le catechisme postmoderne

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Le catéchisme postmoderne | 08.01.11 | 13h53 Mis à jour le 08.01.11 | 13h56 otre civilisation politiquement correcte diffuse, par le biais des médias légitimes financés par le marché, une pensée unique contre laquelle un intellectuel digne de ce nom ne saurait aller. Voici quelques-uns de ces lieux communs du catéchisme de notre époque : le libéralisme constitue un horizon indépassable en dehors duquel il ne saurait y avoir que gauche irresponsable, stalinisme, communisme, marxisme-léninisme, néobolchevisme et autres billevesées d'irresponsables ignorant la science économique, religion des temps sans religion ; l'Europe est une chance pour les nations et les peuples, une garantie contre les guerres, les dévaluations, les krachs boursiers, le chômage de masse ; Internet est un lieu de liberté libertaire, un espace de circulation élargie de la vérité qui échappe au marché ; l'islam est une religion de paix, de tolérance et d'amour et quiconque, livre en main, pointe dans le Coran pléthore de sourates antisémites, homophobes, misogynes, phallocrates, bellicistes, intolérantes, célébrant la torture ou la peine de mort, passe pour un dangereux islamophobe compagnon de route du Front national ; le terrorisme international provient des villages les plus reculés d'Afghanistan où il faut faire régner la terreur militaire occidentale, mais sûrement pas du Pakistan, qui a l'arme nucléaire, ni des monarchies du Golfe, qui possèdent le pétrole... Et puis cette idée largement répandue que quiconque parle de démocratie réelle ou revendique le souci du peuple est un démagogue ou un populiste ! Il faut bien que ces élites aient peur et de la démocratie authentique et du peuple véritable pour réagir de façon pavlovienne avec pareille insulte... La machinerie gaullienne a bipolarisé la vie politique. Elle ne laisse de chance, pour gouverner la nation, qu'à deux formations libérales : une droite et une gauche, que, souvent, le style et le ton séparent plus que les idées et le fond. Dès lors, quiconque doute du bien-fondé de ce système devient un homme à abattre. Ainsi, cette antienne en passe de devenir vérité de science politique qu'en 2002 un certain Jean-Pierre Chevènement aurait fait perdre Lionel Jospin dont on s'évertue à oublier qu'il avait pourtant clamé haut et fort que son programme n'était pas de gauche. Il est tellement plus facile de massacrer le bouc émissaire que d'analyser les raisons d'un échec pour prendre sa part de responsabilité. Les mêmes belles âmes recommencent : Jean-Luc Mélenchon prendrait le risque de faire perdre la gauche ! La gauche libérale, autrement dit la gauche de droite, la gauche dite de gouvernement, ne perd pas une occasion de se placer au centre, mais elle voudrait en même temps conserver le bénéfice et les suffrages de son aile gauche... Plutôt que de savoir qu'on ne peut avoir le beurre centriste et l'argent du beurre de gauche, la Rue de Solférino stigmatise ceux qui revendiquent clairement une gauche digne de ce nom. Pour éviter le débat sur la nature des gauches, une fois les arguments remisés, on insulte : populiste celui qui s'installe sur d'authentiques positions de gauche et réaliste celui qui nous vend une soupe libérale servie dans un bol vendu par le PS ! A la queue leu leu, les billettistes, les éditorialistes, les journalistes, les intellectuels qui disposent de leur rond de serviette dans les officines médiatiques libérales activent la machine à gifles : démagogue par-ci, populiste par-là... Pourtant, il suffit de se souvenir des discours tenus par leurs soins depuis des années : quid de la panacée libérale ? L'euro devait apporter le paradis sur terre, l'amour entre les hommes, du travail à gogo, la fraternité entre les peuples, le cosmopolitisme dans les chaumières, la fin du racisme... Nous en sommes loin : chômage, misère en quantité, pauvreté, paupérisation galopante, pays en faillite, foyers en détresse, prolétarisation des peuples, pleins pouvoirs à une mafia N Le Monde.fr : Imprimer http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/01/08/1462866.html 1 of 2 11/01/08 21:58

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Le catéchisme postmoderne

| 08.01.11 | 13h53 • Mis à jour le08.01.11 | 13h56

otre civilisation politiquement correcte diffuse, par le biais des médias légitimes financés par le marché, unepensée unique contre laquelle un intellectuel digne de ce nom ne saurait aller. Voici quelques-uns de ces lieux communsdu catéchisme de notre époque : le libéralisme constitue un horizon indépassable en dehors duquel il ne saurait y avoirque gauche irresponsable, stalinisme, communisme, marxisme-léninisme, néobolchevisme et autres billeveséesd'irresponsables ignorant la science économique, religion des temps sans religion ; l'Europe est une chance pour lesnations et les peuples, une garantie contre les guerres, les dévaluations, les krachs boursiers, le chômage de masse ;Internet est un lieu de liberté libertaire, un espace de circulation élargie de la vérité qui échappe au marché ; l'islam estune religion de paix, de tolérance et d'amour et quiconque, livre en main, pointe dans le Coran pléthore de souratesantisémites, homophobes, misogynes, phallocrates, bellicistes, intolérantes, célébrant la torture ou la peine de mort,passe pour un dangereux islamophobe compagnon de route du Front national ; le terrorisme international provient desvillages les plus reculés d'Afghanistan où il faut faire régner la terreur militaire occidentale, mais sûrement pas duPakistan, qui a l'arme nucléaire, ni des monarchies du Golfe, qui possèdent le pétrole...

