le bonheur chez aristote et plotin

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Le bonheur chez Plotin et Aristote, et son rapport avec le temps.

Introduction. Lobjet de ce travail est le bonheur et son rapport avec le temps chez Plotin et galement chez Aristote, on se base pour cela sur un extrait de texte des Traits 30-37 de Plotin, traduit sous la direction de Luc Brisson et Jean-Franois Pradeau par Richard Dufour, et plus prcisment, le Trait 36 (I, 5), intitul : Si le bonheur saccrot avec le temps . et galement sur lthique Nicomaque dAristote. Tous les philosophes ont essay de dterminer ce qutait le bonheur et en ont fait la chose la plus essentielle pour lhomme. Il en est de mme pour Plotin et Aristote. Plotin est n en Egypte Lycopolis, il a eu comme matre Ammonius Saccas, Alexandrie, qui tait un moyen platonicien. Plotin a t au coeur du dbat thique qui opposait les aristotliciens aux stociens et aux picuriens. Quant Aristote, il est n Stagire en Chalcidique. Trs jeune il rentre lAcadmie de Platon Athnes, il y restera durant vingt ans. Nous allons donc voir la vision du bonheur chez ces deux auteurs et son articulation avec le temps. Le temps fait-il crotre le bonheur ? Peut-on lgitiment parler du bonheur et du temps sans toutefois se tromper dans la mesure o ceux-ci sont exclusivement intelligibles et nous mettent en conflit avec le pass et le prsent ? Quest-ce que le bonheur et le temps selon Aristote et Plotin ?

I Plotin : le fait dtre heureux plus longtemps naccrot pas le bonheur. 1. Nature : bonheur et temps. Pour Plotin, le bonheur ne saccrot pas avec le temps, car celui-ci nest pas un facteur daccroissement, mais plutt une disposition partir duquel on saisit le bonheur, ce souvenir dun moment de bonheur napporte rien de plus, et le bonheur rside non dans le fait de dire que lon est heureux, mais dans le fait dtre en une certaine disposition 1. Le bonheur est un tat psychique qui ne rsulte pas des actes externes, il appartient une vie premire et la meilleure est celle de lintellect, car celle-ci transcende la dure et se situe dans lternit. Le vritable bonheur est donc intemporel, invariable, et ne peut tre augment par un plaisir du pass. Le temps pour Platon est une image mobile de lternit 2. Plotin rcupre cette dfinition mais dlaisse la notion de mobilit. Le temps est donc pour Plotin une image de lternit et celui-ci dpend de son modle dexistence et de permanence. La spcificit du temps est de saccrotre et de se rpandre dans la multiplicit et dans lextension. Mais, il faut souligner que tel nest pas le cas de lternit, car celle-ci reste semblable et sans accroissement. Limage a pour particularit dabolir la permanence de lternit. Il sensuit que la permanence inhrente lternit prirait, si on la retirait de lternit et quon la mettait dans limage ; la permanence est prserve aussi longtemps quelle est rattache en quelque manire lternit, mais elle prirait si elle venait se trouver toute entire dans limage . Toutefois, si le bonheur ne se limite pas la simple saisie empirique de lindividu mais se trouve plutt un moment prcis de lhistoire, quel est donc ce moment ?

2. A quel temps peroit-on le bonheur ?

Le bonheur pour Plotin se saisit exclusivement au prsent, car le pass napporte rien de plus linstant prsent. Cest dans le prsent quune disposition existe, comme lactivit de la vie . Percevoir un plus grand bonheur donc, signifie affirmer la mort du pass, parce que cest dans lacte prsent que le bonheur se dploie. Le bonheur vcu dans le pass et1 2

Plotin, Trait 36, tr. fr. Richard Dufour, Flammarion, Paris, 2006, p.367. Platon, Time, E. Chambry, Garniers Frres, Paris, 1969, p. 417.

