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LE CONTRAT DÕAFFRéTEMENT MARITIME EN MƒDITERRANƒE: DROIT MARITIME ET PRATIQUE COMMERCIALE ENTRE ISLAM ET CHRƒTIENTƒ (XVII e -XVIII e SIéCLES) BY DANIEL PANZAC* Abstract From the end of the 17th to the beginning of the 19th century, the domestic Ottoman seaborne trade was largely ensured by European merchantmen chartered by Muslims traders. This practice suggests that the written contracts, signed by both partners, were consistent with the islamic law. This study will analyse these contracts and confront them with the princi- ples and rules of the Islamic maritime law, elaborated since the upper Middle Ages, in order to evaluate the in uence of the Islamic law upon the Christian maritime law which made it acceptable by Muslims. De la n du XVII e au d but du XIX e si cle, le commerce maritime ˆ lÕint rieur de lÕEmpire ottoman a principalement t assur par des navires europ ens affr t s par des n gociants musulmans. Cette pratique sugg re que les contrats crits, sign s par les deux parties, taient compatibles avec le droit musulman. Cette tude se propose dÕanalyser ces contrats et de les comparer avec les principes et les r gles du droit maritime musulman, labor depuis le haut Moyen-Age. LÕimportance de son in uence sur le droit maritime chr tien explique pourquoi celui-ci est devenu acceptable par des musulmans. Keywords: Mediterranean, Seaborne charter contract, Islamic law, Christian law, 17th-18th centuries. De la n du XVII e au d but du XIX e si cle, la majorit des relations maritimes ˆ lÕint rieur de lÕEmpire ottoman, pratiqu es ˆ lÕinitiative et au pro t des sujets du sultan, lÕont t ˆ bord de navires europ ens. Cela signi e que les capitaines de ces b‰timents les louaient ˆ des affr teurs, surtout musulmans, qui leur con aient, sans r ticences particuli res, mais apr s r daction dÕun contrat pr cis et d taill , leurs vies et leurs biens sur un l ment, ™ combien incertain. Cette pratique, dont les deux partenaires tiraient un pro t certain, impliquait n cessairement la con ance mutuelle des deux partenaires que tout, au d part, semblait s parer. Comment sÕ tait institu e cette con ance qui reposait sur ce contrat et comment Koninklijke Brill NV, Leiden, 2002 JESHO 45,3 Also available online www.brill.nl * Daniel Panzac, IREMAM-MMSH, 5, rue du Ch‰teau de lÕHorloge B.P. 647, 13094 Aix-en-Provence Cedex 2, France, panzac univ-aix.fr

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LE CONTRAT DÕAFFRéTEMENT MARITIME EN MƒDITERRANƒE: DROIT MARITIME ET PRATIQUE COMMERCIALE ENTRE

ISLAM ET CHRƒTIENTƒ (XVIIe-XVIIIe SIéCLES)

BY

DANIEL PANZAC*

Abstract

From the end of the 17th to the beginning of the 19th century, the domestic Ottomanseaborne trade was largely ensured by European merchantmen chartered by Muslims traders.This practice suggests that the written contracts, signed by both partners, were consistent withthe islamic law. This study will analyse these contracts and confront them with the princi-ples and rules of the Islamic maritime law, elaborated since the upper Middle Ages, in orderto evaluate the in uence of the Islamic law upon the Christian maritime law which made itacceptable by Muslims.

De la n du XVIIe au d� but du XIXe si� cle, le commerce maritime ˆ lÕint� rieur de lÕEmpireottoman a principalement � t� assur� par des navires europ�ens affr� t� s par des n� gociantsmusulmans. Cette pratique sugg�re que les contrats � crits, sign�s par les deux parties, � taientcompatibles avec le droit musulman. Cette � tude se propose dÕanalyser ces contrats et de lescomparer avec les principes et les r� gles du droit maritime musulman, � labor� depuis le hautMoyen-Age. LÕimportance de son in uence sur le droit maritime chr� tien explique pourquoicelui-ci est devenu acceptable par des musulmans.

Keywords: Mediterranean, Seaborne charter contract, Islamic law, Christian law, 17th-18thcenturies.

De la n du XVIIe au d� but du XIXe si� cle, la majorit� des relations maritimesˆ lÕint� rieur de lÕEmpire ottoman, pratiqu� es ˆ lÕinitiative et au pro t des sujetsdu sultan, lÕont � t� ˆ bord de navires europ� ens. Cela signi e que les capitainesde ces b‰timents les louaient ˆ des affr� teurs, surtout musulmans, qui leur con aient,sans r� ticences particuli� res, mais apr� s r� daction dÕun contrat pr� cis et d� taill� ,leurs vies et leurs biens sur un � l� ment, ™ combien incertain. Cette pratique,dont les deux partenaires tiraient un pro t certain, impliquait n� cessairement lacon ance mutuelle des deux partenaires que tout, au d� part, semblait s� parer.Comment sÕ� tait institu� e cette con ance qui reposait sur ce contrat et comment

Koninklijke Brill NV, Leiden, 2002 JESHO 45,3Also available online www.brill.nl

* Daniel Panzac, IREMAM-MMSH, 5, rue du Ch‰teau de lÕHorloge B.P. 647, 13094Aix-en-Provence Cedex 2, France, panzac univ-aix.fr

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� tait apparu ce dernier, telles sont les questions auxquelles cet article proposedes � l� ments de r� ponse.

UN DƒVELOPPEMENT LIƒ AUX CIRCONSTANCES

La reconqu� te d� nitive de Tunis en 1574, venant peu apr� s lÕoccupation deChypre, stabilise pour plusieurs si� cles les fronti� res maritimes de lÕEmpire ottomandevenu une vaste construction politique qui sÕ� tend d� sormais de lÕAtlas maro-cain au golfe Persique et de la Moldavie au Y� men. Pr� sentant une consid� rablediversit� g� ographique, ethnique, confessionnelle et linguistique, il se constitue,peu ˆ peu, ˆ partir de la seconde moiti� du XVIe si� cle, en une � conomie-monde selon lÕexpression de Braudel, cÕest-ˆ-dire un morceau de la plan� te� conomiquement autonome, capable pour lÕessentiel de se su re ˆ lui-m� me etauquel ses liaisons et ses � changes int� rieurs, conf� rent une certaine unit�organique .1 Un coup dÕ il sur une carte montre que les provinces qui le com-posent sont en majeure partie dispos� es autour de la M� diterran� e orientale quiconstitue en quelque sorte le c ur de lÕEmpire ottoman. Les indispensablesliaisons int� rieures ne peuvent quÕ� tre maritimes car celles-ci sont plus directes,plus rapides et moins ch� res. D� sormais, les n� gociants et leurs marchandises,les soldats et leur � quipement, les p� lerins musulmans en route vers La Mecqueet leurs homologues chr� tiens et juifs se rendant ˆ J� rusalem, les fonctionnairescivils et militaires rejoignant leur nouvelle affectation, sillonnent la M� di-terran� e.

La principale des routes maritimes, lÕaxe majeur de lÕempire sur lequel vien-nent se greffer des routes secondaires vers lÕOuest et vers lÕEst, est celle quirelie Istanbul au Nord ˆ Alexandrie au Sud. LÕEgypte est en effet la plus richeet la plus importante des provinces ottomanes. Elle fournit ˆ la capitale unimportant tribut en argent, le riz qui est la base de la nourriture de la cour dusultan et en particulier celle des janissaires, en n les produits pr� cieux en prove-nance de lÕExtr� me-Orient, soieries, parfums, drogues vari� es ainsi que le caf�du Y� men. CÕest en n la principale voie dÕacc� s pour les p� lerins se rendant ˆLa Mecque. A partir de la n du XVIe si� cle, le syst� me est bien � tabli et pra-tiquement chaque ann� e, un convoi, comprenant quelques gros vaisseauxpesants et maladroits mais fortement arm� s, les kalyon, des b‰timents de trans-port plus l� gers, les sa�ka, et des gal� res dÕescorte, quitte Alexandrie, laisseChypre ˆ lÕEst, puis se dirige vers Rhodes et longe la c™te anatolienne en

1 Fernand Braudel, ÒLÕEmpire ottoman est-il une � conomie-monde in M� morial …merLŸt Barkan (Paris, 1980), 39-50.

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faisant escale ˆ Chio, ˆ Samos, ˆ Mytil� ne avant dÕentrer dans les Dardanelles.LÕimportance et la r� gularit� de ce convoi montre dÕailleurs que la ma”trise dela M� diterran� e, acquise par lÕEmpire ottoman dans les ann� es 1530, malgr�lÕopposition sans merci de lÕEspagne et de ses alli� s, notamment lÕOrdre deMalte, se prolonge bien au delˆ de la d� faite de L� pante de 1571. LÕEmpireottoman est toujours en guerre avec lÕEspagne, mais, apr� s L� pante, celle-ci neconsid� re plus la M� diterran� e orientale comme un th� ‰tre militaire majeur etlaisse ses alli� s, la Toscane et surtout lÕOrdre de Malte, op� rer dans cette zone.Ceux-ci effectuent des incursions ponctuelles contre les c™tes anatoliennes etsyriennes et sÕattaquent, parfois avec succ� s, au convoi dÕAlexandrie, mais sansv� ritablement perturber les liaisons ottomanes.

