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L’expression artistique des cultures du monde en France Conditions de création d’un nouvel événement par Ludivine TREHOREL septembre 2006 Master Management des Organisations culturelles Université de Paris-Dauphine

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L’expression artistique des cultures du monde en France

Conditions de création d’un nouvel événement

par Ludivine TREHORELseptembre 2006

Merci aux festivals et autres structures qui ont bien voulu répondre à mes questions,

merci à mon directeur, Charles ROBILLARD,merci à mes parents, à mes amis, à Carlos pour leur

soutien.

Master Management des Organisations culturelles Université de Paris-Dauphine

Sous la Direction de M. ROBILLARD

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Avant Propos

Toutes les informations contenues dans ce mémoire sont le fruit de la consultation des

documents archivés produits sur le sujet par l’IRMA et d’autres opérateurs : rapports, études,

dossiers de presse, livres.

A ce travail de fond est venu s’ajouter un travail de terrain, avec divers entretiens libres,

conduits auprès de personnes ressources des différentes manifestations étudiées mais

également des professionnels du secteur œuvrant pour l’information des publics. Leurs noms

et fonctions sont précisés à la fin de ce mémoire.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

SOMMAIRE

Introduction 6

1 Etat des lieux 9

1.1 Un champ culturel vaste, à cerner 101.1.1 Que recoupe l’expression « cultures du monde » en France ? 101.1.2 Historique et raisons du phénomène 111.1.3 Les cultures du monde et leurs publics 14

1.2 La réalité des festivals de cultures du monde 171.2.1 Trois approches différentes d’un même champ culturel 171.2.2 Poids des festivals dans la diffusion des musiques du monde 311.2.3 Synthèse des études : les difficultés d’un milieu 33

1.3 Des problématiques spécifiques 351.3.1 D’un contexte à l’autre 351.3.2 La circulation des artistes 381.3.3 Paradoxe : entre engouement et non-reconnaissance 40

2 Etudes de cas 43

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

2.1 L’approche culturelle par les festivals de musiques du monde 45

2.1.1 Commentaires sur le Festival des Suds à Arles 462.1.2 Commentaires sur le Festival de l’Imaginaire 512.1.3 Commentaires sur le Festival Les Orientales 552.1.4 Commentaires sur le Festival de Martigues 602.1.5 Commentaires sur le Festival des Villes des Musiques du Monde 64

2.2 L’animation : entre agences événementielles et foires internationales 67

2.2.1 Commentaires sur l’agence Neovent 682.2.2 Commentaires sur la Foire de Bourges 72

2.3 Une nouvelle approche : le festival équitable 742.3.1 Commentaires sur le Festival Musiques Vivantes 752.3.2 Commentaires sur le Festival Nuits Métis 79

3 Intérêts de créer un nouvel événement 80

3.1 Synthèse de ce qui manque 813.1.1 Programmation 813.1.2 Aires culturelles non explorées 823.1.3 Professionnalisation de l’organisation 823.1.4 Contexte et positionnement des festivals 843.1.5 Rapport au public 84

3.2 Propositions pour un nouvel événement 853.2.1 Programmation artistique 853.2.2 Logique d’organisation 883.2.3 Politique des publics 93

Conclusion 97

Bibliographie 98

Table des Annexes 99

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Introduction

A l’heure où Culturesfrance est créé (fusion de l’Association française d’action

artistique et l’Association pour la diffusion de la pensée française), opérateur au cœur des

échanges et des dialogues entre la culture française et les cultures du monde, les initiatives

privées en la matière abondent. L’expression artistique des cultures du monde en France

représente dorénavant un secteur porteur et un réseau organisé qui n’a pas attendu la

reconnaissance institutionnelle pour se constituer. Il est le fruit de la volonté de passionnés qui

se sont donnés pour objectif de faire découvrir au public occidental les richesses culturelles

des Autres. Contre les peurs et les préjugés, ils ont choisi l’ouverture, l’échange et le

rapprochement…

Au-delà du cloisonnement de rigueur dans les arts, ce sont bien les cultures à travers leurs

multiples aspects artistiques qui nous intéressent ici (arts de la parole, cinéma, théâtre,

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

littérature, art culinaire, arts plastiques, etc.). Si l’expression artistique des cultures du monde

diffusée en France concerne encore majoritairement les domaines de la musique et de la

danse, de plus en plus de disciplines s’ouvrent au regard des publics français. Néanmoins,

notre réflexion se basera sur les seules études disponibles à ce jour et abordant exclusivement

les musiques du monde. Par ailleurs, leur diffusion se manifeste aujourd’hui principalement à

travers l’événementiel : les festivals dans le cadre culturel, les foires internationales et autres

soirées à thèmes au niveau de l’animation commerciale. Le développement des festivals

représente un phénomène en soi dans le milieu des musiques du monde, c’est pourquoi notre

étude se penchera notamment sur ses réalités. Cependant, approfondir l’approche

événementielle ne signifie en aucun cas que nous n’apporterons pas l’importance qui lui est

due à l’idée de permanence.

Le terme « musiques du monde » semble renfermer une réalité multiple qu’il nous faut

dans un premier temps tenter de définir. S’il est toujours complexe de classer une musique

dans une catégorie, dans un pré-découpage de genres musicaux, nécessairement réducteur, la

chose est encore plus difficile lorsqu’il s’agit des musiques du monde. En effet, qu’ont en

commun les chansons de Césaria Evora avec les tambours du Burundi ? Aucune origine

commune, ni structure rythmique, mélodique ou instrumentale qui puissent justifier cette

appellation collective.

Les musiques du monde sont donc bien une « auberge espagnole où cohabitent souvent

l’ethnique et les variétés locales, le traditionnel, et des productions qui n’ont de world que le

nom ». Aucune définition musicologique n’existe pour cette expression, il convient juste de

noter que l’origine de la musique doit se situer hors du contexte de civilisation dans lequel est

diffusée cette musique, dans un environnement culturel plus ou moins éloigné. Le champ des

musiques du monde relève donc de l’exotisme dans le milieu où elles sont diffusées.

L'appellation "musiques du monde" renvoie à un ensemble flou et hétérogène de musiques

que l'on essaie de décrire en procédant à de longues énumérations. Une acceptation large1

retiendra un spectre de musiques pouvant être assimilées à des musiques du monde parmi

lesquelles :

- La musique ethnique

- La musique traditionnelle

- La musique francophone 1 Evaluation du poids des musiques du monde en France, Zone Franche, St Denis, Juin 1999. Laurent Aubert

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- Les musiques des diasporas du monde en France

- Les musiques des diasporas du monde en Europe

- Les musiques folkloriques

- La World Music

- Les musiques métisses

- Les musiques exotiques

- Les musiques d’ailleurs

- Les musiques d’ici (régionales)

Dans ce cadre, notre étude abordera les musiques du monde dans leur ensemble, mais à un

moindre degré les musiques traditionnelles « d’en-France ». Souvent mêlées, dans les

programmations et réflexions théoriques, aux musiques du monde en tant que musiques

traditionnelles, elles ne seront pas considérées ici comme l’objet principal de notre étude.

Ainsi posée une certaine définition de ce que sont les musiques du monde, notre

interrogation porte sur les conditions d’amélioration de la pertinence d’un festival tourné vers

les cultures du monde. Quels sont les festivals existants ? Y’en a-t-il beaucoup ? A quels

publics s’adressent-t-ils ? Y’a-t-il une utilité à créer de nouveaux événements ? Quels sont les

écueils à éviter ? Et les atouts à développer ?

Bref, dans quels buts met-on en place un festival des cultures du monde ? Y’a-t-il un

positionnement particulier qui pourrait apporter un complément à l’offre existante ?

Il s’agira donc dans un premier temps de réaliser un état des lieux de ce champ culturel,

d’en cerner les réalités multiples, pour tenter d’en définir une nomenclature aussi précise que

possible. Cet exercice permettra ainsi de mieux appréhender les divers enjeux liés à ce réseau

artistique. Il semble en effet indispensable, avant toute tentative de définition d’un projet, de

savoir où on met les pieds, et quels sont les acteurs en présence.

Dans un second temps, ayant effectué ce tour d’horizon et dégager les problématiques propres

à tout le secteur, il conviendra d’affiner notre réflexion par l’étude de cas. Cette analyse des

choix de positionnement de structures ayant un même objet mais l’abordant différemment

revête un intérêt particulier : celui de faire émerger les potentialités mais aussi les faiblesses

liées à ce domaine artistique, pour pouvoir dégager par la suite l’intérêt que présenterait la

création d’un nouvel événement.

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Ce travail nous permettra en dernier lieu de présenter nos propositions pour un festival

« innovant ». Tant est qu’un festival se créé pour être innovant…

8

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1 Etat des lieux

Ainsi, il apparaît nécessaire, pour analyser la réalité de la

diffusion des cultures du monde à travers l’événementiel, dans

l’hexagone, de se pencher sur une description, aussi fidèle que

possible, de cette réalité. Nous verrons qu’elle est multiple, voguant

entre divers paradoxes inhérent à ses problématiques propres.

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1.1 Un champ culturel vaste, à cerner

1.1.1 Que recoupe l’expression « cultures du monde » en France ?

Il est important avant tout autre chose de s’arrêter sur le sens que l’on donne à cette

expression, fruit de notre propre vision du monde. Et d’abord par ce mot « culture(s) » qui

d’une personne à l’autre ne revête pas les mêmes dimensions : parfois confondue avec

« éducation », là associée à des rites, des représentations chaque fois différentes selon les

groupes humains (définition selon un ethnologue), ou bien identifiée à l’univers mental d’une

société en tant que civilisation.

Ici, nous prendrons comme repère la définition qu’en donne Jean Duvignaud2 : « Des divers

sens du mot « culture », retenons celui qui en appelle aux figures, aux spectacles, aux formes

que les peuples inventent pour dialoguer avec la vie, la mort, le désir, le sacré, ou les

individus leurs utopies personnelles. ». Car cette définition rejoint complètement l’axe

d’analyse que nous souhaitons aborder, à savoir les arts vivants, en ce qu’ils sont révélateurs

du dynamisme et de l’existence des peuples, comme Jean Duvignaud le dit encore :

« exister, c’est représenter ».

S’il n’est pas aisé de cerner le concept de « culture », il est encore plus difficile

d’approcher ce que désigne l’expression « cultures du monde », aussi appelées « cultures

étrangères ». Qu’est ce qu’une culture du monde ? Où commence et où s’arrête la notion

d’étranger ? Une culture étrangère ne l’est-elle pas par rapport à soi, à une aire culturelle

donnée? Pour un occidental, sera étrangère toute culture extra-occidentale. Et même au sein

de la France, multiculturelle par excellence, les cultures régionales (basques, bretonnes,

occitanes,…) ou immigrantes paraissent étrangères aux français non issus de ces cultures. Dès

lors, quelles limites observer dans une étude sur les cultures du monde ?

Le choix se fait ici d’après l’identité que l’on souhaite endosser : en tant qu’européen, seront

étrangères toutes les cultures extra-européennes ; mais dans cette étude, nous retiendrons

comme aire géographique, la France. Seront alors considérées comme faisant partie des

« cultures du monde » les expressions artistiques portugaises par exemple, aussi bien que

balinaises ou orientales.

2 DUVIGNAUD Jean, dans Cultures du monde en France, le guide, Paris, MCM / Editions Plume, 1999, p.225

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Par ailleurs, aucune discrimination n’est faite concernant leurs modes d'expression ou leur

milieu d'origine : profane ou sacrée, savante ou populaire, professionnelle ou non-

professionnelle, lettrée ou orale, traditionnelle ou contemporaine, toute manifestation

étrangère relève de la culture de l’Autre et mérite donc l’intérêt.

Enfin, étudier les cultures du monde sous l’angle artistique c’est étudier toutes les formes

d’expression, tous les aspects de ces cultures : des formes rituelles, théâtrales, musicales à

l’art culinaire ou cinématographique en passant par l’artisanat.

Nous verrons au travers de cette étude que les festivals de cultures du monde existant

actuellement en France choisissent, dans l’étendue de ce champ culturel, d’explorer telle ou

telle culture, une ou plusieurs disciplines artistiques, décidant par la même de défendre leur

propre vision du monde.

1.1.2 Historique et raisons du phénomène

Si l’on fait un point d’histoire, il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui, plus de 350

structures publiques et privées s’attachent dans notre pays, à cette mission d’accueil des

cultures du monde. Car comme le dit Chérif Khaznadar3 : « C’est en France, que les créateurs

du monde trouvent admiration, compréhension, soutien et, si besoin est, asile. C’est en

France le pays dont la culture a si longtemps rayonné sur le monde, que les autres cultures

peuvent se rencontrer, s’exposer, se féconder ».

La France est, depuis toujours, à la croisée des grands mouvements intellectuels et artistiques

qui ont façonné et ponctué la vie culturelle. De toute l’Europe, des confins de l’Asie, se sont,

au cours des siècles, succédées des visites et des résidences qui ont provoqué des échanges et

des rencontres toujours enrichissantes. Le Nouveau Monde n’a pas tardé à se joindre à cette

dynamique, à laquelle sont associées aujourd’hui toutes les régions du monde.

Ces échanges ont eu un double effet : enrichir la créativité française et offrir une scène

permanente à la diversité des expressions culturelles dans le monde.

L’Histoire des cultures du monde en France s’apparente aussi largement à l’Histoire de

l’expression universelle qui s’y rapporte, à savoir la musique et les musiques du monde plus

particulièrement.

3 KHAZNADAR Chérif, dans Cultures du monde en France, le guide, Paris, MCM / Editions Plume, 1999, p.8

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On note d’abord un essor de ces musiques avant l’émergence de festivals dédiés à ces

cultures. C’est la prise de conscience du multiculturalisme de la France au début du XIXe

siècle qui permit par la suite de porter un regard plus complexifié sur l’étranger, l’évolution

du mouvement folkloriste en témoigne. En effet, c’est à cette période qu’un vif intérêt pour

les mœurs et coutumes régionales commence à se manifester. La reconnaissance de la valeur

des cultures régionales conduit même la République à lancer un vaste recensement de leurs

traditions orales.

Le XXe siècle marque « la fin des terroirs » et l’inscription d’une action dans un cadre plus

large, international. Un des premiers festivals cosmopolites, celui de Nice en 1930, se qualifie

même de « fête des provinces françaises et du folklore international ». Par ailleurs, les

expositions universelles et coloniales permirent aux visiteurs de découvrir des formes

rituelles, théâtrales et musicales jusqu’alors inconnues, le public devinant derrière ces

représentations d’autres mondes culturels. Et si ces découvertes suscitent dès lors

l’émerveillement et la curiosité, ce sont aussi les prémices de maux tels que la xénophobie, le

racisme, et le frileux repli sur soi, fruits de l’interrogation et de l’incompréhension. Mais

« Peu importe, la porte de l’ailleurs est désormais ouverte à tous. Même si la démarche

coloniale apparaît avec une forte arrogance. »4 .

Au-delà de l’enceinte nationale, c’est aussi l’échange inégal Nord-Sud et le mouvement des

indépendances des années 60 qui favorisèrent l’impact des cultures « extra-européennes ». En

effet, les Etats nouveaux affirmèrent leurs jeunes nationalismes en exportant leurs arts, leurs

représentations, obligeant l’occidental à réviser sa propre vision de l’« indigène ». Or, ce

mouvement sera relayé par l’énergie de passionnés curieux des autres.

Les premiers festivals de musiques du monde apparaissent dès les années 70 : Claude

Panson, le théâtre des Nations et son université, Jack Lang et le théâtre de Nancy, Michel Guy

et le Festival d’Automne à Paris, Chérif Khaznadar et la maison de la culture de Rennes ont

ainsi construit les fondations de l’accueil d’artistes venus du monde entier. Un ensemble de

musiciens, de studios, de scènes (Printemps de Bourges, Musiques Métisses d’Angoulême,

Nuits blanches pour la musique noire, etc.) et de labels conduisent la France à devenir une des

plaques tournantes de la diffusion de ces cultures.

4 TOULA-BREYSSE Jean-Luc, dans Cultures du monde en France, le guide, Paris, MCM / Editions Plume, 1999, p.10

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Au fil des décennies, le monde des arts plastiques, du septième art, de la littérature sont

entrés dans la danse. Même si le contexte économique et politique crée peurs et nationalismes,

les exemples se multiplient et confirment l’attention toujours croissante des Français pour

toutes les cultures. Quelle que soit la discipline, des grandes traditions arabes, chinoises ou

indiennes aux créations contemporaines occidentales, des œuvres classiques aux pièces rares,

des lieux, de plus en plus nombreux au fil des ans, accueillent dans un large panorama les

expressions les plus diverses… 

La question qui se pose alors porte sur les raisons d’un tel succès des festivals.

Il semblerait, d’après Philippe Gouttes, que l’engouement pour cette forme de diffusion

culturelle soit le fruit des multiples bouleversements que traverse la France de l’après-guerre.

La nouveauté du concept « festival » apporte une dimension événementielle, festive et

populaire à la diffusion du spectacle qui ravit tout autant le public, les artistes, les journalistes,

les professionnels du spectacle et les représentants des pouvoirs publics.

Le mouvement de décentralisation culturelle qui opère au même moment sur les initiatives de

Jean Vilar et du festival d’Avignon donne également à cette forme de diffusion un impact

concret en région. Il redonne aux régions une actualité artistique, et l’envie aux artistes d’être

en contact direct avec le public, celui-ci ayant alors l’occasion de voir les artistes qu’il aime.

Les déplacements saisonniers des spectateurs, surtout en période estivale, incitent les villes à

favoriser le développement d’un tourisme culturel, le festival devient une sorte de vitrine

culturelle. Chaque monument historique, chaque château se transforme en lieu de

spectacles… « La décentralisation permet, au delà d’une pensée unique centralisée,

d’envisager autre chose pour le public provincial. L’abolition de barrières entre Paris et la

province favorise la curiosité des publics français issus d’histoires et de parcours si

différents. »5

Même si les cultures du monde et leurs musiques ont gagné assez tardivement leur droit de

cité aux côtés du jazz et de la musique classique, le succès rencontré par quelques artistes

étrangers comme Salif Keita, et la passion de convertis gagnent peu à peu le public.

Aujourd’hui, les musiques du monde sont programmées par nombre de festivals, qu’ils soient

pluridisciplinaires, déjà engagés dans la musique, axés sur le théâtre, la musique classique ou

la littérature.

5 TOULA-BREYSSE Jean-Luc, dans Cultures du monde en France, le guide, Paris, MCM / Editions Plume, 1999, p.11

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Les festivals spécialisés dans toutes ou dans certaines cultures étrangères se sont multipliés.

Quelques grands exemples anciens méritent d’être cités :

- le Festival international d’art dramatique de Paris créé en 1954 et transformé en

Théâtre des nations en 1957

- le Festival de Nancy (1960)

- le Festival des Arts traditionnels de Rennes (1974)

Ces trois festivals ont désormais disparu mais de nombreux autres ont pris le relais :

- le festival Passages de Nancy (1996) sur le théâtre de l’Est de l’Europe

- le festival Exit de Créteil (1994)

- le festival international du livre Etonnants voyageurs (1990)

Mais aussi les très nombreux festivals cinématographiques consacrés à un pays ou une région.

Ce succès atteste sans doute de l’engouement que rencontrent les cultures du monde, en écho

à la mondialisation culturelle, au déracinement et au métissage.

La présence des cultures étrangères en France entre les années 70 et aujourd’hui a

profondément changé. Certes, le regard sur le monde et en particulier vers le Sud existait mais

demeurait rare. Au fil des années, la France a accru sa diversité d’accueil. Alain Crombecque

l’explique entre autres par la demande qui existe : « pas par goût de l’exotisme, mais bien par

une nécessité intérieure »6.

1.1.3 Les cultures du monde et leurs publics

La question du public des cultures du monde est une question clé mais néanmoins à

relativiser. Peut-on réellement dégager un (des) profil(s) d’un public converti ou susceptible

d’être intéressé par ce genre de spectacle ? Le problème est qu’ils sont multiples et de moins

en moins exclusifs. Doit-on dès lors considérer une élite, seule apte à recevoir et comprendre

les musiques étranges venues d’ailleurs ? Ou bien viser le plus grand nombre ?

Si l’on considère les festivals de cultures du monde dans leur périmètre le plus large, ils

rassemblent aujourd’hui un public tout aussi large, flou et diversifié. Le public de

connaisseurs, de convertis, issu la plupart du temps de la région parisienne, où l’offre est plus

importante, côtoie un « grand public » qui réagit souvent guidé avant tout par l’émotion.

6 CROMBECQUE Alain, dans Cultures du monde en France, le guide, Paris, MCM / Editions Plume, 1999, p.40

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Car les musiques du monde ont justement le mérite de développer la curiosité, l’ouverture

intellectuelle et le besoin d’échange. La recherche d’exotisme des décennies passées s’est

ainsi transformée, grâce au travail d’hommes et de femmes passionnés, en un désir de

rencontre. 

Dans tous les cas, il est certains que « les publics diffèrent selon le créneau que l’on

cherche à atteindre »7. En effet, on constate une réelle différence par exemple entre le public

du Festival de l’Imaginaire à Paris, et celui Des Suds à Arles. Cette différence résulte tout

simplement de deux événements à vocation différente : le premier définit sa politique de

programmation sur « l'exploration, la découverte et la révélation » grâce à un travail de

recherche et de défrichage des formes d'expression les moins connues ou les plus rares ; le

second a pour but de représenter « l’essence des musiques populaires, de proximité »8 dans un

registre mixte de musiques traditionnelles et world. C’est donc tout naturellement que le

Festival de l’Imaginaire attire en majorité un public de connaisseurs avides de découvertes,

donc un peu élitiste et intimiste, alors que Les Suds, plus festif, convie un public plus large,

jeune et populaire, mais auquel les connaisseurs peuvent tout autant s’identifier. Ce mélange

des publics se retrouve dans plusieurs festivals à vocation généraliste et populaire, c’est le cas

des Nuits Atypiques de Langon, dont le directeur affirme qu’« il y a un public de

connaisseurs et de curieux ».

Fait plus marquant, le festival Les Orientales de St-Florent-le-Vieil est fier de pouvoir

compter sur un public fidèle, mélange d’un public élitiste parisien et d’un public local

populaire, et ce, en garantissant un discours artistique exigeant, à vocation spécialiste. A

chacun son secret…

Mais une différence de public se constate également lorsque l’on élargit le champ

d’expression des cultures du monde au-delà du simple culturel. Ainsi un événement de masse

comme une foire internationale, mettant un pays et sa culture à l’honneur, dénombre souvent

un très grand chiffre de fréquentation. La question qui se pose est de savoir comment, dans le

cadre d’un événement culturel, réussir à élargir son public en prenant en compte les atouts

d’un événement de masse comme une foire, sans perdre pour autant la qualité artistique. Nous

tenterons d’y répondre par la suite.

7 Entretien Zone Franche8 Entretien festival Les Suds à Arles, Café du Monde – Maison populaire de Montreuil

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Publics visés et politique tarifaire sont également intimement liés. Comme le souligne la

directrice des Suds à Arles, « tout dépend du public que l’on souhaite et donc des objectifs de

l’événement »9. Dans leur cas, ils ont pu observer que plus la politique tarifaire était basse,

plus le public était jeune et populaire (mais classe moyenne) ; quand les concerts sont gratuits

le public est résolument populaire mais diversifié. Les publics diffèrent donc suivant la

politique tarifaire mise en place. Mais, plus largement, dans le cadre du débat sur la gratuité,

on se rend bien compte que la gratuité des musées n’amène pas forcément plus de visiteurs.

Des prix réduits sont parfois préférables. Il s’agit alors de faire un « savant mélange entre la

gratuité et le payant »10 afin de prendre en compte à la fois un public averti et les curieux.

