le futur est-il un temps ou un mode ? is the future a
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Faits de langue et société, n° 5, 2020 : pp.66-79
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LE FUTUR EST-IL UN TEMPS OU UN MODE ?
Is the future a tense or a mood?
Par /By
Mohamed Labiade
Résumé
Le futur est-il un temps ou un mode ? Les différentes réalisations du futur
et un examen rapide du problème notionnel entre mode, modalité et
modalisation nous autorisent à affirmer son aspect modal. Dès lors, il n’est
plus question de créer un troisième repère. Le futur est sur le même pied
d’égalité que l’imparfait : il relève de l’imaginaire et appartient au repère
fictif. La piété augustinienne et la systémique guillaumienne nous permettent
de montrer la fonction primordiale du présent. L’arabe réduit le futur à un
seul morphème pour sortir de la sténonomie du présent. Le futur traité comme
un temps passé est preuve du temps spatialisé.
Mots-clés : Temps, mode, modalités, modalisation, futur.
Abstract
Is the future a time or a mood? The different uses of the future and a quick
examination of the notional problem between mood, modality and
modalization allow us to assert its modal aspect. Therefore, there is no
question of creating a third marker. The future is on the same footing as the
imperfect: it belongs to the imaginary and belongs to the fictitious landmark.
Augustinian piety and guillaumeian systemalism allow us to show the
primordial function of the present. Arabic reduces the future to a single
morpheme to get out of tight space of the present. The future treated as a past
time is evidence of spatialized time.
Keywords: Time, mood, modality, modalization, future
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Le futur est-il un temps ou un mode ? Selon la grammaire traditionnelle le
futur appartient nettement au mode de l’impératif et marque indubitablement
un temps à venir. Le locuteur envisage l’avènement proche ou lointain d’un
événement inéluctable. La schématisation tripartite d’un système temporel
subdivisé en passé, présent et futur sur un axe rectiligne orienté du passé vers
l'avenir semble donc être plus réaliste et plus naturelle. Toutefois elle
représente une conception simpliste qui répond plutôt à une exigence
didactique très réductrice qu’à une approche rigoureusement scientifique.
Doit-on considérer le futur un mode ou un temps ? Quelles sont ses valeurs
temporelles et quelles sont ses fonctions modales ? Peut-on démêler les unes
des autres ? La distinction mode /modalité est- elle toujours pertinente ?
Aurions-nous le droit de postuler l’existence d’un troisième repère et rétablir
ainsi, conformément à la vision traditionnelle, la conception tripartite du
temps ?
Les occurrences du futur marquent plus un usage modal que des emplois
strictement temporels même dans des énoncés isolés. C’est pourquoi la
distinction entre mode et modalité doit-être revue à la lumière d’une
conception plus objective et plus large du système temporel. Nous nous
demanderons s’il ne fallait pas récupérer le futur avec l’imparfait et le
conditionnel, deux autres cas de figure similaires, dans la catégorie d’un mode
spécifique. Le futur pourrait bien être considéré parmi les temps du repère
fictif malgré le fait qu’il soit classé parmi les temps du discours.
Temps ou mode ? La distinction entre temps du récit et temps du discours concerne
essentiellement le texte littéraire que relève du code écrit. Le code oral
n’utilise le système temporel propre au récit que dans des discours didactiques
ou pédantesques ! Les paradigmes de conjugaison s’organisent, d’ailleurs
comme pour toute la matière discursive, autour du sujet énonçant. Leur tri
s’effectue principalement selon le code entamé, écrit ou oral. En revanche les
modes représentent la manière dont le procès exprimé par le verbe est conçu
et présenté. Selon les modes conjugués ou les modes nominaux, dits encore
personnels et impersonnels, l'action peut être mise en doute, affirmée comme
réelle, éventuelle, contingente, accidentelle ou hypothétique, nécessaire
calculée ou imprévue etc.
