l’éditorial de philippe de saint robert cher claude hagège

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N OUS AIMONS, comme ce héros de Samuel Beckett, les vieilles questions. De toutes les vieilles questions, depuis Babel et la Pentecôte, celle de la langue, des langues que l’on parle et que l’on entend, n’est pas seulement la plus vieille, mais l’une des plus importantes, tant l’être et le parler font un dans toute vie sociale, et par conséquent dans la « société monde ». Si j’ai fait ces deux références, l’une vétéro-testamentaire et l’autre néo-testamentaire, ce n’est pas innocemment. Car si, en édifiant la célèbre Tour, les hommes ont, par un effet de leur orgueil et de la vindicte qui en est ordinaire- ment l’effet, cessé de parler une langue première comme le suggère le Testament, il est remarquable qu’à la Pentecôte, la réponse apportée à cette rupture n’est aucunement le retour à une langue unique – et vous imaginez déjà laquelle elle serait aujourd’hui – mais au contraire un premier recours à ce que veut illustrer votre « Combat pour le français », à savoir « le L’éditorial de Philippe de Saint Robert Revue éditée par l ’Asselaf pour la sauvegarde et l ’expansion de la langue française Cher Claude Hagège N°43 DÉCEMBRE 2006 - JANVIER 2007 recours à la diversité des langues et des cultures », l’effort pour chacun de se mettre à l’écoute, et autant que possible à l’expres- sion, de la langue de l’autre. Tout le monde, nous le savons bien, ne peut être, comme vous- même, plurilingue, et même les parfaits bilingues sont excep- tionnels – mais nous savons également, comme le soulignait Jean Paulhan, que « les mots sont aussi des idées » et qu’il n’est pas admissible, d’un point de vue non plus individuel mais collectif, qu’une uniformisation internationale et prétentieuse du langage engendre non seulement une pensée unique, mais nous assujettisse au système de pensée philosophique, politique, voire et surtout économique, qui s’y rattache. En adossant votre, notre combat pour le français à ce combat pour la diversité et en nous alarmant à juste titre des dangers qui la menacent, vous restaurez une notion authentique de l’universalité d’une langue, qui n’a jamais été de prétendre tenir lieu de toutes les autres, (Suite en page 2.) Pour son livre Combat pour le français, le grand linguiste et polyglotte Claude Hagège, professeur au Collège de France, a reçu le prix des Nouveaux droits de l’Homme, au Sénat, des mains de Philippe de Saint Robert, le 7 décembre 2006. L’allocution de notre président a été l’occasion de saluer le combat de ce scientifique de renom qui refuse « la mort des langues ». Philippe de Saint Robert remettant le prix des Nouveaux droits de l’Homme au professeur Claude Hagège.

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Page 1: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

N OUS AIMONS, comme ce héros de Samuel Beckett, lesvieilles questions. De toutes les vieilles questions,

depuis Babel et la Pentecôte, celle de la langue, des langues quel’on parle et que l’on entend,n’est pas seulement la plusvieille, mais l’une des plusimportantes, tant l’être et leparler font un dans toute viesociale, et par conséquent dansla « société monde ». Si j’ai faitces deux références, l’unevétéro-testamentaire et l’autrenéo-testamentaire, ce n’est pasinnocemment. Car si, en édifiantla célèbre Tour, les hommes ont,par un effet de leur orgueil et dela vindicte qui en est ordinaire-ment l’effet, cessé de parler unelangue première comme lesuggère le Testament, il estremarquable qu’à la Pentecôte,la réponse apportée à cetterupture n’est aucunement leretour à une langue unique – etvous imaginez déjà laquelle elleserait aujourd’hui – mais au contraire un premier recours à ceque veut illustrer votre « Combat pour le français », à savoir « le

L’éditorial de Philippe de Saint Robert

Revue éditée par l ’Asselaf

pour la sauvegarde et l ’expansion de la langue française

Cher Claude Hagège

N°43DÉCEMBRE 2006 -JANVIER 2007

recours à la diversité des langues et des cultures », l’effort pourchacun de se mettre à l’écoute, et autant que possible à l’expres-sion, de la langue de l’autre. Tout le monde, nous le savons bien,

ne peut être, comme vous-même, plurilingue, et même lesparfaits bilingues sont excep-tionnels – mais nous savonségalement, comme le soulignaitJean Paulhan, que « les motssont aussi des idées » et qu’iln’est pas admissible, d’un pointde vue non plus individuel maiscollectif, qu’une uniformisationinternationale et prétentieuse dulangage engendre non seulementune pensée unique, mais nousassujettisse au système depensée philosophique, politique,voire et surtout économique, quis’y rattache.

En adossant votre, notrecombat pour le français à cecombat pour la diversité et ennous alarmant à juste titre desdangers qui la menacent, vous

restaurez une notion authentique de l’universalité d’une langue,qui n’a jamais été de prétendre tenir lieu de toutes les autres,

(Suite en page 2.)

Pour son livre Combat pour le français, le grand linguiste et polyglotte Claude Hagège, professeur au Collège deFrance, a reçu le prix des Nouveaux droits de l’Homme, au Sénat, des mains de Philippe de Saint Robert, le 7décembre 2006. L’allocution de notre président a été l’occasion de saluer le combat de ce scientifique de renom quirefuse « la mort des langues ».

Philippe de Saint Robert remettant le prix desNouveaux droits de l’Homme au professeur Claude Hagège.

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d’une épreuve qui aurait pu consacrer pourlongtemps l’effacement de la France dansun monde qui semblait alors voué à unbipolarisme délétère, qu’on sait aujour-d’hui disparu.

Dès 1987, dans un précédent ouvrageintitulé Le français et les siècles, ouvragedont l’immense mérite est d’être celui d’unlinguiste qui consent à sortir de son ghettoscientifique, vous reconnaissiez que, « souscouvert de science non normative, leslinguistes apportent leur caution à tous lesabus », et vous ajoutiez que « l’absence dedialogue entre linguistes et gardiens de lalangue est surprenante ». Vous ouvriezainsi un dialogue nécessaire, même si l’oncroit comprendre que les linguistes quis’engagent dans cette affaire, dont vousêtes, le font par éthique personnelle. « Àl’émoi du grammairien, ajoutiez-vous, lepouvoir fait volontiers écho. Car de Fran-çois Ier au général de Gaulle en passant parLouis XIV, c’est une tradition solidementétablie en France, que de voir dans la puretéde la langue l’image de la grandeur del’État. » Mais tout le monde est aujourd’huid’accord pour dissocier la politique linguis-tique, qui est de toute évidence nécessaire,de la sympathique contestation puriste dontl’auteur dit avec modération qu’elle « estaussi compréhensible dans ses mobiles quedérisoire par sa portée. »

Vous ajoutiez : « Il en résulte que l’in-tervention, encouragée par une situationqui la rend tout à fait imaginable et non

mais plutôt de donner accès à tous lesdomaines des arts, des sciences et descultures. Ce que l’ordonnance de LouisXIII fondant l’Académie française appelaitles arts et les sciences n’est rien d’autre quece que nous appelons aujourd’hui lessciences et les techniques. Certes, il n’y apas de hiérarchie de valeur entre les innom-brables langues encore parlées dans lemonde – et dont vous êtes un éminentspécialiste – mais nous savons quecertaines ne sont pas encore transcrites etdonc n’ont pu donner le jour à des œuvresécrites (à cela on doit aujourd’hui veillerafin qu’elles ne disparaissent pas avec leurhéritage culturel ou religieux), et certaines,en revanche, ont le bonheur historiqued’être plus répandues que d’autres, parléespar divers peuples ou sur diverscontinents : l’Organisation des NationsUnies, et avec elle la plupart des organisa-tions internationales qui se respectent, enretiennent six : l’anglais, le français, l’espa-gnol, le russe, le chinois et l’arabe ; leSecrétariat de l’Organisation fonctionne(théoriquement) avec deux langues detravail. Donc, défendre la place de notre

langue dans les relations internationalesn’est pas revendiquer un tabouret deduchesse dans une vieille cour, mais êtrefidèle au rôle que toutes les nations fonda-trices nous ont reconnu, au lendemain

illusoire, peut, si elle est mesurée etadéquate à son objet, ne plus apparaîtrecomme une offense à la nature. […] Inter-venir, ce n’est nullement méconnaître quel’emprunt est une donnée naturelle et nonune maladie accidentelle à enrayer. L’heu-reux aboutissement d’actions ponctuellessur le vocabulaire a valeur éminented’exemple. » Si « l’anglais n’a pas atteintle noyau dur de la langue française »,notiez-vous encore, « on peut admettre quepour tous ceux qui assignent à leur languela définition de leur identité culturelle, descontaminations radicales et fulgurantessoient susceptibles d’apparaître comme deredoutables menaces. »

J’ai noté chez vous une évolution dontje prendrai la source dans un dialogue quevous avez eu en décembre 1986 (il y a juste20 ans) avec votre maître Georges Dumézil,qui étalait devant vous un scepticismecourant chez les grands savants, quant àl’avenir de notre langue. Vous lui répondiezmodestement : « Vous êtes un Français deFrance, même si vous avez été un peu deTurquie. Moi, je suis un périphérique fran-cisé. J’en suis conscient. L’évidence duspectacle qui s’offre sous nos yeux, si je neparlais qu’en linguiste, devrait me faire direabsolument la même chose que vous : lefrançais a fort peu de chances de survivre etil est appelé sans doute à ne pas être tenucomme une des grandes langues de cultureou même de communication. Nous avonsperdu. Mais le fait que je suis un ancienenfant qui, dans les écoles françaises oùl’envoyaient sa mère et son père, buvaitavec passion ce qu’on lui enseignait,m’amène à voir le problème autrement :comme linguiste professionnel, je vois bienque le français est foutu, enfin, est menacé,mais je n’arrive pas à y croire tout à fait. »

Vous êtes aujourd’hui beaucoup pluscombatif. Vous l’étiez déjà dans l’entretienque vous donniez à la revue des Nouveauxdroits de l’Homme, joliment appelée Arc enciel, en 1999, lorsque, répondant à la ques-tion de savoir si la mondialisation écono-mique allait entraîner un appauvrissementculturel, vous répondiez sans hésiter :« Sans aucun doute. D’autant que lamondialisation dont on parle est, en réalité,une américanisation que les gens ne veulent

Revue éditée par l’Associationpour la sauvegarde et l’expansionde la langue française (ASSELAF)

22, rue François-Miron, 75004 Paris

Courriel : [email protected] : www.asselaf.org

Directeur de la publicationPhilippe de Saint Robert

Rédacteur en chefPhilippe Loubière

Comité de rédactionPierre-Valentin Berthier –

Bernard Thibault – Eugène Simongiovanni

Relecture Nicole Vallée

Impression Imprimerie Simon – 25290 Ornans

Ancien n° de commission paritaire : 73426

*Prix du numéro : 5 euros

Abonnement annuel : 20 euros(10 euros pour les adhérents)

Abonnement de soutien : 30 euros(minimum)

(Suite de l’éditorial.)

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Page 3: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

pas avouer. » Vous ajoutiez d’ailleurs que« les Américains intelligents sont, par défi-nition, anti-américains puisqu’ils sontparfaitement informés de cette situation.Ils savent, eux, qu’il y a énormément àprofiter de la culture européenne. Donc, jedirais que plutôt qu’uneattitude que je ressenscomme un combat d’ar-rière-garde, je préco-nise une attitude trèsoffensive, faisant péné-trer partout la cultureeuropéenne, lui donnantune allure de modèle etla présentant commequelque chose qui faittrès efficacementcontrepoids à la trèsforte pression impéria-liste des États-Unisdans la plupart desdomaines impliquant la créativité ».

Vous aviez raison de soulever dès alors,dans votre analyse de la politique linguis-tique de la France, l’équivoque que repré-sente le fait que désormais elle semblechoisir de s’avancer masquée derrière unepromotion un peu confuse du multi-linguisme.

Soyons réalistes. Nous voyons bien, parexemple, que si, dans l’espace babélien del’Union européenne, nous prêchons pourun multilinguisme généralisé, nous aboutis-sons encore à favoriser le système que tendactuellement à faire prévaloir la Commis-sion européenne et qui aboutit, devant uneexcessive diversité des langues nationales,à favoriser une fois de plus l’anglo-améri-cain aux dépens de toutes les autreslangues. De nombreux exemples ont étérécemment donnés de cette dérive, notam-ment lors des négociations pour l’entréedes pays de l’Est européen dans l’Union,alors que certains d’entre eux, tels laBulgarie et la Roumanie, étaient encore fortattachés à l’usage de la langue françaisedans leurs relations internationales. Cettepolitique aboutit immanquablement à défa-voriser les pays non anglophones del’Union européenne, en leur retirant toutepossibilité de choix. Comme vous ledémontrez, « à l’inégalité face au texte écrit

s’ajouterait l’inégalité face à la prise deparole dans une négociation, une contesta-tion ou un débat public, car les non-anglo-phones, du fait de l’insécurité et du troubleoù les mettrait leur insuffisante compé-tence, seraient menacés d’une incapacité à

donner leur vraie mesure. Au contraire, lesanglophones n’auraient plus vraimentbesoin, au moins dans leurs activitésprofessionnelles, d’apprendre les autreslangues européennes. […] Autant dire quele consentement des pays non anglophonesà la promotion de l’anglais en tant quelangue internationale officielle non seule-ment coûterait à ces pays des sommesconsidérables, mais ferait d’eux, en outre,des agents indirects du financement de lacroissance américaine. On peut, enfin, sedemander si l’enseignement généraliséde l’anglais instaure une meilleure commu-nication internationale, et s’il ne confortepas plutôt la domination d’une certaineidéologie économique et culturelle quis’exprime en anglais dans la mesure mêmeoù son ambition est inspirée par le modèledes pays anglophones. Ce qui est vrai del’anglais le serait de toute langue communeunique. » Sauf évidemment si l’on en reve-nait à une langue totalement neutre, commele latin.

En réalité, vous ne vous posez pas vrai-ment les questions que vous soulevez. Vousy répondez de livre en livre avec plus deprécision. D’autres vous ont précédé. D’au-tres vous suivront. Je pense au Parlez-vous

franglais ? d’Étiemble, en passant par LeFrançais pour qu’il vive de Gabriel deBroglie, La grammaire est une chansondouce d’Erik Orsenna et le « Que Sais-Je ? » de Marie-Josée de Saint Robert surLa politique de la langue française,

jusqu’aux tout récentsouvrages de BernardLecherbonnier (Pour-quoi veulent-ils tuer lefrançais ?), de Jean-Marie Borzeix (LesCarnets d’un franco-phone) et de Paul-MarieCoûteaux, si pertinem-ment intitulé Être etparler français. Il estutile d’être pragmatique,il n’en est que meilleurparfois d’être essentia-liste. Dans la conclusionde votre Combat pour le

français, vous rappelez que les languessont des espèces vivantes qui prennentsource au plus profond de l’humanité, etc’est pourquoi vous affirmez que « toutindividu soucieux de défendre son âme faceau péril qui le menace ne peut ignorer qu’illui faut livrer un combat », et que, « fautede le faire, on s’incline devant l’ordre deschoses, on se persuade qu’il est inéluctableet donc que l’on est soumis, comme avecles lois de la nature, à un processus d’en-tropie. Or, une riposte est possible : qu’est-ce que le sens de l’aventure humaine, sinond’être un effort pour dompter l’entropie ? »Mais c’est l’Europe tout entière qui setrouve ici investie d’une tâche essentielle.Malheureusement, les institutions de cetteEurope, rongées par la violence du mercan-tilisme néo-libéral, non seulement nesemblent guère s’en préoccuper, mais onpourrait même les soupçonner de mauvaisefoi, voire d’hostilité à peine masquée. Dèslors, je ne saurais trop nous inviter tous àpoursuivre le combat auquel vous nousconviez avec ce livre, qui n’est pas seule-ment celui d’un linguiste mais aussi celuid’un combattant. Nous le savions bien,vous nous aviez prévenus. Vous n’êtes pasune Cassandre à cocarde. Pourquoi ce prixdes Nouveaux droits de l’Homme ? C’estqu’il n’est aucun domaine où le droit despeuples et des individus ne coïncide mieuxque dans celui du droit à sa langue, qu’elle

(Suite en page 5.)3

Une assitance attentive aux parolesdu prestigieux récipiendaire.

