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1 L’aire toulonnaise, un conservatoire unique du patrimoine fortifié Bernard Cros, Ingénieur en chef de la marine (e.r.) Historien du patrimoine militaire et maritime Vue aérienne de la rade de Toulon © Emmanuel Rathelot, Marine nationale Dotée des atouts touristiques inhérents à toute agglomération du littoral méditerranéen, l’aire toulonnaise présente une particularité culturelle exceptionnelle ; le patrimoine fortifié qui s’égrène le long de ses rivages et couronne ses points hauts en fait un véritable conservatoire de l’architecture militaire. Les particularités de l’aire toulonnaise résident dans le double fait que son patrimoine fortifié s’étage du niveau de la mer à une altitude proche de 800 mètres et que son édification suit toutes les évolutions de l’architecture militaire, du début du 16 è siècle au milieu du 20 è siècle. On peut y ajouter que Toulon s’est trouvé à plusieurs reprises au cœur d’événements militaires de portée nationale et que, en dépit de combats parfois virulents, l’état de conservation de ce patrimoine est plutôt satisfaisant. L’occupation durable des ouvrages par des organismes militaires a de plus favorisé leur maintien en condition. Le patrimoine concerné comporte près de soixante forts et batteries, disséminés de Sanary à Carqueiranne, en passant au nord par Evenos et La Valette. Il a pour complément indissociable l’ensemble d’ouvrages fortifiés qui protègent la rade et les îles d’Hyères. La vocation navale du port de Toulon est naturellement à l’origine des ouvrages fortifiés qui couvrent cette place maritime essentielle pour la présence française en Méditerranée et bien au- delà. Pourtant l’ouvrage le plus ancien est antérieur à l’érection de Toulon en port de guerre. La Grosse tour (actuelle Tour royale) est en effet une création du règne de Louis XII, destinée à protéger l’entrée de la rade qui abritait alors un port de commerce et de pêche dont le réseau d’échanges dépassait largement les limites de l’antique mare nostrum. La Grosse tour, ou tour royale est un torrione édifié de 1514 à 1524 © B. Cros

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Page 1: L’aire toulonnaise, un conservatoire unique · Du côté de terre, la défense est essentiellement assurée par l’enceinte bastionnée de Toulon. Construite du temps de Henri

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L’aire toulonnaise, un conservatoire unique du patrimoine fortifié

Bernard Cros, Ingénieur en chef de la marine (e.r.) Historien du patrimoine militaire et maritime

Vue aérienne de la rade de Toulon © Emmanuel Rathelot, Marine nationale

Dotée des atouts touristiques inhérents à toute agglomération du littoral méditerranéen, l’aire toulonnaise présente une particularité culturelle exceptionnelle ; le patrimoine fortifié qui s’égrène le long de ses rivages et couronne ses points hauts en fait un véritable conservatoire de l’architecture militaire. Les particularités de l’aire toulonnaise résident dans le double fait que son patrimoine fortifié s’étage du niveau de la mer à une altitude proche de 800 mètres et que son édification suit toutes les évolutions de l’architecture militaire, du début du 16è siècle au milieu du 20è siècle. On peut y ajouter que Toulon s’est trouvé à plusieurs reprises au cœur d’événements militaires de portée nationale et que, en dépit de combats parfois virulents, l’état de conservation de ce patrimoine est plutôt satisfaisant. L’occupation durable des

ouvrages par des organismes militaires a de plus favorisé leur maintien en condition. Le patrimoine concerné comporte près de soixante forts et batteries, disséminés de Sanary à Carqueiranne, en passant au nord par Evenos et La Valette. Il a pour complément indissociable l’ensemble d’ouvrages fortifiés qui protègent la rade et les îles d’Hyères. La vocation navale du port de Toulon est naturellement à l’origine des ouvrages fortifiés qui couvrent cette place maritime essentielle pour la présence française en Méditerranée et bien au-delà. Pourtant l’ouvrage le plus ancien est antérieur à l’érection de Toulon en port de guerre. La Grosse tour (actuelle Tour royale) est en effet une création du règne de Louis XII, destinée à protéger l’entrée de la rade qui abritait alors un port de commerce et de pêche dont le réseau d’échanges dépassait largement les limites de l’antique mare nostrum.