rapparu au prsent au moyen du souvenir nexprime aucunement un progrs unitaire. La sensation que nous avons du bonheur prsent nest du quau fait de lapparition dun plus grand bonheur , car lhomme loin dtre une chose stable est plutt une chose pensante3 et dynamique qui se donne au quotidien des raisons plus grandes de poursuivre son existence. Si donc un homme affirme son dsir de vivre, cest simplement parce quil a trouv des raisons plus grandes dans le temps qui lui permettent desprer pour une vie futur. Dans ce cas, le bonheur du lendemain sera plus grand que celui daujourdhui ; le bonheur suivant sera toujours plus grand que le prcdent 4, la norme du bonheur par consquent ne sera plus la simple vertu, mais plutt lascension intellectuelle au cours de laquelle dcoulera une plus grande vertu. Lobjet que peroit le dsir est quelque chose qui apparient au prsent. Le dsir dune vie futur est marqu par les dispositions du prsent, car lexistence appartient au prsent. Le dsir postule toujours pour quelque chose de futur, mais il faut souligner que ce dsir est centr sur latout que nous avons et sur ce qui existe prsent, on ne dsire non pas les choses du pass, non plus ceux de lavenir, mais plutt ceux quon possde actuellement de faon pratique et continue dexister. En somme, lhomme ne dsire pas les choses qui se meuvent ternellement, mais souhaite plutt que lacquit prsent soit permanent. Pour Plotin donc dsirer quelque chose de futur, cest vouloir que le bonheur prsent continue tre prsent. Et cette affirmation est valable pour le dsir, le plaisir et la souffrance qui nexistent quau prsent et ne croissent pas au prsent avec les valeurs du pass. Ainsi, il est absurde daffirmer quun homme qui a vcu plusieurs annes avec un mme objet est plus heureux que celui qui ne la que contempl une fois, parce que, ici le rsultat de satisfaction est le mme. Car si celui qui estime avoir pass plus de temps avec lobjet avait discern cet objet avec plus de prcision, le temps lui aurait en effet apport quelque chose de plus . Cependant, sil est rest statique dans sa contemplation, il ny a pas de diffrence avec celui qui lobserve une fois. Le bonheur nest pas une activit, mais plutt une disposition qui se saisi au prsent et la somme de nos actes naccroissent pas non plus le bonheur.

3. De la diffrence entre le bonheur, les peines et les douleurs.

Plotin dans cette seconde articulation sinterroge sur la question du mal, la douleur en rapport au bonheur. Supposons quune personne soit heureuse du dbut la fin, quune autre le soit seulement la fin et quune autre heureuse au dbut devienne malheureux : ontelles toutes une part gale au bonheur ? 5. Nous comparons ici, une personne heureuse plusieurs personnes malheureuses parce que comme lavons cit ci-avant, le bonheur ne srode pas avec le temps. En effet, une personne3 4

Ren Descartes, Mditations mtaphysiques, Flammarion, Paris, 1979. Plotin, Trait 36, tr. fr. Richard Dufour, Flammarion, Paris, 2006, p. 367. 5 Plotin, Trait 36, tr. fr. Richard Dufour, Flammarion, Paris, 2006, p. 368.