Page 4: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

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Communiqué de l’Académiede la Carpette anglaise

Les deux Carpettes anglaises de l’année :

Le Conseil constitutionnel :neuf « sages » qui faillissentà défendre l’article 2 de laConstitution. Pauvre Sphinge…

Ernest-Antoine Seillière :heureux impétrant d’une Carpette

bien méritée !

* La Carpette anglaise, prix d’indignitécivique, est attribué à un membre des« élites françaises » qui s’est parti-culièrement distingué par son acharnementà promouvoir la domination de l’anglo-américain en France au détriment de lalangue française.

** Association pour la sauvegarde et l’ex-pansion de la langue française, Avenir de lalangue française, Cercle des écrivainscheminots, Défense de la langue françaiseet le Droit de comprendre.

*** Le prix spécial à titre étranger estattribué à un membre de la nomenklaturaeuropéenne ou internationale, pour sacontribution servile à la propagation de lalangue anglaise.

Philippe de Saint Robert, président de l’Asselaf et président de l’Académie de la Carpette anglaise, MarcFavre d’Échallens, secrétaire de l’Académie de la Carpette anglaise et secrétaire général de DDC (Droit decomprendre), Hervé Bourges, ancien PDG de TF1 et ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel,Raymond Besson, président du CLEC (Cercle des écrivains cheminots), Anne Cublier, Claude Duneton, YvesFrémion, élu au Conseil régional d’Île-de-France, Michel Girardin, Alain Gourdon, Guillemette Mouren-Verret,secrétaire générale de DLF (Défense de la langue française), Dominique Noguez et le président d’ALF (Avenirde la langue française), Albert Salon, sont membres de cette académie.

Contact : Marc Favre d’Échallens,secrétaire de l’Académie de la Carpette anglaise.

Courriel : [email protected]émie de la Carpette anglaise,

chez Droit de Comprendre34 bis, rue de Picpus, 75012 Paris

Entouré de Guillemette Mouren etde Marc Favre d’Échallens, le

président proclame les résultats.

Ernest-Antoine Seillière, présidentde l’UNICE (Union des industries dela Communauté européenne), pouravoir prononcé un discours enanglais lors du Conseil européen deBruxelles en mars 2006.

dans l’information des actionnairesen cas d’appel public à l’épargne.

Le prix spécial à titreétranger *** a été attribué à M.

L’ACADÉMIE de la Carpette an-glaise *, présidée par Philippe deSaint Robert, s’est réunie le 22

novembre 2006. Le jury, composé dereprésentants des associations ** etde la société civile et littéraire, avaitretenu six candidats. Le prix de laCarpette anglaise a été décerné aupremier tour de scrutin, à la majoritéabsolue, au Conseil constitutionnel,pour ses nombreux manquements àl’art. 2 de la Constitution qui disposeque « la langue de la République estle français » :– pour avoir, il y a quelquessemaines, déclaré conforme à laConstitution le protocole de Londressur les brevets européens, permet-tant ainsi à un texte en langueanglaise ou allemande d’avoir uneffet juridique en France.

Le Conseil constitutionnel s’était déjàsignalé :– en 1994, par la censure abusive dela loi Toubon, sous l’influence desmilieux publicitaires ;– en 2002, par la validation de la loiMurcef autorisant la Commission desopérations de bourse (COB) à secontenter de résumés en français

Page 5: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

(Suite en page 10.)

MOINS TORDU que Clearstream,moins spectaculaire que leClemenceau, l’événement ne

fait pas la une des journaux. Il le pour-rait pourtant, révélateur d’une incuriesupplémentaire de nos gouvernantsqui, à moyen terme, ruinera un secteurd’activité dont on parle peu, mais dontl’impact culturel et économique est loind’être négligeable : l’enseignement dela langue française aux étudiantsétrangers.

Tribune libre « Français langue étrangère »

Pourquoi la France ne veut-elle plusaccueillir ceux qui aiment sa langue ?

L’initiative vise à regrouper auprèsdes organismes consulaires, dans unesorte de guichet unique, le C.E.F (centrepour les études en France), les servicesde délivrance de visas aux étrangerssouhaitant venir apprendre le françaisen France. On pourrait a priori se féli-citer de cette volonté de rationalisation,si elle n’était pas l’exemple même de lafausse bonne idée. Seuls les étudiantsétrangers faisant état d’une pré-inscrip-tion à un cursus universitaire ultérieurau sein de l’Université française, pour-ront obtenir des visas de plus de troismois.

En clair : le ministère des Affairesétrangères ne considère plus que l’ap-prentissage du français représenteun projet d’études à part entière.Conséquence : les stages linguistiquesne peuvent plus justifier une demandede visa. Les personnes qui voudraientapprendre notre langue pour desdurées de plus de trois mois sans avoirla volonté d’intégrer une université fran-çaise, c’est-à-dire continuer leursétudes supérieures aux frais du contri-buable français, devront rester chezeux, ou se contenter d’un stage pluscourt en France, avec un visa touris-tique (surtout ne pas dire qu’on vientétudier !).

Or, elles sont nombreuses cespersonnes-là : étudiants venant passerun semestre chez nous et continuer desétudes spécialisées dans leurs uni-versités respectives ; professionnelsvoulant trouver un travail dans leur paysau sein d’entreprises ouvertes sur l’in-ternational ; candidats à des examens

ou des concours exigeant la maîtrise dufrançais ; jeunes voulant mettre à profitune période de transition (attente d’uneplace à l’Université de leur pays) ou toutsimplement amoureux de notre langueet de notre culture, et qui viennent enFrance pour le plaisir. Une estimation

5

(Fin de l’éditorial.)

soit maternelle ou choisie. Il n’y a pas, nousle savons bien, de crise particulière de lalangue française ; ce dont nous souffrons,comme le soulignait naguère DominiqueNoguez, c’est d’une véritable « trahisondes clercs » qui se croient nos élites, àl’égard de la langue qui pourtant les a faitsceux qu’ils sont et à laquelle ils semblentrenoncer si volontiers. Nous avons mêmeinventé, par dérision, depuis quelquesannées, un prix de la Carpette anglaise qu’ànotre grand regret nous avons dû décernercette année au Conseil constitutionnel pouravoir, une troisième fois, commis un véri-table déni d’interprétation à l’égard de l’ar-ticle 2 de notre Constitution, qui préciseque la langue de la République est le fran-çais. Voilà les vraies raisons, je me réfère àvotre rejet de toute entropie, de vousremettre ce prix.

P.S.R.

Cet article de Patrick de Bouter, professeur de français langue étrangère (FLE) et spécialiste reconnu de la pédagogie du FLEpar le théâtre, a été adressé à différents journaux dans le courant de 2006, avant d’être hébergé sur le site de la très officielleAgence de promotion du français langue étrangère (www.fle.fr).

La rédaction de Lettre(s) n’a pas manqué de réagir à cette tribune en forme de cri d’alarme provoqué par un nouveau coup basporté à la diffusion de la langue française par le ministère des Affaires étrangères. Nous déplorons encore une fois que notre seulepolitique en ce domaine soit l’habituelle et croissante restriction de visas pour les étrangers francophones désireux de se perfec-tionner en français dans notre pays.

récente du ministère des Affaires étran-gères évaluait à une bonne centaine demilliers par an les étrangers qui serépartissent ainsi dans les 300 établis-sements d’enseignement du françaislangue étrangère (FLE) répartis sur l’en-semble du territoire.

Ils veulent apprendre notre langue,mais ils ne sont plus les bienvenus ! Etsurtout, qu’on ne nous dise pas quecette mesure est dans la logique destextes législatifs visant à endiguer lesflux migratoires, puisque justement cespersonnes n’ont pas vocation à resterchez nous. Elles rentreront toutes chezelles une fois leurs stages terminés.

Le C.P.E. avait jeté les Français dansla rue. Les C.E.F. mériteraient le mêmesort. Là aussi, la mesure est unilatérale.

Page 6: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

Vérité en deçà des Alpes, erreur au delà…

Romano Prodi enjoint à ses ministresde ne pas travailler sur des textes européens

non traduits en italien !Après avoir beaucoup fait lorsqu’il présidait la Commission européenne pour favoriser l’anglais, en grande partie au détriment

du français, voici que Romano Prodi se montre soucieux de l’italien en prenant la présidence du Conseil de son pays. Celui-ci a, eneffet, envoyé le 19 octobre dernier une circulaire à ses ministres, leur enjoignant de ne travailler sur des textes européens que s’ilssont traduits en italien et, à Bruxelles, de ne pas participer à des votes lorsque l’interprétariat en italien et de l’italien n’est pasassuré. Voici le texte de cette circulaire, traduit de l’italien par la rédaction de Lettre(s).

Quand on pense que les ministres français préféreraient être hachés menu plutôt que d’observer la même pratique, alorspourtant que le français est langue officielle et de travail de l’Union ; quand la triste Catherine Colonna ose justifier « pour desraisons d’efficacité » cette carpettisation linguistique, on se prend à envier l’efficacité italienne…

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ROMA, 19/10/2006

AI MINISTRI DEL GOVERNO. LOROSEDI.AUX MINISTRES DU GOUVERNEMENT,LEUR SIÈGE.

Carissima, Carissimo,Très chère, très cher,

IL GOVERNO mantiene una chiara posi-zione all’interno delle Istituzioni comuni-tarie volta a tutelare la pari dignità

linguistica degli Stati membri dell’Unione eil rispetto della loro diversità linguistica eculturale contrastando la prassi dellaCommissione di discostarsi in modo cres-cente da tali principi introducendo l’ambiguanozione di « lingue di lavoro » o « di proce-dura » con l’effetto di creare una gerarchia tralingue a vantaggio di inglese, francese etedesco.

LE GOUVERNEMENT suit une positionclaire à l’intérieur des Institutionscommunautaires en vue de préserver

l’égale dignité linguistique des Étatsmembres de l’Union et le respect de leurdiversité linguistique et culturelle, à la diffé-rence des pratiques de la Commission quis’écarte de façon croissante de tels principesen introduisant la notion ambiguë de« langue de travail » ou « de procédure », cequi a pour effet de créer une hiérarchie entreles langues, à l’avantage de l’anglais, dufrançais et de l’allemand.

Insieme alla Spagna conduciamo datempo un’azione congiunta di contrasto

contro tale inaccettabile prassi, sia attraversol’impugnazione davanti alla Corte di Gius-tizia di specifici atti della Commissione, siaattraverso il costante monitoraggio da partedelle Rappresentanze Permanenti aBruxelles. Questa nostra azione sta riscuo-tendo interesse e sostegno anche di altri Statimembri.

De conserve avec l’Espagne, nousmenons depuis longtemps une actionconjointe contre de telles inacceptablespratiques, soit en exerçant des recoursdevant la Cour de Justice pour des actesspécifiques de la Commission, soit en stimu-lant la vigilance constante des Représenta-tions permanentes à Bruxelles. Notre actionéveille également l’intérêt et le soutien d’au-tres États membres.

Mentre per le riunioni formali che sisvolgono nell’ambito del Consiglio è statodefinito un soddisfacente e paritario regimedi interpretariato, si dovrà vigilare affinchénelle riunioni informali che si svolgono nelPaese che esercita la Presidenza dell’Unionevenga sempre e comunque garantito l’inter-pretariato attivo e passivo per l’italiano, finoa contemplare la concreta possibilità di nonpartecipare alla riunione nel caso che talesoluzione non venga garantita.

Alors que pour les réunions formelles quise déroulent dans le cadre du Conseil, unrégime d’interprétariat satisfaisant et pari-taire a été défini, on devra veiller à ce que,dans les réunions informelles qui se dérou-lent dans le pays qui exerce la présidence del’Union, l’interprétation en italien et de l’ita-

lien soit toujours et dans tous les casgarantie, jusqu’à prévoir la possibilitéconcrète de ne pas participer à la réunion aucas où une telle solution ne serait pasgarantie.

Occorrerà altresì esercitare la massimasorveglianza al fine di evitare, nell’ambitodei lavori del Consiglio e della Commissione,di partecipare a discussioni e votazioni ogniqualvolta non si disponga dei documenti dilavoro nella nostra lingua. Solo con compor-tamenti omogenei e ispirati al massimo rigoresarà possibile condurre efficacemente unabattaglia a difesa dell’italiano, che da tempoci vede impegnati e che confidiamo possapresto dare risultati concreti e visibili.

Il faudra de même exercer la plus grandesurveillance afin d’éviter, dans le cadre destravaux du Conseil et de la Commission, departiciper à des discussions et des voteschaque fois que l’on ne disposera pas desdocuments de travail dans notre langue.C’est seulement avec des démarches homo-gènes et inspirées de la plus grande rigueurqu’il sera possible de mener efficacement unebataille pour la défense de l’italien ; ellessont engagées depuis longtemps et noussommes confiants qu’elles pourront donnerrapidement des résultats concrets et visibles.

L’occasione mi è grata per porgere i mieipiù cordiali saluti.

Je profite de l’occasion pour vous offrirmes plus cordiaux saluts.

Romano PRODI

Page 7: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

(Suite en page 8.)

Contre « addictions »

Soigner en prioritéle ministre de la Santé !

EN NOVEMBRE DERNIER, Xavier Bertrand,le ministre de la Santé, a installéune commission pour évaluer la

mise en œuvre et l’efficacité du planministériel de lutte contre la dépendanceaux drogues de toute sorte. CetteCommission était attendue par lesprofessionnels de lasanté, médecins et asso-ciations spécialisés prin-cipalement, qui espèrentqu’elle pourra faire du bontravail.

Il semble bien cepen-dant qu’une dépendanceait été oubliée dansle programme de laCommission en question :la dépendance au pédan-tisme anglomane, dépendance dont, àl’évidence, le ministre Bertrand a grandbesoin d’être soigné.

Le ministre a, en effet, affublé cetteestimable Commission d’une bien éton-nante dénomination : au lieu de« Commission contre la dépendance »,voire, en abrégé, « Commission Dépen-dance », ou bien tout simplement

« Commission Toxicomanie », le ministrel’a appelée « Commission Addictions ».Et l’on sait que le mot addiction n’est riend’autre que la traduction de dépendanceen anglais.

En ne donnant pas à une Commissionministérielle un nom en français, le

ministre contrevient pour-tant de façon flagrante àl’art. 2 de la Constitution,comme il contrevient à laloi Toubon, autant qu’à lacirculaire Raffarin du 14février 2003, circulairedont on se demande sielle est un jour entrée envigueur…

Ce mépris tant de lalangue française que de

la Constitution n’a manifestement émupersonne, ni à l’Élysée, ni à Matignon,ni au palais Bourbon, ni au Sénat, pourne pas parler du Conseil constitu-tionnel…

Mais nous ne sommes pas à unecontre addiction près !

