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43 L’Atlas de la flore sauvage de Bourgogne Olivier BARDET Conservatoire botanique national du bassin parisien – Délégation Bourgogne – Maison du Parc du Morvan – 58230 SAINT-BRISSON – [email protected] Dès son implantation en Bourgogne, l’un des premiers objectifs du Conservatoire botanique a été d’établir une base de connaissance homogène de la région, préalable nécessaire à l’évaluation des menaces pesant sur les différentes espèces. Le premier constat réalisé, après une première phase de compilation de données, a été l’ex- trême hétérogénéité des données existantes : – hétérogénéité spatiale : des zones entières de la Bourgogne n’étaient absolument pas connues historiquement et quasiment jamais parcourues à l’époque moderne ; – hétérogénéité de date : les données servant à établir le statut des espèces ou leur répartition provenait de sources s’étalant du XIX e siècle aux années 1990 ; – hétérogénéité dans le traitement des habitats : concentrés sur les milieux largement reconnus comme remarquables, les inventaires modernes délaissaient des compartiments entiers du terri- toire et de la flore (milieux anthropiques, milieux agricoles...). Les données régionales n’étaient par ailleurs pas structurées. Il n’existait aucun moyen rapide de synthétiser les données issues de la bibliographie et les données récentes, toute analyse étant basée sur des avis d’experts et des connaissances dispersées. La constitution d’une base de données dynamique sur la flore de Bourgogne était nécessaire et a été conçue comme un objectif à part entière. Le programme d’atlas devait donc permettre, sur quelques années de prospections, de dresser une photographie précise et objective (mais pas exhaustive !) de la flore vasculaire de la région. Ce programme devait constituer une étape nouvelle dans la connaissance de la flore régionale, complétant tous les travaux anciens et surtout l’énorme travail des botanistes ayant participé à la réalisation de la Nouvelle Flore de Bourgogne (BUGNON et al. 1993, 1995, 1998). Méthode d’inventaire et rassemblement des données extérieures Les principes qui ont été fixés pour l’atlas ont été les suivants : couverture complète et homogène de la région. Tous les territoires de la région devaient être prospectés et avec la même intensité ; inventaire « équitable » des différents habitats. Tous les types d’habitats, y compris anthropi- ques voire rudéraux (friches, villages…) devaient faire l’objet d’inventaires. Pour pouvoir déterminer la fréquence réelle des espèces au travers du territoire, il ne fallait pas accorder plus d’importan- ce aux milieux traditionnellement connus pour héberger une flore riche et s’efforcer d’inventorier, aussi, les zones auxquelles personne ne s’était intéressé. De la bonne application de ce principe dépendait la représentativité des données obtenues ; rapidité de réalisation de la campagne de terrain. L’idée d’une « photographie » de la connais- sance floristique a été retenue. Dans les programmes longs, les données du début de la phase de prospection peuvent parfois être déjà obsolètes au moment de l’analyse. Les inventaires ont porté uniquement sur les végétaux supérieurs (ou vasculaires), c’est-à-dire les Fougères (Ptéridophytes) et les plantes à fleurs (Spermaphytes). Les mousses d’une part et les Champignons et Lichens d’autre part n’ont pas été étudiés. ACTUALITÉS Rev. sci. Bourgogne-Nature - 9/10-2009, 43-50

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L’atlas de la flore sauvage de BourgogneOlivier BARDET

Conservatoire botanique national du bassin parisien – Délégation Bourgogne – Maison du Parc du Morvan – 58230 SAINT-BRISSON – [email protected]

Dès son implantation en Bourgogne, l’un des premiers objectifs du Conservatoire botanique a été d’établir une base de connaissance homogène de la région, préalable nécessaire à l’évaluation des menaces pesant sur les différentes espèces.

Le premier constat réalisé, après une première phase de compilation de données, a été l’ex-trême hétérogénéité des données existantes :

– hétérogénéité spatiale : des zones entières de la Bourgogne n’étaient absolument pas connues historiquement et quasiment jamais parcourues à l’époque moderne ;

– hétérogénéité de date : les données servant à établir le statut des espèces ou leur répartition provenait de sources s’étalant du XIXe siècle aux années 1990 ;

– hétérogénéité dans le traitement des habitats : concentrés sur les milieux largement reconnus comme remarquables, les inventaires modernes délaissaient des compartiments entiers du terri-toire et de la flore (milieux anthropiques, milieux agricoles...).

