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DEA de Droit Public Comparé des Etats européens Année 2003/2004 Le droit à l’enseignement en langue minoritaire et la protection de la langue Etude comparée Südtirol – Carinthie - Burgenland Par Thomas Hochmann Sous la direction du professeur Otto Pfersmann Paris 2004

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Page 1: Le droit à l’enseignement en langue minoritaire et la protection de … · 2012-03-09 · 5 Introduction On aurait souhaité ne pas, comme 90 % des travaux sur les langues, commencer

DEA de Droit Public Comparé des Etats européens

Année 2003/2004

Le droit à l’enseignement en langue minoritaire et la

protection de la langue

Etude comparée Südtirol – Carinthie - Burgenland

Par Thomas Hochmann

Sous la direction du professeur Otto Pfersmann

Paris

2004

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REMERCIEMENTS

Je tiens ici à remercier pour m’avoir reçu et avoir toujours répondu rapidement à

mes nombreuses questions

madame Edith Mühlgaszner, inspecteur pour l’enseignement minoritaire au

conseil scolaire du Land du Burgenland,

monsieur Klaus Schwarzer, directeur de la section du règlement scolaire de

l’office scolaire allemand du Südtirol,

monsieur Wolfgang Oberparleiter, directeur de la section des écoles primaires

de l’office scolaire allemand du Südtirol,

et monsieur Alexander Prinoth, directeur de l’office scolaire ladin du Südtirol.

J’adresse également mes remerciements au professeur Otto Pfersmann pour ses

précieux conseils.

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Liste des abréviations

AIJC Annuaire international de justice

constitutionnelle BGBl Bundesgesetzblatt Cf. Confer CJCE Cour de justice des communautés

européennes DPR Décret du président de la république DUDH Déclaration universelle des droits de

l’Homme LGBl Landesgesetzblatt

Op. cit. Opus cite p. page

R.R.J. Revue de recherche juridique et de

droit prospectif

R. Tr. D. H. Revue trimestrielle des droits de l’Homme

ss. suivantes Ua. Unter anderen

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« Une langue n’est jamais un "moyen", ni une "structure", ni un " véhicule" pour la culture.

C’est une culture. Si vous vivez en hébreu, si vous pensez, rêvez, faites l’amour en hébreu,

si vous chantez en hébreu sous la douche, vous êtes "dedans". Même si vous n’avez pas la

moindre larme de "conscience juive", de sionisme, ni d’autre chose. […] Si un écrivain

écrit en hébreu, même s’il écrit du Dostoïevski ou évoque une invasion tartare en Amérique

du Sud, des choses liées à l’hébreu se produiront toujours dans ses histoires. »

Amos Oz, Les deux morts de ma grand-mère1.

A mes collègues de la Grosse Schiffgasse.

1 Editions Folio Gallimard, 1995, p.94.

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Introduction

On aurait souhaité ne pas, comme 90 % des travaux sur les langues, commencer

celui-ci par une référence au mythe de la Tour de Babel. Néanmoins, la tentation est trop

forte, et l’on y cédera bien volontiers.

Dans son livre La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne2,

Umberto Eco étudie le renversement de la lecture du mythe : à partir du XVIIIème siècle, la

différenciation des langues commence à être perçue non pas comme une punition divine,

mais comme un phénomène positif, qui a permis la fixation des groupes humains, la

naissance de l’identité nationale.

Ainsi, au XIXème siècle, l’Etat-Nation se développe et, avec lui, les langues

nationales. La valorisation de la pluralité des langues bénéficie donc exclusivement à celles

qui s’imposent comme langues nationales. L’Etat a le choix entre deux modèles : soit une

langue nationale dominante, auquel cas le problème d’une proximité différente à cette

langue pour tous les citoyens ne pourra être évité ; soit un système respectant les différences

linguistiques et culturelles.

Or, « l’acceptation de plus en plus large de l’idée que le langage est le support

essentiel de notre vision du monde débouche sur la notion de valeur en soi des langues

humaines »3. Il est donc primordial de protéger les langues dans toute leur diversité,

richesse que l’histoire de l’humanité nous lègue. « Chaque langue constitue un certain

modèle de l’univers, un système sémiotique de compréhension du monde, et si nous avons 4

000 modes différents de décrire le monde, cela nous rend plus riches. Nous devrions nous

préoccuper de la préservation des langues de même que nous nous préoccupons de

l’écologie »4.

Cette valeur propre des langues, ce parallèle entre la protection des langues et la

protection de l’environnement est fréquente. « Que penser d’un homme qui emploie le

meilleur de ses forces à sauvegarder une rare espèce de sauterelle et qui, d’un autre côté,

défend l’idée que tout le monde devrait parler anglais pour que le monde entier se

2 Umberto Eco: La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, Edition Seuil, 1994, p. 382 et ss. 3 Henri Giordan: „Les minorités linguistiques en Europe“ in: Identités et Droits des minorités culturelles et linguistiques, Etudes réunies sous la direction de Danièle Vazeilles, Université Paul Valéry, Montpellier, 2000. 4 V.V. Ivanov, cité dans Umberto Eco, 1994, p. 381.

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comprenne d’emblée ? », demande le Romanche Iso Camartin5. Il déplore le fait que cet

irrationalisme soit pourtant assez répandu. Ils sont plus d’un à descendre dans la rue pour la

forêt qui meurt, et à rester chez eux quand c’est l’esprit qui est en danger.

Dans le même ordre d’idée, Ofelia Garcia, professeur de langue à New-York, a

réalisé une intéressante analogie6. Elle part du principe que le monde serait bien ennuyeux

s’il n’y avait qu’une sorte de fleur. La même chose est valable pour les langues. Leur

multiplicité a besoin de planification et de protection. La linguiste propose donc plusieurs

actions. « Adding flowers to the garden » : aujourd’hui presque tout le monde apprend une

deuxième langue, voire une troisième. « Controlling flowers that spread quickly and

naturally »: les langues dont l’importance augmente très rapidement doivent aussi être

contrôlées car elles mettent en danger les langues plus petites. Enfin, « Protecting rare

flowers » : avec l’éducation, la législation, avec une politique linguistique adaptée, on peut

protéger, sauver les langues menacées.

C’est là le point le plus important. En Europe 50 Milions de citoyens parlent une

langue autre que la langue officielle de leur Etat7. Plus de la motié des langues du monde ne

sont parlées que par quelques milliers d’individus. On estime qu’environ 2 000 langues ont

moins de 1 000 locuteurs8.

Les langues en danger sont donc naturellement les langues minoritaires. Il est

nécessaire de les protéger, et le droit d’obtenir un enseignement dans une langue qui n’est

pas en position dominante contribue grandement à cette sauvegarde. L’objet de notre

mémoire sera, après avoir prouvé l’existence d’un tel droit dans les régions étudiées, deux

Länder autrichiens et une province italienne, de démontrer qu’à la protection des membres

de la minorité, s’ajoute une protection de la langue en elle-même, phénomène ignoré en

grande partie par la doctrine.

On cherchera d’abord dans cette introduction à définir l’objet essentiel de notre

travail : la langue minoritaire. Ensuite, on démontrera l’importance primordiale de

l’enseignement dans cette protection. Enfin, il est nécessaire de justifier le choix des régions

géographiques étudiées et de préciser leur évolution historique.

5 Iso Camartin: Rien que des mots? Plaidoyer pour les langues mineures, Editions Zoe, 1986, p. 251. 6 Cité dans Andra Zorka Kinda-Berlakovich: Die kroatische Unterrichtssprache und das zweisprachige Pflichtschulwesen der burgenlandischen KroatInnen, Dissertation zur Erlangung des Doktorgrades, Universität Wien, März 2002. 7 Gabriele Thiem: Europaische Sprachenrecht und italienische Schulpraxis. Ein Spannungsverhältnis, Diplomarbeit, Universität Wien, 2003, p. 50. 8 Hans Störing: Abenteuersprache. Ein Streifzug durch die Sprachen der Erde, Verlag Humboldt, Berlin, 1992.

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I Le concept de langue minoritaire Une première approche, sommes toutes fort logique, pourrait consister à considérer

qu’une langue minoritaire est celle parlée par une minorité linguistique. Il faut alors

tenter de définir ce concept (A). D’autre part, on peut s’efforcer de définir la langue

minoritaire en elle-même (B).

A Tentative de définition de la minorité

linguistique

La langue étant souvent une caractéristique de la minorité, le problème revient à

celui de définir le concept de minorité. Or, cela est, de l’avis de tous, impossible. Selon

François Rigaux, une définition universelle est impossible, il faut se contenter d’un

jugement d’espèce9. Le rapporteur spécial de la sous-commission de la lutte contre les

mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Francesco Capotorti, arrive à

la même conclusion10. Les situations sont trop variées pour qu’une définition soit

susceptible de recueillir l’adhésion générale. Selon lui, le débat consiste seulement sur la

possibilité de restreindre ou élargir un noyau objectif inaliénable. La définition qu’il

propose tente donc de réunir les éléments acceptés par la grande majorité des Etats. Une

minorité serait un « groupe numériquement inférieur au reste de la population d’un Etat,

en position non dominante, dont les membres – ressortissants de l’Etat – possèdent du

point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de

celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de

solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur

langue »11.

Cette définition contient donc quatre éléments objectifs (caractéristiques

différentes du reste de la population, infériorité numérique, position sociale non-

dominante, nationalité de l’Etat) et un élément subjectif : le désir manifesté par les

membres du groupe de préserver leurs caractères propres.

9 François Rigaux: Mission impossible: la définition de la minorité, in: R.Tr.D.H. 1997, pp. 155-175. 10 Francesco Capotorti, Rapport sur les droits des personnes ppartenant aux minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, Publication des Nations-Unies, 1977. Numéro de vente : F.91.XIV.2, pp. 101 et ss. 11 Capotorti, p.102 § 568.

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Erik Allardt distingue également différents critères fondamentaux pour

l’existence d’une minorité linguistique12. Tous les membres ne doivent pas présenter

toutes ces caractéristiques, mais au moins certaines d’entre elles. Il s’agit d’abord de

l’auto-identification, qui s’oppose à la catégorisation externe effectuée par l’Etat. Vient

ensuite l’ascendance commune, qui n’est pas une condition nécessaire pour

l’appartenance au groupe, mais pour le groupe lui-même. Troisièmement, des traits

linguistiques, ou culturels et historiques liés à la langue. C’est ce qui permet à la minorité

de se distinguer des groupes environnants. Enfin, l’organisation sociale de l’interaction

des groupes linguistiques doit placer le groupe en question en position minoritaire.

L’existence d’une minorité ne saurait en effet se réduire à des critères purement

linguistiques. Il faut une soumission sociale reposant sur des facteurs tels que la

puissance militaire, le pouvoir politique ou encore la domination économique et

l’importance numérique.

Ce dernier point est intéressant. En effet, si l’on a émis l’hypothèse qu’une langue

minoritaire pouvait se définir comme celle parlée par une minorité linguistique, il semble

que l’inverse ne soit pas vrai. Ce serait oublié qu’une « langue minoritaire » ne se définit

pas non plus uniquement linguistiquement. Mais nous reviendrons plus tard sur ce point.

N’anticipons pas.

Certains intruments internationaux s’efforcent également de définir la minorité.

L’objet de notre travail n’étant pas de faire un relevé de toutes les définitions13, nous

contenterons de celle, plus proche de notre sujet, proposée par la charte européenne des

langues régionales ou minoritaires. Une définition peut en effet être déduite de l’article

1er a) i) et ii) : une minorité linguistique serait un groupe de personnes parlant des

langues régionales ou minoritaires qui sont « pratiquées traditionnellement sur un

territoire de l’Etat », « ressortissants de l’Etat » mais constituant un « groupe numérique

inférieur au reste de la population » et dont les langues sont « différentes de la (des)

langue(s) officielle(s) de cet Etat ».

Même si les situations minoritaires diffèrent beaucoup dans chaque cas d’espèce,

il semble que, plus spécialement sous l’aspect qui nous intéresse, à savoir les minorités

linguistiques, un noyau dur soit discernable. Une minorité linguistique est formée par un

12 Erik Allardt : « Qu’est-ce qu’une minorité linguistique ? », in : Les minorités en Europe, sous la direction d’ Henri Giordan, Editions Kiné, 1992, pp.45 et ss. 13 Pour un aperçu assez vaste des définitions internationales, voir Barbara Wilson : La liberté de la langue dans l’enseignement. Etude de Droit international et de Droit suisse. Thèse de Licence et de Doctorat, Université de Lausanne. Editions Helbing & Lichtenhahn, Bâle-Genêve-Munich, 1999, pp. 198 et ss.

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groupe d’individus parlant une langue minoritaire. C’est là une affirmation qui

ressemble à un pléonasme. Toute minorité est-elle une minorité linguistique ? La langue

est un des critères de la minorité, comme le montre la définition de Capotorti. Dans notre

étude, seul ce critère retiendra notre attention, au détriment d’autres tels la culture ou la

religion. Bien souvent, toutes les caractéristiques d’une minorité, ainsi que son histoire,

sont liées à sa langue. Il s’agit du facteur déterminant de son identité. Nous préciserons

plus loin ce qu’est une langue minoritaire. Considérons ici que la minorité linguistique

doit parler une langue autre que celle de la majorité de la population.

Ce groupe doit de plus avoir un attachement géographique et historique avec

l’Etat et plus précisément le territoire où ils résident. On ne saurait en effet exiger d’un

Etat qu’il apporte une protection effective à tout groupe s’installant brièvement sur son

territoire. Par contre, la nationalité de l’Etat, preuve de cet enracinement, et exigée dans

la quasi-totalité des textes, ne nous semble pas être un critère nécessaire à la qualité de

minorité linguistique. Ce problème se pose peu en pratique puisque les minorités

durablement implantées bénéficient souvent de la nationalité de l’Etat. Nous reviendrons

plus loin sur ce point.

La minorité linguistique doit-elle forcément constituer un groupe

numériquement inférieur au reste de la population ? Cela paraît évident, un groupe

majoritaire ne pouvant être désigné comme une minorité. Cela nous amène pourtant au

problème des minorités dites « régionales ». Il s’agit de la situation d’une population

majoritaire sur le territoire national, mais minoritaire dans un Etat fédéré, une région, une

province où l’on parle une autre langue. C’est le cas, par exemple, des anglophones au

Québec, des germanophones dans le canton du Tessin ou encore des italophones dans la

province de Bozen. La question qui se pose est de savoir si ce groupe doit bénéficier de

la protection accordée aux minorités. Le comité des droits de l’Homme a répondu par la

négative. Selon lui, l’article 27 du Pacte II14 s’applique à l’échelle des Etats qui ratifient

le pacte, et pas dans une province. Pour Barbara Wilson15, « une communauté

linguistique minoritaire sur le plan national a un intérêt indiscutable à protéger sa langue

et son existence d’un afflux d’immigrés réclamant le droit de recevoir une éducation

dans une langue déjà enseignée extensivement sur l’ensemble du territoire ». Elle estime

donc qu’ « une mesure limitant les droits des personnes appartenant à une majorité

14 « Les personnes appartenant à des minorités ne peuvent être privées du droit (…) d’employer leur propre langue ». 15 Barbara Wilson, op. cit., pp.209-214.

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nationale, qui constitue une minorité dans une région de l’Etat, serait proportionnée au

but poursuivi, à savoir la protection de la minorité nationale sur son propre territoire ».

Nous nous permettons de nous opposer à ce point de vue, et de préconiser la

défense de la minorité « régionale » en se fondant sur le principe de réciprocité, c’est à

dire l’égalité des droits des personnes appartenant à des minorités, où qu’elles se

trouvent et quelle que soit la taille du groupe sur le plan national. Il est possible de

protéger une langue sans l’imposer aux autres, de tirer profit d’une telle situation en

favorisant la paix linguistique plutôt qu’une sorte de tyrannie protectrice. L’important est

de déterminer si la langue est menacée, pour savoir si une protection doit être mise en

place. Cela nous renvoie à l’importance de la langue en tant que telle, sa primauté sur la

minorité. Mais terminons notre définition de la minorité linguistique.

Il semble donc que, plus que l’importance numérique du groupe, son degré

d’oppression sociale soit un facteur déterminant. Si une minorité numérique est au

pouvoir, c’est bien la majorité quantitative qui mérite l’appelation de minorité,

notamment linguistique, au sens où nous l’entendons. La minorité ne doit pas être en

mesure d’imposer sa volonté.

Il importe ensuite d’étudier s’il existe une limite inférieure à partir de la quelle un

groupe n’est plus reconnu comme minorité linguistique.A notre avis, cet aspect

quantitatif n’a pas d’influence sur l’existence de la minorité en tant que telle,

contrairement à ce que suppose Barbara Wilson16, mais sur le fait qu’elle puisse jouir ou

non de certains droits. Si une minorité se compose d’un nombre trop réduit de personnes,

on ne pourra exiger de l’Etat qu’il prenne certaines mesures, mais cela ne signifie pas à

notre sens, l’absence de qualité de « minorité ». En effet, le principe de proprtionnalité

est primordial dans la protection des minorités. Les textes prévoyant la défense des

minorités linguistiques, notamment dans le cadre de l’enseignement, tiennent compte de

la proportion entre l’effort à accomplir pour l’Etat et le bénéfice qui en découle. Nous

reviendrons plus loin sur ce point.

Enfin, il nous apparaît intéressant de distinguer deux types de minorités

linguistiques. Le premier est formé par un groupe de personnes ayant des affinités

linguistiques avec une autre nation. Elles se réclament d’une nation ayant ses assises

dans un autre Etat que celui où la minorité est établie. Il s’agit du cas le plus fréquent,

par exemple les slovènes de Carinthie et de Trieste, ou les hongrois du Burgenland.

16 Barbara Wilson, op. cit., p.205-209.

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Le second représente un groupe vivant sur le territoire d’implantation

historique de sa langue, teritoire appartenant à un Etat plus vaste. On peut parler de

« minorités autochtones ». C’est notamment le cas des Catalans, des Romanches dans le

canton suisse des Grisons et des Ladins dans les Dolomites.

La charte européenne de 92 consacre cette distinction déjà dans son nom :

« charte européenne des langues régionales et minoritaires ».

Quel est l’intérêt de cette distinction ? On peut penser que le premier type de

langue minoritaire est mieux protégé grâce à la présence d’un « Etat-mère » qui peut

jouer un rôle de puissance protectrice et exiger de l’Etat où se trouve la minorité des

mesures spéciales.

Par contre, dans certains Etats le second type de minorité est majoritaire sur son

territoire où règne un sentiment régionaliste très fort. La protection de la langue sera

alors un moyen pour l’Etat de juguler d’éventuelles volontés autonomistes. L’exemple le

plus évident est celui de l’Espagne.

Le cas du Südtirol est intéressant puisqu’il réunit et les deux types de minorités

linguistiques. On a d’abord un peuple originaire d’un autre Etat : les germanophones,

majoritaires dans une région qui appartenait autrefois à l’Autriche. Par ailleurs, une

protection, bien moins importante, est aussi assurée à la minorité ladine, minorité

« autochtone », ne s’appuyant pas sur un « Etat mère ». Nous ferons plus loin dans

l’introduction une description plus approfondie de la situation du Südtirol / Alto-Adige.

Une fois ces divers cas de figure mentionnés, et les divers éléments de définition

justifiés, on peut donc, pour notre étude, considérer les minorités linguistiques comme un

groupe d’individus parlant une langue minoritaire, ayant un attachement historique avec

le territoire où ils vivent, et étant en situation d’infériorité sociale.

Il apparaît ausitôt qu’on ne peut, comme supposé au départ, définir la langue

minoritaire comme la langue parlée par une minorité, puisqu’on a besoin du premier

concept pour définir le second. Il est donc nécessaire de définir la langue minoritaire en

tant que telle.

B Tentative de définition de la langue minoritaire

Notre travail portant sur la protection de la langue minoritaire, il est primordial de

comprendre précisément ce qu’est l’objet de cette protection.

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Pour être minoritaire, une langue doit être privée d’un statut officiel effectif sur

tout le territoire de l’Etat. Par « statut officiel effectif », on entend le fait de pouvoir

utiliser cette langue dans tous les rapports avec l’ensemble des autorités publiques. Ce

premier critère, est certes fort large, mais a le mérite de ne pas éliminer d’emblée des

langues en apparence non-menacée, mais qui le sont en réalité en certains points du

territoire. Ainsi, en exigeant simplement que la langue n’ait pas de statut officiel, on

refuserait le qualificatif de minoritaire à des langues qui le méritent certainement. Par

exemple, le français au Canada mais en dehors du Québec, ou bien le hollandais en

Belgique mais dans la partie Wallone. De plus, une langue peut être minoritaire alors

même qu’un statut officiel ou national lui est assuré sur le seul territoire où elle est

parlée. On pense aux « petites » langues des minorités autochtones, tel le romanche. Qui

oserait lui dénier le caractère de minoritaire ? Ce critère de caractère officiel sera étudié

plus en profondeur dans le mémoire.

La situation minoritaire doit être envisagée au plan national. Ainsi, le catalan, fort

répandu et protégé dans sa région principale est minoritaire en Espagne et doit par

conséquent faire l’objet d’une protection, même en Catalogne où il est en concurrence

avec la langue officielle nationale, le castillan.

Mais dans le cas décrit plus haut de « minorités régionales », les plans national et

régional doivent être tous les deux envisagés. Ainsi, dans la province bilingue italienne

de Bolzano / Bozen, la langue alemande, minoritaire sur le plan national, mais

majoritaire sur le plan régional, et la langue italienne, étant dans la situation inverse,

doivent toutes les deux être protégées.

Il est important de reconnaître de manière large la langue minoritaire. En effet, la

désignation « minoritaire » procède d’une classification binaire, ce qui a pour

conséquence qu’une langue non reconnue comme minoritaire risque d’être considérée

automatiquement comme majoritaire et donc comme n’ayant pas besoin d’une protection

particulière.

Ce dernier point mérite d’être développé. Faut-il considérer « langue minoritaire »

comme le synonyme de « langue en danger » ? Il nous semble que oui, la protection des

langues majoritaires (par exemple celle du français contre « l’invasion anglophone »)

pouvant être louable, mais ne constituant pas un combat pour la survie de la langue.

Toute langue n’ayant pas un statut officiel, ne pouvant être employée dans les

rapports avec la puissance publique sur l’ensemble du territoire d’un Etat est-elle donc

une langue minoritaire devant être protégée ? Cela n’est pas suffisant. De même qu’un

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groupe d’individu a besoin d’une langue pour communiquer, une langue a besoin d’un

groupe de locuteurs. « La condition essentielle pour qu’une langue vive ou revive tient

dans l’acte collectif par lequel une communauté humaine l’affecte d’un investissement

symbolique majeur »17. Henri Giordan rappelle l’exemple révélateur de l’hébreu : vers

1880, des nationalistes juifs proposent qu’il devienne la langue de la nation qu’ils

veulent construire. Or, cette langue avait disparu de l’usage parlé. Elle va pourtant

devenir la langue de tous ceux que l’idéal sioniste rassemble.

Ainsi, si le latin a été une langue illustre, si l’esperanto est une belle idée, cela ne

suffit pas à créer une communauté enracinée dans la volonté de se donner un avenir.

Pour avoir une langue minoritaire dans le sens où on l’entend, c’est à dire une langue

qui, si elle est en danger, est digne de protection, il faut une certaine dimension sociale.

La langue doit jouer un rôle décisif dans l’identité d’un groupe d’individus.

Cela nous amène naturellement à la distinction entre langue et dialecte. C’est là

l’objet d’un vaste débat entre linguistes, qui ne concerne pas notre travail18. Nous ne

chercherons donc pas à savoir si, par exemple, le burgenländisch-croatisch, parlé par les

croates du Burgenland est, d’un point de vue linguistique, une langue à part ou bien un

dialecte ; mais si la minorité se reconnaît spécifiquement dans ce mode d’expression,

auquel cas il constitue une langue minoritaire en tant que telle qu’il faut protéger.

Selon Henri Giordan, il faut nuancer la distinction langue / dialecte. Ainsi, le corse,

« dialecte de l’italien, exprime la volonté d’une société, s’adapte à l’évolution sociale et

technologique contemporaine ». Par contre, « le maintien en vie de dialectes représentant

un état révolu de la société est un but irréalisable et ne présentant pas d’autres intérêts

qu’archéologiques »19.

Toujours d’après Giordan, il existe, en Europe, trois grandes catégories de réalités

linguistiques à côté des langues nationales et officielles20. D’abord, nous venons de les

évoquer, les dialectes. Toutes les langues connaissent une différenciation dialectale plus

ou moins importante. Ensuite, les langues en situation minoritaire : il s’agit du cas d’une

17 Henri Giordan: « Droits des minorités, droits linguistiques, droits de l’homme » in: Les minorités en Europe, op. cit., p.25. 18 Ainsi, selon Ferdinand De Saussure: « Une grande partie de la population se trouve être bilingue, parlant à la fois la langue de tous et le patois local » (Cours de linguistique générale, Editions Payot, Paris, 1937), tandis que d’après A. Martin : « De l’usage ordinaire, est bilingue celui qui est sensé manier avec une égale aisance deux langues nationales ; un paysan du Pays Basque ou du Finistère n’est pas bilingue bien qu’il parle, selon les interlocuteurs, le français ou l’idiome local » (Elements de linguistiques générale, Editions Armand Colin, Paris, 1970). Cités dans Dimitri Tombaidis : Le problème de la langue d’enseignement en Grèce, Thèse de doctorat de troisième cycle, Université René Descartes Paris V, 1975. 19 Henri Giordan, op. cit., p.30. 20 Ibidem, p.27.

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langue nationale dans un Etat, mais parlée par une population située par l’évolution de

l’histoire à l’intérieur des frontières d’un autre Etat. Enfin, il existe des « langues

minoritaires », qu’il décrit comme des langues qui nulle part dans le monde n’occupent

une position dominante dans la société où elles se trouvent. Elles peuvent avoir un statut

de langue officielle (par exemple, le catalan) ou nationale (comme le romanche) sans

pour autant être en position dominante.

Notre définition de la langue minoritaire sera plus vaste. Elle englobe cette dernière

catégorie, que nous nommons « langue autochtone », ainsi que les « langues en situation

minoritaire », et même certains dialectes, si leurs locuteurs se reconnaissent uniquement

en eux, et pas dans la « langue mère ».

Nous considèrerons donc comme langue minoritaire une langue n’ayant pas de statut

officiel garantissant son emploi avec la puissance publique sur tout le territoire de l’Etat

et étant par conséquent en danger, mais étant digne de protection car parlée par un

groupe d’individus définissant leur identité à travers elle21.

Il est évident que les notions de minorité linguistique et de langue minoritaire sont

étroitement liées. Si le groupe de locuteurs de la langue dominait la société dans laquelle

il se trouve, la langue aurait un statut officiel, et ne serait pas en danger.

Bref, une langue minoritaire est parlée par une minorité linguistique. Tous ces

développements n’ont-ils servi qu’à en arriver à cette brillante conclusion ? Ils nous ont

surtout permis de démontrer que la minorité linguistique n’était pas tout, mais que la

langue en elle-même a aussi son importance, élément essentiel pour comprendre notre

travail.

Nous avons vu qu’il était essentiel de protéger les langues minoritaires. Or, dans cet

objectif, l’enseignement joue un rôle primordial.

II L’importance de la langue d’enseignement dans la protection de la langue minoritaire

La protection d’une langue minoritaire peut prendre plusieurs formes. Dans le cadre

des relations avec la puissance publique, on peut s’intéresser à l’emploi de la langue

devant les tribunaux et les autorités, à l’Etat civil (par exemple, la possibilité de voir

21 Précisons ici une évidence: les expressions “langue minoritaire” et “langue maternelle des membres d’une minorité” sont synonymes.

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reconnaître officiellement les noms de famille dans la langue minoritaire), aux

indications topographiques, etc.

Néanmoins, on a choisi de s’intéresser exclusivement à l’enseignement scolaire.

Ce domaine semble être le plus intéressant, car l’école est le lieu, avec le cadre familial,

où la langue est apprise et perfectionnée. S’ils ne peuvent apprendre leur langue à

l’école, les membres des minorités risquent fortement de perdre l’usage de celle-ci, et

toutes les autres dispositions protectrices deviennent sans objet. En général, les enfants

d’immigrés s’assimilent et introduisent dans le foyer familial la langue qu’ils parlent à

l’école. Celle-ci est souvent mieux maîtrisée, elle remplace progressivement la langue

maternelle.

Dans son rapport, Capotorti souligne l’influence déterminante de l’enseignement

dans la langue maternelle pour que la minorité puisse conserver et développer ses

caractéristiques, sa cultures et ses traditions22. La langue étant un élément indispensable

de la culture et de l’identité du groupe, la minorité voit son existence menacée si aucun

enseignement n’a lieu dans la langue maternelle de ses membres.

Enfin, l’enseignement présente un intérêt particulier du fait que, contrairement à la

plupart des services administratifs, il ne consiste pas en des relations ponctuelles entre

l’Etat et le citoyen, mais plutôt en des relations répétées et continues. De plus, ces

relations sont basées sur la langue. La communication linguistique, comme souvent mais

plus qu’ailleurs, y tient une place centrale.

Trois précisions s’imposent ici. D’abord, on traitera dans ce travail uniquement de

l’enseignement en langue minoritaire, et pas de la langue minoritaire23. On ne peut en

effet mettre sur le même plan de simples cours de langue et un enseignement dans la

langue. Le résultat n’a rien à voir sur le plan linguistique. De même, d’un point de vue

juridique, le problème est bien moins intéressant. Il n’y a rien d’extraordinaire à pouvoir

suivre quelques heures par semaine des cours de croate plutôt que d’anglais. Cela ne

demande qu’une mince adaptation du programme scolaire, et ne constitue qu’une faible

prise en compte des minorités linguistiques.

Ensuite, on axera essentiellement notre travail sur l’école primaire, ce qui ne nous

interdira pas de nombreuses remarques sur les autres étapes du cursus scolaire.

Néanmoins, l’école primaire nous semble être l’étape la plus intéressante du point de vue

22 Francesco Capotorti, op. cit., p.87. 23 La langue allemande offre une belle opposition entre ces deux notions. Elle permet de distinguer entre l’ Unterrichtssprache et la Sprachenunterricht.

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de la langue d’enseignement, car la jeune enfance est une époque primordiale pour

l’acquisition de la langue. Dans ce sens, le jardin d’enfant a aussi un rôle important, mais

il est facultatif, l’école obligatoire ne commençant qu’avec l’école primaire.24

Enfin, il nous semble plus intéressant de nous consacrer à l’étude du système

d’enseignement public. Le droit pour les minorités linguistiques d’ouvrir leurs propres

écoles privées, fonctionnant dans leurs langues, est peu contraignant pour l’Etat. Il

n’entraîne pour lui qu’une obligation négative : l’ommission de tout acte empêchant la

création de telles écoles. Il doit par ailleurs exercer un certain contrôle pour éviter que

l’enseignement soit d’un niveau inférieur à celui délivré dans les institutions scolaires

publiques25.

L’enseignement public en langue minoritaire, lui, oblige l’Etat a une action positive,

puisqu’il doit modifier le système scolaire, prévoir des aménagements à l’organisation

principale.