D’un point de vue morphologique (ayant la phrase comme unité supérieure
et non l’énoncé actualisé dans un discours), les catégories du mode, du temps,
de l’aspect avec celle de la personne et du nombre et occasionnellement celle
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du genre sont inhérentes au verbe. Les catégories TAM1 posent énormément
de problèmes dès qu’on sort d’une approche strictement morphologique. Les
définitions de chaque catégorie deviennent ambivalentes et les frontières
poreuses et extensibles. Pour reprendre Le Bon Usage2, M. Grevisse note que
les catégories TAM caractérisent spécifiquement la classe verbale. Le verbe
se caractérise par sa conjugaison. Il prend des marques de mode, de temps, de
personne et de nombre. Les auxiliaires qui accompagnent parfois le verbe
marquent le temps, l'aspect et/ou la voix. Mais ces trois notions : le mode, le
temps et l’aspect, particulièrement liées à la forme verbale, ne sont pas si
nettement distinguées lors d’un acte discursif ou d’une quelconque
prédication. Soit l’événement suivant :
Je viendrai.
Selon que cet exemple est pris en tant que phrase virtuelle ou énoncé
actualisé, le degré de son accord au réel est différent. Ce n’est pas un énoncé
strictement constatif descriptif ni une phrase explicitement modalisée ou
ouvertement performative. La frontière entre constatif et performatif dépend
bien d’autres facteurs que de la phrase réduite à ces deux morphèmes. La
modalité n’affecte pas uniquement la forme verbale mais l’énoncé entier tel
qu’il est produit au cours d’une énonciation particulière. Le locuteur d’un tel
énoncé envisage-t-il le procès sans l’ombre d’aucune indécision ou avec
quelques ombres de doute ? Il aura beau se représenter le futur comme un fait
réellement envisageable, il ne pourra proférer une telle affirmation sans une
certaine nuance de certitude ou de doute. Son assertion n’est point exempte
de quelques particules de sa perception subjective ou de son jugement
personnel. Pour A. Orlandini et P. Poccetti, le contexte permettra de scruter
ses traces. Le futur est alors appréhendé et interprété soit comme
“intensifieur” soit comme “atténuateur” de certitude :
« Mais en synchronie, le futur peut aussi se nuancer de connotations illocutoires : il est
un intensifieur de la certitude, mais il peut être aussi un atténuateur. Ce n'est que
l'approche pragmatique qui peut mettre à jour les différentes facettes de ce TAM
polyfonctionnel ; d'où̀ l'importance fondamentale de l'examen des textes, pour décider de
l'interprétation à chaque fois la plus adéquate pour les contextes examinés »3. (Anna
Orlandini- Paolo Poccetti, 2016, p.22.)
Même hors contexte, le degré zéro est impossible et la neutralité supposée
est inaccessible voire chimérique. Le locuteur en question juge la situation
suffisamment claire (ou ambiguë) pour ne pas ajouter un autre morphème qui
1 Nous préférons l’abréviation dans l’ordre croissant ATM : aspect, temps, mode. 2 GREVISSE MAURICE ET GOOSSE ANDRÉ, 2014, Le Bon usage, Duculot-Louvain, 767, p. 979. 3 ORLANDINI ANNA - POCCETTI PAOLO, Le futur dans les langues anciennes : temps, aspect,
Modalité ? De Lingua Latina, revue de linguistique latine du Centre Alfred Ernout [En
ligne], 12 | 2016, mis en ligne Juillet 2016. URL : http://www.paris-
sorbonne.fr/rubrique2315, 1-26.
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enrichirait l’information transmise. Il est évident que par la simple
conjugaison du verbe au futur de l’indicatif, l’énoncé charrie implicitement
une certaine attitude de l’instance énonçante. La modalité est donc
consubstantielle à tout expression du temps puisque inhérente à tout acte de
prédication. Le sujet parlant accomplit un acte et lui imprime son point de
vue. De ce fait, le dictum, conçu comme un produit absolument virtuel vidé
de toute empreinte du sujet parlant ne représente qu’un postulat de départ. Il
est nécessaire d’en extraire le modus inhérent qui l’affecte, le domine et le
détermine. Une rection qui subsiste selon Coquet tant au niveau de la langue
qu’au niveau de la parole « mais que l’on situe l’analyse des modalités sur le
plan de l’invariant (la langue) ou sur celui des variables (la parole), le fait
demeure : l’énoncé est à deux niveaux et l’un, le modal, régit
l’autre »4. (Coquet, 1997, p149).