9 Entretien festival Les Suds à Arles, Café du Monde – Maison populaire de Montreuil10 Entretien festival Les Orientales

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

1.2 La réalité des festivals de cultures du monde

1.2.1 Trois approches différentes d’un même champ culturel

L’approche culturelle : les festivals de musiques du monde

La première méthode de promotion des cultures du monde est l’approche culturelle. Par

l’organisation de manifestations artistiques, l’expression des cultures du monde est mise en

valeur à travers les différentes disciplines artistiques (musique, danse, théâtre, cinéma,

littérature, etc.). Les cultures du monde étant extrêmement abordées aujourd’hui, une grosse

diversité de festivals est proposée, « sur différentes échelles et positionnements : dans le

milieu rural, dans différentes aires géographiques, autour de différents axes de travail

(auprès des enfants), de cultures régionales et d’aires culturelles lointaines »11. Dans ce

foisonnement, toutes les manifestations ne sont pas forcément de qualité puisque beaucoup de

professionnels ont profité de l’engouement pour créer des festivals « world » sans réelle

réflexion autour de la programmation. Mais il ressort que la plupart des festivals existants,

chacun à leur niveau, ont un impact non négligeable de par les répercussions socioculturelles,

les valeurs qu’ils véhiculent à l’échelle du territoire et de la société, et l’interculturalité.

Les festivals programmant des cultures du monde se distinguent dans un premier temps

selon les disciplines explorées. Sur un ensemble de 213 manifestations, l’expression artistique

majoritaire est sans surprise la musique, représentant 72% des festivals recensés, suivent les

festivals à vocation pluridisciplinaire (10%), les festivals de cinéma (8%), de théâtre (6%) et

enfin la danse avec 4%. Cette dernière proportion est néanmoins à relativiser car nombre de

festivals de musiques du monde programment également de la danse, les deux étant

intimement liés dans les cultures traditionnelles.

Au vu d’un phénomène de croissance importante des festivals de musiques du monde, ces

dernières années, nous mettrons l’accent sur ces derniers afin de voir en quoi les musiques du

monde trouvent dans les festivals le terrain idéal à leur expression, et si les festivals existants

tirent vraiment parti de tous leurs avantages.

11 Entretien Zone Franche

17

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Retour sur définition

S’il n’est pas aisé de cerner la complexité du champ des musiques du monde, il semble

encore plus compliqué de déterminer ce qu’est un festival de musiques du monde, et ce qui ne

l’est pas. Ainsi, on constate que nombre de festivals accordent une place plus ou moins

importante aux musiques du monde dans leur programmation.

Festivals de jazz, de rock, ou pluridisciplinaires ont chacun intégré dans leur programmation

une part de musiques issues d’autres cultures, fruit d’une volonté d’élargissement de leur

champ d’investigation, le jazz manouche par exemple pour le Nancy Jazz Pulsation, ou tout

simplement d’ouverture artistique (les musiciens brésiliens dans le cadre de Paris-Quartier

d’Eté). Or ces festivals ne peuvent être considérés comme spécialisés dans les musiques du

monde. Tout festival programmant des musiques du monde ne doit pas être pour autant

considéré comme festival de musiques du monde.

Alors, comment différencier un « vrai » festival de musiques du monde d’un « faux » ? Il

semblerait que cette distinction puisse se révéler par la revendication même du festival et ce,

entre autres, par le choix de son nom. Ceci se vérifie sous plusieurs aspects :

- L’intitulé du festival est explicite, ce qui révèle une volonté d’appartenance aux

festivals de musiques du monde. Ainsi, on citera : le Festival Musiques Vivantes de Ris-

Orangis, le Festival Cultures du Monde de Gannat, ou encore le Festival des Villes des

Musiques du Monde d’Aubervilliers ;

- L’intitulé met en avant une volonté de métissage, de rencontres entre les musiques. On

notera par exemple : Nuits Métis et Métissons sur Marseille, Musiques Métisses à Angoulème,

Rencontres et Racines d’Audincourt ou encore Rencontres Nomades à Vizille ;

- Une allusion plus ou moins directe est faite soit à une zone géographique, soit à un

style de musique appartenant aux musiques du monde. Parmi les festivals centrés sur une aire

culturelle on signalera le festival Africolor sur St Denis, Les Orientales à St-Florent-le-Vieil,

Tempo Latino de Vic-Fezensac ; ceux mettant en valeur un style de musique comme les

festivals de reggae avec par exemple le Garance Reggae Festival.

- L’intitulé renvoie à une idée moins explicite de voyage, d’évasion. On citera : Les

Suds à Arles, le Festival 6ème Continent à Lyon, Les Temps Chauds à Bourg en Bresse, ou

encore le Festival de l’Imaginaire à Paris et Les Nuits Atypiques de Langon…

18

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C’est donc bien une auto-définition du caractère « musiques du monde » qui est mise en avant

soit explicitement par le nom du festival, soit par l’image véhiculée. On remarque en effet, à

travers l’étude des affiches, des traits communs et tout d’abord la dominante de couleurs

vives. On note également la présence de personnages qui représentent la diversité et souvent

la zone géographique et culturelle dont traite le festival, c’est le cas notamment du festival Les

Orientales12.

Enfin, le thème principal des affiches est clairement celui du voyage, de l’exotisme, de

l’évasion symbolisés par les oiseaux pour Musiques Métisses13, un cheval pour le Festival de

l’Imaginaire14 ou encore des symboles africains sur tissu comme matière pour Africolor15.

Distinctions

Une fois posées cette distinction entre ce qui relève de notre objet d’étude et ce qui

n’en relève pas, il convient de s’interroger sur les différences entre ces festivals de musiques

du monde eux-mêmes, notamment sur le plan de la programmation. Deux grandes distinctions

peuvent être faites entre les programmations musicales, l’une concernant la vocation

généraliste ou l’approche thématique, l’autre relevant du type de programmation, entre

musiques traditionnelles et World Music. Un troisième point de divergence apparaît : la

période de l’année durant laquelle se déroulent les festivals.

Sur le panel constitué, la part des festivals de musiques du monde ayant un objectif

thématique est d’environ 38%. La majorité des festivals s’attache donc à la diversité la plus

grande et la plus exhaustive possible, alors qu’une importante minorité choisit de ne se

consacrer qu’à un style de musique ou une aire géographique et culturelle donnés. Prônant la

diversité, ces festivals généralistes réussissent-ils pour autant à garantir la qualité de la

rencontre avec chaque culture ? C’est ce que nous essaierons de déterminer ultérieurement.

Ensuite, il s’avère que les festivals font des choix entre musique traditionnelle et World, les

uns privilégiant « l’authenticité », les autres, le métissage, la modernité. Il en résulte que les

festivals programmant essentiellement de la World Music représentent 31% des festivals

étudiés, contre 28% pour ceux exclusivement traditionnels.

12 Affiche du festival Les Orientales 200613 Affiche Musiques Métisses 200614 Affiche Festival de l’Imaginaire 200615 Affiche Africolor 2005

19

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Ce sont finalement les festivals qui panachent l’une et l’autre des catégories qui sont les plus

nombreux (44%). Est-ce là une façon d’amener le public vers les musiques traditionnelles du

Monde, réputées plus difficiles d’accès, via la World Music ?

Si l’on recoupe les différentes informations, on s’aperçoit que les festivals les plus nombreux

sont, sans surprise, les festivals à vocation universaliste avec une programmation mixte.

La période de l’année durant laquelle se déroulent les festivals est également révélatrice

de divergences. En classant les festivals selon qu’ils ont lieu en été ou lors d’une autre saison,

on constate que plus des deux-tiers des festivals se déroulent en été (juin, juillet, août) ; la

période la moins couverte étant l’hiver et le mois de décembre plus particulièrement, avec

seulement deux manifestations dont le fameux Africolor. Il semble, à juste titre, que le choix

de la période du festival et du type d’organisation soit en lien. Entre diffusion classique en

salle et en plein-air, les festivals estivaux, majoritaires, privilégient les spectacles en plein-air.

Dès lors, est-ce la volonté de produire des spectacles en plein air ou celle de profiter de l’été

qui renforce la concentration des festivals sur la saison estivale ? Nous verrons que le choix

de la période peut dépendre de tout autre facteur.

D’autres types de différences apparaissent telle que la possibilité pour les festivals de

programmer ou non des activités périphériques afin d’agrémenter le concert par d’autres

découvertes, telles que expositions, ateliers de pratique artistique, conférences, projections de

films… Cette démarche pédagogique complémentaire est plus ou moins plébiscitée par les

différents festivals, certains la jugeant nécessaire comme travail de sensibilisation des publics,

c’est le cas notamment des Suds à Arles ; d’autres préférant la « pédagogie par la magie du

spectacle, l’émotion qui touche et véhicule des envies »16.

La nomenclature ainsi définie s’articule autour de ces questions :

Le festival est-il généraliste ou thématique ?

A-t-il une programmation plutôt traditionnelle, World, ou mixte ?

A quelle période se déroule-t-il ? Et quelle type d’organisation a-t-il (salle, plein-air) ?

Si cette typologie peut permettre une première identification des spécificités des

festivals de musiques du monde, il paraît intéressant d’aller plus loin en les classant suivant

leur niveau d’implication.

16 Entretien festival Les Orientales

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Ainsi on peut distinguer deux grandes catégories :

- Les festivals de musiques du monde ayant une programmation large pour présenter

plusieurs cultures et répondre aux attentes du public. Avec un caractère d’« opportunisme »,

ils sont dans l’actualité et profitent des tournées pour programmer un volant d’artistes en vue

à ce moment-là, qui vont attirer du public.

- Les festivals tenus à bout de bras par des indépendants associatifs passionnés qui se

sont battus avec leurs financeurs.

Mais il ne faut pas s’arrêter à cette première catégorisation, certains festivals pouvant faire

partie des deux catégories. On peut l’affiner par contre en prenant en compte leur

positionnement spécifique suivant leur rapport au public, leur démarche de programmation ou

leurs relations avec les artistes… On retrouve alors les catégories suivantes :

- Les festivals pionniers, comme Musiques Métisses à Angoulème, Africolor en Seine

Saint-Denis, ou encore Les Rencontres de Saint Chartier dans le Berry.

- Les festivals découvreurs dont le principe est d’aller sur place à la recherche de

nouvelles formes artistiques. C’est le cas notamment du Festival de l’Imaginaire de la MCM

qui se définit lui-même comme un « défricheur d’artistes professionnels méconnus en

Europe »17.

- Les festivals socioculturels qui ne font pas seulement de la programmation mais ont un

impact culturel et social à l’année sur les publics, et s’intéressent au devenir des populations

immigrées et à l’insertion. On note par exemple le Festival Des Hauts de Garonne à

Bordeaux, Les Suds à Arles ou Métissons à Marseille.

- Les festivals thématiques  dont le seul représentant s’avère être Les Orientales à St-

Florent-le-Vieil. Il est en effet le seul festival à proposer ce type de programmation, et à

revendiquer son caractère intimiste.

- Les festivals d’été qui ont une vocation d’animation touristique mais développent

également une assise sociale importante. C’est le cas du festival Les Escales à St Nazaire qui

effectue un réel travail avec les associations, de chercheur et de suivi par le label qu’ils ont

créé.

17 Entretien Festival de l’Imaginaire.

21

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Comme l’indique M. Bensignor, « les gens ne viennent pas forcément pour la programmation

mais pour l’ambiance car ils savent que les spectacles proposés seront de qualité »18.

- Les festivals expérimentaux. Les 38ème Rugissants à Grenoble en fait partie et est

intéressant pour ses prises de risque artistique par les créations et le rapprochement qu’il

encourage entre les musiques du monde et contemporaines.

- Les festivals de coopération internationale qui engagent une action parallèle à la

programmation, en développant des partenariats de long terme avec des structures des pays

extra-européens. Nuit Métis à Marseille, par exemple, a poursuivi cette démarche exemplaire

de partenariat de coopération internationale, surtout dans le contexte actuel de la fermeture

des frontières. Il est l’exemple à suivre pour la fidélité de ses échanges inter-méditerranéens

avec la Guinée (Ba Cissoko) et l’Algérie.

- Les festivals «   supermarchés   » tel que le Festival Rio Loco, piloté par la Mairie de

Toulouse, et dont l’ambition première est la promotion touristique de la Ville.

Ainsi, dans l’étude de cas qui suit, nous avons essayé de prendre en compte un ensemble de

cas de figure qui soient révélateurs des différentes échelles et positionnements existants dans

le panel des festivals de musiques du monde.

L’animation : entre foires et agences événementielles

Les cultures du monde, comme nous l’avons vu, forment un champ d’expression très

vaste, extrêmement abordé. M. Bensignor me faisait justement remarquer qu’il y a « quelque

chose à indiquer et qui prend un essor vraiment intéressant : c’est ce qui se passe chaque

année à la Foire de Paris avec la programmation Tropiques Musiques sur les territoires

d’Outre-Mer. ». Se limiter à l’angle culturel livrerait donc une vision trop réductrice. C’est

pourquoi il nous paraît important d’élargir notre propos en prenant en compte le

développement d’une approche plus commerciale, d’animation que l’on retrouve tant dans les

foires internationales que dans les soirées thématiques organisées par des agences

spécialisées.

Les foires internationales18 Entretien Centre d’Information sur les Musiques Traditionnelles.

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Les foires et salons sont des attractivités qui fascinent l'humanité depuis l'antiquité avec

les premières expositions du monde comme celles des phéniciens où ils ont exposé leurs

produits et marchandises dans leurs villes comme Byblos, Tyr, Sidon au Liban et Ougarit en

Syrie. Par la suite dans les colonies d’outre-mer ou en Europe sur les navires quand ils

traversaient la mer méditerranéenne pour échanger avec les peuples étrusques, grecs, romains,

celtes en passant par le moyen-âge, et ce, jusqu'aux salons internationaux actuels en

Allemagne, en France, Grande-Bretagne, Italie, Etats-Unis, Canada, Chine, Hong Kong et

Sydney, etc.

Les expositions et les salons internationaux montrent ce qu'un pays a pu donner au monde à

travers ses entreprises et ses sociétés comme nouveautés et innovations. Mais aujourd'hui les

expositions et salons ont évolué vers un niveau mondial et international. Car la participation

des sociétés et des entreprises, des exposants et des visiteurs professionnels de tous les pays

du monde y est très forte. Durant les salons, il semblerait que la communication entre les

individus ait pris une autre dimension : de la conception traditionnelle de l'inconnu ou « de

l'étranger », on passe à celle de « l'ami » ou de l'éventuel « client-partenaire ». C’est un climat

psychologique de proximité et de dialogue qui se dégage. L’événement semble générer « une

culture du salon ». Les foires, les expositions et les salons se revendiquent comme des

événements humains au niveau mondial par excellence, ils sont les points de rencontre de

tous, sans frontière politique, culturelle et raciale. La communication devient une

« spontanéité professionnelle »...

L’engouement pour les cultures du monde se reflète donc aussi dans le milieu des

produits et des affaires. L’offre des artisans et artistes du monde entier fascine de plus en plus

les visiteurs. Il s’avère que les halls ou pavillons qui sont dédiés aux nations étrangères sont

parmi les plus attractifs des manifestations. Et les enquêtes-visiteurs effectuées lors des foires

indiquent que cela est un des vecteurs de communication les plus porteurs.

Ainsi, ce sont 23 foires internationales qui sont organisées chaque année dans les grandes

villes de l’Hexagone, et 18 d’entre elles ont déjà un pôle dédié aux nations du monde. Leur

objectif : diversifier la provenance de leurs exposants et enrichir leur offre internationale.

Parmi elles, on remarque bien sûr la Foire de Paris qui d’année en année développe son pôle

« Ici et Ailleurs », avec notamment en 2006 la première édition d’un festival, le Festival de la

culture du Monde Arabe, créé à l’initiative de la Princesse Héritière du Koweit.

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Ceci est la preuve de l’importance de cet aspect culturel fort dans le bon déroulement du

commerce international. D’autres foires sont également connues pour leur dynamisme en

matière d’international, à savoir la Foire de Caen, elle-même concepteur de thème, ou encore

la Foire de Bourges ou de Montpellier.

La question qui se pose maintenant est la méthode de conception de ces pôles, et la

façon dont les organisateurs programment les artistes présents.

Depuis quelques années, de grandes foires internationales françaises font appel au réseau pour

les aider à développer et améliorer leur offre internationale. Six d’entre elles sont notamment

membres du réseau Promosalons, c’est le cas de la Foire de Paris, de celle de Bordeaux ou

encore de Lyon. D’autres font partie de la Fédération Foires et salons, comme la Foire de

Bourges.

Le travail effectué par les organisateurs de foires relève de méthodes marketing, telles que la

recherche de visiteurs, la recherche d’exposants, le lobbying et la veille marketing. La

démarche consiste à définir avec la foire concernée le ou les pays qui sont à la fois porteurs

de « l’exotisme » recherché pour leurs visiteurs, mais qui sont aussi susceptibles de présenter

des produits ou des services originaux. Leurs recherches s’effectuent souvent en adéquation

avec la stratégie de la foire qui peut être de quatre ordres :

- Augmenter le nombre d’exposants étrangers

- Améliorer le niveau des produits présentés

- Diversifier l’offre et apporter des produits d’artisanat et de gastronomie différents

- Développer la notion de pays à l’honneur avec une présentation du pays plus

complète.

Par ailleurs, on distingue des structures et appellations différentes suivant les foires :

- Pavillons thématiques . On notera par exemple l’expérience de la Foire de Paris qui

dédie un pôle entier, intitulé « Ici et Ailleurs », à tous les patrimoines de France et du monde.

Ce sont près de 1000 exposants (soit 38% du total des exposants), sur 40 500 m² d’exposition,

répartis sur 4 halls différents.

- Pays à l’honneur . C’est le cas notamment de la Foire de Bourges qui propose en 2006

la découverte de l’Orient en général, et du Liban en particulier à travers un village-décor avec

marché aux épices et boutiques s’inspirant d’un souk traditionnel.

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- Artisanat du monde . On citera la Foire de Nantes qui a consacré cette année un hall

entier au Village du Monde, réunissant 22 pays et présentant des objets de décoration

typiques.

On constate bien dans ces différents cas, la distinction dans la stratégie développée mais aussi

les domaines de prédilection, liés à l’aspect commercial de l’événement, qui ne sont autres

que l’artisanat, la gastronomie et le tourisme.

La particularité de la Foire de Paris réside dans le développement à l’extrême de sa stratégie, à

savoir qu’au delà d’une simple mobilisation des entreprises, la présence de représentants

institutionnels du pays sur la foire, comme la Princesse Héritière du Koweit, lui permet de

dépasser la seule dimension commerciale. Si le cas de la Foire de Paris est bien particulier,

ayant elle-même initié son propre festival. La plupart des foires ne sont pas des festivals à

proprement parlé. En effet, il n’y a pas vraiment de programmateurs car ils n’ont pas les

mêmes moyens qu’un festival, et ce sont aussi beaucoup des artistes qui résident en France.

Le choix de ces derniers se fait principalement d’après des catalogues. Dans ce cadre, les

« programmateurs », n’ayant pas d’expertise artistique, s’intéressent d’abord au nom, à la

renommée d’artistes en vue, à l’actualité du moment. Ce qui importe c’est l’apparence et la

capacité de ces artistes à déplacer les foules ; la qualité artistique est alors reléguée au dernier

plan. C’est l’« exotisme » recherché par les visiteurs qui prime…

Au niveau fréquentation, les foires internationales naviguent dans une autre dimension

que les festivals à vocation culturelle. Sur les 18 foires recensées en France, le nombre de

visiteurs oscille entre 200 000 et 610 000, avec une moyenne de 300 000 ne prenant pas en

compte la Foire de Paris, hors normes. Même si ce chiffre est à relativiser, compte tenu d’une

offre qui ne se limite pas aux cultures du monde, il n’en reste pas moins que leur attractivité

procure un champ de diffusion non négligeable aux expressions et artisanats du monde,

posant la question de la manière d’attirer un aussi grand nombre de personnes. Comme nous

l’avons vu plus haut, la réponse semble venir de la l’approche marketing développée par les

organisateurs de foires. Toutes les actions mises en œuvre participent d’une volonté de

communication de masse et de démarchage du public. Elles sont les suivantes :

- Marketing direct par la constitution de fichiers, les mailings et relances téléphoniques

- Relations publiques par l’organisation de conférences et la prise de contact avec les

institutionnels, associations et leaders d’opinion

- Relations presse

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- Actions complémentaires comme la conception de pack-voyage, pré-enregistrement et

enquêtes de satisfaction.

Si tout ce travail est réalisé dans un intérêt commercial et touristique, on sent néanmoins

une montée en puissance des cultures du monde comme pied d’appel. Et comme le dit M.

Bensignor : « Tout ça participe d’un brassage, d’une volonté de circulation et de partage, de

mise en relation qui est aussi intéressante. ». De plus, les foires internationales ont cet

avantage d’attirer un public de masse, familial et éclectique dans les milieux

socioprofessionnels représentés.

Les agences d’animation événementielle spécialisées «   musiques du Monde   »

Lancées au cours des années 80 par des professionnels du monde du spectacle et de la

communication, les agences événementielles seraient passées de 25 en 1986 à 150 en 1996.

L’animation de soirées est l’une des missions dont elles se chargent. S’il y a actuellement

nombre d’agences sur le marché de l’événementiel, paradoxalement, très peu d’entre elles

travaillent sur le créneau « musiques du monde », du moins en France. Comme nous

l’indique, Vadim Toropoff, l’agence Neovent est la seule sur ce créneau et il y a une bonne

raison pour cela, c’est que « c’est un marché de niche où il faut être hyper compétent dans le

domaine »19. D’autres agences évoluent dans ce domaine mais la plupart ne s’attachent pas

exclusivement à ce concept, ce sont par exemple des agences comme Artemia, Lukas

Prestations, Caramba Spectacles ou encore Sanza. Les musiques du monde ne représentent

qu’une infime partie de leur catalogue.

L’objectif ici est, le temps d’un événement, de faire rêver les gens tout en gardant l’essentiel,

la fête. Si cette mission se rapproche de notions partagées par les organisateurs d’événements

culturels, il ne faut pas perdre de vue pour autant, que dans ce cas l’événement est conçu en

fonction d’une demande, une démarche opposée à celle du milieu culturel.

De plus, le statut même d’une agence événementielle définit sa relation au « public » et

aux artistes : c’est une SARL, une entreprise commerciale, créée pour faire du profit.

L’agence n’est autre qu’une entreprise qui vend des prestations événementielles à des clients.

19 Entretien agence Néovent.

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De là, M. Toropoff résume très bien l’attitude du prestataire vis à vis de son commanditaire :

« on doit être créatif et s’adapter aux demandes de l’entreprise, quoiqu’elle demande on peut

le faire, y’a aucune barrière, rien n’est impossible… ».

C’est ainsi que se développent de plus en plus d’activités tenant compte des exigences du

client et de l’évolution du marché. Mais, d’abord, le commanditaire, qui est-il ? On remarque

déjà une différence de dénomination : de public, spectateur, visiteur, on passe au terme de

client. C’est une relation avant tout commerciale qui s’instaure, et la cible visée se déplace du

particulier vers des sphères plus importantes. Comme l’avoue M. Toropoff, à la création de

son agence, il ne répondait plus tellement à des demandes de particuliers, mais plutôt à celles

de mairies. Aujourd’hui, l’étendue des clients potentiels va du simple particulier jusqu’à la

grande entreprise, en passant par les comités d’entreprise et même d’autres agences

événementielles. Révélateurs d’une demande exponentielle, les résultats de cette agence

spécialisée sont éloquents : elle « multiplie son chiffre d’affaires par deux chaque année, mais

sûrement pas par le festival qui a lieu chaque année, mais par le travail de démarchage et de

prospection commerciale. » Le Festival n’est plus qu’une activité d’image, une vitrine.

Anniversaire, mariage, séminaire, événement de lancement, vœux du Maire, fêtes de fin

d’année, jeux de groupes, autant d’occasions d’avoir recours à une agence événementielle qui

apporte créativité et compétences.

Dès lors, si les musiques du monde attirent, il s’avère que la démarche d’une agence

événementielle apporte un plus qui bénéficie financièrement à l’entreprise : une nouvelle fois

cette démarche marketing déjà mentionnée plus haut, et également une spécificité propre à

l’animation événementielle, le « produit » clé en main. Si avant les agences vendaient plus des

artistes, elles sont passées de plus en plus à de l’activité clé en main ou sur mesure en vendant

la salle, le traiteur, la musique mais aussi les artistes. C’est ce qu’explique le dirigeant de

Neovent : « en fonction de la demande client, on s’adapte et on essaye d’offrir une réponse

qui mélange une belle salle adaptée, avec un bon menu traiteur et des artistes qui soient

adaptés au milieu de l’événementiel, c’est à dire originaux, ludiques, sympas ». Et c’est

justement ce que demandent les entreprises : donner à leurs salariés, clients, l’occasion d’une

fête dépaysante et fédératrice.