La Grosse tour, ou tour royale est un torrione édifié de 1514 à 1524 © B. Cros

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Créé sur le papier par Henri IV en 1595, l’arsenal prend véritablement corps grâce à Richelieu après 1635, époque de la prise de îles de Lérins par les Espagnols. C’est dans ce contexte que sont bâties les tours de Balaguier et des Embiez1 et que sont envisagés d’autres ouvrages défensifs qui devront attendre le règne suivant.2 C’est sous le règne de Louis XIV et par la main de Colbert que l’arsenal de Toulon connaît un véritable essor. Le port doit alors être en mesure de construire et soutenir une flotte de cinquante à soixante vaisseaux. Vauban sera l’artisan de ce projet considérable, réalisé de 1678 à la fin du siècle.

Carte de la rade de Toulon vers 1750, Bélidor, Architecture hydraulique, collection B. Cros

La protection de la rade devient alors une préoccupation majeure. La guerre contre la Hollande (1672) avait déjà incité à renforcer les batteries de la Grosse tour et de Balaguier et à construire le fort de l’Eguillette pour parachever la protection de la petite rade. Vauban fait construire le fort des Vignettes, ou fort Saint Louis, pour interdire le mouillage de galiotes à bombes hors de portée des batteries de la petite rade3.

Plan de la tour royale levé à l’occasion de la confection du plan-relief Fort de Balaguier, comme à la Tour royale, des batteries ont de Toulon © B. Cros été ajoutées en 1672 © P. Fromentin, Marine nationale

1 Elles s’inscrivent dans un programme qui couvre les îles d’Hyères et qui s’étend jusque Antibes. 2 Les forts Saint Louis et Lamalgue, en particulier. 3 A la veille du siège de 1707 le front de mer aligne 177 canons et 14 mortiers dans les seize ouvrages compris en la plage de Saint Elme et Sainte Marguerite.

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Fort Saint Louis, relevé pour un plan-relief non exécuté Fort de l’Eguillette, état 1694 © B. Cros (dessin de Benoît Maffre, architecte DPLG) © B. Cros Du côté de terre, la défense est essentiellement assurée par l’enceinte bastionnée de Toulon. Construite du temps de Henri IV (1589-1595), son tracé est inspiré des projets de l’ingénieur piémontais Ercole Negro, qui a largement fortifié les places du sud-est de la France. Lors de ses passages à Toulon Vauban n’estime pas nécessaire de placer des ouvrages fortifiés permanents à l’extérieur de la ville, protégée par les reliefs. Le système défensif est mis à l’épreuve du feu en juillet-août 1707, lors de l’attaque conduite par le duc Victor-Emmanuel de Savoie. Le fort Saint Louis est ruiné, la ville est bombardée depuis la mer. Les leçons de l’attaque sont tirées sans attendre. L’ingénieur Niquet élabore un projet d’amélioration de la défense qui repose principalement sur l’édification d’une ligne de forts détachés à l’est de Toulon. Partant de la hauteur de Lamalgue4, elle aboutit aux contreforts du Faron (redoute d’Artigues) en passant par la hauteur de sainte Catherine. La reconstruction du fort Saint Louis est achevée dès l’été 1708. La construction de la redoute d’Artigues est terminée en 1709.

Fort d’Artigues, plan-relief confectionné après 1793 © Musée des Plans-reliefs

4 La redoute ou fort qu’il propose d’élever à Lamalgue devra autant s’opposer à une attaque terrestre que couvrir les arrières du fort Saint Louis, dont il complètera aussi l’action contre la mer.