Les données régionales n’étaient par ailleurs pas structurées. Il n’existait aucun moyen rapide de synthétiser les données issues de la bibliographie et les données récentes, toute analyse étant basée sur des avis d’experts et des connaissances dispersées. La constitution d’une base de données dynamique sur la flore de Bourgogne était nécessaire et a été conçue comme un objectif à part entière.

Le programme d’atlas devait donc permettre, sur quelques années de prospections, de dresser une photographie précise et objective (mais pas exhaustive !) de la flore vasculaire de la région. Ce programme devait constituer une étape nouvelle dans la connaissance de la flore régionale, complétant tous les travaux anciens et surtout l’énorme travail des botanistes ayant participé à la réalisation de la Nouvelle Flore de Bourgogne (BUGNON et al. 1993, 1995, 1998).

Méthode d’inventaire et rassemblement des données extérieuresLes principes qui ont été fixés pour l’atlas ont été les suivants : – couverture complète et homogène de la région. Tous les territoires de la région devaient être

prospectés et avec la même intensité ;– inventaire « équitable » des différents habitats. Tous les types d’habitats, y compris anthropi-

ques voire rudéraux (friches, villages…) devaient faire l’objet d’inventaires. Pour pouvoir déterminer la fréquence réelle des espèces au travers du territoire, il ne fallait pas accorder plus d’importan-ce aux milieux traditionnellement connus pour héberger une flore riche et s’efforcer d’inventorier, aussi, les zones auxquelles personne ne s’était intéressé. De la bonne application de ce principe dépendait la représentativité des données obtenues ;

– rapidité de réalisation de la campagne de terrain. L’idée d’une « photographie » de la connais-sance floristique a été retenue. Dans les programmes longs, les données du début de la phase de prospection peuvent parfois être déjà obsolètes au moment de l’analyse.

Les inventaires ont porté uniquement sur les végétaux supérieurs (ou vasculaires), c’est-à-dire les Fougères (Ptéridophytes) et les plantes à fleurs (Spermaphytes). Les mousses d’une part et les Champignons et Lichens d’autre part n’ont pas été étudiés.

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La commune a été choisie comme unité de territoire pour les prospections. Cette unité présente deux avantages décisifs : c’est une unité qui est utilisée largement, et depuis longtemps, par les botanistes et, sur le plan de la formalisation des données, c’est une unité qui est compréhensible par la plupart des utilisateurs potentiels des données. Chaque commune a été prospectée au moins une fois sur les bases suivantes :

– les relevés sont répartis au sein de la commune de façon à restituer une image fidèle des principaux grands milieux présents. La prise en compte du biotope se fait à l’échelle du complexe d’habitats. Il ne s’agit pas d’une approche phytosociologique (un relevé floristique par association végétale). L’approche générale est donc plutôt paysagère, les relevés pouvant agréger des habitats différents. La position des relevés est déterminée au cas par cas en fonction des habitats détec-tés, des particularités géologiques ou topographiques mais aussi de l’accessibilité. Il n’y a pas de recherche d’exhaustivité dans cette approche : le but n’est pas de réaliser un relevé dans tous les types de forêts ou de prairies d’une commune par exemple mais d’échantillonner la flore forestière ou prairiale du mieux possible à une date donnée. Les milieux anthropiques (village, bord de route, zone industrielle…) sont bien sûr intégrés ;

– chaque relevé est cartographié sur un fond topographique au 25 000e (IGN Scan25®) ;– toutes les espèces présentes sont systématiquement notées dans chaque relevé. De la plus

commune à la plus rare, toutes les espèces sont notées, même si elles ont déjà été vues dans la commune.

une forte mobilisation des bénévolesEn dehors des informations produites par le Conservatoire botanique lui-même, les données

utilisées dans l’atlas proviennent, très classiquement, des herbiers, de la bibliographie ancienne et moderne et de prospections nouvelles réalisées par les botanistes amateurs (et de la valorisation de leurs carnets de terrain).

à ce sujet, le lancement du projet d’atlas régional a été diffusé largement auprès des associa-tions, sociétés savantes et botanistes indépendants et a suscité une mobilisation importante en Bourgogne, bien qu’hétérogène selon les départements. 208 000 données ont été apportées par ces bénévoles. Dans le département de la Saône-et-Loire, un très important réseau de sociétés savantes existe et s’est mobilisé pour l’atlas. On retiendra en particulier l’apport de la Société d’His-toire Naturelle du Creusot, qui a valorisé 15 ans de prospections (1985-2000) sur tous les carrés UTM 1x1 contenus dans un carré de 20 km de côté centré sur la ville du Creusot. Ces données et de nombreux inventaires réalisés en dehors de ce projet représentent plus de 46 200 données.

