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LE COMPORTEMENT DE CONSTRUCTION CHEZ FORMICA RUFA par R~my CHAUVIN (Station de Bures-sur-Yvette, Laboratoire d'Ethologie, Seine-et-Oise). Le dSme de brindilles de Formica tufa constitue un des objets les plus communs des for~ts d'Europe occidentale, mais il n'a 6t6 l'objet que d'exp6riences et d'observations assez peu nombreuses. Nous avons des renseignements sur les 6changes de temp6rature en son int6rieur (STEINER). Plus r6cemment, KLOFT,en teignant les mat6riaux superficiels du nid d'une couleur ais6e h reconnaitre, a pu remarquer une <(cyclose ~>h la surface de la construction. : les mat6riaux color6s sont d'abord couverts de brindilles, puis, au bout d'un temps plus ou moins long, reparaissent /~ la surface. D'autre part, les tr~s belles 6tudes de GOSSW&LD ne portent qu'en pattie sur le hid. Celui-ci est pourtant remarquable par plusieurs caract~res si 6vidents que l'observateur oublie de s'en 6tonner. D'abord, il s'agit d'un d6me tr6s r6gulier quand il est suffisamment ~g6 et volumineux, et que des obstacles m6caniques ae s'opposent point h l'arrondi de ses contours; ensuite, sa surface est propre ; par exemple, on n'y volt presque jamais de feuil]es mortes, biea que les Formica nidifient sous bois. Et c'est m~me h la r6gularit~ de la forme et h la nettet6 de la structure que l'on reconnait de loin les dSmes des Fourmis. Mais quels sont les facteurs qui gouvernent forme et structure ? Voilh ce que n'apprend point jusqu'~ pr6sent, me semble-t-il, la lecture des travaux des myrm6cologues. C'est donc h cette 6tude que je me suis attach6 pendant le printemps, 1'6t6 et l'automne de 1957. Douze fourmili6res d'un bois situ6 pros d'l~pernon (Eure-et-Loir) ont 6t6 suivies assidfiment et les r6sultats obtenus posent des probl~mes complexes. Les facteurs microclimatiques vt les fourrniH~res. I1 m'a sembl6 important de rechercher d'abord si 6clairement, hygro- m6trie ou temp6rature ne pouvaient agir sur les fourmili6res. A vrai dire, cela semble peu probable, car on en trouve /~ des expositions tr~s diff6rentes, allant du plein soleil ~ l'ombre 6paisse des sous-bois, et leur morphologie externe tout au moins ne parait pus s'en ressentir. J'ai INSECTES SOCIAUX, TOME V, N~ 3, t958.

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Page 1: Le comportement de construction chezFormica rufa

LE COMPORTEMENT DE CONSTRUCTION C H E Z F O R M I C A R U F A

par

R~my CHAUVIN (Station de Bures-sur-Yvette, Laboratoire d'Ethologie, Seine-et-Oise).

Le dSme de brindilles de Formica tufa constitue un des objets les plus communs des for~ts d'Europe occidentale, mais il n 'a 6t6 l'objet que d'exp6riences et d'observations assez peu nombreuses. Nous avons des renseignements sur les 6changes de temp6rature en son int6rieur (STEINER). Plus r6cemment, KLOFT, en teignant les mat6riaux superficiels du nid d'une couleur ais6e h reconnaitre, a pu remarquer une <( cyclose ~> h la surface de la construction. : les mat6riaux color6s sont d'abord couverts de brindilles, puis, au bout d'un temps plus ou moins long, reparaissent /~ la surface. D'autre part, les tr~s belles 6tudes de GOSSW&LD ne portent qu'en pattie sur le hid.

Celui-ci est pourtant remarquable par plusieurs caract~res si 6vidents que l'observateur oublie de s'en 6tonner. D'abord, il s'agit d'un d6me tr6s r6gulier quand il est suffisamment ~g6 et volumineux, et que des obstacles m6caniques ae s'opposent point h l'arrondi de ses contours; ensuite, sa surface est propre ; par exemple, on n 'y volt presque jamais de feuil]es mortes, biea que les Formica nidifient sous bois. Et c'est m~me h la r6gularit~ de la forme et h la nettet6 de la structure que l'on reconnait de loin les dSmes des Fourmis. Mais quels sont les facteurs qui gouvernent forme et structure ? Voilh ce que n'apprend point jusqu'~ pr6sent, me semble-t-il, la lecture des travaux des myrm6cologues. C'est donc h cette 6tude que je me suis attach6 pendant le printemps, 1'6t6 et l 'automne de 1957. Douze fourmili6res d'un bois situ6 pros d'l~pernon (Eure-et-Loir) ont 6t6 suivies assidfiment et les r6sultats obtenus posent des probl~mes complexes.