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A peine esquissé en 1709, le fort Lamalgue connaît un début de travaux en 1738. Son projet est amendé et amélioré en 1750, mais le travail n’avance que par à-coups, au gré des disponibilités financières irrégulières et limitées. La guerre de Succession d’Autriche (1744 – 1748) est précédée, en Provence par des accrochages entre forces navales françaises et anglaises5. En 1746 les Austro-Savoyards s’apprêtent à rééditer une attaque contre Toulon. La Provence est mise à la hâte en état de défense sous les ordres du maréchal de Belle-Isle. Des redoutes de campagne, en pierres sèches, sortent de terre autour de la rade. Après cette alerte sans conséquence, l’ingénieur d’Antibes de Bertaud, directeur des fortifications, reprend le projet du fort Lamalgue (1750) et propose d’édifier un ouvrage permanent sur la hauteur des Pomets. La redoute des Pomets couvrira par l’ouest le débouché de la vallée de Dardennes. Débutant en 1748 sous la conduite de l’ingénieur Auguste Verrier, les travaux se terminent en 1755. Après le sursaut de 1708, l’alerte de 1746 et les atermoiements des années 1740 – 1750, il faut attendre la fin de la guerre de Sept Ans (1756 -1763) pour voir le renouveau de la défense terrestre mis à l’ordre du jour. C’est à l’ingénieur Milet de Monville que reviendra le soin de concevoir et réaliser le système destiné à marquer durablement le paysage militaire de Toulon6. Mis en œuvre à partir de 1764, le projet de Milet de Monville transforme le système défensif de la place. A l’est de la ville la ligne de forts détachés prend corps, de Lamalgue au Faron. Après des déroctages considérables pour aplanir la hauteur Lamalgue, le fort s’élève sous l’action d’une véritable armée de travailleurs, renforcée par des soldats. Le fort rectangulaire aux quatre angles bastionnés est complété par une lunette détachée face à l’est, ainsi que par une batterie de côte qui couvre son glacis méridional. Comparable à une citadelle, il devient la pièce maîtresse de la défense face à l’est.

Fort Lamalgue, détail du plan-relief de Toulon. Le fort est complété par une batterie de côte à flanc de colline

© Musée des plans-reliefs

5 Affaire de Saint Tropez durant laquelle des Anglais pourchassent des galères espagnoles dans le port et y jettent des brûlots, prise d’embarcations de pêche, combat de Sicié en février 1744. 6 Nicolas Milet d’Estouf, seigneur de Monville (1696-1773) est issu d’une famille de militaires comptant plusieurs ingénieurs. Ingénieur ordinaire en 1723, sa carrière le verra principalement en Provence. Directeur des fortifications de Provence de 1758 à 1773.

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Entre Lamalgue et Artigues, la redoute de Sainte Catherine est construite à la même époque.

Redoute Saint Catherine - Trois tours de grande hauteur sont venues coloniser le site à la fin des années 1960 © B. Cros Sur les contreforts du Faron, une redoute est créée de façon à contrôler les approches pouvant se faire par la pente douce qui monte depuis La Valette. Le futur fort Faron est implanté de

Caserne retranchée du Faron, un monument militaire exceptionnel avec son impluvium © B. Cros

façon à interdire l’occupation du plateau Fournier qui pourrait profiter à un assiégeant pour y établir des batteries. Le site étant éloigné de la ville, un cantonnement de chantier est édifié à proximité pour héberger les ouvriers et offrir magasins et atelier à ce chantier. Destiné à être conservé comme caserne défensive après la construction du fort, le bâtiment est protégé par une enceinte tenaillée à deux rangs de créneaux de fusillade. Pour pallier la rareté de l’eau, une citerne de près de 400 m3 est creusée le long du bâtiment

afin de stocker l’eau nécessaire à la construction du fort. Le sol pentu en amont de la citerne est nivelé et réglé de façon à former impluvium. Cet ouvrage constitue un exemple unique en France dans le domaine de l’architecture militaire du XVIIIè siècle. Le fort Faron sort également de terre à partir de 1764. De plan pentagonal, il doit être complété par une « flèche », sorte de réduit avancé destiné à compléter ses vues vers le rebord sud-est du replat d’assiette du fort. En 1770 les travaux sont suspendus, alors que seuls le niveau de plain-pied a été construit.

