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7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf http://slidepdf.com/reader/full/lamagieantillaisepdf 1/121  Eugène REVERT Docteur ès Lettres Professeur à la Faculté des Lettres de l’Université de Bordeaux 1951 La magie antillaise Un document produit  en version numérique par Mme Marcelle Bergeron,  bénévole Professeure  à  la  retraite  de  l’École  Dominique Racine  de  Chicoutimi,  Québec  et collaboratrice  bénévole Courriel  : [email protected]  Dans le cadre de la collection : "Les classiques  des sciences  sociales" dirigée et fondée par JeanMarie Tremblay,  professeur  de sociologie au Cégep de Chicoutimi  Site web: http://classiques.uqac.ca/  Une collection développée en collaboration  avec la Bibliothèque  PaulÉmileBoulet de l'Université  du Québec à Chicoutimi  Site web: http://classiques.uqac.ca

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    Eugne REVERTDocteur s LettresProfesseur la Facult des Lettres

    de lUniversit de Bordeaux

    1951

    La magie antillaise

    UndocumentproduitenversionnumriqueparMmeMarcelleBergeron,bnvoleProfesseurelaretraitedelcoleDominiqueRacinedeChicoutimi,Qubec

    etcollaboratricebnvole

    Courriel:[email protected]

    Danslecadredelacollection:"Lesclassiquesdessciencessociales"dirigeetfondeparJeanMarieTremblay,

    professeurdesociologieauCgepdeChicoutimiSiteweb:http://classiques.uqac.ca/

    UnecollectiondveloppeencollaborationaveclaBibliothquePaulmileBouletdel'UniversitduQubecChicoutimi

    Siteweb:

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    Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole,professeure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec.courriel : mailto : [email protected]

    EUGNE REVERT

    Une dition lectronique ralise partir du texte dEugne Revert, Lamagie antillaise. Paris : Les ditions Bellenand, 1951, 203 pp.

    Polices de caractres utiliss :

    Pour le texte : Times New Roman, 12 points.Pour les citations : Times New Roman 10 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pourMacintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 4 dcembre 2008 Chicoutimi, Province de Qubec, Canada.

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    OUVRAGES DU MME AUTEUR

    La Martinique. tude gographique. Ouvrage couronn par l'Acadmie desSciences. Prix Binoux (Nouvelles ditions latines, 1949).

    La France d'Amrique. Collection Terres lointaines (Socit d'ditionsgographiques, maritimes et coloniales, 1949).

    EN PRPARATION :

    Le Monde carabe.

    La dernire ruption de la Montagne Pele, 1929-1932.________

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    TABLE DES MATIRES

    Chapitre I.Caractres gnraux du folk-lore martiniquais

    Chapitre II.Rites et coutumes

    Chapitre III.Remdes et charmes

    Chapitre IV.Charmes et contre-charmes

    Chapitre VLes sorciers et leur organisation

    Chapitre VI.Zombis, Engags et Vaudou

    ANNEXESCahier de quimbois

    Larsenale (sic) des sorciers

    Correspondances

    Bibliographie sommaire

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    CHAPITRE PREMIER

    Caractres gnrauxdu folk-lore martiniquais

    I. SA RICHESSE

    Retour la table des matires

    Le folk-lore martiniquais est d'une richesse certaine. Il n'a t l'objetjusqu'ici que d'un nombre restreint d'tudes dsintresses. Le petit livre de M.Labrousse sur deux vieilles terres franaises, Guadeloupe et Martinique, est, cet gard, le meilleur que je connaisse. Pour le reste, on est oblig de s'en tenir des enqutes personnelles et aux descriptions parses dans les nouvelles etromans consacrs la colonie. Quelques-unes sont excellentes, d'autres moinsbonnes. Elles ne donnent et ne peuvent donner que des vues fragmentaires.

    Les transformations de la vie moderne tendent dans une certaine mesure modifier ce folk-lore, en rduire l'importance, moins peut-tre qu'ailleurs. Il yaurait urgence nanmoins recueillir, avant qu'il ne ft trop tard, un certainnombre de traits hrits d'un pass souvent lointain. Les costumes croles existent encore, mais reculent constamment devant les modes de Paris . Cen'est qu' la campagne et aux jours de fte qu'on peut encore rencontrer desaeules portant la jupe , avec de jolies chemises brodes manches trsamples en guise de corsage, le collier chou et les boucles d'oreilles nommes dahlias . De mme le costume local compos de l'ample peignoir ou grande robe , du foulard et du madras calandr en forme tte madras ,devient de plus en plus rare.

    Le peuple martiniquais adore la danse. La Biguine a conquis droit decit jusqu'en Europe. Mais il n'y avait plus dj, lors de mon premier sjour,que les vieilles gens de la campagne pour danser le Bel (Bel air), qui s'accompagne d'une chanson amoureuse appele du mme nom. Elle secompose de mouvements simples et lents qu'on excute en se tenant la robede chaque main 1 .

    J'ai assist maintes fois la danse des coupeuses de cannes, dirige par uncommandeur, et qui s'apparente au Bomb serr ou danse du ventre. Mais,

    1 Labrousse,Deux vieilles terres franaises, p. 9.

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    la campagne surtout, d'antiques traditions se perptuent. Damier et Laghiade la mort sont des danses pugilistiques africaines, d'aprs M. Zobel 1. Laseconde dgnre l'occasion en combat vritable et meurtrier. Un coup depied dans le ventre abat le plus redoutable des lutteurs, les doigts plants dans

    les yeux le rendent aveugle. Le vainqueur a le droit de pitiner son adversaire terre, de lui broyer la cage thoracique au son du tamtam, dans le dlire descris des supporters, tandis que s'agitent les torches fbriles 2 . La danse Mayoumb , dans la rgion du Diamant, apparat plus que lascive et entranesouvent de vritables scnes de frnsie.

    Quant aux conteurs, ils sont lgion. Leurs, rcits se transmettent partradition orale, l'occasion des veilles funbres, moins qu'ils ne soient faitspar les das3 la ti manmaille qui les coute avec dvotion. Plus d'un crivainantillais les a utiliss. Ils n'ont pas encore t recueillis pour eux-mmes, sansenjolivements littraires. Il y a place, dans ce domaine, pour plus d'unchercheur.

    La prsente tude n'a pas la prtention d'embrasser un champ aussi vaste.Elle se restreint aux diverses manifestations de la magie locale ; aux charmes etquimbois4,qu'il est parfois difficile de distinguer des remdes populaires, auxtabous et pratiques irrationnelles de la vie courante. Mais on ne peut dissocierentirement ces pratiques des croyances qu'elles supposent, ni de ceux qui lesappliquent. C'est en fin de compte un monde trange de sorciers, d'engags, derevenants, les zombis ou souclians des Antilles, que nous verronsprogressivement s'voquer devant nous.

    II LIMITES ET DIFFICULTS D'UNE ENQUTE DEFOLKLORE LA MARTINIQUE

    Dans ce domaine mme, le prsent travail ne peut avoir la prtention d'trecomplet, et il faut insister sur les difficults de toutes sortes que rencontre laMartinique une tude de ce genre. Beaucoup dans les classes instruites serefusent rpondre ou dtournent la conversation, les uns parce qu'ils croienttoujours aux revenants, aux engags 5, l'efficacit surtout des quimbois etqu'ils ne veulent pas l'avouer, les autres par une sorte de pudeur, de patriotismede clocher qui les pousse dissimuler ce dont ils croient qu'un tranger pourraitse moquer. Il est toujours possible, sans doute, d'aller consulter tel gurisseurconnu, d'assister une sance moyennant finances. Cela ne conduit pasloin, et les risques d'erreurs ou de tromperie volontaire apparaissentconsidrables ; il serait facile d'en citer des exemples.

    1 Zobel,Laghia de la mort, p. I.2 Tardon,Bleu des les, p. 58.3 Bonne denfants.4 On ne connat pas l'origine exacte du terme quimbois. On dsigne par l, aux Antilles, les

    remdes accompagns de conjurations, ces conjurations elles-mmes et, d'une manire plus

    gnrale, tous les actes de magie ou de sorcellerie.5 Engag : qui a un pacte avec le dmon.

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    Un Martiniquais seul, connaissant fond son pays, et dgag cependant descontingences locales par un long sjour au dehors et des tudes spcialises,serait capable de peindre la large fresque dont on est en droit de rver. Puisseun des nombreux jeunes gens actuellement dans la mtropole comprendre

    l'intrt de cette tche et s'y consacrer. Je n'ai d'autre ambition, pour ma part,que de tracer grands traits une premire et incomplte esquisse.

    J'ajouterai seulement que mon enqute a commenc ds le lendemain mmede mon arrive Fort-de-France, en 1927. J'tais peine dbarqu quun ami,de passage la Martinique et que je connaissais de longue date, tomba maladedans des conditions suspectes, et qui ne permettaient pas d'exclure l'hypothsed'un quimboisage , qu'on ait voulu se dbarrasser d'un gneur ou qu'il se soitagi d'un philtre d'une autre sorte. Quelques mois plus tard, un autre incidentattirait de nouveau mon attention sur ces problmes. J'avais lou, pour lesgrandes vacances, une maison dans le sud de l'le, au bourg de Sainte-Anne.Des racontars, qu'on ne me rapporta que longtemps aprs, me firent passer pourindsirable aux yeux de quelques braves pcheurs. Cela se traduisit d'abord pardes bruits sourds, aprs minuit, autour de ma demeure. Peu aprs, je fus rveillpar des crissements tranges, analogues ceux d'une serrure qu'on essaie deforcer. Lever rapide, lumire, exploration, revolver au poing, de l'escalier pourtomber sur un norme crabe de terre , qui passa par la fentre plusrapidement qu'on ne l'avait introduit. J'appris seulement par la suite ce qu'taitun animal voy , c'est--dire expdi par sorcellerie. Trois ou quatre joursencore et je trouve au matin, tendu devant mon seuil, le cadavre d'un petitchien, qui appartenait un vieil instituteur europen, et avec lequel j'avais

    encore jou la veille. La pauvre bte tait dans une position anormale et quidnotait une intervention humaine. Un coup d'il me prouva que j'tais pides maisons voisines. L'agacement, un vague dsir aussi d'exprience ou demystification, me firent considrer gravement l'animal. Je rentrai chercher unecanne avec laquelle je traai son entour un pentagramme qui pouvait passerpour magique, tout en rcitant ce dont je pouvais me souvenir de grec, definnois ou d'arabe, langues que je supposais inconnues des braves gens quim'observaient. Aprs quoi, j'eus la satisfaction de constater que lesdits vitaientsoigneusement de passer devant ma porte.

    Par la suite, de mauvaises frquentations me conduisirent dans les milieux

    politiques de File. Un des Nestors du mtier, qui m'avait pris en affection,m'enseigna l'art de me tromper de punch dans certains cas, c'est--dire dene pas prendre celui qui m'tait ostensiblement offert lorsque je me trouvais enmilieu hostile. Un vieux prtre me rpta qu'il n'autorisait jamais personne pntrer dans sa cuisine. Il arrivait que ses ouailles lui offrissent des platsprpars l'avance. Il acceptait, remerciait chaleureusement, et ne consommaitpas. Il avait t tmoin de trop de morts rapides et inexplicables.