Les choses changent ˆ partir de 1645 quand lÕEmpire ottoman d� clare laguerre ˆ Venise en se lan� ant dans la conqu� te de la Cr� te, derni� re possessioninsulaire de la R� publique en M� diterran� e orientale. La sup� riorit� navale v� ni-tienne lui permet de couper les lignes de communications entre les portsottomans, dÕattaquer avec succ� s le convoi dÕAlexandrie et de bloquer fr� quem-ment lÕentr� e des Dardanelles. LÕEtat ottoman fait alors appel ˆ des navireseurop� ens neutres pour assurer ces indispensables liaisons. D� s le d� but de laguerre de Cr� te, lÕEtat ottoman nolise, et parfois r� quisitionne, des vaisseauxhollandais et anglais, comme Venise dÕailleurs, pour transporter des troupes et, le cas � ch� ant, participer au combat au c™t� s des gal� res.2 Cette politiquesÕ� tend aux transports commerciaux et se poursuit pendant les ann� es de paix(1669-1684) pour se renforcer avec la premi� re guerre de Mor� e (1684-1699)qui oppose, une fois de plus, lÕEmpire ottoman et Venise.

CÕest dans le renouvellement des Capitulations entre lÕAngleterre et lÕEmpireottoman, sign� en septembre 1675, quÕil est fait mention, pour la premi� re fois,de location ˆ des ns commerciales de navires europ� ens par des Ottomans,pratique appel� e caravane maritime par les contemporains. LÕarticle 41 fait allu-sion aux navires anglais qui Òavaient lÕhabitude de prendre ˆ bord des p� lerinset autres passagers avec lÕintention de les d� barquer ˆ Alexandrie.Ó3 LÕarticle 47des Capitulations sign� es avec les Pays-Bas en septembre 1680 est plus pr� cis:

Si ˆ Damiette, ˆ Alexandrie et autres � chelles, des musulmans voulaient, de leur pleingr� , charger leurs effets et marchandises ˆ bord des vaisseaux et b‰timents n� erlandais,pour les faire transporter ˆ Constantinople ou ˆ tout autre endroit de nos Etats, personne

2 Daniel Goffman, Britons in the Ottoman Empire 1642-1660 (Seattle: Londres, 1998),151-153.

3 Gabriel Noradounghian, Recueil dÕactes internationaux de lÕEmpire ottoman (Paris,1897), vol. I, 156.

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ne sÕy opposera. On ne lui demandera pas une plus forte douane que celle quÕon per� oitdes autres musulmans.4

En n, en ao� t 1686, lÕambassadeur de France ˆ Istanbul obtient du sultan unrman qui o cialise cette pratique:

Firman sultanien � crit et certi � par Mehmed, na�b du kadi de Galata, et adress� auvizir Hamza Pacha charg� de la d� fense de lÕEgypte

[. . .] ˆ mon vizir Hamza Pacha ˆ qui est assign� la d� fense de lÕEgypte [. . .] et auxfonctionnaires (z‰bit) des ports; quand la sublime signature imp� riale arrivera, quÕil soitconnu que: [. . .] Girardin [. . .] lÕambassadeur du roi (padich‰h) de France r� sidant ˆ maPorte de F� licit� a envoy� une demande au Seuil de F� licit� et demand� quÕun ordreimp� rial soit d� livr� a n que les navires fran� ais, qui transportent d� jˆ les biens et lesmarchandises des p� lerins musulmans et des autres sujets (re‰y‰) ottomans dÕun port ˆun autre ou ˆ la Porte de F� licit� a n de leur assurer la s� curit� contre les navires v� ni-tiens, ne soient pas sollicit�s pour transporter des troupes; cÕest pourquoi mon ordre estquÕil ne leur soit point demand� de transporter des troupes sans un d� cret imp� rial etque lÕordre concernant les navires des marchands ne soit point transgress�. JÕai d� cr� t�que quand [un blanc dans le texte] arrivera avec mon ordre imp� rial, en conformit� avecmon d� cret imp� rial ˆ ce sujet, vous nÕautoriserez personne ˆ intervenir ou ˆ contrain-dre les navires de commerce fran� ais ˆ transporter des troupes sans un ordre imp� rial.Attendu que le roi (padich‰h) de France est depuis longtemps favorable ˆ ma Porte deF� licit� , la demande et la r� clamation de son ambassadeur sont accueillies avec faveur.Vous prendrez soin dÕ� viter que personne nÕintervienne ou ne contraigne leurs naviresde commerce avec une demande de transport de troupes sans un d� cret imp� rial a nquÕil nÕy ait plus dÕoccasion de plainte ˆ ce sujet.5

Soyez bien conscient [de mon ordre], ainsi apr� s avoir lu mon ordre imp� rial, vous leremettrez en sa possession. Ayez foi dans la noble signature. Ecrit dans la seconded� cade du mois sacr� de Z”lkade [de lÕan] 1097 (29 septembre-8 octobre 1686).

Ces trois documents r� v� lent ainsi les traits originaux de la caravane mar-itime: les navires europ� ens assurent d� sormais librement les relations entre lesports ottomans, principalement entre lÕAfrique du Nord et lÕEgypte ainsi quÕen-tre celle-ci et la capitale Istanbul. Ils sont, en principe, ˆ lÕabri de lÕarbitrairedes gouverneurs locaux ainsi que leurs affr� teurs ottomans qui, en contrepartie,doivent respecter les clauses des accords pass� s au d� part. En n leur importanceet leur r™le en cas de guerre est express� ment soulign� dans le rman de 1686:

les navires fran� ais qui transportent d� jˆ les biens et les marchandises desp� lerins musulmans et des autres sujets ottomans dÕun port ˆ un autre ou ˆ laPorte de F� licit� a n dÕassurer leur s� curit� contre les navires v� nitiens . CÕestadmettre o ciellement lÕinsu sance de la otte de commerce ottomane et lÕin-capacit� de sa marine de guerre ˆ prot� ger celle-ci.

4 Noradounghian, Recueil dÕactes, vol. I, 179.5 Istanbul, Archives de la Pr� sidence du Conseil, B. B. A., DŸn. 184/38. Je remercie vive-

ment Idris Bostan, professeur ˆ lÕUniversit� de Marmara ˆ Istanbul, de mÕavoir communiqu�ce document.

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Ce nÕest pas par hasard que lÕautorit� sultanienne reconna”t, pour ne pas direencourage, les sujets ottomans ˆ utiliser les navires n� erlandais, anglais etfran� ais. Il sÕagit lˆ des trois grandes puissances navales de lÕ� poque en paix,non seulement avec la Sublime Porte, mais � galement avec les r� gences bar-baresques d� sormais respectueuses de leur pavillon.6 CÕest dire que les pas-sagers et les marchandises ottomans embarqu� s ˆ bord de leurs navires onttoutes les chances dÕarriver ˆ bon port. En fait, d� s la n du XVIIe si� cle, cesont les b‰timents fran� ais qui assurent lÕessentiel de cette activit� . En effet, lesAnglais, et plus encore les Hollandais, privil� gient le commerce Òen droitureÓentre leurs pays et le Levant en utilisant des b‰timents de grande taille, capa-bles dÕaffronter lÕAtlantique et de charger dÕimportantes cargaisons, a n de lim-iter le nombre des travers� es. De ce fait, leurs b‰timents conviennent mal aucabotage inter ottoman qui caract� rise la caravane maritime alors que les mod-estes navires proven� aux co� tent moins cher, tout en su sant g� n� ralement ˆembarquer les marchandises de leurs affr� teurs.