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Mais dans tout ça, on a l’impression d’un grand oublié : l’artistique. Comme c’est le cas

pour les foires internationales, le choix des artistes s’effectue à partir d’un catalogue, et ceux-

ci, sans surprise, résident majoritairement en France, surtout à Paris pour les prestations

parisiennes. Se pose alors la question de la qualité artistique des artistes proposés. Néanmoins,

il s’avère que dans un marché de niche comme celui des musiques du monde « il faut avoir

baigné dedans pour maîtriser les artistes »20. Il peut y avoir une vraie barrière à l’entrée dans

la gestion des artistes, qui n’ont pas les mêmes conceptions que nous, occidentaux.

L’avantage, comme la nécessité, est alors de connaître ces milieux et d’avoir un réseau de

relations. L’effet « boule de neige » permet par la suite de construire un vrai réseau et donc un

catalogue. Le seul bémol est que ce catalogue, une fois constitué, n’évolue guère, à part lors

d’une demande bien spécifique.

On note bien que la priorité n’est plus à l’artistique, notamment à travers la répartition des

tâches au sein d’une équipe. Par exemple, l’agence Neovent emploie quatre personnes ayant

en charge les activités suivantes :

- Prospection commerciale vers les agences et entreprises

- Conception supports de communication, marketing

- Relations Entreprises

- Relations Collectivités locales et agences

On ne perd plus de temps en recherche de nouveaux artistes, l’activité est centralisée autour

de la prospection client…

Une nouvelle entrée possible : le tourisme équitable

Aujourd'hui, il y a au niveau international une réelle prise de conscience éthique dans

les relations Nord/Sud. Mais le mouvement date depuis plus longtemps, notamment à travers

le développement du Commerce Equitable. Celui-ci est apparu à la fin du XIXème siècle et

s'est développé dans les années 1960, à partir du constat que l'échange entre les pays du Nord

et les pays du Sud était foncièrement injuste. Dès lors, un groupe d'associations non

gouvernementales sans cesse plus large s'est attaché à en définir les fondements et à en

diffuser le concept afin d'améliorer les termes de l'échange. L'objectif est de soutenir les

efforts des partenaires qui, dans les pays du Sud, luttent pour l'amélioration du niveau de vie

20 Entretien agence Néovent.

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et des termes de l'échange, et ce, au moyen de la coopération, de la production et du

commerce. Depuis, nombres d’acteurs imaginent comment l'appliquer au marché du tourisme

et même à la culture. De multiples initiatives ont été lancées employant des terminologies

comme « solidaire », « durable », « équitable », etc. Or, le tourisme comme la culture sont un

ensemble de services et de biens immatériels et impalpables, et non pas des produits tangibles.

Dès lors, comment transposer « équitablement » cette notion à ces deux secteurs, pour mener

des actions de qualité ?

En ce qui concerne le tourisme équitable, le credo pourrait être le suivant : « La

rencontre et l’homme sont au cœur du voyage »21. C’est un concept complexe qui, d’après la

présidente de l’association Etoile Indigo, force à « oublier tout ce qu’on croit savoir ». Dans

tous les cas, ce système permettrait une répartition juste et équitable des flux touristiques, des

recettes du tourisme entre tous les acteurs du marché, tout en minimisant l'impact du tourisme

sur les populations d'accueil et leur environnement. Dans ce but, l’association Etoile Indigo

cherche à promouvoir le voyage au Niger par l’intermédiaire de l’agence de voyage locale

Sahara Bleu. Les nigériens, eux, organisent, accueillent et décident de projets qu’ils

souhaitent développer. Ils sont alors acteurs. Car une grosse différence entre l’humanitaire et

l’équitable, c’est que d’assisté, le bénéficiaire devient partenaire, et que d’un travail dans

l’urgence, on passe à une activité sur le long terme, le durable. Des projets naissent qui

consistent à aider notamment un groupe de musiciens à se faire connaître par l’organisation

d’une tournée, et l’achat d’instruments. Il y a déjà dans ce type de projet une notion de culture

mais le concept de « culture équitable » n’a été lancé que récemment.

C’est « Desert rebel », une rencontre entre des musiciens du "Nord" et d’autres du

"Sud", qui lance le concept de « culture équitable ». On note le même constat de base, selon

lequel il y a énormément de richesses liées à la culture dans le monde mais que cet argent se

retrouve quasiment toujours au même endroit, c’est-à-dire dans les pays du Nord. L’idée de

Farid Merabet et François Bergeron, initiateurs de ce projet, est alors d’adapter l’équitable à la

culture, d’établir une charte de fonctionnement et de faire en sorte qu’il y ait un retour

financier pour tous les acteurs du projet. De nombreux musiciens ont ainsi participé à ce

travail collectif (Guizmo du groupe Tryo, Daniel Jamet, ex-guitariste de la Mano Negra

21 Entretien association Etoile Indigo.

29

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actuellement avec Mano Solo, Amazigh Kateb de Gnawa Diffusion, Abdallah Ag

Oumbadougou, guitariste de la rébellion touareg, et Imothep d’IAM). 

Mais cette idée d’équité, de développement durable, si elle n’avait pas encore été

réellement mise au jour, était néanmoins sous-tendue dans de nombreuses manifestations qui

sans le revendiquer l’appliquaient déjà. Et ce, soit en donnant une juste rémunération des

prestations et des prestataires, sans intermédiaire, soit en développant un échange ou

partenariat durable avec des associations ou communautés locales pour la mise en place de

projets. Par exemple, le Festival TransMéditerranée, né en 1988, conçoit l’« être solidaire »

comme la construction de « solidarités à partir d'actions de terrain et de projets petits et

grands définis entre associations et ONG partageant les mêmes valeurs d'émancipation

humaine individuelle et collective et de respect de la dignité et de la souveraineté des

peuples ». Dans ce cadre, avec différents partenaires français, méditerranéens et autres, le

FTM impulse et participe à de multiples projets d'échanges culturels et humains en

Méditerranée avec notamment l'organisation de séjours solidaires. Le Festival Teranga, lui,

initie des échanges entre artistes de pratiques et de cultures différentes, générateurs de

création, d'initiatives, de lien social et citoyen. Enfin, Musiques Vivantes, le festival du CMT

de Ris Orangis, s’inscrit également dans une démarche de « musique équitable », concept sur

lequel ils ont communiqué lors de la dernière édition mais qu’ils défendent depuis de

nombreuses années. Celui-ci consiste à « prôner l’égale dignité de tous les répertoires et la

diversité culturelle, à respecter scrupuleusement le droit du travail dans un secteur marqué

par la précarité d’engagement des artistes, et à poser des rapports de collaboration et de

convivialité vis à vis des artistes et des publics »22. Pour eux, il faut donner les moyens aux

artistes de s’insérer dans un circuit, d’être autonomes, et cela touche à la notion de

développement durable.

Comme le dit M. Bensignor, du CIMT, ce sont des choses qui ne s’évaluent pas à court

terme. Et cela peut être bien fait si c’est sincère. C’est le cas notamment d’un autre festival

pionnier comme Nuit Métis dont c’est le principe même, mais qui ne l’affiche pas. Pour eux,

cela a commencé dans les années 90 avec l’échange entre la Guinée et Marseille.

22 Entretien avec Pascale DAURIAC et Jean-Patrick HÉLARD, Paris, 9 mars 2006.

30

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Une première résidence a été mise en place à Nuits Métis pour Ba Cissoko en 1995, et c’est ce

qui l’a lancé. Mais cela a demandé dix ans de développement.

On voit de plus en plus émerger des manifestations qui associent musiques du monde et

commerce, tourisme équitable. Mais, si ces notions sont « tendances » et séduisantes, il faut

« faire la distinction entre les festivals qui affichent une volonté mais finalement produisent

peu, et ceux qui ne s’affichent pas mais font le boulot, ce travail artistique et social ».

La mission de l’organisateur n’est plus seulement celle de programmateur mais aussi de

promoteur du dialogue avec l’Autre et d’accueil de l’Autre, cela relève presque du

socioculturel, dont il ne faut pas avoir peur. Par contre, il ne faudrait pas en faire un objectif

prioritaire, car cela risquerait de prendre le pas sur la qualité artistique de la programmation.

Par ailleurs, d’autres écueils sont à éviter. Celui tout d’abord, comme le souligne M. Weber,

de l’appauvrissement, en ce sens que le musicien devient un faire-valoir et perd sa fonction

première. Ou celui de croire que l’expertise française puisse apporter une plus value au

développement d’artistes dans leur pays ; cette vision de « l’occidental conquérant »23 qui a

trop longtemps prévalu dans nos relations antérieures. Il faut pouvoir être un tremplin, un

détonateur pour ces artistes, mais leur laisser le soin, après, de saisir de cette opportunité.

1.2.2 Poids des festivals dans la diffusion des musiques du monde

Les festivals représentent un axe de diffusion très important dans le développement des

musiques du monde en France. Celles-ci ont en effet une bonne représentation dans ces

derniers, ce qui montre le poids de leur implication par rapport aux autres lieux de diffusion

tels que les salles de spectacles ou les médias. L’étude de Zone Franche24 révèle une

proportion de 31.89% de représentations de musiques du monde sur l’ensemble de la

diffusion, les festivals en proposant plus que les salles, 1106 contre 762 par an. Les musiques

du monde sont au final le « premier genre musical dans les petites salles et les festivals ». Ces

dernières sont donc plutôt bien diffusées en France, même s’il s’avère que les grandes salles

leur préfèrent encore le rock, le rap ou la variété (44.47% contre 26.38%).

23 Entretien Festival de l’Imaginaire.24 Le poids des musiques du monde en France, dans le spectacle vivant et l'industrie du disque, Zone Franche, avril 2002.

31

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On constate une vraie reconnaissance du public pour ce genre de musique, les festivals

tenant une place privilégiée, un rôle clef dans leur diffusion.

En effet, ce grand intérêt est confirmé par une fréquentation des spectacles de musiques du

monde plus élevée que pour l’ensemble des musiques actuelles : 785 personnes en moyenne

contre 717 spectateurs. Ainsi, on peut en déduire que les représentations musiques du monde

attirent près de 50% des spectateurs, tous spectacles confondus.

En définitive, la part des musiques du monde est relativement significative dans l’ensemble de

la programmation et elle jouit d’une certaine faveur auprès du public. Elles sont très bien

diffusées dans les petits lieux proches du public et au premier rang dans les festivals.

Si ces données confirment l’existence d’une vague porteuse pour ce type de musique,

l’implication économique qui en ressort n’est pas non plus à négliger. On constate ainsi que

38% du budget général des 460 festivals interrogés est consacré aux musiques du monde, ce

qui représente un investissement de près de 13 719 512 €. Mais ce qui reste le plus intéressant

c’est le dynamisme en termes d’emplois que génère le développement de ces musiques.

D’après des résultats du Centre d’information des musiques traditionnelles (CIMT), les

festivals représentent aujourd’hui l’un des premiers gisements d’emploi pour les métiers du

spectacle : à peu près 26 000 cachets d’intermittents du spectacle (artistes et techniciens) ont

été payés et 630 emplois d’administration et de promotion créés. Les festivals de musiques du

monde sont ainsi devenus une source importante d’emploi pour les techniciens intermittents.

Les 630 autres emplois représentent eux-aussi un chiffre conséquent. Mais comme nous le

verrons plus loin, ces chiffres sont à relativiser car ils cachent une réalité plus dure.

Les questions qui se posent sont les suivantes : Vont-elles continuer à toucher de plus en

plus de public par ce seul axe de diffusion ? Et pourront-elles vraiment atteindre le « grand

public » si les médias nationaux et la diffusion de masse continuent à les ignorer ?

32

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1.2.3 Synthèse des études : les difficultés d’un milieu

Nous avons pu, grâce à la lecture d’études25 réalisées par des professionnels des

musiques du monde, établir un constat sur la réalité du secteur, et en particulier sur les

difficultés auxquelles sont confrontés la plupart des organisateurs de festivals.

Données type d’un festival de musiques du monde

Emploi : 2 temps plein et 3 temps partiel

Le recours à l’intermittence est flagrant mais il est aussi typique du genre « festival » qui n’a

pas nécessité à entretenir une équipe technique permanente.

Spectacles : 31 représentations par festival et 16 spectacles étrangers en moyenne

Plateau artistique et technique : 120 artistes du monde en moyenne et environ 12 techniciens

Fréquentation : 22 260 spectateurs par an en moyenne avec un prix moyen de 10€

Budget moyen : 430 813€ dont le plus faible s’élevait à 2 134€ et le plus élevé à 3 810 975€

Si le fonctionnement représente environ 9% du budget global, c’est sans surprise le

plateau artistique qui occupe la première place avec 43,7%, le plateau technique arrivant en

deuxième position, loin derrière, avec 18,5%. Côté recettes, la billetterie (26,6 %) s’en sort

plutôt bien, mais ce sont néanmoins les subventions qui assurent la viabilité du projet. L’Etat

arrive en tête avec 43,8 % des subventions et 25 % du financement total, mais on remarque

aussi l’énorme investissement des municipalités (41,3 % des subventions et 23,6 % du total).

L’intervention des autres collectivités territoriales est limité (4,8 %  du total). Ce sont les

Conseils régionaux qui apparaissent les plus généreux.  Par contre, on note une participation

très faible des organismes professionnels et autre sociétés civiles (4.8%), ce qui vient peut-

être de l’absence trop fréquente de chargés de production et de leurs compétences en matière

de recherches de fonds.

En ce qui concerne le type d’installation employé, le plein air n’est pas majoritaire (58%),

alors que c’était encore la règle il y a quinze ans. L’équipement des festivals s’est donc

amélioré. Par contre, l’installation de type provisoire (plein air + chapiteau) est

l’infrastructure la plus courante et les festivals utilisent des combinaisons de lieux très variées.

25 Etude sur les festivals et créations de musiques et danses traditionnelles, CIMT, septembre 1999 et Evaluation du poids des musiques du monde en France, Zone Franche, Juin 1999.

33

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Enfin, les activités périphériques sont la règle puisque les trois quarts des festivals étudiés

offrent au public l’occasion de profiter d’une exposition. De même pour les animations de

rues ou autres (environ 70%) et l’enseignement qui occupent une place importante.

Si une grande majorité des festivals de musiques du monde ont réussi à trouver leur

public, leur situation reste pourtant critique, et leur pérennisation en question. En effet, de

nombreuses difficultés viennent enrayer une dynamique artistique, qui sans un support

organisationnel et financier stable ne peut se développer.

Ainsi, il s’avère que l’économie des festivals est souvent fragile et repose en partie sur du

bénévolat. Le manque cruel de moyens contraint à un faible nombre de permanents et le

recours aux emplois précaires, et ce même dans les événements de grande taille. Leurs

équipes ne parviennent pas toujours à dégager les financements nécessaires pour se

professionnaliser et disposer d’un environnement efficace. Les budgets allant d’abord à

l’artistique et au technique, la carence en encadrement administratif (administrateur, chargé de

production, relations publiques) est alors fréquente, ce qui peut peser sur leur avenir. En effet,

le fait de faire appel à des stagiaires, différents chaque année, ne permet pas à la structure de

bénéficier d’un cadre stable et professionnel.

Par ailleurs, on constate un manque de reconnaissance des pouvoirs publics. Et quand les

subventions sont finalement accordées, elles arrivent souvent avec beaucoup de retard,

mettant en péril le financement de l’édition suivante. Au-delà des besoins financiers, c’est

d’une reconnaissance artistique dont il est question, auprès des institutions mais surtout auprès

des médias, notamment nationaux.

Des différences semblent apparaître entre les responsables de festivals concernant le travail

avec les producteurs d’artistes du monde. En effet, si certains comme Marie-José Justamond

privilégient le travail avec les producteurs et s’en remettent totalement à eux ; d’autres

semblent souffrir de l’effet d’écran provoqué par leur intervention et souhaiteraient entrer

directement en contact avec les artistes, et par conséquent, augmenter le recours au contrat

d’engagement. Mais là, apparaît à nouveau un des problèmes récurrents du milieu à savoir la

complexité des démarches administratives, considérée comme responsable de l’utilisation

massive des contrats de vente.

34

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1.3 Des problématiques spécifiques

1.3.1 D’un contexte à l’autre

Beaucoup de festivals programmant des musiques traditionnelles revendiquent

l’authenticité des musiques présentées. Or, cette notion ravive constamment de vrais débats

quant à la transposition sur scène d’une musique traditionnelle. Comme chacun le sait, les

musiques traditionnelles du monde sont des « musiques de circonstance, d’usage,

d’occasion »26. Elles sont liées à un contexte particulier et ont une fonction bien définie, en

dehors de laquelle elles n’existent pas. En occident, notre rapport à la musique est différent

puisque l’écoute de la musique se fait dans le contexte de concerts. Notre habitude est

l’écoute, à la recherche d’émotions musicales.

Dès lors, l’enjeu principal d’un festival qui souhaite faire découvrir cette forme de

musique est de « transformer une musique fonctionnelle en un spectacle » 27. Or tout

changement de contexte, s’il est réalisé dans l’idée de respect et de loyauté vis à vis des

cultures explorées, induit une réflexion quant au dispositif de présentation. Celle-ci révèle des

problèmes de maniabilité tels que le déplacement sur une scène, le décalage de temporalité ou

le rapport à un autre public. Ainsi, se poseront les questions de sonorisation suivant la taille de

la salle d’accueil, de scénographie, de durée du spectacle, ce qui induit des choix artistiques

qui risquent parfois de dénaturer complètement les choses. De même, le rapport au public est

complètement chamboulé : le simple usage des applaudissements ou des rappels paraît

déroutant pour les artistes comme pour le public qui hésite à faire intrusion dans une

communion à laquelle il adhère mais dont il se sent étranger…

Avec le temps, et l’expérience, chaque structure culturelle accueillant des cultures du monde a

développé une pratique, des principes qui définissent finalement son positionnement par

rapport aux autres. Par exemple, on notera la démarche du Festival de l’Imaginaire qui

effectue un gros travail de prospection et de réflexion avant de programmer un spectacle.

26 DICALE (Bertrand), « A la scène, la tradition », dans Les musiques du monde en question, p. 149.27 DICALE (Bertrand), « A la scène, la tradition », dans Les musiques du monde en question, p. 150.

35

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En témoignent les explications de Mme Pélissier, administratrice de la MCM : « on pourrait

se faire aider par le réseau, mais on préfère se déplacer pour voir les choses dans leur

contexte, voir ce que peut entraîner une décontextualisation, est-ce que ça va dénaturer les

choses ? Y’aura-t-il une perte de sens telle que cela justifie de ne pas le présenter  ? »28. C’est

cette sincérité et loyauté vis à vis des peuples et de leur culture, et vis à vis du public qui

fondent aujourd’hui le succès du festival, son label. Une réponse totalement différente à ce

problème de mise en scène, mais tout aussi appréciée du public, est celle du Festival

Musiques Vivantes, à savoir « laisser l’artiste aussi libre que possible dans la manière de se

présenter »29. Enfin une troisième voie possible est celle empruntée par Les Orientales où le

« bricolage »30 est de mise. En effet, avec pleins d’objets, l’objectif ici est de recréer une

atmosphère dans des lieux adaptés aux formes présentées, et comme le dit si bien M. Weber

« ce petit bricolage a son avantage car il crée une magie qui est quand même aussi celle

qu’on retrouve dans ces pays où tout est bricolé »31.

Ainsi, chaque structure défend une esthétique bien à elle, révélatrice des différents regards

que l’on peut porter sur l’Autre.

Le jeu de l’authenticité peut parfois être à double tranchant puisqu’à trop la chercher

certaines entreprises de découverte y perdent toute séduction. Ici, c’est la confrontation entre

une intention didactique et les attentes du public qui se manifeste. Jusqu’où aller entre le désir

d’éducation du public et cette recherche d’émotion de celui-ci ? Comme le souligne Bertrand

Dicale : « la performance de vulgarisation ethnographique étouffe le simple plaisir »32.

M. Weber l’a bien senti lorsqu’il énonce le fait que l’on veuille à tout prix lier « émotion et

connaissance », la connaissance pouvant être une « pure prise de tête »33. Des choix sont dès

lors nécessaires entre la diffusion de choses pointues moins accessibles à un public lambda et

celle de musiques festives plus abordables.

Par ailleurs, d’autres posent la question d’une définition de l’« authenticité »… Quelle forme

serait plus authentique qu’une autre ? Les responsables du CMT de Ris Orangis n’emploient

28 Entretien Festival de l’Imaginaire.29 Entretien CMT Ris Orangis.30 Entretien Festival Les Orientales. 31 Entretien Festival Les Orientales.32 BERNARD Laure, DUVIGNAUD Jean, KHAZNADAR Chérif (sous la direction de), Les musiques du monde en question, Internationale de l'Imaginaire numéro 11, Paris, Babel, 1999, p. 154.33 Entretien Festival Les Orientales.

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même pas ce terme et considèrent qu’« il n’y a pas d’échelle de valeur à avoir, chaque

festival ayant son positionnement et ses envies ».

L’authenticité, la vraie, relèverait du choix de « montrer des choses qui sont bien vivantes et

qui existent quelque part dans le monde »34. C’est également le discours que tient M. Weber :

« Défendre des traditions qui correspondent toujours à un environnement social, un rituel, à

la vie au quotidien, et qui n’ont pas encore basculé dans les musiques à orientation spectacle

où elles perdent leur sens initial pour devenir simplement une représentation d’une culture,

démarquées de leur contexte ».

L’ethnoscénologie, nouvelle discipline anthropologique née en 1995, à un moment où

l’on s’intéresse de plus en plus aux formes spectaculaires qui viennent des autres, est peut être

une réponse face à la non-prise en compte du caractère spécifique de ces expressions. « Etude

dans les différentes cultures, des pratiques et des comportements humains spectaculaires

organisés »35, elle est un moyen de repenser complètement les espaces de diffusion et de

remettre en question notre rapport à la scène. Entre conservatisme et fusion, entre crispation

sur l’identité et uniformisation, cette nouvelle discipline répond à une stratégie

d’accompagnement des rencontres, permettant ainsi de forger une méthode et des outils

adaptés.

Les réflexions de Bernard Lortat-Jacob sur ce que devrait être un espace dédié aux

expressions spectaculaires des cultures du monde apportent également des éléments de

réponse à ces interrogations formelles. Il imagine un espace modulable, dont la forme pourrait

être rapprochée au plus près des conditions habituelles de jeu des artistes ; où la position de

spectateurs serait ajustable en fonction du spectacle proposé. Il insiste également sur la

pluralité des angles de vue et sur la spécificité des dispositifs techniques à mettre en œuvre,

tant sur le plan de la sonorisation que de l’éclairage. Car comme le dit, M. Hélard du CMT de

Ris Orangis, « on ne sonorise pas des musiques traditionnelles comme du rock ou du rap, y

compris au niveau de l’équilibre sonore, de la qualité de l’acoustique, et de la prise de

l’instrument ». C’est extrêmement important car au bout du compte même si on a mis un soin

particulier à monter une programmation, c’est le technicien qui va faire que ça passe ou pas…

34 Entretien Festival de l’Imaginaire.35 Définition de Jean-Marie Pradier, Federica BERTELLI, « La perception ethnoscénologique », Les Périphériques, n°12.

37

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Enfin, M. Lortat-Jacob aborde la question du rapport entre spectacle et vie quotidienne en

évoquant la possibilité de proposer de la nourriture sur le lieu même de la représentation.

C’est d’ailleurs un aspect qui a été expérimenté au Festival Africolor où un repas préparé dans

le cadre d’un spectacle36 est partagé à la fin avec l’ensemble des spectateurs.

1.3.2 La circulation des artistes

Comme le souligne les responsables du réseau Zone Franche, « la circulation des

artistes est une des plus grosses difficultés du secteur »37. La fonction du spectacle vivant est

de provoquer la rencontre entre du public et des artistes. C’est ce rapport direct qui différencie

le spectacle vivant de l’industrie du disque ou de l’audiovisuel.

