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Université de Lyon Université Lumière Lyon II Institut d'Études Politiques de Lyon « Ville et pouvoir urbain » L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres L’émergence d’une Avant-garde provinciale à travers trois revues lyonnaises d’après-guerre: Le Mouton Blanc, Promenoir et Manomètre Alicia Dorey Mémoire de Master 1 Sous la direction de Renaud Payre Soutenu le 4 juillet 2011

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Université de LyonUniversité Lumière Lyon II

Institut d'Études Politiques de Lyon« Ville et pouvoir urbain »

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyonde l’entre-deux-guerresL’émergence d’une Avant-garde provinciale à traverstrois revues lyonnaises d’après-guerre: Le MoutonBlanc, Promenoir et Manomètre

Alicia DoreyMémoire de Master 1

Sous la direction de Renaud PayreSoutenu le 4 juillet 2011

Table des matièresEpigraphe . . 5Introduction . . 6Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale . . 12

Chapitre 1 : Un climat propice à l’émergence d’une Avant-garde au lendemain de laGrande Guerre . . 12

1) Un renouveau culturel et idéologique . . 132) Un courant emblématique de l’Avant-garde de l’entre-deux-guerres : leDadaïsme . . 163) Le poids de l’académisme local . . 17

Chapitre 2 : l’émergence d’une Avant-garde locale . . 191) La genèse artistique et littéraire de l’avant-garde lyonnaise . . 192) Le rôle de l’imprimerie Audin . . 223) Le rôle de Pierre Combet-Descombes . . 25

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir EtManometre . . 31

Chapitre 3 : Une Avant-garde en décalage : Promenoir (1921-1922) . . 311) Une revue locale entre influences extérieures et choix singuliers . . 322) Une revue territorialisée . . 37

Chapitre 4 : Le Mouton Blanc et l’ambivalence d’une époque (1922-1924) . . 391) Le MoutonBlanc, « organe du classicisme moderne » : Prolongement d’un débatd’avant-guerre . . 402) Une revue en décalage par rapport à l’Avant-garde lyonnaise . . 42

Chapitre 5 :Une revue emblématique de l’Avant-garde lyonnaise, Manomètre (1922-1926). . 44

1) Manomètre , une revue locale ? . . 442) Manomètre, une revue internationale . . 46

Partie 3 : L’Avant-Garde Souffle Sur La Ville . . 50Chapitre 6 : Les paradoxes d’une avant-garde localisée à vocation internationale . . 50

1) Des revues locales ouvertes à l’international . . 512) Internationalisation et dépendances multiformes des revues locales . . 53

Chapitre 7 : Une réflexion sur la ville . . 561) Une idée de l’urbain : revues, ville et typographie . . 562) Les architectes d’Avant-garde à Lyon . . 59

Chapitre 8 : Le déclin des revues : la mort d’une avant-garde ? . . 621) Le tournant des années 1930 et la fin de revues emblématiques . . 622) Une victoire du classicisme provincial ? . . 65

Conclusion . . 67Références bibliographiques . . 69

Sur l’Histoire culturelle et artistique . . 69Sur l’Avant-garde . . 69Sur Lyon . . 70

Ouvrages . . 70

Travaux étudiants . . 70Sources . . 72

Archives privées : Fonds Ancien de la Bibliothèque Municipale de Lyon . . 72Archives privées : Fonds Audin, Musée de l’imprimerie de Lyon . . 72Ressources internet . . 72

Index des noms . . 73Annexes . . 75

Epigraphe

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EpigrapheRemerciements« En criant, comme on le fait tous les cinq ou dix ans, que l’avant-garde estmorte, on signifie seulement qu’à la tête bourgeonnante du monstre, une certaineavant-garde cède sa place à une autre et commence à descendre vers lesanneaux de la queue.»Jean Epstein, Esprit de Cinéma, 1955

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

6 DOREY Alixia_2011

Introduction

« Il n’y a pas d’histoires. Il n’y a jamais eu d’histoires. Il n’y a que des situations, sans queuesni tête ; sans commencement, sans milieu, et sans fin ; sans endroit et sans envers ; onpeut les regarder dans tous les sens ; la droite devient la gauche ; sans limite de passé ou

d’avenir. ». 1 Lorsque l’essayiste et cinéaste d’avant-garde Jean Epstein écrit ces lignes en

1921, il esquisse non seulement le portrait d’un état d’esprit caractéristique des « annéesfolles », telles qu’on les a nommées rétrospectivement, mais témoigne aussi de l’émergenced’une nouvelle manière d’envisager la production artistique et littéraire. Le caractère volatiledu terme d’avant-garde se définit par sa propension à n’exister qu’en fonction de ce qu’elleprécède et annonce. L’acception intellectuelle et esthétique de la notion d’avant-garde est

en premier lieu une « dialectique de l’action, qui se propulse vers l’avant. » 2 .Au-delà d’une analyse de cette dialectique de l’action, il importe de s’interroger sur le

champ d’action de ces avant-gardes, non pas uniquement d’un point de vue symbolique,mais par une approche territorialisée. L’étude d’une avant-garde à l’échelle d’une ville,Lyon, durant la période de l’entre-deux guerres, témoigne de cette variable fondamentaleque constitue le territoire. Ce dernier semble être à la fois structuré et structurant. Lesrevues avant-gardistes qui essaiment à Lyon durant cette période sont symptomatiques decette ambivalence. Si les recherches sur l’avant-garde soulignent leur vocation nationale ouinternationale, l’échelle locale semble quelque peu négligée. Derrière l’analyse formelle dela notion d’avant-garde, on distingue une imbrication de plusieurs « champs sociaux », à

l’instar du sociologue John Barnes 3 : Le premier est fondé sur une base territoriale, c'est-à-dire politique, hiérarchique et stabilisée ; le second correspond au système industriel,autrement dit l’organisation de ce réseau autour d’une activité principale ; enfin le troisièmese compose de relations informelles d’interconnaissance. Les relations entre ces individussont transitives, dans la mesure où un nombre restreint de connaissances peuvent suffire àrelier une myriade d’individus entre eux de manière indirecte. De ce postulat découle tout leparadoxe du fonctionnement d’une avant-garde, qui revendique son refus des conventionstout en s’inscrivant dans un réseau organisationnel d’interconnaissance à une échellebeaucoup plus restreinte que celle à laquelle elle semble aspirer. Si le territoire apparaîtcomme étant une variable clé de la constitution d’un réseau social, la formation d’une avant-garde à l’échelle locale semble se heurter au poids d’un certain provincialisme, ayant unimpact sur son activité principale, qu’il s’agisse de productions artistiques ou littéraires,et plus particulièrement de la publication d’une revue. C’est alors au cœur du « champsocial » des relations d’interconnaissances que se joue la formation d’un mouvementd’avant-garde à l’échelle locale. Celui-ci balance entre un mimétisme des mouvementsavant-gardistes reconnus et retranchement dans des structures stabilisées, moyennant unecertaine forme d’institutionnalisation. Ainsi, comment une avant-garde provinciale parvient-

1 EPSTEIN, Jean, Cinéma, Paris, Editions de la Sirène, 19212 ESTIVALS, Robert, GAUDY, Jean-Claude, VERGEZ, Georges, L’Avant-garde, Paris, Bibliothèque Nationale, 1968, p 15

3 BARNES J. A. "Class and Committees in a norwegian Island Parish", Human Relations, 7, 1954,pp. 39-58

Introduction

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elle à se construire dans un environnement peu propice à son éclosion, et s’inscrit dès lorsdans un rapport structurant avec la ville qui l’a vu naître ?

Nombreuses sont les disciplines ayant traité de la notion d’Avant-garde. La spécificitéde cette thématique réside dans l’évolution même du concept d’avant-garde au sein despublications de périodiques: d’abord militaire, il est devenu politique, et enfin esthétique etculturel. En dépit de cette complexité à séparer ce qui relève du politique de l’esthétiqueau sein des écrits relatifs aux avant-gardes, deux champs disciplinaires peuvent êtremis en avant : l’Histoire, notamment l’Histoire de l’art, et la Sociologie. Plusieurs anglesd’approches peuvent être envisagés à partir des hypothèses et théories existantes : uneapproche externaliste qui privilégie une approche plus contextualisée, où un mouvementd’avant-garde est envisagé à travers le prisme d’un contexte politique, social et économiqueprécis. Ensuite, une approche dite internaliste, privilégiant la monographie, qui permetd’expliquer l’émergence d’un mouvement avant-gardiste au travers d’une de ses activités,notamment la publication de revues. Enfin, une approche offerte par les sciences socialesnous permettra de dépasser l’opposition traditionnelle en Histoire de l’Art entre internalismeet externalisme. Il est en revanche fondamental d’en articuler les principales caractéristiqueset méthodologies, qui serviront de fil directeur à ce travail de recherche, afin de déterminerles liens entre avant-garde, société locale et les productions artistiques et intellectuelles quien résultent.

La nécessité d’une analyse internaliste de la notion d’avant-garde constitue unpréalable indispensable à ce travail de recherche. Deux angles d’approche sont à prendreen considération : Il s’agit dans un premier temps de définir les origines de cette notion,les évolutions sociales dont elle est le symptôme, les personnes qui s’en réclament, ainsique les mouvements et systèmes de pensée qui s’y inscrivent, pour adopter ensuiteune approche plus centrée sur la production de cette avant-garde, approche notammentprivilégiée par tout les tenants de la méthode analytique en Histoire de l’Art.

Dans leur ouvrage L’Avant-garde, paru en 1968, Robert Estivals (Dir.), Jean-ClaudeGaudy et Georges Vergez traitent de l’utilisation du terme « Avant-garde » au sein des titresde périodiques publiés depuis la fin du XVIIIème siècle jusqu’au début du XXème siècle.Cette analyse permet de retracer l’évolution du concept d’avant-garde. Ainsi, on passeprogressivement d’une acception militaire de l’avant-garde à une acception intellectuelleet esthétique. Vient s’insérer entre ces deux acceptions l’existence d’une avant-gardepolitique. Selon Robert Estivals, « l’avant-garde est action, pulsion même, puisqu’elle vise àêtre en tête. L’action de l’avant-garde culturelle est devenue action de l’esprit sur lui-même.4 ». Les revues d’avant-garde affirment une volonté de se placer en porte à faux avec lemouvement culturel de leur époque. On constate qu’au début du XXème siècle le vocabled’ « Avant-garde » tend à disparaître du titre des périodiques, notamment à cause de latrop forte politisation acquise par ce concept au cours des décennies précédentes.

L’analyse internaliste peut également être présente sous l’angle du contenu esthétique,

notamment en Histoire de l’art 5 . Giovanni Morelli, historien de l’art du XIXème siècle,

développe les notions d’attributionnisme et de connoisseurship. Ces deux méthodespeuvent être qualifiées d’internalistes, dans la mesure où elles mettent l’emphase surl’œuvre, indépendamment de données annexes.

4 ESTIVALS, Robert, GAUDY, Jean-Claude, VERGEZ, Georges, op cit, p 155 Z ERNER , H, « Giovanni Morelli et la science de l'art », in Revue de l'art , n o 40-41, pp. 209-215, 1978.

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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La procédure classique d’un travail de recherche en sciences sociales consiste àélaborer une analyse critique des sources avant de procéder à une description minutieusede l’objet d’étude, pour être en mesure de faire une étude comparée qui permet dedégager de potentielles régularités entre ces revues d’avant-garde. Ceci constitue le pointd’achoppement entre nos deux approches internalistes. La méthodologie privilégiée parRobert Estivals vise à dépasser l’opposition entre une méthode quantitative privilégiantla statistique, et une approche qualitative se fondant sur l’évolution historique des revuesd’Avant-garde. La démarche adoptée est la suivante : il s’agit dans un premier temps d’unedémarche qualitative visant à déterminer quelles sont les idées soutenues sous le vocabled’avant-garde, puis de mener une étude quantitative sur les fluctuations historiques decette notion. Une telle démarche appliquée à l’étude de revues avant-gardistes présentel’avantage d’amener de nouvelles interrogations quant à la variation du contenu et desthèmes soulevés par ces publications. En Histoire de l’Art, par une mise en valeur de latouche particulière d’un artiste, Giovanni Morelli parvient de manière quasi scientifique àétablir des liens entre plusieurs tableaux d’un même peintre ou d’un même mouvement.Cette méthode s’applique aisément à la notion d’avant-garde : il s’agirait ainsi de décelerce qui, au sein d’une revue, participe d’un procédé commun à toutes les revues avant-gardistes. Une approche internaliste constituera donc en une étude minutieuse de cesrevues, au travers de plusieurs caractéristiques : les typographies utilisées, les individusqu’elles mobilisent, leur appartenance politique, les lieux qu’elles investissent, afin dedéceler au sein de chacune d’entre elles les procédés mimétiques et une approcheparticulière de l’avant-garde.

Le courant académique privilégiant une approche externaliste entend ancrerl’apparition d’une avant-garde au cœur d’un contexte qui va lui fournir ses conditionsd’existence même. La constitution même d’une avant-garde résulte d’un phénomènenouveau qui a engendré un besoin de révolte et d’action. La prise en compte d’une analyseexternaliste apparaît ainsi comme un des jalons essentiels de ce travail de recherche. Laparution d’une revue d’avant-garde a pour effet de dissocier un groupe restreint d’individuset de le constituer en une sorte d’élite privilégiée. La question des ressources susciteégalement le recours à une prise en compte de l’environnement extérieur, car ces revuesse voient confrontées à des difficultés à assurer leur parution dans la mesure où elles netouchent qu’un public restreint. Se pose dès lors la question de stratégies de diffusion quiremet en cause leur statut même de revue d’avant-garde. Il s’agira ainsi, grâce à l’étuded’un ensemble de facteurs, de déterminer les causes profondes du déclin de ces revuesd’avant-garde.

Rainer Rochlitz, figure majeure de l’Histoire de l’Art de la seconde moitié du XXèmesiècle, s’oppose à une analyse internaliste dite « analytique » dans son ouvrage L’art au

banc d’essai 6 au profit d’une approche qu’il qualifie de « didactique ». Estimant la seule

description d’une œuvre comme insuffisante, il réintègre à l’analyse la notion de valeur, cequi l’amène à considérer l’œuvre dans un entrelacs de jugements issus non seulement d’unpublic mais aussi d’un dispositif institutionnel. Ce courant externaliste atteint son paroxysmeavec le manifeste de l’art contextuel de Jan Swidzinsky, au sein duquel il affirme que« L'art contextuel s'oppose à ce qu'on exclue l'art de la réalité en tant qu'objet autonome

de contemplation esthétique. » 7 . Cette rupture avec le courant internaliste permettrait

d’envisager l’Avant-garde non comme liée à un ensemble de critères esthétiques mais à un

6 ROCHLITZ, Rainer, L’art au banc d’essai, Paris, Gallimard, 19987 SWIDZINSKY Jan, « L’art comme art contextuel (manifeste) », Inter : art actuel, n°68, p 46-50

Introduction

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contexte d’émergence particulier : « Il (l’art contextuel) est concerné par le niveau profondde la structure de civilisation, niveau qui en génère l'idéologie et les mythes, qui en régit la

proxisociale, les sciences, la culture et les arts. » 8 . Il est donc indispensable de prendre encompte le contexte politique et social spécifique d’émergence de la revue afin de voir sesliens avec le pouvoir politique et les modèles institutionnalisés. L’avant-garde est avant toutune revendication, qui s’explique par une confrontation directe avec l’environnement socialet culturel dans lequel elle naît.

Une approche sociologique de l’avant-garde permet de dépasser l’oppositiontraditionnelle en Histoire de l’Art entre internalisme et externalisme. Il s’agit de prendre encompte de manière concomitante les dispositifs sociaux d’une avant-garde à travers sesformes de sociabilités et ses rapports aux institutions, tout en analysant les productions quilui sont liées.

Le concept de « Monde de l’Art », développé par le sociologue américain HowardBecker dans son ouvrage Les Mondes de l’Art en 1988, servira de fil directeur à cetravail de recherche. Une revue d’avant-garde peut à juste titre être considérée commeun « Monde de l’Art », dans la mesure où elle opère la synthèse de tout un ensembled’acteurs qui participent à une production artistique, au travers d’activités aussi diversesque la peinture, la sculpture, le cinéma, la poésie ou l’architecture. Cette analyse serattache à la théorie interactionniste de l’action collective. L’ouvrage se centre plus sur lesrelations interindividuelles, non pas en termes de domination mais dans ses dimensionsmatérielles et cognitives. Le raisonnement opéré par Howard Becker atteste qu’un mondede l’art se définit comme un réseau d’acteurs qui coopèrent, dans le but d’accomplir un

ensemble d’activités spécifiques 9 . Becker ne parle non pas en termes de dépendanceunilatérale mais d’interdépendance de la part des acteurs d’un « Monde de l’art ». A cetégard, les rapports d’interdépendance entre les revues d’avant-garde semblent avoir éténotables, notamment à l’échelle locale, nationale et internationale, mais aussi au sein mêmedes rapports entre les collaborateurs de ces revues. La question de la mobilisation desressources reste centrale:Un « Monde de l’Art » s’adapte en permanence aux moyens dediffusion dont il dépend, notamment les imprimeurs et les éditeurs. Se pose dès lors laquestion des ressources matérielles et financières qui influencent la régularité des parutions,et indirectement celle des relations avec le pouvoir politique local au travers de potentiellessubventions et d’autorisation d’exposition ou de publication. Ainsi, les relais au sein dumonde politique sont un des facteurs de subsistance d’un mouvement d’avant-garde àl’échelle locale. C’est la combinaison des décisions prises à l’échelle interne d’une revueet des décisions prises au sein de leur environnement direct qui permet d’appréhender lesconditions d’existence d’une revue et son relatif impact sur la société.

En disséquant tout un ensemble de micro-procédés, de fonctions et de trajectoiresindividuelles, l’analyse sociologique révèle ce qu’Howard Becker appelle « l’épaisseurcollective de la production de l’art ». Le chercheur est tenu d’identifier qui agit avec qui,pour produire quoi, selon quel degré de régularité, et sur la base de quelles conventions.Cette démarche paraît pertinente dans le cas des revues avant-gardistes lyonnaises del’Entre-deux-guerres, car c’est grâce à l’application de ce type de raisonnement que serontétudiés les rapports entre les auteurs de ces revues et les acteurs qui gravitent autour deleur production. La méthodologie appliquée par Howard Becker dans son ouvrage consisteà élaborer des hypothèses quant au fonctionnement interne et externe d’un Monde de l’Art,

8 SWIDZINSKY Jan, ibid, p479 BECKER, Howard, Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, 1988

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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avant de l’appliquer méthodiquement à un cas concret. Howard Becker fait très peu detypologies, et en effet peut on établir une typologie de l’avant-garde ? Le seul différentiel surlequel travaille Becker est le degré d’intégration. Les acteurs inventent des frontières entreart et non-art. Il met en évidence de nombreux problèmes de coordination, d’abord entrel’artiste et le diffuseur, mais aussi entre l’artiste et un public peu aventureux. Howard Beckerparle d’interdépendance et pas de dépendance unilatérale de l’artiste, car même l’éditeurd’une revue se trouve face à une incertitude, dans la mesure où des solutions de substitutionpeuvent être choisies par le comité de rédaction. L’analyse beckerienne insiste d’abord surle processus de mobilisation grâce auquel un mouvement d’avant-garde attire tous ceuxdont la nouvelle activité exige la coopération pour s’imposer durablement. Il s’agira donc dene pas négliger les interactions de second plan qui influent sur le contenu et la régularité despublications. Ainsi, la sociologie vient dépasser l’analyse du concept d’avant-garde offertepar l’Histoire de l’Art pour fournir une nouvelle approche sur la manière de penser le lienentre avant-garde, société locale et production.

Ainsi, comment à travers des idéaux avant-gardistes à vocation supranationale émergeune avant-garde territorialisée et terriorialisante, qui à la fois promeut et déconstruit unterritoire, en faisant de la dimension « ville » une composante fondamentale de son discourstout en s’inscrivant dans une volonté de négation du provincialisme ?

Un travail de recherche sur les revues d’avant-garde lyonnaises durant la période del’Entre-deux-guerres servira de support à cette interrogation. L’étude du Promenoir, duMouton Blanc et de Manomètre, considérées comme les premières revues avant-gardistede l’après-guerre à Lyon, ne pourra être détachée d’une étude sociologique sur les formeset les réseaux de pouvoir qui leur sont attenants. De plus, il s’agira de définir le degré deporosité des différents « Mondes de l’art » à Lyon durant l’entre-deux-guerres, au travers desdiverses collaborations à la rédaction de ces revues. La variable contextuelle et subjectivedes rapports entre la revue et ses moyens de diffusion sera privilégiée dans ce travail derecherche, dans la mesure où dans le cas du Promenoir, le « producteur » est aussi le« diffuseur » : Marius Audin, propriétaire de l’Imprimerie des Deux-Collines, est égalementgérant de la revue, ce qui pousse à s’interroger sur l’existence d’une politique éditorialeparticulièrement favorable à l’Avant-garde en province. Il s’agira, grâce à un cheminementprogressif au sein du contexte d’émergence de ces revues, de définir les contours, lesacteurs et les contenus qui les composent, dans un mouvement de va-et-vient perpétuelentre revendication d’une singularité à l’échelle locale et aspiration à appartenir à un plusgrand ensemble, celui des parutions avant-gardistes qui essaiment dans toute l’Europe. Cetravail de recherche constituera ainsi en une analyse de la spécificité d’une Avant-garde deprovince durant la période de l’entre-deux-guerres, où la population paraît moins encline àaccueillir un renouveau artistique et conceptuel. Au-delà d’une monographie du Promenoir,de Mouton Blanc et Manomètre, ce travail sera l’objet d’une réflexion sur l’émergence, ledéveloppement et le déclin d’un mouvement d’Avant-garde, mais aussi une entrée au seinde la société lyonnaise des années 1920.

.A cela vint s’ajouter un travail d’archives rassemblant un corpus important decorrespondances entre les différents individus ayant collaboré de manière pérenne ousporadique, lâche ou engagée, à la production et à la diffusion de ces revues. Les archivesprivées de collectionneurs et les fonds des bibliothèques de Lyon et Paris permettentde sonder l’ensemble d’un réseau d’avant-garde ayant émergé au travers de multipleséchanges, qu’il s’agisse de lettres, d’envois de revues et de commandes littéraires ouartistiques, à l’échelle locale, nationale et internationale. Le réseau ne saurait néanmoinsconstituer un prisme d’analyse unilatéral de la vie sociale. Il rend compte ici de la diversité

Introduction

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des relations et des procédés de construction d’une avant-garde, mais il s’agit de garder àl’esprit que cette dispersion même amoindrit considérablement son potentiel heuristique.