LE CONTRAT DE CARAVANE MARITIME

LÕutilisation de navires chr� tiens par des musulmans est en r� alit� ancienneet remonte au moins au XIIe si� cle. CÕest ainsi quÕIbn Joba�r sÕembarque enmars 1183 ˆ Ceuta sur un navire g� nois qui le conduit ˆ Alexandrie en trentejours.7 Un autre c� l� bre voyageur arabe, Ibn Batt� ta, � voque, lui aussi, ses tra-vers� es: en 1332, il sÕembarque ˆ Lattaqui� sur un grand vaisseau appartenantˆ un G� nois qui le conduit en dix jours ˆ Alanya sur la c™te sud de lÕAnatolie.8

Il pr� cise que le patron du navire le traita avec consid� ration. Ayant travers�lÕAnatolie, il arrive ˆ Sinop, sur la mer Noire, en 1334, et lˆ il affr� te un navireappartenant ˆ un Grec qui le conduit ˆ Kertch dÕo� , par terre, il gagne Caffa enCrim� e.9 Il note quÕil sÕagit lˆ dÕune grande cit� , habit� e principalement par deschr� tiens, la plupart g� nois. En n de retour de son p� riple en Extr� me-Orient,il se retrouve, en 1349, ˆ Alexandrie dÕo� il gagne Djerba sur un petit b‰timentc™tier appartenant ˆ un Tunisien.10

A la m� me � poque, les notaires europ� ens � tablis au Levant enregistrent lescontrats dÕaffr� tement des marchands qui fr� quentent le port o� ils sont � tablis.La plupart de ceux-ci concernent des Chr� tiens, mais quelques uns impliquentdes musulmans. CÕest ainsi que sur les 35 contrats dÕaffr� tement � tablis par un

6 Daniel Panzac, Les corsaires barbaresques. La n dÕune � pop� e (Paris, 1999), 28-33.7 Ibn Jobair, Voyages (Paris, 1949), 34.8 Ibn Batt� ta, Voyages (Paris, 1982), vol. 2, 135-136.9 Ibn Batt� ta, Voyages, vol. 2, 201-203.

10 Ibn Batt� ta, Voyages, vol. 3, 361.

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notaire g� nois ˆ Caffa entre le 24 avril 1289 et 2 ao� t 1290, on en rel� ve deuxdont les affr� teurs sont musulmans:

Le deux mai 1290, entre none et v� pres, Symon Bragata dÕArenzano [Port ˆ lÕouest deG� nes] nolise sa taride, le San Donatus, aux Sarrazins Abrainus et Ismailus de Synopoli[Sinop] pour aller dans les cinq jours ˆ La Copa [au sud de la presquÕ”le de Kertch]charger neuf ˆ dix mille livres de poissons et les porter ˆ Simisso [ˆ lÕest de Sinop]. Lenolis est x� ˆ 125 aspres turcs par millier de livres de poissons. Le d� dit est de centhyperp�res en cas de manquement au contrat. Symon se r� serve le droit de charger 65sacs de Tr� bizonte sur son b‰timent et de percevoir la moiti� du nolis si les poissonsne peuvent � tre achet� s ˆ La Copa.11

Trois jours plus tard, Abrainus, vraisemblablement Ibrahim, le Sarrazin, cÕest-ˆ-dire le musulman pour un G� nois, nolise un autre b‰timent associ� cette foisavec Octomanus, Osman, pour un voyage similaire. Des t� moignages ponctuelsr� v� lent que ces pratiques se sont poursuivies les si� cles suivants. CÕest ainsiquÕau d� but du XVIe si� cle, lÕOrdre de Saint Jean de J� rusalem accorde dessauf-conduits ˆ des marchands turcs a n quÕils puissent embarquer, avec leursmarchandises, sur des navires rhodiens: le 20 novembre 1504 ˆ Mustafa et HõzõrSardamanoªlu de Milas, le 3 f� vrier 1506 ˆ Kamel Alioªlu et Puy …meroªlu deFethiye et le 1er f� vrier 1511 ˆ Yusuf et Halil Haliloªlu.12

Mais il ne sÕagit lˆ que de faits occasionnels qui concernaient, le plus sou-vent, de simples passagers. Les musulmans, et leurs marchandises, nÕoccupaientquÕune partie r� duite du navire chr� tien et, sÕils avaient embarqu� , cÕest parceque les conditions du voyage et la destination leur convenaient. La caravanemaritime, apparue ˆ la n du XVIIe si� cle pour se prolonger jusquÕau d� but duXIXe si� cle, est, non seulement dÕune tout autre ampleur, mais surtout ellepr� sente des caract� res originaux qui apparaissent dans le contrat dÕaffr� tementou de nolis (nolo en italien), terme utilis� M� diterran� e.

Le premier caract� re de la caravane maritime r� side dans le fait quÕelle asso-cie, le temps dÕun voyage, un � quipage chr� tien et un affr� teur le plus souventmusulman. Le second trait distinctif cÕest lÕaffr� tement entier du navire par un,ou, parfois, plusieurs Ottomans associ� s. LÕextraordinaire succ� s de cette pra-tique constitue la troisi� me originalit� de la caravane maritime. Etablir un cli-mat de con ance r� ciproque entre un capitaine europ� en et un affr� teur ottomanne va pas de soi. CÕest pourquoi les droits et les obligations des deux partiesdoivent � tre d� nies clairement avant le d� part a n dÕ� viter, autant que faire se peut, les r� clamations et les contestations ult� rieures. Si les musulmans se

11 Michel Balard, G� nes et lÕOutremer: I, Les actes du notaire Lamberto di Sambuceto1289-1290 (Paris: Lahaye, 1973), 186.

12 Nicolas Vatin, LÕOrdre de St Jean de J� rusalem, lÕEmpire ottoman et la M� diterran�eorientale entre les deux si� ges de Rhodes (1480-1522) (Louvain, 1994), 68.

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satisfont g� n� ralement dÕun accord oral pris devant t� moins, les Chr� tiens,adeptes du droit � crit, ne sont pleinement rassur� s que par lÕ� tablissement dÕuncontrat � crit, pr� cis et complet. Le r� dacteur de ce texte doit � tre un personnagerev� tu dÕune fonction o cielle, g� n� ralement le chancelier du consulat dontd� pend le capitaine. LÕ� tablissement du contrat et sa r� daction sÕop� rent enoutre en la pr� sence, indispensable, de lÕinterpr� te, le drogman du consulat quiparticipe ˆ la discussion en traduisant et en pr� cisant les modalit� s et les con-ditions aux deux parties. Ces textes, qui gurent dans les registres des chancel-leries des consulats concern� s, sont rev� tus des signatures du chancelier, decelles de deux t� moins, de celle du capitaine et de celle des affr� teurs, ou ˆ larigueur de leur cachet. Parfois ces derniers ajoutent, dans la marge, quelquesmots manuscrits dÕagr� ment en turc ou en arabe.

CÕest dans le texte des Capitulations avec la France, renouvel� es en 1740,que lÕon trouve les allusions les plus pr� cises ˆ la caravane maritime et notam-ment au contrat:

Lorsque les musulmans ou les rayas, sujets de ma Sublime Porte, chargeront desmarchandises sur des b‰timents fran� ais, pour les transporter dÕune � chelle de monempire ˆ une autre, il nÕy sera port� aucun emp� chement; et comme il nous a � t�repr� sent� que les sujets de notre Sublime Porte qui nolisent de ces b‰timents, les quit-tent quelquefois pendant la route, et font di cult� de payer le nolis dont ils sont con-venus; si, sans aucune raison l� gitime, ces sortes de nolisataires viennent ˆ quitter enroute les b‰timents nolis� s, il sera ordonn� et prescrit au ÒcadiÓ et autres commandantsde faire payer en entier le nolis des dits b‰timents, ainsi quÕil en aura � t� convenu parle Òt� messukÓ ou contrat, comme faisant un loyer formel.13

CÕest pour � viter les contestations et les proc� s que le gouvernement fran� aisrend obligatoire, en 1732, lÕenregistrement des contrats de nolis et que lÕEtatottoman ordonne en 1745 aux gouverneurs des provinces maritimes de lÕEmpireottoman, comme ceux de Tripoli de Syrie, Sa�da, Smyrne, dÕobliger les n� go-ciants ottomans, qui affr� tent des navires europ� ens, ˆ � tablir des contrats denolis et ˆ les compl� ter, le cas � ch� ant, de manifeste de marchandises.14

Le formulaire contractuel

Vers le milieu du XVIIIe si� cle, trois cents contrats de caravane � taient � tab-lis, en moyenne, chaque ann� e, dans les principaux ports ottomans pour lesseuls navires fran� ais. Comme ceux-ci assuraient au moins la moiti� de cetteactivit� , en doublant ce chiffre on obtient le total, vraisemblable, de six centsnavires europ� ens affr� t� s annuellement par les Ottomans. Au cours du XVIIIe