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Porte d’Italie, l’enceinte Henri IV a été Porte d’Italie, détail du plan-relief de Toulon © Musée des Plans-reliefs chemisée sous Louis XV et la porte re- construite après la Révolution © B. Cros Le puissant système de défense élaboré par Milet de Monville connaîtra l’épreuve du feu une vingtaine d’années plus tard, en défendant la place contre … les forces françaises. L’armée républicaine vient en effet mettre le siège devant Toulon, dont la municipalité a ouvert les portes aux Coalisés en août 1793. Les Anglais occupent tous les forts toulonnais. Mesurant l’importance du secteur Balaguier-Eguillette sur le contrôle de la petite rade, ils édifient une puissante redoute7 sur la hauteur de Caire qui domine les deux pointes précitées. Cette zone stratégique prend le nom, très significatif, de Petit Gibraltar. Après des manoeuvres de type frontal, les troupes républicaines agissent selon les vues du jeune Bonaparte qui, en bon artilleur, convainc ses chefs de porter l’effort sur le point faible que constitue le Petit Gibraltar. La prise de la redoute Mulgrave offre aux Républicains le contrôle de la rade et hâte l’évacuation de Toulon par les Coalisés. Devenu empereur, Napoléon demeure attaché à la géographie militaire de Toulon. Lorsque le blocus continental imposé par les Anglais incite à l’élaboration d’un vaste programme de défense des côtes en 1811, l’empereur se fait présenter les cartes de Toulon et suit personnellement les projets étudiés. La protection de la presqu’île de Saint Mandrier revêt alors une importance majeure. Une batterie de cent canons est prévue à l’entrée de la grande rade, à la Carraque. Une batterie de même puissance est prévue sur la croupe Lamalgue, pour croiser ses feux avec ceux de la Carraque. Pour protéger les arrières de la batterie de la Carraque, dominée par la hauteur de la Croix des signaux, il est décidé d’y construire une tour. Celle-ci fait partie d’un programme de « tours-modèles » destinées à être reproduites sur l’ensemble des côtes européennes sous domination française, de la Hollande à la Dalmatie. Il est prévu la construction en dix années de 54 batteries avec tour normalisée pour le littoral méditerranéen ou adriatique. La tour de la Croix des signaux est aujourd’hui la seule à porter témoignage de ce projet d’ampleur sur la côte provençale8. Pour disposer de réduit de résistance dans des lieux isolés, le Comité des fortifications établit à la même époque les spécifications de « redoutes-modèles »9. En 1811, ordre est donné de construire

7 Dite redoute Mulgrave. 8 Une bonne demi-douzaine de tours subsiste encore sur le littoral atlantique, autour du goulet de Brest et des pertuis charentais. 9 De plan carré bastionné, la redoute est ceinturée par un fossé. Les logements et magasins sont placés en casemates souterraines. Deux modèles homothétiques sont définis.

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une redoute modèle sur la hauteur de Caire, en lieu et place de l’ancienne redoute Mulgrave. Dès la construction elle prend le nom de fort Napoléon. À son achèvement en 1821 ce sera l’unique redoute modèle n° 2 construite en France10.