Ph. L.

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Des nouvelles de la francophonie…

Xavier Bertrand, un ministre àsevrer d’urgence de sa dépen-

dance anglomane.

La Suisse doit mieux mériterson auréole de pays multiculturel

RECONNAÎTRE ET FAVORISER la diversitéculturelle, comme la Suisse s’estengagée à le faire à l’Organisation

internationale de la Francophonie et àl’UNESCO, doit commencer par elle, au plannational, en n’acceptant pas de donner lapréséance à l’anglais.

La francophonie présente, comme laLune, deux faces : l’une toujours éclairée,l’autre immuablement sombre et glacée.Voilà qui pourrait se démontrer de diverses

manières, en commençant par le colloque detrois jours organisé la semaine dernière àGenève par l’École de langue et civilisationfrançaise.

On y débattit longuement, sous labaguette du jeune professeur Laurent Gajo,des mérites et des aventures mondiales denotre langue. Excellente initiative. Mais c’estla même Faculté des lettres, à laquelle serattache l’école, qui se rendit coupable d’unegoujaterie dont j’ai déjà parlé (je ne m’enlasserai pas) : recevant de Moscou la lettre

d’un étudiant russe qui demandait à suivre lescours d’été de cette année 2006 pour perfec-tionner son français, elle ne trouva rien demieux que d’établir avec ce jeune hommeune correspondance en anglais. « Le pauvre,nous dit une amie moscovite, il est tout désar-çonné ! »

Et voilà comment nous informons la terreentière que nous méprisons notre propreculture, et que, comme vient de l’affirmer uneagence de publicité suisse alémanique,l’anglo-américain n’est autre que « la languede l’avenir ». Baissez le rideau !

Il y a tout de même d’excellentesnouvelles, dont la plus récente est le rejet parles Zurichois de l’initiative dont les auteurs(et non les initiants, quel barbarisme !)voulaient que les élèves de l’école primairen’apprennent qu’une langue seconde, àsavoir évidemment celle qui leur permet-traient de mieux jouer avec un ordinateur.Événement peut-être historique pour laSuisse, mais auquel, toujours plus résolumentmédiocre, le téléjournal romand n’a donné lesoir du 26 octobre qu’une petite place,derrière beaucoup d’autres, et sans titre nicommentaires.

Le lendemain, certes, la presse écrite afait beaucoup mieux. Il n’empêche que c’estla face glacée, pour ne pas dire glaciale etmême glaciaire, où se situent beaucoup derédactions de notre pays : nous ne lirons pasavant longtemps que des avions s’écrasent,puisqu’ils continueront à se crasher, lesanglicismes font fureur ; et les rédacteurs enchef accueillent avec une indifférence mêléede commisération les malheureux qui serisquent à le déplorer. De quoi, certes, donnerbonne conscience à beaucoup d’anglomanes,et notamment au directeur général de laPoste, qui s’apprête à couvrir le pays deboîtes aux lettres décorées de l’inscription(en gras) Postmail, comme pour annoncer,souligner et prouver que dans tout le pays la« langue de l’avenir » est déjà celle duprésent.

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du problème démographique qui ferapeut-être disparaître l’Europe en deuxgénérations, j’ai été invité à Bruxellesparmi une foule d’autres « experts ». Or laCommission, comme beaucoup d’admi-nistrations, est incapable de monter desréunions un peu complexes en temps eten heure, donc en sous-traite l’organisa-tion à des professionnels qui eux-mêmesen sous-traitent une part à des agencesde voyage.

Toute cette préparation matérielles’est faite par internet en anglais. J’aisystématiquement répondu en français,apparemment au grand plaisir desemployés bruxellois francophones quim’ont répondu de même. Je me suisaperçu au passage que d’autres Français

présenter comme un État pleinement germa-nophone quand elle négocie avec l’Allemagneou l’Autriche ; pleinement italophone quandelle voisine avec l’Italie ; et pleinement fran-cophone quand elle tchatche avec la France, laBelgique ou le Québec.

Conséquence en politique intérieure : il nepeut y avoir de hiérarchie des langues. Consé-quence en politique internationale : nous noussommes engagés à reconnaître et favoriser ladiversité culturelle (promesse du resteconfirmée par un récent vote à l’Unesco). Et laplus élémentaire décence exige que nouscommencions par nous-mêmes : il seraitabsurde et scandaleux de donner à l’anglais,même si nous reconnaissons sa valeurd’idiome passe-partout, une préséance quel-conque sur nos langues nationales.

Ainsi, le paysage commence à se dessinerplus nettement. Il dépend de notre volontéque, désormais, nous méritions mieux notreauréole – dont nous sommes si fiers – de paysmulticulturel.

Jean-Marie VODOZ

Le Temps, 1er décembre 2006

ON PEUT SE DEMANDER si un processusanalogue n’est pas en cours avecl’anglais. Il ne s’agit pas des

organes de la Commission européennedont on connaît la dérive, et qui estsouvent épinglée par les militants de lafrancophonie. C’est plus grave : même sila Commission dévie de plus en plus, leplurilinguisme officiel défend (peu et mal)le français. Il n’en va pas de même dansles entreprises privées périphériques, jeveux dire celles qui ont comme client ouinterlocuteur principal les organes de laCommission. Pour « des raisons desimplicité », elles font travailler enanglais leurs employés francophones.

Je viens une fois de plus de le cons-tater : la Commission s’étant enfin émue

On a dit mille fois les raisons qu’il y avaitd’espérer, et qu’il y a maintenant de célébrer,la décision zurichoise. Tous les adversaires del’initiative, on le sait aussi, n’avaient pas pourgrand amour le français, ni pour unique soucila cohésion nationale. Qu’importe ! Lebonheur, dimanche soir, de Régine Aeppli,chef de l’Instruction publique de ce grandcanton, nous suffit.

On devrait invoquer aussi l’inlassable etprobablement décisive action de plusieursamis de la Suisse romande, à commencer parl’omniprésente Christine Le Pape Racine,didacticienne alémanique et polyglotte,personnage d’importance nationale, quimenait campagne depuis plusieurs mois, et quilance à l’école publique le défi dont elle abesoin : il est temps pour les enseignants de se

lancer à l’eau, oui, de plonger sérieusementles enfants dans le bain, dans le jacuzzi deslangues.

Mais il est un argument que, jusqu’ici, lescommentateurs n’ont pas invoqué : la Suisseest membre de l’Organisation internationalede la Francophonie, adhésion que les Cham-bres fédérales ratifièrent, en 1995, à l’unani-mité. Harmonie d’ailleurs un peu suspecte :beaucoup de parlementaires devaient consi-dérer l’OIF comme une amicale folklorique.

À leur insu, pourtant, leur vote revêtaitune importance considérable. Pour lapremière fois, le Conseil fédéral et le Parle-ment reconnaissaient explicitement que laConfédération n’est pas simplement unensemble trilingue (à la rigueur quadrilingue)où l’allemand domine ; mais qu’elle doit se

(Suite de la page 7.)

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… des nouvelles…

Une tache d’huile anglaiseà Bruxelles ?

répondaient mécaniquement en anglais,quitte à le regretter lorsque je leur aidemandé ensuite pourquoi. Une fois àBruxelles j’ai cherché mes interlocuteursde messagerie et leur ai demandé lepourquoi de cet usage exclusif de l’an-glais dans leur entreprise. Bien sûr, il yeut la réponse classique : « pour simpli-fier », mais elle manquait souvent deconviction. Ma réponse : « Vous vousferez remplacer un jour par un nativespeaker qui parlera forcément mieuxanglais que vous : regardez les entre-prises de lobbying ! »

Cela semble avoir fait mouche.

Yves MONTENAY

BRUXELLES, quoique entourée de territoire flamand, est une ville que l’on sait franco-phone au moins depuis Charles Quint, qui y fit ouvrir des écoles en français à la

demande de la population. Après 1830, lorsque la ville a été choisie comme capitale dunouveau pays et parce que le français en était la langue officielle, les Flamands, quiredoutaient la « francophonisation » de la banlieue, ont dénoncé une « tache d’huile »qui mordrait sur « les terres flamandes ». Au XXe siècle, lorsque l’évolution de la popu-lation belge a donné à la communauté flamande un poids démographique supérieur àcelui de la communauté francophone, la majorité flamande a voté les lois linguistiquesque nous savons : interdiction administrative et professionnelle du français enbanlieue, même là où il est majoritaire, quitte à laisser quelques « facilités » ponc-tuelles, mal respectées, aux francophones, dans leurs rapports avec l’administration.

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en anglais. C’est un signe d’intelligenceque de se tourner de temps à autre ducôté de l’ennemi. Je blague. Meslectures des magazines anglophonesm’ont convaincue que le phénomènede dilution d’une langue, ses empruntsà celles qui entourent sa carte géogra-phique, est un phénomène inter-national qui devrait bientôt nousentraîner tous à parler davantagele… chinois.

LE QUÉBEC est une girouettebaignant, dans toutes ses direc-tions, au centre d’une mer anglo-

phone, comme tout le monde le sait.Même la flotte de la CanadianSteamship Line de Paul Martin, l’an-cien Premier ministre du Canada,battait pavillon anglophone et déposaitses profits faramineux dans desbanques anglophones des Bahamas.Scandale toléré par le bon peuplequébécois qui a la réputation de neconnaître aucune intransigeance.

J’ai constaté que, malgré son étatpolitique cahoteux, celui de la languefrançaise, parlée par plus de 80 % desQuébécois, est nettement moins enpéril que vous semblez le déplorer enEurope. Pourtant, notre capacité d’ac-cueil envers les immigrants est légen-daire, le saviez-vous ? Une loi, jadisplus coriace, obligeait ces migrants àapprendre la langue de la nationquébécoise, le français. On ajoutaitmême : chez l’habitant, on fait commel’habitant – une phrase redevenue trèspopulaire au Québec par les temps quicourent.

De fil en aiguille, les lois se sontrelâchées comme une vieille dentelle.Désormais, les ressortissants indiens,pakistanais, albanais et je passe lescent autres, peuvent vivre en anglaisdans leurs ghettos misérables, sanstrop se soucier de la langue de la majo-rité. Pourquoi croyez-vous que je militepour l’indépendance du Québec ?Parce que lorsqu’il arrive que le Partiquébécois soit porté au pouvoir, c’estsous son aile que la langue françaiseest résolument mise sous observation.Actuellement, c’est Jean Charest etson Parti libéral, fédéraliste, qui règne,et son flirt avec les anglophones estune vraie parodie.

Cela exprimé, je ne suis pas deceux qui refusent de parler ou de lire

Francine Allard est québécoise.Auteur renommée pour son franc-parler, elle a écrit, entre autres titres àsuccès, Le cri du silence (Éd. Ventsd’Ouest, Québec, 2003) et nous faitl’amitié de ce billet d’humeur original.

médias écrits. Les linguistes veillent etles écoles de diction abondent. Laféminisation des noms est de plus enplus normative et les émissions pourenfants proposent une langue trèscorrecte. Le Québécois s’exprime-t-ildavantage ? Je dirais oui. L’homme dela rue s’exprime mieux lorsqu’il estinterviewé à la télévision, par exemple.Il dit mieux ce qui trotte au fond de satête. Mais utilise-t-il une meilleurelangue technique ? Pas vraiment.

La langue québécoise, jadisappelée le joual, est farcie de motscolorés, et possède un accent absolu-ment incompréhensible pour un Euro-péen qui l’entend pour la première fois.La seule différence avec antan, c’estque, désormais, le Québécois s’as-sume. Et lorsqu’il voyage, il adopte lesexpressions de ses commensaux etparvient même à se munir de ce quenous appelons ici l’accent français.

Le drame est plus profond : lesuniversitaires ne savent plus écrire.Les enseignants font des entorses à lagrammaire et n’arrivent pas à exprimerune opinion convaincante lors desexamens exigés par leurs patrons.C’est triste à mourir.

Et, logiquement, si les maîtres fraî-chement sortis de quatre années deformation ne connaissent pas leurlangue, ce doit être le même phéno-mène pour les écrivains. Nous nesommes pas sortis de l’auberge ! Ici,on dira : on est dans marde pas à peuprès, mon tit gars !

Francine ALLARD

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… de la francophonie

Québec :l’état général de la langue

Le Québec et la France s’améri-canisent. Le Québec, par contactphysique, la France, par contact idéo-logique. Aux États-Unis, on a le cultedes vedettes très développé, commeen France, et c’est en France que lesFélix Leclerc, Robert Charlebois, Garou,Isabelle Boulay et les autres sont alléscertifier leur grand talent, avant queleurs compatriotes le leur reconnais-sent. Je dois d’ailleurs vous dire qu’iln’y a que la France pour dire que LindaLemay est une grande poétesse. AuQuébec, on n’y croit pas tellement. Nuln’est prophète en son pays et aussi etsurtout, a beau mentir qui vient de loin,n’est-ce pas ?

Donc, je disais qu’au Québec, lalangue française est de moins en moinsen péril. Parce que le français estdavantage en danger de perdition,nous le protégeons contre les intru-sions anglophones. Les cliniques dubon usage sont multiples dans les

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VOUS VOULEZ une école élitiste, quisanctionne les élèves ? » deman-dait récemment une élue socialiste

du Grand Conseil genevois, à laquelle unradical répliquait : « Nous allons franchir lepas vers une école moderne et efficace ! »L’avantage de ces formules est de bien poserun problème qui me semble avoir été résoluautrefois par Jean-Jacques Rousseau.

L’École publique doit-elle absolumentconduire tous les élèves au succès sous peined’être « socialement sélective » ? Aucunesélection, naturelle ou délibérée, n’est-ellevraiment admissible dans la société ? L’auteurdu Contrat Social n’a pas la naïveté de lecroire. Bien que naissant théoriquementégaux en droit, les enfants sont en effet« inégaux en force ou en génie », commel’écrivait autrefois notre grand bourgeois de

enseigne l’obéissance plutôt que l’autorité :« On prend beaucoup de peine, à ce qu’on dit,pour enseigner aux jeunes princes l’art derégner ; il ne paraît pas que cette éducationleur profite. On ferait mieux de commencerpar leur enseigner l’art d’obéir. » (DuContrat Social, Livre VI). Émile est certeséduqué en mode constructiviste dans sestoutes premières années : « Autant quepossible, conduisez l’enfant jusqu’à sadouzième année sans qu’il puisse distinguersa main droite de sa main gauche. Ses yeuxs’ouvriront d’autant plus vite à la raison,lorsque le temps sera venu ! Laissez-legrandir sans préjugés, sans habitudes et sansconnaissances ! » ; mais en mode directif dèsqu’il mûrit un peu : « Savez-vous quel est leplus sûr moyen de rendre votre enfantmisérable, c’est de l’accoutumer à toutobtenir… » et « Mettez votre élève à saplace ; qu’il sache qu’il est faible et que vousêtes fort ».

Puisse cette rapide relecture d’un desfondateurs de notre République nous aider àconcilier l’inévitable sélection naturelle avecla justice démocratique en trouvant des adap-tations réalistes aux besoins réels de la sociétéactuelle.

Denis BLOUD

De l’éducation

Rousseau constructiviste

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(Suite de la page 5.)