13 Noradounghian, Recueil dÕactes, vol. I, 296.14 KŸtŸkoªlu, Osmanlõ-Ingiliz, Ãktisadi MŸnasebetleri (Ankara, 1974), 57.

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si� cle, en effet, dÕautres � tats, surtout m� diterran� ens, sÕ� taient � galement lanc� sdans cette activit� et faisaient concurrence aux navires fran� ais, notamment Raguse,Venise, lÕAutriche, voire la Su� de. On aboutit ainsi au total impressionnant de70 ˆ 80 000 contrats pour la p� riode 1686-1824 dont le dixi� me, environ, sub-siste dans diff� rents d� p™ts dÕarchives europ� ens. LÕexploitation de quelque3500 dÕentre eux,15 principalement fran� ais, mais aussi v� nitiens, autrichiens,ragusains et anglais, nous a permis de constater que ces milliers de contrats sontdÕune remarquable similitude entre eux, quelles que soient la nationalit� du b‰ti-ment impliqu� et la langue utilis� e. Par ailleurs, ils ne pr� sentent, dans leurr� daction, aucune � volution marqu� e depuis la n du XVIIe jusquÕau d� but duXIXe si� cle. Leurs r� dacteurs respectaient donc un mod� le, universellementconnu et familier aux capitaines caravaneurs, qui comportait les informationssuivantes:

le lieu et la date,les nom et pr� noms du capitaine et son lieu de r� sidence,le nom et le type du navire,le nom, la r� sidence et lÕappartenance ethnique ou confessionnelle du ou des affr� teurs,la destination du navire ainsi que les escales envisag�es,lÕespace conc�d� au nolisataire et celui conserv� par le capitaine,la dur� e de lÕestarie (de lÕitalien stare demeurer), cÕest-ˆ-dire le temps n� cessaireaccord� au chargement et au d� chargement de la cargaison,la r� partition, entre le capitaine et les affr� teurs, des droits ˆ payer,le prix du nolis, le moment et le lieu de payement, la monnaie dans laquelle il doit sÕeffectuer.

Outre ces clauses de droit, on trouve dans certains contrats des pr� cisionscompl� mentaires comme les zones que le capitaine devra � viter pour cause depeste ou de guerre, ou bien encore les pr� ts, dits ˆ hypoth� que, que le capitaineconsent en faveur de son affr� teur. Dans une � conomie o� les capitaux disponi-bles sont rares, pr� ter de lÕargent ˆ un n� gociant permet ˆ celui-ci dÕacheter desmarchandises, qui servent de garantie au capitaine, et donc dÕaffr� ter plus facile-ment son navire. Il y a en n quelques variantes: dans certains cas, lÕaffr� tementest � tabli, non pour un voyage, mais pour une dur� e variable et, dans ce cas, lenolis est mensuel; dans dÕautres, il est calcul� selon le poids ou le volume desmarchandises embarqu� es.

LÕexemple de Tunis

Les registres de la chancellerie du consulat de France ˆ Tunis, conserv� s int� -gralement de 1582 ˆ 1882, permettent de suivre lÕ� mergence de la caravane

15 Daniel Panzac, Commerce et navigation dans lÕEmpire ottoman au XVIIIe si� cle,Istanbul, 1996; Panzac, Les corsaires barbaresques.

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maritime.16 Des contrats de nolis gurent dans le registre d� s la n du XVIe

si� cle, mais ils ne concernent que des affr� teurs europ� ens ou juifs. CÕest aucours du XVIIe si� cle que se d� veloppe la caravane maritime proprement dite,mais lÕaccord entre le capitaine fran� ais et son affr� teur musulman ne laisse pasde trace car il est g� n� ralement oral. Le premier v� ritable contrat de caravaneenregistr� o ciellement ˆ Tunis date du 17 ao� t 1649 lorsque Jean ViguierdÕOllioules, patron de la barque Saint Jean Bonne Aventure , affr� te celle-ci ˆÒAgi Mamet, Agi Mourat et Sidi JafetÓ pour se rendre ˆ Alexandrie, en faisantescale ˆ Sousse, pour revenir ensuite ˆ Tunis moyennant le payement de milleÒpi� ces de huitÓ (piastres espagnoles dÕargent). En 1655, puis en 1656, HonoratCanourgues, de La Ciotat, fait enregistrer deux contrats dÕaffr� tements avec desÒMauresÓ de Tunis pour le compte desquels il sÕengage ˆ effectuer deux voy-ages aller-retour pour Salonique. Devant lÕessor de la caravane et des risquespotentiels quÕelle fait courir, en cas de contestation, ˆ la petite communaut� fran� aise� tablie ˆ Tunis, le consul de France prend, le 25 novembre 1659, un arr� t� danslequel il enjoint aux capitaines fran� ais

de ne vouloir permettre que aucune marchandise ou facult� quelque elle puisse estreappartenant aux turcqs Andaloux mores et Jarbins au autres personnes de cette dite villeet pays, soient receues dans leur dite barque pour estre envoy�s en Levant quÕaupara-vant Ilz se soient precautionnez dÕun acte pass� pardevant le caddis de cette dite ville[. . .] ˆ leur propre risque et perilz sans quÕilz en puissent rien prestendre contre nous etceux de notre nation quelques accidents leur puisse arriver pendant le voyage.

Cette initiative, int� ressante mais isol� e, ne semble pas avoir eu de suite etles enregistrements de contrats demeurent exceptionnels puisquÕon en compte ˆpeine huit entre 1649 et 1685. Deux concernent dÕailleurs des navires r� quisi-tionn� s par les autorit� s tunisiennes pour le compte du sultan notamment celuide Joseph Guies de Toulon contraint, le 18 octobre 1667, par Mehmet DeydÕapporter 268 ca z de bl� ˆ La Can� e en pr� vision de lÕassaut nal ottomancontre Candie.17 Et puis, ˆ partir de 1686, date o cielle de la reconnaissancede la caravane par le sultan, les enregistrements des contrats se multiplient puis-quÕon en d� nombre neuf cette ann� e-lˆ et quatorze en 1687. On constate lem� me ph� nom� ne ˆ la m� me � poque dans tout lÕEmpire ottoman comme ent� moignent les registres de chancellerie qui ont surv� cu, notamment ceuxdÕAlger, de Tripoli, dÕAlexandrie, de La Can� e et de Sa�da.18 En fait, la n du

16 Pierre Grandchamp, La France en Tunisie au XVIIe si� cle: inventaire des archives duconsulat de France ˆ Tunis de 1582 ˆ 1705 (Tunis, 1920-1933), 10 vols.

17 Pierre Grandchamp, Inventaire, vol. VII, 129.18 Daniel Panzac, Commerce et navigation dans lÕEmpire ottoman au XVIIIe si� cle.

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LE CONTRAT DÕAFFRéTEMENT MARITIME EN MƒDITERRANƒE: DROIT MARITIME 351

XVIIe si� cle nÕa pas vu la naissance de la caravane maritime mais son accep-tation et sa r� v� lation au grand jour.

LÕAFFRéTEMENT MARITIME EN TERRE DÕISLAM

La caravane maritime rencontre un succ� s ind� niable qui se prolongejusquÕau d� but du XIXe si� cle. Or ces contrats respectent les r� gles de droitmaritime en usage en Europe occidentale alors que leur usage sÕeffectue ˆ lÕint� rieur de lÕEmpire ottoman ˆ une � poque, les XVIIe et XVIIIe si� cles, o� cecommerce, est largement domin� par les musulmans. La question qui nouspr� occupe est donc la suivante: en dehors des raisons de s� curit� , commentexpliquer lÕutilisation massive des navires europ� ens, cÕest-ˆ-dire chr� tiens, pardes musulmans sans se mettre en contradiction avec les principes et les r� glesde lÕIslam. Pour y r� pondre, nous disposons de plusieurs � l� ments de r� ponse.

Le premier repose sur les principes g� n� raux du droit musulman. Celui-ci dis-tingue radicalement la sph� re ˆ lÕint� rieur de laquelle ont lieu les � changes etles relations politiques et sociales de celle qui sert de cadre aux activit� s com-merciales et � conomiques.19 Dans la premi� re, lÕid� e de pro t est exclue et les� changes qui sÕy effectuent sont domin� s par les hi� rarchies li� es au statutreligieux, entre musulman et non-musulman, au sexe, entre homme et femme,aux g� n� rations entre p� re et ls, ˆ la condition, entre lÕhomme libre etlÕesclave. Dans la seconde, au contraire, il nÕy a aucun privil� ge li� au statut etlÕ� galit� la plus parfaite est la r� gle. Les juristes musulmans consid� rent en effetla sph� re � conomique comme autonome et non susceptible dÕinterf� rer avec lasph� re sociale hi� rarchis� e et donc de la modi er. Cela signi e que les rela-tions, les � changes, les prestations de service, entre musulmans et non-musul-mans, Europ� ens chr� tiens et Arabes ou Turcs musulmans, peuvent sÕ� tablir etsÕeffectuer sans aucune entrave li� e ˆ lÕappartenance confessionnelle. De pluscette � galit� nÕexclut nullement lÕid� e de pro t en faveur dÕun des partenairesau d� triment de lÕautre.