C’est pourquoi l’utilisation stricte et exclusive des morphèmes de
conjugaison ne garantit, dans un énoncé actualisé en un discours quelconque,
même dans celui d’un grammairien, aucune neutralité. En revanche le recours
à un autre morphème grammatical ou lexical -comme dans les exemples
suivants- permet d’exprimer explicitement ou emphatiquement la nuance que
le sujet désire communiquer à son interlocuteur.
Je viendrai
~ demain/ ~ dans un instant / ~ certainement / ~ peut-être /~
probablement.
Il est possible/ Il est douteux / Il est souhaitable que je vienne.
Il est certain/il est probable /il est impossible / que je viendrai"
Je doute que tu puisses venir. Je ne doute pas que tu viendras.
Je souhaite que tu viennes. J’espère que tu viendras….
Il n'est pas certain qu'il vienne.
Je ne crois pas/ Je ne dis pas qu'il soit venu.
Crois-tu qu'il soit venu ? Est-il certain qu'il vienne ?
Certes, la syntaxe de la phrase impose le mode ou le temps appropriés sans
qu’on ait besoin de demander l’avis du locuteur. Néanmoins c’est lui qui
opère les choix de telle ou telle formulation selon la nuance qu’il cherche à
exprimer. D’après le corpus ci-dessus, on déduit que la contrainte interne à la
langue, en l’occurrence la langue française, à laquelle est soumis le locuteur
francophone, lui impose un changement modal palliatif au subjonctif ou au
conditionnel pour exprimer les différentes nuances du seul futur : (Négation
4 COQUET JEAN-CLAUDE, 1997, La quête du sens, le langage en question, Paris, Presses
universitaires de France, coll. Formes sémiotiques.
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+doute ou Certitude + négation) + une action envisagée dans le futur par
l’intermédiaire du subjonctif ou du conditionnel.
Force donc est de constater que les différentes occurrences du futur
tiennent plus à des fonctions modales qu’aux seules valeurs temporelles. Tout
contenu propositionnel subit une double prédication, immanente et
transcendante5.
La frontière entre mode et temps n'est pas toujours clairement établie (et
encore moins celle de l’aspect) dans les grammaires ni reconnue par les
grammairiens modernes. Plusieurs temps grammaticaux ont aussi des valeurs
modales ; c'est le cas du conditionnel, bien sûr, mais aussi du futur et de
l'imparfait de l'indicatif. Pourtant on hésite d’affirmer leur nature modale :
« le fait que le conditionnel ait des valeurs modales n'est donc pas une raison
suffisante pour en faire un mode puisque, à ce compte, le futur et l'imparfait
devraient eux aussi être des modes »6. Le futur, le conditionnel et l’imparfait relèvent bel et bien du repère fictif
et sont toujours décalés soit rétrospectivement soit prospectivement par
rapport au repère de l’énonciation T0. Il est donc : « indispensable de
distinguer les deux « temps» possibles, car le temps dénoté et le temps
grammatical ne coïncident pas nécessairement. Une même époque peut être
indiquée par des temps verbaux différents et, inversement, un même temps
verbal peut situer le procès dans des époques différentes. Ainsi, l’imparfait de
l'indicatif peut situer le procès dans n'importe laquelle des trois époques (…)
les appellations des temps du verbe ne correspondent pas forcément aux
temps de la réalité dénotée. Un Futur peut servir à évoquer la situation
présente ou même passée »7. (Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul,
1994).
La contamination modale du futur par le subjonctif s’étend donc au
conditionnel et à l’imparfait et est attestée par les similitudes morphologiques.
Ce sont des modes qui sont étroitement liés et gardent même des traces
résiduelles au cours de leur évolution simultanée. En français, le conditionnel
est formé à partir de la marque du futur suivie de la marque de l'imparfait :
(-r-) + (-ais, -ais, -ait, -ions, -iez et -aient.) /ʁ+ɛ/. /ʁ+jɔ̃/. /ʁ+je/.
5 COQUET JEAN-CLAUDE, 1997, La quête du sens, le langage en question, Paris, Presses
universitaires de France, coll. Formes sémiotiques. 6 http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=4136 Date de la dernière actualisation de
la BDL : consulté le 30 octobre 2018. 7 RIEGEL MARTIN,PELLAT JEAN-V, RIOUL RENÉ, 1994, Grammaire méthodique du français,
Coll: Quadrige.