Dans l’Yonne, l’Association Icaunaise de Botanique s’est mobilisée sur le projet d’atlas, son membre le plus actif, Marc DOUCHIN, fournissant à lui seul plus de 73 200 données et couvrant 135 communes selon la méthode du CBN. La contribution de la Société Française d’Orchidophilie (SFO), est aussi à saluer pour l’Yonne et la Côte-d’Or. Dans la Nièvre, l’apport de Jean-Claude FELZINES a été décisif, avec plus de 13 350 données postérieures à 1980.

Organisation des donnéesLa constitution de la base de données FLORA est antérieure au lancement de l’atlas en Bour-

gogne. Son élaboration et son perfectionnement sont continus depuis 1998. La totalité des données rassemblées par le CBNBP est intégrée à cette base de données. FLORA permet de saisir, gérer et interroger l’ensemble des données disponibles au Conservatoire. Avec sa mise en ligne depuis 2005, cet outil est accessible au plus grand nombre dans un format d’information synthétique, sans les localisations cartographiques (http://cbnbp.mnhn.fr/cbnbp/). Sous cette forme, FLORA permet aussi de répondre à une des missions fondamentales des CBN qui est la mise à disposition du public d’informations sur la flore.

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Principaux résultats de l’atlas

Au total, après six années de prospections et de rassemblement des données, c’est un peu plus de 1 065 000 données qui ont été utilisées pour la rédaction de l’Atlas de la flore sauvage de Bourgogne.

Progression de la connaissanceLes bases de la connaissance botanique en Bourgogne doivent beaucoup à la fécondité bota-

nique du XIXe siècle. L’importance quantitative et qualitative des données de la période 1815-1915 est énorme et d’autant plus remarquable que les moyens de communications de l’époque ne faci-litaient pas les prospections et, de fait, en limitaient l’étendue. La première moitié du XXe siècle est également fertile mais la baisse de l’engouement pour les disciplines naturalistes est nette. En effet, après la première guerre mondiale et la crise économique des années 1920-1930, il ne reste plus grand-chose de la bourgeoisie locale qui animait les sociétés savantes du XIXe siècle. Quant à la période moderne, elle se scinde en deux parties. Avant l’arrivée de la délégation Bour-gogne, on dispose d’environ 100 000 données brutes et, après juillet 2001, les inventaires du Conservatoire apportent plus de 800 000 données ! Ainsi pour la période 1990-2007 on dispose de 908 781 données. au final, ces données récentes, celles importantes pour dresser les bilans sur l’état de la flore de Bourgogne, constituent 80 % des données de la base Flora et sont réparties sur la totalité des communes de Bourgogne.

Grands traits de la flore de BourgogneLa rédaction de l’Atlas a nécessité l’analyse de 3 881 niveaux taxonomiques correspondant à

2 728 espèces valides, dont 2 043 espèces indigènes et naturalisées, qui correspondent à la flore sauvage de Bourgogne (en cumul des données, toutes périodes confondues).

On retiendra surtout le chiffre de 1 847 espèces présentes en Bourgogne historiquement (si l’on exclut 199 hybrides recensés) et de 1 679 espèces vues après 1990 (parmi les 1 847 précé-dentes).

La flore indigène de la région représente 80 % du total. Si les espèces naturalisées sont incluses, la flore sauvage de Bourgogne atteint pratiquement 86 % du cortège total. Même si la comparaison est délicate, ce chiffre est du même ordre que pour l’Auvergne (84 % dont indigènes 76 % et natu-ralisées 8 %) selon ANTONETTI et al. (2006).

Les espèces les plus rares

Dans l’Atlas, la rareté des espèces a été calculée à partir de la fréquence communale (= nombre de communes où l’espèce est présente / nombre total de communes en Bourgogne).

Si on ne considère que les espèces revues après 1990, on recense 398 espèces « extrêmement rares » (< rrr, soit moins de 20 communes) soit 23 % de la flore sauvage de Bourgogne. Parmi elles, 278 espèces sont présentes sur 1 à 10 communes en Bourgogne et 57 sont présentes sur une commune seulement. Ce chiffre se porte à 30 % de la flore de Bourgogne si les calculs sont faits toutes périodes confondues.