De plus, le droit d’ouvrir des écoles privées n’est en rien propre aux minorités

linguistiques, ce qui diminue encore son intérêt pour notre étude. Ce droit, lorsqu’il est

reconnu, est reconnu à tous, sous certaines conditions26. En ce qui concerne l’Autriche, la

formulation de l’article 67 du Traité de Saint-Germain27 illustre on ne peut mieux le

manque d’originalité de ce droit pour les minorités : « Les ressortissants autrichiens,

appartenant à des minorités ethniques, de religion ou de langue, jouiront du même

traitement et des mêmes garanties en droit et en fait que les autres ressortissants

autrichiens. Ils auront notamment un droit égal à créer, diriger et contrôler à leurs frais

des institutions charitables, religieuses ou sociales, des écoles et autres établissements

d’éducation, avec le droit d’y faire librement usage de leur propre langue et d’y exercer

librement leur religion » (c’est nous qui soulignons). Les minorités linguistiques ont

donc le droit de créer des écoles privées, tout comme l’ensemble des citoyens

autrichiens. En revanche, le droit d’obtenir, dans les écoles publiques, un enseignement

24 En Italie, la réforme scolaire de la loi d’Etat Nr. 30 du 10 février 2000 prévoyait d’étendre l’école obligatoire à la dernière année du jardin d’enfant. Mais suite à la défaite électorale de la coallition de l’Olivier, le nouveau gouvernement Berlusconi empêcha l’entrée en vigueur de la réforme. 25 Francesco Capotorti, op. cit., p.88. Par exemple, l’article 7 alinéa 4 de la Loi Fondamentale allemande impose à l’Etat d’exercer un contrôle pour vérifier le respect de cette exigence. 26 Ainsi, en France, des conditions de moralité doivent être remplies. En Autriche, l’état matériel de l’établissement peut mener à une interdiction. En Grêce, une autorisation préalable de l’autorité publique est recquise. Source : Table ronde : L’Ecole, la Religion et la Constitution, A.I.J.C., XII, 1996, p. 151-273. 27 Notons d’ors-et-déjà que cette disposition a un rang constitutionnel. Nous étudierons plus loin en détail ce Traité.

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dans une langue différente de celle utilisée en principe est, par essence, un droit prévu

spécialement à l’attention des minorités linguistiques.

Ce droit est garanti dans de nombreux Etats. Néanmoins, nous avons choisi de nous

intéresser à deux d’entre eux, et plus précisément à certaines de leurs régions

uniquement. Il s’agit à présent de justifier ce choix.

III Intérêt et présentation des régions étudiées Notre étude portera sur deux Länder autrichiens, la Carinthie (Kärnten) et le

Burgenland, ainsi qu’une région italienne, le Trentin-Haut-Adige28, et plus précisément

la province de Bozen/Bolzano, qui en fait partie. Ce choix se justifie par le peu de

travaux sur le même sujet que le notre dans ces régions (A) et par la diversité des

situations (B), qu’on ne peut comprendre sans un rappel historique(C).

A L’état de la doctrine

Le premier de ce choix géographique découle du peu de travaux traitant de ces

régions29. En ce qui concerne le Burgenland et la Carinthie, l’enseignement en langue

minoritaire est l’objet de nombreuses études, mais presque uniquement sous un aspect

plus linguistique ou pédagogique30 que juridique. Un juriste s’est tout de même

spécialisé dans le domaine des droits linguistiques des minorités autrichiennes. Il s’agit

du professeur Dieter Kolonovits de l’université de Vienne. Ses travaux n’ôtent cependant

pas son intérêt au notre. En effet, son excellent ouvrage général31 laisse la porte ouverte à

un approfondissement sur le thème de l’enseignement. Il a également rédigé une étude

consacrée à l’étude de la nouvelle loi sur l’enseignement dans le Burgenland32. Cet

ouvrage contient de plus des éléments comparatistes avec la situation en Carinthie.

Néanmoins, l’auteur se contente de décrire et expliquer -brillamment- le droit positif,

28 En italien, cette région s’appelle Trentino-Alto-Adige, et en allemand Trentino-Südtirol. 29 Nous employons ici le terme „région“ dans un sens géographique, c’est à dire un espace supra-local et infra-national. Cette appellation vise à regrouper sous un même nom les Länder autrichiens ainsi que la région et la province italiennes étudiés. 30 C’est le cas notamment de Gabriele Thiem : op. cit. ; de Andra Zorka Kinda-Berlakovich : op. cit., de Theodor Domej (Hrsg.) : Das Jahr danach, Beiträge und Dokumente zum ersten Geltungsjahr des Kärntner MindSchGes, Drava Verlag, Klagenfurt/Celovec, 1988. 31 Dieter Kolonovits: Sprachenrecht in Österreich, Manz, 1999. 32 Dieter Kolonovits: Minderheitenschulrecht im Burgenland, Manzsche Verlags- und Universitätsbuchhandlung, Vienne, 1996.

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tandis que nous le comparerons avec le système d’une région d’un autre Etat afin de

mettre à jour le véritable sens de la protection garantie par ce droit.

Le système linguistique du Südtirol fait l’objet de nombreuses études, mais le

problème est le même qu’en Autriche, à savoir que les travaux juridiques ne se

concentrent pas sur l’enseignement, tandis que les travaux spécifiques sur le système

éducatif sont de nature linguistique ou pédagogique33. Il existe également un ouvrage

historique sur l’enseignement germanophone dans le Südtirol34.

L’ensemble des travaux juridiques sur l’enseignement en langue minoritaire insiste

sur la protection que ce droit assure aux minorités. Notre travail n’entend pas negliger ce

point, mais souhaite également faire apparaître que la langue en tant que telle fait aussi

l’objet d’une protection, aspect négligé par les recherches existantes.

Pour ce faire, il nous a semblé intéressant de comparer les systèmes en vigueur dans

trois régions situées dans deux Etats. Les études comparatistes de ce style sont rares. En

effet, les travaux existants se répartissent en deux groupes : soit une analyse d’un grand

nombre de systèmes, ce qui a le mérite d’augmenter le nombre des exemples, mais au

détriment d’une analyse approfondie35 ; soit une étude se réduisant à un seul cas, ce qui

permet une recherche poussée mais ôte au travail la valeur ajoutée comparatiste, qui

permet de mieux comprendre le problème et de dépasser le cas particulier.

Il existe tout de même un ouvrage consacré à la comparaison des droits linguistiques

des minorités en Autriche et en Italie36. Ce travail contient une partie sur l’enseignement.

Mais l’auteur se contente de décrire les différents systèmes en vigueur, sans réellement

les comparer.

Mais le fait qu’ils aient été peu étudiés sous l’angle qui nous intéresse n’est bien sûr

pas la seule raison du choix des systèmes normatifs qui feront l’objet de notre travail.

Les régions choisies présentent de nombreux autres intérêts.

33 C’est par exemple le cas de Marlene Ladurner: Zweitsprachenunterricht in Südtirol, Thèse à l’université de Vienne, 1998. 34 Rainer Seberich: Südtiroler Schulgeschichte, éditions Raetia, 2000. 35 Ainsi, Capotorti, dans son rapport déjà cité, fait-il un « tour du monde » des droits reconnus aux minorités linguistiques dans l’enseignement. 36 Güther Rautz: Die Sprachenrechte der Minderheiten. Ein Vergleich zwischen Österreich und Italien, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1999.

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B Des situations fort différentes

« On ne peut comparer que ce qui est comparable ». Certes. Mais si les objets de la

comparaison sont trop semblables, celle-ci perd de son intérêt. Les régions que nous

avons choisi d’étudier sont fort différentes les unes des autres, bien qu’elles aient un

important point commun : la présence de minorités linguistiques reconnues, et la mise en

place d’un droit à l’enseignement public dans leur langue.

L’introduction n’est pas le lieu pour comparer les modalités de ce droit dans les

différentes régions. Ce sera en partie l’objet de notre travail. Nous nous intéresserons ici

aux caractéristiques démographiques et administratives des régions étudiées. En effet, le

droit est le produit de différents facteurs tels l’histoire, la composition de la société ou

même le climat. Il ne nous appartient pas, dans un travail juridique, d’étudier l’influence

de facteurs non-juridiques sur la formation des normes. Néanmoins, pour bien

comprendre notre étude, il est important de décrire un minimum les régions dont nous

allons étudier les systèmes juridiques.

a Le Burgenland et la Carinthie

Dans les erticles et les ouvrages portant sur les « droits linguistiques des

minorités »37, quelques Etats jouent le rôle de « vedettes » : ils font l’objet de l’immense

majorité des travaux38. Au premier rang se trouvent sans hésiter le Canada et l’Espagne.

Les études sont aussi nombreuses sur la Suisse ou l’Italie. Mais un Etat n’apparaît

presque pas, en dehors des recherches de ses nationaux : il s’agit de l’Autriche.

C’est une situation étonnante, car l’Autriche a sur son territoire de nombreuses

personnes appartenant à des minorités linguistiques, et elle leur a reconnu des droits

depuis fort longtemps, notamment dans le domaine de l’enseignement.

Il est difficile de déterminer le nombre exact des membres de minorités

linguistiques. Les recensements, dans lesquels on demande également la langue

vernaculaire (Umgangssprache)39 de l’individu, sont sensés permettre de déterminer la

composition démolinguistique de l’Etat. Mais les minorités se méfient de tels sondages,

37 Nous employons ici cette expression dans la mesure où la plupart des travaux dont nous traitons ici nomment leur sujet ainsi. Nous verrons plus loin que cette appellation est abusive. 38 Nous ne prétendons pas ici avoir pris connaissance de l’ensemble des travaux mondiaux sur le sujet. Il s’agit seulement d’une impression générale à l’issue d’une recherche d’un an. 39 Pour le recensement de 1991, la « Umgangssprache » était définie comme la langue utilisée dans le cercle restreint de la famille et des amis.

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souvent utilisés dans le passé pour réduire artificiellement leur nombre et diminuer leurs

droits. Ainsi, en 1976 fut organisé un recensement pour lequel les citoyens autrichiens

devaient communiquer leur langue maternelle. Cela avait pour but l’application de la loi

relative aux groupes ethniques de 1974 (Volksgruppengesetz)40 qui prévoyait que le

gouvernement fixera par règlement les lieux où la signalisation topologique devait être

faite de manière bilingue, ainsi que ceux où les autorités publiques devaient utiliser une

langue de travail supplémentaire. Les lieux concernés devaient être ceux où un « nombre

proportionnellement considérable »41 d’habitants appartenaient à un groupe ethnique

minoritaire. Craignant une manipulation, les représentants des minorités conseillèrent au

boycott. Cet appel fut très suivi, notamment par les croates du Burgenland et les slovènes

de Carinthie42.

On ne peut donc que se contenter d’estimations pour connaître le nombre de

personnes appartenant à des minorités en Autriche, les résultats des recensements étant

peu fiables, à cause de la méfiance des minorités, comme on vient de l’expliquer, mais

aussi de l’éventuelle hostilité à leur égard des commissaires du recensement, ainsi que de

la pression d’assimilation. Il est donc raisonnable de considérer ces résultats comme un

chiffre minimal. Nous présentons ici les résultats du recensement de 199143.

40 Cette loi fut prise à la suite de l’impossibilité d’appliquer la loi sur les panneaux de lieux pour la Carinthie (Ortstafelgesetz für Kärnten). Cette loi de 1972, qui prévoyait l’instauration d’une topographie bilingue dans les lieux habités par au moins 20% de slovènes selon le recensement de 1961, se heurta à une opposition violente des nationalistes germanophones. On nomme cet incident la « tempête des panneaux de lieux » (Ortstafelssturm). 41 Article 2 paragraphe 1 alinéa 2 de la loi. 42 A chaque fois que nous traiterons de « croates », de « hongrois », de « slovènes », etc. , il s’agira en réalité des membres de la minorité croate, hongroise ou slovène. Nous avons recours à cet appelation par simple soucis de simplification. 43 Hormis les Tsiganes, non pris en compte lors du recensement. Le tableau est issu de Jacques Leclerc : « Autriche » in :L’aménagment linguistique dans le monde, Université Laval, Québec, http://www.tlfq.ulaval.ca .

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Groupe Nombre

Pourcentage de la

population totale

Région (% de la minorité)

Croates 29 596 0,4 % Burgenland (64,5 %) Vienne (22, 3%)

Slovènes 20 191 0,3 % Carinthie (73,5 %) Vienne (12,3 %) Styrie (11,4 %)

Hongrois 19 638 0,3 % Vienne (45,4 %) Burgenland (25,3 %) Basse-Autriche (12,1 %) Haute-Autriche (6 %)

Tchèques 9 822 0,1 % Vienne (65,4 %) Basse-Autriche (16,3 %)

Slovaques 1 015 0,02 % Vienne (60,9 %)

Tsiganes 1 000 0,02 % Vienne et Basse-Autriche

Une toute autre estimation est faite par l’Österreichisches Volksgruppenzentrum,

Centre autrichien des groupes ethniques, organisation non-gouvernementale représentant

les minorités. Les prises de position de cet organisme étant très partiales et engagées,

leurs indications factuelles sont à prendre avec la plus grande précaution44, la fin

entraînant parfois quelques négligences plus ou moins volontaires dans la rigueur et

l’honnêteté des moyens. Par conséquent, leurs estimations peuvent être considérées

comme un chiffre maximal45.

Croates 40 000 – 50 000

Hongrois 30 000 – 50 000

Polonais Environ 30 000

Roms (Tsiganes) 10 000 – 20 000

Slovaques 5 000 – 10 000

Slovènes Environ 50 000

Tchèques 15 000 – 20 000

44 Selon le conseil de Mme Edith Mühlgaszner, inspecteur pour l’enseignement minoritaire au conseil scolaire du Land du Burgenland. 45 Österreichisches Volksgruppenzentrum: I am from Austria - Volksgruppen in Österreich, Österreichische Volksgruppenhandbücher Band 11, éditions Hermagoras, Klagenfurt/Celovec, 2001, p.22.

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Ces deux estimations, l’une minimaliste, l’autre maximaliste, nous permettent donc

de nous faire une idée de l’importance numérique des citoyens autrichiens n’ayant pas

l’allemand comme langue maternelle.

Comme cela apparaît clairement sur les deux tableaux, trois minorités ont une

importance numérique nettement supérieure aux autres. Il s’agit d’une part des croates et

des hongrois, essentiellement domiciliés dans le Burgenland, ainsi que des slovènes,

résidant en majorité en Carinthie. Ce sont eux qui joussent des droits les plus importants,

notamment dans le domaine de l’enseignement. Nous consacrerons donc notre étude sur

les dispositions prévues ces trois langues, dans les deux Länder cités.

Les croates vivent essentiellement dans quelques îlots linguistiques tels

Neusiedl/Niuzalj, Eisenstadt/Zeljezno, ou encore Oberpullendorf/Gornja Pulja. Ils ne

constituent nulle part la majorité d’une circonscription. Ils parlent le Burgenländisch-

kroatisch (Croate du Burgenland), langue se différenciant du croate standard par une

forte influence allemande sur le vocabulaire.

Les hongrois forment également des enclaves linguistiques dans le Burgenland. Ils

semblent être plus nombreux à Vienne, mais nous n’étudierons que la situation de la

minorité présente dans le Burgenland, leurs semblables de la capitale ne jouissant

d’aucuns droits. Comme pour les croates, la langue qu’ils parlent diffère de la langue

standard, notamment par l’influence germanique qu’elle a subie.

Enfin, les slovènes vivent dans les Länder de Styrie (Steiermark) et, surtout, de

Carinthie (Kärnten). Ils sont essentiellement regroupés dans le Sud de celle-ci. Leur

langue est, elle aussi, fortement influencée par l’allemand46.

b Le Tyrol du Sud

La situation démographique de cette région d’Italie est fortement différent de la

situation minoritaire « classique ».

La région italienne du Trentin-Haut-Adige est composée de deux provinces : celle de

Trente, et celle de Bolzano / Bozen, qui correspond au Haut-Adige (en italien Alto-

Adige, en allemand Südtirol47), et qui fera l’objet de notre étude.

46 Cerains la nomment Windisch, terme dont le caractère péjoratif est contreversé. Il désigne en effet également les slovènes favorables à l’assimilation. Cf. infra : C b) La Carinthie. 47 Nous emploierons le terme « Südtirol ».

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En effet, dans le domaine de l’enseignement, les compétences sont partagées entre

l’Etat et la province. La région ne joue presque aucun rôle. La répartition des

compétences est prévue dans le statut d’autonomie de 1972.

Le tableau ci-dessous donne la composition de la population du Südtirol, d’après la

déclaration d’appartenance de 200148. Cete déclaration est obligatoire pour tous les

habitants de la province, elle doit être faite tous les dix ans. Les intéressés ont

tout de même le choix entre une déclaration d’appartenance

(Sprachgruppenzugehörigkeitserklärung / Dichiaraziono di appartenenza) et une

déclaration d’attribution (Sprachgruppenzuordnungserklärung / Dichiaraziono di

aggregazione). La différence réside dans l’intensité : tandis que la première exprime une

véritable appartenance, la seconde est moins forte, exprime l’idée que la personne se

reconnaît plutôt dans un certain groupe, sans pour autant vouloir y enfermer son identité.

Groupe linguistique Total Dont

Déclaration

d’attribution49

Allemand 69, 15% 1,92%

Italien 26,47% 2,90%

Ladin 4,37% 3,27%

Il apparaît donc clairement que la population germanophone est majoritaire au sein

de la province du Südtirol50. La langue parlée diffère de l’allemand standard, mais le

Hochdeutsch est utilisé à l’écrit, notamment dans les journaux51 et par l’administration.

Les ladins sont regroupés dans les vallées des Dolomites52, à l’intérieur desquels ils

représentent la majorité de la population. La langue ladine est de la même famille que le

Rhétoromanche parlé dans les Grisons en Suisse.

48 Source: Südtirol in Zahlen / Alto Adige in Cifre, Province autonome de Bozen-Südtirol, Institut de statistique de la province, Bozen, 2003, p.15. 49 Dans cette colonne, on trouvera le pourcentage, parmis les individus s’étant reconnu d’un groupe linguistique, de ceux l’ayant fait au moyen d’une déclaration d’ attribution. 50 Notons que dans la capitale, Bozen / Bolzano, les proportions sont inversées. Ainsi, la population se compose comme suit : 73% d’italophones ; 26,29% de germanophones ; et 0,71% de ladins. Source : Ibidem, p.16. 51 Il existe un quotidien germanophone régional, qui se nomme Dolomiten. 52 Val Badia, Gherdëina, Fascia, Fodom et Cortina de Anpezo.

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Les situations factuelles sont donc fort différentes dans le Burgenland, en Carinthie

et dans le Südtirol. Il importe maintenant de donner un aperçu historique de ces

situations, sans quoi, notre travail manquera d’une base solide. Les normes protégeant les

minorités linguistiques sont en effet le fruit de l’histoire.

C Développement historique de la protection des minorités

et de leur langue dans le cadre de l’enseignement

Les normes règlant l’enseignement des minorités dans les régions étudiées découlent

d’une longue évolution. Seul un rapide aperçu est ici possible. Les histoires des deux

Länder autrichiens sont bien sûr liées, néanmoins nous les étudierons dans deux parties

distinctes, car elles diffèrent fortement l’une de l’autre, et ont eu pour conséquences deux

réglementations séparées.

a Le Burgenland

Les premiers croates émigrent au Burgenland au cours du XVIème siècle53. La

première législation sur l’enseignement les concernant est la ratio educationis édictée par

l’impératrice Marie-Thérèse en 1777 qui prévoit que l’enseignement doit forcément

avoir lieu dans la langue maternelle de l’élève.

Au milieu des année 20 du XIXème siecle, un nationaliste linguistique magyar se

développe. Le Burgenland fait en effet alors partie de la moitié hongroise de l’empire, et

est donc sous le régime du droit hongrois. La langue magyare est renforcée dans les

écoles croates et allemandes de la Hongrie de l’Ouest. Pourtant, le recensement de 1900

indique que dans cette région, 80% de la population ne parle pas le hongrois. Cela

augmente la pression linguistique. La loi scolaire de 1907 prévoit qu’à la fin de la

quatrième classe, tous les élèves doivent maîriser le hongrois parlé et écrit.

Après la première guerre mondiale, le Traité de Saint-Germain-en-Laye de 1919

attribue la Burgenland à l’Autriche. Cette annexion n’a effectivement lieu que deux ans

plus tard avec la loi constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgesetz) du 25 Janvier

53 Cet aperçu historique s’inspire essentiellement de Edith Mühlgaszner: « Minderheitenschulwesen im Burgenland – zwischen Tradition und Vision » in: Mehrsprachigkeit an österreichischen Schulen, Erziehung und Unterricht, Novembre-Décembre 2002, Mayer & Comp., Vienne, p.1211-1227; ainsi que de Dieter Kolonovits: Minderheitenschulrecht in Burgenland, op. cit., p.10-12.

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1921. Les effets sur l’enseignement ne tardent pas : la plupart des écoles deviennent

religieuses. Ainsi, dans les 68 localités croates, on dénombre 58 écoles catholiques.

Les enseignants se voient confrontés à un important problème : un décret autrichien

leur impose de passer un examen de langue allemande. Or, la plupart d’entre eux avaient,

à côté de leur langue maternelle croate, appris le hongrois pendant leur formation. Dans

les 130 classes des localités croates, on dénombre alors 33 professeurs germanophones,

et 97 croatophones. Dans la plupart des écoles, les cours ont lieu en croate le matin, puis

les élèves suivent deux heures de cours d’allemand l’après-midi. Les parents soutiennent

l’apprentissage de l’allemand, garant de l’avenir de leurs enfants, tout en souhaitant que

les connaissances de la langue maternelle soient renforcées.

En 1936, une loi de principes fédérale (Bundesgrundsatzgesetz) prévoit que

l’allemand sera la langue d’enseignement en Autriche. Cette loi est appliquée dans le

Burgenland par la loi scolaire du Land Burgenland (burgenländisches

Landesschulgesetz) de 1937. Cette loi prévoit une langue d’enseignement différente

selon le pourcentage de la population appartenant à une minorité. L’enseignement doit

donc avoir lieu soit en allemand, soit de manière bilingue, soit dans la langue minoritaire

(croate ou hongrois), selon que la minorité représente moins de 30%, entre 30 et 70%, ou

plus de 70% de la population dans la circonscription de l’école.

Cette loi se révèla difficile d’application, et le niveau en croate des enfants de la

minorité diminua de manière importante.

En 1955, l’article 7 du Traité de Vienne donne explicitement aux minorités croates

et slovènes des Länder du Burgenland, de Carinthie et de Styrie, le droit à

l’enseignement en langue maternelle. Mais cela n’eut aucun réel effet sur la situation

dans le Burgenland. Les parents, les professeurs et les représentants des minorités firent

de plus en plus entendre leurs revendications.

Cela aboutit à la loi scolaire relative aux minorités pour le Burgenland

(Minderheitenschulgesetz für Burgenland)54 de 1994, loi fédérale, qui apporta des

modifications essentielles, garantissant réellement l’enseignement en langue hongroise et

croate dans le Burgenland. Nous n’entrerons pas ici plus en profondeur, puisque ce sera

en partie l’objet de notre tavail.

54 C’est de cette loi qu’il s’agit lorsque nous citons, dans notre travail, la „loi pour le Burgenland“. Nous ne la nommons pas « loi du Burgenland » pour éviter toute confusion : cette loi est une loi fédérale, visant le Burgenland, et non pas une loi du Land.

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26

b La Carinthie

Des populations slovènes sont implantées en Carinthie depuis la fin du Vième

siècle55. Au milieu du XIXèmè siècle, un tiers des habitants du Land étaient de première

langue slovène. Le processus d’homogénisation est pourtant fort, en raison de

l’importance du camp nationaliste allemand qui a pour objectif avoué une assimilation

rapide et complète du groupe slovène. Au cours de la seconde moitié du XIXème siecle,

une partie des slovène fût séduite par ce mouvement politique. On les appela d’abord les

« slovènes germanophiles » (deutschfreundliche Slowene) puis, dans la première moitié

du XXème siècle, les « Windisch », du moment qu’ils ne se déclarent pas tout

simplement « Allemands ». Ils s’opposent à l’émancipation slovène, à l’égalité de leur

langue dans la vie publique et agissent dans ce sens sur le développement de la scolarité

du groupe dans les territoires d’implantation.

En 1919, le Taité de Saint-Germain garantit dans son article 68 qu’ « en matière

d'enseignement public, le gouvernement autrichien accordera, dans les villes et districts

où réside une proportion considérable de ressortissants autrichiens de langue autre que la

langue allemande, des facilités appropriées pour assurer que dans les écoles primaires

l'instruction sera données dans leur propre langue aux enfants de ces ressortissants

autrichiens ».

Pourtant, la situation des slovènes de Carinthie va empirer après 1920, lorsque

l’Autriche se considère comme une Etat « nationaliste allemand », et que la Carinthie

décide d’intensifier sa politique dans ce sens.

Lorsqu’au référendum de 1920, les slovènes habitant des territoires de Carinthie se

prononcent pour rester en Autriche, les institutions scolaires sont entièrement soumises

au service de l’assimilation linguistique. Le personnel d’enseignement qui subsiste est

presque exclusivement composé d’adversaires de la langue et culture slovène.

Lors de l’époque nationale-socialiste (1938-1945), le slovène est complètement

banni de l’école. Selon Theodor Domej, les nazis au pouvoir en Autriche aspirent à la

« solution de la question carinthienne ». L’emploi de la langue slovène est considéré

comme hostile à l’Etat et est intetdit, même dans la sphère privée.

55 Le développement historique suivant s’appuie en grande partie sur Theodor Domej : « Das Minderheiten-Schulwesen in Kärnten : gestern, heute und morgen » in : Mehrsprachigkeit an österreichischen Schulen, op. cit., p.1242-1267.

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27

Au lendemain de la guerre, les plus hauts représentants du Land se mettent

d’accord sur un compromis historique avec la minoité slovène. Le 29 Août 1945, le

gouvernement provisoire prend la décision de principe de travailler à une réglementation

scolaire reconnaissant un enseignement bilingue dans les écoles d’un territoire du Sud de

la Carinthie qui sera plus nettement précisé ultérieurement. Cela est conçu comme une

« collaboration à la réparation de l’injustice commise pendant la guerre conte les

slovènes de Carinthie », comme le déclare le Conseil scolaire du Land (Landesschulrat)

le 9 Novembre 1945.

Le reglement relatif aux écoles primaires bilingues dans le territoire du Sud de la

Carinthie (Verordnung der zweisprachigen Volksschulen im südlichen Gebiet

Kärntens)56 entre donc en vigueur pour l’année scolaire 1945/46. Il prévoit, dans les

territoires considérés comme historiquement peuplés de slovènes, un enseignement

bilingue pour tous les élèves lors des trois premières années, puis à partir de la

quatrième, l’allemand devient l’unique langue d’enseignement et le slovène est enseigné

comme matière.

Ce règlement va être vigoureusement combattu par le camp nationaliste, lequel

compte dans ses rangs de nombreux professeurs. Leurs protestations et leur obstruction à

l’application du règlement aboutiront à l’autorisation pour les représentants légaux des

élèves de les désinscrire de l’enseignement bilingue ou, selon les cas, des cours de

slovène.

En 1959, la loi scolaire relative aux minorités pour la Carinthie

(Minderheitenschulgesetz für Kärnten)57 introduit le principe de l’inscription, nécessaire

avant tout enseignement bilingue.

Le débat atteint un nouveau sommet dans les années 80. Le Kärntner

Heimatdienst, mouvement politique descendant du nationalisme allemand, est à la tête de

la lutte contre l’enseignement aux minorités. Il exige l’institution d’écoles primaires

séparées. « Des enseignants allemands pour des enfants allemands ! »58 constitue son

cheval de bataille. Il obtiendra partiellement gain de cause avec la révision de 1988 qui

institue un système de professeurs séparés.

L’histoire des slovènes de Carinthie se caractérise donc, par comparaison aux

minorités du Burgenland, par l’hostilité dont ils ont été la cible à travers le temps. Encore

56 La traduction exacte du terme Volksschule est « école populaire » Néanmoins cette institution correspondant aux écoles primaires françaises, nous emploieront ce second terme. 57 C’est de cette loi qu’il s’agit lorsque, dans notre travail, nous traitons de la „loi pour la Carinthie“. 58 « Deutsche Lehrer für deutsche Kinder! »

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aujourd’hui, le parti politique le plus important du Land ne se caractérise pas par sa

sympathie envers le groupe slovène.

Mais les esprits changent tout de même et, même en Carinthie, la polyglotie

gagne de plus en plus en reconnaissance et en prestige.

Une des nombreuses autres minorités linguistiques a avoir été attaquée pendant la

domination du fascisme en Europe est celle des germanophones du Südtirol. Leur

histoire est également passionante.

c Le Südtirol

Le Südtirol, province de l’empire des Habsburg, est rattaché à l’Italie en 1919.

Sous la domination de Mussolini, la langue allemande est interdite, les noms sont

italianisés, et l’immigration d’italiens du Sud est fortement favorisée. Pourtant,

l’enseignement de la langue allemande continue en cachette, dans les catacombes59.

La « longue hisoire de l’autonomie de Südtirol »60 commence après la seconde

guerre mondiale, lorsque l’Autriche et l’Italie signent, le 5 Septembre 1946 à Paris une

convention (appelée Accord De Gasperi-Gruber, du nom du Ministre-Président italien et

du ministre des affaires étrangère autrichien, signataires du texte). Ce texte, annexé au

Traité de paix entre l’Italie et les alliés du 10 Février 1947, prévoit notamment, pour les

citoyens de langue allemande de la province de Bolzano et des communes voisines

bilingues de la province de Trento « l’enseignement primaire et secondaire dans leur

langue maternelle ».

Le statut spécial de la région autonome de Trentino-Südtirol, voté le 26 Février

1948 n’applique pas de façon satisfaisant la convention. En effet, les compétences ne

sont pour l’essentiel pas transférées à la province, mais à la région regroupant les deux

provinces de Bozen et de Trente, qui se compose d’une majorité d’italophones. De plus,

le minuscule transfert de compétences à la province reste sans effet, les nécessaires

dispositions d’application n’étant pas prises61.

Les germanophones protestent de plus en plus vigoureusement, parfois avec

violence. Le 17 Novembre 1957, environ 35 000 personnes se rassemblent devant le

59 Cf. Rainer Seberich: Südtiroler Schulgeschichte, op. cit. 60 Lukas Bonell et Ivo Winkler: Südtirols Autonomie, Südtirole Landesregierung, Bozen, 2002, p.13. 61 Ibidem.

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château de Sigmundskron pour demander plus de droits, et s’opposer à la politique du

gouvernement italien à leur égard62.

Le ministre des affaires étrangères, Bruno Kreisky, voit dans le problème du

Südtirol un problème de toute l’Autriche, une occasion d’affirmer l’Autriche comme une

nation à part entière, certes ayant de forts liens avec l’Allemagne, mais distincte d’elle.

