revenusde remplacement sur les pouvoirs publics), le chômage est lié à diffé-rents phénomènes : désindustrialisation, inadéquation de l’enseignement,

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épuisement du modèle de croissance par endettement, manque de flexi-

bilité du marché du travail, entreprenariat ancillaire et surtout atoniedes mentalités qui n’ont pas encore bien intégré la mutation des foyersde croissance. L’immigration devra, elle aussi, être repensée de manièreà assurer des relais de croissance en matière d’emplois.

Certains économistes avancent même une théorie iconoclaste, àsavoir que la crise bancaire, étatique et économique est le résultat d’unepériode caractérisée par un excès de désinflation. Cette période, qualifiéede « grande modération » et qui serait étalée de 1985 à 2005, aurait tiréprofit d’une expansion des zones de commerce (au travers de la globa-lisation) et d’une accessibilité à des poches d’emploi à bas coûts pourmasquer la réalité du remboursement des dettes privées et publiques.L’expansion de la demande n’a pas débouché sur une crise d’inflationparce que les Occidentaux ont trouvé dans leurs déficits commerciauxl’offre nécessaire à son absorption.

Pourquoi une intuition d’inflation alors que de nombreux écono-mistes agitent le spectre de la déflation séculaire (qui constitue uneforte préférence collective pour la liquidité et qu’on confond souventavec la désinflation) ? Parce que la création de monnaie ex nihilo (avecdes billets qui ne deviennent que des créances sur d’autres billets, ceci

rappelant l’expression de l’économiste Jean-Baptiste Say (1767-1832)pour lequel « la monnaie n’est qu’un voile »), telle que mise en œuvrepar les banques centrales, est une traite sur l’avenir dont le rembour-sement deviendra incertain. Il est incontestable que les États et lesbanques centrales procèdent actuellement à une monétisation de ladette publique avec son corollaire de création de surliquidité et d’infla-tion différée éventuelle. Les récentes mesures créent donc de l’argentsans créer de capital.

Et finalement, on devra se poser la question de savoir comment lesautorités monétaires européennes ont pu imposer en même temps des

objectifs d’inflation extrêmement bas (2 % sur une base annuelle) etautoriser des États membres à augmenter leur endettement public dansdes proportions telles que la manière la plus intuitive d’en diminuer lepoids est justement une diminution de la valeur relative de la monnaiepar l’inflation, ce que la BCE entend désormais stimuler.

 Avril 2016 

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Une autre politique budgétaire européenne

est indispensable

À deux reprises, la BCE a annoncé une extension de son programmed’assouplissement monétaire. Ces mesures consistent à amplifier lamonétisation des dettes publiques et privées, à immerger les taux d’inté-rêt plus profondément dans la négativité et à refinancer des banques àdes taux nuls, voire négatifs, afin de stimuler l’offre de crédit.

Ces mesures sont nécessaires mais insuffisantes. Même le Présidentde la BCE, Mario Draghi, semble dubitatif au point qu’il n’exclut pas

une solution monétaire radicale qui consisterait à donner de l’argent auxcitoyens européens. Le ton de son message s’est d’ailleurs profondémentmodifié. Alors qu’il préconisait la rigueur budgétaire, le Président de laBCE évoque désormais des politiques de stimulation budgétaire et desréductions d’impôts. Au titre d’illustration, il mentionnait en juin 2013que « pour inspirer confiance, les responsables politiques doivent res-pecter fidèlement leurs programmes d’ajustement budgétaire », alors quelors de sa dernière conférence de presse, il évoquait que « des réformesstructurelles visant principalement à relever les investissements publicset à réduire les impôts ». Plus inquiétant, Mario Draghi a même men-

tionné qu’il fallait « de la clarté sur l’avenir de notre union monétaire ».Le Président de la BCE est plus circonspect que lorsqu’il mentionnaqu’il ferait tout ce qui est nécessaire pour sauver l’euro en juillet 2012.

Pour cela, il faut des réformes structurelles, visant principalement àrelever le niveau de la demande. Ce changement d’orientation va plusloin qu’une simple annotation discursive. En effet, la politique monétaireest un désaveu des théories monétaristes, dont Irving Fisher (1867-1947)et Milton Friedman (1912-2006) ont été les concepteurs. En effet, selonces économistes, il existe une relation quasiment directe entre la quantitéde monnaie et l’inflation. Si la quantité de monnaie augmente, alors le

niveau des prix doit s’ajuster dans une même proportion, pour autantque la vélocité de la monnaie (qu’on peut assimiler au nombre de foisqu’un billet « tourne » dans l’économie) reste stable.

On constate désormais que la création monétaire est contrariée pard’autres phénomènes, sachant que la monnaie est à la fois un stock etun flux. La BCE fournit un stock de monnaie, tandis que les banquescommerciales créent un flux monétaire par la mécanique des dépôts et

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des crédits. Quand la vélocité de ce flux diminue, la BCE doit la com-

penser par la création d’un stock de monnaie additionnel.Cette augmentation du stock monétaire sert essentiellement à refinan-

cer des États puisque leurs dettes publiques servent de gage à la créationmonétaire. Sans le refinancement de la BCE, ce sont ces mêmes dettes,en forte croissance, qui auraient asphyxié l’économie en ponctionnantl’épargne des particuliers et des entreprises (au travers des bilans desbanques et des compagnies d’assurances). Désormais, les États ont donctrouvé un créancier complaisant pour leur propre refinancement à untaux nul, voire négatif. La BCE libère donc les bilans des institutionsfinancières. Incidemment, cette dette publique est au centre de toute lacosmographie financière. Ce sont des dettes publiques qui sont escomptéespar les banques centrales. Ce sont ces mêmes dettes publiques dont le tauxd’intérêt devient négatif. Ce sont encore ces dettes publiques que les Étatspoussent les banques et les entreprises d’assurances à financer sans exiger,au nom des privilèges régaliens de battre monnaie et de lever l’impôt, lamoindre garantie en capitaux propres. Ce sont ces mêmes dettes publiquesque les États mettent en garantie de la liquidité des banques.

Les mesures prises par la BCE ont donc permis de fluidifier les cir-cuits monétaires mais la création monétaire semble inopérante pour des

raisons que la recherche académique commence à discerner. Ainsi, cerefinancement des dettes ne conduit peut-être pas à un aboutissementoptimal de la création monétaire dans l’économie productive puisquela monnaie suit un trajet étatique (au travers du réescompte des dettespubliques). Par ailleurs, la création monétaire reste coagulée dans lesbilans bancaires sans transmission suffisamment rapidement à l’éco-nomie productive sous forme de crédits. En effet, l’économie souffred’une crise de la demande : la consommation et l’investissement sontinsuffisants pour tracter la demande de crédits. Pourquoi cette demandeest-elle insuffisante ? C’est difficile à dire. Plusieurs facteurs y contribuent

dans des proportions imprécises : le vieillissement de la population, larévolution numérique (qui modifie profondément l’apport humain àla productivité et conduit à ne pas exercer de pression à la hausse surles salaires), le délitement de la classe moyenne et l’appauvrissementd’une part croissante de nos communautés européennes, les inégalités derevenus, etc. Par ailleurs, l’assouplissement quantitatif européen est, parnature, moins efficace que celui qui fut mis en œuvre par la FED, car,

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aux États-Unis, le financement des autorités publiques et des entreprises

s’effectue directement au travers des marchés financiers, sans passer parles bilans bancaires. La transmission d’un assouplissement à l’économieproductive y est donc plus immédiate et efficace.

Malgré ces vents contraires, la BCE doit poursuivre ses injectionsmonétaires. Intuitivement, cette institution baissera encore les taux d’in-térêt et prolongera sa création monétaire de manière dégressive au-delàdu mois de mars 2017. Ceci étant, aucune monnaie ne peut survivreà son rendement négatif prolongé, sauf à entrer dans une dimensioninconnue de l’étalon monétaire, d’autant que c’est la dette publique,devenue garante de la monnaie et dont la supportabilité n’est acquiseque par des taux d’intérêt négatifs, qui est à la base de cette inversionmonétaire. Lorsque la BCE sera arrivée au terme de cet assouplissementquantitatif, il est peu probable qu’elle demande le remboursement desobligations souveraines qu’elle aura accumulées. Ces obligations serontremplacées par d’autres titres qui seront émis à ce moment. Le pireserait évidemment que l’économie européenne ne reprenne pas et queles dettes publiques continuent inexorablement à s’élever en propor-tion du PIB. La BCE serait alors sollicitée de manière inéluctable pourrefinancer des États, incapable d’en assurer le financement auprès desinstitutions financières locales ou étrangères. Le risque d’insolvabilitédes États glisserait alors vers la BCE dont le bilan servirait à consoliderune part croissante de l’endettement public. Du rôle de gardien de lamonnaie, la BCE endosserait la responsabilité de la stabilité des dettespubliques. Ce serait la BCE qui devrait absorber, de manière résiduelle,les effets de la crise économique dans son bilan, au travers du refinan-cement des États. La BCE deviendrait même l’outil essentiel de sortiede la crise des dettes souveraines.

Dans ce cadre, quelles sont les prospectives économiques ? J’en voisprincipalement deux.

out d’abord, il faut s’extraire temporairement des garrots budgé-taires. Les États devront inexorablement suspendre les contraintes deretour à l’équilibre budgétaire et de désendettement structurel imposépar le pacte de stabilité et de croissance. Ce pacte exige de diminuerl’excédent d’endettement public de 5 % par an afin d’atteindre un rapportde la dette publique sur le PIB de 60 %. Le pourcentage de 60 % n’estpas anodin puisqu’il fondait un des critères d’accession à la zone euro

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en 1999. Cette règle se conjugue désormais à ce qu’on appelle la « règle

d’or » qui exige de ne pas dépasser un déficit « structurel », c’est-à-direcompte non tenu des aléas conjoncturels, égal à 0,5 % du produit inté-rieur brut (PIB). Faute de pouvoir réaliser une dévaluation monétaire« externe », l’Europe a imposé une dévaluation « interne », c’est-à-direune contraction budgétaire et des modérations salariales, sous l’exi-gence de programmes d’austérité. Outre le fait que ce désendettementest mathématiquement impossible par le poids croissant du financementdes pensions, il n’est pas souhaitable. En effet, un raidissement budgétairedes États conduirait à abandonner une des seules pistes de stimulationde la croissance et on ne sort pas de la récession par l’austérité. Il est

inopérant de flexibiliser la politique monétaire si les États ne relâchentpas les contraintes budgétaires car créer de la monnaie sans affectationest inutile. Les économistes qui plaident pour un resserrement budgétaireaveugle au motif que les taux d’intérêt sont bas sont d’ailleurs, à monintuition, complètement dans l’erreur et ont lu la théorie économiqueavec dyslexie. En effet, des taux d’intérêt négatifs sont un signal uniquefourni par les marchés financiers et par la BCE de financer les États sansponction de charge d’intérêt sur les générations futures. C’est en périodede taux bas qu’un déficit budgétaire destiné à financer des infrastructuresproductives s’impose.

Ensuite, il est plausible que les prochaines années soient caractériséespar une « répression financière », c’est-à-dire des mesures coercitives desti-nées à obliger les banques et les entreprises d’assurances à financer les Étatsà un taux d’intérêt extrêmement bas. Au reste, c’est déjà le cas au travers deréglementations qui exonèrent les institutions financières à couvrir la déten-tion d’obligations souveraines par des charges en capitaux actionnariaux.

En conclusion, la BCE a raison de dire que la politique budgétairedoit prendre le relais de la politique monétaire. Il faudrait suspendre(ou moduler par pays) le pacte de stabilité et de croissance et autoriser

une stimulation budgétaire plus importante, d’autant que les États sefinancent à taux d’intérêt négatifs. Malgré les injonctions de la BCE, lesgouvernements européens ne semblent pas s’engager dans cette voieparce qu’à ce moment, les conceptions différentes de la monnaie etde la dette publique feront violemment surface. Pour certains pays, lamonétisation d’une dette publique est déjà intolérable car elle doit êtrefinancée par du capital préalablement constitué et non de la monnaie

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créée ex nihilo. Sans sortie de crise, il y aurait un véritable risque de

schisme monétaire dans la zone euro. C’est à ce niveau que se situe le véritable danger de la politique monétaire et budgétaire.

 Avril 2016 

Il y a 80 ans, la déflation de Laval

Il y a quatre-vingts ans (1935-36), le gouvernement de Pierre Laval

s’échouait sur une déflation. Fusillé pour haute trahison en 1945 et qua-lifié d’« infâme », il aura été, avec Pétain, l’artisan d’une honteuse col-laboration et de l’extermination des juifs. Pourtant, une décennie plustôt, il était un héros. Il fut même désigné homme de l’année 1931 parle prestigieux magazine ime. Et ceux qui remontent à pied Broadwayauront remarqué que son nom est scellé sur le trottoir, tout près deWall Street, dans le « Canyon of Heroes ». Le 22 octobre 1931, PierreLaval fut le héros d’une parade new-yorkaise. Quelques jours plus tard,ce sera au tour de Pétain.

Si Laval fut l’architecte de l’ignominie, il a contribué à l’un des plusgrands égarements économiques de l’entre-deux-guerres. Les écono-mistes contemporains le qualifieront de « déflation » de Laval.

C’est en 1935 que Laval prend les rênes du pouvoir. L’Europe s’es-souffle sous la Grande Dépression. Pourtant, la France ne s’en sort pas simal. Son économie agricole et artisanale l’immunise des chocs conjonc-turels, et l’industrie est moins vulnérable qu’en Allemagne, fragiliséepar l’inflation des années 1920, les dommages de guerre et les dépensesde réarmement. Le revenu national français ne baisse que de 10 % enfrancs constants entre 1930 et 1934, alors que l’effondrement atteint 20

à 25 % en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et 30 % en Allemagne.C’est alors qu’inspiré par la désastreuse doctrine Hoover, Laval prend

de mauvaises décisions en des temps difficiles. Il décide de l’austérité etd’une politique monétaire restrictive, c’est-à-dire déflationniste. En fait,Laval postule les vertus rédemptrices et morales de l’exigence budgétaire.Il prend des mesures apparemment de discipline, mais erronées : diminu-tion de 10 % des traitements des fonctionnaires, hausse des impôts, baisse

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négociée ou réglementée des prix de certains produits… Le résultat est

catastrophique. Très rapidement les taux d’intérêt français augmentent,alors qu’ils baissent partout ailleurs. Les prix baissent, la consommations’écroule et l’investissement chute.

La surévaluation du franc – de l’ordre de 20 à 30 % selon les devises –évince les entreprises du marché mondial. Les exportations reculent de45 %, encourageant les revendications protectionnistes et le repli sur l’em-pire colonial qui commence à absorber une part excessive des exportations.La crise financière alimente une crise monétaire chronique. Les réservesde la Banque de France s’évaporent et les capitaux fuient en masse.

Dès 1933, la Conférence de Londres avait pourtant essayé de négocierune sortie concertée de la crise, mais la France s’y était opposée. Pendantqu’elle s’obstinait à une discipline monétaire contreproductive, les autrespays développés s’engageaient dans des dévaluations compétitives.

L’échec de Pierre Laval sera lourd de conséquences. Ses exigences bud-gétaires empêcheront le réarmement face à l’Allemagne. Quelques moisplus tard, le Front populaire prendra le pouvoir et son leader, Léon Blum,sera forcé d’ancrer la France dans le pacifisme. Blum finira par dévaluer lefranc pour mettre fin à la déflation de Pierre Laval, mais il est trop tard.

Quelques années plus tard, Pierre Laval pourra s’accommoder des

conséquences de sa politique de complaisance par rapport à l’Allemagne, victorieuse parce que réarmée. Il en deviendra un fidèle allié.

Alors, quelles leçons doit-on tirer de la déflation de Laval ? Les tempssont différents mais les enseignements sont nombreux. Le principalest que la déflation n’est pas le bon choix car elle déclenche des crisessociales. Ceci explique la volonté des autorités monétaires de garder lestaux d’intérêt bas et d’inonder les économies grippées d’une abondancede liquidité. Ce sera donc probablement par l’inflation que nos écono-mies sortiront de la crise.

Décembre 2015

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Dettes publiques, taux d’intérêtet banques

Dette publique : Adam Smith aurait-il raison ?

La dette publique est une hypothèque sur la prospérité des générationsfutures puisqu’elle reste garantie par la capacité de l’État à lever des impôts

portant, entre autres, sur les revenus professionnels futurs. En s’endettant,l’État demande donc à des créanciers de lui faire crédit au motif qu’il seracapable d’exiger un prélèvement sur la création de richesse de ses futurscontribuables. Dès lors, une dette publique excessive est l’écueil principalà une fluidité du capital et à l’allègement du coût du travail. En effet, si ladette publique est refinancée par l’impôt, c’est immanquablement le travailqui est frappé. C’est d’ailleurs le message des autorités politiques allemandesqui soulignent, à juste titre, l’antagonisme entre une dette publique colossaleet la stabilité de son moyen de remboursement, c’est-à-dire la monnaie. Unedette publique insoutenable mine la confiance dans l’État et dans sa monnaie.

Dans la scolastique moyenâgeuse, l’intérêt était interdit au motif qu’ilconsistait en un vol du temps, donné gratuitement par Dieu. Le tempsest, en effet, nécessaire à calculer l’intérêt. Pourtant, l’intérêt est indis-pensable, ne fut-ce qu’en tant que compensation à un prêteur contrel’érosion monétaire et la dépossession de son capital. Dans le cas d’unedette publique, l’intérêt est essentiel pour attirer des créanciers, mais ilest principalement prélevé, au travers de l’impôt, sur les revenus pro-fessionnels des travailleurs futurs. Le financement de la dette publiquen’est-il pas alors un « vol » de leur temps ? La réponse est négative si ladette publique est contractée pour financer des projets ou des dépenses

de consommations dont le rendement, en termes de croissance écono-mique, est supérieur au taux d’intérêt de la dette. Dans le cas contraire,l’intérêt sur la dette est, pour partie, une captation de prospérité future.

Dans les dernières pages de son texte fondateur sur la « Richesse desNations », Adam Smith (1723-1790) avait prévenu : « Le progrès desdettes énormes qui écrasent toutes les grandes nations de l’Europe, etqui probablement les ruineront toutes à la longue » et « Quand les dettes

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nationales se sont accumulées jusqu’à un certain degré, il n’y a guère, à

ma connaissance, un seul cas où elles ont été remboursées équitablementet complètement. », donnant théoriquement raison… à Karl Marx.

Octobre 2015

L’insoutenable légèreté de la dette publique

La dette publique est un concept insaisissable. Ses facettes sont nom-

breuses car elle représente à la fois une prospérité future empruntée, unfinancement de biens publics qu’une population refuse de payer à soncoût réel et un transfert continu des créanciers de l’État vers les secteurspublics, à l’instar d’une gigantesque sécurité sociale. La dette publiqueserait alors à l’épargne privée ce que l’impôt est aux revenus. Elle seraitmême « la » représentation ultime de la solidarité étatique puisque sonrefinancement conditionne les mécanismes fiscaux et de redistribution.

Il y a aussi une dimension temporelle très particulière. Un titre dedette publique constitue, pour ses détenteurs, un capital. Mais, contraire-

ment à un capital privé, qui représente du travail passé progressivementépargné, la dette publique constitue aussi un prélèvement sur le travailcollectif futur. Plus spécifiquement, le créancier de l’État lui prête del’argent grâce à l’épargne du travail passé, tandis que l’État (le débiteur)rembourse sa propre dette grâce à un prélèvement fiscal sur le travailfutur. C’est logique : la dette publique est garantie par la capacité de l’Étatà lever des impôts portant, entre autres, sur les revenus professionnelsfuturs. En s’endettant, l’État demande donc à des créanciers de lui fairecrédit au motif qu’il sera capable d’exiger un prélèvement sur la créationde richesse de ses futurs contribuables.

Aujourd’hui la dette publique belge dépasse largement les richessesannuelles créées par le pays (c’est-à-dire le PIB). À cette dette apparentede l’ordre de 440 milliards d’euros, il faut ajouter une dette de pensionsqui, si elle était exprimée en euros de 2015, atteindrait 4 fois le PIB.Cette dette n’est d’ailleurs supportable que par le bas niveau des tauxd’intérêt. Une question se pose alors : comment est-il possible qu’unepopulation ait accepté de financer la dette de son propre État dans des

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DETTES PUBLIQUES, TAUX D’INTÉRÊT ET BANQUES

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proportions qui, aujourd’hui, rendent cette dette insupportable ? N’est-ce

pas schizophrénique de contracter collectivement une dette qu’on saitexcessive ? Cela ne relève-t-il pas d’une profonde naïveté de croire que ceseront toujours les travailleurs de demain qui rembourseront cette dette ?

Et puis, d’où l’argent épargné pour financer cette dette provient-il ?De la croissance passée ? D’une confiance en nous-mêmes qui sommessimultanément et concomitamment débiteurs et créanciers collectifs del’État ? Du fait que l’État nous a octroyé des biens publics à coût trèsbas (éducation, transports routiers et ferrés, etc.) qui nous ont permisd’épargner… et de financer l’État que nous finançons désormais.

Ces questions n’ont pas de réponses précises. L’économiste allemandAdolphe Wagner (1835-1917) énonça sa loi éponyme, à savoir que plusla société se civilise, plus l’État est dispendieux, ce qui se traduit par lefait que la part des dépenses publiques dans le PIB augmente avec lerevenu par habitant. Wagner décèle donc une corrélation entre le niveaude développement, l’étatisation de l’économie… et l’importance de ladette. Wagner explique cela par le fait que le développement accroît lademande de biens publics à un rythme qui lui est supérieur.

Mais alors, nous quitterions la schizophrénie pour entrer dans laparanoïa : mieux nous vivons collectivement, plus nous reportons sur

nos descendants un déficit de bien-être. Nous sacrifierions notre futurau présent, alors qu’un projet de prospérité devrait conduire à améliorerle sort de nos descendants.

Une question parallèle est de savoir dans quelle mesure une dettepublique est soutenable ? En matière de dettes publiques, le principalréflexe est de les comparer au PIB et à la capacité fiscale de l’État émet-teur, comme je l’ai fait ci-dessus. Mais une autre dimension doit êtreprise en compte lorsque la dette publique devient trop importante parrapport au PIB : il s’agit de la capacité de canaliser l’épargne domestique

 vers le financement de la dette. Une dette publique est, en effet, plutôt

refinancée que remboursée. C’est intuitif : sans épargne domestique,l’État ne trouve pas… de créanciers ! La dette publique est tolérablesi l’épargne domestique est, au pire, suffisante pour être capturée et,au mieux, utilisée comme garantie morale pour attirer des créanciersétrangers. C’est ainsi que la Belgique a contracté une dette supérieureà son PIB tout en gardant une notation de crédit favorable et un accèsà des créanciers étrangers dans un contexte de taux d’intérêt bas. Cette

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situation n’est viable que parce que l’épargne domestique est importante :

elle sert de garantie à la dette.Ceci étant, même si elle est refinancée, une dette publique n’a de

 valeur qu’à la condition que l’État, sur laquelle elle repose, honore sesengagements. Or l’État n’a pas de mémoire puisqu’il reflète l’expressiondes forces socio-politiques du moment. C’est ainsi que Marx (1818-1883)considérait que la dette publique était sans lien nécessaire avec le proces-sus de production de capital et qu’elle n’était pas un titre sur du capitalréel. Il l’assimilait à un capital fictif, parce qu’il en voyait l’extinctiondans la révolution, état préalable à la victoire du prolétariat. Aux yeuxde Marx, cela allait même plus loin : comme la dette publique est un

travail passé accumulé et gagé par un travail futur, cette même dettedevait être annulée par la négation de la propriété privée, qu’il percevaitcomme un obstacle à l’égalité sociale. Proudhon (1809-1865) n’avait pasune vision très éloignée.

Dans un saisissant recueil de textes des années 1920 et 1930 consacrésà la monnaie et à l’économie, Keynes abordait avec lucidité la dégrada-tion du pouvoir d’achat de la monnaie. Pour l’économiste anglais, cettedernière n’est pas un accident de l’Histoire car deux forces de tractioninduisent la perte de la valeur de la monnaie : l’impécuniosité des gou-

 vernements et l’influence politique des débiteurs. En d’autres termes,l’endettement excessif de l’État, combiné à la difficulté d’en imposer lacharge sur ses citoyens, le conduit à déprécier sa monnaie afin d’allégerle remboursement de la dette.

Et finalement, la question est de savoir vers quel système politiqueune dette publique excessive entraîne. Quel est, en effet, l’aboutissementde ce mouvement de fuite dans lequel l’État s’engouffre au travers del’endettement public ? Est-ce vers une étatisation insidieuse de toutel’économie et/ou vers la perte de pouvoir d’achat entraînée par l’inflationqui découle de l’arme monétaire ? La réponse se situe sans doute dans

une complexe chimie de ces deux éléments qu’on pourrait qualifier, dansla logique d’Hayek, d’étatisation inflationniste.

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La Banque centrale européenne solde

l’État-providence

Depuis un an, la BCE injecte des montants faramineux dans l’éco-nomie au travers d’un réescompte des dettes publiques de la zone euro.Cette mesure monétaire non conventionnelle, qualifiée d’assouplisse-ment quantitatif, est destinée à réinsuffler de l’inflation, elle-même censéecontrarier les forces déflationnistes et récessionnaires qui affectent lacroissance. Incidemment, ces injections de liquidité rendent l’euro plusabondant, donc moins cher en termes de cours de change et de tauxd’intérêt.

Mais il y a une autre réalité foudroyante : ces mesures monétairesconstituent l’aveu du caractère insoutenable des dettes publiques. Eneffet, ce sont essentiellement ces dernières qui servent de gage à la mon-naie créée.

Sans le refinancement de la BCE, ce sont ces mêmes dettes, en fortecroissance, qui auraient asphyxié l’économie en ponctionnant l’épargnedes particuliers et des entreprises (au travers des bilans des banques etdes compagnies d’assurances). Désormais, les États ont donc trouvé uncréancier complaisant pour leur propre refinancement à un taux nul,

 voire négatif. Bien sûr, la BCE ne peut statutairement pas acheter desdettes nouvellement émises par les États : elle doit acquérir ces dernièressur le marché secondaire, c’est-à-dire le marché des dettes acquises etfinancées préalablement par un agent économique (c’est-à-dire par del’épargne existante plutôt que par de la monnaie crée ex nihilo). Maistout informé sait que les dettes publiques ne transitent que quelquesheures ou jours dans des bilans de convenance avant d’être réescomptéescontre de la monnaie nouvellement émise à Francfort, ville du siège dela BCE. Ces dettes publiques sont donc bien échangées contre un capitalmonétaire qui n’existait pas.

Cette réalité relève de la répression financière, d’une situation réces-sionnaire et d’un combat contre le désendettement. La répression finan-cière est un contexte caractérisé par des taux maintenus artificiellementbas afin d’alléger le poids de la charge de la dette publique. La récessionexerce aussi une pression sur les taux d’intérêt : les besoins d’investisse-ment étant exceptionnellement faibles, la quantité de monnaie empruntéechute en dévalorisant son prix, c’est-à-dire le taux d’intérêt.

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Faut-il s’en étonner ? Aucunement. La BCE est une institution

publique qui a été créée par d’autres institutions publiques, c’est-à-direles États. Et ces institutions s’échangent leurs passifs, puisque la dettepublique est le passif des États tandis que la monnaie est inscrite aupassif du bilan des banques centrales. Comment, de surcroît, imaginerun instant que la BCE ait pu devenir « indépendante » de ses membresfondateurs, à savoir les gouvernements de la zone euro ?

C’est donc la BCE qui solde le coût de la crise et même celui dumodèle social qui a conduit à cet endettement public gigantesque. Àtitre illustratif, la dette publique de la zone euro est passée de 6.600à 10.000 milliards d’euros entre 2008 et 2016. Cette augmentation de3.400 milliards d’euros est, pour deux tiers, financée par la créationmonétaire.

Au travers de taux d’intérêt historiquement faibles, c’est le dépo-sant bancaire et le titulaire d’assurances-vie qui, via une rémunérationdésormais nulle de leurs placements, supportent indirectement le faiblecoût des dettes publiques au bénéfice des contribuables. Ceci étant, celaaurait pu être pire : en 2013, le FMI publia une étude suggérant uneconfiscation de 10 % des dépôts bancaires de la zone euro afin d’allé-ger le financement des dettes publiques, en élévation inexorable. Cette

orientation était bien sûr incompatible avec l’élémentaire inviolabilitéde la propriété privée et la protection des dépôts bancaires de moinsde 100.000 euros qui est accordée aux épargnants. Une autre approchefut alors adoptée : la BCE décida d’imprimer des billets, gagés sur cesmêmes dettes publiques, pour à peu près 15 % de leur montant entrefévrier 2015 et mars 2017. Pour se convaincre de cette réalité, il suffitde comparer le montant des dépôts bancaires et des dettes publiquesde la zone euro. Leur montant est quasiment équivalent, et de l’ordrede 10 000 milliards. Au lieu de ponctionner les dépôts pour éteindreles dettes publiques, on crée artificiellement de la monnaie grâce à ces

mêmes dettes publiques.En résumé, la création monétaire est une condition nécessaire, mais

non suffisante, pour relancer la croissance et l’inflation. Son véritablebut est d’engloutir l’endettement public dans le bilan de la BCE à destaux d’intérêt minuscules. Et finalement, c’est le déposant bancaire etl’assuré qui sont mis à contribution au travers de taux d’intérêt réduits,et dont l’épargne sera, à terme, rognée par l’inflation. Les gagnants en

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seront les États, donc ses contribuables, dont les charges d’intérêt des

dettes et des impôts en seront réduites.

 Mars 2016 

Dette publique et monnaie

Les chiffres de l’inflation de la zone euro sont exécrables. La théo-rie classique ne s’applique plus : l’inflation baisse malgré des injections

monétaires titanesques et des taux d’intérêt négatifs. Pourquoi ? C’estdifficile à dire. D’autres facteurs affectent la demande : vieillissement dela population, peur du futur et accumulation d’épargnes de précaution,pertes d’emplois liées à la révolution digitale, inégalité des revenus, inca-pacité mentale à sortir des schémas de pensée classique… Que sais-je ?

Devant cette situation inédite et anormale, la BCE va continuer àenfoncer les taux d’intérêt et à injecter de la monnaie, mais peut-être en

 vain. Et certainement dans un tumulte politique qui n’est plus larvé : leministre des Finances allemand vient de répéter tout le mal qu’il pensede la gestion monétaire contemporaine. Au reste, on le voit dans tousles domaines : l’Europe se délite. Peut-être dirons-nous dans quelquesannées que l’Europe de la solidarité aura vécu de 1945 à 2008, c’est-à-dire qu’une crise économique, aussi violente que celle de 1929, auraeu raison de la sagesse et de l’humanisme.

Je deviens prudent : ces taux d’intérêt négatifs, qui constituent uneaide indispensable au financement des États surendettés, vont éroder larentabilité du secteur financier jusqu’à en faire l’auxiliaire des États. Jeparle ici des banques commerciales traditionnelles et des compagniesd’assurances. Là aussi, je l’avais écrit dès 2008 : ces institutions seront

sournoisement placées sous la tutelle des États au travers de leurs actifs.Mais après tout cela, que se passera-t-il ? Si nous n’y prenons garde,

c’est la survie de la monnaie qui sera engagée. Car aucune monnaiene peut survivre à son rendement négatif prolongé, sauf à entrer dansune dimension inconnue de l’étalon monétaire. Et une chose apparaitaujourd’hui, au-delà du déni politique de certains : c’est la dette publique,devenue garante de la monnaie et dont la supportabilité n’est acquise

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que par des taux d’intérêt négatifs, qui est à la base de cette inversion

monétaire. Cela aussi, je l’avais écrit depuis des années, en supputantque la dernière bulle serait celle de la monnaie elle-même.

Nous avons vécu à crédit d’un bien-être futur espéré.

Le futur se rappelle à notre souvenir.

Février 2016 

La rédemption biblique des dettes publiques

Et si la dette publique, que nous mettons à charge de nos descendants,s’assimilait de loin en loin à la trame catholique de nos communautés,affectées du péché originel ? La trame catholique conduit à laver, parune vie exemplaire, la souillure originelle, comme une dette qui doitêtre remboursée. Dans le cas de la dette publique, il s’agit d’un bien-être,prélevé par les anciens, au détriment des futures générations qui devronttravailler pour « racheter » les acquis que leur ont laissés leurs ascendants.

Les protestants ont eu une vision différente, cherchant (à tout le moins

dans la vision calviniste), les indices de prédestination. C’est ainsi qu’ilsentretiennent, par un cycle d’investissement et de licéité théologique dutaux d’intérêt, l’enrichissement et l’endettement destinés à l’investisse-ment. En particulier, les Américains sont imprégnés de la culture del’accumulation de biens, contraire à l’ascétisme et à l’esprit d’économieet de réinvestissement préconisé par les penseurs de la Réforme.

Mais, en même temps, l’endettement entraîné par la consommationpousse à l’effort professionnel (pour rembourser les dettes) et à la prisede risque dans ses investissements (dans l’espoir de se refaire). L’espritéconomique américain tend à projeter ses acteurs dans le futur, dans le

rebond salutaire d’une consommation excessive dans le présent. L’endet-tement force à la résilience professionnelle. On retrouve aussi dans cettementalité américaine le négatif de l’économie de la thésaurisation propreaux anciennes communautés catholiques. L’endettement s’oppose à lathésaurisation dans un vecteur de temps : il exige une création de richessefuture, tandis que la thésaurisation ne s’entretient que par l’écoulementdu temps passé.