En plus, le système se met en place endouce. C’est un C.P.E. rampant. Lesconsignes envoyées aux organismesconsulaires ne sont pas disponibles offi-ciellement. Mais le résultat est déjà là :en décembre prochain [2006, NDLR], 27C.E.F. seront installés un peu partoutdans le monde. Des refus de visas ontdéjà été signalés en Colombie, en Chine,en Corée, en Afrique du Sud. Bientôt, cesera le tour de l’Amérique du Nord, cequi entraînera la fermeture des écolesde FLE sur le territoire français etenverra au chômage au moins 10 000personnes. Sans compter les retom-bées indirectes dans les secteurs del’hôtellerie, du transport, etc. Lespersonnes qui s’offrent un stage enFrance ne font pas vivre uniquementdes écoles, elles dépensent beaucoup àcôté. Et puis, pour peu qu’elles aientéchappé aux vicissitudes des grèves,elles sont nos meilleurs ambassadeursauprès de leurs familles et de leursamis.

Avec la mise en place des C.E.F., laFrance renonce à ce que le français soitun facteur d’attractivité. Allons-nousl’accepter ?

Patrick DE BOUTER

Genève : « Je terminerai ce chapitre et celivre par une remarque qui doit servir de baseà tout le système social ; c’est qu’au lieu dedétruire l’égalité naturelle, le pacte fonda-mental substitue au contraire une égalitémorale et légitime à ce que la nature avait pumettre d’inégalité physique entre les hommes,et que, pouvant être inégaux en force ou engénie, ils deviennent tous égaux par conven-tion et de droit. » (Du Contrat Social, fin duLivre I).

Il y aura toujours des différences environ-nementales, génétiques et psychologiquesfaisant qu’avec la même égalité des chancessur la ligne de départ (le « pacte fonda-mental » de la démocratie dont rêvait Rous-seau et que nous avons maintenant), la coursed’escalade à la promotion sociale verratoujours quelqu’un arriver avant ou après unautre ! Il faut donc admettre qu’il existe, dansce cadre d’égalité, des droits à gagner et aussides droits à perdre : cette sélection naturelledes individus est la conséquence logique deleur liberté, autant revendiquée que leurégalité mais modulant celle-ci.

Quant aux méthodes pour faire des« princes », Rousseau préfère que l’on

«

Cacophonie à l’Éducation nationaleDans les deux dernières livraisons de Lettre(s), le docteur Wettstein-Badour a montré que

la réforme du ministre de l’Éducation nationale visant à imposer l’usage de la méthode ditealphabétique pour l’apprentissage de la lecture était un mythe.

La mise en place de cette réforme, mal définie, a suscité des déclarations contradictoires etdes débats qui, s’ils ont eu au moins le mérite de rompre le ronron habituel, n’en sont pas moinsconfus.

Interpellés par les parents, des enseignants retrouvent ainsi les gestes de madame Borel-Maisonny qu’ils honnissaient auparavant ! La confusion qui règne toutefois dans l’Éducationnationale provoque, sur le terrain, des troubles et des tensions préjudiciables au bon fonction-nement de l’école.

Pour tenter d’en sortir, le docteur Wettstein-Badour a diffusé de nouveaux documentsdémontrant la supériorité de la méthode alphabétique. Elle a étudié, en particulier, une démons-tration expérimentale effectuée pendant sept ans en Écosse, qui confirme les données de larecherche scientifique dans les domaines de la neurologie cognitive et de la vision rapprochée.

Elle a ainsi contesté les conclusions de certains chercheurs qui se sont adressés au ministreet, à son tour, elle a envoyé une lettre ouverte à monsieur de Robien.

Le combat continue.

G. D.

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sont devenus nécessaires : les productionsdes climats placés sous l’équateur seconsomment dans les climats voisins dupôle ; l’industrie du nord est transportée ausud ; les étoffes de l’orient habillent l’occi-dent, et partout les hommes se sontcommuniqué leurs opinions, leurs lois,leurs usages, leurs remèdes, leursmaladies, leurs vertus et leurs vices. Toutest changé et doit changer encore… »(Histoire des deux Indes, T. I).

Un esprit des Lumières

Le grand retour de l’abbé RaynalUN ÉVÉNEMENT MAJEUR DE L’ACTUALITÉLITTÉRAIRE

La réédition de l’Histoire des deuxIndes constitue un événement majeur del’actualité littéraire. Elle vient à la foiscombler une lacune et réparer une injusticede deux siècles. L’Histoire philosophique etpolitique des établissements et ducommerce des Européens dans les deuxIndes de l’abbé Guillaume-Thomas Raynal,malgré ses trois éditions successivespubliées en 1770, en 1774 et en 1780, tour àtour frappée par la censure, condamnéepar le Parlement et brûlée en place publiquepar la main du bourreau, sera interditeaux lecteurs du vivant de son auteur. Aprèssa mort, l’œuvre, connue et redoutée poursa hardiesse, sera volontairement main-tenue dans l’oubli et redonnée au publicsous une forme expurgée en 1820.

Celui auquel les contemporains ontreconnu sans conteste un demi-siècledurant de renommée internationale resteencore méconnu du grand public, alors quela portée de son œuvre universelle paraîtaujourd’hui d'une étonnante modernité. Lirel’Histoire des deux Indes, ce n’est passeulement ouvrir les yeux sur le XVIIIe siècle,c’est appréhender un univers qui com-mence avec la découverte du NouveauMonde et nous conduit jusqu’à l’actualité laplus contemporaine. C’est aussi sesouvenir d’événements parfois oubliés quiponctuent l’histoire du monde et dont lesconséquences trop souvent ignorées ontdes répercussions jusqu’à nos jours : 1598,édit de Nantes ; 1685, révocation de l’éditde Nantes ; 1776, déclaration d’Indépen-dance des États-Unis ; 1789, Révolutionfrançaise ; 1791, abolition de l’esclavage ;1948, déclaration universelle des Droits del’Homme…

Une parution récente de L’observateurde l’OCDE, datée de novembre 2001, sous laplume d’Emma Rothschild, directrice duCentre for History and Economics de l’uni-versité de Cambridge (« La politique de lamondialisation version 1773 »), vient nousrappeler que les premières lignes de l’His-toire des deux Indes de Raynal posent lepostulat de la mondialisation :

« Il n'y a point eu d’événement aussiintéressant pour l’espèce humaine engénéral, et pour les peuples de l’Europe enparticulier, que la découverte du NouveauMonde et le passage aux Indes par le cap

UNE DES ŒUVRES LES PLUS IMPOR-TANTES DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Plus de 200 ans après sa parution, l’unedes œuvres les plus importantes de la litté-rature française sort enfin de l’oubli pourtrouver sa juste place au côté des œuvresde Voltaire et de Rousseau. Pour lapremière fois, l’Histoire philosophique etpolitique des établissements et ducommerce des Européens dans les deuxIndes apparaît au public dans sa versionoriginale et dans son intégralité, tellequ’elle fut publiée par Raynal en 1780.

L’amateur de livres et de belles lettressera enfin consolé, le curieux y fera desdécouvertes, le politicien y trouvera desrepères, l’historien y découvrira la marchedu monde, le philosophe y relèvera despensées utiles, le négociant y lira sonhistoire et le voyageur y retrouvera ladescription originelle de toutes lescontrées de la terre. Le chercheur possé-dera enfin son instrument de travail, àl’heure où, sur tous les continents, lacritique contemporaine commence à s’inté-resser à « l’abbé du Nouveau Monde » et àson Histoire des deux Indes, qualifiéenaguère par Michelet de « bible des deuxmondes ».

La Harpe, le premier, relèvera l’attraitde l’Histoire des deux Indes :

« La plus intéressante de toutes lesnouveautés qui paraissent en ce momentest sans contredit la nouvelle édition del’Histoire philosophique et politique ducommerce des européens dans les deuxIndes (sic) en 7 volumes in 8°, ouvrageattribué à l’abbé Raynal qu’il n’avoue paspubliquement parce qu’il serait encore plushardi de l’avouer que de l’avoir fait, maisdont il ne se défend pas dans les sociétésassez sûres pour y permettre à l’amour-propre de jouir de ses succès, et le livre ena beaucoup. Je ne sais si vous connaissezla première édition : elle était informe etchargée de fautes d'impressions cho-quantes et innombrables qui pourtantn’empêchèrent pas l’ouvrage de réussir. Onen a fait dans l’Europe plus de 40 contre-façons. Il avait de quoi plaire à beaucoupde lecteurs, il offre aux politiques des vueset des spéculations sur les gouvernementsdu monde, aux commerçants des calculs etdes faits, aux philosophes des principes detolérance et la haine la plus décidée pour latyrannie, le fanatisme et la superstition, auxfemmes des morceaux agréables dans un

de Bonne-Espérance. Alors a commencéune révolution dans le commerce, dans lapuissance des nations, dans les mœurs,l’industrie et le gouvernement de tous lespeuples. C’est à ce moment que leshommes des contrées les plus éloignées se

L’abbé Guillaume Thomas Raynal(1713 - 1796)

(Suite en page 12.)11

EN 1791, Raynal adresse une lettre àl’Assemblée nationale dans laquelleil revient sur le contenu de son livre

et où il critique la Révolution : « ... j’aiparlé aux rois de leurs devoirs, souffrezqu’aujourd’hui je parle au peuple de seserreurs. »

Dénigré par le nouveau régime à lasuite de sa prise de position et copieuse-ment insulté dans les feuilles révolution-naires, lui et son œuvre resteront ignorésà partir de cette date.

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goût romanesque, surtout l’adoration laplus passionnée et l’enthousiasme de leursattraits ». J.-F. La Harpe, Correspondancelittéraire, mai 1774.

LE LIVRE QUI FAIT NAÎTRE LES BRUTUS

Mais, derrière la séduction de cettevaste encyclopédie du monde colonial, oùle souci du détail le dispute à l’éloquence,le livre se révèle comme une redoutablemachine de guerre contre le pouvoir établi.Pour cela, Raynal retient de l’Encyclopédiede Diderot et d’Alembert l’idée d’œuvrecollective et n’hésite pas à mettre à contri-bution pour son gigantesque projet ungrand nombre d’esprits éclairés de sesamis, parmi lesquels d’Holbach, Pechméja,Deleyre, Naigeon, ainsi que Diderot, à quil’on prête une part importante dans larédaction de l’ouvrage, ce dernier, voyantdans l’Histoire des deux Indes – ouvragequ’il ne pouvait signer – un véhicule pourses idées.

Raynal ajoute à cette panoplie de chefd’orchestre la compilation qu’il a aupara-vant pratiquée. Aussi, utilise-t-il lesmeilleurs livres de l’époque, parmi ceux deMercier, Paüw, Charlevoix et bien d’autrespour agrémenter son récit et donner plusde véracité à ses descriptions. Maissurtout, Raynal sait éviter de l’Encyclopédietous les travers. L’Histoire des deux Indesse présente comme une aventure roma-nesque et s’éloigne de la forme docte etsérieuse, parfois ardue, de son modèle. Auxnombreux volumes (17 de texte, 11 de plan-ches) et au grand format, Raynal préfère unouvrage de 6 volumes (qui deviendront 10)au format plus réduit (8° ou 12°), pratique etmaniable. Son coût s’en trouve diminué etle met à la portée du plus grand nombre.L’impact de l’ouvrage sera sans égal aupoint de le faire qualifier par Diderot de« livre qui fait naître les Brutus ». Avec lui,de nombreux témoignages concordent :

« L’Histoire philosophique était alors unobjet d’enthousiasme général ; ce n’étaitpas seulement le mérite réel de cet impor-tant ouvrage que l’on admirait, c’étaient lesdéclamations les plus violentes qu’on ytrouvait contre l’esclavage des nègres.L’auteur ne se bornait pas d’y parler avecéloquence contre une oppression siinjuste… il provoquait en quelque sorte cesnègres infortunés à une vengeance. »Ségur, Mémoires (Paris, 1824).

« Ce que la morale avait jusqu’icienseigné aux hommes, il [Raynal] lecommanda, et son impérieuse éloquencefut écoutée… Raynal donna enfin aux deuxmondes le livre où sont pesés les crimes del’un et les malheurs de l’autre. C’est là queles puissances de l’Europe sont appeléestour à tour au tribunal de l’humanité pour yfrémir des barbaries exercées enAmérique ; au tribunal de la philosophiepour y rougir des préjugés qu’elles laissent

encore aux nations ; au tribunal de la poli-tique pour y entendre les véritables intérêtsfondés sur le bonheur des peuples. »Rivarol, Discours sur l’universalité de lalangue française (Paris, 1784).

« Tout auteur qui n’a point de naturel,n’aura jamais le suffrage de la multitude.Un bon style, comme celui de J.-J. Rous-seau et de l’abbé Raynal, mâle, clair, fermeet simple, est semblable à la baguette deMoïse changée en serpent. Ce style dévoreet anéantit tous les styles inférieurs, ainsique le serpent dévora les couleuvres égyp-tiennes. » L.-S. Mercier, Tableau de Paris,(Paris, 1994).

« Ce livre semble écrit sur la brèche ; ily règne une fougue de style qui annoncel’approche des révolutions ; c’est un

dernier défi lancé avant le combat. Il nousreste donc à voir les combattants àl’œuvre ; œuvre sublime et convulsive oùtout devint instrument de destruction et deguerre ; où la philosophie elle-même crutdevoir recourir à la hache pour déblayer leterrain sur lequel nos enfants serontappelés à bâtir. » A.-J. Blanqui, Histoire del’économie politique en Europe : depuis lesanciens jusqu’à nos jours (Paris, 1860).

UNE INFLUENCE CONSIDÉRABLE ÀTRAVERS LES SIÈCLES

Jouissant de l’attrait de la chose inter-dite et de la publicité importante qui en seradonnée, le livre aura paradoxalement unediffusion sans égale et un grand nombre delecteurs sur tous les continents, au point dedevenir un des best-sellers de son siècle.Relégué dans une multitude de biblio-thèques et cabinets de lectures à travers lemonde par le nombre considérable d’édi-tions interdites et contrefaites, le livrejouira d’une influence immense à traversles siècles :

« J’ai parfait bien des idées grâce àlui », dira Goethe de Raynal, ajoutant àpropos de l’Histoire philosophique et poli-tique : « nous venons de fonder une sociétéqui se réunira trois fois par semaine afin dela lire. Nous prenons les cartes à l’appui, etchacun contribuera sa part en explicationspour les dames. »

« Sais-tu, affirmait Mirabeau, que cinqou six tragédies de Voltaire, une partie desa Henriade, l’Esprit des lois, l’ Histoirenaturelle de Buffon, celle des deux Indesde Raynal, et Émile, sont les titres dontnous nous enorgueillirons envers la posté-rité ?… » H.-G. Riqueti, comte de Mirabeau,Lettres originales de Mirabeau : écrites dudonjon de Vincennes… (Londres, 1792).

Mais qui se souvient encore que Raynalinspira Goethe, Mirabeau, Condorcet,Bonaparte, Toussaint Louverture, Young,Crévecœur, Jefferson, madame de Staël,Chateaubriand, le sculpteur Lavater, lesavant Lalande, l’architecte Adrien Pâris ouencore le baron Montyon, dont le nom resteaujourd’hui attaché à plusieurs prix presti-gieux fondés à l’Académie française !…

Bible des mondes sous l’AncienRégime, cette œuvre, qui accompagne laRévolution américaine et précède la Révo-lution française, surprend aujourd’hui parson étonnante modernité. Elle ouvre nosyeux sur la dimension historique des rela-tions entre l’Amérique et le vieux continent,éclaire le phénomène de la mondialisation– décrit il y a plus de 200 ans – et nousramène aux textes fondateurs de la Décla-ration des Droits de l’Homme et de la luttecontre l’esclavage.