Pour faire fléchir l’Italie, qui maintient agir conformément à l’accord De Gasperi-

Gruber, Kreisky décide de s’adresser directement à l’Organisation des Nations Unies, où

siègent de nombreuses nations qui savent ce que « oppression » signifie63.

En 1960, l’assemblée générale prend une première résolution qui incite l’Autriche

et l’Italie à trouver une résolution pacifique à ce conflit64. Les négociations qui débutent

à Zurich le 14 Juin 1961 ne donnent aucun résultat, ce qui incite l’ONU à prendre une

nouvelle résolution semblable à l’Automne 196165.

Une commission de 19 experts des deux pays est instituée par le gouvernement

italien. Un ensemble de mesures destinées à une meilleure application de l’accord De

Gasperi-Gruber est préparé (le « Paquet »). Ce texte est accepté par les deux pays en

1969. Un nouveau statut d’autonomie est ensuite mis en place avec la loi

constitutionnelle du 10 Novembre 1971, puis un décret présidentiel du 30 Août 1972.

La province de Bozen dispose désormais d’un grand nombre de compétences,

notamment dans le domaine de l’enseignement66. Son autonomie sera encore élargie en

1992, année où l’Autriche signalera le règlement du conflit à l’ONU. Enfin, la révision

constitutionnelle italienne de 2001 a donné davantage de pouvoir au Südtirol.

Ainsi, la protection maximale dont jouissent la langue allemande et ses locuteurs

dans le Südtirol est le fruit de Traités internationaux et de l’exercice de son rôle de

puissance protectrice par l’Autriche.

62 Le lendemain, le journal germanophone Dolomiten titre: « Das Volk von Südtirol hat gesprochen ». Tirol Dokumente: Sigmundskron – Demonstration für Selbstbestimmung, Südtiroler Schützenbund, Bozen, 1997, p.19. 63 Viktor Reimann: Bruno Kreisky – Das Porträt eines Staatsmannes, éditions F. Molden, Vienne-Zürich-Munich, 1972, p.221 et ss. 64 Résolution du 31 Octobre 1960. 65 Résolution du 28 Novembre 1961. 66 La province dispose d’une compétence législative primaire pour l’administration scolaire, les bâtiments scolaires, l’assistance scolaire, les écoles maternelles, la formation et l’éducation professionnelles. Elle a une compétence secondaire, ce qui signifie qu’elle doit respecter les principes édictés par l’Etat pour tout ce qui concerne l’enseignement dans les écoles primaires et secondaires. Dans le domaine de l’école, la région Trentin-Haut-Adige ne dispose d’aucune compétence. La répartition se fait uniquement entre l’Etat et la province.

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Nous connaissons à présent un peu mieux les régions étudiées. Pour conclure

cette introduction, nous définirons un peu plus précisément l’angle sous lequel nous

allons les étudier.

IV Problématique Nous avons déterminé l’importance de la sauvegarde des langues, et, dans cette

optique, le rôle primordial joué par emploi de la langue maternelle dans l’enseignement.

En s’appuyant sur l’étude des systèmes en vigueur dans les trois régions étudiées,

nous chercherons à déterminer les objets de la protection assurée par le droit à

l’enseignement dans la langue minoritaire. S’agit-il du groupe minoritaire, ou bien des

individus le composant ? S’agit-il de la langue en elle-même ?

La réponse à cette question permet de comprendre ou d’envisager l’évolution en

cours de ce domaine, qu’on ne sait pas encore bien comment nommer : « protection des

langues minoritaires », comme le fait le conseil de l’Europe67 ? « Protection des

minorités linguistiques », comme dans la plupart des ouvrages scientifiques ?

Selon un courant doctrinal, les « fédéralistes ethniques » 68, la seule manière de

protéger efficacement une minorité, et notamment sa langue, c’est d’accorder une entière

autonomie au groupe minoritaire, puisque sans un pouvoir politique propre, il est

impossible de sauvegarder sa langue et sa culture.

Nous nous efforcerons de prouver que, en ce qui concerne la langue, cela est

faux. En effet, en étudiant les systèmes en vigueur dans trois régions multilingues, nous

chercherons à dissocier juridiquement la langue de son groupe de locuteurs.

Cela présente deux avantages. D’une part, on évite ainsi les écueils racistes des

« ethnistes ». Si la langue est un objet juridique en soi, sa protection dépasse le cadre des

individus des groupes, elle est donc accessible à tous, peu importe son origine. Dans la

préface de L’Europe des ethnies, Alexandre Marc défend ainsi l’ethnisme des

accusations de racisme : « Par les crimes que celui-ci a fait commettre, [le racisme] a fini

par rendre suspecte, voire inacceptable la part de vérité incluse dans ses fantasmagories.

Est-ce une raison pour sous-estimer ou même faire semblant d’ignorer complètement le

67 Nous déduisons cela du nom de l’instrument international adopté par cette institution en 1992: « Charte européenne des langues régionales et minoritaires ». 68 Pour se faire une bonne idée de cette doctrine, lire Guy Héraud : L’Europe des ethnies , Presse d’Europe, 1974 (2ème édition). Dans la préface, Alexandre Marc qualifie ce livre de « Bible de l’ethnisme ». D’autre part, Yvonne Bollmann, a consacré un ouvrage contre ce mouvement : La guerre des langues en Europe, Bartillat, 2001.

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rôle que jouent, parmis beaucoup d’autres, les composantes raciales ? […] Le refus de

toute prise en considération des facteurs raciaux n’est, le plus souvent, qu’un hypocrite

camouflage de l’implacable lutte des races »69.

Les ethnistes voient donc dans chaque homme un ensemble de critères objectifs

raciaux, linguistiques, géographiques et historiques qui le rattachent à un groupe,

l’ethnie. Chaque homme appartient à une ethnie, à laquelle « correspond un certain

dosage racial »70, et ne peut s’en détacher. Les ethnistes défendent donc l’idée d’une

catégorisation déterminée de l’Homme.

Selon eux, comme le suggérait la référence à une « implacable lutte des races »,

lorsque deux ethnies se trouvent sur un même territoire, un antagonisme apparaît

forcément. Comme le remarque Yvonne Bollmann, « la capacité même de l’Homme à

vivre en société devient ici un objet de doute »71. Transposé sur le plan linguistique, cet

affrontement inévitable revient à dire que l’ethnie dominante impose sa langue, tandis

que la langue de l’ethnie dominée est appelée à disparaître. En prouvant que la langue

peut être détachée du groupe, on envisage une sauvegarde de chaque langue, quelle que

soit la position du groupe sur un territoire.

D’autre part, si seule l’autonomie permet la protection du groupe et de sa langue,

il est évident que dans la pratique, il est fort difficile de sauvegarder une langue

minoritaire. L’auto-détermination de chaque groupe est en effet une utopie72. Mais si

l’on parvient à démontrer que la langue est un objet juridique en soi, pouvant faire l’objet

de mesures lui étant propres, cette protection devient beaucoup plus envisageable. Elle

devient même possible en l’absence d’une reconnaissance des minorités.

La protection de la langue se situe alors entre la pratique française, qui ne

reconnaît pas de minorités, et l’idéal ethniste, qui souhaite une fédération de région

ethniques. On peut protéger la langue malgré l’extrême hostilité française, et sans

l’utopique et ambigue bienveillance ethniste.

Nous nous efforcerons donc, dans le cadre de l’enseignement, domaine essentiel

de la protection de la langue, de dissocier juridiquement la langue de son groupe de

locuteurs. Pour ce faire, nous prouverons l’existence d’un droit individuel à

l’enseignement en langue minoritaire (première partie). Cela ne résoud pas tout à fait

notre problème, puisque, sans accorder de droit à la minorité en tant que telle, celle-ci

69 L’Europe des ethnies, op. cit., p.11(préface). C’est nous qui soulignons. 70 Ibidem, p.27. 71 Yvonne Bollmann, op. cit., p.138. 72 Guy Héraud explique la « tactique » menant à sa mise en place notamment dans L’Europe des ethnies.

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garde une certaine importance car le sujet du droit étudié semble être le membre de la

minorité. En établissant que ce droit peut être considéré comme protégeant, au delà de

l’individu, la langue elle-même, nous justifierons la possibilité de garantir un droit à

l’enseignement en langue minoritaire sans avoir à reconnaître l’existence de minorités

(2nde partie).

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Première Partie : Le droit à l’enseignement en langue

minoritaire : un droit individuel

Chaque individu a-t-il un droit à recevoir, au sein d’une école publique, un

enseignement en langue minoritaire, même si celle-ci est différente de la ou les langue(s)

officielle(s) de l’Etat où il se trouve ?

Un tel droit n’existe nulle part de manière absolue, mais est prévu sous certaines

conditions dans les régions étudiées. Nous établirons donc l’existence de ce droit

(section 1), puis nous déterminerons si ce droit est collectif ou individuel, c’est à dire si

le titulaire en est l’individu ou bien le groupe (section 2).

Section 1 L’existence d’un droit à l’enseignement en langue

minoritaire Au niveau international, l’existence de ce droit n’est pas certaine (A). Il est par

contre reconnu dans les droits internes des Etats pour les régions étudiées (B).

A Un droit garanti internationalement ?

Même s’il ne s’agit pas véritablement de notre sujet73, il nous semble intéressant

de faire un rapide tour d’horizon du droit international, afin d’observer la façon dont

l’enseignement dans la langue maternelle y est traité. Souvent, des Traités entre deux ou

quelques Etats contiennent des dispositions sur les minorités74. C’est par exemple le cas,

on l’a vu, pour les régions que nous étudions. De tels instruments sont exclus de ce

paragraphe. Nous nous intéresserons ici aux Traités à vocation universelle, ouverts à la

signature d’un grand nombre d’Etat, notamment dans le cadre des Nations Unies ou de

l’Union européenne.

La plupart des textes internationaux traitent de la langue dans l’interdiction de

discrimination. On peut par exemple citer l’article 14 de la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Cela n’offre

73 Pour une étude plus approfondie dans ce domaine, cf. Barbara Wilson, op. cit., p.229-254. 74 Ainsi, le droit des minorités linguistique à l’éducation dans leur langue figure dans la plupart des traités adoptés après la première guerre mondiale.

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pas une protection très élaborée, puisque aucune obligation positive de l’Etat de

permettre un enseignement dans la langue minoritaire n’est prévue.

Pour certains auteurs75, le droit à des écoles publiques où l’enseignement est

offert dans une langue minoritaire ne serait qu’une clarification du principe de non

discrimination pour les minorités linguistiques. Celles-ci se trouvant dans une position de

faiblesse par rapport à la majorité, un traitement égalitaire risque d’être discriminatoire.

C’est là le contenu du principe d’égalité, qui impose de traiter de manière différente des

individus étant dans une situation différente. Le système normatif ne doit pas respecter

une conception formelle du principe d’égalité qui, selon le mot d’Anatole France,

« interdit également aux riches et aux pauvres de dormir sous les ponts ». La mise en

place d’un système d’enseignement particulier est nécessaire pour éviter la

discrimination. C’est ce qu’a jugé la Cour Suprême américaine en 1974 dans l’arrêt Lau

v. Nichols : un système scolaire identique pour les anglophones et les chinois ne

maîtrisant pas l’anglais ne permet pas une égalité de traitement76.

Existe-t-il d’autres bases juridiques concernant plus directement le droit étudié ?

Les textes internationaux consacrant le droit à l’éducation77 reconnaissent qu’il a pour

objectif « le plein épanouissement de la personnalité humaine ». Peut-on

raisonnablement considérer que ce but est atteint si l’enseignement n’est pas effectué

dans la langue maternelle de l’élève ? Ainsi, l’article 29 de la convention internationale

relative aux droits de l’enfant à l’éducation de 1990 ne se contente pas d’affirmer ce

droit, mais précise également quel doit être son contenu, décrivant une « sorte d’idéal

éducatif pour un "citoyen du monde" » 78. Ainsi, « l’éducation de l’enfant doit viser à

[…] favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses

dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs

potentialités, […]inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa

langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays

dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de

75 C’est par exemple la thèse que défend Fernand De Varenne dans les différents travaux que nous citons dans ce mémoire. 76 „No equality of treatment merely by providing students with the same facilities, textbooks, tenders and curriculum; for students who do not understand English are effectly foreclosed from any meaningful education”. 77 Art. 26 DUDH, art.5 §1er let.a Convention UNESCO, art.13 §1er Pacte I, art. 29 §1er let.a Convention relative aux droits de l’enfant. 78 Selon l’expression d’Henri Oberdorff: Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Armand Colin, 2003, p. 258.

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la sienne ». Tous ces objectifs ne peuvent être remplis qu’avec un enseignement dans la

langue maternelle de l’enfant, même si elle est minoritaire.

Selon Fernand De Varennes, ce droit est reconnu internationalement79. Certes.

Mais le problème vient du fait qu’il n’est pas garanti. Les instruments internationaux

n’imposent pas aux Etats de manière coercitive d’assurer une instruction publique en

langue minoritaire.

La Recommandation de La Haye sur les droits éducatifs des minorités nationales,

de même que la Declaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à

des minorités80, simple résolution de l’Assemblée Générale, n’ont pas de caractère

contraignant.

La convention cadre pour la protection des minorités nationales, qui fixe des

objectifs pour la réalisation desquels le législateur national dispose de la liberté des

moyens, prévoit dans son article 14 §2 que l’Etat doit « s’efforcer d’assurer », « dans la

mesure du possible », la « possibilité » d’apprendre la langue minoritaire « ou » de

recevoir un enseignement dans cette langue. Il ne serait pas aisé de trouver une

formulation plus « timide ». La protection qui en découle n’est donc pas satisfaisante, ne

serait-ce que par l’essence même de cet instrument juridique.

L’article 8 §1er du projet de protocole additionnel à la CEDH disposait que

« toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit d’apprendre sa langue

maternelle et de recevoir un enseignement dans cette langue dans un nombre appropriée

d’écoles et d’établissements d’enseignement public »81 (c’est nous qui soulignons). Ici, le

droit à l’enseignement dans la langue maternelle est bien affirmé, et non pas vu comme

une alternative à l’enseignement de la langue. Mais, certainement par crainte qu’un tel

texte ne soit pas accepté, cet article n’a jamais été soumis à ratification. Cela démontre la

dificulté à mettre en place, sur un plan international, une véritable garantie du droit à

l’enseignement en langue maternelle. La Charte européenne des langues régionales et

minoritaires en apporte un autre exemple.

79 Fernand De Varennes: “The linguistic Rights of Minorities in Europe” in: Minority Rights in Europe, european minorities and language, sous la direction de Snežana Trifunovska, F.M.C. Asser Press, La Haye, 2001, p.20 ss. 80 Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 47/135 du 18 décembre 1992. L’article 4 paragraphe 3 prévoit que « Les Etats devraient prendre des mesures appropriées pour que, dans la mesure du possible, les personnes appartenant à des minorités aient la possibilité d'apprendre leur langue maternelle ou de recevoir une instruction dans leur langue maternelle ». 81 Barbara Wilson, op. cit., p.248.

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Ce texte, adopté par le Conseil de l’Europe et soumis à ratification, se caractérise

par un système « à la carte ». Les Etats choisissent, selon certaines conditions, les droits

qu’ils s’engagent à garantir, ainsi que les modalités leur mise en œuvre. Le choix des

langues qu’ils entendent protéger est aussi laissé à leur discretion.

Ainsi, dans le domaine de l’enseignement, l’article 8 propose plusieurs solutions,

et l’Etat doit choisir d’en appliquer au moins trois, comme le prévoit l’article 2 de la

Charte. Les mesures sont nombreuses. Par exemple, pour l’éducation primaire

(paragraphe 1 lettre b), tout l’enseignement peut avoit lieu dans la langue minoritaire (i),

ou bien seulement une partie substantielle de celui-ci (ii), ou encore la langue minoritaire

peut n’être proposée que sous forme de cours obligatoire (iii). L’Etat peut aussi choisir

de n’appliquer certaines de ces mesures que si un nombre suffisant d’individus le

demande (iv). Les mêmes propositions se retrouvent pour l’éducation secondaire. En

tout, l’article 8 contient près de 20 options, parmis lesquelles l’Etat n’est tenu de choisir

que trois.

La protection obtenue est donc là encore peu satisfaisante. Fernand De Varennes

a bien observé ce problème de la Charte. Elle permet aux Etats d’attribuer le moins de

droits possibles. Par la suite, chaque concession pourra apparaître comme une décision

politique en dehors de toute violation possible du droit international82.

Les rédacteurs ont choisi d’adopter un système souple, permettant un plus grand

nombre de ratifications. Mais la protection effective obtenue est quasi-nulle.

Peut-être la jurisprudence internationale offre-t-elle plus de garantie ? Dans

l’Affaire des Ecoles minoritaires en Albanie de 1935, la Cour permanente de Justice

internationale a jugé qu’il fallait « assurer aux groupes minoritaires des moyens

appropriés pour la conservation des caractères ethniques, des traditions et de la

physionomie nationales ». Pour ce faire, les minorités linguistiques ne devaient pas être

privées de leurs propres écoles. Mais il ne s’agit pas là d’une obligation pour l’Etat

d’assurer un enseignement dans la langue des minorités.

En 1931, cette même juridiction avait, dans son avis consultatif sur la Question

des communautés gréco-bulgares, déclaré que les parents devaient bénéficier du droit

« d’assurer l’instruction et l’éducation de leurs enfants conformément au génie de leur

race ». La langue fait-elle partie du « génie de la race », terme odieux à la lumière de

82 Fernand De Varennes: Language, Minorities and Human Rights, Martines Nijhof Publishers, La Haye, 1996, p.205.

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notre époque ? On peut penser que cette notion englobe la culture, la langue, l’identité

d’un groupe.

Mais, un peu plus proche de nous, en 1968, dans le Cas linguistique belge, la

Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que l’article 2 du Protocole additionnel

numéro 183 assurait le respect des convictions religieuses ou philosophiques des parents,

mais pas de leur préférece linguistique. De même, la non-discrimination de l’article 14

ne permet pas aux parents de jouir d’une liberté totale dans le choix de la langue

d’enseignement de leur enfant.

Un droit absolu ne peut donc être garanti, a fortiori par le droit international qui

peut difficilement établir une obligation générale pour les Etats d’assurer un

enseignement public en langue minoritaire. On ne peut demander à l’Etat d’assurer une

instruction publique dans toutes les langues parlées sur son territoire. Pour ne pas être

discriminatoire, la solution adoptée par l’Etat doit tenir compte des situations de fait.

On peut donc souscrire à la conclusion de Barbara Wilson lorsqu’elle achève son

étude du droit international, selon laquelle « nous sommes amenés à constater que le

droit international n’offre aucune garantie ferme du droit de recevoir, dans le cadre des

établissements publics, un enseignement dans une langue minoritaire […] »84.

Ainsi, les Traités plus restreints, concernant des situations précises, ainsi que les

ordres juridiques internes des Etats seront plus à même d’assurer un droit à

l’enseignement en langue maternelle.

B Un droit reconnu dans les régions étudiées

Le droit étudié est reconnu dans le Südtirol, en Carinthie et dans le Burgenland.

L’Autriche et l’Italie, dans leurs constitutions formelles, n’ignorent pas la

présence de minorités linguistiques sur leur territoire. L’article 6 de la constitution de la

république italienne du 27 Décembre 1947 dispose que « la République protège ses

minorités linguistiques avec des dispositions particulières »85. L’article 8 de la loi

constitutionnelle fédérale autrichienne du 1er Octobre 1920 prévoit que la langue

nationale est la langue allemande, « sans préjudice des droits accordés par la législation

83 « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». 84 Barbara Wilson, op. cit., p.254. 85 “La Repubblica tutela con apposite norme le minoranze linguistiche.”

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fédérale aux minorités lingustiques ». De plus, dans le second paragraphe, l’attachement

de la République à la diversité culturelle et linguistique est affirmé, ainsi que la nécessité

de protéger, notamment, les langues86.

Le droit de suivre un enseignement en langue minoritaire est garanti par des

textes ayant un statut constitutionnel.

Dans le Südtirol, il s’agit plus précisément d’un droit à l’enseignement en langue

maternelle87. Il est prévu dans le statut d’autonomie de la région du Trentin-Haut-Adige

du 31 Août 1972. Ce statut spécial a un rang constitutionnel dans l’ordre juridique

italien. L’article 19 prévoit que « dans les jardins d’enfants et dans les écoles

élémentaires et secondaires de la province de Bozen, les cours seront donnés dans la

langue maternelle des élèves, c’est à dire en allemand ou en italien, par des professeurs

dont la langue concernée est également la langue maternelle »88.

Dans les localités ladines, l’existence d’un droit à l’enseignement en langue

maternelle est moins évidente. Selon le deuxième paragraphe de l’article 19, « la langue

ladine est utilisée dans les jardins d’enfants et enseignée dans les écoles élémentaires des

localités ladines. Dans ces localités, cette langue sert aussi de langue d’enseignement

dans les écoles de tout type et de tout grade. Dans ces écoles, l’enseignement est

dispensé sur la base du même nombre d’heures et du même résultat en allemand et en

italien »89.

Ce paragraphe peut paraître peu clair au premier abord. La langue

d’enseignement est la langue ladine, mais les cours ont lieu de manière égale en

allemand et en italien ! Le décret présidentiel du 10 Février 1983, relatif aux dispositions

d’application du statut spécial de la région du Trentin-Südtirol dans le domaine scolaire,

ayant lui aussi un rang constitutionnel, nous donne un peu plus de précisions. L’article 7

reprend tout d’abord le second paragraphe de l’article du statut, puis précise, dans son

86 Article 8: (1) Die deutsche Sprache ist, unbeschadet der den sprachlichen Minderheiten bundesgesetzlich eingeräumten Rechte, die Staatssprache der Republik. (2) Die Republik (Bund, Länder und Gemeinden) bekennt sich zu ihrer gewachsenen sprachlichen und kulturellen Vielfalt, die in den autochthonen Volksgruppen zum Ausdruck kommt. Sprache und Kultur, Bestand und Erhaltung dieser Volksgruppen sind zu achten, zu sichern und zu fördern. 87 Nous n’étudierons pas ici la différence entre droit à l’enseignement en langue maternelle et en langue minoritaire. Cela implique des conséquences importantes, mais qui font l’objet de notre deuxième partie. 88 « In der Provinz Bozen wird der Unterricht in den Kindergärten, Grund- und Sekundarschulen in der Muttersprache der Schüler, das heißt in italienischer oder deutscher Sprache, von Lehrkräften erteilt, für welche die betreffende Sprache ebenfalls Muttersprache ist ». 89 „Die ladinische Sprache wird in den Kindergärten verwendet und in den Grundschulen der ladinischen Ortschaften gelehrt. Dort dient diese Sprache auch als Unterrichtssprache in den Schulen jeder Art und jeden Grades. In diesen Schulen wird der Unterricht auf der Grundlage gleicher Stundenzahl und gleichen Enderfolges in Italienisch und in Deutsch erteilt.“

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troisième alinéa, que « […] dans les jardins d’enfants et la première année des écoles

élémentaires, […] les professeurs emploient le ladin et la langue parlée par l’élève dans

sa famille […]. De la deuxième à la cinquième année de l’école élémentaire, la langue

ladine est aussi enseignée. Dans les écoles secondaires, les institutions scolaires

compétentes déterminent de quelle manière la langue ladine est utilisée comme moyen

d’enseignement […] ».

Le droit à l’enseignement en langue maternelle est donc garanti dans les localités

ladines pour la période allant du jardin d’enfant à la première année de l’école primaire.

Même si l’enfant n’a pas pour langue maternelle le ladin90, le professeur devra s’adresser

à lui dans la langue qu’il parle dans sa famille.

A partir de la deuxième année de l’école primaire, les enseignants ne sont plus

tenus d’utiliser la langue ladine comme unique moyen d’enseignement. Les cours ont

lieu, comme le prévoit le statut, pour moitié en allemand et pour moitié en italien. Le

ladin sert alors de langue d’aide, pour permettre à l’élève de suivre les cours, tout en

acquérant la maîtrise des langues allemande et italienne. On peut donc estimer que la

langue maternelle n’est pas ignorée et qu’une sorte de droit d’enseignement dans cette

langue subsiste, même si elle ne constitue pas le moyen principal d’enseignement91.

En Autriche, les normes attribuant un droit à l’enseignement en langue

minoritaire sont nombreuses. Dès 1867, la loi fondamentale d’Etat (Staatsgrundgesetz)

assure dans son article 19 que « toutes les entités ethniques [Volksstämme] de l’Empire

jouissent de droits égaux, et [que] chacune a un droit inviolable à voir préserver et

encourager sa nationalité et sa langue ». Pour garantir cela, le troisième paragraphe

impose, dans les Länder ou habitent plusieurs « entités ethniques », que les institutions

scolaires publiques soient prévues de telle façon que chaque entité ethnique ait les

moyens nécessaires à l’éducation dans sa langue. Cela implique l’interdiction de toute

obligation d’apprendre une langue92.

90 Tous les enfants se habitant une localité à majorité ladine fréquentent la même école. Il y a donc des élèves issus des minorités locales germanophones et italophones. 91 Comme nous l’a expliqué Alexander Prinoth, directeur de l’office scolaire ladin et de l’office de la culture ladine, un cursus scolaire entièrement en ladin n’est ni possible ni souhaitable. Impossible, à cause du manque de manuels dans cette langue. Non souhaitable, car il est primordial pour les ladins de maîtriser les autres langues de la région, les opportunités professionnelles étant peu nombreuses pour un individu uniquement ladinophone. 92 Article 19 premier paragraphe: „Alle Volksstämme des Staates sind gleichberechtigt, und jeder Volksstamm hat ein unverletzliches Recht auf Wahrung und Pflege seiner Nationalität und Sprache.“ Troisième paragraphe: „In den Ländern, in welchen mehrere Volksstämme wohnen, sollen die öffentlichen Unterrichtsanstalten derart eingerichtet sein, dass ohne Anwendung eines Zwanges zur Erlernung einer

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Un droit à l’enseignement en langue maternelle est donc affirmé et, de plus,

garanti par l’ « interdiction d’obligation linguistique » (Sprachenzwangsverbot).

Cet article a été integré à la constitution de la République autrichienne par

l’article 149, premier paragraphe, de la loi constitutionnelle fédérale de 1920. Est-il

encore en vigueur ? Selon certains juristes, il aurait été abrogé par les articles 67, 68 et

69 du Traité de Saint-Germain. La notion d’ « entité ethnique » (Volksstamm) pose

problème. Pour une partie de la doctrine, cette notion n’est plus reconnue. Il existe

seulement des minorités, et les normes s’y appliquant sont celles du Traité de

Saint Germain. Pour un autre courant, l’article 19 est toujours utilisable, puisqu’on peut

considérer que « Volksstamm » est un synonyme de « minorité ».

Selon le professeur Kolonovits, il ne peut y avoir eu d’abrogation, car les normes

concernées ne sont pas incompatibles les unes avec les autres93. L’article 19 est donc

toujours en vigueur. Nous partageons cet avis. Néanmoins, sa signification pratique est

peu importante, des normes ultérieures jouant un rôle plus primordial.

Nous avons déjà, dans l’introduction, évoqué le Traité de Saint-Germain-en-

Laye, imposé à l’Autriche au lendemain de la première guerre mondiale par les

puissances alliées. L’article 149 de la loi constitutionnelle fédérale de 1920 a porté la

cinquième section de ce texte (articles 62 à 69) au rang constitutionnel. Selon le premier

paragraphe de l’article 68, «en matière d'enseignement public, le gouvernement

autrichien accordera, dans les villes et districts où réside une proportion considérable de

ressortissants autrichiens de langue autre que la langue allemande, des facilités

appropriées pour assurer que dans les écoles primaires l'instruction sera données dans

leur propre langue aux enfants de ces ressortissants autrichiens. Cette stipulation

n'empêchera pas le gouvernement autrichien de rendre obligatoire l'enseignement de la

langue allemande dans lesdites écoles ».

Ainsi, l’Etat doit accorder des « facilités appropriées » pour que l’enseignement

ait lieu dans la langue maternelle des élèves. Le droit étudié n’est donc pas proclamé

clairement, mais le Traité engage le gouvernement autrichien à le mettre en œuvre. En

effet, pour que l’élève suive une instruction publique dans sa langue maternelle, la

« facilité appropriée » ne peut être autre chose que la mise en place d’un tel système par

l’Etat.

zweiten Landessprache jeder dieser Volksstämme die erforderlichen Mittel zur Ausbildung in seiner Sprache erhält.“ 93 Dieter Kolonovits, Sprachenrecht im Burgenland, p. 34.

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Le Traité de Vienne, signé le 15 Mai 1955 dans le château du Belvedere, contient

également des dispositions constitutionnelles. En effet, l’article 2 paragraphe 3 de la loi

constitutionnelle fédérale de 1964 a porté au rang constitutionnel les paragraphes 2 à 4

de l’article 7 du Traité.

Le paragraphe 2 de l’article 7 est assez explicite : « [Les ressortissant autrichiens

appartenant aux minorités slovène et croate de Carinthie, du Burgenland et de Styrie]

peuvent prétendre à [haben Anspruch auf] l'enseignement primaire en langue slovène ou

croate et à un nombre proportionnel d'établissements propres d'enseignement secondaire;

à cet effet, les programmes scolaires seront revus et une section de l'inspection de

l'enseignement sera créée pour les écoles slovènes et croates »94. Le droit à

l’enseignement en langue maternelle est ici proclamé pour les slovènes et les croates de

trois Länder. Le texte n’emploie pas le mot Recht, qui est la traduction exacte de

« droit ». Peut-on considérer qu’avec le mot Anspruch, un véritable droit est accordé ? Le

problème a été résolu par la cour constitutionnelle autrichienne dans son arrêt 12.245 du

15 Décembre 1989, où elle déclare que « l’article 7 paragraphe 2 garantit aux

ressortissants autrichiens de la minorité slovène en Carinthie un droit [Recht] subjectif à

l’enseignement primaire en langue slovène, en ce qu’il garantit expressément aux

membres des minorités une prétention [Anspruch] à un tel enseignement »95.

La cour traite dans cet arrêt des slovènes de Carinthie. Mais puisqu’il s’agit de

l’interprétation d’un texte concernant les minorités croates et slovènes, cela est aussi, par

analogie, valable pour les autres minorités prévues par le Traité de Vienne.

Enfin, le Traité de Vienne fût appliqué dans l’ordre juridique autrichien par des

lois dont certaines dispositions ont également un rang constitutionnel. Il s’agit de la loi

scolaire relative aux minorités pour la Carinthie (Minderheitenschulgesetz für Kärnten)

de 1959, et de la loi scolaire relative aux minorités pour le Burgenland

(Minderheitenschulgesetz für Burgenland) de 1994.