    On pourrait s'tonner de pareilles affirmations si l'on ne savait la prudenceextrme, pour ne pas dire plus, avec laquelle la justice locale poursuit de pareilsfaits. Les magistrats rcemment arrivs ne connaissent pas le pays. Les autres

    peuvent arguer de nombreux cas o les enqutes n'ont abouti rien. Lasituation a t fort bien dfinie par le P. Delawarde, dans une tude rcente et

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    indite dont il a bien voulu me communiquer le manuscrit. Des vieshumaines, y crit-il, sont livres aux sorciers habiles doser les poisons,poisons rapides ou lents, mais toujours srs. Aprs un sjour de dix ans dans lepays, au cours duquel nous nous sommes sans cesse renseigns, nous avons la

    persuasion que les victimes des quimboiseurs sont encore en nombreapprciable. Nous ne sommes pas seul de cet avis. En avril 1937, notreconfrre, le P. de la Brunelire, crivait, dans les Annales des Pres du Saint-Esprit: ... Les morts par poison sont assez frquentes. Et il ajoutait : Cescrimes demeurent presque toujours impunis. Ceux qui pourraient parler setaisent par crainte des reprsailles. Interrogs, les voisins et mme les parentsdsols de la victime rpondront aux gendarmes : Pas z'affaires moins, moinpas save 1. En effet, s'ils parlaient, le dlinquant serait sans doute arrt, maisplus tard, remis peut-tre en libert, il viendrait exercer une vengeance certaineet terrible 2. Je puis ajouter que plus d'un mdecin partage sur ce point l'avisdu P. Delawarde et de Mgr de la Brunelire.

    On admettra dans ces conditions les raisons de convenance, pour ne pas direplus, qui m'obligent taire le nom de la plupart de mes informateurs demeurs la Martinique. Je dois beaucoup au P. Delawarde, qui m'a procur avant toutautre le cahier de quimboiseur reproduit la fin de ce mmoire, en mautorisant le publier ainsi qu' utiliser l'tude qu'il lui avait consacre. J'ai fait mespremires enqutes grce M. Legros, instituteur d'origine europenne, tablidepuis plus de quarante ans la Martinique lorsque je l'ai connu, et dcd en1931. Le chanoine Tostivine, longtemps cur doyen du Lamentin, galementdisparu, m'a fourni des renseignements non moins prcieux, ainsi que mon

    collgue Boutin, ancien directeur de l'Observatoire, mort pendant la dernireguerre. Que les autres reoivent ici collectivement le tmoignage de cetteprofonde gratitude que j'ai dj essay de leur manifester, lors de mon sjouraux Antilles en 1949. La vieille bande s'tait alors retrouve presque aucomplet. Je me souviens surtout de certain jour o je m'tais rfugi l'anseMitan, pour que nul ne pt m'accuser d'avoir tremp dans je ne sais quel noircomplot l'occasion des lections cantonales. Nous sommes rests longtemps deviser, dans le soir qui tombait, devant la mer azurenne du couchant, tandisque les lumires de Fort-de-France commenaient piqueter dans le lointain lamasse sombre des Pitons. Quelques jours plus tard, nous nous retrouvions l'habitation qui vit natre Josphine, et l encore le punch du Sud et tt fait de

    dlier les langues. C'est vous, mes vieux camarades, mes complices des bonscomme des mauvais jours, que je dois la substance entire de ce petit livre dontje n'ai t que le rassembleur et l'ordonnateur.

    J'ai t conduit n'utiliser en effet que les rcits de ceux dont la sympathieagissante excluait toute ide de tromperie. Ils appartiennent pour la plupart,comme il est naturel, la socit de couleur. De mme, parmi tous les essais,contes et romans consacrs la Martinique, je n'ai retenu que ceux, fort peunombreux, qui se distinguaient par leurs qualits folkloriques et dont il m'tait

    1

    Ce ne sont pas mes affaires, je ne sais pas.2 Delawarde, manuscrit dactylographi, p. I.

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    possible de vrifier les dtails. Les principaux ont t les Contes et paysages dela Martinique d'A. Thomarel, le Fo-Yal de M. Lucien Nay Reine, les nouvelleset romans de MM. Zobel, et surtout R. Tardon. J'ai trouv de prcieuxrenseignements dans les monographies demandes en 1935 tous les directeurs

    d'cole pour le Tricentenaire du rattachement des Antilles la France, et quisont demeures indites jusqu' maintenant. Je me suis servi enfin de la presselocale, systmatiquement dpouille. Je n'ajouterai qu'une chose : en dehors desquelques rfrences cites, je pourrais mettre sous chacun des dtails que jerapporte une date et un nom. Je me suis efforc de respecter scrupuleusementles rcits de mes interlocuteurs, dont je n'ai t amen retrancher, parprudence ou discrtion, que certaines caractristiques de temps et de lieu.

    III. RAPPEL SOMMAIRE DES CONDITIONSHISTORIQUES ET DES GRANDES TAPES DU

    PEUPLEMENTAvant d'entrer nanmoins dans le vif de cette tude et d'exposer les donnes

    recueillies, il apparat ncessaire de rappeler succinctement l'histoire dupeuplement martiniquais.

    Lorsque les Franais ont pris possession de l'le en 1635, ils l'ont trouveoccupe par un millier de Carabes environ, eux-mmes conqurants de frachedate, qui avaient extermin leur prdcesseurs Arawaks, les femmes mises part. Bien que la plupart d'entre eux eussent t expulss en 1658, ils ont joudans le peuplement de l'le un plus grand rle qu'on ne l'admet l'ordinaire. Ils

    ont t en contact prolong avec les nouveaux occupants, et plusieurs de leurstechniques se sont maintenues jusqu' nos jours. Le gros contingent des colonsa t fourni par la Normandie, la Bretagne et le Sud-Ouest. Il n'est pas inutilede prciser que l'immense majorit d'entre eux tait de trs modeste origine, et,en gnral, assez peu instruite. Les esclaves afflurent aprs 1650, apportantavec eux des habitudes et des croyances que la conversion obligatoire auchristianisme n'arrivait que rarement extirper.

    La libration, en 1848, entrana une crise agricole de quelque gravit,beaucoup des nouveaux citoyens, on le comprend sans peine, ne ressentantqu'une sympathie mdiocre pour le travail de la terre. Il fallut leur trouver dessupplants, ce qui entrana l'immigration de quelque vingt-cinq mille Hindous,d'un nouveau contingent d'Africains et de quelques centaines de Chinois etIndochinois. Tous se sont fondus dans la masse, laquelle ils ont insuffl unepart plus ou moins grande de leurs traditions propres. La Martinique a ainsi t,et continue d'tre, un des melting pot les plus actifs qu'on connaisse lasurface du globe.

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    CHAPITRE II

    Rites et coutumes

    I. INTERDICTIONS, PRSAGES ET OBLIGATIONS DE

    LA VIE COURANTERetour la table des matires

    Il en rsulte un ensemble complexe. De trs vieilles habitudes se sontmaintenues intactes, et la vie de chaque jour apparat commande par un trsgrand nombre de prsages, d'interdictions ou de prescriptions. La lune, parexemple, rgle toujours les principales oprations de la vie agricole. On nesmera ou ne plantera qu'en lune ascendante, un peu avant qu'elle atteigne sonplein. Sinon, la rcolte serait nulle. On admet de mme que les cyclones nepeuvent se produire que dans les deux jours qui prcdent ou qui suivent lespleines lunes de juillet, aot, septembre et octobre. On croit, comme partout, la valeur bnfique ou malfique du nombre 13.

    Il existe, de mme, des tabous absolus de langage. Il est des mots qu'il fautviter de prononcer, parce qu'ils porteraient malheur. Dans la rgion de Sainte-Anne, on ne connat que le buf lait et on considre comme uneincongruit grave le nom de la gnisse fconde. L'expansion du franais, quefavorise l'cole primaire, a conduit tendre singulirement la liste desinterdits, par un esprit allusif de got dplorable, mais pris au srieux parbeaucoup de braves gens. Voici, titre d'exemple, quelques-uns des termes viter de manire absolue :

    abondamment 1, occup,impinment (sic), patate 2,manifessetement (sic) ; converger,concurremment, vitalit.

    Je n'insiste pas, mais nous aurons l'occasion de retrouver plus d'unereprise cette obsession quasi permanente des questions sexuelles, qui est l'undes traits les plus frappants du folk-lore antillais. Indiquons seulement, aupassage, qu'aussi bien le sens crole qu'europen du vocable tabou a t

    1

    Bonda : bas-ventre.2 Patate dsigne vulgairement le sexe de la femme.

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    utilis, grce des dviations verbales susceptibles elles-mmes de devenir, ens'accentuant, gnratrices de mythes, ou de pratiques fort peu rationnelles.

    Il existe galement des interdictions ou des prescriptions alimentaires,

    passagres ou absolues, que rien, en raison, ne justifie. Aux alentours de l'anseCouleuvre, les pcheurs considrent comme une faute grave de ne pas rejeter l'eau, et surtout de faire cuire, un beau poisson blanc filet d'or qu'ils appellentle bon Dieu Mayen. Il n'y a que des individus descendus au plus bas degr del'abjection qui oseraient le faire. Les gombos, qui se consomment un peu lamanire des asperges, encore que plus gluants, conviennent, parat-il, au beausexe, mais sont contre-indiqus pour les hommes dont, en vertu du principe desanalogies, ils passent pour abattre le courage. Il n'y a pas de doute qu' lacampagne les mles qui en usent sont tenus en pitre estime par les femmes.

    Je n'ai pu dcouvrir la raison exacte pour laquelle, en quelques endroits del'le on continue manger de la terre. J'aurais tendance y voir, en plus de cascertains de perversion du got, la survivance de trs vieilles habitudesafricaines. Le P. Labat parle, en effet, d'un petit ngre du royaume de Mine quiavait ce vice 1. Dans la rgion du Diamant, on consomme encore parfois uneargile rouge veine de blanc. Ailleurs, on m'a parl de cendres. Mais le cas leplus frappant est celui de ce dpt bruntre recueilli dans le bassin d'une sourceaux hauteurs de Trinit, et qui apparat comme une friandise gratuite beaucoup des habitants d'alentour, des femmes et des enfants surtout. Il n'est,en effet, ni insipide ni mme dsagrable au got, mais apparat lgrementpoivr, ce qui peu s'expliquer par une proportion considrable de matires

    organiques. L'analyse faite par M. de Montaigne au laboratoire du Service del'Agriculture a donn les rsultats suivants :

    Silice totale 42,70 %Fe 2 0 3 11,60 A 1 2 0 3 29 Ca o 0,72 Mg o 0,79 Perte au feu 14,90 Indoss 0,29

    La perte au feu correspond videmment la teneur en matires organiques.Il faut ajouter que l'usage courant de cette terre entrane des occlusionsintestinales presque toujours mortelles dans un dlai maximum de deux ans.