Le réseau d’avant-garde lyonnais qui se construit autour des revues le Mouton Blanc,Promenoir et Manomètre se fonde sur un réseau d’interconnaissances qui ne semble pascirconscrit à l’échelle de la ville. Il s’agit ainsi de disséquer méthodiquement les différentsréseaux qui émergent non seulement au sein du groupe dont il est question, mais aussientre ce dernier et d’autres groupes. Si tous se revendiquent d’une certaine conceptionde la modernité, les relations intra-groupes et inter-groupes structurent le réseau dans sonensemble, dans un va et vient permanent entre local, national et international. On distingueplusieurs sortes de réseaux : nous avons ici un groupe extrêmement restreint dont on peutétudier la nature des relations et leurs contenus, mais aussi un réseau dit intermédiaire, celuides groupes avant-gardistes à l’échelle du territoire national ainsi qu’à l’échelle européenne,dont l’étude se veut nécessairement plus parcellisée, mais qui n’en explicite pas moins lesdifférentes variables à partir desquelles ces groupes entrent en interaction.

Le système industriel, autrement dit l’organisation de ce réseau autour de la publicationd’une revue, témoigne de cette ambivalence, entre volonté d’exister au sein d’une villede province reconnue pour son conservatisme et aspiration à élargir son réseau au-delàdes frontières symboliques de la ville. A des stratégies de mimétisme issues de revuesdiffusées au sein des cercles d’avant-garde des capitales européennes viennent s’ajouterdes spécificités puisées dans un registre circonscrit au cœur d’un réseau beaucoup plusrestreint, composé d’artistes locaux et de personnalités emblématiques de la vie mondainelyonnaise de l’époque. C’est ainsi à l’échelle de la ville, des lieux de production et derencontre, que l’on peut tenter de reconstruire les stratégies d’un groupe d’avant-gardeancré dans un territoire.

Le positionnement géographique de ce groupe d’avant-garde donne à ce réseau unebase territoriale à partir de laquelle vont se créer des liens stabilisés et hiérarchisés,notamment autour du pouvoir politique et des structures qui assurent le travail d’impressionet de diffusion, garante d’une certaine visibilité. L’institutionnalisation à l’échelle localecontraste ainsi avec la vocation d’une avant-garde qui souhaite s’affranchir de toute frontièrephysique, artistique et symbolique. L’avant-garde se fait alors miroir de la ville elle-même,dans la mesure où elle permet de rendre compte d’une morphologie et d’un état d’espriturbain particuliers qu’elle contribue à entretenir et qui influe en retour sur sa capacité àexister en dehors des frontières symboliques de la ville.

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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Partie 1 : Naissance D’une Avant-GardeProvinciale

« Il nous faut des œuvres fortes droites précises et à jamais incomprises »Tristan Tzara, DADA,1917

La constitution même d’une avant-garde résulte d’un phénomène nouveau qui a engendréun besoin de révolte et d’action. Dans le cadre d’une telle approche, il s’agit de ne pasdissocier un mouvement d’avant-garde de son contexte d’émergence, afin d’être en mesurede déterminer en quoi l’environnement dans lequel elle naît influe sur les productionsartistiques d’un mouvement. L’adoption d’une approche externaliste semble pertinente àbien des égards, notamment car elle permet de démontrer que l’acceptation ou le rejetd’une avant-garde est largement tributaire de l’environnement au sein duquel elle estperçue. La période de l’entre-deux guerres voit émerger une nouvelle manière d’aborderla modernité, à l’instar d’intellectuels tels que Tristan Tzara, l’un des fondateurs les plusinfluents du mouvement Dada : « Un monde ancien est en train de disparaître, un nouveaumodernisme se fait jour sous les aspects de la civilisation mécanique, des nouvellesinventions, des moyens accrus de locomotion, en un mot, du développement industriel et

bancaire de la bourgeoisie conquérante. » 10 . Ce renouvellement occasionne de profondsbouleversements au sein des milieux intellectuels et artistiques français et européens. Sil’avant-garde parisienne semble mieux lotie que ces consœurs de province, l’après guerrereste indubitablement un climat propice à toutes sortes d’expérimentations littéraires etartistiques, qui voit fleurir en Europe des mouvements se réclamant d’une avant-gardeinternationale. Il convient ainsi de définir en quoi la période de l’entre-deux-guerres futfavorable à une telle effervescence, quels en ont été les acteurs et les opposants, etenfin de quelle nature est l’avant-garde qui naît à Lyon au lendemain de la PremièreGuerre mondiale. Alors que l’avant-garde est surtout un phénomène issu des grandes villescosmopolites, peut-on réellement parler de l’émergence d’une avant-garde provinciale ausein de la ville de Lyon ?

Chapitre 1 : Un climat propice à l’émergence d’uneAvant-garde au lendemain de la Grande Guerre

Dès la fin du XIXèmesiècle, Paris est témoin de ce que l’on a appelé un « réveil des

provinces » 11 : en deux décennies émergent en France diverses associations intellectuelles

10 TZARA T, « Les revues d’avant-garde à l’origine de la nouvelle poésie », in Appendice III, Œuvres complètes, Tome 5, Paris,Flammarion, 1963, p 21011 THIESSE A-M, Ecrire la France, le mouvement littéraire régionaliste de la langue française entre la Belle Epoque et la Libération,Paris, PUF, 1991, p 30

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

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et artistiques, qui se dotent de revues et de maisons d’édition. Se pose dès lors une questioncentrale, celle de la légitimité d’une production littéraire à pouvoir exister lorsqu’elle n’est pasdirectement issue des cénacles parisiens. Ce mouvement provincial constitue un véritable« contre-champ littéraire,organisé autour d’associations et de revues transprovinciales,d’académies, de concours et de critiques spécifiques » et qui n’est qu’un « résultat de

cette contestation de la centralisation littéraire. » 12 . La ville de Lyon, connue pour sonconservatisme en matière littéraire et artistique, n’échappe pas au climat d’effervescenceintellectuelle qui caractérise l’après Première Guerre mondiale. Une timide avant-gardesemble donner une vitalité nouvelle à la vie culturelle lyonnaise. Le statut de celle-ci restenéanmoins ambigu, dans la mesure où cette nouvelle élite semble hésiter entre s’affirmer àl’échelle locale ou exister pour elle-même à l’échelle nationale et européenne. En définitive,y a-t-il un sens à être une avant-garde en province ?

1) Un renouveau culturel et idéologique Suite à la Première Guerre mondiale, une volonté de changement s’empare des jeunesartistes ayant réchappé du conflit. Un malaise se fait sentir chez ces derniers, provoquépar le fait d’avoir survécu à un conflit meurtrier et par celui de se retrouver démunis face

à un « chœur de vieillards » 13 hostile à ce désir de renouveau, resté à l’arrière pendanttoute la durée de la guerre. Se développe alors un mouvement paradoxal, entre une volontéde retrouver un ordre perdu depuis la période jugée décadente de ce que l’on appellerétrospectivement la « Belle Epoque », et celle d’aller de l’avant et de faire table rase dupassé.

a. Les influences de Paris vers la provinceParis est à cette époque le cœur du bouleversement artistique et idéologique de l’après-guerre. Deux tendances opposées apparaissent, qui se justifient de différentes manières :d’une part naît un « retour à l’ordre », représenté par courant nationaliste qui refusel’intrusion de l’art étranger en France, tandis que d’autre part l’avant-garde est accusée

d’être antipatriotique, élitiste et individualiste 14 . La scène artistique française se scinde alorsgrossièrement en deux groupes : des artistes tels que le peintre Fernand Léger, qui participeà la revue avant-gardiste lyonnaise Promenoir, poursuivent leur recherche artistique àtravers le cubisme et le progrès technique, tandis que d’autres restés à l’arrière conserventune facture plus classique. En dépit des obstacles qui freinent l’épanouissement dumodernisme se poursuivent de nombreux progrès dans le monde des sciences, notammentdans le domaine de la médecine, de l’automobile et de la radio, progrès qui vont s’implanteren province par le biais de l’avant-garde : Emile Malespine, fondateur de la revue avant-gardiste Manomètre et médecin de profession, est à lui seul un symbole de cette dynamiqueallant de la capitale vers la province, à travers ses recherches et ses publications sur

l’hygiène et l’habitat 15 . Le cinéma est également un des fers de lance de ce changement

12 THIESSE A-M, Ibid, p3213 GOETSCHEL P, LOYER E, Histoire culturelle de la France de la Belle-Epoque à nos jours, Paris, Armand Colin, 2005, p 3614 GOETSCHEL P, LOYER E, ibid, p4315 MALESPINE E, L’Urbanisme nouveau : l’hygiène et l’habitation, Lyon, l’Effort, 1930

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

14 DOREY Alixia_2011

qui s’étend à la province, grâce à de jeunes avant-gardistes tels que Jean Epstein, qui

enrichit la revue Promenoir de ses réflexions sur le cinéma d’Avant-garde. 16 Enfin, l’édition

joue un rôle fondamental dans la diffusion des idées avant-gardistes : les éditions de laNouvelle Revue Française sont de loin les plus prestigieuses, et influencent grandementles publications provinciales, notamment la revue lyonnaise le Mouton Blanc, qui cite la

NRF à travers les écrits d’André Gide. 17 Paris n’est donc pas la seule ville en France à

bénéficier de ce renouveau intellectuel et artistique. Ainsi, l’évolution des mondes de l’art secaractérisent par un double mouvement, qui voit se conjuguer simultanément coopération

et fragmentation. 18 Ici la coopération se met en place à travers une inspiration commune

entre les avant-gardes, tandis que la fragmentation est avant tout due à l’apparition réseauxsecondaires, tels que les sous-groupes et les dissidences qui se forment à Paris commeen province.

16 EPSTEIN J, Promenoir 1 à 4, Lyon, Les Deux-collines, 1921-192217 GIDE A, « Vérité » in Le Mouton Blanc, n°1, septembre 1922, p 3618 BECKER H, op cit, p 62

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

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Pierre Deval, « Dancing », Promenoir n°2 (Ill1)

b. Une Avant-garde plurielleLes revues avant-gardistes qui naissent pendant l’entre-deux guerres sont le reflet non pasd’une mais de plusieurs avant-gardes, si l’on suit la distinction établie par Tristan Tzara, entreles « grandes » revues qui sont l’emblème un courant et sont généralement représentéespar une maison d’édition, à l’instar de la Nouvelle Revue Française, et les revues dites« jeunes, dont l’existence a toujours été précaire, mais qui ont du se faire entendre et prendreposition sur les différents aspects de l’actualité. Lorsque cette volonté s’est cristallisée enune attitude plus ou moins systématique à l’égard de la littérature et des arts, on peut êtrecertain qu’on se trouve en face d’un groupe cohérent dont la nécessité de s’exprimer est

chargée de signification. » 19 . L’Avant-garde provinciale, et principalement celle qui naît à

Lyon au lendemain de la Première Guerre mondiale, entre dans cette dernière catégorie.

19 TZARA T, op cit, p 260

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

16 DOREY Alixia_2011

2) Un courant emblématique de l’Avant-garde de l’entre-deux-guerres : le Dadaïsme

a. Naissance et influence du dadaïsme sur l’Avant-garde en FranceMouvement artistique et littéraire né à Zurich en 1916, le Dadaïsme s’implante en Francegrâce à des artistes étrangers tels que Tristan Tzara et Hans Arp, dont la collaboration àl’Avant-garde lyonnaise est emblématique de ce renouveau artistique qui éclot en provinceaprès la Grande Guerre. Au-delà d’une volonté de rompre avec un passé douloureux, lemouvement Dada est aussi une tendance marquée par une volonté de tisser des liens

entre les avant-gardes européennes 20 , alors même que la censure limite toute velléitéd’échanges idéologiques et artistiques en Europe. Le dadaïsme entend s’affranchir dupoids des institutions, et notamment des pressions exercées par la presse : « l’art estune chose privée, l’artiste le fait pour lui ; une œuvre compréhensible est produit dejournaliste (…) L’auteur, l’artiste loué par les journaux constate la compréhensibilité de sonœuvre : misérable doublure d’un manteau à utilité publique (…). Flasque et insipide chair

se multipliant à l’aide des microbes typographiques. » 21 Paradoxalement, Dada fait desémules en France au moment même de sa disparition, puisque le mouvement se disloqueen 1921, mais laisse place aux différents courants qu’il a fait émerger. Ainsi, de nombreusesinfluences peuvent être ressenties chez les artistes français, notamment dans les bois etillustrations publiées dans des revues d’avant-garde, à Paris comme en province (insérerillustrations).

La présence de Tristan Tzara, un des fondateurs du mouvement, a été essentielleau développement des influences dadaïstes au sein de l’Avant-garde en France. Il estun personnage central autour duquel gravite l’intégralité des réseaux avant-gardistes enFrance et en Europe. Si le dadaïsme naît concomitamment à une poussée révolutionnairerusse, rien ne prouve qu’il en embrasse la cause, dans la mesure où Dada naît à Zurichdans un pays neutre, ce qui peut laisser supposer que Dada se dissocie de tout ancragepolitique clairement défini. Ainsi, les autorités zurichoises sont « bien plus méfiantes àl’égard des dadaïstes, susceptibles à tout moment d’un exploit inattendu, qu’envers ces

Russes (Lénine, Radek, Zinoviev) calmes et érudits » 22 . C’est ainsi moins politiquementqu’artistiquement que Dada manifeste son insurrection. Le mouvement est en lui-même une« protestation (…) : une révolte contre « la puérile manie d’autoritarisme (qui) veut que l’art

lui-même serve à l’abrutissement des hommes ». 23

b. Dadaïsme, revues et typographie : un modèle pour l’Avant-garde françaiseLes revues figurent parmi les moyens de diffusion phares du mouvement Dada à traversl’Europe. En France, trois revues emblématiques donnent le ton au sein de la capitale, suite

20 TZARA T, Dada, réimpression intégrale et dossier critique de la revue publiée de 1917 à 1922, Nice, Centre du XXème siècle,1976, p1521 TZARA T, ibid,p 18

22 RICHTER H, Dada, art et anti-art, Bruxelles, Editions de la Connaissance, 1965, p1423 DACHY M, Dada et Dadaïsmes,Paris, Gallimard, 1994, p15

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

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à l’arrivée de Tristan Tzara à Paris en 1920 : la revue Dada fondée par ce dernier, 391 deFrancis Picabia, et enfin Littérature de Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault.

Les audaces typographiques de la revue Dada rencontrent de nombreux échos dansles revues avant-gardistes qui naissent dans son sillage, adoptant à de nombreux égardsune stratégie de mimétisme typographique. Il semblerait cependant qu’il n’ait jamais existéde typographie strictement dadaïste : « C’est une erreur assez répandue que de croireque DADA a voulu bouleverser les règles typographiques. Qu’Il ait voulu réagir contre legoût de l’époque n’est pas certain non plus. A mon avis, la typographie DADA a surtoutvoulu obtenir une nouvelle forme de lecture, déroutante pour le lecteur non prévenu, maisn’a jamais pu matériellement se dégager des règles (…) En fin de compte, il semble queDADA ait voulu choquer en employant jusqu’à leurs limites les procédés traditionnels de la

typographie ,mais aucun autre procédé » 24 .Les revues avant-gardistes ne tardent donc

pas à dépasser leur modèle en termes d’innovations typographiques. C’est le sens des motset leurs significations moins que leur forme qui en est bouleversée, bien qu’il soit difficilede qualifier la stratégie du mouvement Dada avec précision : « Est-ce une caricature del’environnement publicitaire, d’une dérision de la propagande politique, ou d’un révélateurde la chose littéraire ? Il est difficile d’en décider(…). Dada, tout en utilisant largement lespossibilités des arts graphiques, rejoint le plus pur classicisme en se contentant souvent

des mots eux-mêmes pour illustrer les textes. » 25

En marge de ces innovations, il convient de souligner le changement qui s’opèresuite à la Première Guerre mondiale : « A Paris, le climat cosmopolite et l’attrait pour lesinnovations artistiques et littéraires, caractéristiques de l’avant-guerre, ont fait place à un

repli conservateur et à une hostilité parfois exaspérée envers la modernité » 26 . Ainsi lemouvement dadaïste est souvent assimilé à une émanation de l’Allemagne ennemie, dansla mesure où bon nombre d’intellectuels allemands étaient présents lors de la fondation duCabaret Voltaire à Zurich. Cet argument vient renforcer le poids du conservatisme, à Pariscomme en province.

3) Le poids de l’académisme local

En ce début de XXème siècle, Lyon est une ville qui reste sous le poids d’un académismepour le moins conservateur. S’il s’agit en premier lieu de se prémunir contre les influencesde la capitale, les institutions locales participent d’une inertie propre aux villes de provinceen matière artistique, où les canons traditionnels priment sur toute autre tendance.

a. Le poids des institutionsA Lyon, le traditionalisme est fortement ancré dans l’histoire de la ville : L’Académie deLyon, créée en 1724, est à ses débuts un porte-parole de la société urbaine face au pouvoirroyal centralisateur. Afin de fédérer les artistes lyonnais autour d’une identité artistique

24 CARADEC F, « Dada avec sans parangon » in Cahiers Dada surréalisme : Sur Marcel Duchamp et Claude Sernet, n°3,Paris, Editions Lettres Modernes 1969,p24

25 SULLEROT F, « Des mots sur le marché », in Cahiers Dada surréalisme : Sur Marcel Duchamp et Claude Sernet, n°3,Paris, Editions Lettres Modernes 1969, p 30

26 DACHY M, op cit, p 227

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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propre, l’Ecole lyonnaise de peinture est créée en 1819. Tout comme le milieu de lapresse locale, cette école prétendument unifiée est un artefact destiné à s’opposer auxinfluences des milieux artistiques et littéraires parisiens. « L’école » devient ainsi un termegénérique qui embrasse tout un ensemble de valeurs jugées typiquement lyonnaises, bien

au-delà des valeurs d’ordre purement esthétique. 27 Les hommes d’influence à Lyon sont

majoritairement issus de deux catégories sociales : un patriciat ancien, dont le nom est liéà l’histoire de la ville, et une bourgeoisie moyenne exerçant principalement des professionslibérales. Ce sont ces mêmes hommes qui transmettent de génération en génération undiscours sur la localité qui apparaît comme fondateur dans la constitution d’une identitélocale. Ils jouent également un rôle prépondérant dans la perpétuation d’évènementsofficiels tels que le Salon d’Automne, qui fait autorité dans le monde de la peinture. Ainsi,« Le Lyonnais ne nourrit pas ses peintres, cela est bien connu : il ne les aime que dans la

misère et ne les admire que dans la réussite officielle.» 28 . Par manque de reconnaissance,les groupes locaux qui tentent d’insuffler un renouveau à l’art provincial se voient contraintsde se plier aux contraintes des institutions et des élites locales.

b. L’émancipation lyonnaise

Tout au long du XIXème siècle, Lyon est resté dans l’ombre de la capitale. C’est au cours desannées d’après-guerre que naît un véritable milieu littéraire organisé, consécutivement à laliquidation d’une bourgeoisie rentière et conservatrice. Ce changement socio-économiquedécoule directement de la prospérité acquise par Lyon grâce à l’industrie de la soieet aux échanges avec des pays extra-européens au cours des années 1920. Cesinteractions directes des soyeux lyonnais à l’extérieur des frontières nationales encouragentprogressivement un désintérêt à vouloir imiter la capitale. C’est ainsi que naissent à Lyondes groupes qui revendiquent leur singularité à l’échelle locale, tirant de cette dernièrecaractéristique leur spécificité même, puisque conscients de ne pas être au cœur de l’action.Il ne s’agit non pas d’une avant-garde qui serait un transfuge de l’avant-garde parisiennemais de groupes qui développent un sentiment « d’auto-référence », et qui élaborent une« vision du monde, processus par lesquels ce groupe se construit lui-même en tant quegroupe et produit ses segmentations internes, ses hiérarchies diverses et les techniques, lescoutumes, les mœurs et les rites qu’il se reconnaît, avec les valeurs qui leur sont attachées.(…) c’est donc l’ensemble de ces processus et procédures de définition et d’action que

nous appelons la culture du groupe. » 29 . Cette définition semble s’appliquer à l’avant-

garde lyonnaise, qui se démarque de l’avant-garde parisienne grâce à la création de revuestelles que Mouton Blanc, Promenoir et Manomètre, dont les caractéristiques majeures ferontl’objet d’une étude approfondie.

La période de l’après-guerre correspond ainsi à un climat d’émulation idéologiqueet artistique. Il ne faut cependant pas oublier que ce phénomène touche prioritairementune élite d’intellectuels, et n’a que peu d’impact sur la population ouvrière et paysanne,majoritaire en France à cette époque. Les « années folles », appellation utilisée pour définircette période charnière de l’entre-deux-guerres, est donc à utiliser avec précaution, car si

27 SAUNIER P-Y, L’Esprit Lyonnais, Paris, CNRS Editions, 1995, p12428 FESTAUD-MERMILLON D, Les Ziniar 1920-1924, Lyon, Musée des Beaux-arts, 1976, p 1029 POCHE B, «Problèmes et contraintes des cultures non-parisiennes en France : Les milieux littéraires à Lyon entre 1830 et 1940 »,in Le rayonnement (mortel ?) des capitales culturelles, Lyon, les Chemins de la recherche, 1996, (pp125-143), p127

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elle concerne un ensemble de domaines aussi varié que la peinture, le cinéma, la médecineet l’industrie, elle rencontre deux limites majeures : une limite générationnelle, dans lamesure où elle est le fait d’artistes relativement jeunes et acquis au modernisme, et unelimite temporelle, car elle connaît un essoufflement rapide dès le début des années 1930. Ilconvient d’en évaluer l’impact sur un milieu avant-gardiste déjà entravé par son inscriptiondans un contexte local.