Les facteurs microcl imatiques vt les fourrniH~res.

I1 m'a sembl6 important de rechercher d'abord si 6clairement, hygro- m6trie ou temp6rature ne pouvaient agir sur les fourmili6res. A vrai dire, cela semble peu probable, car on en trouve /~ des expositions tr~s diff6rentes, allant du plein soleil ~ l'ombre 6paisse des sous-bois, et leur morphologie externe tout au moins ne parait pus s'en ressentir. J'ai

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tents cependant de modifier fortement les facteurs microclimatiquc~s. J 'ai d 'abord recouvert une fourmiligre en vole de dgveloppement rapide de plusieurs 6paisseurs d'un papier opaque soulev~ par des piquets et qui ne se trouvait pas en contact immSdiat avec le dSme. Le papier retom-

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F[6. I. - - Plan du bois et des sentiers le long desquels se t rouvent les fourmili~res ~tudi~es. Les fourmilieres sont repr~sent~es par des cercles avec une croix inscrite. Le cercle de tirets, complet ou rgduit & sa moiti~, correspond aux ombrages qui entourent le nid plus ou moins compl~- tement.

bait jusqu'& terre afin d'emp~cher le plus possible l'entrSe des rayons lumineux.

L'hygromdtrie a StS fortement modifiSe dans deux autres fourmili~res en suspendant au-dessus d'elles deux rScipients d'une dizaine de litres dont l 'eau s'Sehappait goutte h goutte et tombait au milieu du nid. Enfin, j 'ai tents de modifier la tempdrature, en mSme temps que l'Squilibre des radiations, en enfermant en partie une quatriSme fourmili~re sous une cage vitr~e. Dans aucun cas, et bien que les expSriences aient durS fort long- temps (quinze jours & un tools) il ne m'a StS possible de dSceler une influence quelconque de ces importantes modifications des agents externes sur la morphologie ou le dSveloppement du nid. Songeant & l'extr~me varia-

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bilit6 des expositions signal6e plus haut, je n'ai pas pouss6 plus loin dans cette vole.

Je pense donc qu'il faut admettre, au moins provisoirement, que la structure ni la forme du hid ne d6pendent gu~re des agents externes chez Formica rufa. L'activit6 des d6placements est r6gl6e toutefois par les conditions m6t6orologiques, c'est bien 6vident; mais, comme nous le verrons plus loin, elle n'est pas forc6ment reli6e d'une mani~re simple

l'activit6 de construction.

Le nettoyage du Nid.

Comme je le disais un peu plus haut, une des raisons pour lesquelles on remarque de loin le nid des Fourmis est la propret~ du d6me. Pourtant des feuilles et des brindilles y tombent certainement, ~ partir des arbres qui surplombent la fourmili~re : les Fourmis doivent donc s'en d~barrasser de quelque mani~re.

I1 est ais6 de v6rifier qu'elles le font effectivement en plagant sur le d6me des feuilles vertes ou mortes et des d6bris divers. On peut observer alors trois types de comportement :

a) Si l'on d6pose un objet filamenteax de diam~tre variable (depuis le fil ~ coudre jusqu'h la ficelle de I mm de diam6tre, sur t m de long), les Fourmis ne paraissent pas s'en soucier, mais le recouvrent rapidement de brindilles.

b) S'il s'agit de feuilles mortes de grande faille et qu'elles se trouvent sur la pente du d6me, elles sont tir6es et pouss6es apparemment au hasard et finissent par glisser jusqu'en has. Si elles se trouvent, au contraire, sur le sommet et que les ouvri6res ne puissent les remuer, elles les couvrent de brindilles.

c) Des solides prismatiques ou de formes vari6es sont recouverts suivant la mSme technique. Les Fourmis peuvent y grimper, mais elles ne le font pas d 'habitude : elles se contentent d'amasser des brindilles h leur base.