    Mais, l'inverse, on ne verra jamais une blanchisseuse croquer une bananeen repassant du linge : elle attraperait coup sr une maladie de poitrine. Ellese refusera de mme passer sous le fer chaud une paire de chaussettes : celadonne l'lphantiasis, ou maladie du gros pied.

    1 Labat, d. Duchartre, I, p. 139.

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    Le moindre acte, videmment, prend alors sa signification. Les couverts,fourchettes ou couteaux mis en croix portent malheur. On doit se garder dedposer son chapeau ailleurs que sur les portemanteaux disposs cet effet. Unverre blanc qui se brise, un parapluie ouvert dans la maison 1 sont galement de

    dtestables prsages. Une femme qui, pendant ses poques, marche sur descosses de pois d'Angole est menace de coliques violentes. Un commerantqui, dans sa boutique, commettrait la mme imprudence, pourrait tre assur devoir ses marchandises lui rester pour compte 2.

    Mais l'un des pires accidents qui puisse arriver est de faire une tache d'huile.Si l'on veut avoir quelque chance de conjurer le mauvais sort, il faut la couvririmmdiatement de sel et laver le tout avec du vin, en quantit double. Malgrtout, on redoute fort les consquences de l'accident et j'ai connu une candidateau baccalaurat qui, pour avoir renvers une bouteille d'huile au cours del'examen, n'alla mme pas chercher le rsultat, tant elle tait sre d'avance deson chec. Tel autre de mes amis vit ses voisins se lamenter bruyamment surles malheurs qui l'attendaient parce qu'un jour, au dbut de la guerre, il eut lamalchance de briser une jarre pleine du prcieux liquide qui, cinq ou six litresprs, se rpandit dans la rue. Les taches d'encre sont galement de mauvaisprsage, encore qu'elles n'aient point la mme efficacit. Il en est de mme pourune bougie qui claire mal.

    Une femme qui perd son bas, lorsqu'elle en a un, est persuade que son amilui est infidle. S'asseoir sur la table, manger dans un canari (vase en terre danslequel on fait cuire les aliments) est signe qu'on vous oublie 3. Se laver en

    commun dans un seul rcipient doit entraner une brouille de famille. Unedmangeaison la main droite indique qu'il faudra bientt payer une vieilledette, la main gauche c'est, au contraire, l'annonce d'une rentre imprvue. Lagrosse mouche qui entre en bourdonnant prcde de peu une visite. Il en est demme des aliments tombs de la fourchette. Si, par inadvertance, comme le bonroi de la chanson, on a mis quelque vtement l'envers, c'est qu'on est protgpar les puissances invisibles, et l'on a chance de recevoir un cadeau avant quela journe s'achve.

    Les oreilles qui tintent ou picotent signalent mdisances ou calomnies. Il nefaut entreprendre aucune affaire ou dmarche si, en cours de route, on a heurt

    un caillou du pied gauche. Vous n'y russirez pas, car ou congnin mauvaispied (vous vous tes cogn le mauvais pied) 4.

    Il en est encore ainsi quand l'on aperoit de bon matin une personneennemie. Les heures qui suivent, sinon la journe entire, risquent d'en tregtes. Il est excellent au contraire d'tre bien trenn . Les marchandesambulantes y tiennent par-dessus tout, et M. Nay Reine rapporte avoir vu l'uned'entre elles, son tray sur la tte et un coui de tomadoses sous le bras, refuser

    1 Nay Reine, Fo-Yal, p. 9.2 Labrousse,Deux vieilles terres franaises, p. 69.3

    Nay Reine, Fo-Yal, p. 10.4 Nay Reine, Fo-Yal, p. 10.

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    toutes les acheteuses, ne voulant tre trinin que par un garon bien chaud, etce durant toute la journe 1 . Il s'agit d'attirer ainsi des rayons bnfiques et deneutraliser les autres. l'ordinaire les vendeuses de lgumes et de fruitsconsidrent que pour couler vite leurs marchandises il leur faut les couvrir de

    feuilles de tibaume2,et garder au fond de leur bourse quelques grains de sel,des gousses d'ail et des feuilles de menthe glaciale.

    Les animaux jouent leur rle en l'affaire. Les chiens et les bufs qui hurlentou beuglent la mort signifient comme partout un deuil rapproch. On peut yajouter les papillons de couleur sombre ou noire appels sophies counans, lechant imprvu du coq, des sauterelles, la dcouverte de gros zagriens(araignes,) et de nids de fourmis dites fourmis cinmiti(cimetire) 3.

    On croit la valeur des signes corporels : lire dans les lignes de la mainn'est mme pas regard comme sortilge. On prte galement la plus grandeattention aux envies , ou grains de beaut, et leur position sur le corps. Ilfut prdit l'un de mes amis qu'il mourrait noy, parce qu'il porte un de cessignes sous le pied gauche. En contrepartie, il existe, naturellement, de trsnombreux moyens pour conjurer le mauvais sort qui menace. L'un des plusemploys, et qui remonte aux dbuts mmes de la colonisation, est l'eau bnite.Le P. Labat raconte que quelque quantit qu'on en fasse le dimanche lagrand'messe, il est rare qu'on en trouve une goutte quand le service est fini. Ilsl'emportent dans de petites calebasses et en boivent quelques gouttes en selevant, et prtendent se garantir par ce moyen de tous les malfices qu'onpourrait jeter sur eux 4 . Cela continue se pratiquer, et il est bien des rgions

    du dpartement o un cultivateur, avant de retourner son champ, commence parl'arroser avec un peu de cette eau prise l'glise.

    Un autre procd consiste brler du caoutchouc pour chasser les mauvaisesprits. Il est particulirement efficace le vendredi quinze heures. Toutefois,pour qu'il donne son plein effet, il est ncessaire que personne ne paraisse s'enapercevoir, et surtout qu'on n'y fasse aucune allusion, sans quoi les mauvaisesprits reviendraient.

    II. LES RITES DE PASSAGE , NAISSANCE,COMMUNION, MARIAGE ET MORT

    De tels rites apparaissent surtout nombreux et impratifs aux changementsimportants de l'existence. Le P. Delawarde rappelle qu'une femme enceinte, oumme allaitant, ne doit sous aucun prtexte couper un arbre fruitier, car, parune loi d'analogie facile saisir, on s'imagine que l'enfant en mourrait. Lemme auteur a vu, aussitt aprs la naissance, enterrer le placenta au pied d'un

    jeune arbre : cela s'accompagne d'une petite crmonie o l'on formule le

    1 Nay Reine, ibid., p. 9. Tray : plateau de charge que l'on porte sur la tte. Coui : rcipient deforme ronde, parfois une demi-calebasse.

    2 Croton balsamifer L.3

    Nay Reine, Fo-Yal, p. 9.4 Labat, d. Duchartre, II, p. 407.

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    souhait que l'enfant vive autant que l'arbre et participe sa prosprit . Celal'enracine dans la vie 1.

    La couvade n'est pas inconnue, encore qu'assez rarement usite. J'en

    connais tout le moins un exemple curieux, parce que le fait d'un hommeinstruit et de profession paramdicale. Quand sa femme fut pour accoucher deson premier enfant, il lui mit la main sur la bouche pour l'empcher de crier.Pendant ce temps, lui-mme poussait des hou hou lamentables et de plus enplus violents, jusqu'au cri final annonant la dlivrance.

    La plupart du temps on cherche faciliter l'opration et, quand celle-ci estparticulirement difficile, on fait ingurgiter la patiente des mixturesextraordinaires du genre de la suivante :

    Du th la poussir' quat' coins caye (du th fait avec de la poussireramasse aux quatre coins de la case... tant donn les habitudes locales, il doits'y rencontrer d'tranges dbris...).

    Si cela ne suffit pas, on emploie du th caca male chouval (du th fait avecdu crottin d'talon). Dans le cas qu'on m'a rapport, l'effet aurait t immdiat.

    Chez les Carabes, aussitt aprs la naissance, les parents taient soumis un jene spcialement rigoureux pour l'homme, surtout lorsqu'il s'agissait d'ungaron premier n. Certains s'abstenaient entirement, les cinq premiers joursaprs l'accouchement de leurs femmes, de boire et de manger, et les autres

    jours jusqu'au dixime ils ne prenaient autre chose que du ouicou2

    . Cela seterminait au bout d'un mois ou deux par un festin avant lequel les amis du pre lui dcoupaient toute la peau du corps avec des dents d'agouti comme avec uncouteau jusqu'au sang . La raison donne de ce jene au P. Breton tait que lesenfants auraient mal au ventre ou les membres dfectueux comme ceux desanimaux que leurs pres mangeraient 3 . Il ne semble pas que ces dernirescoutumes aient laiss beaucoup de traces. Seuls la mre et l'enfant vont prendreun grand bain au bout de quarante jours, pour se laver de toutes les souillures.

    Souvent, d'ailleurs, il est impossible d'observer de telles prcautions. Et,plus d'une fois, il est arriv que les rudes porteuses du Lorrain ou du Morne des

    Esses aient t saisies par les premires douleurs de l'enfantement, leur tray delgumes sur la tte, et en pleine marche. Elles s'arrtent alors, cherchent aide etconseil dans une case voisine, moins qu'elles ne soient obliges de tout faireelles-mmes sur le bord de la route, et la tradition prtend qu'on en a vu,l'opration termine, placer l'enfant sur le tray et continuer leur route. L'hritierou l'hritire, en pareil cas, porte toujours le nom de Chimne, parce que n surle bord du chemin, transposition laquelle sans aucun doute Corneille nesongeait gure.

    1 Delawarde, tude dactylographie, pp. 5-6.2

    Sorte de bire base de cassave et de patates fermentes.3 Les Carabes de la Guadeloupe,relation du P. Breton, d. Rennard, pp. 59-60.

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    Le choix du prnom est, en effet, command par des circonstances que l'onconsidre comme en partie indpendantes de la volont des parents. Il estd'usage trs gnral d'appeler les enfants d'aprs le saint ou la fte du jour : lesrsultats peuvent alors ne pas manquer de pittoresque. dfaut ou ct du

    saint, on choisira un homme important pour que la protection du nom demeure.C'est une des traces les plus durables que laisse la Martinique le passage d'ungouverneur. Son prnom apparat avec une frquence remarquable sur les actesd'tat civil pendant son sjour. Et pour que la protection s'tendt toute lamaisonne, le patronyme a servi plus d'une fois dsigner le chien veillant surle foyer.

    L'enfant est immdiatement dclar et baptis, sauf s'il est n en dcembre.Dans ce cas, la crmonie est retarde d'un mois parce qu'on est persuad quel'on gagne ainsi une anne entire de vie. Autrement, il est indispensable que lepremier sacrement soit administr dans les trois jours afin de mettre lenouveau-n et toute sa famille l'abri du dmon. Il est fort difficile deconserver des bonnes dans une maison o l'on ne se conforme pas ces usages,ou, si elles consentent parfois rester, c'est pour circonvenir l'enfant confi leurs soins, jusqu'au jour o elles arrivent l'entraner l'glise. Toute maladie,toute tare physiologique s'expliquent alors par l'expression consacre : a,enfant du diable.