Le premier article de la loi pour le Burgenland a un rang constitutionnel. Le

premier paragraphe assure le droit à l’enseignement en langue minoritaire, et prévoit

l’égalité entre les ressortissants autrichiens appartenant aux minorités croates et

94 „Sie haben Anspruch auf Elementarunterricht in slowenischer oder kroatischer Sprache und auf eine verhältnismäßige Anzahle eigener Mittelschulen; in diesem Zusammenhang werden Schullehrpläne überprüft und eine Abteilung der Schulaufsichtsbehörde wird für slowenische und kroatische Schulen errichtet werden.“ 95 VfSlg 12.245: „Art7 Z2 leg. cit. gewährleistet (ua.) österreichischen Staatsangehörigen der slowenischen Minderheit in Kärnten ein subjektives (öffentliches) Recht auf Elementarunterricht in slowenischer Sprache, indem den (elementarschulpflichtigen) Minderheitsangehörigen ausdrücklich ein "Anspruch" auf solchen Unterricht verbürgt wird.“

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hongroises96. Ainsi, le droit étudié est garanti également pour les hongrois et leur langue,

bien que le Traité de Vienne ne les avait pas évoqués.

De même, l’article 7 de la loi pour la Carinthie, également de rang

constitutionnel, garantit aux un droit à l’enseignement en langue slovène97.

Si ce droit est présent dans de nombreuses normes de l’ordre juridique autrichien,

il apparaît donc que seul l’article 7 du Traité de Vienne a réellement été suivi d’effets. Il

a été appliqué à quelques différences près : les slovènes de Styrie ne jouissent pas du

droit étudié, tandis que dans le Burgenland, les hongrois et leur langue, non prévus par le

Traité, sont protégés exactement de la même façon que les croates et leur langue.

Pour résumer, les ressortissants autrichiens des minorités croate et hongroise dans

le Burgenland, et slovène en Carinthie sont les seuls dont le droit constitutionnel à un

enseignement public dans la langue maternelle est effectivement mis en place. De plus,

comme nous l’étudierons dans la deuxième partie, les lois pour le Burgenland et la

Carinthie ont mis en place, our tous les élèves, un droit à l’enseignement en langue

minoritaire.

D’autres minorités pourraient prétendre à un tel droit d’après les différentes

normes que nous venons d’étudier, mais elles n’en jouissent pas effectivement à l’heure

actuelle. Si l’on considère que l’article 19 de la loi fondamentale d’Etat de 1867 est

toujours en vigueur, ce qui est à notre avis le cas, chaque minorité présente sur le

territoire autrichien a un droit constitutionnel à l’enseignement dans sa langue

maternelle. Mais ce droit n’est pas appliqué.

Nous avons donc observé l’existence d’un droit à l’enseignement en langue

minoritaire dans les régions étudiées. Il s’agit à présent d’étudier plus en profondeur ce

droit.

Section 2 Un droit individuel et conditionné Le droit à l’enseignement en langue minoritaire n’est en aucun cas un droit

collectif appartenant aux minorités, mais un droit individuel propre à chaque individu

96 Das Recht, im Burgenland die kroatische oder ungarische Sprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen oder als Pflichtgegenstand zu erlernen, ist in den gemäss §6, §10 und §12 Abs. 1 dieses Bundesgesetzes festzulegenden Schulen österreichischen Staatsbürgern der kroatischen und ungarischen Volksgruppe zu gewähren. 97 Das Recht, die slowenische Sprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen oder als Pflichtgegenstand zu erlernen, ist jedem Schüler in dem gemäss §10 Abs. 1 dieses Bundesgesetzes umgeschriebenen Gebiet in den gemäss §10 As. 1 dieses Bundesgesetzes festzulegenden Schulen zu gewähren, sofern dies der Wille des Gesetzlichen Vertreters ist. [...]

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(A). Néanmoins, pour des raisons pratiques, ce droit ne peut être exercé sans restrictions

et est donc soumis à des conditions particulières (B).

A Un droit individuel

Le droit à l’enseignement en langue minoritaire est, c’est un pléonasme, lié à

l’existence de minorités. De là découle la tentation de voir en lui un droit collectif. La

confusion est rapide. En effet, il fait partie de ce qui est souvent appelé des « mesures de

protection des minorités ». Si certain droits issus de ses mesures sont en effet des droits

des minorités (comme par exemple la mise en place de médias en langue minoritaire), le

droit à l’enseignement dans la langue de la minorité est purement individuel. Cela

découle de son essence même : ce n’est pas la minorité qui va à l’école, mais chaque

enfant appartenant à cette minorité.

Les normes garantissant ce droit ne laissent pas de doute quand à ses titulaires.

Déjà, l’accord De Gasperi-Gruber de 1946 assurait aux « citoyens de langue

allemande » (et non pas à la population germanophone) l’enseignement primaire et

secondaire dans leur langue maternelle. Quant à l’article 19 du statut spécial, il prévoit

que l’enseignement aura lieu « dans la langue maternelle de l’élève », c’est à dire en

allemand ou en italien.

En Autriche, où les normes en vigueur sont plus nombreuses, le droit est

également accordé aux individus. L’article 68 du traité de Saint-Germain, même s’il est

compris dans la section 5 « protection des minorités », vise les « ressortissants

autrichiens de langue autre que la langue allemande ». L’article 7 paragraphe 2 du traité

de Vienne vise non pas les minorités slovène et croate de Carinthie, du Burgenland et de

Styrie, mais les « ressortissants autrichiens appartenant à [ces minorités] »98. Enfin, la loi

scolaire relative aux minorités pour la Carinthie garantit le droit étudié à « chaque

élève »99, sous des conditions de lieu. La loi équivalente pour le Burgenland traite des

« citoyens autrichiens du groupe ethnique croate et hongrois »100.

La seule exception apparaît dans l’article 19 de la loi fondamentale d’Etat de

1867. En effet, celui-ci prévoit que chaque « entité ethnique » doit avoit les moyens

98 « Österreichische Staatsangehörige der slowenischen und kroatischen Minderheiten in Kärnten, Burgenland und Steiermark ». 99« jedem Schüler » 100 « österreichischen Staatsbürgern der kroatischen und ungarischen Volksgruppe »

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nécessaires à l’éducation dans sa propre langue101. Ici, le bénéficiaire visé par le droit est

clairement le groupe. Cela est problématique, car le groupe n’ayant pas de personnalité

juridique, il ne peut être porteur de droits. Le professeur Kolonovits estime que l’on peut

interprêter cet article comme donnant en réalité des droits aux membres de chaque

Volksstamm 102. Il déduit cette interprétation du reste du catalogue des droits garantis par

la loi de 1867, qui vise des droits subjectifs. Ainsi, « la formulation "malheureuse" de

l’article 19 peut aussi être lue "membres des Volksstämme" ».

Notons de plus que dans son projet de modification de l’article 19, le professeur

Öhlinger rédige ainsi le troisième paragraphe : « Les groupes ethniques et leurs membres

peuvent prétendre à un enseignement dans les jardins d’enfants et les écoles dans la

langue du groupe ethnique concerné […] »103. Ce projet n’a bien sûr aucune force

normative. Néanmoins, cela prouve que même chez ceux qui souhaitent octroyer des

droits collectifs aux minorités104, la nécessité d’accorder le droit à l’enseignement en

langue minoritaire à l’individu est reconnue. Le professeur Öhlinger n’a pu se résoudre à

prévoir ce droit uniquement pour les groupes ethniques. Il en fait un droit à la fois

collectif et individuel.

Mais en quoi consisterait un droit collectif à l’enseignement en langue

minoritaire ? Ce droit appartient à l’individu, mais on peut considérer qu’il protège aussi

le groupe minoritaire puisqu’il lui permet de conserver sa langue. Est-ce la raison pour

laquelle certains voient en lui un droit collectif ? Ce serait une erreur. Comme l’explique

Günther Rautz, « les droits individuels ont souvent aussi des effets collectifs qui ne

peuvent être provoqués que par des sujets de droits porteurs de droits individuels et pas

par des institutions représentants les groupes »105. Il est clair que c’est le cas du droit à

101 Article 19 paragraphe 3: « In den Ländern, in welchen mehrere Volksstämme wohnen, sollen die öffentlichen Unterrichtsanstalten derart eingerichtet sein, dass ohne Anwendung eines Zwanges zur Erlernung einer zweiten Landessprache jeder dieser Volksstämme die erforderlichen Mittel zur Ausbildung in seiner Sprache erhält. » 102 Dieter Kolonovits: Minderheitenschulrecht in Burgenland, op. cit. , p.21. 103 Die Volksgruppen und ihre Angehörigen haben Anspruch auf Kindergarten- und Schulunterricht in der jeweiligen Volksgruppensprache. Theo Öhlinger: „Entwurf eines Bundesverfassungsgesetzes, mit dem das Staatsgrundgesetz über die allgemeinen Rechte der Staatsbürger geändert wird“ in: Österreichisches Volksgruppenzentrum: Volksgruppen Report, 1997, p.235. 104 C’est le cas du professeur Öhloinger dans ce projet. Ainsi, dans le cinquième paragraphe, on peut lire que « Organisationen, die ihrem rechtlichen Zweck nach Volksgruppeninteressen vertreten und für eine Volksgruppe repräsentativ sind, haben das Recht, die auf diesen Artikel gegründeten Rechte und rechtlichen Interessen der betreffenden Volksgruppe vor staatlichen Behörde geltend machen. Die Rechte der Angehörigen der Volksgruppen bleiben davon unberührt“. 105 Günther Rautz: „Analyse des Memorandums der österreichischen Volksgruppen an die Bundesregierung und das Parlament“ in: Volksgruppen Report, 1997, op. cit. ,p.180.

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l’enseignement en langue minoritaire, qui a des effets sur l’ensemble de la minorité, mais

n’est pas un droit collectif pour autant.

Ce droit serait collectif s’il était exercé non par l’individu, mais par le groupe

entier, ou bien par une organisation représentative du groupe. Selon Günther Rautz, « le

droit individuel des membres du groupe ethnique à l’enseignement dans la langue

maternelle inclut par exemple aussi l’intérêt juridique à la participation à l’adoption ou à

la révision des programmes scolaires »106. Cette participation est prévue notamment dans

l’article 7 paragraphe 2 du traité de Vienne qui impose qu’ « une section de l'inspection

de l'enseignement [soit] créée pour les écoles slovènes et croates ». Cela est appliqué par

les articles 15 à 17 de la loi scolaire relative aux minorités pour le Burgenland, et par les

articles 31 à 33 de la loi équivalente pour la Carinthie. Ceux-ci prévoient la création de

sections propres à l’enseignement minoritaire dans le cadre de l’inspection. De plus, à

l’intérieur du conseil scolaire du Land (Landesschulrat), des sections pour les minorités

sont aussi prévues. Le programme scolaire étant adopté par un reglement fédéral pris en

collaboration avec ce Conseil, les minorités participent bel et bien à son élaboration.

De même, dans le Südtirol, les groupes linguistiques jouent un rôle important.

L’article 9 des dispositions d’application du statut d’autonomie donne à la province la

compétence d’adapter avec son propre pouvoir législatif les dispositions de l’Etat

relatives au programme scolaire. Mais le parlement de la province (Landtag) doit obtenir

l’accord du conseil scolaire de la province, qui est divisé en trois sections, une par

groupe linguistique. Le paragraphe 3 de cet article prévoit de plus expressément qu’après

avoir écouté un dirigeant de chaque office scolaire (il en existe là aussi un pour chaque

groupe linguistique) , la province devra prendre soin que les méthodes d’enseignement

mises au point soient particulièrement adaptées aux besoins culturels et linguistiques des

différents groupes107.

Les minorités sont donc écoutées dans l’élaboration des programmes scolaires.

Mais quoiqu’il en soit, même si elle est un élément essentiel de la garantie du droit

étudié, la procédure d’adoption du programme scolaire est à séparer du droit à

l’enseignement en langue minoritaire qui ne peut qu’être un droit individuel.

106 Ibidem, p.181. 107 „[Die Provinz sorgt dafür], dass nach Anhören [...] des für eine jede der Sprachgruppen zuständigen Schulamtsleiters [...] die Lehrmethoden erarbeitet werden, die in besonderem Masse den kulturellen und sprachlichen Erfordernissen der verschiedenen Sprachgruppen entsprechen bzw. in dieser Hinsicht besonders geeignet sind“.

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En faire un droit collectif reviendrait à enfermer l’individu dans le groupe et donc

à le priver d’une part de sa liberté108. En effet, l’enseignement en langue minoritaire ne

peut être imposer à l’élève. Il est facultatif, comme le prévoient les articles 7 2ème phrase

de la loi scolaire relative aux minorités pour la Carinthie, et l’article 1 2nd paragraphe de

la loi équivalente pour le Burgenland. En faisant de l’élève un membre de la minorité

avant d’être un individu, on va à l’encontre de cette liberté de choix. Inversement,

attribuer ce droit au groupe plutôt qu’à l’individu empêche un élève non-issu de la

minorité de suivre un enseignement dans la langue minoritaire, et va donc à l’encontre de

la protection de la langue.

Le titulaire du droit à l’enseignement en langue minoritaire n’est donc pas la

minorité, mais l’individu. Il convient d’étudier les conditions d’exercice de ce droit.

B Un droit conditionné

On ne saurait exiger de l’Etat qu’il reconnaisse un droit à l’enseignement en

langue minoritaire de façon absolue. Pour des raisons pratiques, il est impossible de

garantir un enseignement dans toutes les langue minoritaires en tout point du territoire.

Ce droit doit donc être soumis à des conditions. Si celles-ci sont trop restrictives, le droit

n’est pas appliqué de façon satisfaisante. De plus, il y a discrimination si certains

individus profitent de ce droit et d’autres non alors que leur situation sont semblables.

Comme l’explique Fernand De Varenne, une certaine discrimination est permise,

en cela que l’Etat choisit une langue nationale qui est favorisée109. On ne peut obliger un

Etat à utiliser dans tous ses services (notamment l’éducation) toutes les langues parlées

par ses citoyens. L’Etat doit prendre des mesures quand la situation de fait le justifie,

sinon la discrimination sera intolérable. La proportionnalité est donc ici l’élément

essentiel pour déterminer s’il y a ou non discrimination. C’est ce que De Varenne appelle

la « sliding-scale approach ».

Dans les systèmes des Etats étudiés, deux types de mise en pratique de ce droit

apparaissent. Le premier suit le principe territorial (a), le second le principe

108 Notons que le projet du professeur Öhlinger prévoit cela dans son paragraphe 2 : « Das Bekenntnis zu einer Volksgruppe ist frei. Niemandem darf durch die Ausübung oder Nichtausübung der ihm als Volksgruppenangehörigen zustehenden Rechte ein Nachteil erwachsen. Niemand ist verpflichtet, seine Zugehörigkeit oder Nichzugehörigkeit zu einer Volksgruppe nachzuweisen“. 109 Fernand De Varenne: « Les droits de l’Homme et la protection des droits linguistiques » in: Langues et Droits – Langues du droit, droit des langues, sous la direction de Hervé Guillorel et Geneviêve Koubi, Bruylant, Bruxelles, 1999.

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personnel (b). Selon le principe territorial, le droit à l’enseignement en langue

minoritaire peut être exercé sous des conditions relatives à un espace géographique

déterminé. Le principe personnel, lui, prend en compte l’individu uniquement. Ces deux

principes directeurs sont présents dans chacun des Etats étudiés, avec des modalités

d’application différentes.

a) Le principe territorial

Si l’application du droit à l’enseignement en langue minoritaire est soumis au

principe territorial, ce droit est ouvert à tous les élèves sur un territoire limité

explicitement. Ainsi, dans les circonscriptions prévues, chaque élève pourra profiter de

ce droit. Le critère ouvrant le droit ne concerne pas l’individu, où bien le nombre de

locuteurs d’une langue, mais uniquement le territoire. Le point déterminant est l’espace

géographique, sans conditions démographiques ou démolinguistiques.

Ce principe est par exemple appliqué de manière absolue en Belgique et en

Suisse (sauf pour les districts situés à une frontière linguistique). Dans ces Etats, la

langue du territoire servira de langue d’enseignement, peu importe la langue maternelle

de l’élève. Si un nombre suffisant d’élèves d’un groupe linguistique minoritaire résident

sur le territoire, ce système peut être discriminatoire.

Dans notre étude, le principe territorial est compris comme un principe plus large.

Il suppose seulement l’existence d’un critère géographique pour l’ouverture du droit à

l’enseignement en langue minoritaire.

1 Les localités ladines dans le Südtirol

Le statut d’autonomie du Trentin-Haut-Adige prévoit dans son article 19

paragraphe 2 l’utilisation de la langue ladine comme langue d’enseignement « dans les

localités ladines »110. Formellement, le droit n’est donc pas ouvert aux locuteurs de la

langue concernée, mais aux élèves demeurant dans les localités à majorité ladine. Bien

sûr, le résultat est sensiblement le même, puique la quasi-totalité des ladins vivent dans

les localités ladines. Néanmoins, un ladin ne demeurant pas dans une de ces localités ne

bénéficie pas d’un droit à l’enseignement en langue minoritaire. De même, les minorités

110 Par cette appelation, on entend les communes des vallées de Val Badia (Gadertal) et Val Gardena (Grödental).

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non-ladines de ces localités111 devront également fréquenter les écoles ladines. Le droit à

l’enseignement en langue minoritaire se réferre donc ici uniquement au lieu, sans

considération pour les individualités.

Cela est-il discriminatoire ? Les élèves germanophones et italophones ne profitent

en effet pas du même droit que leurs homologues habitant le reste du territoire de la

province. Néanmoins, le nombre peu important d’individus concernés, la position

extrêmement minoritaire et menacée de la langue ladine, ainsi que le système

d’enseignement en vigueur dans les écoles de ces localités qui emploie largement les

langues allemande et italienne nous permettent d’affirmer que la mesure semble

proportionnelle au but poursuivi et ne pas léser de manière discriminatoire les habitants

non ladinophones des localités ladines.

2 Les territoires historiques des minorités dans les Länder autrichiens

En Autriche, la soumission du droit à l’enseignement en langue minoritaire au

principe territorial est différente. L’importance du critère géographique se caractérise par

l’absence de toute autre condition pour l’ouverture du droit étudié sur certains teritoires.

Les lois scolaires relatives aux minorités pour le Burgenland et pour la Carinthie

prévoient l’obligation d’instituer des écoles bilingues ou en langues minoritaires dans

certains lieux du Land. Ainsi, selon l’article 6 paragraphe 2 de la loi pour le Burgenland,

les écoles fonctionnant de manière bilingue en 1993/94 (année précédant l’entrée en

vigueur de la loi), ou ayant fonctionné ainsi avant cette date, puis ayant été abandonnées,

et qui sont à nouveau créées, doivent être instituées en écoles minoritaire (bilingues ou

en langue minoritaire uniquement) telles que les prévoit la loi112. De même, la loi pour la

Carinthie impose avec son article 10 paragraphe 1 de prévoir des écoles pour les

minorités dans les communes où l’enseignement était effectué de manière bilingue au

111 Les 8 communes à majorité ladines sont toutes habitées par de petites minorités des groupes linguistiques allemands et italiens. Ainsi, selon le recensement de 2001, la Commune d’Abtei/Badia a sur son territoire 2,69% de germanophones et 3,88% d’italophones ; la Commune de Corvara, 4,58% de germanophones et 4,42% d’italophones ; la Commune de St. Ulrich/Urtijei, 12,13% de germanophones et 5,55% d’italophones, etc. Source : Südtirol in Zahlen / Alto Adige in Cifre, op. cit. 112 „Die im Schuljahr 1993/94 gemäss § 7 des Burgenländischen Landesschulgesetzes 1937 über die Regelung des Volksschulwesens im Burgenland, LGBl. Nr. 40/1937, geführten zweisprachigen Volksschulen sind als Volksschulen gemäss § 3 Abs. 1 Z 2 dieses Bundesgesetzes einzurichten. Ferner sind Schulen als Volksschulen gemäss § 3 Abs. 1 Z 2 dieses Bundesgesetzes einzurichten, wenn sie vor dem Schuljahr 1993/94 gemäss § 7 des Burgenländischen Landesschulgesetzes 1937 als zweisprachige Schulen bestanden haben, aufgelassen worden sind und wieder neu errichtet werden.“

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début de l’année scolaire 1958/59 (là aussi, il s’agit de l’année précédant l’entrée en

vigueur de la loi)113.

L’élève fréquentant en principe l’école dans la circonscription de laquelle il

réside, la détermination géographique des écoles en langue minoritaire correspond à celle

de la garantie du droit à l’enseignement en langue minoritaire. Certes, la loi pour le

Burgenland prévoit de faciliter l’inscription d’un élève habitant hors de la circonscription

d’un école prévue par l’article 6 paragraphe 2 en créant, au delà de la circonscription

« obligatoire », une circonscription « d’habilitation »114. Néanmoins, il est certain que le

droit à l’enseignement en langue minoritaire est mieux garanti quand l’élève peut en

jouir dans son école « normale ».

Une année de référence est donc choisie pour déterminer les lieux où une école en

langue minoritaire doit être instituée. En Carinthie, un recensement des minorités eût lieu

cette année là, et l’enseignement eût lieu de manière bilingue dans les communes où le

nombre de locuteurs était jugé suffisant.

Dans le Burgenland, les écoles désignées sont celles qui avaient un

fonctionnement bilingue sur la base de l’article 7 de la loi scolaire du Land

(Landesschulgesetz) de 1937. Cette norme, prise en application de l’article 68 premier

paragraphe du Traité de Saint-Germain, était pendant longtemps la seule disposition

relative à l’enseignement minoritaire dans le Burgenland. Elle prévoyait une adaptation

de la langue d’enseignement à la composition de la population. Ainsi, si d’après le

dernier recensement, 70 % de la population d’une circonscription appartenait à une

minorité nationale, la langue de cette minorité devait être utilisée comme langue

d’enseignement. Si le pourcentage de membres d’une minorités était compris entre 30 et

70, la langue minoritaire et la langue nationale dvait être utilisées. Enfin, si le

pourcentage était inférieur à 30, la langue de la minorité devait seulement faire l’objet

d’un cours, et la langue nationale était la langue d’enseignement115.

113 „Die örtliche Festlegung der für die slowenische Minderheit im besonderen in Betracht kommenden Volks- und Hauptschulen hat für jene Gemeinden zu erfolgen, in denen zu Beginn des Schuljahres 1958/59 der Unterricht an Volks- und Hauptschulen zweisprachig erteilt wurde.“ 114 Article 7 Paragraphe 2: „Für die gemäss § 6 Abs. 2 eingerichteten Volksschulen sind Pflichtsprengel festzusetzen. Für Schüler, die nicht im Pflichtsprengel wohnen und die zum zweisprachigen Unterricht angemeldet werden, kann ein über den Pflichtsprengel hinausgehender Berechtigungssprengel festgelegt werden.“ L’expression circonscription d’habilitation (Berechtigungssprengel) est employée car l’enseignement bilingue n’est pas une obligation (Pflicht), mais un droit (Recht). 115 Article 7 Paragraphe 3: „Gehören in einer Schulgemeinde nach dem Ergebnisse der letzten Volkszählung 70 vom Hundert der Bewohner einer nationalen Minderheit des Landes an, so ist die betreffende Minderheitenssprache die Unterrichtssprache. Gehören in einer Schulgemeinde 30 bis 70 vom

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L’article 6 paragraphe 2 de la loi scolaire relative aux minorités pour le

Burgenland est appliquée par l’article 32 de la loi du Land sur l’école obligatoire

(burgenländische Pflichtschulgesetz). Les communes ou lieux où des écoles bilingues

(allemand/croate ou allemand/hongrois selon les cas) doivent être instituées sont

légalement déterminés, et cités expressément dans les annexes A116 et B117 de cet article.

L’importance numérique des personnes issues de minorités a donc été prise en

compte pour la détermination de ces territoires. Mais une fois ceux-ci désignés, elle n’a

plus aucune importance. Dans les circonscriptions prévues par la loi, la langue

minoritaire doit pouvoir être utilisée comme langue d’enseignement, au moins dans le

cadre d’un système bilingue. Dans ces écoles, tout élève peut faire valoir son droit à

l’enseignement en langue minoritaire. Ainsi, même si aucun élève n’est inscrit à un tel

enseignement, l’école ne perd pas son statut, et tout élève pourra profiter de son droit

constitutionnel sans la moindre condition de nombre ou de tout autre ordre. L’ouverture

du droit à l’enseignement en langue minoritaire est donc déterminée géographiquement.

La loi scolaire relative aux minorités pour la Carinthie de 1959 n’instituait un

droit à l’enseignement en langue minoritaire que pour ces territoires. Le 15 Décembre

1989118, la cour constitutionnelle autrichienne a censuré cette disposition, la limitation du

droit à l’enseignement en langue slovène à certains territoires du Land étant contraire à

l’article 7 paragraphe 2 du Traité de Vienne, et par conséquent inconstitutionnelle : « Le

droit découlant de l’article 7 paragraphe 2 du Traité de Vienne de 1955 existe en

Carinthie pour les membres des minorités en principe sur tout le territoire du Land, la

constitution fédérale ne connaît pas de rattachement territorial plus étroit »119.

Le droit à l’enseignement en langue minoritaire accordé par le traité de Vienne

doit donc être garanti sur tout le Land. La cour opère néanmoins une différenciation

territoriale. Elle distingue entre les « territoires d’implantation historiques », ou

Hundert zu einer nationalen Minderheit, so ist sowohl die Staats- wie die Minderheitssprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen (gemischtsprachige Schulen). Bildet die Minderheit weniger als 30 vom Hundert der Bewohner, so ist die Staatssprache die Unterrichtssprache, wobei es jedoch der Schulgemeinde überlassen bleibt, Vorsorge zu treffen, dass die nicht deutsch sprechenden Kinder in ihrer Muttersprache durch deren Einführung als nicht verbindlichen Lehrgegenstand unterrichtet werden. [...] „. 116 Cet annexe contient la liste des localités où les écoles étaient bilingues lors de l’année scolaire 1993/94. 117 Cet annexe contient la liste des localités où les écoles étaient bilingues, n’existaient plus en 1993/94, mais sont à nouveau instituées, comme le prévoit la deuxième phrase de l’article 6 paragraphe 2 de la loi pour le Burgenland. 118 VfSlg 12.245 119 „Das Recht nach Art7 Z2 des StV Wien 1955 besteht in Kärnten für Minderheitsangehörige grundsätzlich landesweit, eine engere territoriale Bindung kennt die Bundesverfassung nicht“.

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« domaine autochtone d’installation » (« autochtone Siedlungsgebiet »), et le reste du

territoire du Land, où le droit doit aussi exister, s’il existe un besoin.

Le législateur a tenu compte de cette jurisprudence pour la loi de 1994 concernant

le Burgenland. Les deux lois pour les Länder étudiés garantissent donc le droit à

l’enseignement en langue minoritaire sur tout leur territoire, mais de manière

différenciée, en application du traité de Vienne.

Il existe donc une double garantie pour ce droit. D’abord une garantie territoriale,

que nous venons d’étudier, permettant d’exercer son droit sans aucune condition, mais

aussi une garantie personnelle, dans le reste du Land, pour chaque élève. C’est là le

secon type d’application du droit à l’enseignement en langue minoritaire.

b) Le principe personnel

Ce principe suppose des conditions relatives à l’individu pour l’ouverture du droit

étudié.

1 La condition d’un nombre minimum d’élèves dans le reste du territoire des Länder

Comme l’explique la cour autrichienne, en dehors des territoires historiques, des

écoles garantissant le droit à l’enseignement en langue minoritaire doivent être instituées.

Néanmoins, leur existence est dépendante d’« un besoin local durable »120, c’est à dire un

nombre d’élèves concernés suffisant. La cour estime en effet que le traité de Vienne, en

accordant ce droit à tous les membres de la minorité slovène et sur le tout le territoire du

Land n’impose pas que chaque membre de la minorité en âge d’aller à l’école puisse sans

exception obtenir un enseignement dans la langue slovène dans la commune où il réside.

Au contraire, le traité permet de prendre en compte le besoin effectif et les

investissements financiers publics121.

120 „Außerhalb des autochthonen Siedlungsgebiets der slowenischen Minderheit in Kärnten ist die Einrichtung solcher Schulen nach Wortlaut und Sinngehalt des Staatsvertrages von Wien von einem nachhaltigen, lokalen Bedarf abhängig, folglich nur bei Zustandekommen einer entsprechenden Schülergruppe (unter Umständen aus mehreren Gemeinden)verpflichtend“. 121 „[Der Staatsvertrag von Wien gibt] den im ganzen Bundesland Kärnten lebenden (elementarschulpflichtigen) Angehörigen der slowenischen Minderheit das Recht auf Inanspruchnahme entsprechender schulischer Einrichtungen. Dies schließt indes nicht mit ein, daß ausnahmslos jeder einzelne Minderheitsangehörige im schulpflichtigen Alter gerade in der Wohnsitzgemeinde in

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Contrairement au principe territorial qui ouvrait un droit sans condition autre que

géographique, le principe personnel nécessite donc un « besoin », c’est à dire un nombre

suffisant d’élèves appartenant à la minorité122.

Les lois pour le Burgenland et pour la Carinthie ont appliqué cette différenciation,

la loi pour la Carinthie car elle avait été censurée par la cour constitutionnelle, et la loi

pour le Burgenland, rédigée après l’arrêt, pour respecter cette jurisprudence.

Selon l’article 11 de la loi pour la Carinthie, en plus des écoles prévues par

l’article 10 (celles des territoires « autochtones ») des écoles primaires et secondaires

doivent être prévues pour la minorité slovène si un « besoin durable » à la satisfaction

du droit accordé par le traité de Vienne existe123. De même, l’article 6 paragraphe 3 de la

loi pour le Burgenland prévoit-il qu’à côté des écoles prévues dans le paragraphe 2 (là

aussi, celle des territoires d’implantation historiques), des écoles doivent être prévues

pour les minorités croates et hongroises lorsqu’il existe un besoin durable à la

satisfaction du droit prévu dans l’article 1 paragraphe 1, c’est à dire du droit à

l’enseignement en langue minoritaire octroyé par le traité de Vienne124.

Contrairement au système en vigueur dans les territoires historiques, le droit

étudié est donc ici conditionné par la vérification d’un besoin. Pour des raisons pratiques,

réalistes, l’exercice du droit à l’enseignement en langue minoritaire ne sera possible que

si l’existence d’un besoin durable de cet exercice est établie. Cela rappelle la formulation

du traité de Saint-Germain, qui imposait à l’Etat de fournir des « facilités appropriées »

pour que « dans les villes et districts où réside une proportion considérable de

ressortissants autrichiens de langue autre que la langue allemande », les enfants de ces

ressortissants reçoivent une éducation publique dans leur langue.

Comme nous l’avons déjà expliqué le droit à l’enseignement en langue

minoritaire est un droit individuel. Il convient ici de préciser que ce droit appartient non

pas à chaque membre de la minorité mais, selon une interprétation logique, à ceux de ces

slowenischer Sprache unterrichtet werden müsse. Vielmehr läßt es der Staatsvertrag von Wien zu, in dieser Beziehung Aspekte des tatsächlichen Bedarfs und des ökonomischen Einsatzes öffentlicher Mittel (mit-) zu berücksichtigen.“ 122 Ainsi, dans l’arrêt 12.245 cité, la cour reconnut-elle qu’un tel besoin existait sans aucun doute pour l’ouverture d’une école primaire bilingue à Klagenfurt, capitale de la Carinthie. 123 „Neben den gemäss § 10 festgelegten Schulen sind jene Schulen als für die slowenische Minderheit in Betracht kommende Volks- und Hauptschulen festzulegen, bei denen ein nachhaltiger Bedarf an der Befriedigung des im Artikel 7 Z 2 des Staatsvertrages BGBl. Nr. 152/1955 festgelegten Rechtsanspruches besteht [...]“. 124 „Neben den gemäss Abs. 2 festgelegten Schulen sind jene Schulen als für die kroatische oder ungarische Volksgruppe in Betracht kommende Volksschulen festzulegen, bei denen ein nachhaltiger Bedarf an der Befriedigung des im § 1 Abs. 1 festgelegten Rechtsanspruches besteht[...]“.