Fort Napoléon, l’unique redoute-modèle n° 2 de l’Empire bâtie en France © F. Pauvarel, Inventaire général, Région Paca Deux faits se conjuguent en 1840 pour relever les ouvrages fortifiés. La tension franco-anglaise reprend du fait de la « Question d’Orient ». L’artillerie devient plus efficace en portée et en effets destructeurs, grâce aux progrès de la métallurgie11. Dans ces conditions, les ouvrages du front de mer sont à repenser complètement sur l’ensemble des rivages français. Une Commission mixte d’armement des côtes, de la Corse et des îles12 est instaurée en 1841 pour élaborer la doctrine et les modalités techniques de relèvement des fronts de mer. La Commission de 1841 vise à rationaliser l’armement des batteries de côtes, qui s’appuiera désormais sur les seuls canons de 30 livres et obusiers de 22 cm, en nombre égal. Elle établit les plans de réduits normalisés de batteries de côte et fixe les principes d’implantation, de défilement et de construction des nouvelles batteries13. Les règles qui en découlent sont diffusées par une instruction de septembre 1846.

Batterie du cap Nègre, réduit modèle 1846 n° 2 © B. Cros Batterie de la Coudoulière, réduit modèle 1846 modifié pour 25 hommes © B. Cros

10 De même, le type n° 1 reste à l’état d’unicum avec le fort Liédot édifié à l’île d’Aix près de Rochefort. 11 La portée efficace de l’artillerie modèle 1845 atteindra 2400 mètres, contre un gros millier de mètres auparavant. 12 Elle est « mixte » car associant l’armée de terre (Génie et Artillerie) et la marine. 13 La synthèse en est publiée en 1848, sous le titre de Mémoire sur la défense des frontières maritimes de la France.

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Batterie basse du cap Brun, corps de garde modèle 1846 n° 1 modifié © F. Pauvarel, Inventaire général, Région Paca La paix étant heureusement conservée de façon durable, ce programme sera -fait unique en France- conduit à son terme en 1863. Dans l’agglomération toulonnaise, une douzaine de réduits sont construits entre 1846 et 1862, tandis que les ouvrages préexistant les plus puissants sont simplement remaniés.14

Fort de l’Eguillette, casemates créées après 1846 pour améliorer la protection de la batterie © B. Cros Du côté de la défense terrestre, l’accroissement de la portée de l’artillerie implique d’étendre le périmètre défensif de la place de Toulon. L’occupation militaire permanente du Faron s’impose d’elle-même. La nouvelle ceinture de forts détachés s’appuie à l’ouest sur la hauteur de Malbousquet, occupe les contreforts du Faron, contrôle son plateau sommital et rejoint le bord de mer au cap Brun après avoir suivi la ligne des ouvrages qui couvrent la ville à l’est depuis Milet de Monville. 14 C’est le cas de la Grosse tour, Balaguier, l’Eguillette et le fort Saint Louis, dont les batteries sont rehaussées, terrassées et dans certains cas prolongées.

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Etudiée depuis le milieu des années 1830, l’occupation militaire du Faron vise à protéger ses

Fort du Grand saint Antoine, vue du saillant nord-est © F. Pauvarel, Inventaire général, Région Paca

Tour de l’Hubac, unique réalisation d’un type de tour envisagé pour protéger différents points du Faron et de Saint Mandrier © B. Cros

accès par les gorges qui entaillent son relief par les versants nord et sud. Le programme défensif est mis en œuvre de 1840 à 1845, dans une unité de temps permise par un financement exceptionnel consacré à la défense du port de Toulon. À l’ouest, le fort du Grand Saint Antoine dirige ses feux vers la vallée de Dardennes. Ses vues vers le nord étant masquées en partie par les barres rocheuses descendant du pas de Lesteau, la tour de l’Hubac est placée en avant-poste. Au sommet de la gorge de Saint Antoine et à proximité immédiate du Pas de Leydet, la tour de Beaumont est conçue comme un poste de surveillance, complété par une batterie de quelques pièces d’artillerie. La tour de la Croix Faron, de plan analogue, comporte deux niveaux défensifs et contrôle l’accès à un point d’observation exceptionnel sur la rade et la ville. Pour faire face à une possible irruption de troupes agiles par les gorges nord du Faron, la création d’un ouvrage complémentaire est envisagée aux abords du Pas de la Masque. La caserne du Centre est ainsi conçue par le capitaine Séré de Rivières, pour pouvoir héberger 250 hommes prêts à se porter en tout point du plateau.

