l’arrestation l’envolmultimedia.fnac.com › multimedia › editorial › pdf ›...

10
2 Les deux papillons L’arrestation L’envol Hervé

Upload: others

Post on 29-Jan-2021

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 2

    Les deux papillonsL’arrestation

    L’envol

    Hervé

  • 2 2

  • 2 3

    Hommage d’un « goy » aux enfants juifs massacrés par les nazis.

  • 2 4

  • 2 5

    L’Arrestation

    A Gaston et Simone, 6 ans Jackie, 11ans Maria, 15 ans. Copains et copines

    d’école, assasinés à Auschwitz en février 44.

    D’après un récit de Jackie à Guy. Il se prénommait Salomon mais

    tout le monde l’appelait Jackie. L’évocation de son prénom officiel avait le don de déclencher son fou rire, que nous partagions comme des complices. Comme le Roi proclamait-il. Cet âge est sans respect. A l’école, nous nous disputions la première place un mois sur deux. C’était pour la frime. Il était mon ami…

  • 2 6

    Relaté à la « récré », le récit de ce voyage est resté gravé dans mon âme d’enfant. Lorsque Jackie est venu me rendre visite cette nuit au plus profond de mes rêves, je n’ai pas été étonné qu’il me rappelle mon devoir de mémoire.

    – Désolé de te déranger dans ton sommeil, mais je ne peux pas laisser le mensonge s’installer comme une vérité historique. Lors d’un célèbre procès, la défense a prétendu que l’administration préfectorale n’était pas au courant du projet de rafle des juifs français de Gironde ce 10 janvier 1944. Elle aurait eu connaissance de cet événement seulement à 12 h, en vue d’ une action à 20 h. Or le 8 Janvier, un soi-disant français a donné l’ordre d’arrêter toute notre famille.

    Quelqu’un savait donc ce qui se tramait et a cru bon de faire du zèle en anticipant les désirs des allemands,

  • 2 7

    sans doute pour leur donner des gages de parfaite collaboration. Dénonce cette saleté, une tentative d’assassinat, même s’il n’y a plus de preuve de mon récit.

    Jackie avait prolongé ses vacances d’hiver d’un jour et demi. Lorsque notre institutrice l’interrogea sur le motif de cette absence, il montra simplement son étoile jaune cousue sur sa blouse et sortit sans un mot vers la cour de récréation, laissant la vieille dame médusée, envahie d’inquiétude. Pendant quelques minutes, je respectai le silence de mon ami puis lui souhaitai une bonne année, une ânerie que je regrette encore. Il ne me répondit que par un pâle sourire… Semblant sortir d’un cauchemar, il me raconta par bribes son insolite voyage de la veille.

    – Vers 8 h, deux gendarmes arrivent chez nous avec un camion réquisitionné. Nous devons tous partir

  • 2 8

    pour le camp de Mérignac. Ma mère fait quelques bagages et nous embarquons à l’arrière du gazogène avec notre gardien comme cinq dangereux bandits. Nous grelottons de froid ; des courants d’air glacés entre les bâches. Quel engin poussif ! Ça empeste le gaz. Mon petit frère Gaston pleure dans les bras de Maria. Il me demande où nous allons ; pourquoi on nous fait ça. Je ne sais pas lui répondre. Le pandore est gêné. Notre tortillard ne peut pas monter une côte : Nous descendons tous pour le pousser au derrière. S’il pouvait tomber en panne ! Hélas, il repart péniblement. Le chauffeur vide son sac de charbon de bois dans la chaudière. J’ai envie de profiter de l’arrêt pour sauter dans le fossé et disparaître dans le taillis. Le regard de Gaston m’en empêche. Ce sacré gamin lit dans mes pensées ! Pourtant j’ai toujours promis : « Ils ne

  • 2 9

    m’auront pas vivant ». Nous arrivons devant le camp. Le « poireautage » commence. Le responsable est introuvable. En attendant, les gardiens épluchent nos cartes d’identité, de quoi les occuper un certain temps ; surtout celle de ma sœur ! Elle s’appelle Maria Nowartowska, avec un R en plus de notre nom, en plein milieu ! Au bout d’une heure de palabres, les gendarmes reviennent. Je trouve qu’ils ont une drôle de bobine : Les allemands ne veulent pas de nous ! Mes parents sont juifs français, naturalisés depuis 1931. Ils n’ont pas d’ordre. Revenez chez vous ! Les pandores pestent contre leur sale boulot. Gaston et moi pouffons de rire. Notre mère nous gronde mais je vois dans ses yeux et ceux de ma sœur qu’elles ont bien envie d’en faire autant. A nouveau les côtes ; tout le monde descend ! Cette fois, le

  • 2 10

    gendarme pousse ; nous, on fait semblant. Il fait toujours aussi froid dans le camion mais nous résistons sans broncher : le moral n’est plus le même malgré notre fringale. Ce matin personne n’est allé travailler…

    Dans mon sommeil, j’ai entendu à nouveau la voix de Jackie :

    – Merci de te souvenir de tout. Tu n’as rien oublié de notre dernière « récré » passée ensemble cet après-midi du 9 janvier ; on était bien … Une seule rectification : Lors de notre retour, j’avais parlé de fringale. Ce n’était qu’un petit tiraillement d’estomac.

    La vraie faim, nous l’avons connue plus tard. C’est autre chose. Tu connais la suite :

    Le lendemain 10 janvier, nous n’avons pas échappé à la rafle générale en Gironde.

    Le camp de Mérignac a reçu notre visite pour la deuxième fois en 48 h,