Et puis cette idée largement répandue que quiconque parle de démocratie réelle ou revendique le souci du peuple est undémagogue ou un populiste ! Il faut bien que ces élites aient peur et de la démocratie authentique et du peuple véritablepour réagir de façon pavlovienne avec pareille insulte...

La machinerie gaullienne a bipolarisé la vie politique. Elle ne laisse de chance, pour gouverner la nation, qu'à deuxformations libérales : une droite et une gauche, que, souvent, le style et le ton séparent plus que les idées et le fond. Dèslors, quiconque doute du bien-fondé de ce système devient un homme à abattre.

Ainsi, cette antienne en passe de devenir vérité de science politique qu'en 2002 un certain Jean-Pierre Chevènementaurait fait perdre Lionel Jospin dont on s'évertue à oublier qu'il avait pourtant clamé haut et fort que son programme n'étaitpas de gauche. Il est tellement plus facile de massacrer le bouc émissaire que d'analyser les raisons d'un échec pourprendre sa part de responsabilité.

Les mêmes belles âmes recommencent : Jean-Luc Mélenchon prendrait le risque de faire perdre la gauche ! La gauchelibérale, autrement dit la gauche de droite, la gauche dite de gouvernement, ne perd pas une occasion de se placer aucentre, mais elle voudrait en même temps conserver le bénéfice et les suffrages de son aile gauche... Plutôt que de savoirqu'on ne peut avoir le beurre centriste et l'argent du beurre de gauche, la Rue de Solférino stigmatise ceux quirevendiquent clairement une gauche digne de ce nom.

Pour éviter le débat sur la nature des gauches, une fois les arguments remisés, on insulte : populiste celui qui s'installe surd'authentiques positions de gauche et réaliste celui qui nous vend une soupe libérale servie dans un bol vendu par le PS !A la queue leu leu, les billettistes, les éditorialistes, les journalistes, les intellectuels qui disposent de leur rond de serviettedans les officines médiatiques libérales activent la machine à gifles : démagogue par-ci, populiste par-là...

Pourtant, il suffit de se souvenir des discours tenus par leurs soins depuis des années : quid de la panacée libérale ?L'euro devait apporter le paradis sur terre, l'amour entre les hommes, du travail à gogo, la fraternité entre les peuples, lecosmopolitisme dans les chaumières, la fin du racisme... Nous en sommes loin : chômage, misère en quantité, pauvreté,paupérisation galopante, pays en faillite, foyers en détresse, prolétarisation des peuples, pleins pouvoirs à une mafia

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richissime et un carcan bureaucratique européen serré au plus près de la nuque citoyenne...

Quid d'Internet, qui devait nous apporter la Bibliothèque nationale gratuitement dans nos campagnes reculées (ah ! ce bonJacques Attali...), faciliter la vie de l'intelligence en mettant le savoir digne de ce nom à disposition de tout le monde ? Toutpasse par le Net et quiconque ne dispose pas d'un ordinateur est un citoyen de seconde zone. Les traces laissées parl'usage de nos ordinateurs servent aux marchands, aux publicitaires, aux polices diverses et multiples. Ne parlons pas dela possibilité pour chacun de dire tout et n'importe quoi, de montrer son indigence sans vergogne pour en informer laplanète en temps réel.

Quid de la liberté qui devait régner à Bagdad, dont l'Occident jurait qu'il deviendrait le phare de la démocratie dans cetterégion ? Ou de l'Afghanistan ? Des villages détruits, des femmes et des enfants massacrés par les armées d'occupation,dont la France, sous prétexte d'empêcher des attentats dans le reste du monde.

Quid du peuple dont plus personne ne parle sans une moue de dégoût, sauf Marine Le Pen, qui pourrait bien en retirerdes bénéfices. On ne peut longtemps l'humilier en le négligeant au profit de l'oligarchie qui professe ce catéchismepolitiquement correct, sans générer une colère qui, un jour, emporte tout sur son passage. Les élections présidentiellessont, malheureusement, des occasions de régler des comptes - qu'on le veuille ou non, c'est ainsi. L'oubli du peuple est lapremière cause de la colère du peuple. Sachant cela, la colère s'évite - si l'on veut. Sinon...

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Miche Onfray

Article paru dans l'édition du 09.01.11

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