Cette problématique est d’autant plus vraie lorsqu’il s’agit d’artistes du monde qui

doivent franchir les distances pour venir à la rencontre du public, le secteur des musiques du

monde ayant pour vocation de pouvoir faire circuler ces artistes. Mais malgré la

mondialisation et l’ouverture des frontières, les pays européens et d’Amérique du Nord sont

devenus très frileux à l’égard des ressortissants des pays du Sud, craignant l’immigration

clandestine. Les démarches pour faire entrer des artistes sur le territoire sont désormais très

sélectives, et la vie artistique et culturelle pâtit directement de ces restrictions.

Malheureusement, plus l’engouement et la curiosité des publics pour les cultures du monde

s’accroît, moins ils ont la possibilité de « voir » les artistes qui en sont les représentants. Les

administrations chargées de faire respecter les lois concernant l’entrée et le séjour des

étrangers agissent selon des logiques et avec des sensibilités différentes selon les pays ; ainsi

aucuns problèmes n’interviennent pour la venue d’artistes des pays scandinaves, quand les

artistes du Sud (pays à risques) se voient refuser leur demande sans motif ni recours.

Dépendant fortement du contexte politique, un fait divers peut provoquer un rejet, tout comme

l’intervention d’un homme public peut ouvrir des portes. Il y a beaucoup d’aléatoire, et c’est

souvent au bon vouloir des consuls… Comme l’explique M. Hélard du CMT, « sur toutes les

dernières années, ce sont surtout les pays liés à l’immigration qui posaient le plus de

problèmes (Mali, Maroc, pays des Balkans). Il fallait l’aide de tous les partenaires pour

arriver à convaincre de l’intérêt de faire venir tel artiste, qui n’est pas forcément connu

internationalement. »

36 Alioune Ifra Ndiaye et Jean-Louis Sagot-Duvauroux , « Bougouniéré invite à dîner », Mains d’œuvres, 26 novembre 200537 Entretien Zone Franche.

38

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Il y a également un gros décalage entre l’administration et la réalité. Décalage, dans un

premier temps, par rapport au stade de développement administratif, et à la vision de ce qu’est

un artiste dans les autres pays du monde. Ainsi, il faut à la fois que les organisateurs

comprennent ce que l’Administration française attend d’eux, mais ce qui est plus compliqué

c’est de « faire comprendre à des gens qui sont à mille lieues de nos préoccupations, de nos

référents culturels, de notre rapport au temps, d’exigences qui sont tellement franco-

françaises »38. C’est le problème notamment de certains documents réclamés, comme des

contrats qui n’existent parfois même pas dans les pays d’où proviennent les artistes. D’autres

blocages existent au niveau de la Direction départementale du travail et de l’emploi (DDTE)

concernant des types de contrats qui ne sont pas considérés comme des contrats de travail, les

contrats d’enregistrement par exemple.

Dans un second temps, ce décalage se révèle par une non-reconnaissance de l’artiste comme

un « bien culturel ». Certains politiques pensent qu’un artiste plasticien par exemple n’a pas

forcément besoin d’être présent lors du montage de son exposition.

Autre cas, dans le cadre d’une tournée d’un groupe, celui-ci n’est pas considéré dans sa

globalité, chaque musicien est pris individuellement, ce qui fait que certains peuvent obtenir

leur visa, d’autres pas. Il n’y a alors pas de prise en compte du travail d’un groupe. On note

enfin certaines incohérences notamment concernant le paiement des cotisations sociales.

Beaucoup d’artistes ne remettront pas les pieds en France, c’est alors de l’argent versé auquel

eux ne prétendront pas…

Pour les organisateurs de festivals et de spectacles, c’est un véritable parcours du

combattant. Comme le dit Mme Pélissier, « ils ne font pas ça que pour la protection des

artistes mais également pour éviter que ces artistes prennent le travail d’artistes français. » Il

y a vraiment quelque chose de protectionniste, c’est contraignant et cela décourage bon

nombre de professionnels. En réponse, certains disent qu’« ils en viennent à essayer de limiter

au maximum les démarches administratives et font travailler des artistes qui sont déjà en

France », ce qui représente un grand danger pour la diversité culturelle, et une grosse perte

pour le public. De plus, beaucoup de structures préfèrent contourner la loi car « à force de

mettre des choses trop contraignantes en place, ça encourage les gens à ne pas se plier aux

38 Entretien Festival de l’Imaginaire.

39

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règles. »39…C’est le cas entre autres pour l’obtention de visas. Dans un cadre professionnel,

pour être dans la loi, il faut un visa professionnel pour lequel on a besoin d’une autorisation

de travail. Mais la réalité montre que beaucoup de gens, pour ne pas se compliquer la tâche,

passent par un système de visa familial avec une simple attestation d’hébergement. Le

problème qui se pose dans ces situations vient de ce qu’il n’y aucun contrôle des conditions

de travail, ce qui n’est pas à l’avantage des artistes.

D’autres programmateurs évitent tout simplement le problème par le biais des producteurs,

quand l’artiste désiré en a un. En effet, Les Suds à Arles ou le Festival des Villes des

Musiques du Monde considèrent, à juste titre, que c’est le métier d’un producteur de procéder

à toutes ces démarches administratives pour permettre à ses artistes d’être programmés. Les

organisateurs, dans ce cas, se voient comme le maillon d’une chaîne de professionnels

agissant pour le développement des musiques du monde. Le producteur est un de ces

maillons, incontournable pour la garantie d’un travail en toute sécurité.

Toutes ces difficultés liées à la circulation des artistes ont incité les professionnels,

dans le cadre du réseau des musiques du monde Zone Franche, à défendre en 1998 la mise en

place d’un visa spécifique, la carte des professions artistiques et culturelles (pour une durée

de - de 3 mois). Mais d’après des statistiques40, celle-ci n’aurait pas été tellement délivrée

depuis, on en dénombrerait seulement trois cents. Les professionnels ne pensent-ils pas à y

avoir recours ? Enfin, d’autres perspectives émergent notamment à travers la proposition par

le Ministère des affaires étrangères (MAE) de la mise en place d’une carte entrée-sortie. Cette

carte permettrait, dans le cadre de différentes tournées, de ne pas avoir à refaire de visa.

1.3.3 Paradoxe : entre engouement et non-reconnaissance

Si les cultures du monde rencontrent un engouement certain auprès du public, elles

subissent néanmoins en parallèle un manque de reconnaissance à la fois de la part des

institutions et des médias, d’où un problème de diffusion. En effet, la multiplication des

festivals et disques de musiques du monde n’est pas un hasard, c’est bien au contraire lié en

grande partie à une demande du public.

Les programmateurs de festivals ne sont pas forcément des découvreurs, et s’ils programment

des musiques du monde c’est parce qu’il y a une demande des publics, alors qu’en général 39 Entretien Festival de l’Imaginaire.40 Entretien Zone France.

40

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lorsque ils n’arrivent pas à rentabiliser leurs spectacles ils ont très vite fait d’évacuer un pan

de la programmation manifestement pas rentable. Comme le souligne M. Bensignor du CIMT,

la programmation de la Fête de la Musique à Paris cette année en est un très bon exemple :

« on remarque à quel point les musiques du monde sont présentes, c’est vraiment flagrant. »

Et ce partout, même sur les grandes scènes, avec par exemple Césaria Evora à Bastille,

l’Olympia avec la radio FIP… Les cultures du monde, mobilisant les foules, ont donc de

beaux jours devant elles.

Malheureusement, institutionnellement parlant, le secteur des musiques du monde reste

le parent pauvre dans la « hiérarchie » de la culture. On assiste à une non-légitimation de leur

poids culturel tant vis à vis des dotations de l’Etat que des subventions attribuées par les

sociétés civiles. Une anecdote évoquée par Marie-José Justamond montre bien l’ampleur du

phénomène : « Les subventions accordées aux musiques du monde correspondent au coût

d’entretien de l’Opéra Bastille. ». Et étonnamment, ces mêmes dotations de l’Etat

entretiennent malgré elles la faible diffusion de ces musiques. En effet, elles servent, entre

autres, à fonder l’exclusivité de certaines institutions. D’après les responsables du festival

Musiques Vivantes, le problème viendrait d’une « concurrence par rapport à de grosses

institutions qui surpayent les musiciens et introduisent en même temps une clause

d’exclusivité », empêchant ainsi les plus petits organisateurs d’engager les musiciens.

Par ailleurs, alors que les musiques du monde génèrent énormément de charges sociales, elles

bénéficient d’un très faible reversement. Et le cas de l’agence Neovent pour la production de

son festival Tsiganie est révélateur de ce problème : « On a toujours fait des demandes d’aide

pour les festivals et sortie des CDs, ça a toujours été un échec cuisant et patent. C’est

toujours des dossiers qui prennent des années et des années à faire mais qui ne valent pas le

coup : sur des budgets de 100 000€, 3000€ c’est peanuts. ». Il souligne ici la difficulté de

constitution de ces dossiers, ainsi que le manque de compétences et de personnels nécessaires

à leur élaboration. La question qui se pose est de savoir si cette faiblesse des subventions

versées par les sociétés civiles vient d’un manque d’encadrement administratif des structures

promouvant les cultures du Monde, ou si cela révèle un réel désintérêt de la part des sociétés

de perception des droits. Le cas du festival Musiques Vivantes peut apporter un semblant de

réponse. Dans leur cas, les sociétés professionnelles les ont toujours aidés.

41

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Ils expliquent cela par leur force de conviction, leur ligne artistique, aussi bien que par leur

manière équitable de gérer les relations avec les artistes. C’est relativement dû à une question

de conviction et de présentation des choses, comme le dit Mme Dauriac, « le travail de

réflexion mené au fur et à mesure des années nous a permis de nous positionner clairement et

de mieux préciser des choses qui se faisaient intuitivement ». Ils se sont professionnalisés en

terme de communication et ont ainsi bénéficié d’une couverture presse importante étant donné

le peu de moyens mis en place pour la communication.

Ce qui nous amène à un autre point, celui de la sous-médiatisation des musiques du

monde en France. Les musiques du monde n’ont toujours pas acquis un véritable droit de cité

dans la presse française. Les exceptions de Libération, d’Aden, du Figaroscope, de Mondomix

ne sont comme le dit Isabelle Montané que « des arbres qui ne sauraient cacher la forêt »41.

N’y a t’il pas de journalistes intéressés par le sujet ou suffisamment compétents pour en

parler ? Des journalistes compétents et passionnés existent mais comme le faisait remarquer

Philippe Krumm42, les musiques du monde constituent un genre neuf au regard d’autres

musiques. Ayant démarré doucement avec le mouvement folk des années 70, il n’y a pas

aujourd’hui assez de journalistes avec ces sensibilités.

De plus, le marché français a du mal à investir dans les médias. On peut se demander si le

nombre de pages consacrées aux musiques du monde dans tel ou tel support n’est pas lié à

celui des pages de publicité des maisons de disques… Cela pourrait venir du fait que les

interprètes des musiques du monde sont très souvent, du moins au début, inconnus du grand

public. Mais encore, il s’avère qu’elles demandent une capacité d’ouverture à l’inhabituel, à la

difficulté ; elles ne reposent pas sur les mêmes critères, et se retrouvent alors marginalisées.

Un effort supplémentaire de lisibilité, de persuasion est alors nécessaire de la part des

organisateurs pour développer leur diffusion. Il y a, par ailleurs, la nécessité d’arriver à faire

bouger les choses en interne par le dynamisme des réseaux. L’idée d’organiser des Victoires

des musiques du monde a ainsi été évoquée, le succès et les retombées des Découvertes RFI

Musiques du Monde étant encourageant.

41 MONTANE (Isabelle), dans Les musiques du monde en question, Internationale de l'Imaginaire numéro 11, Paris, Babel, 1999, p. 259.42 Entretien festival Les Suds à Arles.

42

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

2 Etudes de cas

L’objet de cette partie est d’identifier et de montrer l’impact potentiel des cultures du

monde sur notre société, à travers l’étude de multiples manifestations qui se développent pour

leur promotion. L’intérêt ici est de réfléchir sur le travail réalisé par différents acteurs,

d’analyser des choix de positionnement et d’échelle de structures ayant un même objet mais

l’abordant différemment. L’objectif étant de faire émerger les potentialités mais aussi les

éventuelles faiblesses liées à un domaine artistique bien particulier et ainsi pouvoir dégager

l’intérêt que présenterait la création d’un nouvel événement. Si cela peut paraître paradoxal de

vouloir réaliser une « étude de positionnement » dans un milieu où l’on part généralement

d’un projet artistique personnel, il semble néanmoins important de souligner le besoin de

s’imprégner des passions, des projets défendus afin de mieux appréhender ce réseau des

cultures du monde, et ainsi pouvoir situer ses propres envies.

La constitution de l’échantillon des événements étudiés découle logiquement des

constats opérés plus tôt. L’objectif est de présenter une diversité de situations, de

positionnements la plus large possible, ne se restreignant pas à la simple dimension culturelle

du phénomène mais prenant en compte son développement dans la sphère économique et

touristique. Afin de garantir la multiplicité des situations, plusieurs critères furent retenus :

- La revendication d’une approche culturelle, d’animation ou « équitable »

- Un travail plus ou moins approfondi en direction des publics

- Un mode d’organisation juridique, humaine et financière particulier

- Une aire culturelle ou discipline artistique traitées

- Une implantation plus ou moins forte sur un territoire

- Une démarche de programmation affirmée

- Les relations avec les artistes

La limite certaine de ce travail tient essentiellement à deux éléments : la modestie de

l’échantillon et l’absence d’observation du déroulement de la dernière édition des

événements. Ainsi, les manifestations ont été choisies pour la diversité des situations qu’elles

présentent. Elles ne constituent ni des modèles, ni des objets de comparaison. Chaque festival

ou événement possède sa propre histoire et s’inscrit dans un contexte qui lui est propre.

43

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En outre, nous ne prétendons à aucune exhaustivité, ni à une représentativité de la situation

festivalière ou événementielle française. L’approche choisie est davantage une approche

pragmatique, qui s’attache à recueillir une série d’expériences et de situations éventuellement

révélatrices d’un climat plus général.

Par ailleurs, n’ayant pas pu matériellement me déplacer sur les neuf manifestations de l’étude

pendant leur déroulement, l’occasion ne m’a pas été donnée d’observer le territoire, et plus

largement d’appréhender le contexte et le climat dans lesquels se déroule chaque événement.

Cela aurait pourtant permis la rencontre avec l’équipe organisatrice dans son ensemble, avec

certains artistes et le public. Cependant, j’ai pu me faire une idée grâce notamment au

visionnage de films de promotion, aux photos prises sur les lieux, et autres reportages

effectués sur le terrain.

Les neuf manifestations de l’échantillon ainsi retenues pour l’étude sont les suivantes :

- Les Suds à Arles

- Le Festival de l’Imaginaire

- Les Orientales

- Festival de Martigues

- Le Festival des Villes des Musiques du Monde

- Agence Neovent

- Foire internationale de Bourges

- Festival Musiques Vivantes

- Nuit Métis

44

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2.1 L’approche culturelle par les festivals de musiques du Monde

Les Suds à Arles« La poétique de la mondialité »

« Les Suds, c’est des racines et des ailes… » - Le Monde – 17 juillet 2005« Les Suds, c’est la découverte, les sons universels susceptibles de rallier un large auditoire»

Date de création : 1996, 11ème édition en 2006Lieu : Arles, Provence, France (13)Réseau d’appartenance : EFWMF, Zone Franche, Nouvelle VagueOrganisateur : Association Suds à ArlesScènes :

- Théâtre Antique (2500 pl.)- Cour de l’Archevêché (400 pl.) - rues et places de la ville

Ouverture : Période : Juillet, du 10 au 15 juillet 2006Régularité : AnnuelRayonnement géographique : Local et nationalNombre de représentations par an : 85 prestations publiques dont 50 concerts

Programmation :- Genre de festival : Musiques du monde- Type de programmation (dominante et répertoires) : Mixte, world et traditionnel- 26 pays ou régions représentés : Inde, Mali, France, Ethiopie, Espagne, Israël,

Palestine, Pologne, Italie, Egypte, Australie, Liban, Argentine, Albanie, Turquie, Bolivie, Cameroun, Sénégal, Ukraine, Iran, Les Comores, Cuba, Roumanie, et Pays Basque, Occitanie et Provence.

- Responsable de programmation : Marie-José Justamond- Nombre d’artistes invités : 240

Activités périphériques : - Pendant l’année, ateliers de pratique artistique dans le cadre de la politique de la ville - Pendant le festival, stages de musiques et danses (24 stages ou master-class)

Fréquentation :- Nombre par an : 60 000 dont 14 000 payants- Moyenne par an : 55 000- Prix moyen (billetterie / spectateur) : 2€ - Politique de prix : de 12 à 25€ mais aussi beaucoup de spectacles gratuits

Budget : 600 000 à 700 000€

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Commentaires sur le Festival Les Suds à Arles

Suivant la typologie établie précédemment, le Festival Les Suds à Arles s’inscrit

logiquement dans la catégorie des festivals « socioculturels ». En effet, au-delà de la simple

définition d’une programmation, l’association participe aussi activement dans l’année au

développement social et culturel arlésien. Cela révèle aussitôt ses deux atouts principaux, à

savoir son rapport au public et son implantation forte sur le territoire, tous deux intimement

liés. Mais il ne faut pas oublier leur politique de programmation, qui, forte d’une triple

exigence, garantit la reconnaissance et la légitimité du festival de la part du public mais

également du réseau. Si le bilan est dans l’ensemble très positif pour ce festival créé il y a à

peine dix ans, il rencontre pourtant des difficultés concernant notamment sa logique

d’organisation. Budget serré, personnel permanent limité, et période de festival fortement

contrainte en sont les principaux objets.

Son rapport au public : entre proximité, échange et partage

Comme le dit justement Marie-José Justamond, « un festival a pour but de créer du lien

avec le public car un musicien a besoin du public »43. Cela résume assez bien sa démarche qui

consiste à « travailler le public », et ce, non seulement pendant la durée du festival mais

également tout au long de l’année dans le cadre de la Politique de la ville, à travers les

différents ateliers de pratiques artistiques proposés aux arlésiens des quartiers et des villages.

Danses berbères, percussions orientales, fabrication et pratique d’instruments en roseau mais

aussi résidence de création, sont autant de moments qui permettent d’impliquer le public et

d’avoir sur lui un impact culturel et social fort. Ajoutez à cela les multiples rendez-vous du

festival tels que les apéros-dédicaces ou les siestes musicales et vous obtenez le secret de sa

réussite dans un contexte festivalier difficile : la proximité, l’échange et le partage.

Convivialité serait le mot juste pour définir l’éthique professionnelle des Suds à Arles.

L’importante fréquentation qui ne fait que croître (+ 13% entre 2004 et 2005) en a la preuve

tangible. L’association a la chance de vivre avec le public et de l’entendre, elle peut ainsi

répondre plus facilement à ses attentes, gage de complicité et de fidélité.

Cette excellente image auprès du public n’est pas isolée pour autant puisqu’en dix ans

d’existence le festival a aussi acquis une certaine légitimité au sein des réseaux professionnels

et des médias.

4343 Entretien festival Les Suds à Arles.

46

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Cette reconnaissance du milieu lui permet du coup de pouvoir accompagner le développement

de certains groupes et artistes qui n’aurait peut être pas pu percer autrement.

Un ancrage fort sur le territoire

L’objectif premier à la création du festival, sur l’initiative politique du Maire d’Arles,

était d’occuper tous les lieux de la ville qui se prêtaient très bien aux musiques du monde. Ont

été pressentis automatiquement le Théâtre antique et la Cour de l’Archevêché, mais très vite

les magnifiques places et ruelles de la ville se sont révélées idéales pour des rendez-vous plus

intimistes. Ce qui fait la force du festival c’est donc aussi son territoire : il devient un

« mélange subtil entre des musiques très riches et une ville très belle »44. Il a également un

impact notable sur l’économie de la ville, les commerçants du centre bénéficiant largement

des festivaliers amenés, même si ce travail reconnu par les institutions n’est pas vraiment

soutenu à sa juste valeur. Cela montre finalement l’importance de la donnée « lieu /

territoire » dans la politique de programmation à adopter.

Une ligne éditoriale exigeante

Un autre point fort de ce festival est sans conteste sa ligne éditoriale pointue. Marie-José

Justamond sait allier l’exigence artistique à une vocation populaire affirmée. Sa politique de

programmation est dès lors régie par une triple exigence. Une exigence artistique d’abord par

l’envie de mettre en avant des gens de talents, qui aient la propension à provoquer des

moments d’émotion intense puisque c’est ça que recherche avant tout le public : l’émotion

musicale. Une exigence de découverte ensuite à travers ses coups de cœur. L’objectif ici est

un objectif d’appel, le spectateur venant voir quelque chose de connu et ayant la possibilité

par la même d’en découvre un autre. Et toujours cet engagement vers des publics toujours

plus nombreux et diversifiés qui se reflète dans la pluralité des cultures et des expressions

artistiques abordées.

Enfin, cette idée de démocratisation se retrouve dans la politique tarifaire volontairement peu

onéreuse, avec un passeport tous concerts très intéressant à 80€ mais aussi une majorité de

spectacles gratuits.

44 Entretien festival Les Suds à Arles.

47

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Pour résumer, l’atout de ce festival c’est l’alliance d’une qualité artistique à une convivialité

hors pair. Mais comme nous l’annoncions plus tôt, il a beau avoir les faveurs du public, il

n’en est pas moins confronté aux difficultés récurrentes du milieu et devrait porter une

attention plus importante à la présentation scénique de ses artistes.

Une logique d’organisation contrainte

Le festival est organisé par l’association du festival. Comme nous l’avons vu dans la

fiche de cas, l’équipe se compose de quatre permanents à l’année, et est renforcée pendant six

mois par cinq stagiaires qui se révèlent indispensables à la mise en œuvre du festival. Cela

reste une équipe très restreinte au vue de l’ampleur de l’événement, et le fait que chaque

année de nouveaux stagiaires soient engagés ne permet pas à la structure de se

professionnaliser. Le point positif vient de ce que les intermittents sont toujours les mêmes

d’une année sur l’autre, ils connaissent donc très bien les spécificités de ce genre de musique

et également les contraintes techniques liées à l’établissement du festival dans la ville d’Arles.

La période choisie, l’été, n’est pas un choix stratégique. C’est juste la résultante d’une

contrainte, à savoir l’inexistence d’un lieu de spectacle de grande capacité pour organiser le

festival pendant la saison d’hiver. Le festival est donc dépendant des scènes d’extérieur

malgré l’envie prononcée de la directrice de changer de saisonnalité. De plus, le Théâtre

antique, lieu monumental rassembleur de foule, ne se révèle pas toujours adapté à des

créations qui demandent un cadre plus intimiste. Il y aurait donc la nécessité d’implanter une

scène intermédiaire, à taille humaine, ce qui malheureusement ne peut être réalisé au vu des

financements actuels.

Cela nous amène à un aspect non développé par le festival mais qui me semble pourtant

important dans la diffusion des musiques du monde : la réflexion sur la présentation scénique.

D’après la directrice, un peu de bon sens et un bon directeur technique suffisent, considérant

que le travail de scénographie est plus un problème du producteur du spectacle que du

programmateur. Il semble néanmoins nécessaire pour le respect de l’expression artistique

présentée que le programmateur ait une réflexion préalable avec les artistes, et éventuellement

un ethnoscénographe afin de programmer les spectacles dans des lieux choisis en fonction de

la nature même du spectacle proposé. Ce, afin d’éviter la décontextualisation du spectacle.

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Un budget serré

Avec 600000€ à 700000€ de financement, le festival n’a pas un gros budget en

comparaison avec d’autres festivals. Il réussit notamment à avoir une part d’autofinancement

de 30%, grâce en partie à un mécène d’Arles. Mais malgré tout, la recherche de financements

occupe encore près de 90% du temps de travail de la directrice qui avoue qu’en dix ans

d’existence, celle-ci s’avère toujours aussi difficile. C’est donc avec un budget limité que le

festival s’organise chaque année privilégiant l’artistique sur les frais de fonctionnement.