Chapitre 2 : l’émergence d’une Avant-garde localeLe conservatisme provincial touche durement la ville de Lyon en matière artistique, rendantdifficile l’émergence d’une avant-garde reconnue à l’échelle nationale. Les institutionsfaisant autorité en matière d’art sont peu enclines à recevoir favorablement le renouveauartistique qui a déjà atteint la capitale au lendemain de la Grande Guerre. Cependant, siune avant-garde rencontre des difficultés à exister dans un contexte provincial, ce dernierest paradoxalement indissociable de ses conditions même d’existence. Ce cadre permet àune revue de moindre importance de disposer d’une certaine visibilité en participant à la vieculturelle locale. La ville de Lyon est donc à la fois objet d’attraction et de répulsion pour sesavant-gardes: on critique son conservatisme en matière artistique tout en louant la moindreébauche de renouveau esthétique qui semble naître au lendemain de la Première Guerremondiale. Après l’effervescence de la Belle Epoque qui avait laissé la province quelquepeu en marge, on constate que « Non seulement Lyon a fort bien reçu l’onde de chocdu modernisme parisien, mais encore, grâce à des réseaux favorables (…) Lyon fut, dèsles années 1920, « l’œil de Paris en Province », et une capitale artistique, architecturale,

musicale de premier plan. » 30

1) La genèse artistique et littéraire de l’avant-garde lyonnaiseL’avant-garde lyonnaise constitue à certains égards un système autonome à l’échellelocale. Si elle s’inscrit dans un mouvement artistique de plus grande ampleur, il convientde définir ce qui fait sa spécificité, à travers les différents processus de mobilisationqu’elle engendre autour de ses activités artistiques. Dans un environnement peu enclin àvoir se développer l’élan de modernisme de l’après-guerre, l’avant-garde provinciale doitcompter sur un réseau de coopération solide afin de s’imposer durablement. Celui-ci secompose non seulement d’individus, mais aussi de lieux et d’évènements, qui permettent àl’avant-garde d’exister, quoique modestement, dans un contexte provincial. Se développealors non pas une dépendance unilatérale de l’avant-garde envers ces derniers, maisun rapport d’interdépendance dont il importe de définir les conditions d’élaboration et lescaractéristiques les plus saillantes. En l’absence du rôle majeur joué par l’imprimerie Audin,par l’Université des Heures ou encore par le peintre Pierre Combet-Descombes, l’avant-garde lyonnaise de l’entre-deux-guerres aurait-elle pu exister ?

a. Les peintres d’Avant-garde

30 LOUDE M, Les très riches « Heures » de Madame Grignon Faintrenie, Lyon, ELAH, 2002, p 17

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

20 DOREY Alixia_2011

En dehors des évènements organisés dans un cadre institutionnel tel que le Salond’Automne, les peintres d’avant-garde ont alors la plus grande peine à être exposés. C’estnotamment le cas du groupe Ziniar, créé à Lyon au lendemain de la Première Guerremondiale autour du critique d’art Marius Mermillon. La première exposition du groupe Ziniara lieu à la galerie Saint Pierre en 1920. Aux côtés de peintres locaux tels que Pierre Combet-Descombes et Emile Didier sont exposés des tableaux d’André Derain, Fernand Léger etAmedeo Modigliani. Cet évènement provoque un véritable scandale auprès des lyonnaisbourgeois et bien pensants.

Emile Didier, « L’intran », Promenoir n°2 (Ill2)La revue avant-gardiste Promenoir ne manque pas de souligner l’isolement d’un tel

groupe, attestant ainsi des difficultés à construire une véritable dynamique de renouveauartistique : « ce qui est triste c’est qu’il n’y a que Ziniar à Lyon et que Ziniar a fait preuve

d’un beau renoncement» 31 , peut on lire lors de la seconde exposition du groupe à Lyonen 1921. Paul Leriche, à l’origine de la création du groupe de peintres Ziniar, reconnaît

31 LACROIX J, Promenoir n°3, mai 1921

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

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ainsi que: « Nous, de la province, ne recevons de Paris que les impulsions tardives » 32 . Ils’agit donc d’une avant-garde dont on admet le décalage, mais dont l’existence ne peut êtreremise en cause. Les appartenances multiples de quelques individus à plusieurs groupessont caractéristiques de la faible envergure de l’avant-garde lyonnaise, qui rassemble peud’hommes au sein de divers mouvements. L’émergence d’une revue est bien souventfreinée par un rapport de force constant entre conservatisme et modernisme : « Aprementla coutume est défendue au nom de la beauté parce qu’à toute force s’oppose une force,à tout changement une réaction, et l’idée de beauté est tour a tour positive ou négative,

comme un pendule électrique entre le classicisme et le modernisme. » 33 . Les revues avant-gardistes doivent donc s’insérer dans des ensembles plus larges afin de pouvoir exister.

b. Les revues« Seules quelques revues (…) comme le Fleuve, Manomètre, Promenoir, surtout littéraires,(…) parlaient de cette véritable révolution, qui, depuis les cubistes et les fauves, bouleverseles traditions et avait transformé l’idée que l’on se faisait de l’art en général et de la

peinture en particulier. » 34 Ces revues, quoique marginales, sont créées en réaction auxinstitutions locales mentionnées précédemment. Du côté des revues, la tendance n’est

pas à l’innovation jusqu’à la fin du XIXème siècle. Le seul exemple qui puisse faire l’objetd’une analogie avec les revues avant-gardistes lyonnaises de l’entre-deux-guerres restela Revue du Lyonnais, fondée en 1835 par l’imprimeur Léon Boitel. L’objectif de la Revuedu Lyonnais était de participer à une révolution intellectuelle accompagnant la révolution

matérielle de cette époque. 35 Ceci n’est pas sans rappeler Promenoir, qui nourrit les

mêmes ambitions. Cependant, à la différence de la Revue du Lyonnais, dont le desseinde révolution intellectuelle s’évapore suite à un contrat passé en 1850 avec l’Académie deLyon et la Société Littéraire, Promenoir, le Mouton Blanc et Manomètre ne pactisent pasexplicitement avec les institutions en place, et conservent tout au long de son existence uneopinion critique envers l’académisme lyonnais, bien que ces revues puissent être soutenuespar des personnages influents de la vie culturelle à Lyon. La ville tend ainsi à assimilerses avant-gardes, qui perdent dès lors leur légitimité à être désignées comme telles: lecaractère novateur d’un groupe ou d’une revue est habilement intégré à ce qu’Edouard

Herriot appelle lui-même le « particularisme lyonnais » 36 , en accord avec une traditionlocale de progrès et d’innovation. Il apparaît donc difficile pour une avant-garde lyonnaisede conserver sa spécificité sans s’affranchir du poids de la contrainte locale. Les revues quiparaissent à cette époque rassemblent pour la plupart des individus qui semblent partagésentre tradition et innovation. Ainsi, « Les journaux et les hebdomadaires locaux relataient

surtout les manifestations académiques, officielles et mondaines. » 37 , tels que La Semainede Lyon et La vie lyonnaise, consacrées à la vie culturelle de Lyon. On peut également

32 MERMILLON M, article in Le Tout Lyon du 16 mars 192433 DALBANNE C, « La typographie aujourd’hui »,in Les Causeries typographiques, Lyon, Les Deux Collines,1921

34 LOUDE M, op cit, p3935 SAUNIER P-Y, op cit, p 13136 SAUNIER P-Y, op cit, p 19537 LOUDE M, op cit, p 45

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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citer Les Pages lyonnaises dont le comité d’honneur compte parmi ses membres EmileMalespine, qui fondera la revue avant-gardiste Manomètre, Auguste Lumière, qui participeraà la revue Promenoir et Edouard Herriot lui-même. Les individus se revendiquant d’avant-garde participent donc également à des publications pour le moins consensuelles, ce quitraduit une difficulté à n’exister qu’en négativité par rapport aux conventions locales. Bienque l’avant-garde lyonnaise ne semble être qu’une pâle copie de l’avant-garde parisienne, etpuisse à cet égard être considérée comme une avant-garde d’après garde, il existe quelquesexceptions qui parviennent à s’affranchir partiellement des divers obstacles rencontrés àl’échelle locale.

2) Le rôle de l’imprimerie AudinL’imprimerie Audin voit le jour à l’automne 1918, sur les restes de l’ancienne imprimerielyonnaise Décleris. Située rue Davout dans le quartier de la Guillotière, elle est un pointcentral d’une rive gauche en pleine mutation. Décrite comme « Une sorte de templeartistique ouvert à toutes les manifestations intellectuelles, offrant, en dehors de tout butmercantile, à tous les talents connus ou ignorés la facilité de se produire ou de se révéler au

public lyonnais. » 38 , elle reste un lieu difficile à définir, entre imprimerie, maison d’éditionet lieu de rencontre pour les intellectuels de l’époque. Il faut souligner le rôle fédérateur del’imprimerie Audin, « ou l’activité multiforme du peintre Combet Descombes (…) pour neprendre que ces deux exemples de personnages qui jouent un rôle durable sur la scène

des revues lyonnaises et qui pratiquent le grand écart entre innovation et tradition » 39 .

a. Au centre d’un réseau de diffusionPendant toute la durée de l’entre-deux-guerres, l’imprimerie Audin poursuit avec intensitéses travaux d’impression et d’édition, malgré des conditions parfois difficiles. En dépitde cela, Marius Audin se prononce en faveur de la modernité dans les CauseriesTypographiques, où il affirme qu’ « il y a nos méthodes, désuètes et pitoyables, que chacuna le droit de critiquer puisque nos prétendues écoles d’art typographique en sont lesmaladroites propagatrices ; il y a cette nécessité pressante que nous regardions un peuautour de nous, que nous nous disions bien que nous ne sommes pas seuls au monde ; qued’autres que nous, et mieux que nous, cherchent une voie nouvelle où s’engager pour faire

bien et pour mieux faire » 40 . Le nombre des projets instigués par la Maison Audin est unepreuve de l’aura croissante dont elle dispose parmi les cercles d’intellectuels lyonnais. Suiteà la création de la revue Les Lectures, dont la durée n’excède pas quatorze mois, est fondéela maison d’édition des Deux Collines sur conseil de l’historien d’art Henri Focillon. Il disposedu soutien financier de l’industriel Robert Laurent-Vibert de 1920 jusqu’en 1925, ce quipermet de supposer, au vu du nombre d’ouvrages édités durant cette période, que cet appuia été essentiel à la survie de l’imprimerie et au maintien d’une politique éditoriale résolumenten faveur de l’Avant-garde. L’arrivée de Laurent-Vibert dans le capital de la maison Audincoïncide avec un changement de technique d’impression : En 1920, Marius Audin optepour une fondeuse monotype, outil moderne qui permet une composition régulière de types

38 AUDIN M, Thesaurus Amicorum, Lyon, Audin, 1952, p?39 BONNIKE M, « Manomètre et l’avant-garde internationale à Lyon 1920-1928 » in La Revue des Revues, n°8, 1989-1990, pp 4-1040 AUDIN M, « Edito », in Les Causeries typographiques, Lyon, Les Deux Collines, 1921,p 2

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

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séparés, or les caractères d’imprimerie sont des critères esthétiques essentiels pour l’Avant-garde, dont les revues comprennent de nombreuses innovations typographiques. Audinsemble ainsi laisser aux collaborateurs des revues une «marge de manœuvre qui consiste

à faire accepter des œuvres non-conformes. » 41

La qualité de ses travaux et ses audaces typographiques font de lui un éditeur de choixpour la revue d’Avant-garde Promenoir, dont il est également le directeur et l’imprimeur :« Connu, estimé dans tous les milieux qui touchaient à l’édition d’art, il n’eut pas depeine pour attirer autour de lui la foule de ces éditeurs-esthéticiens nés de l’enthousiasmecréateur qu’avait suscité l’immédiate après guerre, et qui avaient le plus grand besoin de

ses éminentes qualités de maître typographe. » 42 La maison Audin est sollicitée parbon nombres d’artistes et d’écrivains lyonnais, ce qui l’amène à réaliser de « petits bijoux

typographiques » et « d’étranges manifestes ». 43

41 BECKER H, op cit, p14642 AUDIN M, Thesaurus Amicorum, Lyon, Audin, 195243 AUDIN M, ibid

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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Pierre Combet Descombes,imprimé par la Maison Audin (Ill3)

b. Au centre d’un réseau d’interconnaissanceMarius Audin est au cœur d’un réseau d’intellectuels extrêmement dense en proportionde l’étroitesse des milieux intellectuels de la ville. Il fonde un cercle littéraire et artistique,le « Cercle des Deux Collines », qui réunit tous les jeudis jusqu’à 36 personnes.L’imprimerie est avant tout un lieu où se croisent des personnalités influentes de lavie culturelle lyonnaise, en dépit de son aspect modeste : « Dans le quartier de laGuillotière, (…), l’imprimerie Audin se distingue difficilement des pauvres maisons quil’entourent. (…) Au-delà des confrontations commerciales, des délais de livraison, desacceptations d’échéances, s’établissent entre les hommes ces relations d’estime et

d’amitié. » 44

44 DEROUDILLE R, « L’officine », AUDIN M (Dir), in Thesaurus Amicorum

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

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Ses activités ne se limitent pas à l’édition et la recherche typographique, puisqu’iltouche également à des domaines tels que la peinture et l’architecture : Si les locaux del’imprimerie servent de lieu d’exposition pour des artistes lyonnais, Marius Audin ouvre enfévrier 1919 une galerie d’art située au 20 rue Gasparin, destinée aux peintres d’avant-garde. Cette galerie est fréquentée par des peintres du groupe Ziniar tels que PierreCombet-Descombes, qui qualifie l’engagement artistique d’Audin de « non-conformisme

vrai, dans le classicisme même » 45 , ainsi que par le docteur Emile Malespine, fondateurde la revue Manomètre. La galerie a une existence éphémère, probablement à cause d’unmanque de reconnaissance. Marius Audin organise également, de concert avec l’architectePierre Renaud, les « Expositions d’Art décoratif moderne », tout en occupant le poste desecrétaire général de ce groupe qui compte parmi ses membres l’architecte Tony Garnieret le peintre Fernand Fargeot. L’objectif de ce groupe est pour le moins ambitieux : « nousdésirions créer un véritable mouvement d’art, trouver de jeunes talents, les encourager,les mettre en mesure d’exposer, eux aussi, quels que soient leurs moyens financiers etl’importance de leur production, les mettre en relation entre eux, en somme donner à l’art

décoratif moderne un sens éducatif » 46 Cependant, le caractère éphémère de ces initiativesmasquent mal le peu de considération dont elles font l’objet de la part des institutions.

3) Le rôle de Pierre Combet-DescombesL’avant-garde lyonnaise de l’entre-deux-guerres doit beaucoup à un personnage, qui relieentre eux plusieurs groupes distincts : Pierre Combet-Descombes, peintre lyonnais, quiparticipe à une multitude de revues et groupements locaux qui essaiment à cette mêmepériode. Aussi longtemps que durent les « années folles », Combet-Descombes est au cœurd’une avant-garde qui ne se limite pas à Lyon mais s’étend également à la capitale ainsiqu’à d’autres villes de province.

a. Au cœur des revues Pierre Combet-Descombes s’inscrit dans un réseau d’échanges soutenu avec ceux quicomposent l’avant-garde de son époque. Il reçoit de nombreuses revues parisiennes etétrangères dans son atelier lyonnais, qui sont parfois l’objet de commande : « Je serai trèsheureux de recevoir la revue Action. Ci-joint un mandat de 20 francs pour un abonnement

d’un an » 47 . Il échange également avec d’autres revues locales sur la vie culturelle etartistique lyonnaise des années 1920, notamment avec Gaston Clopeau, rédacteur dela revue Les Mouettes à Saint-Genis Laval. Il devient progressivement un relais entrel’imprimerie Audin et certaines revues qui comptent parmi l’avant-garde de province, à enjuger par sa correspondance fournie avec l’éditeur Camille Belliard, directeur de la Revuedes Provinces et qui participent à la revue Primaires: « Cher Monsieur, J’ai bien reçuvotre mot m’assurant la remise des revues à Monsieur Audin. Ci, veuillez trouver quelquesbulletins de souscriptions pour le cas où vous aimeriez les placer. (Si vous en voulez

45 COMBET DESCOMBES P, AUDIN M (Dir), in ibid46 RENAUD P, « L’Art décoratif moderne », in AUDIN M, ibid

47 Bibliothèque Municipale de Lyon (BML), Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms7262, Lettre de Pierre Combet-Descombes à MarcelSauvage, le 23 décembre 1919

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

26 DOREY Alixia_2011

d’autres, je vous en enverrai). » 48 Les échanges se font principalement par le biais d’envoisde lettres, accompagnées de nouvelles publications souvent peu diffusées. Dès lors se créeun rapport de dépendance envers des personnages qui disposent d’un réseau susceptiblede faire le succès d’une revue : « Vous m’aviez promis de me donner quelques adresses depersonnes (...) Je vous serai bien vivement reconnaissant de m’aider ainsi à placer quelquesexemplaires. Je profite de ce mot pour vous remercier_vous croyant l’auteur de l’aimable

note en la faveur des Primaires, lue dans le premier numéro de l’Idée.» 49 Cette dernièrerevue est le fruit d’une amitié entre Pierre Combet-Descombes et Lucien Chiselle, écrivainet éditeur parisien, qui lui propose d’élaborer une revue ensemble en s’appuyant sur despublications préexistantes : « Donc, vous pouvez marcher, puisque le cœur vous en dit,pour un cahier d’art et de littérature de 12 pages par mois, en attendant (…) je reprends la

tradition du Penseur » 50 . La revue qui paraît dès les premiers mois de l’année 1923 estl’illustration du caractère hétéroclite d’une Avant-garde qui rassemble des hommes issusde générations distinctes, contrairement à l’idée selon laquelle elle ne pouvait être que lefait d’une jeunesse révoltée. Lucien Chiselle s’appuie sur la relative jeunesse de Combet-Descombes pour créer sa revue, intitulée « Idées, cahier bimestriel de littérature et d’art,qui paraîtra le 20 janvier à Paris, sous ma seule organisation et à mes frais seuls. (…) Idéessera la suite de mes tentatives jeunes. Oui, de ma jeunesse intellectuelle. Ce genre pullule,c’est possible. Et puis après ? Les autres qui ont tellement de revues à leur disposition ne

viendront pas à moi, et je n’en ai cure ! » 51 . La création de revues d’Avant-garde est engrande partie due à un effet de mode plus qu’à une volonté de rupture, et ne peut s’affranchirde contraintes matérielles qui président à l’impression effective des publications : Les effetsdu système éditorial varient selon les circonstances, car les rapports de forces entre éditeurset auteurs peuvent être très différents, tout comme leur « degré de confiance mutuelle et

l’importance des pressions exercées sur l’auteur ». 52

b. Au cœur de relations conflictuellesPierre Combet-Descombes entretient avec la Maison des Deux-Collines fondée par MariusAudin des relations de qualité, qui font de lui un interlocuteur de choix pour les collaborateursdes revues avant-gardistes, moyennant une certaine retenue : « Voyez vous, Combet,j’ai appréhendé les longues correspondances d’échange de vues, les atermoiementsd’un éditeur qui m’a toujours été dépeint honnête homme, certes, et érudit et soigneuxprofessionnel, mais flottant, mais paisible. Or vous, en contact avec lui et amis, vous ne

pouvez guère imposer trop vivement vos vues ». 53 Le rapport de force qui s’installe entre

les revues et la l’imprimeur Audin est donc favorable à ce dernier, ce qui peut s’expliquerpar un décalage entre le désir de l’auteur et la réalité technique : « Vous m’obligerez doncvivement de me l’envoyer d’urgence en m’indiquant, le cas échéant, s’il faut demander

48 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Camille Belliard à Pierre Combet-Descombes, 26 février 192349 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Camille Belliard à Pierre Combet-Descombes, le 26 février 192350 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Lucien Chiselle à Pierre Combet-Descombes le 29 novembre 192251 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Lucien Chiselle à Pierre Combet-Descombes le 2 janvier 192352 BECKER H, op cit, p14453 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Lucien Chiselle à Pierre Combet-Descombes le 4 janvier 1923

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

DOREY Alixia_2011 27

l’autorisation à M. Audin. » 54 . Cette demande souligne l’importance du maintien d’unechaîne de coopération entre les auteurs de revues et l’imprimeur-éditeur qu’est MariusAudin, qui n’est pas exempte de rapports de force et d’incompréhensions qui influent surla composition même de la revue.

Les étrangetés typographiques propres aux revues d’avant-garde rebutent lesimprimeurs qui doivent composer avec leurs propres moyens. Ils influent ainsi sur lerésultat final dans la mesure où les gravures et illustrations d’une revue intègre laproduction de l’artiste et la limite technique de réalisation. Cet écart incompressible faitl’objet de nombreuses protestations, qui viennent fragiliser l’avant-garde locale se sentantincomprise : « Mon cher Président et ami, Notre imprimeur est un tyran. Il vient de me fairedire que si je ne lui donnais pas toute la copie, nous ne sortirions pas car il a beaucoup de

travaux en fin d’année. » 55 Dans cette lettre, Jean-Baptiste Andrieu, fondateur de la revuelyonnaise Reflets, souligne ce sentiment d’incompréhension qui semble être le lot de l’Avant-garde, forcée de respecter des délais stricts : « Mon bon ami et grand maître, Vous allez direque je suis collant, enquiquinant, em…etc. Je m’excuse… mais j’ai ce sacré imprimeur quiest revenu hier soir pour prendre tout ce qui pouvait rester, afin de le donner à la composition.