    La crmonie du baptme ne diffre gure de ce qu'elle est en Europe. Lenouveau-n, vtu de beaux langes, d'une bguine et de chaussons, est port l'glise par sa da, ou nourrice, dans les familles aises, qu'accompagnent le

    parrain et la marraine. Tous trois sont habills avec recherche. Ils s'appellentcompre et commre, et le compre est tenu doffrir un cadeau sa commreen mme temps qu'un riche prsent son filleul. Le P. Labat soulignait dj laforte autorit que la tradition locale accorde au parrain.

    La nourriture de l'enfant a une grande importance, au dbut surtout. Levoile qu'il porte l'occasion sur la tte au moment de la naissance est mlang ses aliments, pour le prserver de tout danger. Il sera de mme l'abri dupoison si on lui sert son premier repas de l'envers carabe 1 . Pour le rendreintelligent, on lui fera absorber de la mie de pain trempe dans du miel. AuMorne des Esses, on placera sa tte dans un coui, ou moiti de calebasse

    vide, afin de le protger du tonnerre, de tout ce qui peut rendre fou, et de luipermettre plus tard d'aller l'cole, car c'est l'instruction qui a fait la force desbks2 . De mme, le corps du nouveau-n est frott avec des feuilles detamarinier, de goyavier et de citronnelle macres dans du rhum, ce qui a pourbut de le rendre fort et vigoureux.

    Il existe d'ailleurs des procds, qu'on prtend prouvs, pour remdier certaines malformations. Si un membre, par exemple, ne se dveloppe pasnormalement par rapport aux autres, on choisira un ti veau que l'intress

    1

    Maranta Arundinacea L., l'arrow root des Antilles anglaises.2 Blancs croles.

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    remplacera intervalles rguliers au pis de la vache. Le membre reprendra sacroissance, rgle cette fois sur celle de l'animal, et qu'on arrtera au momentvoulu. Sans quoi, le rsultat risquerait d'tre trop beau.

    L'enfant grandit ainsi sous la surveillance attentive de sa mre, qui leregarde comme son bien presque exclusif. Il arrive mme qu'une femme soitcapable de dclarer au vritable pre qu'il ne l'est pas, afin de conserver son filspour elle toute seule et d'chapper aux sujtions du mariage.

    La premire communion semble avoir supplant dfinitivement les anciensrites de pubert des Sauvages ou des esclaves. On y observescrupuleusement les prescriptions de 1'glise.

    Partout, la maman veille avec soin la conversation jusqu'au moment ol'enfant s'endort. Aucun mot grossier ne doit tre prononc pendant la retraite.La nourriture est frugale et choisie, la viande demeurant exclue. lacampagne, c'est un peu plus compliqu. Un mois l'avance, l'enfant a parcourules quartiers avoisinants pour rendre visite aux allis et amis. Ce serait manquergravement aux usages que d'omettre ces dmarches. Quatre jours avant la datefixe, les parents, mre, pre, surs, frres, cousines proches ou loignes(les hommes viendront leur tour, en grande tenue noire, le jour de lasolennit) descendent au bourg. Celle-ci porte le panier qui renferme les effetspour l'habillement, celle-l des objets de literie, une autre le tray, qui contientles ustensiles de cuisine et les articles de mnage, une autre les provisions, etc.Tout ce monde s'entasse dans une petite chambre, dans un pied--terre que la

    famille possde au bourg et, durant quatre jours, c'est un va-et-vient continu degens affairs qui vont de la maison l'glise, de l'glise l'picerie, del'picerie au march, parlent haut, font du bruit, se couchent tard le soir et selvent tt le matin . Aprs la crmonie, le cortge reprend le chemin de lacampagne avec les mmes fardeaux. Les provisions puises sont remplacespar celles qui ont t faites en vue de la rception officielle, car... toutes cesftes s'accompagnent de repas pantagruliques 1 .

    La pratique trs gnralise de l'union libre fait que le mariage lgal nes'entoure pas d'un grand nombre de crmonies. Il n'apparat mme pastoujours aux jeunes filles de la socit sous son aspect le plus srieux : telle y a

    vu avant tout le moyen d'tre plus libre et de pouvoir s'acheter l'aprs-midi tousles sorbets qu'elle dsirait. Ce sont donc les usages imports d'Europe qui, dansl'ensemble, ont prvalu. Le voile de la marie est jet au dbut du bal parl'intresse, dont les yeux sont bands, sur les jeunes filles qui l'entourent. Cellequi le reoit passe son tour pour devoir convoler en justes noces dans lesdouze mois. De mme que dans la mtropole, on garde les fleurs du bouquetport cette crmonie jusqu' ce qu'elles tombent en poussire. Il est enfin detradition trs gnralise que les nouveaux poux partent avant la fin du bal,accompagns seulement d'une vieille da, pour une maison de campagne

    1

    P. Symphor,Monographie de Rivire Pilote,indite, crite l'occasion du Tricentenaire durattachement des Antilles la France.

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    loigne, o ils passent leur lune de miel. De Fort-de-France on se retirera Sainte-Anne, par exemple. Tous le font dans la classe aise, qu'il s'agisse desBlancs ou des gens de couleur. Dans le peuple, chaque fois qu'il est possible,les intresss s'isolent galement et empruntent une case carte qu'il est rare

    de leur voir refuser.

    Quand il s'agit, par contre, d'un -veuf ou d'une veuve qui se remarie, lechalbari, ou charivari, est de rigueur. Pendant la priode de publication desbancs et jusqu' la clbration du mariage, les gens du quartier et des quartiersavoisinants s'assemblent le soir, partir de cinq heures, proximit de lamaisonnette de celui des futurs conjoints qui convole en secondes noces. Onaccourt des points les plus loigns ; hommes, femmes et enfants, tout lemonde y vient, les uns avec des conques de lambis 1, d'autres avec des dbrisde chaudrons, des morceaux de tle ou de fer blanc sur lesquels ils frappentavec frnsie. C'est un tapage assourdissant, un vacarme effroyable, entrecoupde cris, de hues, de propos souvent injurieux et qui se rpercutent de morne enmorne, jusqu'aux campagnes les plus recules. Un instant, le bruit cesse : est-cela fin ? Non, peine une accalmie ; c'est le chef de bande qui dbite le coupletd'usage, auquel succdera un refrain en chur, comme s'il s'agissait despassages d'un rituel. Et le tumulte reprend avec plus de violence encore, et celase prolonge fort avant dans la nuit, avec des alternatives de silenceimpressionnant et de bruit retentissant.

    Chaque soir amne de nouveaux manifestants. De sorte que, dans lesderniers jours, c'est une vritable foule qui assige la maison de la malheureuse

    victime, pour la soumettre cette rude et irritante preuve. Le jour du mariage,cette cohue accompagne le cortge ou le suit aux abords de la mairie et del'glise, le reconduit la campagne avec cette musique infernale, et l'on allumedes brasiers le long de la route pour effrayer les chevaux... 2 On avidemment perdu de vue la valeur protectrice, l'origine, de tellesmanifestations, pour n'y plus voir qu'une occasion de moquerie et d'amusement.

    Plus caractristiques sont les rites et croyances qui entourent la mort,d'autant que celle-ci apparat rarement comme naturelle, mais qu'on a toujourstendance, mme dans certains milieux aiss, la croire provoque par unsortilge. Et, naturellement, les sorciers ou quimboiseurs qu'on va consulter

    sont toujours de cet avis. Parfois, ils dsignent nommment l'individuresponsable. Ils dclarent, dans d'autres cas, que ce sera par exemple, lapremire personne rencontre un matin dtermin, ou celle qui viendra, unrang qu'ils indiquent, prsenter ses condolances. Il en rsulte, l'occasion, deshaines inexpiables entre amis de la veille. Dans tel cas de septicmie port maconnaissance, il s'agissait d'un collgue jaloux. En gnral, on accuse toujoursdes personnes du mme sexe.

    1

    Strombus Gigas. La corne de lambi , perce, sert de trompe la campagne.2 Symphor,Monographie indite de Rivire Pilote, crite l'occasion du Tricentenaire.

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    La mort survenue, on arrte aussitt les pendules et on voile de crpe toutesles glaces. S'il s'agit d'un homme, on commence, dans beaucoup de campagnes,par le redresser un instant dans la position assise, et lui ingurgiter un demi-litrede rhum avec l'injonction suivante : Bou, y fout'. Pendant ou t vivant ou t

    aim y 1. Un paquet de poivre et quelques feuilles de tabac sont toujoursemploys pour les femmes. Aprs quoi commence la toilette du dfunt, qu'onrevt de ses plus beaux atours. S'il s'agit d'une femme, on lui passe, quand on lepeut, une robe de soie neuve. Il n'est pas rare, la campagne, que de vieillesmres conservent prcieusement, sans la mettre jamais, la robe dans laquelleelles veulent tre exposes , ainsi que le drap neuf qui doit leur servir delinceul. Souvent mme elles ont dj fait faire leur cercueil, ou tout le moinsconservent-elles des planches d'acajou, ou de tout autre bois prcieux etincorruptible, poses l'ordinaire sur les premires poutres de la charpente etprtes tre assembles. Dans d'autres cas, robe et cercueil ne sont excutsque lorsque la malade se trouve l'agonie. On commande en mme temps lesvoitures et couronnes pour l'enterrement. On compose s'il y a lieu, et sans plusattendre, l'indispensable oraison funbre. Tant mieux d'ailleurs si le patient oula patiente en rchappe 2.

    Puis le mort est entour de bougies allumes, quatre d'ordinaire, une chaque coin du lit. Il est arriv parfois, aux environs de Fort-de-France, qu'onait fix, avec un peu de starine fondue, deux bougies allumes sur les yeuxmmes du dfunt.

    Pendant ce temps des coups de corne , trois par trois 3, retentissent dans

    la campagne. Tous savent alors que quelqu'un vient de mourir, et bientt lecrieur de nos mornes, d'une voix tonitruante, crie tous vents : Billetd'enterrement de mussieu Jrmie, Morne Bleu. L'enterrement se fera au bourgdemain quatre heures 4.

    Avec le soir commence la veille , qui se pratique partout la campagne,mais que la bourgeoisie du chef-lieu n'a pas compltement dlaisse. Elle sedroule au milieu d'une grande affluence. Les arrivants vont d'abord voir ledfunt et l'asperger d'eau bnite. Aprs les condolances la famille on passedans la salle voisine, ou plutt sous la vrandah, lorsqu'il y en a une. Lorsqu'ils'agit d'une simple case, des bancs sont disposs au dehors, clairs par la lueur

    fumeuse d'un serbi 5. Et c'est alors le plus extraordinaire diptyque qu'on puisseimaginer : autour du cadavre, des lamentations, des versets psalmodis d'un tonplaintif. Dehors, au moins en apparence, la joie la plus bruyante. Des jeux sont la disposition des visiteurs, surtout dans le Nord, dominos et ds. Parfois, on

    1 Buvez, F.... pendant que vous tiez vivant, vous l'aimiez...2 J'ai d, moi-mme, sur ordre et dans une circonstance que je na suis pas prs d'oublier,

    composer l'loge mortuaire d'un haut personnage alors l'agonie, mais non encore dcd.C'est un autre, heureusement, qui l'a prononc.