�9 Si le solide pr6sente une surface plane sup6rieure, elles n 'y d6posent presque rien. Lorsqu'une plaque de verre de grande taille recouvre toute la colonie, ou bien elle est laiss6e intacte si la force de la colonie n 'est pas tr~s grande, ou bien elle est recouverte, mais au bout d'un temps tr6s long.

d) Mais le comportement le plus int6ressant s'observe dans le cas de brindilles de la taille d'une allumette, c'est-~-dire de dimensions assez voisines des mat6riaux qu'emploien t habituellement les Fourmis. Lorsque les allumettes sont simplement pos6es sur le nid, elles sont presque imm6- diatement transport6es jusqu'h la base ; une ou deux ouvri6res suffisent

cette rathe. J 'ai essay6 de rechercher des diff6rences possibles dans l'activit6 de nettoyage en disposant des allumettes en cercles concen- triques, et en les photographiant h intervalles r6guliers ; mais je ne suis arriv6 ~ rien de pr6cis jusqu'h pr6sent ; en tout cas, l 'ordonnance des cercles est tr6s rapidement et irr6guli6rement d6rang6e.

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Les ph~nom6nes sont peut-6tre plus nets en enfon~ant dans les brin- dilles du dSme des allumettes jusqu'/~ la moiti~ de leur longueur. Elles sont tr6s rapidement arrach6es par une ou deux Fourmis, parfois trois, et rejet6es jusqu"~ ta base du nid; il arrive m~me qu'elles soient trans- port6es au-del~, jusqu'h une dizaine de centim~tres plus loin.

Si les circonstances atmosph6riques sont favorables, une couronne de 7 ~ 8 cm de diam6tre, form6e d'allumettes implant6es au sommet du d5me, est arrach~e en trois/~ quatre heures. Lorsque les allumettes sont attach6es par un fil h u n poteau central, les Fourmis tirent sur elles pendant des heures et des journ~es enti6res, mais ne coupent pas le fil ; alors qu'elles le coupent assez vite si une proie eomme une Gu~pe morte, et non plus une brindille, lui est attach6e. Lorsqu'on replante pendant quatre ou cinq jours de suite les allumettes arrach~es dans la m~me fourmili6re, les Fourmis finissent par les laisser et les recouvrir de brindilles. Sans doute assistons-nous alors ~ une familiarisation comparable ~ ce qu'on volt pendant la phase d'exploration des proies chez les m6mes Fourmis (CaAu- vi~). Mais une telle hypoth~se pose encore des probl6mes, car les allu- mettes sont rejet6es pendant un temps vraiment fort long, avant que les Fourmis ne se d6cident ~ Ies accepter ; alors que l 'acceptation est beaucoup plus rapide dans le cas des proies. Sans doute les nombreux traitements chimiques auxquels est soumise l 'allumette sont-ils en partie respon- sables de cette r~pugnance.

Ce nettoyage du d5me implique un certain degr~ de coordination, qui va beaucoup plus loin lorsqu'on implante des baguettes de 20-25 cm et 3-4 mm de diam~tre, enfonc6es jusqu'~ la moiti6 de leur longueur. Au bout d'un long d61ai (trois ~ quatre semaines), on constate qu'elles s'inclinent fortemeat. Si leur base est seulement fix6e dans la souche trSs vermoulue qui forme le centre de la fourmili6re ou, mieux encore, dans les brindilles, il arrive qu'elles se couchent compl~tement et soient int6gra- lement reeouvertes. Le processus est tr6s lent et je n'ai pu l'~tudier en d6tail. I1 s'agit, semble-t-il, d'un remaniement progressif du d6me, entre: pris duns les heures qui suivent sa pose tout autour de sa base, mais poursuivi ult~rieurement d'un seul e6t6. Alors, ta baguette s'incline et les Fourmis continuent ~ affouiller le d6me en dessous, ce qui l'am~ne plus ou moins t6t duns le plan horizontal. J'insiste sur le fait que le ph~no- m~ne n'est pas rare, bien qu'il ne se produise pus duns tous les cas; et il est ~ peine besoin de noter l '6tonnante coordination qu'il pourrait impliquer.

L e s c b a n g e m e n t s duns les m a t ~ r i a u x de cons t ruc t i on .