Ce principe de base reconnu, encore faut-il que les contrats conclus entrecapitaines chr� tiens et affr� teurs musulmans sÕaccordent avec les r� gles et lespratiques en usage aussi bien dans le monde chr� tien que dans le monde musul-man. Or, en droit musulman, lÕ� crit nÕest pas obligatoire d� s lors que lÕengage-ment, de courte dur� e, a � t� pris devant t� moins. Ajoutons quÕun document � critnÕa de valeur que gr‰ce au t� moignage oral des t� moins instrumentaires qui assurent

19 Baber Johansen, ÒEchange commercial et hi� rarchies sociales en droit musulmanÓ in Lesinstitutions traditionnelles dans le monde arabe, ed. Herv� Bleuchot (Paris, 1996), 19-28.

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lˆ une fonction quasi o cielle.20 Comme en lÕ� tat actuel de la recherche, on neposs� de aucun contrat r� el dÕaffr� tement, nous utiliserons les � tudes r� centesconsacr� es au droit maritime musulman,21 auxquelles on peut joindre diff� rentstravaux ayant trait au droit et au commerce dans le monde musulman.

Le droit maritime musulman sÕest constitu� entre la premi� re moiti� du IXe

et le d� but du XIe si� cle, p� riode qui correspond ˆ la supr� matie navale dumonde musulman en M� diterran� e.22 Le premier ouvrage de droit maritimemusulman est le Trait� concernant la location de navires et les plaintes entreleurs passagers compil� en 310/923 par le juriste mal� kite Muhammad Ibn åmiral-Kin‰ni al-Andalus” al-Iskand‰ran”. Compl� mentaire de cet ouvrage fondamental,le Trait� de location de navires et des litiges entre les personnes de Ab” al-Q‰sim Khalaf Ben Ab” Fir‰s r� dig� en Ifriqiya dans la seconde moiti� du IVe/Xe

si� cle.23 A ces textes fondamentaux, il faut joindre les fat‰w‰, r� ponses ˆ desquestions touchant au droit musulman � mises par des sp� cialistes en la mati� re.Aux fat‰w‰ on peut joindre dÕautres types dÕinformation comme les naw‰zil,collections de r� ponses ˆ des questions, ou les ahk‰m qui sont des jugements� mis par des kadi. Naturellement toutes ces opinions et trait� s respectent lesr� gles et les principes du Coran et de la Sunna.24

A partir de la seconde moiti� du XIe si� cle, les puissances chr� tiennes con-currencent victorieusement la pr� sence maritime musulmane qui se trouve can-tonn� e pour longtemps, dÕune part ˆ un simple cabotage c™tier, et de lÕautre ˆdes pratiques de guerre de course.25 Dans tous les cas, cette modeste survivancemaritime musulmane nÕest pas propice ˆ une � volution et ˆ un approfondisse-ment du droit maritime qui se ge dans lÕ� tat atteint au Xe si� cle. CÕest direque dans les si� cles suivants les � ventuelles allusions au droit maritime musul-man font r� f� rence aux textes de cette � poque. CÕest notamment le cas du

20 Abraham Udovitch, Partnership and pro t in Medieval Islam (Princeton, 1970).21 Moustafa Ragab, Le droit maritime musulman et sa place dans lÕHistoire du droit mar-

itime, th� se de droit dactyl. (Aix-en-Provence, 1987). Hassan Khalilieh, Islamic MaritimeLaw. An Introduction (Leyde, 1998).

22 Khalilieh: Islamic Maritime Law, 10-21.23 Mustafa Taher, ÒKit‰b Akryat as-sufun wa-n-iz‰ bayna ahli-h‰,Ó Cahiers de Tunisie,

XXXI, 123-124, pp. 6-52.24 A ces textes li� s ˆ la th� ologie musulmane il faut joindre les c� l� bres documents de la

Geniza du Caire qui sont une source essentielle pour la vie � conomique et sociale, non seule-ment pour la communaut� juive, mais pour celle de lÕEgypte et de la M� diterran�e touteenti� re. Il sÕagit de plusieurs milliers de documents et de fragments de documents de la com-munaut� juive de la ville, qui couvrent la p� riode du Xe au XIIIe si� cle. Leur conservationr� sulte du principe religieux juif qui veut quÕon ne peut pas d� truire des textes qui pourraientporter le nom de Dieu.

25 JusquÕau d� but du XIIIe si� cle, les Almohades demeurent ma”tres du d� troit de Gibraltaret dispose dÕune otte qui parvient ˆ maintenir les relations entre lÕEspagne et le Maghreboccidental. Christophe Picard, La mer et les musulmans dÕOccident (Paris, 1999).

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c� l� bre juriste � gyptien de lÕ� cole shaf� ite al-Minh‰j” (mort en 1475) qui, dansson trait� consacr� aux Principes de r� daction des contrats, fournit un mod� lede contrat dÕaffr� tement qui concerne, il est vrai, un b‰timent uvial naviguantsu le Nil, qui convient � galement ˆ notre propos.26

Un tel a affr� t� dÕun tel le navire entier dÕun des types qui ont � t� mentionn�s plus hautdans le chapitre sur les contrats de vente. Le contrat doit comporter les articles concer-nant la longueur du navire, sa port� e, sa capacit� et tous les � quipements du bord, pourtransporter des r� coltes, des passagers et toutes sortes de produits . . . En outre [les con-tractants] doivent xer la dur� e du contrat et le montant de la somme qui doit � tre pay� ,avant le d� part, apr� s lÕarriv�e ou par acomptes . . .

Ce texte est ˆ rapprocher de la r� glementation fran� aise telle quÕelle appara”tdans lÕOrdonnance de la Marine dÕao� t 1681, qui rassemble et synth� tise ledroit maritime en France. Le Livre Trois consacr� aux contrats maritimes com-porte dans son Livre III, titre I, les articles suivants27:

article 1: Toute convention pour le louage dÕun vaisseau, appel� e charte-partie, affr� te-ment ou nolisement, sera r� dig� e par � crit et pass� e entre les marchands et le ma”tre [dunavire],

article 3: La charte-partie contiendra le nom et le port du vaisseau, le nom du ma”treet celui de lÕaffr� teur, le lieu et le temps de la charge et de la d� charge, le prix du fretou nolis, avec les int� r� ts des retardements et s� jours; et il sera loisible aux parties dÕyajouter les autres conditions dont elles seront convenues.

Une fois encore, les registres du consulat de France ˆ Tunis se r� v� lent pr� -cieux. Alors que lÕon sÕattendait ˆ la publication du rman du sultan, le chance-lier du consulat enregistre un contrat de caravane le 5 janvier 1686. Fran� oisDian de Toulon, patron de la tartane J� sus Marie Sainte Anne, 28 affr� te celle-ci ˆ Sa�d Ben Amor, de Djerba, pour un voyage aller-retour de Tunis ˆ Gab� smoyennant 250 piastres payables au retour en m� me temps que le rembourse-ment de 200 piastres que Dian pr� te ˆ hypoth� que ˆ son affr� teur. Il sÕagit lˆdÕun contrat tout ˆ fait classique, mais son int� r� t r� side dans la longue noteque lÕaffr� teur a ajout� en arabe au bas de lÕacte:29

Louange ˆ Dieu Le ra�s Sa�d Ben Amor a lou� pour 250 piastres la tartane du patronfran� ais dans le but dÕaller ˆ Gab� s et dÕy demeurer vingt jours; il payera trois piastrespar journ� e de retard et r� servera gratuitement au Fran� ais une charge de cinquantequintaux. A son retour et dix jours apr� s son arriv�e ˆ La Goulette il payera les 250piastres du contrat; ce d� lai expir� il versera trois piastres par journ� e de retard. Le ra�s

26 Khalilieh: Islamic Maritime Law, 60-61.27 Ren� Valin, Nouveau commentaire sur lÕOrdonnance de la marine dÕao� t 1681, La Rochelle,

1776, vol. 1, 618 et 623.28 A cette � poque on appelle patron, celui qui dirige et poss� de le navire, et capitaine celui

qui commande le b‰timent en � tant simplement lÕemploy� de lÕarmateur.29 Grandchamp, Inventaire, Vol. VIII, 55.

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Sa�d a re� u du Fran� ais pr� cit� la somme de 216 piastres ˆ titre de pr� t remboursableau retour du voyage. Les pertes occasionn�es par les accidents de route, dues soit aumauvais � tat de la mer, soit aux corsaires chr� tiens, seront support�es par le propri� tairedu bateau.