Pour accompagner cet événement, lecolloque « Raynal et ses réseaux » vientnous éclairer sur cette œuvre encyclopé-dique, politique et polémique, qui est lerésultat d’une des plus importantes entre-prises éditoriales du XVIIIe siècle. Sonsuccès sans précédent repose sur le géniede Raynal, qui sut rassembler une multitudede collaborateurs par l’articulation demultiples réseaux.

L’exposition itinérante « Sur les pas del’abbé Raynal », placée sous le patronagede l’Unesco et présentée à cette occasion,est d’ores et déjà programmée surplusieurs continents.

Gilles BANCAREL

(Suite de la page 11.)

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L’Histoire philosophique et politique des établis-sements et du commerce des Européens dansles deux Indes, de l’abbé Guillaume-ThomasRaynal, Paris, La Bibliothèque des Introuvables,2006. 10 vol., 5000 p., 320 euros / 2099,06 francs.

Raynal ou le devoir de vérité, Paris, Champion,2004, (Les dix-huitièmes siècles n° 87), 652 p.(bibliogr. p. 559-616).

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AU XVIIIE SIÈCLE, celui des Lumières, iln’existe pas d’organisation internatio-nale de la francophonie. Ce mot même

y a-t-il cours ? En tout cas, les lettrés de biendes pays connaissent, apprécient et défendent lefrançais, langue de la culture et de la diplo-matie. Les écrivains, les artistes et les hommesd’État y excellent au plus haut niveau de l’Eu-rope, qui compte tant dans le monde d’alors.

Frédéric II le Grand, roi de Prusse, finconnaisseur de la langue de Molière, débat auchâteau de Sans-Souci avec Voltaire. À Saint-

Marc Fumaroli chez Frédéric II

Le français au siècle des LumièresPétersbourg, la Grande Catherine entretient unecorrespondance régulière avec l’illustrepenseur de Ferney et propose à d’Alembert lacharge de précepteur du prince impérial. Soncousin, Gustave III de Suède, n’est pas enreste : son talent d’épistolier en langue fran-çaise rend Diderot admiratif. Toute une aristo-cratie – autant de cœur que de cour, et en dépitdes affrontements militaires – se retrouvecommunier avec les philosophes de ce royaumede France qui est déjà une république desBelles-Lettres.

Marc Fumaroli, de l’Académie française,

Monsieur,

J’ai été agréablement surpris par les vers que vous avez bienvoulu m’adresser. Ils sont dignes de l’auteur. Le sujet le plus stériledevient fécond entre vos mains. Vous parlez de moi et je ne me recon-nais plus. Tout ce que vous touchez se convertit en or.

Mon nom sera connu par tes fameux écrits.Des temps injurieux affrontant les mépris

Je renaîtrai sans cesse, autant que tes ouvrages,Triomphant de l’envie, iront d’âges en âges

De la postérité recueillir les suffrages Et feront en tout temps le charme des esprits…De tes vers immortels un pied, un hémistiche,

Où tu places mon nom comme un saint dans sa niche,Me fait participer à l’immortalité

Que le nom de Voltaire avait seul méritée.

Qui saurait qu’Alexandre le Grand exista jadis, si Quinte Curce etquelques fameux historiens n’eussent pris soin de nous transmettrel’histoire de sa vie ? Le vaillant Achille et le sage Nestor n’auraient-ils pas échappé à l’oubli des temps sans Homère qui les célébra ? Jene suis pas, je vous assure, ni une espèce ni un candidat de grandhomme. Je ne suis qu’un simple individu qui n’est connu que d’unepetite partie du continent et dont le nom, selon toutes les apparences,ne servira jamais qu’à décorer quelque arbre de généalogie, pourtomber ensuite dans l’obscurité et dans l’oubli. Je suis surpris de monimprudence lorsque je fais réflexion sur ce que je vous adresse desvers. Je désapprouve ma témérité dans le temps que je tombe dans lamême faute. Despréaux dit qu’

Un âne, pour le moins, instruit par la nature, À l’instinct qui le guide obéit sans murmure,

Ne va point follement, de sa bizarre voix,Défier aux chansons les oiseaux des bois.

Je vous prie, Monsieur, de vouloir être mon maître en fait depoésie, comme vous le pouvez être en tout. Vous ne trouverez jamais dedisciple plus docile que je serai. Bien loin de m’offenser de vos correc-tions, je les prendrai comme les marques les plus certaines de l’amitiéque vous avez pour moi.

Un entier loisir m’a donné le temps de m’occuper à la science quime plaît. Je tâche de profiter de cette oisiveté et de la rendre utile, enm’appliquant à l’étude de la philosophie, de l’histoire, et en m’amu-sant avec la poésie et la musique. Je vis à présent comme homme et jetrouve cette vie infiniment préférable à la majestueuse gravité et à latyrannique contrainte des cours. Je n’aime pas un genre de vie mesuréà la toise. Il n’y a que la liberté qui ait des appas pour moi. […]

Puissiez-vous jouir à Cirey de tous les agréments de la vie ! Votrebonheur n’égalera jamais les vœux que je fais pour vous, ni ce quevous méritez. Marquez, je vous prie, à Madame la marquise duChâtelet qu’il n’y a qu’elle seule à qui je puisse me résoudre de céderM. de Voltaire, comme il n’y a qu’une seule qui soit digne de vousposséder.

Quand même Cirey serait à l’autre bout du monde, je ne renoncepas à la satisfaction de m’y rendre un jour. On a vu des rois voyagerpour de moindres sujets, et je vous assure que ma curiosité égale l’es-time que j’ai pour vous. Est-il étonnant que je désire voir l’homme leplus digne de l’immortalité et qui la tient de lui-même ? Je suis, avectoute l’estime imaginable, Monsieur, votre très affectionné ami.

Frédéric

rassemble dans son ouvrage Quand l’Europeparlait français, paru aux Éditions de Fallois,des documents passionnants dont chacun, avecsa valeur et son originalité, est un témoignagede l’engouement francophone, et souvent fran-cophile, qu’ont suscité les Lumières. (Rappe-lons que l’auteur, avant d’accéder auQuai-Conti, avait accepté de figurer parmi lespremiers membres du comité d’honneur denotre Asselaf naissante.)

E. S.

Extrait de la lettre que Frédéric II a envoyée de Remusberg, le 6 mars 1737, à Voltaire :

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Se piquer de bien speaker

Franglophones, encore un effort !

�Bleu de Gênes

Savons-nous que le fameux pantalon« blue jean(s) » porte un nom d’originefrançaise ? C’est en effet la déformationde « bleu de Gênes », c’est-à-dire unbleu de travail teint à la façon de la villeitalienne de Gênes dont c’était autrefoisla spécialité. Les tentatives de francisa-tion comme « pantalon de coutil bleu »n’ont – quelle surprise ! – pas survécu.Avouons que « j’enfile négligemmentmon bleu de Gênes » ou « son bleu deGênes la moulait parfaitement » fait toutde suite beaucoup plus chic !

Le denim vient, par un procédéétymologique analogue, de la ville « deNîmes ».

Ph. L.

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LA DÉFENSE DE LA LANGUE FRANÇAISE

passe par son illustration ; le programmene date pas d’aujourd’hui, et ce que Du

Bellay accomplit en son temps, nous pouvonset devons le perpétuer. La richesse, la diversitéet l’expressivité du français, admettons-le, sontdues au moins en partie à sa perméabilité auxlangues étrangères, et singulièrement à l’an-glais – cela non plus ne date pas d’aujourd’hui.

Rappelons-nous que si le français vientglobalement du latin (du latin populaire, lui-même bien mêlé), une forte minorité de motssont d’origine germanique, italienne, arabe,anglaise… De la langue anglaise viennent destermes aussi courants que (au hasard et dans ledésordre) chèque, vitamine, autocar, bébé,firme, bifteck, sinécure, station service, bol,paquebot, visualiser, redingote, snob… Etn’oublions pas les va-et-vient entre les deuxlangues, dont certains sont bien connus : tunnel(qui, venant des tonneau / tonnelle français, estpassé par l’anglais pour revenir au français) ;tennis (mot anglais issu de l’impératif françaistenez ) ; ajourner (de l’anglais d’origine fran-çaise to adjourn) ; rosbif (de bœuf rôti – rostéen ancien français) ; flirter ( flirt venant de fleu-rette, celle que l’on conte) ; management (issude l’ancien français), et, évidemment, e-mail(mail venant de la malle-poste)…

Laissons de côté ces aspects historiques,que les connaisseurs compléteront aisément etabondamment, pour reconnaître que les écri-vains contribuent à un enrichissement, à unediversification que la notion moderne de fran-cophonie ne peut que confirmer et renforcer.Peut-on encore défendre la langue française ?N’en doutons pas. Mais cela ne se fera pas enpiquant des colères aussi néfastes (pour lasanté) que vaines (pour ladite défense) contreles méchants Anglo-Américains qui veulentnous imposer leur loi, ou contre les vilainsFranco-Francophones qui dépassent les normesstrictes de l’idiome académique. Chacunsachant que de nos jours la vie des pays anciensne peut se passer de la vigueur de l’immigra-tion, intéressons-nous au concept de « naturali-sation » ou de « francisation » des mots anglais,que Baudelaire ne s’est même pas donné lapeine de mettre en pratique, tant le « spleen »doit correspondre tel quel à un état d’espritinternational. N’y cédons pas, et considérons

l’inventivité, par exemple, d’un Marcel Aymé,qui n’a pas hésité à intituler un de ses romansTravelingue, ou d’un Raymond Queneau qui,en éminent angliciste, s’en est donné à cœurjoie avec ses coquetèle, ouisqui, bouledoseur,cloune, niqueurzes, bicause, nokaoute, quid-nappeurs (ou guidenappeurs), bloudjinnzes,apibeursdè touillou, gueurle, claqueson,coboille, glasse, cornède bif, bâille-naïte…

Et ce petit dialogue des Fleurs bleues,n’est-ce pas du français ?

« Il y avait un campeur mâle et un campeurfemelle.– Esquiouze euss, dit le campeur mâle, mà wiesind lost.– Bon début, réplique Cidrolin.– Capito ? Egarrirtes… lostes.– Triste sort.– Campigne ? Lontano ? Euss… smarriti…– Il cause bien, murmura Cidrolin, mais parle-t-il l’européen vernaculaire ou le néo-babélien ? »

Du français international, sans doute, maiscompréhensible tout de même, et si pitto-resque… Et peut-on résister à la tentation dereproduire ici celui des Exercices de style quis’intitule « Anglicismes » ?

« Un dai vers middai, je tèque le beusse etje sie un jeugne manne avec un grète nèque etun hatte avec une quainnde de lèsse tressés.Soudainement ce jeugne manne bi-queumze

crézé et acquiouse un respectable seur de luitrider sur les tosses. Puis il reunna vers un siteeunoccupé.

A une lète aoure je le sie égaine ; il vouo-quait eupe et daoune devant la Ceinte Lazarestécheunne. Un beau lui guivait un advice àpropos de beutone. »

Evidemment, ces triturations sont cellesd’un écrivain, qui conçoit la langue comme uninstrument de créations aussi poétiques queludiques ; c’est ce que font, moins systémati-quement mais tout aussi sérieusement, dans unepure tradition célino-quenienne, des écrivains(parmi un grand nombre) aussi différents queDaniel Pennac et Pierre Autin-Grenier (quin’hésite pas à envoyer des « émiles » aussi faci-lement qu’on pourrait envoyer des « himêles »ou des « y-mêle(s) »). Alors, pourquoi ne pass’inspirer de ces triturations pour « natu-raliser », « assimiler », « intégrer » des motsqui, dans ces conditions, ne seraient pas consi-dérés comme des intrus ou des envahisseurs,mais comme des amis venus nous prêter main-forte ? Une immigration maîtrisée, en quelquesorte. Si les Anglo-Américains veulent nousenvoyer leurs enfants, accueillons-les, adop-tons-les, faisons-en de bons petits franco-phones.

Dans le même ordre d’idées, on peut seréférer à Gaston Miron, que l’on ne risque pasde soupçonner de vouloir saboter la languefrançaise. Pour lui, la langue « n’évolue pas parson propre dynamisme interne » ; se plaçantdans la situation du bilinguisme propre auQuébec (mais cette situation, tout bien réfléchi,est celle de la plupart des francophones, ycompris, par les temps qui courent, des hexago-naux), voici ce qu’il écrivait dans Décoloniserla langue (1972) :

« Il serait étonnant que la langue nesubisse pas d’influences déformantes. Mais,dans l’ouvert et le fermé d’une langue, lesfacteurs de résistance, de rejet, d’assimilationne sont pas négligeables. Celui qui dit : “Mondome light est locké” ou “Y a eu un storm hier”ou “Le dispatcher m’a donné ma slip pour allergaser” parle québécois, la phrase demeurefidèle au système de la langue, on ne constatequ’une insuffisance de vocabulaire qui s’ex-plique sociologiquement. Ce genre de frotte-

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Pour sourire à l’ordinateur

« Smileys » ou émoticônes

L’INFORMATIQUE ET INTERNET sont desinventions américaines et il n’estdonc pas étonnant que le langage

qu’elles ont engendré soit de l’anglo-américain. La plupart des programmessont établis en anglais. Beaucoup ne sontpas traduits et beaucoup d’autres le sontincomplètement : il y subsiste des mots etdes choix en anglais, parfois des explica-tions et des mises à jour uniquement enanglais.

Pour être « in », pour paraître « bran-ché », pour se montrer à la page dans unmonde dominé par cette « technologie »,les internautes de langue françaisedonnent souvent la préférence aux appel-lations anglaises. Les vocables françaisont ainsi bien de la peine à s’imposer dansle cyberespace francophone et même às’y faire une petite place.

« SMILEYS »…

Ainsi en va-t-il des « smileys »(« souriants » ; de l’angl. to smile, sourire).Il s’agit de petites représentations styli-sées de visages exprimant des sentimentsou des caractères physiques particulierset utilisées pour illustrer ou agrémenter lacorrespondance électronique ou télépho-nique.

Ils sont réalisés à l’aide de trois ouquatre touches du clavier : un chiffre, 8 ;quelques lettres, c, o, x, D, O, P ; maissurtout des signes et symboles : le deuxpoints (les yeux), le point virgule (un œilouvert et un fermé), l’apostrophe (pli sousl’œil), le tiret (le nez), une parenthèse (labouche), le tilde (une larme, une goutte),

l’infini, l’intégrale, l’arobase, le pourcen-tage, les crochets, les accolades (unemoustache, les bras), les barres obliqueset verticales…

Les « smileys » doivent se regarder ets’interpréter la tête penchée vers lagauche.

C’est un des plus fréquents et des plusfaciles à composer et à comprendre qui adonné son nom au genre : deux points,tiret et parenthèse fermante = visagesouriant.

Le succès et la multiplication descompositions ont rendu le terme anglais àla fois inadéquat (le remplacement de laparenthèse fermante par une ouvrantesymbolise un visage mécontent) et troppeu général.

Par ailleurs, certains logiciels rempla-cent automatiquement les quelquesgroupes de caractères les plus fréquem-ment frappés au clavier par une petiteimage unique, cette fois verticale.

Enfin, il est possible de trouver sur laToile des sites proposant un choix beau-coup plus grand de ces graphismes,faciles à télécharger et le plus souventgratuits.

… OU UN NOM FRANÇAIS ?