I1 est possible d'enlever compl~tement les brindilles et de les remplacer par d'autres mat~riaux. Le trouble n'est pus aussi profond qu'on pourrait croire, car il ne touche gu~re une grande partie de la population de la fourmili~re tapie profond~ment dans les anfractuosit~s de la souche centrale.

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J'ai substitu~/~ ces brindilles de la sciure de bois, des pommes de sapin, du foin ou des feuilles mortes. Le volume de tous ces mat~riaux 6tait approximativement ~quivalent ~ la moiti6 de celui de la fourmili~re.

Quelques heures apr~s, les Fourmis manifestent une agitation ~norme, mais qui parait diffuse, en ce sens qu'on ne voit pas tout de suite d'apport de brindilles ; il ne d~bute que le lendemain de l'op~ration. La sciure de bois n'est pas colonis~e; d'ailleurs, les Fourmis n'arrivent qu'avec peine ~ l'escalader et glissent /~ de nombreuses reprises sur la pente du tas. Au bout de deux /~ trois jours cependant, elle est totalement recou- verte de brindilles et, /~ partir de 1/t, la construction progresse normale- ment. Le tas de pommes de pin est adopt6 imm6diatement. La perturba- tion est plus forte dans le cas du foin, et la colonisation demande huit jours au moins pour faire de s~rieux progr~s. La colonic tr~s forte et tr~s active, o/1 j 'avais substitu~ le foin aux brindilles, a m~me ~migr6 en partie dans cinq souches de sapin vermoulues situ~es ~ t-2 m de la fourmili~re. Mais, d~s que les brindilles ont commene~ ~ rgapparaitre au-dessus du foin, les nids seeondaires ont 6t~ d~laiss6s, et les progr~s de la construction sont devenus tr~s rapides dans le nid principal. Trois semaines apr~s la substitution, l'aspect du nid est redevenu quasi normal, et l'on ne voit plus que quelques brins de paille sortir de sa base. II est facile de les en extraire et de constater que les Fourmis ne les ont pas sectionn~s, bien qu'elles le puissent tr~s probablement.

Enfin, dans une autre experience qui a port~ sur une fourmili~re de petite taille, mais tr~s active, j'ai enlev~ ~galement tous les mat~riaux du n i d e t les ai remplae~s par des feuilles mortes. DSs l'apparition des brindilles au-dessus des feuillcs, je remettais une autre touche de feuilles mortes. L'exp~rience s'est arr~t~e au d~but de l 'automne, moment o/1 l'activit6 constructrice est r6duite ou nulle ;mais le nid avait alors atteint le double du volume initial, et les Fourmis n'en paraissaient pas incom- mod6es.

On peut donc conclure que les Fourmis rousses s'accommodent tr~s facilement de mat6riaux tr~s vari6s, mais qu'elles n'utilisent que les brin- dilles qui peuvent seules se transporter.

La r d g u l a t i o n de la c o n s t r u c t i o n ~ la surface du ddrne.

Comme je le disais au d6but, la forme r6guli6re du dSme des Fourmis ne frappe pas tout d'abord. On a tendance /~ la consid6rer comme tout 'h fair naturelle, paree qu'on a dans l'esprit l'image d'un homme vidant d'une assez grande hauteur un panier de brindilles ; et, dans ce cas, elles se disposent en effet en tas r6gulier. Mais ce n'est point ainsi que proc~dent les Fourmis : il faut songer qu'elles apportent leurs brindilles une par une, en les hissant assez p6niblement sur les tlancs de la fourmili~re ; elles paraissent les y d6poser au hasard (tout au moins pour un observateur hfitif, car eertains faits me donnent /~ penser qu'il n'en est rien). Dans

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ces conditions, il n 'y a pas de raisons pour que le d6me n'affecte point une forme tout it fait irr6guli~re, ce qui lui arrive d'ailleurs lorsque des obstacles g6nent la construction. Or, duns la plupart des cas, ses contours sont, au contraire, r6guli~rement arrondis.

I1 m'a sembl6 qu'il devait 6tre possible de troubler la r6gulation - - si elle existe - - , en interposant des cloisons, comme l 'a fait mon collabo- rateur DARCHEN sur les Abeilles. J 'ai donc commenc6 par placer au sommet du dSme un croisillon de bois, de verre ou d'ardoise, dont les dimensions approximatives sont donn6es dans la figure. I1 n'6tait enfonc6 au milieu des brindilles que de 2 ou 3 cm, ce qui est suffisant pour l'affer- mir ; par cons6quent, la communication n'6tait pas coup6e dans la zone profonde.