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Pour les Américains, la création monétaire peut d’ailleurs être utili-

sée pour rembourser la dette, ce que les pères fondateurs de la Réforme(luthériens en Allemagne et calvinistes en Hollande et dans des paysnordiques) réfutent. En allemand et en néerlandais, le terme « dette »et « faute » est d’ailleurs le même mot (schuld ). Dans les pays réforméseuropéens, la dette publique doit être remboursée par l’épargne des contri-buables tandis que dans les pays anglo-saxons, d’origine protestante, lacréation monétaire (c’est-à-dire la planche à billets) peut être utilisée.

Si tant est qu’on puisse rattacher la notion de dette publique à un courantreligieux, on pourrait alors distinguer la dette publique catholique (héritière

du péché originel et dont la rédemption est reportée sur les futures géné-rations), la dette publique réformée issue des terres de la Réforme (dont leremboursement doit être assuré par l’épargne des mêmes générations quecelles qui ont contracté la dette publique) et la dette réformée anglo-saxonne,plus diluée et proche du paganisme, qui peut être remboursée par la créa-tion monétaire, c’est-à-dire une dilution instantanée des péchés d’argent.

 Août 2015

Comment ne pas se noyer dans la dette publique ?

Depuis que les fumées de la crise grecque se sont temporairementdissipées, un autre problème, d’une envergure colossale, continue à han-ter nos économies.

Il s’agit de la dette publique, qui atteindra près de 100 % du PIBdans la zone euro.

Cette dette n’est pas stabilisée : elle croît plus vite que la croissancedu PIB.

Sans inflation ni croissance, son poids n’est tolérable qu’au prix detaux d’intérêt très bas, que les autorités monétaires seront obligées demaintenir à ce niveau afin d’éviter l’explosion des déficits budgétaireset donc… des dettes publiques.

Au reste, les proportions sont parfois trompeuses. Ainsi, dans le casgrec, la perception première conduit à penser que ce pays s’effondre sous

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la dette publique, alors qu’elle est stabilisée, avec l’aide des abattements

 volontaires de créances. Cette dette était de 356 milliards d’euros en2011 et a été réduite à 317 milliards d’euros en 2014, mais le ratio dela dette publique sur le PIB est passé de 171 % à 177 %, parce que ladécroissance du PIB fut supérieure à la croissance de la dette.

Face à cette situation de croissance insuffisante et de déflation larvée,aucune solution intelligible ne peut être formulée pour une stabilisationde la dette. Des réductions de dépenses publiques sont certes souhai-tables, pour autant qu’elles n’aient pas d’effet récessionnaire. Mais cesréductions seront rapidement submergées par le coût des pensions dontla volumétrie écrasante n’est pas suffisamment intégrée dans la gestion

des politiques économiques.Le seul aboutissement sera la monétisation de la dette publique, dans

des proportions croissantes. Il s’agira donc probablement de la perpé-tuation et de l’extension du réescompte des dettes publiques par lesbanques centrales, dont la BCE.

La dette publique reviendra donc vers son point de départ, à savoirl’État.

Il s’agira donc conceptuellement d’une gigantesque soustraction dela dette par la création monétaire, avec l’espoir de susciter une inflation

qui érodera ces mêmes dettes.Bien évidemment, ce sera un changement complet de paradigme,

qui diluera l’indépendance de la BCE dans une gestion politique. Maispeut-on imaginer une minute que la BCE puisse maintenir le principed’une monnaie désinflatée devant des États qui suffoquent sous des dettespubliques et qui sont les géniteurs de cette même BCE ?

Une monétisation des dettes publiques s’assimilerait donc à leur…nationalisation.

Les prochaines années seront tourmentées.

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Le monde inconnu des taux d’intérêt négatifs

Il faut désormais penser l’impensable : nous entrons dans une périodede taux d’intérêt négatifs. Cette ahurissante situation a été amorcée l’anpassé, lorsque la BCE a appliqué des taux d’intérêt négatifs sur les dépôtsqui lui étaient confiés. Un taux de dépôt négatif revient à faire payerles banques privées pour placer leurs liquidités auprès de la BCE. Toutse passe comme si cette dernière protégeait tellement ces dépôts qu’ilfaudrait payer cette garantie au-delà de la rémunération de l’argent. LaBCE pousse donc indirectement les banques à prêter leurs liquiditésexcédentaires aux États ou à des débiteurs privés. Cette posture signaleaux marchés financiers que la cohésion de l’euro et l’intervention de labanque centrale ne seront pas contrariées par des seuils symboliques.

Cette réalité relève de la répression financière et d’une situation défla-tionniste. La répression financière est un contexte caractérisé par des tauxmaintenus artificiellement bas afin d’alléger le poids de la charge de ladette publique. La récession exerce aussi une pression sur les taux d’inté-rêt : les besoins d’investissement étant faibles, la quantité de monnaieempruntée chute en dévalorisant son prix, c’est-à-dire le taux d’intérêt.L’économie est stagnante et ses circuits monétaires sont grippés. Elle est

empêtrée dans un « piège de la liquidité » qui caractérise les périodespendant lesquelles la consommation et l’investissement sont indifférentsà l’offre de monnaie et à des taux d’intérêt minuscules.

Depuis quelques semaines, les taux négatifs se généralisent à de nom-breuses dettes souveraines. La BCE a, en effet, lancé un gigantesqueprogramme d’assouplissement quantitatif, qui consiste à escompter, c’est-à-dire à émettre de la monnaie, en contrepartie d’obligations souverainesqu’elle acquière auprès des institutions financières. Cette démarche de laBCE entraîne une augmentation du prix de ces obligations souveraines,qu’elle doit « surpayer », entraînant mécaniquement une chute des taux

d’intérêt. Aujourd’hui, près de 20 % des dettes souveraines, soit prèsde 2.000 milliards d’euros sur un total approximatif de 7 500 milliards,présentent un taux d’intérêt négatif. C’est un changement majeur depolitique monétaire : alors que la BCE poussait les banques privées àne pas effectuer de dépôts auprès d’elle-même mais à les prêter à l’éco-nomie réelle, cette même BCE rachète désormais ces mêmes prêts encréant de la monnaie.

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ANTHEMIS

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S’ils étaient transposés à l’ensemble de l’économie, des taux d’inté-

rêt négatifs stimuleraient l’emprunt et la consommation décourageraitl’épargne, puisqu’un dépôt d’argent est pénalisé. En imposant des tauxd’intérêt négatifs, c’est comme si on imposait, à l’instar de l’inflation,une perte de pouvoir d’achat à la monnaie. Un taux d’intérêt négatif estune inflation imposée destinée à stimuler… l’inflation.

Au reste, des taux d’intérêt négatifs correspondent à une situationétrange. En effet, le taux d’intérêt est le prix du temps, puisqu’il s’agitd’appliquer à un segment de temps (un jour, un mois, un an…) unpourcentage de valeur conventionnel. L’intérêt représente donc le prixde la dépossession du temps. Le taux d’intérêt rend mécaniquementl’avenir « nominalement » plus cher : dans un contexte de taux d’inté-rêt de 1 %, il est équivalent de posséder 1.000 euros aujourd’hui ou1.010 euros dans un an. Lorsque le taux d’intérêt devient nul, l’avenirse rapproche, puisque le passage du temps n’est plus récompensé parl’intérêt. Le temps devient progressivement une variable faible jusqu’à

 juxtaposer l’expression monétaire du futur à celle d’aujourd’hui.

Mais lorsque le taux d’intérêt devient négatif, c’est comme si le tempsdevenait lui-même négatif. out se passe comme si la capitalisation dessommes dans le futur les dégénérait vers le passé : supposons (en arrondis-

sant les chiffres) tout d’abord qu’un taux d’intérêt positif de 1 % s’applique,en considérant un placement de 1.000 euros. Après un an, ce placement vaut1.010 euros. Après deux ans, ce même placement, à nouveau capitalisé à 1 %,

 vaut 1.020,1 euros. Imaginons, au terme de ces deux ans, qu’un taux négatifde – 1 % s’applique. Le montant de 1.020,1 euros, placé au taux négatif de-1 %, devient 1.010 euros au terme de la troisième année et 1.000 euros auterme de la quatrième année. On le voit : le taux d’intérêt négatif fait re-pénétrer les sommes dans le passé en leur redonnant leur valeur d’origine.

Cette situation ne présente pas que des avantages : l’endettementdes États est conforté par des taux faibles, voire négatifs. Les taux ne

disciplinent plus les États qui peuvent consolider leur endettement àcoût réduit. Ils incitent aussi l’investisseur à prendre des risques addi-tionnels tout en contribuant à la formation de bulles d’actifs, c’est-à-direà une inflation des actions et de l’immobilier. Au Danemark, des tauxhypothécaires négatifs entraînent une flambée des prix de l’immobilier.

Les institutions financières qui tirent leur substance de la transfor-mation d’échéances (banques, compagnies d’assurance-vie) sont, quant à

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elles, confrontées à une inversion de la chaîne de création de valeur. Les

banques, par exemple, possèdent des placements qui sont traditionnel-lement de plus longue échéance que leurs passifs, c’est-à-dire les dépôtsqui leur sont confiés. Une baisse des taux d’intérêt a, tout d’abord, uneffet favorable sur le bilan au travers de plus-values latentes, mais cetavantage se dissout dans le temps. Des taux d’intérêt trop bas entraînentalors un reflux de la rentabilité, comme une pompe qui refoule. Lesinstitutions financières sont, en effet, écartelées entre rendements tropfaibles sur leurs actifs et les demandes incompressibles de rémunérationsde leurs propres clients. En outre, au lieu de bénéficier d’une marge detransformation d’échéance des dépôts vers les placements des banques,

ces dernières doivent absorber des coûts opérationnels qui excèdent cettemême marge. Cette pression est d’autant plus violente que la baisse destaux d’intérêt est forte.

En conclusion, avec des taux d’intérêt négatifs, nous entrons dansun nouveau monde inconnu. Les circuits bancaires étant actuellementtrop visqueux pour traduire la création de monnaie en inflation, c’estla baisse autoritaire des taux monétaires qui s’y substitue temporaire-ment. Le problème, c’est qu’un dépôt bancaire perd sa valeur dans un telcontexte déflationniste tandis que de l’argent liquide conserve sa valeurnominale… sauf que les manipulations d’argent liquide deviennent de

plus en plus limitées. Au reste, si les taux devenaient structurellementnégatifs sur une longue période, on pourrait imaginer qu’un contrôlepublic des mouvements en espèces soit opéré. Ce serait une sorte deconfiscation de l’épargne qui devrait être maintenue sur des comptes.Est-ce un scénario de science-fiction ? Je l’espère. Mais l’Histoire rappelleque l’État exerce toujours l’autorité monétaire ultime.

Et finalement, la difficulté n’est pas d’entrer en territoire de tauxd’intérêt négatifs, mais de s’en extraire. Au moment d’une brusqueremontée des taux, il y a un risque de contraction sévère de l’économie.C’est pour cette raison que je subodore que les taux d’intérêt négatifsne soient qu’une modalité transitoire. Ils engageraient l’économie dansune déperdition de la valeur de la monnaie avant que l’inflation ne sesubstitue, à un certain moment, à la négativité des taux d’intérêt.

 Avril 2015

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The Dark Side of the Moon-ey 

Einstein aurait dit que le temps avait été inventé pour que tout nese passe pas au même moment.

La monnaie est, quant à elle, une expression humaine qui se juxta-pose sur la ligne de temps… pour que tout ne se passe pas non plus enmême temps.

La monnaie accumulée forme l’expression d’un capital qui est nor-malement l’expression d’un travail passé.

Cette même monnaie est gagée sur un travail futur.

La monnaie n’existe donc que dans un vecteur… de temps.Et l’homme a inventé un prix au temps, qui est le taux d’intérêt.

Quand le taux d’intérêt tombe vers zéro, la monnaie accumulée perd desa capacité à extraire du futur une rémunération. Le futur se rapproche…

 jusqu’à entrer dans le passé si le taux d’intérêt devient négatif.

 Janvier 2016 

Faute d’assoupir la dette, on assouplit la monnaie !

Toutes les banques centrales procèdent à un immense assouplisse-ment quantitatif (ou quantitative easing ).

Faute de pouvoir assoupir la monnaie, on l’assouplit : il s’agit del’étirer pour que la surface de l’offre monétaire dépasse la surface d’ab-sorption de l’économie réelle afin de créer de l’inflation. Les banquescentrales refinancent donc les États qui sont à la fois les adjudicateurset les souscripteurs (indirects) de leur propre dette.

Car, ne nous égarons pas : le vrai problème que cache la créationmonétaire, c’est la dette publique que les banques centrales financentdésormais, en relais à l’épargne domestique.

Mais un assouplissement monétaire, si tant est qu’il soit indispen-sable, est un fusil à un coup.

Une fois la rotative à billet lancée, on ne peut plus l’arrêter, sauf àfaire face à un choc de croissance. Ainsi, au Japon, la création monétaire

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semble, à ce stade, ineffective, ce qui conduira probablement les autorités

monétaires nipponnes à l’amplifier, au travers de ce qu’on qualifie désor-mais de « qualitative » quantitative Easing , c’est-à-dire une extension duprogramme de rachat d’actif à des dettes privées.

Il faudra donc continuer, partout, à inonder l’économie de cash.

Bien sûr, le point final, c’est la soustraction des dettes par la monnaie,ce qui conduit à annihiler tant les dettes que la monnaie. Cela s’appelle unehyperinflation qui précède la mort de la monnaie. Mais on en est très loin.Et c’est pour cela qu’il faut poursuivre les assouplissements quantitatifs…

Novembre 2015

Plongée abyssale dans les taux d’intérêt négatifs

La BCE a récemment annoncé qu’elle amplifierait son assouplisse-ment monétaire.

Quelle forme pourrait prendre cette orientation ?

1. On pourrait imaginer une augmentation du volume mensueld’achat d’obligations souveraines, qui est actuellement fixé à 60 milliardsd’euros. Cette voie ne doit pas être exclue, encore qu’elle soit peu pro-bable à court terme. En effet, au-delà des oppositions politiques émanantde certains pays, ces achats sont effectués au prorata de l’importancede chaque État-membre de la zone euro dans le capital de la BCE. Ilsprofitent essentiellement aux importants pays dont les taux d’empruntsont déjà extrêmement bas. De surcroît, la réinflation d’une économieau travers d’une monétisation de la dette publique s’inscrit dans le tempsplutôt qu’elle relève de la théorie du choc, sans compter le fait que la

BCE réescompte des dettes publiques sans effet de transmission immé-diat à l’économie réelle. Au mieux, ce réescompte libère les banquescommerciales d’un portage d’actifs souverains, évitant un théorique effetd’éviction (crowding out ) qui se concrétiserait si l’épargne domestiqueétait asséchée par les besoins de financement des autorités publiques.

2. Une deuxième orientation conduirait, pour la BCE, à acquérir desactifs privés, ce qu’elle effectue déjà modiquement pour des obligations

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émanant d’organisations internationales parastatales. Cette voie semble,

elle aussi, peu probable à court terme, eu égard au fait que cela induiraitun risque de crédit dans le bilan de l’institut d’émission, nonobstant lefait que le marché des obligations privées est peu développé.

3. Il reste la troisième orientation qui constitue le scénario le plusprobable, à savoir une nouvelle baisse du taux de dépôt de la BCE (c’est-à-dire de la rémunération de l’argent déposé par des banques auprès de laBCE), actuellement fixé à -30 centimes. Il s’agit de la démarche adoptéepar de nombreuses banques centrales, dont la Banque centrale du Japon.Cette approche permettrait d’affaiblir l’euro sans transformer le bilan dela BCE en comptoir d’escompte des États. L’inconvénient de cette baissedes taux est que cette dernière se traduirait par une moindre rentabilitédes banques commerciales, sauf à imaginer que les dépôts d’épargnedes particuliers soient progressivement, et selon des modalités diverses,soumis à des taux d’intérêt négatifs, ce qu’il ne faut aucunement exclure.Incidemment, on pourrait imaginer que la BCE baisse aussi son taux derefinancement, c’est-à-dire le taux d’intérêt auquel des banques peuventse refinancer auprès d’elle.

En conclusion de cette note prospective, il faut s’attendre à ce quela BCE baisse son taux de dépôt en mars. Il est évidemment hasardeux

de formuler un chiffre, mais ce taux pourrait passer de -30 centimes à-50 centimes (les marchés anticipant une baisse à -40 centimes). Nousentrons dans un monde nouveau, celui de la pénombre du prix du temps,à savoir le taux d’intérêt, qui s’enfuit.

 Janvier 2016 

Taux négatifs : here, there and everywhere…

Je vais m’essayer à un hasardeux exercice de futurologie financière.L’histoire commence en octobre 2013. À cette époque, le FMI publieune étude suggérant une confiscation de 10 % des dépôts bancaires de lazone euro afin d’alléger le financement des dettes publiques, en élévationinexorable. Cette orientation est bien sûr incompatible avec l’élémen-taire inviolabilité de la propriété privée. Une autre approche est alors

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 adoptée : la BCE décide d’imprimer des billets, gagés sur ces mêmes

dettes publiques, pour à peu près 15 % de leur montant entre février 2015et mars 2017. Mais cet assouplissement monétaire, qui a essentiellementpour objectif de faciliter le financement des États et d’affaiblir l’euro nesuffit pas. En effet, l’économie est stagnante et ses circuits monétaires sontgrippés. Elle est empêtrée dans un « piège de la liquidité » qui caractériseles périodes pendant lesquelles la consommation et l’investissement sontindifférents à l’offre de monnaie et à des taux d’intérêt minuscules.

Mais il faut maintenir les taux d’intérêt très bas afin que le coût desdettes publiques soit supportable pour les États membres de la zoneeuro. La BCE s’engage alors dans une politique de taux d’intérêt néga-tifs, destinée, entre autres, à décourager la stérilisation, sur son proprebilan, de l’excédent monétaire conservé par les banques commerciales.La BCE veut s’assurer que les lignes de crédit ouvertes aux banques pri-

 vées ne reviennent pas, sous forme de dépôts, dans son propre bilan. En juin 2014, la BCE abaisse à -0,1 % son taux de dépôt pour les banquescommerciales, avant de le porter à -0,2 % en septembre 2014 et à -0,3 %en décembre 2015. Ce taux sera encore abaissé en mars prochain etcertains le voient à -0,6 % en décembre 2016.

Cette réalité relève de la répression financière, d’une situation réces-

sionnaire et d’un combat contre le désendettement. La répression finan-cière est un contexte caractérisé par des taux maintenus artificiellementbas afin d’alléger le poids de la charge de la dette publique. La récessionexerce aussi une pression sur les taux d’intérêt : les besoins d’investisse-ment étant exceptionnellement faibles, la quantité de monnaie empruntéechute en dévalorisant son prix, c’est-à-dire le taux d’intérêt.

Or cette baisse de taux fragilise gravement la rentabilité bancaire. Eneffet, les institutions financières qui tirent leur substance de la transfor-mation d’échéances (banques, compagnies d’assurance-vie) sont confron-tées à une inversion de la chaîne de création de valeur. Les banques, par

exemple, possèdent des placements qui sont traditionnellement de pluslongue échéance que leurs passifs, c’est-à-dire les dépôts qui leur sontconfiés. Une baisse des taux d’intérêt a, tout d’abord, un effet favorablesur le bilan au travers de plus-values latentes, mais cet avantage se dissoutdans le temps. Des taux d’intérêt trop bas entraînent alors un reflux dela rentabilité. Les institutions financières sont, en effet, écartelées entrerendements trop faibles sur leurs actifs et les demandes de rémunérations

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de leurs propres clients. Il est donc essentiel que les banques gardent

une marge d’intermédiation satisfaisante. Cette dernière serait confortéepar des taux d’intérêt négatifs.

La question est désormais de savoir si les taux d’intérêt négatifs vonts’étendre aux dépôts bancaires des particuliers et des entreprises sous lapression politique et de la BCE. Je le crains tristement. Comment pro-céder ? Je m’essaie à une prospective politique car les décisions serontprobablement envisagées à un niveau européen : il est probable que lesdépôts réglementés de moins de 100.000 euros soient protégés avec untaux d’intérêt plancher de 0,01 %, soit un point de base. Par contre,ainsi que de nombreuses analogies politiques l’ont illustré (capture desdépôts chypriotes, tentative avortée de confiscation bancaire en Grèce,etc.), les dépôts de plus de 100.000 euros pourraient éventuellement êtreaffectés d’un taux négatif. Quelle serait la limite à la négativité des tauxsur ces gros dépôts ? Je l’estime à – 0,50 % si la BCE persiste dans sapolitique. Cette situation, indirectement imposée par la BCE, serait biensûr extrêmement néfaste car l’épargne serait violentée.

Si des taux d’intérêt négatifs s’imposaient sur certains dépôts d’épargne,ce ne serait pas une première : de nombreux pays l’ont déjà appliqué. LaSuède fut le premier pays à expérimenter des taux négatifs en juillet 2009.

La Riksbank, Banque centrale suédoise, abaissa à -0,25 % le taux de dépôtque doivent payer les banques commerciales pour déposer leur liquiditéauprès de l’institution. La mesure fut brève car l’économie suédoise pro-fita de cette mesure pour se redresser. La Riksbank remonta ses taux enseptembre 2010. Le Danemark, dont la devise est liée à l’évolution del’euro, suivit l’exemple suédois en portant ses taux d’intérêt à -0,2 % en

 juillet 2012, pour les remonter à -0,1 % en avril 2014. En janvier 2015, àla stupeur des marchés financiers, la Banque nationale suisse abandonnale cours plancher du franc suisse face à l’euro et porte à -0,75 % son tauxde dépôt. La Banque centrale danoise sera aussi forcée à porter à -0,75 %

le taux de facilité de dépôt au début de l’année dernière. En février de cetteannée, la Riksbank, face à des forces déflationnistes, se retrouva contrainted’abaisser de nouveau ses taux de dépôt en négatif. Le Japon adopta lamême mesure. En Suisse et au Danemark, la pression de taux à -0,75 %devient rapidement intenable pour les banques. Au Danemark, les entre-prises se sont mises à payer en avance leurs impôts pour se débarrasserde leur cash, afin d’éviter de perdre de la valeur à cause de taux négatifs

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de dépôt. En octobre, une petite banque suisse a décidé d’imposer un taux

de -0,8 % pour les dépôts de plus de 100.000 euros.Bien sûr, il est troublant de penser que la BCE pénalise les dépôts

de banques privées alors qu’elle émet également les billets qui, eux aussiinscrits à son passif, gardent leur valeur nominale. La monnaie « papier »et la monnaie fiduciaire n’ont désormais plus la même valeur. ousles euros ne seraient plus fongibles, raison pour laquelle une situationprolongée de taux d’intérêt négatifs s’accompagnera immanquablementd’une restriction croissante à l’utilisation d’espèces, voire d’impossibilitésde retrait dépassant un certain montant. En effet, le risque serait uneconversion massive de dépôts bancaires en espèces. Ces limites existentdéjà : 3.000 euros en Belgique, 1.000 en France, etc. Un problème derespect de la vie privée, donc de choix démocratique, se pose donc der-rière les taux d’intérêt négatifs.

Un taux négatif sur les dépôts stimulera-t-il la consommation inté-rieure ? Aucunement : la tétanie économique est telle que les particulierspaieront pour la sécurité de leurs dépôts. C’est même l’inverse qui pour-rait se présenter : les ménages épargneraient d’autant plus que les tauxd’intérêt deviennent négatifs afin de conserver une épargne nominaleidentique, dans l’esprit des théories de l’économiste Ricardo (1772-1823).

L’argument que des taux d’intérêt négatifs pousseraient à un redéploie-ment vers des placements excessivement risqués pour les particuliers mesemble également infondé, d’autant que les banques feront tout pourentretenir la capture des dépôts d’épargne.

Mais après des taux d’intérêt négatifs sur les gros dépôts bancaireset des restrictions à l’usage des espèces (voire, à terme, la pénétrationdans un monde sans cash), doit-on craindre que cette mesure s’étendeà d’autres opérateurs financiers ? Ce n’est pas impossible. Je pense aupremier chef aux entreprises d’assurances-vie. Ces institutions sontdes transformatrices de longue échéance. Des intérêts négatifs sur les

sommes capitalisées seraient incontournables sachant que leur impactserait heureusement atténué par le fait que des assurances-vie privéesou professionnelles bénéficient actuellement d’un traitement fiscal favo-rable qui gommerait les taux d’intérêt négatifs. Mais les compagniesd’assurances seraient néanmoins menacées car si on est obligé d’avoirun compte bancaire, la souscription d’un contrat d’assurance-vie relèved’une précaution volontaire de placement à long terme, alors que les

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taux d’intérêt négatifs promeuvent les placements à court terme. Et puis,

d’autres mesures de répression financières pourraient être imposées parles gouvernements aux entreprises d’assurances-vie : transformation obli-gatoire des capitaux en rentes, pénalisations fiscales accrues au retraitanticipé des capitaux, etc. Une extrême vigilance citoyenne s’imposera.

Avec des taux d’intérêt négatifs, nous sommes à la frontière d’unnouveau monde qui révèle l’omnipotence des banques centrales. Tous,nous paierions ces taux d’intérêt négatifs. Il reste à espérer que nousne tombions pas dans un piège à la japonaise. Si c’est le cas, alors ilfaudra s’interroger rétrospectivement sur le bien-fondé des politiquesd’austérité budgétaire et de gestion contractée de la monnaie. En effet,un scénario à la japonaise n’est pas un accablement providentiel, maisle résultat d’une politique choisie. Et finalement, la difficulté n’est pasd’entrer en territoire de taux d’intérêt négatifs, mais de s’en extraire. À cemoment, il y a un risque de contraction sévère de l’économie. C’est pourcette raison que la BCE aurait dû, dès le début de la crise, en prendre lamesure et se dissocier de sa tutelle allemande, entretenue par la crainted’une hypothétique inflation. Au lieu d’appréhender l’inflation, il fallaiten créer. Il fallait aussi éviter que la maigre croissance soit laminée pardes programmes d’austérité. Aujourd’hui, il faut espérer une chose, à

savoir que la négativité des taux d’intérêt n’est qu’un épisode tempo-raire. Mais l’inverse ne doit malheureusement pas être exclu : devantun contexte déflationniste persistant et des dettes d’État en lévitation,certains exigeront que la variable d’ajustement soit la rémunération ducapital. Ce capital devrait être orienté de manière autoritaire vers lefinancement des dettes publiques et sa rentabilité sera compressée pourrendre le coût de ces mêmes dettes d’État soutenables.

Février 2016 

De l’inimaginable à l’inimaginable !

Chose inimaginable il y a quelques années, les taux d’intérêt négatifsse propagent dans les économies développées, qui frôlent avec la défla-tion, voire la récession.

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Cette technique, rarement utilisée, vise à affaiblir une monnaie et à

décourager les placements des banques privées auprès de leur banquecentrale, forçant évidemment ces taux d’intérêt négatifs à se diffuserdans toute l’économie bancaire.

Inversement, on peut conceptualiser ces taux négatifs comme uneinflation imposée pour contrer la tendance déflationniste : la monnaieen comptes bancaires perd sa valeur nominale au fil du temps.

Au reste, si cette tendance se confirme et/ou s’accentue, les dépôtsd’épargne réglementés seront, eux aussi, soumis à un taux d’intérêt néga-tif, concomitamment à une limitation de l’utilisation des espèces (afin

d’éviter une thésaurisation de monnaie sous forme physique).À un niveau international, il n’est pas exclu que de sporadiques guerres

de monnaies soient engagées. Celles-ci revêtiraient trois modalités : desimpressions monétaires, des dévaluations (lorsque les cours de certainesdevises sont liés) et des courses à la négativité des taux directeurs.

out ceci me conforte dans l’intuition que j’ai souvent expriméedepuis 2011 : c’est la valeur de la monnaie qui va servir de variabled’ajustement à la crise de 2008, aggravée par la hausse de l’endettementpublic.

Au reste, c’est exactement ce qu’affirment rechercher désormais lesautorités monétaires : susciter une hausse de l’inflation.

Ce qui aurait aussi été inimaginable, il y a quelques années.

Février 2016 

Des taux d’intérêt négatifs sur certains carnetsd’épargne ?

Dans quelques jours, il est probable que la BCE baisse à nouveauses taux de dépôts. En juin 2014, la BCE abaissa à -0,1 % son taux dedépôt pour les banques commerciales, avant de le porter à -0,2 % en sep-tembre 2014 et à -0,3 % en décembre 2015. Certains le voient à -0,6 %en décembre 2016. La question est désormais de savoir si les taux d’inté-rêt négatifs vont se diffuser aux dépôts bancaires des particuliers et des

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 entreprises sous la pression politique et de la BCE. Je le crains. Il est

probable que les dépôts réglementés de moins de 100.000 euros soientprotégés avec un taux d’intérêt plancher de 0,01 %, soit un point de base.Par contre, les dépôts de plus de 100.000 euros pourraient éventuellementêtre affectés d’un taux négatif. Cette situation, indirectement imposée parla BCE, serait bien sûr extrêmement néfaste car l’épargne serait violentée.

Certains s’inquiètent d’un bank run, c’est-à-dire d’un retrait massifde dépôts, voire d’un mécontentement populaire. Je n’y crois pas. Lestaux négatifs s’imposent  à nous au travers de la BCE. Ce n’est donc pasune réalité contournable. Et la BCE détient le pouvoir régalien de fixerle prix de la monnaie. Le taux sera légèrement négatif et il s’exprimeracomme prix de la sécurité de l’épargne plutôt que comme une rémuné-ration du renoncement à la liquidité.

Mais après des taux d’intérêt négatifs sur les gros dépôts bancaires etdes restrictions à l’usage des espèces (voire, à terme, la pénétration dans unmonde sans cash), doit-on craindre que cette mesure s’étende à d’autres opé-rateurs financiers ? Ce n’est pas impossible. Je pense aux entreprises d’assu-rances-vie. Ces institutions sont des transformatrices de longue échéance. Desintérêts négatifs sur les sommes capitalisées seraient incontournables sachantque leur impact serait heureusement atténué par le fait que des assurances-vie

privées ou professionnelles bénéficient actuellement d’un traitement fiscalfavorable qui gommerait les taux d’intérêt négatifs. D’autres mesures derépression financières pourraient être imposées par les gouvernements auxentreprises d’assurances-vie : transformation obligatoire des capitaux enrentes, pénalisations fiscales accrues au retrait anticipé des capitaux, etc.

Dans tous les cas de figure, réalistes ou cauchemardés, il faut se rendreà l’évidence : la plongée dans des taux d’intérêt négatifs ne sera pas,comme je l’avais espéré, une approche temporaire. Je crains désormaisque ce soit un mouvement lourd, profond et persistant. Faute d’avoirréussi à relancer l’inflation, la BCE l’impose par l’érosion de l’épargne.

C’est un acte de répression financière. Mais il est intuitif : les dettespubliques sont trop élevées et leur absorption par l’épargne, au traversdes bilans bancaires et de compagnies d’assurance, est inéluctable. Cesdettes seront financées par des dépôts et des réserves d’assurances ponc-tionnées par des taux d’intérêt négatifs.

Février 2016 

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DETTES PUBLIQUES, TAUX D’INTÉRÊT ET BANQUES

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L’intérêt négatif constitue l’abstention

devant le futur 

Les taux d’intérêt négatifs reflètent le contexte déflationniste : face àun manque d’inflation, reflétant le contexte récessionnaire de nos éco-nomies, la BCE impose une inflation au travers de taux d’intérêt négatifspuisqu’il s’agit d’éroder le pouvoir d’achat de la monnaie qui se réfugiedans sa propre liquidité.

Inversement, on peut concevoir le taux d’intérêt négatif comme unecause de déflation. En effet, un déposant qui prête de la monnaie à un

taux d’intérêt négatif paie pour la sécurité et la liquidité immédiate decette dernière. Il place donc la préférence pour la liquidité au-dessus detoute autre décision puisqu’il renonce à un rendement supérieur sur toutautre placement en acceptant de s’appauvrir pour cette même liquidité.

Un taux de dépôt négatif est donc une abstention devant le futur.

Envisagé sous un autre angle, on sait qu’un taux d’intérêt positifreprésente le prix de l’arbitrage entre la consommation immédiate etfuture : je renonce à ma consommation immédiate si je reçois un certaintaux d’intérêt. Avec un taux d’intérêt négatif, je paie pour renoncer àma consommation future. J’ai tellement peur du futur que je renonce à

être récompensé pour m’y projeter. Je paie pour rester dans le présent.À nouveau, on ressent inexorablement la renonciation du futur.

Est-ce contre-intuitif ? Aucunement puisque le taux d’intérêt est leprix du temps appliqué à un capital. Un taux d’intérêt négatif fait refoulerl’écoulement du temps vers le passé.

Un taux d’intérêt négatif transgresse donc la conception séminalede l’économie monétaire, puisqu’en termes conceptuels, l’intérêt est lamesure humaine du temps appliqué au capital, c’est-à-dire au travailpassé (accumulé sous forme de capital). Tout se passe comme si le futurrefluait vers un passé dont il dégradait le signifiant monétaire.

 Mars 2016 

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Intérêts négatifs : du déposant au contribuable ?

On le sait : depuis une année, la BCE s’est engagée dans la mise enœuvre d’un immense assouplissement monétaire (qualifié de quantitatif)destiné à susciter une ré-inflation de nos économies, face aux persistantestendances déflationnistes. Jusqu’à ce jour, les effets sont médiocres. Etpour cause : ces mesures monétaires servent essentiellement aux États(et donc indirectement aux contribuables) qui ont trouvé auprès de laBCE un créancier complaisant à des conditions anormalement basses.Différentes études académiques confirment incidemment cette intui-tion. Si les taux d’intérêt deviennent négatifs, c’est aussi pour assurerun financement étatique à des conditions exorbitantes.