Consciente de la nécessité de diversifier les sources de financements (vingt-cinq différentes

en 2005 contre une quinzaine en 2004) pour pouvoir développer la manifestation, l’équipe

reste néanmoins attachée à la défense d’une action culturelle majoritairement financée par des

fonds publics. Si la part relative des financements privés atteint 15% du budget global, il est

indispensable de continuer dans ce sens et d’augmenter les recettes propres. Il semble que

l’indépendance artistique défendue par l’association dépend de cela, et pâtirait plus d’un

financement majoritairement public qui augmenterait l’ingérence du politique dans le culturel.

De plus, une année difficile comme fut celle de 2004 n’a pu être achevée que grâce à un

soutien financier réaffirmé de la Région, ce qui prouve qu’il est encore économiquement

fragile et dépendant du politique.

En définitive, il ressort de ce cas une chose essentielle à la réussite d’un festival des

cultures du monde, la prise en compte du public, car « on programme pour un public »45. De

plus, une programmation se fait dans un contexte donné, en fonction de l’espace et du temps ;

ce n’est qu’en prenant en compte ces paramètres qu’elle a alors une chance d’avoir du sens, et

ainsi de prendre racine. Mais ce qui est avant tout nécessaire à sa pérennisation c’est un vrai

budget, comme dans les autres secteurs de la musique.

Festival de l’Imaginaire45 Entretien festival Les Suds à Arles.

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« Ce sont les arts traditionnels des cinq continents qui prouvent, de façon soudaine et spontanée, que la modernité a plusieurs visages »

Date de création : 1997, 9ème édition en 2006Lieu : Maison des Cultures du Monde (75), Ile de France, FranceRéseau d’appartenance : AucunEquipe : - Directeur et assistante du directeur- Direction de programmation (2 pers.) - Secrétaire générale- Directrice de la communication et RP- Service comptable (2 pers.)- Régisseur général + 1 technicien

Scènes : - Théâtre de l’Alliance / MCM- Théâtre Equestre Zingaro- Institut du Monde Arabe- Auditorium du Louvre- Jardins de Bagatelle- Cirque d’Hiver

Ouverture : - Période : rentrée vacances de février – départ vacances de Pâques (5 à 7 semaines)- Régularité : annuel - Rayonnement géographique : Régional et national à travers les tournées- Nombre de représentations par an : 45 représentations

Programmation :- Genre de festival : Cultures du Monde- Type de programmation: formes d’expression artistiques vivantes les moins connues ou les plus rares des cultures du monde- Responsables de programmation : M. Khaznadar et Mme Esber- Plateau artistique : 180 artistes

Activités périphériques : Colloques, tables rondes, conférences-démonstration, sur des thèmes culturels ou des faits de société.

Fréquentation :- Nombre par an : 17 000 spectateurs - taux moyen de remplissage de 74% - Prix moyen : 12.5€- Politique de prix : 10€ tarif réduit – 14€ abonnés et CT – 20€ tarif plein

Budget :

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Commentaires sur le Festival de l’Imaginaire

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, ce festival se définit lui-même

comme un « défricheur d’artistes professionnels méconnus en Europe ». C’est sans conteste

sa vocation de découverte qui en fait sa particularité. Son principe : aller à la recherche de

nouveaux artistes, de nouvelles formes d’expressions là où ils naissent. C’est alors un travail

de prospection complètement différent des sources de programmation développées par le

festival des Suds à Arles, et c’est ce qui en fait sa spécificité. Ses atouts  ? La confiance d’un

public fidèle, l’authenticité des spectacles présentés et une réelle réflexion sur un dispositif de

présentation de ces spectacles. Ses faiblesses ? Les formes d’expression elles-mêmes, puisque

menacées continuellement de disparition, et un manque d’échange avec son public.

De la découverte à la représentation

« Authenticité, sincérité, loyauté »46 sont les termes énoncés par l’administratrice de la

Maison des Cultures du Monde pour identifier les qualités du Festival de l’Imaginaire. En

effet, cela caractérise assez bien cette programmation qui s’attache à l'exploration, la

découverte et la révélation de peuples et de leurs formes d'expression les moins connus ou les

plus rares. « Authenticité » par le fait que le festival « essaye de montrer des choses qui sont

bien vivantes et qui existent quelque part dans le monde. » ; « sincérité » car chaque spectacle

est le fruit d’une soigneuse prospection sur le terrain ; « loyauté » par le respect des canons

esthétiques propres à la culture dont le spectacle est originaire, et des risques que peut lui faire

encourir sa transplantation sur une scène parisienne. C’est cela qui fait que le public lui fait

confiance et reste fidèle.

Une autre caractéristique vient du renouvellement de ce public qui a été sensibilisé

notamment à travers le développement de la World Music, et décide d’aller un peu plus loin,

vers les sources de ces musiques.

Comme on l’a déjà dit, le véritable atout de ce festival c’est l’énorme travail effectué sur

l’ethnoscénologie – discipline nouvelle qui englobe l'anthropologie du théâtre, l'ethnologie, la

musicologie et la sociologie. Elle permet une remise en contexte du spectacle présenté, lui

gardant ainsi son sens initial. C’est primordial lorsque l’on programme des cultures qui nous

sont étrangères.

46 Entretien Festival de l’Imaginaire.

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Enfin, le fait que le festival soit implanté en région parisienne valorise fortement les formes

présentées, ce qui donne aux artistes l'occasion de débuter une carrière internationale ou de

conforter dans leur pays la pérennité d'un art souvent menacé.

Menacées…

Si la découverte de formes d’expression méconnues est la raison d’être de ce festival,

ses difficultés sont elles-mêmes liées à celles-ci car elles sont la plupart du temps menacées de

disparition. C’est parfois compliqué car ils se retrouvent face à des gens qui sont très âgés et

qui n’ont pas pu transmettre leur patrimoine oral. Il est parfois sur le point de disparaître.

Par ailleurs, il leur faut également convaincre les pouvoirs locaux pour des questions d’ordre

politique ou artistique. Lorsqu’ils souhaitent programmer des formes d’une culture dissidente,

ou moins représentative d’un Etat, ils se heurtent à l’administration en question, qui leur met

souvent des bâtons dans les roues pendant des mois…La même question revient souvent : «

Pourquoi choisissez-vous cette forme qui n’est développée que par une très petite

communauté alors qu’il y a tant de choses magnifiques représentatives d’une culture

nationale ? »

Un public bien à lui

Si la Maison des Cultures du Monde n’a pas vraiment de public cible, elle part

simplement du principe que la diversité culturelle, que les formes culturelles du monde entier

peuvent toucher, intéresser tout le monde. Malgré tout, on se rend compte que le public du

festival reste un public d’initiés sinon d’amateurs éclairés, ce qui donne à la manifestation un

caractère relativement élitiste. Caractère accentué par le fait qu’il n’y ait aucune démarche

pédagogique ni de prospection de public. Le parti pris : « l’émotion, la découverte et des

petits programmes de salle pour donner des clés de lecture aux spectateurs. ». Dès lors,

chacun fait ce qu’il veut : rester au stade d’émerveillement ou approfondir ses connaissances.

Il est néanmoins dommage de ne pas accompagner le spectateur dans sa découverte au-delà

du simple programme papier. Les tentatives d’explication de la part d’ethnomusicologues lors

de concerts sont encore malheureusement trop rares. Il est vrai cependant que l’échange n’est

pas toujours facile avec des artistes qui sortent parfois pour la première fois de leur territoire.

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Sur le site parisien, l’aspect médiation n’est pas traité. C’est en revanche une des activités qui

est beaucoup développée à Vitré, où il y a une personne qui travaille à plein temps là-dessus,

une médiatrice culturelle, qui réalise des mallettes pédagogiques sur les cultures du monde,

les thématiques de l’Autre, etc. Là, c’est un travail sur du long terme.

Reprogrammer ?

« L’objet de la Maison c’est de ne pas reprogrammer »47. Or, pendant les quinze années

où la Maison a programmé sur une saison entière, beaucoup de choses ont été montrées. Le

problème qui se pose aujourd’hui c’est que toute une génération (25-30 ans) n’a pu accéder à

ces spectacles dans les années 80 et est en demande actuellement. Ce qui remettrait en

question ce principe, mais permettrait de renouveler le public et également de donner la

chance aux générations qui ont pu y assister de voir l’évolution de ces formes artistiques.

Le cas présent confirme l’impression selon laquelle il est indispensable de développer

une relation de confiance avec son public mais aussi avec les artistes que l’on diffuse, c’est de

cette sincérité que naît la légitimité d’une manifestation autour des cultures du monde. Par

ailleurs, le contraste constaté entre le public populaire des Suds à Arles et le public disons

« cultureux » du Festival de l’Imaginaire laisse penser qu’il n’y a pas un public des cultures

du monde mais bien des publics. Il est pour cela nécessaire avant de développer tout projet de

bien définir à quel type de public on s’adresse. Ces deux premiers festivals ont trouvé leur

« créneau » à leur manière, en tenant compte de leur environnement.

Les Orientales« Le temps est un océan, mais il s’arrête au rivage »

47 Entretien Festival de l’Imaginaire.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

« Entre campement nomade, salon oriental, messe œcuménique, fête échevelée, souk et voyage exotique… » - Le Figaro.« Aux Orientales, le mystère mystique devient émotion et rêve » - Libération.

Date de création : 1998, 8ème édition en 2006Lieu : St Florent le vieil (49), pays de la Loire, FranceRéseau d’appartenance : AucunScènes :

- L’Abbatiale- Le Café Oriental- Palais Briau- Auditorium Julien Gracq (Abbaye)- Salle du chapitre (Abbaye)- Le parvis- Le marché

Ouverture : - Période : du 23 juin au 2 juillet 2006, sur deux week-ends- Régularité : annuel - Rayonnement géographique : Régional, National et un tout petit peu International- Nombre de représentations par an : 22 en 2006

Programmation :- Genre de festival : Musiques du monde- Type de programmation: Musiques traditionnelles vivantes d’Orient et d’Asie (55

pays invités) - Responsable de programmation : M. Alain Weber- Nombre d’artistes invités : 250 artistes (20-25 groupes de 7-8 musiciens)

Activités périphériques : - projections vidéo et cinéma- expositions- conférences- lectures- salon de musique- café oriental- marché

Fréquentation :- Nombre par an : 12 000-14 000 spectateurs payants qui représentent 90% du public- Prix moyen : 10€- Politique de prix : de 4 à 16€

90% payant et même les activités périphériques deviennent payantes (somme modique) pour rentabiliser un peu.

Budget : 420 000€

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Commentaires sur le Festival Les Orientales

Thématique, ce festival, comme le dit le directeur lui-même, est le seul à proposer ce

type de programmation tournée vers une aire culturelle particulière, avec un positionnement

très spécifique sur le genre de musique abordé : les musiques traditionnelles vivantes d’Orient

et d’Asie. Avec ce terme de « musique vivante » il se rapproche du Festival de l’Imaginaire

qui souhaite promouvoir, je cite une nouvelle fois, « des choses qui sont bien vivantes et qui

existent quelque part dans le monde ». Sa spécificité vient alors du fait qu’il programme « des

traditions qui correspondent toujours à un environnement social, un rituel, à la vie au

quotidien, et qui n’ont pas encore basculé dans les musiques à orientation spectacle où elle

perdent leur sens initial, pour devenir simplement une représentation d’une culture,

démarquées de leur contexte »48. C’est véritablement son engagement pour la défense de ces

expressions qui rend son action crédible et reconnue. Dès lors, un environnement propice, une

programmation originale, un public ; rien ne fait défaut, si ce n’est encore une fois un vrai

budget et un développement de la sensibilisation du public.

 

Un environnement propice

Ce festival est le seul à programmer ce type de programmation en milieu rural, et il est

également le seul à revendiquer son caractère intimiste. Sa situation dans un beau site, avec

des lieux tous plus bucoliques les uns que les autres, permet de créer un environnement

propice à ces musiques pour sortir de la salle classique. C’est un avantage indéniable pour des

musiques qui sortent du carcan du concert occidental. S’il tire parti de cet environnement, il

ne se limite pas à cela et engage une réelle réflexion pour adapter les lieux à l’acoustique

voulue, afin de faciliter l’écoute de ces musiques. Grâce au système D la plupart du temps,

les lieux sont aménagés pour recréer une ambiance. C’est le cas notamment du café oriental

sous chapiteau aménagé avec coussins pour donner une atmosphère particulièrement

intimiste.

Une programmation engagée, pointue et cohérente

L’un des points forts de la programmation des Orientales est sont authenticité musicale

forte. C’est en effet, l’un des derniers bastions des musiques traditionnelles non métissées.

48 Entretien festival Les Orientales.

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En atteste la motivation première de la création du festival : « valoriser et rendre hommage à

toutes ces grandes traditions populaires qui sont le ferment des musiques du monde

d’aujourd’hui  ». Cette authenticité se révèle par le fait de présenter des artistes qu’on ne voit

pas ailleurs, et ce grâce au repérage du directeur artistique. C’est une activité constante d’être

toujours à l’affût, dans le travail de repérage. Le problème quotidien est alors celui du

renouvellement, un « jeu constant contre l’usure ». Et pour cela, comme le dit M. Weber, il

faut se forcer à voyager, à découvrir de nouvelles choses. Le public reconnaît cet effort. En

outre, l’engagement pour la défense de ces cultures, souvent menacées, passe également dans

ce festival par le travail auprès des enfants. Avec l’idée continue qu’ils sont l’avenir de leur

culture et que leur participation encourage la transmission et la sauvegarde de ces traditions.

C’est un aspect très intéressant qui permet de développer toute une activité pédagogique

auprès des publics scolaires, plus sensibles lorsqu’ils se retrouvent face d’autres enfants.

Un rapport au public partagé

Le gage de réussite du festival c’est un public fidèle, en augmentation, qui existe

aujourd’hui et ne fait qu’augmenter chaque année. Sa caractéristique principale n’est autre

que sa mixité. En effet, on constate un mélange de publics local, régional (Nantais

principalement) et même national avec des spectateurs parisiens, mineurs mais présents. C’est

une belle récompense lorsque l’on sait que le festival qui existait précédemment était critiqué

pour être trop élitiste. Pari gagné alors ? Prouver qu’en présentant des musiques un peu

difficiles on peut toucher un public local. Il semble que oui puisque le public fidèle est

essentiellement composé de bénévoles locaux. Car, le festival fonctionne principalement au

bénévolat, ne recrutant que trois personnes en intermittence sur sept mois de l’année, plus le

personnel technique pendant la durée du festival. On peut quand même se poser la question du

réel impact sur le public local puisqu’en dehors des bénévoles et de leur cercle proche, le

festival semble rentrer en conflit avec les intérêts d’autres personnalités du village…

L’impression d’un festival implanté une fois dans l’année sur un territoire qu’il ne maîtrise

pas est sous-jacente. Cela révèle le problème d’une équipe qui n’est pas sur les lieux toute

l’année et ne peut du coup développer une relation plus approfondie avec la population,

comme c’est le cas par exemple pour le festival des Suds à Arles.

Malgré cela, ce festival renvoie l’image d’une manifestation qui connaît bien le milieu des

musiques du monde et de ses artistes, fruit de la longue expérience de son directeur artistique.

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Il sait bien créer cette convivialité qui est le principe des musiques du monde. Enfin, la

répartition des concerts sur deux week-ends apporte une dynamique particulière intéressante.

Un fonctionnement lourd

En plein essor, et en renouvellement permanent, le festival Les Orientales rencontre

cependant de nombreuses difficultés d’ordre financier ou logistique. Avec un budget modeste

de 420 000 €, l’association ne peut soutenir des frais de structure à l’année. Tout le budget est

concentré sur le festival et les frais artistiques. Ne pouvant pas créer de poste permanent, le

festival a du mal à se professionnaliser et à développer ses sources de financement. Le

manque de budget se répercute alors sur l’équipement et la communication, c’est donc le

système qui prévaut. Ces petits bricolages ont malgré tout l’avantage de créer une magie qui

est quand même aussi celle qu’on retrouve dans les pays des cultures présentées où tout est

bricolé. Avoir les moyens de développer un réel travail scénographique représenterait une

belle ouverture pour ce festival qui travaille depuis le début sur cet aspect.

Entre émotion et connaissance

Aucune activité pédagogique n’est élaborée dans le cadre du festival, mis à part le

travail avec les scolaires. Cela part du principe que l’émotion est première et universelle.

D’après M. Weber, on veut à tout prix lier « émotion et connaissance ». Ne faut-il pas

simplement se poser la question de ce que le public recherche en venant voir un spectacle de

cultures du monde ? Beaucoup justement ne cherchent que l’émotion procurée par ces

musiques sans avoir vraiment d’intérêt pour l’artiste qui les joue. Un paradoxe apparaît entre

le fait que trop de gens ne comprennent pas le contenu, et que la connaissance peut être une

« pure prise de tête ». Pourtant, d’une extrême à l’autre il y a une marge qu’il semble

intéressant d’exploiter pour que justement ces musiques ne restent pas une simple émotion

mais prennent un sens et une réalité pour le public, afin de le sensibiliser. C’est je pense

nécessaire surtout en ce qui concerne ces musiques qui transmettent une histoire.

Finalement, « la recette de tout bon festival c’est de toucher la population locale, le

monde rural, pour qu’il puisse durer »49. C’est la première condition.

49 Entretien festival Les Orientales.

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Par ailleurs, il faut cultiver un discours intellectuel, une spécificité de programmation, et

défendre une idée artistique pour être crédible et reconnu.

Un intérêt tout particulier doit être porté à la manière de présenter ces musiques à travers le

travail d’ethnoscénographie. Et bien sûr l’incontournable budget sans lequel toute ambition

peut rester vaine.

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Festival de Martigues« A Martigues, les minorités sont la majorité »

« Martigues c’est l’alchimie entre de grandes machines de spectacles et des petits qui apportent la vérité, l’authenticité »

Date de création : 4 août 1989 – 18ème édition en 2006Lieu : Martigues, Bouches du Rhône (13), FranceRéseau d’appartenance : AucunEquipe : 2 permanents à l’année + 300 bénévolesScènes :

- Eglise Saint Genest- Ferrières - Place Jean Jaurès- quartier de Jonquières- L'Eglise de la Madeleine- Canal St Sébastien (2 600 places)- La Place Comtale (Siestes du bout du Monde)- La Place Mirabeau- Le Village du Festival- Salle du Grès (stages de danse)

Ouverture : - Période : 24 juillet – 1er août - Régularité : annuel - Rayonnement géographique : Régional- Nombre de représentations par an : 100 rendez-vous sur 9 jours

Programmation :- Genre de festival : Cultures du Monde- Type de programmation: Musiques et danses traditionnelles, musiques actuelles- Responsables de programmation : M. Jean-François Guéganno- Plateau artistique : 400 à 500 artistes

Activités périphériques : Stages de danse, Siestes du bout du Monde, rencontres avec les artistes en amont du concert, restauration au Village, Escales de Nuit (cabaret)

Fréquentation :- Nombre par an : 100 000 sur l’ensemble du Festival dont 16 000 spectateurs au Canal

St Sébastien.- Politique de prix : différents abonnements et prix moyen de 17€

Budget : environ 700 000€

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Commentaires sur le Festival de Martigues

Le Festival de Martigues entre tout bonnement dans la catégorie des festivals tenus à

bout de bras par des indépendants associatifs passionnés. Et il est en même temps un festival

de folklore, le pionnier à inviter des minorités, notamment d’Europe de l’Est. Festival des

cultures du monde, ses invités sont non seulement les grands ensembles nationaux mais aussi

des ensembles représentant une toute petite culture dans le globe : c’est ce qui fait sa

particularité et lui a permis de se démarquer d’autres festivals de folklore traditionnel comme

Gannat ou Confolan qui ressemblent plus à des festivals des Etats-Nations. Avec l’évolution

des nouvelles musiques traditionnelles et musiques métissées, ils ont du élargir leur

programmation sur un éventail qui va de la danse traditionnelle académique aux musiques

actuelles. Enfin, il se distingue également par le fait de mélanger les statuts des artistes en

programmant autant d’ensembles « amateurs éclairés » que de professionnels. A une

dimension sociale et citoyenne forte, il allie, chose inhabituelle, une force économique

impressionnante. Malgré tout, c’est son positionnement en tant que festival de folklore qui lui

fait défaut.

Une initiative citoyenne et populaire

Ce qui fait la force du festival c’est qu’il est né d’une initiative citoyenne, populaire, et

non de la volonté d’une structure politique. Comme le souligne M. Guéganno, fondateur du

festival, c’est l’Assemblée Générale de l’association qui porte le festival, sa population. Ainsi

depuis la première édition en 1989, la plupart des artistes sont accueillis par les familles, ce

qui fait que la population de Martigues s’est vraiment appropriée le festival. C’est donc avant

tout « le festival des habitants de Martigues », preuve de la bonne prise en compte par les

organisateurs du festival de l’environnement et de ses atouts. Par ailleurs, c’est une véritable

association composée principalement de bénévoles militants (environ 300 à l’heure actuelle),

ce qui créé un lien permanent avec la population, chose essentielle pour l’implantation de la

manifestation sur son territoire. Il semble que cette gestion collective soit un atout comparée à

l’initiative d’une personnalité unique comme c’est le cas du festival Les Orientales.

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Son autre atout : la diversité de ses ressources

Cette force économique que détient le Festival de Martigues se révèle en premier lieu

par sa part d’autofinancement qui représente 70% de son budget. Il la doit notamment à un

club de partenaires privés qui apporte une contribution non négligeable au festival, exemple

d’une manifestation qui a su tirer profit du développement du mécénat culturel. C’est donc

cette diversité des ressources, publiques par les subventions et privées par le club

d’entreprises qui permet au festival d’équilibrer son budget, sans que l’éventuel retrait de l’un

des partenaires ne remette en cause de manière décisive sa viabilité. Ils ont donc réussi le pari

de multiplier les sources de financement tout en réussissant à garder leur intégrité artistique et

leur dimension socioculturelle, piliers du festival.

Un mur porteur : l’alliance programmation / public

Si les ressources du Festival de Martigues ne représentent pas son talon d’Achille, il a

en revanche vraiment besoin de son public. C’est en effet lui qui fait son émulation, et s’il

n’est pas au rendez-vous une année cela peut alors poser de réels problèmes économiques.

Pour dynamiser son offre et amener justement le public à revenir, les organisateurs travaillent

sur l’effet d’appel de groupes connus pour ensuite faire découvrir au public des artistes moins

exposés. Là est la clé de leur programmation.

Enfin, un autre atout de ce festival c’est la pluralité : au-delà des simples musiques et danses,

c’est la langue, les costumes, la coiffure, la cuisine qui sont mis en avant. C’est une richesse

que l’on ne retrouve pas dans beaucoup de festivals à l’heure actuelle…

Un obstacle : le positionnement du folklore en France

Le public, atout, représente donc également une faiblesse. Mais au-delà de cela, une

représentation du folklore persiste, empêchant le festival d’acquérir la reconnaissance

institutionnelle. En effet, le folklore en France demeure quelque chose de « ringard, passéiste,

poussiéreux », tels sont les termes employés par le fondateur du Festival de Martigues. Ceci

fait que, malgré le travail du festival depuis plusieurs années, le Ministère de la Culture, en

particulier, n’accorde pas de légitimité à cette partie des musiques du monde qui pourtant les

représente largement. Le problème vient peut être aussi du fait que le festival n’a pas su

communiquer efficacement sur son évolution et ses atouts. Une professionnalisation de

l’équipe au niveau communication aurait peut être permis de pallier ce problème.

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Enfin, un regret exprimé par le fondateur du Festival de Martigues est à noter : celui de

ne pas avoir encore développé des aspects tels que le commerce équitable ou la coopération

internationale qui rentreraient pourtant complètement dans leurs missions. Car comme il le dit

lui-même : « notre mission n’est pas seulement celle de programmateur mais aussi de

dialogue avec l’Autre et d’accueil de l’Autre ». Ce qui résume bien aussi la philosophie sous-

jacente à tout événement autour des cultures du monde.