Sinon, impossible de sortir à la date voulue.» 56 Apparaît à travers la correspondance d’unhomme central pour l’Avant-garde lyonnaise tel que Combet Descombes la fragilité d’unechaîne de coopération souvent changeante et approximative. Il partage cependant avec lamaison Audin des liens privilégiés, cette dernière considérant son avis comme un critèredécisif dans les choix de publication qui sont opérés : « Cher ami, êtes vous content de

moi ? » 57 . A ces décisions s’ajoutent néanmoins des relations de second plan beaucoupplus amicales : Marius Audin et son fils Amable envoient à Pierre Combet Descombes undépliant imprimé par la maison des Deux-Collines sur lequel est inscrit: « A M. PierreCombet Descombes, au maî-aître vénéré et chéri qui, moderne, osa braver le lion jusque

dans le Parc de la Tête d’Or. Hommages admiratifs de deux anthropomorphes.» 58

Pierre Combet-Descombes, L’Effort Libre, n°1 (Ill4)

c. Au cœur de sous-groupes locauxCombet-Descombes paraît doté d’une faculté à prendre part à tous les groupesd’intellectuels qui se créent à Lyon au cours de la décennie 1920. Dans une lettre de JeanDuchamp le 26 juin 1920, il est invité à adhérer à la filiale lyonnaise de la « Société des

jeunes artistes et écrivains français » 59 , et reçoit de multiples invitations à participer à des

publications locales telles que la revue Organisation et Production 60 . Il est associé au

groupe de peintres Ziniar, avec lesquels il expose pendant les quatre premières années de

54 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Lucien Chiselle à Pierre Combet-Descombes, le 2 janvier 192355 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Jean-Baptiste Andrieu à Pierre Combet-Descombes, non datée56 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Jean Baptiste Andrieu à Pierre Combet-Descombes, non datée57 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Marius Audin à Pierre Combet-Descombes, le 21 mars,192058 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Marius Audin à Pierre Combet-Descombes,1919

59 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262, Lettre de Jean Duchamp à Pierre Combet-Descombes, le 26 juin 192060 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262Lettre de Guy Aroud à Pierre Combet-Descombes, le 19 décembre 1919

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

28 DOREY Alixia_2011

sa création, avant d’être rejoints par des « Dissidents du Salon d’Automne » 61 , expositionlyonnaise pour le moins conservatrice qui fait l’objet de nombreuses critiques : « Quand

au Salon d’Automne, il est enterré dans le passé. Et il y a assez de travail sans lui. » 62

. Combet-Descombes sera également lié à la création du Salon du Sud-Est en 1925, quiregroupe des artistes locaux ayant participé de près ou de loin à la « décade bouillonnante

d’idées, de réalisations auxquelles Ziniar servit de détonateur » 63 . Ce salon est inauguréen présence du maire Edouard Herriot le 7 juin 1925 au Palais des expositions de Lyon,où sont également invités des artistes parisiens tels que Claude Monet et les modernesAndré Derain et Raoul Dufy. Il est composé de « Transfuges des Ziniar (qui) avaientpris le nom d’Union régionale des Arts Plastiques », avec pour objectif d’initier le publiclyonnais aux nouvelles tendances de l’art moderne et plus particulièrement à la peinture.64 Le milieu artistique lyonnais est profondément modifié par l’apparition de ces nouveauxgroupes et institutions, qui trouvent un écho parmi les membres d’une avant-garde toujoursprompte à accueillir une remise en cause du conservatisme local en matière d’art. Le fer delance de cette effervescence intellectuelle locale se trouve être le cercle d’intellectuels des« Heures », fondé à Lyon par Madame Grignon-Faintrenie en 1917.

61 FESTAUD-MERMILLON D , op.cit, p1262 BML, Fonds Pierre Combet-Descombes, Ms 7262Lettre de Jean Baptiste Andrieu à Pierre Combet-Descombes, non datée63 FESTAUD-MERMILLON, op cit, p 364 DURY F, « Une association d’artistes à Lyon durant l’entre deux guerres : Le Bois Gravé lyonnais » (Dir. FOSSIER F), Muséede l’Imprimerie, 1997

Partie 1 : Naissance D’une Avant-Garde Provinciale

DOREY Alixia_2011 29

Université des Heures, Promenoir n°5 (Ill5)Elle affirme que dans un contexte « où la France voyait le réveil de ses vieilles énergies,

il était bon et utile, vital même, de donner à toutes les formes de notre culture nationale,les moyens de se développer, de se divulguer que ce soit du côté des aspirations dumodernisme, de l’évolutionnisme, de l’avant-gardisme qui commençaient de toutes parts,

à se faire jour, et ce, sans renier la tradition.» 65 Cette position nuancée traduit la mesuredont fait preuve toute initiative originale à l’échelle locale. Ce cercle rassemble dès sapremière réunion de grandes figures intellectuelles lyonnaises, telles que le maire de LyonEdouard Herriot, le journaliste du Tout Lyon Paul Duvivier, mais également Pierre CombetDescombes, un des chefs de file du groupe de peintres Ziniar et membre du comité derédaction de Promenoir. La participation de bon nombre d’intellectuels aux conférences dece foyer culturel de la rue Confort permet de donner corps à « l’atmosphère étrange de

65 LOUDE M, op cit, p 47

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

30 DOREY Alixia_2011

la créativité bouillonnante qui saisit la ville à partir de 1918 » 66 , et se voit rapidement

concurrencé par l’émergence de nouveaux cercles locaux, tel que le Salon de MadameBach-Sisley, mais aussi de nombreuses galeries d’art ouvertes à l’Avant-garde, notammentla galerie Maire Pourceaux et celle de Marius Audin, qui multiplie les initiatives en fondantégalement le « Groupement des Etudes Locales ». L’Avant-garde lyonnaise est ainsiconstamment déchirée entre deux tendances contradictoires, qui font cependant toute sasingularité.

L’Avant-garde en France, inspirée du dadaïsme d’avant-guerre, touche non seulementla capitale, mais trouve également un écho retentissant en province. En dépit des obstaclesauxquels doivent faire face les différents groupes se revendiquant d’avant-garde, à traversle poids des institutions et le retour d’une certaine forme de conservatisme, ces réseauxparviennent à s’émanciper du mouvement Dada pour n’en faire que le point de départ d’uneavant-garde qui se veut à la fois intégrée au sein d’un vaste ensemble mais égalementsingularisée à l’échelle locale et nationale. Ainsi, le peintre et poète allemand Kurt Schwittersaffirme que« le dadaïsme n’est plus indispensable comme en 1918. A présent les artistes

vivent et créent dans l’esprit du temps, l’esprit de 1924 » 67 . Les revues avant-gardisteslyonnaises qui naissent au début des années 1920 en sont l’illustration. Les jeunes revuestelles que le Mouton Blanc, Promenoir et Manomètre sont le reflet d’un état d’esprit propreà la ville de Lyon, entre volonté d’exister indépendamment de la capitale et nécessité de sefondre dans un ensemble plus vaste de publications avant-gardistes à l’échelle européenne.

66 LOUDE M, ibid, p 6067 SCHWITTERS K, “discours” in DACHY M, Kurt Schwitters : Merz, 1990,p 392

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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Partie 2 : Trois Revues Avant-GardistesLyonnaises : Le Mouton Blanc,Promenoir Et Manometre

« Now is the time to begin..Don’t delay. Ni trompette, ni affiches lumineuses. Oncommence tout simplement ». Walden Herwarth, « ABCD », Manomètre n°1,1922

L’analyse de revues avant-gardistes provinciales sous forme de monographies permet dedéfinir le fonctionnement d’une avant-garde locale d’un point de vue internaliste. Se basantsur un modèle né en Europe et ayant fait florès à Paris, il s’agit de déceler ce qui, ausein d’une revue, participe d’un procédé commun à toutes les revues avant-gardistes.Plusieurs caractéristiques sont à analyser : les individus qu’elles mobilisent, les lieux qu’ellesinvestissent et les typographies qu’elles utilisent, afin de déceler au sein de chacune d’entreelles les procédés mimétiques et une approche particulière de l’avant-garde. Ainsi, « Lechoix des collaborateurs, l’attitude envers tel ou tel groupement, les polémiques et lesallusions fournissent des indications infiniment plus précieuses que les prises de position

sur le plan théorique » 68 . Il s’agit de définir ce qui apparaît en filigrane à travers les choixet les ruptures opérés par ces revues. « Dans ce sens, on pourrait dire qu’il existe, parmiles jeunes revues, des revues créatrices de mouvements littéraires, des revues qui nonseulement reflètent un état d’esprit existant, mais qui l’élaborent au fur et à mesure de

leur développement, parallèlement au processus même de leur croissance. » 69 . Cetteavant-garde locale devient dès lors le reflet d’un état d’esprit à la fois structuré par desmouvements venant de l’extérieur et structurant pour la vie intellectuelle locale.

Chapitre 3 : Une Avant-garde en décalage : Promenoir(1921-1922)

Le caractère paradoxal de cet intitulé entend faire de la revue Promenoir, née à Lyonen 1921, un exemple de la rupture qui s’opère au cœur d’une ville marquée par leprovincialisme. Sa courte existence et l’irrégularité de sa parution ne doivent être prisesen compte qu’en tant que dommages collatéraux ne permettant pas de sous-estimer sonimportance dans la construction d’une avant-garde locale. A travers l’analyse des individusqui forment son comité de rédaction se dessine une ligne éditoriale qui quoique peu

structurée donne une idée réelle de la création de son époque 70 . Ce qui paraît caractériserle mieux Promenoir est la notion de décalage : avec le dadaïsme d’une part, et plus

68 TZARA T, op cit, p 31069 TZARA T, op cit, p 32070 BONNIKE M, « Manomètre et l’avant-garde internationale à Lyon 1920-1928 », in La Revue des revues n°8 1989 1990, p 8

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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généralement avec le monde artistique international d’autre part. Modestement ouvert àd’autres revues étrangères, Promenoirsemble surtout intéressé par ce qui se passe à Pariset reste fortement lié aux tentatives de renouveau artistique qui naissent à Lyon à cette

époque 71 .

Promenoir, n°5 (Ill6)

1) Une revue locale entre influences extérieures et choix singuliers

a. L’influence dadaïsteLa réputation constitue un élément essentiel de la genèse d’une revue, et ce à différenteséchelles. Les mouvements artistiques acquièrent des réputations : Le mouvement Dadaa fortement influencé bon nombre de publications nées durant l’entre-deux guerres. Cette

71 BONNIKE M, Malespine, Manomètre et l’avant-garde, p7

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

DOREY Alixia_2011 33

étiquette Dada joue un rôle fondamental dans la légitimation d’une revue, dans la mesureoù il permet à celle-ci d’obtenir des contributions artistiques et littéraires de la part de

figures reconnues du dadaïsme telles que Tristan Tzara 72 , qui vont en retour parlerd’une revue nouvelle dans leur propre publication, offrant ainsi une visibilité précieuse àun comité de rédaction isolé à l’échelle locale. Des personnages emblématiques tissentprogressivement un réseau de contributions plus ou moins étendu qui va constituer lapremière étape de sa réalisation. Ainsi, « l’art est social en ce qu’il est créé par des réseauxde personnes qui agissent ensemble, et il propose un cadre d’étude pour différents modes

d’action collective qui passent par des conventions consacrées ou nouvelles » 73 . Cesconventions consacrées, que l’on retrouve dans le Promenoir, concernent principalementl’usage d’une typographie caractéristique du mouvement Dada, ainsi qu’une abondance dejeux de langage teintés d’un certain cynisme. Cependant, chaque revue semble développersa singularité en fonction de la personnalité et de la réputation de ses collaborateurs et desparticipations sporadiques qu’elle parvient à glaner au sein du monde artistique et littéraire.Promenoir ne fait pas exception.

La collaboration de Blaise Cendrars figure parmi les points forts de Promenoir. Ses liensavec Jean Epstein et Fernand Léger, ainsi que ses textes dénonçant l’horreur de la guerrereflètent un état d’esprit partagé par les collaborateurs de la revue. C’est déjà au cœur duconflit qu’il développe une vision poétique de la modernité avec Profond aujourd’hui, en1917, vision qu’il réaffirme lors de la publication dans Promenoir de sa préface à l’ouvraged’Epstein, au sein de laquelle il souhaite rompre avec les « militants des Lettres » présentsdans les revues et se placer du côté d’une nouvelle avant-garde d’après guerre ayant

dépassé Mallarmé et le cubisme 74 . Cette critique implicite des milieux dadaïstes parisiensjustifie son éloignement progressif pour mieux se tourner vers le cinéma, auquel il consacre

un article dans le premier numéro de Promenoir 75 .

La participation du peintre Fernand Léger, avant-gardiste d’avant-guerre, apparait dèsle second numéro de Promenoir, tout comme celle de son ami Blaise Cendrars. Toutdeux fortement intégrés dans les milieux avant-gardistes de la capitale, il semble que leurparticipation à Promenoir apporte à la revue un réel gain de légitimité et témoigne detentatives sporadiques de participer à la timide avant-garde qui se développe en province,dont l’effort est salué par Claude Farrère dans une lettre à Pierre Deval publiée dans lespremières pages du Promenoir : « J’ai perdu quelques vingt minutes à lire ta petite revuenouveau née ; et cette demi-heure là, ce nonobstant, n’a pas été perdue (…) je serais trèshonoré qu’une revue de jeunes enthousiastes, et qui n’ont plus cette tare d’être parisiens,

ait accepté sa cordiale salutation. » 76 . Paris reste néanmoins aux yeux de Cendrars et

Léger une ville emblématique de la modernité 77 , et leur contribution à une revue lyonnaisesemble plus le fait de relations privilégiées avec Jean Epstein que d’un réel intérêt pour cequi se passe en province.

72 Cette partie sera traitée ultérieurement au cours de l’étude de la revue Manomètre73 BECKER H, op cit, p 364

74 CENDRARS B, Promenoir n°4. août 192175 CENDRARS B, « Le Cinéma », Promenoir n°1, février 192176 FARRERE C, Promenoir n° 3, mai 192177 CENDRARS B, Paris, ma ville, Blaise Cendrars et Fernand Léger, Bibliothèque des Arts, Paris, 1987

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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b. Un dadaïsme sageLe premier numéro de Promenoir paraît en février 1921. D’un format rectangulaire quelquepeu conventionnel, il ne semble pas se distinguer par une quelconque originalité si cen’est sa typographie, semblable à d’autres revues avant-gardistes très en vogue au sein dumouvement dadaïste de l’époque, telles que l’allemande Der Sturm.

Le graphisme de Promenoir témoigne de l’influence exercée par les revues dadaïstesde l’après-guerre, avec des gravures montrant des formes circulaires criblées d’écritures,l’utilisation d’un vocabulaire révolutionnaire et guerrier tel que Révolution, or, mitraille, sang,mort, on assassine, vive la liberté, contre ce mur on fusille, palais de Justice, feu, oh le belincendie, au viol… La guerre est encore dans les esprits, et semble motiver ce besoin de« purgation » par l’art pictural. Promenoir est une revue singulière parmi celles qui essaimentà Lyon durant l’entre-deux-guerres.

Anonyme, Promenoir n°5, (Ill7)

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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Elle est « la première revue d’avant-garde d’information et de réflexion artistique » 78 ,signale les expositions et les commente, qu’elles se déroulent à Lyon ou à Paris. Des nomsconnus contribuent à donner une belle aura à cette production artistique où se rassemblentdes artistes comme les peintres Claude Dalbanne, Emile Didier, Oskar Kokoschka, LouisBouquet, Marcel Gimond Jeanneret, Fernand Léger ou Pierre Combet-Descombes, maisaussi des architectes tels que Charles-Edouard Jeanneret, des écrivains tels que BlaiseCendrars, des cinéastes tels qu’Auguste Lumière ou Jean Epstein. Ce palmarès pour lemoins prestigieux contraste avec la faible diffusion de la revue, mais témoigne d’un réeléchange entre les intellectuels installés à Paris comme en province.

c. Une direction plurivoqueContrairement à une revue comme le Mouton Blanc ou Manomètre, la direction duPromenoir est partagée entre plusieurs individus : Pierre Deval, Jean Epstein et JeanLacroix.

Alors que d’autres revues se structurent et existent principalement autour d’une fortepersonnalité, à l’instar de Manomètre avec Emile Malespine ou du Mouton Blanc autourde Jean Hytier, Promenoir ne semble pas disposer d’une mais de plusieurs individualitésdisposant d’une certaine renommée au sein du monde littéraire et artistique national. On nesait précisément lequel des trois eut l’idée de créer Promenoir, car aucun n’en revendiqueouvertement la paternité, ni au sein de la revue ni dans les correspondances personnelles.Ils parviennent à fédérer autour d’eux quelques noms connus de l’époque, tels que le poèteet écrivain Blaise Cendrars ou le peintre Fernand Léger.

78 LOUDE M, op cit, p 142

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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Fernand Léger, Promenoir n°4 (Ill.8)Pierre Deval a côtoyé le milieu dadaïste durant ses études dans la capitale, période

durant laquelle il a pu développer une réflexion sur la notion de modernité, qu’il metà l’épreuve dès le premier numéro de Promenoir en affirmant sur un ton quelque peu

provocateur que « le nouveau n’est pas à la mode » 79 , et où il tente de différencier leconcept d’Avant-garde de celui de modernité. Il s’agit déjà ici d’une tentative de s’écarterd’une tendance à n’être qu’un transfuge de revues dadaïstes, qui consiste à reprendre àson compte des thématiques déjà traitées en les reprenant de manière identique.

Jean Epstein est à de nombreux égards une des personnalités phares de Promenoir.Sa relation avec Blaise Cendrars qui préface son ouvrage paru en 1920, La Poésied'aujourd'hui, un nouvel état de l'intelligence, lui permet d’obtenir sa contribution au secondnuméro de Promenoir, mais sans doute aussi d’entrer en contact avec le peintre FernandLéger, qui illustre un ouvrage de Cendrars en 1918, et dont la collaboration au Promenoirsera extrêmement active tout au long de sa publication. Son ouvrage publié en 1921 Bonjour

79 DEVAL P, Promenoir, n°1, février 1921

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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Cinéma, illustre l’importance de Promenoir dans la vie d’Epstein à cette période : tousles collaborateurs de la revue sont cités en première page, et l’exemplaire disponible àla Bibliothèque Municipale de Lyon porte encore la dédicace manuscrite écrite par Jean

Epstein lui-même et s’adressant « A Jean Lacroix, son ami Jean Epstein » 80 .

Jean Epstein, « La Femme qui a déjà 6 fois perdu la tête »,Promenoir n°5 (Ill9.)Jean Lacroix paraît plus effacé en termes de contributions au Promenoir. Son article

sur les Ballets Russes en deux opus 81 reprend un thème très en vogue de l’avant-gardedadaïste, mais c’est surtout par ses dessins qu’il contribue à la revue.

2) Une revue territorialisée80 EPSTEIN J, Bonjour Cinéma , Editions de la Sirène, Paris, 1921, p181 LACROIX Jean, Promenoir n°1 et 2, février et mars 1921

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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La particularité de la revue Promenoir réside dans sa propension à n’être niexclusivement locale, ni exclusivement tournée vers l’international. Elle semble êtreavant tout représentative d’une avant-garde territorialisée, qui partage des liens avecson environnement local tout en restant ouverte aux influences extérieures. Cependant,contrairement aux autres revues avant-gardistes lyonnaises, Promenoir aurait-il pu existeren dehors de Lyon ?

a. Un ancrage localiséLe premier numéro de Promenoir est emblématique de la singularité de cette revue qui nedispose ni ne reprend à son compte aucun manifeste. Sa parenté avec le mouvement Dadaest pourtant incontestable, bien que l’on puisse nuancer celle-ci en reprenant l’expression

qui le qualifie de « dadaïsme sage » 82 . Ce parti pris s’illustre par une certaine prudence dela part des collaborateurs de la revue, à en juger par le peu d’exemplaires tirés du premiernuméro et la dépendance affichée à des impératifs économiques : « une revue indépendantecomme celle-ci ne vit que de ses abonnements », peut-on lire sur la quatrième de couverturequi fait office de coupon à l’intention de potentiels abonnés.

L’ancrage local de Promenoir apparaît au travers de son lieu de fabrication, quin’est autre que l’imprimerie des deux-collines, située rue Davout, dans le troisièmearrondissement de Lyon. Son propriétaire Marius Audin est également le gérant de la revue :Fort d’une solide réputation d’imprimeur, il apporte au Promenoir un gage de sérieux et dequalité, dans la mesure où il joue un rôle notable sur la scène des revues lyonnaises et tentede concilier innovation et tradition dans le cadre de ses activités d’imprimeur et d’éditeur.La notion de réputation s’avère ainsi constitutive du relatif succès d’une revue. Promenoirsemble peu ouvert à l’Avant-garde européenne, dans la mesure où seule deux revuesétrangères sont explicitement citées : Zenit et Ultra. De plus, la revue apparaît commeayant fait l’objet de peu d’envois hors des frontières, bien qu’elle ait été généralement bienaccueillie par ceux à qui elle ait été envoyée.

b. Un appui des élites intellectuelles localesLa singularité de Promenoir réside également dans le fait d’être intégré au sein de sonenvironnement proche. La participation de Richard Cantinelli, bibliothécaire de la ville deLyon, explicite la raison pour laquelle Promenoir compte sur une base qui reste avant toutune élite locale. Cantinelli jouit d’un réseau qui dépasse le cadre de ses fonctions au sein dela bibliothèque de Lyon : Proche du maire Edouard Herriot, qui lui confie en 1915 la chargede constituer un fond de guerre, il parvient à construire un réseau qui va bien au-delà de sesfonctions, correspondant avec les principaux acteurs du monde de l’édition en France et àl’étranger. Il participe activement aux trois premiers numéros de Promenoir, mais constituepour la revue un interlocuteur de choix en lien avec le pouvoir municipal. Mais les liensde Promenoir avec des personnages influents de la vie culturelle lyonnaise ne se limitentpas à celui-ci. Henri Focillon, conservateur du musée des Beaux-Arts de Lyon, soutient larevue dans son engagement en faveur du groupe d’artistes lyonnais Ziniar, dont l’expositionfait l’objet d’un tirage spécial au sein du numéro cinq de la revue. Jean Epstein y publieune lettre dans laquelle Henri Focillon fait part de tout son enthousiasme à l’égard de cetteinitiative. Ce témoignage de sympathie, publié en guise d’éditorial, souligne l’importance dedisposer d’un appui au sein du cercle fermé des personnages éminents de la vie culturellelyonnaise. Henri Focillon cautionne la rupture artistique opérée par Ziniar en affirmant dans

82 BONNIKE M, op cit, p 6

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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sa correspondance : « Peut-être n’est elle pas « peinture », au sens propre du terme, peut-être cherche-t-elle encore sa formule technique et même sa propre définition. Mais, même àtravers des dérèglements, puisqu’elle cherche, puisqu’elle est une expression de l’hommemoderne, puisqu’elle a au moins le mérite de nous étonner, elle a droit à l’attention des

esprits sérieux et des hommes de bonne foi. » 83 . Cette unique citation reflète l’attitudeprudente qu’entretient Lyon avec son avant-garde.