qui a vritablement t heureuse ne peut que ltre jusqu la fin, car le bonheur appartient lme et celui-ci se dploie travers lintellect, laquelle transcende la temporalit et se situe dans lternit 6. Lintellect est premier et parfait, il ne svalue pas en quantit travers lespace, la satisfaction quil met est stable, car le bonheur ici est complet, immuable et atemporel. Mais tel nest pas le cas au niveau des peines et des douleurs. Dans le cas des peines et des douleurs, on pourrait dire que le temps les fait crotre , le cas de la maladie est explicite. Car plus la maladie persiste, plus le corps se dprave par consquent, on se sent plus mal. De mme que si le dommage corporel ne progresse pas, la souffrance mme dans ces circonstances sera toujours quelque chose de prsent . Dans cette articulation, Plotin veut montrer que la sensation du pass ne peut sadditionner celle du prsent, le pass tant absent cause de la prsence dune sensation plus grande. Le mal ne progresse aucunement avec la douleur qui se cumule dans le temps, mais plutt par son propre tre parce que ltat du patient est conditionn par la longvit de la maladie. Cette vue est valable aussi pour le cas du malheur. Cest par la naissance dun plus grand mal que le malheur crot et non pas par la persistance de son activit. Cependant, il ne faudrait pas assimiler cette conception au bonheur. Dans le cas du bonheur, il existe une fin qui reste toujours statique. Le bonheur nest pas variant, il est intemporel. Le sentiment de croissance que nous ressentons du bonheur nest que le constat de la sensation du passe ananti dans le prsent par un plus grand bonheur. Plotin souligne ainsi que : ce qui rend digne dloges, ce nest pas le fait que lon peut compter un grand nombre dannes de bonheur, mais le fait que lon a atteint un bonheur plus grand au moment o il est atteint. . 4. La mesure du temps. Il est possible de compter le temps et mme les choses qui nexistent plus, car nous pouvons par exemple dnombrer le nombre de morts, mais il faut souligner que le bonheur des morts est absent dans le prsent. On ne peut pas aussi affirmer que le souvenir ou le bonheur des morts deviendra plus grand dans le prsent car le bonheur se doit dexister tout entier, alors que le temps qui va au-del du prsent ne peut plus exister . La vie bonne est ce qui est, elle est ternelle statique et intemporelle. Il ne faut pas rattacher ltre au nontre, ni le temps lternit, ni la permanence lternit . Pour connatre lessence des choses, il faut les saisir dans lensemble et chercher savoir ce qui fait leur ternit. Le souvenir dun plaisir7 ou dun acte pass naccrot pas le bonheur. Prenons le cas de la rflexion, il serait banale pour Plotin de soutenir que le souvenir dune rflexion sest perptue dans le prsent en produisant un plus grand bonheur , car le souvenir na pour fonction ici, que de faire crotre la rflexion et non le bonheur. Il serait donc absurde de dire du souvenir dun repas quon a consomm dans son enfance quaujourdhui on prouve encore exactement la mme sensation, et, que cela produit en nous du bonheur force dy penser. Car cest gnralement lorsquun homme est dpourvu de belles choses dans le prsent quil voque le pass au moyen du souvenir afin dessayer de rparer le dficit du prsent. Mais cette entreprise reste toujours oisive et sans porte dans la mesure o, pour quil ait un grand bonheur, il faut quil ait destruction du pass, et non addition du pass au prsent,6 7

Plotin, Trait 36, tr. fr. Richard Dufour, Flammarion, Paris, 2006, p. 363. Epicure affirme au contraire que le souvenir des plaisirs passs font durer et mme crotre le plaisir prsent. Le sage ajoute aux plaisirs prsents les plaisirs venir (Long et Sedley, 211).

si non cela serait additionner le non-tre ltre. Plotin place cette attitude dvocation du souvenir dans la nature humaine.

5. Les actions et le bonheur. Bien que le temps nous permette souvent daccomplir plusieurs actes, le bonheur malheureusement ne dpend pas de la somme des actions vertueuses que lon pose. Pour Plotin, sil faut qualifier d heureux , au sens plein du terme, (cest) celui qui le devient sans avoir accompli un grand nombre de belles actions , car quelquun de vicieux tout comme un sage peut accomplir de belles actions et satisfaire le peuple. Ce nest donc pas laction qui fconde le sentiment qui rend lhomme heureux, cest plutt linverse ; cest ltat, la disposition qui engendre le bonheur. En effet la contemplation, lme qui rejoint lintellect est plus grande que le bonheur de lhomme daction. Cest ltat de lme qui donne un sens laction, laction ne suffit pas pour engendrer le bonheur, car il ne suffit pas dtre vertueux pour accomplir une action vertueuse. Le bonheur et la vertu sont des tats de conscience qui nappartiennent pas laction. Il existe ainsi une diffrence palpable entre ces notions, pendant que laction porte sur les objets externes et accidentels, le bonheur quant lui est interne et constant. Cest dans ce sens que Plotin souligne que : placer le bonheur dans les actions, cela revient le placer dans les choses qui sont extrieures la vertu et lme . Le bonheur8 sapplique lme et son activit, mais cest uniquement lme excellente et intellective qui permet lhomme daccder au bonheur, car lactivit de lme rside dans la rflexion et dans le fait daccomplir en elle-mme une activit de ce genre. Voil en quoi consiste le bonheur .