La recommandation officielle fran-çaise est frimousse et la québécoise estbinette (Petit Larousse illustré, 2005). Sices termes ont les qualités d’être brefs,d’être génériques et surtout d’être desmots existants (du langage familier), il fautreconnaître qu’aucun des deux ne s’estencore vraiment imposé.

Pour les Éditions Atlas, de Paris etLausanne, « Ces expressions sont appe-lées Smiley ou émoticons en français(pour icônes d’émotion). On se sert d’émo-ticons pour remplacer les intonations dela voix et permettre ainsi d’exprimer lacolère, la tristesse, le bonheur ou la faimpar exemple » (Encyclopédie générale« J’apprends la micro », 1998, ficheInternet, Courrier électronique, Envoyeret recevoir des messages, V°). Toutefois,cet éditeur continue de privilégier le nomanglais, puisqu’il a diffusé, en 2005, undépliant contenant un Petit Dictionnairedes Smileys.

Aux éditions First Interactive, de Paris,« Pour que vous puissiez mettre de l’ex-pression dans vos missives, on a créé lessmileys (appelés aussi émoticônes ouemoticons, contraction de emotion icons)qui servent, en quelque sorte, à marquerl’intonation d’une phrase. » (A. Rathboneet J. Levine, Windows XP et Internet pourles nuls, 2006, p. 443). Les deux derniersmots sont bien longs (cinq syllabes), maisle premier est effectivement celui qui estle plus répandu et connu chez nous aprèssmiley, et le second celui à partir duquelon peut faire les recherches les plus fruc-tueuses sur le Web.

« On les appelle parfois en françaisdes souriards (les Canadiens disentsouriants), pour marquer le côté ironiqueattaché à leur interprétation » (ibidem).

Smiley est aussi « parfois traduit enfrançais par […] “trombine”. » (id., p. 626).

Enfin, nous avons encore entenduparler de risette.

CONCLUSION

Il existe donc au moins six équivalentsfrançais et trois variantes pour smiley,soit, dans l’ordre alphabétique : binette,emoticon, émoticon, émoticône, fri-mousse, risette, souriant, souriard ettrombine. On ne peut que regretter que lesfrancophones ne soient pas plus d’accordentre eux.

Pour notre part, nous aimons beau-coup frimousse, mais smiley et émoticônesont beaucoup plus répandus et ont plusde chance d’être compris. La raison d’êtredu langage étant précisément de se fairecomprendre, chacun choisira donc enfonction de son interlocuteur.

Stéphane BRABANT

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ment, de contact avec l’autre langue, est assezsuperficiel. Ça ne va pas plus loin que l’em-prunt lexical, souvent l’emprunt est transitoireou assimilé. Ce qui est plus grave c’est uneinfluence qui crée un type de symbiose subtileet pénétrante, et qui attaque le systèmesyntaxique. Exemples : Ne dépassez pas quandarrêté, Saveur sans aucun doute, Pharmacie àprix coupés. Ce n’est pas, comme certains leprétendent, une langue nouvelle, ça. C’est lacommunication de l’autre dans nos signes ; lalangue de l’autre informe notre langue de sescalques. Les chasseurs d’anglicismes lexicauxne trouveront pas un traître mot d’anglais là-dedans ; pourtant c’est de l’anglais en français.La communication de notre langue dé-fonc-

tionne là-dedans sous l’effet du code de l’autre.Ça produit du non-sens, ou un sens autre que lesens que ça devrait produire. »

Puisque nous parlons tous le franglais (etaussi le frallemand, le fritalien, le frarabe, lefrespagnol, etc.), évitons de tirer hostilement lalangue aux autres (une langue bien chargée,dont la pureté est illusoire) ; nourrissons-la, enrevanche, d’apports lexicaux nouveaux, lais-sons-la respirer au vent des horizons lointains,en faisant en sorte de préserver ses fonctionsvitales.

C’est à ce prix qu’elle vivra.

Jean-Pierre LONGRE

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Être et parler français

de Paul-Marie Coûteaux

LES OUVRAGES CONSACRÉS à la langue fran-çaise se suivent et se ressemblent,

peut-être parce que, obsédés par larecherche d’un consensus, ils n’osentconcevoir la langue comme un instru-ment politique, au point qu’il paraîtnaturel de traiter longuement du françaissans jamais traiter de la France… Franceà deux ou plusieurs vitesses, fracturessociales, évanescence de la légitimitépolitique, crise du cadre culturel et de laréponse à la mondialisation/américani-sation du monde, violences communau-taristes ; à toutes ces questions, il n’estqu’une seule réponse : la langue fran-çaise, le dernier talisman.

Par la langue française, les Françaisont un lien avec une histoire, avec uneunité nationale ; par elle, sa diffusioninternationale et la francophonie, ils onttoujours une voix audible dans le monde.

Aujourd’hui, la question du françaisest sur toutes les lèvres : exceptionculturelle, apprentissage de la lecture,enseignement des langues, refondationde l’école et du corpus classique,respect de la langue dans l’entreprise,capacité à nommer les choses et à direle monde… Mais personne ne l’envisagedans sa dimension centrale : c’est l’êtrefrançais tout entier qui tient aujourd’hui àsa langue. Tel est le défi qu’a relevé Paul-

Marie Coûteaux : penser la langue globa-lement, c’est-à-dire en politique. (1)

*

Indispensable…

(1) Être et parler français, Paul-Marie Coûteaux,Éd. Perrin, octobre 2006, 21 euros / 137,75 francs.

(2) Cette France qu’on oublie d’aimer, AndreïMakine, Éd. Flammarion, mars 2006, 111 p., 12euros / 78,71 francs.

Cette France qu’onoublie d’aimer

d’Andreï Makine

SIGNE DES TEMPS ? Le très placide AndreïMakine vient de faire paraître ce

court pamphlet. Il y dit tout le mal qu’ilpense de ce perpétuel auto-dénigrementde notre pays. Après Max Gallo et sonFier d’être français, voici un nouveausursaut pour défendre le pays desLumières. Chose assez paradoxale, ceuxqui se préoccupent de la France aujour-d’hui ne sont pas ses propres enfantsmais ceux qu’elle a accueillis. Comme sicette adoption leur donnait une cons-cience plus aiguë de valeurs en perdi-tion, comme s’ils cherchaient à nousredonner le goût de notre pays. Makine,par exemple, n’accepte pas que l’onméprise la terre qui lui a permis dequitter l’URSS. Animé d’une passion trèslittéraire de la France, il ne peutcomprendre que les autres migrantsn’aient pas ce même amour, cette mêmevénération du pays de Voltaire. Il fustigeles affres du présent et la sinistroseambiante. Les derniers événements dansles banlieues dépassent son entende-ment. En effet, pour ce Russe qui a choisid’écrire en français, il ne fut pas aiséd’être accepté puis reconnu par sespairs littéraires, mais il y est parvenu,animé qu'il était d’un profond désir d’in-tégration en France. Cette volonté, cetteforce du migrant, il ne comprend pasqu’elle ne soit pas partagée. Toutefois,

Cette France qu’on oublie d’aimer four-mille aussi de jolies pages – le pamphlé-taire laissant la place au grand écrivain.Croquant certaines tournures bien fran-çaises, dépeignant malicieusement lesintellectuels français, Makine dit tout sonamour de ce pays. Paraphrasant Racine,il nous répète : « Si vous n’êtes français,soyez dignes de l’être ». Au nom de cettefrancité, ces mots vont loin… (2)

*

(3) La ferme aux professeurs, François Vermorel,Les Éditions de Paris-Max-Chaleil (54, rue desSaints-Pères, 75007 Paris), ISBN 2-8421-075-6,2006, 13 euros / 85,27 francs.

La fermeaux professeurs

Journal d’un stagiaire

de François Vermorel

FRANÇOIS VERMOREL est né le 28 mars1975, à Pontoise. Après des études de

lettres classiques, il obtient le Capes etentre à l’Éducation nationale. Sapremière affectation le conduit à Calais,en zone d’éducation prioritaire (ZEP).

La ferme aux professeurs retraceson expérience à l’IUFM en tant queprofesseur stagiaire de lettres clas-siques. L’univers affolant et absurde danslequel il a été plongé lui a inspiré ce livre,témoignage salutaire et ironique sur uneinstitution à la dérive.

Ce journal d’un enseignant stagiairen’est pas un essai et n’a pas la prétentiond’apporter des solutions miraculeusesaux maux présents. François Vermorelrelate des faits qu’il a vécus et subis ou

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Les écrivains franco-phones interprètes

de l’Histoire

Entre filiation et dissidence

de Beïda Chikhi et Marc Quaghebeur

PAS DE COLLECTIVITÉS sans Histoire. Resteque certaines la subissent plus que

d’autres ou en sont dépossédées.C’est pourquoi les écrivains franco-

phones n’en finissent pas d’interrogerles conflits et les violences qui se dépla-cent souvent du champ de bataille réelvers celui, plus symbolique, de la langueet de ses usages culturels, politiques etesthétiques.

(4) Les écrivains francophones interprètes del’Histoire, Beïda Chikhi et Marc Quaghebeur,Éditions P.I.E. Peter-Lang (1, av. Maurice, 1050Bruxelles), ISBN 978-90-5201-038-0, 2006, 560 p.,43.50 euros / 285,34 francs.

… revue des livres

(5) Petit traité des finesses et des nouveaux tour-ments de la langue française, Alain Bladuche-Delage, Éditions Bartillat, Paris, 2006, 249 p.,20 euros / 131,19 francs.

À la différence, apparente, de laFrance métropolitaine, les francophoniesne peuvent éluder les phénomènes duplurilinguisme et du pluriculturalisme.Toutes ont à faire avec des historicitésqu’elles ne peuvent pas mythifier enHistoire monumentale. Toutes se trou-vent enfin dans une position d’autonomietrès relative à l’égard du champ littérairefrançais.

Cela contraint à repenser certainesapproches de la littérature, et notam-ment les simplifications culturellesinduites par le schéma dominant deslittératures dites nationales. C’est de cetissage plus subtil que rend compte lesous-titre de ce volume « Entre filiation etdissidence ». Cette situation connaît troisgrandes variations structurelles : filia-tion, écart et dissidence.

Les perspectives transversales de celivre vont des Antilles à la Belgique, duCanada à la Suisse, de l’Algérie à laGuinée, de la Côte-d’Ivoire au Congo ou àMadagascar. Elles concernent aussi bienBauchau que Poulin ou Djebar, Métellus,Glissant ou Rabearivelo. Elles préserventles historicités propres et les imaginairesde chacun, affirment la nécessité d’uneHistoire substitutive dans laquelle auteuret lecteur sont condamnés à devenir desintellectuels responsables, et débou-chent sur un autre rapport à la tempora-lité et à la langue.

Les responsables de la publicationsont Beïda Chikhi, qui occupe actuelle-ment la chaire d’Études francophones àl’université de Paris IV-Sorbonne, etMarc Quaghebeur, qui est directeur desArchives & Musée de la Littérature deBruxelles. (4)

*

Petit traité desfinesses et des

nouveaux tourmentsde la langue française

d’Alain Bladuche-Delage

LA LANGUE FRANÇAISE est en pleine muta-tion. Alain Bladuche-Delage constate

que, pour la première fois dans notrehistoire linguistique depuis le XVIIe siècle,il n’y a plus de référence certaine, pasmême le Dictionnaire de l’Académiefrançaise. Les divers dictionnaires sefont concurrence et chacun donne sapropre façon de voir.

Ce petit traité fait l’inventaire d’unfrançais en quête d’expressionsnouvelles, qui adapte les mots auxexigences de la vie et à des sensationsinédites. Les perceptions les plusrécentes doivent trouver leur formula-tion. Comment se fait-il, par exemple, quel’effort qui tend à rendre visible le fémininn’aille pas jusqu’à la création d’unpronom masculin-féminin pluriel(« ilelles », « iles », « eliles ») ?

Les tropes se multiplient (Bercy refaitses comptes, l’Élysée discute…), lesemplois se chevauchent (l’empire etl’emprise, le truchement et l’intermé-diaire, l’évincement et l’éviction, lemental et le moral…) ; des termesconnus de tous, comme la manivelle,sortent peu à peu de l’usage ; des accep-tions inconnues, des emplois improba-bles apparaissent partout : le soucidevient un problème, le verbe gérer sertà tout, rentrer veut dire entrer, réouvrirconcurrence rouvrir, etc.

Alain Bladuche-Delage dresse parpetites touches un état des lieux du fran-çais en métamorphose permanente.Certaines expressions aujourd’huicontroversées trouveront-elles demainleur place dans le « bon usage » ?

Alain Bladuche-Delage, spécialistedes questions de langue française à LaCroix où il tient une rubrique, est l’auteurde Langage en gage (2000, Éditions HB)et Ici ? ou là ? (2003, Éditions Mots et Cie /La Croix). (5)

qu’il a recueillis auprès de témoinsdirects et dignes de confiance. Il a finipar quitter l’Éducation nationale, dansdes circonstances étonnantes qu’ilrapporte dans son ouvrage.

Autant que le récit de deux années devie, La ferme aux professeurs est uncondensé stupéfiant des absurditéspropres aux IUFM. Drôle, ironique, voirekafkaïen et surréaliste, son témoignagefait rire avant de consterner. (3)

*

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CONVOCATION À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

de l ’Association pour la sauvegarde et l ’expansion de la langue française

Madame, Monsieur,

L’assemblée générale ordinaire des membres de notre association se tiendrale vendredi 16 février 2007, à 17 h 30, au Centre d’étude et d’action sociale et culturelle

(C.E.A.S.C.) « la Sourdière », 23, rue de la Sourdière, Paris-1er, dans la salle du troisième étage.

L’ordre du jour est le suivant :1. Désignation du bureau de séance ;2. Rapport moral ;3. Rapport financier ;4. Rapport de la commission de contrôle des comptes pour l’exercice 2005 ;5. Quitus donné aux administrateurs ;6. Désignation des membres de la commission de contrôle des comptes pour l’exercice 2006 ;7. Élection de nouveaux administrateurs ;8. Prévision d’activités pour l’Asselaf et questions diverses.

En cas d’empêchement de votre part, nous vous serions obligés de bien vouloir nous retourner, dûmentcomplété, le pouvoir figurant ci-dessous, afin que l’assemblée du 16 février puisse valablement délibérer.

Dans le cas où cette assemblée ne serait pas en mesure de délibérer pour cause de quorum insuffisant,dès maintenant la date du vendredi 2 mars 2007 est retenue, à la même heure et au même endroit, pour unenouvelle assemblée générale qui, cette fois, pourra valablement se tenir quel que soit le nombre d’adhérentsprésents ou représentés.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Philippe de SAINT ROBERT,président de l’Asselaf.

Les membres de l’Asselaf sont informés que si le quorum n’est pas réuni le vendredi 16 février 2007, il sera procédé, après la clôture formelle de l’assem-blée générale ordinaire, à l’exposé des points de l’ordre du jour, et un échange de vues aussi large que possible interviendra. Ainsi, les adhérents présentsauront la faculté, s’ils ne souhaitent pas ou ne peuvent pas se déplacer le vendredi 2 mars 2007, de laisser leurs instructions précises sur un pouvoir.

POUVOIR (à compléter ou recopier)

Je soussigné(e) ..............................................................................................................................................membre de l’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française, donne pouvoir àM., Mme, Mlle ................................................................................................................................................de me représenter à l’assemblée générale de l’Asselaf qui se tiendra le vendredi 16 février 2007, à 17 h 30, au Centred’étude et d’action sociale et culturelle (C.E.A.S.C.) « la Sourdière », Paris-1er, dans la salle du troisième étage ;ainsi qu’à une éventuelle seconde assemblée, qui se tiendrait le vendredi 2 mars 2007 au cas où la première réunionn’aurait pu valablement avoir lieu ;de prendre part à toute délibération et d’émettre tout vote dans l’assemblée dont il s’agit.