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membres qui fréquentent une école, les élèves125 ; de même que le droit à l’avortement

n’est pas détenu par l’ensemble des personnes physiques, mais seulement par celles qui

sont susceptibles de l’utiliser : les femmes.

Par conséquent, la formulation du traité de Saint-Germain, qui s’attache à la

proportion de la population parlant une langue minoritaire, est peu judicieuse, en cela

qu’elle soumet l’exercice d’un droit à l’existence d’un nombre minimum de personnes

n’étant pas toutes détentrices de ce droit.

La cour constitutionnelle ne commet pas la même erreur. Elle précise que le droit

accordé par le traité de Vienne a pour titulaire « les membres de la minorité soumis à

l’obligation scolaire »pour l’école primaire126 et voit donc dans le besoin d’assurer ce

droit l’existence d’un groupe d’élèves suffisant. Ainsi, l’institution d’écoles en langue

minoritaire ou bilingue ne sera, en dehors des territoires historiques, obligatoire dans une

circonscription que s’il existe un nombre suffisant d’élèves, éventuellement répartis sur

plusieurs communes, susceptibles de faire valoir ce droit.127

La question qui se pose à présent est donc de savoir comment l’on détermine

l’existence de ce besoin, de ce groupe d’élèves. On a vu dans l’introduction que la

détermination quantitative des minorités n’était pas chose aisée.

Faut-il se reporter à des critères objectifs, tels que la langue parlée par

l’individu ? D’après la jurisprudence constante de la cour constitutionnelle

autrichienne128, le fait de vérifier l’appartenance à la minorité est discriminatoire. Ainsi,

la cour ne reconnaît-elle que le critère subjectif, qui s’exprime par la déclaration

d’appartenance de l’individu. Cela est conforme à l’article 1 de la loi sur les groupes

ethniques (Volksgruppengesetz) de 1976 selon lequel « l’appartenance à un groupe

ethnique est libre ».

Dans le cadre scolaire, cette déclaration s’exprimera logiquement par la volonté

d’user de son droit constitutionnel d’obtenir un enseignement en langue minoritaire.

L’existence d’un besoin de satisfaire ce droit se mesurera donc au nombre des

inscriptions à l’enseignement en langue minoritaire ou bilingue dans une circonscription.

125 Faut-il considérer que ce droit n’appartient pas à l’élève mineur mais à ses parents ou représentants légaux? Il nous semble que l’élève exerce ce droit lui-même, puisque c’est bien lui, et non son représentant qui assiste à l’enseignement en langue minoritaire. Par ailleurs, notons d’ors-et-déjà que ce droit appartient en réalité à chaque élève, indépendament de son appartenanve à la minorité. Ce point sera traité dans la deuxième partie. 126 „volksschulpflichtige Minderheitsangehörige“ 127 VfSlg 12.245 128 VfSlg 8061; 9744; 11.585; 12.836.

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Les lois scolaires pour le Burgenland et la Carinthie règlent très précisément ce

qu’il faut entendre par « besoin », par l’existence d’un « groupe d’élèves » suffisant. Le

nombre d’inscriptions à partir duquel le besoin doit être reconnu et l’école, la classe ou la

section mises en place sont prévus dans l’ article 11 paragraphe 1 pour la Carinthie, et les

articles 6 paragraphe 3 et 10 paragraphe 3 pour le Burgenland.129

Le droit à l’enseignement en langue minoritaire est donc assuré sur tout le

territoire des Länder étudiés, mais en dehors des territoires historiques, son exercice est

conditionné par le nombre de ses détenteurs. Une prise en compte des individus est donc

réalisée, l’application du principe personnel se traduit par un dénombrement des

individus souhaitant faire valoir leur droit.

2 Le principe personnel pour les germanophones et les ladinophones dans le Südtirol

Dans le Südtirol, le principe personnel est la règle. Il s’applique sur tout le

territoire à l’exception des localités ladines étudiées plus haut. A la différence du

système autrichien, le principe personnel n’implique pas une condition de nombre. Il est

énoncé de manière absolue. L’article 19 du statut spécial, déjà cité, prévoit que

l’enseignement aura lieu dans la langue maternelle de l’élève, « c’est à dire en allemand

ou en italien ».

Ce droit ne vaut pas pour les ladins, qui pourront fréquenter une école où leur

langue est utililisée seulement s’ils résident dans une commune à majorité ladine. Le

droit absolu à l’enseignement en langue maternelle est donc réservé aux groupes

linguistiques allemand et italien. S’agit-il d’une discrimination ? La langue ladine n’est

pas sur un pied d’égalité avec les langues italienne et allemande. Son utilisation est

limitée dans tous les domaines, et son apprentissage n’est pas assuré de manière

suffisante dans l’enseignement. Pour cette raison, nous insistons sur le point qu’il est

faux de définir le système du Südtirol comme un modèle parfait de protection des

129Ainsi, selon l’article 11 paragraphe 1 de la loi pour la Carinthie, le « besoin durable » est atteint pour l’ouverture d’une classe de maternelle et de primaire (de la première à la quatrième année) à partir de 7 inscriptions. A partir de la cinquième année, il faut au moins 9 inscriptions. Enfin, un section dans un collège doit être ouverte à partir de 5 inscriptions. De même, l’article 6 paragraphe 3 de la loi pour le Burgenland prévoit l’ouverture dune classe de maternelle à partir de 7 inscriptions et d’une classe primaire (de la première à la quatrième année) également à partir de 7 inscriptions. L’article 10 paragraphe 3 prévoit l’ouverture d’une classe dans un collège à partir de 9 inscriptions, et d’une section dans un collège à partir de 5 inscriptions.

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minorités et de leurs langues130. L’allemand et l’italien ayant un statut égal dans la

province, le ladin constitue la « véritable » langue minoritaire. Sa protection n’est pas

garantie de manière satisfaisante. Il s’agit donc d’une véritable discrimination, puisque

les droits reconnus à l’allemand sont en tous points supérieurs à ceux reconnus au ladin.

Néanmoins, une nuance doit être apporté au caractère absolu de ce droit. Pour des

raisons pratiques, il est impossible de le garantir sans la moindre condition. Le cas

échéant, doit-on ouvrir une classe germanophone pour un seul élève ? Une adaptation de

l’article 19 à la réalité a été effectuée. L’article 4 du décret présidentiel du 10 Novembre

1983 prévoit que pour l’établissement des écoles primaires, la province doit prendre en

compte, en plus des élèves, des facteurs territoriaux et socio-économiques131. Ce décret

concernant l’application du statut spécial pour le domaine scolaire corrige donc l’article

19, en atténuant son aspect général. Ainsi, un enfant germanophone résidant dans une

commune à forte majorité italophone ne disposera pas forcément d’une école en

allemand dans sa commune.

Mais aucune norme législative ne prévoit précisément le seuil numérique

d’ouverture de l’école. En précisant un nombre minimum d’élèves, le décret présidentiel

concernant les dispositions d’application aurait violé le statut. Il a donc simplement

donné un pouvoir discretionnaire à la province pour adapter la norme. Ainsi, par une

décision du 24 Mars 1997, le gouvernement de la province a précisé qu’une école

primaire pouvait exister si au moins 17 élèves la fréquentaient. A partir de cette règle, le

gouvernement décide au cas par cas de la création ou de la fermeture d’une école, sur la

base des trois « plans de répartition des écoles » qu’il reçoit des trois groupes

linguistiques de la province.

. Néanmoins, des mesures sont tout de même prévue pour que le droit de chaque

élève germanophone ou italophone à l’enseignement dans sa langue maternelle soit

garanti. Ainsi, toujours selon une décision du gouvernement de la province, si aucune

école dans la langue concernée ne se trouve dans un rayon de 2,5 kilomètres de la

résidence de l’élève, ses parents auront droit à une indemnité relatives aux frais de

130 Comme le fait, par exemple, Antony Alcock, selon lequel « L’autonomie du Südtirol a été reconnue comme être l’un des meilleurs exemples de protection des minorités régionales et culturelles dans le monde ». Antony Alcock : « Le Sud – Tyrol » in : Les droits des minorités en Europe, vers un régime transnational, sous la direction de Hugh Miall, L’Harmattan, 1997, p.81. 131 En version allemande (publiée le 28 Juin 1983): „Für die Errichtung von Grundschulen […] sorgt die Provinz auf Grund eigener Pläne, wobei neben der Schülerschaft gebietliche und sozioökonomische Faktoren zu berücksichtigen sind“.

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transports. A partir de quatre élèves dans une situation similaire, un service de transport

doit être institué.

Le droit absolu à l’enseignement en langue maternelle est donc garanti. Des

décisions du gouvernement permettent son adaptation aux situations pratiques.

Conclusion de partie : Nous avons dans cette première partie étudié le droit à l’enseignement en langue

minoritaire. Il est apparu qu’il s’agissait là d’un droit individuel, dont l’application peut

être reglée selon un principe soit territorial, soit personnel.

Dans l’optique que nous nous sommes fixée, à savoir la possibilité d’accorder un

tel droit sans reconnaître de minorité, le caractère individuel de ce droit est primordial.

En effet, un droit collectif entraînerait forcément la reconnaissance de la minorité,

puisqu’on en fait un sujet de droit.

En ce qui concerne les modalités d’application de ce droit, le système de principe

du Südtirol est à écarter, puisqu’il se réferre explicitement à la langue maternelle de

l’élève et induit donc l’existence de plusieurs groupes linguistiques, c’est à dire,

automatiquement, de minorités linguistique.

Le principe personnel « à l’autrichienne » est différent. Il soumet l’exercice du

droit non pas au nombre de membres de la minorité, comme le prévoyait le traité de

Saint-Germain, ni au nombre d’élèves de la minorité, mais au nombre d’inscriptions à

l’enseignement en langue minoritaire. Or, rien n’impose que l’inscription émane d’un

élève appartenant à la minorité. Ce système ne repose donc pas forcément sur la

reconnaissance de minorités. Nous reviendrons sur ce point.

Quant au principe territorial, il ne tient pas compte, dans son application, des

appartenances linguistiques. Dans les localités ladines du Südtirol, chaque élève

fréquente la même école plurilingue, peu importe son groupe linguistique. Dans les

« territoires historiques » des Länder de Carinthie et du Burgenland, des écoles bilingues

sont créées sans autre condition que géographique.

Mais l’inconvénient du principe territorial réside non dans sa mise en œuvre, mais

dans son origine. En effet, la fixation des territoires concernés est faite en fonction de la

présence de minorités linguistiques. Ainsi, dans le Südtirol, les localités ladines sont

établies en fonction de la composition linguistique de la population. De même, en

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Autriche, les « territoires historiques » ont pour origine des recensements axés sur la

langue utilisée par les individus.

De tous les systèmes étudiés, seuls le principe personnel tel qu’il est appliqué en

Autriche est donc compatible avec l’absence de reconnaissance de minorités.

Néanmoins, si l’on se borne à considérer que le droit à l’enseignement en langue

minoritaire protège uniquement la minorité dans son ensemble, ou bien ses membres

dans leur individualité, on ne peut imaginer un tel droit dans un ordre juridique ne

reconnaissant pas de minorité. Pourquoi, et comment, protéger ce qui n’existe

pas juridiquement ?

Ce problème va être résolu en prouvant que ce droit protège également la langue

elle-même.

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Seconde partie : l’objet de la protection mise en place

par le droit à l’enseignement en langue minoritaire

Il s’agit ici de prouver en quoi le droit étudié protège, en plus de l’individu

membre de la minorité, également la langue. Pour ce faire, il nous faut d’abord

démontrer que la langue peut être directement l’objet de normes juridiques (Section 1).

Nous étudierons ensuite les modalités de cette protection de la langue par le droit à

l’enseignement en langue minoritaire (Section 2).

Section 1 La langue comme objet de protection du droit Pour que la langue puisse elle-même être protégée par le droit, elle ne doit pas

être seulement une caractéristique de la personne, mais une notion objective, distincte

des individus (A). Des normes peuvent alors viser directement les langues majoritaires

ou minoritaires en règlant les rapports entre elles(B).

A L’objectivisation de la langue

Une langue ne se rattache pas aux individus. Inversement, c’est chaque individu

qui se rattache à une langue. Ainsi, la langue est une notion objective, indépendante des

sujets de droit que sont ses locuteurs. Cela apparaît dans certaines normes autrichiennes

(a), et a été jugé par la Cour de justice des communautés européennes concernant le

Südtirol (b).

a) Des normes relatives aux langues dans l’ordre juridique

autrichien

En Autriche, où le droit à l’enseignement en langue minoritaire est, on l’a vu,

garanti, des dispositions constitutionnelles proclament la volonté de sauvegarder les

langues. Cela constitue un premier indice tendant à prouver que ce droit vise non

seulement à la protection de l’individu, mais aussi à la protection de la langue elle-

même.

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Ainsi, depuis le 1er Août 2000, l’article 8 de la loi constitutionnelle autrichienne,

qui prévoit que la langue allemande est la langue nationale, comprend un second

paragraphe. Celui-ci exprime la volonté de l’Autriche de sauvegarder ses langues

minoritaires : « La République (Bund, Länder et Gemeinden) se reconnaît dans sa

diversité linguistique et culturelle, forgée au fil des années, qui trouve son expression

dans les groupes ethniques autochtones. Il lui faut respecter, sauvegarder et promouvoir

la langue et la culture, l’existence continue et la conservation de ces groupes

ethniques »132.

Certes, ce sont les groupes ethniques, et pas leurs langues, qui forment l’objet

principal de la volonté de protection annoncée. Néanmoins, si les groupes ethniques

doivent être protégés, c’est parce qu’ils sont « l’expression » de la diversité linguistique

et culturelle de l’Autriche. La langue étant elle-même une culture, la culture n’étant rien

sans la langue, c’est bien la protection de la diversité linguistique qui est l’objectif

suprême, qui justifie la protection des minorités. On peut donc considérer que le droit à

l’enseignement en langue minoritaire, mesure essentielle pour remplir l’objectif fixé par

l’article 8 paragraphe 2 a juridiquement comme but non seulement la protection des

minorités, mais également explicitement la protection des langues minoritaires.

Dans cet article, la protecton des langues minoritaires apparaît comme la

sauvegarde d’une diversité linguistique favorable à tous, et pas comme une mesure

bénéficiant seulement aux membres des minorités. On veut protéger la multitude des

langues, et c’est dans ce but qu’il faut protéger les minorités. Mais cela profitera à tous.

Le reglement fédéral prévoyant le programme scolaire pour les écoles

minoritaires du Burgenland obéit à la même idée. Dans la deuxième partie sur les

objectifs généraux de l’éducation, celui-ci prévoit de « rendre les enfants conscients de la

valeur du bilinguisme » pour leurs vies personnelles, mais aussi pour le »vivre-

ensemble » pacifique des groupes ethniques133. Le bilinguisme, et par conséquent la

protection de la langue minoritaire est donc perçu comme un objectif objectivement

positif, c’est à dire pour l’ensemble de la sociéte, et pas seulement pour les membres des

minorités.

132 „Die Republik (Bund, Länder und Gemeinden) bekennt sich zu ihrer gewachsenen sprachlichen und kulturellen Vielfalt, die in den autochthonen Volksgruppen zum Ausdruck kommt. Sprache und Kultur, Bestand und Erhaltung dieser Volksgruppen sind zu achten, zu sichern und zu fördern.“ 133 Lehrplan der Volksschulen (Volksschulklassen) mit kroatischer oder mit kroatischer und deutscher Unterrichtssprache, reglement du ministère fédéral pour l’éducation, la science et la culture, Janvier 2000, p.36.

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b) Südtirol : la jurisprudence de la CJCE favorable à une

ojectivisation de la langue

En Italie, par contre, l’article 6 de la constitution, déjà cité, prévoit uniquement

que « la République protège les minorités linguistiques avec des dispositions

particulières ». Ici, les minorités sont clairement visées, il n’est pas question des langues

en dehors de leur rattachement à des groupes minoritaires. Néanmoins, le fait que la

constitution évoque les « minorités linguistiques », et non les minorités « tout court »,

laisse apparaître une reconnaissance de l’importance des langues. La langue semble être

considérée comme le caractère le plus important de la minorité. L’article 6 limite la

protection des minorités à une protection de leur langue. La constitution italienne

reconnaît donc l’importance de la sauvegarde des langues minoritaires, même si elle se

concentre explicitement sur la protection des minorités.

Mais dans le Südtirol, la langue est fortement rattachée à l’individu. Le régime

juridique s’appliquant à l’individu découle de sa langue maternelle, notamment pour

l’enseignement. Rappelons que l’article 19 du statut d’autonomie prévoit que les cours

seront donnés dans la langue maternelle de l’élève.

La déclaration d’appartenance à un certain groupe linguistique, donnée par les

habitants de la région tous les dix ans revêt une importance énorme. Ainsi, dans les

emplois publics, la répartition des postes se fait proportionnellement à la composition de

la population, comme le prévoit l’article 89 du statut. On ne peut donc pas dire que la

langue soit dans ce système une notion juridique objective. Elle est au contraire un aspect

subjectif essentiel de la personne.

Mais le Südtirol est menacé par une sanction de la Cour de Justice des

Communautés Européennes. En effet, la commission européenne estime que ce système

qui tient compte de l’appartenance à un groupe linguistique pour l’obtention d’emplois et

d’appartements publics est contraire au droit communautaire. Il s’agit d’une atteinte à la

sphère personnelle134. Tout ce système basé sur la proportionnalité est remis en cause. La

commission, soutenue par Rome, envisage donc de saisir la cour.

La subordination des droits à l’apparenance linguistique, c’est à dire la

subjectivisation à l’extrême de la langue est donc remise en cause.

Le Südtirol a déjà été sanctionné par la Cour de Justice des Communautés

Européene dans une affaire relative à la langue. Dans l’affaire « Procédures pénales

134 Die Presse, 18 Décembre 2003, p.8.

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61

contre Horst Otto Bickel et Ulrich Franz » du 24 Novembre 1998135, le problème était de

savoir si un ressortissant d’un Etat membre pouvait se voir reconnaître le droit de

demander qu’une procédure pénale engagée à son égard dans un autre Etat membre se

déroule dans une langue autre que la langue officielle de l’Etat dès lors que certains

ressortissants de cet Etat jouissent de ce droit136.

Selon le gouvernement italien, le droit d’option permettant de choisir l’italien est

lié de manière indissociable à la citoyenneté de Bolzano. « La règle vise simplement à

protéger une minorité linguistique spécifique en Italie, à titre de reconnaissance d’une

identité ethnico-culturelle ». Les droits de la défense sont en effet déjà protégés par le

droit de disposer librement d’un interprète.

Ainsi, la Corte Costituzionale avait, dans l’arrêt n°15 du 29 Janvier 1996,

distingué entre les droits de la défense et la protection des minorités linguistiques. Les

premiers sont relatifs aux langues, visent à permettre au défendeur de comprendre la

procédure, tandis que la seconde est une protection constitutionnelle correspondant à

l’héritage culturel d’un groupe ethnique particulier. Elle ne tient pas compte de la

circonstance concrète que la personne appartenant à la minorité connaisse ou non la

langue officielle de l’Etat, l’italien.

Selon la cour et le gouvernement italien, les droits linguistiques accordés aux

minorités protègent donc la minorité, et pas la langue de manière objective. La langue

n’est protégée que par rattachement à la minorité, ce qui explique que seuls ses membres

puissent jouir des droits accordés.

L’avocat général, qui sera suivi par la cour de justice, estime pour sa part que ce

système provoque une discrimination indirecte car la règle joue au détriment des

ressortissant d’autres Etats membres. Les citoyens allemands et autrichiens sont

empêchés de choisir l’allemand comme langue de procédure, alors que la plupart des

résidents du Südtirol faisant l’objet de poursuite à Bolzano pourront le faire.

L’avantage, s’il est régional dans sa forme, s’adresse en réalité directement à une

catégorie de résidents, ceux de langue allemande. L’avocat distingue cela d’un avantage

régional général, tel que la gratuité des ruines de Pompéi pour les résidents de la région

de Naples.

135 Affaire C-274/96 (Recueil I – p. 7637). 136 En l’espèce, M. Bickel était un ressortissant autrichien, conducteur routier, arrêté en Etat d’ivresse sur le territoire du Südtirol. M. Franz était un ressortissant allemand interpelé dans le Südtirol en possession d’une arme dont le port était prohibé. Des poursuites furent engagées contre ces deux individus devant le tribunal de Bolzano. Ils demandèrent qu’elles se déroulent en langue allemande.

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62

C’est donc bien le rattachement de la langue à la minorité que condamne la cour.

Puisque les juridictions fonctionnent normalemant en langue allemande, les citoyens

d’autres Etats membres doivent pouvoir jouir de ce droit même s’ils ne résident pas dans

le Südtirol. La cour objectivise donc la langue, en ce qu’elle censure la vision selon

laquelle les droits linguistiques en vigueur dans le Südtirol répondent uniquement à

l’objectif de protection du groupe linguistique germanophone. Ces droits protègent au

contraire la langue allemande elle-même, et doivent donc être ouverts à toute personne

parlant cette langue.

L’avocat général finit son rapport en remarquant que le caractère exclusif de la

règle, dont le but est la protection de la minorité linguistique, dessert la minorité

puisqu’il renforce l’italien comme langue principale, dans une région majoritairement

germanophone. Selon nous, ce n’est pas la minorité germanophone qui était lésée,

puisqu’elle jouit de toutes façons des droits prévus, mais la langue allemande, qui perdait

du terrain face à la langue italienne, en n’étant pas utilisée dans une procédure à

l’encontre d’individus germanophones.

Il apparaît donc clairement que la langue en soi est également protégée par les

droits linguistiques, hors de tout rattachement à une minorité linguistique. Une autre

preuve de la capacité de la langue à être l’objet d’une protection juridique est constituée

par l’existence de normes réglant les rapports entre elles.

B Le règlement des rapports entre les langues

Des normes ont pour objet les langues, et règlent les rapports entre elles. La

relation entre une langue minoritaire et une langue majoritaire couvre deux aspects.

D’abord, la reconnaissance juridique du langage minoritaire, éventuellement par l’octroi

d’un statut officiel, est la condition sine qua none pour mettre en place un système de

protection, pour situer juridiquement cette langue par rapport à celle de l’Etat (a).

Ensuite, deux options sont possibles : les normes peuvent avoir pour but la mixité, le

mélange des deux langues, ou bien protéger chacune d’entre elles en les isolant (b).

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a) La reconnaissance juridique de la langue minoritaire et

l’égalité dans l’enseignement

La protection d’une langue passe nécessairement par sa reconnaissance juridique.

Celle-ci peut se faire au moyen de l’attribution d’un statut officiel (1). Un tel statut place

la langue minoritaire à égalité avec la langue majoritaire de l’Etat, et garantit de manière

importante sa protection notamment dans le cadre de l’enseignement public. Néanmoins,

l’égalité ne passe pas forcément par l’attribution d’un tel statut (2).

1 L’attribution d’un statut officiel

Dans sa Contribution à l’étude du statut des langues en Europe137, Jean Falch

note la distinction faite dans certains Etats entre langue nationale et langue officielle. La

première est la langue de la Nation, du peuple, tandis que la seconde est la langue de

l’Etat, « c’est à dire la langue employée par le parlement, l’administration,

l’enseignement, la justice »138. Ainsi, à Malte, l’anglais et le maltais sont les langues

officielles, mais seul le maltais a le statut de langue nationale. Inversement, la Suisse

possède quatre langues nationales, mais contrairement à l’italien, au français et à

l’allemand, le rhéto-roman n’a pas le statut officiel.

L’auteur distingue donc dans sa classification les Etats bi ou plurilingues égaux,

qui reconnaissent officiellement qu’ils sont plurilingues, et les Etats bi ou plurilingues

inégaux, qui ne se reconnaissent officiellement que monolingue. Il place les Etats faisant

l’objet de notre étude, l’Autriche et l’Italie, dans cette seconde catégorie. Nous

chercherons à savoir si cela est justifié.

La grosse lacune du travail de M. Falch provient de l’absence de définition de ce

qu’il entend par « statut officiel ». D’après la classification qu’il établit, on peut penser

que selon lui, une langue est officielle lorsqu’elle est reconnue comme telle dans la

constitution de l’Etat à l’article concernant la langue. Mais cela contredit la définition

qu’il faisait de la langue officielle, à savoir celle employée dans les tribunaux, les écoles,

l’administration et au parlement.

137 Jean Falch: Contribution à l’étude du statut des langues en Europe, Presses de l’université de Laval, 1973. 138 Ibidem, p.4.

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A notre sens, le statut officiel se distingue de la simple reconnaissance de droits,

surtout par un aspect symbolique. Le fait de reconnaître explicitement la langue

minoritaire comme langue officielle la place, du point de vue du prestige, sur un pied

d’égalité avec la langue majoritaire nationale et rend obligatoire son emploi comme

langue d’enseignement. De plus, le statut officiel entraîne l’utilisation de la langue dans

tous les domaines publics, tels que l’enseignement, l’administration, les tribunaux, ou les

organes représentatifs de la population.

Cependant, les minorités étant souvent rattachée à une partie précise du territoire

de l’Etat, il n’est pas impossible d’accorder un statut officiel régional. Une coofficialité

limitée géographiquement entre la langue nationale et la langue minoritaire est

envisageable, et même logique puisque nous l’avons vu, les minorités que nous étudions

n’ont des droits linguistiques que dans certaines régions de l’Etat où elles se trouvent.

Nous étudierons donc si, dans les régions étudiées, les langues minoritaires pouvant être

utilisées comme langue d’enseignement ont un statut officiel. Ce statut pourra donc être

limité géographiquement. Mais dans ce cadre, son contenu doit être le même que les

prérogatives de la langue majoritaire officielle.

En Autriche, l’article 19 de la loi fondamentale d’Etat de 1867 reconnaissait

déjà, dans son deuxième paragraphe, « l’égalité des droits pour toutes les langues

habituelles sur son territoires »139. Le terme employé de landesübliche Sprachen peut,

selon le professeur Kolonovits, être compris comme les langues parlées par des

« Volksstämme » ayant une relation historique avec un territoire de l’Etat140. On peut

donc considérer qu’il s’agit des langues minoritaires telles que nous les avons définies

dans l’introduction. Cette norme reconnaît donc les différentes langues et leur garantit

l’égalité juridique. Faut-il voir en cela une égalité de statut ? Une telle interprétation

conduirait à l’octroi d’un statut officiel à chaque langue minoritaire sur son territoire

historique. Cette disposition de l’article 19 ne serait alors plus en vigueur, car toutes les

dispositions constitutionnelles ultérieures relatives à ce sujet dénient un tel statut aux

langues minoritaires reconnues.

Ainsi, le traité de Saint-Germain, dans son article 66 paragraphe 4 reconnaît

explicitement l’existence de langues minoritaires, tout en écartant pour elle le statut

officiel : « Nonobstant l'établissement par le gouvernement autrichien d'une langue

139 Die Gleichberechtigung aller landesüblichen Sprachen in Schule, Amt und öffentlichem Leben wird vom Staate anerkannt 140. Dieter Kolonovits, Minderheitenschulrecht in Burgenland, op. cit., p.23.

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officielle, des facilités appropriées seront données aux ressortissants autrichiens de

langue autre que l'allemand, pour l'usage de leur langue, soit oralement, soit par écrit

devant les tribunaux ».

Seul le paragraphe 3 de l’article 7 du traité de Vienne permet une hésitation. Il

prévoit en effet que « dans les circonscriptions judiciaires et administratives de Carinthie,

du Burgenland et de Styrie où reside réside une population slovène ou croate, ou une

population mixte, le slovène ou le croate seront admis comme "langue officielle" en plus

de l'allemand »141. Le mot Amtssprache est habituellement traduit par langue officielle.

Néanmoins, comme le montre l’article cité, il s’agit ici d’un usage uniquement

administratif et judiciaire.

En application du traité, la loi sur les groupes ethniques (Volksgruppengesetz) de

1976 prévoit l’utilisation d’une Amtssprache supplémentaire dans les territoires où les

membres de la minorité représentent plus de 25 % de la population. La loi autorise le

gouvernement fédéral à fixer par règlement les territoires concernés. Trois règlement ont

été édictés dans ce but, pour les langues slovène142, croate143 et hongroise144. Les

communes dans lesquelles la langue minoritaire est admise comme Amtssprache y sont

énumérées.

Les autorités judiciaires et administratives des lieux concernés utilisent donc la

langue minoritaire en plus de l’allemand. Le statut « officiel » de la langue est donc

doublement limité : géographiquement et matériellement, en ce qu’il ne concerne que

certaines institutions. Ainsi, le statut de Amtssprache n’a aucun lien avec l’emploi de la

langue dans l’enseignement. De même, bien que cela soit prévu dans le même

paragraphe, l’obligation d’instaurer une signalisation topographique bilingue ne découle

pas du statut de la langue, mais de l’importance numérique de la population.

En rélité, le terme de Amtssprache se réduit à un usage administratif. Il s’agit de

la langue dans laquelle les habitants et les citoyens d’un Etat (ou d’une région) peuvent

s’adresser aux organes administratifs (de la région).

141 „In den Verwaltungs- und Gerichtsbezirken Kärntens, des Burgenlands und der Steiermark mit slowenischer, kroatischer oder gemischter Bevölkerung wird die slowenische oder kroatische Sprache zusätzlich zum Deutschen als Amtssprache zugelassen. [...]“. 142 Règlement du gouvernement fédéral du 31 Mai 1977 sur la détermination des tribunaux, autorités administratives et autres services devant lesquels la langue slovène est admise en plus de l’allemand comme Amtssprache. 143 Règlement du 24 Avril 1990, portant le même intitulé pour la langue croate. 144 Règlement du 5 Juin 2000, portant le même intitutilé pour la langue hongroise.

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Si l’ordre juridique autrichien reconnaît un certain statut aux langues minoritaires

en certains points de son territoire, il ne nous semble pas que l’on puisse le définir

comme un véritable statut officiel145, au sens où nous l’entendons.

Le statut du ladin dans le Südtirol appelle les mêmes observations. Un décret

présidentiel146 l’a en effet reconnu comme langue officielle, mais de manière locale et

très limitée sectoriellement. L’article 32 de ce décret prévoit en effet que les citoyens

ladinophones de la province de Bolzano peuvent employer leur langue dans leurs

rapports avec les bureaux de l’administration publique et les institutions scolaires ayant

leur siège dans les localités ladines, ou en dehors si ces organes traitent de sujets

concernant essentiellement la population ladine. Des institutions doivent adjoindre une

traduction ladine aux actes qu’elles émettent en allemand ou en italien. De plus, les

membres des organes élus des localités ladines peuvent employer la langue ladine, et

doivent, à l’écrit, fonctionner simultanément dans les trois langues.