Les espèces rares et menacées

Dans une approche simple, l’analyse des priorités d’intervention sur les espèces indigènes de Bourgogne peut reposer sur les critères de rareté, calculés sur la base des données récentes. Comme on vient de le voir, 398 espèces sont au moins « extrêmement rares (RRR) », c’est-à-dire qu’elles sont présentes sur moins de 20 communes de Bourgogne.

Il est ensuite possible, dans une certaine limite, de comparer le nombre de communes de présence ancienne et moderne pour chaque espèce, ce qui apportera un éclairage dynamique sup-plémentaire. Les espèces sélectionnées comme prioritaires en Bourgogne sont celles aujourd’hui présentes sur moins de la moitié des communes où elles étaient connues avant 1990 (régression de plus de 50 %). Ces espèces sont au nombre de 128.

En croisant les deux approches, celle des espèces les plus rares (une ou deux stations connues par exemple) et celle des plus menacées (dynamique de régression très forte), une première liste des priorités de conservation est élaborée dans l’Atlas.

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Les habitats des espèces menacées

Les prospections réalisées pour l’élaboration de cet Atlas n’avaient pas pour but d’inventorier finement les habitats naturels. De nombreuses informations ont toutefois été enregistrées et les analyses faites sur les espèces font clairement ressortir des éléments sur les habitats. L’analyse qui suit porte sur la liste de 128 espèces évoquée ci-dessus.

Les prairies humides et les marais sont les milieux les plus touchés puisqu’ils abritent 25 % des espèces en forte régression. Dans cette catégorie apparaissent en forte proportion des espèces des zones humides temporaires (bords d’étangs et sables humides notamment). Plus globalement les zones humides (marais, prairies humides, tourbières, milieux aquatiques) cumulent 32 % de la flore en régression.

Les cultures ressortent également dans cette analyse, ces milieux accueillant 20 % des espèces en régression forte. Les espèces se répartissent essentiellement dans les systèmes agricoles les moins intensifs. Si l’on ajoute les espèces des friches et villages, ce sont près de 29 % des espèces en régression qui sont liées aux habitats rudéraux. Il va être nécessaire de trouver des solutions nouvelles pour prendre en considération ces habitats traditionnellement ignorés dans les politiques de préservation.

Les forêts paraissent assez peu touchées par les fortes régressions. Il faut toutefois relativiser : l’essentiel du patrimoine floristique des forêts est concentré dans certaines zones et certains types de forêt peu productifs donc peu exploitables (forêts sèches du Châtillonnais, forêts alluviales, tour-bières boisées...). La flore de ces habitats se trouve donc protégée des changements de mode d’ex-ploitation. En revanche, les forêts productives et même les forêts plus banales ont subi des chan-gements importants et ce sont les espèces des lisières et d’ourlet qui traduisent ces changements, par leur régression. La rationalisation de l’exploitation forestière supprime les espaces interstitiels qui permettent à ces espèces de se développer et conduit à leur raréfaction.

Les espèces disparues

Parmi les espèces indigènes traitées dans cet ouvrage, 73 n’ont pas été revues entre 1990 et 2007 et sont donc considérées comme disparues de Bourgogne à ce jour.

On constate que les prairies humides et les marais sont les milieux les plus touchés. Plus glo-balement les zones humides (marais, prairies humides, tourbières, milieux aquatiques, rivières) cumulent 28 espèces soit 37 % de la flore disparue de Bourgogne. Au regard des superficies restreintes occupées par ces habitats, les tourbières sont très fortement concernées par les dispa-ritions.

Les cultures ont également été fortement touchées. Les atteintes aux cortèges de messicoles n’ont d’ailleurs pas cessé, une forte proportion des messicoles de Bourgogne est très rare, et plu-sieurs sont au bord de l’extinction.

Les complexes de prairies sèches oligotrophes acides (pelouses acides et prés secs) et systè-mes pastoraux extensifs accueillaient 11 espèces aujourd’hui disparues. Comme dans le cas des messicoles, les pressions sur ces milieux persistent.

Le parallèle entre les résultats des analyses sur les espèces en régression et les espèces dispa-rues est frappant, tant dans la hiérarchie des habitats que dans les valeurs obtenues. Ces résultats permettent essentiellement de confirmer :

- l’urgence d’accroître encore les efforts de conservation en direction des zones humides de toute nature,

- la nécessité de prendre en compte les milieux rudéraux, cultures comprises, dans les politi-ques de préservation,

- l’extrême fragilité des milieux agro-pastoraux extensifs en Bourgogne.