Promenoir se distingue de Manomètre et du Mouton Blanc par le soutien indéfectibledont il dispose au sein du milieu artistique local, notamment au sein du groupe d’artistesmentionné précédemment, connu sous le nom de Ziniar. Promenoir est ainsi, parmi nostrois revues, celle qui bénéficie de l’implantation locale la plus marquée. Celle-ci sembles’inscrire en compensation par rapport au peu d’ouverture à l’international dont elle faitpreuve. En dépit d’un faible degré d’intégration au sein du réseau des revues d’Avant-garde européennes, des collaborateurs de Promenoir lui permettent de jouir d’une assiselocale. Bien qu’elle ait été conçue postérieurement au Mouton Blanc, la revue Promenoir estune exception sans précédent dans le champ des publications avant-gardistes lyonnaises.Contrairement à d’autres revues, Promenoir n’aurait pu exister en dehors de Lyon, carsi elle n’y puise pas explicitement son inspiration, elle contribue à façonner les milieuxintellectuels de la ville à travers les soutiens dont elle bénéficie au sein de ses réseauxd’interconnaissances locaux. De plus, les lieux partagés par les collaborateurs de Promenoircorrespondent à une territorialisation des tendances artistiques, qui opposent une rive

gauche moderne et américanisée à une presqu’île encore empreinte de conservatisme. 84

Chapitre 4 : Le Mouton Blanc et l’ambivalence d’uneépoque (1922-1924)

Se présentant comme le chantre du « classicisme moderne », le Mouton Blanc illustre lescontradictions précédemment soulevées, entre volonté de retour à un ordre perdu et désirde se projeter vers l’avant. En porte-à-faux avec le non moins paradoxal néoclassicisme

maurassien 85 , le Mouton Blanc entend « recréer un style » 86 . La revue paraît pourla première fois en septembre 1922, sous la direction de Pierre Favre, critique littéraire.

N’ayant jamais fait l’objet d’une étude approfondie 87 , le Mouton Blanc se révèle être unexemple probant des potentialités offertes par une avant-garde provinciale, tant par sa ligneéditoriale spécifique que par le réseau qu’il a su former à l’échelle locale et internationale.

83 FOCILLON H, Promenoir n°5, novembre 192184 SAUNIER P-Y, op cit, p80

85 Charles Maurras, écrivain et homme politique français du XXème siècle, est partisan d'un néoclassicisme : il critique durement ladéraison romantique, et selon lui l'art et la morale doivent suivre les règles établies par l'intelligence .86 HYTIER J, Le Mouton Blanc, n°1, septembre 1922, p 387 BONNIKE M, MASSUARD A, « Deux revues lyonnaises des années 20 : Promenoir (1921-1922) Le Mouton Blanc (1922-1924) »,RdR, n°8, hiver 1989-1990, p 6: « Le travail de recensement systématique et de repérage des liens entre les différentes rédactionsreste à faire. (…) Le chantier d’étude reste ouvert.»

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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1) Le MoutonBlanc, « organe du classicisme moderne » :Prolongement d’un débat d’avant-guerre

a. Une réflexion sur la modernitéLe premier numéro du Mouton Blanc paraît en septembre 1922, au 4 Place des terreaux,dans le premier arrondissement de Lyon. Jean Hytier, rédacteur en chef, critique littéraireet écrivain, apparaît comme étant la véritable tête pensante de la revue, Pierre Favre nerédigeant pas d’article en son nom au sein des sept numéros que comptera le MoutonBlanc. Si ce dernier est considéré comme une revue s’inscrivant dans la mouvance desrevues avant-gardistes de l’époque, plusieurs caractéristiques laissent à penser qu’il restedifficilement classable au sein d’une catégorie. Ainsi, l’invocation même du « Moutonblanc » fait référence à l’enseigne du cabaret où se réunissaient jadis Racine, La Fontaine,Molière et Boileau. Cet ancrage dans une certaine tradition littéraire, nonobstant le caractèrenovateur de ces poètes et dramaturges à leur époque, paraît s’opposer au choix derupture intellectuelle et artistique opéré par les autres revues avant-gardistes nées dansles années vingt. Ainsi, le Mouton Blanc entend se placer entre les excès de Dada et les

créations inspirées du siècle précédent 88 . Le Mouton Blanc est par ailleurs de facture

relativement classique : format rectangulaire, couverture couleur terre de Sienne, peu sinonpas d’illustrations, et une absence d’audace typographique. C’est moins par sa forme quepar son contenu et le réseau qu’elle a mobilisé que cette revue a sa place parmi l’avant-garde.

C’est principalement sa doctrine qui permet de faire figurer le Mouton Blanc parmi lesrevues d’avant-garde. Dès les premières lignes, Jean Hytier revendique une volonté d’entrer

de plein fouet en « contact direct avec la vie moderne » 89 . Le caractère résolument novateurde la revue se résume en quelques mots, qui illustrent l’esprit d’une époque d’après-guerreempreinte par une nouvelle forme d’individualisme : « La matière du nouveau classicisme,c’est la vie et l’homme moderne conçus aussi bien sous l’aspect des collectivités que sousl’apparence de l’individu, individu tout différent, d’ailleurs, de celui qui constituait l’objetdu classicisme ancien ». Cette affirmation fait du Mouton Blanc une revue en lien avecd’autres publications avant-gardistes, notamment dadaïstes, mais elle récuse pourtant cette

apologie de la vitesse et de l’éphémère chère au mouvement Dada 90 , en se plaçant dansune œuvre de longue haleine qui va à l’encontre d’une conception de l’avant-garde vouéeà un inévitable déclin : « Une telle œuvre n’est pas de celles qui s’improvisent en quelquesannées, à la manière de ces mouvements artistiques, fugitifs comme des modes, dontnotre époque a pris l’habitude ». Ainsi, la vocation programmatique du Mouton Blanc tend àl’extraire d’un phénomène de mode, puisqu’il entend ne pas se limiter à un cadre temporelet géographique prédéfini, mais multiplier ses points d’accroches et ses allégeances bienau-delà des frontières de la ville.

b. Références et collaborations prestigieuses

88 MOUSLI B, « Le Mouton Blanc, organe du classicisme moderne », RdR, n°17, 1994, p 94-1089 HYTIER J, Le Mouton Blanc, n°1, septembre 1922, p 290 BEHAR H, DUFOUR C, Dada, Circuit total, l’Age d’Homme, Paris, 2005, p334

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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Jules Romains fait figure de référence principale de la revue, si bien qu’un numéro entier

lui est consacré en guise d’hommage 91 . Il est à l’origine de la notion d’unanimisme,développée à son retour du Front, qui caractérise l’expression de l’âme collective d’ungroupe social ». Cette idée est reprise par Jean Hytier dès le premier numéro du MoutonBlanc : « La notion d’unanimisme est centrale au mouvement moderne. Les termes individuet groupe n’excluent, bien entendu, aucune réalité (…). Il faut entendre par là l’ensembledes choses, l’univers total conçu tantôt par l’âme individuelle, tantôt par la collectivité. Ces

deux tendances épuisent, par nature, la matière du classicisme moderne. » 92 Classicismequi, théorisé par Jean Cocteau au sein du numéro quatre du Mouton Blanc, traduitparadoxalement cette idée de changement chère à l’avant-garde : « Un grave malentenduconsiste à prendre pastiche pour tradition. Une œuvre classique ne peut le devenir qu’auprix de ne l’avoir pas été. Elle change tout. C’est un coup de main réussi. Cherchez donc

le classicisme futur dans ce qui ressemble le moins aux classiques » 93 . Cette volontéde rattachement aux figures littéraires de l’époque et l’absence de référence explicite aucontexte lyonnais des années vingt paraît illustrer une certaine indifférence, sinon un certainrejet du cadre provincial dans lequel est né Le Mouton Blanc.

Parmi les collaborateurs du Mouton Blanc ne figurent pas de lyonnais d’origine. Toussont écrivains, romanciers et essayistes originaires d’autres villes françaises ou étrangères,dont le passage à Lyon n’est pas mentionné dans leur biographie. Sans le point derattachement du 4, place des Terreaux figurant en première page, impossible d’affirmer quele Mouton Blanc est une revue lyonnaise. Son peu de notoriété contraste avec le caractèrepourtant prestigieux des écrivains qui y collaborent. On y trouve des articles d’Henri Petiot,professeur d’histoire et écrivain qui collabore à de nombreuses publications périodiques,telles que Le Correspondant ou La Revue des Vivants. Parallèlement à sa collaborationau Mouton Blanc, il fonde avec Georges Gimel la revue littéraire Tentatives, qui proposentdes passages traduits de livres en langue étrangère, dans la mouvance de revues tellesque Manomètre, où la dimension plurilinguistique fait partie intégrante d’une ligne éditorialeouverte à l’international. Le Mouton Blanc bénéficie du soutien et de la collaboration deFrancis Ponge, à qui Jean Hytier fut présenté par l’intermédiaire du philosophe françaisRené Maublanc. On entraperçoit ici l’importance du réseau de relations que parviennent àtisser les différents collaborateurs de revues : si les rencontres sont parfois fortuites, ellesparticipent à la fois à la renommée d’une revue et à la visibilité de jeunes écrivains, qui yfont leurs gammes en publiant leurs premiers textes.

Participent également les poètes et écrivains Georges Chennevières, Gabriel Audisio,André Cusenier, Franz Hellens, Stephan Zweig, mais aussi l’historien d’art belge PaulFierens, l’avocat et homme d’affaires René Lalou, le philosophe et psychanalyste OctaveMannoni ou encore le critique littéraire Benjamin Crémieux. Des femmes participent auMouton Blanc, telles que Marthe Esquerré ou Adrienne Monnier, ce qui se révèle êtreassez rare au sein des revues d’avant-garde, lyonnaises mais aussi parisiennes. Cesgrands noms de la vie intellectuelle française de l’entre-deux guerres ne doivent pas faireoublier que leur collaboration au Mouton Blanc correspond le plus souvent à leurs premiersécrits de jeunesse, et que bon nombre d’entre eux participeront ensuite à des revues plusprestigieuses, notamment la Nouvelle Revue Française. Ainsi, les jeunes revues avant-

91 Le Mouton Blanc, n°1 Série 2, septembre 192392 HYTIER J, Le Mouton Blanc, n°1, septembre 1922, p 593 COCTEAU J, « Vérités », Le Mouton Blanc, n°4, janvier 1923 p 23

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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gardistes qui essaiment dans l’entre-deux-guerres constituent progressivement un réseauimportant d’intellectuels qui participent à bon nombre d’entre elles simultanément. Cettedispersion explique en partie l’absence de référence faite à Lyon dans les pages du MoutonBlanc.

2) Une revue en décalage par rapport à l’Avant-garde lyonnaiseComme l’affirme Marnix Bonnike dans un article sur Le Mouton Blanc, « tout ce que

représente l’avant-garde de l’époque est méconnu » 94 . La revue semble disposer desa propre ligne éditoriale, et se soustraire à un mimétisme avec d’autres publications quiparaissent au cours de la même année.

a. Une revue à partCette volonté de singularisation est explicitement formulée : « Le Mouton Blanc ne publieque de l’inédit. Chaque numéro contient :Un poème ou une prose, des poèmes, la doctrinedu Mouton blanc, des notes régulières par Jean Hytier, une page d’erreurs et une pagede vérités, signées par nos contemporains, une étude critique sur un mouvement ou unequestion littéraire, une étude critique sur un auteur contemporain, et l’opinion du Mouton

blanc sur les livres et les revues » 95 . Cette structure fixe détonne avec la ligne éditorialeplus fantaisiste d’une revue comme Promenoir, dont le contenu et la densité fluctuent d’unnuméro à l’autre.

Le choix est fait de se placer du côté de la littérature plutôt que des grandes référencesavant-gardistes de l’époque : « Abel Hermant est proprement démoli et Marinetti est

cité sans commentaires » 96 . Le Mouton Blanc est ainsi une revue qui se distingue,consciemment ou non, de ses contemporaines, allant même jusqu’à rejeter toute influencedadaïste qui est pourtant à la base de ces dernières. Dans le dernier numéro, Jean Hytieraffirme que : « Le seul adversaire un peu sérieux du grand art classique, c’est Dada (…)L’erreur des théoriciens de Dada s’apparente à celle des critiques de la science positive :au nom de la métaphysique ils ruinent celle-ci, qui ne s’en porte pas plus mal, et qui refuse

de se laisser prendre aux questions d’essence et d’origine. » 97 . Poussant sa volonté desingularisation à son paroxysme, cette attaque directe du dadaïsme fait du Mouton Blancune revue résolument différente de ses contemporaines.

b. Des traits pourtant caractéristiques de l’Avant-garde de province etd’ailleursLe Mouton blanc n’est pourtant pas complètement étranger à des revues telles quePromenoir ou Manomètre. Il s’en rapproche sous plusieurs aspects : d’un point du vuethématique, on y retrouve une réflexion sur le progrès industriel et la modernité, notammentdans le poème « Ode » de Jules Romains, où il évoque «l’odeur bleue des autos qui

94 BONNIKE M, MASSUARD A, op cit, p895 HYTIER J, Le Mouton Blanc, n° 1, septembre 1922, p 2

96 BONNIKE M, MASSUARD A, op cit, p897 HYTIER J, Le Mouton Blanc , Numéro dernier, novembre 1924, p 10

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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entête le carrefour » 98 , qui semble faire écho à certains articles du Promenoir, où lethème des transports fait l’objet de plusieurs articles que nous aborderons ultérieurement.Le cinéma est également traité par Henri Petiot dans son article « Gangrène de tout », sousforme de récit décrivant le mouvement d’un plan cinématographique : « les passages en

capitales seront projetés à l’écran » 99 , qui n’est pas sans rappeler la série d’articles de JeanEpstein dans le Promenoir, intitulée « Grossissement », et construite sur le même modèle

de récit cinématographique 100 . Paradoxalement, la typographie dadaïste, bien qu’absentedu Mouton Blanc, fait l’objet d’un article écrit sous le pseudonyme d’Agnus, où l’auteur cite lavirtuosité d’Apollinaire dans ses calligrammes, qui souhaite « forcer la typographie à rendre

sa pensée en même temps que sa phrase » 101 . Le Promenoir vanta aussi les méritesd’Apollinaire, et la typographie était centrale dans l’élaboration de la revue.

D’un point de vue formel, on retrouve la même organisation éditoriale, avec un groupede collaborateurs réguliers autour duquel gravitent d’autres auteurs de manière ponctuelle.Viennent s’ajouter des adresses aux lecteurs, qui dans le but d’assurer une publicationrégulière enjoignent ces derniers à souscrire à un abonnement ou à adhérer aux « Amis duMouton Blanc ». Ainsi, des revues telles que Le Mouton Blanc, Promenoir et Manomètre,au-delà de leur contexte d’émergence provincial, se rejoignent également sur divers pointsqui nous permettent de dresser une typologie de l’avant-garde lyonnaise de l’entre-deuxguerres.

c. un réseau dense qui contraste avec une influence limitéeA travers sa « revue des revues », Le Mouton Blanc laisse apparaître explicitement lesliens qui le lient avec différentes publications. Au-delà d’une volonté de faire connaîtredes revues appréciées par les collaborateurs du Mouton Blanc, on distingue avant toutune tendance à parler de celles auxquelles ces derniers sont directement rattachés : larevue belge Le Disque Vert est ainsi dirigée par Franz Hellens et publie des articles deGabriel Audisio, qui écrit également dans Intentions, en compagnie de Marthe Esquerré,tandis que les Nouveaux Cahiers Alsaciens sont directement reliés à Octave Mannoni. Ilest également possible de remarquer des collaborations en commun avec d’autre revues :dans sa mention des Ecrits du Nord, autre revue dirigée par Franz Hellens, le Mouton Blanc

cite un article de Guillaume de Torre, qui participa sporadiquement à Promenoir 102 . Le

Mouton Blanc, à travers « La revue des revues », devient alors une vitrine de la productionlittéraire annexes de ses propres collaborateurs, et améliore en retour sa propre visibilitéen citant ceux qui l’ont cité précédemment. Se crée ainsi un réseau d’allégeance entre desrevues parfois isolées au sein d’un contexte provincial peu enclin à accueillir les productionsavant-gardistes de jeunes auteurs.

Le Mouton Blanc illustre ainsi l’ambivalence d’une époque, dans la mesure où sa ligneéditoriale se situe à la jonction entre classicisme d’avant-guerre et modernité. Son absenced’ancrage dans le contexte lyonnais témoigne d’une part du caractère extrêmement

98 ROMAINS J, « Ode », Le Mouton Blanc, n°1, septembre 1922, p 1099 PETIOT H, « Gangrène de tout », Le Mouton Blanc, n°1, septembre 1922, p 27100 EPSTEIN J, « Grossissement », Promenoir, n°1, février 1921, p13101 AGNUS, Le Mouton Blanc, n°2, octobre 1922, p 28102 DE TORRE G, Promenoir, n°6, juin 1922, p7

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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hétéroclite de ses collaborateurs, d’autre part d’une potentielle volonté de s’extraire de touteréférence à un cadre local qui ne parvient pas à reconnaître et à faire vivre ses avant-gardes.L’irrégularité des publications et les changements qui s’opèrent au sein de la direction duMouton Blanc seront abordés ultérieurement au cours d’une analyse comparative avecdes revues telles que Promenoirou Manomètre, en vue de définir en quoi le contexteprovincial de l’époque et les difficultés rencontrées par ces revues parviennent à freiner

cette « dialectique de l’action, qui se propulse vers l’avant. » 103

Chapitre 5 :Une revue emblématique de l’Avant-gardelyonnaise, Manomètre (1922-1926)

Manomètre est incontestablement la revue avant-gardiste lyonnaise qui marque le plusles esprits, au regard du plus grand nombre d’écrits qui lui sont consacrés. Grâce à lapersonnalité de son fondateur Emile Malespine, elle parvient effectivement à faire l’objetd’une reconnaissance au sein du cercle très fermé des revues dadaïstes à l’échelleeuropéenne : « Loin de Paris, la France existe également. Pendant qu’à Paris des revuesparaissent et disparaissent, Manomètre à Lyon, montre sans hésitation la poussée de la

nouvelle raison » 104 . Car ce qui différencie Manomètre du Mouton Blanc et de Promenoirreste sa capacité à exister à travers les réseaux d’interconnaissance de Malespine, faisantde l’échelon local un moyen de se démarquer de l’avant-garde parisienne et de s’affirmer entant que revue à vocation internationale. Dès lors semble s’installer entre Lyon et Manomètreune relation faite d’ambivalences, entre une existence locale et une aspiration toujours plusgrande à exister hors des frontières de la ville.

1) Manomètre , une revue locale ?A l’inverse de Promenoir, Manomètre est avant tout le fait d’un individu : Emile Malespine,médecin psychiatre originaire de Meurthe et Moselle, membre de l’Université Populaire et

du parti communiste, mais également artiste, metteur en scène et cinéaste 105 . S’installantà Lyon en 1909, il figure parmi les intellectuels qui comptent au sein de la vie culturellelyonnaise de l’entre-deux-guerres, élargissant ses activités à la littérature et au théâtre.Malespine n’est pas originaire de Lyon, mais y trouve à première vue un terrain propice àla création de son entreprise la plus ambitieuse, Manomètre, qui va lui permettre d’occuperune place jusqu’alors presque inoccupée.

a. Une volonté de se dissocier du cadre localLorsque Malespine s’installe à Lyon, la ville n’est pas en phase avec le monde artistiqueinternational, et l’Avant-garde locale se cantonne à quelques publications éparses.Son choix apparaît d’autant plus surprenant que Malespine dispose déjà d’un réseau

103 ESTIVALS R, GAUDY JC, VERGEZ G, op cit, p 15104 RICHTER H, « G », mars 1926, n°4105 BONNIKE M, p2

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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considérable au sein des élites intellectuelles à un niveau national. Bien avant la créationde Manomètre, il fréquente les milieux dadaïstes et surréalistes et rencontre Louis Aragon,André Breton ou encore Hans Arp. Il participe à des publications européennes, notamment

avec un poème paru dans la revue belge Lumière, 106 à laquelle participent également

les peintres lyonnais Louis Bouquet et Pierre Combet-Descombes, et entretient unecorrespondance relativement soutenue avec Tristan Tzara. Ses influences sont doncsolidement ancrées dans les milieux dadaïstes de l’après-guerre. Dans son ouvrage LeNombril noir, il décrit l’avant-garde comme un « mouvement moderne (…) organisationinternationale anarchiste dont les informations secrètes sont communiquées par des

revues » 107 . Cette définition insiste sur deux composantes nécessaires au développementd’une Avant-garde : D’une part une ouverture à l’international, d’autre part les moyens dediffuser ses idées, notamment à travers les revues. Ainsi naît Manomètre en 1922 : « Revuetrimestrielle, mélange les langues, enregistre les idées, indique la pression sur tous les

méridiens, est polyglotte et supranationale » 108 . Tout comme Promenoir et le Mouton Blanc,aucune référence à Lyon ne figure sur la couverture de Manomètre. Cependant, l’échelonlocal va être mis à contribution par Malespine dans sa volonté de faire entrer Manomètredans un réseau de revues avant-gardistes européanisé.

b. Une dissociation toute relativePour autant, Malespine et Manomètre restent indissociables de ce qui forme l’Avant-garde lyonnaise, et dispose même de liens privilégiés avec certains collaborateurs derevues telles que Promenoir, qui a pourtant déjà disparu en 1922. Ainsi, la correspondancede Malespine indique qu’il échangeait des lettres avec Pierre Combet-Descombes. Sesrelations avec Amédée Ozenfant et Charles Edouard Jeanneret lui permettent par ailleursde figurer dans la revue L’Esprit Nouveau, qui fait également mention de Promenoir. Bienque Malespine n’ait pas explicitement participé à ce dernier, il est possible qu’il y ait collaborésous un pseudonyme, certains noms du comité de rédaction de Promenoir restant encoredifficilement identifiables. Si Malespine fait la part belle aux revues dadaïstes étrangères ausein des pages de Manomètre, il n’omet pas de mentionner certaines revues locales tellesque Lucifer, qui « célèbre la Lumière : Beauté, Amour et Vérité et balaie les Ténèbres :

laideur, haine et mensonge » 109 ou encore le Mouton Blanc 110 . Manomètre est ainsi

indirectement lié à l’avant-garde lyonnaise tout en tentant de s’en démarquer par uneouverture plus large à l’international. Ce qui illustre cette ambivalence reste la création dela Société du Donjon à Lyon par Emile Malespine, qui est à la fois un ciné-club et unecompagnie de théâtre expérimental. Il intervient dans le domaine radiophonique, en fondanten 1925 le Théâtre expérimental du Donjon, pour lequel il écrit des pièces régulièrement

diffusées à la radio 111 , ce qui fait de lui l’un des premiers radio-dramaturges. Dès 1923 iltraduit les pièces d’Hervath Valden pour les présenter au micro de Radio Lyon PTT, puisprésente entre 1928 et 1930 deux pièces d’avant-garde dont il est l’auteur à Radio Lyon

106 BONNIKE M, Mémoire, p 13107 MALESPINE E, Le Nombril noir, 1922, in Manomètre n°4, août 1923, p61108 MALESPINE E, Manomètre n°2, octobre 1922, p1109 Lucifer, n°1, juillet 1922, Lyon, p1110 Annexe (F.3) (b)111 BONNIKE M, op cit, p47

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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la Doua. 112 Cette initiative se révèle être une imitation de la revue Contimporanul, qui

organise des pièces de théâtre et expositions 113 : Emile Malespine tente ainsi de reproduireà l’échelle locale les activités annexes dont sont dotées de prestigieuses revues dadaïsteseuropéennes. Ce double mouvement entre local et international se retrouve égalementdans les stratégies de diffusion opérées par Malespine, qui envoie non seulement plusieursexemplaires de Manomètre à des personnalités telles que Tristan Tzara et Filippo TommasoMarinetti afin qu’ils les diffusent auprès d’autres collaborateurs, mais cela sans négliger uneassise locale, puisqu’il en fournit également à l’architecte lyonnais Louis Thomas, et que lefond Herriot révèle que le maire de Lyon de l’époque en recevait également des exemplaires114 . Manomètre est ainsi une revue lyonnaise, tout en ne pouvant s’y réduire.

c. Un relais avant-gardiste en ProvinceLyon est pour Malespine l’occasion de prouver qu’une avant-garde peut exister en province.Bien qu’il reste critique à l’égard de la passivité artistique lyonnaise, il collabore néanmoins àdes revues locales n’ayant aucune aspiration internationale telles que Le Fleuve de 1924 à1927, revue littéraire qui entend développer des liens entre écrivains de Paris et de Province.Malespine y parle d’évènements locaux et des arts à Lyon, ou encore l’Effort, de 1927 à1932, qui marque son adhésion à l’idéologie du mouvement ouvrier. Ce journal syndicalimprimé à Lyon, qui se définit comme un « Journal d’information, de propagande, d’action

sociale et ouvrière, organe du Syndicat des maçons et aides de Lyon et banlieue » 115 répondà une tendance anarcho-syndicaliste et socialiste opposée au communisme, ce qui ne paraîtpas être en adéquation avec les idées de Malespine, adhérent du parti communiste. Sansdoute dut-il mettre de côté ces divergences idéologiques à l’égard de cette revue, dansla mesure où elle lui sert de relais pour communiquer au public lyonnais les séances duCiné Club du Donjon. Se crée dès lors une double dépendance pour Malespine, d’une partà l’échelle locale, d’autre part à l’échelle européenne, puisqu’il reste tributaire des envoisde Tristan Tzara : « Merci pour vos manifestes. Je suis heureux de posséder la famille au

complet » 116 . Au sein de ses lettres, Malespine avoue à demi-mot l’isolement dont il estvictime à Lyon, ce qui explique sa dépendance aux documents envoyés par Tzara afin demaintenir un lien avec l’avant-garde internationale : « je n’ai pas en main de documents

suffisants et une idée assez claire du mouvement moderne là bas. » 117 . Ici Malespineapparaît freiné dans ses ambitions par le trop grand écart qui sépare Lyon des groupesavant-gardistes des grandes villes européennes.