II Des difficults de mener une rflexion sur la relation bonheur et temps. Le bonheur et le temps sont deux notions hermtiques. Certains avec Aristote peroivent ceux-ci lextrieur au travers des actions ; pour dautres, ils sont perus lintrieur travers lintellect comme nous lavons soulign ci-avant avec Plotin. Quels sont donc les obstacles la comprhension de ces notions ? Se ranger du cot de la pense plotinienne sans toutefois examiner les autres horizons philosophiques distincte de cette pense limiterait notre rflexion. 1. Le bonheur nest pas une chose priodique. linverse de Plotin qui pense quon peut tre heureux sans avoir accompli un bon nombre dactions, parce que le bonheur est une disposition de lintrieur, Aristote affirme plutt que la vertu apparat sous un double aspect, lun intellectuel, lautre moral ; la vertu intellectuelle provient en majeure partie de linstruction, dont elle a besoin pour se manifester et se dvelopper ; aussi exige-t-elle de la pratique et du temps, tandis que la vertu morale est fille des bonnes habitudes. Aucune vertu morale ne nat naturellement en nous, cest la nature au8

Aristote soutient dans son Ethique Nicomaque que le bonheur est une activit de lme.

moyen de lhabitude qui coordonne tout. Par exemple, la pierre, qui se porte naturellement vers le bas, ne saurait tre habitue se porter vers le haut, pas mme si des milliers de fois on tentait de ly accoutumer en la lanant en lair ; pas davantage on ne pourrait habituer le feu se porter vers le bas, et, dune manire gnrale, rien de ce qui a une nature donne ne saurait tre accoutum se comporter autrement. Ainsi donc, ce nest ni par nature, ni contrairement la nature que naissent en nous les vertus, mais la nature nous a donn la capacit de les recevoir, et cette capacit est amen maturit par lhabitude 9. En effet, il faut aprs avoir acquis les vertus civiques, acqurir aussi les vertus intellectuelles, ceux-ci ne surviennent qu la suite de lhabitude, la rptition dactions vertueuses, et par consquent demandent du temps. Le bonheur nest donc pas une chose dun instant comme le souligne Plotin, car il faut bien mener nos actions durant un certains temps afin dtre heureux. En somme, pour Aristote, le bonheur, cest de vivre et agir , il faut accumuler les actions vertueuses durant une longue priode pour quelle soit qualifie d heureuse . Le bonheur chez lui a un aspect progressif et rptitif de linfini au prsent. On pourrait tre tent de croire que pour Aristote le bonheur saccrot avec le temps, en fait il considre que le bonheur est qualitativement identique, quil dure une heure ou un an. En fait le bonheur, pour lui, sinscrit dans la continuit. Il pense en effet, quun homme nest heureux que si son bonheur est continu, le bien heureux est celui dont la flicit persiste jusqu' sa mort. Car on ne peut qualifier une vie dheureuse quune fois quelle est arrive son terme () et ainsi la flicit et le bonheur ne sont pas davantage luvre dune seule journe, ni dun bref espace de temps 10. De plus pour lui, tout tre est prdispos acqurir les vertus, car celles-ci garantissent une vie heureuse, mais le principal est de les faire passer lacte, et de les amliorer par lhabitude. Toutefois, quel est limpact de lactivit dans la qute du bonheur ? 1. Le bonheur est activit. Dans sa conception du bonheur, Aristote ne se limite pas la vertu : le bonheur ne peut tre achev sans les biens du corps et les biens extrieurs. Aussi le bonheur de lhomme, sil dpend de lui, dpend aussi des circonstances extrieures ; dire comme les Stociens que le sage est heureux jusque sous la torture, cest digresser. Au contraire, lhomme vertueux est celui qui compose avec les circonstances pour agir avec toujours le plus de noblesse possible : lhomme se contente du meilleur possible, sans tre passif, et ne recherche pas un illusoire absolu. Dans lEthique Nicomaque, Aristote situe le bonheur dans lacte, cette vision est rfut par Plotin qui pense plutt que : placer le bonheur dans les actions, cela revient le placer dans les choses qui sont extrieures la vertu et lme . Lacte pour Aristote est un atout ncessaire pour accder la flicit, car le bonheur sacquire par laction vertueuse. Mais il faut souligner que les biens poursuivis par les praxis et productions nont pas une nature commune. Ils appartiennent des catgories diffrentes, par exemple : lintellect est un bien-substance, les vertus sont des biens-qualits, la juste mesure un bien-quantit, lutile un bien-relation, loccasion un bien-temps, lhabitat un bienlieu. Tout tre humain la naissance est susceptible dtre heureux, nul ne n inapte la vertu. Le bonheur dpend de nous, dans la mesure o il est une activit volontaire. Mais il ne dpend pas entirement de nous. La mauvaise fortune peut nous empcher dtre heureux, mme si on est vertueux, tel est le cas de Priam qui a connu une vie prospre mais une fin malheureuse, pour Aristote il na pas t heureux. La vertu dpend de lducation, et celle-ci9