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Les espèces envahissantes et leurs impactsEn Bourgogne, 36 espèces ont été jugées envahissantes à des degrés divers. Quatre en par-

ticulier posent des problèmes : l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia), la jussie (Ludwigia gran-diflora), les renouées du Japon et de Sakhaline (Reynoutria sp. pl.) et le robinier (Robinia pseudoacacia).

Côté provenance géographique, sur les 36 espèces envahissantes, 21 proviennent d’Amérique (dont 16 d’Amérique du Nord), 7 d’Asie (du Caucase à l’Extrême-Orient), 3 d’Afrique du Sud, une est eurasiatique, une est subtropicale et trois sont cosmopolites. Assez logiquement, les plantes des zones tempérées de l’hémisphère nord sont les plus susceptibles de se naturaliser et de prospérer en Bourgogne.

Les impacts sur la santé publique

L’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia) est la principale espèce responsable de tels impacts et sans doute le meilleur exemple des conséquences que peut avoir l’arrivée d’une plante envahis-sante. Les allergies à l’ambroisie viennent déjà au sixième rang des allergies respiratoires dans les environs de Lyon (6 à 12 % de la population). En France on considère que 10 % de la population est touchée par une allergie aux pollens. Ce taux a doublé au cours des 20 dernières années. Les conséquences les plus importantes en Bourgogne sont sans doute encore à venir.

Les impacts économiques

Ils peuvent dériver de différentes problématiques :– agriculture : une espèce envahissante colonisant les champs devient une adventice de plus à

contrôler et entraîne donc des surcoûts liés aux traitements phytosanitaires à mettre en œuvre ;– infrastructures : c’est le cas des espèces s’implantant le long des routes, des rivières ou des

voies de chemin de fer. Comme pour les zones agricoles, l’espèce nécessite d’être contrôlée, et les pratiques à mettre en œuvre représentent un surcoût pour les communes, les Communautés de communes, les Conseils généraux, Voies Navigables de France, Réseau Ferré de France… Entrent dans cette catégorie les espèces aquatiques envahissantes ;

– santé : les problèmes de santé publique ont aussi un coût. Le coût économique annuel associé aux pollinoses dues à l’ambroisie en terme de consultations, de prescriptions et d’arrêts de travail est déjà estimé à plusieurs millions d’euros ;

– loisirs : certaines espèces, comme la Balsamine de l’Himalaya ou la Renouée du Japon, parce qu’elles gênent l’accès, entraînent la mise en œuvre d’opérations d’entretien des bords de rivières et ont des répercussions sur les budgets des communes, des Associations de pêche, des syndicats de rivière...

Les impacts écologiques

C’est dans ce domaine que l’on note les conséquences les plus fréquentes mais aussi les moins spectaculaires. Les espèces exotiques envahissantes constituent la troisième menace sur la bio-diversité mondiale après la destruction des habitats et la surexploitation des espèces (elles sont parfois citées en deuxième position). Elles sont impliquées dans la moitié de toutes les extinctions enregistrées depuis 400 ans.

La majorité des espèces traitées dans l’Atlas influent sur les habitats colonisés et peuvent entrer en compétition avec des espèces locales. Dans le cas de Ludwigia grandiflora, des Reynoutria et de Robinia pseudoacacia, les modifications du milieu sont même profondes.

Les impacts écologiques peuvent aussi être très discrets, comme dans le cas du remplacement de Lindernia palustris par Lindernia dubia. L’envahissement a en fait conduit dans ce cas à une substitution, avec élimination d’une espèce patrimoniale très peu visible.

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L’atlas de la flore sauvage de BourgogneOlivier BARDET, éric FéDOROFF, Gaël CAUSSE & Jacques MORET

Ce très beau et volumineux ouvrage (752 pages, 20x30 cm, édition Biotope, collection Parthénope, MNHN), a été édité en 2008.

une première partie de cet ouvrage est réservée à une présentation générale dans laquelle sont successivement traités en une centaine de pages :– la géologie de la Bourgogne ou « le support de la végétation » (Pierre RAT),– le relief et l’hydrographie (Pierre RAT),– les sols de Bourgogne (Jean CHRéTIEN),– le climat de Bourgogne (Jean-Pierre CHABIN),– une description des petites régions de Bourgogne (Olivier BARDET),– une esquisse phytosociologique de la Bourgogne (Jean-Claude FELZINES et Jean-Marie ROYER),– une contribution à l’étude de l’histoire de la botanique en Bourgogne (Jean VALLADE),– l’inventaire des herbiers en Bourgogne et leur rôle dans dans la connaissance de la flore,– une méthodologie de l’Atlas (Olivier BARDET).