2) Manomètre, une revue internationale112 PROT R, Jean Tardieu et la nouvelle radio, l’Harmattan, Paris, 2006 (297p), p 35113 BONNIKE M, op cit, p 14114 BONNIKE M, op cit, p25115 L’effort, n°1, p1116 Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet de Paris (BLJD), Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2450, Lettre d’Emile Malespine à TristanTzara, le 4 novembre 1924117 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2446, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara le 9 août 1922

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

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Si Manomètre est incontestablement en lien avec le lieu dans lequel il a été fondé, savocation internationale semble prendre le dessus. Au fil des publications, la revue composeavec les plus grands du dadaïsme européen, qui reconnaissent la qualité de Manomètre.Emile Malespine a ainsi gagné son pari, puisqu’il semble avoir réussi à faire de Manomètreune revue transfrontalière.

a. Une revue qui affirme sa singularitéLes premiers pas de Malespine dans le mouvement dadaïstes sont empreints de prudence,dans la mesure où il refuse de se lancer dans la composition d’un nouveau manifeste,

jugeant qu’ « On en a trop vu ». 118 Au fil des publications, la revue se fait néanmoins de

plus en plus audacieuse, jusqu’à publier le « Manifeste du Suridéalisme » dans le numérosept de 1925, qui est une critique ouverte au surréalisme auquel il reproche son manquede cohérence : « Parler du conscient et de l’inconscient n’est pas nouveau. Mais chercher

à les délimiter ou à les concilier est vain. » 119 . Il reproche par ailleurs au surréalisme d’êtredogmatique, ce qui tend à prouver qu’il existe une concurrence des idéologies d’avant-garde. Un article attaquant le surréalisme d’André Breton figure par ailleurs au sein du même

numéro, et s’intitule « Poisson Soluble, Manifeste du Surréalisme d’André Breton » 120

Il s’agit alors de choisir une position qui concorde avec celle qui semble dominer auprèsdes personnalités centrales de l’Avant-garde dadaïste, telle que Tristan Tzara, qui soutientle parti de Malespine : « Ce que vous dites à propos du surréalisme me fait plaisir. Car cen’est pas une excuse, pour devenir chef d’école, de renouveler le procédé de l’inspirationromantique et écrire un style propret à la NRF pour plaire aux vieilles barbes. Cela ne

durera pas longtemps d’ailleurs. » 121 . En dépit de cet appui, le Suridéalisme ne ferapas école, bien que Malespine ait tenté d’y faire participer de nombreuses personnalités122 , parfois à leur insu ; et de diffuser son manifeste dans une trentaine de journaux

parisiens 123 . La capitale fait ainsi figure de passage obligé, et la diffusion du manifesteà Paris vise à donner au Suridéalisme une chance de se faire connaître, ce qui se révèleêtre un échec. Emile Malespine en vient même à dénoncer au sein du numéro neuf deManomètre une récupération du Suridéalisme par un groupe parisien : « Le suridéalismene pouvait être créé qu’à Paris et c’est vrai : il n’y a pas en province une publicité assezbien organisée pour lancer une idée nouvelle. ( …°) Ce ne sont que de charmants confrèresépris de régionalisme (à condition d’habiter Paris), qui sont venus à l’aide d’un provincial :

ils ont pensé que sans Paris, le suridéalisme ne serait rien ». 124 Malespine entretient

donc une relation ambigüe avec la capitale, qui fluctue entre mépris et admiration. Lyon et

118 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2444, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 8 septembre 1922119 MALESPINE E, Manomètre n°7, février 1925, p111120 MALESPINE E , ibid, p121

121 BONNIKE M, op cit, Annexe XVIII, Lieu inconnu, Lettre de Tristan Tzara à Emile Malespine, le 9 novembre 1924, p105122 MALESPINE E, Manomètre n°7, février 1925, p112123 BONNIKE M, op cit, p35-36124 MALESPINE E, « Encore le Suridéalisme », Manomètre n°9, janvier 1928, p 154

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

48 DOREY Alixia_2011

Manomètresont envisagés comme un relais pour l’Avant-garde en province, loin du tumulteparisien.

b. Une tour de BabelManomètre est à lui seul un véritable laboratoire linguistique. Dans une lettre à TristanTzara, Malespine déclare : « ce que je veux faire, c’est d’abord appliquer systématiquementl’idée d’une salade polyglotte en réunissant dans la revue non seulement des articles en

différentes langues, mais même dans un seul article. » 125 Manomètre contient ainsi despoèmes non traduits, ou seulement partiellement, les mots assimilables au français étantconservé. Ce choix de publication n’est pas neutre : il cherche à élargir le champ de diffusionde Manomètretout en s’adressant à un lectorat en mesure de comprendre plusieurs languessimultanément. Manomètre, en publiant en version originale des articles en langue anglaiseou espagnole, limite à l’échelle locale le nombre de ses lecteurs potentiels, et s’ouvre àl’inverse à un lectorat plus internationalisé. Cet élitisme est expressément reconnu parMalespine lui-même dans une lettre écrite à Tristan Tzara : « je me permets de vous envoyerpar le même courrier le premier numéro de Manomètre (…) Un reproche : ce mélange

polyglotte ne sera à la portée que du petit nombre. Peu m’importe » 126 . Au total, Malespinepublie des textes et illustrations qui émanent de près de quarante collaborateurs différents,regroupant près de onze nationalités. Malespine parvient, à force de persévérance, àse constituer un réseau fourni de références au sein des publications avant-gardisteseuropéennes. La revue Belge Het Overzicht va même jusqu’à dresser en 1923 une liste de

revues appelée sobrement « le réseau », où Manomètre est mentionné. 127 La revue réussit

donc à s’intégrer au sein d’un ensemble transfrontalier.

c. Lyon et Manomètre, une relation ambivalenteLes liens entretenus par Malespine avec des revues parisiennes et européennes semblentdestinés à extraire Manomètre du cadre local. En dépit de sa participation à la vie culturellelyonnaise, sa vision de Lyon reste pour le moins sévère : « Car jusqu’à présent, en art et enlittérature, la province se contente de découvrir Paris et avec un retard (…) les idées mettentcinq ans et c’est là un minimum. La Renaissance ici consiste à faire comme à Paris mais

quelques années après et plus mal » 128 . Ainsi, pourquoi ne pas avoir fait de Manomètreune revue parisienne, si Lyon ne paraît pas à la hauteur de ses ambitions? Il affirmeparadoxalement dans le journal l’Effort que « l’art lyonnais c’est l’art de Guignol, l’âme desvieilles pierres, des vieux papiers. Non, l’âme lyonnaise n’est pas dans tout cela : elle estdans ceux qui sauront la créer demain. Il ne manque que quelques individualités fortes quise grouperaient dans leur province et feraient non à la manière de Paris mais autrement

qu’à Paris » 129 . Manomètre apparaît alors avant tout comme une défiance à l’avant-gardeparisienne, et s’inscrit dans un mouvement plus large à l’échelle locale, remettant en causel’idée selon laquelle la revue était seulement destinée à un public étranger.

125 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2444, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 8 septembre 1922126 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2446, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 9 août 1922127 BONNIKE M, op cit, p45128 MALESPINE E, « Conférences » in l’Effort, n°133, 15 octobre 1927, p2129 MALESPINE E, op cit, in BONNIKE M, op cit, p16

Partie 2 : Trois Revues Avant-Gardistes Lyonnaises : Le Mouton Blanc, Promenoir Et Manometre

DOREY Alixia_2011 49

Cette dualité entre intégration locale et aspiration à l’ouverture internationale fait toutela singularité de Manomètre. La revue continue paraît jusqu’en 1932, ce qui au regard dela longévité des revues avant-gardistes constitue une performance tout à fait honorable. Lapostérité de Manomètre semble être un succès, à en juger par la préface de la réédition deManomètre écrite par Jean Cathelin en octobre 1976 à propos d’Emile Malespine: « Toutecette effervescence est condensée en neuf petits numéros de revue, durant dix annéesd’activité fébrile, à Lyon, dans la presse, le théâtre, l’édition, le cinéma, les galeries, avecun groupe de peintres et d’écrivains dont il était l’élément moteur, se trompant si rarementdans le choix de ses compagnons, qu’aujourd’hui la plupart d’entre eux sont reconnus parmiles plus grands artistes. Il aura contribué à créer cette structure culturelle de métropolerégionale que Lyon avait perdue depuis des siècles, et qu’elle retrouve, maintenant que

l’impérialisme parisien s’estompe heureusement. » 130 . Si Manomètre aurait pu exister endehors de Lyon, Lyon a bénéficié de l’aura conférée par Manomètre.

130 CATHELIN J, Manomètre, Paris, Jean Michel Place, 1977, p vi

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

50 DOREY Alixia_2011

Partie 3 : L’Avant-Garde Souffle Sur LaVille

« L’architecture trouvera sa légèreté en évitant le fonctionnalisme seul. Tout (est)variable transforme les espaces les lois de l’homme nouveau qui s’y abandonne »

Raoul Hausmann 131

Les revues avant-gardistes lyonnaises sont à certains égards le reflet d’une époque, maisaussi d’une réflexion sur le fait urbain au sens large. Entre ancrage local et vocationinternationale, elles naissent au cœur de villes en pleine mutation. Ce phénomène n’est paspropre à la ville de Lyon, puisque naissent à cette période de nombreuses revues se plaçantdans la droite lignée du mouvement Dada, dont la mort est pourtant annoncée en 1921 dansla revue Ca Ira. Toutes ces revues nées au sein de capitales européennes ont en communcertaines caractéristiques, qu’elles soient d’ordre organisationnelles ou typographiques.Les revues provinciales le Mouton Blanc, Promenoir et Manomètre s’inscrivent dans ceréseau de manière inégale, cette dernière étant de loin la plus internationalisée des trois.Au travers d’une analyse des réseaux qui se dessinent entre les différentes publications etleurs collaborateurs à l’échelle européenne, il s’agira de définir en quoi les stratégies demimétisme et les spécificités de chacune de nos publications donnent lieu à une réflexionsur la ville, tout en permettant d’analyser le fait urbain de l’entre-deux-guerres par le prismed’une avant-garde localisée.

Chapitre 6 : Les paradoxes d’une avant-gardelocalisée à vocation internationale

L’avant-garde lyonnaise, malgré son relatif isolement, participe d’un mouvement de plusgrande ampleur, non seulement à l’échelle nationale, mais aussi et surtout à l’échelleeuropéenne. Pour reprendre la typologie esquissée par John Barnes concernant lesréseaux sociaux, on distingue trois types de réseaux structurant un groupe social: lepremier, à base territoriale, est composé des différents collaborateurs des revues analyséesprécédemment, tandis que le second concerne leur activité dans l’élaboration du contenude leurs publications. Nous centrerons ici notre analyse sur le troisième type de réseau,composé de relations informelles plus ou moins lâches appelées « connaissances ». Celles-ci sont transitives, c'est-à-dire qu’un petit nombre de personnalités centrales peut, parextension, relier une pluralité d’individus entre eux de manière indirecte. Georg Simmeldéveloppe parallèlement dans sa sociologie l’idée selon laquelle tout attribut d’un groupeest une caractéristique relationnelle qui découle

directement du lien qui s’établit entre les individus. Dès lors, se revendiquer d’avant-garde est-il suffisant pour en être ? Nous verrons dans quelle mesure l’avant-garde est

131 HAUSMANN R, in DACHY M, op cit, p 160

Partie 3 : L’Avant-Garde Souffle Sur La Ville

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moins unifiée en tant que telle par les interactions directes entre ses collaborateurs quegrâce à l’image d’elle-même qui lui est renvoyée par les revues avant-gardistes majeuresde cette époque.

1) Des revues locales ouvertes à l’international

« L’arbre tombé dans la forêt que personne n’entend a-t-il fait du bruit ? » 132 . C’est àtravers cette simple interrogation qu’Howard Becker interroge l’existence d’un monde de l’artà l’échelle locale dès lors qu’il ne s’inscrit pas dans un mouvement de plus grande ampleur.Une avant-garde implantée à l’échelon local mais ne dépassant pas ce stade d’expansionne paraît pas vouée à une grande postérité. Ainsi, le soutien des revues avant-gardistesdiffusées à l’échelle européenne et internationale deviennent pour l’Avant-garde locale lacondition sine qua non de leur éphémère existence.

a. Un réseau interconnecté à l’échelle européenneLes revues avant-gardistes européennes qui sont nées postérieurement ou ont survécuà la Grande Guerre forment un réseau interconnecté à travers l’Europe. Les échangessont encouragés par les bulletins d’abonnements qui figurent en quatrième de couverturede Mouton Blanc et Promenoir, avec la spécificité d’être traduits en anglais dansManomètre. Il semblerait néanmoins que ces revues ne soient pas en recherche actived’un lectorat, dans la mesure où elles bénéficient avant tout de leurs échanges internes,qui s’effectuent directement par le biais de leurs collaborateurs. Il apparaît que certainesindividualités jouissent d’un poids considérable au regard du nombre et de l’étendue de leurscollaborations. A titre d’exemple, Tristan Tzara semble participer à l’ensemble des revuesles plus influentes du mouvement Dada, ses participations figurant dans la revue roumaineContimporanul, les allemandes « G » et Der Strum, la néerlandaise Mécano, la belge HetOverzicht, ou encore l’espagnole Tableros, sans compter ses nombreuses participations àManomètre, qui donne à la revue un gage de légitimité considérable. Ces interconnectionssemblent proportionnelles au degré d’ouverture des revues, Manomètre étant à cet égard,grâce à Emile Malespine, davantage ouverte sur l’extérieur grâce à ses participations àdes revues paraissant aux quatre coins de l’Europe, telles que Contimporanul, Der Strum,Het Overzicht, Tableros, mais aussi à la revue autrichienne Ma, la suisse Das Werk, laserbo-croate Zenit, la belge Lumière et la tchèque Pasmo. Ce palmarès a pour méritede nous permettre d’identifier les principales publications européennes de l’Entre-deux-guerres, bien que nombre d’entre elles n’aient eu un impact que très limité pour cause demanque de diffusion et d’un rythme de parution irrégulier. Loin de se contraindre à uneéchelle strictement locale au sein de laquelle ces revues ne pourraient espérer trouver unlectorat de qualité en nombre suffisant, l’échelle européenne souligne le caractère paradoxalde ces revues, qui sont à la fois extrêmement fragiles tout en étant intégrées au sein d’unréseau transnational de grande envergure.

b. La correspondance comme indicateur du degré d’ouverture àl’internationalSi la correspondance de Pierre Combet-Descombes est peu portée vers l’étranger, cellede Malespine se distingue par son orientation résolument internationale. Dans une volonté

132 BECKER, Howard, op cit, p 30

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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de faire connaître la revue Manomètre, il n’hésite pas à écrire directement à l’un desfondateurs du mouvement Dada, Tristan Tzara. Dans une de ses premières lettres à Tzara,Malespine semble chercher du côté des dadaïstes européens l’originalité qui lui manquepour faire de sa revue une publication reconnue et appréciée : « J’ai comme désir : avoirpour les numéros suivants de bons collaborateurs. Et si possible une idée originale. C’est

rare mais quelquefois ! » 133 . A travers cette demande, l’isolement ressenti par Malespineest difficilement dissimulé, d’autant plus qu’il reconnaît avoir sciemment choisi de rendre

anonyme le premier numéro de Manomètre, sans doute pour cacher sa solitude 134 . Ils’empresse néanmoins d’ajouter que « seul ce premier numéro est anonyme. Dans lesautres, les articles seront signés. J’ajoute que la plupart des numéros sont destinés à

l’étranger » 135 . Cette volonté de détacher Manomètre du contexte lyonnais rend comptedu peu de considération dont devait jouir la revue de Malespine en province. L’ouvertureà l’international constitue ainsi la seule échappatoire possible à un environnement peuenclin à accueillir les publications avant-gardistes de l’époque. Son enthousiasme pour ladiffusion de Manomètreau-delà des frontières françaises se heurte cependant à un manquede répondant de la part des personnes qu’il sollicite pour participer à sa revue : «Mon idéepremière était de donner une idée ou une chose neuve à chaque numéro. C’est vraimentune prétention trop grande, même en furetant dans tous les pays. A cela, je crois qu’il

faut renoncer. » 136 . Les coopérations entre les revues sont en effet très inégales, puisquecertaines parviennent sans aucun mal à obtenir la collaboration d’artistes reconnus ausein des milieux dadaïstes, tandis que d’autres, plus isolées, voient bon nombre de leurs

demandes rester lettre-mortes 137 . Cette recherche de collaborateurs fait parfois place à unecertaine amertume : « j’ai écrit à la plupart. Aujourd’hui même, je reçois une lettre aimablede Marcel Duchamp. Il m’annonce qu’il ne fabrique rien (ni peinture ni littérature). Serait-

ce une habitude chez lui ? » 138 . Dans le cas de Manomètre, du moins à ses débuts, latransitivité du réseau ne semble pas opérer de manière efficace, ce qui pousse Malespine àcourtiser Tzara, faisant siennes les divergences qui séparent le père fondateur du dadaïsmeà des personnages ayant autrefois fait partie du cercle Dada : « Sur Ivan Goll, rassurezvous, je ne le connais pas et les quelques productions que j’ai pu lire de lui, bien médiocres,

ne m’incitent pas à le connaître. » 139 . Cette allégeance de Malespine est proportionnelleà la nécessité d’entretenir de bons rapports avec Tzara. Ce dernier dispose d’un réseauassez étendu en Europe pour faire la renommée ou l’échec d’une revue. Sa critique estd’autant plus inappropriée que Malespine participe à Zénit, revue dirigée par Yvan Golllui-même. Enfin, Malespine admet ouvertement les difficultés qu’il rencontre à exister en

133 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2447, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 9 août 1922134 BONNIKE M, Malespine, op cit, p 55135 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2447, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 9 août 1922136 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2444, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 8 septembre 1922137 BONNIKE M, op.cit, p54138 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2445, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 13 décembre 1922139 MALESPINE E, op cit

Partie 3 : L’Avant-Garde Souffle Sur La Ville

DOREY Alixia_2011 53

province : « N’oubliez pas trop les pauvres petits provinciaux, et merci de votre collaboration

antérieure » 140 .A travers cet exemple symptomatique de l’isolement dont souffre ces revues avant-

gardistes lyonnaises semble se dessiner un réseau que l’on pourrait qualifier de transitifasymétrique, où la réciprocité n’est pas toujours de mise.

2) Internationalisation et dépendances multiformes des revues locales

a. L’intensité des échanges comme indicateur du degré d’intégrationDepuis le début des années 1920 essaiment de nombreuses revues avant-gardistes quirevendiquent une parenté plus ou moins pertinente avec le mouvement Dada, en Europemais aussi aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. La référence au dadaïsme, si elle estperceptible au sein de certaines revues en termes de contenu et de typographie, semblene jouer pour d’autre qu’un rôle de caution intellectuelle susceptible d’assurer leur diffusion.Ainsi Manomètrene se réfère pas au manifeste dadaïste et publie même unilatéralement unmanifeste « Suridéaliste » dans son septième numéro.