Ce cloisonnement a provoqu6 des perturbations consid6rables. D'abord, dans l'activit6 g6n6rale : d~s le lendemain, lorsque l 'agitation caus6e par l ' intervention exp6rimentale est calm6e, on note que, dans la tr~s grande majorit6 des fourmili~res, les Fourmis sont fort actives duns un ou deux des secteurs, alors que les autres sont it peu pros d6serts. C'est tout juste si l'on apergoit dans les secteurs inac~ifs quelques ouvri~res pros des orifices de la fourmili~re. Duns 50 ~ des cas apparait un autre ph6nom~ne tr~s curieux, et dont j'ignore la signification : c'est une circulation active duns les deux sens, une <( cyclose )) h la p6riph6rie de la fourmili~re ; circu- lation qu'on ne voit pus duns les nids intacts, oh les d6placements, d'ailleurs assez peu actifs, paraissent uniform6ment r6partis.

Enfin, au bout de quatre it six jours, suivant les conditions m6t6oro- logiques, apparaissent des dissymdtries duns la construction. Un ou deux secteurs (rarement trois) se d6veloppent plus que les autres, et l e t a s de brindilles monte alors tr~s r i te le long des croisillons ; les autres secteurs, moins actifs, ne tardent pus it pr6senter une d6nivellation de 4 it 5 cm. Si la hauteur des croisillons ne d6passe pas 10 cm, l 'amoncellement des brindilles atteint bient6t le bord sup6rieur de la paroi. Alors la construction se r6gularise et le dSme, oh le croisillon se trouve d6sormais noy6, reprend sa forme primitive. La pose de cloisons suppl6mentaires, qui forment une 6toile h huit branches, et non plus une croix, parait rendre le ph6nom~ne plus net encore.

Si, au lieu de cloisons, on utilise des plaques perfordes, le d6me garde sa rdgularitd. Les meilleurs r6sultats sont obtenus avec des plaques de t61e perfor6es de trous de 4 mm de diam~tre, espac6s de 2 mm. On voit fort bien a]ors les Fourmis les traverser et m~me passer des brindilles it travers les trous. Mais, pour conserver la r6gularit6 du dSme, il ne suffit pas de quelques orifices, il e n f a u t , semble-t-il, un grand nombre. Si, darts un croisillon de bois plein, on pratique de longues et larges fentes aupr~s du point d'intersection, l~ off les diff6rences de construction sont les plus apparentes (fentes verticales de 5 cm de long sur I cm de large), les irr6gu- larit6s n'en apparaissent pas moins.

On peut donner it l'obstacle une tout autre forme, par exemple, celle d'une enceinte circulaire de carton, ou de m6tal, pos6e au sommet du

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dSme : par exemple, une bolte de m6tal de 20 • 8 cm plac~e, l 'ouverture en haut, au sommet de la fourmili~re. Les Fourmis ne l 'explorent que dans le premier moment, puts la d~sertent tr~s rite. Peu ~ peu l'amoneel- lement des brindilles atteint le bord sup~rieur de la boite, puts le d6passe. Ce n'est que tr~s tardivement (au bout de cinq ~ huit jours) que quelques brindilles apparaissent au fond de la boite. I1 faut parrots quinze jours pour qu'elle soit h moiti~ pleine.

On peut supposer que le contact du m~tal 41oigne les Fourmis et utili- ser alors un cylindre de carton de 30 cm de diam~tre et d'une hauteur variant entre 6 et t8 cm. La perturbation est assez forte; m~me si la hauteur ne d6passe pas 6 cm, seules les fourmili~res les plus actives (il existe d'~normes differences /~ ce point de rue) arrivent h combler le cylindre le plus bas en cinq ~ six jours. Certaines le laissent vide quasi ind6finiment. Quant au grand cylindre (parois de i8 cm), je n'ai trouv~ qu'une fourmili~re sur douze capable de l'emplir : elle se trouvait en phase de reconstruction tr~s active (apr~s une substitution de mat~riau) et n e mit gu~re plus de six jours ~ combler le cylindre de 3 ~ 4 litres de brindilles.