Mohammed Ben El-Fakih, pr� sent ˆ lÕacte, se porte caution pour le ra�s Sa�d.

Louange ˆ Dieu Mohammed Ben El-Manoubi, pr� sent ˆ lÕacte, se porte � galement cau-tion pour le ra�s Sa�d. Salut.

Le 2 sfar b� ni de lÕan 1097.

Le texte fran� ais de ce contrat de caravane maritime suit naturellement lesr� gles � dict� es par lÕOrdonnance de la Marine, alousque le texte de lÕaffr� teurtunisien est la version en arabe des aspects essentiels de ce contrat, et, cefaisant, il respecte � galement le mod� le propos� par al-Minh‰j”. On retrouvedans le contrat europ� en, dans le mod� le musulman et dans lÕapplication con-cr� te qui en est faite, les m� mes clauses concernant le capitaine et son b‰timent,lÕaffr� teur, le temps de la location, la destination, le prix du nolis, les conditionsde payement, en n la pr� sence de deux t� moins. Les deux versions, la fran� aiseet lÕarabe, se r� v� lent donc tr� s proches lÕune de lÕautre, non seulement dansleur esprit, mais � galement dans leur r� daction. Notons au passage que Dianpr� te deux cents piastres ˆ Sa�d qui a � crit, lui, en avoir re� u 216 quÕil sÕengageˆ restituer; autrement dit, lÕint� r� t de cette somme, le change maritime, qui estde 8 pour la dur� e du voyage, nÕest pas explicitement mentionn� car con-damn� aussi bien au Nord quÕau Sud de la M� diterran� e, mais il existe bel etbien. En fait, cÕest lˆ une pratique famili� re aux contemporains: ÒCe commercede donner de lÕargent ˆ hypotecque a quelque raport ˆ celui que les NegociansFran� ois donnent ˆ la grosse avanture,Ó30 forme dÕinvestissement pratiqu� e aussidans le monde musulman sous le nom de mud‰raba.

Tous les affr� teurs ne sont pas aussi prolixes. Le 5 avril de cette m� me ann� e1686, le capitaine Fran� ois Cauvi� re, de Toulon nolise sa barque ÒSainte CatherineÓpour un voyage aller-retour ˆ T� touan. Les deux affr� teurs � crivent en arabe aubas de lÕacte: ÒMohammed Ben Sliman Trabelsi et El-Hadj Makhlouf Ben El-Hadj Kassem Trabelsi reconnaissent avoir approuv� le contrat � crit par leConsul des Fran� ais au sujet de la chtiha du ra�s Courou Francesco.Ó31 Au furet ˆ mesure que les ann� es passent, les affr� teurs se familiarisent avec cette pra-tique et se contentent g� n� ralement de signer le registre o� gure le contrat oudÕy apposer leur cachet. On comprend donc pourquoi les affr� teurs ottomansacceptent sans r� ticence de signer de tels actes dont les composantes leur sontfamili� res et r� pondent aux normes de lÕIslam. Comme il ne peut sÕagir lˆ de

30 Savary, Le parfait n� gociant, Lyon, 1675, 354.31 Grandchamp, Inventaire, Vol. VIII, 56-57.

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co�ncidences, il convient maintenant dÕen rechercher les raisons. Il ne sauraittoutefois � tre question de r� soudre ici ce di cile probl� me de droit comparatifmais simplement de sugg� rer quelques pistes.

DROIT MUSULMAN ET COMPILATIONS EUROPƒENNES32

Le droit maritime europ� en actuel sÕest principalement constitu� ˆ partir detrois compilations du Moyen Age: le droit des Rhodiens, les R™les dÕOl� ron etle Consulat de la mer.33 Nous ignorons le nom de leurs auteurs ainsi que le lieuet la date exacte de leur r� daction mais des informations annexes et une � tudeattentive de ces textes am� nent ˆ penser quÕils ont � t� tr� s largement inspir� parles r� gles du droit musulman apparu dans ce domaine ˆ partir du IXe si� cle.

Le droit des Rhodiens

Il comprend un prologue et deux parties mais seule le seconde partie porte letitre de Droit maritime des Rhodiens. Il passait pour avoir � t� extrait du LivreXI du Digeste, une compilation juridique romano-byzantine. En fait ce texte estun recueil dÕopinions r� dig� es par un juriste malekite arabe Sahn� n Ibn Sa Ô”dal Tan� kh” (mort en 240/854) et intitul� Al-Mudawwana al-Kubr‰. CÕest pr� -cis� ment dans le livre XI de cet ouvrage que lÕon trouve une partie consacr� eau droit du transport terrestre et maritime. Ibn Rushd (Averro� s, mort en 520/1117) a publi� ˆ nouveau ce recueil en ajoutant des titres aux diff� rents para-graphes. Une � tude comparative des deux textes r� v� le de grandes similitudes,sinon dans la r� daction, du moins dans les principes qui les r� gissent. En n,plusieurs d� tails du droit des Rhodiens montrent quÕil a � t� r� dig� en Sicile ouen Italie du Sud, territoires qui furent musulmans du IXe ˆ la n XIe si� cle.

Les r™les dÕOl� ron

Les manuscrits les plus anciens remontent ˆ 1266 et ne mentionnent dÕail-leurs pas cette ”le. Les fondements de ce texte pr� tent toujours ˆ controverse,mais il semble bien que son origine se situe en Palestine durant la p� riode desCroisades. A lÕorigine, il sÕagit dÕun recueil, probablement issu des cours de jus-tice du royaume de J� rusalem, destin� ˆ r� gler les diff� rents survenus entre lesOccidentaux et les chr� tiens orientaux ainsi quÕavec les musulmans. Ce recueil

32 Ragab: Droit maritime musulman, 16-51.33 Jean-Marie Pardessus, Collections des lois maritimes ant� rieures au XVIIIe si� cle (Paris,

1828-1845), 6 vols. Les compilations m� di� vales gurent dans le volume I.

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34 Ab� Bakr Ahmad Ibn ®Abd Allah Ibn M� s‰ Kindi (mort en 557/1162), Al-Musannaf,vol. 21, 154-155. Khalilieh, 77-78.

35 Valin, Commentaire, vol. I, 625-626.

aurait � t� amen� en Europe au XIIe si� cle, soit par Ali� nor dÕAquitaine, soit parson ls Richard Coeur de Lion. Ce qui est s� r cÕest que le fonds de cette com-pilation est identique aux r� gles du droit musulman des IX-Xe si� cles.

Le Consulat de la mer

CÕest le plus important recueil de droit maritime du Moyen Age dont la com-pilation a � t� effectu� e en Espagne. Lˆ aussi quelques incertitudes subsistent,mais il semble d� sormais acquis que le document dÕorigine soit un ouvrage dedroit musulman du Proche-Orient des VIIIe-IXe si� cles, amen� par la suite enAndalousie musulmane. Il a � t� traduit au XIIIe si� cle dans le royaume deCastille, probablement durant le r� gne du roi Alphonse, comme beaucoupdÕautres ouvrages arabes. Cette traduction a fortement in uenc� la r� daction duConsulat de la mer qui sÕest faite aux XIIIe-XIVe si� cles dans la partie recon-quise de lÕEspagne mais o� lÕusage du droit musulman sÕest maintenu jusquÕauXVe si� cle.

Etablir un contrat dÕaffr� tement est, on lÕa vu, un acte simple dont les modal-it� s, essentiellement pratiques, sont connues et accept� es par les parties con-cern� es. Mais lÕapparition dÕun incident ou dÕune contestation quelconque aucours du voyage entra”ne n� cessairement un recours ˆ la jurisprudence existante.Une bonne fa� on de compl� ter lÕ� tude de lÕin uence du droit maritime musul-man des IXe-XIe si� cles sur celui qui a � t� � labor� en Europe occidentale ˆ par-tir du XIIe si� cle, consiste ˆ comparer les suggestions propos� es pour les litigesles plus fr� quents. Partant des solutions avanc� es par le droit musulman, nousverrons si elles se retrouvent dÕabord dans les compilations du Moyen Age etensuite dans lÕordonnance de la Marine, publi� e en 1681.