Ce lien avec le mouvement Dada participe d’un procédé de mimétisme théorisépar Howard Becker lorsqu’il affirme que «les bâtisseurs de nouveaux mondes de l’artparticipent aux grands courants intellectuels et culturels qui se nourrissent de traditions

et de pratiques existantes. » 141 . Il est intéressant de constater que naissent à partir decela des groupes locaux, de dimension variable, qui élaborent des versions locales denouvelles possibilités. Ces groupes expérimentaux se structurent à l’échelon local parcequ’ils y trouvent des contacts directs, s’écoutent et s’observent les uns les autres, à l’instardu Mouton Blanc, de Manomètre et du Promenoir à Lyon. Nous retrouvons ici le premiertype de réseau territorial défini par Barnes. Afin de dépasser l’échelon local, les échangesentre les revues, qu’il s’agisse d’articles ou de correspondances, demeurent le moyen leplus utilisé. La communication entre ses revues est garante de leur visibilité. Si l’observationdes échanges entre ces revues peut donner l’illusion d’un réseau dense et construit, cequ’il est à certains égards, il n’empêche que bon nombre d’entre elles semblent moinsformer un ensemble homogène qu’un agrégat de revues solitaires, comme nous avons pule constater avec Manomètre. Lors de sa création, le directeur d’une revue doit mobiliserson réseau d’interconnaissances dans le but de détruire « Ces remparts, qui soustraientles artistes locaux aux influences de leurs confrères occupés à élaborer d’autres variantes

de la même innovation dans d’autres lieux » 142 , remparts qui « sont déjà ébranlés

par les communications accrues entre différents mondes de l’art locaux ». 143 Ce n’est

qu’après avoir construit un réseau de publications au sein desquelles la revue peut comptersur un certain soutien et d’éventuels collaborateurs qu’une revue avant-gardiste peut sediffuser au-delà des frontières et recruter de nouvelles participations tout en se détachantdes aléas d’une implantation strictement locale. Se développe ainsi une semi-autonomie,

140 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2446, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 12 juin 1922141 BECKER H, op cit, p313142 BECKER H, ibid, p 328143 BECKER H, ibid, p 338

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

54 DOREY Alixia_2011

où chaque revue est différente mais comporte néanmoins sa part de mimétisme et dedépendance à une poignée de revues emblématiques du mouvement Dada. Ces schèmesde coopération deviennent semblables à toutes ces revues et permettent d’assurer unerelative interchangeabilité des collaborateurs autour d’un noyau dur qui assure la continuitéde la publication.

Les échanges entre les revues se déclinent principalement sous trois formes : lescorrespondances, les échanges de revues, et enfin les contributions d’articles, de poèmesou d’illustrations. S’ajoute à cela la « Revue des revues », rubrique qui consiste à présenterles autres revues analogues dignes d’être mentionnées. C’est grâce à celle-ci que l’on peutprésager du degré d’ouverture et de diffusion d’une revue à l’international.

Le Mouton Blanc et Manomètre citent ainsi de nombreuses revues étrangères, tandisque le Promenoir se limite à une timide mention de Zenit et Ultra au sein du numéro quatre.Le moindre degré d’ouverture et de diffusion du Promenoir peut également être constaté lorsd’une comparaison entre les contributions obtenues par la revue avec celles de Manomètre.Le palmarès de cette dernière dépasse de loin les quelques contributions glanées par lePromenoir au cours des deux années qu’a duré sa publication. Le tempérament et la ténacitéde Malespine ne sont pas étrangers à cet état de fait. Une lettre de Malespine à TristanTzara constitue la preuve de la transitivité du réseau : « Soupault m’a envoyé un compterendu sur un de vos prochains livres à la Sirène. Je croyais la boîte en déconfiture à ce qu’il

paraît. Ca marche donc toujours ? » 144 . Les envois et les relations de second plan jouentainsi un rôle considérable dans le procédé de diffusion des revues. L’envoi de numérossemble également s’opérer de manière stratégique, selon un objectif de rentabilité : ils’agit d’envoyer peu d’exemplaires à des personnalités ciblées, qui seront en mesure detransmettre l’information à d’autres revues. Cette diffusion reste alors relativement élitiste :Filippo Tommaso Marinetti, figure emblématique du futurisme d’avant-guerre et fortementintégré dans les milieux revuistes d’après-guerre, affirme distribuer les revues lui-même aux

« lettrés les plus intéressants » 145 . L’envoi de revue à des personnes susceptibles de lesdiffuser à une plus large échelle concerne aussi Promenoir, à une échelle moindre, maisnéanmoins basé sur la transitivité de son réseau local et national, comme en atteste unelettre de Jean Epstein à l’intellectuel et collectionneur Jacques Doucet : « Monsieur, je mepermets de vous envoyer de la part de mon ami Blaise Cendrars ces quelques imprimés etun exemplaire de notre revue Promenoir, qui, j’espère, ne vous paraîtront pas dénués de tout

intérêt. » 146 . Ainsi les échanges de revues définissent pour une large part la visibilité d’unepublication au-delà de ses frontières. Dès lors s’installe un dispositif de reconnaissancemutuelle au sein duquel les revues communiquent indirectement, et qui laisse transparaîtreles dissensions et les préférences qui naissent entre diverses personnalités.

b. Réciprocité et règlements de comptesAvant de prétendre pouvoir entrer en concurrence avec d’autres publications, une revue sedoit d’entretenir son réseau en tenant compte de l’offre qui est faite au sein des groupes àqui elle est reliée en termes de contenus mais néanmoins disjointe géographiquement. Ladécision de mentionner ou non une revue au sein d’une publication semble pour le moins

144 BLJD, Fonds Tristan Tzara, TZR.C 2445, Lettre d’Emile Malespine à Tristan Tzara, le 13 décembre 1922145 BONNIKE M, op cit, Annexe XXIV, lieu inconnu, Lettre de Marinetti à Malespine, le 15 septembre 1922146 BLJD, C.7204 (88)Lettre de Jean Epstein à Jacques Doucet, le 25 mars 1921

Partie 3 : L’Avant-Garde Souffle Sur La Ville

DOREY Alixia_2011 55

tributaire des inimitiés qui existent entre les collaborateurs qu’un choix rationnel effectué enfonction de la relative proximité artistique et intellectuelle qui existe entre deux revues. A cetégard, nous pouvons constater que certains individus participent aux mêmes publicationssans mêmes citer leurs revues respectives, ce qui nous permet de faire une ébauche desprincipaux rapports de force qui existe entre celles-ci, certaines étant marginalisées auprofit des plus diffusées. Ainsi, Jean Epstein participe à la revue Tableros aux côtés d’EmileMalespine, Tristan Tzara ou encore Théo Van Doesburg, directeur des prestigieuses revuesnéerlandaises De Stijl et Mecano, sans pour autant faire figurer ces dernières dans la revuedes revues de Promenoir. Ainsi, « La structure de l’offre reflète toujours le fonctionnementd’un certain type d’organisation sociale, et devient l’une des composantes du système de

contraintes et de possibilités qui gouverne la production artistique. » 147 : Les revues lesplus diffusées forment ainsi une partie privilégiée de l’ « offre », et la réciprocité qui existeentre les revues devient prétexte au règlement de compte entre collaborateurs. Ainsi, endépit de nombreux échanges de lettres entre Théo Van Doesburg et Malespine, qui n’ometpas de mentionner ses articles dans Manomètre, Mecano ne signale pas la revue de Lyon,

et n’édite jamais les poèmes pourtant envoyés à cet effet par Malespine. 148

Au sein du troisième numéro de Manomètre, Tristan Tzara est explicitement mentionnéau sein du récapitulatif des collaborateurs qui figurent en première page de chaquenuméro, tandis que Jean Cocteau n’est pas cité, en dépit de sa participation pourtantavérée dans ce même numéro. Cette omission volontaire peut s’expliquer par les relationshouleuses qu’entretient Jean Cocteau avec Tristan Tzara et Francis Picabia. En dépitde sa participation à la manifestation Dada du 23 janvier 1920, celui-ci rompt avec lemouvement dès la fin du mois d’avril de la même année, après que ces derniers aientécartés ses poèmes. Les préférences sont néanmoins fluctuantes, comme en témoigne lenuméro six, auquel Tristan Tzara participe sans pour autant être mentionné en premièrepage. Il s’agit d’un numéro charnière pour Emile Malespine, car il y publie son propremanifeste en opposition au mouvement Dada, et exprime un changement radical dansle mode d’organisation de son comité de rédaction, en affirmant que dès la prochaine

parution de Manomètre, chaque groupement conservera son autonomie. 149 Sans qu’il nous

soit possible de mettre en lumière les réelles motivations d’un tel choix, il est possible desupposer que les dissensions devaient être fortes entre les différents collaborateurs. Unepreuve de ces tensions latentes figure au sein du numéro trois de Manomètre, où Malespinepublie dans la revue des revues un commentaire audacieux à l’encontre de Francis Picabia :« Picabia est un type bien. Je n’en ai jamais douté même quand il faisait du foin pour avoirl’air d’un âne. (…) Picabia dit : « Quant à moi je ne crois plus aux hommes intelligents maisà ceux qui prouvent leur intelligence » Parfait. Mais ça, ça n’est pas pour l’exportation. Al’étranger, Picabia continue de faire de l’art dada. Pourquoi ? Dame, un filon ça s’exploite,

même quand on en fait fi. » 150 Ce commentaire semble critiquer l’opportunisme de FrancisPicabia dans ses choix artistiques et idéologiques.

Il serait erroné de croire que la rubrique de « revue des revues » ne soit qu’uneoccasion de règlements de comptes indirects. Il peut s’agir à l’inverse d’une opportunité de

147 BECKER H, op cit, p 111148 BONNIKE M, op cit, p44

149 MALESPINE E, Manomètre, n°6, 1928, 120150 MALESPINE E, Manomètre, n°3, 1924, p74

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

56 DOREY Alixia_2011

remercier les différentes publications pour leurs commentaires élogieux, et par extensionde faire prévaloir une relative notoriété. Ce genre de pratique permet de définir le degréd’ouverture à l’international d’une revue, comme en témoigne le Mouton Blanc, qui sembleplus compter sur un réseau de relative proximité que sur une réelle ouverture aux autresrevues européennes : « Le Mouton blanc remercie toutes les revues et tous les journauxqui jusqu’ici ont bien voulu signaler son apparition : l’Ane d’or, la vie littéraire, Bonsoir,Comoedia, l’Intransigeant, le Journal du Peuple, l’Internationale, l’Eclair, le Progrès de Lyon,la Gazette des Alpes, le Journal de Charolles, la Revue fédéraliste, la Dépêche algérienne,la Liberté, Manomètre, la République, et tous ceux qui se proposent de la mentionner

prochainement. » 151 . L’ancrage national et local des publications mentionnées reflète ainsile réseau de diffusion au sein duquel le Mouton Blanc entend s’imposer.

Avant d’être des revues locales, les revues avant-gardistes lyonnaises tendentà s’inscrire dans un réseau plus vaste. Les relations qui les lient sont relativementdistendues, mais restent néanmoins révélatrices des allégeances et des discordances quiles réunissent ou les séparent. Leur localisation géographique nous permet de définir lesvilles européennes au sein desquelles les avant-gardes trouvent à s’exprimer. Au milieu delieux très cosmopolites en termes d’échanges intellectuels tels que Berlin ou Zurich, Lyonfait figure d’exception. La relative vitalité de l’avant-garde lyonnaise à cette époque n’estpas seulement liée aux rapports pour le moins asymétriques qui les rapprochent des autrespublications phares de l’Europe de l’entre-deux-guerres, mais aussi à la spécificité de sonancrage local.

Chapitre 7 : Une réflexion sur la villeAu-delà de leur engagement en faveur d’un renouveau idéologique, les revues d’Avant-garde font de la ville une composante essentielle de leur réflexion artistique. Urbanisme etarchitecture occupent une place prépondérante au sein des publications. Cet engouementest à rattacher au contexte d’après-guerre, où la nécessité de reconstruction se faitimpérieusement sentir. L’Etat favorise un retour aux canons architecturaux d’avant-guerre,en opposition à des mouvements modernes tels que le Bauhaus : « les constructionsacadémiques où affleurent des éléments régionalistes (…) envahissent les villes de

Province en marge des innovations. » 152 Pourtant, l’innovation urbaine et architecturalefait aussi parler d’elle au sein des revues avant-gardistes provinciales, faisant de la revueune vitrine de la ville.

1) Une idée de l’urbain : revues, ville et typographie« Nul art n’est plus voisin de l’architecture que la typographie. Comme l’architecture, ellea pour première règle le bon discernement et la juste adaptation des matériaux. (…) Il ya, en architecture, de grands plans calmes, qui sont comme des marges. Il y a, dans le

151 HYTIER J, Le Mouton Blanc, n°3,1923, p 60152 GOETSCHEL P, LOYER E, op cit, p45

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livre, des symétries et des alternances qui sont celles d’une bâtisse. » 153 . Mathieu Varille,écrivain lyonnais et fabriquant de papier proche de l’imprimeur Marius Audin, établit unrapprochement entre la forme de la ville et celle des caractères, entre la forme urbaine etcelle de la revue. L’Avant-garde est à certains égards modelée par la société industrielle del’après-guerre, de laquelle émergent trois notions qui président à l’élaboration des revues :

« la machine, la vitesse, la foule » 154 . Les revues avant-gardistes sont dès lors propices àune réflexion sur la naissance d’une nouvelle morphologie urbaine.

a. L’influence des avant-gardesGrâce à leur ouverture, les revues avant-gardistes européennes sont à l’image dudéveloppement, « dans tous les domaines de la vie (d’) un idéal international uniforme. Lecostume national doit céder la place à la mode internationale ; cela arrive également pour

les maisons » 155 . Lyon occupe dans cette mouvance une place singulière, toujours peuencline à accepter la modernité. Si l’architecture figure parmi les sujets les plus traités ausein des revues avant-gardistes de l’entre-deux-guerres, elle n’est pas uniquement réservéeaux architectes qui y collaborent, dans la mesure où elle devient un moyen de réfléchiraux profonds changements qui affectent la forme de la ville au lendemain de la Grandeguerre. La réflexion sur l’urbain est corollaire à la naissance du Bauhaus, école fondée enAllemagne en 1919 et consacrée à l’architecture moderne. Ce mouvement trouve un échoparmi de nombreux artistes de la période, qui participent par ailleurs aux publications avant-gardistes, tels que Fernand Léger dans Promenoir ou Piet Mondrian dans Manomètre, ainsique bon nombre de cubistes allemands et futuristes italiens.

Cependant, à l’exception des architectes Tony Garnier, Jean Faure et Louis Thomas,« l’école architecturale lyonnaise reste insensible à de telles influences artistiques parce

qu’elles sont dans la cité marginales, confidentielles, voire ignorées ou rejetées. » 156 Il

y a fort à parier que les revues avant-gardistes contribuent à la diffusion des manières depenser l’urbain à travers l’Europe : Jean Faure, collaborateur de Tony Garnier, écrit en 1929le premier manifeste du Mouvement moderne, et promeut des constructions dans la droite

lignée du mouvement Bauhaus 157 .

b. Différentes approches du fait urbain : Promenoir et ManomètrePromenoir et Manomètre semblent s’inspirer dans leur approche de l’architecture à la revueallemande Der Sturm, qui s’oppose à une identification stricte de la revue à la ville qui l’avu naître. « Der Sturm was on the margins of this market of printed material, (…). HerwarthWalden, the publisher and author (…) of the journal, clearly had anti-local intentions. Hispublication was not to be a map of Berlin - but of the network of similarly minded modernists

all over Europe and the world. » 158 La revue, au-delà de ses considérations sur l’urbain,153 VARILLE M, Thesaurus Amicorum , op cit.154 BONNIKE M, op cit, p4155 GROPIUS W, cité dans REY J, Lyon, cité radieuse : une aventure du mouvement moderne international,Lyon, Libel,2010, p9

156 REY J, op cit, p17157 REY J, op cit, p24

158 FRITZSCHE P, “Else Lasker-Schüler, Franz Marc And Der Sturm” inReading Berlin 1900, Harvard University Press, 1996.

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entend avant tout être à l’image d’un « milieu (…)within which certain cultural phenomenon

(…) were made possible. » 159 Ainsi, si les revues avant-gardistes sont le reflet d’uneépoque, les revues lyonnaises sont à un degré moindre une vitrine des évolutions de la Villedans son acception générique et non pas singulière.

La revue Promenoir dispose d’une approche moins rationnelle que celle adoptée parMalespine concernant l’architecture. Le peintre Fernand Léger défend dans son article « Lacouleur de la vie » sa réflexion sur l’image de la ville, qui correspond à l’esprit de sesillustrations. Il affirme vouloir « concevoir une ordonnance plastique des villes. Pour unejuste distribution des surfaces mortes et vives (…) Des trams vermillons à travers les

campagnes, toutes les agglomérations humaines pénétrées par la couleur » 160 .

Fernand Léger, La Ville, 1919 (Ill10)Il se place en porte à faux avec ce qu’il dénonce comme étant le « goût bourgeois »

161 , et manifeste ainsi son désir de voir Lyon s’émanciper d’un conservatisme latent enmatière d’urbanisme. Bien que ses interventions dans Promenoir n’aient pu avoir un réelimpact sur la politique de la ville en matière d’architecture, Fernand Léger exprime à traversses contributions la lente progression des idées de l’avant-garde européenne. Jean Epsteinfait de la revue un miroir des tendances architecturales en affirmant, lorsqu’il cite dans Les

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Causeries Typographiques le futuriste Marinetti, qu’elle est « un ensemble architectural »,et fait une analogie entre architecture et typographie : « Le titre n’est donc qu’une façaded’architecture typographique (…) Le texte sur la façade de la page est subordonné aux

mêmes lois de proportion que les ouvertures sur la façade d’une maison. » 162

La réflexion sur l’urbain ne se limite pas à l’architecture, et s’étend également authème de la vitesse et des transports : Pierre Combet-Descombes esquisse dans le

Promenoirun calligramme évoquant le train à grande vitesse 163 ,faisant preuve d’un esprit

résolument visionnaire. La revue devient dès lors un moyen de rendre compte de l’impactdu modernisme architectural sur une ville pourtant relativement fermée au mouvementmoderne.

2) Les architectes d’Avant-garde à LyonLes revues avant-gardistes lyonnaises telles que Promenoir et Manomètre comptent parmileur comité de rédaction un ou plusieurs architectes de renom. Cette collaboration s’inscritdans une perspective qui va au-delà d’une simple participation, puisque ces derniers vontavoir une influence réelle sur le paysage architectural français et s’inspirent de mouvementsinternationaux.

a. Manomètre, Tony Garnier et Louis ThomasMalespine fait paraître dans Manomètre les recherches de Tony Garnier et de son chef

d’agence Louis Thomas 164 , dont les études s’inscrivent dans l’esprit du mouvement DeStijl. Ce mouvement avait également influencé les travaux de Charles Edouard Jeanneretà travers le Néo-plasticisme, diffusé par le directeur de la revue, Théo Van Doesburg, aucours de ses nombreux voyages en France. Le paysage architectural lyonnais du début duXXème siècle est marqué par l’influence du célèbre architecte Tony Garnier, à travers son

projet de ville idéale, directement inspiré de la Révolution industrielle 165 . Professeur deconstruction à l’Ecole régionale d’architecture, il succède à Eugène Huguet à la directiondu premier Atelier d’extérieur lyonnais en 1921. Progressivement, la manière d’envisagerle fait urbain se transforme : « la ville ancienne est marginalisée. Sans église, sans prison,sans palais, la nouvelle urbanité célèbre les assemblées démocratiques, les équipements

culturels et les lieux de la mobilité » 166 . Dès lors s’opère une transformation de la ville parde grands travaux, tel que le tracé du boulevard Laurent Bonnevay et le prolongement dela rue de la République jusqu’au sommet de la Croix-Rousse. Les élèves de Tony Garniersont progressivement influencés par la modernité. Il parvient à imposer une tendancearchitecturale néoclassique qui le dispute au régionalisme : « de 1925 à 1939, dansun univers dominé par le couple problématique Garnier-Herriot, émergent régulièrementdes projets utilisant des techniques traditionnelles de construction, mais contenant les

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prémices d’un Mouvement moderne encore ignoré dans la ville» 167 . Emile Malespineva jouer un rôle majeur dans cette volonté d’ouvrir la ville sur l’extérieur afin d’échapper

au provincialisme. L’ouvrage Urbanisme Nouveau/L’Hygiène et l’Habitation 168 illustrel’importance de l’architecture chez Malespine et constitue la pierre angulaire de ses liensavec les architectes lyonnais.

Emile Malespine, L’Urbanisme Nouveau, 1930(Ill11)L’architecture va prendre une place conséquente au fil des publications de Manomètre :

Le numéro quatre y est en grande partie consacré, avec un article intitulé « la cité de

demain » 169 , où il introduit un article de Tony Garnier et affirme vouloir voir apparaître des

maisons à « mesure d’homme » 170 . En décembre 1925, Malespine publie simultanémentdans Manomètre et la revue 7 arts, hebdomadaire belge de l’architecte et urbaniste Victor

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Bourgeois, un article intitulé « Urbanisme, un procédé de nomenclature des rues » 171 . Ilinclut au numéro huit des photographies des premières maisons du quartier des Etats Unis àLyon, construit par Tony Garnier. Ainsi, un architecte tel que Tony Garnier permet de faire lelien entre l’avant-garde lyonnaise via sa collaboration à Manomètre et le pouvoir municipal,ayant été proche d’Edouard Herriot qui lui confia de nombreux projets.

b. Promenoir, Charles Edouard Jeanneret dit Le Corbusier et AmédéeOzenfantPromenoir bénéficie de la participation de l’architecte Charles Edouard Jeanneret, dit LeCorbusier, qui publie au sein de la revue de nombreux articles cosignés avec AmédéeOzenfant. Leur apparition dans Promenoir se double de la création d’une revue intituléel’Esprit Nouveau, qui paraît pour la première fois en 1920. Leur article intitulé « Esthétiqueet purisme », publié en deux volets dans les numéros quatre et cinq de Promenoir, estemblématique d’une vision démiurgique de l’architecture « le monde apparaît à l’hommesous l’angle humain, c'est-à-dire que le monde semble obéir aux lois que l’homme a pu

lui assigner, lorsque celui-ci crée une œuvre d’art, il a le sentiment d’agir en Dieu » 172 .Cependant, Jeanneret paraît plus attiré par la capitale que par ce qui se déroule en province.Il est pour Promenoir un lien entre Paris et la province, car malgré ses attaches parisiennes, ilest également présent à Lyon lorsqu’il expose certaines de ses œuvres lors d’une exposition

à l’Université des Heures annoncée par Promenoir 173 . Il partage par ailleurs une vision

commune de l’architecture avec Amédée Ozenfant, qui tout comme Marinetti lie architectureet typographie en inventant la typométrie et la psychotypie, qui apparaissent dans la revuel’Elan, fondée avec Guillaume Appollinaire en 1915. A travers ces figures emblématiquesde l’architecture d’avant-garde dans l’entre-deux-guerres, Promenoir est indirectement liéà l’avant-garde européenne de son époque.