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Outre qu’il réunit à la fois les déclinaisons du futur et de l’imparfait, il
complète le futur ou le remplace dans le repère décalé par rapport au moment
de l’énonciation, exprimant la conséquence d’une condition : Futur = si +
imparfait + conditionnel,
- Si j’étais vous, je ne le ferais point.
ou une action futur située dans le passé !
- Ils découvriront par la suite que cela ne s’était pas déroulé comme ils
l’avaient prévu.
Ces similitudes morphologiques sont remarquées aussi pour le futur et le
conditionnel en anglais : wil l/would, shall/should, et les différentes
constructions avec la condition “if”. Les différents emplois du conditionnel
au lieu du futur constituent donc une raison suffisante qui à notre avis justifie
que Bescherelle reconnaisse un « mode » conditionnel hors des paradigmes
de l’indicatif quoique d’autres grammairiens persistent à le considérer parmi
les temps-tiroirs du mode indicatif. Comme « le futur catégorique » ou «
thétiques », le conditionnel est susceptible de décrire une action qui n'a pas
encore eu lieu. C’est un « futur hypothétique » précise G. Guillaume 8 .
(1929/1970. P.54.)
Modalités et Temporalité Les valeurs modales du futur primeraient-elles alors sur ses valeurs
temporelles ?
D’une part les marques inhérentes au verbe qui correspondent aux trois
traits définitoires à savoir : l’aspect, le temps et le mode (ATM) s’intriquent
entre eux et d’autre part les désignations mode, modalité et modalisation
renvoient chaque fois à des opérations différentes qui se réalisent à des
niveaux très variés. En l’absence d’une correspondance parfaite ou d’une
conception cohérente, ces désignations permettent des passerelles entres les
différentes notions sans pour autant recouvrir parfaitement les mêmes
nuances. La signification s’enrichit à chaque fois de nouvelles subtilités, se
complexifie et s’amplifie comme une boule de neige. Sans prétendre cerner
tous ces concepts et afin d’éviter le désordre d’une ambivalence insolvable,
nous tenons à retenir rapidement quelques traits distinctifs propre à chaque
catégorie.
La catégorie du temps exprime une chronologie externe et restitue « le
temps expliqué9», passé, présent ou futur. Il permet la localisation d’un
événement E relativement à un repère, To qui est le moment de l’énonciation.
8 GUILLAUME GUSTAVE, 1929/1970, Temps et verbe, Paris : Champion. 9 GUILLAUME GUSTAVE, Langage et science du langage, Nizet, 1964.
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Traditionnellement, le temps verbal comprend trois subdivisions exclusives
qui renvoient spécifiquement et respectivement à trois espaces nettement
séparés. Cependant des époques transitoires comme celles du passé récent, du
présent continu et du futur proche, construites à l’aide de verbes auxiliaires
ou semi- auxiliaires « être en train de », « aller + verbe » ou « venir
de+verbe » expriment plus l’aspect que le temps. Par l’intermédiaire de ces
expressions, le système temporel du français restitue le continuum temporel
et parvient à pallier aux insuffisances de l’indicatif.
La catégorie de l’aspect intervient ainsi pour moduler la chronologie
interne. Elle présente l’évènement de l’intérieur et décrit le procès dans son
déroulement. C’est « le temps impliqué10 » qui caractérise la façon dont est
perçu un procès E, indépendamment de sa localisation dans le temps. Selon
l’état décrit il est soit inchoatif ingressif, progressif, terminatif perfectif,
duratif ou parfois itératif…
Qu’il s’agisse d’une localisation interne ou externe, la modalité est
inhérente à l’expression de la temporalité. En grammaire traditionnelle les
modes, personnels ou impersonnels, sont réduits à ne remplir qu’une fonction
grammaticale et sont nettement séparés : l'indicatif, l'impératif, le subjonctif
et le conditionnel, puis l’infinitif et le participe. Cependant même quand ils
sont entraînés par des accords obligatoires ou lorsqu’ils s'accordent entre eux,
ils expriment toujours les différents points de vue à partir desquels se
considère le déroulement du procès, et affirment plus au moins ce qu’ils
expriment…En revanche la modalité renvoie d’abord au statut de la phrase :