Ce festival est donc un bel exemple de ce que peut être un festival pluridisciplinaire

porté par des passionnés et une population investie. Ce que l’on retient principalement c’est

que pour pérenniser un festival la condition sine qua non c’est d’en avoir envie. De plus, la

multiplication des sources de financement se révèle être un défi lourd structurellement mais

payant car permettant à la manifestation de rester indépendante.

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Festival des Villes des Musiques du Monde

Date de création : 1997 – 10ème édition en 2006Lieux : 15 villes en Seine Saint-Denis (93)Réseau d’appartenance : AucunEquipe : Petite unité de travail, de « mercenaires » de 4 à 5 permanents et 7 à 10 personnes pendant le Festival

- Directeur - programmateur - Chargée de projet- Coordinateur général des actions et programmateur-adjoint- Administrateur- Chargé de communication

Scènes : Salle de concerts, théâtres, café, etc.

Ouverture : - Période : 20 octobre - 20 novembre (vacances de la Toussaint + Semaine Solidarité

Internationale)- Régularité : annuel - Rayonnement géographique : Intercommunal- Nombre de représentations par an : 30 spectacles- Clôture programme : fin juin

Programmation :- Genre de festival : Musiques du Monde- Type de programmation : Musiques traditionnelles et remise en jeu dans production

contemporaine, et un petit peu danses.- Responsable de programmation : M. Kamel Dafri

Activités périphériques : Ateliers-résidences, activités pédagogiques à l’année autour de projets éditoriaux, radio, vidéo et presse écrite

Fréquentation :- Nombre par an : 15 000 spectateurs en 2005 (jauge de 10 000)- Politique de prix : tarif unique de 10€ et tarif réduit pour les locaux

Budget : 479 000€

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Commentaires sur le Festival des Villes des Musiques du Monde

Ce festival est intéressant à traiter car c’est un festival jeune qui est en train de se

structurer et occupe un positionnement particulier qui fait sa spécificité, à savoir « démarrer à

partir de l’existant et travailler sur un ancrage local »50. C’est donc cette logique inversée,

partant du terrain, qui distingue principalement ce festival de toutes les autres manifestations

analysées. Par ailleurs, plus qu’un festival, le réseau développé sur le territoire transforme cet

événement ponctuel en une véritable saison culturelle. Comme nous le verrons aussi avec le

cas du festival Nuit Métis, un projet novateur de coopération internationale apporte une valeur

ajoutée à cet événement. Reste que comme toute structure en développement et travaillant en

réseau public comme privé, le festival est confronté à différentes difficultés qui n’aident pas à

sortir d’une certaine précarité.

Une logique de terrain 

Le principe du festival c’est une coopérative de projets, une collégialité de

programmateurs, un gros projet de mutualisation de moyens, d’actions, de compétences

autour des musiques du monde. L’intérêt ici c’est prendre le schéma habituel à l’envers : au

lieu de penser un projet artistique et ensuite de mobiliser les acteurs autour de celui-ci, ils ont

voulu « profiter de l’aubaine de l’effet festival pour donner de la visibilité aux acteurs »

locaux qui déployaient déjà leur énergie pour la promotion des musiques du monde. « Le

projet est né de la base, ce n’est pas une émanation politique ». Dès lors, cela crée un ancrage

sur le territoire, fort, qui tire parti de toutes les forces en présence et permet une

reconnaissance progressive par les villes, une sorte de coalition politico-culturelle.

L’implication des structures locales est immédiate et plus importante que pour un projet porté

par une seule personne ou une volonté politique qui arriverait « comme un cheveu sur la

soupe ».

De plus, comme nous l’avons déjà vu pour le festival Musiques Vivantes, un atout majeur de

ce projet est la multiplicité des personnes concourant à la programmation garantissant la

diversité et la qualité des artistes invités.

Enfin, un des objectifs fixés par l’équipe du festival fait de ce projet une action socioculturelle

essentielle dans un territoire comme celui de Seine-St Denis, c’est à dire la volonté de

travailler sur la valorisation des cultures représentées dans les villes-partenaires pour faire de

la diversité des populations une richesse.

50 Entretien Festival des Villes des Musiques du Monde.

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Plus qu’un festival, une saison musicale

Les activités périphériques aux concerts du festival est un axe important que l’équipe

souhaite développer non seulement sur la période du festival mais également sur l’année en

créant des passerelles avec d’autres festivals du département comme Africolor ou Banlieues

Bleues qui se déroulent sur d’autres moments de l’année. Comme le souligne Kamel Dafri,

« l’idée c’est de capitaliser cette dynamique à l’année, à charge pour nous de créer des liens

avec ces autres festivals. » Ces liens permettent de répéter ces restitutions sur l’année. Le

festival qui déjà par sa durée sort du simple cadre de festival devient du coup une très grande

saison musicale, et l’expression « festival » va devenir à terme désuet. C’est à un véritable

réseau de diffusion des musiques du monde que l’on a à faire : « la notion de festival est déjà

galvaudée car on n’est pas sur une unité d’espace ni de temps mais sur un festival multi-site

complètement protéiforme qui ressemble plus à une saison musicale. »51

Coopération internationale

Un autre atout de cet événement vient de la dimension internationale que l’équipe

souhaite donner à leurs actions. C’est un pan d’activité qu’ils sont en train de construire, par

la définition de programmes de coopération avec des pays, afin de créer des plates-formes

d’échange artistique mais aussi pédagogique, et de formation aux métiers du spectacle.

L’intérêt est de valoriser les savoirs-faire et donner de la visibilité à ces actions, surtout dans

les valeurs d’échange avec les autres cultures, de pouvoir se confronter à des situations qui

sont complètement nouvelles notamment sur les différences de mise en place d’un festival

entre la France et les autres pays.

Instauré au mois de novembre pour pouvoir se dérouler en même temps que la semaine de la

solidarité internationale, cette activité est la gageure d’un discours fort et engagé qui sera

d’autant plus légitimé.

De petits points faibles

Si le festival se structure et que l’équipe qui le porte se constitue professionnellement, il

reste encore dans la gestion de la précarité. Un manque de moyens financiers cuisant se fait

sentir alors même que la structure ne demande pas des moyens surdimensionnés…

51 Entretien Festival des Villes des Musiques du Monde.

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Et comme le relève justement le directeur du festival, « les musiques actuelles sont le secteur

qui en terme de fréquentation publique touche le plus de gens mais qui est le parent pauvre en

terme de subventions, les musiques du monde n’en sont en plus qu’un segment. ». Problème

récurrent donc.

Un autre aspect qu’il mériterait de travailler concerne les publics du festival. « L’ancrage

local recherché doit permettre d’atteindre un public local et familial. » et c’est le cas, compte

tenu des résultats d’une récente étude. Mais on se rend compte qu’il y a une très faible

circulation du public d’une ville à l’autre, chaque population se cantonnant à son périmètre

habituel. Même si le festival est intercommunal et a donc vocation à dépasser les barrières

géographiques et sociologiques, il ne faut pas être dans l’illusion de la circulation du public

pour autant. C’est pour ça que l’accompagnement des initiatives locales est important. Faire

se rencontrer des populations voisines mais qui ne se mélangent pas est sans doute un gros

défi à relever, et qui ne peut passer que par les activités périphériques mises en place pour

générer des collaborations, des échanges.

Enfin, une autre contrainte liée spécifiquement à ce projet vient de ce que l’équipe

organisatrice doit se mettre au tempo des structures avec lesquelles elle travaille, publiques

comme privées, car chaque acteur n’a pas le même rythme de travail. Par exemple, pour ceux

qui programment à l’année, ils doivent être en mesure au mois de janvier de caler leur

programmation pour l’automne. S’ensuit alors des problématiques de coordination et de

réactivité que seule une structure associative peut assurer.

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2.2 L’animation : entre agences événementielles et foires internationales

NeoventVos événements au son des musiques du monde

Bureaux : Paris, Ile de FranceOrganisateur  / Structure : SARL Neovent (2005)Administration : Vadim Toropoff, directeur général + 3 salariésRéseau : prestataires et partenaires professionnels (traiteurs, salles, artistes, ingénieurs son)

Activités : 2 pôles majoritaires : - Société de prestations artistiques pour entreprises

- Label / production de disques Type de programmation musicale (dominante et répertoires) :

- Tzig’art – musiques slaves et tziganes- Koukabaya – musiques d’Afrique, d’Amérique latine et des îles- Origin’airs – musiques des Terroirs d’Europe- Jazzyvarius – musiques jazz et classique

Type de prestations artistiques : - Soirées clé en main- Spectacles musicaux- Spectacles de rue- Danses et revues- Spectacles famille- Spectacles animaliers- Prestations annexes (magie, nuit, interactif, multimédia, technique)

Tarifs : A – moins de 1 500€B – de 1 500 à 2 500€C – de 2 500 à 3 500€D – plus de 3 500€

Clientèle visée : Entreprises prestigieuses ( Cap Gemini – Ernst & Young, Danone, Coyote – TF1 Entreprises) Collectivités locales

Activité périphérique : Festival annuel parisien de musique Tzigane – « Tziganie »Plateau artistique : 13 groupes soit une centaine d’artistesSpectateurs :

- Nombre par an : 5 000 personnes en 2004 au Cirque d’Hiver sur 4 soirées- Prix moyen : 31€

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- Politique de prix : 30€ / 38€ / Tarif réduit 25€

2.2.1 Commentaires sur l’agence Neovent

Entre un festival de musiques tziganes destiné au plus grand nombre mais peu rentable,

et une agence événementielle tournée vers les entreprises, avec un chiffre d’affaire

exponentiel, il semble y avoir un grand fossé. Or le pas a été vite fait par ce directeur

d’agence qui avoue lui-même avoir « commencé l’activité événementielle, vraiment en

amateur au départ, pour proposer des artistes, des musiciens, des danseurs tziganes à des

mariages ».  Le point commun ? Une juste appréciation de l’offre et de la demande. Un

festival commercial qui se positionne sur un créneau jusqu’alors ignoré et une agence

créatrice d’activités clé en main capable de s’adapter à toute demande du client en matière de

musiques du monde. L’enjeu ici n’est plus culturel ou artistique, il est commercial et tourné

vers l’animation. Il est justement intéressant de se pencher sur ce marché de niche qui

demande à la fois d’« être hyper compétent dans le domaine » des musiques du monde mais

en même temps demande un travail majoritairement de démarchage et de prospection

commerciale. Ses intérêts ? Des activités englobant divers aspects d’une même culture et une

rentabilité importante. Les regrets ? Un déni presque de l’artistique qui fait se poser des

questions sur l’image que l’on veut donner d’une culture et du respect que l’on a pour celle-ci.

Du « sur mesure »

L’innovation portée par cette agence, et qui est assez séduisante, est le développement

de l’activité clé en main ou sur mesure. Avant, l’équipe se chargeait de « vendre » des artistes,

mais ils ont vite évolué vers une offre plus complète, sous forme de package, comprenant la

salle, le traiteur, la musique mais aussi les artistes. Dès lors, les clients sont plongés dans une

atmosphère dépaysante où ce qu’on leur vend c’est du rêve. Les artistes dans cette prestation

doivent être « adaptés au milieu de l’évènementiel, c’est à dire originaux, ludiques, sympas ».

Si l’approche commerciale séduit peu, il faut néanmoins admettre que ce concept d’une

culture présentée sous ses différents aspects plaît et permet d’accrocher encore plus le public

ciblé, qui est sollicité par tous ses sens. Cela s’apparente dès lors aux tentatives de festivals

pluridisciplinaires qui recréent une ambiance authentique par la mise en place d’un village du

festival, espace convivial. L’activité thématique est d’autant plus efficace qu’elle ne dure

qu’une soirée, ne laissant pas le temps aux gens de voir leur émerveillement se dissiper.

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Du marketing culturel ?

Cette réussite d’une agence événementielle sur un marché de niche comme les musiques

du monde n’est-elle pas le signe d’une évolution irrépressible vers le monde de l’entreprise et

le marketing culturel ? Il semble que cette société ait totalement intégré la nécessité de

répondre à une demande pour être rentable. D’ailleurs, Vadim Toropoff le souligne ainsi :

« Nous on multiplie notre chiffre d’affaires par deux chaque année, mais sûrement pas par ce

festival qui a lieu chaque année mais par le travail de démarchage et de prospection

commerciale. » Le festival devient alors une activité d’image, une vitrine. De plus, l’équipe

développe de plus en plus d’activités qui ne sont pas dans leur corps de métiers : « on doit être

créatif et s’adapter aux demandes de l’entreprise, quoiqu’elle demande on peut le faire, y’a

aucune barrière, rien n’est impossible… »52. On peut en déduire finalement qu’il s’agit d’un

marketing culturel poussé à l’extrême puisque les techniques marketing ne sont plus au

service de l’artistique, celui ci n’étant qu’un moyen parmi tant d’autres d’arriver à satisfaire

des clients. Dans le cadre d’une manifestation culturelle, cette démarche marketing reste

complémentaire dans la recherche de publics.

Un rapport au public inexistant

Ce qui différencie principalement un festival culturel à une activité d’animation comme

celle développée par l’agence Neovent est le public visé. Dans un cas, la manifestation est

clairement en direction du plus grand nombre ; dans l’autre, on parle bien de prospection

client tournée majoritairement vers les entreprises, les collectivités locales et autres agences.

C’est donc une démarche totalement commerciale avec un public très spécifique, pas curieux

des cultures proposées, juste là pour s’amuser dans une ambiance conviviale.

Dès lors, le rapport artiste – public est limité à une prestation de service où aucune place n’est

faite pour la moindre remise en contexte ou explication sur la culture exposée. Le directeur

considère que dans ce cadre de soirée, « on ne peut pas communiqué sur quelque chose

auquel on croit, on n’ en a pas le droit. ». L’important est de faire rêver les gens, et non pas

de leur imposer nos vues. C’est un parti pris bien défendu, et la rentabilité de l’affaire en

témoigne.

52 Entretien Agence Neovent.

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Et l’artistique dans tout ça ?

En ce qui concerne l’aspect artistique du projet, il s’avère, comme on l’a évoqué plus

tôt, qu’il est mis de côté, les choses étant acquises par la constitution du catalogue et la

légitimité par la vitrine du festival.

Ces citations résument assez bien l’état d’esprit du chef de projet : « Nous avons une activité

artistique qui est assez faible finalement car elle nous rapporte pas beaucoup de chiffre

d’affaires », « nous sommes avant tout une entreprise qui vend des prestations

événementielles à des clients ». Mais ce qui reste le plus marquant vient du fait qu’une fois le

catalogue constitué, il n’y ait plus cette volonté de continuer à découvrir de nouveaux artistes.

Un réseau de relations s’est constitué et aujourd’hui le renouvellement se fait

occasionnellement via les plaquettes réceptionnées. Cela montre que les clients de l’agence ne

portent pas vraiment attention à la qualité artistique mais privilégient celle de la prestation

d’ensemble.

Enfin, le fait que les artistes résident majoritairement en France, et surtout à Paris pour les

prestations parisiennes, révèle une authenticité toute relative puisqu’ils ne sont plus en contact

direct avec leur culture d’origine et dénaturent leur jeu pour, je le répète, s’adapter au milieu

de l’événementiel…

Ce domaine de l’événementiel, à proprement parlé, de l’animation, recèle des points

forts empruntés au monde de l’entreprise et sur lesquels il serait sans doute opportun de

réfléchir pour les adapter aux réalités du monde culturel. On note donc cet aspect de culture

au sens global du terme englobant tant l’art culinaire, que l’art décoratif, la musique, la danse,

les comportements, etc. Mais aussi l’approche très marketing qui permet de cibler ses publics

et ainsi de mieux répondre à leurs attentes, tout en ne touchant pas au sacro-saint

« artistique ». Le milieu culturel reste un monde à part avec ses spécificités qu’il faut prendre

en compte si l’on ne veut pas justement passer du culturel à l’animation purement

commerciale.

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Foire internationale de Bourges

Lieu : Parc des expositions de BourgesRéseau d’appartenance : Fédération Foires et SalonsOrganisateur : Société COULISSES

Ouverture : - Période : Début juin- Régularité : une fois par an- Rayonnement géographique : Cher + Indre + Nièvre + Loir et Cher + Allier

Scènes : Village oriental- Une quinzaine de boutiques- Marché aux Epices- Restaurant-Cabaret Libanais

Programmation :- Thème retenu : chaque année un pays ; cette année : Le Liban- Type de spectacles : musique et danse représentatifs de la culture du pays- Responsable de programmation : Foire de Caen

Visiteurs : - Nombre par an : environ 60 000 sur 10 jours de salon- Politique de prix : entrée gratuite

Budget non communiqué

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2.2.2 Commentaires sur la Foire de Bourges

Comme nous l’avons vu dans la première partie, l’engouement pour les cultures du

monde se reflète aussi dans le milieu des produits et des affaires. La Foire de Bourges est l’un

de ces salons d’expositions qui souhaitent internationaliser leur offre commerciale et

augmenter le nombre de leurs exposants, c’est ainsi qu’ils ont introduit cette dimension depuis

qu’ils organisent la Foire, à savoir depuis 3 ans. C’est un phénomène sans précédent qui

gagne les organisateurs de foire, les pavillons dédiés aux cultures étrangères fleurissant de

toutes parts. D’une approche d’animation, commerciale, comme peut l’être celle plus ciblée

des agences événementielles, la foire a cet avantage de toucher un public de masse,

élargissant du même coup le champ de diffusion des cultures présentées. Mais, le revers de la

médaille vient du fait que l’expertise artistique n’est pas forcément au rendez-vous.

Une forte fréquentation

Les foires internationales ont cette capacité exceptionnelle de pouvoir déplacer des

foules sur peu de jours. Si la Foire de Bourges n’est pas représentative de la plupart des foires

qui comptabilisent en moyenne 300000 visiteurs, elle draine néanmoins un public large, plutôt

familial et éclectique dans les milieux socioprofessionnels représentés. Cela vient sans doute

de l’attractivité historique des foires mais aussi sans aucun doute de l’approche très marketing

qu’elle développe. Comme nous l’avons vu, tous les outils marketing sont utilisés pour inciter

des publics ciblés à se déplacer sur la Foire. Et ça marche. De plus, la politique de gratuité

renforce l’ouverture du lieu et encourage le brassage des publics.

Dans une démarche essentiellement d’animation et de loisirs, la volonté est d’apporter

beaucoup de convivialité à un événement purement commercial. Et cette convivialité vient

entre autre de l’atmosphère dégagée par les espaces aménagés qui crée une ambiance

exotique. L’intérêt est d’attirer un large public, or ce genre de thème fait rêver. Et le fait de

multiplier les aspects présentés : artisanat, gastronomie, musiques et danses, folklore, permet

de susciter la curiosité des gens. C’est donc le même atout que celui de l’agence Neovent, à

savoir la capacité d’emmener les « clients » dans un rêve éveillé, de les faire voyager.

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Un choix sur catalogue

La Foire de Bourges, comme la plupart des foires développant leur pavillon

international, se met en relation avec des concepteurs de thèmes comme le parc-expo de Caen.

Elle travaille aussi avec des ambassades ou organismes professionnels dans les pays choisis.

Le choix de ces derniers se fait alors principalement d’après des catalogues, ce qui restreint

considérablement la diversité des artistes proposés. Ce sont dès lors des artistes

institutionnalisés ou « aseptisés » qui rentrent dans un moule d’animation comme c’est le cas

des agences événementielles. L’autre risque c’est de choisir un artiste suivant sa côte de

popularité. En effet, ce qui importe c’est la capacité de ce dernier à mobiliser les gens. La

qualité artistique importe peu. Le manque d’expertise artistique n’est du qu’au fait que ce

n’est pas le métier du personnel d’organisation d’une foire, l’équipe de base étant constituée

d’un gérant, du directeur, de la responsable commerciale, la responsable communication, et le

directeur technique. Nul moyen financier comme les festivals à consacrer à la recherche de

programmation.

Enfin, beaucoup d’artistes résidant en France, se révèle le même problème que pour l’agence

événementielle, c’est à dire une culture occidentalisée, stéréotypée, retravaillée pour coller

aux attentes du public occidental.

L’animation, et au-delà ?

Si lors de ces manifestations, la communication devient une « spontanéité

professionnelle », il n’y a pas de réelle communication au sens culturel du terme. Cela reste

une relation de consommateur à prestataire. Aucun rapport de proximité n’est établi entre les

visiteurs et les représentants de la culture en question, c’est là que le bas blesse. Ainsi, il suffit

qu’un pays soit un peu moins attractif, dans l’actualité, ou qu’il y ait moins d’artisanat à

présenter pour que la fréquentation s’en ressente ; une des responsables de la Foire de

Bourges l’avoue elle-même. On se rend compte des faiblesses de ce genre de manifestation.

Elle se veut ouverte à tous, plus culturelle mais ne se donne pas les moyens de l’être, puisque

centralisant encore ses efforts sur l’aspect commercial et touristique sans donner de valeur

ajoutée aux prestations offertes. Il semble qu’un peu de médiation envers les publics,

l’organisation de rencontres avec les représentants de la culture à l’honneur suffirait à

valoriser ces moments.

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2.3 Une nouvelle approche : le festival équitable

Musiques Vivantes

Date de création : 1976, 30ème édition en 2005Lieu : Parc du Lac de Courcouronnes (91), Ile de France, FranceRéseau d’appartenance : AucunOrganisateur : MJC / CMT de Ris OrangisScènes : 3 espaces scéniques en simultané

- Le Parquet de Bal- Le Cabaret- Le Chapiteau

+ 1 salon-marché des Musiques et Danses du Monde

Equipe : 22 personnes de la MJC dont 4 du CMT, directeur et service comptable MJC, plus personnel technique intermittent et vacataires accueil.

Ouverture : - Période : sur toute une journée, le samedi, en mai en fonction calendrier sauf

Pentecôte- Régularité : annuel - Rayonnement géographique : Régional- Nombre de représentations par an : 28 en 2005- Clôture programme : fin novembre

Programmation :- Genre de festival : Musique équitable- Type de programmation: Musiques et danses traditionnelles d’En France et d’Ailleurs - Responsables de programmation : M. Jean-Patrick Hélard et Mme Pascale Dauriac- Nombre d’artistes invités : 200 artistes environ (28 groupes de 7-8 musiciens)

Activités périphériques : - Jeux traditionnels et insolites du monde et des régions- Contes- Rencontres amateurs de peinture festive- Café du Monde / rendez-vous rencontres avec les artistes du Festival

Fréquentation :- Nombre par an : 7 000 spectateurs - Prix moyen : 16€ en pré-vente pour la journée de 13h à 1h du matin- Politique de prix : gratuit pour les moins de 14 ans

Politique de bons de soutien, vendus par carnet de 10 billets à vendre à ses amis.

Budget : 200 000€ hors masse salariale interne.

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2.3.1 Commentaires sur le Festival Musiques Vivantes

Le Festival des Musiques Vivantes est un de ces festivals pionniers qui a su évoluer

avec son temps pour devenir un incontournable de la saison des musiques du monde.

Malheureusement arrêté l’année dernière, il n’en reste pas moins un cas très intéressant à

étudier. Manifestation s’appuyant au départ sur le mouvement folk, il s’est petit à petit élargi

aux musiques régionales puis à des aires culturelles au niveau mondial. L’aspect le plus

marquant de ce festival est sans conteste son positionnement artistique affirmé qu’il a nommé

lui-même sous un concept nouveau de « Musique équitable ». Et, au-delà de sa

programmation c’est toute une démarche qui en fait un exemple à suivre. Mais si l’artistique

apporte reconnaissance et légitimité, un festival reste une manifestation coûteuse qui sans

budget ne peut se développer et même exister. Ce fut le cas du Festival des Musiques

Vivantes qui dut s’arrêter faute de moyens…

Un concept fort : festival de « Musique équitable »

Cette notion de musique équitable apparue lors de la dernière édition du festival n’est en

fait qu’un cadre, donné à une démarche défendue depuis les débuts du festival. L’intérêt ici

est cette idée d’équité, ligne directrice qui guide toutes les relations qu’entretient le festival

avec les artistes, le public ou les musiques mêmes. Elle se matérialise par une répartition

égalitaire des différents répertoires permettant ainsi la diversité culturelle ; un traitement

équitable des artistes qui en sont les représentants ; qu’ils soient professionnels ou amateurs,

notamment à travers le respect méticuleux du droit du travail ; et enfin, des rapports de

collaboration et de convivialité avec les publics. C’est donc ce positionnement artistique

engagé qui distingue fortement le festival des Musiques Vivantes de toute autre manifestation.