DISCUSSION

L'interpr~tation de ces r6sultats se trouve g~n~e par diverses circons- tances. En particulier, je n'ai pu encore d~couvrir de m~thode pratique pour mesurer l'activit6 constructrice. J 'avais bien plant~ en diverses zones des baguettes porteuses d'encoches ~quidistantes et num~rot~es et tent~ d'~valuer la monroe des brindilles le long des baguettes. Mats, au bout de peu de temps, les rep~res se trouvent inclin6s par le processus continu de construction; il vaudrait mieux employer de longues tiges m~talliques, dont je ne disposals pas ~ ce moment. I1 m'est donc impossible pour l ' instant de donner des mesures quantitatives. Notons, toutefois, que l'activit6 de construction est diffuse, assez lente, se poursuivant m~me sous la pluie (colonies puissantes) et n'a rien de commun avec l 'agitation que l'on peut observer en particulier apr~s une longue p~riode de mauvais temps.

J 'ai essay~ aussi de relier ~ un facteur externe les dissym~tries de la construction suivant les seeteurs, mats je n'ai pu aboutir jusqu'~ present. Ni la direction par rapport aux points cardinaux, ni celle des rayons solaires ~ certains moments de la journ~e (surtout le matin, moment de grande activit~ des Fourmis) ne m'ont fourni de correlations valables. L'accroissement diff~rentiel se produit aussi bien ~ l 'ombre qu'au soleil, ou dans une clairi~re de i h 2 m de diam~tre, entour6e de haute futaie de toutes parts, et qui ne revolt que le soleil de midi ; elle se produit aussi facilement par temps couvert que par beau temps ; avec des cloisons de verre ou des cloisons opaques. Les differences de microclimat entre les secteurs, induites par les cloisons, ne peuvent pas, h mon sens, rendre compte des troubles dans la r4gulation de la forme.

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I1 est pr6f6rable sans doute de rattacher les diff6rences h une dissy- m6trie endogine. Ce ne peut ~tre la pr6sence du couvain ni celle des reines, puisque les d6placements de l'un et des autres sont nombreux et fr6quents. On pourrait alors se r6f6rer aux travaux de C H E N et COMBES, qui mettent en 6vidence une grande diff6rence entre diff6rentes fonctions physiolo- giques et notamment entre l'activit6 constructrice, chez les ouvri6res. Certaines Fourmis iraient en chercher d'autres et les porteraient dans la zone off le travail doit s'effectuer. On peut supposer que ces ouvri~res actives sont en assez petit nombre et circulent ~ la surface du dSme suivant des voles plus ou moins circulaires et concentriques ; alors les cloisons radiales g~neraient beaucoup cette circulation et provoqueraient la fixation en une zone limit6e du dSme, oil les brindilles s'amasseraient plus ri te qu'ailleurs. Dans le cas des cloisons perfor6es au contraire, le passage d'un secteur /~ l 'autre est continuel, comme l'observation la plus simple permet de s'en rendre compte ; et, corr61ativement, les ouvri~res peuvent conserver au dbme sa r6gularit6.

Ce n'est qu'unc hypoth6se de travail, et fort incomplete. Elle n'explique pas, en effet, pourquoi les ouvri~res ne contournent pas l'obstacle (qu'elles peuvent aussi parfaitement escalader, bien qu'elles ne le fassent que rarement). Rien ne ]es emp~che apparemment de se r6partir 6galement dans tous les secteurs ; et pourtant (du point de vue de l'activit6 pure, non en rela- tion fixe avec l'activit6 de construction) un quadrant trSs agit6 peut ne se trouver s6par6 d'un autre ausi d6sert que par une mince eloison ; et ils ne montrent gu6re de tendance /~ s'6galiser. Enfin, des exp6riences (encore trop peu nombreuses) m'ont prouv6 que la rSpartition des secteurs actifs par rapport aux inactifs peut se trouver modifi6e par un simple enl6vement des cloisons, suivi de leur replacement un quart d'heure apr6s dans la m~me position. S ice fair est v6rifi6 ult6rieurement, il sera en faveur de l'existence d'ouvri6res <( actives >> qui se bloquent au hasard dans un des secteurs.