forme assertive, interrogative ou injonctive. Malgré la plasticité due à ses
glissements terminologiques et sémantiques si fréquents et si ambivalents
qu’il subit à chaque utilisation, le terme de mode ou de modalité désigne
invariablement l’ensemble des faits linguistiques traduisant l'attitude du sujet
parlant par rapport à ce qu'il énonce ou à son énonciation. La modalité est
donc l'expression de l'attitude du locuteur par rapport au contenu
propositionnel énoncé et la manière dont il l’énonce. Dans ce sens le futur
exprime essentiellement un mode ou régit une modalité. À cet égard
l’ensemble des nuances véhiculées par la forme du verbe au futur ou ses
formes palliatives illustrées par notre minuscule corpus sont significatives
puisqu’elles modifient profondément le regard porté par le sujet sur les faits
qu’il rapporte : certitude, probabilité, possibilité, impossibilité incertitude,
croyance et sa négation, contingence, certitude …
10 Ibid.
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Outre le problème épineux que pose la difficulté d’établir une distinction
nette et définitive entre mode, temps et aspect…le concept de modalité
renferme donc l’idée récurrente de point de vue restituée à partir de l’énoncé
formulé par une instance particulière. La modalisation est l’impression de
marques implicites ou explicites, appliquées spontanément ou
intentionnellement par un sujet parlant à son énoncé qui en porte les
empreintes. Ces marques relèvent aussi bien de l’énoncé que de l’énonciation.
L’utilisation de ce terme recouvre donc des domaines bien plus larges et qui
dépassent le verbe pour affecter toutes les parties du discours. Toute assertion
renferme forcément un marqueur de l'attitude du locuteur : le contenu
propositionnel posé présuppose sa présence même implicite. Tout énoncé est
nécessairement modalisé. La modalité « n'est jamais absente de la phrase, elle
en est l'âme; sans elle, l'énonciation ne correspondrait qu'à des représentations
virtuelles de l'esprit, sans contact avec la réalité »11. (Bally, 1942. p.11). En
revanche ses indices sont immanents, soit inscrits de manière latente, soit de
manière patente.
Certes la notion de modalité, comme une nébuleuse diffuse, englobe
d’autres faits de langue difficiles à classifier, mais la temporalité demeure la
partie la plus importante. L’idée de temporalité est omniprésente et prégnante.
C’est pourquoi la simple expression du futur doit être replacée dans son
contexte énonciatif et ramenée aux instances d’énonciation pour que sa valeur
devienne explicite. Partant, la représentation du temps linguistique sur un axe
temporel triparti dans un sens constant et unidirectionnel n’est plus de mise.
Le passé par son évocation rétrospective, le présent par son évanescence
irréversible et le futur construit en projection dans des mondes possibles
acquièrent d’autres valeurs et requièrent une autre organisation.
Des modes et des temps : prééminence du Présent En effet, depuis l’appareil formel de l’énonciation mise en lumière par
Benveniste, la nouvelle division bipartite en temps du récit et temps de
discours s’impose de plus en plus, e. Selon Co. Vet, citant Elements of
Symbolic Logic de Reichenbach, « il faut admettre dans le système temporel
(de l'anglais),outre le moment de la parole, un point référentiel R, qui peut
être antérieur, simultané ou postérieur au moment de la parole S. L'endroit où
se trouve la situation dont il est question dans la phrase est indiqué par le
symbole E, qui peut se trouver dans une relation d’antériorité, de simultanéité
11 BALLY C. « Syntaxe de la modalité explicite », in Cahiers de Ferdinand de Saussure
publiés par la Société Genevoise de Linguistique, 2, 1942, Librairie Droz 11, rue Massot,
Genève 1967.
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ou de postériorité par rapport au point référentiel R »12 . (Vet Co, 1981.
pp.110-111).
Qu’elle soit en anglais ou en français, la conception tripartite d’un système
subdivisé en passé, présent et futur se révèle alors obsolète. Cette
représentation géométrique faussée ne restitue pas les opérations
psycholinguistiques qui président à la formulation d’un acte de parole. La
représentation en deux repères, fondamental et dérivé, représente une
évolution conceptuelle.