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ARISTOTE, Ethique Nicomaque, trad. fr. Jules Tricot, Vrin, Paris, 2007, p.94. ARISTOTE, Ethique Nicomaque, trad. fr. Jules Tricot, Vrin, Paris, 2007, p.63.

nest pas en notre pouvoir, Aristote admet quon peut avoir la malchance de recevoir une mauvaise ducation, et que si cest le cas on peut devenir inapte la vertu et donc au bonheur. Si lhomme est constamment confront laction, peut-on lgitimement affirmer sans toutefois se tromper que le bonheur rside exclusivement dans cet tat ?

1. Lactivit constante est un obstacle au bonheur. Si Aristote situe le bonheur dans laction vertueuse, la vie matrielle et affective y contribue galement. Mais on naccde au bonheur complet et parfait que par lactivit intellectuelle savoir la philosophie, car lintellect est ce qui a de plus divin en nous. Par ce dernier point il se rapproche de plotin, sauf quil nen fait pas la condition unique, il se situe plutt dans une voie mdiane o laction vertueuse mne un bonheur dun certain ordre et o lactivit thortique mne au bonheur le plus parfait. La notion de bonheur est difficile saisir cause de sa relation avec le temps qui est croissant, et aussi, parce que cest dans lactivit quon le peroit comme nous lavons soulign ci-haut avec Aristote. Toutefois, il ne faut pas confondre le plaisir au bonheur, car le plaisir qui est de lordre de la satisfaction accidentelle peut nuire au bonheur, il est simple atteindre et pratiquement toujours prsent dans nos vies. Or le bonheur qui lui est plus essentiel pour nous, semble tre difficile se procurer, et plus forte raison le bonheur parfait, car si nous nous penchons sur ce que dit Aristote : () lactivit de Dieu, qui en flicit surpasse toutes les autres, ne saurait tre que thortique 11. Nayant quune parcelle du divin en nous peut-tre ne nous est-il possible daccder qu une parcelle du bonheur parfait. Le bonheur sous ce regard ne serait-il pas rserv exclusivement aux divinits ? Notre lecture des Penses de Pascal peut nous amener affirmer que le bonheur ne serait quune affaire de divinits. Car si nous prenons le bonheur comme un tat de satisfaction au repos, il nous apparatra nergiquement que les hommes sont sans cesse occups, agits, et leur agitation est cause de tracas, et mme souvent de malheurs, par consquent ils ne restent jamais tranquilles chez eux. Rien nest si insupportable lhomme que dtre dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son nant, son abandon, son insuffisance, sa dpendance, son impuissance, son vide , mais malheureusement la qute de lactivit qui produit le bonheur est consum par le malheur, dans la mesure o les divertissements engendre la colre, les querelles, les guerres, les prils et les peines. Dans ce cadre Pascal souligne que : () tout le malheur des hommes vient dune seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, sil savait demeurer chez lui avec plaisir, nen sortirait pas pour aller sur la mer () et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce quon ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand jai pens de plus prs, et quaprs avoir trouv la cause de tous nos malheurs, jai voulu en dcouvrir les raisons, jai trouv quil y en a une bien effective, qui consiste dans le misre naturelle de notre condition faible et mortelle, et si misrable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de plus prs 12.