On peut rapprocher aussi ces exp6riences de celles de DARCHEN sur l'Abeille. Lorsque cet auteur interpose des cloisons m6talliques sur la cr~te d'un rayon en construction, alors les Abeilles ne construisent plus de ce c5t6, mais seulement du c5t6 oppos6. Si bien qu'il se d6veloppe une forte dissym6trie. Par contre, lorsqu'il pratique une s6rie d'orifices sur la plaque, la construction recommence et englobe peu ~ peu route la plaque m6tallique. L~ aussi, les Abeilles pourraient contourner l'obstacle ; mais ne le font que dans certaines conditions.

D'o~ il faut conclure que, chez les Abeilles et les Fourmis, les r6gulations de construction exigent qu'il n 'y ait pas d'obstacle /~ la surface du hid.

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282 n~MY CHAUVIN

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S u m m a r y .

One can replace the needles which const i tu te normal ly the building mater ia l of an ant hill's dome by pine cones or even b y bits of hay, etc. The ants quickly cover these things wi th needles, and the hill resumes its former appearance. Any foreign object placed on the unbroken dome of the hill is e i ther covered with needles or carried away. This is w h y the dome always look so order ly and free of things which do not belong there.

Li t t le wooden rods of the size of a ma tch s tuck ver t ical ly into the dome can be removed by ants; but , several times, sticks o f the length of a pencil and of a thickness of 3-4 mm, s tuck in at r ight angles were first laid down hor izonta l ly and then covered up. Threads of little bits of rope were jus t covered.

If one lays out match sized sticks forming regular circular pa t te rns , the dis turbance is quickly eliminated, irrespective of where it was. I f l i t t le wooden boards, about 20 cm high are s tuck into the dome to a dep th of 3-4 cm, considerable difference appear almost at once in the ants act ivi ty: in one quadran t , or, at the u tmost , in two of them, they will work; and near ly comple te ly neglect the o ther two. This is not so if the boards are per fora ted and allow the ants to pass th rough them. Eviden t ly , the regular i ty of the building of the dome presupposes a net of communica t ions beneath . Compare with DARC~IEN'S work on bees.

If a funnel made of boards is placed on the top of the dome, it is full of needles in a week or two, bu t only if it is not too high.

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COI~ISTRUCTIOI~I C H E Z (( F O R M I C A R U F A )) 2 8 3

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PLANCHE I. - - I e t 2 : r e m p l a c e m e n t des br indi l les de la fourmil i~re p a r du foin ; en 2, les br in- di l les a p p a r a i s s e n t d e u x semaines apr~s e t r e c o u v r e n t p r o g r e s s i v e m e n t le foin. - - 3 : r empla - c e m e n t des b r ind i l l e s pa r de la fibre de bois (blanche) : des b r ind i l l es p lus sombres a p p a r a i s s e n t tr~s r a p i d e m e n t en t re les fibres. - - ~, 5, 6 : t ro is phases de la d i s loca t ion de couronnes d 'a l lu- m e t t e s pos~es su r la fourmil i~re (5, une heure apr~s ; 6, & la fin de la journ~e).

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P L A N C ~ E I I . - - 7 et 8 : une couronne d'allumettes plant~e sur la fourmili~re est enlev~e deux heures apr~s par les fourmis ; en m~me temps, des feuilles de papier, trop grandes pour ~tre trans- port~es, sont recouvertes de brindilles.

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PLANCHE I I I . - - 9 e t 10 : de longues b a g u e t t e s de la ta i l le d ' u n c r a y o n s o n t couch~es a u b o u t de h u i t j ou r s .

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PLANCHE IV. - - 11 et 12 : de petits fragments de papier de la taille de confetti sont en grande partie transport~s au bout de ~ h 5 heures. - - 13 : discordance dans la construction de part et d 'autre d 'une cloison m~tallique ; on la volt aussi en 14, od les cloisons sont de verre ; par transparence, on aper~oit, en noir derriere la cloison de gauche, un amas de brindilles plus haut que sur le devant de la figure. - - i5 : ~normes differences d'activit~ locomotrice de part et d'autre d 'une cloison de verre ; ~ gauche, le pointill~ noir correspond fi des fourmis, et constraste avec la partie droite de la figure, off le dSme est quasi d~sert ; seules quelques fourmis sont rest~es aupr~s des entr~es. - - t6 : un grand cylindre de carton, pos~ sur la fourmili~re, est empli au bout d'une dizaine de jours.