Mais que se passera-t-il lorsque ces mesures exceptionnelles arrive-ront à leur inévitable terme, qui sera – à mon avis – antérieur à l’atteinted’un retour à une inflation de 2 % ? Nous assisterons alors à l’émergenced’une répression financière : les États contraindront (de manière régula-trice) les banques et les compagnies d’assurances à financer leurs dettes àdes conditions artificiellement basses. Cette situation se répercutera sur lerendement des créanciers et actionnaires de ces institutions financières.Le coût de la dette publique sera donc absorbé par les déposants et lestitulaires d’assurances à long terme au bénéfice des contribuables.

Mars 2016 

Taux d’intérêt : imaginer un « taux négatifmaximum »

Les taux d’intérêt deviennent négatifs dans la zone euro : bientôt, lamoitié des obligations d’États émises par des pays de la zone euro déga-

geront un rendement négatif, la BCE va prêter de l’argent aux banquesà un taux d’intérêt qui sera, au maximum, nul tandis qu’elle pénalise lesdépôts qu’elle recueille d’un taux de -0,4 %. Les gros dépôts bancairessont déjà érodés par les taux négatifs et si la situation récessionnaire etdéflationniste persiste, les dépôts d’épargne des particuliers seront, euxaussi, probablement affectés d’un taux négatif même si la loi l’interditactuellement pour les dépôts d’épargne réglementés.

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DETTES PUBLIQUES, TAUX D’INTÉRÊT ET BANQUES

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Quelle est la limite à la négativité des taux d’intérêt pour les particu-

liers avant qu’ils n’imaginent vider leurs comptes d’épargne réglementés ?Personne ne le sait avec précision, mais le point de rupture doit se situerentre -0,40 et -0,50 %.

J’avais, dans un premier temps, imaginé de n’appliquer des taux néga-tifs qu’aux gros dépôts d’épargne réglementés de plus de 100.000 euros,mais cette disposition éventuelle conduirait à émietter ces mêmes dépôtsen les scindant.

Une solution serait alors de fixer un taux non pas minimum (il estde 0,11 % actuellement) mais maximum sur les dépôts d’épargne régle-mentés. Ce maximum serait couplé au taux de la BCE. Il pourrait, parexemple, être de -0,10 ou -0,20 %. Aucune banque ne pourrait offrir untaux supérieur sur les dépôts réglementés. Ce taux maximum éviteraitla concurrence entre établissements, tout en étant supérieur au seuil quiconduirait à des retraits physiques d’épargne.

 Mars 2016 

Taux d’intérêt négatifs et retrait massif des dépôts ?

Alors que la perspective de taux d’intérêt négatifs sur les carnets d’épargnese précise, certains craignent un retrait massif d’espèces afin de conserver lamonnaie sous forme fiduciaire (c’est-à-dire sous forme de billets).

Au risque de commettre une erreur majeure de jugement et d’intuition, je ne partage pas cette crainte : je crois même que des taux faiblement néga-tifs n’auront aucun impact sur les carnets de dépôts et pourraient même,paradoxalement, contribuer à conserver l’épargne au sein de ces mêmesdépôts par la peur du futur que symbolisent des taux d’intérêt négatifs.

D’ailleurs, des taux d’intérêt négatifs ne vont aucunement stimulerla consommation. Cela conduira sans doute à l’effet inverse.

Au reste, les taux d’intérêt effectifs sur les comptes courants sontdéjà négatifs, lorsqu’on défalque des maigres intérêts les frais de gestionbancaire et l’inflation des biens de consommation.

 Mars 2016 

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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Un danger existentiel pour le secteur financier 

Le véritable danger qui guette les banques commerciales est le faibleniveau des taux d’intérêt qui, combiné à des obligations de limitations derisques, des exigences de liquidité, de capitalisation et de réglementationaccrue, obère leur rentabilité prospective. De surcroît, ces entreprisesdoivent faire face à des défis opérationnels majeurs, devant superposer lescoûts opérationnels de deux canaux de distribution (physique et digital)dans une période de récession. La marge d’intermédiation, c’est-à-dire ladifférence entre les intérêts encaissés et payés, risque de devenir insuf-fisante pour assurer une rentabilité actionnariale satisfaisante. C’est un

 véritable problème parce qu’une économie a besoin de banques rentablespour absorber les risques qu’elles prennent. Une banque insuffisammentrentable ne prend plus de risque et dénature son propre objet social.

C’est pour cette raison que les dépôts bancaires, déjà faiblementrémunérés eu égard au contexte d’extrême liquidité de l’économie,pourraient être affectés d’un taux d’intérêt nul, voire faiblement négatifcomme c’est déjà le cas dans certaines banques du Nord de l’Europe.Faudra-t-il s’en offusquer ? Non, car le taux d’intérêt est le prix de laliquidité (qui est excessive) et que les dépôts sont garantis par les autorités

publiques jusqu’à concurrence de 100.000 euros. Certes, cette situationconduirait à ce qu’un billet garderait sa valeur nominale alors que celled’un dépôt bancaire pourrait s’éroder. Certains pourraient imaginer unethésaurisation en billets, mais ce mouvement serait marginal : les banquesfournissent de nombreux services en plus de la conservation des dépôtset la monnaie électronique a, depuis longtemps, supplanté la monnaiefiduciaire (dont l’usage est d’ailleurs de plus en plus réglementé).

Par ailleurs, un contexte de taux d’intérêt bas reflète une économieen grande souffrance. Ce qui apparait favorable aux États pouvant sefinancer à coût réduit, est malheureusement peut-être un indice de dif-

ficulté à rembourser les dettes publiques. Ces dernières augmentent enproportion du PIB jusqu’à dépasser les niveaux d’après-guerre, malgréles taux d’intérêt bas, puisque le taux de croissance de l’économie estinsuffisant. Comme ces dettes publiques sont re-domestiquées (c’est-à-dire ont migré vers l’actif des banques des pays qui les émettent), lespays du Sud européen restent porteurs de risques de défauts souverains.Cette prospective est un véritable risque pour la rentabilité des banques.

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Cette réalité est aggravée par un tassement de la demande de crédit,

qui est elle-même une des conséquences de la chute de la demandeéconomique. Pour recycler l’épargne, les banques achètent beaucoupd’obligations d’États, c’est-à-dire font crédit à l’État. Mais, contrairementà des crédits ordinaires, les banques ne doivent (presque) pas disposer decapitaux propres en proportion de ces obligations d’État. Les États ontdonc octroyé des avantages aux banques afin de favoriser leur proprefinancement. C’est donc une situation circulaire puisque les banques ontdilué leurs déséquilibres dans ceux des États.

De surcroît, le rôle de la BCE s’est aussi métamorphosé. La BCEsupervise les banques au travers d’un contrôle prudentiel accru et de

 vérifications de leur santé financière (stress tests,  Asset Quality Review,etc.). Indirectement, la BCE contrôle aussi l’endettement public, puisqueles dettes d’État sont essentiellement financées au travers des banquescommerciales (et entreprises d’assurances) qui canalisent les dépôts desménages et des entreprises au travers de leur bilan vers le financementdes États qui les contrôlent. La BCE, assistée de ses relais nationaux,est donc devenue le véritable régulateur des banques, avec une préoc-cupation qui concerne plutôt la pérennité de l’euro que la rentabilitéactionnariale des banques.

La situation récessionnaire et déflationniste conduit aussi la BCE à jouer un rôle différent. En effet, en temps normaux, la BCE a un rôlepassif dans le circuit monétaire, se limitant à calibrer le taux d’intérêt àcourt terme pour baliser le taux d’inflation. Le flux monétaire est donccréé par les banques commerciales au travers du multiplicateur de crédit(les dépôts entrainant des crédits, etc.). La BCE agit aussi au titre de prê-teur en dernier ressort, afin de refinancer des banques commerciales surune base exceptionnelle. La déflation modifie cette configuration puisquela BCE n’est plus qu’un simple prêteur en dernier ressort : elle anime toutle circuit monétaire à la place des banques commerciales dont les circuits

de crédit sont devenus plus visqueux. Cela explique d’ailleurs pourquoila politique monétaire de la BCE devient inopérante : la monnaie crééereste coagulée dans les circuits bancaires par un manque de demandede crédit, lui-même entraîné par la récession.

Même si l’idée peut paraître saugrenue, une longue période de sta-gnation et de taux d’intérêt bas pourrait rapprocher les banques com-merciales d’un état de nationalisation larvée, comme ce fut constaté au

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début de la récession japonaise. Cette nationalisation n’entraînerait pas

d’expropriation des actionnaires, mais plutôt leur marginalisation dansun contexte où les banques sont placées sous une tutelle publique et dela BCE de plus en plus oppressante. Or, si une banque nationalisée peutparfaitement fonctionner selon des normes et des contraintes privées(Belfius en est le meilleur exemple), il ne faudrait pas que cela affecte toutle secteur bancaire car l’octroi de crédits privés serait progressivementcontrôlé par des instances publiques.

Les banques font donc face à des défis majeurs : les revenus sont enbaisse tandis que les coûts sont importants. La BCE est obligée de jouerun rôle qui dépasse les compétences normales d’une banque centrale.Le contrôle étatique se renforce dans un contexte monétaire incertainet déflationniste. Le modèle économique des banques évolue vers unelogique informatique et de moindres emplois. Il faut donc s’interroger surla nécessité de maintenir les banques sous des contraintes réglementairesde crise alors que l’économie adopte une géométrie totalement différentede celle de la crise de 2008. Il importe de s’intéresser à ces problèmesau-delà d’appréciations à l’emporte-pièce ou de considérations politiqueslapidaires. En effet, les banques contribuent à créer les flux monétairesqui sont à la base de toute pulsation économique.

 Avril 2015

Banques : des ondes gravitationnelles négatives

Le monde financier explore désormais sa face cachée, comme cettepartie invisible de la lune. Ce mode, c’est celui de la négativité des tauxd’intérêt, d’un monde inversé où le temps se renverse. C’est un univers

financier que seuls les physiciens, adeptes de la relativité, peuvent com-prendre. C’est aussi un monde au sein duquel nous comprenons quela finance repose sur des symboles, et que la crédibilité de ces dernierspeut se modifier.

Aujourd’hui, tout repose sur les banques centrales : elles acquièrent lesymbole régalien (à savoir des obligations d’État) pour émettre le symbolemonétaire (la monnaie) dont elles garantissent la pérennité. Les États

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sont utilisés pour fabriquer la monnaie, la monnaie sert à financer les

États. Entre ces deux protagonistes, les banques commerciales serventd’agents auxiliaires. Ce sont elles qui souffrent actuellement puisque leprix de la monnaie, c’est-à-dire le taux d’intérêt, rendu négatif par lesbanques centrales au bénéfice des États endettés, altère leur rentabilité.

Février 2016 

Confiscation des dépôts bancaires : et de deux…

L’euro devait être un projet monétaire fédérateur, source de prospé-rité, de paix sociale et de croissance.

À Chypre et probablement en Grèce, les lendemains sont amers etdéchantent.

Il y a deux ans, les dépôts bancaires chypriotes ont été, pour partie,confisqués et mardi, ce pourrait être le cas en Grèce.

Selon le Financial imes, les dépôts bancaires seraient confisqués àconcurrence de 30 %, au-delà de 8.000 euros.

Un gouvernement révolutionnaire s’installe à Athènes.Ce gouvernement cherche demain le plébiscite et met l’euro au vote.

Syriza intègre dans un référendum la question de la monnaie unique.

À qui la faute ?

À une gigantesque erreur de conception de l’euro dont les pèresfondateurs crûrent que la monnaie disciplinerait l’économie réelle alorsque la monnaie en découle.

Les pays faibles de la zone euro se sont vu imposer une monnaietrop forte, nonobstant le fait qu’ils l’ont choisie.

Mais voilà, de Gaulle l’avait souvent dit : les peuples, comme lesoliviers, durent mille ans et ils sont différents.

Un étalon monétaire ne peut donc pas recouvrir, comme un voile,des réalités différentes.

Mais l’euro n’est pas le seul à blâmer : nos économies ont emprunté,au travers d’une dette publique, gigantesque, leur propre futur.

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Cette réalité n’est pas propre à la Grèce mais à tous les pays d’Europe

occidentale.Nous avons choisi de privilégier notre confort immédiat au détriment

des prochaines générations, ou, à tout le moins, de leur prospérité.

Or, un jour, les réalités imposent leur lucidité : les pays faibles doiventreconnaitre leur impécuniosité et modifier le contrat social.

C’est alors la capture de l’épargne.

Notre pays y échappera.

Mais quelle rude leçon d’économie monétaire !

 Juillet 2015

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Considérations fiscales

L’impôt et Jésus de Nazareth

Pendant très longtemps, l’impôt fut un indice de servitude : c’était lacharge acquittée par le vaincu au vainqueur. Mais c’est l’enseignement évan-gélique qui modifia le rôle de l’impôt. Il en fit une obligation de moralité. Unprécepte de Matthieu (22:21), auteur présumé du premier évangile, trouve

d’ailleurs son origine dans l’attitude par rapport à l’impôt (la même réfé-rence se trouve dans les évangiles de Marc et Luc). C’est pour confondreJésus, cherchant à le faire prononcer un discours compromettant, que lespharisiens lui envoyèrent leurs disciples pour lui poser la question : « Est-ilpermis, ou pas permis, de payer le tribut à César ? ». Jésus s’étant fait montrerla monnaie du tribut, sur laquelle était l’effigie de César, leur dit : « Rendezdonc à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ».

Cette phrase scella le premier concordat entre le pouvoir civil etles autorités religieuses. En postulant le droit des États à lever l’impôt,

l’Église confirma son acceptation des faits de commerce, mais tout enpouvant moralement s’en distancer. Le paiement de l’impôt fut donc,pour les Pères de l’Église, une obligation, inhérente à l’obéissance due àl’autorité civile dans les choses temporelles. Et puis, il était important demontrer que la monnaie ne pouvait pas apporter de félicité temporelle,à tout le moins dans l’espoir d’un au-delà heureux.

Les références bibliques à l’impôt sont, du reste, innombrables :Matthieu était un publicain, c’est-à-dire un collecteur d’impôts àCapharnaüm. C’est d’ailleurs Matthieu qui mentionne la parabole destalents, la remise des dettes, la redevance du temple acquittée par Jésus

et par Pierre… et le prix de la trahison de Judas l’Iscariote. Mais ce n’estpas tout : aux yeux des Juifs, Matthieu était, avant de rejoindre l’apos-tolat, impur, car il collaborait avec une autorité d’occupation (Rome)et il manipulait de l’argent en provenance de personnes étrangères aupeuple de Dieu. À l’époque, les collecteurs d’impôts étaient des péagers.Ils prélevaient les impôts et les droits de passage sur les marchandisesque l’on transportait d’un territoire à l’autre. Du reste, c’est Matthieu qui

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fait référence, dans son Évangile, au didrachme, c’est-à-dire une pièce

de deux drachmes représentant le montant annuel de l’impôt pour letemple de Jérusalem, exigé de tout israélite mâle.

Jésus accueille donc, parmi ses apôtres, un homme qui était considérécomme un pécheur public, parce que collecteur d’impôts ! Et puis, lanaissance de Jésus elle-même est liée à l’impôt : Jésus de Nazareth estné à Bethléem, où certains pensent que Marie et Joseph se sont renduspour un recensement d’impôt. Les choses se termineront d’ailleurs malpuisque les pharisiens finirent par accuser Jésus devant Pilate : « Nousavons trouvé cet homme excitant notre nation à la révolte, empêchantde payer le tribut à César » (Luc 23:2), et invoquèrent, devant les hésita-

tions de Pilate « si tu le relâches, tu n’es pas ami de César » (Jean 19:12).Plus tard, Tomas d’Aquin, en approuvant le négoce, mais non le

profit, confirma la légitimité des autorités civiles à lever l’impôt. Cecasuiste introduisit la notion d’impôt « juste », à savoir, un impôt qui soitordonné conformément au bien commun, qui n’excède pas le pouvoirdu contribuable et qui soit distribué entre les contribuables selon uneégalité de proportion. On remarque dans cette proposition les notions decapacité contributive et de barèmes progressifs, eux-mêmes fondés surl’utilité marginale décroissante des revenus. Dans cette logique, l’Église

 joua un rôle de conciliateur entre le contribuable et le fisc.

La Réforme, animée par Luther et Calvin, introduisit de nouvelles pers-pectives en distinguant plus nettement la légalité de la moralité. Car, dans laRéforme aussi, on retrouve une référence à l’impôt : le refus des indulgencess’assimilait à un refus des pardons tarifés, comme l’impôt. Pourtant, les fon-dateurs du Protestantisme ne s’exprimèrent pas en faveur des contribuables,puisque selon ces penseurs, la légalité de l’impôt en fondait la légitimité. Leconsentement contraint des contribuables était un attribut de la souveraineté.

Le siècle des Lumières introduisit de nouvelles dimensions dans lesens d’une meilleure équité fiscale. L’idée de l’absolutisme fiscal se dissipa

au profit du caractère bilatéral de l’impôt. Ce dernier n’est légitime qu’àcondition d’être consenti par les individus et d’avoir comme contrepartiela protection de leur vie, de leurs libertés et de leurs biens.

Cette idée fut véhiculée tant par Montesquieu qu’Adam Smith pourqui les fonctions de l’État étaient limitatives. Selon ce dernier, fondateurdu libéralisme, les tâches de l’État sont résiduelles et les citoyens ne sonttenus à supporter les dépenses publiques que selon les avantages que leur

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procure l’État. Dans la vision libérale, l’impôt est un échange, à l’opposé

des théories socialistes selon lesquelles il convient de redistribuer lesrevenus et les richesses afin d’accomplir les réformes sociales.

rouve-t-on encore une empreinte religieuse dans les systèmes fis-caux ? Sans doute : nos barèmes fiscaux sont progressifs, ce qui conduità pénaliser la formation d’épargne, puisque chaque euro « marginalementgagné » est plus imposé que le précédent. Cela conduit à une approcheégalitariste, probable et lointaine héritière de la soumission ecclésiastiquetandis que les États-Unis, d’essence protestante, favorisent l’enrichisse-ment (et son réinvestissement) par des taux d’imposition proportionnelset non linéaires. Cette constatation est bien sûr fragmentaire et illustrative.

En résumé, l’impôt a revêtu des significations très différentes dansl’Histoire. Il fut, tout d’abord, un indice de sujétion et d’asservissement.Il acquit ensuite un caractère commutatif, c’est-à-dire qu’il ne devintlégitime qu’à la condition d’avoir des contreparties satisfaisantes. Cen’est qu’au cours du XXe siècle que l’impôt est devenu un outil de réa-ménagement des richesses nationales.

 Août 2015

Les dilemmes fiscaux de nos gouvernementsfédéraux

La dette publique a repris une tendance ascendante. Bien sûr, un payspeut supporter une dette publique importante pour autant que sa cré-dibilité monétaire et sa capacité d’épargne le permettent. Plongé depuisprès de 20 ans dans une conjoncture morose, le Japon a ainsi accumulédes plans de relance qui ont propulsé la dette publique à 250 % du PIB.

Mais, sauf à imaginer que l’endettement public puisse être perpétuel, ladette doit, à tout le moins, être stabilisée. Cette exigence est d’autant pluscontraignante que la dette publique est composée de deux agrégats, à savoirla dette existante et la dette future, non encore comptabilisée. En Belgique,cette dette future représente notamment le coût du vieillissement, estimé àun multiple du PIB. Le FMI a d’ailleurs prévenu la Belgique que le choc bud-gétaire du vieillissement serait plus significatif que celui de la crise bancaire.

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Et comment rembourse-t-on une dette publique ? La plupart des

économistes anticipent, dans quelques années, une salutaire pousséed’inflation. Par intuition, ce sera probablement l’érosion monétaire quiallègera finalement les dettes des débiteurs (dont l’endettement de l’État)et les patrimoines des épargnants.

Pourtant, dans un premier temps, nos économies ne se prêtent pas àl’inflation pour diverses raisons politiques et sociologiques (vieillissementde la population, surcapacité des capacités de productions industrielles,gains de productivité liés à la numérisation des processus, absence d’infla-tion importée, récession, restrictions budgétaires, etc.). Faute d’inflation,c’est l’impôt qui sera convoqué pour redresser les finances publiques.

La question est désormais de savoir sur combien d’années et selonquelle logique l’effort fiscal va être imposé. L’équation est extrêmementcomplexe. Une levée d’impôts trop rapide ruinerait les plans de relance,qui sont justement fondés sur la stimulation keynésienne de la demande.En d’autres termes, il serait schizophrénique de relancer la consomma-tion et l’investissement et, en même temps, de lever des impôts, carl’austérité fiscale conduirait à l’anémie économique.

Inversement, l’étalement de l’impôt sur un trop grand nombred’années bouleverserait l’équité générationnelle. Les générations futures

pourraient, à juste titre, contester l’héritage d’une dette ancienne. Desurcroît, un report de la dette deviendrait rapidement stérile à causedu vieillissement de la population. Les générations futures seront, enproportion, moins nombreuses pour financer un nombre croissant depersonnes inactives.

D’après notre intuition, il est donc difficile de reporter le poids fiscalsur davantage que deux générations. C’est donc au cours des vingt outrente prochaines années qu’il faut anticiper ces réalités fiscales.

Mais alors, comment formuler une stratégie budgétaire qui devraà la fois couvrir les déficits existants et prévenir le coût du vieillisse-

ment ? Le pouvoir politique sera-t-il assez discipliné pour constituerdes réserves à long terme (exercice qui a toujours échoué) afin d’assurerce coût du vieillissement ? Nos gouvernements disposeront-ils d’unelatitude suffisante pour baisser les dépenses plutôt que de s’abandonnerà des pulsions taxatoires ? Autant de questions qui sont sans réponse àce stade. La réalité sera sans doute un mélange d’impôts et de mesuresfiscales de stimulation.

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Une chose est, par contre, certaine. Notre pays doit d’abord calibrer

le poids de l’impôt sur l’économie. Or la fiscalité et la parafiscalité surle travail sont trop élevées. Il faut, comme le gouvernement l’a initié,réduire le coût global du travail par une réallocation des ressources

 vers les classes d’emploi qui doivent être stimulées, d’autant que notreéconomie est très ouverte et peu protégée par sa géographie. Elle doitdonc être concurrentielle sur le plan de l’attractivité fiscale, ce qu’elleest insuffisamment pour le travail.

Par ailleurs, le vieillissement de la population limitera la taxationdes revenus professionnels, mais posera la question de l’imposition des

revenus différés, que ces derniers découlent de l’épargne personnelle oudes transferts sociaux (pensions, etc.). Certains s’orienteront-ils alors versun alourdissement de la fiscalité du capital, c’est-à-dire sur les revenusmobiliers et immobiliers ? Ce n’est pas exclu, encore que ce ne soitaucunement souhaitable sur le capital à risque, afin d’éviter les erreursdes années 1980. Mais ce devra être un choix idéologique soigneusementréfléchi. Une taxation accrue des revenus du patrimoine conduirait à desphénomènes de double imposition. Cela pénaliserait dramatiquementl’épargne, déjà érodée par la crise boursière et les taux d’intérêt nuls.

Le vieillissement des contribuables devrait plutôt conduire à déve-

lopper les stimulants fiscaux à l’épargne individuelle de précaution(acquisition d’immobilier, épargne-pension). Cette réflexion s’inscriraitelle-même dans la déliquescence progressive (mais inéluctable pour desraisons budgétaires) du système de répartition des revenus différés auprofit d’un système de capitalisation.

Dans la même perspective, il n’est pas exclu que la charge fiscale sedéplace latéralement pour taxer la consommation (c’est-à-dire commeun flux) plutôt que la constitution d’épargne. Cette orientation est fondéesur la constatation que les impôts à large assiette provoquent moins de

distorsions et permettent une collecte plus efficace. Dans cette perspec-tive, on pourrait imaginer d’affiner l’idée de la TVA sociale, qui permetde financer une fraction des charges sociales par une augmentation dela TVA. Il n’est pas non plus exclu que la taxation soit progressivementbasée sur les recettes en espèces des contribuables, dans une prospec-tive de disparition progressive de la monnaie physique et une économiedécentralisée (de type Uber ).

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En résumé, il est urgent de définir les nouveaux azimuts de la fis-

calité. La situation budgétaire rendra probables des hausses d’impôts.Mais nos gouvernements devront faire face à un dilemme : la crise exigede stimuler la consommation, mais l’endettement de l’État exigera destimuler l’épargne. Or ce qui est épargné n’est pas consommé, et vice-

 versa. La crise rendra l’impôt redistributif alors qu’il faudra aussi en faireun outil incitatif. Les prochaines années seront donc décisives. Aucunchoix n’est facile ni neutre idéologiquement, mais la procrastination desannées 1980 ne nous sera plus pardonnée.

Octobre 2015

Tax shift : ajustement budgétaireou réforme fiscale ?

Depuis un an, la Belgique bruisse d’un tax shif , c’est-à-dire une modi-fication pivotale de la fiscalité. Il se chuchote que les textes devraient êtreprêts pour le 21 juillet. Ceci me semble une date butoir fort rapprochéepour une nouvelle formulation de l’impôt des personnes physiques, cen-

sée engager les contribuables pour au moins une génération, d’autantque personne ne semble comprendre la même chose.

Le constat est établi : la fiscalité du travail est trop lourde et han-dicape notre compétitivité. Mais attention : cette fiscalité a été choisiecollectivement. Elle est le reflet d’un contrat social qui fonde un modede vie en communauté basé sur la solidarité. Il y a cependant une injus-tice qui frappe la classe moyenne : les classes âgées de la population ontrepoussé le financement de leur protection sociale sur les plus jeunes.Ceci conduit à l’intriguant constat qu’au fil des années, la fiscalité dutravail s’est alourdie tandis que celle des revenus du capital sans risque (je

ne parle pas ici de la taxation du capital à risque, qui est excessive) s’estatténuée. Car voilà le véritable état des lieux : la fiscalité des personnesphysiques et la parafiscalité ont fait l’objet d’un immense glissement quia reporté sur les jeunes ou les futurs travailleurs le financement d’unedette publique excessive et d’un insupportable coût du vieillissement dela population (lié à l’inattendue augmentation de l’espérance de vie).Les avantages de l’État-providence ont donc été inégalement répartis.

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CONSIDÉRATIONS FISCALES

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Quelles seraient les bases équilibrées d’une réforme fiscale ?

1. Une diminution de la fiscalité du travail ne peut, en aucune manière,constituer un effet d’aubaine qui ne profite qu’aux personnes physiques,même si cela stimule la consommation intérieure. En effet, si l’impôtest réduit mais que le coût salarial n’est pas modifié, cela n’aurait aucunimpact favorable sur le coût global du travail et sur la compétitivité. Ilfaut donc abaisser l’impôt sur les bas salaires et les cotisations sociales. End’autres termes, il faut éviter la situation des années précédentes au coursde laquelle une réforme efficace de la fiscalité du travail ne s’est peut-êtrepas suffisamment traduite par une réduction des charges sociales.

2. Une baisse de la fiscalité du travail exigera un glissement des tauxd’imposition : il faut accroître légèrement le minimum non imposable (afinde combattre les pièges à l’emploi), mais cela ne pourra être effectué qu’auprix d’un relèvement modique des taux d’imposition dans les barèmes lesplus élevés. Idéalement, on devrait réintroduire un taux de taxation à 52,5 %pour les très hauts revenus. Il faut conserver une progressivité intelligentequi respecte l’esprit de la fiscalité belge, à savoir, la capacité contributivede chacun au financement des charges de l’État. De surcroît, on ne peutbaisser le taux d’impôt des personnes physiques que si on en élargit la base.

3. Une réforme fiscale induit des « effets retours », c’est-à-dire un

surcroît de croissance (emploi, consommation, investissement) qui setraduit, à plus ou moins longue échéance, par un accroissement desrecettes fiscales. Il ne faut cependant pas en attendre des miracles : leseffets retours sont plutôt le fait de facteurs étrangers à la fiscalité, commeune conjoncture économique favorable ou des taux d’intérêt en baisse. Deplus, les exigences européennes sont très strictes et imposent quasiment(à tort, selon moi) d’atteindre impérativement l’équilibre budgétaire sanstenir compte de la nature des orientations fiscales.

4. Il n’est pas possible de financer une réduction de la fiscalité du

travail par un simple report sur la fiscalité environnementale. Je croismême que cette dernière s’impose, indépendamment de tout tax shif  car l’enjeu est sociétal et non circonstanciel.

5. Un report massif de la taxation du travail vers la fiscalité indirecte(TVA, etc.) est une voie intéressante, mais d’envergure limitée. Il fautfaire extrêmement attention à ce que l’accroissement de la VA, combinéau saut d’index, ne contrarie pas la consommation intérieure dans un

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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contexte déflationniste. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au Japon où la

récente hausse de la taxe sur la consommation a conduit à une « fausseinflation » et à une stagnation de la consommation privée. Au reste,depuis les programmes électoraux de mai 2014, la situation économiquea profondément changé : nous subissons un choc déflationniste.

6. Si on écarte la fiscalité environnementale et indirecte comme descompensations exclusives d’une détaxation du travail, on en arrive alorsà la fiscalité des revenus de l’épargne. Je ne parle pas ici d’une taxationdu capital lui-même ou des plus-values mobilières, car ces deux thèmesinduisent une double taxation économique. Outre qu’elle ne s’appli-querait qu’au capital productif en actions, une taxation des plus-valuesmobilières conduirait ainsi à imposer deux fois le même revenu (unefois lors de la constatation d’une plus-value et une seconde fois lors del’encaissement du revenu).

7. Il faudrait dès lors revenir à l’esprit de la réforme fiscale de 1962.Cette dernière fut construite sur deux piliers, à savoir la globalisation desrevenus et leur taxation à un taux progressif par paliers. Notre systèmereste distributif mais la globalisation fut altérée en 1985 en rendant leprécompte mobilier libératoire : ce dernier représente désormais unetaxation définitive pour les revenus mobiliers tandis que les revenus

professionnels sont les seuls à être encore taxés progressivement.8. Il s’agirait de re-globaliser les revenus, mais – contrairement auxorientations de 1962 – de détaxer la prise de risque, c’est-à-dire detaxer plus lourdement les revenus mobiliers afin de stimuler l’investis-sement et l’entreprenariat. Il n’est, en effet, pas normal qu’un intérêtd’obligation d’État soit taxé à 25 % tandis qu’un dividende le soit à50 % (34 % d’impôt des sociétés plus 25 % de précompte mobilier).Inversement, les déductions fiscales pour l’épargne à long terme sonttotalement insuffisantes. Il faudrait donc re-globaliser en détaxant lesrevenus les plus risqués, c’est-à-dire les revenus du travail et ceux du

capital à risque. C’est cette orientation qui correspond à l’économiedu XXIe siècle.

En conclusion, il y a probablement lieu de restaurer une certaineprogressivité de l’impôt tout en élargissant la base fiscale et donc enabaissant le taux d’impôt. Le fait de globaliser l’ensemble des revenusen stimulant la prise de risque (sous forme de travail et d’investissementen capital à risque) permettrait de taxer de façon rationnelle et équitable

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l’ensemble des revenus d’une personne physique en pénalisant moins les

revenus du travail. Il faut donc basculer d’un système à base étroite et dehaute taxation vers un système à base élargie et de taxation amoindrie.Le temps est peut-être venu de réaliser un aggiornamento économique,c’est-à-dire un renouveau du modèle belge.

 Mai 2015

Le tax shift et son « effet retour »

Le tax shif  n’est pas la grande réforme fiscale que d’aucuns avaientanticipée, mais il n’en avait d’ailleurs pas l’ambition. Ce mouvement gira-toire consiste à diminuer le coût salarial global au travers d’une baisse descotisations sociales et d’une revalorisation des bas salaires nets. Le pointd’arrivée de ces mesures est donc une amélioration de la compétitivité. Lefinancement de ces mesures ressortit, quant à lui, plutôt à un assemblagede mesures diverses qu’à une empreinte décisive. Il s’agit de prélèvementsaccrus sur la consommation et, dans une moindre mesure, sur les revenusdu capital ou sur les plus-values, encore que l’augmentation du précomptemobilier de 25 % à 27 % ne soit pas négligeable. On remarque incidem-ment que contrairement à une re-globalisation des revenus, qui était laphilosophie fiscale de 1962, c’est désormais un « dual tax system » quis’impose, c’est-à-dire un système de taxation progressive pour les reve-nus professionnels et de taxation proportionnelle pour les autres revenus(mobiliers, immobiliers et divers) d’une personne physique.

Mais le plus dur reste à faire, à savoir de mettre en œuvre la baissedes charges sociales et l’augmentation des bas salaires. De manière som-maire, il y a deux perspectives.

On pourrait imaginer des mesures linéaires et transversales quitouchent tous les salaires, dont les charges sociales baisseraient de 33 % à25 % et une augmentation du minimum non imposable qui s’appliqueraità tous les titulaires de revenus professionnels, donc y compris les indé-pendants. C’est, par exemple, le cas de la revalorisation des déductionsforfaitaires pour frais professionnels. Cette orientation s’assimilerait àla « preuve par le futur » et donc à l’espoir d’une reprise par l’offre. Elle

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susciterait aussi un effet d’aubaine, à savoir le fait que des entreprises

en tireraient profit sans devoir mettre en œuvre des actions positives,en termes d’embauches nettes, par exemple.