Hormis le présent du discours qui est partagé, le temps est une perception
mentale subjective modalisé par le sujet parlant. De ce fait, le temps objectif,
le temps physique, le temps psychologique et le temps linguistique sont
définis de manières très différentes. Cependant les repérages spatio-temporels
dans un discours quelconque ne sont possibles qu’après avoir fixé une source,
un sujet foyer des opérations modales, centre d’ancrage autour duquel
s’organise l’univers linguistique et logico-sémantique. Pour un locuteur, il
n’est de temps que le présent.
G. Guillaume fonde une nouvelle conception du système temporel du
français quand il redéfinit le présent dans le mode indicatif perçu comme un
processus vertical en progression irréversible. « Le système des temps dans le
mode indicatif est constitué par un présent vertical que traverse, en se
développant à droite et à gauche, la ligne représentative de l'infinitude du
temps »13. (GUILLAUME, 1947-1948, p.5).
Un système qui adopte la même perspective que celle de Saint Augustin
pour qui le présent s’avère un point constamment coulissant sur l’axe de
l'éternité. C’est un temps qui porte en lui-même la négation de son propre être
: « Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que si le temps est, c'est qu'il
tend à n'être plus. »14
12 CO. VET, La notion de « monde possible » et le système temporel et aspectuel du français.
In: Langages, 15ᵉ année, n°64, 1981. Le temps grammatical [logiques temporelles et analyse
linguistique] pp. 109-124; doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1981.1888
https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1981_num_15_64_1888. Fichier pdf généré le
02/05/2018. 13 G GUSTAVE, Leçons de linguistique, publiées sous la direction de Patrick Duffley, 1947-
1948, Série B, Implicité et explicité en morphologie, Texte établi par Jacques Ouellet en
collaboration avec Guy Cornillac et Renée Tremblay, 22, Les Presses De L'université Laval
– Québec. 14 Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chap. XIV. Edition Garnier-Flammarion,
Traduction de Joseph Trabucco.
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Mais il est très important de savoir que vivre le futur ou vivre le passé ne
dépasse pas le présent. Saint Augustin réaffirme l’inétendue des deux temps
passé et futur. Considérés comme des étendues spatiales, on ne saurait
mesurer ce qui n’existe plus ou ce qui n’existe pas encore. Le passé et l'avenir
sont deux modes d’existence du présent. Ils n’ont aucune existence
indépendante. Ce sont deux modalités de rémanence qui subsiste ou qui se
régénère. Le langage offre une image du temps de deux manières différentes
pour un même processus : rendre l’absent présent. Le futur est appréhendé ou
désiré alors que le passé est regretté par nostalgie ou par dépit. La
distanciation ou l’identification à ce qu’on croit ou à ce qu’on se représente
s’effectue en fonction de l’attitude présente. Projection dans l’avenir ou
régression et introjection dans le passé mais toujours par introspection.
La représentation du système temporel proposée par G. Guillaume,
conforme à la conception augustinienne du temps, rend mieux compte de la
distribution des autres temps-tiroirs simples ou composés et réduit
considérablement la complexité de leurs valeurs modales, temporelles et
aspectuelles. Elle a l’avantage de rationaliser en les simplifiant les rapports
ATM. Le futur fonctionne alors plus en tant que mode que comme temps.
Dans le système temporel du français, un locuteur dispose d’un large éventail
de pardigmes de conjugaison pour pouvoir rendre compte des affinités de sens
qu’il désire exprimer ou transmettre à son partenaire. Or selon le principe de
l’économie démontré par A. Martinet15, toutes les langues ont tendance à la
simplification. À cet égard le cas de futur en arabe acquiert une valeur modale
plus que temporelle. Le locuteur arabophone ne dispose que du présent et du
passé. Le futur est exprimé par l’addition d’un morphème grammatical /sa/+
verbe au présent, ou d’autres morphèmes lexicaux /sawfa/+verbe au
présent…Le morphème de « décongestion » /sa/, dit de تنفيس حرف /tanfis/
(Allègement, soulagement, adoucissement : une sortie de crise vers
l’espérance)16 à une fonction désobstruante. Il introduit selon le cas l’espoir
ou le désespoir mais permet de sortir de l’exiguïté du présent. Le futur comme
le passé élargissent l'étroitesse ressentie au moment de la parole. Cette
exiguïté correspond à ce que G. Guillaume dénomme sténonomie du présent :
« le présent est universellement un être sténonome, c'est-à-dire un être dont
la loi est l'étroitesse »17 (GUILLAUME, 1947-1948, p.5).