    3 Sorte de trompe forme d'une coquille de lambi (Strombus Gigas) perce l'arrire, l'endroit de l'enroulement maximum.

    4 D'aprs un document communiqu par Mme Constance N'Dambou.5

    Serbi : l'origine torche imbibe de rsine, maintenant bouteille de ptrole o trempe unemche de coton.

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    magnifie le disparu par des chants, en le parant de vertus exceptionnelles etd'exploits lgendaires 1. La plupart du temps, le jeu est men par un chef defile, un conteur de quartier, au bagout renomm, et qui narre les aventures deComp Lapin, deMaman Diable, de Papa ti poisson.

    Eh cric , crie-t-il perdre haleine.

    Eh cric , lui rpond-on.

    Eh crie , rpte-t-il quatre fois de suite.

    Eh crac , lui rplique-t-on encore par six fois 2.

    Cela devient une occasion de tournois d'esprit, o tour tour les conteursrenomms entrent en lice et cherchent surpasser leurs rivaux. Les auditeursponctuent de rires, de bravos, d'exclamations convenues : Tim, Misticric,

    Misticrac, Aboubouba, et de chants nostalgiques, de refrains qui sont devritables mlopes, de cris gutturaux qui prennent les accents de vritablescomplaintes 3. La famille fait servir des rafrachissements : caf, rhum, etc.,et l'on boit, l'on mange, l'on chante, l'on s'amuse ainsi jusqu' l'aurore, qu'il fautattendre pour chapper aux forces mauvaises de la nuit.

    La valeur protectrice de cette bruyante tradition apparat en pleine lumiresi on la rapproche de la peur extrme manifeste par bien des Martiniquais dedemeurer seuls la nuit aprs avoir vu un mort. Il est des hommes faits,

    appartenant aux classes aises et instruites de la socit, qui, en pareil cas, onttransport leur matelas et leurs couvertures dans la chambre de leur vieillemre.

    Cela s'explique par la crainte, trs gnralise dans le pays, d'une sorte decontagion de la mort, redoutable surtout pour ceux qui sont dj malades. Dansle quartier de la Jossaud, on oblige ces derniers se lever lorsque passe proximit un convoi funbre : sans quoi le leur suivrait bref dlai. Lesporteurs eux-mmes ne sont pas compltement l'abri, surtout quand le dfuntest transport de son morne au bourg dans un simple drap formant hamac etsuspendu aux extrmits d'une longue perche. Les quipes se relaient

    automatiquement chaque ponceau du chemin.

    Il n'est pas habituel que les femmes de la famille suivent le cortge, mais,pendant les neuf jours qui suivent le dcs, elles se runissent, avec leursparents et un certain nombre de personnes pieuses, dans la chambre qu'occupaitle dfunt, pour prier autour du lit funbre, sur lequel une petite lampe huilereste allume huit jours et huit nuits, et dont la flamme est entretenue avec unepit absolue 4.

    1 Tardon,Bleu des les, p. 22.2 Nay Reine, Fo-Yal, p. 36.3

    Symphor,Monographie de Rivire Pilote, crite au moment du Tricentenaire.4 Symphor,Monographie indite deRivire Pilote, crite l'occasion du Tricentenaire.

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    Il faut y rattacher coup sr les rites de la Toussaint et du jour des Morts.Ils se marquent par l'illumination gnrale des tombes. la ville, au cimetire des riches , ce sont des guirlandes d'ampoules lectriques. Au cimetire des pauvres , ainsi qu' la campagne, ce sont des centaines ou des

    milliers de bougies la lueur clignotante. Les familles sont l, prs de leursdisparus. On vient leur serrer la main et s'entretenir un peu avec elles. C'est undfil ininterrompu tandis qu'au dehors se droule, mais singulirementamplifie, la mme fte bruyante qu'aux veilles. Cela dure deux soirs, aprsquoi l'on ramasse les couronnes et croix de perles sorties cette occasion, quele climat aurait tt fait d'abmer, jusqu' la fois prochaine. Il est explicitementadmis que les mes des trpasss reoivent, alors, la permission de revenir voirle dcor terrestre et de passer quelques heures, de minuit minuit, dansl'intimit des leurs. Aprs quoi elles rentrent dans l'au-del pour une anneentire, ce qui n'est pas sans analogie avec les anthestries athniennes.

    III. LES FTES PRIODIQUES ET LEURSTRADITIONS ; LES CHANGEMENTSOCCASIONNELS

    Nous venons d'analyser quelques-uns des rites qui accompagnent lesgrandes occasions de la vie. Il en existe d'analogues chaque fois qu'intervientun changement, fortuit ou non, de quelque importance.

    Il y a d'abord les coutumes observes au moment de certaines ftes, lepremier de l'An, en particulier, et Pques. Pour la premire, les femmes doivent

    absolument trenner une robe neuve, et il est dsirable que cette robe soit poisrouges ou roses. Le vert est galement admis. Le bleu, au contraire, estsvrement prohib, car on ne verrait que du bleu pendant toute l'anne, c'est--dire de la misre, et l'on apparatrait comme une dupe facile. plus forte raisonne faut-il pas de noir. Celui qui s'habillerait ainsi passerait pour souhaiter lamort d'un de ses proches parents dans l'anne mme. Sous aucun prtexte nonplus, et quel que soit l'tat de salet de la maison, on ne doit donner un coup debalai ce jour-l, sous peine de faire disparatre la chance jusqu' la prochaineSaint-Sylvestre.

    On dsigne sous le nom de Pangole la coutume en vertu de laquelle, cettepoque, parents et amis se font visite, se dplacent dun centre un autre pourse prsenter leurs souhaits rciproques. Ce sont, dans les hauteurs du Sud,depuis neuf heures du matin jusqu' la tombe de la nuit, de vritablesmigrations de quartier quartier, des thories incessantes de gens endimanchs,les hommes de blanc vtus, le chapeau de feutre pos sur le ct, la pochettebien en vidence, l'illet ou la rose rouge la boutonnire, les femmes enorgandi brod et en soieries de toutes nuances, s'arrtant de porte en porte pourchanger les compliments d'usage, jusqu'au lieu du rendez-vous o elles ferontbombance 1 . la Duchne, c'est mme une vritable farandole qui se drouleainsi tous les jours jusqu' l'piphanie.... Le cochon fait toujours les frais de

    1 Symphor,Monographie indite de Rivire Pilote, crite loccasion du Tricentenaire.

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    ces ripailles. Chaque maison tue le sien au jour qu'elle a fix pour sa rception.Le plus pauvre d'entre ces gens se fait un point d'honneur d'abattre son porc. Etil faut tre dans une extrme misre, dans une indigence absolue, pour manquer cette tradition, fort en honneur dans les campagnes de Rivire Pilote. Cela

    commence le 2 janvier et cela dure une dizaine de jours, et parfois le moisentier. La campagne entire est alors pleine de bruits de voix, de rires, dechants et de danses 1.

    Laissons de ct le Carnaval trop de fois dcrit, devenu depuis longtempsune occasion de s'amuser, et qui se termine le mercredi des Cendres par lacavalcade des Guiablesses, qui parcourent les rues de la ville en tranantderrire elles de vieilles bombes ptrole (gallons de dix-huit litres), et enlanant des poignes de farine la figure des passants pour annoncer la fin desrjouissances : Vaval m, Vaval m : Le Carnaval est mort !

    La semaine sainte a une importance capitale pour beaucoup de quimbois etde conjurations. L'une des pratiques les plus rpandues est celle du Gloria. Lesamedi matin, au premier son des cloches revenues de Rome , tous, grandset petits, se prcipitent vers la plus proche fontaine pour se laver le visage grande eau. Si on le petit, on plonge tte baisse dans un bassin de rivireou dans la mer. Les appontements du Service ctier ou de la Franaise 2 auchef-lieu sont noirs de jeune gens qui attendent le signal et qui ne voudraient,pour rien au monde, manquer la tradition.

    Dans les campagnes, aprs s'tre lav la figure, on sort dans le jardin, o

    l'on se met battre les arbres fruitiers pour qu'ils donnent une belle rcolte dansl'anne. Si le procd ne russit pas, c'est que l'on ne s'est pas assez dmen.L'anne suivante on secoue l'arbre rtif avec une nergie redouble, ce qui,parfois, le fait crever.

    Les autres ftes ont moins d'importance. Ni la Saint-Jean ni la Nol n'ontcette allure de crmonies solsticielles dont il reste tant de traces dans les paysdu Nord. Mais il existe, aux yeux des initis , des jours fastes et nfastesdont ils gardent le secret. Il est rare, par exemple, qu'on entreprenne riend'important, si ce n'est un quimbois faisant appel aux puissances infernales, unvendredi aprs-midi.

    Les rites propitiatoires sont particulirement nombreux en cas dechangement de rsidence, d'installation dans une nouvelle demeure. la villeet dans les bourgs, il s'agit presque toujours d'une maison loue. On ne sedcidera souvent qu'aprs avoir compt les solives du plafond en rptant pain, vin, mis (misre). On ne fera pas affaire s'il y a trois, six ou neuf solives,parce que la troisime, la sixime et la neuvime correspondent au mot mis 3.Les gens des mornes s'installent le plus souvent dans une case nouvellementconstruite ou hrite.

    1 Symphor, Monographie indite de Rivire Pilote, crite loccasion du Tricentenaire.2

    Socit de gymnastique.3 Labrousse,Deux vieilles terres franaises, p. 69. Mis = misre.

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    M. Labrousse indique qu'on porte alors, dans la demeure qu'on se prpare habiter, du sel, qu'on dpose la cuisine, du vin, dont on asperge toutes lespices, enfin du pain rassis, qu'on cache dans un endroit o il soit l'abri des

    rats. Le sel est ncessaire, parce que sans lui rien n'est mangeable ; le vin estsymbole d'abondance ; le pain rassis doit toujours assurer de quoi vivre.

    D'un bout l'autre de l'le, du Diamant l'anse Couleuvre, on a l'habitudede suspendre au fatage de la case qu'on va occuper un sachet dans lequel onmet toujours de la poussire de charbon, des miettes de pain et des picesblanches, pour que l'abondance rgne dans la maison. Certains y ajoutent du rizet de la farine de manioc. Nouvelle crmonie au moment o l'on apporte lesmeubles. Avant de les mettre en place, on entre dans le logis avec du pain, ducharbon et de l'argent, qu'on jette par terre et contre les solives du plafond.Toujours dans la mme intention, on enterre une poigne de grains mlangssous la table de la salle commune.

    cela s'ajoutent les prcautions prises contre les mauvais esprits ou lesmalveillants : le rcurage pralable s'opre avec des herbes choisiescrases dans de l'eau de mer et additionnes de gouttes d'essence. Vingt-quatreheures avant l'installation, on opre un lynchage, l'extrieur coups de boisd'pineux, et de bois de tamarin l'intrieur, pour chasser de la demeure tousles esprits malins et la rendre parfaitement saine et habitable 1 .

    l'entre des cases on remarque souvent, en vue d'carter le malheur et les

    mauvais esprits, trois petites croix faites la craie, accompagnes des noms desrois mages : Gaspard, Melchior et Balthazar, toujours disposs dans cet ordre.Parfois, on clouera un Sacr-Cur sur la porte d'entre.