Cette approche me semble fragile, et je crois d’ailleurs qu’elle ne sera pasretenue par le gouvernement. En effet, cela conduirait aux mêmes dérivesque les intérêts notionnels qui réduisirent le coût du capital pour toutes lesentreprises et non pas seulement pour celles qui augmentaient leurs capi-taux propres ou choisissaient d’accélérer leur politique d’autofinancementau détriment des versements de dividendes. Une augmentation du mini-mum non imposable (ou une altération de la première tranche d’impositiondes revenus professionnels) entrainerait aussi un effet d’aubaine et nuiraitmême à la progressivité de l’impôt. Elle n’aurait d’ailleurs de fondementqu’au prix d’un rétablissement du dernier barème d’imposition pour leshauts revenus, dont le taux de taxation marginal dépasserait alors 50 %,ce qui est écarté par le gouvernement de Charles Michel.

L’autre approche consisterait à cibler les baisses de charges socialesdans un cadre incitatif, c’est-à-dire selon une modularité qui condition-nerait les avantages fiscaux à certains types de travailleurs. Cette orien-tation me semblerait plus judicieuse. Elle différencierait l’améliorationde la compétitivité en stimulant l’emploi de certaines classes d’âges ou

de métiers. Bien sûr, on argumentera que l’emploi dépend de son coût,mais il est essentiellement la résultante du niveau de demande suscitépar la conjoncture économique. Une baisse ciblée des charges socialespermettrait donc de donner des réponses précises au véritable « shif  »de l’économie digitale, qui conduit à remplacer des tâches humainesd’intermédiation et de production par les processus informatiques ou desmachines (robots, etc.). De surcroît, la Belgique est un pays dont le degréd’ouverture en termes d’importation et d’exportation est extrêmementélevé. Si cela est autorisé par les dispositions européennes, on pourraitimaginer de cibler les métiers en concurrence à l’exportation. Ce type de

mesure ferait un lointain écho aux mesures Maribel, imaginées en 1981pour stimuler l’emploi, au moyen d’une réduction des charges patronalespour les entreprises qui avaient eu recours à des travailleurs manuelset spécifiquement tournées vers l’exportation. L’opération Maribel avaitcertes dû être neutralisée à cause de son caractère discriminant, mais desdispositions fiscales avantageuses existent toujours pour les chercheurs,par exemple.

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Une baisse des charges sociales serait aussi avantageusement com-

plétée par des stimulants aux investissements dans les entreprises, dontl’impôt n’est d’ailleurs pas affecté par le tax shif . On pourrait imaginerune réinstauration de la déduction pour investissement, qui avait étéescamotée au profit des intérêts notionnels. Il s’agit donc d’une déduc-tion fiscale (immédiate ou différée) lorsqu’un investissement est réalisé.Des variantes pourraient être considérées pour certains investissements(recherche et développement, investissements verts, etc.). On pourraitaussi imaginer des amortissements (fiscalement déductibles) accélérés surles immobilisations. La déductibilité des amortissements pourrait, quantà elle, porter sur plus de 100 % de la valeur de ces immobilisations, afinde protéger la reconstitution du capital.

Le tax shif  n’en est donc qu’au début de son déploiement. Il faudraélaborer un plan de stimulation de l’emploi qui s’inscrive dans le cadred’un fin ciblage des avantages concurrentiels de notre pays. La Belgiquedoit inéluctablement ajuster le curseur de ses systèmes de redistributionau regard de son degré de compétitivité mondiale. L’ouverture des mar-chés est inéluctable, mais sera source d’ajustements et de frictions. Et s’ily a une démarche à envisager, c’est de procéder à l’analyse des forceset faiblesses stratégiques du pays, comme on le ferait pour une entre-

prise commerciale. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une analyse SWOT(Strengths-Weaknesses-Opportunities-Treats). Nous devons, comme leGrand-Duché de Luxembourg, repenser notre modèle économique dansla dépendance des capitaux et des centres de décisions étrangers.

 Août 2015

L’impôt des personnes physiques… en 2025

L’architecture fiscale du pays est stabilisée depuis près de 15 ans. Àl’inverse, les années 1980 et 1990 ont été caractérisées par une fiscalitéde circonstance. Cette dernière ne fut pas suffisamment réfléchie, car elleétait conditionnée par la correction d’écarts budgétaires et un changementde modèle économique. Cela a conduit le Royaume à appliquer l’une desimpositions du travail et du capital les plus lourdes d’Europe.

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Il est, dès lors, utile de s’interroger sur les lignes directrices qui pour-

raient conditionner la fiscalité des personnes physiques au cours desprochaines années. L’exercice exige de la circonspection car il se greffesur de nouvelles réalités institutionnelles. Il se limite d’ailleurs au partagede quelques intuitions entremêlées.

Comme dans d’autres pays européens fédéraux, les deux balises dupaysage fiscal seront l’européanisation et la régionalisation de l’impôt.Pour toutes les matières fiscales fluides, tels les revenus du capital, lesimpulsions européennes conditionneront l’impôt, tandis que la fiscalitédes assiettes plus stables (revenus professionnels et immobiliers) sera,au moins pour partie, régionalisée et donc différenciée selon les pointscardinaux du pays.

Entre ces balises, le facteur qui conditionne tous les scénarios socio-économiques est le vieillissement de la population, puisque le coefficientde dépendance (c’est-à-dire la proportion des plus de 65 ans dans lapopulation active) devrait dépasser 44 % en 2050.

Cette contrainte est transcendante, puisque le financement des inactifspar les revenus professionnels des actifs deviendra fragile. Elle limiterale champ de la taxation des revenus professionnels, mais posera celle del’imposition des revenus différés, que ces derniers découlent de l’épargne

personnelle ou des transferts sociaux (pensions, etc.). Il s’impose donc d’uti-liser les deux prochaines générations fiscales pour anticiper cette réalité.

Le vieillissement des contribuables conduira aussi à développer lesstimulants fiscaux à l’épargne individuelle de précaution (acquisitionde l’immobilier, épargne-pension). Cela facilitera aussi l’extension desdéductibilités pour les aînés à charge, plutôt que de les confiner auxenfants. On pourrait ainsi imaginer des allocations familiales inversées,destinées aux seniors.

D’autres déductions seront envisageables pour se préparer à la dépen-

dance de l’âge. Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, des déductionspour l’épargne-dépendance, à l’instar de l’épargne-pension ? Cette ten-dance lourde s’inscrirait elle-même dans la déliquescence progressive(mais inéluctable pour des raisons budgétaires) du système de répartitiondes revenus différés au profit d’un système de capitalisation.

Par ailleurs, la mobilité des personnes altère fondamentalementl’équation fiscale. En effet, la fiscalité du travail reflète un contrat implicite

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négocié entre un contribuable et l’État. Celui-ci consiste à exiger de l’État,

en contrepartie de l’impôt professionnel, l’attribution de transferts préa-lables ou subséquents à la vie professionnelle. Ces transferts concernent,par exemple, l’accès à un système éducatif et l’assurance d’une pension,c’est-à-dire des transferts antérieurs et postérieurs à la vie professionnelle.

Ce contrat tacite suppose, bien sûr, que les différents cycles de la vie professionnelle soient géographiquement centriques, c’est-à-dire quel’impôt sur le revenu professionnel soit prélevé dans le même pays quecelui où les avantages sociaux sont attribués. Si cette superposition n’estplus assurée, comme c’est progressivement le cas, cela doit immanqua-

blement conduire à une baisse simultanée des avantages sociaux et del’impôt professionnel.

Une autre tendance concerne la confusion grandissante qu’on consta-tera entre la fiscalité et la parafiscalité. La fiscalité est fondée sur l’obliga-tion de chacun de participer au financement des charges de l’État selon sesrevenus. La parafiscalité, quant à elle, mutualise les risques des citoyens etassure une solidarité sociale entre ces derniers. Dès le moment où l’impôts’individualise, il en sera de même avec la parafiscalité, qui va progressi-

 vement passer d’un système de répartition à une logique de capitalisation,philosophiquement plus proche de l’impôt. Cela devrait conduire à un

impôt fondé sur des taux plus bas, mais une base plus large.Dans la même perspective, la charge fiscale se déplacera aussi laté-

ralement pour taxer la consommation (c’est-à-dire un flux) plutôt quela constitution d’épargne. Cette orientation est, entre autres, fondée surla constatation que les impôts à large assiette provoquent moins de dis-torsions et permettent une collecte plus efficace. Cette évolution seraaccompagnée d’un rôle incitatif de l’impôt.

La fiscalité locale (régionale, communale, etc.) se développera aussiinéluctablement. Cette tendance reflète elle-même trois axes : la décen-

tralisation des pouvoirs politiques, la capacité accrue des collectivitésterritoriales à valoriser les services publics de proximité (gestion desdéchets, sécurité, etc.) et la taxation de la consommation, dont l’acteest local.

En résumé, les prochaines années verront un changement de polaritéde la fiscalité. La fiscalité est aujourd’hui horizontale, c’est-à-dire égali-taire entre contribuables placés dans une meilleure situation. Demain,

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l’impôt devrait idéalement être réparti plus harmonieusement sur la

 vie des contribuables. La fiscalité épousera donc les cycles de vie dechaque individu, et reflétera une prise en charge plus individuelle. Cetteorientation conduira à des déductions élargies pour s’auto-assurer et seconstituer une pension. Elle entraînera aussi à de plus grandes déduc-tions intergénérationnelles, au bénéfice des personnes âgées. La fiscalitésera donc altérée car elle devra s’adapter à d’autres cycles biologiques etfamiliaux. Les rôles de la fiscalité et la parafiscalité en seront altérés. Laparafiscalité se verra confirmée dans son rôle redistributif, mais dans unemesure nettement moins large qu’aujourd’hui. La fiscalité aura, quant àelle, un rôle plus incitatif en matière de création et d’allocation d’épargne.

Septembre 2015

Et si, un jour, l’impôt sur le revenu ne suffisait plus ?

L’impôt sur le revenu qui est levé auprès des personnes physiques etdes sociétés représente environ 11 % du PIB. Ce montant n’inclut pas lesdifférentes sources de taxation indirecte ni le financement de la sécurité

sociale. Ce niveau de ponction est comparable à ce que d’autres payssubissent. Pourtant, c’est extrêmement faible compte tenu du caractèreastronomique des engagements de l’État.

L’État n’a, en effet, aucune réserve (à part l’appel à l’emprunt) pourfinancer ses engagements sociaux. En matière de pensions, par exemple,ce sont les cotisations des travailleurs actifs qui assurent le financementdes avantages sociaux. Actuellement, ces pensions représentent un coûtannuel de l’ordre de 11 % du PIB (c’est-à-dire un montant qui est, parcoïncidence, égal aux recettes d’impôts directs) et ce chiffre va brutalement

augmenter au cours des prochaines années. On réalise donc que les recettesfiscales et parafiscales ne suffiront pas à honorer nos propres engagements.En termes purement théoriques, il faudrait donc abaisser nos transfertssociaux ou augmenter les recettes fiscales et parafiscales… tout en sachantque le niveau de prélèvement belge est déjà l’un des plus élevés du monde.

L’impôt sur le revenu, sous sa forme traditionnelle, ne suffira pas.Dans un monde affecté par une faible croissance et une inflation

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 homéopathique, il faudra alors s’intéresser à l’affectation du revenu qui

est soit consommé, soit épargné.En matière de taxation de la consommation, la VA constitue le

principal impôt indirect. C’est une taxation subtile dans son fonctionne-ment mais inégalitaire, régressive et déflationniste dans son application.Je crois pourtant que l’impôt va migrer d’un prélèvement sur le revenu

 vers la consommation au motif que c’est un impôt de base large et deperception immédiate.

D’aucuns penseront alors à taxer l’épargne, qui est l’affectation com-plémentaire à la consommation du revenu disponible. C’est à ce niveau

qu’il est essentiel de ne pas confondre le capital et la formation de capi-tal. En effet, le revenu d’une personne physique est soit consommé, soitépargné. Mais la fraction de la consommation n’est pas proportionnelleau revenu : on ne double pas sa consommation si le revenu est multipliépar deux. L’épargne augmente ainsi de manière marginalement croissanteavec le revenu. Cette logique conduit à un impôt progressif. En termeséconomiques, l’impôt des personnes physiques taxe donc la formationd’épargne (c’est-à-dire la constitution d’un stock d’épargne), puisqu’unhaut revenu, destiné à être plus facilement épargné qu’un bas revenu,est marginalement plus imposé.

C’est pour cette raison que le capital n’est pas imposé en tant quetel, puisque sa formation est déjà taxée de manière progressive. La pro-gressivité assure incidemment l’équité verticale de la fiscalité, c’est-à-direentre les revenus élevés et faibles.

Mais alors, ne devrait-on pas taxer le capital accumulé ? L’idée estcommode, mais totalement déraisonnable. En effet, les finances de l’Étatsont fondées sur la taxation de flux de revenus. Une taxation d’un stockde capital conduirait à un soulagement éphémère des finances de l’Étatsans apporter aucune solution structurelle.

Au reste, l’impôt sur le capital ne se justifie, d’un point de vuemacro-économique, que dans des circonstances particulières. À partir dumoment où l’État s’est endetté et qu’une quote-part de cet endettement sesitue dans des accumulations de biens par des particuliers, on peut aussiconcevoir que l’État veuille rembourser sa dette en capturant une partiedu patrimoine de ces mêmes particuliers. Mais, dans la perspective desdifficultés à financer les engagements sociaux futurs, tels les pensions,

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on ne peut pas affirmer, au risque de frôler le déni d’intelligence, que le

capital accumulé est le reflet d’une accumulation de pensions futures,dont la source se situe essentiellement dans l’allongement de l’espérancede la vie et dans l’inversion des courbes démographiques.

Nous sommes donc face à des défis fiscaux et sociaux très importants.Les prélèvements fiscaux et parafiscaux seront insuffisants pour honorernos engagements collectifs. Il en résultera une confrontation désagréable.L’important sera, à ce moment, que les solutions simplistes ne s’imposentpas au détriment d’une réflexion rigoureuse portant sur une prospectiveportant sur le long terme.

Décembre 2015

Plus-values mobilières et immobilières :quelle cohérence ?

Même si la taxation des plus-values boursières sur action relèveessentiellement de l’ordre de l’accessoire budgétaire, elle constitue uneperte de cohérence majeure pour la taxation des revenus d’une personnephysique. En effet, depuis 1962, l’impôt des personnes physiques taxeessentiellement les revenus et non les plus-values.

Le législateur de 1962 avait affirmé, dans le sillage de la réforme fiscalede 1919, l’exonération (sauf exceptions) des plus-values sur actions géréesen « bon père de famille ». La raison de cette exonération découle dufait que la vente d’une action n’altère pas le patrimoine collectif d’uneentreprise mais transfère la quote-part de sa propriété vers un autreactionnaire. En d’autres termes, la réalisation d’une plus-value ne crée pasde nouvelle matière imposable, mais la déplace latéralement, de manière

intacte, d’un actionnaire vers un autre.Bien sûr, il est incontestable que le vendeur d’une action réalise une

plus-value par rapport à son prix d’achat, mais cette plus-value trouve sacontrepartie dans le fait que l’acheteur paie « plus cher » l’action acquise.Ce n’est donc pas le transfert de propriété qui crée un accroissementde richesse, mais l’origine de l’accroissement de valeur de l’action. Cetaccroissement de valeur de l’action correspond à des bénéfices passés ou

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futurs de l’entreprise. Ces bénéfices ont été ou seront eux-mêmes frappés

de l’impôt des sociétés et ensuite du précompte mobilier. Une plus-valuen’est donc que la différence entre deux actualisations de revenus futursespérés (c’est-à-dire entre le moment de l’achat et de la vente de l’actif).Si ces revenus subissent une taxation adéquate, la taxation de la plus-

 value conduit immanquablement à une double taxation.

Mais que penser alors des plus-values immobilières (hors maisond’habitation) qui sont aussi, selon l’horizon de détention, taxées à 33 %(taux identique à celui applicable aux plus-values boursières réaliséesendéans les 6 mois) ou 16,5 % ?

N’est-ce pas incohérent de s’insurger de la taxation des plus-valuesmobilières alors que les plus-values immobilières subissent un traitementapparemment plus défavorable ?

La réponse est négative.

En effet, les revenus immobiliers sont taxés de manière convention-nelle (sur la base du revenu cadastral, éventuellement revalorisé aprèsindexation) et non sur la base des loyers réels. La taxation de la plus-

 value n’entraîne pas une double imposition de la même nature que pourdes valeurs mobilières, puisque les revenus immobiliers accrus (qui sontassociés à la plus-value) ne sont pas modifiés dans leur métrique fiscaleà l’impôt des personnes physiques.

Si, d’aventure, les loyers réels étaient taxés, alors il serait incohérentde taxer les plus-values immobilières.

Octobre 2015

Taxer la plus-value sur actions :l’économiste dit « non » au juriste !

La taxation des plus-values sur actions est une matière extrêmementcomplexe. Elle exige de conjuguer une perspective juridique et financière.

Une entreprise belge n’existe pas pour elle-même : elle constitue unêtre économiquement abstrait, malgré sa personnalité juridique distincte.Elle fait des bénéfices pour ses actionnaires, qui sont, in fine, toujours

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des personnes physiques. Ses bénéfices sont normalement doublement

taxés. Ils sont atteints par l’impôt des sociétés avant de subir l’impôt despersonnes physiques, c’est-à-dire le précompte mobilier, lors du paie-ment des dividendes.

Le législateur de 1962 avait affirmé, dans le sillage de la réforme fiscalede 1919, l’exonération (sauf exceptions) des plus-values sur actions géréesen « bon père de famille ». La raison de cette exonération découle dufait que la vente d’une action n’altère pas le patrimoine collectif d’uneentreprise mais transfère la quote-part de sa propriété vers un autreactionnaire. En d’autres termes, la réalisation d’une plus-value ne crée pasde nouvelle matière imposable, mais la déplace latéralement, de manièreintacte, d’un actionnaire vers un autre.

Bien sûr, il est incontestable que le vendeur d’une action réalise uneplus-value par rapport à son prix d’achat, mais cette plus-value trouve sacontrepartie dans le fait que l’acheteur paie « plus cher » l’action acquise.Ce n’est donc pas le transfert de propriété qui crée un accroissementde richesse, mais l’origine de l’accroissement de valeur de l’action. Cetaccroissement de valeur de l’action correspond à des bénéfices passés oufuturs de l’entreprise. Ces bénéfices ont été ou seront eux-mêmes frappésde l’impôt des sociétés et ensuite du précompte mobilier. Taxer les plus-

 values créerait donc une double imposition. On pourrait par conséquentargumenter que si le juriste observe une plus-value, l’économiste ne la voit pas, puisqu’elle s’assimile à une somme de dividendes.

On peut appréhender les choses sous un autre angle. La valeur d’uneaction est toujours égale à la valeur actualisée (c’est-à-dire ramenée eneuros d’aujourd’hui au travers d’un taux d’actualisation) des dividendesfuturs espérés. Malheureusement, il est impossible de prévoir précisémentdes dividendes futurs. L’incertitude qui leur est associée est compenséepar l’actualisation de ces derniers à un taux qui reflète, ex ante, deuxéléments, à savoir, un taux sans risque et une prime de risque, reflétant

elle-même le risque idiosyncrasique (c’est-à-dire dépouillé des possibilitésde diversification éventuelles). Une plus-value n’est donc que la différenceentre deux actualisations de revenus futurs espérés (c’est-à-dire entre lemoment de l’achat et de la vente de l’actif). Si ces revenus subissent unetaxation adéquate, la taxation de la plus-value conduit immanquablementà une double taxation. On pourrait argumenter qu’une plus-value pour-rait naître uniquement d’une baisse du taux d’actualisation, mais alors

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CONSIDÉRATIONS FISCALES

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cette variation mesurerait le degré de précision accrue des dividendes et

donc de leur taxation. Exprimée sous une autre forme, une plus-value liéeexclusivement à une variation du taux d’intérêt reflète la plausibilité et lerapprochement dans le temps des bénéfices futurs de l’entreprise.

Pour illustrer ce phénomène, nous prenons un cas extrêmementsimple, en supposant que le taux de rendement exigé d’une action restestable à 5 %. Nous supposons également que le taux de précompte mobi-lier et celui d’une éventuelle taxation des plus-values s’établissent à 25 %.

Une action génère un dividende stable et perpétuel de 10. Sur labase des mathématiques financières, la valeur de l’action s’établit à 200

(qui se déterminent comme le dividende de 10 divisé par le taux derendement de 5 %). Chaque année, le détenteur de l’action va s’acquitterd’un précompte mobilier de 25 % appliqué au dividende de 10, soit 2,5.

Supposons que, soudainement, le dividende s’établisse à 12. La valeurde l’action s’ajuste immédiatement à 240 (soit 12 divisé par 5 %). Ledétenteur de l’action décide alors de céder son titre pour encaisser uneplus-value, qui s’établit à 40 (soit 240 moins 200). Dans l’hypothèsed’une taxation de cette dernière à 25 %, cela correspond à un impôt de25 % de 40, soit 10.

L’acheteur de l’action va désormais encaisser en théorie un dividende

de 12. Sur ce dividende de 12, il s’acquittera d’un précompte mobilier de25 %, soit 3. Par rapport au détenteur précédent, le prélèvement fiscal surle dividende est passé de 2,5 à 3, soit une augmentation annuelle de 0,5.

Et quelle est la valeur actualisée (c’est-à-dire ramenée cumulative-ment au temps présent) de ces 0,5 ? C’est exactement 10, soit 0,5 divisépar 5 %, soit le montant de la taxation de la plus-value supportée par le

 vendeur. En d’autres termes, l’acheteur paiera une nouvelle fois l’impôtsur la plus-value. Cet impôt ne sera pas acquitté en une fois, commepour le vendeur, mais de manière étalée dans le temps.

axer les plus-values induirait une irréfutable double impositionchronologique.

En conclusion, la taxation des plus-values opposera toujours le juriste etl’économiste. Pour le juriste, une plus-value est distincte d’un revenu, quiest le fruit d’un actif sans altération de sa substance. Pour l’économiste, laplus-value n’est que la somme de revenus passés ou futurs qui sont accu-mulés et distribués à un certain moment. Ces deux visions sont difficilement

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conciliables. C’est ainsi qu’il est impossible de trancher si une taxation des

plus-values est source de justice fiscale ou d’inefficience économique.

Octobre 2015

Taxer les options spéculatives ?Le cauchemar fiscal et juridique…

Depuis que j’ai consacré une thèse de doctorat à ces matières comp-

tables et fiscales, il y a une quinzaine d’années, j’ai acquis une conviction :il est impossible de définir la spéculation, surtout lorsqu’elle est fondéesur l’utilisation de produits financiers sophistiqués, tels des options etwarrants. La plupart des cadres comptables nationaux et internationauxs’y essaient depuis des décennies, sans être capable de fournir une réponsecohérente à la qualification des instruments financiers dérivés, puisqueleur traitement comptable (et donc fiscal) n’est pas absolu, mais fondésur l’intention qui prévaut à leur mise en œuvre. Toutes les législationsfiscales qui s’y sont essayées se sont d’ailleurs perdues dans d’obscurslabyrinthes conceptuels, parsemés de pièges techniques et autres culs-de-sac liés à l’ingénierie financière.

En décidant de taxer les plus-values sur actions qu’ils qualifient despéculatives (c’est-à-dire réalisées endéans les six mois), les fiscalistesdu gouvernement belge, sans compter les contrôleurs des contributionset les banques qui seront associées à la mise en œuvre de cette disposi-tion, vont vivre un cauchemar. Incidemment, il est prévu que cette taxesoit « prélevée à la source », comme un précompte mobilier, mais cettemodalité s’avérera caduque. En effet, dans la plupart des pays, la taxationdes plus-values sur titres est déclarative (c’est-à-dire qu’il faut la déclarer

spontanément), alors que les prélèvements à la source s’appliquent auxrevenus d’un titre et non à la cession des titres eux-mêmes. Cette réa-lité est d’ailleurs celle qui est imposée aux sociétés belges qui réalisentdes plus-values sur actions endéans un horizon d’un an : il n’y a aucunprélèvement à la source (dont je n’arriverais d’ailleurs pas à concevoirles modalités) car c’est l’entreprise qui doit déclarer ces plus-values danssa déclaration à l’impôt des sociétés.

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L’intention du gouvernement était de taxer les plus-values sur actions.

Rapidement, il s’est avéré qu’il était impossible d’étendre cette taxationà toutes les actions et parts de sociétés, et en particulier aux actions noncotées, puisque leur valeur de départ est fondée sur des états comptables,très dissociés des valeurs de négoce. La taxation a donc quitté les titresde sociétés de personnes pour se limiter aux actions cotées en bourse,alors que la cotation n’est qu’une modalité de négoce des actions quin’entraîne aucune singularité, sinon la publicité des cours. Plus que laspéculation, c’est donc la liquidité des actions qui est taxée.

Mais comme le profil du rendement des actions (cotées ou pas) peutêtre restitué au moyen d’instruments financiers dérivés, il a été décidéque les options et les warrants seraient aussi concernés, indépendammentdu fait que d’autres instruments similaires, tels des swaps sur actions,ne sont pas visés par la mesure gouvernementale alors qu’ils peuventêtre aisément construits.

De quoi s’agit-il ? Sous sa forme la plus élémentaire, une optiond’achat sur action (ou option call ) est un instrument financier qui per-met à son titulaire, c’est-à-dire l’acheteur ou le détenteur, d’acquérirune action à un prix déterminé à l’avance (qualifié de prix d’exercice)et à une date fixée (qui, en l’espèce, devrait être de moins de 6 mois

pour tomber dans le champ de la taxation). Pour acquérir ce droit, letitulaire de l’option s’acquitte d’une prime qu’il paie à l’émetteur del’option. Cette prime reflète la nature probabiliste du contrat d’option.En effet, le titulaire de l’option n’est pas obligé d’acquérir l’action, auterme du délai fixé. Il peut, en effet, abandonner l’option si le cours del’action, au terme du contrat, est inférieur au prix fixé. L’option expirealors sans être exercée.

L’exemple sommaire suivant illustre cette situation. Un contrat d’op-tion porte sur l’action AB Inbev. La durée du contrat est de trois moiset le prix d’exercice est de 110 euros. Pour obtenir le droit d’acquérir

une action AB Inbev à ce prix au terme du délai de trois mois, son titu-laire paie (par exemple) une prime de 3 euros. Au jour de l’exercice, letitulaire va exercer son option (et donc acquérir l’action AB Inbev quilui sera livrée par l’émetteur de l’option) à la condition que le cours del’action AB Inbev soit, à ce moment, supérieur à 110 euros. Dans ce casde figure, l’émetteur de l’option subit une perte, raison pour laquelle il areçu, au début du contrat, une prime qui lui est acquise définitivement.

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Par contre, si le cours de l’action AB Inbev est inférieur, le titulaire de

l’option a intérêt à acquérir l’action AB Inbev sur le marché boursierplutôt qu’au travers de l’exercice de l’option. La prime, définitivementperdue, sera donc la perte du titulaire.

Si le produit est simple, une éventuelle taxation de la plus-value seraextrêmement difficile à mettre en œuvre, et encore plus complexe à per-cevoir au travers d’un hypothétique prélèvement à la source. En effet, laplus-value qui découle de l’exercice de l’option ne peut pas être l’uniquedifférence entre le cours de l’action AB Inbev au jour de l’exercice et leprix d’exercice, qui lui est inférieur. Il faut, en effet, défalquer de cetteplus-value la prime de l’option. Un exercice d’option peut donc êtreapparemment bénéficiaire au moment de l’exercice, mais globalementdéficitaire. Si l’option est exercée alors que le cours de AB Inbev est de112, l’opération se soldera par un bénéfice apparent de 2 (112 moins 110),mais une perte d’un euro si on tient compte de la prime de trois euros.

Inversement, on peut se demander quel est le traitement fiscal dansle chef de l’émetteur de l’option : est-ce que la prime qu’il obtient (et quiest le reflet économique de l’anticipation d’une plus-value dans le chefdu titulaire de l’option) doit être considérée comme une plus-value ? Etsi oui, doit-on déduire la perte qu’il subit en cas d’exercice de l’option ?

Mais ce n’est pas tout, alors que cette chronique esquisse uniquementquelques réflexions intuitives sans analyse systématique. En effet, il estpossible d’acquérir des options qui ne portent pas sur l’achat, mais biensur la vente d’une action. Ces options, qualifiées d’options put , permettentà leur titulaire d’encaisser une plus-value en cas de chute de cours del’action. Elles sont essentiellement utilisées par l’actionnaire qui craintune baisse du cours dont il veut se protéger. En cas d’exercice, ces optionssont-elles concernées par la taxation des plus-values alors qu’il s’agit,dans la plupart des cas, de couvrir un portefeuille qui subit des pertes ?La plus-value pourrait-elle être minorée de la perte économique sur

l’action sous-jacente et de la prime acquittée ? Pourquoi la plus-valueoptionnelle serait-elle taxée sans tenir compte de la perte sur action quiy est associée ?

Et alors, immanquablement, on en arrive à la question séminalede cette taxation. Elle vise la spéculation que le gouvernement sembleassimiler à une durée de détention. Mais la spéculation est un concepttrès différent d’une période d’investissement. Ce qui importe, c’est la

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substance économique de la transaction. L’achat d’une option peut, dans

certains cas, être effectivement une opération isolée et risquée, fondéesur l’espoir d’un gain, tandis que la même opération peut être la cou-

 verture d’une autre transaction. Il faudrait alors envisager la globalitédes opérations afin de les qualifier de couverture ou de spéculation.C’est sur cette question que les plus éminents fiscalistes et comptablesdu monde butent.

Et puis, des dizaines d’autres questions vont se présenter : les optionssur indices d’actions sont-elles concernées alors que ces derniers sont desexpressions numériques d’un niveau de marché plutôt que le reflet de ladétention d’actions individuelles ? Les options portant sur d’autres actifs

sous-jacents tombent-elles sous le champ de la taxation ? Je pense auxoptions sur obligations, matières premières, etc. Les opérations à terme,qui constituent des engagements inconditionnels d’achat ou de vented’actions, sont-elles, elles aussi concernées, sachant que ces opérationssont, pour la plupart, mises en œuvre de manière bilatérale, sans négocesur un marché ? Et les options qui sont négociées de gré à gré, c’est-à-diresans l’intervention d’un intermédiaire financier, sont-elles visées ? Et sioui, comment serait-il possible d’imaginer un prélèvement à la source ?

Mon humble intuition académique est que la taxation des plus-valuessur actions est une telle rupture dans la nomenclature fiscale du paysqu’elle va immanquablement entraîner des difficultés d’interprétation

 juridique et financière d’une envergure insoupçonnée, nonobstant lescoûts qui seront imposés aux établissements financiers. La matière est,de surcroît, dans un tel état de précarité conceptuelle qu’il est illusoirede croire que l’administration fiscale arrive à élaborer des arrêtés royauxet autres circulaires cohérents dans un délai raisonnable. La taxation desplus-values est une démarche complexe, qui doit reposer sur une analyseacadémique rigoureuse et sur un cadre conceptuel robuste. La matièreest trop délicate pour la confiner à une mesure parabolique et narrative,dont la portée est indécise et le rendement incertain.

Novembre 2015

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Fiscalité immobilière et problèmes de mobilité

La fiscalité immobilière des personnes physiques est un puzzle énig-matique. Elle est complexe, fragile, enchaînée dans des effets multiplesde causes à effet, encastrée dans les pouvoirs taxateurs des régions etcommunes, extrêmement corrélée avec l’emploi et presque impossible àmodifier, sauf par de microscopiques et délicates manipulations.

Cette fiscalité immobilière des personnes physiques est archaïque àdeux égards : l’acquisition d’un bien immobilier est soumise à d’impor-tants droits d’enregistrement, tandis que le revenu fiscal tiré de la jouis-

sance d’un bien est, pour de nombreux immeubles, basé sur un revenucadastral dont la dernière péréquation date de 1975. Bien sûr, ce revenucadastral est indexé depuis près de 25 ans et il est adapté au rythme de larénovation du parc immobilier. Il n’empêche : cette fiscalité est désuète.Acquitter un droit d’enregistrement de 10 %, 12,5 % ou 15 % sur uneacquisition immobilière, qui constitue un déplacement latéral d’épargneest insensé, d’autant que ce pourcentage passe à 21 % sur des immeublesneufs. Il s’agit d’impôts sans contrepartie, sinon l’obtention du privilègede pouvoir accéder à sa propre propriété. L’acquisition de l’immeublede son domicile étant un véhicule d’épargne souvent nécessaire, l’État

tire profit de l’inélasticité de cette nécessité pour prélever un impôt quis’ajoute à la ponction fiscale grevant la constitution de l’épargne néces-saire à cette acquisition immobilière. À cet égard, il faut rappeler quel’impôt progressif taxe déjà la formation d’épargne (alors que les droitsd’enregistrement ou la VA taxent le capital lui-même). En effet, lerevenu d’une personne physique est soit consommé, soit épargné. Maisla fraction de la consommation n’est pas proportionnelle au revenu :on ne double pas sa consommation si le revenu est multiplié par deux.L’épargne augmente donc marginalement avec le revenu. Cette logiqueconduit à un impôt progressif. Il s’agit donc d’un impôt dont le barème

augmente avec les tranches du revenu imposable ou, plus précisément,avec le montant de l’épargne.

Mais il y a autre chose : les droits d’enregistrement ou la VAreflètent un effet d’aubaine, à savoir la petite taille du pays. En effet,comme il est théoriquement possible de travailler partout en Belgique,quelle que soit la localisation de sa résidence (grâce à un réseau routieret ferré de forte densité), la nécessité d’un déménagement physique pour

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des raisons professionnelles est moins aiguë que dans de grands pays.