Un autre aspect distinctif vient de l’orientation de la programmation, essentiellement tournée

vers la tradition orale qui privilégie les musiques de fête, de danse, familiales, plus abordables

par exemple que la programmation plus intimiste du Festival de l’Imaginaire ou des

Orientales de St Florent-le-Vieil. Le festival n’étant pas dans un projet de formation d’un

public, ce qui prime lors de cette journée festive c’est le jeu, le plaisir, la convivialité et le

sourire. C’est une donnée très importante qui révèle encore une fois la primauté de l’émotion

sur la connaissance, et les réelles attentes du public. Et l’équipe pense à juste titre que ce

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positionnement fort leur a toujours valu d’être reconnu, en particulier par les sociétés

professionnelles qui les ont aidés chaque édition de son existence.

Un projet collectif

Collectif par la façon de monter la programmation mais également par le travail

d’équipe réalisé tout au long de l’année. En effet, c’est bien sur une co-élaboration du projet

que chaque édition a été préparée. Ce collectif de programmation se composait d’une dizaine

de personnes, dont des bénévoles, sollicités en fonction de leur centre d’intérêt sur une aire

culturelle particulière (musique irlandaise, Mongolie, Afrique, …). Ces trois cercles de

consultation permettaient de rassembler des propositions qui étaient ensuite évaluées par des

gens qualifiés, pour donner leur aval. Chaque édition impliquait donc un grand nombre de

personnes, la programmation devenant le fruit d’un travail d’équipe, porteuse du projet

collectif.

Au-delà de la programmation, le festival n’est pas vu comme un événement sans lendemain

mais comme un projet avec un avant et un après. Il est en fait le « point d’orgue » d’une année

de travail avec toute une équipe de passionnés, militants. Des activités périphériques telles

que le travail avec l’école de musique, les concerts annuels, le conseil à la programmation ou

encore les tournées prenant place tout au long de l’année. Ainsi, ce projet collectif est

l’occasion de mettre en synergie différentes énergies et de profiter de l’expertise de chaque.

Car chacun n’était pas forcément à même de pouvoir porter une appréciation sur certaines

danses ou musiques. Cela participe aussi de la convivialité du festival.

Un fondement : la participation du public

Quelque chose qui apporte une valeur ajoutée non négligeable à ce festival est

l’implication de la population notamment dans la promotion de la manifestation. Comme le

souligne M. Hélard, la participation du public « est un des fondements du festival pour qu’il

ne soit pas seulement consommateur »53. Ainsi, cette participation active prend forme à

travers le bon de soutien à l’événement. Ne fonctionnant avec aucune billetterie, ce bon de

soutien permettait d’assister à tous les spectacles pour la modique somme de 16€. Le public

était d’autant plus investi qu’« il était lui-même diffuseur de ces bons de soutien auprès de ses

réseaux de connaissances ». Par ailleurs, il ne l’était pas uniquement par le bon de soutien

mais aussi par le bal, différents parquets de bal étant installés pendant la manifestation.

53 Entretien MJC/CMT de Ris Orangis.

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Certains ne venaient que pour danser toute la journée. Ce fondement semble avoir été l’une

des raisons de la longévité du festival, la proximité et la convivialité faisant le reste.

Une fragilité économique fatale

Sa faiblesse vint du fait que l’équipe n’a jamais trouvé les financements pour pérenniser

les coûts de fonctionnement de la manifestation. Vingt deux personnes travaillaient en

intermittence sur le festival et les autres activités de la MJC ; du coup, la structure qui portait

l’événement s’est trouvé fragilisée, et c’est le festival qui a du être arrêté. Reposant

principalement sur des subventions publiques, le festival dépendait de leur bon vouloir. Et

malgré les rencontres avec les structures qui les soutenaient pour les avertir de la situation, la

volonté de la majorité d’entre elles d’aider à maintenir le festival, l’une des instances a refusé

d’aider davantage et les autres n’ont pas joué de leur poids pour renverser sa décision… Là,

on retient la nécessité d’indépendance financière indispensable à la pérennisation d’un

festival, le cas du Festival de Martigues, exemplaire.

D’autres caractéristiques méritent de s’y attarder un peu, comme la durée du festival ou

la concurrence subie par celui-ci. Dans le débat sur la durée idéale d’un festival, il semble

qu’une journée de festival semble trop juste, surtout lorsque l’on souhaite développer des

relations que ce soit avec les artistes invités ou le public. C’est sans doute frustrant...

Par ailleurs, le festival rencontrait de plus en plus de difficultés dans le développement de la

diffusion, et ce en relation directe avec la concurrence faite par les grosses institutions. Ils

avaient de plus en plus de mal à avoir les moyens de faire venir les groupes parce que plus le

secteur s’organise, plus les groupes sont chers… De plus, les grosses structures profitaient de

leur position pour introduire des clauses d’exclusivité, ce qui limitait d’autant leur marge de

manœuvre.

Les enseignements d’un festival comme celui-ci issu de l’éducation populaire sont

dans un premier temps qu’il faut concevoir un festival dans des relations de réseau pour

dépasser les problèmes de diffusion. De plus, le cadre d’un festival est extrêmement

important. On ne peut pas simplement imaginer transposer un événement d’un endroit à un

autre, ça ne fonctionnerait pas. « Le festival est un ensemble, ce n’est pas seulement les

groupes, c’est un contexte. ». Enfin la force de conviction d’un positionnement affirmé est

garant d’une certaine reconnaissance du milieu professionnel et médiatique.

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Nuits Métis« Echanges et rencontres… »

"En Occident, tout est basé sur la verticalité des harmonies. En Afrique, c'est l’horizontalité qui nous intéresse... On n’a jamais vu un monde simplement debout ou couché: c’est la fusion des deux qui fait l’univers". Ray Léma, musicien.

Date de création : 1994, 13ème édition en 2006.Lieu : MarseilleRéseau d’appartenance : aucunOrganisateur : Association Nuit MétisScènes :- Parc Le Grand Pavois - Septèmes-Les-Vallons- Kiosque à musique - Salon-de-Provence- Salle du Bois de l’Aune - Aix-en-Provence- Centre social Jacques Brel - Port de Bouc - Le Nomad Café - Marseille- Collège Izzo – Marseille- Théâtre de la Sucrière – Marseille- Afriki Djigui Theatri – Marseille- Le Kaloum – Marseille

Equipe : 5 permanentsOuverture : - Période : du 18 juin au 1er juillet- Régularité : annuel - Rayonnement géographique : National- Clôture programme : Janvier

Programmation :- Genre de festival : Festival de coopération internationale- Type de programmation: Musiques d’Afrique de l’Ouest, actuelles, arts de la rue- Responsable de programmation : M. Ambrogiani- Créations : 2 créations par an

Activités périphériques : Pendant le festival : Installations plastiques et vidéoActions de développement durable :- Festival dans le Sahara en Algérie - Création du Centre Wakili à Conakry (Guinée)- Construction d’une résidence d’artistes à Béni Abbés (Algérie)- Développement de carrière du groupe Ba Cissoko- Nouveau partenariat avec l’Espace Aréma à Lomé (Togo)- Réalisation des chantiers-jeunes internationaux avec ASF (Animateurs Sociaux

Urbains Sans Frontières) et le centre social La Gavotte Peyret (Marseille)

Fréquentation :- Politique de prix : Entrée gratuite à toutes les soirées sauf la Nuit Métis à 15€ (TR : 7)

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3 Intérêts de créer un nouvel événement

L’état des lieux réalisé grâce notamment aux études et écrits de professionnels du

secteur des musiques du monde, l’inventaire effectué, et les propos recueillis lors des divers

entretiens ont permis de confirmer certaines intuitions initiales concernant des faiblesses qu’il

serait intéressant de pallier ou des points sur lesquels on peut encore innover. Certaines

conclusions jettent une lumière crue sur la réalité du secteur, et en particulier sur les

difficultés dans lesquelles se débattent la plupart des porteurs de projet. On constate

néanmoins une certaine complémentarité entre les différentes approches (culturelle, animation

ou solidaire), les carences de l’une trouvant sa solution dans les atouts de l’autre. Ces

différents points recoupent toutes les dimensions d’un événement, allant, entre autres, des

choix de programmation à la structure d’organisation en passant par le rapport au public.

L’intérêt ici est d’en faire une synthèse pour pouvoir ensuite dégager des propositions qui

concilient les avantages de chacun et des solutions pour dépasser les difficultés du secteur.

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Synthèse de ce qui manque

Programmation

On la déjà remarqué, l’une des différences les plus remarquables entre deux festivals

de musiques du monde réside dans la distinction entre les festivals à vocation généraliste et

les festivals spécialisés. Les premiers étant majoritairement représentés sur le territoire, la

logique voudrait que soient développés les festivals thématiques du type Les Orientales, et ce

sur une aire culturelle ou un style musical particulier, pour une meilleure connaissance du

public et une reconnaissance des institutions.

Une autre tendance récurrente dans les festivals culturels est la promotion d’une seule

discipline artistique, à savoir principalement la musique. Qu’en est-il alors de tous les autres

aspects que peut développer une même culture ? Si d'aucuns s’ouvrent à d’autres disciplines,

aucun festival n’a de volonté affichée de pluridisciplinarité. Or qui dit « cultures du monde »,

ne dit pas seulement musique, danse, mais aussi arts de la parole, art culinaire, pictural, art du

maquillage, jeux, etc. Autant de façons de révéler les spécificités d’une culture, et autant de

moyens de les rapprocher.

Une autre question qui soulève les regrets est le travail d’ethnoscénographie, c’est à dire de

transposition d’un « spectacle » rituel, social sur une scène. Peu de structures peuvent se

vanter d’une réelle réflexion sur le sujet. Divers partis pris existent : du très sobre au libre

arbitre de l’artiste, jusqu’au choix du lieu en fonction du spectacle présenté, ce sont autant de

manières d’appréhender la culture de l’Autre.

Il semble que ceux qui ne le développent pas ressentent néanmoins la nécessité sinon l’envie

de s’y attarder un peu plus, et ce, malgré les obstacles financiers. C’est donc un pan sous-

développé dans la diffusion des cultures du monde qu’il faut inscrire comme un objectif

incontournable de l’événement.

Enfin, créations et rencontres d’artistes sont de plus en plus nombreuses mais la volonté des

festivals d’intégrer des créations dans leur programmation se heurte souvent aux difficultés de

subventionnement. C’est un paysage contrasté, partagé entre l’enthousiasme et le

découragement que l’on découvre. Régler les problèmes de financement et partager les

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risques permettraient sans doute de pouvoir pallier à ces lacunes, qui sont pour l’heure

majoritairement portées par les artistes eux-mêmes…

Aires culturelles non explorées

Concernant les aires culturelles présentées, il s’avère que nombre de régions du Monde

et leurs cultures ont pu être diffusées mais pleins de champs restent encore inexplorés.

Comme le dit M. Bensignor54, c’est une question historique et sociologique. Parmi les

cultures mises en valeur en France, beaucoup sont liées à l’Histoire coloniale de la France et

à l’immigration. C’est notamment le cas pour les cultures d’Afrique de l’Ouest et du

Maghreb. Ensuite, on subit également des effets de mode comme l’an passé avec les

musiques brésiliennes. Il reste beaucoup de territoires à explorer qui ont sans doute moins de

publics que d’autres esthétiques, et qui sont du coup moins mis en valeur. Ici, il est donc très

difficile de voir des artistes d’Amérique du Sud comme ceux du Venezuela, de Colombie,

etc. Quant aux cultures asiatiques, cela reste au niveau des musiques traditionnelles et très

peu autour de musiques plus contemporaines. On pense aussi aux cultures d’Océanie

(Aborigènes d’Australie), et parfois même à l’intérieur de notre territoire, les musiques de

Guyane, de Polynésie, la Nouvelle-Calédonie. Ce sont plus les réseaux folkloriques qui les

proposent. Enfin, les cultures du monde polaire comme celle des Inuits restent une énigme…

Professionnalisation de l’organisation

Dans les postes développés par les festivals culturels, la communication et le marketing

occupent une place encore négligeable voire inexistante. Or, d’après les études de cas

réalisées, les événements commerciaux ayant pour objectif l’animation ont très bien intégré

ces dimensions, et leur fréquentation révèle l’efficacité de ces démarches. Il semble dès lors

nécessaire de donner plus de moyens à ces postes pour étendre le rayonnement des festivals.

Malheureusement, faute de moyens, les budgets se concentrent sur l’artistique et la technique,

négligeant l’administratif et tout particulièrement la prospection des ventes. Les postes de

promotion et de communication sont les premiers à subir les coupes drastiques imposées par

la faiblesse des financements et la maigreur des résultats de la prospection. Ces impasses

grèvent l’ensemble du projet et conduisent à une diffusion réduite qui met en péril

l’amortissement financier et décourage d’autant toute nouvelle entreprise. On revient donc au

problème récurrent des moyens financiers…

54 Entretien Centre d’Information sur les Musiques Traditionnelles.

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Bien que la grande majorité des événements trouve son public et qu’il en naisse chaque année,

leurs équipes ne parviennent pas toujours à dégager les financements nécessaires pour se

professionnaliser et disposer d’un environnement efficace. La carence en « ingénierie

culturelle » est fréquente, même pour des festivals d’importance. Dans la conception d’un

projet, il semble alors primordial de miser sur la création de postes de chargé de production et

d’administrateur ayant les compétences requises pour réaliser une recherche de financements

efficace et bien les gérer. De ce point découle la possibilité de développer par la suite d’autres

pans d’activité. Le professionnalisme des équipes est de plus en plus important.

Par ailleurs, qui dit financements d’un festival ne se réfère pas seulement aux aides

publiques. Beaucoup de manifestations dépendent de ces subventions et craignent d’une

année sur l’autre l’éventuel retrait d’un des partenaires qui remettrait en cause la pérennité du

projet. C’est donc une diversité des ressources qui fait aujourd’hui défaut. Si le mécénat s’est

déjà beaucoup développé en France, il reste encore faible ; or c’est la diversité des ressources

qui fait la force et l’indépendance d’une structure. Comme nous l’avons plus tôt, le Festival de

Martigues a su tirer profit de ce parti en créant un club d’entreprises. Multiplier les sources de

financement leur permet d’équilibrer leur budget mais ne remet en cause ni l’intégrité

artistique ni la démarche socioculturelle du festival.

Ce besoin de s’ouvrir aux financements croisés est reconnue par tous mais il reste maintenant

à la mettre en pratique. Là encore la présence d’un chargé de production se révèle essentielle.

Enfin, un autre aspect qui semble négligé est la notion de travail en réseau, que ce soit pour la

diffusion des artistes programmés ou l’information des festivals. Il paraît absolument

nécessaire dans un contexte relativement concurrentiel que les festivals se coordonnent,

agissent ensemble pour une meilleure diffusion des artistes, notamment par l’organisation de

tournées.

Ce devrait être le rôle des réseaux tels que Zone Franche de créer ou développer les

conditions d’une meilleure répartition et visibilité des programmations par l’activation de la

circulation de l’information

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Contexte et positionnement des festivals

Le contexte de la manifestation et son implantation sur un territoire sont essentiels à sa

viabilité. L’inventaire des festivals montre notamment des lacunes au niveau répartition

géographique sur le territoire français. Ainsi, certains secteurs géographiques français ne sont

pas couverts par des festivals c’est le cas notamment des régions de l’Est ou du Nord. Même

Paris est en reste.

Dans une autre dimension, la période d’exploitation de l’événement se révèle très importante.

On constate une sur-représentation des festivals estivaux, de plein air en sus. En effet, peu de

festivals se déroulent en dehors de la période estivale ce qui laisse l’opportunité de développer

des projets en automne ou hiver, les musiques du monde ayant la propension à réchauffer les

cœurs…

Par ailleurs, la question du positionnement nous amène vers une approche qui se développe

mais reste marginale, à savoir la mise en avant du commerce équitable, du développement

durable, et de la coopération internationale. Dans un contexte de défense de la diversité

culturelle et de respect des cultures, beaucoup de choses peuvent être imaginées pour aller

dans ce sens. Reste à le faire dans une démarche de qualité et de travail de fond.

Rapport au public

Si le public prend une part de plus en plus importante dans les problématiques de

diffusion des cultures du monde, son accompagnement est restreint chez nombre

d’organisateurs d’événements.

Les festivals à vocation socioculturelle ont bien compris l’importance de cette sensibilisation

et pédagogie que certains publics réclament. Si l’émotion que procurent l’écoute d’un concert

ou la vue d’une danse est irremplaçable, les publics sont en plus avides d’un minimum de

connaissances. Ainsi, les activités périphériques peuvent être enrichies.

Mais ce qui semble le plus important c’est la propension des manifestations à poursuivre leurs

actions au-delà de l’événement, pendant l’année. Peu d’entre elles peuvent le faire, ce pan

d’activité nécessitant un budget de fonctionnement qu’elles n’ont pas forcément à disposition.

Mais celles qui en ont les moyens créent une valeur ajoutée à leur action, non négligeable.

Enfin, on remarque que peu de festivals recherchent l’implication des populations locales, ce

qui est pourtant un atout pour l’ancrage d’une manifestation sur son territoire. Ainsi, la

participation des associations, des communautés locales est source d’enrichissement mutuel et

un accès direct au public local qui s’approprie l’événement.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Propositions pour un nouvel événement

Si la forme festivalière présente de grands atouts pour la mise en valeur des cultures du

monde, les festivals existants éprouvent des difficultés et nombre d’aspects restent encore

inexplorés. Par ailleurs, la promotion des cultures du monde par les agences d’animation et les

foires internationales présente des avantages non négligeables que l’approche culturelle

devrait développer. C’est pourquoi nous tenterons ici d’explorer les pistes que met en exergue

le présent travail pour proposer une forme qui soit susceptible de concilier les avantages de

chacun et complète l’offre actuelle.

3.2.1 Programmation artistique

Un festival généraliste…

L’une des différences les plus remarquables entre deux festivals de musiques du monde

réside dans la distinction entre les festivals spécialisés et ceux à vocation généraliste. Si ces

derniers contribuent au développement des échanges, de mise en valeur de la diversité

culturelle, ils présentent le défaut de favoriser une sorte de zapping et une représentation assez

superficielle des différentes cultures exposées. A l’inverse, les festivals thématiques

répondent mieux à une demande de réelle connaissance de la culture en question. En effet, ils

exposent plusieurs expressions d’un même champ culturel permettant ainsi une approche plus

fine par le public des univers artistiques représentés.

Paradoxalement, nous avons constaté, grâce à l’inventaire réalisé, que le champ des aires

culturelles diffusées en France reste encore restreint. Les festivals spécialisés se concentrent

essentiellement sur des cultures historiquement proches de la société française (Afrique de

l’Ouest, Maghreb, etc.) ou des styles musicaux supposés plus « vendeurs » (reggae, musiques

latino-américaines). Très peu de festivals cherchent à sortir de cette logique en se consacrant

par exemple comme le Festival Les Orientales aux musiques asiatiques. Il semble que ce pari

soit risqué tant du point de vue de la demande du public que de celui des pouvoirs publics,

sensibles à la notoriété et à l’actualité des artistes présentés.

Dans ce contexte, si l’on veut conserver au festival son aptitude à faire découvrir l’Autre et

notamment les cultures les moins connues, il semble nécessaire de développer une approche

généraliste, capable d’attirer des publics aux sensibilités diverses et susceptible de servir de

pied d’appel pour la découverte de formes plus exigeantes.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

… A vocation thématique

Ainsi, nous nous tournons vers la conception d’un festival généraliste qui choisirait

d’assigner à chaque édition la mission d’approfondir une aire culturelle en désignant un pays

ou une région invitée qui donnerait lieu à une part importante des spectacles diffusés. L’idée

serait d’organiser la programmation autour de deux axes : l’un diversifié autour des musiques

des cinq continents, avec chaque soir de semaine consacré à l’un des continents ; l’autre

proposant un éclairage particulier, un zoom sur une culture présente sur l’un des continents, et

dont différentes expressions artistiques seraient présentées. Ce dernier axe serait développé le

temps des week-ends.

Un festival « authentique »

Les festivals se distinguent principalement par les catégories de musiques du monde

programmées. Les uns revendiquent leur « authenticité » par la diffusion de musiques

« traditionnelles » du monde, les autres aspirent à présenter des approches plus « modernes »,

métissées. Ainsi, nous avons vu qu’ils se classent dans trois catégories : musiques

traditionnelles, « World Music » ou mixtes. Si cette distinction est opérante dans la réalité des

festivals, il n’en reste pas moins qu’elle s’avère inadaptée à la nature même des musiques du

monde. Les cultures traditionnelles sont des cultures vivantes qui comme toute langue sont

sujettes à des évolutions naturelles, au-delà du processus de commercialisation. Une musique

jouée à partir d’instruments « typiques » n’est pas plus authentique que celle issue de

traditions populaires et ayant intégré progressivement des influences jazz ou rock ; elles sont

toutes deux le fruit d’une même culture ouverte sur le monde.

C’est pourquoi l’ambition d’authenticité trouvera écho dans un festival mêlant des musiques

dites traditionnelles à des expressions plus contemporaines. Le fait de consacrer chaque

édition à une aire culturelle particulière permettra de mettre en perspective les productions le

plus modernes avec des éléments plus traditionnels.

Par ailleurs, il semble important que la programmation propose à égale proportion des

artistes d’actualité répondant à la demande du public et d’autres méconnus, permettant aux

spectateurs de voir quelque chose de connu et d’en découvrir d’autres. C’est ainsi qu’à côté de

têtes d’affiche, le festival prendrait des risques sur des coups de cœur, des artistes moins

diffusés. Au fur et à mesure, une confiance s’instaurerait à la fois avec les élus et le public. Un

mélange des statuts, « amateurs éclairés » et professionnels, serait aussi l’occasion de

rencontres et de partages qui pourraient se révéler bénéfiques pour le dynamisme du secteur.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Un festival pluridisciplinaire

Cette diversité de catégories musicales s’accompagnera d’une volonté de

pluridisciplinarité des formes artistiques. Si la musique reste le champ artistique le plus

présent, une approche transversale paraît essentielle. En effet, le cloisonnement des arts

existant en Occident (musique, danse, théâtre, art plastique, etc.) ne s’applique pas forcément

au sein des cultures extra-occidentales, et a fortiori à leurs expressions les plus traditionnelles.

Ainsi, la plupart des sociétés ne distinguent en aucun cas l’expression musicale de

l’expression chorégraphique. Si le public occidental est habitué à aller voir un concert pour le

simple plaisir d’écouter de la musique, dans nombre de cultures la musique n’a de sens que

dans l’accompagnement d’une danse, c’est le cas notamment des danses africaines toujours

accompagnés par les djembés et autres balafons.

De plus, la diversité des disciplines est source d’enrichissement de la programmation et un

élément de mise en perspective des musiques dans leur culture d’origine. On peut penser la

programmation d’éléments chorégraphiques, théâtraux, photographiques ou

cinématographiques, mais aussi ethnologiques, artisanaux, culinaires ou des jeux comme des

outils de recontextualisation des musiques dans leur environnement. L’important ici est

d’insister sur l’aspect festif originel des productions pour que la découverte se fasse sous

l’angle du plaisir, de l’émotion et non comme un simple apport de connaissance.

Un projet collectif

Comme cela a fait la force du festival Musiques Vivantes, il semble essentiel que la

programmation soit élaborée par un collectif de programmation. Si des missions de

prospection sont nécessaires pour visualiser les spectacles dans leur contexte, la consultation

de personnes qualifiées, sollicitées en fonction de leur centre d’intérêt sur une aire culturelle

particulière (musique irlandaise, Mongolie, Afrique, etc.), est un atout dans un paysage

culturel aussi vaste, où chacun ne peut se vanter de tout connaître. Des propositions venant de

multiples sources (réseau des musiques du monde, ethnologues en formation, bénévoles

passionnés, etc.) seraient rassemblées pour être ensuite évaluées. C’est donc bien sur une co-

élaboration que chaque édition serait pensée, la décision finale revenant au directeur artistique

du festival. En ce qui concerne le pays mis à l’honneur, il serait intéressant de s’attacher les

services d’un chargé de mission qui serait le coordinateur de cette programmation spécifique.