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. ARISTOTE, Ethique Nicomaque, trad. fr. Jules Tricot, Vrin, Paris, 2007, p. 555 Pascal, Penses, Hachette, Paris, 1950.

En somme, au regard des exigences13 aristotliciennes pour qui la vie heureuse sinscrit dans la continuit, et pour qui le bonheur doit durer toute la vie pour quon puisse dire quun homme a t heureux14, le bonheur se prsente comme lointain de notre tre et par consquent, il ne serait pas absurde de lgitimer la pense pascalienne qui asserte que, cause de linstabilit, lhomme mne une vie malheureuse.

III Le plotinisme comme philosophie du prsent. 1 . Au-del des critiques.

Au del des limites exposs par laristotlisme, cette doctrine subsiste et se pose comme une philosophie pouvant permettre lhomme de rpondre aux questions portant sur la pression du sens de lexistence, de lexcellence (valeurs qui lvent lhomme et diffrents de lacquis), de la dure ou de lternit face au scandale de la mort. En effet, Plotin dvoile dans lEnnade 36, lorigine des sentiments que nous prouvons et sous entend, comment nous devons concevoir les vnements heureux et malheureux qui emplissent notre quotidien afin davoir une vie heureuse. Cette doctrine maintient la flamme de la philosophie dans lurgence par rapport aux problmes du prsent. Plotin exprime limportance du temps dans lactivit humaine qui a pour fin selon Aristote : le bonheur. Il insiste sur le prsent et dnie le pass, car pour lui la vie est prsente, le bonheur se trouve au prsent. Cest gnralement en carence de bonheur dans le prsent que nous voquons le pass pour essayer de palier cette disette, mais cette activit pour Plotin reste toujours oisive. Ce quil ya lieu de faire face la pression de lexistence, cest de vivre la vie de lintellect, laquelle transcende la temporalit et se situe dans lternit. Parce que souligne-t-il, cette vie est parfaite et ne connat ni plus, ni moins ltendue ou linfluence temporelle.

Conclusion. Au total de notre rflexion qui tait port sur lEnnade 36 (I, 5) de Plotin qui sinterrogeait sur la question qui est de savoir si le fait dtre heureux plus longtemps implique laccroissement du bonheur, nous sommes arrivs avec Plotin constater que le bonheur ayant pour particularit lternit ntait pas tributaire du temps et par consquent, on ne pouvait pas parler de croissance. Mais en seconde partie, il nous est avr quil fallait souligner quelques rserves ; sil semble que pour Aristote le bonheur ne saccrot pas avec le temps, il y est tout de mme li. Il sinscrit dans lactivit constante, et par consquent, il sobtient dans lhabitude et la suite dun long labeur ce qui nest pas le cas chez Plotin. Toutefois au-del de cette critique, nous pensons que la pense plotinienne avant de nier la croissance du bonheur par rapport au temps, situe dabord le moment de perception du bonheur, qui est le prsent, et aussi mentionne sa zone de sensation qui est de lintrieur. Cette articulation nous amne donc constater que le bonheur contemplatif, celui de lme qui13 14

Dans lEthique Nicomaque, Aristote souligne que lacquisition des vertus ne se fait pas en un jour. Plotin, Trait 36, tr. fr. Richard Dufour, Flammarion, Paris, 2006, p.374 note 2.

rejoint lintellect est suprieur, mme chez Aristote, au bonheur de laction qui est extrieur lhomme.

ARISTOTE, Ethique Nicomaque, trad. fr. Jules Tricot, Vrin, Paris, 2007.

BALADI N., La pense de Plotin, P.U.F., Paris, 1970.

Pascal, Penses, Hachette, Paris, 1950.

Platon, Time, E. Chambry, Garniers Frres, Paris, 1969.

Plotin, Traits 30-37, tr. fr. sous la direction de Luc Brisson et Jean-Franois Pradeau, Garnier Flammarion, Paris, 2006.

PORPHYRE, Vie de Plotin, II, 40, trad. par . Brhier, Paris, Les Belles Lettres, 1924.