L’État taxe donc le privilège théorique de la localisation selon les choixpersonnels de chaque contribuable. Cette fiscalité reflète aussi le carac-tère anciennement agricole et industriel de notre économie qui exigeaitdes habitations proches des centres de production. Nonobstant le faitque les droits d’enregistrement sont différenciés selon les régions, leurrécupération en cas de vente rapide du bien immobilier reste d’ailleurslimitée dans le temps. Un lourd impôt sur la mutation immobilière estdonc sociologiquement plus acceptable en Belgique qu’il ne le seraitdans des pays caractérisés par la nomadisation professionnelle (États-Unis, par exemple).

Cette vision théorique est désormais bouleversée par les problèmesde mobilité. Notre pays devient un engorgement routier permanentpar manque de vision stratégique ou d’entretien des infrastructures.Les investissements structurels sont insuffisants et leur mise en œuvredoit respecter des arcanes politiques qui conduisent à leur paralysie.Aujourd’hui, il n’est donc plus possible d’affirmer que le travailleurbelge a le choix de son domicile. Les problèmes de mobilité forcentde nombreuses personnes à subordonner le choix de leur domicile auxcontraintes de localisation professionnelle. La question est donc de

savoir s’il est juste, sous l’angle de l’équité de l’impôt, de soumettre unchoix immobilier, désormais dépendant de manière croissante de cesproblèmes de mobilité, à des droits d’enregistrement ou à des prélève-ments de TVA qui reflètent un contexte révolu. Je ne le crois pas. Pre-nons, par exemple, le cas de Bruxelles dont l’accès aux heures de pointedevient incertain : un travailleur qui choisit de faire sa carrière dans lacapitale devra immanquablement s’y résider, au prix d’une cherté del’immobilier, elle-même majorée d’une fiscalité (droits d’enregistrementou TVA) qui est proportionnelle à ces prix élevés. On pourrait mêmeavancer que les droits d’enregistrement et la TVA sur des acquisitions

immobilières relèvent, pour partie, des impôts professionnels. Voilà lasingularité fiscale : la fiscalité sur l’immobilier devrait tenir compte dela difficulté croissante d’être professionnellement mobile.

Lorsqu’on conjugue les archaïsmes de cette fiscalité immobilière, nepourrait-on pas imaginer un système qui consisterait à baisser signifi-cativement les droits d’enregistrement et la VA tout en revalorisantle revenu cadastral à chaque mutation immobilière ? Cela permettrait

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de diminuer la ponction sur le capital tout en revalorisant le revenu

cadastral imposable.La fiscalité glisserait alors d’une ponction unique sur le capital vers

la taxation d’un revenu cadastral revalorisé. En termes conceptuels, toutse passerait comme si le droit d’enregistrement était lissé dans le tempsau travers de la déclaration du revenu cadastral à l’impôt des personnesphysiques. L’immobilier résidentiel subirait donc une péréquation cadas-trale au rythme de la mutation de sa propriété, des règles particulièresdevant être imaginées pour les donations et les successions. En tablantsur une détention moyenne d’un bien qui doit être de l’ordre de 15 ans,la péréquation serait générationnelle. La péréquation annulerait biensûr l’indexation.

La probabilité d’une modification fiscale qui s’inscrive dans lesidées développées ci-dessus est presque nulle. Il n’empêche que celles-ci seraient cohérentes avec la réalité des problèmes de mobilité. Danstous les cas de figure, une réflexion est utile.

 Avril 2016 

Archéologie fiscale à l’impôt des sociétés

Les modifications fiscales répondent très souvent à des motifs bud-gétaires. C’est incidemment plutôt le cas dans le domaine de l’impôtdes personnes physiques que des sociétés, car ce dernier est établi, pourdes motifs de cohérence, en interaction avec celui de nos partenairescommerciaux.

Je consacre cette courte chronique à une matière peu connue, à savoirl’origine de l’impôt des sociétés. Cette histoire commence avec la nais-

sance des sociétés, au XVIIIe siècle, et plus précisément par un décret del’Assemblée constituante française de mars 1791. Ce dernier stipule qu’ilest libre à toute personne de faire négoce ou d’exercer une profession pourautant qu’elle paie une patente. Cette patente était déterminée commeune proportion du loyer ou de la valeur locative de l’habitation au sein delaquelle la profession était exercée. L’impôt des sociétés, comme l’impôtdes personnes physiques, était donc basé sur une valeur immobilière, seul

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élément tangible permettant d’estimer, de manière fiable, les revenus ou

le patrimoine d’un contribuable. Il faut rappeler, à cet égard, que sous lapériode napoléonienne, la taxation des personnes physiques était fondéesur le nombre de fenêtres d’une maison, raison pour laquelle des demeurespatriciennes muraient les fenêtres non utilisées.

En 1819, sous le régime hollandais, le système de la patente estcomplété par une taxe de 2 % sur les capitaux propres des sociétés. Lesadministrateurs deviennent, eux aussi, taxés sur leur traitement et leursémoluments. La patente subsista jusqu’en 1913, non sans que des loisde 1823 et 1849 définissent les bénéfices taxables des sociétés commeles « intérêts des capitaux engagés, les dividendes et toutes les autres

sommes réparties », ce qui correspond presque mot pour mot à la défi-nition contemporaine.

En 1913, le système de la patente est remplacé par un impôt sur lesrevenus et les profits « réels » des sociétés par actions. L’impôt taxe toutle bénéfice indépendamment de son affectation. Le taux de l’impôt étaitalors de… 4 %.

Ce système n’a pas le temps d’être appliqué : la guerre arrive. Lapremière grande réforme fiscale est votée en 1919. On décide alors dene taxer que les bénéfices distribués, les résultats mis en réserve étant

exonérés d’impôt jusqu’à leur distribution ultérieure. En 1919, on décideaussi de taxer les bénéfices des sociétés en considérant qu’une quote-partcorrespond à un revenu mobilier, c’est-à-dire la rétribution du capitalinvesti. Le législateur de cette époque avait donc inventé les intérêtsnotionnels avant l’heure, puisque cette technique, imaginée en 1999,avait pour finalité d’écarter de la base imposable la rémunération au tauxsans risque des capitaux propres de l’entreprise. On le voit : ces intérêtsnotionnels ont de nombreux pères putatifs…

Dans les années 1920, on apporte des modifications au système pourcorriger la double imposition, ainsi que des amendements de diverses

natures, dont l’extension de l’impôt de sociétés aux sociétés de personnes.Singulièrement, les modifications imposées par l’occupant en 1941

et en 1942 firent progresser l’impôt des sociétés vers sa forme définitive,en soumettant l’ensemble des bénéfices, distribué ou non, à un impôt,tout en conservant une taxe mobilière sur les résultats distribués. Unarrêté de 1942 gomma la différence entre les sociétés de personnes etde capitaux, comme c’est toujours le cas actuellement.

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C’est en 1962 que la dernière réforme fiscale fondamentale fut votée.

Elle consacra la taxation de la totalité des bénéfices d’une société, maisrésolut surtout les problèmes de la double imposition des dividendes.Le problème de la fiscalité des dividendes trouve son origine dans lephénomène de la double imposition économique des bénéfices des socié-tés. Puisque les dividendes sont à la jonction de l’entreprise et de sesactionnaires, ceux-ci sont atteints par l’impôt des sociétés avant de subirl’impôt des personnes physiques. En effet, il vient immanquablement unmoment où le bénéfice d’une société atteint cette personne physique.On peut donc envisager l’impôt des sociétés comme un prélèvementanticipé de la ponction fiscale qui frappe l’actionnaire. Pour cette raison,

la taxation d’un dividende doit respecter une contrainte dominante, àsavoir que les bénéfices d’une société doivent s’assimiler aux revenusprofessionnels d’une personne physique délocalisée dans une société,un peu comme si un indépendant « se mettait » en société.

La taxation des revenus professionnels d’une personne physiquedoit donc être cohérente avec la fiscalité d’une société, majorée duprécompte mobilier qui affecte un dividende. C’est d’ailleurs ce qu’onobserve : lorsqu’on additionne le taux de l’impôt de sociétés (34 %) etle taux de précompte mobilier sur les dividendes (27 %), on obtient unetaxation globale de l’ordre de 50 %, soit le barème maximal à l’impôt

des personnes physiques. La cohérence est donc assurée. Le respect del’exigence d’équivalence de taxation entre les dividendes et les revenusprofessionnels avait conduit, en 1962, à une obligation de déclarationet une globalisation des dividendes avec les autres revenus (profession-nels, immobiliers et divers). Pourtant, la taxation des dividendes s’esttransformée, en 1983, en précompte mobilier libératoire.

Aujourd’hui, l’impôt des sociétés est une matière autonome et cohé-rente. Cet impôt est malheureusement déconnecté de l’impôt des per-sonnes physiques alors qu’une société est toujours détenue in fine par unêtre humain. Mais comme on le verra, l’histoire fiscale sera un éternelrecommencement…

 Janvier 2016 

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CONSIDÉRATIONS FISCALES

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Baisser l’impôt des sociétés : oui mais…

Au-delà des premières réactions politiques, la proposition du Ministredes Finances de baisser l’impôt des sociétés (ISOC) à 20-22 % doit êtreexaminée en profondeur. Une telle baisse de l’impôt ne devrait, bien sûr,pas être effectuée en une fois, mais pourrait être phasée au rythme d’unenormalisation de l’ISOC. Cette proposition constituerait une véritablerévolution fiscale, après celle de la baisse du taux de l’ISOC de 41 % à34 % effectuée sous la direction de Didier Reynders et l’introduction, ily a dix ans, de la déduction pour les intérêts notionnels.

Aujourd’hui, le taux de l’ISOC est donc de 34 %, mais le taux effectif,c’est-à-dire effectivement acquitté par les entreprises, est de l’ordre de25 %, voire un peu moins. Pourquoi une telle différence ? Elle découle dedispositions particulières et liées, notamment, au fait que les dividendeset plus-values réalisées par des entreprises sur leurs participations etinvestissements financiers sont exonérées de l’ISOC afin d’éviter les effetsde double taxation. Le poids de l’ISOC est aussi atténué par différentsagencements, tels les intérêts notionnels et des déductions en matièred’investissement. De surcroit – il ne faut pas l’occulter –, certaines entre-prises bénéficient, en toute légalité, de traitements particuliers approuvés

par le service de ruling . Ce sont d’ailleurs ces accords de ruling  qui ontrécemment fait réagir les autorités européennes.

L’idée du ministre des Finances est d’écarter ces déductions et exo-nérations afin de déterminer une base normalisée de l’ISOC, à laquelleun taux réduit serait appliqué. Cette réforme de l’ISOC devrait désor-mais s’inscrire dans le contexte de la récession et surtout de la défla-tion. Dans cet environnement, il est inutile de stimuler le financementdes entreprises. Une déflation s’accompagne de taux d’intérêt bas etd’une offre de financement accessible. Cela disqualifie donc les intérêtsnotionnels comme outil exclusif de stimulation fiscale. Au contraire, c’estla demande, l’emploi et l’investissement qu’il faut favoriser au traversd’avantages fiscaux portant sur l’investissement et l’emploi productif.

Si cette proposition de réforme se précisait, je soulignerais donc plu-sieurs points d’attention.

Les intérêts notionnels seraient déphasés. Ils ont incontestable-ment formulé une ambition de compétitivité. Cette révolution fiscale a

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 constitué un relais des centres de coordination, mais elle s’est surtout

inscrite dans l’harmonisation monétaire induite par l’euro. Les taux d’in-térêt étant élevés, il fallait réduire le coût du capital par une innovationtaxatrice. De plus, l’économie était en expansion et il fallait accompa-gner fiscalement cette réalité. Les intérêts notionnels ont répondu à cesobjectifs. Des erreurs ont-elles été commises ? Incontestablement. Lesystème a conforté des effets d’aubaine et n’a pas été suffisamment inci-tatif en réservant les avantages fiscaux à des apports en capitaux frais auxentreprises. Mais ne l’oublions pas : son but assumé était bien de baisserl’impôt des sociétés. D’ailleurs, les pertes d’impôts décriées par certainsn’en sont bien sûr pas, puisque sans intérêts notionnels, des entreprises

étrangères n’auraient pas investi en Belgique. Ce sont plutôt des pertesd’opportunité. Aujourd’hui, la situation est différente. Nous sommesconfrontés à un manque de croissance alors que les taux d’intérêt sontextrêmement bas et que les entreprises sont mieux capitalisées. Il ne fautpas, pour autant, supprimer les intérêts notionnels, mais les déphaser surune période de cinq ans, au même rythme qu’une baisse du taux nominald’impôt des sociétés. Ce dernier pourrait baisser par pas de 3 % annuels(34 %, 30 %, 27 %, etc.) afin d’atteindre environ 20 % après cinq ans.

Une autre mesure devrait stimuler spécifiquement la capitalisation

des PME. Il faudrait donc inciter les recapitalisations par des déduc-tions fiscales liées à des conditions en matière d’investissements. Cetteapproche s’apparente aux mesures Cooreman déployées en 1982-1983.Des avantages pourraient être octroyés aux entreprises qui augmententleur capital afin de réaliser des investissements productifs. Pour les PME,ces mesures se cumuleraient avec les intérêts notionnels (en déphasageprogressif) et la baisse de l’ISOC. On pourrait aussi imaginer que lesPME continuent à bénéficier de taux d’ISOC plus bas, afin de les aiderà amortir le choc de la crise économique.

En même temps, il faut stimuler les investissements car nous souf-

frons d’une désindustrialisation. Les mesures sont nombreuses et ellesont toutes été testées dans les années 1970. La plus simple consiste àpermettre des amortissements (fiscalement déductibles) accélérés surles immobilisations. On pourrait aussi imaginer que la déductibilité desamortissements porte sur plus de 100 % de la valeur de ces immobilisa-tions, afin de protéger la reconstitution du capital, écornée par l’inflation.Une autre idée serait de redonner de l’ampleur aux déductions pour

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investissement, qui avaient été escamotées au profit des intérêts notion-

nels. Ceci étant, des critiques seront légitimement exprimées contre unefiscalité de stimulation des investissements. Est-il justifié de considérerce type de mesure alors que 70 % de l’économie repose sur les serviceset non plus sur le secteur industriel ? Nonobstant la nécessité de réin-dustrialiser nos économies, la réponse est assurément positive. En effet,une économie de services exige de lourds investissements, notamment enmatière informatique. De plus, on pourrait imaginer des mesures fiscalesqui favorisent les immobilisations intangibles, comme la recherche etle développement. On argumentera aussi que les capacités de produc-tion sont sous-utilisées et que de nouveaux investissements ne sont pas

nécessaires alors que nous traversons une crise de la demande. Le rai-sonnement est facilement disqualifié, dès le moment où l’économie esten renouvellement permanent. Est-il possible d’adosser une exigence enmatière d’emploi à cette piste fiscale ? Non, et ce, pour plusieurs raisons.Tout d’abord, il est difficile de déployer une mesure fiscale qui favorise,en termes égaux, l’investissement et l’emploi car ces deux facteurs deproduction sont parfois opposés. Ensuite, certains investissements amé-liorent parfois la productivité au détriment de l’emploi. L’automationen est la meilleure illustration : il s’agit de mécaniser des procédés auxdépens d’une intervention manuelle. Enfin, à moyen terme, l’investisse-ment stimule toujours l’emploi : le redéploiement d’une économie est unprocessus continu qui conduit immanquablement à créer des emplois,parfois éloignés de l’investissement originel.

Une idée innovante concernerait la cession, au sein d’un grouped’entreprises belges, de pertes fiscales reportables. La cession des pertesfiscales, qualifiée de Group Relie , est applicable depuis plusieurs annéesau Royaume-Uni. Cette méthode reviendrait à considérer les pertes fis-cales comme un actif « monétisable ». Un tel système n’est pas très dif-férent du système de récupération des pertes fiscales sur les résultats

bénéficiaires antérieurs des entreprises, tel que celui appliqué en France.Il faudrait promouvoir la consolidation fiscale et la diffusion d’une

assiette fiscale européenne harmonisée en ce qui concerne l’ISOC. La conso-lidation fiscale ne présente pas que des avantages pour une petite économieouverte, mais elle s’inscrit dans le sens de l’histoire de l’harmonisation euro-péenne. Une consolidation fiscale exigerait évidemment de garder un sys-tème extrêmement favorable pour la taxation des dividendes et plus-values

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sur actions, d’autant que la Belgique est un pays de holdings. La taxation à

25 % des plus-values sur actions à court terme devrait être annulée. Elle estinutile et improductive, car elle s’oppose à la mobilité du capital.

En conclusion, le temps est donc venu de faire preuve d’audace et sur-tout de s’extraire des schémas fiscaux classiques. S’il s’avère que l’ISOC necorrespond plus totalement aux conditions actuelles de l’économie, adop-tons, avec sagesse et sans points de discontinuité, une grille de lecturedifférente de l’impôt. Bien sûr, l’équation est complexe et ne susciterapas d’alignement politique immédiat. La question n’est d’ailleurs pas defavoriser le capital au détriment du travail, mais d’aligner les intérêts desentreprises et des travailleurs via un ferment à l’investissement productif.La crise économique exige de nouvelles réflexions.

 Janvier 2016 

Deux mesures révolutionnaires à l’impôtdes sociétés

Lorsqu’on repense la taxation des sociétés sous des angles innova-teurs, l’important est que les révolutions fiscales ne soient pas, au sensétymologique, un retour au point de départ. Examinons dès lors deuxpistes inédites pour stimuler l’investissement productif et l’emploi, enréférence avec la mesure (souvent décriée) des intérêts notionnels.

Le principe des intérêts notionnels consistait à déduire de la basetaxable à l’impôt des sociétés un pourcentage (exprimé sous forme detaux d’intérêt fictif ou « notionnel ») des capitaux propres de l’entre-prise, c’est-à-dire de l’investissement des actionnaires. Il s’agissait doncde défalquer fiscalement une charge « notionnelle », c’est-à-dire non

décaissée. En d’autres termes, les intérêts notionnels représentaient un jeu d’écritures comptables destiné à baisser la charge fiscale, sans queces intérêts constituent un quelconque débours pour l’entreprise. J’enparle désormais à l’imparfait car les taux d’intérêt sont tombés dans desabysses séculaires. Leur caractère incitatif et l’avantage fiscal sont devenuscaducs. Par contre, leur logique peut être transposée de manière positiveà une taxation repensée.

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Aujourd’hui, le problème conjoncturel n’est plus l’accès au capital,

mais la relance de l’investissement et de l’emploi. En effet, nous traver-sons une crise de la demande, qui se traduit elle-même par un contextedéflationniste et récessionnaire. C’est donc par la stimulation de laconsommation intérieure et de l’investissement productif que l’économiepeut être relancée, d’autant que le stock de capital vieillit.

Il faut désormais imaginer une nouvelle fiscalité. C’est possible enappliquant le principe des intérêts notionnels (c’est-à-dire la déductiond’une charge non décaissée à l’impôt des sociétés) aux investissementset à l’emploi.

Pour les investissements, il faut en réduire le coût d’usage. Une solu-tion intuitive pourrait être de permettre des amortissements accélérés.Malheureusement, cette mesure n’entraîne qu’un effet de trésoreriepuisqu’elle ne permet à l’entreprise qu’à anticiper la déduction fiscale(et donc l’économie d’impôt) associée à l’amortissement. Cet effet detrésorerie est négligeable en période de taux d’intérêt nuls. Il faut doncl’écarter.

Une mesure offensive s’impose alors : il s’agirait d’amortir fiscale-ment les biens pour un montant supérieur à leur coût d’acquisition. Parexemple, un investissement de 100 pourrait être amorti pour un montant

exemplatif de 130. Comme pour les intérêts notionnels, la différencede 30 ne correspondrait pas à un décaissement effectif : il s’agirait uni-quement de déduire un montant de 30 à travers l’amortissement, c’est-à-dire par un jeu d’écritures fiscales. L’intérêt serait, pour l’entreprise,d’obtenir un avantage fiscal supplémentaire correspondant à ce surcroîtd’amortissement (30), multiplié par le taux actuel d’ISOC (34 %), soit 10.Le gain de 10 réduirait le coût effectif de l’investissement qui passeraitde 100 à 90 (en sus de l’effet de l’amortissement). Seuls les nouveauxinvestissements seraient éligibles à cette mesure incitative. Bien sûr, onargumentera que seules les entreprises qui paient des impôts pourraient

bénéficier de cette mesure, d’autant que les pertes fiscales ne sont déduc-tibles que des bénéfices futurs. Une solution serait alors d’imaginer unremboursement d’impôt effectif correspondant à l’avantage fiscal. Il seraitplafonné en montant et dans le temps. Une telle mesure s’inscrirait dansla nécessaire ré-industrialisation du pays. Elle pourrait même être modu-lée en fonction du type d’investissement que le législateur veut favoriseret être déclinée différemment selon les régions.

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Ceci étant, d’aucuns argumenteront, à juste titre, que des entreprises

pourraient détruire des emplois par des investissements dans la mécanisa-tion des tâches. C’est pour cette raison qu’il faut une mesure similaire pourl’emploi. La même logique pourrait, dès lors, être appliquée aux salaires dupersonnel nouvellement embauché : un salaire brut de 100, déjà déductiblede l’ISOC pourrait l’être pour un montant supérieur à 100. L’entreprisebénéficierait ainsi d’une réduction immédiate d’impôt qui abaisserait lecoût salarial sans toucher à la sécurité sociale ou à l’indexation.

Ce type de mesure serait un lointain écho aux mesures Maribel, ima-ginées en 1981 pour stimuler l’emploi, au moyen d’une réduction descharges patronales pour les entreprises qui avaient recours à des travail-leurs manuels et spécifiquement tournées vers l’exportation. L’opérationMaribel avait dû être neutralisée à cause de son caractère discriminant.

L’idée que je développe s’en différencie néanmoins car l’abattementfiscal se traduirait par une diminution de l’ISOC et non pas des chargespatronales. Le coût salarial serait donc abaissé par l’impôt des sociétéset non par la parafiscalité, qui resterait étanche. La piste n’est pas tota-lement neuve : en 1982, le législateur avait autorisé certaines catégoriesd’entreprises à constituer des provisions en exemption d’impôts, lorsde l’engagement de personnel additionnel. Cette disposition pourrait ne

pas être généralisée (eu égard à son coût budgétaire), mais limitée auxnouvelles embauches ou à certains types de travailleurs (jeunes ou âgés,par exemple). D’autres variantes existent, comme limiter la déductionaux premiers emplois.

Tant pour l’investissement que pour les frais salariaux, la réductiond’impôt devrait être affectée à une réserve indisponible qui ne pourraitpas servir au paiement des dividendes. Elle contribuerait ainsi à l’auto-financement des entreprises.

On l’a compris : une réforme de l’ISOC devient urgente. Ce n’estévidemment plus le passif (c’est-à-dire le financement) mais l’actif (c’est-

à-dire l’investissement et l’emploi) des entreprises qu’il faut favoriser. Aureste, lorsque j’avais imaginé les intérêts notionnels en septembre 1999,l’économie était en haute conjoncture et le capital à risque raréfié. Cetteidée fiscale s’inscrivait dans l’harmonisation monétaire induite par l’euro.Les taux d’intérêt étant élevés, il fallait réduire le coût du capital par uneinnovation taxatrice. L’économie était en expansion et ce n’est plus lecas aujourd’hui.

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En conclusion, la réforme de l’ISOC doit impérativement s’inscrire

dans le contexte de la croissance basse et surtout de la déflation. Danscet environnement, il est inutile de stimuler le financement des entre-prises. Une déflation s’accompagne de taux d’intérêt bas et d’une offre definancement moins onéreuse. C’est la demande et l’investissement qu’ilfaut favoriser au travers d’avantages fiscaux portant sur l’investissementet l’emploi productif. Si une faible reprise se confirme, tout va se jouerdans les prochains trimestres. En mettant en œuvre les deux mesuresdéfendues dans cette contribution, on ferait basculer la fiscalité dansune logique keynésienne. C’est incidemment l’orientation adoptée par le

ministre français des Finances, dont on tirerait grand profit à s’inspirer. Avril 2015

Le retour de la taxe Tobin

Il y a quelques mois, quelques pays européens avaient décidé de taxerles transactions financières dès 2016. Quoi que l’on pense de cet impôt,

il est intéressant de rappeler la genèse de cette taxe qui est l’héritièrede la taxe Tobin.

Cette dernière doit être replacée dans le contexte historique de sonélaboration, à savoir le début des années 1970. À cette époque, le systèmemonétaire de Bretton Woods, qui avait conduit à établir des paritésfixes et une convertibilité avec l’or entre les principales devises des paysdéveloppés, entrait en déliquescence. Ce régime de taux de change fixe,en vigueur depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, se révélaitinadapté aux différentiels d’évolution économique entre les pays parte-naires. Son abandon en 1973 mena à l’adoption d’un système de coursde change flottant, toujours en vigueur, avec le dollar.

C’est à cette époque qu’un professeur américain, James Tobin (1918-2002), eut l’idée d’instaurer une taxe de 0,1 % à 1 % sur les mouvementsde change internationaux spéculatifs et d’utiliser les recettes de cette taxepour financer la croissance des pays en voie de développement. JamesTobin soutenait que les mouvements spéculatifs entravaient la marge de

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manœuvre des autorités monétaires en matière de gestion des cours de

change. Il fallait donc les maîtriser, sinon les contenir.L’idée fut reprise, quelques années plus tard, par le professeur allemand

Spahn, qui recommanda de considérer une taxe plus faible (de l’ordrede 0,01 % ou un point de base) sur toutes les opérations de change –donc pas uniquement spéculatives – mais avec un taux d’imposition plusélevé sur ces dernières, lorsque les cours de change s’écartent d’une four-chette prédéterminée (ce système est qualifié de two tiers).

La taxe obin n’a émergé que lentement des cercles académiques.Elle a pourtant trouvé de nouveaux adeptes depuis la crise asiatique des

années 1997-1998 et, plus récemment, dans le sillage des manifestationsentourant le concept de globalisation de l’économie mondiale et de crisebancaire.

Malheureusement, l’efficacité économique de la taxe Tobin n’est pasattestée, d’un point de vue théorique et les avis sont partagés quant auxinconvénients de la spéculation que cette taxe entend combattre. En toutétat de cause, il est probable qu’une faible taxe ne constitue aucunementun obstacle à des mouvements spéculatifs de grande envergure.

Quels que soient son bien-fondé et son efficacité présumés, l’applica-tion de cette taxe ne pourrait être envisagée qu’au niveau mondial, afind’éviter de rapides et incontrôlables mouvements de capitaux, devenustrès mobiles. Les difficultés liées à l’atteinte d’un consensus politiqueportant sur les modalités sont donc nombreuses, sans compter l’appa-rition inéluctable de centres off-shore.

D’un point de vue fiscal – et il s’agit de son aspect conceptuel leplus important –, la taxe Tobin vise à frapper non pas un enrichisse-ment réalisé, mais un flux financier. Or, un flux financier, appréhendéde manière autonome, ne correspond pas aux concepts de revenu et de

 valeur ajoutée, dont la taxation constitue le fondement de la plupart des

systèmes fiscaux. Cette taxe constituerait un pur impôt à la source sur lecapital (ou sur l’épargne), déconnecté de tout enrichissement éventuel yassocié. En Belgique, elle relèverait donc de la même catégorie fiscale queles droits d’enregistrement, les droits de succession ou, dans une matièrefinancière connexe, la taxe sur les opérations de bourse (ou TOB).

De manière plus générale, je reste sceptique devant les impôts surle capital ou la mutation de celui-ci. On peut, en effet, se demander

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si ces impôts (OB, droits de mutation immobilière, etc.) ne consti-

tuent pas des effets d’aubaines conduisant à ponctionner une mutationd’épargne. Cela est d’autant plus singulier que ces impôts frappent desdéplacements de capital vers du capital à risque (actions, immobilier)alors que de simples mutations de flux bancaires ne sont légitimementpas érodées par l’impôt.

Cette taxe aurait, par ailleurs, un effet d’accumulation, conduisant àun prélèvement d’autant plus important que le nombre de transactionsaffectant un même flux monétaire est important. Un parallèle peut êtreétabli dans ce domaine avec l’ancêtre de la TVA, la taxe de transmis-sion, qui frappait les circuits commerciaux d’autant plus lourdementque le nombre d’intervenants intermédiaires était important. La taxeTobin pénaliserait donc la démultiplication des transactions financièresqui permet justement de répartir sur un grand nombre d’intervenantsles risques de change. La liquidité de certaines devises pourrait, le caséchéant, en être affectée.

Enfin, les modalités administratives de perception de la taxe Tobinconstituent un autre obstacle à son éventuelle mise en œuvre. Son coût,essentiellement supporté par les institutions bancaires, serait probable-ment répercuté sur d’autres intervenants, tels les fonds de pension, lesorganismes de placement collectif et les compagnies d’assurances. Lataxe affecterait donc finalement l’épargne des particuliers.

Février 2016 

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Perspectives boursières

2016 : une crise pire qu’en 2008 ?

Roubini, Soros, Attali… Tous ces prédicateurs annoncent une catas-trophe boursière imminente pour l’année 2016.

Avec la régularité des prévisions zodiacales, ces pseudo-philosophesentretiennent leur visibilité médiatique.

Ils prédisent une crise de l’envergure de celle de 2008.

Est-ce envisageable ?

Bien sûr, en économie, il faut tout subodorer.

Personne ne connaît le futur.

Mais il faut garder discernement et tempérance de jugement.

Des éléments exogènes (épidémies) ou des épisodes militaires peuventévidemment ravager le monde, d’autant que la guerre ne respecte plusles règles de l’engagement de Von Clausewitz. La guerre est encore plussale qu’elle n’a pu l’être.

Mais, sous l’angle strictement financier, quels sont les éléments quipourraient, s’ils étaient du ressort d’un alignement astral funeste, entraî-ner un Armageddon financier ?

Il me semble que ce serait une augmentation des primes de risques,c’est-à-dire de la perception du risque et de la variabilité associées aufutur. Cet élément est non modélisable : il est lié à la psychologie desfoules. Cette augmentation brutale des primes de risque a déjà été consta-tée dans l’Histoire, souvent de manière irrationnelle.

Mais alors, les banques centrales y répondront par des injections

de liquidités, confortées par le fait qu’en période d’indécision, les tauxd’intérêt d’État baissent, dans le cadre d’un « flight to quality », c’est-à-dire d’un repli des investissements vers des actifs moins risqués.

Bien sûr, on pourrait imaginer que l’augmentation des primes derisques se combine à une augmentation des taux d’intérêt sans risque,si les banques centrales décident de contraindre la masse monétaire. Jene crois pas à ce scénario car cela signifierait que ces banques centrales

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plongent volontairement l’économie en récession. C’est peu probable

car, au-delà de l’apparente indépendance des banques centrales, il y ales États. Et les États ont toujours le dernier mot.

 Janvier 2016 

Pseudo-experts et crise financièrede fin du monde…

Un commerce nauséabond s’installe dans le domaine de la finance :celui des prophètes de malheurs et autres imposteurs aux qualificationsprofessionnelles et diplômes falsifiés (et ils sont légion à s’inventer des affi-liations scientifiques et autres charges de cours prestigieuses qui n’ont deréalité que le vide sidéral), sans compter les pseudo-professeurs d’universitéqui n’ont aucune – je dis bien aucune – publication scientifique.

Leur message est convergent : c’est la fin du monde financier, l’implo-sion du système, le grand soir monétaire voire la révolution. Et ils sontde retour, à chaque renversement boursier.

Et qui sont ces gens qui vivent de leurs maudits prêches, à la modestie

chatouilleuse ?Ils appartiennent à trois catégories : ceux qui se sont déjà tellement

enrichis qu’ils se sont mis à l’abri de toute conjoncture défavorable(par exemple Soros), ceux qui vivent de leurs sermons et autres droitsd’auteurs grassement rémunérés, et ceux qui, de toute façon, n’ont plusrien à perdre, sinon le reste de leur bon sens.

Que gagnent ces impostures ? De l’argent, de fugaces honneurs, deslévitations d’égos.

Et que proposent ces éphémères prophètes ?

Rien.Rien de solide. Ils s’inspirent de solutions d’une envergure tellement

large que leur application est vaine ou de théories microéconomiquesdont l’élargissement relève de l’utopie.

Leurs bavardages sont inutiles.

Février 2016 

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PERSPECTIVES BOURSIÈRES

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Attention aux économistes d’eau douce…

Il existe quelques erreurs qu’un analyste financier ne peut pas com-mettre : réfléchir de manière linéaire en projetant à long terme le passéimmédiat, essayer d’associer des facteurs causaux uniques à une évolutionéconomique complexe, confondre des symptômes avec des causes (et

 vice-versa), commettre quelques-uns des sept péchés capitaux, mélan-ger idéologie et économie, et… répéter ce que d’autres économistesracontent.

De nombreux commentateurs cumulent ces erreurs de jugement et

entretiennent une présence médiatique usurpée, sans légitimité acadé-mique. Or l’économie, c’est compliqué. C’est même insaisissable puisquecela relève de différentes disciplines aussi variées que l’anthropologie, lasociologie, la démographie, bref des sujets d’étude qui ne font pas bonménage avec l’arithmétique élémentaire.

Un exemple de ces biais cognitifs est de croire que la chute boursièreest liée à la Chine. L’explication est commode : si la Chine va mal, c’estdonc un facteur pour expliquer que le reste de l’économie va mal, aumotif de l’interdépendance entre les zones monétaires.