Mais les institutions de l’armée et de la police sont exclues de ces dispositions.

De plus, un ladinophone a seulement droit à un interprète devant un tribunal, ce qui ne

constitue pas un droit particulier.

Selon notre appréciation, un tel statut officiel n’en est pas vraiment un, pas en

raison de sa limitation géographique, mais de son contenu matériel fort restreint.

Par contre, l’article 99 du statut d’autonomie du Trentin-Haut-Adige prévoit que

« dans la région, la langue allemande est à égalité avec l’Italien, qui est la langue

officielle de l’Etat »147. Cet article affirme l’égalité de statut dans la région entre

l’allemand et l’italien, et rappelle que l’italien est la langue officielle de l’Etat. On peut

en déduire que les deux langues sont les langues officielles de la région. La limitation du

statut officiel est ici uniquement géographique, ce qui ne pose pas de problème.

De plus, le contenu de la « amtliche Sprache » est défini plus vastement. Le statut

de la langue a pour conséquence le droit d’employer l’allemand avec les juridictions et

les autorités publiques (article 100), l’emploi des deux langues dans les réunions des

organes de la région (article 100), l’appellation officielle germanophone des noms de

lieux (article 101). De plus, la réglementation relative à l’enseignement (article 19) est

également la conséquence de l’égalité entre les deux langues.

145 Contrairement à Jacques Leclerc sur son site L’aménagement linguistique dans le monde, http://www.tlfq.ulaval.ca. 146 DPR 574/88 147 „Die deutsche Sprache ist in der Region der italienischen Sprache, die die amtliche Staatsprache ist, gleichgestellt“.

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Les langues allemande et italienne sont donc réellement coofficielle sur une partie

du territoire italien, et la protection linguistique découle de cette égalité de statuts.

Mais la reconnaissance d’un tel statut n’est pas nécessaire à la protection des

langues minoritaires. Ainsi, l’égalité avec la langue majoritaire peut être garantie sans

reconnaissance de coofficialité.

2 La garantie de l’égalité dans l’enseignement sans coofficialité

Dans les régions où le droit à l’enseignement en langue minoritaire est garanti, le

statut de la langue concernée peut donc varier. Cela a-t-il une influence sur la protection

mise en place ? On peut en effet penser que l’égalité garantie par le statut officiel permet

une meilleure sauvegarde de la langue. Dans le domaine que nous étudions, celui de

l’enseignement public, ce n’est en fait pas le cas, car des dispositions peuvent être

adoptées pour garantir une égalité entre les langues dans le domaine de l’enseignement,

même si la langue minoritaire n’a pas de statut officiel

La langue ne profitant pas d’une égalité de principe avec la langue majoritaire

telle qu’elle est accordée par la coofficialité, elle se trouve évidemment en situation de

faiblesse. Ainsi, selon le contenu du principe d’égalité, il importe de la traiter de manière

différente. Des mesures de discrimination positive doivent donc être mises en place. La

Charte européenne des langues régionales et minoritaires prévoit ainsi dans son article 7

paragraphe 2 que « l'adoption de mesures spéciales en faveur des langues régionales ou

minoritaires destinées à promouvoir une égalité entre les locuteurs de ces langues et le

reste de la population ou visant à tenir compte de leurs situations particulières n'est pas

considérée comme un acte de discrimination contre les locuteurs des langues plus

répandues ».

Les lois relatives à l’enseignement minoritaire sont des lois dérogatoires au droit

général, comme le prévoit par exempe l’article 2 de la loi pour le Burgenland, dont

l’application permet des mesures de discrimination positive.

La première d’entre elles est constituée par le système de désinscription

(Abmeldung) de l’enseignement en langue minoritaire, tel qu’il est organisé dans le

Burgenland, qui se distingue sur ce point de la Carinthie.

Cette différence essentielle entre les systèmes des deux Länder apparaît

discrètement dans l’article des lois scolaires relatives aux minorités garantissant le droit à

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l’enseignement en langue minoritaire. En effet, si le paragraphe 2 de l’article 1 de la loi

pour le Burgenland prévoit qu’un élève ne peut pas, contre la volonté de ses

représentants légaux, utiliser la langue croate ou hongroise comme langue

d’enseignement148 ; la loi pour la Carinthie adopte une autre formulation. L’article 7

prévoit en effet qu’un élève ne peut utiliser la langue slovène comme langue

d’enseignement qu’avec la volonté de son représentant légal149.

Comme nous l’avons déjà évoqué, pour déterminer s’il y a un besoin de garantir

le droit à l’enseignement en langue maternelle hors des territoires historiques, le nombre

d’inscriptions d’élèves à un tel enseignement est pris en compte. Cette inscription est

prévue dans les articles 4 de la loi pour le Burgenland150 et 13 de la loi pour la

Carinthie151.

Mais l’article 4 paragraphe 2 de la loi pour le Burgenland exclue de l’obligation

d’inscription les écoles prévues dans l’article 6 paragraphe 2, c’est à dire celles instituées

sur les territoires historiques des minorités152. La loi pour la Carinthie, elle, ne distingue

pas, et impose l’inscription également pour les écoles situées sur ces territoires153.

Cette disposition, combinée à la formulation du second paragraphe de l’article 1,

met en place un système de désinscription154. Ainsi, tout élève d’une école située sur un

territoire historique des minorités, tel que prévu dans l’article 6 paragraphe 2, sera

148 „Ein Schüler kann gegen den Willen seiner Erziehungsberechtigten nicht verhalten werden, die kroatische oder ungarische Sprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen.“ 149 „Ein Schüler kann nur mit Willen seines gesetzlichen Vertreters verhalten werden, die slowenische Sprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen oder als Pflichtgegenstand zu erlernen.“ 150 Article 4 paragraphe 1: „ Der Besuch des Unterrichts an Volksschulen mit kroatischer oder ungarischer Unterrichtssprache oder des zweisprachigen Unterrichts an auf Grund des § 6 Abs. 3 eingerichteten Schulen bedarf einer Anmeldung.“ 151 Article 13: „ (1) Die Aufnahme in die im § 12 genannten Schulen (Klassen, Abteilungen) bedarf einer diesbezüglichen ausdrücklichen Anmeldung durch den gesetzlichen Vertreter des Schülers beim Eintritt in die Volksschule und in die Hauptschule, doch kann die Anmeldung auch zu Beginn eines späteren Schuljahres erfolgen; sie wirkt ohne weiteres bis zum Austritt aus der Volksschule beziehungsweise Hauptschule und kann vorher nur zum Ende eines Schuljahres widerrufen werden. (2) Die Anmeldungen nach Abs. 1 und der allfällige Widerruf der Anmeldung sind beim Schulleiter vorzubringen und können schriftlich oder mündlich protokollarisch erfolgen; sie sind von bundesrechtlich geregelten Gebühren und Abgaben frei.“ 152 Article 4 paragraphe 2: „Der Besuch des zweisprachigen Unterrichts an zweisprachigen Volksschulen, die gemäss § 6 Abs. 2 eingerichtet sind, bedarf keiner Anmeldung.“ 153 Article 10 Paragraphe 2: „Die Ausführungsgesetzgebung hat Vorsorge zu treffen, daί in dem im Abs. 1 umschriebenen Gebiet alle Volks- und Hauptschüler, die von ihren Erziehungsberechtigten hiefür angemeldet werden, den Unterricht in einer der im § 12 genannten, für die slowenische Minderheit im besonderen in Betracht kommenden Schule erhalten können.“ (C’est nous qui soulignons). 154 Au début de l’année scolaire 1958/59, une décision du président du Land de Carinthie avait introduit pour la première fois une possibilité de désinscription de l’enseignement bilingue. Sous la pression du camp nationaliste alemand, cela avait eu pour effet la désinscription massive de 80% des élèves, dont la moitié de langue maternelle slovène. La loi scolaire relative aux minorités de 1959 remplacera le principe de désinscription par l’obligation d’inscription. Cf Theodor Domej : Das Jahr danach, op. cit. Dans le Burgenland, le principe de désinscription n’a pas eu une telle conséquence.

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présumé participer à l’enseignement en langue minoritaire. S’il ne le désire pas, il ne

peut y être obligé et pourra se désinscrire. Pour satisfaire la disposition constitutionnelle

du second paragraphe de l’article 1, cette désinscription est possible tout au long de

l’année scolaire, ne peut être refusée. Cela peut poser de graves problèmes

d’organisation. Un projet de réforme est actuellement à l’étude au conseil scolaire du

Land, pour restreindre la possibilité de désinscription à deux semaines, comme c’est le

cas pour le cours de religion155.

Mais malgré les problèmes que ce système peut poser, l’enseignement par

principe en langue minoritaire constitue bel et bien une mesure de discrimination

positive au profit de la langue minoritaire. Dans les territoires historiques minoritaires du

Burgenland, l’enseignement bilingue est en première position, ce qui rééquilibre le

rapport entre les langues et place à un même niveau la langue majoritaire allemande et

les langues minoritaires croate et hongroise. Cette prévalance de l’enseignement

minoritaire est par contre fort limitée géographiquement. De plus, elle ne vaut que pour

les écoles primaires. L’article 9 prévoit une inscription pour l’enseignement en langue

minoritaire pour le collège (Hauptschule).

En Autriche, une autre mesure de discrimination positive est prévue pour

l’enseignement en langue minoritaire. Il s’agit d’une dérogation au règlement scolaire

général, qui prévoit un nombre d’élèves par classe moins élevé. La loi sur le règlement

scolaire (Schulordnungsgesetz) prévoit dans son article 14 un nombre minimum de dix

élèves et un nombre maximum de trente élèves par classe. Mais les articles 6 paragraphe

4 de la loi pour le Burgenland et 16a paragraphe 1 de la loi pour la Carinthie prévoient

qu’une classe doit comprendre entre sept et vingt élèves. L’enseignement dans la langue

minoritaire est donc facilité.

Enfin, une mesure pouvant éventuellement être condidérée comme de la

discrimination positive existe également au profit de la langue ladine. Ainsi, si l’article

19 du statut d’autonomie prévoit que chaque élève recevra un enseignement dans sa

langue maternelle allemande ou italienne, le principe territorial s’appliquant dans les

localités ladines assure l’emploi de la langue ladine comme langue d’enseignement,

quelque soit le groupe linguistique de l’élève. Il s’agit donc d’une dérogation au principe

de l’article 19.

155 Source : Entretien du 8 Janvier 2004 avec Edith Mühlgaszner, inspecteur scolaire pour l’enseignement minoritaire au conseil scolaire du Land du Burgenland.

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Néanmoins, cette mesure peut n’être considérée que comme une compensation du

système peu favorable à la langue ladine, puisque celle-ci n’est jamais l’unique langue

d’enseignement. Elle est toujours accompagnée des deux langues « majoritaires » de la

province, et n’est même plus enseignée que comme matière (deux heures par semaine) à

partir de la deuxième classe de l’école primaire. La langue ladine n’est pas sur un pied

d’égalité avec les deux autres langues de la région.

Pour conclure, nous dresserons un tableau de l’égalité des langues minoritaires

par rapport à la langue majoritaire dans le domaine de l’enseignement dans les régions

étudiées. Ce tableau se compose de trois colonnes : la langue minoritaire, les langues par

rapport à laquele on juge de l’égalité : la langue majoritaire de l’Etat (en italique), mais

aussi les autres langues minoritaires de la région. Enfin, nous résumerons très

succintement nos observations sur la situation égalitaire.

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Langue minoritaire Autres langues du

territoire

Egalité des langues dans l’enseignement

Allemand Dans les territoires historiques : Egalité car

droit absolu à l’enseignement en langue

minoritaire. De plus, procédure de

désinscription.

Dans le reste du Land : Nécessité d’un

certain nombre d’inscriptions, donc

discrimination.

Croate

(Burgenland)

Hongrois Egalité, même droits dans la loi scolaire

Allemand Hongrois

(Burgenland) Croate

Situation identique à celle du croate

Slovène

(Carinthie)

Allemand Dans les territoires historiques : Egalité car

droit absolu à l’enseignement en langue

minoritaire. Légère discrimination résidant

dans l’obligation de s’inscrire à cet

enseignement.

Dans le reste du Land : Nécessité d’un

certain nombre d’inscription, donc

discrimination.

Allemand

(Südtirol)

Italien Egalité parfaite garantie par une égalité de

statut des deux langues.

Italien Ladin

(Südtirol) Allemand

Inégalité : pas d’enseignement dans la

langue maternelle. La langue ladine est

seulement utilisée comme langue d’aide ou

enseignée comme matière.

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Ce tableau nous permet de remarquer la différence des situations. Si l’allemand

jouit d’une parfaite égalité avec la langue majoritaire de l’Etat dans le Südtirol, grâce à

un statut de coofficialité, le ladin est fortement discriminé.

Néanmoins, la situation dans le Burgenland nous prouve que l’octroi, dans un

cadre régional, d’un statut égal avec la langue majoritaire n’est pas une condition

indispensable à la garantie de l’égalité entre les langues. L’établissement d’un droit

absolu à l’enseignement en langue minoritaire, tel qu’il est garanti sur les territoires

historiques, fournit une égalité avec la langue allemande, puisque la langue minoritaire

sert de langue d’enseignement pour tout élève le désirant. De plus, la présomption de

participation à cet enseignement joue en faveur de la langue minoritaire en la proposant

d’office à tout élève.

L’obligation de s’inscrire à l’enseignement minoritaire, même dans les territoires

historiques, telle qu’elle existe en Carinthie ne constitue pas, juridiquement, une grosse

discrimination. Il suffit en effet de signaler son intention lors de l’inscription à l’école.

Le problème qui résulte de cette formalité est plus dû à la pression sociale, à

l’atmosphère hostile à la minorité slovénophone qui règne dans le Land. L’obligation de

s’inscrire expressément implique donc un choix critiqué par une partie de la population,

tandis qu’une inscription automatique faciliterait les choses. En Carinthie, la langue

minoritaire doit être demandée, tandis que dans le Burgenland, il faut émettre un refus si

l’on ne souhaite pas qu’elle soit une langue d’enseignement.

Dans le reste du territoire des deux Länder autrichiens l’ouverture du droit à

l’enseignement minoritaire est soumise à un nombre minimal d’élèves en faisant la

demande. Il n’y a donc pas égalité avec la langue majoritaire. L’égalité entre les langues

n’est garantie que sur les territoires historiques des Länder.

Si une telle égalité est mise en place, les rapports entre les langues peuvent

fortement varier. Le système juridique peut en effet favoriser la séparation ou le mélange

des langues.

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73

b) La séparation ou la réunion des langues

L’enseignement est le domaine essentiel de la protection des langues. Le système

adopté à cet effet peut viser à séparer les langues, ou bien avoir pour but un bilinguisme

total en réunissant la langue majoritaire et la langue minoritaire. Les normes régissant ce

système ont donc bien un but purement linguistique. Cela apparaît dans la forme des

écoles mises en places (1), mais également dans des mesures à l’intérieur du système

scolaire (2).

1 Des écoles pluri ou monolingues

Dans les Länder autrichiens étudiés, sont prévues pour les minorités des écoles

fonctionnant soit de manière bilingue, soit uniquement dans la langue minoritaire156. Le

traité de Vienne, en ce qu’il déclare que les membres des minorités ont droit « à

l’enseignement primaire en slovène ou croate » impose en effet qu’un enseignement en

langue minoritaire uniquement soit prévu. Ce droit doit donc être garanti dans les lois

scolaires relatives aux minorités qui l’appliquent. Mais un enseignement bilingue est

aussi considéré comme remplissant les exigences du traité de Vienne.

Les lois pour le Burgenland et la Carinthie prévoient donc les deux modèles : un

enseignement uniquement en langue minoritaire, ou bien bilingue, en langue minoritaire

et majoritaire. Au Burgenland, un enseignement bilingue est possible sous certaines

conditions dans les écoles primaire (article 3 paragraphe 1 alinéa 2), dans les collèges

(article 8 paragraphe 1 alinéa 3), et dans les lycées (article 12 paragraphe 2) ; tandis

qu’un enseignement uniquement en croate ou en hongrois est prévu, là aussi sous

certaines conditions, dans les écoles primaires (article 3 paragraphe 1 alinéa 1) et dans

les collèges (article 8 paragraphe 1 alinéa 1).

En Carinthie, l’enseignement peut être bilingue dans les écoles primaires (article

12 lettre b) et dans un lycée professionnel (institué par une loi de 1990) ; il peut être

uniquement en slovène dans les écoles primaires et les collèges (article 12 lettre a) et

dans un lycée (articles 24 et 26 premier paragraphe).

Mais les écoles garantissant le mieux la protection de la langue minoritaire, les

écoles primaires instituées sur les territoires historiques, ne fonctionnent que de manière

bilingue. En effet, le paragraphe 2 de l’article 6 de la loi pour le Burgenland qui prévoit

156 Articles 3 de la loi pour le Burgenland et 12 de la loi pour la Carinthie.

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ces écoles précisent qu’elles seront instituées conformément à l’article 3 paragraphe 1

alinéa 2. Or, il s’agit là des écoles avec come langue d’enseignement l’allemand et le

croate, ou l’allemand et le hongrois. Aucune création d’un école uniquement en langue

minoritaire telle que prévue dans l’article 3 paragraphe 1 premier alinéa n’est possible

sur les teritoires historiques des minorités.

En Carinthie, le système est un peu différent, pour un résultat semblable. L’article

10 paragraphe 2 de la loi, qui prévoit l’institution des écoles pour les minorités, ne

permet en effet leur ouverture sans condition de nombre que si elles fonctionnent de

manière bilingue, telles que prévu dans l’article 12 paragraphes b) et c). Pour les écoles

uniquement en slovène telles que les décrit le paragraphe a), un nombre minimum

d’élèves est nécessaire. L’enseignement bilingue est donc fortement favorisé.

Comment ces écoles bilingues fonctionnent-elles ? L’article 16 paragraphe 1 de la

loi pour la Carinthie prévoit que dans ces écoles (ou classes), l’enseignement doit se faire

en utilisant l’allemand et le slovène « à près dans la même mesure » (in annähernd

gleichem Ausmaß). La loi pour le Burgenland, elle, ne règle pas l’emploi des deux

langues dans les écoles bilingues. Il faut se reporter au règlement du ministère de

l’éducation relatif au programme scolaire des écoles pour les minorités, qui dispose que

dans chaque matière, les deux langues doivent être utilisées de anière à peu près égale157.

L’enseignement se fait donc dans les deux langues, avec un passage aléatoire de

l’une à l’autre. Dans le Burgenland, un test sera effectué dans quelques écoles à partir de

l’année 2004/2005. Il s’agira de changer de langue chaque jour : l’enseignement se fera

entièrement dans une langue toute une journée, puis dans l’autre le jour d’après158.

Le système paritaire des localités ladines du Südtirol tend aussi à rapprocher les

langues. Comme nous l’avons déjà vu, l’enseignement y est effectué de manière égale en

allemand et en italien. L’emploi des deux langues ne doit pas ici être « aproximativement

égal », comme en Autriche, mais, comme le prévoit l’article 19 du statut d’autonomie, il

157 « [...] der Unterricht (ausgenommen Deutsch, Lesen und Schreiben) den Vorkenntnissen der Kinder entsprechend nach Möglichkeit in annähernd gleichem Ausmaß in kroatischer und deutscher Sprache zu erteilen ist“. 158 Cela permet un réel bilinguisme, car chaque matière sera forcément enseignée dans les deux langues. Si au contraire, à chaque matière est attribuée une langue, l’élève aura des connaissances linguistiques réparties, par exemple les termes de biologie en allemand, et les termes de mathématiques en croate. Mais nous tombons là dans des considérations linguistiques qui n’intéressent pas notre travail qui se veut juridique.

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75

doit se faire « sur la base d’un même nombre d’heures et du même résultat »159. La

maîtrise des deux langues est donc ici clairement exposée comme but.

Comme en Autriche, chaque matière est enseignée dans les deux langues, comme

l’impose le deuxième paragraphe de l’article 7 du décret présidentiel de 1983 déjà cité.

Le rôle de la langue ladine est, nous l’avons déjà remarqué, relativement faible.

Si elle sert également de langue d’enseignement, jusqu’à la première année de l’école

primaire, afin d’aider l’élève ne maîtrisant pas encore l’allemand et l’italien, seuls des

cours de langue sont obligatoires par la suite. Dans la pratique, cela se réduit souvent à

deux heures d’enseignement par semaine.

Néanmoins, dans les toutes premières années de la scolarité, les écoles des

localités ladines réunissent les trois langues.

Dans le reste du Südtirol règne le séparatisme entre l’allemand et l’italien. Ainsi,

l’article 19 du statut d’autonomie, en ce qu’il prévoit un droit à l’enseignement

uniquement en langue maternelle pour les élèves issus des groupes linguistiques

allemand et italien, a-t-il pour conséquence l’institution d’écoles séparées. Le paragraphe

5 de cet article institue une administration scolaire séparée pour les écoles et jardins

d’enfant germanophones. On nous rétorquera que cela opère une séparation des élèves, et

que la séparation des langues en tant que telles n’est qu’une conséquence. C’est en réalité

l’inverse, puisque les élèves sont séparés selon leur langue maternelle.

Un tel système séparatiste est-il acceptable, ou doit-il être considéré comme une

ségrégation, et par là-même comme une discrimination ? L’article 2 (b) de la convention

de l’UNESCO de 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de

l’enseignement l’accepte explicitement160. Dans l’affaire du Sud-Ouest africain devant

la cour internationale de justice, le juge Tanaka a ainsi expliqué qu’on ne pouvait dénier

la valeur de la langue vernaculaire comme médium d’instruction, ce qui a pour résultat la

séparation entre les enfants de différents groupes de la population. Dans une telle

159 "[Der Unterricht wird] auf der Grundlage gleicher Stundenzahl und gleichen Enderfolges in italienischer und deutscher Sprache [erteilt]“. 160 « Lorsqu'elles sont admises par l'Etat, les situations suivantes ne sont pas considérées comme constituant des discriminations au sens de l'article premier de la présente Convention: […]La création ou le maintien, pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique, de systèmes ou d'établissements séparés dispensant un enseignement qui correspond au choix des parents ou tuteurs légaux des élèves, si l'adhésion à ces systèmes ou la fréquentation de ces établissements demeure facultative et si l'enseignement dispensé est conforme aux normes qui peuvent avoir été prescrites ou approuvées par les autorités compétentes, en particulier pour l'enseignement du même degré ».

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situation, « une éducation dans des écoles séparées peut être reconnu comme

raisonnable »161.

Le statut bilingue de la province n’est certes pas ignoré, en ce que l’article 19

(Paragraphe 1, 2ème phrase) impose dans chaque école l’enseignement obligatoire de

l’autre langue, ce à partir de la deuxième ou troisième année.

Mais comme nous l’avons déjà dit, un enseignement dans une langue et un cours

de langue n’ont pas d’effets comparables. Même si l’article 6 paragraphe 3 du décret

présidentiel de 1983 stipule que l’enseignement de l’autre langue doit être effectué de

telle manière qu’une connaissance adaptée de cette langue soit assurée, une réelle

maîtrise des deux langues est impossible. Ainsi, si le groupe linguistique germanophone,

confronté de manière relativement importante à la langue italienne en dehors de l’école,

atteint en moyenne un bon niveau de bilinguisme, ce n’est pas le cas du groupe

italophone, qui ne parle allemand qu’à l’école lors des cours de langue.

Des projets d’introduire l’enseignement de quelques matières en allemand ont vu

le jour au sein du groupe italophone. Un projet d’immersion consistait à enseigner à

l’école du groupe italophone les cours de géographie en a llemand. Mais cela est d’une

part contraire au statut d’autonomie, et d’autre part se heurte au refus du groupe

germanophone qui, encore hanté par Mussolini, y voit un danger pour sa langue162. Les

germanophones craignent en effet que l’institution d’un tel système dans les écoles

italophones joue le rôle d’un précédent et amène à l’adoption de mesures semblables

pour les écoles germanophones.

Le système scolaire du Südtirol, à l’exception de l’enseignement paritaire dans

les localités ladines, vise donc à séparer les langues italiennes et allemandes. Par

conséquent, l’organisation générale de l’enseignement dans la province peut être

interprètée comme une séparation des langues maternelles et une réunion des langues

minoritaires. La différence entre les deux se fait par référence au locuteur de la langue.

Ainsi, dans la majeure partie du territoire, les locuteurs de langue allemande et ceux de

langue italienne recevront un enseignement dans leur langue maternelle, mais dans des

écoles séparées. Inversement, dans les localités ladines, où pour l’essentiel de la

population, ni l’une ni l’autre n’est la langue maternelle, mais une langue minoritaire au

niveau local, l’allemand et l’italien servent à part égale de langue d’enseignement.

161 Opinion dissidente jointe à l’arrêt du 18 juin 1966. Cf. le site de la cour: www.icj-cij.org. 162 Source : Entretien avec Klaus Schwarzer, Directeur du bureau du reglement scolaire de l’office scolaire allemand.

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Mais cette organisation juridique de la séparation ou du mélange des langues ne

se fait pas que dans le type d’école choisi. A l’intérieur du système scolaire, des mesures

visent en effet l’un ou l’autre de ces objectifs.

2 Des mesures visant à séparer ou réunir les langues

En Carinthie et dans le Burgenland, on l’a vu, les écoles où la langue minoritaire

est la langue d’enseignement fonctionnent de manière bilingue. En apparence, la réunion

de la langue majoritaire et de la langue minoritaire est donc visée. Néanmoins, l’examen

plus approfondi du système d’enseignement laisse apparaître un résultat divergent entre

les deux Länder.

Pour le Burgenland, il est intéressant d’étudier les conséquences de la

désinscription à l’enseignement minoritaire, procédure que nous venons d’étudier. La loi

ne prévoit que la désinscription des cours en langue minoritaire, et pas du cours

obligatoire de croate ou de hongrois. Cette désinscription est pourtant également

permise. L’élève peut alors s’inscrire à un cours facultatif de langue minoritaire. Il ne

sera pas noté, et recevra uniquement un certificat de participation. Pour l’année

2003/2004, environ 70 élèves ont choisi cette solution. Enfin, l’enfant peut ne plus

prendre part à aucun enseignement en ou de la langue minoritaire. Seuls deux élèves ont

choisi cette option cette année163.

Mais ces différences n’ont d’effet que sur l’emploi du temps de l’élève. Qu’il soit

désinscrit ou pas de l’enseignement en langue minoritaire, l’élève reste dans la même

classe. L’enseignant devra utiliser les deux langues pour permettre à l’élève désinscrit de

suivre les cours. Il s’adressera à lui en allemand.

Chaque élève fréquentant une école d’un territoire historique doit donc, même s’il

n’apprend pas la langue minoritaire, au moins « entendre » cette langue. Cela n’est pas

contraire au second paragraphe de l’article 1 de la loi scolaire relative aux minorités, qui

interdit seulement d’utiliser la langue minoritaire comme langue d’enseignement pour un

élève contre la volonté de son représentant légal.

Dans les territoires historiques du Burgenland, tout élève est donc forcément

confronté à deux langues, l’allemand et la langue croate ou hongroise. La langue

minoritaire ne sera plus utilisée que si l’ensemble des élèves se désinscrivent. Mais

163 Chiffres fournis par Mme Mühlgaszner.

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l’école ne perdera pas son statut bilingue pour autant, et il suffira de l’arrivée d’un élève

n’exerçant pas son droit à la désinscription pour que l’enseignement bilingue reprenne.

Les normes en vigueur insistent donc à tout prix sur la cohabitation de l’allemand

et des langues minoritaires.

C’est loin d’être le cas en Carinthie. Le slogan du Käntner Heimatsdienst est

clair, et rappelle en quelque sort les dispositions de l’article 19 du statut d’autonomie de

la région Trentino-Haut-Adige164, : « Deutsche Lehrer für deutsche Kinder ! », les

enfants germanophones ne doivent assister à des cours qu’en allemand, donnés par des

professeurs de langue maternelle allemande.

Cette pression populaire aboutira en 1988 à la révison de la loi scolaire relative

aux minorités pour la Carinthie165 qui, pour la première fois, va séparer les élèves en

fonction de leur langue d’enseignement, c’est à dire séparer la langue allemande de la

langue minoritaire slovène166.

Cet objectif s’accomplit par deux mesures, prévues dans l’article 16a de la loi

pour la Carinthie. D’abord, la créations de classes uniquement pour les élèves inscrits à

l’enseignement minoritaire est facilitée. Ainsi, une classe de maternelle et d’école

primaire ne peut avoir moins de sept élèves, ni plus de vingt. Si dans une classe, au

moins neuf élèves sont inscrits à l’enseignement bilingue, ou bien, inversement, si au

moins neuf élèves n’y sont pas inscrits, des classes parallèle doivent être instituées. Les

élèves sont donc séparés selon leur langue d’enseignement, un élève non-inscrit n’aura

aucune relation avec la langue slovène.

Mais ce n’est pas tout. En effet, si le nombre d’élèves inscrits ou non-inscrits ne

permet pas la création d’une classe séparée, un second profeesur doit intervenir dans la

classe. Un système de double professeurs (Teamlehrer) se met alors en place. Cette

équipe doit intervenir au moins 10 heures et au plus 14 heures dans les matières

obligatoires. Un enseignant emploie donc les deux langues auprès des élèves inscrits,

tandis qu’un autre, dans la même classe, n’utilise que l’allemand pour les élèves non-

inscrits. Lorsque les locaux scolaires le permettent, une séparation « spatiale » des élèves

164 Pour rappel: „In der Provinz Bozen wird der Unterricht [...] in der Muttersprache der Schüler [...] von Lehrkräften erteilt, für welche die betreffende Sprache ebenfalls Muttersprache ist.“ 165 BGBl Nr. 326 / 1988. 166 Cela était de la compétence de la Fédération. Elle interrogea une commission d’experts qui se prononcèrent tous contre la réforme. Celle-ci fut néanmoins adoptée par un vote du 8 Juin 1988. Cf Theodor Domej : Das Jahr danach, Beiträge und Dokumente zum ersten Geltungsjahr des kärntner Minderheitenschulgesetzes 1988, op. cit.

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est également possible, mais les deux professeurs opèrent en principe dans la même salle

de classe.

Le but est donc bien de séparer les langues. Un arrêt du tribunal administratif de

Bolzano, « royaume du séparatisme linguistique », renforce cette interprétation. Interrogé

sur la compatibilité d’un éventuel système de deux professeurs (Kopräsenz) avec l’article

19 du statut, qui impose que chaque élève reçoive un enseignement dans sa langue

maternelle, la juridiction a jugé qu’une telle mesure n’était contraire « ni à la lettre, ni à

l’esprit » de l’article 19167. En clair, le système de double professeur garantit la

séparation des langues.

Si l’enseignement bilingue est assuré, par application du traité de Vienne, les

élèves non-inscrits à cet enseignement auront donc le moins de contact possible avec la

langue slovène.

Pour obtenir cette réforme, les partisans du Kärntner Heimatsdienst s’appuyaient

notamment sur le troisième paragraphe de l’article 19 de la loi fondamentale de 1867.