    On copiera de mme sur du parchemin vierge toutes les pharmacies ensont approvisionnes la prire contre les maladies, qu'on cachera dans lematelas ou le sommier. Toutes les classes de la socit en usent et il est rare,lorsqu'on achte un lit d'occasion, qu'on n'en trouve pas une sur un papier plien triangle, ce qui, parat-il, serait en rapport avec un signe du Zodiaque.

    D'autres formules sont enterres sous le seuil et trois pas de la case pour

    arrter toutes intentions malfiques. On demande galement au cur de venirbnir les diverses pices de l'habitation et le lit conjugal, s'il s'agit de nouveauxmaris, sans oublier la cuisine, mme quand cette dernire n'est qu'un appentisen bambous. De mme, pour assurer la bonne harmonie du mnage quis'installe, on utilise, dans la rgion du Diamant, des anses d'Arlets et des Trois-lets, de petites figurines en terre, grossirement modeles, qu'on a mises tremper dans du miel. Plus gnralement, quand on dsire s'attirer les bonnesgrces de quelqu'un ou flchir son hostilit, on trempe une figurine de terrecuite son image dans de l'huile ou du saindoux fondu.

    1

    Zobel, Les Jours immobiles, p. 169. Des tmoignages oraux me permettent d'affirmer quecette pratique est trs gnralise l'intrieur de l'le.

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    CHAPITRE III

    Remdes et Charmes

    I. PLANTES MDICINALES

    Retour la table des matires

    L'efficacit attendue de telles pratiques repose sur des donnes simples demagie sympathique. Elles dominent la vie entire de ceux qui y croient. Il n'y adonc pas s'tonner si toute la mdecine populaire en est profondmentimprgne. Le sorcier, le quimboiseur qui voque les esprits est en mmetemps le gurisseur. Ses prescriptions apparaissent souvent comme un mlangede conseils raisonnables et de pratiques qui le sont moins.

    Il est incontestable, d'abord, que les plantes mdicinales. abondent. Il en estque tout le monde connat, dont les proprits ont t maintes fois prouves.De vieilles femmes crient dans les rues : Moin ni la politiqu crole1 , et

    vendent des choix de fleurs, de feuilles, d'corces, de racines pour lesquelleselles trouvent de nombreux chalands. Les feuilles d'allous (alos) ou de raquettes (figuiers de Barbarie) sont employes comme mollients oucontre les brlures. L'herbe chattes sert aux femmes en couches 2. Le pimentcoolie ou mexicain se vend contre les parasites intestinaux 3, ainsi que l'herbe v (vers) 4. La vronique soulage la toux, que les hibiscus rouges oucoquelicots gurissent dans les cas les plus rebelles. Le pompon soldat 5 passe pour souverain contre les fivres et les grippes tenaces. Les marchandesrecommandent leur caf zb piante (caf aux herbes), rgnrateur de sang,leur verveine ou queue rate contre l'inflammation. Le th pays a sonusage dans les maladies d'yeux.

    Beaucoup de ces procds populaires sont efficaces. Il apparat tabli qu'il ya, chez certains quimboiseurs tout au moins, une connaissance empirique assezpousse de la flore et de la faune locales. Ils savent panser, par exemple, etgurir les morsures du trigonocphale, attnuer et faire disparatre lessymptmes extrieurs de la syphilis et de la gonorrhe, qui exercent leursravages d'un bout l'autre de l'le.

    1 La pothiqu, l'apothicaire, les remdes croles, Cf. Nay Reine, p. 18.2 Hebeclinium macrophyllum.3 Capsicum ceralocarpum.4

    Chenopodium ambrosoides.5 Acacia Farnesiana W.

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    Ils savent de mme procurer leurs clients, qui en sont friands, les moyensde se montrer la hauteur en toutes circonstances. Les aphrodisiaques abondent la Martinique, dont quelques-uns rputs. C'est ainsi qu'il existait nagure surla route de la Trace, peu de distance de Fonds-Saint-Denis, un arbre dont les

    fruits taient rservs un grand propritaire du Nord, qui les envoyait cueillirchaque anne, tant il leur trouvait de rajeunissantes et mirobolantes vertus. Cetarbre fut coup lors de l'largissement de la route, mais poussa des rejetonsdans une savane proche. Un autre fut transplant au Morne Rouge. Ce sont lesgraines qui sont efficaces, remarquablement efficaces. On raconte, sous la rose,que de trs hauts personnages en essayrent les vertus au moment duTricentenaire (1935). Ils se trouvrent plus que satisfaits et rapportrent, dit-on,quelques provisions dans la Mtropole. Tel maire de l'intrieur, feu potard au temps de sa jeunesse, comme il aimait le rappeler, disposait galementd'une liqueur martiale dont quelques gouttes suffisaient relever lescourages les plus abattus. Il est vrai que le lendemain les patients faisaientpeine voir. Les accidents, dans ces conditions, ne sont pas rares. Il est detradition, dans certains mornes, d'aller rclamer au quimboiseur du lieu, avantde se marier, un remde pour prendre patine pice , c'est--dire pour ne pastomber en panne. Les larves de gupes, le crevin (couvain), passent dans ce caspour avoir des vertus particulires : a renvigor (a revigore). Mais il estdj arriv plus d'une fois que la dose ait t mal calcule ou que le client, pourplus de sret, l'ait dpasse. Dans les hauteurs du Lorrain, on fabrique unaphrodisiaque base de plantes du pays et d'holoturies qui a dj expdi l'hpital, voire en France, plus d'un jeune ou vieux beau.

    Il reste d'ailleurs fort difficile de faire le dpart entre les effets rels de cespotions et ceux qu'on attribue aux conjurations qui les accompagnent. Si l'on encroyait la tradition locale, ils seraient dignes du Minotaure, l'expression tantusite aux Antilles mmes. En voici deux exemples assez caractristiques :

    Les Martiniquais sont assez facilement vains de leurs exploits. Pour se tenir la hauteur de leur rputation ils utilisent, dans l'Extrme Nord, le Viatiquedu grand coqueur 1 , ainsi compos :

    On prend les organes gnitaux de neuf tortues de mer femelles ou de cinqmles prlevs la priode du cavalage (accouplement). Il est indispensable

    dailleurs que ces tortues, ou carets , n'aient, pas t prises au filet ni lasenne. Les organes prlevs doivent tre conservs dans du sirop debatterie 2 jusqu'au neuvime jour du mois de Marie, patronne des femmesfertiles. On les met alors scher sur une plaque de verre qu'on rentre labrune, avant la fracheur du soir. On pile ensuite, dans un mortier, on rduit enpoudre, on ajoute une quantit quivalente de noix de muscade rpe, deuxparties de noix d'acajou grilles et galement rpes et autant de gingembre. Letout est vers dans un verre porto additionn de deux jaunes d'ufs battusavec un zeste de citron. Les effets en sont, parat-il, extraordinaires, dangereux

    1 Driv de coq.2

    Le sirop de batterie est ce qui prcde immdiatement le sucre. Il est obtenu par vaporationdu vesou ou jus de cannes dans les chaudires du systme Pre Labat .

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    parfois pour les partenaires qui risqueraient l'ventration ou, dfaut, dejumeaux parfaitement constitus, mais venant avant terme.

    EMBOUCHURE DE LA RIVIRE LEVASSOR

    Pour recommencer le lendemain les mmes travaux, il suffit d'en laverl'instrument avec un bol de lait de corossol o lon a fait macrer du balaidoux 1 , et qu'on avale aprs l'ablution. Une bonne sieste sous un gros papayerdont on mange un fruit mr saupoudr de cannelle rpe, une friction avec unmorceau d'orange amre et un peu de miel. Ensuite l'on ingurgite, dans lesmmes conditions que la veille, la moiti de la prparation base de tortue. Envertu de quoi l'on serait capable de satisfaire une fois encore aux exigences dedouze quinze participantes. Le troisime jour, toutes choses gales parailleurs, il suffit du tiers de la prparation, le quatrime de la moiti de ce tiers,le cinquime du quart, le sixime on liquide ce qui reste. Le septime, qui doittre un dimanche, on va la messe, on communie et on remercie le Seigneur

    d'avoir fait de vous un homme. Il est d'ailleurs indiqu de ne pas dpasser lesdoses normales. Il est parl dans le pays d'clatements comparables ceux d'unpneu trop usag 2.

    1 Corosol Anona muricatal L., balai doux. Scoparia dulcis, plantes astringentes,stomachiques et bchiques

    2 J'ai reproduit intgralement et sans rien en modifier la formule qui m'a t communique, etqui vient de la rgion du Prcheur. Mais on prouve des difficults de plus en plus grandes l'appliquer, les tortues de mer ou carets tant devenues assez rares aux alentours de laMartinique. Il semble bien que, sur la cte est, on tende les remplacer par des holoturies,

    nombreuses sur les fonds sableux et connues localement sous le vocable de pine carette ,le reste de la composition demeurant identique.

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    LE PAIN DE SUCRE, ENTRE LE MARIGOT ET SAINTE-MARIE

    Il y eut en 1935, au moment du Tricentenaire et des ftes quil'accompagnrent, un incident qui fit quelque bruit et dont les dessous ne purenttre lucids sur le moment mme. L'un des plus beaux taureaux du concours

    agricole, une bte magnifique prime hors concours, et dont le consul d'uneRpublique voisine ngociait, dit-on, l'achat, fut retrouv tout sanglant dans lasavane o il pturait, et priv de ses attributs. L'enqute ne donna rien. Je n'aimoi-mme appris les dessous de l'affaire que rcemment. Peut-tre comportait-elle quelques vagues relents d'hostilit politique, mais l'essentiel n'tait pas l.Le testicule du taureau, prpar suivant les rites, a des vertus trs suprieuresencore au viatique du grand coqueur. On se le procure aussi gros que possible,on sale, on poivre sec et on le suspend vingt-sept jours. Malgr l'odeur, il nefaut y toucher ou le remuer sous aucun prtexte. La veille de Pques, minuit,on dcroche le testicule peu prs sec, on le bat pour l'attendrir avec unmanche balai ou un pilon, puis on le met au four, secrtement. Il est inutile

    que le voisinage connaisse l'affaire, car il vous croirait livr sans rmission auxpuissances des tnbres. On laisse cuire feux doux jusqu'au deuxime coq,c'est--dire deux heures du matin. Lorsqu'on le retire, le testicule est aussiplat qu'une cassave de manioc . Mais pour qu'il ait toute sa vertu, il fautabsolument le faire bnir par un prtre le jour mme de Pques, symbole dersurrection, ensuite de quoi on l'enferme jusqu'au jour de l'Ascension, caralors tout monte, les plantes, les rivires, la lune, la mer, comme Notre-Seigneur est mont au ciel. Il faut donc refaire bnir le testicule ce jour-l.Aprs quoi il ne reste plus qu' le manger avec du fruit pain et du cur depoisson, ce dernier ingrdient indispensable, car, de tous les tres vivants, lespoissons sont les seuls qui puissent se reproduire des millions d'exemplaires.