Mais qui peut prétendre connaître la Chine, à l’exception de quelques

rares initiés ? Personne.Mon intuition est que, si tant est que la Chine puisse expliquer une

partie du retournement boursier, il y a autre chose, de beaucoup plusmassif et incontournable, qui exige un recul par rapport à l’événementinstantané. Ce fait, c’est l’évidence que l’économie mondiale continueà caboter dans un marécage déflationniste, de faible croissance, et quele niveau d’endettement est insupportable. Cet endettement a été, pourpartie, absorbé par une création monétaire sans précédent, qui conduità des dévaluations compétitives.

Le problème est et restera la dette dont la soutenabilité est incom-patible avec le niveau de croissance attendu. Les marchés le savent. Ilssavent aussi la finitude de cette création monétaire. Cet élément, bienloin de la Chine, est devant nous.

Il faut en garder la conscience.

 Janvier 2016 

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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Réflexion sur la bourse

La bourse est un rouage essentiel à l’économie. Pour les investisseurs,elle entraîne des images mythiques, car elle polarise les sentiments lesplus extrêmes : l’envie et la peur. C’est sans doute la seule institutionqu’on rejoint avec l’envie du gain et le frisson des pertes, mais qu’onquitte avec le regret de n’avoir pas été assez patient. La bourse exerce unefascination car elle entre en résonnance avec les pulsions les plus secrètesde l’investisseur, comme si elle représentait un être virtuel. Pourtant, labourse n’existe pas à l’état naturel. Elle a été créée par l’homme pourformuler des valeurs.

Étant une construction humaine, la bourse est-elle rationnelle ? Oùest-elle, au contraire, irrationnelle ? Elle est parfaitement rationnelledans son fonctionnement, mais imprévisible dans son mouvement. Labourse, c’est le jeu ordonné (rationnel) de millions de libertés d’achatset de vente face à des milliers d’actions concurrentes. C’est une pulsationuniverselle, un immense mouvement d’adaptation collectif à la diversitémouvante de l’économie.

La fonction principale de la bourse est d’explorer l’utilité des biensdans le futur. C’est une machine non pas à remonter, mais à se proje-

ter dans le temps. Cette réalité est irritante pour l’esprit cartésien quirecherche des cycles répétitifs et des schémas prévisibles. Et commel’incrédulité fait bon ménage avec l’obscurantisme, cela conduit à l’ima-gerie populaire d’une sphère financière dévoyée et dissociée des vertusrédemptrices de l’économie qualifiée de « réelle ». En fait, il n’y a pasd’économie réelle à opposer à une économie financière ou virtuelle. C’estplutôt une question d’échelle de temps que de réalité ou de virtualité : ily a des transactions économiques révolues à comparer avec un marchéboursier d’anticipations et d’engagements futurs.

Car, quand on analyse froidement leur formation, les cours découlent

d’une mécanique élémentaire : ils résultent de la confrontation d’antici-pations contraires portant sur un même nombre de titres achetés et ven-dus. L’acheteur anticipe une hausse cours, tandis que le vendeur spéculesur une baisse. Chaque opérateur, par sa contribution à la transaction,anticipe donc une certaine volatilité. Cette réalité s’oppose à nouveau àla critique de marchés boursiers trop volatils, alors que cette volatilitéfonde les transactions.

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PERSPECTIVES BOURSIÈRES

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La bourse gardera donc toujours sa part de mystère. De manière

imagée, on pourrait donc envisager le cours de bourse comme la porte,ouverte mais jamais franchie, vers le futur. Car si, d’aventure, la prévi-sion du futur était concevable, il serait possible de savoir si un cours vamonter ou baisser, ce qui entraînerait des achats sans vendeurs ou des

 ventes sans acheteurs de titres. Il n’y aurait aucune transaction, donc pasde bourse. Ou, inversement, la bourse existe parce que nul n’est capable,de manière établie, d’augurer le futur. Elle porte en elle la volatilité desévaluations qui fonde son existence. Sans volatilité, il n’y aurait pas debourse.

Le cours est donc, par essence, doublement éphémère. Il est, en effet,

destiné à être contredit à tout moment. Il n’emporte aucune pérennité,puisqu’il reflète la dernière transaction qui, au moment de sa publica-tion, appartient déjà au passé. En d’autres termes, la formation du coursentraîne sa propre précarité, puisque sa seule pertinence est d’avoir été,plutôt que d’être, comme un futur qui n’est qu’un passé en préparation.Mais il y a plus : le cours n’est valable que pour les acheteurs et les

 vendeurs qui effectuent la transaction. Il ne constitue qu’une indicationpour les acheteurs et vendeurs potentiels. Ceux-ci créeront leur coursau moment de la transaction.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que la valeur d’une action pro-cède de l’actualisation des dividendes espérés. Cette actualisation s’effec-tue à un taux dont la modélisation est, elle aussi, impossible, puisqu’elleintègre, selon des pondérations inconnues, l’ensemble des anticipationsrelatives aux marchés financiers et à l’action concernée. Au reste, lathéorie boursière a bien identifié la marche au hasard des actions, dontles cours sont soumis à des oscillations aléatoires. La leçon de la bourse,qu’on peine paradoxalement à se remémorer est bien là : les marchésn’ont pas de mémoire.

Les procès inquisitoires ou en sorcellerie sur les marchés financiers

sont donc souvent vides de sens. La bourse n’est ni vertueuse, ni odieuse,et encore moins une machine infernale. Elle est juste une mesure dutemps et des valeurs prospectives.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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Étrange paradoxe

La BCE a exprimé ses résignations en matière d’inflation et de crois-sance.

Il en résulte une hausse des cours boursiers. Pourquoi ? Une situa-tion récessionnaire et déflationniste entraîne des taux d’intérêt bas, eux-mêmes lestés par l’anticipation de l’amplification d’un assouplissementmonétaire amplifié. À court terme, une économie qui va mal entrainedonc un faible prix du temps (c’est-à-dire le taux d’intérêt). out sepasse comme si des taux d’intérêt bas rapprochaient le futur. Et comme

la fonction des marchés financiers est de négocier aujourd’hui le futur,la crise nous en rapproche.

N’est-ce pas étrange ? Le manque de croissance et d’inflation inter-pelle notre futur mais conduit à augmenter la valeur de notre présent.

Septembre 2015

Les grands timoniers et la bourse

Depuis des semaines, de nombreux économistes lient la chute bour-sière à l’érosion de la croissance chinoise. C’est, pour partie, correct : cetteéconomie subit un ralentissement qui entraine une chute des matières pre-mières qui met elle-même à mal de nombreuses économies émergentes.

Mais le véritable problème, c’est la dette, tant privée que publique.

Bien sûr, une dette suppose une créance, puisque l’argent empruntédoit être prêté. Mais ceci nécessite deux précisions : un débiteur peuttoujours faire défaut et un emprunteur public peut toujours rembourser

sa dette au travers d’une création monétaire ex nihilo. C’est exactementce qui se passe dans la plupart des économies développées : l’excédent dedettes publiques est refinancé au travers de la création monétaire. Toutse passe comme si un État émettait un emprunt et que sa souscriptionétait, pour partie, assurée par un tour de rotative à billet.

La question est donc de savoir à quel rythme, et selon quelle syn-chronicité les banques centrales vont refinancer des dettes publiques,

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PERSPECTIVES BOURSIÈRES

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sachant que cette démarche doit immanquablement, à terme, conduire

à déprécier la valeur de la monnaie au travers de l’inflation.En Europe, le danger réside, selon moi, dans le raidissement de

l’Allemagne quant à la poursuite de la création monétaire, car celane ressortit pas à l’arrière-plan socio-politique de ce pays. En effet, enAllemagne, pays plusieurs fois ruiné au cours du XXe siècle, la monnaieest un symbole fédérateur et son pouvoir d’achat est le garant de l’inves-tissement collectif et donc de la pérennité du modèle rhénan. La force del’Allemagne est d’ailleurs d’avoir réévalué sa monnaie à de nombreusesreprises en compensant cette entrave à l’exportation par une productionmanufacturière de qualité caractérisée par des gains de productivité trèsimportants.

Concrètement, il est possible (sans certitude) que l’Allemagne exigeque le rythme de la création monétaire s’atténue dans un an, afin d’éviterce qu’elle considère être une spirale mortelle, à savoir que la Banque cen-trale européenne, pourtant clonée sur la Bundesbank, devienne le comp-toir d’escompte des États de la zone euro. Les Allemands pourraient,par contre, accepter des taux d’intérêt encore plus négatifs, sachant quecette modalité est structurellement inoffensive.

En Europe, la question de l’année 2016 est donc de savoir quel sera

le message de la BCE.

 Janvier 2016 

Réflexion sur les politiques monétaires

Il est bien sûr impossible d’assigner une cause à la chute bour-sière, puisque la bourse représente une confrontation d’anticipations

contraires. Le marché crée une fluente chimie qui conduit à des variationsimpossibles à modéliser. Les marchés expriment un équilibre éphémère.Nombreux (dont moi) sont ceux qui allèguent le tassement économiquechinois ou les forces déflationnistes. Cette évocation est fondée.

Mais ce n’est pas tout. Il me semble qu’un facteur pourrait commen-cer à hanter les marchés : c’est l’atténuation des politiques monétairesaccommodantes, ou plutôt leur efficacité progressivement décroissante.

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Les injections monétaires et baisses de taux d’intérêt ont réduit le

coût du capital, entrainant une hausse de la valeur des actifs.Cependant, les marchés ont peut-être créé une dynamique d’antici-

pations d’amplification de ces politiques monétaires qui ne seront ren-contrées qu’en partie par les banques centrales qui les mettent en œuvre.Il y aurait donc un « déficit de rencontre d’anticipations » qui devra êtreintégré par les marchés.

Voilà ce que j’écrivais en janvier 2016 :

En effet, si une conviction de taux d’intérêt bas peut être légitimement justifiée par un contexte économique morose et déflationniste, la néces-

sité d’affaiblir l’euro sur les marchés financiers et l’impossibilité, pour lesÉtats européens, de soutenir des taux d’intérêt plus élevés sur leurs dettes publiques, il est incontestable que l’assouplissement quantitati de la BCEne sera pas perpétuel. À un certain moment, qui reste à définir, le rythmede la croissance monétaire se ralentira. Cette étape coïncidera avec unenormalisation légitime de la politique monétaire. À ce moment, les mar-chés seront progressivement conrontés à une conrontation au réel. Or, jene sais pas dans quelle mesure les marchés ont créé une dynamique d’anti-cipation de la création monétaire reposant une conviction d’un supportéternel de la BCE. En termes plus concrets, sans croissance et inflation,

l’annonce de la fin graduelle du programme d’assouplissement quantitatisera peut-être un choc pour les marchés d’actis. La BCE y sera évidemmentattentive, mais cela n’escamotera pas une conrontation d’anticipations.Et ceci ramène à une réalité singulière : les marchés relèvent désormais plus de l’économie publique (c’est-à-dire de la BCE ou de la FED) qued’une économie traditionnelle.

En fait, le futur va coûter plus cher. Pour illustrer ce propos, il fautimaginer une balance à plateaux. Le plateau de gauche représente lepassé tandis que le plateau de droite figure l’avenir.

Lorsque les forces du marché abandonnent le taux d’intérêt de manière

naturelle à son équilibre, les deux plateaux sont horizontalement au mêmeniveau. Par contre, lorsque le taux d’intérêt est bas, tel que c’est le casactuellement, le plateau de gauche, qui mesure la valeur des actifs consti-tués dans le passé, s’élève (par l’allègement du taux d’intérêt), tandis que leplateau de droite, qui mesure le rendement du futur s’affaisse. Le prix dufutur diminue, conduisant à augmenter la valeur du passé. Cela expliquela hausse du prix des actifs (actions, obligations, immobilier, etc.).

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PERSPECTIVES BOURSIÈRES

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Inversement, lorsque les taux d’intérêt augmentent, le futur est plus

rentable, diminuant la valeur des actifs constitués dans le passé. Le pla-teau de gauche s’abaisse tandis que le plateau de droite s’élève : l’avenir(symbolisé par le plateau de droite) coûte plus cher.

Aujourd’hui, le plateau de gauche est plus élevé, mais une hausse detaux conduirait à hausser le plateau de droite, reflétant un avenir plusonéreux.

La bourse intègre peut-être une normalisation du prix du futur.

Février 2016 

Vieillir, cela n’est rien… mais investir, ô investir…

C’était une intuition. Cela devient une piste de réflexion, qui, à cestade, n’a de valeur qu’indicative et ne peut être quantifiée : et si l’absencede reprise de la croissance était entretenue par le vieillissement de lapopulation ?

Dans un travail de recherche passé inaperçu en 2014, trois chercheursdu FMI (Jong-Won Yoon, Jinill Kim et Jungjin Lee) s’étaient intéressésaux variations démographiques en les plaçant dans la perspective dutaux de croissance, du taux d’inflation et des taux d’épargne. Le résultatle plus frappant de ces travaux est le lien (qui ne peut pas être qualifiéde causal) qui apparaît entre le vieillissement de la population et unetendance déflationniste. Si ce lien s’avère correct, alors la tendance défla-tionniste serait de nature structurelle.

Les injections monétaires destinées à ré-inflater l’économie seraientpeu effectives.

Et si tant est qu’elles réussissent, elles toucheraient les couches lesplus âgées de la population, dont les profils d’épargne les conduisent àinvestir en actifs peu risqués et sont sujets à l’érosion monétaire.

Les « responsables involontaires » de la déflation seraient donc les victimes de son remède.

Ce serait une bien sombre perspective.

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Et cela conduit immanquablement à la nécessité d’orienter la mon-

naie créée vers l’économie réelle au travers de politiques keynésiennesde grands travaux qui restent, à tort, suspectes.

Octobre 2015

Investir en actions ? Oui

Prévoir l’avenir boursier est un exercice téméraire, d’autant que nous

sommes tous affectés d’un biais cognitif qui nous conduit à imaginerl’avenir de manière réflexive, comme une répétition de scénarios, voireun prolongement des tendances récentes.

Victor Hugo avait qualifié l’avenir de « fantôme qui promet tout etn’a rien », tandis que dans La Reine Morte, Henri de Montherlant plaçaitdans la bouche du roi Ferrante ces sinistres paroles : « Et un jour, toutsera bouleversé par les mains hasardeuses du temps ».

L’avenir est inconnu, mais avec intuition, étude et intelligence, onpeut s’essayer à formuler des scénarios.

En matière boursière, nous traversons des temps inconnus : le prixdu temps, c’est-à-dire le taux d’intérêt, devient nul ou négatif (ce quirevient à faire du temps une variable faible). Cette situation reflète untassement conjoncturel, couplé à des dynamiques démographiques ettechnologiques particulières.

La monnaie est créée en abondance par les banques centrales, sansque cette création monétaire suscite une traction sur la demande. Cettecréation monétaire semble être mise en œuvre par tous les institutsd’émission. Il existe un risque de bulle d’actifs.

Mais, immanquablement, l’inflation surgira. Il ne s’agira pas d’uneinflation de rareté des biens, mais plutôt d’une redénomination de la valeur des biens et services avec un étalon monétaire dont le prix doitabsorber le surplus.

Si ce scénario se vérifie, la question d’éventuelles bulles d’actifs mesemble moins importante que celle du support d’investissement. Et, onle sait, les actions sont un instrument qui permet d’absorber l’inflation,

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PERSPECTIVES BOURSIÈRES

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pour autant que le prix des biens et des services offerts par les entreprises

qui émettent ces actions puisse être ajusté par l’inflation.Investir en actions est donc une démarche fondée, d’autant qu’un por-

tefeuille diversifié d’actions possède une vie infinie et resitue la pulsationdu monde économique dont la croissance à long terme est l’ordre naturel.

Octobre 2015

Bourse : la fin de l’euphorie ?

Les bourses d’actions chutent. Faut-il y associer une dose de catastro-phisme ? Aucunement, car l’investisseur en actions doit avoir un horizonde placement très long et surtout diversifier ses placements. Et, on le saità l’aune de l’histoire boursière, la valeur des actions épouse la croissancede l’économie tout en rémunérant les actionnaires d’une prime de risque,reflétant elle-même la variabilité de la valeur de ses avoirs.

D’après mon intuition, les actions restent d’ailleurs le véhicule d’in- vestissement optimal car l’arrière-plan économique ne peut pas être

déflationniste, mais légèrement inflationniste. En effet, sauf à imaginer unimpossible abattement de dettes privées et publiques, la création moné-taire finira par diluer ces dettes dans une modification de l’étalon moné-taire, c’est-à-dire l’inflation. Dans cette perspective, les placements enactions permettent, contrairement aux obligations et autres placements àrevenus fixes, de surmonter l’inflation, si elle n’est pas trop importante.

Bien sûr, d’aucuns imaginent une spirale déflationniste, mais ce scé-nario n’est pas convaincant. Certes, la révolution technologique que noussubissons pourrait avoir des effets déflationnistes, mais l’envergure desdettes publiques et privées aura, à mon intuition, un effet supérieur.

Une déflation se combat d’ailleurs par la ré-inflation monétaire, ainsique les banques centrales tentent de la mettre en œuvre. Sous cet angle,les actions restent un vecteur d’investissement approprié.

 Août 2015

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Faut-il sanctionner les actionnaires à court terme ?

Poser cette question semble y répondre. Un actionnaire à courtterme est défini comme celui qui achète une action dans l’intentionde la revendre rapidement en en tirant un gain indu arraché au temps.Cet actionnaire est qualifié de spéculateur. Il doit donc être sanctionné.

Mais, à y réfléchir sereinement, on réalise rapidement que cette pre-mière impression est incorrecte, sous l’angle du fonctionnement desmarchés financiers (j’insiste sur le fait que des perceptions morales,éthiques et socio-politiques puissent conduire à d’autres conclusions,

que je respecte parfaitement).En effet, sous l’angle mathématique et sauf à s’inscrire dans un

contexte d’informations privilégiées, la probabilité instantanée que lecours de bourse d’une action baisse ou augmente est exactement de50 %. S’il est vrai qu’à long terme, les cours de bourse d’un portefeuillediversifié augmentent au travers du reflet de la dépréciation monétaireet de l’encaissement d’une prime de risque associée à la nature d’uninvestissement pour partie hasardeux, ce n’est absolument pas le cas àcourt terme.

De surcroît, le cours de bourse d’une action constitue l’actualisation(c’est-à-dire l’expression en unités monétaires courantes) de tous les fluxfuturs espérés (dividendes, rachats d’action, plus-values, etc.) associés àl’action. Le cours de bourse est donc le condensé du futur espéré. Unerécente contribution au Financial Times qualifiait, de manière singulièremais tellement juste, les marchés financiers de machine à avancer dans letemps, permettant aux bénéfices du futur d’être réalisés dans le présent.Suivant cette logique, il ne peut pas y avoir, de manière certaine, degains à court terme associés à la spéculation, puisque le cours de bourse« rassemble et porte » tout le futur.

Seule une détention à long terme de l’action permet de clarifier cemême futur, sauf à croire que les marchés financiers sont pervertis parun biais de court-termisme, mais qui serait contraire à la notion demarché elle-même, qui oppose des acheteurs et des vendeurs animéspar des anticipations contraires.

Enfin, si un actionnaire peut agir à court terme, cela n’impacte aucu-nement la valeur globale de l’entreprise puisque cet actionnaire achète

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le titre à un autre actionnaire et le revend aussi à un autre actionnaire.

L’affectio societatis global n’est donc nullement affecté. Des valeurs nedisparaissent pas lors des achats et des ventes d’actions : elles se déplacentauprès d’actionnaires. Une cession d’action, assortie de la constatationd’une plus-value, n’altère pas le patrimoine collectif mais transfère unefraction de sa propriété vers un autre actionnaire. Une taxation de laplus-value affecterait incidemment un flux sans que ce dernier crée unaccroissement global de richesse.

En résumé, il existe des comportements d’actionnaires à court terme,mais y associer des attributs de gains faciles ou de déperdition de la valeurde l’entreprise me semble hasardeux, sous l’angle du fonctionnement desmarchés. Au reste, empêcher la gestion d’un portefeuille d’actions à courtterme reviendrait à exiger d’un vendeur qu’il puisse devoir subir uneperte éventuelle au motif qu’il ne puisse pas vendre des titres dans unecadence trop saccadée. Au-delà de ce constat, la recherche académique etempirique suggère que seule une gestion à long terme d’un portefeuilled’actions diversifié permet d’être rémunéré pour le risque supporté. Uneexigence de bonne gouvernance conduit, quant à elle, à suggérer que ladictature de certains actionnaires activistes à court terme peut constituerun frein temporaire à une bonne gestion des entreprises.

 Août 2015

Le capital nous a rendus plus orgueilleux…

La valeur des actifs individuels augmente.

Mais, au même rythme, nos dettes collectives enflent.

Et comme le capital n’est que l’expression de son propre rendement

futur, la dette collective se soustrait indirectement de la somme des pro-priétés individuelles.

D’ailleurs, que sont ces dettes sinon un préciput sur la prospérité –et donc le travail – futur ?

En même temps, nos capitaux ne sont qu’une expression du travailpassé parfois augmenté d’un futur que les taux d’intérêt bas semblentaugmenter. Mais, au même rythme, nos dettes, qui sont un prélèvement

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futur sur le travail à venir, se rapprochent aussi. Quand les taux d’intérêt

étaient proches de zéro, le passé et le futur se sont d’ailleurs rencontrés.out est donc dans tout : le travail passé, sous forme de capital,

s’exprime dans l’anticipation du travail futur.

Tout se brouille et s’embrouille.

La déchirure viendra donc immanquablement de la confrontation descapitaux accumulés dans le passé et du travail futur car nos richessessont gagées. À l’extrême, si le capital gagne, nos régimes politiques serontdes ploutocraties. À l’inverse, la victoire du travail sera une révolutionprolétarienne.

Le capital nous a rendus plus orgueilleux.Et la dette collective a éreinté notre futur.

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Économie digitale

Innover puis détruire : vingt ans de cendreséconomiques ?

Il y a deux manières extrêmes de se pencher sur la crise.

Une première attitude, précipitée et fébrile, conduit à prêcher la findu capitalisme innovant et à invoquer une stagnation séculaire, c’est-à-dire le grand plateau déflationniste de l’économie.

À un azimut opposé, une autre posture replace cette crise dans unerécurrente torsion sociétale.

Quoi qu’il en soit, si les crises présentent un seul aspect positif, c’est celuiprobablement de forcer à réfléchir au modèle économique et à la « destruc-tion créatrice » énoncée par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950).

Ce dernier soutenait que les innovations apparaissent par « grappes »et que lorsqu’une innovation se fait jour, elle entraîne des innovationsconnexes qui stimulent l’ensemble de l’économie.

Cet économiste a démontré le rôle moteur de l’innovation, ce quiexpliquerait incidemment le retard pris par l’Europe continentale enmatière de recherche et de développement.

Mais observer la « destruction créatrice » de manière résignée oufataliste n’est pas suffisant.

En effet, ces bouleversements de l’économie exigent qu’on s’y agrippe,en embrassant le futur de manière volontaire. En l’espèce, la numérisa-tion de l’économie va pulvériser nos modes de fonctionnements collectifsen nous entraînant dans des organisations décentralisées et flexibles. Des

pans entiers de l’économie vont être immergés dans un remplacementde tâches humaines par la machine. Il s’agit d’une attrition économiqued’autant plus difficile à surmonter que les gains de productivités vontêtre aspirés par des entreprises technologiques à forte intensité de capitalet à faible intensité de main-d’œuvre.

Et le véritable problème, c’est que nous n’avons pas de réponse étatico-sociale immédiate pour répondre à cette évolution qui sera fulgurante.

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Cette transition vers l’économie digitalisée sera d’autant plus péril-

leuse que, lorsqu’on relit soigneusement Schumpeter, l’on comprendque la destruction créatrice passe d’abord par la création (de nouvellestechnologies) et ensuite par la destruction des entreprises anciennes,avant que l’innovation se dissipe et s’infuse.

Cette situation a déjà été observée dans les années 1970, lors de ladéliquescence de l’économie industrielle au bénéfice de l’économie ter-tiaire (qui sera désormais atteinte violemment par le choc digital). Àl’époque, l’État avait été interpellé pour fournir un relais de croissancequ’une faible dette publique autorisait.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui.Sans imaginer de stagnation séculaire, des années très difficiles d’ajus-

tements nous attendent.

Octobre 2015

La révolution numérique exige de repensernotre organisation sociale

Il y a une vingtaine d’années, de nombreuses entreprises industriellestrouvèrent un relais bénéficiaire en délocalisant leurs capacités de pro-duction dans les pays de l’Est, à peine sortis de l’ère communiste. Ensuite,le déplacement latéral se déploya dans les pays asiatiques afin de profiterde coûts de main d’œuvre plus modiques.

Notre prospérité fut alimentée par le différentiel du coût du travail.Était-ce une démarche visionnaire ou un effet d’aubaine ? C’est difficileà dire : la théorie des avantages comparatifs instruit de déplacer des

activités où le coût de production est plus faible.Quoiqu’il en soit, les entreprises délocalisées ne reviendront jamais,

d’autant que la désindustrialisation semble être un attribut des socié-tés matures. Malheureusement, si tant est que la théorie des avantagescomparatifs de Ricardo s’applique, notre erreur est de ne pas avoir déve-loppé suffisamment de compétences domestiques et d’avoir transforméla délocalisation en attentisme.

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ÉCONOMIE DIGITALE

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Internet est donc devenu un substitut à l’allocation géographique des

facteurs de production en permettant la délocalisation et la désynchro-nisation des circuits de production. Plusieurs études, menées transversa-lement dans différents pays européens, indiquent que près de 40 % desmétiers pourraient être aspirés par l’automatisation des tâches. Bien sûr,d’autres métiers vont apparaître, mais la nature de leur contenu intellec-tuel ou manuel est indécise. Ce processus est inhérent à la destructioncréative des vagues schumpétériennes du progrès humain. Malheureu-sement, comme Schumpeter l’avait parfaitement prophétisé, la création

 vient avant la destruction. L’innovation numérique précède donc une vague de destructions d’emplois, d’autant que la technologie est une

arme de concurrence.Un monde technologique exigera une élévation des sciences exactes,

mais il permettra aussi une fragmentation des activités humaines, dansune logique décentralisée de déstructuration des monopoles d’exercice(il s’agit de l’« Uber »-isation de nos économies). À cet égard, il seraiterroné de croire que la digitalisation va uniquement affecter les tâchesmanuelles : de plus en plus de métiers intellectuels (dont l’éducation)

 vont être déstructurés par la digitalisation, puisque la technologie mineles structures antérieures de transfert de l’information. Bien sûr, on pour-

rait imaginer que la pénétration dans l’économie digitale induise de telsgains de productivité que la quantité de travail nécessaire en soit réduite.Il n’empêche : il y a un risque que cette révolution digitale pulvériseles rapports sociaux, d’autant qu’elle est décentralisée et individualiste,alors que nos modes d’organisation socio-économiques sont planiques,centralisés et collectifs.

Nous avons cru que la mondialisation représentait un mouvement vers l’Est, c’est-à-dire vers les pays au sein desquels nous avons déplacénos capacités de production. Outre le fait que cette délocalisation aurafinalement masqué notre manque d’innovation par un effet temporaire

de richesses. C’est désormais l’Ouest qui va absorber nos richesses. Eneffet, les pays qui contrôlent Internet vont aspirer, par cette désintermé-diation digitale, la substance de nos flux économiques. Ces entreprisessont déjà là : elles s’appellent Google, Apple, Amazon, etc., et toutes lesentreprises qui vont bénéficier de leurs avancées technologiques. Outreune position quasi monopolistique entretenue par leurs moyens financierset leur capacité d’innovation, ces entreprises sont caractérisées par un fort

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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contenu capitalistique et une faible création d’emploi. Tout en apportant

un progrès incontestable, elles vont aspirer les gains de productivité quicorrespondent normalement au taux de croissance de l’économie. Face àces entreprises, l’économie marchande spontanée n’a que peu de chances.

Pour appréhender le basculement sociétal inouï auquel nous allonsêtre confrontés et, surtout, pour être prêts à le traverser, il faut effectuerun basculement mental géométrique. En effet, il convient abandonnerl’image d’un monde vertical et de stocks (comme celui des bâtimentsqui abritent nos entreprises) pour pénétrer dans un monde horizontal,c’est-à-dire un monde de flux. Tout se passe comme si l’économie del’intangible était, par essence, une oscillation latérale. Dans cette logiqued’horizontalité, les schémas de commerce vont être fracturés, dans le sensd’une désintermédiation. Cette nouvelle perception du monde demandeun effort de versatilité et d’agilité, car nos schémas mentaux, qui sontessentiellement déductifs, doivent désormais apprendre l’induction.

Déjà maintenant, des entreprises dominent les États écartelés entreleurs populations de citoyens-consommateurs et ces mêmes entreprisesdont les consommateurs-citoyens utilisent les services. La digitalisationrisque donc de déstabiliser les agrégats sociaux au travers d’une déliques-cence de la classe moyenne et d’un accroissement des inégalités socio-

économiques. En particulier, les États européens sont écartelés entre lanécessité d’assurer l’ordre social dans un contexte de dettes publiquesimpayables et des entreprises étrangères géographiquement mobiles quiaccaparent une grande partie des gains de productivité. Si cette intui-tion (simpliste et pessimiste) se confirme, alors la gestion domestiquedes économies européennes devrait s’étatiser tandis qu’une sphère mar-chande serait dominée par quelques acteurs internationaux sur lesquelsle contrôle étatique deviendrait caduc. On pourrait même imaginer queces entreprises internationales fassent et défassent les classes moyennesde pays désignés selon leurs intérêts commerciaux et que les États en

soient réduits à devoir négocier des concordats fiscaux afin de conserverassez d’emplois et d’activités localement.

En résumé, nous n’avons rien compris à la mondialisation car elle estdouble : il y a une mondialisation géographique (vers l’est et qui touchela production) et une mondialisation logique (vers l’ouest qui touchel’économie de service). Nous sommes entrés dans une révolution indus-trielle inouïe, aux frontières de l’intelligence artificielle, des processus

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infaillibles qui dépassent les fatigues et impuissances des hommes, et des

processus qui remplacent les tâches répétitives. C’est un monde inversé,où les entreprises informatiques dominent les États alors que ces der-niers sont confinés à assurer l’ordre social et la confrontation avec lespromesses qu’ils n’arriveront pas à tenir. Nous sommes aux confins d’unnouveau monde où l’innovation et l’inventivité prévaudront. C’est unmonde très éloigné des années industrielles, plastique et versatile dont lefondement, c’est-à-dire le dialogue entre l’État et les marchés, est impré-cis. L’Europe devra revoir son modèle dans deux directions opposées etpourtant conciliables : la flexibilisation du travail et la solidarité sociale.En effet, derrière cette vague de la numérisation se dresse l’effritementde la classe moyenne et la déstructuration du secteur tertiaire.

Que faut-il faire ? Je suis de plus en plus convaincu que la solutiondevrait découler d’une approche plus formelle du déploiement de noséconomies. Cette intuition découle du fait que les États font face à desentreprises mondiales qui captent des rentes économiques. Exiger des« compensations », tel ce qui fut articulé dans les années 1970 pour lescommandes industrielles étrangères, est bien sûr caduc dans une révo-lution à faible contenu de travail. La question est donc de savoir d’où

 viendront les gains de productivité – c’est-à-dire la croissance réelle – de

notre économie domestique. Et, à cette question, tout le monde répondpar abstention. Peut-être par ce qu’il est trop tard pour donner uneréponse intelligible, si ce n’est une vague incantation. C’est à l’État dedonner un signal fort.

Octobre 2015

Économie digitale : entre Adam Smith et Karl Marx

Nos communautés occidentales traversent un bouleversement d’unesaisissante amplitude. La mondialisation économique induit un mondemultipolaire et complexe. Après les deux premières révolutions indus-trielles, celle des années 1780 qui a porté sur les sciences et techniquesdu textile, de la métallurgie et du transport ferroviaire, et celle qui adébuté dans les années 1880 avec l’apparition du moteur à explosion,

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de l’électricité, de l’automobile et de l’aviation, nous pénétrons dans une

troisième révolution économique, celle de la mobilité du capital et del’information. C’est la révolution digitale.

Cette troisième révolution modifie la typologie du progrès. Le déve-loppement des sciences et des techniques se propage désormais aurythme de la transmission de l’information et de la fluidité des capi-taux. Cette mondialisation économique altère les espaces-temps. Elleest globale et dissocie la géographie de la formation du savoir des lieuxde leur commercialisation.

La synchronisation des temps sociaux devient planétaire. Désormais,la plupart des hommes peuvent, individuellement ou collectivement, êtreen contact de manière synchrone. La révolution de la transmission del’information induit elle-même un sens de l’histoire instantané, c’est-à-direun rapport au temps différent. Elle crée des communautés éphémères,transitoires, promptes à stimuler l’échange, la créativité et l’échange com-mercial. Cette nouvelle relation de l’homme à l’information engendre desassociations humaines élastiques, mobiles et donc multiloculaires.

 En même temps, depuis près de cinq ans, l’économie mondiale serefroidit. Après une période de croissance liée aux gigantesques déve-loppements de l’économie numérique et aux gains de productivité qui

l’ont accompagnée, la croissance se tasse. Nous traversons une crise de lademande. Les causes de cette atténuation économique sont nombreuses : vieillissement de la population, digitalisation de l’économie de services,déplacement des centres de croissance vers d’autres continents, manquede politique industrielle visionnaire, incapacité à moderniser nos éco-nomies européennes au travers d’un dialogue social sans confrontation,maintien d’un État providence partiellement inefficace, état d’esprit insuf-fisamment entrepreneurial, etc.

Mais c’est peut-être même plus grave : nous serions dans une ten-dance structurellement déflationniste, c’est-à-dire une stagnation de

l’économie. Ce courant froid pourrait être lié au remplacement structurelde nombreuses tâches humaines par des processus digitaux, découlantde cette troisième révolution industrielle. La quantité de travail, à toutle moins dans les métiers d’intermédiation (ou plutôt répétitifs), seraiten contraction profonde.