Celui-ci, connu sous le nom de Sprachenzwangsverbot, prévoyait que « dans les Länder

où vivent plusieurs entités ethniques, les organismes scolaires publics doivent être

institués de telle façon que sans mettre en place l’obligation d’apprendre une deuxième

langue du Land, chacune de ces entités ethniques ait les moyens nécessaires à

l’éducation dans sa langue »168. Passons sur le terme de Volksstamm, traduit par entité

ethnique, qui nous l’avons déjà expliqué, peut être aujourd’hui considéré comme

l’équivalent de « minorité ».

Doit-on considérer que l’obligation, pour un élève désinscrit de l’enseignement

minoritaire, d’entendre tout de même la langue minoritaire, va à l’encontre de cette

interdiction d’apprentissage forcé d’une langue ? Non, car le professeur enseigne de telle

façon que seul l’allemand suffit à cet élève pour comprendre. La maîtrise de la langue

minoritaire n’est pas une condition pour participer et tirer profit de l’enseignement169.

La séparation des langues et des élèves, telle qu’elle est organisée en Carinthie,

ne peut donc être considérée comme la satisfaction d’une exigence constitutionnelle. Il

s’agit plutôt d’un but de séparatisme linguistique.

167 Jugement du 4 décembre 1998, Nr. 363. 168 „In den Ländern, in welchem mehrere Volksstämme wohnen, sollen die öffentliche Unterrichtsanstalten derart eingerichtet sein, dass ohne Anwendung eines Zwanges zur Erlernung einer zweiten Landessprache jeder dieser Volksstämme die erforderlichen Mittel zur Ausbildung in seiner Sprache erhält“. 169 Du moins, c’est ce qui est théoriquement prévu. On l’a vu, en pratique, un nombre infime d’élèves n’apprennent pas du tout le croate ou le hongrois dans les écoles des territoires historiques du Burgenland., donc le problème ne se pose presque pas.

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Toutes ces remarques nous amènent à la conclusion que la langue est bien en elle-

même visée par le droit. Il devient par conséquent possible d’étudier si elle est l’objet de

la protection exercée par le droit à l’enseignement en langue minoritaire.

Section 2 La protection mise en place par l’enseignement en

langue minoritaire Le droit à l’enseignement en langue minoritaire, dans les régions étudiées,

effectue une protection de la langue en tant que telle (A). Mais ce droit ne peut mettre en

œuvre une protection efficace sans certaines conditions (B).

A Une protection axée sur la langue

Pour étudier si le système scolaire mis en place par le droit à l’enseignement en

langue minoritaire vise plus à la protection de l’individu ou de la langue, il faut

s’intéresser aux rapports entre l’individu dont la langue minoritaire n’est pas la langue

maternelle et l’enseignement dans cette langue. Logiquement, plus la possibilité de

suivre cet enseignement est grande, plus la protection sera axée sur la langue elle-même.

En effet, en ouvrant ce droit à l’ensemble des élèves, on ne peut viser simplement la

protection de la minorité ou de ses membres. La langue en elle-même est par conséquent

l’objet de la protection. Nous nous pencherons donc sur l’ouverture de l’enseignement en

langue minoritaire (a), et sur les procédures prévues pour l’élève dont ce n’est pas la

langue maternelle (b).

a) L’ouverture de l’enseignement en langue minoritaire

En Autriche, comme nous l’avons brièvement évoqué dans la première partie, le

droit à l’enseignement en langue minoritaire appartient à tout élève, peu importe s’il est

issu de la minorité ou pas.

Dans les territoires historiques du Burgenland, tout élève sera automatiquement

inscrit à l’enseignement bilingue, tandis que dans le reste du Land et en Carinthie, une

insctiption est nécessaire. Les normes internationales accordaient ce droit aux membres

des minorités (« les enfants des ressortissants autrichiens parlant une langue autre que

l’allemand » dans le traité de Saint-Germain, « les ressortissants autrichiens des

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minorités croate et slovène » dans le traité de Vienne). De même, dans son fameux arrêt

12.245 de 1989, la cour constitutionnelle voit en ce droit celui des membres des

minorités soumis à l’obligation scolaire. Mais les lois scolaires appliquant les

engagements internationaux de l’Autriche s’adressent à tout élève.

L’article 7 de la loi pour la Carinthie reconnaît le droit étudié à tout élève dans les

territoires historiques, du moment que c’est la volonté de son représentant légal170. En

dehors de ces territoires, on l’a vu, un nombre minimal d’inscriptions est nécessaire. Or,

l’article 13 qui règle cette inscription n’évoque pas la moindre appartenance à la

minorité. Le droit de suivre un enseignement en langue minoritaire est donc ouvert à tout

élève.

Dans le Burgenland, la logique est un peu différente pour un résultat identique.

Le droit étudié est , dans l’article 1 paragraphe 1, garantit à tout « citoyen autrichien du

groupe ethnique croate et hongrois »171. Mais, dans les territoires historiques, tout élève

est automatiquement inscrit à l’enseignement bilingue s’il ne se désinscrit pas. Dans le

reste du Land, un nombre minimum d’inscriptions est nécessaire.

On l’a déjà dit, la cour constitutionnelle ne reconnaît que le principe de

déclaration comme critère d’appartenance à la minorité, tout recours à des critères

objectifs étant discriminatoire. L’inscription à l’enseignement bilingue peut être

interprèté comme une telle déclaration.

Qu’il ne se désinscrive pas, ou bien qu’il s’inscrive, selon le territoire où il réside,

tout élève peut donc profiter de l’enseignement en langue minoritaire.

Le résultat est donc là, mais on peut s’interroger sur la logique de ce système. On

peut en effet considérer qu’en ne se désinscrivant pas de l’enseignement en langue

minoritaire, ou bien en s’y inscrivant, l’élève est présumé appartenir à la minorité,

puisqu’il exerce un droit lui étant réservé. Cela est un peu choquant, quand on sait que

pour l’année 2003/2004, environ deux tiers des élèves prenant part à l’enseignement

bilingue dans le Burgenland n’avaient pas la langue minoritaire comme langue

maternelle172.

170 „Das Recht, die slowenische Sprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen [...], ist jedem Schüler in dem gemäss § 10 Abs. 1 dieses Bundesgesetzes umschriebenen Gebiet [...] zu gewähren, sofern dies der Wille des gesetzlichen Vertreters ist“. 171 « Das Recht, im Burgenland die kroatische oder ungarische Sprache als Unterrichtssprache zu gebrauchen […], ist […] österreichischen Staatsbürgern der kroatischen oder ungarischen Volksgruppe zu gewähren“. 172 Chiffre fourni par Mme Edith Mühlgaszner

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Mais cela prouve bien que le droit à l’enseignement en langue minoritaire est ici

basé sur la protection de la langue. Tout élève fréquentant une école dans cette langue est

sensé appartenir à son groupe de locuteurs, ce qui n’est pas complètement illogique. Le

« Volksgruppe », groupe ethnique, est en réalité un Sprachgruppe, groupe linguistique.

Il est tout de même étonnant que les rédacteurs de la loi pour le Burgenland, en

d’autres points très inspirés par son homologue pour la Carinthie, n’aient pas attribué

explicitement le droit étudié à « tout élève », et aient choisi pour son article 1 cette

formulation problématique.

Quoiqu’il en soit il est certain que chaque élève résidant dans le Burgenland ou

en Carinthie jouit du droit à l’enseignement en langue minoritaire, peu importe son

« origine linguistique », c’est à dire sa langue maternelle. Le droit à un tel enseignement

ne vise donc pas en premier lieu la protection de la minorité ou de ses membres, mais

bien la protection de la langue.

La situation est différente dans le Südtirol. L’article 19 maintes fois cité accorde

bien un droit à l’enseignement en langue maternelle. Ainsi, le droit à l’enseignement en

langue allemande est accordé aux germanophones, et le droit à l’enseignement en italien

est accordé aux italophones. Si, comme nous le verrons plus loin, un élève peut s’inscrire

dans l’école de l’autre groupe, cela ne constitue en aucun cas un droit absolu pour lui.

Ici, la protection de la langue est aussi primordiale, mais s’effectue dans le

séparatisme étudié plus haut. On part du principe que la langue est mieux sauvegardée si

on la protège des autres. Bien que résultant de deux logiques différentes, étudiées plus

haut, le droit à l’enseignement en langue minoritaire et sa mise en œuvre effectuent donc

dans les régions étudiées une véritable protection de la langue.

Notons une fois encore que le système du Südtirol est discriminatoire, en ce que

les ladins ne disposent pas du droit à l’enseignement dans leur langue, ou alors de façon

très limitée. Ce droit est réservé aux germanophones et aux italophones, qui

parallèlement n’ont aucun droit absolu à l’enseignement dans une autre langue ; et

inversement, le droit à l’enseignement en langue maternelle est refusé aux ladins, qui ont

eux le droit à un enseignement dans une autre langue.

Pour une meilleure compréhension, il est nécessaire d’étudier les mesures

concernant l’élève désirant suivre un enseignement dans une langue autre que sa langue

maternelle.

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b) Les procédures prévues pour l’élève non-issu du groupe

linguistique minoritaire

Lorsqu’un élève s’inscrit à un enseignement dans une langue qui n’est pas sa

langue maternelle, le problème qui peut en résulter est une gêne pour l’enseignement, si

son niveau n’est pas suffisant. Deux solutions existent alors : une pédagogique et une

répressive.

Le troisième paragraphe de l’article 19 du statut de la région Trentin-Haut-Adige

prévoit que dans la province de Bolzano, l’inscription d’un élève dans une école

s’effectue par une simple demande de son père ou de son représentant173. Mais l’article 8

du décret présidentiel de 1983 ressemble à une menace : ce droit des parents ou de leur

représentant de décider de l’inscription dans une des écoles des différents groupes

linguistiques ne doit en aucun cas avoir une influence sur la langue d’enseignement

prévue174. Par conséquent, l’inscription pourra être refusée, ou l’élève exclu de l’école, si

son niveau dans la langue d’enseignement de l’école n’est pas suffisant. La procédure est

règlée par un décret présidentiel de 1988175. Si l’inscription d’un élève avec « des

connaissances pas adaptées » de la langue d’enseignement menace le déroulement

normal des cours, le problème est étudié dans un délai de 25 jours après le début de

l’année scolaire par une commission composée de quatre germanophones et quatre

italophones nommés pour trois ans par leur office scolaire respectif. En cas d’égalité, la

voix du président l’emporte. Celui-ci appartient au groupe linguistique de l’école

concernée. Le paragraphe 3 de l’article 19 prévoit qu’en cas de refus de l’inscription, le

père ou son représentant peuvent faire appel devant la section autonome de Bolzano de la

cour administrative régionale.

En Autriche, l’inscription dans une école primaire bilingue, est, on l’a vu, ouverte

à tous. Par contre, pour le lycée bilingue (allgemeinbildende höhere Schule), l’article 12

de la loi pour le Burgenland réserve l’admission aux élèves pouvant prouver une

connaissance suffisance de la langue croate ou hongroise. Les modalités de cette preuve

ne sont pas précisées, mais, comme le fait le professeur Kolonovits, on peut penser qu’un

173 „Die Einschreibung eines Schülers in die Schulen der Provinz Bozen erfolgt auf Grund eines einfachen Gesuches des Vaters oder seines Stellvertreters“. 174 „Das Recht der Eltern oder ihrer Stellvertreter, über die Einschreibung in die Schulen der verschiedenen Sprachgruppen, darf auf keinen Fall Einfluss auf die Unterrichtssprache haben, die für die verschiedenen Schulen vorgesehen ist.“ 175 DPR 301/1988

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certificat d’études dans une école primaire bilingue suffit. En l’absence d’un tel

document, il faudra passer un examen d’admission (Aufnahmsprüfung)176.

L’article 27 de la loi pour la Carinthie réserve également l’admission au collège

employant la langue slovène comme langue d’enseignement aux élèves autrichiens

pouvant prouver par un examen d’admission ou par un autre moyen des connaissances

suffisantes de la langue minoritaire.

En Autriche, cette mesure est logique et protectrice de la langue, en ce qu’elle

assure un enseignement de qualité. Tout élève pourra donc apprendre la langue

minoritaire dès l’école primaire, mais il faudra maîtriser suffisament la langue pour

continuer au collège ou au lycée. On ne se réferre pas à l’origine de l’individu : un élève

issu de la minorité mais ne connaissant pas assez la langue ne sera pas admis au collège

bilingue, tandis qu’un individu issu de la majorité mais maîtrisant la langue minoritaire

sera accepté.

Dans le Südtirol, au contraire, on met dès le début de l’enseignement des

obstacles à l’apprentissage dans la langue non-maternelle. Néanmoins, la barrière est là

aussi linguistique. Formellement, on refuse un élève car sa présence a « une influence sur

la langue d’enseignement », et pas à cause de son groupe d’origine. C’est donc la langue,

et pas l’individu, qui est au centre de la protection instituée.

De plus, le sytème autrichien ne prévoit pas que cette mesure d’interdiction. Des

dispositions visent aussi à aider l’élève souhaitant suivre un enseignement bilingue mais

étant trop faible dans la langue minoritaire. Plutôt que de l’exclure, des cours

suplémentaires de langue sont mis en place à son attention. Le règlement portant sur le

programme scolaire des écoles primaires bilingues dans le Burgenland prévoit en effet

depuis 1998 une partie « acquisition élémentaire de la langue ». Cela permet une prise en

compte des différences de compétences linguistiques parfois importantes entre les élèves

lors de l’entrée dans l’école, et garantit la possibilité de suivre l’enseignement bilingue à

des enfants sans connaissance préalable de la langue minoritaire. Tout est donc fait pour

ouvrir l’enseignement minoritaire au plus grand nombre d’élève possible.

Dans les deux Etats étudiée, la langue fait donc bien directement l’objet de la

protection mise en place par le droit à l’enseignement en langue minoritaire. En

Autriche, cela découle d’une interprétation par élimination. Ce droit ne peut protéger en

priorité l’élève issu de la minorité, puisque celui-ci n’est pas un détenteur particulier de

176 Dieter Kolonovits, Minderheitenschulrecht im Burgenland, op. cit., p.184.

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ce droit, qui appartient à chaque élève. La protection principale est donc celle de la

langue.

Dans le Südtirol, la protection est plus ambiguë. Son objet est en effet la langue

maternelle, ce qui rattache la langue à l’individu. L’enseignement dans une langue ne

sera ouvert qu’avec réticence aux membres de l’autre groupe. L’élève issu de la minorité,

et par la même son groupe, semblent donc être l’object premier de la protection dans

cette région.

On peut remarquer que le principe territorial, en ce qu’il ouvre l’enseignement en

langue minoritaire à tous les élèves d’un territoire, met en place une protection ouverte

de la langue. Il part du principe que l’augmentation du nombre de ses locuteurs lui est

favorable.

Le principe personnel du Sütirol, par contre, exerce une protection fermée. La

langue est en danger si des élèves ne la maîtrisant pas parfaitement, c’est à dire en

principe dont ce n’est pas la langue maternelle, désirent l’utiliser comme langue

d’enseignement.

Mais quelque soit son objectif premier, le droit l’enseignement en langue

minoritaire doit remplir certaines conditions pour mettre en place une protection efficace.

B Les conditions d’une protection efficace et sensée

Pour avoir un sens, le droit à l’enseignement en langue minoritaire doit protéger

la langue de manière efficace, ce qui impose certaines dispositions (a). Mais, même si la

langue a un rôle primordial, il serait absurde de ne penser qu’à elle et d’oublier

l’individu. Certaines mesures le concernant s’imposent donc, même si elles ne sont pas

forcément favorables à la langue minoritaire (b).

a) Pour une protection efficace de la langue

Pour que la langue soit vraiment protégée par le droit à l’enseignement en langue

minoritaire, les cours doivent être donnés par des professeurs maîtrisant cette langue (1),

et une continuité doit être assurée (2).

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86

1 Des professeurs maîtrisant la langue

La langue n’est pas protégée si la personne chargée de la transmettre aux élèves

ne la maîtrise pas.

Selon l’article 14 paragraphe 1 de la loi constitutionnelle fédérale autrichienne, la

formation des enseignants relève de la compétence de la fédération. L’article 13 de la loi

scolaire relative aux minorités pour le Burgenland traite de la formation des enseignants

des écoles pour les minorités (écoles primaires et lycée). Le deuxième paragraphe prévoit

des cours de langue croate et hongroise, ainsi que des stages permettant de se familiariser

avec l’utilisation de la langue concernée dans l’enseignement. Ces cours, qui ont lieu à

l’académie pédagogique d’Eisenstadt, doivent permettre de garantir l’enseignement en

langue minoritaire tel qu’il est prévu dans la loi. Pour participer à ces enseignements, une

inscription est nécessaire, lors de laquelle il faut prouver des connaissance adaptées en

croate ou en hongrois.

Pour les « instituteurs » des jardins d’enfants bilingues, une formation similaire

doit être proposée dans au moins un institut de formation pédagogique pour les jardins

d’enfants.

L’article IV de la loi pour la Carinthie prévoit également un cours renforcé de

langue slovène à l’institut fédéral de formation des maîtres (Bundeslehrer- und

-lehrerinnenbildungsanstalt) de Klagenfurt. Ce cours est ouvert à tout étudiant de

l’institut suite à une inscription pour laquelle il doit prouver des connaissances adaptées

de la langue slovène.

Des formations permettant de garantir le droit à l’enseignement en langue

maternelle sont donc prévues. Et, comme pour les élèves, ces offres ne sont pas réservées

à des personnes issues de la minorité. Le système autrichien n’aspire pas, une fois

encore, à réserver l’enseignement en langue minoritaire aux minorités. La loi pour la

Carinthie vise explicitement tous les étudiants, tandis que la loi pour le Burgenland ne

précise rien sur les destinataires de ces offres d’enseignement, donc ne les limite pas.

Par contre, concernant le Südtirol, l’article 19 du statut d’autonomie est explicite :

chaque élève a droit à un enseignement dans sa langue maternelle allemande ou

italienne, par des enseignants dont c’est également la langue maternelle. Le dixième

paragraphe de cet article rappelle que les enseignants dépendent de l’Etat. Mais en 1996,

l’essentiel des compétences relatives aux enseignants fût transmises à la province

autonome du Südtirol, même s’ils restent formellement des fonctionnaires de l’Etat.

Ainsi, c’est la province qui rémunère les enseignants.

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L’article 12 paragraphe 2 du décret présidentiel de 1988 rappelle la nécessité, en

plus des conditions générales au métier d’enseignant, d’avoir la langue d’enseignement

comme langue maternelle. En ce qui concerne les écoles des localités ladines, le

paragraphe 6 exige que l’enseignant maîtrise les trois langues de la province. Le

paragraphe 3 leur donne une priorité absolue pour les postes d’enseignants dans ces

écoles.

L’emploi de l’allemand et de l’italien dans les écoles ladines est donc le seul cas,

dans le Südtirol, où un enseignant pourra s’adresserer à ses élèves dans une langue qui

n’est pas sa langue maternelle. Néanmoins, la garantie d’un bon emploi de la langue est

assurée, car l’enseignant devra passer les examens nationaux d’allemand et d’italien.

La langue est donc protégée par la garantie d’enseignants la maîtrisant. Mais pour

que la sauvegarde de la langue minoritaire soit assurée, il est nécessaire qu’elle puisse

servir de langue d’enseignement durant tout le cursus scolaire.

2 La continuité de l’enseignement en langue minoritaire

Il est primordial, pour la survie de la langue, qu’elle serve de médium

d’instruction dès le jardin d’enfant et l’école primaire. Mais elle ne doit pas être cantonné

à ces premiers niveaux de l’enseignement, sans quoi elle ne pourra se développer, rester

en adéquation avec son époque, et donc continuer à exister. Pour que la langue puisse

« s’équiper », son emploi comme langue d’enseignement doit donc être possible pendant

tout le cursus, jusqu’au baccalauréat.

Dans le Südtirol, cela est garanti, encore une fois, par l’article 19 du statut

d’autonomie, qui prévoit un enseignement en langue maternelle allemande ou italienne

dans les jardins d’enfants, écoles primaires et secondaires. Par « écoles secondaires », il

faut comprendre « l’école moyenne » (équivalent du collège) et « l’école supérieure »

(équivalent du lycée). L’emploi de la langue allemande ou italienne est donc garanti

jusqu’au baccalauréat.

La situation de la langue ladine est, on l’a déjà remarqué, beaucoup moins

favorable. Son emploi comme langue d’enseignemant auxiliaire n’est garanti par le

décret de 1983 que dans les jardins d’enfants et la première année des écoles primaires

des localités ladines. A partir de la deuxième année, et dans les écoles secondaires, le

ladin doit seulement faire l’objet d’un cours de langue, dont l’importance n’est pas

précisée. Dans la pratique, cela se traduit par deux heures d’enseignement par semaine.

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La protection de la langue ladine ne lui permet donc pas d’évoluer, limite ses possibilités

de développement, notament dans le domaine scientifique.

En Autriche, le traité de Vienne impose un « enseignement élémentaire en langue

slovène ou croate ». Selon l’interpétation de l’ensemble de la doctrine, « enseignement

élémentaire » doit être compris comme « enseignement obligatoire », donc le cursus

regroupant les écoles primaires (Volksschulen) et les collèges (Hauptschulen).177 Les

collèges d’aujourd’hui constituaient en effet auparavant l’étape supérieure de l’école

primaire (Volksschuloberstufe).

Rien, par contre, n’impose un enseignement bilingue dès le jardin d’enfant au

niveau constitutionnel. L’article 14 paragraphe 4 lettre b de la loi constitutionnelle

fédérale prévoit que l’enseignement dans les jardins d’enfants relève de la compétence

du Land..

Dans le Burgenland, ce domaine est reglé par une loi 13 Juillet 1995, en vigueur

depuis le 1er Janvier 1996 (burgenländisches Kindergartengesetz). Celle-ci prévoit dans

son article 2a paragraphe 1 des jardins d’enfants linguistiquement mixtes

(gemischtsprachige Kindergärten) qui doivent être mis en place dans des conditions

semblables auc écoles bilingues.

En Carinthie, la loi sur les jardins d’enfants de 1992 ne prévoit pas de

dispositions particulières pour les enfants issus de minorités, mais seulement la

possibilité de création d’institutions privées pour les minorités.

En ce qui concerne l’école primaire, la loi pour la Carinthie ne prévoyait un

enseignement en langue slovène que pour les trois premières années des quatre que

couvre cette école. Cette disposition de l’article 16 paragraphe 1 de la loi a été censurée

par la cour constitutionnelle autrichienne le 3 Septembre 2000 puisqu’elle était contraire

au Traité de Vienne. La cour a précisé qu’ « un enseignement élémentaire en langue

slovène [n’était] plus garanti si le slovène n’est plus enseigné que comme une langue

étrangère, même si c’est une matière obligatoire, tandis que le reste des matières est

enseigné en langue allemande »178.

La loi pour le Burenland a tenu compte de cela et garanti un enseignement

primaire integral avec l’usage de la langue minoritaire comme langue d’enseignement.

177 Dieter Kolonovits: Minderheitenschulrecht im Burgenland, op. cit., p.55. 178 VfSlg 15.759: „Ein Elementarunterricht in slowenischer Sprache ist dann nicht mehr gewährleistet, wenn Slowenisch – wenn auch als Pflichtfach - nur wie eine andere Fremdsprache unterrichtet wird, während der übrige Fachunterricht – ausgenommen der Religionunterricht – in deutscher Sprache erteilt wird“.

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Après l’école primaire, l’élève continue dans un collège (Hauptschule), puis

éventuellement un lycée général (allgemeinbildende höhere Schule). Concernant le

collège, l’article 8 de la loi pour le Burgenland prévoit trois sortes d’enseignement. Dans

les collèges des circonscriptions des écoles bilingues des territoires historiques, des

sections doivent être créées où la langue croate ou hongroise est uniquement enseignée

comme matière. Dans le reste du Land, des collèges uniquement en langue croate ou

hongroise doivent être institués si un besoin est prouvé par un certain nombre

d’inscriptions179. Enfin, les « collèges-test » (Schulversuch) fonctionnant de manière

bilingue sans base légale en 1993/94 sont institués en collèges bilingues, si ils

remplissent les conditions de nombre d’élèves.

Ce système ne garantit donc pas une continuité de l’enseignement en langue

minoritaire. Les deux collèges bilingues institués dans le Burgenland ne se trouvent pas

dans les territoires historiques. L’élève sortant d’une école primaire bilingue d’un

territoire historique ne se verra proposer que des cours de langue minoritaire au collège

correspondant, auqiel il doit s’inscrire, puisque le principe de désinscription ne joue pas

pour les collèges180.

L’article 12a de la loi pour la Carinthie prévoit l’existence de collèges avec la

langue slovène comme unique langue d’enseignement, et la création de sections avec

des cours de langue dans les collèges germanophones.

L’enseignement bilingue n’est donc pas prévu au delà de l’école primaire. Les

collèges fonctionnant de manière bilingue en 1958/59, tels que prévus dans l’article 10,

ne pourront pas utiliser deux langues d’enseignement. Mais des classes de collège

uniquement en langue slovène ou des sections avec des cours de slovène dans un collège

germanophone pourront être instituées dans les territoires historiques. En dehors, une

classe uniquement en slovène sera créée à partir de neuf inscriptions, et une section avec

cours de langue à partir de cinq inscriptions.

L’élève qui souhaite utiliser le slovène comme langue d’enseignement n’aura

donc pas la possibilité d’utiliser également l’allemand. La loi pour la Carinthie offre

deux solutions extrêmes (langue d’enseignement slovène uniquement, ou bien cours de

langue uniquement) qui ne favorisent pas l’enseignement dans la langue minoritaire. Peu

179 A partir de cinq inscriptions, on peut ouvrir une section, et à partir de neuf inscriptions, une classe où la langue minoritaire sert e langue d’enseignement. 180 Ainsi, pour l’année scolaire 2001/2002, seulement 2,6% des élèves suivant un enseignement bilingue dans une école bilingue continuent à apprendre le croate ou le hongrois au collège. Edith Mühlgaszner in Erziehung und Unterricht, op. cit., p.1218.

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d’élèves sortant d’une école bilingue choisiront en effet d’abandonner l’allemand, langue

nationale de l’Etat.

En ne permettant pas aux élèves sortant d’une école primaire bilingue sur un

territoire historique, qui constituent la grande majorité des élèves utilisant leur droit à

l’enseignement en langue minoritaire, de poursuivre avec un tel système bilingue au

collège, les lois pour la Carinthie et le Burgenland ne favorisent donc pas la continuité de

ce droit, et par là-même la protection de la langue.

Pour répondre à l’exigence d’« un nombre proportionnel d'établissements propres

d'enseignement secondaire » posée par le traité de Vienne, des lycées dans lesquels la

langue minoritaire joue un rôle important doivent aussi être institués.

L’article 12 de la loi pour le Burgenland vise la création d’un lycée spécialement

prévue pour les membres des minorités. On a déjà vu que son accès n’était en réalité pas

réservé aux élèves issus des groupes croate et hongrois, mais à ceux qui pouvaient

prouver un niveau de langue minoritaire suffisant. Ce lycée doit en effet fonctionner de

manière bilingue.

La discontinuité de l’enseignement en langue minoritaire est donc flagrante. Un

tel enseignement est largement offert à l’école primaire, très restrictivement au collège,

et à nouveau mis en place pour le lycée.

L’article 12 impose seulement la création d’un lycée bilingue. Il a en fait donné

une base légale au lycée créé dès 1992/93 à Oberwart comme école-test, dans lequel une

section allemand/croate et une section allemand/hongrois existent pour chaque année.

D’autres lycées-test ont depuis été mis en place, notamment à Neusiedl,

Eisenstadt et Oberpullendorf. Mais, n’étant pas protégés par la loi, ils nécessitent chaque

année une autorisation du ministère de l’éducation.

En Carinthie, l’article 24 de la loi scolaire relative aux minorités a imposé un

lycée avec la langue slovène comme seule langue d’enseignement. Une loi de 1990181 a

également créé un lycée professionnel pour les slovènes, dans lequel l’enseignement est

bilingue. Cette école, située à Klagenfurt, permet donc la poursuite de l’enseignement

bilingue, mais à condition de renoncer au cursus général.

La poursuite d’un cursus entièrement bilingue du jardin d’enfants jusqu’au

baccalauréat n’est donc pas facile, mais est possible dans les Länder étudiés.

181 BGBl 1990/420

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La langue minoritaire est donc protégée, par un curus plus ou moins continu, et

par des professeurs aux connaissances adaptées. Mais le droit à l’enseignement en langue

minoritaire ne saurait protéger que la langue, au détriment de l’individu.

b) La nécessaire prise en compte de l’individu

Nous avons prouvé que le droit étudié protégeait efficacement la langue. Mais

cette protection n’aurait pas de sens si elle portait préjudice à l’individu. Imaginons par

exemple une obligation de suivre l’enseignement dans la langue maternelle. Il est

apparemment dur d’y voir un préjudice pour l’individu. Mais si cette langue n’offre

aucun avenir, aucune perspective de travail pour l’élève, le bel objectif de protection de

la langue n’aurait plus de signification. Si sauver la langue entraîne la perte de son

groupe de locuteurs, la protection excessive risque de provoquer la disparition de la

langue. L’enseignement en langue minoritaire ne doit donc pas être exclusif, et prendre

en compte les « besoins linguistiques » de l’individu (1). Par ailleurs, la protection de la

langue peut entrer en conflit avec la liberté de l’individu (2).

1 Les dangers du monolinguisme

Un individu parlant une langue minoritaire a un intérêt énorme à maîtriser

également la langue majoritaire de l’Etat où il se trouve. Si le système d’enseignement

lui permet uniquement d’apprendre sa langue maternelle, cela constitue pour lui un

handicap important, réduit imensément ses perspectives professionnelles.

Comme le dit le professeur Ammoun dans son étude sur la discrimination dans

l’éducation182, si l’interdiction de l’enseignement dans la langue d’un groupe peut

constituer une oppression et une discrimination, il est également discriminatoire

d’empêcher les enfants d’un certain groupe d’apprendre la langue de la majorité,

nécessaire pour l’accès à l’éducation supérieure.

En permettant l’apprentiss age de la langue majoritaire, on évite donc la formation

de ghettos linguistiques. Ce point n’a pas été ignoré dans les systèmes des régions

étudiées183.

182 Cité dans Fernand De Varennes: Languages, minorities and Human Rights, op. cit., p. 206. 183 Cela s’oppose à l’avis de Guy Héraud dans L’Europe des ethnies, op.cit., selon lequel « le bilinguisme forcé [par lequel on permet à la minorité d’apprendre la langue majoritaire] accable [la minorité] et

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Ainsi, les lois scolaires relatives aux minorités pour le Burgenland et pour la

Carinthie proposent, on l’a vu, un enseignement bilingue et un enseignement uniquement

en langue minoritaire. Néanmoins, on a observé que le système favorise la participation à

un enseignement bilingue dans les écoles primaires des territoires historiques, lieu

essentiel de la protection de la langue. L’apprentissage de la langue majoritaire est donc

assuré par ces écoles dont on a déjà étudié le fonctionnement.

Cela dit, si l’élève choisit de n’utiliser que la langue minoritaire comme langue

d’enseignement, des cours obligatoires d’allemand sont prévus.