L’idéal serait qu’il soit spécialisé sur les expressions artistiques de cette aire culturelle et

justifie de contacts avec les principaux partenaires culturels de ce pays.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Pour autant, une telle ambition nécessite d’entrer dans une logique qui dépasse la simple

programmation de spectacles. En effet, pour répondre aux exigences d’une telle politique

artistique, le festival ne devra plus être seulement acheteur de spectacles mais réellement

initiateur de projets. Les programmateurs du festival devront développer une grande

connaissance des contextes culturels des spectacles choisis, et engager un dialogue constant

avec des spécialistes (ethnomusicologues, ethnoscénologues, etc.) et les artistes eux-mêmes,

pour la transposition sur scène de spectacles ayant la plupart du temps une fonction sociale.

3.2.2 Logique d’organisation

Saisonnalité et espace

L’inventaire des festivals de musiques du monde a montré que la saisonnalité et

l’implantation géographique était des critères importants de différenciation. D’après les

travaux de répartition, il s’avère qu’une majorité des festivals se déroule pendant la saison

d’été et majoritairement en plein air. C’est pourquoi il semble intéressant pour compléter

l’offre actuelle de festivals de se tourner vers une autre saisonnalité. Ainsi, nous nous

tournerions volontiers vers une exploitation au printemps, prenant pour cadre les vacances de

Pâques. Cela permettrait d’ouvrir la saison des festivals, ne rentrant pas ainsi en concurrence

directe avec les grosses manifestations d’été. Les jours s’allongeant et l’atmosphère se

réchauffant, c’est l’occasion pour le public de s’éveiller de l’Hiver aux sons et danses des

cultures du monde. Pourquoi ne pas allier une programmation en salle et quelques excursions

en plein air pour profiter des premiers rayons du soleil ?

Par ailleurs, s’ils sont assez bien répartis sur le territoire national, il n’en reste pas moins que

certaines régions en sont moins pourvues, c’est le cas notamment de l’Est de la France et de la

région parisienne, étonnamment. La création d’une structure dédiée aux cultures du monde, en

projet sur la ville de Cergy-Pontoise, apparaît par exemple comme une perspective favorable

pour l’implantation d’un festival. En effet, c’est une ville multiculturelle, dynamique, à la

recherche d’une identité propre. Ainsi, une politique de programmation tournée vers la mise

en valeur des sites présenterait ici l’avantage de répondre aux préoccupations des pouvoirs

publics concernant l’image de la ville, de la région. Et comme le dit Mme Justamond des Suds

à Arles, « une programmation se fait dans un contexte donné, en fonction de l’espace et du

temps » : ce n’est qu’en conciliant ces trois facteurs qu’elle a alors une chance d’être

pertinente.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Mais le choix pourrait se porter tout autant sur une ville des Pyrénées-Atlantiques, comme

Bayonne, historiquement ouverte sur l’extérieur et riche d’un important patrimoine

architectural qu’il serait intéressant de mettre en valeur. Tout dépend des partenariats

développés dans ces endroits et du contexte.

Du point de vue de l’exploitation du festival, dans notre cas, la durée qui semble la

plus pertinente est deux semaines avec des temps forts sur les week-ends. Ce choix résulte

d’une juste appréciation des réflexions des divers responsables entretenus. Trois jours est sans

doute un minimum ; un week-end ou une semaine demeurent trop courts pour instaurer une

réelle relation avec le public mais aussi entre les artistes eux-mêmes et l’équipe organisatrice.

Tout dépend s’il s’agit uniquement de concerts le soir ou s’il y a aussi beaucoup de choses

dans la journée. En tout cas, le festival ne peut pas être en continu sinon on perd l’unité de

temps. Les jours de semaine seraient consacrés aux activités périphériques (masterclasses,

ateliers pédagogiques, village du festival) et concerts des cinq continents ; les week-ends

dédiés au pays à l’honneur avec les spectacles des diverses disciplines représentatives de sa

culture.

Une pluralité de lieux

Le festival, en ce qu’il constitue un espace modulable correspond à la structure la plus

adaptée aux musiques du monde, les réflexions de Bernard Lortat-Jacob55 en attestent. S’il

s’agit dans ces écrits de réfléchir à un espace permanent diffusant des formes strictement

traditionnelles, dans un souci de restitution ethnographique, il n’en reste pas moins que les

remarques formelles restent adaptées à celles d’un festival comme nous le définissons. Il

préconise la construction d’un espace modulable, dont la forme pourrait être adaptée au plus

près des conditions habituelles de jeu des artistes, où la position des spectateurs serait

ajustable en fonction du spectacle proposé (assis ou debout, en cercle autour des artistes, etc.)

pour assurer la pluralité des angles de vue.

Dans le cadre d’un festival urbain qui ne bénéficie pas d’un tel lieu, répondre à ces

problématiques revient à investir une pluralité de lieux et d’espaces de diffusion qui seraient

choisis en fonction de la nature même du spectacle proposé. Ainsi, il peut être préférable de

présenter une formation de jazz turc dans un lieu du type boîte de jazz plutôt que dans une

55 LORTAT-JACOB (Bertrand), « Derrière la scène, Le point de vue des ethnomusicologues », dans Les musiques du monde en question, pp 166-171.

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

salle de concert classique ; ou pour un spectacle de tradition rurale comme les contes d’un

griot africain, aménager un espace ouvert, en extérieur comme un parc.

Il ne s’agit en aucun cas de proposer des reconstitutions, forcément imparfaites, là n’est pas

l’objet, mais de s’approcher au mieux de l’esprit du lieu d’origine en tentant de discerner ce

qui fait le plus sens au regard de la réalité culturelle du spectacle proposé.

Mais comme le souligne à juste titre M. Lortat-Jacob, accueillir des spectacles de ce

type dans des lieux qui n’y sont pas dédiés nécessite d’insister sur la spécificité des dispositifs

techniques (son et lumière). C’est pourquoi il est important d’apporter une attention

particulière à l’équipe de techniciens que l’on recrute. Il faut qu’ils aient l’expérience de la

sonorisation de tels spectacles, ou du moins qu’ils aient la sensibilité nécessaire et soient

polyvalents.

Pédagogie et résidences

Pour que le festival ait un ancrage et un impact réel sur son territoire, il est essentiel

que l’équipe organisatrice développe un travail à l’année. Il consisterait notamment en la

programmation de quelques spectacles de préfiguration de l’édition suivante comme une

sensibilisation, mais aussi la mise en place d’actions pédagogiques auprès des écoles, des

services jeunesse, des conservatoires, des artistes amateurs, etc. Cela prendrait la forme

d’ateliers de pratique, de rencontres et de projets de création avec des artistes, en vue

pourquoi pas d’une restitution pendant le festival.

De plus, ce qui semble le plus important pour soutenir le dynamisme du secteur des cultures

du monde c’est le développement d’une véritable politique de résidences qui permettrait

d’offrir aux créateurs un environnement professionnel de qualité et les conditions idéales pour

la réalisation de leurs projets. Les « résidences », si elles ne constituent pas la panacée,

apparaissent comme une des solutions les mieux adaptées à la création en musiques et danses

traditionnelles. D’autant plus que ces genres artistiques se prêtent à merveille à toutes les

activités et interventions périphériques dont nous parlions précédemment, à savoir

interventions diverses, accompagnement des pratiques amateurs, montage de projets

collectifs, concerts et animations scolaires...

Dans ce contexte, le festival représenterait le « point d’orgue » d’une année de travail,

un rendez-vous identifié qui mettrait en avant le dynamisme de la permanence. C’est le

moment, le lieu de la découverte, un temps privilégié. Son intérêt, c’est cette sorte de

bouillonnement qui peut susciter l’envie d’aller plus loin dans la découverte. Or, pour pouvoir

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

allier permanence et événementiel, rien ne vaut l’appui d’une structure établie avec un lieu

d’accueil.

C’est pourquoi le projet d’un espace des cultures du monde à Cergy-Pontoise est intéressant

car il permettrait d’allier un budget de structure qui prendrait en charge les frais afférents aux

activités développées à l’année, et un budget d’activité dédié à la mise en oeuvre du festival.

Un budget maîtrisé

Les moyens financiers des festivals représentent la bête noire mais pourtant le pilier de

toutes les activités développées. C’est pourquoi il n’est pas envisageable de concevoir un

événement sans réfléchir en amont à la mise en place d’une recherche de financements

efficace, ce qui nécessite la création d’un poste important, à savoir celui de chargé de

production. Lui seul a les compétences requises pour mener à bien les demandes de

subventions et développer le mécénat privé, ce qui demande un temps de travail très

important. Or, comme nous l’avons vu plus tôt, multiplier les sources de financement (public

et privé) permet d’équilibrer un budget et de garantir une indépendance d’action, l’économie

ne doit donc pas être réalisée sur ce poste.

Qui dit diversité des ressources, dit aussi gestion et suivi de celles-ci, rôle d’un administrateur.

Dans une structure en création, embaucher en même temps un administrateur et un chargé de

production grèverait énormément le budget. Ainsi, il peut être intéressant d’employer dans un

premier temps un chargé de production polyvalent, qui puisse prendre en charge la recherche

de financements, la gestion du budget et la comptabilité, pour par la suite lorsque la structure

se développe le décharger par l’embauche d’un administrateur.

Evolution en termes de relations publiques et de communication

Comme nous l’avons constaté, la communication et le marketing sont les parents

pauvres dans la diffusion des cultures du monde, la sous-médiatisation de celles-ci en est la

stricte conséquence. Pour se développer et aider à la diffusion des artistes, un festival a donc

besoin de se faire connaître auprès des publics mais aussi des médias. Il est alors nécessaire de

se professionnaliser en terme de communication pour bénéficier d’une couverture presse et

toucher un maximum de personnes. Pour cela, une réelle réflexion doit être engagée pour

définir un discours et élaborer un plan de communication adapté aux objectifs du festival. Un

chargé de communication se révèle indispensable car il a les aptitudes pour la réalisation et la

diffusion des supports de communication mais aussi pour assurer les relations avec la presse

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L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

et les partenaires. Une bonne communication ne nécessite pas forcément beaucoup de

moyens, surtout si elle est bien ciblée et mise en œuvre.

L’important ici est de connaître le milieu des musiques du monde afin d’optimiser ses

démarches, mais aussi pour bénéficier de son effet réseau.

En ce qui concerne les relations publiques, il faut développer une vraie stratégie de

prospection basée sur une logique thématique pour identifier les différents types de publics à

cibler. En lien avec la programmation, une recherche serait effectuée sur des réseaux de

publics ciblés en relation avec les différentes aires culturelles abordées par les spectacles.

Cette prospection peut donner lieu à la mise en place de mailing, de partenariats et de

politiques tarifaires adaptées afin de toucher différents publics. Réussir à intégrer un réseau

est le meilleur moyen pour bénéficier d’un bon relais auprès des associations et publics, qui

réagissent pour la plupart en bloc aux propositions extérieures, surtout en ce qui concerne les

communautés culturelles.

Une dimension supplémentaire : le développement durable

En tant qu’initiateur de projets, le festival, contrairement à la réalité dominante

actuelle, devra entreprendre un effort de production de spectacles nouveaux adaptés à ses

impératifs (lieux, déroulement, etc.). Mais il devra également préserver la possibilité, qui est

une nécessité économique, de permettre à ces productions d’être diffusées dans d’autres

contextes. En ce sens, les liens entre les structures de diffusion des musiques du monde

devront être renforcés. C’est pour cela que le festival doit être conçu dans des relations de

réseau. Compte tenu de la faible médiatisation des cultures du monde, il est indispensable

d’entretenir une dynamique de réseau qui permette de pallier à cela, pour permettre aux

artistes de s’insérer dans un circuit et d’être autonomes. La création d’un spectacle dans le

cadre de résidences ou l’invitation d’artistes méconnus serait alors l’occasion d’organiser une

tournée dans divers festivals partenaires, permettant par là-même de réduire les coûts de

production. Cela touche donc à la notion de développement durable, l’exemplarité résidant

dans le suivi des artistes soutenus le long de leur parcours. Par ailleurs, au-delà du simple

hexagone, on pourrait développer une démarche de coopération internationale avec des

manifestations similaires, ce qui ajouterait une dimension d’ouverture et d’échange, surtout

dans le contexte actuel de la fermeture des frontières.

La notion de développement durable peut nous amener aussi vers une démarche

équitable comme celle développée dans le festival Musiques Vivantes.L’idée d’équité guide

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toutes les relations qu’entretient le festival que ce soit avec les artistes, le public ou les

musiques. Comme nous l’avons souligné plus tôt, on met en avant une répartition égalitaire

des différents répertoires, un traitement équitable des artistes notamment à travers le respect

méticuleux du droit du travail, et enfin, des rapports de collaboration et de convivialité avec

les publics. Mais cette démarche peut s’accompagner d’un élargissement vers ce qui touche le

commerce et le tourisme équitable. En effet, dans le cadre d’un événement qui revendique à la

fois la pluralité des formes artistiques et culturelles et la notion de coopération, il semble

important d’aller au bout de ces choix et dépasser la simple dimension artistique pour revêtir

un caractère engagé vers une autre économie. Le Village du festival représenterait l’endroit

idéal pour mettre en avant ces activités, sur le modèle des espaces créés pour les foires

internationales.

3.2.3 Politique des publics

Si la logique artistique et culturelle nous conduit à concevoir un festival tourné vers une

pluralité des origines culturelles, des types de musiques présentées ou encore des lieux

choisis, il reste à définir le rapport au public souhaité, ce qui détermine en fait la nature même

du festival. En effet, suivant la politique adoptée au niveau des tarifs, des activités de

médiation ou des rapports entretenus avec les partenaires locaux, le festival constituera un

événement convivial, familial, festif ou bien plus intimiste voire élitiste… Ce sont donc des

choix très importants dans la définition du projet.

Une politique tarifaire attractive

La difficulté que pose ce type d’organisation concerne la multiplication de spectacles

relativement autonomes, et donc l’établissement d’une politique tarifaire globale et attractive.

Nous avons pourtant constaté l’intérêt que présente un festival à « billetterie unique » dans sa

capacité à utiliser certains spectacles plus « vendeurs » comme pied d’appel à des formes plus

exigeantes ou moins connues. Dès lors, l’accent mis, dans notre cas, sur les week-ends dédiés

à une aire culturelle permettrait de développer un système de passeport à la journée. Ce

dernier donnerait accès à toutes les manifestations (théâtre, danse, musique, lectures, ateliers,

etc.) du jour, ce qui renforcerait la perception d’une culture à travers tous ses aspects. Sur

l’exemple du festival Musiques Vivantes, ce « pass » pourrait être vendu comme un bon de

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soutien, en prévente, notamment par un public de connaisseurs qui seraient « diffuseurs

auprès de leur réseau de connaissances ». Il serait majoré en vente sur place.

Car comme le souligne M. Hélard, le système de billetterie par « le bon de soutien est

vraiment ce qu’il y a d’important pour monter l’événement, moyen par lequel on va pouvoir

fidéliser un public »56. C’est aussi le moyen de créer un réseau de contacts pour le festival

mais également pendant l’année.

Par ailleurs, un choix doit être fait concernant l’éventuelle gratuité de certains spectacles. Or,

dans le cadre du débat sur la gratuité, on se rend bien compte que la gratuité des musées

n’amène pas forcément plus de visiteurs. Il y a un vrai travail d’éducation du public que la

gratuité ne remplace pas. Même des prix réduits sont parfois préférables. Un jeu pourrait être

alors instauré entre les activités payantes et gratuites, suivant l’implantation et le rythme du

festival. Pourquoi ne pas organiser les soirées en trois temps ? Des concerts gratuits en début

de soirée (18h), le concert phare et payant (maximum 10€) vers 21h suivi d’une after. Les

concerts gratuits auraient lieu en extérieur en différents endroits de la ville (places, marché

couvert, squares, etc.), les concerts payants dans des lieux identifiés comme salles de

spectacle, et les afters se dérouleraient chaque soir dans un même lieu équipé d’un parquet de

bal. Un passeport semaine pourrait être également pensé, permettant d’assister à cinq concerts

librement répartis sur les deux semaines du festival. Cela inciterait le public à découvrir

d’autres esthétiques musicales.

Enfin, concernant les activités périphériques, une distinction serait faite entre les rencontres

avec les artistes, gratuites, et les stages et ateliers proposés à des tarifs modiques.

Un gage de réussite : la participation du public

Si beaucoup de manifestations culturelles ou commerciales (agences événementielles

ou foires internationales) s’enorgueillissent d’une grosse fréquentation du public, il n’en reste

pas moins qu’un festival tourné vers les cultures du monde a pour vocation l’ouverture,

l’échange et le respect de l’Autre. C’est pourquoi il est important de créer du lien avec le

public, notamment car un musicien a besoin du public. A nouveau suivant les dires du

responsable du Festival des Musiques Vivantes, le fondement d’un festival c’est la

participation du public, pour qu’il ne soit pas seulement consommateur. Or, cette implication

du public peut être recherchée à deux niveaux : en amont, dans l’organisation même du

festival ou pendant son déroulement par la participation aux activités périphériques.56 Entretien MJC / CMT Ris Orangis

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Ainsi, l’implication en amont peut revêtir différentes formes.

Sur l’exemple du Festival de Martigues, il serait intéressant d’organiser l’hébergement des

artistes au sein de familles d’accueil volontaires dans l’agglomération, ce qui rendrait possible

une véritable rencontre interculturelle et l’appropriation du festival par les habitants. De plus,

cela limiterait les coûts de logistique permettant de prolonger le séjour des artistes et donc les

possibilités d’intervention auprès du public et de rencontres avec les autres artistes. Par

ailleurs, il semble important d’inclure les associations locales, notamment celles liées aux

minorités culturelles du territoire, dans le processus de programmation et de réalisation des

activités périphériques. Rien de plus enrichissant et valorisant pour une association de maliens

que la possibilité de partager son savoir-faire et ses richesses culinaires à travers la

préparation de repas typiques vendus sur le village du festival ou l’animation d’ateliers de

cuisine. Mais ce peut être également le collectage de témoignages, de contes, de photos auprès

des habitants originaires de la culture mise à l’honneur afin de réaliser une exposition, des

rencontres « à visage humain ». Autant de façons de rendre les publics potentiels actifs tout en

répondant à une demande politique d’outils d’intégration et de conscience citoyenne.

Pendant le festival, le concours du public se manifesterait par sa participation aux bals

organisés dans le cadre des afters en semaine et en après-midi les week-ends ; et sa présence

aux différents ateliers et stages proposés (danse, chant, musique, calligraphie, cuisine, arts

décoratifs, etc.). Cette approche révèle aussi la prise en compte d’une multiplicité de publics

puisque, nous l’avons constaté, il y a un public d’amateurs attiré principalement par la

pratique artistique, par exemple de la danse lors des bals ; un public spécialisé venant pour

voir un artiste en particulier et en découvrir d’autres ; mais également le public local qui vient

car il habite à proximité et sait qu’il va pouvoir voir des choses sympas. Ces derniers ne se

préoccupent pas tellement de savoir précisément quel groupe ils viennent voir, ils veulent

profiter de l’ambiance festive et conviviale.

Des actions de sensibilisation

Les cultures du monde restant très peu médiatisées pour le moment, il paraît nécessaire

d’aller au devant des publics afin d’attiser leur curiosité. Ainsi, des actions de sensibilisation

peuvent être mises en place en avant-première des spectacles du soir ou des jours à venir pour

développer les achats de billets en dernière minute. L’utilisation de lieux de vie habituels du

public représente un intérêt certain pour ce type d’intervention car cela permet de toucher un

maximum de gens et de désacraliser la démarche artistique.

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Page 95: L’expression artistique des cultures du monde · Web viewAu-delà de l’enceinte nationale, c’est aussi l’échange inégal Nord-Sud et le mouvement des indépendances des années

L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

On peut imaginer l’apparition d’un batuco capverdien en matinée sur la place du marché ou la

déambulation d’une fanfare tzigane en après-midi dans les rues commerçantes de la ville.

De la même manière, les spectacles payants de soirée pourraient faire l’objet de répétitions

publiques. Donnant à voir un aperçu de la prestation, cela pourrait amener le public à acheter

une place pour le soir même afin d’assister à la représentation dans son intégralité (son,

lumière, décors et costumes).

Au delà, pour aller à la rencontre des publics, différents types de rendez-vous peuvent être

organisés. Dans un souci de sensibiliser le plus grand nombre aux cultures du monde, mais

aussi de former le jeune public, un programme d’actions à destination des scolaires, des

amateurs mais aussi du grand public peut être proposé. Outre une sensibilisation en amont des

concerts, ces moments favorisent aussi une implantation locale forte et un engagement des

partenaires au delà des concerts. La masterclasse est un moment privilégié qui permet la

rencontre entre un artiste et le public amateur. Elle est l’occasion de bénéficier de

l’enseignement d’un professionnel. Ces temps forts peuvent se décliner autour de la pratique

instrumentale ou vocale. La rencontre est également précieuse car elle donne l’occasion

d’apporter un éclairage nouveau, d’expliquer des choix artistiques ou tout simplement de

donner des clés de compréhension du spectacle en question (fonction sociale de la forme,

explication des codes culturels, etc.). Généralement organisées avant le concert, ces actions

ont pour vocation de fidéliser un public déjà amateur et d’attirer un public nouveau.

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Page 96: L’expression artistique des cultures du monde · Web viewAu-delà de l’enceinte nationale, c’est aussi l’échange inégal Nord-Sud et le mouvement des indépendances des années

L’expression artistique des Cultures du Monde en FranceConditions de création d’un nouvel événement

Conclusion

L’utilité de la création de nouveaux festivals n’est pas à démontrer, au contraire,

compte tenu du manque de médiatisation des musiques du monde en France. Le festival

apparaît comme l’outil idéal de diffusion des musiques issues d’autres environnements

culturels, en ce qu’il permet d’accueillir l’Autre, de favoriser la rencontre et de mettre en

valeur la richesse des différences culturelles. Néanmoins, dans leur diversité, les festivals ne

parviennent que partiellement à assumer l’ensemble de ces missions qui dépassent largement

le cadre occidental de la présentation de musiques et de leur médiation auprès d’un public. Si

l’innovation est dès lors possible et même nécessaire, elle n’est pourtant envisageable que

dans le maintien de la pluralité des festivals, pluralité qui fait écho à la variété même de ces

musiques.

Cette étude nous a permis de discerner les écueils à éviter mais aussi les atouts à

conserver et développer. Elle nous a permis également de comprendre qu’un festival ne se

fonde pas seulement sur une étude « marketing » : certes celle-ci a l’avantage de cadrer le

champ culturel que l’on souhaite investir ainsi que ses spécificités, mais le plus important

c’est la volonté, l’envie de défendre un discours, une musique, des artistes. Sans cette énergie

créatrice l’outil marketing n’est rien.

A la question « Peut-on encore créer un festival des cultures du monde ? », la réponse

est oui ; il ne faut pas céder au fatalisme des problèmes de financements mais croire en ses

idées et avoir de l’énergie. Si une très forte volonté politique sur le plan local est nécessaire

pour soutenir de nouveaux festivals, l’originalité et un ancrage fort dans un territoire sont les

meilleurs atouts pour séduire ces tutelles. Yves Colin, des Vieilles Charrues l’assure, « le

paysage français des festivals prouve que tout le monde peut exister mais à condition de

mettre en valeur sa propre identité : on ne réussit pas un festival en copiant sur les

autres »57. A cela, il ne faut pas oublier un savoir-faire dont seuls de vrais professionnels de la

culture disposent et un faire-savoir, une bonne communication étant indispensable pour la

pérennisation de la manifestation.

Les propositions élaborées précédemment font dès lors partie d’une réflexion

permanente qui mérite d’être mûrie au gré des contacts et occasions rencontrées.

57 MAURET Nathalie, « Peut-on encore créer des festivals en France ? », dans La Scène, n°31, décembre 2003, p.81.

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