Nous sommes entrés dans une révolution industrielle inouïe, auxfrontières de l’intelligence artificielle, des processus infaillibles qui

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dépassent les fatigues et impuissances des hommes, des processus qui

remplacent les tâches répétitives. C’est un monde inversé, où les entre-prises informatiques dominent les États alors que ces derniers sont confi-nés à assurer l’ordre social et la confrontation avec les promesses qu’ilsn’arriveront pas à tenir. Nous sommes aux confins d’un nouveau mondeoù l’innovation et l’inventivité prévaudront.

C’est un monde très éloigné des années industrielles et – j’osel’écrire – des États-nations, lointains héritiers des révolutions indus-trielles du XIXe siècle. C’est un monde plastique et versatile dont le fon-dement, c’est-à-dire le dialogue entre l’État et les marchés, est imprécis.out pourrait se passer comme si Adam Smith animait la mondialisationdigitalisée tandis que Karl Marx (ou Hegel) était convoqué pour assurerla solidarité sociale. Ce serait bien sûr une version « orwellienne » denos sociétés et il est peu probable que l’avenir s’assimile à cette sordidescience-fiction. Encore qu’il faut parfois se faire peur pour s’éviter descauchemars ultérieurs.

Septembre 2015

Robots, stagnation séculaire ?

L’économie est plane. Il est difficile d’imaginer un phénomène majeurqui suscite une croissance économique importante, d’autant que la révo-lution digitale contribue à remplacer certaines tâches humaines par desprocessus.

Sommes-nous face à une stagnation séculaire, caractérisée par unedéflation digitale, le robot remplaçant l’homme ? Certains le croient.Les robots envahissent nos vies, se substituant au vieillissement de la

population, comme au Japon, pays au sein duquel l’animisme donneune âme aux objets… tels les robots.

Comment aborder ces réalités ? Il y a des milliers de solutions, maisune chose m’apparaît évidente : la croissance vient toujours, in fine,du travail (puisque le capital est lui-même du travail passé accumulé).Il faut donc repenser nos systèmes éducatifs et surtout la formationpermanente, dans une logique d’adaptation. Il faut donc que chaque

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 travailleur, manuel ou intellectuel, se place dans une posture d’apprentis-

sage, avec la conscience que la déliquescence des connaissances s’accélèreavec …l’accélération des développements technologiques.

Septembre 2015

L’emploi précaire devient-il une norme ?

Nombreux sont ceux qui considèrent le modèle de la stabilité écono-

mique et de l’emploi en expansion comme des références.Ce modèle est hérité des trente glorieuses (1944-1974), caractérisées

par des paramètres démographiques et socio-politiques invariants.

Mais si nous avions tout faux ?

La réalité de la jeunesse n’est plus du tout celle-là, dans de nombreuxpays.

Déjà accablée par des taux de chômage effarants, elle est confrontéeà un phénomène inédit : la précarité persistante de l’emploi.

Le Financial imes vient, à cet égard, de publier des statistiquesédifiantes : dans la plupart des pays européens, l’emploi des jeunes estfaçonné sur des segments d’emplois précaires qui deviennent la norme.La durée de transformation d’un contrat précaire en emploi stable s’ac-croît, tandis que le taux de pauvreté des jeunes est en lévitation.

Est-ce un nouvel étalon dans une économie caractérisée par la digi-talisation, qui remplace les taches élémentaires par des processus, oubien une résignation ?

Mais si ce modèle de précarité de l’emploi et du multi-emploi (induitpar le fait que de nombreuses personnes doivent cumuler des emplois),

qui conduit à ce que chacun devienne un indépendant, employable selonun degré de liberté modulable, s’impose, cela sera-t-il une victoire sociale,celle de la liberté individuelle, ou un échec sociétal, celui de la fin desréponses collectives ?

La question est ouverte, mais une chose est certaine : la binarité desmodèles socio-politiques est révolue. Il faut promouvoir la responsabilitéde l’individu dans un cadre de solidarité collective.

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Ce modèle insaisissable reste à formuler, si tant est qu’il soit possible

de le définir.

 Août 2015

Économie digitale : on taxe les robots ?

Dans la Genèse (3 :19), il est écrit : « C’est à la sueur de ton visageque tu mangeras du pain. » Il faut donc travailler pour survivre. Pourtant,

cette discipline ancestrale est peut-être caduque. Nos communautés occi-dentales traversent un bouleversement d’une saisissante amplitude. Lamondialisation économique induit un monde multipolaire et complexe.

Trois changements organiques s’alignent dans la morphologie de lasphère marchande.

out d’abord, l’ère digitale est à l’économie des services ce quefut la désindustrialisation à l’économie manufacturière. Des flux phy-siques quittent l’économie réelle pour se mécaniser en flux numériques,transportés par Internet. Il s’agit de toutes les applications existantes

transportées par les smartphones, mais aussi les nouveaux modes decommerce ( Amazon, eBay ) et de paiement ( Apple Pay ) en passant par lamécanisation des actes administratifs, etc. Concrètement, de nombreusesentreprises de service vont simplifier leurs procédures internes et leursrapports avec leurs clients au travers d’applications informatiques, derobotisation, de connexions qui vont remplacer le rôle qu’entretenaientdes travailleurs. La singularité de cette économie digitale est qu’il n’existepas de superposition géographique entre le travail d’un intermédiairequi disparaît et un centre informatique qui se situe souvent dans unautre pays. Internet est donc devenu un substitut à l’allocation géogra-

phique des facteurs de production en permettant la délocalisation et ladésynchronisation des circuits de production. Keynes avait incidemmentthéorisé ce phénomène en 1930 en invoquant le chômage technologique.

Ensuite, les entreprises qui pilotent cette mondialisation digitale sontdes entreprises en situation quasiment monopolistique, à tout le moinsdans certaines géographies. Les États-Unis entretiennent ces monopolesalors que pendant très longtemps, le capitalisme américain s’est structuré

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sur leur fragmentation. Il suffit de penser à la téléphonie ( AT&T ) en 1982.

Si la téléphonie fut éclatée, rien de tel ne fut imaginé pour Microsof  et tousles nouveaux opérateurs impliqués dans la digitalisation (Google, etc.).

Enfin, la démocratie se limite aux frontières d’un État. Demain, degrandes entreprises, dont les acteurs de la digitalisation, domineront lesÉtats. Ces entreprises allumeront et éteindront les feux de croissance selonde nombreux critères, sans que l’exercice du pouvoir régalien d’un Étatparticulier ne puisse n’être plus qu’un facteur accessoire. Immanquable-ment, il faudra repenser l’évolution de la sphère marchande selon ces axes.

Mais un autre problème se pose, à savoir celui de la taxation des

revenus professionnels, voire la notion même de revenu dans un contexteoù de nombreuses tâches sont mécanisées. En effet, nos systèmes fiscauxsont fondés sur une économie traditionnelle, c’est-à-dire sur le caractèretangible d’une valeur ajoutée humaine, de nature manufacturière ouintellectuelle. Si les hommes sont remplacés par des processus informa-tiques ou robotiques, le gain de productivité, qui fonde la rémunérationd’un travailleur, et donc la taxation professionnelle de sa valeur ajou-tée, se déplace vers l’entreprise qui possède ou opère ces processus. End’autres termes, la base taxable se déplace latéralement du revenu d’unepersonne physique vers celui d’une entreprise.

Ceci ne pose pas de problème si ce gisement fiscal ressortit au mêmepouvoir taxateur. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas dans l’écono-mie digitale, puisque la valeur ajoutée des processus se trouve souvent àl’étranger et qu’il est complexe de soumettre des groupes étrangers ou desflux d’informations à une taxation cohérente. On peut bien sûr imaginerune taxation sur la consommation des flux digitaux sous forme de taxeà la consommation, mais ceci supposerait que le transfert d’information,qui n’est qu’un déplacement latéral de flux sans valeur ajoutée systéma-tique, soit correctement mesuré. Ceci relève de l’impossibilité fiscale, etmême conceptuelle, car cela reviendrait à taxer, de manière anticipée, la

créativité et l’entrepreneuriat qui pourraient découler d’un accès immédiatà des sources d’information. En effet, la révolution de la transmission del’information induit elle-même un sens de l’histoire instantané, c’est-à-direun rapport au temps différent. Elle crée des communautés éphémères,transitoires, promptes à stimuler l’échange, la créativité et l’échange com-mercial. Cette nouvelle relation de l’homme à l’information engendre desassociations humaines élastiques, mobiles et donc multiloculaires.

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On le voit, la révolution numérique pose de nombreuses questions

sociétales. Nous sommes entrés dans une révolution industrielle inouïe,aux frontières de l’intelligence artificielle, des processus infaillibles quidépassent les fatigues et impuissances des hommes, et des processus quiremplacent les tâches répétitives. Toute l’économie sera pulvérisée parla digitalisation, c’est-à-dire le remplacement de nombreuses activitéshumaines par des processus. Rien ne résistera à ce monde orwellien.Cette économie sera décentralisée. Les rentes et privilèges professionnelsse dilueront. Des industries entières seront mises en péril : il s’agira desentreprises au sein desquelles des hommes se limitent à effectuer destâches d’intermédiation ou des métiers qui sont fondés sur la mutua-

lisation (banques, assurances) des paramètres. Cette évaporation desstabilités affectera aussi les systèmes sociaux dont la solidarité, elle-mêmefondée sur la mutualisation des risques et des situations, sera érodée.Sans être un adepte des théories déclinistes, le basculement sociétal estprofond. Les dangers de cette économie algorithmique sont difficiles àcirconscrire car le changement de paradigme est sournois. Son fonde-ment, c’est-à-dire le dialogue entre l’État et les marchés, est imprécis.

En matière fiscale, la nature de la base taxable se posera si les gainsde productivité glissent vers des processus numériques dont les pro-priétaires peuvent extraire des économies d’échelle importantes. Une

taxation des processus ou des flux d’information ou de traitement semblecomplexe, voire incongrue. À l’intuition, la réponse fiscale à cette évo-lution sera de faire glisser l’impôt des revenus professionnels vers lataxation de la consommation de biens et de services (y compris desservices électroniques mais en écartant certains flux d’information) etde certains revenus du capital au travers d’un impôt des sociétés quisera modulé selon des articulations encore indiscernables. Le déplace-ment latéral de l’impôt vers la consommation me semble répondre à lamobilité croissante des hommes, des capitaux et de l’information. Desurcroît, l’impôt sur la consommation est à large base et de perception

immédiate. Est-ce pour autant une évolution souhaitable sous l’angle del’équité sociale ? Peut-être pas, mais cette évolution me semble liée à lamodification fondamentale du concept fiscal de revenu professionnel,

 voire de revenu tout court.

Décembre 2015

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Prospectives sociétales

Le XXe siècle est mort 

Avec quinze ans de retard, le deuxième millénaire est abouti.

Ces dernières années sont une charnière qui grince lourdement enrefermant un monde délimité, émanant de la stabilisation géographiquede l’après-guerre.

Certes, depuis la guerre, des régimes ont changé, des empires ontexplosé et des mutations économiques gigantesques ont enseveli desrégimes anciens. L’humanité connait une accélération technologique stu-péfiante au rythme de l’accroissement de sa population, sans être capablede gérer la finitude des ressources et l’accumulation inconséquente d’unpassif environnemental. Des maladies ont été éradiquées et l’espérance de

 vie a été déployée dans de nombreux pays. Dans de nombreuses régions,les bienfaits du progrès se déposent afin que la vie s’épanouisse avec plusde bonheur, même si des pans entiers de l’humanité sont abandonnésà un triste sort.

Aujourd’hui, nous ne ressentons pas une péripétie de l’Histoire. Nousentrons dans un monde inconnu et ténébreux.

Les nations, essentiellement délimitées par les frontières du XIXe siècle,se diluent au profit de pôles géographiques, qui fondent eux-mêmes unesynthèse de langues et de cultures. On verra apparaître des mégapolesurbaines dissociées des délimitations politiques actuelles. Ceci ramène àun philosophe français, Alain Minc, qui anticipait, dès 1993, dans sonouvrage « Le nouveau Moyen-âge », des continents polymorphes dépouil-lés de systèmes organisés, la disparition de tout centre de gravité, c’est-

à-dire un monde caractérisé par l’indétermination et le flou. Optiquement,le monde se réorganise au gré des concentrations de capitaux, commeun immense kaléidoscope, aux figures nomades sans cesse renouvelées.

Cette réorganisation du monde ne suit plus uniquement les peuples, maisaussi les religions. Le monde devient une gigantesque fluence de peuples etde cultures. Cette mutation n’est pas soyeuse car certains veulent inscriredes dictatures et des terreurs dans les fissures de cette transmutation.

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Devant cette rupture civilisationnelle, tous les scénarios, sauf un,

sont entropiques, c’est-à-dire tendant vers le désordre et la dégradation.La seule solution viable est, comme le suggérait Jacques Attali, l’hyper-démocratie, c’est-à-dire une mondialisation contenue sans être refusée.Cette hyper-démocratie ne signifie pas des pouvoirs étatiques forts. Aucontraire, la démocratie a besoin d’États forts qui en assurent la pérennité.

Novembre 2015

2006-2016 : le temps s’est tristement enfui

Dans quelques jours, en 2016, la crise aura dix ans, car c’est en 2006que l’immobilier américain s’est effondré.

C’était en août.

J’étais à Chicago lorsque le terme « subprime » attira mon attention.

Lorsqu’en 2007, débutant comme Président de la Bourse de Bruxelles, j’avais rencontré le Président de la Bourse de New York, à laquelleEuronext avait été vendu, je me souviens du visage de John Tain, lorsque

 je l’interrogeais sur les subprimes.Cet homme, l’un des plus habiles financiers des États-Unis, me dit,

le regard trouble, résigné et grave, après quelques secondes de silencequi me furent une éternité, que c’était « very serious ».

Il savait.

Ce sont des instants que je n’oublierai jamais.

Enfin, quand on dit « la crise », on devrait dire « une crise ».

Chaque génération a la sienne, posant d’éphémères jalons qui seronteffacés dans l’inanité du temps qui passe.

Chaque crise est rendue passagère et dérisoire par la suivante.

Les roues tournent.

Chaque crise s’effrite dans l’immense tombereau de la dilution dessymboles que sont la monnaie et la dette, enfin toutes ces expressionstrop humaines qui tentent de domestiquer l’avenir que la bourse permetde négocier aujourd’hui.

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PROSPECTIVES SOCIÉTALES

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Mes étudiants de 2016, qui sont les acteurs de demain, n’ont déjà plus

qu’un souvenir distrait de cette crise de 2006-8. Ils étaient adolescents.Le temps s’enfuit.

Seul importe le choix d’une communauté de vivre dans la paix, lepartage, la solidarité, c’est-à-dire ces réalités qui lient les hommes.

Migrants : hier et aujourd’hui, là-bas et ici

La crise des migrants est importante, fractale.Inattendue, elle constitue un facteur de disruption.

Elle est épouvantable.

Affectés d’un tropisme domestique, nous écartons ce qui ne ressortitpas à nos réalités.

Nous croyions l’Europe immunisée des guerres lointaines et géogra-phiquement protégée par le Bosphore et Gibraltar.

Pourtant, c’est une autre réalité qui s’impose.

Le lointain devient proche.

Et hier devient aujourd’hui.

Septante et un morts de suffocation dans un camion rappellent leswagons plombés qui partaient, il y a une septantaine d’années, vers laPologne.

Mais, aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui accueille près d’un millionde réfugiés. Réalise-t-on que ce pays va augmenter, en près d’un an, sapopulation d’un pourcent, malgré le fait que la chancelière allemande aitdit, en octobre 2010, que le modèle allemand d’intégration multiculturelétait un échec ?

Quel défi pour le plus puissant pays d’Europe.Cette crise de la migration est une chance et un risque pour l’Europe.

C’est la chance de redynamiser une force de travail vieillissante etdéclinante, moyennant une intégration intelligente. C’est aussi un risquede perte d’identités entrainant une impétuosité et un repli identitaire.

Notre siècle sera-t-il apaisant ?

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

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Je ne le crois pas.

out se met en place pour alimenter les replis identitaires, leségoïsmes, les pertes de civilités dont certains espèrent sortir gagnants,alors que tous nous en sortirions perdants. À moins de vérifier quel’exclusion et l’ostracisme sont des choix démocratiques, et donc partagés,quelle société voulons-nous ? Une société d’ouverture, dans l’intelligencede la justice et de la sécurité ? Ou bien une société ostracisante quifragmente les classes sociales, les attachements territoriaux, les affinitéslinguistiques et culturelles ?

 Août 2015

Les fantômes de l’Histoire

Derrière cette épouvantable crise des réfugiés, il y a autre chose : lesfantômes de l’Histoire européenne.

Le XXe siècle fut effrayant.

Foyer de toutes les dictatures et totalitarismes, il fut abattu par deux

guerres mondiales, avant que les consciences ne se réveillent pour forgerune identité européenne, nécessitée par le fait que les ennemis d’hierpartageaient les mêmes frontières.

La paix était une nécessité morale et géographique.

Cette paix fut stabilisée par des frontières, elles-mêmes, pour cer-taines, héritées des États-nations du XIXe siècle.

Mais, derrière cette paix, les agonies de l’Histoire murmurent désor-mais.

La Hongrie ferme ses frontières, alors que ses réfugiés, dont de futurs

prestigieux dirigeants européens, s’enfuirent en 1956 et trouvèrent unaccueil en Europe.

La Tchécoslovaquie vit ses réfugiés quitter le pays en 1968, après lecoup de Prague, tout en se rappelant que les accords de Munich l’avaientabandonnée en septembre 1938.

On reproche à la Pologne de limiter l’immigration alors que cemême pays rappelle qu’en septembre 1939, la France et l’Angleterre ne

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PROSPECTIVES SOCIÉTALES

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la défendirent pas contre l’invasion allemande après que l’Allemagne se

fut emparée de l’Autriche, de la Moravie et de la Bohême.Aujourd’hui, c’est l’Allemane qui filtre les migrants à sa frontière

autrichienne alors que l’ Anschluss l’avait ouverte en mars 1938.

L’Europe est face à elle-même.

À ses démons.

Mais aussi à ses consciences.

Jacques Attali a peut-être raison : nous sommes dans les années 1930.

Ne répétons pas les mêmes erreurs fatales.

Septembre 2015

Être un économiste

L’économie ressemble à ces terres calmes sur lesquelles les saisonsposent leur rythme. Rien ne souille les immuables cycles de la nature.Le temps se dérobe par fines couches qu’aucun sentiment d’attente ne

saurait abîmer.Et pourtant, depuis le fond des âges et des entrailles de la Terre, desforces titanesques se déchaînent furieusement. Les hommes et les élémentsse battent dans une lutte fanatique. Alors, parfois, telle une fine lame quilibère ces boursouflures sulfureuses, la terre éclate de ses orages. Elle rejettedes déferlantes de combats. De gigantesques torrents de lave se déversent,emplis de la colère de l’Histoire de l’humanité, trop longtemps contenue.

L’homme se bat contre lui-même. Celui qui a travaillé essaie d’échap-per à son successeur. Il a inventé la monnaie pour accumuler son travail,mais des forces renouvelées refusent cette oppression.

C’est la révolution ou la dévaluation.

oute la rage des humains et de la monnaie enchaînés hurle dansdes bouillonnements qui détruisent tout avant de modeler de nouveauxmondes arides.

Tous les penseurs de l’économie sont là, tels de lugubres fantômesunis par les mêmes inquiétudes.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

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Ils savent que le monde peut, à tout moment, basculer.

Les crises sont de brûlants naufrages.De cette lave bouillante, l’économiste retire des morceaux déjà durcis

dans ces scories de chiffres, de cours boursiers et de valeurs changeantesde manière gyroscopique.

Être un économiste, c’est arrêter le temps.

C’est prendre le temps de la réflexion, du recul.

C’est se mettre en retrait des cavalcades.

C’est surtout apprendre la sagesse dans l’écoute.

C’est quitter la mathématique pour entrer dans les territoires indécisde l’anthropologie, de la sociologie, de la psychologie des foules.

C’est s’extraire de la fluence des hommes.

C’est aussi, surtout, façonner le partage d’une intuition qui est offerteà la critique.

 Avril 2016 

Et finalement, après quelques années…

Souvent, je repense aux trente dernières années de mon apprentissagede l’économie.

Je suis sceptique. Et parfois amer. Désillusionné aussi de réaliserqu’un siècle s’est refermé sans donner de bonnes réponses à une terriblecrise qui bouleverse, telles les mains hasardeuses du temps, les rapportssocio-économiques.

Immanquablement, je suis confronté à cette même interrogation :

qu’est-ce qui nous a conduits à tant d’erreurs ?Au fait que l’État, auparavant un acteur de solidarité sociale, s’est

imposé comme l’agent économique principal de nos économies ? Auconstat que, d’un enthousiasme forcé d’après-guerre, nos économies sesont affaissées dans un confort indu, prélevé sur les futures générations ?À l’évidence que l’Europe a éreinté sa capacité d’innovation et d’attrac-tion pour devenir un continent âgé de rentiers d’idées ?

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PROSPECTIVES SOCIÉTALES

ANTHEMIS

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Pourquoi le marché n’a-t-il pas appris la tempérance, faute d’encadre-

ment ou de raison ? À quel motif les trente glorieuses (1944-1974) restent-elles le modèle et l’étalon social alors qu’elles sont désuètes et l’exceptionde l’économie ? Pourquoi le capital s’est-il pulvérisé en tant de crises alorsqu’une sage gestion aurait pu assurer distribution, progrès et harmonie ?

Est-ce une dérive démographique ? Un manque de confrontation ?Des rentes de situations ? Une pusillanimité sociale combinée à un atten-tisme politique ?

Est-ce, peut-être, la fatigue d’un continent qui se déchira deux fois,dut absorber l’inanité de l’idéologie communiste dans la paix, reconnaîtreque son rôle de colonisateur était injustifié et que son tropisme reflétaitdes temps révolus ?

Nos pères voulaient plus d’États pour éviter qu’ils se fassent la guerre.Mais trop d’États n’a-t-il pas tué l’État ?

Ces mêmes pères avaient imaginé une union monétaire dont ils n’ontpas solidifié les fondations, par peur d’aller au bout des différences entreles peuples.

J’ai une conviction : ceux qui étaient nos dirigeants dans les années1980 doivent quitter le débat public pour laisser la place à d’autres idéeslatérales et jeunes.

 Juillet 2016 

Europe : un sursaut ou une résignation ?

Après les crises économiques, les guerres ?

Ces dernières ne découlent pas des crises économiques.

On ne peut pas établir de corrélations ou de causalités systématiques,mais déceler, à tout le moins, une affinité.

Cette inquiétante séquence serait-elle devant nos yeux à la périphériede l’Europe ?

Comme des dominos, des pays s’affaissent dans des situations impen-sables, suite à des flux migratoires, des répliques de guerres ou des chocséconomiques.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

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Aujourd’hui, une certaine Europe se disloque devant nos yeux.

Cette Europe était née de la paix d’après-guerre et de la chute du mur.En deux étapes, les pays ont dépassé leurs clivages territoriaux et

militaires pour créer une zone de liberté et de commerce.

Aujourd’hui, les équilibres sont instables et les périls nombreux.

Tout s’effrite : la liberté de circulation, la solidarité des nations, lapaix qui vacille devant un flux migratoire stupéfiant.

Les peuples européens se replient sur des bases communautaires oudes réflexes idéologiques de peur.

Ce qui se passe est peut-être beaucoup plus imminent qu’une péripé-

tie de l’Histoire : c’est un sinistre scénario qui se répète et qui démontrel’absolue nécessité d’une vision humaniste et communautaire.

C’est aujourd’hui, septante ans après le dernier conflit européen, qu’ilfaut se demander si de funestes dérives préfigurent une résignation oususciteront un sursaut.

Et, à vrai dire, je ne sais pas.

 Mars 2016 

La limite de l’épure

L’Europe économique va traverser des tourments.

Au Sud, des pays accablés par les politiques d’austérité imposent, augré des élections, des dislocations et des ruptures d’orientations écono-miques alors que certains gouvernements étaient alignés sur des poli-tiques budgétaires très strictes.

Une chose m’apparaît de plus en plus claire : l’Europe se fissure.

Les élections ont emmené des partis anti-européens et différents pays voient leur avenir dans des azimuts politiques fractals.

Derrière cette fragmentation, c’est, entre autres, la question de l’euroqui est posée, ou plus précisément la question de l’homogénéité despolitiques budgétaires et monétaires, alors que les différences entre lesagrégats européens s’imposent.

La gravitation européenne devient centrifuge au lieu d’être centripète.

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PROSPECTIVES SOCIÉTALES

ANTHEMIS

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La question de l’identité européenne est incidente : l’Europe n’a

 jamais été en paix que dans le respect des différences des peuples. D’oùla question de savoir si l’homogénéité économique et monétaire n’estpas la négation de l’esprit européen ?

C’est aussi la question de la formulation étatique qui est mise encause : les politiques de rigueur sont l’expression d’un écart grandis-sant entre la capacité des États à assurer leurs engagements sociaux etleurs moyens financiers alors qu’ils s’affaissent sous des dettes publiquesqui sont inéluctablement amenées à s’alourdir, à cause, notamment del’impayable coût des pensions.

Comment tout cela finira-t-il ?Je n’en sais rien.

Mais chaque jour qui s’écoule nous rapproche de la confrontationavec nos avenirs, devenus collectivement impayables.

Décembre 2015

La lumière au bout du tunnel

La lumière au bout du tunnel, c’est parfois le phare d’un gigantesqueproblème qui arrive. C’est exactement ce qui se passe dans notre capitale.Après un viaduc et des tunnels qui tombent en poussière, nous sommesconfrontés à ce constat : quelque chose ne fonctionne plus. Ce quelquechose, c’est l’exercice régalien de l’État. L’État est l’aboutissement et lareprésentation d’une communauté. Sans entrer dans les méandres de la

 vision hégélienne de l’État, ce dernier doit exprimer, par son incarnation,une hauteur morale et stratégique correspondant à son intemporalité.

Or, que constate-t-on ? L’État reflète l’introversion et l’émiettementde sa propre expression. L’État s’est fragmenté. Depuis trente ans, le ruis-sellement de l’État a correspondu à sa fragmentation. Depuis trente ans,la Belgique vit comme un rentier de son propre passé qui s’effrite. Pire,l’exercice de l’État a été capturé au détriment de certains intérêts collectifs.

Il faut se ressaisir. Être à la hauteur. Avoir des hommes qui émergent,qui se dépassent et donnent l’envie de se dépasser.

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ANTHEMIS

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Ne nous faisons aucune illusion : ces histoires de tunnels ont un

impact autrement plus lourd que de nous disqualifier comme capitalede l’Europe. Elles suscitent le cynisme et l’inquiétude de la populationdu pays. Elles sapent la confiance dans l’État. Et cela, c’est très grave.

Février 2016 

Une solidarité sociale mutilée ?

oute l’économie sera pulvérisée par la digitalisation, c’est-à-direle remplacement de nombreuses activités humaines par des processus.

De surcroît, des systèmes informatiques, tous alimentés par nos mani-pulations électroniques, études et recherches, nos consommations, nosdéplacements et mille autres paramètres cerneront, avec une fine prévi-sibilité, nos réalités et nos envies.

Ne nous faisons aucune illusion : rien ne résistera à ce monde orwel-lien. Serons-nous capables de surmonter les limites technologiques quenous repoussons sans cesse avec l’avènement de l’intelligence artificielle ?

Les régimes politiques n’arriveront plus à formuler des réponses col-lectives et la démocratie sera mise en joue. L’économie politique risque des’engloutir dans une mercantilisation absolue des rapports socio-politiques.

Cette économie sera décentralisée.

Les rentes et privilèges professionnels se dilueront.

Chacun sera face à lui-même.

Des industries entières seront mises en péril. Ce seront les entreprisesau sein desquels des hommes se limitent à effectuer des taches d’inter-médiation ou des métiers qui sont fondés sur la mutualisation (banques,assurances) des paramètres.

Cette pulvérisation des stabilités affectera aussi les systèmes sociauxdont la solidarité, elle-même fondée sur la mutualisation des risques etdes situations, sera érodée.

Il faudra que nous redéfinissions un nouveau rôle pour l’État. Je medemande même quel sera encore le rôle des religions et des adhésions

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PROSPECTIVES SOCIÉTALES

ANTHEMIS

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philosophiques dans ce monde mécanisé où le rapport au temps devien-

dra instantané.

 Août 2015

Pensions : et c’est le temps qui court…

Le FMI vient d’émettre une alerte sur le risque systémique posé parles fonds de pension américains. Nombre d’entre eux sont caractérisés

par un but à atteindre (ou « defined benefit ») c’est-à-dire que l’entreprises’engage à verser une somme fixée aux cotisants.

Bien évidemment, le contexte de taux d’intérêt bas empêche une capi-talisation des sommes cotisées à un taux de rendement satisfaisant. Cecipourrait pousser des fonds de pension à s’engager dans une course auxrendements, au travers d’investissements en actifs risqués, qui pourraitelle-même entraîner un risque systémique.

Au-delà de cet avertissement, une période de taux d’intérêt bas,typique d’un contexte déflationniste, est une modification fondamentale

du contexte économique.L’enrichissement « par le futur » est amoindri.

Tout se passe comme si le temps s’éloignait.

Quand on transpose ce problème américain à nos systèmes de pen-sion, pourtant caractérisés par un système de répartition (c’est-à-direque les travailleurs actifs paient pour des travailleurs inactifs en nombrecroissant), on réalise que le temps s’enfuit aussi : il ne sera pas possibled’honorer nos engagements par une prospérité, et donc des taux derendement de l’économie, suffisante.

Quand le temps s’échappe avec notre prospérité dans une ligne defuite, cela signifie que nous devrons faire face à un appauvrissementstructurel.

Et c’est peut-être le véritable risque systémique derrière l’avertisse-ment du FMI.

 Juillet 2015

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ANTHEMIS

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Derrière la chute du pétrole, le choc social ?

La chute du prix des hydrocarbures est un bouleversement géopoli-tique. Depuis toujours, le prix du pétrole ne reflète pas le marché, maisdes forces politiques. C’est, en particulier, le cas de l’Iran dont l’histoirepétrolière est illustrée par la répudiation du Premier Ministre Mossadeghen 1953, suite à son opposition aux intérêts anglo-saxons dans le domainepétrolier. Aujourd’hui, contrairement aux années 1970, des pays se fontla guerre au travers de la baisse du prix du pétrole.

Bien sûr, la baisse du prix du pétrole affecte les pays développés, et

spécialement les États-Unis et le Canada, dont les producteurs de gazde schiste et de pétrole issu des sables bitumeux tombent en faillite,entrainant un risque bancaire.

Mais ce n’est pas là où les véritables risques se profilent. Je pense plu-tôt à tous les pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, des anciennesrépubliques soviétiques, en passant par le Venezuela, dont le prix deshydrocarbures représentait le prix de la paix sociale. Ces pays vont subirun choc sociétal, qui entrainera inflation (ou hyperinflation), possiblesdéfauts souverains, troubles sociaux, ou pire.

L‘année 2016 sera hasardeuse pour ces économies.

Février 2016 

Confuses impressions berlinoises

Je n’ai pas de familiarité particulière avec l’Allemagne.

Sa culture et sa langue me sont inconnues.

Je fais partie de cette génération des années 1960 qui était tropproche pour ne pas se méfier et insuffisamment lointaine pour ne pasoublier.

Lors de mon enfance, les silences et les confidences chuchotées étaient lesseules réponses données par ceux dont l’enfance avait été, au mieux, volée.

J’ai déjà passé quelques jours à Francfort et à Munich avec, chaquefois, le sentiment trouble d’un fait massif qui ne m’était pas familier.

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ANTHEMIS

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Certes, le Munich de 2015 ne porte plus les stigmates du raité,

mais un indéfinissable brouillard s’insinue dans cette ville. Là, on saitque l’Histoire a basculé quand on regarde les silhouettes de cadavresreconstitués dans les trottoirs.

Mais, telle une corne de brume qui prévient d’un péril inconnu, c’estde Berlin que je tire un sentiment terrible et confus.

Berlin est une ville qui n’existe pas.

Ce n’est ni Vienne, ou Paris, ou même Rome.

Aucun fracas glorieux ne résonne.

Aucun concordat n’y fut signé.

Là-bas, l’Histoire change le jour en nuit.Il y a, bien sûr, des avenues et des bâtiments, mais la ville n’est qu’un

plaintif rappel des désordres passés.

Ville torturée, bourreau et martyre.

Ville qui ne sera jamais disculpée.

Ville d’un Reichstag reconstruit et emballé, mais autrefois incendiépour faire vaciller l’Histoire.

Ville maudite, qui n’arrivera jamais à se dégager d’une intranquillitépersistante.

Ville coupée et longtemps en territoire hostile.

Avant-poste de la liberté après en avoir été le symbole de la pire desoppressions.

Une ville maudite et terrorisée, tout en exprimant la terreur.

Ville au sein de laquelle on comprend le « beru  » luthérien, ce termeintraduisible qui enveloppe le labeur et l’abnégation.

out, à Berlin, est rappel du passé. C’est un cauchemar qui hanteau réveil.

Et cette ville est exténuée de demander pardon, pour le nazisme, pourl’holocauste, pour les morts, pour le mur, pour la Stasi.

Alors, pour contrer la froideur de ses murs, elle s’essaie, sans y parvenir,à devenir fonctionnelle et utilitariste, dans quelques hectares sans âme.

