1

LAnalyse de lexprience spatiale de lenseignant dans la classe

Une analyse anthropologique et phanroscopique

EVELYNE MAROTTE, doctorante lUniversit de Montpellier 3, laboratoire du LIRDEF, IUFM de Montpellier

Mots cls : Affordance, autoconfrontation, autopose, conscience prrflexive, corps, cours daction, effacement, embodiement, naction, espace, tayage, gestalt, geste professionnel, interprtant, mtaphore exprientielle, mtaphore vive, reprsentamen, rituel, routine, rupture, signe triadique, signe ttradique, spatialit en miroir, spatialit en tandem, unit dexprience.

1. Objet dtude Il est admis, aujourdhui, que la professionnalisation de lactivit enseignante est lun des enjeux des formations initiale et continue des pdagogues. Le bon enseignant nest pas seulement celui qui dtient un savoir et qui sait le transmettre par une didactique ou une pdagogie appropries, mais aussi celui qui matrise un certain nombre de gestes professionnels. On connat aussi limportance des paramtres individuels lis la personnalit : la voix ou la prsence . Un jeune enseignant apprend les rudiments de la communication et du savoir-tre lors de sa formation initiale et il aimerait matriser encore davantage les comportements quil devra adopter face une classe. Si les pratiques enseignantes sont souvent explores du point de vue des didactiques et de la pdagogie, si le discours de lenseignant a t analys et typifi, la prsence de celui-ci en tant que corps dans un espace de travail reste peu explore.

2. Problmatique et hypothses de travail De quoi est faite cette prsence de lenseignant ? Comment sacquiert-elle ? Comment peut-elle tre analyse ? Comment peut-elle tre transmise aux jeunes enseignants ? Tels sont les problmes auxquels mon travail tente de rpondre, en utilisant deux cadres thoriques et mthodologiques issus de deux disciplines diffrentes mais compatibles dun point de vue ontologique : lergonomie avec le Cours daction de Theureau, et lanalyse du discours mtaphorique selon la grille de lecture de Lakoff & Johnson. 2.1. Champ dinvestigation Nous nous sommes intresse ici aux dplacements de lenseignant dans la classe comme outils de communication et indicateurs de sa prsence .Nous avons explor les dplacements en tant que gestes professionnels particuliers, et en tant quils traduisent lexprience de lenseignant, pour essayer de mettre jour leurs significations pour celui-ci, rflexives et prrflexives.

2

2.2. Deux auteurs proches. 2.2.1. Claude Pujade-Renaud Dans son ouvrage de 1983, Le corps de lenseignant dans la classe, lauteur commence par faire un constat juste ; les recherches pdagogiques considrent trop souvent lenseignant comme un verbe dsincarn et ngligent le caractre charnel de la relation matre-lve : Lon constate en effet que le corps est soit oubli soit dsincarn. Ce qui peut sexpliquer par des raisons diverses et intriques ; le corps drange linstitution ; il parasite la communication verbale ; il ne relve pas du fait ducatif car peu mallable ; il rappelle trop lourdement que la relation pdagogique est aussi charnelle et il rintroduit crment la violence sociale dans le champ scolaire. p.18

Cest nier un peu vite lusage que lenseignant fait de cet espace et des artefacts, nous dit lauteur, pour qui : Lenseignant entretient [donc] un rapport corporel et affectif lespace de la classe. p.56.

Or, quand on interroge les enseignants sur leur gestion de lespace de la classe, on saperoit quil existe un art consomm, mme sil nest pas toujours conscient, pour jouer des contrastes entre mobilit et immobilit, assis et debout, loignement et rapprochement .p.58.

Lenseignant joue de lespace pour capter lattention des lves, pour asseoir son autorit et la parole magistrale ou se mettre labri des regards des lves, quand il se sent menac : Le maniement du corps intervient fortement pour assurer la prise sur la classe [... ] Lusage du corps en classe sapprend et se travaille. p.58.

Noublions pas en effet que dans la classe, seul le matre a le privilge de la mobilit et quil volue dans son territoire, dans son discours et dans son parcours (p.96). La gestion de lespace fait partie des comptences de lenseignant, et son corps : fonctionne comme mtaphore du discours de linstitution scolaire, et essentiellement dun discours non crit, qui nest pas toujours manifeste et qui appelle parfois tre dcrypt .p.132.

La recherche que nous avons mene sur neuf enseignants de lyce et de collge correspond cette analyse de Claude Pujade-Renaud. Nous y avons retrouv les diffrents paramtres quelle a mis jour, rendus par labondance des mtaphores dans les donnes langagires que nous avons recueillies. Cependant, pour Claude Pujade-Renaud, lessentiel du processus serait inconscient, issu dun processus narcissique et quelque peu exhibitionniste (p.14) . Inconsciemment toujours, le professeur utiliserait son corps comme un espace fantasmatique : Lespace de la classe, quel que soit son volume objectif, est dfini comme un espace de contention ; le corps du professeur devient coextensif cet espace, instaurant avec ceux des lves un rapport fantasmatique de contenant contenu. p.130.