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    GRANDRIVIRE RENTRE DE LA PCHE

    UN COUP DE SENNE. TROIS RIVIRES

    C'est cela, trs exactement, que servirent les attributs du taureau hors

    concours. L'auteur du mfait ne fut jamais retrouv, car il habitait l'autreextrmit de l'le. Ses voisins remarqurent seulement, l'poque, qu'il

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    frquentait l'glise de manire assidue et qu'il communiait frquemment. Levieux cur de la paroisse, que je connaissais bien, se flicitait de ce magnifiquerenouveau de pit. Puis, un beau matin, notre homme se prsenta devant leprtre pour lui demander de bnir le missel qu'il venait d'acheter. Satisfaction

    obtenue, il part, radieux, rencontre un ami cher, de qui je tiens toute l'histoire,et l'entrane chez lui : le missel n'tait qu'un petit coffret de bois, malgr lacroix qui l'authentifiait. l'intrieur, noirtre et pestilentiel, le testicule dutaureau prim. Et comme l'ami lanait un regard interrogateur : C'est Pquesaujourd'hui, rpartit l'intress, ce sera bientt l'Ascension.

    II. LES POISONS

    Il est galement certain que des produits tirs du monde animal ou vgtalpeuvent servir des vengeances de toute sorte. Il est des poisons connus et dont

    les effets passent pour invitables. Les poils de bambou dans la soupeentranent, des dlais plus ou moins rapprochs, suivant la quantit employe,de terribles douleurs intestinales dont l'aboutissement est une pritonitemortelle. Il arrive qu'au lieu de poils de bambou 1 on utilise des cheveux ou desrognures d'ongles hachs fin comme poivre.

    Parmi les toxiques les plus redouts, on cite la Martinique le suc extraitdes racines de manioc, de pomme rose et surtout de barbadine 2. C'est avec cedernier que se pratiquerait l'empoisonnement par le punch, dont le P. Labat adonn une description qui serait toujours valable. Un ngre du sieur Saint-Aubin, raconte-t-il, tant l'article de la mort, envoya chercher son matre pour

    lui demander pardon et lui avouer qu'il tait coupable de la mort de plus detrente de ses compagnons. Il lui dit qu'il se servait pour cela du suc d'uneplante qu'on trouve au bord de la mer aux Cabesterres des les. Il avaittoujours soin d'avoir un de ses ongles plus grand que les autres et lorsqu'ilvoulait empoisonner quelqu'un il allait gratter avec cet ongle l'corce de cetteplante jusqu' ce qu'il l'et rempli du suc pais qui en sortait. Avec cetteprovision il retournait la maison et ne manquait pas d'inviter le malheureux,qu'il voulait tuer, boire un coup d'eau-de-vie. Il buvait le premier, puis il enversait sa victime de la mme bouteille, dans le mme coui dont il s'tait servilui-mme, mais qu'il tenait d'une manire que son ongle trempait dans l'eau-de-vie et y rpandait le venin dont il tait rempli. Il ne se passait jamais deux

    heures sans que celui qui avait bu ne tombt dans des convulsions horribles quil'emportaient en peu de moments 3. Un autre procd consisterait passer surle bord du verre un doigt lgrement tremp dans le poison. Ce dernierpntrerait dans l'organisme au simple contact de la muqueuse buccale etproduirait plus ou moins rapidement son effet. En gnral, la victime enflebeaucoup et devient difforme.

    1 On peut remarquer qu'il s'agit l de procds d'introduction assez rcente, puisque bambous,comme pommiers roses, n'ont t apports la Martinique que dans la seconde moiti duXVIIIe sicle.

    2

    Pomme rose : Eugenia Jambos L. Barbadine : Passiflora quadrangularis L.3 Labat, dit. Duchartre, II, p. 68.

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    Tous ceux qui ont vcu longtemps la Martinique connaissent des faits dece genre ou prtendus tels. Peu de temps avant mon dpart, un des maires de lacolonie me racontait comment, un jour, il avait t victime d'une tentative decet ordre, pour avoir pris le punch chez un de ses employs. Le liquide peine

    aval, il avait ressenti comme une brlure intolrable et n'avait chapp que parmiracle la mort, aprs une longue et douloureuse maladie.

    Il est parfois des procds encore plus subtils. On rapporte qu'un bravecultivateur de Sainte-Marie s'enorgueillissait d'un plant de bananes jaunesmagnifique, mais en vain, car chaque fois qu'un rgime arrivait maturit ildisparaissait. Notre homme avait quelques raisons de souponner son plusproche voisin. Il rsolut de se venger et, cette fin, prpara une dcoctionbouillie et rebouillie de racines de barbadine et de pommier rose parts gales.Il en arrosa rgulirement son plant pendant plusieurs mois... Le rgime quipoussa dans ces conditions fut encore vol. Le lendemain ou le surlendemain,le voisin mourait.

    Dans les rgions du Vauclin, Sainte-Anne et Diamant, les pointes d'orphiedessches servent la fabrication d'une poudre et d'un venin liquide qui rendingurissables les blessures faites avec les armes que l'on y a trempes. On peutgalement rpandre des chiques qui entrent dans les chairs et pullulent. Lalgende prtend que certain gendarme, videmment peu soigneux, en eut

    jusque sur la langue.

    Mais on ne veut pas toujours la mort du patient. Il peut s'agir, pour une

    femme, de se faire pouser ou de ne pas tre abandonne par un amantgnreux. On fait alors appel aux nombreux aphrodisiaques, tel le fameux boisBand, ou Banda 1, que comporte la pharmacope populaire. D'autres prfrentles stupfiants qui endorment, puisent ou annihilent la volont. Il est facile dese faire citer de nombreux cas, rels ou supposs, d'hommes victimes de tellesmanuvres et devenus incapables du moindre acte d'nergie. Tel avouait un

    jour, en ma prsence, qu'il n'avait jamais pu retourner dans son pays d'origineparce qu' chaque fois qu'il se prparait partir il tombait gravement malade : ilavait fini par renoncer au voyage. Il arrive aussi que les stupfiants ne soientpas exactement doss et entranent des accidents graves, paralysies oudgnrescence. Le salut ne peut venir que d'un contrepoison efficace, difficile

    administrer, puisque le danger vient de l'entourage immdiat de la victime, oud'une fuite prcipite en Europe ou aux tats-Unis, s'il en est temps encore.Sinon, le malheureux trane plus ou moins longtemps, jusqu'au moment o ceque les mdecins dnomment affection nerveuse finit par l'emporter.

    Les charmes assurent donc la force, la puissance de ceux qui savent ,des Forts , des Mentors 2, et leur permettent d'craser leurs adversaires,de leur infliger les pires maladies ou les plus cuisantes dfaites. Inversement

    1 Richeria Grandis V.2 Le terme est rellement employ dans tout le sud et l'est de l'le et trahit ainsi curieusement

    l'influence de la littrature classique sur les quimbois martiniquais, ainsi que l'extension deceux-ci dans les milieux les plus aiss et les plus cultivs.

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    chacun de nous est environn de dangers qui rdent autour de lui et qu'il nepeut dceler et vaincre que s'il sait lire les prsages et utiliser des contre-charmes appropris. On sort alors du monde des remdes proprement dits :poisons ou contrepoisons jouent encore leur rle, mais ct d'eux aussi les

    invocations, les envotements, la magie pure.

    III. DE QUELQUES PRATIQUES COURANTES

    On rencontre d'abord toute une srie de pratiques mdicalement peucontrlables. Dans la rgion de Rivire Pilote, lorsqu'un enfant tombe enconvulsions, si l'on n'a pas d'eau chaude ou de manger cochons sur le feu ,on arrose le petit malade d'urine frache 1. La gurison se produirait presqueinstantanment. Il en serait de mme pour les corchures, les blessures lgres,voire les piqres de serpent, s'il faut en croire cette histoire saugrenue, qu'on

    m'a jure authentique, d'un agent de police de troisime classe au bourg de laRivire, disons des Fleurs.... Il tait prpos la surveillance du gros bois ou gabarre qui, tous les matins, en pleine nuit, prenait le canal vers la baie deFort-de-France. Notre homme tait volontaire : les mauvaises languesprtendaient qu'il piait le dpart d'un mari. Trois mauvais plaisantss'amusrent un matin, vers les quatre heures, de contrefaire la voix de celui-ci : Femme moin l -pa ni vent ce matin (il n'y avait pas de vent ce matin),drle de temps. Tchouk Tchouk Tchouk, c'tait l'intrus qui venait de passerpar la fentre en simple chemise et caleon, et tait tomb dans le marcageconnu sous le nom de roseaux Ma Ajax (les roseaux de Madame Ajax). Il futen un clin d'il devant son propre domicile, et les trois honntes fripouilles qui

    avaient mont la farce se dlectaient l'entendre : Louise (c'tait sa femmelgitime), ouvrez-moi la porte, je vous en prie. Prends le vase urine et versedans tes mains, frotte moin les fesses. tais all roseaux Ma Ajax, serpentpiqu moin. Et comme des rires incoercibles fusaient de la rue : Faut pasentendre ce qui se passe dro (dehors). Moin en danger mort.

    L'incontinence, cependant, est bien gnante. Au Diamant, lorsqu'un enfantcontinue souiller son lit au del de l'ge normal, on lui attache un groscrapaud dans le cou : l'incontinence cesse immdiatement.

    Dans la mme rgion, pour faire passer les vers , on prend le premier

    rendu par le patient, on le met scher, on le mlange au prochain repas, etpuis c fini 2. Au Prcheur, on s'imagine que la brise qui vient de la mer, la rise de terre , parce qu'elle porte vers la cte, fait avorter les femmesenceintes, qui se retirent dans leurs cases ds qu'elle commence souffler, moins qu'elles ne dsirent se dbarrasser de leur fardeau. Au Gros Morne, on sesert cette dernire fin de fleurs d'ananas trempes dans du sucre, quiconstituent, parat-il, un trs puissant emmnagogue.

    1

    Zobel,Les jours immobiles, p. 163.2 Zobel,Les jours immobiles, p. 163.

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    La variole, vrette ou petite vrole, a fait longtemps de terribles ravages laMartinique, et Lafcadio Hearn a laiss une description hallucinante desdernires pidmies de Saint-Pierre. Il tait pourtant facile de l'viter, puisqu'ilsuffit de porter sur soi trois graines de giromon 1 et trois de mas dans un sachet

    avec des graines odorantes. Rivire Pilote, un vieux greur 2 se plaignaitd'une hernie. Un de ses travailleurs lui conseilla de porter dans sa poche un zyeu bourrique mle et un zyeu bourrique femelle 3. La hernie passa,mais, les deux graines ayant t perdues, elle revint, et notre homme dut nouveau se procurer le zyeu bourrique mle et le zyeu bourriquefemelle pour recouvrer la sant.