Quelques œuvres d’art se tentent à conjurer la tristesse, mais ellessont dérisoires. L’art ancien n’est que dans les musées.

D’ailleurs, Berlin, c’est un grand carré. Les arcs de cercle en sont absents.

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ANTHEMIS

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Tout est plainte de ciment qui monte vers un ciel gris. Elle est – c’est

 vrai – le centre de commandement de l’Europe, mais elle sait que ce titreest clandestin, car l’Histoire la rattrape sans cesse.

Si Berlin commande, c’est en s’excusant.

D’un bunker incendié à une chancelière, elle-même la chevalière deson origine est-allemande et de sa filiation d’un pasteur protestant.D’ailleurs, Angela Merkel reste une scientifique et, on le sait, les sciencesexactes sont les seules qui sont démocratiques, comme la Républiquedont elle est issue.

Berlin, en décembre, c’est un ciel molletonneux mais ascétique.

Le soleil y est froid, comme si aucun nuage inutile ne s’y risquait, depeur d’entrer en résonnance avec le gémissement de ses murs.

Dans cette ville, même si la paix s’impose, il n’y a aucune connivence.

De cette glaciale torpeur berlinoise, je retire le poids d’une symboliqueétatique dont la monnaie est le symbole supérieur.

Jamais – j’écris bien  jamais –, cette Allemagne ruinée et confisquée,punie et rédemptrice, n’acceptera de dévoyer le signe ultime de sa survie,c’est-à-dire la monnaie. Cette monnaie, diluée en 1923 et confisquée en1948, avant d’être réévaluée, c’est la force de l’Allemagne économique.

L’Allemagne dut accepter, à contrecœur, l’abandon de sa souverai-neté monétaire comme dernier dommage de guerre pour recouvrer sasouveraineté territoriale.

C’était le dernier prix à payer pour deux guerres.

Mais l’Allemagne n’acceptera jamais le siphon d’une dilution moné-taire.

Hegel et Goethe en sont les gardiens.

À tous, je dis : Berlin symbolise l’apaisement mais n’apportera aucunsoulagement.

Décembre 2015

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ANTHEMIS

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Terreur 

C’est la guerre civile

Devant les attentats de Paris, et tous ceux qui vont immanquable-ment survenir au moment où la banalité des jours aura fait oublier lesprécédents, le premier sentiment est la résignation.

Une immense tristesse. Des pleurs. Le découragement. L’abandonmoral devant des actes incompréhensibles infligés à une société qui,comme toutes les communautés humaines, cherche un maigre secoursdans un meilleur avenir.

Ces attentats soustraient des vies. Ils réduisent toutes celles des survivants.

Mais nos sociétés sont en guerre. Elles sont en guerre avec elles-mêmes. Car, ne nous faisons aucune illusion : croire qu’une guerre menéeà l’étranger contre ses propres ressortissants partis se battre serait uneguerre « étrangère » est une erreur de jugement.

C’est une guerre civile. Et ces guerres sont les pires : elles sont indis-

cernables. L’Europe renoue avec ses propres malédictions, alors que sarichesse est d’être un creuset de différences et de paix obligées.

Que faire ? Une réponse autoritaire forte ? Un abandon partiel deslibertés individuelles ? Ce sera la réponse immédiate. Mais il faudra releverla tête. Et se rappeler que les valeurs supérieures exigent de la tempérance.

Devant les forces qui nous dépassent, il convient désormais de formu-ler une réponse européenne homogène. Cette réponse, c’est un pouvoircohérent. Et c’est cela qui m’inquiète le plus : l’Europe « d’avant » vitses dernières heures devant des crises économiques, monétaires et demigration qui dépassent complètement les hommes qui la dirigent.

Nous avions cru que nous vivrions une période de paix scellée par ledésastre de 1940-45. Une autre guerre, sournoise et insidieuse, est décla-rée. L’Europe que nous devons retrouver, c’est celle de de Gaulle etd’Adenauer. C’est celle de l’avenir de notre continent.

Novembre 2015

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C’est triste, Zaventem

Il y a huit ans, j’ai écrit ce texte qui ne fut jamais publié dans aucun journal ou magazine. Il fut fugacement glissé dans un recueil de textespréfacés par notre ancien Premier Ministre, Mark Eyskens.

Je le partage aujourd’hui, en résonnance à la tristesse insondable quele drame du 22 mars a gravée dans nos cœurs.

Il parle d’économie.

C’est très loin de ce sinistre mois de mars.

Mais il partage une tristesse infinie, celle que j’avais, un jour, ressentie,dans ces lieux que je voyais absorber le temps et la vie.

Zaventem m’avait fait peur.

Tous nous avons foulé le lieu de ce drame.

Il est désormais entré dans nos consciences comme un poison quise distille.

Le 22 mars, c’est le sel versé sur Carthage pour que la vie y disparaisse.

Jamais, jamais le Royaume ne sera comme avant.

Et toute la génération née après la guerre qui était soulagée d’y avoiréchappé est confrontée à un terrible retour de l’Histoire.

D’aucuns évoquent le retour à la vie comme exorcisme à cette épou- vante.

Je ne le crois pas.

Je resterai dans l’amertume et la tristesse : la vie ne reprendra pascar certains ne sont pas revenus.

Dans Voyage au bout de la nuit , Louis-Ferdinand Céline avaitécrit : « C’est peut-être cela qu’on cherche à travers la vie, rien que

cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant demourir. »

C’est le plus grand chagrin des Belges.

Pour moi, le 22 mars, c’est un javelot planté dans le cœur de notre pays.

Et il vibrera à jamais.

Car le mois d’avril ne commencera plus.

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TERREUR 

ANTHEMIS

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L’aéroport est engourdi.

Lui porte une gabardine déraîchie, le costume déjà lustré et la chemise grisâtre. Son visage blaard est vide et creux, détaché comme les motisde sa cravate sans relie.

Chez elle, les premières pattes-d’oie se révèlent sous un maquillage ané.

Le brillant des yeux s’est terni et la curiosité s’est évanouie.

Tout à l’heure, à l’arrivée, à quelques centaines ou milliers de kilo-mètres, ce sera le bagage descendu, l’agacement d’une sortie désordonnée del’avion, l’irritation du transport par bus. Et puis aussi le portable ralluméet les interminables files de taxis aux phares éblouissants.

Demain sera consacré à la rédaction de la note de rais, au compte-rendu de la réunion et aux e-mails en souffrance.

Depuis les subprimes, il aut courber l’échine.

Dans l’immédiat, c’est la solitude cachée de l’attente, l’espoir d’un accès àun lounge avec une carte Gold patiemment méritée. On passera un appel urti,car les budgets sont limités et les appels recensés, à l’épouse ou au compagnon.

Dans quelques minutes, la cohue de l’embarquement sera accompagnéede son inévitable cortège d’égoïsmes. Les valises et les cadeaux en duty-reeseront, comme toujours, trop grands pour les espaces de rangement trop

étroits, chiffonnant au passage les manteaux des voyageurs déjà installés.Les meilleurs journaux seront déjà choisis par les premières rangées et leverre de mousseux sera tiède.

Ce déplacement, on l’attendait avec les collègues étrangers.

C’est vrai, il audra parler. Parler avec cet anglais convenu et simplifiéqui unit tous les hommes d’affaires, ou plutôt les hommes qui croientêtre importants aux affaires. Ce sera le même anglais raccourci que chezl’employeur précédent. Et que chez le suivant. On rira, aussi, des mêmesblagues éculées et on se sentira obligé de se réjouir d’aller boire un verreensemble. La note de rais sera remboursée. Et le temps passera. On dis-cutera des mêmes choses, des mêmes choses incomprises, et l’actualité quirythme les anxiétés. Au retour, on dira aussi qu’on est parti à l’étranger.Les voyages, ça orme l’autorité du statut.

La pénombre de l’hiver a envahi le désespoir des transports en commun.

L’avion, c’est le tram des cadres.

L’aéroport répète cette pièce mal jouée dans toutes les couleurs des saisons.

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ANTHEMIS

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En hiver, les mémoires n’adhèrent plus aux lieux. Les lumières orange

et la pluie qui raye les vitres absorbent tout.Le gouffre noir des immenses enêtres est effrayant. Il aspire la vie.

Les reflets des néons n’arrivent plus à en détacher l’abyssale tristesse.

Zaventem, le soir, un jour d’hiver, c’est aussi le moment du doute, des peurs et des désuètes vanités.

Celui où le cadre voyageur se dit que, peut-être, il aura juste frôléquelques décennies. Sans trop déranger les structures.

En espérant aussi ne pas être dévoilé ou découvert.

C’est le moment ugace où l’humanité des oppressions, des résignations,des humiliations entraîne l’indécision. Celui où les petits espoirs de la vie proessionnelle empruntent une consonance désespérée. C’est l’instant destristesses.

Car être le godillot d’une multinationale, ça se mérite.

Camus avait-il raison ? Pour comprendre les hommes, faut-il s’endétourner ? 

Il est difficile de sortir de soi quand on est emporté par le flot duvoyage des hommes.

Voulait-il cette vie besogneuse ? Il ne sait plus, il n’avait pas assez choisi.

Il espérait une destinée orte et intense, libérée du mirage des construc-tions destinées à conjurer l’humain et à étouffer un besoin de liberté.

 Mais son avenir est, depuis longtemps, échoué derrière lui.

Il aura juste vécu.

Et elle, voulait-elle cette vie recluse ? 

Elle avait espéré des trajectoires ondoyantes, multicolores et cha-toyantes.

Des fleurs, des musiques, des étés et puis, surtout, un amour immenseoù s’abandonner.

 Mais, année après année, le temps des bonheurs aciles se dissipe.

Le vieillissement du corps s’est conjugué au rétrécissement des cases,comme dans ces rêves où, malgré la volonté, les membres se paralysentet s’engourdissent.

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TERREUR 

ANTHEMIS

203

Son espoir de vie sacrée a glissé, par ruissellement, sur le quotidien des

austères jours de novembre. Alors elle est amère.

 À l’affut de passions introuvables, atiguée d’elle-même et de ses utursimprécis.

Ses restaurants à la mode sont inconnus de ses filles, un peu commeces boîtes de nuit d’antan dont le récit des olies nocturnes rappelle desépoques révolues plutôt que la joie.

Les Barque à Jack et autre Circus finissent en hangars.

Elle comprend qu’elle vieillit.

Et même si les trop jeunes d’aujourd’hui seront les résignées de demain,le temps aura irrémédiablement commis son crime.

La nouvelle génération, jalousée, est déjà là, plus virevoltante et insou-ciante.

Ces jeunes ne comprennent rien.

Ils ne savent pas que leurs idéaux et leur innocence seront rattrapés par la compromission et la peur. Ils finiront aussi suffoqués et noyés danscette vie nauragée.

Ils seront brûlés par la peur des métastases économiques, de cette crisequi n’en finit pas de finir.

C’est à Zaventem que résonnent ces sinistres paroles du roi Ferrante,dans La Reine Morte, d’Henry de Montherlant : « Vous aussi, vous aites

 partie de toutes ces choses qui veulent continuer, continuer… Mais votremaladie est l’espérance. Vous mériteriez que Dieu vous envoie une terribleépreuve, qui ruine enfin votre olle candeur, de sorte que vous voyiez enfince qui est. »

Et pourtant, la relève est assurée.

Demain, d’autres colonnes de cadres baisseront le regard résigné devant

les lumières blaardes des longs couloirs de l’aéroport.Zaventem, un soir d’hiver, c’est un monde usé.

Celui où on a compris avoir perdu sa liberté.

 Mars 2016 

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

204

L’État doit rassurer et pacifier 

Le 22 mars est un effarement et un déchirement.

L’événement nous dépasse.

Nous sommes incapables d’en circonscrire les causes, d’en établirun constat pérenne et d’esquisser des solutions cohérentes car le faitest singulier.

Personne ne sait si c’est une occurrence ou l’esquisse d’une tramede scénarios répétitifs.

Une chose m’apparait : le Royaume est épuisé et éreinté par une

usure morale qui ne lui permet pas de donner le juste ton politique àcette épouvante.

Certes, l’appareil de l’État et son exercice sont, par nature, incapablesd’anticiper l’impensable.

Mais il y a autre chose : nous sommes inaptes à prendre la hauteurqui convient car ce pays est animé par des forces qui ne relèvent plusdu salut national auquel les victimes de cet événement ont droit.

Immédiatement, moins d’une semaine après le drame, tout n’estque déchirements politiques, régionaux, invectives et surtout manque

de sagesse, de retenue et de respect.Faute de prendre de la hauteur, nous retombons immédiatement dansdes schémas connus, comme si un biais cognitif nous engluait dans untropisme qui ne sied plus.

Je pense que l’État est devenu faible et dépouillé de ses attributs régaliens.

ous, nous avons vécu des rentes d’un passé glorieux, sans com-prendre que la grandeur d’un pays exige une hauteur de pensée.

Ce qui est important, c’est de retrouver un tracé moral.

Il faut un État fort, pas au sens de l’autoritarisme qu’il peut exercer,

mais de l’autorité qui peut en rayonner.Il faut un État qui rassure.

De Gaulle avait raison quand il disait : « Quand tout va mal et que vous cherchez votre décision, regardez vers les sommets : il n’y a pasd’encombrements. »

 Mars 2016 

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TERREUR 

ANTHEMIS

205

L’État belge est moralement exténué

Le 22 mars est un drame imprescriptible, mais je n’aurai pas l’impu-dence d’évoquer cet accablement pour prendre la plume au sujet de notreÉtat. Au reste, l’événement nous dépasse. Nous sommes incapables d’encirconscrire les causes, d’en établir un constat pérenne et d’esquisser dessolutions cohérentes car le fait est singulier. Personne ne sait si c’est uneoccurrence ou l’esquisse d’une trame de scénarios répétitifs.

Une chose m’apparait néanmoins : le Royaume est exténué et éreintépar une usure morale qui ne lui permet plus de donner une réponse

apaisée à cette épouvante.Certes, l’appareil de l’État et son exercice sont, par nature, incapables

d’anticiper l’impensable. Mais il y a autre chose : nous sommes devenusinaptes à prendre la hauteur qui convient car ce pays est animé par desforces qui ne relèvent plus du salut et de l’union nationale auxquels les

 victimes de cet événement ont droit.

Je pense que l’État est devenu faible et dépouillé de ses attributs réga-liens. Mais si l’État n’a plus donné confiance, c’est aussi et surtout parceque nous ne nous y sommes pas associés collectivement au projet qu’ilreprésente. ous, nous avons vécu des rentes d’un passé glorieux, sanscomprendre que la grandeur d’un pays exige une élévation de pensée etun projet de communauté. D’ailleurs, quelles que soient les affiliations lin-guistiques ou les inclinaisons politiques, nous ressentons que quelque chosene fonctionne plus dans ce pays. Est-ce un leurre, un tranquille naufrageou bien un véritable supplice que seul le temps va effriter ? Je ne sais pas.

Où trouver l’origine de cette lente désintégration de l’État ? Chacunaura un avis documenté sur la question dont aucun historien n’arriveraà distinguer les faits de l’intuition.

Pourrait-elle être bien plus ancienne et profonde que des revendi-

cations communautaires ? Je le crains. Entourée de silences gênés oude confidences chuchotées, il y a une zone d’ombre dans notre pays,dont on dit que les gouvernants ne revêtent plus les attributs régaliens,c’est-à-dire étymologiquement les prérogatives royales. La plupart desmémorialistes la contournent avec embarras, comme si l’Histoire étaithantée par le néant. C’est la saison froide de la Belgique. Elle est lugubre :c’est la question royale.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

206

Cette question royale est une césure dans l’histoire de ce pays car

le régime fut mis au vote dans la révélation d’un clivage linguistiquelatent qui devint apparent. Les deux communautés en furent perdantes.La Flandre obtint le retour du roi tandis que la Wallonie arracha sonabdication. Dès ce jour, les choses ne furent plus jamais comme avantcar le roi ne fut plus le chef de l’État sinon dans la constitution. Lerègne de Baudoin fut contrarié par la fragilité du lien dynastique et latemporalité du régime, tandis qu’Albert II et Philippe accompagnèrentle pays vers sa mutation institutionnelle.

Le tourment, c’est qu’un État a besoin d’un chef, et que le pouvoirexécutif n’en revêtit jamais que l’apparence, puisqu’il s’éroda et se frag-menta sous des couches de réformes qui n’eurent comme seule consé-quence que d’assurer l’immobilité sous une administration pesante. J’aila faiblesse de penser que la fragilité de l’État repose dans l’impossibilitéd’en désigner le tenant.

Mais ce n’est pas tout : le pays s’est aussi effrité économiquement, aurythme de son émiettement institutionnel. Le déclin commença dans lesannées 1930 et s’accentua avec la désuétude progressive du charbon etde l’acier, couplée à l’indépendance des colonies. Des trente glorieuses,seules quelques-unes, encadrant l’exposition universelle de 1958, furent

illustres. En plein cœur des années 1970, qui furent une décennie mau-dite, le pays entama sa scission au prix du maintien de secteurs natio-naux qui étaient rendus désuets au moment même de leur désignation.Les deux communautés se déchirèrent sur les Fourons pendant qu’unbasculement économique engloutissait l’économie manufacturière. Plustard, l’affaire de la Générale révéla une béante fragilité politique et unecoupable insouciance économique alors que le quart du PIB du paysétait en jeu et s’affaissa, en grande partie, dans un sabordage volontaire.Dix ans plus tard, la moitié du BEL-20 passa sous actionnariat étrangertandis que la crise de 2008 mit le secteur bancaire à genoux.

Sous l’angle social, les choses se sont aussi dégradées. ? Notre État-providence est devenu impayable, sauf à hypothéquer la prospérité desfutures générations, par une gigantesque dette publique. Là aussi, ontrouvera des raisons objectives, comme le vieillissement de la populationet la décroissance des gains de productivité. Il n’empêche : nous vivonsà crédit sans plus être capables de tisser le filet de sécurité sociale quiévite la pauvreté à un nombre croissant.

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TERREUR 

ANTHEMIS

207

Je suis convaincu qu’il est temps de se ressaisir, alors que le monde

entier nous regarde avec effarement et que nous nous prévalons d’êtrela capitale de l’Europe et le quartier général de l’OTAN. Comment espé-rer conserver la moindre crédibilité institutionnelle quand l’étrangerapprend, avec affection, que notre capitale est devenue ingérable par la

 volonté de certains mais surtout l’indécision du plus grand nombre ?Comment expliquer au monde extérieur que notre pays, autrefois l’undes plus prospères du monde, devient un foyer pour le terrorisme dansle déni insupportable de ceux qui étaient responsables de l’exercice com-munal ? Comment espérer garder une hauteur morale lorsque le rythmede notre représentation princière devient un sujet d’arithmétique ? Com-

ment expliquer à des chefs d’État étrangers que notre pays est devenutechniquement incapable de se repenser ?

Ce qui est important, c’est de retrouver un tracé moral. Il faut unÉtat fort, pas au sens de l’autoritarisme qu’il peut exercer, mais de l’au-torité qui peut en rayonner. Il faut, avant tout, un État qui rassure. Jedois beaucoup à notre État, à commencer par l’éducation, et je tente derendre ce qui me fut donné. Je garde donc une foi indestructible dansnotre pays et une conviction absolue qu’il se ressaisira devant les grandspérils qui nous menacent. Mais, aujourd’hui, l’État suscite l’indécisionou l’inquiétude. Il est indispensable que, faute d’homme providentiel,

ceux qui le dirigent indiquent, au risque de l’impopularité, quel est sonavenir social et politique dans un cadre moral rassurant.

 Avril 2016 

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ANTHEMIS

209

En conclusion,une dernière intuition

« Et les fruits inconnus ,imprévisibles, inimaginables

de nos actes se révélerontun jour. »

François Mauriac (1885-1970)

Les jeunes apprennent que la crise serait une réplique de celle desannées 1930, mais rien n’est dit sur leur avenir.

À l’instar de ce qui se passe dans tous les autres pays européens, ces jeunes ne comprennent pas que les problèmes de la génération à laquelleils succèdent ont été arbitrés à leur détriment. L’emploi se dissipe, et ilsentendent qu’ils seront débiteurs des dettes de la génération précédente.

Ils prennent conscience du fardeau de l’endettement public, qu’ils ne voudront, ni n’arriveront à éponger. Pire, ils perdent confiance. En euxet en leur pays. Certains le quittent d’ailleurs.

Alors, que leur expliquer ? Au cours des trente dernières années,quelque chose doit s’être fissuré dans l’économie belge. Jadis, le pays étaitl’un des plus florissants du monde. Aujourd’hui, la Belgique a comprisqu’une partie de son avenir était derrière elle.

Bien sûr, on argumentera que l’économie s’est mondialisée et qu’iln’est que logique qu’un petit pays se dilue dans des agrégats plus impor-tants. Les polarités de développement se sont inversées et la croissances’est exilée.

Depuis dix-sept ans, l’euro a pris le relais du franc belge. Pourtant, sila Belgique est la capitale de l’Europe, c’est plutôt l’Europe qui se réunità Bruxelles. Le Royaume n’est protégé par aucune géographie défensiveet son ouverture territoriale en accentue la dépendance.

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ANTHEMIS

210

Mais il y a autre chose. Pas un naufrage, mais plutôt une infime et

inéluctable dérive. Une morosité silencieuse. Une résignation. De nom-breux citoyens le ressentent, mais peu l’expriment. C’est un sentimentflou, teinté d’amertume des grandeurs passées et d’incompréhensiondes réalités modernes.

Une nostalgie des années 1960 où le pays promettait à ses élites lesmeilleures destinées et l’insouciance du plein-emploi. Peu avant, la royautéavait vacillé avant d’être mise au vote. Heureusement, la croissance desannées d’après-guerre avait pris le relais de la perte des colonies.

Quelle est l’origine de cette transformation ? Il y a, bien sûr, des

facteurs circonstanciels qui sous-tendent la diffusion de l’économie demarché : accès à l’information, détente mondiale des flux de commerce,déliquescence des régimes totalitaires, responsabilisation accrue souhai-tée par les agents économiques.

Cette évolution relève aussi de l’effacement d’un effet d’optique. Celui-cia conduit nos communautés à confondre la croissance d’après-guerre avecune tendance de fond. Or, on le sait aujourd’hui : cette croissance a fondéla répartition des richesses, alors qu’elle n’était qu’un effet d’aubaine.

Au-delà de ces éléments factuels, il y a un autre facteur, dont noussoupçonnons qu’il est d’une envergure considérable. C’est la perte des

 valeurs supérieures qui contraignaient la pensée collective.La mue des pouvoirs publics est aussi évidente. Le premier choc est

probablement apparu au cours des années 1930. La Belgique est sortietrès appauvrie de la Première Guerre mondiale et les politiques moné-taires qui l’ont suivie étaient insensées. À l’époque, le franc belge a dû êtredévalué jusqu’à des tréfonds abyssaux en période d’instabilité politiqueet de perte des repères militaires.

L’après-guerre a permis la reconstruction du pays et, surtout, il yavait le Congo, cette inépuisable réserve de matières premières et ce

relais d’une économie nationale qui devenait étriquée. L’industrie étaitextractive. Elle transformait la matière première.

Après l’indépendance des colonies et les deux chocs pétroliers de1973 et de 1979, il y eut la perte de la tradition industrielle. Les capi-taines d’entreprises belges étaient mondialement connus. Ses ingénieursfaisaient la fierté des écoles polytechniques. Et surtout, la Belgique, c’étaitle charbon, l’acier et les constructions métalliques et navales.

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EN CONCLUSION, UNE DERNIÈRE INTUITION

ANTHEMIS

211

Mais l’économie entamait un nouveau cycle : l’entrée dans le secteur

tertiaire. Les ingénieurs cédèrent le pas aux financiers. Cette transition futpénible et les gouvernements de l’époque firent du cabotage budgétaire.Personne ne le leur reprochera, car les cycles passés étaient révolus.

Pourtant, l’accablement qui en résulta n’était pas une transition obligée.De nombreux pays, parfois moins bien situés que la Belgique, ont surmontéces difficultés tout en conservant ou en faisant croître l’esprit d’entrepriseet en développant des leaders ambitieux dans de nombreux secteurs.

Et finalement, lorsque le chercheur écarte l’accessoire du principal,il lui reste une cause, sans doute impudique, qui fut marquante dans

les années 1970 et 1980 : la pusillanimité de l’État. Ou plutôt, le constatd’un État qui perd son autorité face à une administration qui s’alourditau sein de structures d’État qui se complexifient en se désagrégeant.

Les chercheurs le savent bien et le verdict de l’Histoire est constant :tous les pays qui expérimentent cette mauvaise chimie d’un pouvoir poli-tique fragmenté et d’un corps administratif lourd en ont été durablementaffaiblis. Cela conduit aux manques de prospectives, à la politisation despostes à responsabilités, à l’étouffement des compétences qui voudraientse révéler, mais surtout à l’inhibition de l’action décisive. Ni détruite ni

épanouie, l’énergie collective a été absorbée par les pouvoirs publics.Cela conduisit, il y a vingt ou trente ans, à un État peu visionnaire et

trop introverti. Une économie planique n’est bien sûr pas meilleure et leschoses ont, pour partie, été corrigées au cours de la dernière décennie.Il y a eu un déficit de perspective et de stratégie.

D’aucuns citeront alors les revendications communautaires commedéclencheur des défiances économiques. Rien n’est sans doute plus faux.Ce n’est pas la régionalisation qui est en cause : des pays prospères, telsla Suisse, l’ont expérimenté dans le respect total des différences et desdémocraties. Il serait trop facile de supposer que les exigences com-munautaires sont à blâmer, même si, indéniablement, les structures definancement peuvent introduire des rigidités pénibles et dommageables.

D’ailleurs, qui pourrait avancer que des revendications d’identitéculturelle ne soient pas légitimes ? Si des revendications régionalesentrainaient une déconfiture économique, cela se serait constaté dansde nombreux pays. Or ce n’est pas le cas.

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

212

Ce qui est singulier en Belgique, c’est la superposition des pouvoirs.

A-t-on choisi une certaine inefficacité institutionnelle comme prix àpayer pour l’unité ? Peut-être. Mais le choix du modèle n’a jamais étéeffectué. L’État est resté suspendu entre une formulation révolue et desconfigurations inaccomplies.

Et puis, l’État n’a peut-être pas donné assez confiance.

Il souffre de l’incapacité à accepter l’économie de marché danslaquelle l’Europe est immergée, en tentant de maintenir un modèle socialdes années d’après-guerre, erronément perçu comme le rempart d’unmarché globalisé. Singulièrement, l’État est devenu fort, mais dans sonrôle administratif plutôt qu’incitatif.

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ANTHEMIS

213

Table des matièresContexte de la réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11

La fin d’un modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13

Histoires de monnaies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

La monnaie et Jésus-Christ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

Comprendre la monnaie… avec le temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19

La monnaie et la mesure du temps : deux fragiles nécessités  . . . . .20La monnaie est impatiente… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21

Le danger de saborder une monnaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22

Quelques réflexions disparates sur la monnaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .23

Politiques des banques centrales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25

Les banques centrales dirigent l’économie !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25

Politique monétaire : rien ne dure, rien n’existe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25

Les banques centrales ont raison !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

29Tout repose sur les banques centrales   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29

Guerre des monnaies : les règles de l’engagement  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30

Politique monétaire : la divergence s’installe  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31

D’une dévaluation chinoise à une déflation européenne ?  . . . . . . . . . . .35

Le dollar ? En dépréciation structurelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35

Un dollar en suspension ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36

La situation monétaire ne peut être que temporaire  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Une baignoire de mousse avec un gramme de savon ?  . . . . . . . . . . . . . . . . .37

La Suisse et le « plan de Chicago »pour nationaliser la monnaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .39

Euro et Banque centrale européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .41

2016 : une année monétaire décisive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .41

Une réflexion sur l’euro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .44

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

214

Un faux calme avant une vraie tempête ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .46

L’étrange alchimie monétaire de la BCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47Un bâtiment en feu sans sortie de secours ?  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50

L’édifiant constat de l’ancien Président de la FED . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .51

La confusion des sentiments monétaires  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52

Euro : il faudra un aggiornamento . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .53

Une sortie temporaire de la zone euro n’a aucun sens  . . . . . . . . . . . . . . . . .54

De Bonn à Paris, de Paris à Berlin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54

Podemos et Syriza sont des enfants de l’euro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .56

Le cauchemar de Mario Draghi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .59

Le « Perma QE » : un assouplissement monétaire infini ? . . . . . . . . . . . .62

De l’inflation… À tout prix !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .63

Parfois, la lumière au fond du tunnel, c’est un train… . . . . . . . . . . . . . . . . .64

La schizophrénie monétaire ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .65

La magie s’estompe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .66

Déflation, inflation ? Stagnation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69

La déflation est la dernière défaite de l’euro  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69La déflation s’installe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71

Quelles sont les sources de la déflation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71

La croissance s’enfuit, c’est la fin d’un monde  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72

Quel horizon économique ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .73

La courbe de Phillips n’apporte pas la lumière ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .74

Déflation et vieillissement : une relation très dérangeante . . . . . . . . . . .75

Tirer sur le choke du moteur économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .76

Et c’est le temps qui court. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .77Comment sortir de cette crise ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78

Déflation dans les vieux pays, inflation dans les économiesémergentes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .81

L’insoutenable légèreté de l’inflation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .81

Et si le scénario économique était finalement une stagflation ?  . . . .82

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TABLE DES MATIÈRES

ANTHEMIS

215

Une autre politique budgétaire européenne est indispensable. . . .84

Il y a 80 ans, la déflation de Laval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .88

Dettes publiques, taux d’intérêt et banques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .91

Dette publique : Adam Smith aurait-il raison ?  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .91

L’insoutenable légèreté de la dette publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .92

La Banque centrale européenne solde l’État-providence. . . . . . . . . . . . . . .95

Dette publique et monnaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .97

La rédemption biblique des dettes publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .98

Comment ne pas se noyer dans la dette publique ?  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

99Le monde inconnu des taux d’intérêt négatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

Te Dark Side o the Moon-ey . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

Faute d’assoupir la dette, on assouplit la monnaie ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

Plongée abyssale dans les taux d’intérêt négatifs  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Taux négatifs : here, there and everywhere…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

De l’inimaginable à l’inimaginable ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

Des taux d’intérêt négatifs sur certains carnets d’épargne ?   . . . . . 111

L’intérêt négatif constitue l’abstention devant le futur . . . . . . . . . . . . . . . 113

Intérêts négatifs : du déposant au contribuable ?  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

Taux d’intérêt : imaginer un « taux négatif maximum »  . . . . . . . . . . . 114

Taux d’intérêt négatifs et retrait massif des dépôts ?  . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

Un danger existentiel pour le secteur financier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

Banques : des ondes gravitationnelles négatives  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118

Confiscation des dépôts bancaires : et de deux…   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Considérations fiscales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

L’impôt et Jésus de Nazareth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121Les dilemmes fiscaux de nos gouvernements fédéraux. . . . . . . . . . . . . . . 123

ax shif : ajustement budgétaire ou réforme fiscale ? . . . . . . . . . . . . . . . . 126

Le tax shif et son « effet retour » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

L’impôt des personnes physiques… en 2025. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Et si, un jour, l’impôt sur le revenu ne suffisait plus ?  . . . . . . . . . . . . . . . 134

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LE FUTUR SE RAPPELLE À NOTRE SOUVENIR 

ANTHEMIS

216

Plus-values mobilières et immobilières : quelle cohérence ?. . . . . 136

Taxer la plus-value sur actions :l’économiste dit « non » au juriste ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .137

Taxer les options spéculatives ?Le cauchemar fiscal et juridique… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Fiscalité immobilière et problèmes de mobilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

Archéologie fiscale à l’impôt des sociétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

Baisser l’impôt des sociétés : oui mais…  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

Deux mesures révolutionnaires à l’impôt des sociétés . . . . . . . . . . . . . . . . 152

Le retour de la taxe Tobin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

155Perspectives boursières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

2016 : une crise pire qu’en 2008 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

Pseudo-experts et crise financière de fin du monde…  . . . . . . . . . . . . . . . 160

Attention aux économistes d’eau douce… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .161

Réflexion sur la bourse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162

Étrange paradoxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164

Les grands timoniers et la bourse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164

Réflexion sur les politiques monétaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165Vieillir, cela n’est rien… mais investir, ô investir… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

Investir en actions ? Oui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

Bourse : la fin de l’euphorie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

Faut-il sanctionner les actionnaires à court terme ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

Le capital nous a rendus plus orgueilleux…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Économie digitale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Innover puis détruire : vingt ans de cendres économiques ?  . . . 173

La révolution numérique exige de repensernotre organisation sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174

Économie digitale : entre Adam Smith et Karl Marx . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

Robots, stagnation séculaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

L’emploi précaire devient-il une norme ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .180

Économie digitale : on taxe les robots ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .181

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TABLE DES MATIÈRES

ANTHEMIS

217

Prospectives sociétales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

Le XXe siècle est mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

2006-2016 : le temps s’est tristement enfui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .186

Migrants : hier et aujourd’hui, là-bas et ici. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .187

Les fantômes de l’Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188

Être un économiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

Et finalement, après quelques années… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .190

Europe : un sursaut ou une résignation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .191

La limite de l’épure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192

La lumière au bout du tunnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193Une solidarité sociale mutilée ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194

Pensions : et c’est le temps qui court…   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195

Derrière la chute du pétrole, le choc social ?  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196

Confuses impressions berlinoises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196

Terreur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .199

C’est la guerre civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

C’est triste, Zaventem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

L’État doit rassurer et pacifier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204

L’État belge est moralement exténué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205

En conclusion, une dernière intuition  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

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