Tour Beaumont, tour à gorge bastionnée analogue à celle construite à la Croix Faron © F. Pauvarel, Inventaire général, Région Paca

Fort Faron - Vue du bastion sud-ouest, front de gorge sur la gauche © B. Cros

Fort Faron - Vue du front d’attaque à l’est. L’adaptation défensive à la topographie est manifeste © B. Cros

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Le même capitaine Séré de Rivières est chargé de concevoir et commencer à construire le fort du cap Brun, qui forme la borne maritime du nouveau système défensif. De plan pseudo-pentagonal,

Fort du cap Brun - Caserne typique des forts des années 1840 © B. Cros

il décline les principes alors en vigueur dans la défense terrestre. L’artillerie n’est plus placée sur le rempart, mais sur un massif formant cavalier en retrait de l’enceinte. Les actions lointaine (artillerie) et rapprochée (fusil) sont désormais distinguées dans les formes. L’artillerie tire à barbette en arrière d’un parapet massif de terre et non plus à travers les embrasures de l’escarpe. Ces lignes directrices sont mises en application dans tous les forts construits à cette époque à Toulon, comme ailleurs.

Considérée comme la clef de la rade, la presqu’île de Saint Mandrier reçoit des forts destinés à empêcher toute occupation. Le fort de la Croix des signaux15 assure la couverture de la batterie de la Carraque. Au voisinage de l’isthme des Sablettes le fort de Saint Elme protège la presqu’île contre une descente en provenance des Sablettes.

Peu après l’achèvement de ce programme, les nouveaux progrès de l’artillerie rendent ces ouvrages désuets. La portée et la puissance des nouvelles pièces sont telles que tout est à repenser. Face à la mer les batteries côtières doivent désormais employer des canons de marine dont les dimensions deviennent considérables16. Les ouvrages préexistants sont tous à remplacer. Les nouvelles batteries seront maintenant placées en altitude et protégées par des parapets en terre. Protégées des coups venant du large par l’altitude, elles disposeront de la supériorité en pratiquant un tir dit « de bombardement » contre les parties faiblement protégées des navires cuirassés.

Batterie de Peyras - Plan de 1880 montrant la disposition des plateformes d’artillerie recoupées par des traverses-abris (service d’infrastructure de la Défense à Toulon) © B. Cros

Batterie du cap Cépet - Plan de 1880. Etant isolée, la batterie bénéficie d’une organisation défensive élaborée (service d’infrastructure de la Défense à Toulon) © B. Cros

Batterie haute du Lazaret Rare exemple de batterie de crête conçue pour pouvoir tirer vers la mer (à gauche) ou dans la rade (à droite) © B. Cros

15 Englobant la tour-modèle de l’empire, il adopte une conception analogue à celle du fort des Saumonards (île d’Oléron) qui absorbe également une tour-modèle. 16 Les canons de 24 cm mesurent plus de 5 mètres de long et lancent des obus de 145 kg à près de 7000 mètres.

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Batterie de Peyras - L’aile droite a été remaniée en 1907 avec création de magasins de combat en béton armé © B. Cros Le renouveau de la défense terrestre s’inscrit dans le contexte du relèvement des frontières rendu indispensable par la défaite de 1870. Le programme mis en œuvre après 1872 est connu sous le nom de « Système Séré de Rivières » en référence au général qui en est la cheville ouvrière au sein du Comité de défense et en tant que chef du service du Génie au ministère de la Guerre, celui qui, comme capitaine avait servi à Toulon dans les années 1840. La nouvelle ceinture de forts et batteries part à la conquête des points hauts. L’objectif est de repousser la ligne d’investissement de la place à plus de 6 000 mètres afin de placer l’arsenal hors d’atteinte.