À ......................................, le ...................................., Signature :

N.B. - Après avoir rempli et signé ce pouvoir, dont la signature doit être précédée de la mention manuscrite « Bon pour pouvoir », veuillez leretourner à l’Asselaf, 22, rue François-Miron, 75004, Paris.Le signataire est informé que s’il fait retour de cette formule de pouvoir sans indication de mandataire, il sera émis en son nom un vote favorablesur les résolutions proposées par le conseil d’administration.

Page 19: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

• Question : « Pourquoi dire “la directiond’EDF”, “un abonnement à GDF”, et non del’EDF, au GDF ? » Réponse : « Ces établisse-ments publics n’ont pas mis l’article dans leurraison sociale. » Re-question : « Alors, pourquoidit-on “les États membres de l’ONU” et “lesadhérents à la CGT”, dont la dénomination necomporte pas non plus d’article ? » Re-réponse :« Euh… ! ».

• Rappel pour information de quelques motsou expressions condamnés à leur origine et réha-bilités… ou non par le bon ou le mauvais usage :conséquent (au sens d’important, noté mais« critiqué » chez Larousse et chez Robert, hélas !employé partout) ; – se rappeler de ce [qu’il afait], alors qu’on doit dire se rappeler CE[qu’il…] ; on entend souvent : « je m’enrappelle », comme si je me le rappelle était troplittéraire, voire pédant… ; assimilation grammati-cale avec se souvenir ; – deux formes absolumentproscrites par Littré : 1° sans que ne ; il en exclutle ne explétif, qui, dans cette locution, connaîtaujourd’hui une faveur extraordinaire ; 2° actuelprécédant le substantif ; d’après le grand lexico-graphe, cet adjectif doit toujours venir derrière lenom ; or, il n’est parlé que de « l’actuel(le)candidat(e) », de « l’actuelle législation », etc. ;essayez, vous verrez que la langue est plus bellemaniée selon Littré ; – sur l’île… Jusque voilàune dizaine d’années, on a toujours écrit « dansl’île » (de Java, de Jersey, etc.) ; dans a été banniau profit de sur ; il se pourrait que l’avion y fûtpour quelque chose, car on y voit comme uneimage aérienne ; le terme est pourtant impropre,et dire (on l’a dit) que M. Jospin résida sur l’île deRé est ridicule. En revanche, M. Castro a bienrégné sur (l’île de) Cuba. Nuance !

• L’Internet Google a précisé, paraît-il, il y aquatre ans (en octobre 2002), que seul lemasculin est correct pour désigner le « Timororiental » ; dès 2001, le Petit Larousse luioctroyait la graphie régulière : Timor-Oriental,justifiée dorénavant par la géopolitique. Le nomindigène, officialisé par l’ONU, qui publie untimbre frappé du drapeau de cet ancien territoireportugais, est : « Timor-Leste » (Fascination,n° 10 ; ONU, Genève, mars 2006).

• La maison Agipa (étiquettes ; citationgracieuse !), sous le plastique transparent de sespochettes, fait figurer l’indication « ouverturefacile » en français et en anglais, et donne enoutre la désignation « Étiquettes auto-adhésives »en français et en sept autres langues. Idem chezles multinationaux, qui d’ailleurs y gagnent :IBM, déclaration de garantie, onze langues ;Canon, guide Pixma, douze. Rappelons que lacirculaire du 20 septembre 2001, qui autorisait lanon-traduction en français, fut annulée par leConseil d’État le 30 juillet 2003.

exemple : Sarah Bernhardt, c’est dans l’Aiglonqu’elle fut le plus applaudie (dans ce rôle-là), etnon la plus applaudie (de toute la distribution).Adolphe V. Thomas (Dict. des diffic. de la l. fr.,Larousse) explique le mécanisme de cette confu-sion de façon lumineuse, mais ajoute avec clair-voyance : « La tendance actuelle est des’affranchir de ces règles… que n’observaientd’ailleurs pas les classiques. » Autrement dit,Criticus, allez vous rhabiller ! Cependant, toutauteur soigneux y reviendra quand il y aura unrisque réel de confusion.

• Récolté encore trois beaux « que ce que »attestant l’ignorance du bien-dire, ou son dédain.Les voici : 1° (7 sept. 2006) « … un résultatencore plus serré [aux élections mexicaines] quece que (sic) prévoyaient les sondages ». Unebonne plume eût écrit : « que ne leprévoyaient » ; – 2° (oct.) « Opportuny [nomd’un robot spatial] finira là une carrière déjà dixfois plus longue que ce qui (sic) était prévu. »Pour : « qu’il n’était prévu », ou tout simple-ment : « que prévu » ; – 3° (26 nov.) « … avaientdégagé plus de convergences que ce qu’ (sic)attendaient des acteurs unis par… ». Évidem-ment, « que n’en attendaient ». Je n’indique pasoù j’ai pris ces exemples, mais je précise quec’est dans des publications d’excellent niveau.

• Concluons une fois de plus sur la féminisa-tion. 1° Le classique se maintient : Céline H., cejeune professeur (6 nov.) ; Mme Jean B., profes-seur honoraire (27 oct.) ; Anne-Marie H., sculp-

GATELLES&

VURESBA• Criticus aurait, je pense, relevé une anomalie

au moins probable dans cette phrase d’un très esti-mable publiciste : « … c’est dans sa façon d’af-firmer la prééminence de la microéconomie sur lamacroéconomie […] que la pensée de Schumpeterse révèle la plus actuelle. » Le journaliste veut-ildire que, de toutes les pensées qu’a cet économiste,celle-ci est la plus actuelle, la plus nouvelle ? Ilsemble bien que non, mais qu’il entende plutôt quec’est sur ce sujet précis qu’elle se révèle le plusactuelle, que, de l’actualité, c’est là qu’elle enrévèle le plus. L’auteur a confondu « le plus » aveccomparaison et « le plus » sans comparaison ;

teur (26 août) ; Simone G., pharmacien ; AgnèsB., ingénieur (6 oct.) ; Marie-Thérèse L.-G.,conservateur honoraire (30 sept.), etc. ; nombrede femmes professeurs et toutes les femmesdocteurs ; « … a estimé hier le chef de la diplo-matie autrichienne, Ursula Plassnik. Elle n’acependant pas précisé… » (14 nov. ; habilement,l’auteur a accordé le pronom avec le prénom de ladiplomate) ; – 2° « moderne » : Catherine P., unechef de la station (4 oct.) ; Marie-Simone E.,professeur agrégée de philosophie, ancienneprésidente de (14 oct.) ; les féminins « prési-dente », « députée » et « professeure » figurentplusieurs fois dans notre liste, où le plus osé estatteint avec une « Mamie dealeuse » qui, relateun journal populaire (15 sept.), fut arrêtée par labrigade des stupéfiants ! ; – 3° hybride (ou éclec-tique ?) : un commandant des forces spécialesafghanes et une chef local étaient présents (27nov.) ; Thérèse K., pasteur, ancienne présidentede (1er sept.) ; Mme Geneviève D., administrateurde […] et fondatrice de (25 nov.) ; Mme SuzanneB. a commencé comme conseillère, [puis, dansl’association É.] devint directeur, [enfin] restaconseillère technique. Elle a été administrateur ducentre É. et en fut la secrétaire générale ;– 4° tendance épicène : annonçant le 24 oct. ladissolution d’un conseil municipal, le ministred’État précise : « le maire est une maire » (pressedu 25) ; « les trois agents de recherche chargéespar leur patron… » (TV Mag., 10-16 sept.) ;H. W. est une écrivain scandinave célèbre (sept.).

Même sujet : 1° Dans le vénérable hebdosatirique (13 déc.), Dominique Simonnot relateune audience correctionnelle à Paris : « la juge, lajuge assesseuse, la procureure », mais cite fidèle-ment les interventions du président du tribunal :« Madame le procureur, je sais que… »– 2° Soprano : longtemps les encyclopédies etdictionnaires n’ont accepté que le masculin, ycompris pour les chanteuses douées de cette tessi-ture de voix. L’usage l’a emporté, et nos petitsdicos notent « une soprano dramatique »(Robert). – 3° Pour « secrétaire général », cetusage paraît régulier, « secrétaire » considéré enfait comme épicène. – 4° Plaisamment, Domi-nique Jamet écrit dans FranceSoir (sic) du 1er

nov. : « Madeleine Chapsal, romancière bienconnue et membre du jury Femina, comparaissaitdevant ses paires (on dit bien “écrivaines”, je nevois pas pourquoi on ne dirait pas “paires”) » Lechroniqueur a dédaigné « pairesse », jugeantpeut-être qu’on emprunte déjà suffisamment àl’anglais.

• Les mots masculins à finale fluide (syllabemuette) ont du mal à faire reconnaître leur genre.Nous avons relevé tout récemment dans la presseparisienne un beau « mauvaise (sic) augure » etquelques « amiante » au féminin. Bavures… Àl’amende !

P.-V. B.

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L’Asselaf est une association d’intérêt général ; le montant des dons et cotisations qui lui sont versés est déductiblede la déclaration de revenus des adhérents (mais non des simples abonnés). Un reçu fiscal est ainsi envoyé automa-tiquement chaque année à chaque adhérent ou donateur.

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(ouderenouvellement)Asselaf

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Je soussigné(e) (PRÉNOM, NOM)...............................................................................................................................................................

Né(e) le......................................................................................................................................................................................................

Adresse......................................................................................................................................................................................................

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Téléphone..................................................................................................................................................................................................

Profession..................................................................................................................................................................................................

Courriel (adresse électronique).............................................................................................................................................................

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et adhérer (ou renouveler mon adhésion) pour un an à l’Association pour lasauvegarde et l’expansion de la langue française.

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+

=TOTAL :

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ABCDEFGHIJKLMNOPQRS-

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Grevisse, Jouette et autres condamnentapparemment sans appel ;

– p. 14, col. 3, § 2, je lis : « Madame feueArletty… »

Il est d’usage de ne faire accorder cetadjectif que lorsqu’il est placé après l’articledéfini ou l’adjectif possessif. Ma feue grand-mère, mais feu ma grand-mère. Feu mesoncles, mais mes feux oncles…

Je ne suppose pas d’autre action, enl’occurrence, que celle d’un trublion méca-nique, mais demeure disposé à recevoir, lecas échéant, toute leçon enrichissante.

Avec l’expression de ma très cordiale,sincère et nonagésimale sympathie.

Raymond Yxemerry50 Saint-Denis-le-Gast

Nous vous remercions, cher, sympa-thique et nonagésimal lecteur, de voscompliments pour une revue que vousvoudriez mensuelle… La matière existe pourune parution plus fréquente, mais le nerf dela guerre fait défaut : l’abonnement devraitêtre sérieusement augmenté et de généreuxdonateurs trouvés. Il nous prend cependantparfois d’en rêver…

Vos remarques sont parfaitement justi-fiées sur le ne explétif et sur l’accord de feu(du bas-latin fatutus, « qui a accompli sonfatum ») en fonction de sa place. Ces fautesont échappé à l’œil de notre relectrice, pour-tant méritante.

Ph. L.

Bernard Frank. Je lis doucement, calme-ment, posément. Je lis pourtant trop vite.

Je n’ai plus de texte à me mettre sous ladent. Frank est fini. Lu, relu, et toujours cettemême saveur de chewing-gum dont parleGracq dans ses Lettrines. Que lire après ?Les autres pages d’encre noire sont assom-mantes.

Bernard Frank fait luire sa griffe ausoleil. Sa plume voltige. L’écrivain paresse àl’ombre des grandes figures de la littérature.Il a gardé de l’époque 1900 la gaieté de laphrase, cette vie, ce naturel – aujourd’huidéfinitivement perdu – qui me charme dansles lettres de mes arrière-grands-mères,peu instruites et tellement civilisées. Lafrivolité de Frank s’apparente à une poli-tesse du désespoir. Les journaux ne sevendent plus. Et Bernard Frank n’enchanteplus leurs colonnes. La presse gratuite, aufond, c’était Frank. Car lui seul était possédépar la grâce. On a beau chercher : la languefrançaise sera désormais moins aimée.

Christian de Maussion75 Paris

Chaud et froid

La dernière livraison de Lettre(s)distribue le chaud et le froid ! Par le mêmeexemplaire numéro que constituent la repro-duction d’une œuvre (que je recherchais :« L’oie qui oit ») de Raymond Devos, puisl’adresse à A. de Rivarol, et enfin le rappelde l’œuvre de Gaston Coûté que j’aifréquentée dans ma jeunesse ; en dépit decela, donc, vous nous assénez la menacequi pèse sur un périodique que je voudraisau moins… mensuel !

Cela exposé, je m’autorise, sans autrecompétence ni fondement justifiables en cequi concerne mon initiative que ceux desglossographes que je citerai, les observa-tions ci-dessous :

– p. 4, § 2, je lis : « avant que le Quai-Conti ne daigne l’accueillir… »

Je ne pense pas me fourvoyer en signa-lant là une négation explétive que Littré,

Mise au pointpour une « Bagatelle… »

Dans son dernier numéro, Lettre(s) faitallusion, p. 19, à des débats de la commis-sion que j’anime et qui comprend, outre desfonctionnaires, des professeurs, desexperts-comptables, des cadres ou d’an-ciens cadres d’entreprise. Il est exactqu’elle a entrepris de franciser, parmi beau-coup d’autres, les expressions golden helloet golden parachute, qui désignent les avan-tages obtenus par certains dirigeants d’en-treprise à leur arrivée ou lors de leur départ.

Puis la commission à délibéré et recom-mandé de remplacer les deux expressions

Se battre sur tous les fronts

Voici notre contribution à la survie del’Asselaf ; nous aurions aimé pouvoir lacentupler… Nous espérons vivement quevous n’aurez pas à chanter les vers deHugo :« Pour les vaincus, la lutte est un grand bon-

heur tristeQu’il faut continuer le plus longtemps qu’on

peut. »

Vue d’outre-Atlantique, depuis cettefragile enclave francophone du Québec,nous ne pouvons qu’appuyer votre lutte detout notre désir de conserver florissante laplus belle langue du monde. Votre généro-sité, votre ténacité et surtout votremerveilleuse culture (et ce constat s’ap-plique à tous les collaborateurs de votrerevue) nous sont un point d’appui dans notrepropre combat pour préserver la languefrançaise et la civilisation dont elletémoigne.

Je viens cependant de recevoir uneinvitation unilingue anglaise à un colloquesur le « Health management » à l’universitéde Lyon-III, université de Michel Guillou,dont le président est, paraît-il, un ardentdéfenseur de la francophonie…

Jacques DufresneQuébec

(Suite en page 22.)

Frank, pays de mon enfance

Début des années Mitterrand. Dans cemauvais bistrot si charmant, je déplie LeMatin, le défunt journal d’une bonne gaucheconsciencieuse. Chez Léna et Mimile, je suismal assis, courbé sur la chronique de

Page 22: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

courrier…A a B b C c D d E e F f G g H h I i J i K k

par, respectivement, pactole d’entrée etpactole de sortie. À présent, ces proposi-tions sont soumises à la Commission géné-rale de terminologie, que préside M. MarcFumaroli, de l’Académie française, et quipourra les accepter, les rejeter ou les modi-fier. Puis, l’Académie française sera elle-même saisie. Si elle donne son accord, lesexpressions francisées seront incluses dansun arrêté publié au Journal officiel et leuremploi s’imposera à toutes les administra-tions.