    La lpre, assez frquente la Martinique, a la rputation de n'trecontagieuse que dans des conditions bien dtermines. On dit pudiquement deceux qui en sont atteints, mais que leur condition sociale met l'abri de toutemenace d'internement, qu'ils ont une diathse . Ils peuvent alors trepleinement rassurs sur la fidlit de leurs matresses, que nul ne songera leurdisputer. S'il arrive cependant qu'un homme sain ait eu des rapports avec unelpreuse et qu'il ait appris dans les vingt-quatre heures la maladie dont lamalheureuse est atteinte, il existe un moyen hroque, d'aprs les vieux duNord, pour chapper la contagion : il faut, le soir mme, obtenir les faveursd'une vierge, le lendemain de deux, la mdication devant durer une semaineentire, suivant la mme progression, jusqu' sept par consquent pour ladernire nuit, et vingt-huit au total.

    Tout ce qui vient des parties intimes de la femme est regard comme ayant

    des vertus particulires, et on s'en sert l'occasion comme remde. J'ai vu, surune plage de l'Est, un jeune enfant piqu par un poisson plat qu'on appelle crapaud de mer et qui est fort venimeux. Sa mre trempa le doigt dans sonsexe et le passa immdiatement sur la blessure.

    IV. LES PROTGEMENTS

    Mais on utilise tout autant, sinon davantage, ce que l'on appelle dans le paysdes protgements . Il en est que tous connaissent et pratiquent. Veut-on, parexemple, se dbarrasser d'un visiteur importun ? Il n'est que d'installer derrirela porte de la pice o il se tient un balai renvers avec un grain de sel sous le

    manche : le visiteur se lvera aussitt. S'il rsiste, un petit balai ct du grandaura vite raison de lui. Mais, l'importun loign, il faut se hter de remettre lesbalais dans leur position normale, sous peine de violente contrarit.

    Auprs de la Duchne s'lve un piton conique d'une cinquantaine demtres de haut : on l'appelle la Roche Perce, et il a un caractre magique.Aussi tous ceux qui en russissent la difficile ascension ne manquent-ils jamaisde rapporter un morceau du sommet, qu'ils dposent ensuite, comme talisman

    1 Cucurbita Popo.2 Le greur dirige les cultures d'une habitation de soixante cent hectares.3

    Fruit du mucune brlant, Mucuna urens D. C. C'est une sorte de haricot, avec une cannelureentre deux bandelettes brunes.

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    protecteur, au seuil de leur porte. Les gosses de l'endroit considrent audemeurant qu'ils sont srs d'viter la fesse promise leurs mfaits s'ilsparviennent, de la porte de leur case, lancer un petit caillou travers celled'en face.

    Mais, dans la plupart des cas, les protgements sont des bijoux, desmdailles accompagnes de chanes du mme mtal, c'est--dire que, si lachane est d'argent, la mdaille doit tre obligatoirement d'argent, etc. Pour leshommes, on emploie des bagues chaton.

    Le bijou, quel qu'il soit, est achet sur la prescription d'un sorcier mrite,d'un Mentor , auquel on a confi l'intention pour laquelle on veut avoir un protgement . Lorsque le bijou a t acquis, il est remis au Mentor, qui le monte suivant les rgles de son art et le rend ensuite son client.

    Le protgement peut tre galement constitu par un sachet contenant desmdailles, des amulettes, des herbes sches ou des poudres diverses. Le toutest envelopp dans une feuille de parchemin vierge, sur laquelle a t crite uneprire ou tout autre formule frquemment rdige en latin macaronique. Lesachet est suspendu au cou par une corde de mahot 1, parce que cette plantepasse pour carter les maladies : on attachera, par exemple, un chien menac dela rage avec un collier de ces fibres.

    De nombreuses personnes portent sparment des mdailles, un scapulaireet un sachet contenant une poudre mystrieuse. Les scapulaires s'achtent dans

    le commerce, en dehors du clerg. On y joint, l'ordinaire, des implorations tel ou tel saint, qui n'est pas toujours en rgle avec les canons de l'glise, etqu'on se repasse d'usager usager. Il existe ainsi de vritables chanes deprires , qu'on ne doit pas interrompre, sous peine des pires calamits. Maisceux qui les observent chappent tous les dangers. Parfois, les domestiques enoffrent leurs matres, au moment d'un voyage : Madame, vous la mettez survous, et vous n'avez plus rien craindre. Il a mme t rpandu, laMartinique comme la Guadeloupe, un Recueil des quarante-quatre prires

    pour sortir victorieux des luttes de la vie,imprim Pointe--Pitre en 1939, etcontre lequel le clerg a maintes fois cru devoir mettre les fidles en garde.

    On invoque d'abord la Vierge, mais aussi saint Joseph, parce qu'il est le plusgrand saint du paradis, saint Antoine de Padoue qui passe, comme partout, pourfaire retrouver les objets gars, et combien d'autres encore. La confiance esttelle qu'en certaines communes de la colonie les demandes se font parfois parcrit. Nagure encore, au tmoignage formel de M. Legros, il existait danscertaines glises un tronc spcial pour les lettres adresses au saint de l'endroit,et les curs lisaient en chaire celles qui pouvaient l'tre. Beaucoup d'entre ellestaient accompagnes d'une petite somme d'argent, avec promesse d'une plusimportante pour le pain des pauvres , au cas o le vu serait exauc, ou le

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    Triumfetta Lappula L. Arbuste des rgions sches dont on tire des cordes trs tenaces, ainsique de nombreux remdes.

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    mariage, car il s'agissait souvent de cela, dment conclu et clbr. Faut-ilrappeler ici que beaucoup des premiers colons venaient de Normandie ?

    Saint Benot, reprsent debout, lisant son brviaire, protge contre les

    mauvais sorts et les accidents de la route. Saint Christophe est, comme enEurope, le patron des chauffeurs, mais on l'invoque spcialement contrel'influence des dmons, les pidmies, les calamits publiques, les troubles etsditions populaires, ainsi que contre les flaux et accidents de toute sorte.Saint Blaise protge des maux de gorge. Le jour de sa fte, aux anses d'Arlets,le prtre donnait la bndiction avec deux cierges en croix et l'on racontequ'une femme, pour s'tre moque de cette dvotion, se rveilla le lendemainavec la gorge dmesurment enfle. Sainte Odile et sainte Lucie doivent treinvoques pour les maux d'yeux. Sainte Apolline et saint Prgrin calment lesrages de dents. Saint Georges empche les mille-pattes de fuir. SaintePhilomne gurit peu prs tout ; saint Michel demeure, comme sur les bordsde la Manche, le plus populaire des archanges, ce qui lui vaut d'trespcialement invoqu par les quimboiseurs.

    L'obscurit est toute pleine d'embches et de mauvaises rencontres. Lemieux est beaucoup prs de ne pas se risquer dehors entre minuit et l'angelusdu matin. Il est tout de mme, quand on est oblig de sortir, quelques moyensde dfense prouvs. L'un des meilleurs est de mettre ses vtements l'envers :robe, culotte ou veston. Une femme surprise par une apparition n'a qu' releverses jupes au-dessus de la tte. Un procd plus efficace encore est de se placerune touffe d'herbe sur le crne et de s'avancer ainsi entre deux terres, dans un

    domaine inaccessible aux forces de l'au-del. Par surcrot de prcautions, ilarrive qu'on place sur la touffe d'herbes une paire de ciseaux grande ouverte :c'est un moyen assur de couper la mauvaise chance.

    V. BAINS DE CHANCE , BAINS DMARRS ETRITES PURIFICATOIRES

    On est prt tout tenter galement pour que celle-ci n'arrive pas jusqu' lademeure familiale. Si elle y pntre cependant, on la chassera avec ce que M.Labrousse appelle trois bains de chance 1 . La description qu'il en fournit estcomplte et prcise. La meilleure date pour chacun de ces bains est le premiervendredi du mois. Si l'on est press, on peut choisir le premier et le troisimevendredi, ou trois vendredis successifs, voire en une seule semaine le lundi (deprfrence le premier du mois, jour du Saint-Esprit), le mercredi, jour de saintJoseph et le vendredi, jour du Saint-Sacrement. Le Saint-Esprit claire ,saint Joseph nourrit et le Saint-Sacrement attire une bndiction gnrale.Voici, ajoute M. Labrousse, ce qu'on met gnralement dans ces bains : Unpeu de farine de froment, un peu de lait, un flacon de lait d'iris, pour se blanchiraux yeux du patron ainsi qu'aux yeux des gens dont on craint l'opinion ou quipeuvent vous aider, de l'eau de duchesse (pour jouir d'une grande

    1 Labrousse, Deux vieilles terres franaises, p. 64.

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    considration), des feuilles d'une plante appele tabak Jacquot 1 (s'il s'agitd'achalander une boutique, de maintenir ou d'augmenter la prosprit d'uneentreprise), de feuilles mles ou femelles de trfle 2 (afin d'avoir tout le monde,hommes et femmes pour soi), de l'essence d'acacia (si c'est d'un multre qu'on a

    besoin d'obtenir l'aide ou de conserver la bienveillance) ou bien de l'essence deverveine blanche ou de verveine rouge, s'il s'agit d'un blanc ou d'un Ngre 3.

    L'eau du bain sert ensuite laver toutes les pices de la maison pour lesimprgner de chance. Puis on promne dans les chambres, pendant un ouplusieurs jours, un canari , ou rcipient en terre, garni de charbons surlesquels on fait brler diverses substances : pain, mas et encens. C'est unsymbole des trois rois mages, dont nous avons dj trouv les noms inscrits surla porte de bien des cases. Ils avaient apport l'Enfant-Jsus de l'or, del'encens et de la myrrhe. Comme M. Labrousse l'explique fort ingnieusement,l'or ne brlant pas, on le remplace par une nourriture essentielle qu'il sert acheter, et quoi de plus essentiel que le pain ? Le mas se substitue de mme la myrrhe, et pour carter plus srement les mauvais sorts on ajoute l'encensdu benjoin et du baume du Prou.

    Il est bon, lorsque cette purification a t excute, de continuer veillersoigneusement. Tel matre, que j'ai connu, ne se couchait jamais sans avoiraccompli toute une srie de rites purificatoires. En particulier, il jetait du sel larges poignes autour de sa vrandah. Le lendemain, de bonne heure, ilchaussait des galoches et arrosait le tout. L'eau sale emportait d'un coup lesquimbois qu'on avait pu dposer dans la nuit. Il tenait tellement cette pratique

    qu'il n'hsita pas donner cong un de ses collgues, auquel il avait cd unepartie de sa demeure, et qui se refusait l'accomplissement rgulier de lacrmonie.

    Mais la grande purificatrice demeure la mer. C'est l qu'on va prendre lebain dmarr , dont le but avou est de dmarrer ou dtacher la dveinepersistante. Cela se fait un vendredi, le premier du mois, sauf lorsqu'il y a unvendredi 13, et l'aurore. On choisit l'ordinaire, d'aprs M. Labrousse, unendroit o la mer est agite, pour tre sr d'tre bien lav. Avant d'entrer dansl'eau, le patient forme parfois sur le sable une croix avec des bougies allumes.Au choc de la premire lame il s'crie : Un tel, ou une telle, dmarr moin ,

    ce qui signifie : dbarrassez-moi de ce qui fait mon malheur en le prenant votre compte, l'individu ainsi dsign tant, toujours un ennemi, et l'auteurprsum de la dveine.

    1 Pluchea odorata Cass. Arbuste