Ainsi, l’article 8 de la loi pour la Carinthie, qui fait parties des dispositions

générales du texte rappelle que l’usage de la langue slovène comme langue

d’enseignement ne fait pas obstacle à l’obligation de prévoir des cours obligatoires

d’allemand, langue nationale de la république d’Autriche, comme le stipule l’article 8 de

la loi constitutionnelle fédérale dans sa version de 1929184.

Par conséquent, à chaque fois qu’un enseignement uniquement en langue

minoritaire est prévu, une disposition impose également un apprentissage obligatoire de

l’allemand. C’est par exemple le cas de l’article 15 de la loi pour la Carinthie qui après

avoit précisé l’emploi exclusif du slovène comme langue d’enseignement dans certaines

écoles primaires et certains collèges, impose six heures hebdomadaires obligatoires

d’allemand185. La loi pour la Carinthie contient la même disposition, pour les écoles

primaires uniquement en langue minoritaire à l’article 3 paragraphe 2, pour les collèges à

l’article 8 paragraphe 2.

Si l’élève n’utilise que la langue minoritaire comme langue d’enseignement (soit

parce qu’il le souhaite, soit parce qu’un enseignement bilingue n’est pas proposé), un

apprentissage important de la langue nationale de son Etat est tout de même assuré.

Dans le Südtirol, il est inutile de traiter du cas des ladins qui, nous l’avons vu, ne

jouissent pas d’un véritable droit à l’enseignement dans leur langue. Le système paritaire

l’adultère, alors que la majorité, cantonnée dans l’unilinguisme, ménage à la fois ses forces et son integrité ». Bien sûr, Monsieur Héraud ne voit pas d’intérêt dans l’apprentissage de la langue majoritaire, puique dans l’idéal, chaque « ethnie » devrait disposer de son propre Etat, et donc parler une langue majoritaire. 184 „Der Erteilung des Unterrichtes in slowenischer Unterrichtssprache steht nicht entgegen, dass die deutsche Sprache als Staatssprache der Republik Österreich (Artikel 8 des Bundes-Verfassungsgesetzes in der Fassung von 1929) als Pflichtgegenstand vorzusehen ist.“ 185 „An den Volks- und Hauptschulen mit slowenischer Unterrichtssprache ist der Unterricht auf allen Schulstufen in slowenischer Unterrichtssprache zu erteilen, doch ist die deutsche Sprache als Pflichtgegenstand mit sechs Wochenstunden zu führen.“

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93

en place dans leurs écoles leur assure une maîtrise parfaite des deux langues les plus

importantes de la province, l’allemand et l’italien.

La province a, répétons le, un statut bilingue. La connaissance des deux langues

est donc un atout de taille, pour qui souhaite y travailler. Pour entrer dans la fonction

publique de la région, il s’agit même d’une obligation. La réussite à l’examen de

bilinguisme est une condition nécessaire pour prendre part aux concours d’entrée186.

Certaines entreprises privées exigent également ce diplôme de tout demandeur

d’emploi. Le 6 Juin 2000, la CJCE a jugé contraire à l’article 48 du traité garantissant la

libre circulation des travailleurs une telle exigence187. Selon la cour, si une entreprise

peut poser le bilinguisme comme condition d’embauche, il est contraire au traité de

n’accepter pour preuve de ce bilinguisme qu’un diplôme ne pouvant être obtenu que dans

une province d’un Etat membre. Cette jurisprudence a été ressentie comme un choc dans

le Südtirol, comme pouvant remettre en cause la nécessit de l’examen de bilinguisme

dans la fonction public et dans les concessionaires privés de service public.

L’impossibilité de comparaison objective entre différents diplômes de bilinguisme a

aussi été invoquée188.

Mais quoiqu’il en soit, il est clair que la maîtrise des langues allemande et

italienne est fort importante dans la province. Par conséquent, le système

d’enseignement, s’il ne prévoit que la langue maternelle de l’élève comme langue

d’enseignement, impose également des cours obligatoires de l’autre langue à partir de la

deuxième ou troisième année de l’école primaire189. Fidèle à ses principes, le statut

précise que cette matière doit être enseignée par des professeurs dont c’est la langue

maternelle. De plus, l’article 6 paragraphe 4 du décret de 1983 impose que l’enseignant

ait également une « connaissance adaptée » de la langue d’enseignement de l’école, ce

qui signifie qu’il doit réussir l’examen de bilinguisme.

186 Pour travailler dans un service avec lequel les citoyens ladins peuvent employer leur langue, la réussite à un examen de langue ladine est également obligatoire. 187 Affaire C-281/98 188 Autonome Provinz Bozen Südtirol: Südtirols Autonomie, Landespresseamt, 2002, p.147. 189 Article 19 du statut d’autonomie: „[...] In den Grundschulen, von der 2. oder 3. Klasse an, je nachdem, wie es mit Landesgesetz auf bindenden Vorschlag der betreffenden Sprachgruppe festgelegt wird, und in den Sekundarschulen isr der Unterricht der zweiten Sprache pflicht; es wird von Lehrkräften erteilt, für diese Sprache die Mutersprache ist.“

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94

L’importance quantitative de l’enseignement de la deuxième langue190 doit être

régler par une loi de la province, suite à une proposition liante du groupe linguistique de

l’école.

Dans la pratique, l’allemand est enseigné dans les écoles italophones dès la

première classe, jusqu’au Baccalauréat. Dans les écoles germanophones, l’italien est

enseigné à partir de la deuxième année, une heure obligatoire et une heure facultative par

semaine. Cela augmente ensuite jusqu’au Baccalauréat.

L’enseignement de la deuxième langue fait l’objet d’une véritable querelle entre

les deux groupes linguistiques. Ainsi, si la situation actuelle satisfait le groupe

germanophone, le groupe italophone, lui, souhaiterait intensifier les cours d’allemand

sans ses écoles. Il faut signaler que les germanophones, plus confrontés, en dehors de

l’école à l’autre langue, atteignent en moyenne un meilleur niveau de bilinguisme191.

Outre les projets d’immersion que nous avons déjà évoqués, une réforme adoptée

le 22 Septembre par le gouvernement de la province devait permettre de débuter les

cours d’allemand dès la dernière année du jardin d’enfants du grope italophone. Mais

cette réforme ne devait entrer en vigueur qu’après la réforme fondamentale de l’école au

niveau national, adoptée le 10 Février 2000, et devant prendre effet à la rentrée 2001.

Mais le nouveau gouvernement à Rome interrompit cette réforme, mettant fin aux

espoirs du groupe italophone dans le Südtirol.

Notons enfin qu’un programme d’échange encore à l’état embryonnaire consiste

à envoyer pendant un an un élève dans l’école de l’autre groupe linguistique. Pour

l’année 2003/2004, cela n’a concerné que dix élèves192.

L’enseignement de l’autre langue de la province, pour le Südtirol, et de la langue

majoritaire, pour l’Autriche, est donc plus ou moins bien assuré mais toujours pris en

compte.

Reste à savoir si l’individu est libre de choisir sa langue d’enseignement ou pas.

190 Le terme employé est bien deuxième langue (zweite Sprache), et pas langue étrangère, en raison du statut bilingue de la province. 191 Les résultats à l’examen de bilinguisme permettent de déterminer le niveau linguistique moyen des différents groupes. Depuis 1992, l’appartenance linguistique ne doit pls être signalée lors de l’examen. Les chiffres que nous proposons ici sont la moyenne des années 1977 à 1991. 41,91% des candidats germanophones ont réussi l’examen, contre 29,93% des italophones. Les ladins, forts de leur système paritaire, l’ont réussi à 61,26%. Source : Institut de statistiques de la province (ASTAT). 192 Source : entretien avec Klaus Schwarzer.

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2 Le choix de la langue d’enseignement : un choix libre ou imposé

Le droit à l’enseignement en langue minoritaire est, comme son nom l’indique,

un droit, par opposition à une obligation. Le principe de liberté de l’individu a pour

conséquence que l’on ne saurait imposer à un élève une langue d’enseignement.

Une telle obligation n’est envisageable que pour la langue majoritaire de l’Etat, si

l’Etat n’offre aucun droit à l’enseignement dans une autre langue. Mais à partir du

moment où un système d’enseignement dans une langue minoritaire est mis en place,

peut-on obliger un élève à opter pour ce type d’enseignement ?

En Autriche, le fait que le droit à l’enseignement en langue minoritaire soit ouvert

à tous les élèves fait obstacle à la possibilité de lui refuser son caractère facultatif. Il n’est

en effet pas possible d’obliger tous les élèves, sur certains territoires, de renoncer à un

enseignement exclusivement en allemand, langue nationale de la république. Cela

constituerait d’une part une discrimination par rapport aux autres élèves germanophones

de l’Etat, et serait d’autre part contraire à l’interdiction d’apprentissage forcé d’une

langue de l’article 19 de la loi fondamentale d’Etat de 1867.

Les articles 1 de la loi pour le Burgenland et 7 de la loi pour la Carinthie, qui

énoncent le droit à l’enseignement en langue minoritaire pour tout élève, insiste donc

immédiatement après sur son caractère facultatif.

L’élève sera alors libre de choisir s’il veut ou pas participer à cet enseignement,

en s’inscrivant ou se désinscrivant selon les cas.

Le système du Südtirol est plus problématique. En effet, on l’a vu, il est très dur

de déroger au droit à l’enseignement en langue maternelle. Une école peut refuser un

élève d’un autre groupe linguistique.Le droit accordé se transforme donc en une sorte

d’obligation. En faisant passer l’empoi de la langue avant le choix de l’individu, la

langue apparaît, une fois encore, comme l’objet primordial de la protection.

Une telle mesure est pourtant nécessaire pour garantir le système scolaire

séparatiste, « pilier de l’autonomie »193 de la province. En effet, si l’élève soumis à

l’obligation scolaire n’était pas obligé de fréquenter l’école de son groupe linguistique, il

devrait être autorisé à s’inscrire à celle de l’autre groupe. Cela entraînerait un mélange

des populations. Formellement, un système d’écoles séparées ne serait pas anéanti par un

tel résultat :chaque école continuerait en effet à utiliser une seule langue comme langue

193 Selon le professeur Zeller, cité dans Südtirols Autonomie, op. cit., p.201.

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96

d’enseignement, et à assurer des cours de la deuxième langue. Mais le système scolaire

du Südtirol, comme nous l’avons déjà noté, s’appuie dans son séparatisme sur les

langues maternelles. La séparation des langues implique donc forcément la séparation

des personnes.

La langue d’enseignement doit donc être imposée à l’élève. Dans la mesure où

l’allemand comme l’italien offrent de bonnes perspectives dans la région, on ne peut voir

là une discrimination flagrante. Néanmoins, on peut remarquer que ce système de

protection, même s’il part d’une bonne intention, interdit quasiment aux citoyens italiens

germanophones de suivre un enseignement dans la langue nationale de leur Etat.

Certes, il s’agit là de la volonté du groupe germanophone, et pas d’une oppression

imposée par l’Italie. Les membres du groupe atteignent généralement un bon niveau

d’italien, avec les cours de langue et leur confrontation quotidienne avec cette langue194.

Néanmoins, cet état des choses est assez original pour être remarqué.

CONLUSION DE PARTIE : On a donc prouvé que la langue en elle-même faisait juridiquement l’objet d’une

protection juridique, en particulier grâce au droit à l’enseignement en langue minoritaire.

Cette protection peut se faire selon deux idées directrices différentes : soit on n’envisage

la sauvegarde de la langue en l’isolant, en la séparant des autres langues parlées dans la

région, soit on vise à protéger la langue d’une manière ouverte, en cherchant à élargir ses

locuteurs, en favorisant le contact avec d’autres langues.

Le droit à l’enseignement en langue minoritaire protège donc bien directement la

langue, mais aussi l’individu. Le système du Südtirol paraît plus axé sur ce dernier, en ce

qu’il pose pour principe général le droit à la langue maternelle. Dans les Länder

autrichiens, au contraire, la langue passe avant le membre de la minorité, puisque chaque

élève peut utiliser la langue minoritaire comme langue d’enseignement.

194 C’est surtout le cas dans les villes. Dans les petits villages germanophones, la maîtrise de l’italien est statistiquement faible. Souce : Institut de statistiques de la province (ASTAT).

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97

CONCLUSION GENERALE Notre travail nous a donc amené à deux conclusions partielles. D’abord, on a

remarqué que le droit à l’enseignement en langue minoritaire était un droit individuel,

qu’il appartenait à l’individu, et pas au groupe minoritaire.

Ensuite, on a prouvé que ce droit avait deux objets de protection : d’abord, l’élève

membre de la minorité; ensuite et surtout, la langue elle-même.

En Autriche, ce droit appartient à tout élève, peu importe qu’il soit issu de la

minorité ou non. Il nous semble donc possible d’accorder un tel droit sans avoir besoin

d’un point de rattachement avec la minorité. Cela permettrait à un Etat de protéger les

langues minoritaires sans reconnaître de minorités sur son territoire.

Or, la protection de la langue est une garantie majeure pour la subsistance et

même le développement de la minorité.

Cela signifie-t-il que la protection des langues sert d’alibi à la protection des

minorités ? Selon Yvonne Bollmann, telle est en effet la tactique de la Charte européenne

des langues régionales et minoritaires. L’auteur cite Jean-Marie Woehrling, « expert-

consultant auprès du conseil de l’Europe, en particulier pour le statut des langues et la

coopération transfrontalière », selon lequel « une telle présentation est plus acceptable

par les Etats qu’une affirmation directe des droits des minorités nationales. On ne peut

certes protéger les langues sans prendre aussi des mesures en faveur des locuteurs de ces

langues, mais celles-ci sont instituées comme la conséquence de la protection des

langues et non comme l’expression de droits particuliers des minorités ethniques »195.

De même, le professeur Theodor Veiter, lorsqu’il évoque en 1987 le projet du

Conseil de l’Europe pour une charte des langues, souligne que les langues s’y trouvent

au premier plan, et non les « peuples ou communautés ethniques » en raison de « la

résistance de quelques gouvernements à comportement centraliste » qui s’opposeraient à

une « charte des Volksgruppen »196.

Yvonne Bollmann remarque que l’article 7 paragraphe 1 de la Charte, pour lequel

aucune réserve n’est possible, contient trois fois le mot « groupe »197. La Charte

présuppose donc l’existence de groupes, d’entités étrangères les unes aux autres, et non

195 Yvonne Bollmann: La bataille des langues en Europe, Bartillat, 2001, p.58. 196 Ibidem, p.99. 197 Ce mot apparaît dans l’alinéa e du premier paragraphe de l’article 7: « le maintien et le développement de relations entre les domaines couverts par la présente Charte entre les groupes pratiquant une langue régionale ou minoritaire et d 'autres groupes du même État parlant une langue pratiquée sous une forme identique ou proche, ainsi que l'établissement de relations culturelles avec d'autres groupes de l'État pratiquant des langues différentes ».

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98

pas de citoyens égaux entre eux198. L’auteur en déduit donc que la Charte est une

« machine de guerre contre la France »199.

Notre travail a eu pour objet de prouver que juridiquement, la langue pouvait être

séparée de son groupe de locuteurs. Ainsi, grâce au droit à l’enseignement en langue

minoritaire, la protection des langues peut être un objectif en tant que tel, et pas un alibi

servant un autre but : la protection des minorités, même si celle-ci sera une conséquence

automatique de la protection des langues. La protection des langues minoritaires ne

constitue pas un premier pas vers une autonomie entière de chaque minorité, comme le

souhaitent les ethnistes. Elle constitue un objectif ultime en tant que telle.

La seule condition nécessaire à l’octroi du droit étudié est donc la reconnaissance

de « langues minoritaires ». Cette terminologie n’est pas la bonne, puisqu’elle fait

référence aux minorités, mais un autre terme peut être trouvé. On peut ainsi parler de

« langues moins utilisées », ou bien de « langues régionales ».

Etudions le cas d’un Etat centraliste et hostile aux minorités, la France. Nous ne

chercherons pas à savoir si la France devrait reconnaître des minorités ou des langues

minoritaires sur son territoire. Si la reconnaissance de groupes minoritaires au niveau

constitutionnel paraît peu imminente, la reconnaissance de langues autres que le français

paraît beaucoup plus envisageable. Comme on l’a vu en Autriche, l’octroi d’un statut de

langue officielle n’est pas indispensable. Il suffit que la France reconnaisse l’existence de

langues autres que le français sur son territoire pour qu’un droit à l’enseignement dans

ces langues devienne possible, et que leur survie soit assurée.

L’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat est conforme à notre thèse.

Dans son avis du 6 juillet 1995 relatif à la ratification par la France de la convention-

cadre sur la protection des minorités, il avait jugé ce texte inconstitutionnel en raison de

l’article 2 qui, en ce qu’il décrit la France comme une « république une et indivisible »,

interdit de reconnaître toute catégorie autre que le peuple français, composé de tous les

citoyens français, « sans distinction d'origine, de race ou de religion ». L’article 10 de la

convention, en ce qu’il « prévoit un véritable droit à l’utilisation des langues minoritaires

dans les rapports avec les autorités administratives » était de plus contraire à la

disposition constitutionnelle selon laquelle « la langue de la République est le français ».

Un an plus tard, pour savoir si la France pouvait ratifier la Charte européenne, le

premier ministre avait saisi le Conseil d’Etat. Celui-ci, dans son avis rendu le 24

198 Ibidem, p. 67. 199 Ibidem, p.64.

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99

septembre 1996, abandonnait la référence à l’indivisibilité du peuple français. S’il s’est

opposé à la ratification en raison des articles 9 et 10 de la Charte, concernant l’emploi de

la langue régionale ou minoritaire devant les juridictions et les autorités administratives,

c’est uniquement parce que cela serait contraire à la phrase de l’article 2 de la

Constitution selon laquelle « la langue de la République est le français ».

Mais concernant l’enseignement, le Conseil d’Etat a jugé que l’article 8 de la

Charte n’était pas contraire à la constitution. Seulement, il déduit cela du vaste choix de

dispositions de cet article, et semble estimer conforme à la constitution l’enseignement

de la langue, et pas dans la langue. L’enseignement en langue minoritaire ou régionale

semble donc ne pas être accepté par le conseil d’Etat.

.

L’opposition du conseil d’Etat aux mesures protégeant les langues ne repose donc

plus sur le refus de reconnaître des minorités, mais sur le fait que « la langue de la

République est le français ». La non-reconnaissance de minorités, aussi critiquable

qu’elle soit, ne fait plus obstacle à la protection des langues minoritaires ou régionales.

Le conseil constitutionnel, par contre, saisi trois ans plus tard par le président de

la République sur la conformité de la charte européenne des langues régionales et

minoritaires à la constitution, l’a jugée incompatible en raison des deux dispositions

citées de l’article 2 : l’indivisibilité du peuple français, c’est-à-dire la non-reconnaissance

de minorités, et le français comme langue de la République200.

Nous avons tenté de démontrer que l’on ne pouvait justifier le refus de

l’enseignement en langue minoritaire par la non-reconnaissance de minorités. Il est tout à

fait envisageable juridiquement que seul « le peuple français uni et indivisible » soit

reconnu, mais que parallèlement, le plurilinguisme soit affirmé et défendu201. Reste donc

à surpasser cette disposition de l’article 2 de la constitution, adoptée par une révision

constitutionnelle du 24 juin 1992, selon laquelle « la langue de la République est le

français ». En réalité elle ne devrait pas empêcher l’octroi du droit à l’enseignement en

langue minoritaire. L’article 8 de la loi constitutionnelle fédérale de l’Autriche dispose

lui aussi que « la langue allemande est la langue nationale de la république ».

200 Décision n°99-412 DC du 15 juin 1999. 201 Le plurilinguisme n’est pas un facteur automatique de division, contrairement à ce que pensent les ethnistes (cf. introduction) ou le professeur Roland Debbasch : « L’œuvre d’harmonisation [linguistique menée par l’Etat] est-elle si dommageable qu’il devrait, à titre de réparation, offrir à un peuple, depuis longtemps rassemblé autour de sa langue, le luxe dangereux d’une législation, d’une administration, d’une justice ou d’un enseignement à plusieurs voix ? Nous ne le pensons pas. », « La république indivisible, la langue française et la nation » in :R.R.J. 2001-1, p.113.

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C’est uniquement l’interprétation que fait le juge de cette disposition qui empêche

la garantie du droit à l’enseignement en langue minoritaire. Une solution serait bien sûr

une révision constitutionnelle précisant le sens de cette expression, à l’exemple de

l’article 8 de la constitution autrichienne, ou de l’article 6 de la constitution italienne,

tous deux déjà cités dans ce travail.

Les associations favorables à la défense des langues régionales de France ont

rédigé un tel projet qui consiste, comme elles le précisent, non pas à modifier le sens de a

constitution, « mais en éclairer le sens pour éviter les interprétations tendancieuses ». Il

s’agirait d’insérer, à la suite des mots « la langue de la République est le français », la

phrase suivante : « Ceci s'entend sans porter atteinte aux droits et libertés des langues des

régions et de leurs locuteurs »202.

Selon nous, cette formulation est maladroite. En effet, elle fait des langues des

sujets de droit, ce qui est imposible, une langue n’ayant pas de personnalité juridique. La

langue est l’objet de la protection garantie par certains droits.

La référence aux « locuteurs » des langues est acceptable, en ce qu’elle n’évoque

pas de groupes. Une formulation semblable à celle de l’article 8 de la constitution

autrichienne, qui traite des droits reconnus aux « minorités linguistiques » est impossible

dans l’ordre juridique français actuel. Cependant, il n’est pas indispensable de traiter des

« locuteurs ».

A notre sens, un texte beaucoup plus simple suffirait : « la langue de la

République est le français, mais la République reconnaît la valeur et l’existence d’autres

langues sur son territoire »203. Cela permettrait une reconnaissance constitutionnelle de la

diversité linguistique, et impliquerait donc un droit à l’enseignement dans d’autres

langues.

Mais la reconnaissance juridique de langues minoritaires, même si elle n’a pas

encore eu lieu au niveau constitutionnel, a déjà commencé en France.

La loi Deixionne du 11 janvier 1951 a pour objet « l’enseignement des langues et

dialectes locaux ». Un décret du 16 janvier 1974 introduit une épreuve facultative de

langues régionales. La circulaire 82-261 du 21 juin 1982 du ministère de l’Education

prévoit entre autres que l'Etat s'engage dans l'organisation des enseignements de langues

202 Site internet de l’association « Pour que vivent nos langues », www.pqvnl.fr 203 On s’inspire ici du second paragraphe de l’article 8 de la constitution autrichienne, selon lequel « La République (Bund, Länder et Gemeinden) se reconnaît dans sa diversité linguistique et culturelle, forgée au fil des années, qui trouve son expression dans les groupes ethniques autochtones. Il lui faut respecter, sauvegarder et promouvoir la langue et la culture, l’existence continue et la conservation de ces groupes ethniques »

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101

et cultures régionales, et prévoit que l'enseignement des langues et cultures régionales

bénéfice d'un statut dans l'Education Nationale. Enfin, la circulaire n° 95-086 du 7 avril

1995 réaffirme « l'engagement de l'Etat en faveur de cet enseignement »204.

L’existence de langues minoritaires, dans le sens de langues moins parlées que la

langue majoritaire française, est donc reconnue juridiquement depuis longtemps.

L’enseignement de ces langues est même plus ou moins mis en place.

Il n’y a donc aucun obstacle juridique à ce que la France prévoie un droit à

l’enseignement dans ces langues régionales. Ce droit sera logiquement soumis au

principe territorial. Cela ne posera pas de problème, puisque les langues minoritaires

reconnues par la France sont des langues régionales. La région administrative française

pourra servir de limite géographique.

Doit-elle jouer un rôle particulier dans l’organisation de cet enseignement,

comme le suggère Bernard Poignant dans son rapport ? Cela peut être dangereux. On se

raproche en effet de la thèse des fédéralistes ethniques qui voient dans l’autonomie la

seule possibilité de véritable sauvegarde des minorités. Or, cela est impossible dans

l’ordre juridique français.

Un enseignement uniquement en langue régionale serait contraire à l’article 2 de

la constitution et au principe d’égalité. La forme de l’enseignement bilingue pourrait

donc être mise en œuvre.

Le droit sera bien sûr ouvert à tout élève, comme dans le système du Burgenland

et de la Carinthie. Pour une véritable promotion des langues régionales, un système de

désinscription peut être mis en œuvre.

Reste à traiter le problème des autres langues minoritaires de la France. En effet,

si un droit à l’enseignement en langue régionale est organisé, ne serait-il pas

discriminatoire de ne pas reconnaître un tel droit à l’enseignement bilingue dans les

langues des migrants ?205

On pourrait rétorquer que ces langues, majoritaires dans d’autres pays, ne sont

pas en danger et ne méritent pas de protection. Mais si la même logique était suivie dans

le Südtirol ou en Autriche, les droits que nous avons étudiés dans ce travail n’existeraient

204 Source: Rapport de Bernard Poignant au premier ministre sur les langues et cultures régionales (1er juillet 1998). 205 De plus, ces langues sont beaucoup plus parlées que certaines langues régionales. Selon le professeur Debbasch, « la prise en compte plus active [des langues régionales] par le droit nécessiterait une révolution juridique que ne justifient sans doute pas les exigences pratiques ou culturelles », op. cit., p.130. En raison de la valeur énorme de chaque langue, que nous avons souligné dans l’introduction, nous ne souscrivons pas à ce point de vue. Mais, pour reprendre l’argumentation du professeur Debbasch, les exigences pratiques de la protection des langues minoritaires de l’immigration sont certainement plus importantes.

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pas. Une langue minoritaire dans un Etat doit être protégée, peu importe sa situation

ailleurs dans le monde.

Un autre argument consisterait à soutenir que les langues régionales sont

historiquement rattachées à des territoires aujourd’hui français, et que c’est ce qui justifie

leur protection. Mais là encore, selon cette logique, seul les ladins, population autochtone

du Südtirol, seraient protégés dans cette province..

Cet argument a tout de même une conséquence pratique : si le basque est

relativement aisé à localiser géographiquement, il en va autrement de l’arabe ou du

portugais. Ces langues parlées par une population issue de l’immigration sont réparties

sur tout le territoire.

La solution consisterait alors à accorder le droit à l’enseignement en langue

minoritaire sur tout le territoire français, mais à en soumettre l’exercice à la vérification

d’un besoin durable, comme cela est fait dans les Länder autrichiens étudiés en dehors

des territoires historiques.

Pour ne pas être discriminatoire, le système d’enseignement proposé devra

garantir l’apprentissage de la langue française par un enseignement bilingue.

Mais une telle approche plurilingue de l’enseignement n’est pas encore à l’ordre

du jour.

Peut-être serait-il intéressant, enfin, pour approfondir notre sujet et mieux

répondre aux fédéralistes ethnistes, d’étudier les rapports entre langue minoritaire et

régionalisation. L’octroi d’une importante autonomie régionale est-elle nécessaire à une

protection satisfaisante de la langue ? La dissociation juridique de l’individu et de la

langue ne permet-elle pas une telle protection dans un Etat unitaire ? Le cas de la

Belgique et de son principe territorial absolu, où la langue prend résolument le pas sur

l’individu, devra absolument être pris en compte.

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103

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Table des matières

REMERCIEMENTS _____________________________________________________ 2

Liste des abréviations _____________________________________________________ 3

Introduction_____________________________________________________________ 5

I Le concept de langue minoritaire __________________________________________ 7

A Tentative de définition de la minorité linguistique______________________________________ 7

B Tentative de définition de la langue minoritaire_______________________________________ 11

II L’importance de la langue d’enseignement dans la protection de la langue minoritaire_____________________________________________________________ 14

III Intérêt et présentation des régions étudiées _______________________________ 17

A L’état de la doctrine _____________________________________________________________ 17

B Des situations fort différentes______________________________________________________ 19 a Le Burgenland et la Carinthie______________________________________________________ 19 b Le Tyrol du Sud ________________________________________________________________ 22

C Développement historique de la protection des minorités et de leur langue dans le cadre de l’enseignement ____________________________________________________________________ 24

a Le Burgenland _________________________________________________________________ 24 b La Carinthie ___________________________________________________________________ 26 c Le Südtirol ____________________________________________________________________ 28

IV Problématique _______________________________________________________ 30

Première Partie : Le droit à l’enseignement en langue minoritaire : un droit individuel ______________________________________________________________ 33

Section 1 L’existence d’un droit à l’enseignement en langue minoritaire _______ 33

A Un droit garanti internationalement ? ______________________________________________ 33 B Un droit reconnu dans les régions étudiées___________________________________________ 37

Section 2 Un droit individuel et conditionné _______________________________ 42

A Un droit individuel ______________________________________________________________ 43 B Un droit conditionné _____________________________________________________________ 46

a) Le principe territorial ___________________________________________________________ 47 1 Les localités ladines dans le Südtirol ______________________________________________ 47 2 Les territoires historiques des minorités dans les Länder autrichiens _____________________ 48

b) Le principe personnel ___________________________________________________________ 51 1 La condition d’un nombre minimum d’élèves dans le reste du territoire des Länder _________ 51 2 Le principe personnel pour les germanophones et les ladinophones dans le Südtirol _________ 54

Conclusion de partie :____________________________________________________ 56

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Seconde partie : l’objet de la protection mise en place par le droit à l’enseignement en langue minoritaire_______________________________________________________ 58

Section 1 La langue comme objet de protection du droit _____________________ 58

A L’objectivisation de la langue______________________________________________________ 58 a) Des normes relatives aux langues dans l’ordre juridique autrichien________________________ 58 b) Südtirol : la jurisprudence de la CJCE favorable à une ojectivisation de la langue ____________ 60

B Le règlement des rapports entre les langues__________________________________________ 62 a) La reconnaissance juridique de la langue minoritaire et l’égalité dans l’enseignement _______ 63

1 L’attribution d’un statut officiel__________________________________________________ 63 2 La garantie de l’égalité dans l’enseignement sans coofficialité__________________________ 67

b) La séparation ou la réunion des langues _____________________________________________ 73 1 Des écoles pluri ou monolingues _________________________________________________ 73 2 Des mesures visant à séparer ou réunir les langues ___________________________________ 77

Section 2 La protection mise en place par l’enseignement en langue minoritaire_ 80

A Une protection axée sur la langue __________________________________________________ 80 a) L’ouverture de l’enseignement en langue minoritaire __________________________________ 80 b) Les procédures prévues pour l’élève non-issu du groupe linguistique minoritaire ____________ 83

B Les conditions d’une protection efficace et sensée _____________________________________ 85 a) Pour une protection efficace de la langue ____________________________________________ 85

1 Des professeurs maîtrisant la langue ______________________________________________ 86 2 La continuité de l’enseignement en langue minoritaire ________________________________ 87

b) La nécessaire prise en compte de l’individu__________________________________________ 91 1 Les dangers du monolinguisme __________________________________________________ 91 2 Le choix de la langue d’enseignement : un choix libre ou imposé _______________________ 95

CONLUSION DE PARTIE : ______________________________________________ 96

CONCLUSION GENERALE _____________________________________________ 97

BIBLIOGRAPHIE _____________________________________________________ 103

Table des matières _____________________________________________________ 106