Le droit musulman pr� voit que si lÕun des deux contractants rompt le contratsans raison valable, il doit un d� dommagement ˆ lÕautre. CÕest la r� ponse ˆ unetelle question quÕa faite le juriste Kh‰ridjite al-Kindi (mort en 1162) en disant:ÒSi le marchand, sans raison contraignante, refuse de charger sa cargaison, ildoit payer le pris du fret. Si le d� part est retard� du fait du capitaine, le marc-hand sera exempt� du payement du transport.Ó34 Cette contrainte se retrouvedans le droit des Rhodiens ainsi que dans lÕordonnance de la marine de 1681,dans lÕarticle six du titre I du Livre III: ÒCelui qui apr� s sommation par � crit,de satisfaire au contrat, refusera ou sera en demeure de lÕex� cuter, sera deverser tenu des dommages et int� r� ts.Ó35

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Un diff� rent int� ressant est survenu ˆ Tripoli de Barbarie en 1765 entre lecapitaine Bouet qui avait lou� au mois sa polacre ˆ Hadji Ahmed Ben Sa�d BenAbderrhaman. Bouet reproche ˆ son nolisataire dÕ� tre en retard de son payementet dÕ� tre rest� sur le navire plus longtemps que pr� vu. Il lui r� clame donc ler� glement de ces retards en utilisant lÕargumentation suivante, rapport� e par leconsul36:

Le capitaine fait une comparaison exacte et qui constate son droit. Il regarde son b‰ti-ment comme une maison quÕil aurait lou�e ˆ terme et dans laquelle le locataire auraitdes effets. Le terme du bail � tant expir� , il demande ˆ ce locataire de lui payer le loyeren entier et de retirer les effets et la garde desquels le propri� taire de la maison nÕestpoint oblig� en pareil cas. Ce locataire ne nissant pas de payer le loyer, et ses effetscontinuant dÕoccuper la maison, le locataire doit encore au propri� taire (sur le pied dubail) autant de jour quÕil y en a dÕ� coul� s au delˆ du terme. [. . .] Le consul a envoy�le capitaine avec le chancelier au cheik. Celui-ci, apr� s lÕexpos� de lÕaffaire, a dit quÕilnÕen avait jamais vu de pareille ni de si singuli� re, et il a conclu que le capitaine nedevait pas d� charger et que puisquÕil lÕavait fait, les di cult� s existant, le nolisatairenÕ� tait plus tenu ˆ payer les jours � coul� s au delˆ de la (p� riode) ferme.

La comparaison avec une maison est parfaitement recevable par lÕaffr� teurcar dans les ajouts en arabe gurant ˆ la suite des contrats, les auteurs utilisentle verbe kar‰, louer, qui sÕapplique aussi bien ˆ un navire quÕˆ une b� te desomme ou une ‡ maison. LÕappel devant le cadi, appel� ici cheikh, est conformeaux Capitulations. Quant au refus du cheikh, probablement le cadi, de donnerraison au capitaine, il repose sur le fait que cÕest la parole de celui-ci contrecelle de lÕaffr� teur car la preuve du d� passement de date nÕexiste plus, la car-gaison ayant � t� d� barqu� e auparavant.

DÕapr� s les jurisconsultes hana tes, si les dommages caus� s aux marchan-dises embarqu� es ˆ bord dÕun navire sont partiellement, ou totalement perdues, ou d� t� rior� es par la faute, prouv� e, du capitaine, celui-ci est responsable desd� g‰ts et doit en indemniser le ou les propri� taires.37 CÕest � galement cequÕa rme lÕOrdonnance de 1681 dans lÕarticle 12 du titre III du Livre III: ÒSile marchand prouvait que lorsque le vaisseau a fait voile, il � tait incapable denaviguer, le ma”tre perdra son fret et r� pondra des dommages et int� r� ts dumarchand.Ó38

Si les passagers et leurs biens sont ran� onn� s pour sÕ� tre rendus dans unezone interdite par le contrat, le capitaine est tenu pour responsable et doit doncles d� dommager. Ces dispositions gurent � galement dans les r™les dÕOl� ron et

36 Nantes, Archives des Affaires � trang� res, Fonds Tripoli de Barbarie, carton 3.37 Muhammad Ibn Ahmad Sarakhs” (Xe si� cle), Kit‰b al-Mabs� t (Le Caire, 1906), vol. 15,

82.38 Valin, Commentaire, vol. I, 653.

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le Consulat de la mer. Lˆ aussi lÕordonnance de la Marine reprend ces disposi-tions dans lÕarticle 24 du titre I du Livre II, titre I, ÒDu capitaineÓ: ÒD� fendonsaux ma”tres, ˆ peine de punition exemplaire, dÕentrer sans n� cessit� dans aucunhavre � tranger.Ó39

Pour permettre au navire dÕ� chapper ˆ un grave danger, g� n� ralement unetemp� te ou des ennemis, il est parfois n� cessaire de jeter par dessus bord toutou partie de la cargaison a n de lÕall� ger. Destin� e ˆ all� ger le b‰timent, cettepratique d� sesp� r� e, puisquÕil est m� me question parfois de jeter jusquÕaux esclaves,est relativement fr� quente. Elle a donn� lieu ˆ une abondante litt� raturejuridique en terre dÕIslam qui accorde tout pouvoir de d� cision au capitaine.

Au cas o� le ma”tre craindrait que le navire ne fasse naufrage, il a le droitde jeter part dessus bord les marchandises des marchands, m� me sÕils sÕyopposent et jÕapprouve le jet de la cargaison quand cela est n� cessaire. Il a ledroit de jeter la totalit� de la cargaison ou celle dÕun seul des affr� teurs.40

Agissant dans lÕurgence, lÕ� quipage se d� barrasse des colis sans se pr� occu-per de leur propri� taire, mais la r� gle pr� voit que les pertes doivent � tre r� par-ties de mani� re � gale entre les diff� rents propri� taires. Cela signi e que, sous la responsabilit� du capitaine, ceux dont les marchandises ont � t� � pargn� esdoivent d� dommager celui qui a � t� victime de cette mesure. Cette r� partitiondes pertes, qui n� cessite une � valuation des pertes de chacun, donne lieu ˆ denombreuses discussions et opinions parmi les jurisconsultes musulmans.41 Onretrouve ces principes aussi bien dans les r™les dÕOl� ron que dans le Consulatde la mer. Le titre VIII du Livre III de lÕordonnance de 1681 ÒDu jet et de lacontributionÓ lui est consacr� , avec des dispositions semblables.42

Sans vouloir tirer de conclusions trop h‰tives ni � tablir une liation quirepose davantage sur des analogies que sur des certitudes, on retire de cesquelques exemples lÕimpression que le droit maritime musulman du Haut MoyenAge a manifestement in uenc� de mani� re importante lÕ� laboration post� rieuredu droit maritime de lÕEurope occidentale. On comprend mieux pourquoi, ˆ partirdu XIIe si� cle, lorsque les Europ� ens dominent la M� diterran� e, les musulmansutilisent sans r� ticence leurs navires. Rien dans les principes fondamentaux delÕIslam, pas plus que dans les modalit� s pratiques du droit maritime musulman,ne sÕoppose ˆ ce quÕils sÕy embarquent comme passagers ou quÕils les louentcomme affr� teurs.

39 Valin, Commentaire, vol. I, 450-451.40 Kind”, Al-Musannaf, vol. 18, 60.41 Khalilieh, Islamic Maritime Law, 88-100.42 Valin, Commentaire, vol. II, 188-212.

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LE SUCCéS DE LA CARAVANE MARITIME

LÕimportance de cette activit� tient en quelques chiffres.43 A la n du XVIIIe

si� cle, le commerce maritime entre lÕEmpire ottoman et lÕEurope est aux mainsdes Europ� ens, aussi bien pour le n� goce que pour le transport. Il repr� sente110 ˆ 120 millions de livres tournois par an tandis que les � changes maritimesˆ lÕint� rieur de lÕempire sont estim� s, eux, ˆ 180-200 millions. On voit donccombien lÕid� e dÕ� conomie-monde, ch� re ˆ Fernand Braudel, sÕapplique ˆ cetempire. Or cette activit� est, pour lÕessentiel, contr™l� e par les commer� ants ottomanset plus pr� cis� ment par les musulmans comme le montrent les contrats de car-avane de la seconde moiti� du XVIIIe si� cle.

Les affr� teurs ottomans selon la religion (en )

Istanbul La Can� e Alexandrie Alger

musulman 71,7 91,6 92,7 79,5chr� tiens 24,5 5,9 4,1 0juifs 3,8 2,5 3,2 20,5

Dans tout lÕempire, les musulmans dominent tr� s largement le commerce maritime int� rieur, en particulier en Cr� te et en Egypte o� ils accaparent la quasi totalit� des affr� tements. Les confessions minoritaires, chr� tiens et juifs, nÕoccupent quÕune position secondaire m� me dans la capitale, o� les premiersfournissent pr� s du quart des contrats, et au Maghreb o� les seconds en assurentle cinqui� me.