La deuxième partie (environ 560 pages) est consacrée à la répartition des espèces avec, listées séparément, les espèces à enjeu, protégées ou menacées (figure 1), les espèces à enjeu envahissantes et toutes les espèces de Bourgogne, ces dernières consti-tuant la partie la plus volumineuse de l’ouvrage (460 pages). Chaque espèce fait l’objet d’une fiche particulière comportant, outre le nom scientifique et le nom vulgaire, le statut, l’évaluation de la rareté, l’époque de floraison, l’origine présumée, le type biologique, l’écologie, la répartition géographique (nationale et bourguignonne) et une évaluation des menaces et éventuellement les mesures de conservation actuelles ou à envisager. Une photographie-couleur accompagne chaque espèce à statut particulier ou peu commune.

une troisième partie d’une quarantaine de pages analyse les résultats obtenus, fait le bilan des recensements effectués, et une analyse critique de la méthode suivie pour la réalisation de l’Atlas.

Enfin, une trentaine de pages sont réservées aux annexes comportant une bibliogra-phie, un glossaire, les espèces non traitées, un index des noms français et une liste des espèces caractéristiques par groupe de communes.

Cet ouvrage remarquablement conçu est également agréable à consulter. Cette mine de renseignements botaniques est à mettre entre les mains de tous, des naturalistes, des enseignants, des décideurs, etc. de notre Région. Avec en compléments La Nouvelle Flore de Bourgogne (BUGNON et al.) rééditée en 2007 et le Synopsis commenté des grou-pements végétaux de la Bourgogne et de la Champagne-Ardenne (ROYER et al., 2006), les botanistes ont désormais d’excellents outils pour l’étude des plantes vasculaires bourguignonnes.

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Figure 1. Extrait de l’ouvrage Atlas de la flore sauvage de Bourgogne (page 113).

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Synthèse sur les enjeuxL’Atlas réalisé comprend aussi une

analyse des territoires de Bourgogne, basé sur la comparaison des cortèges floristiques des différentes petites régions naturelles. La carte 1 résume les analyses qui ont porté, dans l’Atlas, sur les espèces et sur les territoires. Elle représente la densité de présence des espèces les plus rares sur des mailles de 5x5 km. Cette carte est construite à partir des données valides et modernes (> 1990) pour les espèces qui sont au moins très rares (RR), c’est-à-dire présentes sur moins de 40 communes de Bourgogne.

Les analyses contenues dans l’Atlas pointent des régions naturelles où un décrochage a déjà eu lieu en terme de richesse spécifique ou de diversité. Ces régions méritent aussi une attention, mais plutôt au travers de politiques de fonds (agricoles, forestières, paysagè-res...) pour, d’une part, limiter l’érosion de la biodiversité restante et, d’autre part, conserver des réseaux d’habitats encore banals qui jouent le rôle de refuge pour la flore.

Par croisement de la carte 1 avec les zones soumises à une forte pression d’urbanisation (par exemple autour des grandes villes), dans des régions naturelles très riches comme la vallée de la Saône, la Côte dijonnaise ou la plaine de Saône, il sera par exemple possible de visualiser les enjeux floristiques par rapport aux pressions anthropiques actuelles.

Carte 1. Zones à forts enjeux floristiques (les liserés fins montrent les limites des régions naturelles).

ConclusionLe projet d’Atlas est né du besoin de disposer d’une image la plus complète et la plus représenta-

tive possible de la région Bourgogne. Ce besoin était fondé sur des bases scientifiques, mais décou-lait aussi d’une demande des collectivités et des services de l’état. L’Atlas représente aujourd’hui une synthèse très aboutie sur la flore de la Bourgogne et sur les enjeux qui pèsent dessus.

Nous espérons que l’ouvrage sera utilisé par les décideurs et collectivités de la région, pour orienter et faire avancer la conservation de la flore en Bourgogne. Nous souhaitons également que cet Atlas constitue une forme de retour vers les nombreux botanistes amateurs qui nous ont aidé dans ce projet. Enfin, cet ouvrage ne constitue pas la fin de l’étude de la flore en Bourgogne, c’est au contraire une base pour continuer les inventaires, dans les zones les moins connues, pour rechercher des taxons encore mal connus ou présumés disparus.

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