Ces procédures peuvent paraîtrecomplexes. Mais dès lors qu’il s’agit demodifier le langage, une large concertationest nécessaire.

Patrice CahartPrésident de la Commission de terminologie et

de néologie de l’Économie et des finances75012 Paris (Bercy)

La langue françaiseet le débat présidentiel

J’espère que la diversité culturelle serapromue et que la langue française seradéfendue lors du prochain mandat présiden-tiel.

Parmi les candidats, lequel, selon vous,de Mme Royale ou de M. Sarkozy, défend-ille mieux les idées de la francophonie, laculture et la langue française ?

Avez-vous des contacts avec eux pourles inciter à promouvoir ces idées, notam-ment le respect de la langue française dansles entreprises présentes en France, ainsique dans les médias ?

Bon courage pour votre combat auquelj’adhère complètement.

Thibault Amansinternet

Vous relevez fort à propos – titred’ailleurs d’une rubrique qu’a publiée PatrickPoivre d’Arvor il y a quelques semaines dans

Pas d’histoire belge pour RaymondDevos !

Cousin de Raymond Devos, je vous priede faire connaître à vos lecteurs que celui-ci n’a jamais été belge, puisque son pèreétait de nationalité française, que sa mère,qui était la sœur de mon grand-père, étaitbretonne et que, s’il est né, par hasard, dansune propriété de ses parents située justederrière la frontière belge, il a, conformé-ment au Code de la nationalité, bénéficié dela qualité de citoyen français, déclaré teltant sur les registres de l’état civil que surtous ses documents d’identité. Et cepen-dant, Raymond a dû dénoncer, à plusieursreprises, devant des millions de téléspecta-teurs, cette erreur fréquemment commise.

Jean-Yves Martin-Durance44 Guérande

Sciences-Po ou Sayeunces-Po ?

J’apprends que les étudiants deSciences-Po, cette année, subiront descours supplémentaires en anglais. Pas descours d’anglais, mais des cours, tels l’His-toire de France, en anglais !!!

De plus, ces jeunes doivent effectuerune année à l’étranger. Mon correspondanta choisi un pays hispanophone, mais iln’aura que 2 heures d’espagnol contre 6 à 8heures d’anglais !

Ainsi, et je le craignais, les programmestel Erasmus ne sont que des « lavages decerveau à l’anglais » pour jeunes Européens.

Cette situation me révolte, aussi je faisappel à ceux d’entre vous qui possèdent uncertain pouvoir pour dénoncer au maximumces manœuvres au sein de l’Éducationnationale française. Les faire connaître àgrande échelle, si c’est possible. Sinon,nous risquons vraiment de voir nos enfants(ou, si ce ne sont eux, leurs propres enfants)parler tous anglais et nos langues dispa-raître.

Sentimentalement, ce serait grave, maispas seulement, je crois. La démocratie euro-

22

(Suite de la page 21.)

le Figaro – que la langue française est lagrande absente du débat présidentiel.

Cela dit, les candidats à l’élection nesont pas tous connus et le débat ne se limitepas au duel médiatiquement fabriqué entreMme Royal et M. Sarközy.

Accéderont-ils d’ailleurs au second tourtous les deux ? Rien, dans une démocratie,n’est ou ne devrait être joué d’avance.

Aurions-nous des contacts avec eux,que demander à ces duettistes qui ne soitpas opposé à leurs positions habituelles ?De resserrer les rangs de la francophonie àun ministre de l’Intérieur qui s’est mis à dosl’opinion publique de l’Afrique francophone ?D’appliquer la loi Toubon à quelqu’un qui l’amoquée aussi étourdiment que Mme Royal ily a quelques années ? Ce serait probable-ment vanité des vanités…

Notre association a des adhérents etnotre revue des lecteurs de toute sensibilité,et nous n’exprimerons pas de préférencepour tel ou tel des candidats connus ou àconnaître. Par indifférence foncière, ceux-ciseraient bien gênés de faire d’une vraie poli-tique de langue française un argument decampagne susceptible de heurter de fronttout à la fois le MEDEF dont la présidenteveut torpiller l’obligation de déposer en fran-çais les brevets industriels, les milieux de lacommunication qui pensent à l’américaine,les tenants d’une politique africaine penséedavantage en termes restrictifs visant l’im-migration que d’espace partagé de la fran-cophonie, les institutions européennes dontles directives jamais n’arrivent traduitesdans nos administrations, voire le Conseilconstitutionnel qui déjuge la Constitutionchaque fois qu’il est saisi en matière delangue…

Faute de politique, la défense de lalangue française, de la francophonie et de ladiversité culturelle est plus immédiatementfructueuse dans un autre cadre : celui duquotidien et de l’engagement citoyen. C’està chacun de nous de prendre en charge ladéfense de notre langue dans tous lesaspects de notre vie personnelle, profes-sionnelle et associative, et de tenir bonparce que la langue française « n’a pasperdu la guerre », même si « des gouverne-ments de rencontre » ont jusqu’ici beaucoupcapitulé…

Ph. L.

Page 23: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

complémentaire, chez les profession-nels de l’écrit.

*

La typographie française, comme lalangue, emprunte aux… typographies« sœurs » ! Il y a longtemps qu’elle aannexé l’alinéa « à l’américaine », sansrenfoncement, qui, s’il est sans ligneblanche au-dessus, contraint à ycomposer une ligne creuse indiquant lechangement de paragraphe. Plusdiscordante est lafausse audace en faveurde la majuscule colléeau milieu des mots. Celane se pratiquait jusqu’iciqu’avec la particulegaélique Mc (Mac, filsde) : McCormick. Larousse a continuéd’écrire Robert de Niro, Cecil B. deMille, pour les « DeNiro » et les« DeMille » américains. Or, voici qu’ap-paraissent des incursions allogènes,inoffensives mais stériles, appelées,peut-être sans malice, par de bonspratiquants du français.

Récemment encore, lorsque lequotidien France-Soir (graphie La-rousse 2001, avec trait d’union) étaitcité, l’usage variait : deux majusculesou une seule, trait d’union ou pas. Aprèsla grève du printemps 2006 quisuspendit sa publication, il est devenuFranceSoir, sans espace ni trait d’union.Au théâtre, on a cru bon de maintenircollé le titre de la pièce d’Édouard Lock

(Suite de la page 24.)

et d’écrire non « André Auria » maisAndréAuria. Et l’on a remarqué leséditions LoupKaz, ainsi que la raisonsociale de « RepondeurDirect », nomdéposé d’un service de téléphonieproduit par une société française. Laculture yankee avance à petits pas !

Oh ! pas de chauvinisme : c’est unecorrectrice de français, ChristianeTricoit, qui a fait le très travaillé Guidede l’anglais moderne écrit (Coforma –

Les éditions François-Robert, Paris, 1989). Latypographie anglaise,adaptée à la langueanglaise, ne cherchepas à envahir la nôtre ;mais, sans l’orthotypo-

graphie, où s’arrêteraient les empruntsinopportuns ?

Un mot sur la typo en poésie. Elle futbouleversée par la suprématie pro-clamée de la page blanche (Mallarmé,Eluard, Claudel) et l’abandon depresque toute ponctuation (Apollinaire).Comment rééditer proprement clas-siques et romantiques, leurs strophesdont chaque vers exige un retraitadéquat à sa mesure, si l’on n’a pasadmiré le travail des typographesmanuels qui « levaient la lettre » chezPierre Larousse, Jules Hetzel, FirminDidot ? Et l’esperluette dans Coppéechez Lemerre ? L’orthotypographie abeaucoup à faire.

P.-V. B.

J j K k L l M m N n O o P p Q q R r S s T -

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Mécanique Orange

Les milieux commerciaux continuentleur œuvre d’éradication mécanique, métho-dique, systématique, du français dans leurcommunication. Orange, filiale de FranceTélécom, en offre une nouvelle illustrationparmi une multitude d’autres. Il n’est prati-quement plus un seul produit commercialnouveau dont la dénomination ne soit désor-mais empruntée à l’anglais. Effarant !

Les dirigeants de cette multinationalequ’est France Télécom doivent souffrir millemaux de devoir aller à la conquête dumonde avec une telle raison sociale ! Sans

doute un lourd handicap à leurs yeux dans lecontexte de mondialisation (qui, pour eux,rime avec anglicisation) !

Lesquels dirigeants appartiennent typi-quement à cette nouvelle « élite hors soldéliée de tout enracinement », pourreprendre l’heureuse expression du philo-sophe Alain Finkielkraut, élite fascinée parle modèle anglo-saxon, qui rêve de deveniranglophone et même de bannir le françaisde France.

Jean-Pierre Busnel35 Rennes

péenne, sinon mondiale, serait sérieuse-ment compromise. Nous sommes tous d’ac-cord sur ce point, je pense.

Brigitte Lavalinternet

Préférence(s)

Je reçois Lettre(s) depuis des annéesgrâce à un ami d’origine ukrainienne, et jesuis atterré de ses difficultés. Son rôle estirremplaçable, même si je préfère Balzac etStendal à Chateaubriand, Mauriac et Gide àMontherlant (bien qu’amour de jeunesse !),pour ce qu’ils disent, et avec la manière.

Henri Douard75 Paris

Il n’y a plus d’après…

Après toutes les déformations maintesfois signalées : « sur Paris » au lieu d’ à Paris,« opportunité » au lieu d’occasion, « encharge de » (américanisme in charge of) aulieu de chargé de, voici la dernière trouvailleentendue de plus en plus souvent à la radio :« derrière » au lieu d’ après. Exemples : « ledessert vient derrière le plat de résistance »,« j’ai eu deux filles derrière deux garçons ».

Écoutez bien, car cette stupidité tend àse répandre.

Irène de Préval75 Paris

Il y en a toujours un(e) pour l’emporter

Après la féminisation des termes,permettez-moi d’être pour la masculinisa-tion. Ainsi, estafette doit être masculinisé.On dira un estafette, sinon le général quienverrait une estafette aurait obligation defaire désigner une femme soldat !

Mais je continuerai à appeler monavocate « maître », et non « maîtresse »…

Bon courage !

Jef Destroisain12 Millau

Page 24: L’éditorial de Philippe de Saint Robert Cher Claude Hagège

ESPAGNOL, ITALIEN, anglais pour plusde la moitié de son vocabulaire,sont, vis-à-vis du français, […]

des langues sœurs. » En ces termess’exprime l’étymologiste Grandsaignesd’Hauterive en la Préface de sonDictionnaire des racines des langueseuropéennes (Larousse, 1948) ; unpeuple conquérant, en des tempsreculés, implanta dans notre continentune langue « que l’on ne connaît quepar sa descendance, et que nous appe-lons […] l’indo-européen », car ellesurvit dans les écrits védiques et lesanskrit, langue littéraire ancienne etliturgique de l’Inde, dont beaucoup deracines se retrouvent dans nosétymons.

Qui contesterait à des languessœurs la faculté de s’emprunter destermes ? Entre le français et l’anglais,c’est un droit acquis. Ce qu’ici nouscritiquons, ce sont les emprunts inutiles,disgracieux et inappropriés, adoptéssans nécessité ni discernement. Pour-quoi une « overdose » quand surdoseest synonyme et plus bref ? Pourquoin’est-on plus chargé d’une mission,mais « en charge de », copie servile dein charge of ? Et tous ces gens qui« boostent », quand hier encore ilsstimulaient ! Pourquoi si peu de tech-niques, mais partout des technologies ?Or, la technologie est l’étude des tech-niques. Et pourquoi tant de maladessouffrent-ils de pathologies, alors que lapathologie embrasse l’ensemble dessciences médicales ? La raison en estque l’anglais, trop peu soucieux desétymologies, a subi une dérive, et queles usagers anglomanes du français lesuivent volontiers jusque dans l’erreur.

*

Sémantique, étymologie, syntaxe,orthographe, concourent sans doute àla qualité de la langue plus que la typo-graphie, de fonction plus matérielle ; laméconnaître ou la dédaigner seraitpourtant un grand tort. Avant l’envoi descasses… à la casse et des Linos aumusée ou à la ferraille, le typo effectuaitsur le plomb la composition selon les

règles ; dans les journaux, à l’heure ducoup de feu, un rédacteur pressé comp-tait parfois sur lui pour mettre la ponc-tuation ; il lui arrivait de corrigerimpromptu des fautes d’orthographe,voire de français.

Qui veut connaître la typographiefrançaise consultera le Lexique desrègles typographiques (Imprimerienationale, 1990), ou le Code typogra-

phique (Amicale des directeurs, proteset correcteurs d’imprimerie de France ;Bordeaux, 1942. Réédité sans date parles syndicalistes de la profession), oul’Abrégé du code typographique (Cfpj,1994). Ce code est ouvert aux amende-ments ; chaque éditeur, chaque journal,l’adapte à sa « marche », modifiableéventuellement à l’échelle d’un ouvrageou d’un article. L’Unesco a édité sonpropre dictionnaire typographique. AirFrance a imprimé à son usage un Voca-bulaire particulier. Peut entrer dans lelot le travail de Paul Vivin Abréviations,symboles, sigles & Cie, que publia larevue Graphê. Et n’oublions pas lesfrancophonies d’outre-frontière nid’outre-métropole ; citons, par exemple,le Guide du typographe romand, dont la2e édition par l’Association suisse descompositeurs à la machine remonte à1948.

La langue & la typographie

Pierre-Valentin BERTHIER

Les transgressions et disparités sontfréquentes et nombreuses. Le bonusage veut que les titres d’œuvres et depublications viennent en italique dansun texte en romain ; or, le Canardenchaîné, bien unifié en typographie, neles italique pas, il les guillemette. Enrevanche, il écrit « Premier ministre »avec un P majuscule, comme la plupartdes journaux, alors que le Monde resteen général fidèle à la double minuscule :« premier ministre », forme respectéepar le Journal officiel. Le code a évolué :en 1942 « le Ministère de la guerre », en1990 « le ministère des Affaires étran-gères ». Chez Larousse, on écrit : « lesecond Empire », avec une seule capi-tale, et chez Robert « le SecondEmpire », avec deux. Membre du jurydes « Dicos d’or » de Bernard Pivot,Jean-Pierre Colignon écrit « l’Empire »,sans adjectif, et met deux majuscules à« Second Empire » (La majuscule, c’estcapital ! ; Albin Michel, 2005).

Chez Gutenberg, l’informatique atout révolutionné, et ses premiersproduits sont de modernes incunables.Le code s’y est maintenu, certes, maisl’œil du lecteur discerne souvent unmanque de professionnalisme. Ainsi,ces guillemets ouvrants bêtement isolésen bout de ligne, ou fermants en débutde ligne ; idem, une ligne débutant surune parenthèse fermante ou… un pointd’exclamation. Il est même arrivé queparaisse un texte jonché de dizaines detraits d’union ; la saisie s’était faite aveccoupures en bout de lignes, après quoila mise en pages avait fait réduire lajustification ou la taille des caractères,donc rejeté chaque fois le trait à l’inté-rieur du texte ! Les vieux typos ontregretté, eux, la fin de l’espace fine(espace est féminin en typographie) :naguère, si le deux-points se flanquaitde deux espaces, comme aujourd’hui, lepoint-virgule voulait une « forte » avantet une « fine » après !

L’orthotypographie est devenue unediscipline indispensable pour unebonne qualification, primaire ou

(Suite en page 23.)

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