Illustrations de Charles Edouard Jeanneret Promenoir n°5 , et Amédée OzenfantPromenoir n°4(Ill12)

L’avant-garde lyonnaise s’inscrit ainsi dans la continuité d’un mouvement qui s’enracinedans le futurisme de Marinetti, en liant architecture et typographie. Les revues sont alorsprétextes à une expérimentation perpétuelle de nouvelles techniques typographiques quis’accompagnent d’une réflexion sur la ville moderne. Le Mouton Blanc cite à cet égardJules Romain, qui affirme que « Les nouveaux poètes vont continuer avec de nouvellesressources l’effort de création organique qui a marqué le début du siècle et qui doit s’étendresur le siècle entier en dépit de crises plus ou moins violentes mais passagères. Rien

n’empêchera que le XXème siècle soit un siècle d’organisation, de construction. » 174 . Ceconstat optimiste ne semble pourtant pas s’appliquer à Lyon, qui malgré le dynamisme deson Avant-garde en matière architecturale et les avancées permises par Tony Garnier resteau milieu des années 1930 une ville empreinte de conservatisme : « Lyon, ville capitale,est rayée de la route des pèlerins passionnés du monde. Pourquoi ? Parce qu’au point de

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vue intellectuel et politique, depuis un quart de siècle règne dans cette ville une médiocrité

omnipotente.» 175

Chapitre 8 : Le déclin des revues : la mort d’une avant-garde ?

La fin des années 1920 coïncide avec le déclin des revues d’avant-garde, non seulementen France mais aussi en Europe. La décadence de l’avant-garde est en partie liée auxdifficultés économiques qui apparaissent consécutivement à la crise de 1929, dont lesrépercussions se font sentir en Europe dès le début des années 1930. La mort d’uneavant-garde se lit paradoxalement à travers la manière dont elle est née, lorsque « despersonnes qui n’avaient jamais coopéré auparavant, et qui produisent un art fondé sur

des conventions inconnues jusque là (…) sont utilisées à des fins nouvelles » 176 . Cettenouveauté, fer de lance de toute avant-garde, décline lorsque les réseaux qui la composentse délitent progressivement, lorsque les conditions matérielles dont ils disposent deviennentinsuffisantes, enfin lorsque la création de sous-groupes dissidents anéantit la cohérencede l’ensemble. Il reste cependant difficile de présager de la mort d’une avant-garde,dans la mesure où elle est vouée à disparaître dès lors qu’apparaît une nouvelle façond’appréhender la modernité.

1) Le tournant des années 1930 et la fin de revues emblématiquesLa disparition de revues emblématiques de l’avant-garde dès les dernières années l’entre-deux-guerres est le signe précurseur de la lente disparition de publications de moindre

envergure. De Stijl disparaît avec Théo Van Doesburg en 1931 177 , suivie de peu par larevue Der Sturm. Leur influence continue néanmoins à se faire sentir dans les mouvementsartistiques qui apparaissent ultérieurement. Bien que les revues lyonnaises suivent destrajectoires différentes, leur déclin se fonde sur des causes similaires, décelables bien avantleur fin effective et parfois annoncée.

a. Des difficultés financièresLes difficultés économiques figurent au premier plan des causes parmi lesquelles les revuesse voient contraintes de cesser leurs activités. Les revues d’avant-garde lyonnaises, eneffet, souffrent toutes d’un manque de financement, du en grande partie à la faiblesse deleur diffusion et du caractère restreint de leur lectorat. Bien que les bulletins d’abonnementsfigurent au dos de chaque exemplaire et explicitent les raisons pour lesquelles ceux-ciconstituent une condition de leur survie, rares devaient être ceux effectivement abonnés,comme en attestent les encarts publicitaires du Mouton Blanc dédiés à la Nouvelle RevueFrançaise, où Jean Hytier lance un appel :« Nos amis doivent être nos propagandistes,

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donnez nous le nom et l’adresse des personnes susceptibles de s’intéresser à notre revue »178 , auquel vient s’ajouter une lettre au lecteur datée du 4 octobre 1923, destinée à formerun groupe de « 100 amis du Mouton Blanc », moyennant une cotisation de cent francs. Larevue doit donc être confrontée à de graves difficultés financières, dans la mesure où elles’éteint un an plus tard, dans un dernier opus sobrement intitulé « Dernier Numéro » où JeanHytier reconnaît implicitement les incommodités qui l’empêchent d’assurer sa publication:« Le Mouton Blanc disparaît, mais peut être pas tout entier (…) Je ne suis pas de ceux que

retiennent les impossibilités matérielles. Je me contente d’en refuser le poids. » 179

Promenoir se retrouve face aux mêmes difficultés, bien que l’annonce de sa finimminente par son comité de rédaction ne soit pas dénuée d’un certain cynisme : « A tousnos amis, à tous nos lecteurs : avec ce numéro 6, la première année de Promenoir est enfinclose. Pour prévenir un geste que bien peu mais certains jugeraient inévitable, nous avonsle plaisir réel d’annoncer que l’année 1922 n’ajoutera pas aux charges des familles déjà siéprouvées par le marasme des affaires à celle d’un réabonnement à Promenoir. Nous ne

continuons pas. Nous ne voulons pas continuer » 180 . La fin de la revue est vécue commerésultant d’une situation devenue insurmontable, qui engage ses collaborateurs à en fairecesser la publication.

Promenoir n°6 (Ill13)Cet état de fait n’est pas sans provoquer des contestations, à l’instar d’Emile Malespine,

qui dans une lettre ouverte à Edouard Herriot se plaint de l’injustice dont sont victimes les« revues de jeunes », assujetties injustement à une taxe qui ne s’applique pas à la presse

politique 181 . Au sein du numéro huit, Emile Malespine annonce que Manomètre devient178

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une coopérative, ce qui cache mal des difficultés sous-jacentes en termes de financement.Il souligne également les difficultés rencontrées par les revues dans ce contexte d’aprèsguerre, et reste persuadé qu’Edouard Herriot sera en mesure d’intervenir auprès des

ministères afin de faire cesser cette situation. 182 En dépit d’un relatif esprit d’ouverture de

la part du maire de Lyon tout au long de son mandat, les souhaits d’Emile Malespine nesont pas exaucés, et la revue Manomètre disparaît en 1928 :« Plusieurs raisons concernantl’arrêt de la publication sont plausibles : l’isolement de son directeur à Lyon, ses nombreusesautres occupations, mais aussi un ralentissement général de l’activité des revues auxquelles

Manomètre était lié » 183 . Ainsi la fin des revues lyonnaises s’inscrit dans un phénomèneglobal de déliquescence de l’Avant-garde à l’échelle européenne.

b. L’irrégularité des publications Le manque de régularité des publications est manifestement un symptôme de leur fragilité.Bon nombre de revues d’Avant-garde ne dépassent pas une décennie d’existence, et ceuniquement pour les plus diffusées d’entre elles. Pour la plupart, leur durée de vie oscilleentre deux et quatre ans. Le Mouton Blanc est marqué par une instabilité chronique, dansla mesure où Jean Hytier ne parvient pas à assurer une publication mensuelle. L’explicationde cette irrégularité est double, puisqu’à des difficultés matérielles et financières semblents’ajouter un manque de collaborateurs : « Puisqu’aucun de ces six numéros (car en deuxans, le « Mouton » n’en a pas publié davantage) n’a été perdu, que tous portèrent, qu’ilsreçurent l’hommage de la louange, du blâme et de l’imitation, je rejette toute mélancolie (…) Mon plus cuisant regret est de rester désarmé pour la révélation. Si rares qu’ils soient,

je ne désespérais pas de réunir encore quelques jeunes gens marqués du signe. » 184 .Se lit ici en filigrane le manque de forces vives dont souffrent les revues de province defaible diffusion telles que le Mouton Blanc. A cela s’ajoute des dissensions au sein de larevue : L’avant dernier numéro intitulé « numéro nouveau » souhaite nuancer ces dernièresen tablant sur un renouveau essentiel à la postérité du Mouton Blanc : « Tous ceux quiont marqué leur sympathie à notre effort, et tous ceux qui se fussent réjouis de son échec,peuvent être assurés que le Mouton Blanc va s’affirmer, se développer et continuer, avecla même méthode, avec la même bonne humeur, mais avec une vigueur singulièrement

accrue, à intervenir dans la grande bataille spirituelle du XXème siècle. » 185

Le même constat peut être appliqué à Promenoir, qui ne dépasse pas le numéro six,paru plus de six mois après la publication du cinquième opus. Ce dernier numéro estparadoxal, dans la mesure où c’est au sein de celui-ci que le comité de rédaction atteintle plus grand nombre de collaborateurs, avec la participation de personnalités telles queles écrivains et poètes Jean Cocteau et Guillermo de Torre. Pour la première fois la revueintègre une rubrique de courrier des lecteurs, ce qui tend à prouver que la revue disposed’une aura suffisante pour que son lectorat lui manifeste son intérêt. Il n’est cependant pasexclu que Promenoir ait tenté de dissimuler son relatif insuccès en affirmant que : « Sur latable de rédaction les documents accumulés témoignent de la diffusion de notre revue et

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de l’intérêt que ses initiatives soulèvent. » 186 . Cette affirmation paraît peu probable dans lamesure où elle coïncide avec l’arrêt définitif de la revue. Le même constat peut être dresséconcernant Manomètre. Alors que jusqu’au sein du numéro 6 la renommée de Manomètresemble croissante, le numéro sept dispose d’un comité de rédaction très réduit, et contientplus d’illustrations que de textes.

2) Une victoire du classicisme provincial ?Quelles conséquences tirer de la disparition progressive de l’avant-garde lyonnaise ? Lecaractère nécessairement éphémère de toute avant-garde semble insuffisant à déterminerles raisons pour lesquelles l’émergence de l’avant-garde lyonnaise est un relatif échec. Lavictoire d’un classicisme provincial venant s’ajouter aux difficultés précédemment énoncéesreste une hypothèse plausible afin d’expliquer cette fin prématurée.

a. Un retour du classicismeParmi les nombreux Salons qui naissent consécutivement à la Grande guerre, peu d’entreeux survivent aux années 1930. Cette période correspond à un « rappel à l’ordre » dans lemonde des arts, tendance qui se manifeste particulièrement en province. Ce retour à desvaleurs d’avant-guerre naît en partie de l’avant-garde elle-même, notamment en matièrearchitecturale à travers la revue Esprit Nouveau, de Charles-Edouard Jeanneret et AmédéeOzenfant, qui critique le cubisme et prône avec le purisme un idéal de remise en ordre làoù tout est à reconstruire. Du côté des pouvoirs publics, il semblerait que ce qui émergede la reconstruction reste fidèle au style architectural d’avant-guerre. En ce qui concerneles revues, certains collaborateurs font le choix d’un retour à des tendances artistiquesclassiques : Pierre Deval, en lien avec le mouvement Dada tout au long de sa jeunesse,s’installe définitivement dans le Sud de la France en 1925 et devient un authentique peintreprovençal, marquant la fin d’une époque.

L’identité de ceux ayant un intérêt à voir disparaître les revues d’avant-garde restefloue : ainsi Promenoir mentionne dans son annonce de fin de publication agir de la sorte

« Pour prévenir un geste que bien peu mais certains jugeraient inévitable » 187 , tandis

que Mouton Blancévoque « tous ceux qui se fussent réjouis de son échec » 188 . Lespersonnes visées ne sont pas explicitement citées, mais cette accusation implicite concerneprobablement des partisans d’un retour au classicisme. Emile Malespine va quant à luiprendre le parti de se retirer du cadre provincial, ce qu’il justifie dans le dernier numéro deManomètre : « Je ne crois pas pouvoir être accusé de patriotisme local exagéré. Bien quevivant en province (…). J’ai même dit que la presse parisienne est plus accueillante aux

tentatives nouvelles des provinciaux que les provinciaux eux-mêmes. » 189

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Le déclin de ces revues avant-gardistes lyonnaises correspond à la fin d’une illusionconsistant à faire de Lyon un des centres de l’avant-garde européenne :« Beaucoupde revues avaient des activités parallèles : Théâtre, expositions, architecture. Malespinesemble vouloir donner l’impression d’un mouvement comparable à Lyon. Or ce n’est pas

le cas. » 190 .L’Avant-garde lyonnaise est consciente de son échec, comme en témoigne le

départ d’Emile Malespine pour Paris dès 1932. Il reste cependant nostalgique de cettepériode lyonnaise, comme en atteste une dédicace manuscrite figurant dans son ouvrageMétaboliques, imprimé par les Deux-Collines, à l’attention d’un certain Docteur Palasse :« en témoignage de sympathie et de remerciement, ce petit souvenir du temps où

j’étais encore jeune et lyonnais. Paris, le 15 avril 1948 » 191 . Lucien Chiselle, qui avaitfondé la revue Idées en collaboration avec Pierre Combet-Descombes, souligne dansla revue lyonnaise l’Effort libre la difficulté pour l’avant-garde à faire exister son art enprovince : « Les œuvres d’art, il est vrai, doivent vivre de leur propre force, mais noussouffrons douloureusement de les voir journellement scellées sous la pierre sépulcrale de

l’indifférence, du mépris ridicule ou de l’incompréhension vulgaire. » 192 . Enfin, Jean Epsteincondamne l’inertie d’une avant-garde provinciale vouée à l’échec dans les CauseriesTypographiques : « A force de voir toujours le même décor on finit par ne plus l’apercevoir ;qu’un changement y survienne, par lui-même minime, par ce qu’il représente de variationc'est-à-dire de mouvement, il prend une importance considérable et paraît à lui seul plus

digne d’attention que l’ensemble dont l’intérêt est épuisé. » 193 .L’avant-garde lyonnaise est ainsi victime de son confinement, et semble incapable

de survivre à la disparition en cascade des revues dadaïstes de références à l’échelleeuropéenne. Les causes réelles de la fin des revues avant-gardistes lyonnaises étudiéesrestent relativement difficiles à définir de façon précise, et résultent moins d’une causeuniques que d’une superposition de difficultés devenues progressivement insurmontables.Aux difficultés financières s’ajoutent le déclin inexorable d’un mouvement de plus en plusfragmenté, où de nouvelles conventions artistiques qui préfigurent la nouvelle avant-gardeen train d’éclore.

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Conclusion

« Etre d'avant-garde, c'est savoir ce qui est mort; être d'arrière-garde, c'estl'aimer encore. » Roland Barthes

L’avant-garde lyonnaise des années 1920 peut ainsi à bien des égards être considéréecomme un phénomène ayant eu un impact réel sur l’histoire sociale et culturelle de la villede Lyon. Tout en étant fortement tributaire d’un environnement idéologique et artistiqueissu de l’extérieur, via les nombreuses influences du mouvement Dada en Europe et àParis, l’avant-garde lyonnaise a su créer à l’échelle locale un sous-système qui lui permitde prétendre à une certaine reconnaissance de la part de ses pairs, notamment grâceaux réseaux développés par des personnages d’influence tels que Marius Audin, PierreCombet-Descombes ou encore Emile Malespine. La superposition des réseaux fait à la foisla richesse et la fragilité de cette avant-garde, dans la mesure où elle suppose la présenceconstante d’alternatives mais présente aussi des risques accrus de fragmentation.

Si le terme même d’avant-garde provinciale peut sembler paradoxal, la province étantpar habitude de langage assimilée à un certain conservatisme, voire à un certain retardsur le dynamisme de la capitale, le Lyon de l’entre-deux guerres constitue la preuvequ’une forme de renouveau artistique et littéraire reste possible, moyennant un rapporttoujours ambivalent avec les groupes avant-gardistes qui jouissent d’une plus grandevisibilité à l’échelle nationale et internationale. Il est frappant de constater que l’avant-gardelyonnaise bénéficie, proportionnellement à son envergure, d’une extraordinaire diversité.Les trois revues à l’étude en témoignent, puisqu’en dépit de stratégies communes, chacunedéveloppe son propre modèle de fonctionnement : Le Mouton Blanc ne semble existerqu’en référence constante à l’avant-garde parisienne, Promenoir s’inscrit dans un cadrelocal tout en aspirant à une relative ouverture hors des frontières symboliques de la ville,tandis que Manomètre parvient à s’identifier au cadre qui l’a vu naître tout en parvenant àjouir d’une reconnaissance sans précédent au sein du réseau des revues avant-gardistesà l’échelle européenne. A travers ces trois études de cas, le thème de la territorialisationdes mouvements culturels transcende l’intégralité de ce travail de recherche, faisant dela variable territoire une composante essentielle du développement de l’avant-garde, etpermettant une plongée au sein du monde fermé des élites intellectuelles de l’entre-deuxguerres.

En définitive, l’avant-garde à Lyon fut victime de son confinement, et incapable desurvivre à la disparition en cascade des revues dadaïstes de références à l’échelleeuropéenne. Les causes réelles de la fin des revues avant-gardistes lyonnaises étudiéesrestent relativement difficiles à définir de façon précise, et résultent moins d’une causeunique que d’une superposition de difficultés devenues progressivement insurmontables.L’émergence de nouveaux groupes tels que « Témoignage », fondé en 1936 par l’amid’Emile Malespine Marcel Michaud et réunissant peintres et poètes d’avant-garde lyonnais,participe également à la fragmentation d’une avant-garde locale déjà peu fédérée autourd’idéaux communs. Le Mouton Blanc paraphrasant André Gide, affirme que : « l’Art naît de

contrainte, vit de lutte, meurt de liberté » 194 . Ainsi, la production artistique et intellectuelle est

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inévitablement associée à l’idée d’une rupture, et sous-tend l’intégralité du sort des avant-gardes, qui meurent dès lors que l’Art qu’elles promeuvent n’a plus besoin de lutter pourexister.

Références bibliographiques

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Références bibliographiques

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BECKER, Howard, Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, 1988

GOETSCHEL P, LOYER E, Histoire culturelle de la France de la Belle-Epoque à nosjours, Paris, Armand Colin, 2005,

ROCHLITZ, Rainer, L’art au banc d’essai, Paris, Gallimard, 1998

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Articles

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Sur Lyon

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Articles

Références bibliographiques

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Sources

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Index des noms

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Index des noms

Hans Arp (1886-1966), peintre, un sculpteur et un poète allemand puis français. Co-fondateur du mouvement Dada à Zurich en 1916, il fut proche ensuite du surréalisme. Participe à Manomètre, Dada, Contimporanul, Mécano, Das Werk.

MariusAudin, (1872-1951) Imprimeur et typographe lyonnais, il crée la maison d’éditionles Deux Collines, et gère la revue Promenoir.

Blaise Cendrars (portrait de Modigliani). (1887-1961), écrivain français, participe àPromenoir, Les Feuilles Libres, Noi, Tableros.

Jean Cocteau (Tableau de Modigliani) (1889-1963), poète, dessinateur, dramaturgeet cinéaste. Proche d’André Breton, de Philippe Soupault et du surréalisme. Participe àPromenoir et Tableros.

Pierre Combet-Descombes (1885-1966). Peintre lyonnais, proche de la Maison Audinet des milieux artistiques lyonnais. Participe au groupe de peintres Ziniar ainsi qu’àPromenoir et à de nombreuses autres revues telles que Lumière.

Claude Dalbanne (1877-1964) Peintre et graveur lyonnais, conservateur du MuséeGadagne de Lyon. Participe à Promenoir.

Pierre Deval (1897-1993), Peintre figuratif lyonnais. Il participe à Promenoir, avant departir dans le sud de la France et d’adopter un style plus classique.

Paul Eluard (1895-1952). Poète français, participe à Promenoir, Der Strum, et Mecano .Jean Epstein (1897-1953). Ecrivain et cinéaste d’avant-garde français. Participe à

Promenoir, et Feuilles Libres.Henri Focillon (1881-1943) Historien de l’art et directeur du Musée des Beaux Arts de

Lyon. Soutient Promenoir et le groupe de peintres Ziniar.Tony Garnier (1869-1948) Architecte et urbaniste français, participe à Manomètre et

proche d’Emile Malespine et de l’architecte Le Corbusier.Franz Hellens (1881-1972) Ecrivain et poète belge, il participe activement au Mouton

Blanc, mais dirige également la revue Disk Vert.Charles Edouard Jeanneret (1887-1965), dit Le Corbusier, participe à la revue

Promenoir avec Amédée Ozenfant. Ils créent tout deux la revue d’architecture l’EspritNouveau.

Fernand Léger(1881-1955) Peintre français, participe à Promenoir et Noi, proche desmilieux avant-gardistes de l’entre-deux guerres.

Auguste Lumière (1862-1954) Ingénieur et inventeur du cinéma. Participe àPromenoir.

Emile Malespine (1892-1962) Médecin, écrivain et dramaturge, il fonde la revueManomètre en 1922. Auteur du manifeste du suridéalisme, il participe à de nombreusesrevues telles que G, Het Overzischt, Tableros, Das werk, Zénit, Lumière et Ma.

L’Avant-garde et ses revues dans le Lyon de l’entre-deux-guerres

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Filippo Marinetti (1876-1944) Fondateur du futurisme, il inspire les revues d’avant-garde et participe à Contimporanul, Zenit, Tableros et Der Strum.

Amédée Ozenfant (1886-1966) Peintre français, il fonde l’Esprit Nouveau encompagnie de Charles Edouard Jeanneret. Il participe notamment à Promenoir et la revueG.

Francis Picabia (1879-1953), Peintre proche des mouvements Dada et Surréaliste, ilparticipe à Promenoir, Contimporanul, Les Feuilles Libres et Tableros.

Philippe Soupault (1897-1990) Poète français et cofondateur du surréalisme, ilparticipe à Promenoir et Manomètre, mais aussi Les Feuilles Libres et Het Overzicht.

Tristan Tzara (1896-1963), Ecrivain et poète roumain, cofondateur et chef de file dumouvement Dada, il participe à l’ensemble des revues d’avant-garde européenne de l’entredeux guerres, notamment à la quasi-totalité des numéros de Manomètre.

Théo Van Doesburg (1883-1931) Peintre, architecte, écrivain et théoricien de l’artnéerlandais. Il dirige les revues De Stijl et Mecano, participe à Der Strum et bénéficie d’uneaura considérable au sein des milieux avant gardistes européens de l’entre-deux guerres.

Annexes

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Annexes