15 MARTINET ANDRÉ, 1955, Économie des changements phonétiques, Berne, A. Francke. لسان العرب، محمد بن مكرم بن منظور الأفريقي المصري، دار النشر.1617 GUILLAUME GUSTAVE, Leçons de linguistique, publiées sous la direction de Patrick
Duffley, 1947-1948, Série B, Implicité et explicité en morphologie, Texte établi par Jacques
Ouellet en collaboration avec Guy Cornillac et Renée Tremblay, 22, Les Presses De
L'université Laval – Québec.
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L’éloignement du poète allant vers la tombe de sa fille s’effectue dans
l’espace et point dans le temps : La succession des lieux qu’il n’a pas la
possibilité de traverser d’un seul coup impose la succession dans le temps
présent (juste l’espace de traverser l’espace qui m’éloigne de toi maintenant.).
Son programme d’action est d’ordre spatial. Le futur permet alors une
représentation prospective expectative mais au présent du sujet investi du
savoir : « je sais 18». L’espace n’est pas essentiellement d’une nature visuelle.
Il peut n’être que mental. Le futur n’est donc qu’une affaire de mémoire. Un
travail de remémoration et non d’une vision concrète. L’aède aveugle qui
racontait l’Odyssée était clairvoyant. Le futur pour lui est une révélation
certaine qui se déroule devant ses yeux malgré la cécité. Ulysse, assis déguisé
devant Pénélope, qui l’attendait depuis vingt ans, parle de son retour accompli
au présent eu utilisant le temps futur. Sa femme ne pouvait réaliser que ce
futur s’exécute présentement devant ses yeux 19 . Le destin/ fatum prend
l’allure d’une prophétie annoncée au présent et dont la réalisation n’est
qu’une affaire d’espace et non du temps. C’est pourquoi dans le Texte Sacré
Youssouf / Joseph interprétant les rêves prémonitoires de ses compagnons de
prison et celui de Potiphar utilise le présent pour des événements futurs :
/yasqui:/ “verser (à boire)” après sa libération, un des deux compagnons
deviendra échanson de son maître. /tazra¿u :na/ “vous semez ” pour “vous
sèmerez durant sept ans” 20 . Par ailleurs le cas du futur de narration ou
historique constitue un autre exemple du futur à valeur prophétique ou
performative. C’est un futur post mortem qui se projette dans le passé par
introjection de l’instance énonçante.
Sans aucun doute un temps futur décrit l’avènement proche ou lointain de
l’événement. Il est soumis aux lois de l’instant, graine de l’avenir. Il n’en est
qu’une extension sous le mode de projection spatiale, une futurition ou une
illusion du futur. Le passé ou le futur n’ont d’existence que par rapport au
moment présent. Ainsi l’homme ne possède que son présent.
Quand on considère le temps d’un point de vue spatial, le futur devient un
passé qu’on a l’impression d’attendre. Un souvenir ou une réminiscence. Le
passé et le futur deviennent deux vecteurs constants du présent quoique leurs
directions opposées donnent l’illusion d’un accomplissement ou d’une
attente. Ce sont deux modalités ou deux manières pour rendre l’absent
18 HUGO VICTOR, extrait du recueil « Les Contemplations » (1856), Demain, dès l’aube…
« Vois-tu je sais que tu m’attends. /J’irais par la forêt, j’irais par la montagne » 19 HOMÈRE, l’Odyssée, chant XIX. 20 LE SAINT CORAN, sourate 12 : « Youssouf ». (Joseph) versets :41 et 47.
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présent. Au moment de la parole, le futur, comme le passé, est un mode du
présent. Un présent mental absent. De ce fait, il rejoint la personne absente de
Benveniste21 .
LABIADE MOHAMMED.
LABORATOIRE : L.L.C.
UNIVERSITÉ MOHAMED I ER. OUJDA, MAROC.
21 BENVENISTE, Emile, 1974, Problèmes de linguistique générale, 2. Paris : Gallimard.
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