Malgr la justesse des conclusions de Pujade-Renaud, force est de constater que son uvre sont dats et quils laissent une trop grande place linterprtation psychanalytique des processus de gestion de lespace. Lanalyse est donc inoprante et inadapte dans le cadre de lingnierie de formation des enseignants, que nous nous sommes fix. 2.2.2. Hubert Hannoun Les travaux d Hannoun sur la thtralisation dans la classe dans son ouvrage Paradoxe sur lenseignant (1989) nous ont galement inspire dans la mesure o ils proposent une lecture compare, point par point, entre Le paradoxe sur le comdien de Diderot et le paradoxe des comportements enseignants en classe. La notion vague de prsence sen trouve ainsi explicite et paramtre clairement : a/ lenseignant doit savoir ce quil donne voir : La comdie est condition sine qua non de la tche enseignante ses deux niveaux, relationnel et didactique b/ Lenseignant, tout comme le comdien, doit matriser ce quil veut donner voir et ainsi jouer le personnage quil construit, de raison , comme le dit Diderot :

3

Le matre, en ce sens, nest pas face ses lves ; il se construit tel quil souhaite quils le voient...Ce sont, en effet, ces modes de relation non-verbale, chappant toute codification,qui, souvent, savrent rvlateurs du sens rel de la situation scolaire.

c/ La prsence de lenseignant est double, en soi et en dehors de soi, et justifie ses dplacements : Lapproche de la kinsique rejoint encore plus directement lart du comdien. Il sagit dapprendre la meilleure faon de bouger, de marcher, de gesticuler, pour mieux transmettre, pour souligner linsignifiance ou , au contraire, limportance dun propos ou dune remarque, pour aider, soutenir, ou, au contraire, marquer une rprobation .

Lapproche dHannoun sur les dplacements des enseignants montre que ceux-ci sont des gestes professionnels. Ce parallle entre comdien et acteur est juste mais il nie le fait que les interactions entre matre et lves sont beaucoup plus nombreuses que les interactions entre comdien et public, que les enjeux du matre et ceux du comdien ne se recouvrent pas et que la notion de rle est moins importante chez lenseignant que chez le comdien, mme si dans les deux cas, il y a construction dun personnage. Dautre part, comme nous le verrons plus tard, il napparat aussi nettement qu Hannoun semble le dire que lenseignant vive son espace de travail comme un espace de jeu dramatique.

3. Cadre thorique et pistmologique Nous sommes partie la recherche de cadres thoriques plus descriptifs et moins ports sur lintrospection psychanalytique, considrant avant tout les dplacements de lenseignant dans la classe comme outils de communication et indicateurs de sa prsence .Comment analyser, paramtrer et transmettre cette notion multifactorielle de la prsence ? Dans ce travail, nous avons explor les dplacements faisant lobjet dune rflexion ou mergeant la conscience, et tenter de voir sil est possible dintgrer une rflexion sur lutilisation de lespace dans la formation initiale du jeune enseignant. 3.1. Une ontologie de lexprience Je minscris dans une ontologie phnomnologique. Il sagit de revenir aux choses , de pratiquer l poch pour rester descriptif, il sagit dobserver, de se cantonner une psychologie descriptive. Nous empruntons ainsi Heidegger son Dasein, et lide que toute conscience est conscience de quelque chose . 3.2. Une interaction smiologique A partir de l, toute smiologie binaire(le signifi/signifiant de Saussure), est insuffisante, car elle ne prend pas en compte le sujet qui exerce le couplage entre ce signifi et ce signifiant. Une smiologie phnomnologique comporte donc trois actants : objet, sujet et signe, le sujet tant son lment central. Ainsi, la smiologie ternaire ou triadique de Peirceest compatible avec lontologie de la Phnomnologie. Il ny a pas dun ct le monde et de lautre le sujet, une bipolarit pistmologique, mais un sujet qui nexiste que dans son interaction, son action sur et sa raction-avec le monde. Peirce spcifie cette interaction par les termes de primit, secondit et tiercit. Chaque signe peut avoir trois valences. Prenons le signe rouge par exemple. Premire valence : la primit qui est le caractre rouge sans aucune rfrence quoi que ce soit de rouge que le smioticien nomme par exemple rougit , le pur possible du rouge. Deuxime valence : sa ralisation effective dans la couleur dun objet, la scondit. Troisime valence : sa valeur de rgle dans la couleur de la muletta du torro, la tiercit.

4

3.3. Les notions cls du neuropsychologue Varela Varela propose de la conscience et de ltre dont parlent nos philosophe