Par contre, les n� gociants ottomans sont tributaires des navires europ� ens.Dans les ann� es 1766-1777, les navires affr� t� s par les marchands de Sfax enTunisie sont presque tous europ� ens, 91,8 contre 8,2 seulement de naviresottomans. Cette pr� pond� rance europ� enne se retrouve en M� diterran� e orien-tale, mais de fa� on moins � crasante car le pavillon ottoman, ˆ la m� me � poque,repr� sente entre le tiers et le quart des navires fr� quentant les ports � g� ens.44 Siles Fran� ais ont longtemps occup� une position dominante dans la caravanemaritime, celle-ci est de plus en plus concurrenc� e dans la seconde moiti� duXVIIIe si� cle, particuli� rement en mer Eg� e. Avec 45 ˆ 50 des affr� tements,ils occupent encore la premi� re place, mais les navires de Raguse et de Veniseainsi que ceux de lÕAutriche, y sont � galement tr� s actifs.

43 Panzac, Commerce et navigation, 212-213.44 Panzac, Commerce et navigation, 205.

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A la m� me � poque, le nombre de navires battant pavillon ottoman augmentesensiblement. Vaille que vaille, les galions dÕAlexandrie sÕ� taient toujours main-tenus, mais la nouveaut� r� side dans la multiplication de b‰timents de taillemodeste, mont� s par des Grecs insulaires, qui assurent principalement des trans-ports de proximit� , par exemple entre Alexandrie et la c™te de Syrie ou la Cara-manie. Habitu� s toutefois aux commodit� s des contrats de caravane, certainsaffr� teurs ottomans nÕh� sitent pas ˆ exiger des capitaines grecs des naviresquÕils affr� tent ˆ � tablir un tel contrat. Pour cela ils utilisent les chancelleriesdes consulats europ� ens. CÕest ainsi que le 11 juin 1788, dans le consulat deFrance de Sa�da, le ra�s Caravokiry Dimitry Cassandrino de Trikery, (petit portsitu� ˆ lÕentr� e du golfe de Volo en Thessalie), affr� te sa polacre ÒSaint JeanBaptisteÓ, ˆ Panayoti Pardalaky, marchand grec de La Can� e pour transporterun chargement de cendres ˆ La Can� e. Le contrat respecte scrupuleusement lemod� le en usage et le capitaine comme lÕaffr� teur con rment par � crit, et engrec, leur assentiment.

La sup� riorit� navale britannique durant les guerres de la R� volution et duPremier Empire � limine presque compl� tement la marine de commerce fran� aisealors que ses concurrentes, notamment celles de Venise et de Raguse, dis-paraissent en 1797 et en 1806. Alors que tous les pays europ� ens sont auxprises, soit dans le camp fran� ais soit aux c™t� s de lÕAngleterre, la ottegrecque, battant pavillon ottoman, est le seul pavillon neutre en M� diterran� eentre 1804 et 1814, ce qui lui assure un essor aussi soudain que spectaculaire.Il sÕagit lˆ dÕun � v� nement bien connu mais ce qui lÕest beaucoup moins cÕestquÕun ph� nom� ne de m� me nature, quoique plus modeste, sÕest produit ˆ lam� me � poque en Afrique du Nord.45 Renon� ant presque totalement ˆ la course,qui avait pourtant connu un essor spectaculaire dans les ann� es 1793-1804, lesr� gences barbaresques dÕAlger, Tunis et Tripoli, se sont efforc� , avec un certainsucc� s, de se reconvertir dans le transport maritime. Durant une dizaine dÕan-n� es, de 1804 ˆ 1813, leurs navires assurent une part signi cative des liaisonsmaritimes du Maghreb, non seulement avec le Levant, mais � galement aveclÕEurope.

Reste ˆ savoir quels sont les affr� teurs de ces b‰timents de commerce. Ondispose, pour les ann� es 1799-1813, de 260 contrats dÕaffr� tement � tablis ˆTunis dans diff� rents consulats europ� ens pour des marchands musulmans.Vingt-six navires, 10 du total, concernent des navires battant pavillon dÕun� tat musulman: un tripolitain, deux marocains, six turcs ottomans et dix-septtunisiens. La comparaison des contrats liant un affr� teur tunisien et un capitaine

45 Panzac, Les corsaires barbaresques, 115-186.

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chr� tien dÕune part avec un contrat engageant un marchand tunisien avec uncapitaine musulman de lÕautre montre que les deux documents sont r� dig� s dansla m� me langue, ici lÕitalien, et pr� sent� s exactement de la m� me mani� re.

En fait, seule une minorit� dÕaffr� teurs tunisiens prend la peine de faire� tablir par � crit un contrat dÕaffr� tement avec un capitaine musulman, alors quela pratique est presque syst� matique avec un capitaine europ� en. Ceux qui lefont sont des hommes dÕaffaires importants, rompus aux pratiques commercialesoccidentales, dont les activit� s sont en majeure partie orient� e vers lÕEurope, etqui appr� cient la abilit� dÕun document � crit. Il est dÕailleurs signi catif de lesvoir utiliser pour cela le chancelier dÕun consulat europ� en plut™t que le cadilocal. Mieux m� me, par suite des circonstances, un certain nombre de capitainesmaghr� bins, notamment les Marocains, pratiquent la caravane pour le comptedÕaffr� teurs europ� ens CÕest par exemple le cas du ra�s El-Hadj MohammedBen Soliman qui, le 27 juillet 1810, ˆ Alger, signe un contrat r� dig� en espag-nol par lequel il loue son b‰timent ˆ un n� gociant fran� ais, Fran� ois Lagarde,pour aller charger ˆ T� touan un chargement de gomme de Mogador et lÕamenerˆ Alger.46

CÕest pr� cis� ment parce que ces contrats sont conformes aux principes dudroit maritime musulman quÕils sont utilis� s de la sorte. On pourrait penser deprime abord que ce sont les capitaines et les affr� teurs musulmans qui ontrenonc� aux pratiques de lÕIslam au pro t du droit occidental. En fait, il nÕenest rien; leur contrat est � tabli dans les termes et selon les principes qui liaientoralement les capitaines et les marchands musulmans mille ans auparavant.

Contrat de nolis fran� ais (Archives du port de Toulon, 1 R1 8, f¡ 8662)

Nolisement du pinque Saint Joseph, Capitaine Pons Rulle ˆ trois marchands turcs

LÕan mil sept cens cinquante trois et le treizi� me novembre avant midy, par devant nouschancelier du vice consulat de France en cette ville dÕAlexandrie, et t� moins soussign�s,ont comparu le Capitaine Pons Rulle de St Tropez commandant le pinque nomm� SaintJoseph ancr� en ce port lequel de son gr� en a noliz� lÕestive et lÕentrepont dÕun para-pet ˆ lÕautre de la port� e quÕil se trouve aux nomm� s Moulla Aly et Kutahichi HadgyIbraim Archy et Moulla Bachy marchands turcs de cette d. ville icy presents et accep-tant Lesquels comme nolizataires y pourront faire charger tels effets quÕil leur plairajusquÕ̂ une navigation sans rien mettre sur la couverte pour aller dÕicy ˆ droiture ˆSmirne o� le voyage sera termin� aux conditions : scavoir que le Capitaine accorde auxnolizataires vingt jours courants dÕestarie comptables dÕaujourdÕhuy. Que tout le Nolisdes effets allant dans lÕestive et lÕentrepont et de cinq passagers qui resteront sur la cou-verte appartiendra aux nolisataires qui payeront en leur propre tous les frais et droits deDouane, ferman primecargue nattes germe bateaux estivage ˆ palanc et g� n� ralement

46 Aix-en-Provence, Archives dÕOutremer, 1 A 119.

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tout ce qui sera d� par le chargement icy ˆ Rosette et ˆ Smirne, que les droits de con-sulat, avarie, ancrage, visite, Pilotage et autres concernant le b‰timent seront aquitt� s parle capitaine qui se r� serve la Sainte barbe et de la place dans lÕentrepont pour y mettredeux tonneaux ayant c� d� aux nolizataires le quarr� de m� me que la chambre. Lepr� sent nolizement est fait pour la somme de quatre cens vingt piastres de quaranteparas lÕune que les susd. Nolizataires sÕobligent solidairement de payer ou faire payeraud. Capitaine ˆ Smirne apr� s la moiti� du d� chargement et ce en m� mes esp� ces ou lajuste valeur en bonne monnoye izelote de poids sans aucune sorte de d� duction. AinsidÕaccord entre les parties qui ont promis dÕobserver et serment requis, lÕacte fait et pub-li� dans la chancellerie de france aud. Alexandrie pr� sents les Srs Estienne Robolyprem. Drogman fran� ois et Denis La Brussi� re t� moins requis sign� s avalis� s d. partieset nous d. chancelier soussign�.

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