Plan de Toulon, 1900 (Société des amis du vieux Toulon et de sa région)) © B. Cros

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Les nouveaux ouvrages sont eux-mêmes espacés d’une distance à peu près équivalente, de façon à pouvoir se flanquer mutuellement. De Six-Fours à la Colle Noire, cinq grands forts et une demi-douzaine de batteries permanentes s’égrènent le long d’un périmètre de 35 kilomètres. Pour résister à l’artillerie à obus explosif et à tir à grande portée les ouvrages « collent » au relief environnant. Les casernes se fondent contre les massifs rocheux déroctés. Les locaux sensibles sont enfouis sous le roc ou des masses de terre coulante. On envisage un temps de placer l’artillerie dans des galeries creusées sous roc. Vingt années s’écoulent entre l’origine et l’aboutissement du programme (1872 – 1893). Le dernier fort construit, à Pipaudon (Evenos) est entièrement construit en souterrain.

Fort de la Croix Faron - Porte d’entrée © F. Pauvarel, Inventaire général, Région Paca

Fort de la Croix-Faron - La caserne à casemates voûtées est typique des ouvrages Séré de Rivières © B. Cros

Crémaillère du Faron - Le flanc oriental du Faron est protégé par un ensemble complexe exceptionnel dont la construction s’échelonne de 1764 à 1875. © P. Fromentin, Marine nationale

Fort de la Croix-Faron - Cavernes à canons. Deux séries de cavernes ont été creusées à plus de 15 mètres sous roc © B. Cros

Fort du Coudon ou fort Lieutenant Girardon - Front d’entrée et caserne de surface. © B. Cros

Fort du Coudon - Perché à 700 mètres d’altitude, le fort comprend une caserne de siège creusée sous roc. © P. Fromentin, Marine nationale

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Fort de Pipaudon - Dernier-né des forts Séré de Rivières toulonnais, le fort est aménagé en souterrains © P. Fromentin, Marine nationale

Ouvrages du mont Caume - Deux positions d’artillerie avec caserne défensive couronnent les sommets à 800 mètres d’altitude. © B. Cros

La première guerre mondiale révèle le rôle de l’aéronautique militaire. Durant l’entre-deux guerres la plupart des forts sont remis à la Marine, qui y aménage des batteries contre avions. La défense côtière est réorganisée pour tenir compte de la puissance grandissante de l’artillerie navale (portée voisine de 40 km). Une batterie d’artillerie principale armée de quatre canons de 340 mm sous tourelles est créée dans la presqu’île de Saint Mandrier. Tous ses locaux de service sont placés sous plusieurs mètres de béton protecteur. Les bombardements aériens d’août 1944 entameront péniblement les parties émergées que sont les tourelles. Le fracas des armes s’est tu depuis soixante-dix ans. Quarante pour cent de ces ouvrages fortifiés sont toujours occupés par la Défense. Une part d’entre eux, sans utilisation, est confiée à des associations, qui les conservent et/ou les restaurent. Certains, tous propriétaires confondus, sont dans une large déshérence et ne doivent leur survie qu’au dévouement de responsables « de terrain » qui font au mieux avec peu de moyens. Le manque d’intérêt que ces ouvrages peuvent susciter repose pour une part sur une sensibilisation insuffisante à leur qualité et à leur histoire. On ne prend soin que de ce que l’on connaît. L’étude architecturale du remarquable ensemble fortifié toulonnais a été entreprise et publiée à titre privée depuis près de vingt ans. Son inventaire scientifique et officiel est en cours avec les campagnes annuelles menées depuis 2007. Les bases objectives et comparatives d’une politique de protection sont désormais largement identifiées et disponibles.